La Monnaie de Paris consacre une exposition magistrale à Georges Mathieu (1921-2012), le fondateur de l’abstraction lyrique, jusqu’au 7 septembre. Monsieur Nostalgie revient sur cet artiste phénomène aussi flamboyant que sensible qui a insufflé un mouvement de libération en peinture mais aussi à la télé ou dans notre porte-monnaie…
Il semble venir des temps immémoriaux et pourtant son esthétique signe l’apogée des années 1960-1970. Mathieu était un artiste global, aimant la controverse, conspuant la critique officielle et les pouvoirs bricoleurs, tout en s’inscrivant dans une tradition « grand siècle ».
Un sacré personnage
L’artiste est trop rapide, trop charpenté intellectuellement et aussi trop possédé par sa peinture pour trouver refuge dans les couloirs étriqués de la pensée actuelle. Il y avait du Godefroi de Bouillon en lui, un être inclassable, batailleur et sincère, il faut le voir conduire son cabriolet Mercedes de 1934 dans les rues d’un village et se lancer, avec fougue, tubes en mains, sur l’immensité d’une toile. Il fait le « show » en province, dans son appartement décorum ou au Japon devant un public médusé par une création vivante en mouvement et en foisonnement. Ce natif de Boulogne-sur-Mer fut mondialement connu, exposé dès les années 1950 aux États-Unis, puis oublié dans son propre pays, sous-coté sur le marché de l’art, et aujourd’hui la Monnaie de Paris lui dédie la plus belle des expositions du printemps. Sa légende est sur le point de renaître, les graffeurs le reconnaissent comme leur père spirituel. D’abord, on est amusé par le personnage, croisement d’un héros du Moyen-Age et d’une silhouette filiforme à la Don Quichotte. Des moustaches en guidon de vélocipède et ce visage longiligne, comme s’il avait un heaume posé au-dessus de la tête, une force vitale débordante l’agite, un don pour la provocation l’anime assurément ; cette mise en scène permanente n’empêche pas les convictions et une vision de l’art.
Sur de nombreux sujets Mathieu a été visionnaire, il fut ringardisé au tournant des années 1980, sa parole déconstruite par les nouveaux maîtres de l’art et, peu à peu, évincé des cercles d’admiration. Quand il parlait de la « barbarie nouvelle », de l’augmentation de la criminalité, des ravages de la pornographie ou qu’il se moquait des « petits tableaux pour les vendre à des petits bourgeois », Mathieu dessinait notre horizon avec prescience et acuité. Il avait de l’affection pour Georges Pompidou, le seul président à ses yeux qui avait renoué le dialogue entre l’art et l’État. Mathieu intervenait alors dans le débat public, il voyait grand quand le monde rapetissait, ses toiles poussaient les murs, débordaient d’une fureur et d’une revanche contre dieu ; il croyait à la peinture à l’huile et s’insurgeait contre la prolifération des installations de cailloux. Il a été l’inventeur de l’abstraction lyrique qu’il définissait comme l’apparition de formes qui ne seraient pas tirées du réel. Le signe précède alors la signification. On le regarde « performer » dans le documentaire réalisé par Frédéric Rossif en 1971, il peint en instantané, agité et précis, libérant les jets et les élans dans une arabesque complètement addictive pour le téléspectateur sur une musique de Vangelis Papathanassiou. Avec d’autres, on crierait aux trucages, à la falsification mémorielle, avec Mathieu, son geste nous entraîne paradoxalement dans les entrailles de la France.
Quand il s’attaque à l’Histoire, on est conquis par sa frise personnelle. L’exposition, vraiment superbe, nous offre un voyage dans le temps, d’abord à l’époque médiévale avec « Hommage à Louis XI » (1950) ou « Un Silence de Guibert de Nogent » (1951), elle se prolonge avec « les fastes du XVIIème siècle » et son « Hommage au maréchal de Turenne » (1952) jusqu’à des œuvres plus zen telles que « Karaté » (1971). Voir « La Bataille de Bouvines » (1954) ou « Les Capétiens partout ! » (1954) provoque toujours une onde féroce. Mais, pour tous les Français, l’art de Mathieu s’est immiscé dans notre quotidien, le plus ménager, le plus publicitaire et consommateur. Nous avons tous eu un Mathieu dans notre poche, l’artiste a remporté le concours organisé en janvier 1974 par le ministre de l’Économie et des Finances, Valéry Giscard d’Estaing pour la conception de la nouvelle pièce de 10 francs. Dans notre porte-monnaie, cet écu stylisé, d’inspiration industrielle, couleur « louis d’or » était notre pièce favorite. Entre 1974 et 1981, on pouvait s’en acheter des choses avec seulement 10 francs ! Mathieu a inondé notre univers visuel durant deux décennies : des affiches pour Air France datant de 1967, des porcelaines (collaboration avec la manufacture de Sèvres), des timbres, une épée d’académicien, des médailles et même une usine. En outre, Mathieu est l’inventeur du sigle d’Antenne 2 en 1974 et il a conçu le trophée des 7 d’or en 1985. En 2025, il est enfin temps de redécouvrir l’œuvre de Mathieu.
Le projet de réaménagement de la place du Trocadéro est une nouvelle démonstration de la méthode Hidalgo: imposer par la force une écologie punitive et une idéologie «festive», au détriment de la beauté de Paris et de la vie quotidienne de ses habitants. La préfecture a retoqué ce nouveau délire, mais pour combien de temps ?
Les touristes et sans doute bien des Parisiens qui arpentent chaque jour la place du Trocadéro ignorent probablement que ce haut lieu parisien doit son nom à l’un des plus beaux faits d’armes de la France. En avril 1823, un corps expéditionnaire de 95 000 hommes envoyé par Louis XVIII et commandé par le duc d’Angoulême franchit les Pyrénées, prend Madrid et se dirige vers Cadix où l’Assemblée espagnole, acquise aux idées révolutionnaires, retient prisonnier Ferdinand VII, cousin des rois de France. Le fort Louis est pris à la baïonnette et l’île de Trocadéro tombe. L’armée française ne perd que 31 hommes et la monarchie espagnole est restaurée.
Moins sanglante
C’est une tout autre bataille qui se joue aujourd’hui au Trocadéro, moins sanglante certes, mais tout aussi héroïque. Non contente d’avoir transformé comme on sait les places de la Nation, de la République et de la Bastille, non contente de vouloir semer des palmiers sur la Concorde et des cocotiers sur les Champs-Élysées, Madame Hidalgo veut disneylandiser la belle place qui fait face au palais de Chaillot et dont l’harmonie patrimoniale a été atteinte au moment de l’Exposition universelle de 1937. Notons que cet équilibre s’est vu enrichi dans les années 1950 avec la statue du maréchal Foch due à Raymond Martin et le magnifique monument à l’infanterie réalisé par Paul Landowski. Adieu à cet ensemble remarquable : piétonnisation, circulation réduite à un improbable double sens en fer à cheval à l’arrière de la place et « végétalisation » destinée à organiser pique-niques et privatisations événementielles forment le projet délirant déjà partiellement mis en place à la faveur des Jeux olympiques.
Ainsi défiguré depuis des mois par un salmigondis de plots, piquets, panneaux, feux et marquages au sol, le Trocadéro est devenu l’exemple même de l’absurdité technocratique et du mépris pour la beauté de Paris. Rien ne fonctionne et tout est laid. Écologie punitive et idéologie « festive » antipatrimoniale aboutissent de fait à un chaos dangereux pour tout le monde. Problème pour l’Hôtel de Ville : le projet hidalgien a été interdit par le préfet de police (mesure confirmée au tribunal administratif, en appel et en cassation en 2022) et l’état actuel, qui n’était que provisoire, est désormais parfaitement illégal. Qu’à cela ne tienne, la maire a plus d’un tour dans son sac. Pour amadouer le préfet et jouer la montre, Madame Hidalgo a lancé une « consultation » en ligne en janvier dernier.
C’est tout, pour le moment…
Le 4 février, un « temps d’échange » était organisé à l’Hôtel de Ville réunissant la maire, le préfet, le maire du 16e arrondissement, la commissaire de police du quartier, le colonel des pompiers chargé du secteur, des riverains et des invités de la maire de Paris. La réunion était censée faire le point après ladite consultation. Las ! Des déclarations embarrassées prétendirent alors que le « scrutin » n’était pas encore dépouillé même si l’on comprit entre les mots qu’il était très majoritairement défavorable au projet hidalgien : on sut alors qu’on n’en aurait donc jamais le résultat définitif, et pour cause ! Aux propos inquiets du colonel des pompiers qui attestait de retards significatifs dans la prise en charge des personnes en urgence et leur acheminement vers les hôpitaux, Madame Hidalgo souffla un « Il y a eu des morts ? » qui scandalisa l’assistance. Fort heureusement pour la Mairie, la claque vélocipédique « Paris en selle » avait été convoquée et expliqua doctement comment sauver la planète. Un des jeunes héros du combat climatique s’adressa à l’auteur de ces lignes pour lui demander : « Vous voulez mourir d’un cancer du poumon ? » D’autres intervenants un peu trop visiblement favorisés par le porteur du micro ânonnèrent aussi leur credo totalement déconnecté du but de la réunion et non sans une acrimonie qui sentait bon la réunion EELV. Poussés dans leurs retranchements par des riverains courageux, les joyeux bobos en question durent toutefois vite avouer qu’ils n’habitaient pas le quartier, ni même Paris… Finalement acculée, Madame Hidalgo promit alors de rétablir la circulation en attendant de proposer un nouveau projet.
Deux mois plus tard, rien n’a changé, les promesses, comme on sait, n’engageant que ceux qui y croient. Embouteillages, cars de tourisme arrêtés moteur tournant un peu n’importe où, pistes cyclables qui ne mènent nulle part, touristes hagards errant entre les blocs de béton et les passages piétons incompréhensibles continuent d’offrir un spectacle de désolation sur l’une des plus belles places de Paris. Jérémy Redler, maire de l’arrondissement, et le préfet Laurent Nuñez restent cependant vent debout et, nous dit-on, réfléchissent aux mesures juridiques coercitives qui redonneraient par la force leur fluidité et leur beauté aux lieux. La bataille du Trocadéro n’est pas finie, mais elle révèle, une fois de plus, les obsessions idéologiques d’Anne Hidalgo et sa conception très particulière de la démocratie…
Dans un communiqué de l’Élysée publié jeudi, Emmanuel Macron a donné le sentiment de rejeter la revendication portée par les mouvements réparationnistes, décoloniaux et d’ultra-gauche, concernant le remboursement par la France de l’indemnité imposée à Haïti en 1825 pour la reconnaissance de son indépendance, aujourd’hui estimée à 21 milliards d’euros. Cette revendication s’appuyait sur de nombreux anachronismes, contresens, et raccourcis
Le 17 avril 1825, le roi Charles X reconnaissait l’indépendance d’Haïti, en échange d’une indemnité.
Le 17 avril 2025, le président Macron a semblé émettre une fin de non-recevoir à la mouvance réparationniste qui réclamait à la France le remboursement de la dette de l’indépendance d’Haïti exigée en 1825 et estimée à 21 milliards d’euros. Aussi convient-il de rappeler les tenants et aboutissants de cette fameuse dette payée par l’ancienne colonie entre 1825 et 1893.
L’achat de l’indépendance est une proposition haïtienne, vieille de deux siècles !
La France avait été battue par l’armée indigène à Vertières en 1803, mais ne s’avouait pas vaincue définitivement pour autant, les Français tenant toujours l’est de l’île. Tant qu’un traité de paix reconnaissant vainqueur et vaincu et fixant les conditions définitives du conflit n’était pas signé, rien n’était fini et l’ensemble des nations se refusait à reconnaître la légitimité d’Haïti. L’indépendance d’Haïti en 1804 ne pouvait donc être considérée unilatéralement comme un fait acquis, ce que les dirigeants haïtiens Pétion puis Boyer avaient compris.
L’idée de l’indemnité à payer par Haïti à la France a été proposée pour la première fois par le président haïtien Pétion en juillet 1814, avant d’être reprise par son successeur Boyer. La proposition d’indemnisation avancée par les dirigeants haïtiens permettait ainsi de tuer dans l’œuf tout scénario de retour à l’ordre colonial et des anciens colons dans l’île – ce qui pour eux était un objectif non négociable. Les colons français n’ont jamais demandé à être indemnisés. Ils exigeaient le retour à l’ordre colonial d’avant 1789 pour les plus durs ou acceptaient une évolution du système et le retour de leurs propriétés pour les plus réalistes. Pour la France, l’indemnité permettait de satisfaire à moindre frais le lobby des colons et ses revendications. Les deux gouvernements se sont donc rapidement entendus pour s’engager vers cette solution.
La dette de l’indépendance était une dette privée, et l’État français était perdant !
Contrairement à une idée trop répandue, l’État français ne s’est pas enrichi et a renoncé à faire valoir ses droits à l’indemnisation sur ses propriétés. S’agissant d’une dette privée entre l’État haïtien et les colons, il n’a joué qu’un rôle d’intermédiaire entre ceux-ci via la Caisse des Dépôts et Consignations, qui ne s’est pas plus enrichi, ayant reversé la quasi-totalité des montants perçus aux ayants droits des colons jusqu’à extinction des règlements haïtiens.
Dans cette histoire, le remboursement par Haïti des 150 millions ramenés à 90 en 1838, n’a guère profité aux anciens colons et à leurs ayant-droits, qui n’ont été indemnisés qu’à hauteur de 10% de la valeur de leurs biens. Pas plus qu’à leurs créanciers qui n’ont récupéré que 10% de leurs créances ni guère aux souscripteurs français de l’emprunt d’Haïti de 1825 (de 30 millions pour couvrir la première annuité). Indemnitaires et adjudicateurs ont été les grands perdants de l’affaire et furent sacrifiés par le gouvernement français. Seuls quelques banquiers (Laffitte et Rothschild) ont habilement tiré leur épingle du jeu.
L’élite et l’État haïtien ont de lourdes responsabilités dans la ruine d’Haïti
Aux effets pervers et tragiques contenus dans l’Ordonnance de 1825, imposée à Boyer dans un contexte de chantage explicite, qui sanctionnait onze années de négociations non abouties, se sont ajoutés un contexte local (État faible, prévarication des élites) et économique calamiteux (effondrement de 75% des cours du café – la seule ressource d’Haïti) condamnant Haïti à une double peine. Si l’indemnité de 1825 a été, certes, philosophiquement scandaleuse, les conditions de l’emprunt de 1825, bien que là encore, contestables, ont été moins pires que celles des emprunts contractés par Haïti dans la période de la fin du XIXe et jusqu’à l’occupation américaine de 1915-1934, période qui a été aussi désastreuse sinon pire pour le pays.
Si la dette de l’indépendance a grevé les finances d’Haïti et représenté un handicap majeur, aux effets économiques durables, rien n’indique que sans ce lourd fardeau Haïti aurait connu un essor idyllique et vertueux ou qu’elle aurait retrouvé son aura d’avant 1789. L’effondrement du pays depuis l’indépendance a d’autres causes plus profondes qui existaient avant le problème de la dette et ont aussi perduré bien après le règlement définitif de celle-ci en 1893.
Une revendication définitivement close ?
Rétablir la vérité des faits concernant le sujet de la dette de l’indépendance d’Haïti ne vise pas à dédouaner la France de toute responsabilité. Il est très facile, aujourd’hui en 2025, de s’autoproclamer avocat des nobles causes et d’accuser la France de tous les maux en accumulant anachronismes, amalgames, contre-sens et raccourcis historiques.
Rien que de plus facile que de juger l’histoire avec les idées généreuses d’aujourd’hui, rien de plus difficile que de l’étudier, la comprendre et la restituer dans son contexte de l’époque.
Quant à rembourser Haïti des 21 milliards – montant avancé sur quelle base d’ailleurs ? – ce n’est pas à l’État français, qui y a laissé des plumes de rembourser une dette privée dont le montant a disparu, éclaté entre des dizaines de milliers de petits bénéficiaires (25838 personnes en 1838 !) qui ne sont pas enrichis pour autant. Par-delà la sueur, les crimes et le sang de l’esclavage, de la guerre d’indépendance et de l’affaire de la reconnaissance d’Haïti, la France à un devoir à l’endroit du développement d’Haïti par un renforcement des actions de coopération. Mais aussi une dette culturelle, une dette mémorielle, une dette militaire, une dette linguistique. Ce sera l’affaire de la commission mixte franco-haïtienne proposée par le président Macron.
Au cinéma, devant les romances homosexuelles à ne plus savoir compter des « Indomptés », on finit par pas mal s’ennuyer. Brokeback Miniature !
Indomptés, vraiment? S’il faut en croire le titre – titre original : On Swift Horses – , les quatre héros photogéniques du film font un attelage sauvage. Or à 62 ans, Daniel Minahan, cinéaste gay à qui l’on doit, entre autres, quelques mémorables épisodes des séries House of Cards et Game of Thrones, nous a plutôt concocté, en costumes et décors fifties, une romance californienne agréablement léchée, mais pas franchement iconoclaste.
Retour de la guerre de Corée, Lee (Will Poulter), tout jeune, candide et courageux péquenot coiffé à la banane, en couple avec Muriel (Daisy Edgar-Jones), réincarnation californienne de madame Bovary, est arrivé à persuader cette dernière de vendre la bicoque de feu sa mother bien -aimée, pour sacrifier leurs maigres ressources dans le patient achat à crédit d’une maisonnette, dans une Los Angeles en plein essor. Julius, aux antipodes de son frère cadet, mène une vie désordonnée, où ses gains frauduleux au poker le disputent à ceux, occasionnels, de passes rançonnées avec l’un et l’autre sexe, et aux impulsions qui le portent secrètement vers les hommes. Morale subliminale : on ne se refait pas.
Il est vrai que Julius, sous les traits de l’acteur australien Jacob Elordi (cf. Priscilla, O Canada et, bientôt, le rôle-titre du remake de Frankenstein sous les auspices de Guillermo del Toro, en novembre prochain sur Netflix), Julius, dis-je, est ce qu’on appelle une belle bête : 27 ans, 1m96 (!), des pecs durs, arrondis et légèrement gazonneux, des abdos glabres et lisses comme ceux qu’on connaît à la statuaire antique. Bref, si le scénar devait se chercher un alibi, cette somptueuse anatomie, jointe à une bouille de model boy, suffiraient, car tout est prétexte, d’un bout à l’autre, à faire Julius/Elordi littéralement dévoré par la caméra.
Au reste, Muriel la première le mange des mirettes. Mais Julius est son beau-frère, tout de même, alors l’épouse rêveuse, fidèle et frustrée reporte sa passion vers les pur-sang, jouant avec flair aux courses hippiques, jusqu’à accumuler un petit pactole qu’en femme économe elle serre dans une enveloppe, dissimulant ses liasses de dollars derrière le miroir de la piaule conjugale. Entre deux escapades, le gay Julius reviendra la taper régulièrement mais en attendant, embauché comme taupe dans un casino de Las Vegas, l’Appolon géant tombe amoureux d’un collègue de travail, Henry (Diego Calva), exilé de Tijuana, latino mexicain torrentiel au plumard. De fil en aiguille, Muriel elle-même, initiée par une petite voisine coiffée à la garçonne qui lui vend des olives et des œufs, se découvrira des tentations saphiques.
Sans entrer dans les détails, ni vous déflorer l’intrigue jusqu’au fond, disons que le pitch du film, c’est qu’un peu comme chez Proust – toutes choses égales par ailleurs – , tous les protagonistes, excepté le gentil Lee (lequel au finish sacrifiera d’ailleurs son bonheur à la cause gay !) se voient pris dans les rets de leur désir : homosexuels, homosexuels quoiqu’ils fassent ! L’intention est un peu appuyée…
Située en 1956, à l’heure des tirs de bombe H dont on vient admirer en foule, au désert, la pyrotechnie spectaculaire, au cœur de cette Amérique 100% blanche qui n’a pas tendance à rigoler avec les faggets, la romance ne manque pas de charme, quand bien même la crédibilité du casting, férocement sujette à caution, prête à sourire : avec la meilleure volonté du monde, le bel Elordi n’atteindra jamais à la performance de son regretté compatriote Heath Ledger, lequel, dans Le Secret de Brokeback Mountain, ce chef d’œuvre de Ang Lee millésimé 2005, incarnait un cow-boy pris d’une passion homo dans un élevage de moutons…
Image ultra léchée, reconstitutions d’époque presque muséale par le soin accablant porté au moindre détail décoratif, bande-son égrenant néanmoins quelques sublimes morceaux, Les indomptés revêt la forme d’un conte bien empaqueté, pas franchement immoral, et même un peu trop soigneusement aseptisé pour qu’on s’y laisse prendre sans réserve.
Les Indomptés. Film de Danien Minahan. Avec Daisy-Edgar Jones, Jacob Elordi, Will Poulter, Diego Calva, Sasha Calle. Etats-Unis, couleur, 2024. Durée : 1h59.
Et si penser, aujourd’hui, relevait déjà de l’exil? Dans L’Exil de la pensée, Jean-Yves Clément signe un livre à contre-courant, où l’aphorisme devient refuge et la sagesse un art discret. Un texte délicat, lucide, presque musical, à lire au bord de l’eau comme on écouterait une sonate…
Est-ce la Semaine sainte qui se prête à la lecture du livre de Jean-Yves Clément, L’Exil de la pensée, ou tout simplement l’air du temps qui nous impose l’exil – intérieur – pour sauver notre pensée ? Un peu des deux, même si les propos de l’auteur sont a-religieux pour parler comme Georges Bataille. Jean-Yves Clément est éditeur et directeur artistique de festivals. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Le retour à Majorque (Le Passeur), « faux journal » qui retrace le voyage de Frédéric Chopin avec George Sand de Majorque à Nohant. Ouvrage subtil sur quelqu’un qui transpose sa vie dans son art. Cette vie qui, par ailleurs, « est un livre suffisant », pour reprendre la citation de Max Jacob, exhumée par Clément. Max Jacob, fantasque poète, génial inventeur, n’aurait du reste pas détesté ces écrits emprunts de sagesse et de tranquillité fertile.
De quoi est constitué L’Exil de la pensée qui se déguste au bord de la rivière, sous un déjà vibrant soleil de printemps ? Il est formé de deux parties distinctes qui se répondent, sans jamais se croiser. La première alterne pensées, maximes et autres éclats de réflexion qui n’ont d’autre but que de nous permettre d’atteindre cette verticalité devenue suspecte aux yeux des esprits nivellateurs. Jean-Yves Clément nous invite à rejoindre l’idéal cher à Baudelaire. Exemple, la pensée – au sens pascalien du terme – 48 : « La vérité est chose légère, autrement nous ne nous sentirions pas aussi prêts à nous élever à chaque fois qu’elle semble s’éprendre de nous. » La pensée 23 me plait car elle renvoie au voluptueux Max Jacob : « La magie est le réel accompli. » Ces pensées deviennent variations au sens musical du terme. Comme le dit Verlaine à propos de la femme inconnue « que j’aime et qui m’aime. Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même. Ni tout à fait une autre (…) » Tout change et rien ne change. Pensées ductiles, insaisissables, sauvages ouvrant sur le territoire de l’amour. Loin des envolées romantiques, l’amour et la musique restent les remèdes aux scories du monde moderne. Pensée 142 : « La musique et l’amour nous égarent de la même façon, en nous ramenant brusquement à l’essentiel et à nos aspirations les plus secrètes. Ils nous révèlent entiers et libres, quand nous passons la majeure partie de notre temps à nous dissimuler nous-mêmes. » Au détour du mouvement de l’aphorisme, l’éclat tranchant de la vérité.
La seconde partie propose une suite de variations dont le thème est l’écriture elle-même, toujours selon une approche musicale dans la forme, visant à représenter un ailleurs – l’exil – jamais fixe, dans un « ciel invisible. » Exil qui est en nous, l’auteur insiste, sans repli sur soi, ce qui serait l’empoisonnement assuré. « L’exil n’est pas un refuge, précise l’auteur, mais une situation mentale nouvelle favorisant la créativité dans des formes inédites ; elle induit un rapport au monde affranchi de ses anciens réflexes et de ses lois, qui ne sont un temps que les nôtres. » Clément, l’homme au nom prédestiné, convoque alors Nietzsche, Chopin, Mallarmé, Brahms que nous ne cessons d’aimer, Jankélévich qui parle de la « vérité insulaire » de l’aphorisme. Avec cette sagesse retrouvée, « un jour d’été idéal et suspendu », les vieilles idoles et leurs discours frelatés ne pourront plus nous atteindre, enfin. Nous nous émerveillerons à nouveau devant le cerisier en fleur et le bourdonnement de la ruche. Clément nous invite, avec une fausse nonchalance, à saisir la grâce – divine ou pas – qui partout s’offre à nos sens. Débusquez-là à votre tour, après avoir lu ce mode d’emploi lustral.
Jean-Yves Clément, L’Exil de la pensée, Le Condottiere, 90 pages.
« Sur un mode particulièrement équivoque, attisé par les journaux chaque jour dévoyés en presse à sensation, enfle et enfle encore, avec une intensité à ce jour inégalée et dans un climat de panique sexuelle et morale toujours plus exacerbée, la clameur : “Moi aussi, je suis une Victime sexuelle ! Voyez, voyeurs !” » Sabine Prokhoris. Le Mirage #MeToo.
Sur France 5, l’animateur soporatif de La Grande Librairie, Augustin Trapenard, ne rate jamais l’occasion d’aborder les sujets sociétaux « brûlants d’actualité » qui animent panurgiquement la presse et presque toutes les radios et télévisions – prendre tous les trains progressistes en marche, flagorner cette époque racoleuse, avide de dénonciations et de confessions morbides, avec plus d’entrain encore que ses petits camarades de Libération, de Quotidien ou de France Inter, tels sont la devise et le pari d’Augustin Trapenard. Le 2 avril dernier, il recevait sur son plateau quatre femmes venues parler de leurs livres récemment parus. Trois d’entre elles se sont particulièrement distinguées en respectant le cahier des charges du féminisme actuel, tendance #MeToo au carré et grand déballage[1].
MeToo TV
Grosse promo, en ce moment, pour Respect, le livre autobiographique d’Anouk Grinberg. Cette actrice, qui affirme souffrir depuis des décennies, a attendu la mort récente de Bertrand Blier, son ancien compagnon et le père de son fils, pour sortir un opuscule dans lequel elle le décrit comme un monstre, un « homme tordu et violent » qui « n’aimait ni les femmes ni les pédés ». Peut-être était-ce le cas, peut-être pas – Blier n’est de toute façon plus là pour se défendre. Mais les voyeurs se régalent. La rage haineuse d’Anouk Grinberg met mal à l’aise, surtout lorsqu’elle jette tous les hommes dans le même sale panier. « Putain, rangez vos queues les mecs ! » éructe-elle ainsi sur France Info avant de se rendre, pour une nouvelle séance de télé-psy, auprès du bon Docteur Barthès sur le plateau de Quotidien, puis dans les locaux de Mediapart où officie la Mère Supérieure Marine Turchi, exorciste spécialisée dans les diableries masculines qui pervertissent encore le milieu cinématographique.
Camille KouchnerManon Garcia
Après le succès de La Familia grande parfaitement orchestré par des médias voyeurs et délateurs, Camille Kouchner sort un roman, Les Immortels. Un livre qui met en exergue une pauvre citation extraite de la fiche Wikipedia de Monique Wittig, la conceptrice d’ouvrages illisibles préfigurant tous les délires wokes sur « l’hétéronormativité patriarcale », le « lesbianisme radical » et le transgenrisme, ne pouvait pas échapper à Augustin Trapenard, ce petit moine de l’orthodoxie progressiste. « Le spectre du genre est large », déclare Camille Kouchner tout en dénonçant les travers d’une idéologie libertaire post-soixante-huitarde ayant justement conduit à cette affirmation aberrante, fruit de l’idéologie woke. La romancière affirme que la trame de son livre pourrait correspondre à « chacun des titres des livres de Manon Garcia », également présente sur le plateau – raison de plus pour ne pas le lire…
On ne parlera jamais assez de Gisèle
Manon Garcia mérite une attention particulière. Cette normalienne agrégée de philosophie a enseigné aux États-Unis où elle a ingurgité une sous-philosophie de bazar mâtinée de thèses sociologiques fumeuses, néo-féministes et wokes. Elle vient d’écrire Vivre avec les hommes : Réflexions sur le procès Pelicot. Sur le plateau de La Grande Librairie, les limites rhétoriques de cette philosophe apparaissent dès l’entame de son exposé. Manon Garcia rabâche maladroitement le dogme. Aucun truisme idéologique sur « la domination masculine » ne la rebute. Aucun poncif doctrinaire sur « le patriarcat » ne l’effraie. Les lieux communs du néo-féminisme s’empilent jusqu’à s’écrouler sur eux-mêmes, écrasés par le poids de leur nullité.
Une phrase, qui n’est pas sans rappeler certaines fulgurances de Virginie Despentes – que Manon Garcia dit adorer – reflète très exactement le niveau intellectuel de ce blablatage : « C’est pas nous qui devons aimer les hommes, c’est les hommes qui doivent nous aimer. » Pour expliquer cette défaite de la pensée, rappelons que, lors d’un entretien donné à Victoire Tuaillon – la créatrice du podcast gentiment intitulé Les couilles sur la table – cette dame qui se prétend philosophe expliquait : « Je pense que j’aurais pas continué la philo si je n’avais pas découvert la philosophie féministe, parce que moi ce qui m’intéresse dans la philo c’est comment ça parle de la vie et que sans le féminisme la philo ça parle pas de la vie. » Intéressant, non ? Rappelons également que Manon Garcia a passé sa thèse de doctorat sous la direction de Sandra Laugier, philosophe chroniqueuse à Libération, responsable du pôle “forum des idées” de Benoît Hamon en 2017, mélenchoniste en 2022, adepte de la théorie du genre et, d’après son éditeur, « pionnière en philosophie de l’étude des sériestélévisées ». Manon Garcia s’inscrit dans le sillage de cette philosophie paresseuse et netflixienne : « La culture de l’érotisation égalitaire » (sic) peut s’apprendre, affirmait-elle à Victoire Tuaillon, en regardant des séries comme Grey’s Anatomy ou Sex Education. Par ailleurs, soutiendra-t-elle dans L’Obs, « c’est une erreur de considérer que la philosophie morale doive s’arrêter au seuil de la chambre à coucher ». Sous surveillance, la sphère privée – la chambre à coucher, surtout – ne doit pas échapper à la loupe idéologique, à la transparence intégrale. Le totalitaire aime regarder par le trou de la serrure et décider, comme dans 1984, de ce qui relève du crimesex ou du biensex. Quant à la drague, élégante ou hasardeuse, triomphale ou timide, elle doit être remplacée par le seul cadre rigide et « égalitaire » du consentement éclairé en trois exemplaires. « On a pu se demander si consentir, c’est ne pas dire non, ou bien si c’est dire oui, sauf qu’en fait, ce que je veux montrer, c’est que c’est beaucoup plus compliqué : accepter un rapport sexuel, cela demande une analyse philosophique précise, appuyée sur des cas particuliers que l’on analyse en détail », dixit Manon Garcia, sergent des mœurs.
Le consentement bientôt dans la loi
Mme Garcia doit être aux anges : récemment adopté à l’Assemblée nationale, un texte de loi établit, entre autres choses, que « le consentement doit être libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ». Le Conseil d’État estime que « le principal apport de cette proposition de loi est de consolider les avancées de la jurisprudence ». Nous entrons dans une nouvelle ère, celle des règlements finissant d’encadrer le peu qui échappait encore au contrôle totalitaire des sociétés post-démocratiques et technocratiques, en particulier la sphère privée et la sexualité – et bientôt la mort, avec la loi prévue pour légaliser l’euthanasie. Car il ne faut pas s’y méprendre : cette loi, qui aspire à ce que nous passions « de la culture du violà une culture du consentement » (sic), n’a pas seulement pour but de modifier la définition pénale des agressions « sexuelles et sexistes ». Elle vient compléter un arsenal techno-juridique dont l’objectif est de régenter entièrement nos vies, d’administrer l’existence de chaque individu en consolidant les appareils de contrôle social – ou de domestication sociétale – que sont devenus l’État, l’école, l’université, les médias et tous les outils de dressage, de divertissement et d’encadrement susceptibles de préparer au mieux l’avènement d’un monde merveilleux empli de citoyens vertueux, positifs, respectueux des minorités, des femmes et de la diversité, inclusifs, transfriendly, écologistes et,au bout du compte, définitivement abrutis, malléables et dociles.
Et ça continue. 85 auditions, 350 témoignages, un rapport de 279 pages, tel est le bilan de « la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ». Sandrine Rousseau, qui était bien sûr à la tête de cette commission inquisitoriale, regrette que certaines personnes aient refusé de venir mettre un genou à terre devant elle. Elle espère que le prochain Festival de Cannes sera « le lieu de renversement des mentalités ». Qu’apparaissent un insignifiant vide juridique ou une fine crevasse dans le règlement intérieur du cinéma qui prévoit d’ores et déjà des « référents VHSS » et des « coordinateurs d’intimité » sur les tournages, et Mme Rousseau, soyez-en sûrs, se rendra disponible pour remettre sur le métier son ouvrage de déconstruction. Le cinéma français, perclus d’idéologie, moribond, va finir de crever sous le coup de la loi. En vérité, nous sommes tous condamnés ou en passe de l’être. Il y a trente ans, Philippe Muray, dans un texte génialement intitulé L’envie du pénal, fustigeait déjà « toutes les propagandes vertueuses concourant à recréer un type de citoyen bien dévot, bien abruti de l’ordre établi, bien hébété d’admiration pour la société telle qu’elle s’impose, bien décidé à ne plus jamais poursuivre d’autres jouissances que celles qu’on lui indique ». La techno-structure juridico-médiatique qui s’impose à nous n’a pas pour objectif de rendre justice. Son but est de faire en sorte que chacun se sente coupable – de quoi ? les motifs d’incrimination se multipliant, il n’y aura bientôt que l’embarras du choix – et craigne de se retrouver un jour devant d’impitoyables juges médiatiques ou politiques ayant rédigé par avance l’acte de condamnation que les tribunaux n’auront plus qu’à entériner.
Notons que ces féministes, actrices, philosophes et députées si promptes à dénoncer les agissements douteux et répréhensibles des hommes en général et de leurs collègues en particulier, n’évoquent jamais ceux des migrants coupables de crimes odieux. Pas un mot sur Philippine, violée et tuée par un migrant sous OQTF. Pas un mot sur Claire, violée par un migrant sous OQTF. Rien sur les centaines d’agressions sexuelles perpétrées par des étrangers dans les transports en commun ou dans les rues de nos villes. Rien non plus sur les viols commis par les migrants et les passeurs sur la presque totalité des femmes tentant de rejoindre l’Europe depuis l’Afrique. Rien sur les mutilations physiques, entre autres les excisions, que subissent de plus en plus de femmes en France. Rien sur la charia qui s’installe dans certains quartiers de nos villes. Rien sur le hijab, ce vêtement stratégique que les Frères musulmans tentent d’imposer à l’école, dans le sport et dans les entreprises. Pire encore que le silence : Sandrine Rousseau, qui trouvait déjà que le voile islamique est un objet « d’embellissement », parle d’ « islamophobie débridée » quand il est prévu d’interdire « tout signe ou tenue manifestant une appartenance religieuse lors des compétitions sportives ». Quant à Manon Garcia, lors d’un colloque intersectionnel se tenant à la Sorbonne et pompeusement intitulé « Approches phénoménologiques du genre et de la race : penser les oppressions et les résistances », après avoir déblatéré des platitudes beauvoiriennes sur la domination masculine dans les relations amoureuses, voici comment elle conclut son intervention pour convaincre l’auditoire estudiantin que « la femme est universellement dominée » : « Je ne suis pas sûr que la femme dans son harem ait tellement moins de liberté que la catholique versaillaise mère au foyer, en fait[2]. »
Dernière nouvelles désolantes et désopilantes de notre philosophe féministe. Dans un entretien donné à la revue Nouvelles Questions Féministes, après qu’elle a affirmé avoir « beaucoup de respect pour le travail de Victoire Tuaillon et Mona Chollet », Manon Garcia estime que… « EugénieBastié, elle ne tient pas la route intellectuellement » – voilà qui est déjà très drôle. Plus drôle encore, elle dit être estomaquée par le fait que « Jean-François Braunstein se soit senti autorisé à écrire le torchon qu’il a écrit » – le torchon dont il est question s’intitule La Philosophie devenue folle et est l’un des meilleurs ouvrages récents sur les dérives idéologiques autour des questions du genre, du droit des animaux et de l’euthanasie. Angoissée par « les langues antiprogressistes [qui] se délient », Manon Garcia reste toutefois « assez optimiste concernant la philosophie féministe ». « Je pense, dit-elle improprement, que ça va devenir de moins en moins facile de s’y opposer, aussi parce que les étudiant.e.s sont de plus en plus demandeurs.euses, et même les vieux grincheux qui sont contre vont devoir s’adapter.On va se retrouver avec des jeunes profs qui font des trucs de philo féministe avec des amphis pleins à craquer d’un côté, et d’autres qui font des trucs vieilles écoles et où c’est pas ça. » Philosophie de bas étage, pensée chétive, langue déglinguée – Manon Garcia dans toute sa splendeur.
[1] La quatrième et dernière intervenante était Marie Ndiaye. N’ayant lu aucun de ses livres, je ne jugerai pas son œuvre. Je peux cependant dire que, ce soir-là, elle a été la seule à parler peu ou prou de littérature. La seule à éviter de tomber dans les pièges assez peu subtils tendus par l’animateur pour rester dans l’ambiance délétère alimentée par ses précédentes invitées. La seule à avoir tenté d’évoquer son travail d’écriture, son désir d’appréhender la vie par les mots et d’essayer ainsi de comprendre ce « cœur brûlant » et mystérieux qu’est l’âme humaine.
[2] Extrait du livre d’Anne-Sophie Nogaret et de Sami Biasoni, Français malgré eux. Racialistes, décolonialistes, indigénistes : ceux qui veulent déconstruire la France, 2019, Éditions de L’Artilleur.
Phénomène inédit, des attaques coordonnées ont frappé 11 prisons, principalement dans le Sud de la France, accompagnées de menaces proférées contre le personnel pénitentiaire. Certes, nous ne vivons pas encore dans un narco-Etat, mais cette campagne organisée montre la faiblesse grandissante de l’Etat dont les institutions sont bafouées par des mécréants. Ce qui est presque plus inquiétant que les actions criminelles elles-mêmes, c’est le silence général de nos politiques – qu’ils soient dans le gouvernement ou dans l’opposition – qui semblent ainsi admettre leur impuissance. Céline Pina analyse les conséquences de cette abdication apparente pour l’Etat de droit et notre démocratie.
Que représente la visite de Giorgia Meloni à la Maison Blanche ? Elle a été reçue par Donald Trump avec tous les égards et de grands témoignages d’amitié. Beaucoup de commentateurs à gauche et au centre de l’échiquier politique se sont demandé si elle n’essayait pas de faire cavalière seule par rapport aux autres Etats-membres de l’UE, en cherchant à négocier de meilleures conditions pour les échanges commerciaux entre l’Italie et les Etats-Unis. D’autres ont même cru voir dans cette visite la consécration d’une sorte d' »internationale réactionnaire » qui comprendrait aussi la Hongrie et la Slovaquie. Harold Hyman nous rappelle que seule l’UE est habilitée à conduire des négociations commerciales avec des pays n’appartenant pas à l’union. La présence de Meloni à Washington est pour montrer que les dirigeants européens n’ont pas du tout coupé les ponts avec Donald Trump. Quant à une prétendue internationale réactionnaire, les pays qui y participeraient ont certes des points de convergence mais sont rarement unis sur la majorité des grandes questions politiques. Par exemple, Meloni et Trump partagent une même opposition aux expressions du wokisme mais ont des points de vue très divergents au sujet de l’Ukraine. Après la rencontre hier à Paris des représentants de l’Ukraine, de la France, des Etats-Unis, de l’Allemagne et du Royaume Uni, le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio a déclaré que, s’il n’y avait pas de progrès appréciable dans la recherche d’un accord de pays dans les quelques jours à venir, les Etats-Unis laisseraient tomber le processus de paix pour se tourner vers d’autres questions internationales. Tactique de négociation? Début de l’aveu d’un échec de l’opération trumpienne pour mettre fin à cette guerre?
Près de 400 ans après la mort de Claudio Monteverdi, à Venise, le Théâtre royal de la Monnaie réussit le prodige de monter un opéra que le compositeur n’a jamais écrit, mais où pourtant tout ou presque est de sa main.
Étrange, audacieuse et séduisante démarche artistique : comme dans un laboratoire scientifique où l’on chercherait à ressusciter une espèce animale disparue, et à partir des trois seuls opéras qui subsistent de la production lyrique alors révolutionnaire de Monteverdi, Orfeo (Orphée), Il Ritorno d’Ulisse in patria (Le retour d’Ulysse dans sa patrie), l’Incoronazione di Poppea, (le Couronnement de Poppée), la scène de la capitale belge a créé I Grotteschi en mêlant savamment à de rares madrigaux des fragments des trois ouvrages (une trentaine de ces fragments sont par exemple issus de l’Orfeo), de façon à constituer une nouvelle intrigue, un nouvel opéra.
C’était une idée de Peter de Caluwe, l’intendant du théâtre royal, idée déjà mise en œuvre avec la trilogie Mozart-Da Ponte afin de faire découvrir sous un angle neuf des pièces emblématiques du répertoire lyrique.
Pour réaliser I Grotteschi, Caluwe a fait appel au chef d’orchestre et compositeur argentin Leonardo Garcia-Alarcon qui y a glissé plusieurs sinfonie de sa main. Et pour les structurer dramatiquement et les porter sur le théâtre, au metteur en scène espagnol Rafael Villalobos.
Virtù, Carità, Sapienza
Musicalement homogène, malgré les profondes différences régnant entre l’Orfeo qui date de 1607 et fut représenté à la cour des Gonzague de Mantoue, et les deux autres ouvrages créés respectivement en 1640 et en 1642 à Venise, et tout en étant très composite du fait des diverses intrigues qui sont ici mêlées, I Grotteschi a été baptisé ainsi en référence aux statues monstrueuses retrouvés jadis dans ce qu’on croyait alors être des grottes et qui était en fait les vestiges de la Domus Aurea, le fastueux palais de Néron.
Dans la foulée, on a choisi de désigner les personnages qu’on y découvre sous le terme qui les caractérise le plus fidèlement : Fortuna, Virtù, Costanza, Sapienza, Esperienza, Capriccio, Impazienza, Corragio, Melancolia ou Carità… à l’image de ces figures allégoriques fort en vogue dans les siècles passés. De surcroît, on leur a inventé des liens de famille en les regroupent en trois générations successives où Melancolia, qui n’est autre qu’Orphée (Mark Milhofer), tient le rôle de l’ancêtre nonagénaire, suicidaire et déjà quelque peu gâteux. Son fils Coraggio, qui est aussi Ulysse (Jeremy Ovenden), a sombré dans un mystérieux coma, cependant que son épouse Costanza – ou Pénélope – (Stéphanie d’Oustrac) se lamente et en vient dans sa solitude à nourrir une folle passion pour Fortuna, sa femme de chambre. Quant à leur fils ainé, l’arriviste Privilegio (Matthew Newlin), il commet l’adultère avec l’ambitieuse Fortuna et ne pense qu’à la conquête du pouvoir comme à la répudiation de la noble Virtù, sa femme (Raffaella Lupinacci). Son cadet, Capriccio (Federico Fioro), un éphèbe encore, tombe amoureux d’Impazienza, tout en se libérant de l’emprise de son précepteur.
Une autre fable
Autour d’eux gravitent Esperienza, la gouvernante (Xavier Sabata), ainsi que ses deux filles, Fortuna (Giulia Semenzato) et Impazienza (Jessica Niles) ; l’infirmière Carità (Arianna Vendittelli) ; Sapienza, le philosophe, qui n’est autre que le Sénèque de L’Incoronazione (Jérôme Varnier), et qui entretient un rapport ambigu avec Capriccio, son séduisant élève; ou encore Giudizio (Anicio Zorzi Giustiniani), le jardinier et l’ami de Privilegio, mais aussi l’amant de Carità. En voix off, la basse Il Baskerville.
Aux trois favole in musica originales s’est ainsi substituée une autre fable, infiniment complexe, sinon alambiquée, enfermée dans un huis clos malsain où s’exacerbent des passions le plus souvent inavouables et où se combinent, avec une habileté remarquable, ces fragments d’opéra qui pourtant ne constituent pas obligatoirement un livret convaincant.
Ingéniosité du décor
Dramaturge autant que metteur en scène, Rafael Villalobos a voulu cloîtrer les protagonistes (pour cause d’épidémie et de confinement sanitaire) dans une villa romaine de nouveaux riches au décor froid, quelconque et prétentieux qui pourrait renvoyer (mais en beaucoup moins raffiné) à l’opulente demeure qui accueille le héros du Théorème de Pasolini. Le décor d’une extraordinaire ingéniosité, édifié sur deux niveaux pivotants l’un sur l’autre et signé par Emanuele Sinisi, permet de déployer tour à tour l’action dans sept ou huit espaces différents.
Villalobos a revêtu les hommes de la plus jeune génération de tenues résolument homo-érotiques : pantalons ou culotte de cuir noir et torse nu pour Privilegio et Capriccio son frère ; et pour le sensuel Giudizio, combinaison de travail très ajustée s’ouvrant sur un torse velu. Les femmes, quant à elles, belles, fines, déliées, au physique impeccable, sont évidemment vêtues selon leur rang : robes recherchées pour les patriciennes, tenues sobres et noires pour les domestiques.
Excellents comédiens, magnifiques chanteurs
Cependant que les scènes de sexe vont se multipliant un peu trop pesamment et contribuent à la lourdeur d’une atmosphère empoisonnée, les douze protagonistes visibles sur scène sont portés par une remarquable direction d’acteurs. La palme du jeu théâtral pourrait bien revenir à Xavier Sabata, le contre-ténor qui interprète le personnage de Sapienza, un rôle travesti, avec une sobriété, une justesse et une intelligence qui forcent l’admiration. Mais s’ils sont tous d’excellents comédiens dont le jeu contribue considérablement à la tenue de ces deux soirées de trois heures qui constituent I Grotteschi, les protagonistes sont aussi et surtout de magnifiques chanteurs. Une telle distribution, d’un niveau si impressionnant, tant pour la qualité des voix que pour l’homogénéité des talents, et où se décline si bel éventail de registres vocaux, est un enchantement.
Sous la direction savante, inspirée, chaleureuse de Garcia-Alarcon, les quelque vingt musiciens baroques de la Cappella Mediterranea restituent aux diverses partitions de Monteverdi un quelque chose de charnel, de moelleux, d’émouvant qui porte à l’émerveillement. C’est une féerie sonore dont on peut bien dire qu’elle enchante l’auditeur et qui confère aux deux volets d’ I Grotteschi une élégance toute spirituelle.
Palpitante aventure
Cependant, à cette succession infinie de prologues, de scènes, d’arias, de madrigaux, de sinfonie, de toccata, de danses, à cette composition habile d’une intrigue créée de toutes pièces, il manque malgré tout une ossature, un ressort dramatique convaincant, tels qu’ils existent dans chaque drama per musica de Monteverdi. Aussi enchanteresse que soit une musique qui sait toucher au sublime, aussi remarquable que s’affirment ses interprètes, sur la scène comme dans la fosse de l’orchestre, l’artificialité de la recomposition, même savamment réécrite, débouche sur quelque chose qui finit par sembler monocorde.
Toutefois I Grotteschi a sans doute constitué une aventure palpitante pour ses auteurs au moment de son élaboration, comme elle semble l’être aujourd’hui pour ses interprètes. Et si la démarche peut apparaître plus convaincante sur le plan intellectuel que sur le plan artistique ou émotionnel, elle n’en relève pas moins d’un esprit d’entreprise tant vigoureux que réjouissant au sein d’une grande institution comme ce Théâtre royal de la Monnaie qui figure depuis fort longtemps parmi les scènes les plus audacieuses au monde.
I Grotteschi, compositions de Monteverdi restituées en deux soirées successives : Miro et Godo. Jusqu’au 3 mai.
Philippe Forest publie Et personne ne sait, un nouveau roman intrigant
Le romancier et essayiste Philippe Forest est né juste à temps, en 1962, pour être contemporain de la fin des avant-gardes en France, et notamment de celle du mouvement de la revue Tel Quel, auquel il devait consacrer plusieurs livres, dont un sur Philippe Sollers, son principal animateur. Il m’a toujours semblé qu’on ne s’est pas assez demandé ce qu’a signifié la disparition de toutes les avant-gardes, et quelles en furent les conséquences, notamment chez les écrivains. La fin des années 70 sonna le glas des idéologies les plus folles. L’arrivée de Mitterrand à l’Élysée en 1981 fut paradoxalement le coup d’envoi d’un néo-libéralisme exacerbé. Dès lors, la culture s’embourgeoisa, et les subtilités dialecticiennes tendance Mao de la revue Tel Quel cessèrent de faire florès. Philippe Sollers saborda sa revue, avant de publier Femmes, à la fois brûlot romanesque à la ponctuation précise et manifeste réactionnaire du mâle européen hanté par son identité sexuelle.
Historien de l’avant-garde et romancier classique
Philippe Forest se fit l’historien du mouvement Tel Quel, tout en écrivant en parallèle des romans de forme plutôt classique, sans rien à voir avec les expériences littéraires extrêmes du passé. Marqué par la mort précoce de sa fille, Forest commença par publier en 1997 L’Enfant éternel. Le livre, édité par Sollers dans sa collection « L’Infini », connut un grand succès. Philippe Forest revint, dans ses romans suivants, sur la mort de sa fille. Aujourd’hui, avec la parution chez Gallimard d’un nouvel opus intitulé Et personne ne sait, il reprend encore ce même thème tragique qui ne le quitte pas. Il y est question toujours d’une petite fille, mais Philippe Forest a choisi cette fois un mode littéraire ouvertement porté vers le fantastique, puisqu’il s’agit d’une histoire de fantôme.
Un dispositif romanesque sophistiqué
La trame en reste très simple, avec néanmoins un dispositif narratif plutôt sophistiqué. Philippe Forest raconte comment il se souvient d’un roman américain lu il y a longtemps (Portrait de Jennie de Robert Nathan, 1940) et d’un vieux film qui en fut tiré en 1948, produit par David O. Selznick. Il y était question de la vie difficile d’un jeune peintre new-yorkais, Adams, qui rencontre un jour une petite fille, nommée Jennie, dans le parc où il se promène chaque jour. Elle deviendra son modèle, et des liens étroits les rapprocheront. Philippe Forest insiste sur cette expérience de lecture, pour lui bouleversante, et qu’il fait sienne en tant qu’écrivain : « J’ai toujours raconté la même histoire. Comme tout le monde, je n’en connais qu’une. Je dis que je raconte ma propre histoire et c’est toujours celle d’un autre. Et quand je dis que je raconte l’histoire d’un autre, c’est encore la mienne. » Relire avec nous ce roman de Robert Nathan, revenir au film, permet à Philippe Forest de partager sa douleur fondamentale, et d’espérer que sa fille Pauline lui soit rendue un jour. Ce faisant, il comprend que son propos interroge la folie, et notamment, comme il l’écrit, « l’insituable limite qui sépare le possible de l’impossible, le rêve de la réalité et la folie de la raison ».
La relation entre le peintre Adams et la petite Jennie, qui devient rapidement une femme, aboutit à un tableau qui sera le chef-d’œuvre inespéré du premier. Le roman initial ne parle pas de ce tableau, comme on s’y serait pourtant attendu. Pour Philippe Forest, c’est de fait un élément crucial de se le représenter, et c’est pourquoi il nous décrit in situ, au Metropolitan Museum de New York, celui qui aurait inspiré l’auteur du roman, en particulier pour le titre, The Young Girl in a Black Dress. En revanche, dans le film, le tableau apparaît dans une scène inoubliable comme une révélation : « Renonçant, écrit Philippe Forest dans une prose haletante, au noir et blanc dont le cinéaste s’était exclusivement servi […] En couleurs. En couleurs maintenant. Selon un procédé auquel a recours un autre film de la même époque, Le Portrait de Dorian Gray tel qu’il fut adapté par Albert Lewin dans un film qui, au fond, raconte la même histoire − même s’il le fait à l’envers. » Vous vous souvenez peut-être de ce moment grandiose, qui venait conclure la si belle adaptation, en 1945, du roman d’Oscar Wilde.
Philippe Forest a écrit là un roman très intriguant, qui laisse passer un grand trouble littéraire. Plus que des avant-gardistes de Tel Quel, nous sommes proches ici des écrivains fin de siècle du XIXe, avec une atmosphère à la Edgar Poe. Philippe Forest parvient à fondre l’univers fantastique du roman et du film dans la réalité contemporaine, en décrivant les effets d’une lecture ou les réminiscences de son adaptation filmique. L’enjeu est grand pour lui, qui ne connaît pas d’autre résilience que celle accordée par la littérature. On sent que Philippe Forest écrit par nécessité vitale, et que pour lui l’expérience littéraire doit à tout prix offrir du sens. Dans le relativisme ambiant, l’engagement de Philippe Forest nous pousse à faire preuve de discernement. La littérature n’est pas un jeu de marelle, mais un travail sur soi qui permet de croire à une proche délivrance − ou comme aurait dit le chrétien Bernanos : de croire à une rédemption possible.
Philippe Forest, Et personne ne sait. Éd. Gallimard, 123 pages.
Chaque mois, le vice-président de l’Institut des libertés décode l’actualité économique. Et le compte n’y est pas
La Banque centrale européennevient de publier ses résultats pour l’année 2024. Plombée par l’effet de ses propres hausses de taux, l’institution présidée par Christine Lagarde accuse une perte de 8 milliards d’euros. Les banques centrales de la zone euro ne percevront donc aucun dividende. Au même moment, la Banque nationale suisse (BNS) clôture quant à elle son exercice 2024 avec un bénéfice de 80 milliards de francs suisses (83 milliards d’euros). Il faut dire qu’elle sait gérer ses actifs. Elle a ainsi réalisé un profit de 67 milliards de francs suisses sur les devises étrangères, et de 21 milliards sur l’or. Grâce à ses excellents choix, elle versera à la Confédération helvétique et aux cantons la somme de 3 milliards de francs suisses.
En plus de leur retraite obligatoire par répartition, les fonctionnaires français peuvent profiter, s’ils le souhaitent, d’un régime complémentaire par capitalisation, la Préfon, qui assure à des centaines de milliers de bénéficiaires une pension moyenne de 438 euros par an. Pourquoi les salariés du privé n’ont-ils pas accès au même avantage ? Ce serait une excellente question à mettre à l’ordre du jour du « conclave » organisé par François Bayrou. Rappelons aux participants de cette concertation qu’il existe quelques solutions très faciles pour rétablir l’équilibre des comptes. Ainsi, en reculant d’un an l’âge légal du départ à la retraite, on pourrait récupérer pas moins de 17,7 milliards d’euros. Et si l’on désindexait les pensions de retraite pendant quatre ans, on économiserait 29 milliards. Enfin, rien qu’en faisant fondre les effectifs de la fonction publique de 0,5 % par an, le déficit diminuerait de 2 milliards.
Vingt-trois milliards d’euros par an, c’est le chiffre auquel arrive le journaliste Olivier Calon en additionnant les avantages consentis par l’État à diverses professions publiques et parapubliques : hauts fonctionnaires, salariés d’EDF et de la RATP, employés la Banque de France, aiguilleurs du ciel, intermittents du spectacle, sans oublier tous ceux qui travaillent au sein d’institutions publiques aux pratiques parfois opaques en matière de ressources humaines, comme l’Élysée ou le Conseil économique, social et environnemental. En refermant son livre-enquête (Les Privilégiés de la République, Opportun), on se dit que la France est bel et bien la championne des avantages acquis.
La Cimade a reçu l’année dernière 200 000 euros de la part de l’État à travers une subvention de l’Agence française de développement. Pour rappel, la Cimade est une ONG qui offre gracieusement une protection juridique aux migrants se trouvant en situation irrégulière sur le sol français. On a beaucoup de mal à comprendre que de l’argent public puisse être alloué à une association qui encourage des étrangers à ne pas respecter le droit de notre pays !
Le coût des agences d’État et autres comités Théoduleavoisinerait 140 milliards d’euros par an, selon un inventaire effectué par Agnès Verdier-Molinié dans son dernier essai, Face au mur de la dette (l’Observatoire). Selon la directrice de l’Ifrap, il existe plus de 1 100 organismes de ce type. Autant dire que le doublonnage est la règle. Dans le domaine de la santé par exemple, on peut estimer que le chevauchement des compétences coûte 4 milliards par an. Autre cas d’école : trois établissements publics chargés des « territoires » (le Cerema, l’ANCT et l’Ademe) ont des activités si proches qu’ils sont obligés de négocier entre eux des conventions de coordination ! Comme d’habitude, de nombreux rapports officiels, émanant notamment de la Cour des comptes, alertent depuis longtemps sur ce gaspillage… en vain.
L’entreprise Les Forges de Tarbes est aujourd’hui la dernière usine de munitions de gros calibre en France. Produisant dans les Hautes-Pyrénées des corps creux d’obus (notamment pour les canons Caesar fabriqués par Nexter), elle est un acteur clé de l’économie de guerre voulue par Emmanuel Macron. Depuis 2023, l’État stratège a mis la main à la poche pour accompagner son développement, par l’intermédiaire de la direction générale de l’armement, qui a octroyé une enveloppe de plus de 7 millions d’euros à sa maison mère Europlasma. En contrepartie, ce groupe industriel spécialisé dans la gestion des déchets s’était engagé à investir 12 millions d’euros afin de quadrupler la capacité de production du site. Malheureusement la promesse n’a pas été tenue. Par ailleurs, dans le cadre d’un dispositif de soutien aux exportations, l’État a accordé directement aux Forges de Tarbes une avance remboursable s’élevant à 7 millions d’euros. Le versement des fonds est censé être effectué sur trois ans par Bpifrance et Assurance Export. Tout ce petit Monopoly n’est absolument pas à la mesure du problème à traiter. En Allemagne, la capitalisation boursière de la société Rheinmetall, qui fournit l’essentiel des obus livrés à l’Ukraine, s’élève à 55 milliards d’euros. Tandis que la société Europlasma, maison mère des Forges de Tarbes, est valorisée à 3 millions !
De nombreuses start-up françaises du secteur des « nouvelles mobilités » se trouvent en posture très difficile. Carlili, loueur de voitures en ligne, est en redressement judiciaire après avoir levé 10 millions d’euros. Cityscoot, application qui met des deux-roues en libre-service dans les rues de Paris, est en cessation de paiement. Kiffy, marque de vélos électriques, a mis la clef sous la porte. Smovengo, le repreneur de Vélib’ maintenu sous perfusion par Anne Hidalgo, enchaîne les déboires opérationnels et financiers.
Autre vedette de l’innovation à la française, la société parisienne Aldebaran a perdu 165 millions d’euros entre 2019 et 2023. Symbole de la French Tech avec son robot Nao, elle est à présent en redressement judiciaire.
La Monnaie de Paris consacre une exposition magistrale à Georges Mathieu (1921-2012), le fondateur de l’abstraction lyrique, jusqu’au 7 septembre. Monsieur Nostalgie revient sur cet artiste phénomène aussi flamboyant que sensible qui a insufflé un mouvement de libération en peinture mais aussi à la télé ou dans notre porte-monnaie…
Il semble venir des temps immémoriaux et pourtant son esthétique signe l’apogée des années 1960-1970. Mathieu était un artiste global, aimant la controverse, conspuant la critique officielle et les pouvoirs bricoleurs, tout en s’inscrivant dans une tradition « grand siècle ».
Un sacré personnage
L’artiste est trop rapide, trop charpenté intellectuellement et aussi trop possédé par sa peinture pour trouver refuge dans les couloirs étriqués de la pensée actuelle. Il y avait du Godefroi de Bouillon en lui, un être inclassable, batailleur et sincère, il faut le voir conduire son cabriolet Mercedes de 1934 dans les rues d’un village et se lancer, avec fougue, tubes en mains, sur l’immensité d’une toile. Il fait le « show » en province, dans son appartement décorum ou au Japon devant un public médusé par une création vivante en mouvement et en foisonnement. Ce natif de Boulogne-sur-Mer fut mondialement connu, exposé dès les années 1950 aux États-Unis, puis oublié dans son propre pays, sous-coté sur le marché de l’art, et aujourd’hui la Monnaie de Paris lui dédie la plus belle des expositions du printemps. Sa légende est sur le point de renaître, les graffeurs le reconnaissent comme leur père spirituel. D’abord, on est amusé par le personnage, croisement d’un héros du Moyen-Age et d’une silhouette filiforme à la Don Quichotte. Des moustaches en guidon de vélocipède et ce visage longiligne, comme s’il avait un heaume posé au-dessus de la tête, une force vitale débordante l’agite, un don pour la provocation l’anime assurément ; cette mise en scène permanente n’empêche pas les convictions et une vision de l’art.
Sur de nombreux sujets Mathieu a été visionnaire, il fut ringardisé au tournant des années 1980, sa parole déconstruite par les nouveaux maîtres de l’art et, peu à peu, évincé des cercles d’admiration. Quand il parlait de la « barbarie nouvelle », de l’augmentation de la criminalité, des ravages de la pornographie ou qu’il se moquait des « petits tableaux pour les vendre à des petits bourgeois », Mathieu dessinait notre horizon avec prescience et acuité. Il avait de l’affection pour Georges Pompidou, le seul président à ses yeux qui avait renoué le dialogue entre l’art et l’État. Mathieu intervenait alors dans le débat public, il voyait grand quand le monde rapetissait, ses toiles poussaient les murs, débordaient d’une fureur et d’une revanche contre dieu ; il croyait à la peinture à l’huile et s’insurgeait contre la prolifération des installations de cailloux. Il a été l’inventeur de l’abstraction lyrique qu’il définissait comme l’apparition de formes qui ne seraient pas tirées du réel. Le signe précède alors la signification. On le regarde « performer » dans le documentaire réalisé par Frédéric Rossif en 1971, il peint en instantané, agité et précis, libérant les jets et les élans dans une arabesque complètement addictive pour le téléspectateur sur une musique de Vangelis Papathanassiou. Avec d’autres, on crierait aux trucages, à la falsification mémorielle, avec Mathieu, son geste nous entraîne paradoxalement dans les entrailles de la France.
Quand il s’attaque à l’Histoire, on est conquis par sa frise personnelle. L’exposition, vraiment superbe, nous offre un voyage dans le temps, d’abord à l’époque médiévale avec « Hommage à Louis XI » (1950) ou « Un Silence de Guibert de Nogent » (1951), elle se prolonge avec « les fastes du XVIIème siècle » et son « Hommage au maréchal de Turenne » (1952) jusqu’à des œuvres plus zen telles que « Karaté » (1971). Voir « La Bataille de Bouvines » (1954) ou « Les Capétiens partout ! » (1954) provoque toujours une onde féroce. Mais, pour tous les Français, l’art de Mathieu s’est immiscé dans notre quotidien, le plus ménager, le plus publicitaire et consommateur. Nous avons tous eu un Mathieu dans notre poche, l’artiste a remporté le concours organisé en janvier 1974 par le ministre de l’Économie et des Finances, Valéry Giscard d’Estaing pour la conception de la nouvelle pièce de 10 francs. Dans notre porte-monnaie, cet écu stylisé, d’inspiration industrielle, couleur « louis d’or » était notre pièce favorite. Entre 1974 et 1981, on pouvait s’en acheter des choses avec seulement 10 francs ! Mathieu a inondé notre univers visuel durant deux décennies : des affiches pour Air France datant de 1967, des porcelaines (collaboration avec la manufacture de Sèvres), des timbres, une épée d’académicien, des médailles et même une usine. En outre, Mathieu est l’inventeur du sigle d’Antenne 2 en 1974 et il a conçu le trophée des 7 d’or en 1985. En 2025, il est enfin temps de redécouvrir l’œuvre de Mathieu.
Le projet de réaménagement de la place du Trocadéro est une nouvelle démonstration de la méthode Hidalgo: imposer par la force une écologie punitive et une idéologie «festive», au détriment de la beauté de Paris et de la vie quotidienne de ses habitants. La préfecture a retoqué ce nouveau délire, mais pour combien de temps ?
Les touristes et sans doute bien des Parisiens qui arpentent chaque jour la place du Trocadéro ignorent probablement que ce haut lieu parisien doit son nom à l’un des plus beaux faits d’armes de la France. En avril 1823, un corps expéditionnaire de 95 000 hommes envoyé par Louis XVIII et commandé par le duc d’Angoulême franchit les Pyrénées, prend Madrid et se dirige vers Cadix où l’Assemblée espagnole, acquise aux idées révolutionnaires, retient prisonnier Ferdinand VII, cousin des rois de France. Le fort Louis est pris à la baïonnette et l’île de Trocadéro tombe. L’armée française ne perd que 31 hommes et la monarchie espagnole est restaurée.
Moins sanglante
C’est une tout autre bataille qui se joue aujourd’hui au Trocadéro, moins sanglante certes, mais tout aussi héroïque. Non contente d’avoir transformé comme on sait les places de la Nation, de la République et de la Bastille, non contente de vouloir semer des palmiers sur la Concorde et des cocotiers sur les Champs-Élysées, Madame Hidalgo veut disneylandiser la belle place qui fait face au palais de Chaillot et dont l’harmonie patrimoniale a été atteinte au moment de l’Exposition universelle de 1937. Notons que cet équilibre s’est vu enrichi dans les années 1950 avec la statue du maréchal Foch due à Raymond Martin et le magnifique monument à l’infanterie réalisé par Paul Landowski. Adieu à cet ensemble remarquable : piétonnisation, circulation réduite à un improbable double sens en fer à cheval à l’arrière de la place et « végétalisation » destinée à organiser pique-niques et privatisations événementielles forment le projet délirant déjà partiellement mis en place à la faveur des Jeux olympiques.
Ainsi défiguré depuis des mois par un salmigondis de plots, piquets, panneaux, feux et marquages au sol, le Trocadéro est devenu l’exemple même de l’absurdité technocratique et du mépris pour la beauté de Paris. Rien ne fonctionne et tout est laid. Écologie punitive et idéologie « festive » antipatrimoniale aboutissent de fait à un chaos dangereux pour tout le monde. Problème pour l’Hôtel de Ville : le projet hidalgien a été interdit par le préfet de police (mesure confirmée au tribunal administratif, en appel et en cassation en 2022) et l’état actuel, qui n’était que provisoire, est désormais parfaitement illégal. Qu’à cela ne tienne, la maire a plus d’un tour dans son sac. Pour amadouer le préfet et jouer la montre, Madame Hidalgo a lancé une « consultation » en ligne en janvier dernier.
C’est tout, pour le moment…
Le 4 février, un « temps d’échange » était organisé à l’Hôtel de Ville réunissant la maire, le préfet, le maire du 16e arrondissement, la commissaire de police du quartier, le colonel des pompiers chargé du secteur, des riverains et des invités de la maire de Paris. La réunion était censée faire le point après ladite consultation. Las ! Des déclarations embarrassées prétendirent alors que le « scrutin » n’était pas encore dépouillé même si l’on comprit entre les mots qu’il était très majoritairement défavorable au projet hidalgien : on sut alors qu’on n’en aurait donc jamais le résultat définitif, et pour cause ! Aux propos inquiets du colonel des pompiers qui attestait de retards significatifs dans la prise en charge des personnes en urgence et leur acheminement vers les hôpitaux, Madame Hidalgo souffla un « Il y a eu des morts ? » qui scandalisa l’assistance. Fort heureusement pour la Mairie, la claque vélocipédique « Paris en selle » avait été convoquée et expliqua doctement comment sauver la planète. Un des jeunes héros du combat climatique s’adressa à l’auteur de ces lignes pour lui demander : « Vous voulez mourir d’un cancer du poumon ? » D’autres intervenants un peu trop visiblement favorisés par le porteur du micro ânonnèrent aussi leur credo totalement déconnecté du but de la réunion et non sans une acrimonie qui sentait bon la réunion EELV. Poussés dans leurs retranchements par des riverains courageux, les joyeux bobos en question durent toutefois vite avouer qu’ils n’habitaient pas le quartier, ni même Paris… Finalement acculée, Madame Hidalgo promit alors de rétablir la circulation en attendant de proposer un nouveau projet.
Deux mois plus tard, rien n’a changé, les promesses, comme on sait, n’engageant que ceux qui y croient. Embouteillages, cars de tourisme arrêtés moteur tournant un peu n’importe où, pistes cyclables qui ne mènent nulle part, touristes hagards errant entre les blocs de béton et les passages piétons incompréhensibles continuent d’offrir un spectacle de désolation sur l’une des plus belles places de Paris. Jérémy Redler, maire de l’arrondissement, et le préfet Laurent Nuñez restent cependant vent debout et, nous dit-on, réfléchissent aux mesures juridiques coercitives qui redonneraient par la force leur fluidité et leur beauté aux lieux. La bataille du Trocadéro n’est pas finie, mais elle révèle, une fois de plus, les obsessions idéologiques d’Anne Hidalgo et sa conception très particulière de la démocratie…
Dans un communiqué de l’Élysée publié jeudi, Emmanuel Macron a donné le sentiment de rejeter la revendication portée par les mouvements réparationnistes, décoloniaux et d’ultra-gauche, concernant le remboursement par la France de l’indemnité imposée à Haïti en 1825 pour la reconnaissance de son indépendance, aujourd’hui estimée à 21 milliards d’euros. Cette revendication s’appuyait sur de nombreux anachronismes, contresens, et raccourcis
Le 17 avril 1825, le roi Charles X reconnaissait l’indépendance d’Haïti, en échange d’une indemnité.
Le 17 avril 2025, le président Macron a semblé émettre une fin de non-recevoir à la mouvance réparationniste qui réclamait à la France le remboursement de la dette de l’indépendance d’Haïti exigée en 1825 et estimée à 21 milliards d’euros. Aussi convient-il de rappeler les tenants et aboutissants de cette fameuse dette payée par l’ancienne colonie entre 1825 et 1893.
L’achat de l’indépendance est une proposition haïtienne, vieille de deux siècles !
La France avait été battue par l’armée indigène à Vertières en 1803, mais ne s’avouait pas vaincue définitivement pour autant, les Français tenant toujours l’est de l’île. Tant qu’un traité de paix reconnaissant vainqueur et vaincu et fixant les conditions définitives du conflit n’était pas signé, rien n’était fini et l’ensemble des nations se refusait à reconnaître la légitimité d’Haïti. L’indépendance d’Haïti en 1804 ne pouvait donc être considérée unilatéralement comme un fait acquis, ce que les dirigeants haïtiens Pétion puis Boyer avaient compris.
L’idée de l’indemnité à payer par Haïti à la France a été proposée pour la première fois par le président haïtien Pétion en juillet 1814, avant d’être reprise par son successeur Boyer. La proposition d’indemnisation avancée par les dirigeants haïtiens permettait ainsi de tuer dans l’œuf tout scénario de retour à l’ordre colonial et des anciens colons dans l’île – ce qui pour eux était un objectif non négociable. Les colons français n’ont jamais demandé à être indemnisés. Ils exigeaient le retour à l’ordre colonial d’avant 1789 pour les plus durs ou acceptaient une évolution du système et le retour de leurs propriétés pour les plus réalistes. Pour la France, l’indemnité permettait de satisfaire à moindre frais le lobby des colons et ses revendications. Les deux gouvernements se sont donc rapidement entendus pour s’engager vers cette solution.
La dette de l’indépendance était une dette privée, et l’État français était perdant !
Contrairement à une idée trop répandue, l’État français ne s’est pas enrichi et a renoncé à faire valoir ses droits à l’indemnisation sur ses propriétés. S’agissant d’une dette privée entre l’État haïtien et les colons, il n’a joué qu’un rôle d’intermédiaire entre ceux-ci via la Caisse des Dépôts et Consignations, qui ne s’est pas plus enrichi, ayant reversé la quasi-totalité des montants perçus aux ayants droits des colons jusqu’à extinction des règlements haïtiens.
Dans cette histoire, le remboursement par Haïti des 150 millions ramenés à 90 en 1838, n’a guère profité aux anciens colons et à leurs ayant-droits, qui n’ont été indemnisés qu’à hauteur de 10% de la valeur de leurs biens. Pas plus qu’à leurs créanciers qui n’ont récupéré que 10% de leurs créances ni guère aux souscripteurs français de l’emprunt d’Haïti de 1825 (de 30 millions pour couvrir la première annuité). Indemnitaires et adjudicateurs ont été les grands perdants de l’affaire et furent sacrifiés par le gouvernement français. Seuls quelques banquiers (Laffitte et Rothschild) ont habilement tiré leur épingle du jeu.
L’élite et l’État haïtien ont de lourdes responsabilités dans la ruine d’Haïti
Aux effets pervers et tragiques contenus dans l’Ordonnance de 1825, imposée à Boyer dans un contexte de chantage explicite, qui sanctionnait onze années de négociations non abouties, se sont ajoutés un contexte local (État faible, prévarication des élites) et économique calamiteux (effondrement de 75% des cours du café – la seule ressource d’Haïti) condamnant Haïti à une double peine. Si l’indemnité de 1825 a été, certes, philosophiquement scandaleuse, les conditions de l’emprunt de 1825, bien que là encore, contestables, ont été moins pires que celles des emprunts contractés par Haïti dans la période de la fin du XIXe et jusqu’à l’occupation américaine de 1915-1934, période qui a été aussi désastreuse sinon pire pour le pays.
Si la dette de l’indépendance a grevé les finances d’Haïti et représenté un handicap majeur, aux effets économiques durables, rien n’indique que sans ce lourd fardeau Haïti aurait connu un essor idyllique et vertueux ou qu’elle aurait retrouvé son aura d’avant 1789. L’effondrement du pays depuis l’indépendance a d’autres causes plus profondes qui existaient avant le problème de la dette et ont aussi perduré bien après le règlement définitif de celle-ci en 1893.
Une revendication définitivement close ?
Rétablir la vérité des faits concernant le sujet de la dette de l’indépendance d’Haïti ne vise pas à dédouaner la France de toute responsabilité. Il est très facile, aujourd’hui en 2025, de s’autoproclamer avocat des nobles causes et d’accuser la France de tous les maux en accumulant anachronismes, amalgames, contre-sens et raccourcis historiques.
Rien que de plus facile que de juger l’histoire avec les idées généreuses d’aujourd’hui, rien de plus difficile que de l’étudier, la comprendre et la restituer dans son contexte de l’époque.
Quant à rembourser Haïti des 21 milliards – montant avancé sur quelle base d’ailleurs ? – ce n’est pas à l’État français, qui y a laissé des plumes de rembourser une dette privée dont le montant a disparu, éclaté entre des dizaines de milliers de petits bénéficiaires (25838 personnes en 1838 !) qui ne sont pas enrichis pour autant. Par-delà la sueur, les crimes et le sang de l’esclavage, de la guerre d’indépendance et de l’affaire de la reconnaissance d’Haïti, la France à un devoir à l’endroit du développement d’Haïti par un renforcement des actions de coopération. Mais aussi une dette culturelle, une dette mémorielle, une dette militaire, une dette linguistique. Ce sera l’affaire de la commission mixte franco-haïtienne proposée par le président Macron.
Au cinéma, devant les romances homosexuelles à ne plus savoir compter des « Indomptés », on finit par pas mal s’ennuyer. Brokeback Miniature !
Indomptés, vraiment? S’il faut en croire le titre – titre original : On Swift Horses – , les quatre héros photogéniques du film font un attelage sauvage. Or à 62 ans, Daniel Minahan, cinéaste gay à qui l’on doit, entre autres, quelques mémorables épisodes des séries House of Cards et Game of Thrones, nous a plutôt concocté, en costumes et décors fifties, une romance californienne agréablement léchée, mais pas franchement iconoclaste.
Retour de la guerre de Corée, Lee (Will Poulter), tout jeune, candide et courageux péquenot coiffé à la banane, en couple avec Muriel (Daisy Edgar-Jones), réincarnation californienne de madame Bovary, est arrivé à persuader cette dernière de vendre la bicoque de feu sa mother bien -aimée, pour sacrifier leurs maigres ressources dans le patient achat à crédit d’une maisonnette, dans une Los Angeles en plein essor. Julius, aux antipodes de son frère cadet, mène une vie désordonnée, où ses gains frauduleux au poker le disputent à ceux, occasionnels, de passes rançonnées avec l’un et l’autre sexe, et aux impulsions qui le portent secrètement vers les hommes. Morale subliminale : on ne se refait pas.
Il est vrai que Julius, sous les traits de l’acteur australien Jacob Elordi (cf. Priscilla, O Canada et, bientôt, le rôle-titre du remake de Frankenstein sous les auspices de Guillermo del Toro, en novembre prochain sur Netflix), Julius, dis-je, est ce qu’on appelle une belle bête : 27 ans, 1m96 (!), des pecs durs, arrondis et légèrement gazonneux, des abdos glabres et lisses comme ceux qu’on connaît à la statuaire antique. Bref, si le scénar devait se chercher un alibi, cette somptueuse anatomie, jointe à une bouille de model boy, suffiraient, car tout est prétexte, d’un bout à l’autre, à faire Julius/Elordi littéralement dévoré par la caméra.
Au reste, Muriel la première le mange des mirettes. Mais Julius est son beau-frère, tout de même, alors l’épouse rêveuse, fidèle et frustrée reporte sa passion vers les pur-sang, jouant avec flair aux courses hippiques, jusqu’à accumuler un petit pactole qu’en femme économe elle serre dans une enveloppe, dissimulant ses liasses de dollars derrière le miroir de la piaule conjugale. Entre deux escapades, le gay Julius reviendra la taper régulièrement mais en attendant, embauché comme taupe dans un casino de Las Vegas, l’Appolon géant tombe amoureux d’un collègue de travail, Henry (Diego Calva), exilé de Tijuana, latino mexicain torrentiel au plumard. De fil en aiguille, Muriel elle-même, initiée par une petite voisine coiffée à la garçonne qui lui vend des olives et des œufs, se découvrira des tentations saphiques.
Sans entrer dans les détails, ni vous déflorer l’intrigue jusqu’au fond, disons que le pitch du film, c’est qu’un peu comme chez Proust – toutes choses égales par ailleurs – , tous les protagonistes, excepté le gentil Lee (lequel au finish sacrifiera d’ailleurs son bonheur à la cause gay !) se voient pris dans les rets de leur désir : homosexuels, homosexuels quoiqu’ils fassent ! L’intention est un peu appuyée…
Située en 1956, à l’heure des tirs de bombe H dont on vient admirer en foule, au désert, la pyrotechnie spectaculaire, au cœur de cette Amérique 100% blanche qui n’a pas tendance à rigoler avec les faggets, la romance ne manque pas de charme, quand bien même la crédibilité du casting, férocement sujette à caution, prête à sourire : avec la meilleure volonté du monde, le bel Elordi n’atteindra jamais à la performance de son regretté compatriote Heath Ledger, lequel, dans Le Secret de Brokeback Mountain, ce chef d’œuvre de Ang Lee millésimé 2005, incarnait un cow-boy pris d’une passion homo dans un élevage de moutons…
Image ultra léchée, reconstitutions d’époque presque muséale par le soin accablant porté au moindre détail décoratif, bande-son égrenant néanmoins quelques sublimes morceaux, Les indomptés revêt la forme d’un conte bien empaqueté, pas franchement immoral, et même un peu trop soigneusement aseptisé pour qu’on s’y laisse prendre sans réserve.
Les Indomptés. Film de Danien Minahan. Avec Daisy-Edgar Jones, Jacob Elordi, Will Poulter, Diego Calva, Sasha Calle. Etats-Unis, couleur, 2024. Durée : 1h59.
Et si penser, aujourd’hui, relevait déjà de l’exil? Dans L’Exil de la pensée, Jean-Yves Clément signe un livre à contre-courant, où l’aphorisme devient refuge et la sagesse un art discret. Un texte délicat, lucide, presque musical, à lire au bord de l’eau comme on écouterait une sonate…
Est-ce la Semaine sainte qui se prête à la lecture du livre de Jean-Yves Clément, L’Exil de la pensée, ou tout simplement l’air du temps qui nous impose l’exil – intérieur – pour sauver notre pensée ? Un peu des deux, même si les propos de l’auteur sont a-religieux pour parler comme Georges Bataille. Jean-Yves Clément est éditeur et directeur artistique de festivals. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Le retour à Majorque (Le Passeur), « faux journal » qui retrace le voyage de Frédéric Chopin avec George Sand de Majorque à Nohant. Ouvrage subtil sur quelqu’un qui transpose sa vie dans son art. Cette vie qui, par ailleurs, « est un livre suffisant », pour reprendre la citation de Max Jacob, exhumée par Clément. Max Jacob, fantasque poète, génial inventeur, n’aurait du reste pas détesté ces écrits emprunts de sagesse et de tranquillité fertile.
De quoi est constitué L’Exil de la pensée qui se déguste au bord de la rivière, sous un déjà vibrant soleil de printemps ? Il est formé de deux parties distinctes qui se répondent, sans jamais se croiser. La première alterne pensées, maximes et autres éclats de réflexion qui n’ont d’autre but que de nous permettre d’atteindre cette verticalité devenue suspecte aux yeux des esprits nivellateurs. Jean-Yves Clément nous invite à rejoindre l’idéal cher à Baudelaire. Exemple, la pensée – au sens pascalien du terme – 48 : « La vérité est chose légère, autrement nous ne nous sentirions pas aussi prêts à nous élever à chaque fois qu’elle semble s’éprendre de nous. » La pensée 23 me plait car elle renvoie au voluptueux Max Jacob : « La magie est le réel accompli. » Ces pensées deviennent variations au sens musical du terme. Comme le dit Verlaine à propos de la femme inconnue « que j’aime et qui m’aime. Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même. Ni tout à fait une autre (…) » Tout change et rien ne change. Pensées ductiles, insaisissables, sauvages ouvrant sur le territoire de l’amour. Loin des envolées romantiques, l’amour et la musique restent les remèdes aux scories du monde moderne. Pensée 142 : « La musique et l’amour nous égarent de la même façon, en nous ramenant brusquement à l’essentiel et à nos aspirations les plus secrètes. Ils nous révèlent entiers et libres, quand nous passons la majeure partie de notre temps à nous dissimuler nous-mêmes. » Au détour du mouvement de l’aphorisme, l’éclat tranchant de la vérité.
La seconde partie propose une suite de variations dont le thème est l’écriture elle-même, toujours selon une approche musicale dans la forme, visant à représenter un ailleurs – l’exil – jamais fixe, dans un « ciel invisible. » Exil qui est en nous, l’auteur insiste, sans repli sur soi, ce qui serait l’empoisonnement assuré. « L’exil n’est pas un refuge, précise l’auteur, mais une situation mentale nouvelle favorisant la créativité dans des formes inédites ; elle induit un rapport au monde affranchi de ses anciens réflexes et de ses lois, qui ne sont un temps que les nôtres. » Clément, l’homme au nom prédestiné, convoque alors Nietzsche, Chopin, Mallarmé, Brahms que nous ne cessons d’aimer, Jankélévich qui parle de la « vérité insulaire » de l’aphorisme. Avec cette sagesse retrouvée, « un jour d’été idéal et suspendu », les vieilles idoles et leurs discours frelatés ne pourront plus nous atteindre, enfin. Nous nous émerveillerons à nouveau devant le cerisier en fleur et le bourdonnement de la ruche. Clément nous invite, avec une fausse nonchalance, à saisir la grâce – divine ou pas – qui partout s’offre à nos sens. Débusquez-là à votre tour, après avoir lu ce mode d’emploi lustral.
Jean-Yves Clément, L’Exil de la pensée, Le Condottiere, 90 pages.
L'actrice Anouk Grimberg reçue pour son livre sur le plateau TV d'Augustin Trappenard, le 2 avril 2025. Capture France 5.
« Sur un mode particulièrement équivoque, attisé par les journaux chaque jour dévoyés en presse à sensation, enfle et enfle encore, avec une intensité à ce jour inégalée et dans un climat de panique sexuelle et morale toujours plus exacerbée, la clameur : “Moi aussi, je suis une Victime sexuelle ! Voyez, voyeurs !” » Sabine Prokhoris. Le Mirage #MeToo.
Sur France 5, l’animateur soporatif de La Grande Librairie, Augustin Trapenard, ne rate jamais l’occasion d’aborder les sujets sociétaux « brûlants d’actualité » qui animent panurgiquement la presse et presque toutes les radios et télévisions – prendre tous les trains progressistes en marche, flagorner cette époque racoleuse, avide de dénonciations et de confessions morbides, avec plus d’entrain encore que ses petits camarades de Libération, de Quotidien ou de France Inter, tels sont la devise et le pari d’Augustin Trapenard. Le 2 avril dernier, il recevait sur son plateau quatre femmes venues parler de leurs livres récemment parus. Trois d’entre elles se sont particulièrement distinguées en respectant le cahier des charges du féminisme actuel, tendance #MeToo au carré et grand déballage[1].
MeToo TV
Grosse promo, en ce moment, pour Respect, le livre autobiographique d’Anouk Grinberg. Cette actrice, qui affirme souffrir depuis des décennies, a attendu la mort récente de Bertrand Blier, son ancien compagnon et le père de son fils, pour sortir un opuscule dans lequel elle le décrit comme un monstre, un « homme tordu et violent » qui « n’aimait ni les femmes ni les pédés ». Peut-être était-ce le cas, peut-être pas – Blier n’est de toute façon plus là pour se défendre. Mais les voyeurs se régalent. La rage haineuse d’Anouk Grinberg met mal à l’aise, surtout lorsqu’elle jette tous les hommes dans le même sale panier. « Putain, rangez vos queues les mecs ! » éructe-elle ainsi sur France Info avant de se rendre, pour une nouvelle séance de télé-psy, auprès du bon Docteur Barthès sur le plateau de Quotidien, puis dans les locaux de Mediapart où officie la Mère Supérieure Marine Turchi, exorciste spécialisée dans les diableries masculines qui pervertissent encore le milieu cinématographique.
Camille KouchnerManon Garcia
Après le succès de La Familia grande parfaitement orchestré par des médias voyeurs et délateurs, Camille Kouchner sort un roman, Les Immortels. Un livre qui met en exergue une pauvre citation extraite de la fiche Wikipedia de Monique Wittig, la conceptrice d’ouvrages illisibles préfigurant tous les délires wokes sur « l’hétéronormativité patriarcale », le « lesbianisme radical » et le transgenrisme, ne pouvait pas échapper à Augustin Trapenard, ce petit moine de l’orthodoxie progressiste. « Le spectre du genre est large », déclare Camille Kouchner tout en dénonçant les travers d’une idéologie libertaire post-soixante-huitarde ayant justement conduit à cette affirmation aberrante, fruit de l’idéologie woke. La romancière affirme que la trame de son livre pourrait correspondre à « chacun des titres des livres de Manon Garcia », également présente sur le plateau – raison de plus pour ne pas le lire…
On ne parlera jamais assez de Gisèle
Manon Garcia mérite une attention particulière. Cette normalienne agrégée de philosophie a enseigné aux États-Unis où elle a ingurgité une sous-philosophie de bazar mâtinée de thèses sociologiques fumeuses, néo-féministes et wokes. Elle vient d’écrire Vivre avec les hommes : Réflexions sur le procès Pelicot. Sur le plateau de La Grande Librairie, les limites rhétoriques de cette philosophe apparaissent dès l’entame de son exposé. Manon Garcia rabâche maladroitement le dogme. Aucun truisme idéologique sur « la domination masculine » ne la rebute. Aucun poncif doctrinaire sur « le patriarcat » ne l’effraie. Les lieux communs du néo-féminisme s’empilent jusqu’à s’écrouler sur eux-mêmes, écrasés par le poids de leur nullité.
Une phrase, qui n’est pas sans rappeler certaines fulgurances de Virginie Despentes – que Manon Garcia dit adorer – reflète très exactement le niveau intellectuel de ce blablatage : « C’est pas nous qui devons aimer les hommes, c’est les hommes qui doivent nous aimer. » Pour expliquer cette défaite de la pensée, rappelons que, lors d’un entretien donné à Victoire Tuaillon – la créatrice du podcast gentiment intitulé Les couilles sur la table – cette dame qui se prétend philosophe expliquait : « Je pense que j’aurais pas continué la philo si je n’avais pas découvert la philosophie féministe, parce que moi ce qui m’intéresse dans la philo c’est comment ça parle de la vie et que sans le féminisme la philo ça parle pas de la vie. » Intéressant, non ? Rappelons également que Manon Garcia a passé sa thèse de doctorat sous la direction de Sandra Laugier, philosophe chroniqueuse à Libération, responsable du pôle “forum des idées” de Benoît Hamon en 2017, mélenchoniste en 2022, adepte de la théorie du genre et, d’après son éditeur, « pionnière en philosophie de l’étude des sériestélévisées ». Manon Garcia s’inscrit dans le sillage de cette philosophie paresseuse et netflixienne : « La culture de l’érotisation égalitaire » (sic) peut s’apprendre, affirmait-elle à Victoire Tuaillon, en regardant des séries comme Grey’s Anatomy ou Sex Education. Par ailleurs, soutiendra-t-elle dans L’Obs, « c’est une erreur de considérer que la philosophie morale doive s’arrêter au seuil de la chambre à coucher ». Sous surveillance, la sphère privée – la chambre à coucher, surtout – ne doit pas échapper à la loupe idéologique, à la transparence intégrale. Le totalitaire aime regarder par le trou de la serrure et décider, comme dans 1984, de ce qui relève du crimesex ou du biensex. Quant à la drague, élégante ou hasardeuse, triomphale ou timide, elle doit être remplacée par le seul cadre rigide et « égalitaire » du consentement éclairé en trois exemplaires. « On a pu se demander si consentir, c’est ne pas dire non, ou bien si c’est dire oui, sauf qu’en fait, ce que je veux montrer, c’est que c’est beaucoup plus compliqué : accepter un rapport sexuel, cela demande une analyse philosophique précise, appuyée sur des cas particuliers que l’on analyse en détail », dixit Manon Garcia, sergent des mœurs.
Le consentement bientôt dans la loi
Mme Garcia doit être aux anges : récemment adopté à l’Assemblée nationale, un texte de loi établit, entre autres choses, que « le consentement doit être libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ». Le Conseil d’État estime que « le principal apport de cette proposition de loi est de consolider les avancées de la jurisprudence ». Nous entrons dans une nouvelle ère, celle des règlements finissant d’encadrer le peu qui échappait encore au contrôle totalitaire des sociétés post-démocratiques et technocratiques, en particulier la sphère privée et la sexualité – et bientôt la mort, avec la loi prévue pour légaliser l’euthanasie. Car il ne faut pas s’y méprendre : cette loi, qui aspire à ce que nous passions « de la culture du violà une culture du consentement » (sic), n’a pas seulement pour but de modifier la définition pénale des agressions « sexuelles et sexistes ». Elle vient compléter un arsenal techno-juridique dont l’objectif est de régenter entièrement nos vies, d’administrer l’existence de chaque individu en consolidant les appareils de contrôle social – ou de domestication sociétale – que sont devenus l’État, l’école, l’université, les médias et tous les outils de dressage, de divertissement et d’encadrement susceptibles de préparer au mieux l’avènement d’un monde merveilleux empli de citoyens vertueux, positifs, respectueux des minorités, des femmes et de la diversité, inclusifs, transfriendly, écologistes et,au bout du compte, définitivement abrutis, malléables et dociles.
Et ça continue. 85 auditions, 350 témoignages, un rapport de 279 pages, tel est le bilan de « la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ». Sandrine Rousseau, qui était bien sûr à la tête de cette commission inquisitoriale, regrette que certaines personnes aient refusé de venir mettre un genou à terre devant elle. Elle espère que le prochain Festival de Cannes sera « le lieu de renversement des mentalités ». Qu’apparaissent un insignifiant vide juridique ou une fine crevasse dans le règlement intérieur du cinéma qui prévoit d’ores et déjà des « référents VHSS » et des « coordinateurs d’intimité » sur les tournages, et Mme Rousseau, soyez-en sûrs, se rendra disponible pour remettre sur le métier son ouvrage de déconstruction. Le cinéma français, perclus d’idéologie, moribond, va finir de crever sous le coup de la loi. En vérité, nous sommes tous condamnés ou en passe de l’être. Il y a trente ans, Philippe Muray, dans un texte génialement intitulé L’envie du pénal, fustigeait déjà « toutes les propagandes vertueuses concourant à recréer un type de citoyen bien dévot, bien abruti de l’ordre établi, bien hébété d’admiration pour la société telle qu’elle s’impose, bien décidé à ne plus jamais poursuivre d’autres jouissances que celles qu’on lui indique ». La techno-structure juridico-médiatique qui s’impose à nous n’a pas pour objectif de rendre justice. Son but est de faire en sorte que chacun se sente coupable – de quoi ? les motifs d’incrimination se multipliant, il n’y aura bientôt que l’embarras du choix – et craigne de se retrouver un jour devant d’impitoyables juges médiatiques ou politiques ayant rédigé par avance l’acte de condamnation que les tribunaux n’auront plus qu’à entériner.
Notons que ces féministes, actrices, philosophes et députées si promptes à dénoncer les agissements douteux et répréhensibles des hommes en général et de leurs collègues en particulier, n’évoquent jamais ceux des migrants coupables de crimes odieux. Pas un mot sur Philippine, violée et tuée par un migrant sous OQTF. Pas un mot sur Claire, violée par un migrant sous OQTF. Rien sur les centaines d’agressions sexuelles perpétrées par des étrangers dans les transports en commun ou dans les rues de nos villes. Rien non plus sur les viols commis par les migrants et les passeurs sur la presque totalité des femmes tentant de rejoindre l’Europe depuis l’Afrique. Rien sur les mutilations physiques, entre autres les excisions, que subissent de plus en plus de femmes en France. Rien sur la charia qui s’installe dans certains quartiers de nos villes. Rien sur le hijab, ce vêtement stratégique que les Frères musulmans tentent d’imposer à l’école, dans le sport et dans les entreprises. Pire encore que le silence : Sandrine Rousseau, qui trouvait déjà que le voile islamique est un objet « d’embellissement », parle d’ « islamophobie débridée » quand il est prévu d’interdire « tout signe ou tenue manifestant une appartenance religieuse lors des compétitions sportives ». Quant à Manon Garcia, lors d’un colloque intersectionnel se tenant à la Sorbonne et pompeusement intitulé « Approches phénoménologiques du genre et de la race : penser les oppressions et les résistances », après avoir déblatéré des platitudes beauvoiriennes sur la domination masculine dans les relations amoureuses, voici comment elle conclut son intervention pour convaincre l’auditoire estudiantin que « la femme est universellement dominée » : « Je ne suis pas sûr que la femme dans son harem ait tellement moins de liberté que la catholique versaillaise mère au foyer, en fait[2]. »
Dernière nouvelles désolantes et désopilantes de notre philosophe féministe. Dans un entretien donné à la revue Nouvelles Questions Féministes, après qu’elle a affirmé avoir « beaucoup de respect pour le travail de Victoire Tuaillon et Mona Chollet », Manon Garcia estime que… « EugénieBastié, elle ne tient pas la route intellectuellement » – voilà qui est déjà très drôle. Plus drôle encore, elle dit être estomaquée par le fait que « Jean-François Braunstein se soit senti autorisé à écrire le torchon qu’il a écrit » – le torchon dont il est question s’intitule La Philosophie devenue folle et est l’un des meilleurs ouvrages récents sur les dérives idéologiques autour des questions du genre, du droit des animaux et de l’euthanasie. Angoissée par « les langues antiprogressistes [qui] se délient », Manon Garcia reste toutefois « assez optimiste concernant la philosophie féministe ». « Je pense, dit-elle improprement, que ça va devenir de moins en moins facile de s’y opposer, aussi parce que les étudiant.e.s sont de plus en plus demandeurs.euses, et même les vieux grincheux qui sont contre vont devoir s’adapter.On va se retrouver avec des jeunes profs qui font des trucs de philo féministe avec des amphis pleins à craquer d’un côté, et d’autres qui font des trucs vieilles écoles et où c’est pas ça. » Philosophie de bas étage, pensée chétive, langue déglinguée – Manon Garcia dans toute sa splendeur.
[1] La quatrième et dernière intervenante était Marie Ndiaye. N’ayant lu aucun de ses livres, je ne jugerai pas son œuvre. Je peux cependant dire que, ce soir-là, elle a été la seule à parler peu ou prou de littérature. La seule à éviter de tomber dans les pièges assez peu subtils tendus par l’animateur pour rester dans l’ambiance délétère alimentée par ses précédentes invitées. La seule à avoir tenté d’évoquer son travail d’écriture, son désir d’appréhender la vie par les mots et d’essayer ainsi de comprendre ce « cœur brûlant » et mystérieux qu’est l’âme humaine.
[2] Extrait du livre d’Anne-Sophie Nogaret et de Sami Biasoni, Français malgré eux. Racialistes, décolonialistes, indigénistes : ceux qui veulent déconstruire la France, 2019, Éditions de L’Artilleur.
Phénomène inédit, des attaques coordonnées ont frappé 11 prisons, principalement dans le Sud de la France, accompagnées de menaces proférées contre le personnel pénitentiaire. Certes, nous ne vivons pas encore dans un narco-Etat, mais cette campagne organisée montre la faiblesse grandissante de l’Etat dont les institutions sont bafouées par des mécréants. Ce qui est presque plus inquiétant que les actions criminelles elles-mêmes, c’est le silence général de nos politiques – qu’ils soient dans le gouvernement ou dans l’opposition – qui semblent ainsi admettre leur impuissance. Céline Pina analyse les conséquences de cette abdication apparente pour l’Etat de droit et notre démocratie.
Que représente la visite de Giorgia Meloni à la Maison Blanche ? Elle a été reçue par Donald Trump avec tous les égards et de grands témoignages d’amitié. Beaucoup de commentateurs à gauche et au centre de l’échiquier politique se sont demandé si elle n’essayait pas de faire cavalière seule par rapport aux autres Etats-membres de l’UE, en cherchant à négocier de meilleures conditions pour les échanges commerciaux entre l’Italie et les Etats-Unis. D’autres ont même cru voir dans cette visite la consécration d’une sorte d' »internationale réactionnaire » qui comprendrait aussi la Hongrie et la Slovaquie. Harold Hyman nous rappelle que seule l’UE est habilitée à conduire des négociations commerciales avec des pays n’appartenant pas à l’union. La présence de Meloni à Washington est pour montrer que les dirigeants européens n’ont pas du tout coupé les ponts avec Donald Trump. Quant à une prétendue internationale réactionnaire, les pays qui y participeraient ont certes des points de convergence mais sont rarement unis sur la majorité des grandes questions politiques. Par exemple, Meloni et Trump partagent une même opposition aux expressions du wokisme mais ont des points de vue très divergents au sujet de l’Ukraine. Après la rencontre hier à Paris des représentants de l’Ukraine, de la France, des Etats-Unis, de l’Allemagne et du Royaume Uni, le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio a déclaré que, s’il n’y avait pas de progrès appréciable dans la recherche d’un accord de pays dans les quelques jours à venir, les Etats-Unis laisseraient tomber le processus de paix pour se tourner vers d’autres questions internationales. Tactique de négociation? Début de l’aveu d’un échec de l’opération trumpienne pour mettre fin à cette guerre?
Près de 400 ans après la mort de Claudio Monteverdi, à Venise, le Théâtre royal de la Monnaie réussit le prodige de monter un opéra que le compositeur n’a jamais écrit, mais où pourtant tout ou presque est de sa main.
Étrange, audacieuse et séduisante démarche artistique : comme dans un laboratoire scientifique où l’on chercherait à ressusciter une espèce animale disparue, et à partir des trois seuls opéras qui subsistent de la production lyrique alors révolutionnaire de Monteverdi, Orfeo (Orphée), Il Ritorno d’Ulisse in patria (Le retour d’Ulysse dans sa patrie), l’Incoronazione di Poppea, (le Couronnement de Poppée), la scène de la capitale belge a créé I Grotteschi en mêlant savamment à de rares madrigaux des fragments des trois ouvrages (une trentaine de ces fragments sont par exemple issus de l’Orfeo), de façon à constituer une nouvelle intrigue, un nouvel opéra.
C’était une idée de Peter de Caluwe, l’intendant du théâtre royal, idée déjà mise en œuvre avec la trilogie Mozart-Da Ponte afin de faire découvrir sous un angle neuf des pièces emblématiques du répertoire lyrique.
Pour réaliser I Grotteschi, Caluwe a fait appel au chef d’orchestre et compositeur argentin Leonardo Garcia-Alarcon qui y a glissé plusieurs sinfonie de sa main. Et pour les structurer dramatiquement et les porter sur le théâtre, au metteur en scène espagnol Rafael Villalobos.
Virtù, Carità, Sapienza
Musicalement homogène, malgré les profondes différences régnant entre l’Orfeo qui date de 1607 et fut représenté à la cour des Gonzague de Mantoue, et les deux autres ouvrages créés respectivement en 1640 et en 1642 à Venise, et tout en étant très composite du fait des diverses intrigues qui sont ici mêlées, I Grotteschi a été baptisé ainsi en référence aux statues monstrueuses retrouvés jadis dans ce qu’on croyait alors être des grottes et qui était en fait les vestiges de la Domus Aurea, le fastueux palais de Néron.
Dans la foulée, on a choisi de désigner les personnages qu’on y découvre sous le terme qui les caractérise le plus fidèlement : Fortuna, Virtù, Costanza, Sapienza, Esperienza, Capriccio, Impazienza, Corragio, Melancolia ou Carità… à l’image de ces figures allégoriques fort en vogue dans les siècles passés. De surcroît, on leur a inventé des liens de famille en les regroupent en trois générations successives où Melancolia, qui n’est autre qu’Orphée (Mark Milhofer), tient le rôle de l’ancêtre nonagénaire, suicidaire et déjà quelque peu gâteux. Son fils Coraggio, qui est aussi Ulysse (Jeremy Ovenden), a sombré dans un mystérieux coma, cependant que son épouse Costanza – ou Pénélope – (Stéphanie d’Oustrac) se lamente et en vient dans sa solitude à nourrir une folle passion pour Fortuna, sa femme de chambre. Quant à leur fils ainé, l’arriviste Privilegio (Matthew Newlin), il commet l’adultère avec l’ambitieuse Fortuna et ne pense qu’à la conquête du pouvoir comme à la répudiation de la noble Virtù, sa femme (Raffaella Lupinacci). Son cadet, Capriccio (Federico Fioro), un éphèbe encore, tombe amoureux d’Impazienza, tout en se libérant de l’emprise de son précepteur.
Une autre fable
Autour d’eux gravitent Esperienza, la gouvernante (Xavier Sabata), ainsi que ses deux filles, Fortuna (Giulia Semenzato) et Impazienza (Jessica Niles) ; l’infirmière Carità (Arianna Vendittelli) ; Sapienza, le philosophe, qui n’est autre que le Sénèque de L’Incoronazione (Jérôme Varnier), et qui entretient un rapport ambigu avec Capriccio, son séduisant élève; ou encore Giudizio (Anicio Zorzi Giustiniani), le jardinier et l’ami de Privilegio, mais aussi l’amant de Carità. En voix off, la basse Il Baskerville.
Aux trois favole in musica originales s’est ainsi substituée une autre fable, infiniment complexe, sinon alambiquée, enfermée dans un huis clos malsain où s’exacerbent des passions le plus souvent inavouables et où se combinent, avec une habileté remarquable, ces fragments d’opéra qui pourtant ne constituent pas obligatoirement un livret convaincant.
Ingéniosité du décor
Dramaturge autant que metteur en scène, Rafael Villalobos a voulu cloîtrer les protagonistes (pour cause d’épidémie et de confinement sanitaire) dans une villa romaine de nouveaux riches au décor froid, quelconque et prétentieux qui pourrait renvoyer (mais en beaucoup moins raffiné) à l’opulente demeure qui accueille le héros du Théorème de Pasolini. Le décor d’une extraordinaire ingéniosité, édifié sur deux niveaux pivotants l’un sur l’autre et signé par Emanuele Sinisi, permet de déployer tour à tour l’action dans sept ou huit espaces différents.
Villalobos a revêtu les hommes de la plus jeune génération de tenues résolument homo-érotiques : pantalons ou culotte de cuir noir et torse nu pour Privilegio et Capriccio son frère ; et pour le sensuel Giudizio, combinaison de travail très ajustée s’ouvrant sur un torse velu. Les femmes, quant à elles, belles, fines, déliées, au physique impeccable, sont évidemment vêtues selon leur rang : robes recherchées pour les patriciennes, tenues sobres et noires pour les domestiques.
Excellents comédiens, magnifiques chanteurs
Cependant que les scènes de sexe vont se multipliant un peu trop pesamment et contribuent à la lourdeur d’une atmosphère empoisonnée, les douze protagonistes visibles sur scène sont portés par une remarquable direction d’acteurs. La palme du jeu théâtral pourrait bien revenir à Xavier Sabata, le contre-ténor qui interprète le personnage de Sapienza, un rôle travesti, avec une sobriété, une justesse et une intelligence qui forcent l’admiration. Mais s’ils sont tous d’excellents comédiens dont le jeu contribue considérablement à la tenue de ces deux soirées de trois heures qui constituent I Grotteschi, les protagonistes sont aussi et surtout de magnifiques chanteurs. Une telle distribution, d’un niveau si impressionnant, tant pour la qualité des voix que pour l’homogénéité des talents, et où se décline si bel éventail de registres vocaux, est un enchantement.
Sous la direction savante, inspirée, chaleureuse de Garcia-Alarcon, les quelque vingt musiciens baroques de la Cappella Mediterranea restituent aux diverses partitions de Monteverdi un quelque chose de charnel, de moelleux, d’émouvant qui porte à l’émerveillement. C’est une féerie sonore dont on peut bien dire qu’elle enchante l’auditeur et qui confère aux deux volets d’ I Grotteschi une élégance toute spirituelle.
Palpitante aventure
Cependant, à cette succession infinie de prologues, de scènes, d’arias, de madrigaux, de sinfonie, de toccata, de danses, à cette composition habile d’une intrigue créée de toutes pièces, il manque malgré tout une ossature, un ressort dramatique convaincant, tels qu’ils existent dans chaque drama per musica de Monteverdi. Aussi enchanteresse que soit une musique qui sait toucher au sublime, aussi remarquable que s’affirment ses interprètes, sur la scène comme dans la fosse de l’orchestre, l’artificialité de la recomposition, même savamment réécrite, débouche sur quelque chose qui finit par sembler monocorde.
Toutefois I Grotteschi a sans doute constitué une aventure palpitante pour ses auteurs au moment de son élaboration, comme elle semble l’être aujourd’hui pour ses interprètes. Et si la démarche peut apparaître plus convaincante sur le plan intellectuel que sur le plan artistique ou émotionnel, elle n’en relève pas moins d’un esprit d’entreprise tant vigoureux que réjouissant au sein d’une grande institution comme ce Théâtre royal de la Monnaie qui figure depuis fort longtemps parmi les scènes les plus audacieuses au monde.
I Grotteschi, compositions de Monteverdi restituées en deux soirées successives : Miro et Godo. Jusqu’au 3 mai.
Philippe Forest publie Et personne ne sait, un nouveau roman intrigant
Le romancier et essayiste Philippe Forest est né juste à temps, en 1962, pour être contemporain de la fin des avant-gardes en France, et notamment de celle du mouvement de la revue Tel Quel, auquel il devait consacrer plusieurs livres, dont un sur Philippe Sollers, son principal animateur. Il m’a toujours semblé qu’on ne s’est pas assez demandé ce qu’a signifié la disparition de toutes les avant-gardes, et quelles en furent les conséquences, notamment chez les écrivains. La fin des années 70 sonna le glas des idéologies les plus folles. L’arrivée de Mitterrand à l’Élysée en 1981 fut paradoxalement le coup d’envoi d’un néo-libéralisme exacerbé. Dès lors, la culture s’embourgeoisa, et les subtilités dialecticiennes tendance Mao de la revue Tel Quel cessèrent de faire florès. Philippe Sollers saborda sa revue, avant de publier Femmes, à la fois brûlot romanesque à la ponctuation précise et manifeste réactionnaire du mâle européen hanté par son identité sexuelle.
Historien de l’avant-garde et romancier classique
Philippe Forest se fit l’historien du mouvement Tel Quel, tout en écrivant en parallèle des romans de forme plutôt classique, sans rien à voir avec les expériences littéraires extrêmes du passé. Marqué par la mort précoce de sa fille, Forest commença par publier en 1997 L’Enfant éternel. Le livre, édité par Sollers dans sa collection « L’Infini », connut un grand succès. Philippe Forest revint, dans ses romans suivants, sur la mort de sa fille. Aujourd’hui, avec la parution chez Gallimard d’un nouvel opus intitulé Et personne ne sait, il reprend encore ce même thème tragique qui ne le quitte pas. Il y est question toujours d’une petite fille, mais Philippe Forest a choisi cette fois un mode littéraire ouvertement porté vers le fantastique, puisqu’il s’agit d’une histoire de fantôme.
Un dispositif romanesque sophistiqué
La trame en reste très simple, avec néanmoins un dispositif narratif plutôt sophistiqué. Philippe Forest raconte comment il se souvient d’un roman américain lu il y a longtemps (Portrait de Jennie de Robert Nathan, 1940) et d’un vieux film qui en fut tiré en 1948, produit par David O. Selznick. Il y était question de la vie difficile d’un jeune peintre new-yorkais, Adams, qui rencontre un jour une petite fille, nommée Jennie, dans le parc où il se promène chaque jour. Elle deviendra son modèle, et des liens étroits les rapprocheront. Philippe Forest insiste sur cette expérience de lecture, pour lui bouleversante, et qu’il fait sienne en tant qu’écrivain : « J’ai toujours raconté la même histoire. Comme tout le monde, je n’en connais qu’une. Je dis que je raconte ma propre histoire et c’est toujours celle d’un autre. Et quand je dis que je raconte l’histoire d’un autre, c’est encore la mienne. » Relire avec nous ce roman de Robert Nathan, revenir au film, permet à Philippe Forest de partager sa douleur fondamentale, et d’espérer que sa fille Pauline lui soit rendue un jour. Ce faisant, il comprend que son propos interroge la folie, et notamment, comme il l’écrit, « l’insituable limite qui sépare le possible de l’impossible, le rêve de la réalité et la folie de la raison ».
La relation entre le peintre Adams et la petite Jennie, qui devient rapidement une femme, aboutit à un tableau qui sera le chef-d’œuvre inespéré du premier. Le roman initial ne parle pas de ce tableau, comme on s’y serait pourtant attendu. Pour Philippe Forest, c’est de fait un élément crucial de se le représenter, et c’est pourquoi il nous décrit in situ, au Metropolitan Museum de New York, celui qui aurait inspiré l’auteur du roman, en particulier pour le titre, The Young Girl in a Black Dress. En revanche, dans le film, le tableau apparaît dans une scène inoubliable comme une révélation : « Renonçant, écrit Philippe Forest dans une prose haletante, au noir et blanc dont le cinéaste s’était exclusivement servi […] En couleurs. En couleurs maintenant. Selon un procédé auquel a recours un autre film de la même époque, Le Portrait de Dorian Gray tel qu’il fut adapté par Albert Lewin dans un film qui, au fond, raconte la même histoire − même s’il le fait à l’envers. » Vous vous souvenez peut-être de ce moment grandiose, qui venait conclure la si belle adaptation, en 1945, du roman d’Oscar Wilde.
Philippe Forest a écrit là un roman très intriguant, qui laisse passer un grand trouble littéraire. Plus que des avant-gardistes de Tel Quel, nous sommes proches ici des écrivains fin de siècle du XIXe, avec une atmosphère à la Edgar Poe. Philippe Forest parvient à fondre l’univers fantastique du roman et du film dans la réalité contemporaine, en décrivant les effets d’une lecture ou les réminiscences de son adaptation filmique. L’enjeu est grand pour lui, qui ne connaît pas d’autre résilience que celle accordée par la littérature. On sent que Philippe Forest écrit par nécessité vitale, et que pour lui l’expérience littéraire doit à tout prix offrir du sens. Dans le relativisme ambiant, l’engagement de Philippe Forest nous pousse à faire preuve de discernement. La littérature n’est pas un jeu de marelle, mais un travail sur soi qui permet de croire à une proche délivrance − ou comme aurait dit le chrétien Bernanos : de croire à une rédemption possible.
Philippe Forest, Et personne ne sait. Éd. Gallimard, 123 pages.
Chaque mois, le vice-président de l’Institut des libertés décode l’actualité économique. Et le compte n’y est pas
La Banque centrale européennevient de publier ses résultats pour l’année 2024. Plombée par l’effet de ses propres hausses de taux, l’institution présidée par Christine Lagarde accuse une perte de 8 milliards d’euros. Les banques centrales de la zone euro ne percevront donc aucun dividende. Au même moment, la Banque nationale suisse (BNS) clôture quant à elle son exercice 2024 avec un bénéfice de 80 milliards de francs suisses (83 milliards d’euros). Il faut dire qu’elle sait gérer ses actifs. Elle a ainsi réalisé un profit de 67 milliards de francs suisses sur les devises étrangères, et de 21 milliards sur l’or. Grâce à ses excellents choix, elle versera à la Confédération helvétique et aux cantons la somme de 3 milliards de francs suisses.
En plus de leur retraite obligatoire par répartition, les fonctionnaires français peuvent profiter, s’ils le souhaitent, d’un régime complémentaire par capitalisation, la Préfon, qui assure à des centaines de milliers de bénéficiaires une pension moyenne de 438 euros par an. Pourquoi les salariés du privé n’ont-ils pas accès au même avantage ? Ce serait une excellente question à mettre à l’ordre du jour du « conclave » organisé par François Bayrou. Rappelons aux participants de cette concertation qu’il existe quelques solutions très faciles pour rétablir l’équilibre des comptes. Ainsi, en reculant d’un an l’âge légal du départ à la retraite, on pourrait récupérer pas moins de 17,7 milliards d’euros. Et si l’on désindexait les pensions de retraite pendant quatre ans, on économiserait 29 milliards. Enfin, rien qu’en faisant fondre les effectifs de la fonction publique de 0,5 % par an, le déficit diminuerait de 2 milliards.
Vingt-trois milliards d’euros par an, c’est le chiffre auquel arrive le journaliste Olivier Calon en additionnant les avantages consentis par l’État à diverses professions publiques et parapubliques : hauts fonctionnaires, salariés d’EDF et de la RATP, employés la Banque de France, aiguilleurs du ciel, intermittents du spectacle, sans oublier tous ceux qui travaillent au sein d’institutions publiques aux pratiques parfois opaques en matière de ressources humaines, comme l’Élysée ou le Conseil économique, social et environnemental. En refermant son livre-enquête (Les Privilégiés de la République, Opportun), on se dit que la France est bel et bien la championne des avantages acquis.
La Cimade a reçu l’année dernière 200 000 euros de la part de l’État à travers une subvention de l’Agence française de développement. Pour rappel, la Cimade est une ONG qui offre gracieusement une protection juridique aux migrants se trouvant en situation irrégulière sur le sol français. On a beaucoup de mal à comprendre que de l’argent public puisse être alloué à une association qui encourage des étrangers à ne pas respecter le droit de notre pays !
Le coût des agences d’État et autres comités Théoduleavoisinerait 140 milliards d’euros par an, selon un inventaire effectué par Agnès Verdier-Molinié dans son dernier essai, Face au mur de la dette (l’Observatoire). Selon la directrice de l’Ifrap, il existe plus de 1 100 organismes de ce type. Autant dire que le doublonnage est la règle. Dans le domaine de la santé par exemple, on peut estimer que le chevauchement des compétences coûte 4 milliards par an. Autre cas d’école : trois établissements publics chargés des « territoires » (le Cerema, l’ANCT et l’Ademe) ont des activités si proches qu’ils sont obligés de négocier entre eux des conventions de coordination ! Comme d’habitude, de nombreux rapports officiels, émanant notamment de la Cour des comptes, alertent depuis longtemps sur ce gaspillage… en vain.
L’entreprise Les Forges de Tarbes est aujourd’hui la dernière usine de munitions de gros calibre en France. Produisant dans les Hautes-Pyrénées des corps creux d’obus (notamment pour les canons Caesar fabriqués par Nexter), elle est un acteur clé de l’économie de guerre voulue par Emmanuel Macron. Depuis 2023, l’État stratège a mis la main à la poche pour accompagner son développement, par l’intermédiaire de la direction générale de l’armement, qui a octroyé une enveloppe de plus de 7 millions d’euros à sa maison mère Europlasma. En contrepartie, ce groupe industriel spécialisé dans la gestion des déchets s’était engagé à investir 12 millions d’euros afin de quadrupler la capacité de production du site. Malheureusement la promesse n’a pas été tenue. Par ailleurs, dans le cadre d’un dispositif de soutien aux exportations, l’État a accordé directement aux Forges de Tarbes une avance remboursable s’élevant à 7 millions d’euros. Le versement des fonds est censé être effectué sur trois ans par Bpifrance et Assurance Export. Tout ce petit Monopoly n’est absolument pas à la mesure du problème à traiter. En Allemagne, la capitalisation boursière de la société Rheinmetall, qui fournit l’essentiel des obus livrés à l’Ukraine, s’élève à 55 milliards d’euros. Tandis que la société Europlasma, maison mère des Forges de Tarbes, est valorisée à 3 millions !
De nombreuses start-up françaises du secteur des « nouvelles mobilités » se trouvent en posture très difficile. Carlili, loueur de voitures en ligne, est en redressement judiciaire après avoir levé 10 millions d’euros. Cityscoot, application qui met des deux-roues en libre-service dans les rues de Paris, est en cessation de paiement. Kiffy, marque de vélos électriques, a mis la clef sous la porte. Smovengo, le repreneur de Vélib’ maintenu sous perfusion par Anne Hidalgo, enchaîne les déboires opérationnels et financiers.
Autre vedette de l’innovation à la française, la société parisienne Aldebaran a perdu 165 millions d’euros entre 2019 et 2023. Symbole de la French Tech avec son robot Nao, elle est à présent en redressement judiciaire.