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Médaille de marbre

Les JO nous ont offert la beauté des corps en mouvement. Ils nous ont aussi imposé les statues pathétiques de dix « femmes en or » et des Vénus flashy au palais Bourbon. Heureusement, le Louvre présente la beauté éternelle : les marbres antiques de la collection Torlonia. Un rêve de pierre dans lequel les corps ont leur langage.


Nous les voyons trôner sur les marches de l’Assemblée nationale depuis le mois d’avril, derrière les statues de Sully, L’Hospital, d’Aguesseau et Colbert, célèbres serviteurs de l’État. Les six « Vénus de Milo » en résine polyuréthane flashy du plasticien Laurent Perbos réinterprétées en athlètes olympiques et paralympiques, et munies, pour l’occasion, d’une planche de surf, d’un ballon de basket, d’une raquette de tennis, d’un javelot, de gants de boxe et d’un arc, resteront devant le péristyle néoclassique du palais Bourbon jusqu’au 22 septembre. Cette installation éphémère, joliment intitulée « La Beauté et le Geste », célèbre le sport féminin, l’empathie et les luttes arc-en-ciel dans un lieu où la Sagesse et la Justice, représentées par les statues d’Athéna et de Thémis, s’effacent devant l’Amour de la non-discrimination, divinité moderne du moment, ni vraiment sage, ni vraiment juste.

Six statuettes de la Vénus de Milo sont exposées devant l’Assemblée nationale à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. AP Photo/Christophe Ena/SIPA

C’est également tout près de l’Assemblée nationale qu’on a pu voir émerger de la Seine, lors de la séquence « sororité » de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, d’autres statues, dorées cette fois : dix « femmes en or » choisies pour leur engagement féministe, de la très médiévale Christine de Pizan (1364-1431) à la très médiatique Gisèle Halimi (1927-2020) en passant fort heureusement par Simone Veil (1927-2017) qu’il est en effet plus décent de voir statufiée, même en résine dorée, que placée face à la députée Mathilde Panot en un photomontage LFIste digne des pires obscénités iconographiques de l’histoire. La statue de Paulette Nardal (1896-1985), présentée comme la première femme noire à étudier à la Sorbonne, rassurera ceux qui douteraient encore de notre capacité à amalgamer la question noire américaine et l’histoire de la négritude francophone. Quant à la statue de Simone de Beauvoir (1908-1986), elle amusera ceux qui connaissent les doux noms d’oiselles dont l’auteur du Deuxième Sexe affublait copieusement ses contemporaines, à commencer par « la femme laide », alias la romancière Violette Leduc, ainsi que toutes ces petites cruches d’étudiantes avec qui elle couchait en toute sororité.

Quittez le Palais Bourbon et allez plutôt au Louvre

C’est au musée du Louvre que l’on pourra admirer des sculptures qui, elles, mériteraient d’être intitulées « La Beauté et le Geste ». Depuis peu accessibles au public (2020) et pour la première fois hors d’Italie (jusqu’au 11 novembre), 90 des 620 chefs-d’œuvre de la plus grande collection privée de sculptures antiques romaines constituée par la famille princière Torlonia, au XIXe siècle, ont pris place dans les appartements d’été de la reine d’Autriche. Marbre blanc, blanc jaune, gris sombre, marbre italique, grec, asiatique, marbre pentélique, de Carrare, de Paros, de Thassos ou de Luni, marbre à veines bleuâtres, grisâtres ou noires, marbre à grain cristallin fin ou moyen : l’émerveillement commence par des mots qui font rêver. Ces épidermes de roche ont des veines, un grain et des nuances de teintes. La beauté est, plus que jamais, ce « rêve de pierre » dont parle Charles Baudelaire. Nous ne sommes plus au temps des impressions 3D en résine polyuréthane, mais entre 200 ans avant et après Jésus-Christ, sous la République et l’Empire romain. Certaines têtes de la collection, provenant de statues mutilées ou tombées de leurs piédestaux, n’appartiennent pas aux bustes sur lesquels elles ont été montées, bustes antiques acéphales issus de fouilles ou bustes modernes réalisés à l’ancienne. Telle partie du corps ou du vêtement n’est pas d’origine et a été restaurée, au fil du temps et au fil des goûts.

Peu importe. Dans les marbres Torlonia, la beauté est partout. Idéale, chez Auguste (27-20 av. J.-C.), pénétrante chez Hadrien (130 apr. J.-C.), délicate chez Aphrodite au bain (entre 27 av. J.-C. et 68 apr. J.-C.), paisiblement radieuse chez Hygie (v. 160 apr. J.-C.), livrée aux assauts du temps chez le vieillard dit d’Otricoli (Ier siècle av. J.-C.), la beauté antique réside aussi dans ce que Bernard Holtzmann nomme « la rhétorique du corps ». Tête tournée vers la jambe d’appui, hanchement (déséquilibre du bassin), jambe libre ne reposant que sur les doigts du pied, mains aériennes : les corps de pierre ont un langage. Arraché à l’inertie de la roche, le geste de marbre a des légèretés de plume. « La Beauté et le Geste », c’est Hermès dénouant sa sandale, une nymphe ajustant la sienne, l’athlète pancratiaste attachant, avant le pugilat, ce qu’on imagine être un bonnet de protection, Aphrodite accroupie cachant du bras droit sa poitrine, les doigts de sa main gauche n’effleurant qu’à peine l’une de ses cuisses. Mais le plus beau geste de l’exposition reste cette poignée de main solennelle qui scelle l’amour de deux époux et leur attachement par-delà la mort, dans un groupe statuaire destiné à décorer un monument funéraire. L’époux protecteur prend sa femme par l’épaule et la retient dans une caresse de pierre qui ne voit se soulever ni la paume, ni les doigts de la main gauche. Les regards, comme les mains, sont restés enlacés. Le sentiment est sculpté dans le marbre. On est décidément loin, très loin du palais Bourbon, avec ses poignées de mains parlementaires refusées et ses chifoumis régressifs. Chaque époque a les statues et les gestes qu’elle mérite.

Culte de la vulnérabilité

La nôtre, hostile à l’idée de grandeur et de verticalité lorsqu’il s’agit des grands hommes (on ne dit plus « érection d’une statue », antivirilisme sémantique oblige), exige qu’on s’enthousiasme pour les dix « femmes en or » des Olympiades parisiennes, ces formes raides et inexpressives qui rappellent les moulages en plâtre pour enfants et leur kit de figurines en silicone. Notre époque, encore, heureuse de répéter à l’envi que les statues de l’Antiquité étaient polychromes et non pas blanches (on fait feu de tout bois), sait que personne ne viendra taguer les Vénus inclusives de Laurent Perbos au palais Bourbon.

« Négrophobie d’État » fut une politesse adressée à la statue de Colbert, en 2020 ; personne n’aurait l’idée saugrenue de taguer « Art officiel d’État » sur une statue vert poubelle en impression 3D. Notre époque, enfin, partie à l’assaut d’un curieux idéal, celui de la fragilité, voit dans la sculpture le miroir rêvé de nos imperfections confortables. Vulnérabilité, « lâcher-prise » : les corps en ronde-bosse s’affaissent, comme chez l’Hélène de Hans Op de Beeck (2023), et les artistes contemporains poursuivent sans mollir leur quête de fragilité, entre « matériaux non autoritaires » (sic), hybridations systématiques (corps-arbre, corps-jouets d’enfants, corps-câbles internet) et transport d’œuvres dans les montagnes suisses pour interagir avec la nature avant présentation au public. Cette quête est à l’honneur à la Fondation Villa Datris de L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), où l’on retrouve, en petit format, les Vénus de l’Assemblée nationale.

Loin de la notion de grandeur évaluée selon la teneur en chromosome XX, loin, également, de l’ode déprimante au « lâcher-prise » et au culte de la vulnérabilité, il y a eu cette formidable anomalie des Jeux olympiques qui s’annonçaient pourtant comme le jubilé de toutes les bien-pensances internationales. Des sportifs – hommes et femmes – aux corps sculpturaux, aux gestes beaux et précis, des œuvres d’art tout droit sorties d’une collection d’antiques, mais aussi des tempéraments en acier trempé, portés à la persévérance et au dépassement de soi dans un environnement de règles draconiennes, sont venus du monde entier nous parler d’autre chose que de bienveillance, d’empathie, de vulnérabilité désirable et de rédemption par le burn-out. Exit la sculpture contemporaine et son « questionnement » de la performance, du type Nageuse au repos de Guillaume Leblon (2013-2022), Grande Danseuse d’Antoine Renard (2022) ou 501 kg de Laurent Perbos (2024). Valides ou handicapés, portant haut les couleurs de l’estime de soi, combatifs, concentrés, patients et courageux, les sportifs que l’on a vus cet été nous ont offert la preuve la plus éclatante du fourvoiement à jouer, dès l’enfance et dès l’école, le jeu truqué de l’aide à grandir dans la dignité, sorte d’euthanasie homéopathique de tous les instants. Sanctionnés au judo pour un manque de combativité, à la gymnastique pour quelques centimètres hors du tapis, à l’athlétisme pour un faux départ, à la natation pour une coulée excédant les 15 mètres, ces athlètes ont jeté le discrédit sur tout notre système culturel et éducatif, démesurément laxiste et injustement compassionnel, qui veut faire croire que l’on est tous formidables à quelques nuances près, que l’autre n’est jamais un adversaire, que l’appréciation d’un travail est d’abord subjective donc injuste, et que toute notation doit être rendue par voie informatique, de peur d’accentuer la déception des uns et la fierté des autres.

À ces athlètes qui ont fait le lien entre la collection Torlonia et nous, on devrait décerner des médailles de marbre. Voyons cette année si l’héritage des Jeux incite le monde éducatif et culturel à les imiter.


À voir
« Chefs-d’œuvre de la collection Torlonia », musée du Louvre, jusqu’au 11 novembre.

Ou pas…
« La Beauté et le Geste », Assemblée nationale, jusqu’au 22 septembre.
« Faire corps », Fondation Villa Datris, L’Isle-sur-la-Sorgue, jusqu’au 3 novembre.

Le limier du style

Quels sont les secrets des grands écrivains ? Pierre Assouline nous dit tout sur le maniement de la plume…


Qui n’a pas rêvé de connaître les secrets de ses auteurs préférés ? C’est ce que nous propose le biographe et romancier Pierre Assouline dans son dernier ouvrage au titre explicite Comment écrire. Trois cents pages dans lesquelles le juré du prix Goncourt lève le voile sur les procédés des plus grands auteurs français et étrangers. Une mine pour tout aspirant écrivain. Un régal pour tout lecteur averti.

Qu’on ne s’y méprenne pas pour autant, « ce livre ne vous rendra pas écrivain. Et un enseignement pas davantage. L’un et l’autre vous aideront seulement à écrire si vous avez en vous le désir, la capacité, la disposition, le coup de menton nécessaires. Car on ne naît pas écrivain : on le devient. » La chose est loin d’être aisée. De la première à la dernière phrase nombreux sont les problèmes auxquels s’expose celui qui prend la plume. Le plan, par exemple. En faire ou ne pas en faire ? Virginia Woolf s’en disait incapable quand Racine ne jurait que par lui. Le point de vue. Je ou il/elle ? « Telle est la question. Un écrivain peut tourner autour pendant des mois sans se décider alors qu’il possède tout le reste. » Annie Ernaux, elle, a opté pour le « je collectif ».

Le style ? Pierre Assouline est catégorique. « Un style, c’est une voix. » Pour preuve Marguerite Duras, reconnaissable entre mille. Quant au meilleur conseil, il nous est donné par Oscar Wilde : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris. »

Pierre Assouline, Comment écrire, Albin Michel, 2024. 336 pages.

L’étoile des amants

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Le 24 mars 2000, Bernard Pivot réunit Philippe Sollers et Dominique Rolin dans « Bouillon de culture ». Elle publie Journal amoureux ; lui Passion fixe. Pivot va les piéger en révélant en direct que le Jim du livre de Dominique Rolin est en réalité Sollers…


Dominique Rolin est décontenancée, elle a le souffle coupé. Sollers sourit, agite sa main baguée, continue la conversation. Il en a vu d’autres.
Au fond, Dominique Rolin n’est pas mécontente que son histoire d’amour commencée en 1958 soit enfin révélée. Sollers, moins. Une partie de son cloisonnement a volé en éclats. Il va lui falloir apaiser la colère de Julia Kristeva, son épouse depuis le 2 août 1967.
Stéphane Barsacq a bien connu Dominique Rolin et Philippe Sollers, mais à des époques différentes. Ils ont fini par être inséparables à trois, mais jamais en même temps. Il a décidé de les réunir dans un très beau livre, émouvant et pudique, en deux parties. La première est consacrée à Dominique Rolin ; elle se présente sous la forme de journal et retrace ses échanges amicaux avec celle qu’il appelle par son prénom. La deuxième évoque, en écho, le « compagnon majeur » de sa vie, Philippe Sollers, avec qui il était intimement lié, au point que l’auteur du prophétique Femmes lui a dédié son livre Illuminations, en 2003.
Ce témoignage est très important pour connaitre « de l’intérieur » à la fois Sollers, Rolin et le couple atypique qu’ils formaient. Il faut beaucoup d’amour pour tenir tête à la société. Comme l’écrit Sollers, dans Passion fixe : « C’est contre les crimes d’amour que se font tous les crimes. Facile à vérifier, pourtant personne ne le dit ».
En 1958, Dominique Rolin est veuve, a une fille, écrit des romans ; elle a 45 ans, lui 22. Coup de foudre réciproque. Il y aura ensemble la découverte de Venise, le partage de l’écriture pratiquée séparément, la musique, la mort de Dominique, puis la solitude de Sollers brisé. Stéphane Barsacq, témoin privilégié, raconte tout ça. C’est daté, précis, inoubliable dans le soleil couchant embrasant les Zattere ou les toits du musée d’Orsay. Barsacq cite un extrait du poème de Shakespeare, un des rares « voyageurs du temps » sélectionnés par Sollers, sur deux oiseaux morts : « La mort est maintenant le nid du phénix ; et le sein loyal de la colombe repose sur l’éternité. / Ils n’ont pas laissé de postérité, et ce n’était pas chez eux infirmité. » Privilège de l’écrivain que d’entrer dans ce que Malraux nomme le monde de la création de l’homme ; monde qui regarde la mort en face et lui échappe.

A lire aussi, Jonathan Siksou: Rentrée littéraire: le bel avenir du passé

Dans la première partie, on apprend que Dominique Rolin avait pour premiers maîtres Jean Cocteau et Max Jacob, qu’elle avait rencontré Robert Desnos, qu’elle fut la maîtresse de Robert Denoël, l’éditeur de Céline, qu’elle fut courtisée par Maurice Blanchot et Julien Gracq – colère de Sollers quand il l’apprit. Dans son journal, daté du 19 mars 2002, Barsacq note : « Dominique au téléphone : ‘’J’ai eu le prix France Culture. Et je m’en fous ! Si tu savais comme je m’en fous !’’ » Liberté d’allure et de ton.
Vient ensuite la partie consacrée à Sollers. Lue avec un pincement au cœur, je l’avoue. Incroyable Sollers, toujours en mouvement, regardant droit devant, détestant le passé. Il revit grâce à Barsacq qui retranscrit fidèlement quelques savoureux dialogues. J’entends sa voix, son rire communicatif qui surgit entre deux volutes de Camel. Extrait : « Je défends une place forte, mais il n’y a plus personne. L’important est qu’on croit que je suis à la tête d’une armée. » Et ceci : « Si je proclamais que j’ai tout raté, ce serait le triomphe ! Mais, Stéphane, vous m’entendez, jamais, je ne leur ferai ce plaisir ! Non, cela, jamais ! »
C’est souvent ironique, parfois mordant, jamais méchant. Sollers était bien au-delà des querelles dignes d’un roman de Pagnol. Il avançait, et sa foulée n’était pas celle de son époque, encore moins de la France moisie qui refuse d’ouvrir les placards de la honte. Encore un extrait : « Mon cher Stéphane, vous revenez de votre île, moi aussi. Allons ensemble dans la vallée du mensonge. Avec joie. Avec gaieté. »
Nous y sommes, la guerre du goût fait rage, la victoire n’a jamais été aussi incertaine, mais l’étoile des amants nous guide.

Stéphane Barsacq, Dominique suivi de Épectases de Sollers, Éditions le clos jouve. 116 pages.

Vous reprendrez bien un peu de Pagnol!

Notre chroniqueur du dimanche revient sur l’œuvre du génie provençal et son rapport avec la critique


Le monde littéraire vit au rythme des anniversaires. Il ne conçoit le marché des livres que par le prisme de l’éphéméride. Chaque année, l’écrivain élu des commémorations, bien mort, bien fossilisé, bien lambrissé dans les bibliothèques, a droit à son mausolée éphémère de papier. Sa renaissance durera le temps d’une quinzaine commerciale avec tracts, documentaires télé et « goodies ». Biographes et magazines se jetteront sur sa dépouille avec volupté pour l’oublier dans la foulée.

La littérature française, gloire de nos pères…

Si en France, nous n’avons pas de pétrole, nous avons eu par le passé des auteurs de premier plan, c’est-à-dire lus et traduits par millions d’exemplaires. Notre gloire nationale repose, en partie, sur ces vieux tuteurs-là qui ont façonné notre instruction publique et l’imaginaire des classes laborieuses. L’année dernière, Molière et Colette ont fait la Une des journaux ; cette année 2024, Ronsard tient la corde en septembre et le soufflé Pagnol du printemps est déjà retombé dans l’oubli. En avril, pour célébrer les cinquante ans de sa disparition, nous sommes retournés à la source du génie provençal, nous avons refait collectivement le chemin du petit Marcel d’Aubagne à Marseille, de l’Université d’Aix au lycée Condorcet, de la création de Topaze à l’élection à l’Académie française, du professeur adjoint à Tarascon à l’homme d’affaires, notre Disney à l’huile d’olive.

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Chaque Français en âge de lire a feuilleté cet album de famille, il y avait là, Joseph l’instituteur, Augustine la couturière, René, « le petit frère », la revue Fortunio qui deviendra Les Cahiers du Sud, l’inénarrable Raimu, le chevalin Fernandel, la belle Jacqueline Bouvier, et toute la lyre, Marius, César, Manon et les autres… Pagnol, c’est le souffle de l’enfance qui vient décoiffer les esprits les plus engoncés, les plus hermétiques à la nostalgie d’un folklore à fleur d’humanités. On peut tenter de repousser cet élan-là, par intellectualisme faisandé ou pour se distinguer en société. Et puis, emporté par sa prose populeuse, par sa fantaisie si réelle, par la cohorte de ses personnages antiques, par l’attrait du drame bistrotier et de l’esclandre villageoise, on y cède, on s’y prélasse même au soleil noir du midi. Nous sommes enfin chez nous, que l’on soit né au nord de la Loire ou à la Pointe du Corsen. Marcel Achard, le Lyonnais aux lunettes à double foyer, le camarade des vaches maigres, bicorné lui aussi du Quai de Conti, fut terrassé ce 18 avril 1974, à neuf heures du matin, quand il apprit la mort de Marcel au 16, square du Bois de Boulogne : « Ce que je sais, ce que j’affirme et ce que je veux que l’on sache, c’est que Pagnol avait du génie ! Un génie bon-garçon, familier, sans pose. […] Ce grand homme – car c’en était un et on va bientôt s’en apercevoir – va désormais manquer à toutes mes joies et à toutes mes détresses. Que peut-on apprendre à oublier ! ». Pagnol a fait de Marseille, le foyer brûlant de son œuvre, alors qu’il n’y prêtait guère attention dans sa jeunesse. Selon le bon mot d’Yvan Audouard, « En somme, il tomba amoureux à retardement ». Car, Marcel n’a d’yeux que pour les succès parisiens et les palmes académiques. « A Marseille, il vivait en pensée dans la capitale. À Paris, il s’évade en imaginant vers ce Marseille qu’il avait aimé sans le savoir… […] Tous les exilés vous le diront : l’éloignement réveille leur patriotisme et pare des plus belles couleurs le pays qu’on a quitté (même si on l’a quitté avec allégresse) » écrit-il dans Audouard raconte Pagnol paru en 1973.

Disparition de la critique littéraire…

Il n’y a pas de saison pour parler de Pagnol, cette rentrée littéraire est même le moment opportun pour rappeler les liens qu’entretenait l’auteur avec la critique (dramatique). Entre 1944 et 1948, il composa Critique des critiques, une manière pour lui de rééquilibrer le débat et de se poser en arbitre : « La profession de critique est certainement l’une des plus anciennes : de tous les temps, il y eut des gens incapables d’agir ou de créer, qui se donnèrent pour tâche, et le plus sérieusement du monde, de juger les actions et les œuvres des autres ».

A lire aussi, du même auteur: Marie-Blanche de Polignac: si «fragile» et si magnétique

Le ton est donné, il oscille entre le rosse et le justicier. Il s’énerve sur le cas Rostand, que certains plumitifs osèrent qualifier de « poésie de pacotille », de « fantoches » et « d’artifices ». Pagnol sort son glaive vengeur : « Malgré les esthètes et les ratés, les héros du poète vivront éternellement dans la mémoire et le cœur des vrais hommes et des vraies femmes, et personne, absolument, n’y peut rien ». Il se rappelle également que les premiers ouvrages de Simenon furent hués, il rétablit la vérité : « Le monde entier sait que la littérature française possède maintenant un très grand écrivain, et qui pourrait s’asseoir à la table entre Balzac et Maupassant ». Ce temps de la critique reine, faiseuse d’anges, semble bien éloigné de notre actualité. Nous vivons une époque où la critique (littéraire) n’existe quasiment plus et n’influe qu’à la marge sur le succès ou l’insuccès d’un roman. Doit-on s’en réjouir ou s’en plaindre ?


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Absence pontificale

Hier, à bord de l’avion qui le ramenait à Rome au terme de son périple en Asie, le pape a annoncé qu’il « n’irait pas à Paris » en décembre.


Ainsi, le pape François n’honorera pas de sa présence l’office solennel programmé pour la réouverture – la résurrection, devrais-je dire – de Notre-Dame de Paris, en décembre prochain. Pour l’heure, il ne donne aucune justification de cette absence qui, tout de même, a de quoi surprendre. N’osant imaginer que la cause en soit qu’il ait piscine ce jour-là, nous nous voyons contraints de chercher ailleurs le motif. Il semblerait bien que la France, notre France, celle qu’on dit être « la fille aînée de l’Église » n’ait pas l’heur de susciter l’enthousiasme de Sa Sainteté. On se souvient que lorsqu’elle était venue à Marseille, voilà quelques mois, elle avait cru judicieux de préciser que ce n’était pas en France qu’elle se rendait. Offense, certes, mais offense que les fidèles d’ici auront bien voulu pardonner, ainsi que cela est prescrit dans le Notre Père. Sans doute doivent-ils se préparer dès à présent à pardonner aussi le faux-bond de Notre Dame…

Notre Dame de Paris, fleuron majeur du christianisme occidental, se relève donc de ses centres et renaît à la vie. Or, peut-être est-ce bien là qu’il faut chercher la véritable raison du peu d’empressement que le pape montre à conférer à cette résurrection l’éclat, la solennité, le retentissement qu’elle mérite. En fait, il me semble que François, Jésuite argentin, s’affirmant tiers-mondiste depuis toujours, n’est pas, en général, un grand fan de l’Occident. Ses discours, ses sermons, ses prêches de par le monde, comme ces jours derniers à l’autre bout de la planète, regorgent d’exemples, d’indices, de marques de prévention. À l’évidence, son regard de chef spirituel se porte moins sur le foyer occidental de la foi que sur ses excroissances – justement – tiers-mondistes. Ce serait donc plutôt ailleurs qu’ici qu’il envisagerait l’avenir d’un christianisme dont nous autres ne serions que le vestige plus ou moins honteux, la rémanence historiquement condamnée d’une domination spirituelle gauchie de colonialisme.

Notre Dame ne représenterait ainsi, dans l’esprit du souverain pontife, que l’arrogant symbole d’un passé, non pas de ferveur exaltée, mais sournoisement  « suprématiste » ?

Est-ce que François – rejoignant en cela la conception politique d’un certain Mélenchon (connivence moins étrange qu’on pourrait le penser) – ne considérerait pas que sa mission cardinale, et à travers la sienne celle de l’Église de Rome, consisterait désormais à œuvrer pour une « créolisation » du christianisme ? On comprendrait mieux dès lors la défection de décembre. Une défection que, toute révérence gardée et en l’absence – pour l’instant- de toute justification convaincante, je m’autorise à regarder comme un camouflet.

Parano persane

L’action des graines du figuier sauvage, le film choc iranien de Mohammad Rassoulof, se déroule en pleine affaire Mahsa Amini.


« Pendant longtemps, j’ai vécu sur une île au sud de l’Iran. Sur cette île, il y a quelques vieux figuiers sauvages dont le nom scientifique est « ficus religiosa ». Le cycle de vie de cet arbre m’a inspiré. Ses graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle. » Voilà comment Mohammad Rassoulof explique le titre énigmatique de son dernier long métrage, Les graines du figuier sauvage.  

Femme, vie, liberté 

La métaphore s’éclaire vite. Iman, enquêteur de police tout juste promu juge d’instruction au sein du bienveillant appareil judiciaire de la République islamique d’Iran, partage à Téhéran, avec son épouse Najmeh et ses deux filles étudiantes Rezvan et Sana, un logis à l’ameublement confortable, ce qui désigne leur foyer comme appartenant à la classe « moyenne supérieure » de la société perse, si délicatement régentée par les mollahs.

A lire aussi: Les intentions sont pures, mais…

Si Iman se trouve du côté du manche, il bosse pourtant dans une capitale en ébullition : suite à la mort en garde à vue de Mahsa Amini, simplement arrêtée, on s’en souvient, pour s’être opposée au port obligatoire du voile, la jeunesse se soulève contre la dictature théocratique, à l’enseigne du slogan « Femme, vie, liberté ». Filmée par les smartphones, la répression aveugle qui s’abat sur les passants contraste avec l’image qu’en donne la télévision d’Etat, dans le poste perpétuellement allumé devant la table de salle à manger. Najmeh, femme d’ordre et bonne épouse musulmane, tâche de maintenir tant bien que mal la concorde au sein de la famille, clairement divisée par les événements : les filles ne sont pas dupes ; les réseaux sociaux diffusent sur leurs smartphones ces images des exactions que les parents refusent de voir.

© Pyramide

Révolver caché dans la commode

Dans ce contexte, la sécurité des magistrats laisse à désirer : s’ils rechignent souvent à appliquer les peines d’exécutions que les barbus exigent d’eux par milliers, leur visage n’en circule pas moins sur la Toile, cible désignée des opposants ; il vaut mieux être armé, même à son domicile : Iman planque donc dans la commode le revolver que sa hiérarchie lui a confié, au cas où. Un jour, il cherche l’arme : elle a disparu, tandis qu’à son insu ses propres filles ont hébergé pour la nuit une copine en fuite, blessée dans la manif. Si sa hiérarchie apprend la disparition de l’arme, non seulement la carrière du procureur est foutue, mais il risque trois ans de taule. Prise en étau entre son mari et sa progéniture, Najmeh tente en vain de calmer le jeu.  Car la paranoïa s’empare du sbire – miroir de celle du régime lui-même – au point qu’il oblige bientôt les siens à se prêter à un interrogatoire auprès d’un inquisiteur patenté (la séquence fait froid dans le dos). Au fil des conciliabules et tensions qui agitent le microcosme familial (les dialogues ciselés en rendent compte avec un art consommé) la situation, inexorablement, se détériore. Jusqu’au stade où le géniteur suspicieux va jusqu’à séquestrer ses propres enfants pour leur arracher la vérité. Remarquable est, dans Les graines du figuier sauvage, la figure ambigüe de Najemeh, la femme du monstre en puissance qu’est Iman : elle incarne cette posture instable où l’a placée, malgré elle et à ses dépens, la dictature archaïque dont son mari est le suppôt. Presque onirique, le dénouement prendra pour décor le labyrinthe d’une cité perdue où le cacique a forcé les siens à le suivre…  

A lire aussi: « Houris », de Kamel Daoud: le grand roman de la «décennie noire» (1990-2000)

Le cinéma indépendant iranien (cf. Un héros, d’Asghar Farhadi, Les ombres persanes, de Mani Haghighi, ou encore les deux films précédents du même Mohammad Rassoulof, Le Diable n’existe pas, et son chef-d’œuvre, Un homme intègre) s’invente clandestinement, courageusement, presque miraculeusement contre le pouvoir en place, bien entendu sans autorisation officielle. Il prend appui, le plus souvent, sur un scénario implacable qui met aux prises les personnages avec la réalité kafkaïenne de la tyrannie théocratique, immiscée dans le moindre recoin de leur vie privée.  

Condamné en appel à huit ans de prison pour « collusion contre la sécurité nationale », Mohammad Rassoulof a réussi à fuir l’Iran à temps pour présenter son film à Cannes, dont le jury l’a récompensé à juste titre de son Prix spécial. À Rassoulof, l’Allemagne a accordé l’asile politique ; il vit désormais en exil. Demeurés au paradis persan, l’équipe et les comédiens, mais aussi leurs familles, ne s’y sentent pas tout à fait en sécurité…


Les graines du figuier sauvage. Film de Mohammad Rassoulof. Allemagne, France, Iran, couleur, 2024. Durée : 2h46. En salles le 18 septembre.

Peter Stamm: les obsessions d’une jeune cinéaste

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Comment saisir toute la vérité d’un écrivain dont on veut faire le portrait dans un documentaire, quand il refuse de livrer ses secrets ?


La trame de L’Heure bleue de Peter Stamm est assez simple : une jeune cinéaste, Andrea, convoque un romancier sur les lieux de son existence, pour faire de lui un portrait plus ou moins fidèle. Il s’appelle Wechsler et son œuvre est derrière lui, mais il n’a rien perdu de son aura, du moins aux yeux d’Andrea, qui ne peut s’empêcher d’être littéralement obnubilée par lui. Cette fascination, comme elle le verra, n’est pas la garantie d’un film documentaire réussi. De plus, Wechsler finit par se montrer rétif au projet, à partir du moment où il comprend qu’il va se dévoiler dangereusement. Alors, il joue les absents, les grands silencieux, attitude qu’adoptent parfois les écrivains qui estiment avoir tout dit dans leurs livres.

Un flux incoercible

Peter Stamm a habilement choisi Andrea pour narratrice de cette histoire. À défaut d’un film, il y aura au moins un livre, sorte de journal intime dans lequel elle parlera de Wechsler. Andrea a, malgré tout, réussi à rencontrer Wechsler à diverses reprises, et a pu recueillir de lui divers apophtegmes, aussi définitifs que désespérés. Comme si l’écrivain voulait persuader à toute force Andrea de choisir un autre sujet : « Je crois, disait Wechsler, comme l’écrit Andrea, que j’ai imaginé que ce film allait me faire découvrir des choses sur moi-même par votre regard sur moi. Mais c’est absurde. » Parfois, ses propos sont plus radicaux encore : « En une heure vous prétendez obtenir quelque chose d’une personne ? dit-il. De toute ma vie je n’y suis jamais arrivé. » Les propos de Wechsler sont désabusés, remplis d’amertume aussi. Cela n’empêche pas Andrea de grappiller tout ce que Wechsler lui confie. Tout ce qui a trait à l’écrivain, sa vie, son œuvre, revient en elle comme un flux « incoercible », pour utiliser un terme propre aux manuels de psychiatrie. Elle rêve de lui, à défaut de pouvoir le filmer : « Wechsler s’approche par derrière, me prend par la taille. C’était un très beau rêve et j’étais merveilleusement heureuse. »

Les paroles ultimes

À lire avec attention de nombreux passages, on se demande si ce personnage de Wechsler n’est pas, pour Peter Stamm, une sorte de double fictionnel un peu fantasmé. Se décrit-il, à travers Wechsler, de manière peut-être trop belle ? Peter Stamm essaie d’éviter ce piège, sans toujours y parvenir. Quand, par exemple, Wechsler meurt à l’improviste, au milieu du roman, c’est pour mieux continuer à vivre dans la mémoire des autres protagonistes, qui n’ont de cesse d’évoquer entre eux le souvenir du grand homme. Le clou de cette longue cérémonie des adieux intervient lorsque Peter Stamm n’hésite pas à mettre dans la bouche de Wechsler quelques inoubliables mots de la fin, juste avant son trépas. Ce sont ces paroles ultimes, a-t-on l’impression, que Peter Stamm aimerait lui-même lâcher, au moment fatal. Ainsi, il fait dire à son écrivain en manque d’inspiration : « J’ai suffisamment écrit. Des dernières paroles ? Si je devais mourir maintenant, je dirais : C’est tout ? Et : Je n’ai pas vraiment tout compris. Et : C’était un peu bruyant. »

Un cri sans écho

Ce qui m’a également intrigué, dans L’Heure bleue, c’est la proximité, plus ou moins appuyée, avec un autre livre, que j’ai lu récemment : Oh, Canada, de l’écrivain américain Russell Banks. Ce dernier y racontait l’agonie, non d’un écrivain, mais d’un cinéaste, qu’une équipe de télévision vient visiter, alors qu’il va bientôt rendre l’âme. Ses dernières paroles, là aussi, seront dûment enregistrées, comme un bilan de sa vie, un testament-confession lancé à ses proches, et sans doute au public. Le roman de Russell Banks est certes d’une plus grande ampleur que celui, plus allusif, de Peter Stamm. Mais, chez chacun, s’exprime un long cri de désespoir, forcément sans écho, dans le désert spirituel actuel. Je pense que Russell Banks a opté pour une forme plus classique, alors que Peter Stamm s’inscrit davantage dans le postmoderne (« La mort ne signifie rien », écrit-il, phrase typique). Tous les deux offrent des formes complémentaires, pourrait-on dire, pour une conclusion similaire.


Un personnage féminin central

Avec cela, l’un des points forts de L’Heure bleue reste sans conteste la manière dont Peter Stamm se glisse dans le personnage de la jeune Andrea, pour le rendre vivant et touchant, malgré tous ses manques. L’échec de son projet sur Wechsler met la cinéaste dans une situation difficile. Il lui faut trouver un travail alimentaire, qu’elle décrit de manière sarcastique, ne s’y adaptant pas du tout. Au fond, malgré ses très nombreuses aventures amoureuses, elle est malheureuse. Surtout, elle s’ennuie : « Je m’ennuie avec moi-même », avoue-t-elle. Elle ajoute : « j’ai l’impression de me réveiller du néant, comme si toute ma vie jusque-là n’avait été qu’un rêve qui se dissout dans la lumière trouble du jour ». Dans toutes ces pages sur Andrea, Peter Stamm excelle à peindre un désœuvrement malheureux. L’Heure bleue redevient alors le roman du vide et de la détresse.

Il incombe à un personnage secondaire d’apporter quelque espoir salvateur à Andrea. Il s’agit de Judith, femme de foi (elle est pasteure), qui fut la maîtresse de Wechsler. Andrea s’est rapprochée d’elle peu à peu, par affinité élective. C’est avec cette femme désormais qu’elle voudrait vivre ‒ et, peut-être, retravailler. La fin ouverte de L’Heure bleue nous laisse sur cette promesse de sérénité retrouvée.

Peter Stamm, L’Heure bleue. Traduit de l’allemand (Suisse) par Pierre Deshusses. Éd. Christian Bourgois.

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Russel Banks, Oh, Canada. Traduit de l’américain par Pierre Furlan. Éd. Actes Sud. Vient de reparaître dans la collection de poche « Babel ». L’adaptation de ce roman au cinéma par Paul Schrader sortira prochainement sur les écrans.

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Le député de la Somme et la politique au faciès

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François Ruffin, qui avait rompu avec Jean-Luc Mélenchon durant les législatives, révèle dans son livre que la stratégie électorale communautariste de LFI ne lui convenait pas. Mieux vaut tard que jamais! Mais, il ne va pas jusqu’à dénoncer la dérive islamo-gauchiste de son ancien parti concernant le conflit israélo-palestinien.


« Clientélisme électoral », « mépris de classe », « campagne au faciès », le livre de François Ruffin, député de la Somme, décrit un parti LFI soumis au culte d’un chef, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne s’empêche pas beaucoup, ne se tient guère et se contrôle à peine. 
Pourtant, si le portrait de Jean-Luc Mélenchon correspond à ce que l’homme montre de lui-même et le décrit en autocrate vain et méprisant, il évite cependant le sujet le plus important : cet homme a ôté toute consistance morale à la gauche. Il est son déshonneur. Il a libéré l’antisémitisme en tant que force politique et puissance mobilisatrice. Depuis Hitler pourtant, on croyait l’Europe protégée de ce type de dérive. Depuis Jean-Luc Mélenchon, en France, je n’en suis plus si sûre.

Nouvelle France

Dans Itinéraire, ma France en entier, pas à moitié, François Ruffin raconte des tracts conçus en fonction du faciès de la clientèle visée. Un tract avec le visuel de Mélenchon dans les quartiers dits difficiles où est regroupée la population arabo-musulmane notamment, et un autre type de tracts pour les « Blancs » et les habitants du monde rural. Derrière cette anecdote, il y a surtout l’histoire d’un leader politique qui fait une distinction entre un peuple ancien à délaisser, les classes populaires et les habitants de la ruralité, et un peuple nouveau à investir : celui issu des quartiers. 

A lire aussi: Sophia Chikirou, le « martyr » du Hamas et la chute de la maison Mélenchon

Le député de la Somme révèle ainsi avoir eu « honte » d’avoir mené une « campagne au faciès » lors des dernières législatives, distribuant des tracts à l’effigie de Jean-Luc Mélenchon aux « Noirs et aux Arabes » d’Amiens-Nord, mais pas aux « Blancs ». Pourquoi ? Parce que Jean-Luc Mélenchon pense que ces deux peuples ont des identités peu compatibles et qu’il faut choisir son camp. Le problème est que dans les quartiers existe déjà une force constituée : l’islam dans sa version politique. Cibler cette clientèle, surtout en investissant les jeunes, c’est miser sur les plus radicalisés, ceux qui font passer l’islam avant les lois de la République. C’est ce choix-là que Jean-Luc Mélenchon a fait en conscience. 
Mais cette analyse-là n’est pas faite jusqu’au bout par ses opposants, car tout le clientélisme de la gauche, y compris non LFI, est bâti sur cette logique-là. Pourquoi croyez-vous qu’EELV a invité Médine à ses journées d’été ? Pourquoi croyez-vous qu’Olivier Faure préfère sacrifier le bon score de Raphaël Glucksmann pour préserver son lien de soumission au leader Insoumis ? Parce que dans nombre des derniers bastions qui leur reste, c’est le clientélisme islamiste ou communautariste qui leur permet de garder leur fief, et ce clientélisme-là est entre les mains de LFI.

Marine Tondelier débattait avec le rappeur Médine, au Havre en aout 2023, malgré un tweet à connotation antisémite adressé à Rachel Kahn quelques jours plus tôt © ISA HARSIN/SIPA

Militants radicaux outrés contre Ruffin

Sur ces critiques, François Ruffin a été défendu par Fabien Roussel, victime en son temps, comme l’est aujourd’hui le député de la Somme, du fanatisme de nombre de militants LFI, lesquels sont puissants sur les réseaux sociaux. Il faut dire que le dirigeant du PC partage probablement le qualificatif de « repoussoir » attribué par Ruffin à Jean-Luc Mélenchon. Mais que pèse encore réellement le patron du PC aujourd’hui? Si on en croit le programme de la fête de l’Humanité, Houria Bouteldja, dont l’ouvrage raciste et antisémite Les Blancs, les Juifs et nous est pourtant passé crème à gauche, devrait participer à une table ronde sur l’antisémitisme. Cela ne manque pas de piquant, à moins qu’elle ne soit là comme spécimen à étudier… Cela démontre surtout que la gauche républicaine est totalement marginalisée, et qu’aujourd’hui c’est bien la stratégie du leader Insoumis qui l’a emporté. La gauche cornaquée par LFI est islamo-gauchiste. Ce sont les islamistes qui apportent leur projet; la gauche, elle, les légitime et est chargée de passer une fine couche de vernis social sur les couches de haine raciale. On peut s’en indigner, mais en politique, choisir sa clientèle peut permettre l’accès au pouvoir ; c’est ce calcul que fait Mélenchon. Et en soi, il n’est pas illégitime.

Nos sociétés politiques actuelles se sont construites sur le souvenir de la Seconde Guerre mondiale

En revanche, ce qui est profondément illégitime, dangereux et inacceptable, ce n’est rien de tout cela. C’est d’avoir rompu avec le principal acquis de la Seconde Guerre mondiale. En faisant du conflit à Gaza un moyen de faire passer la jeunesse à l’action politique, le leader Insoumis a fait de la haine et particulièrement de la haine des Juifs un outil de constitution d’une force électorale et militante. Cela ne s’était plus vu en Europe depuis… Hitler. Là est la rupture impardonnable. 

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Mais cela ne sera dénoncé par personne à gauche, car tous se sont alliés à LFI en pleine connaissance de cause et cela les a salis à jamais. Aujourd’hui, que ce soit dans le camp de Mélenchon ou dans le clan de Ruffin, les militants de gauche continuent à donner des leçons sur les réseaux, mais ils ont perdu leur magistère moral. 
Il faut dire que cautionner le retour de l’antisémitisme au cœur des sociétés européennes, on l’aurait plutôt attendu de l’extrême-droite. Mais non, grâce à LFI, le privilège de cette infamie revient à la gauche. Le pire est que cette forfaiture a, comme je l’ai expliqué, sa forme de rentabilité. S’il y avait une seule chose à dénoncer, c’était celle-là. Le sujet aura pourtant été évité par tout le monde.

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De l’abbé Pierre, du concile cadavérique et de la damnatio memoriae

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Notre chroniqueur n’a pas peur d’entrer en conflit avec Elisabeth Lévy, la main qui nous nourrit tous. Quand l’une semble comprendre l’exécration universelle qui frappe désormais l’un des hommes les plus aimés de France, l’abbé Pierre, l’autre s’émeut (comme dit la vache) de ces jugements a posteriori qui lui rappellent diverses sentences post mortem de sinistre mémoire. « Peut-on juger un mort ? » demande la patronne. « On peut — ça s’est fait. Et pas qu’une fois », répond notre érudit, friand d’histoires épouvantables.


En janvier 897, le pape Etienne VI convoqua un synode pour juger l’un de ses prédécesseurs, Formose, décédé en avril 896. Il s’agissait de régler une obscure querelle entre factions rivales.
Le corps de Formose est déterré, revêtu de ses habits pontificaux et installé sur un trône. L’ex-pape se voit attribuer un avocat, et un diacre répond aux questions à sa place.
Je vous la fais courte (tous les détails dans Daniel-Rops, Histoire de l’Eglise du Christ II, L’Église des temps barbares, 1950) : l’élection de Formose est dénoncée et annulée, l’ex-évêque de Rome est dépouillé de ses attributs pontificaux, on lui coupe les deux doigts de la main droite avec lesquels il bénissait, on le balance au peuple qui le jette dans le Tibre.
On récupéra plus tard, miraculeusement, le corps desséché, que l’on ramena à Rome. Les statues, dit la légende, s’inclinaient sur son passage, et il fut définitivement inhumé dans la basilique Saint-Pierre.
Jean-Paul Laurens, un peintre de la IIIème République qui avait fait de l’anti-religion son fonds de commerce, en tira un tableau saisissant.
Evidemment, tout cela se passait durant le Saeculum obscurum (le siècle sombre) de la papauté, qui vit se succéder 12 papes en une soixantaine d’années.

Moyen Age, me direz-vous. Âges obscurs…

Au milieu du XVIIe siècle, Olivier Cromwell renversa en Angleterre le roi Charles Ier, et le fit promptement décapiter (30 janvier 1649) à Whitehall. C’était un génie politique et militaire, et il dirigea le pays avec habileté jusqu’à sa mort en 1658. Trois ans plus tard, le fils de Charles Ier, Charles II (d’où le fait que l’actuel roi soit Charles III), fut réinstallé sur le trône, et l’on s’occupa à juger Cromwell de façon posthume : on le déterra, on le pendit dans une cage à Tyburn, on le décapita et l’on planta son crâne sur un poteau. En fait, il fut grossièrement hanged and quartered, le châtiment ordinaire des criminels d’Etat — voir la fin de Braveheart.

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Ce ne sont là que deux exemples de la longue liste des individus célèbres frappés de damnatio memoriae — dont nombre d’empereurs romains, à commencer par Néron. Leur nom disparaissait des actes et des monuments, leur corps était en général jeté dans le Tibre. En Egypte antique, on en avait fait autant avec Hatchepsout ou Akhenaton — entre autres. Dans le palais des doges, à Venise, on peut admirer les portraits de tous les doges — sauf celui de Marino Falieri, qui fut décapité en 1365 et son portrait recouvert de peinture noire.


Suggérons à Caroline De Haas, inlassable avocate des femmes humiliées par des hommes (ou qui a posteriori, si je puis dire, en ont conçu de l’humeur) d’aller à Esteville (Seine-Maritime) déterrer l’abbé Pierre, et de le précipiter à la Seine, qui n’est pas très loin. Qu’elle se dépêche, le centre Emmaüs dédié à la mémoire de l’abbé fondateur va fermer ses portes pour éviter, sans doute, que des harpies vindicatives ne lacèrent le cadavre frappé de damnatio memoriae.
Effacé, le souvenir des enfants juifs planqués par lui en 1942. Oublié, le fait qu’il ait fait passer en Suisse le plus jeune frère de De Gaulle. Gommée, son action dans les maquis du Vercors et de la Chartreuse. Passées sous silence, ses protestations pour sauver les pauvres durant l’hiver 1956.

Et pourquoi cette réécriture de l’Histoire ? Il a eu des tentations très charnelles auxquelles il n’a pas résisté.

Je reste sidéré par le fait qu’une société laïque — la nôtre — persiste à exiger d’un religieux l’obéissance au vœu de chasteté. Et toutes ces bonnes du curé qui au fil des siècles ont enfanté des « filleuls » qui étaient autant de fils de prêtres ? Et les petits garçons que l’abbé Dubois (1656-1723 — « il court il court, le furet » est la contrepèterie la plus illustre de la chanson française) s’obstinait à lutiner, lui qui fut par ailleurs l’un des plus grands ministres des Affaires étrangères français ?…

Post mortem ! Je n’en reviens pas. Nous sommes dans une époque où des dames en quête de notoriété poursuivent de leur vindicte l’homme qu’elles ont aimé. Il a raison, Hugo : « Toute fille de joie en séchant devient prude » — c’est dans Ruy Blas.

Il a forniqué ? Tant mieux pour lui, c’était un homme de chair et pas uniquement un pur esprit. Vous ne voulez que des saint Ambroise et des Vincent de Paul ? Où les trouverez-vous ?
Et moi qui croyais que la France était justement, au contraire de l’Amérique, un pays où la vie sexuelle, même extravertie, n’était pas un péché mortel… Où des présidents de la République rentraient chez bobonne à l’heure du laitier… 

C’est la seconde fois que je m’intéresse à ce que notre modernité fait à l’abbé Pierre et à sa mémoire. Parce que c’est emblématique d’une société où règne à nouveau le puritanisme anglo-saxon le plus rude. Jugeons les gens sur ce qu’ils font, pesons exactement leurs actes, et rendons justice aux morts — c’est bien tout ce qu’on peut leur rendre, malheureusement.

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Antisémitisme : aux grands maux les grands mots

L’attentat contre la synagogue de la Grande-Motte a suscité dans la classe politique les habituelles rodomontades, généralement annonciatrices de renoncements. Certes, la gauche et les macronistes, qui ont pactisé avec LFI et pactiseront encore demain si cela sert leurs intérêts, dénoncent sa responsabilité dans la recrudescence des actes antijuifs. Mais tous refusent avec constance de voir que dans une grande partie de la jeunesse musulmane, l’antisémitisme est devenu tendance.


Pour commencer la saison, j’aurais préféré vous entretenir de ce courriel m’annonçant que septembre est « le mois de la prostate », matière à réflexion sur la rage contemporaine de tout montrer qui se déploie paradoxalement derrière l’étendard de la transparence – paradoxalement, car en théorie ce qui est transparent ne se voit pas. Mais me voilà encore une fois requise par un phénomène aussi récurrent à la une des magazines que la misère de l’hôpital public (ou de l’école, ou de l’armée…) : l’antisémitisme. Que dire encore sur la haine des juifs, qui ne l’ait été d’innombrables fois ? Son transfert de l’extrême droite à une frange significative de la société musulmane, le soutien sans participation de l’extrême gauche, le déni de nos dirigeants, l’alibi palestinien, le silence ou l’euphémisation du Parti des médias, l’entourloupe consistant à sonner le tocsin contre l’extrême droite : tout cela est connu de qui veut connaître.

Bien entendu, nous ne verrons rien

On ne sursaute plus quand Gérald Darmanin indique que les actes antisémites ont augmenté de 200 % depuis le 7-Octobre. On devrait pourtant méditer cette funeste contagion qui fait que, quand un juif est frappé quelque part, cela donne envie à certains d’en frapper d’autres. La plupart des êtres humains, doués d’empathie, s’identifient plus volontiers aux victimes qu’aux tortionnaires. Cette définition simple de l’humanité ne fonctionne plus. Pour pas mal de monde, le pogrom du Hamas a agi comme un encouragement, sinon à molester ou tuer des juifs, à les vomir haut et fort, ceci avant que la première balle israélienne ait été tirée. À cela aussi, on s’habitue.

Après l’attentat (raté) du 24 août contre la synagogue de La Grande-Motte, ce qui enrage presque autant que le crime (par chance sans victime, sinon un policier légèrement blessé), c’est le torrent de mots creux qu’il a déclenché. Ainsi a-t-on pu entendre Gabriel Attal déclarer que « s’attaquer à un juif, c’est s’attaquer à la France » (ou à la République, les deux variantes existent), ritournelle psalmodiée après chaque attentat[1]. Tous ces beaux esprits qui ne peuvent pas se passer des juifs, on en pleurerait.

A lire aussi: Mélenchon n’a rien inventé…

En décembre 1981 après le coup d’État de Jaruzelski en Pologne, notre ministre des Affaires étrangères Claude Cheysson faisait scandale en déclarant « Bien entendu nous ne ferons rien ». Cette sincérité un brin cynique est infiniment plus respectable que les « Nous ne céderons pas » de nos dirigeants, vaines rodomontades qui annoncent rituellement de nouveaux renoncements.

Car bien entendu, nous ne ferons rien. Conformément au théorème de Péguy, avant d’agir, il faudrait nommer et avant de nommer, il faudrait voir. Certes du PS au RN, il y a désormais unanimité contre les Insoumis et leur dégoûtante complaisance. Des hiérarques socialistes, écolos et communistes qui se sont acoquinés avec le parti de Rima Hassan ont leurs vapeurs. Ils prennent leurs distances. Au moins le temps de pleurnicher devant les caméras. Quant aux macronistes, maintenant qu’ils ont sauvé quelques dizaines de sièges grâce à leur carnaval antifasciste, ils prétendent désormais sauver leur âme avec des trémolos. Il y a deux mois, pour les uns comme pour les autres, l’antisémitisme n’était pas un motif de rupture, mais un point de détail. On n’a pas oublié.

L’antisémitisme, tendance dans une large partie de la jeunesse

Tous ont ouvert un œil – qu’ils refermeront dès que leurs intérêts électoraux seront en jeu. L’autre reste désespérément clos. Si les Insoumis instrumentalisent les sentiments antijuifs, c’est bien que ces sentiments existent. Où donc, au fait ? On le sait depuis 2002, le feu antisémite couve dans nos territoires perdus, là où les expressions les plus radicales de l’islam sont devenues la culture dominante. Toutes les enquêtes en attestent : pour une grande partie de notre jeunesse musulmane, l’antisémitisme n’est pas honteux, il est tendance. Seulement, pour l’admettre, nos admirables sauveurs de République devraient renoncer à leurs illusions multi-culti et à l’image flatteuse d’eux-mêmes qui va avec. Bien entendu, nous ne verrons rien. On continuera à se raconter des fadaises sur le vivre-ensemble perturbé par une infime minorité qui n’a rien à voir avec l’islam. Et à importer des antisémites au nom des droits de l’Homme.

Le Parti des médias nous enjoindra encore et toujours de regarder ailleurs. Il accueille en fanfare le « roman » d’Aurélien Bellanger. Le gars a dégoté une niche originale dans l’antifascisme. Pour lui, l’urgence, c’est de combattre la (fantomatique) gauche laïque. L’ennemi, c’est Philippe Val, c’est Manuel Valls, et même (la classe) feu Laurent Bouvet, fondateur du Printemps républicain qui ont, accrochez-vous, « réinventé un racisme à gauche ». Son hypothèse est résumée par Le Nouvel Obs : « Et si c’était au cœur de la gauche qu’était né l’esprit réactionnaire et raciste qui menace notre époque. » Tant de sottise laisse sans voix.

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Le 26, pour sa grande rentrée sur France Inter, Sonia Devillers reçoit ce Bellanger en majesté. Deux jours après qu’une synagogue a été attaquée au nom de l’islamo-palestinisme, cet inutile marquis des lettres ose déclarer : « Une islamophobie extrêmement forte travaille la société française. » Ce n’est pas l’islamisme qui travaille la société française, ce n’est pas l’antisémitisme, c’est l’islamophobie. Ravie de la crèche islamo-gauchiste, son interlocutrice ne songe pas à lui rétorquer que l’islamophobie, comme la critique de toute religion, est un droit. Sa bonne volonté progressiste vaudra à notre duo les félicitations de l’ex-CCIF dissous en France pour propagande islamiste.

Le même jour, un ami me raconte que son fils de 9 ans, scolarisé dans le public à Paris 14e, dans un coin plutôt bobo, a compris spontanément, sans la moindre consigne parentale, qu’il devait taire qu’il était juif. Comme son grand-père est un juif turc, le gamin brode sur ses origines turques. Des ondes nationales aux cours de récré, tout le monde a intégré l’avènement de la nouvelle France dont parle Zemmour.

Je n’aurais pas dû. Je me suis surprise à penser tout haut (sur CNews) que je ne finirai peut-être pas ma vie dans mon pays. Il ne s’agit pas d’un choix, encore moins d’une décision, plutôt d’un constat. L’idée qu’un jour, ce ne sera plus tenable. Pour les juifs et, un peu plus tard, pour les autres Français, ceux qui n’ont pas d’Israël. Alors peut-être qu’à quelques-uns, pour rester ensemble et pas trop loin, on fera notre alyah en Italie.


[1] Manuel Valls l’a aussi appliquée aux catholiques après des attentats contre des églises, ce qui est bien le moins.

Médaille de marbre

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Statue de nymphe en marbre de Thassos, début du iie siècle apr. J.-C. © Musée du Louvre

Les JO nous ont offert la beauté des corps en mouvement. Ils nous ont aussi imposé les statues pathétiques de dix « femmes en or » et des Vénus flashy au palais Bourbon. Heureusement, le Louvre présente la beauté éternelle : les marbres antiques de la collection Torlonia. Un rêve de pierre dans lequel les corps ont leur langage.


Nous les voyons trôner sur les marches de l’Assemblée nationale depuis le mois d’avril, derrière les statues de Sully, L’Hospital, d’Aguesseau et Colbert, célèbres serviteurs de l’État. Les six « Vénus de Milo » en résine polyuréthane flashy du plasticien Laurent Perbos réinterprétées en athlètes olympiques et paralympiques, et munies, pour l’occasion, d’une planche de surf, d’un ballon de basket, d’une raquette de tennis, d’un javelot, de gants de boxe et d’un arc, resteront devant le péristyle néoclassique du palais Bourbon jusqu’au 22 septembre. Cette installation éphémère, joliment intitulée « La Beauté et le Geste », célèbre le sport féminin, l’empathie et les luttes arc-en-ciel dans un lieu où la Sagesse et la Justice, représentées par les statues d’Athéna et de Thémis, s’effacent devant l’Amour de la non-discrimination, divinité moderne du moment, ni vraiment sage, ni vraiment juste.

Six statuettes de la Vénus de Milo sont exposées devant l’Assemblée nationale à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. AP Photo/Christophe Ena/SIPA

C’est également tout près de l’Assemblée nationale qu’on a pu voir émerger de la Seine, lors de la séquence « sororité » de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, d’autres statues, dorées cette fois : dix « femmes en or » choisies pour leur engagement féministe, de la très médiévale Christine de Pizan (1364-1431) à la très médiatique Gisèle Halimi (1927-2020) en passant fort heureusement par Simone Veil (1927-2017) qu’il est en effet plus décent de voir statufiée, même en résine dorée, que placée face à la députée Mathilde Panot en un photomontage LFIste digne des pires obscénités iconographiques de l’histoire. La statue de Paulette Nardal (1896-1985), présentée comme la première femme noire à étudier à la Sorbonne, rassurera ceux qui douteraient encore de notre capacité à amalgamer la question noire américaine et l’histoire de la négritude francophone. Quant à la statue de Simone de Beauvoir (1908-1986), elle amusera ceux qui connaissent les doux noms d’oiselles dont l’auteur du Deuxième Sexe affublait copieusement ses contemporaines, à commencer par « la femme laide », alias la romancière Violette Leduc, ainsi que toutes ces petites cruches d’étudiantes avec qui elle couchait en toute sororité.

Quittez le Palais Bourbon et allez plutôt au Louvre

C’est au musée du Louvre que l’on pourra admirer des sculptures qui, elles, mériteraient d’être intitulées « La Beauté et le Geste ». Depuis peu accessibles au public (2020) et pour la première fois hors d’Italie (jusqu’au 11 novembre), 90 des 620 chefs-d’œuvre de la plus grande collection privée de sculptures antiques romaines constituée par la famille princière Torlonia, au XIXe siècle, ont pris place dans les appartements d’été de la reine d’Autriche. Marbre blanc, blanc jaune, gris sombre, marbre italique, grec, asiatique, marbre pentélique, de Carrare, de Paros, de Thassos ou de Luni, marbre à veines bleuâtres, grisâtres ou noires, marbre à grain cristallin fin ou moyen : l’émerveillement commence par des mots qui font rêver. Ces épidermes de roche ont des veines, un grain et des nuances de teintes. La beauté est, plus que jamais, ce « rêve de pierre » dont parle Charles Baudelaire. Nous ne sommes plus au temps des impressions 3D en résine polyuréthane, mais entre 200 ans avant et après Jésus-Christ, sous la République et l’Empire romain. Certaines têtes de la collection, provenant de statues mutilées ou tombées de leurs piédestaux, n’appartiennent pas aux bustes sur lesquels elles ont été montées, bustes antiques acéphales issus de fouilles ou bustes modernes réalisés à l’ancienne. Telle partie du corps ou du vêtement n’est pas d’origine et a été restaurée, au fil du temps et au fil des goûts.

Peu importe. Dans les marbres Torlonia, la beauté est partout. Idéale, chez Auguste (27-20 av. J.-C.), pénétrante chez Hadrien (130 apr. J.-C.), délicate chez Aphrodite au bain (entre 27 av. J.-C. et 68 apr. J.-C.), paisiblement radieuse chez Hygie (v. 160 apr. J.-C.), livrée aux assauts du temps chez le vieillard dit d’Otricoli (Ier siècle av. J.-C.), la beauté antique réside aussi dans ce que Bernard Holtzmann nomme « la rhétorique du corps ». Tête tournée vers la jambe d’appui, hanchement (déséquilibre du bassin), jambe libre ne reposant que sur les doigts du pied, mains aériennes : les corps de pierre ont un langage. Arraché à l’inertie de la roche, le geste de marbre a des légèretés de plume. « La Beauté et le Geste », c’est Hermès dénouant sa sandale, une nymphe ajustant la sienne, l’athlète pancratiaste attachant, avant le pugilat, ce qu’on imagine être un bonnet de protection, Aphrodite accroupie cachant du bras droit sa poitrine, les doigts de sa main gauche n’effleurant qu’à peine l’une de ses cuisses. Mais le plus beau geste de l’exposition reste cette poignée de main solennelle qui scelle l’amour de deux époux et leur attachement par-delà la mort, dans un groupe statuaire destiné à décorer un monument funéraire. L’époux protecteur prend sa femme par l’épaule et la retient dans une caresse de pierre qui ne voit se soulever ni la paume, ni les doigts de la main gauche. Les regards, comme les mains, sont restés enlacés. Le sentiment est sculpté dans le marbre. On est décidément loin, très loin du palais Bourbon, avec ses poignées de mains parlementaires refusées et ses chifoumis régressifs. Chaque époque a les statues et les gestes qu’elle mérite.

Culte de la vulnérabilité

La nôtre, hostile à l’idée de grandeur et de verticalité lorsqu’il s’agit des grands hommes (on ne dit plus « érection d’une statue », antivirilisme sémantique oblige), exige qu’on s’enthousiasme pour les dix « femmes en or » des Olympiades parisiennes, ces formes raides et inexpressives qui rappellent les moulages en plâtre pour enfants et leur kit de figurines en silicone. Notre époque, encore, heureuse de répéter à l’envi que les statues de l’Antiquité étaient polychromes et non pas blanches (on fait feu de tout bois), sait que personne ne viendra taguer les Vénus inclusives de Laurent Perbos au palais Bourbon.

« Négrophobie d’État » fut une politesse adressée à la statue de Colbert, en 2020 ; personne n’aurait l’idée saugrenue de taguer « Art officiel d’État » sur une statue vert poubelle en impression 3D. Notre époque, enfin, partie à l’assaut d’un curieux idéal, celui de la fragilité, voit dans la sculpture le miroir rêvé de nos imperfections confortables. Vulnérabilité, « lâcher-prise » : les corps en ronde-bosse s’affaissent, comme chez l’Hélène de Hans Op de Beeck (2023), et les artistes contemporains poursuivent sans mollir leur quête de fragilité, entre « matériaux non autoritaires » (sic), hybridations systématiques (corps-arbre, corps-jouets d’enfants, corps-câbles internet) et transport d’œuvres dans les montagnes suisses pour interagir avec la nature avant présentation au public. Cette quête est à l’honneur à la Fondation Villa Datris de L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), où l’on retrouve, en petit format, les Vénus de l’Assemblée nationale.

Loin de la notion de grandeur évaluée selon la teneur en chromosome XX, loin, également, de l’ode déprimante au « lâcher-prise » et au culte de la vulnérabilité, il y a eu cette formidable anomalie des Jeux olympiques qui s’annonçaient pourtant comme le jubilé de toutes les bien-pensances internationales. Des sportifs – hommes et femmes – aux corps sculpturaux, aux gestes beaux et précis, des œuvres d’art tout droit sorties d’une collection d’antiques, mais aussi des tempéraments en acier trempé, portés à la persévérance et au dépassement de soi dans un environnement de règles draconiennes, sont venus du monde entier nous parler d’autre chose que de bienveillance, d’empathie, de vulnérabilité désirable et de rédemption par le burn-out. Exit la sculpture contemporaine et son « questionnement » de la performance, du type Nageuse au repos de Guillaume Leblon (2013-2022), Grande Danseuse d’Antoine Renard (2022) ou 501 kg de Laurent Perbos (2024). Valides ou handicapés, portant haut les couleurs de l’estime de soi, combatifs, concentrés, patients et courageux, les sportifs que l’on a vus cet été nous ont offert la preuve la plus éclatante du fourvoiement à jouer, dès l’enfance et dès l’école, le jeu truqué de l’aide à grandir dans la dignité, sorte d’euthanasie homéopathique de tous les instants. Sanctionnés au judo pour un manque de combativité, à la gymnastique pour quelques centimètres hors du tapis, à l’athlétisme pour un faux départ, à la natation pour une coulée excédant les 15 mètres, ces athlètes ont jeté le discrédit sur tout notre système culturel et éducatif, démesurément laxiste et injustement compassionnel, qui veut faire croire que l’on est tous formidables à quelques nuances près, que l’autre n’est jamais un adversaire, que l’appréciation d’un travail est d’abord subjective donc injuste, et que toute notation doit être rendue par voie informatique, de peur d’accentuer la déception des uns et la fierté des autres.

À ces athlètes qui ont fait le lien entre la collection Torlonia et nous, on devrait décerner des médailles de marbre. Voyons cette année si l’héritage des Jeux incite le monde éducatif et culturel à les imiter.


À voir
« Chefs-d’œuvre de la collection Torlonia », musée du Louvre, jusqu’au 11 novembre.

Ou pas…
« La Beauté et le Geste », Assemblée nationale, jusqu’au 22 septembre.
« Faire corps », Fondation Villa Datris, L’Isle-sur-la-Sorgue, jusqu’au 3 novembre.

Le limier du style

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L'écrivain et journaliste Pierre Assouline, Paris, 2021 © ISA HARSIN/SIPA

Quels sont les secrets des grands écrivains ? Pierre Assouline nous dit tout sur le maniement de la plume…


Qui n’a pas rêvé de connaître les secrets de ses auteurs préférés ? C’est ce que nous propose le biographe et romancier Pierre Assouline dans son dernier ouvrage au titre explicite Comment écrire. Trois cents pages dans lesquelles le juré du prix Goncourt lève le voile sur les procédés des plus grands auteurs français et étrangers. Une mine pour tout aspirant écrivain. Un régal pour tout lecteur averti.

Qu’on ne s’y méprenne pas pour autant, « ce livre ne vous rendra pas écrivain. Et un enseignement pas davantage. L’un et l’autre vous aideront seulement à écrire si vous avez en vous le désir, la capacité, la disposition, le coup de menton nécessaires. Car on ne naît pas écrivain : on le devient. » La chose est loin d’être aisée. De la première à la dernière phrase nombreux sont les problèmes auxquels s’expose celui qui prend la plume. Le plan, par exemple. En faire ou ne pas en faire ? Virginia Woolf s’en disait incapable quand Racine ne jurait que par lui. Le point de vue. Je ou il/elle ? « Telle est la question. Un écrivain peut tourner autour pendant des mois sans se décider alors qu’il possède tout le reste. » Annie Ernaux, elle, a opté pour le « je collectif ».

Le style ? Pierre Assouline est catégorique. « Un style, c’est une voix. » Pour preuve Marguerite Duras, reconnaissable entre mille. Quant au meilleur conseil, il nous est donné par Oscar Wilde : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris. »

Pierre Assouline, Comment écrire, Albin Michel, 2024. 336 pages.

L’étoile des amants

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L'écrivain belge Dominique Rolin (1913-2012) © ANDERSEN ULF/SIPA

Le 24 mars 2000, Bernard Pivot réunit Philippe Sollers et Dominique Rolin dans « Bouillon de culture ». Elle publie Journal amoureux ; lui Passion fixe. Pivot va les piéger en révélant en direct que le Jim du livre de Dominique Rolin est en réalité Sollers…


Dominique Rolin est décontenancée, elle a le souffle coupé. Sollers sourit, agite sa main baguée, continue la conversation. Il en a vu d’autres.
Au fond, Dominique Rolin n’est pas mécontente que son histoire d’amour commencée en 1958 soit enfin révélée. Sollers, moins. Une partie de son cloisonnement a volé en éclats. Il va lui falloir apaiser la colère de Julia Kristeva, son épouse depuis le 2 août 1967.
Stéphane Barsacq a bien connu Dominique Rolin et Philippe Sollers, mais à des époques différentes. Ils ont fini par être inséparables à trois, mais jamais en même temps. Il a décidé de les réunir dans un très beau livre, émouvant et pudique, en deux parties. La première est consacrée à Dominique Rolin ; elle se présente sous la forme de journal et retrace ses échanges amicaux avec celle qu’il appelle par son prénom. La deuxième évoque, en écho, le « compagnon majeur » de sa vie, Philippe Sollers, avec qui il était intimement lié, au point que l’auteur du prophétique Femmes lui a dédié son livre Illuminations, en 2003.
Ce témoignage est très important pour connaitre « de l’intérieur » à la fois Sollers, Rolin et le couple atypique qu’ils formaient. Il faut beaucoup d’amour pour tenir tête à la société. Comme l’écrit Sollers, dans Passion fixe : « C’est contre les crimes d’amour que se font tous les crimes. Facile à vérifier, pourtant personne ne le dit ».
En 1958, Dominique Rolin est veuve, a une fille, écrit des romans ; elle a 45 ans, lui 22. Coup de foudre réciproque. Il y aura ensemble la découverte de Venise, le partage de l’écriture pratiquée séparément, la musique, la mort de Dominique, puis la solitude de Sollers brisé. Stéphane Barsacq, témoin privilégié, raconte tout ça. C’est daté, précis, inoubliable dans le soleil couchant embrasant les Zattere ou les toits du musée d’Orsay. Barsacq cite un extrait du poème de Shakespeare, un des rares « voyageurs du temps » sélectionnés par Sollers, sur deux oiseaux morts : « La mort est maintenant le nid du phénix ; et le sein loyal de la colombe repose sur l’éternité. / Ils n’ont pas laissé de postérité, et ce n’était pas chez eux infirmité. » Privilège de l’écrivain que d’entrer dans ce que Malraux nomme le monde de la création de l’homme ; monde qui regarde la mort en face et lui échappe.

A lire aussi, Jonathan Siksou: Rentrée littéraire: le bel avenir du passé

Dans la première partie, on apprend que Dominique Rolin avait pour premiers maîtres Jean Cocteau et Max Jacob, qu’elle avait rencontré Robert Desnos, qu’elle fut la maîtresse de Robert Denoël, l’éditeur de Céline, qu’elle fut courtisée par Maurice Blanchot et Julien Gracq – colère de Sollers quand il l’apprit. Dans son journal, daté du 19 mars 2002, Barsacq note : « Dominique au téléphone : ‘’J’ai eu le prix France Culture. Et je m’en fous ! Si tu savais comme je m’en fous !’’ » Liberté d’allure et de ton.
Vient ensuite la partie consacrée à Sollers. Lue avec un pincement au cœur, je l’avoue. Incroyable Sollers, toujours en mouvement, regardant droit devant, détestant le passé. Il revit grâce à Barsacq qui retranscrit fidèlement quelques savoureux dialogues. J’entends sa voix, son rire communicatif qui surgit entre deux volutes de Camel. Extrait : « Je défends une place forte, mais il n’y a plus personne. L’important est qu’on croit que je suis à la tête d’une armée. » Et ceci : « Si je proclamais que j’ai tout raté, ce serait le triomphe ! Mais, Stéphane, vous m’entendez, jamais, je ne leur ferai ce plaisir ! Non, cela, jamais ! »
C’est souvent ironique, parfois mordant, jamais méchant. Sollers était bien au-delà des querelles dignes d’un roman de Pagnol. Il avançait, et sa foulée n’était pas celle de son époque, encore moins de la France moisie qui refuse d’ouvrir les placards de la honte. Encore un extrait : « Mon cher Stéphane, vous revenez de votre île, moi aussi. Allons ensemble dans la vallée du mensonge. Avec joie. Avec gaieté. »
Nous y sommes, la guerre du goût fait rage, la victoire n’a jamais été aussi incertaine, mais l’étoile des amants nous guide.

Stéphane Barsacq, Dominique suivi de Épectases de Sollers, Éditions le clos jouve. 116 pages.

Vous reprendrez bien un peu de Pagnol!

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Marcel Pagnol à l'Académie française, 1962 © DALMAS/SIPA

Notre chroniqueur du dimanche revient sur l’œuvre du génie provençal et son rapport avec la critique


Le monde littéraire vit au rythme des anniversaires. Il ne conçoit le marché des livres que par le prisme de l’éphéméride. Chaque année, l’écrivain élu des commémorations, bien mort, bien fossilisé, bien lambrissé dans les bibliothèques, a droit à son mausolée éphémère de papier. Sa renaissance durera le temps d’une quinzaine commerciale avec tracts, documentaires télé et « goodies ». Biographes et magazines se jetteront sur sa dépouille avec volupté pour l’oublier dans la foulée.

La littérature française, gloire de nos pères…

Si en France, nous n’avons pas de pétrole, nous avons eu par le passé des auteurs de premier plan, c’est-à-dire lus et traduits par millions d’exemplaires. Notre gloire nationale repose, en partie, sur ces vieux tuteurs-là qui ont façonné notre instruction publique et l’imaginaire des classes laborieuses. L’année dernière, Molière et Colette ont fait la Une des journaux ; cette année 2024, Ronsard tient la corde en septembre et le soufflé Pagnol du printemps est déjà retombé dans l’oubli. En avril, pour célébrer les cinquante ans de sa disparition, nous sommes retournés à la source du génie provençal, nous avons refait collectivement le chemin du petit Marcel d’Aubagne à Marseille, de l’Université d’Aix au lycée Condorcet, de la création de Topaze à l’élection à l’Académie française, du professeur adjoint à Tarascon à l’homme d’affaires, notre Disney à l’huile d’olive.

A lire aussi: Marcel Pagnol et Albert Cohen: mousquetaires de la garrigue

Chaque Français en âge de lire a feuilleté cet album de famille, il y avait là, Joseph l’instituteur, Augustine la couturière, René, « le petit frère », la revue Fortunio qui deviendra Les Cahiers du Sud, l’inénarrable Raimu, le chevalin Fernandel, la belle Jacqueline Bouvier, et toute la lyre, Marius, César, Manon et les autres… Pagnol, c’est le souffle de l’enfance qui vient décoiffer les esprits les plus engoncés, les plus hermétiques à la nostalgie d’un folklore à fleur d’humanités. On peut tenter de repousser cet élan-là, par intellectualisme faisandé ou pour se distinguer en société. Et puis, emporté par sa prose populeuse, par sa fantaisie si réelle, par la cohorte de ses personnages antiques, par l’attrait du drame bistrotier et de l’esclandre villageoise, on y cède, on s’y prélasse même au soleil noir du midi. Nous sommes enfin chez nous, que l’on soit né au nord de la Loire ou à la Pointe du Corsen. Marcel Achard, le Lyonnais aux lunettes à double foyer, le camarade des vaches maigres, bicorné lui aussi du Quai de Conti, fut terrassé ce 18 avril 1974, à neuf heures du matin, quand il apprit la mort de Marcel au 16, square du Bois de Boulogne : « Ce que je sais, ce que j’affirme et ce que je veux que l’on sache, c’est que Pagnol avait du génie ! Un génie bon-garçon, familier, sans pose. […] Ce grand homme – car c’en était un et on va bientôt s’en apercevoir – va désormais manquer à toutes mes joies et à toutes mes détresses. Que peut-on apprendre à oublier ! ». Pagnol a fait de Marseille, le foyer brûlant de son œuvre, alors qu’il n’y prêtait guère attention dans sa jeunesse. Selon le bon mot d’Yvan Audouard, « En somme, il tomba amoureux à retardement ». Car, Marcel n’a d’yeux que pour les succès parisiens et les palmes académiques. « A Marseille, il vivait en pensée dans la capitale. À Paris, il s’évade en imaginant vers ce Marseille qu’il avait aimé sans le savoir… […] Tous les exilés vous le diront : l’éloignement réveille leur patriotisme et pare des plus belles couleurs le pays qu’on a quitté (même si on l’a quitté avec allégresse) » écrit-il dans Audouard raconte Pagnol paru en 1973.

Disparition de la critique littéraire…

Il n’y a pas de saison pour parler de Pagnol, cette rentrée littéraire est même le moment opportun pour rappeler les liens qu’entretenait l’auteur avec la critique (dramatique). Entre 1944 et 1948, il composa Critique des critiques, une manière pour lui de rééquilibrer le débat et de se poser en arbitre : « La profession de critique est certainement l’une des plus anciennes : de tous les temps, il y eut des gens incapables d’agir ou de créer, qui se donnèrent pour tâche, et le plus sérieusement du monde, de juger les actions et les œuvres des autres ».

A lire aussi, du même auteur: Marie-Blanche de Polignac: si «fragile» et si magnétique

Le ton est donné, il oscille entre le rosse et le justicier. Il s’énerve sur le cas Rostand, que certains plumitifs osèrent qualifier de « poésie de pacotille », de « fantoches » et « d’artifices ». Pagnol sort son glaive vengeur : « Malgré les esthètes et les ratés, les héros du poète vivront éternellement dans la mémoire et le cœur des vrais hommes et des vraies femmes, et personne, absolument, n’y peut rien ». Il se rappelle également que les premiers ouvrages de Simenon furent hués, il rétablit la vérité : « Le monde entier sait que la littérature française possède maintenant un très grand écrivain, et qui pourrait s’asseoir à la table entre Balzac et Maupassant ». Ce temps de la critique reine, faiseuse d’anges, semble bien éloigné de notre actualité. Nous vivons une époque où la critique (littéraire) n’existe quasiment plus et n’influe qu’à la marge sur le succès ou l’insuccès d’un roman. Doit-on s’en réjouir ou s’en plaindre ?


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Absence pontificale

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Le Pape François dans son avion, 13 septembre 2024 © Guglielmo Mangiapane/AP/SIPA

Hier, à bord de l’avion qui le ramenait à Rome au terme de son périple en Asie, le pape a annoncé qu’il « n’irait pas à Paris » en décembre.


Ainsi, le pape François n’honorera pas de sa présence l’office solennel programmé pour la réouverture – la résurrection, devrais-je dire – de Notre-Dame de Paris, en décembre prochain. Pour l’heure, il ne donne aucune justification de cette absence qui, tout de même, a de quoi surprendre. N’osant imaginer que la cause en soit qu’il ait piscine ce jour-là, nous nous voyons contraints de chercher ailleurs le motif. Il semblerait bien que la France, notre France, celle qu’on dit être « la fille aînée de l’Église » n’ait pas l’heur de susciter l’enthousiasme de Sa Sainteté. On se souvient que lorsqu’elle était venue à Marseille, voilà quelques mois, elle avait cru judicieux de préciser que ce n’était pas en France qu’elle se rendait. Offense, certes, mais offense que les fidèles d’ici auront bien voulu pardonner, ainsi que cela est prescrit dans le Notre Père. Sans doute doivent-ils se préparer dès à présent à pardonner aussi le faux-bond de Notre Dame…

Notre Dame de Paris, fleuron majeur du christianisme occidental, se relève donc de ses centres et renaît à la vie. Or, peut-être est-ce bien là qu’il faut chercher la véritable raison du peu d’empressement que le pape montre à conférer à cette résurrection l’éclat, la solennité, le retentissement qu’elle mérite. En fait, il me semble que François, Jésuite argentin, s’affirmant tiers-mondiste depuis toujours, n’est pas, en général, un grand fan de l’Occident. Ses discours, ses sermons, ses prêches de par le monde, comme ces jours derniers à l’autre bout de la planète, regorgent d’exemples, d’indices, de marques de prévention. À l’évidence, son regard de chef spirituel se porte moins sur le foyer occidental de la foi que sur ses excroissances – justement – tiers-mondistes. Ce serait donc plutôt ailleurs qu’ici qu’il envisagerait l’avenir d’un christianisme dont nous autres ne serions que le vestige plus ou moins honteux, la rémanence historiquement condamnée d’une domination spirituelle gauchie de colonialisme.

Notre Dame ne représenterait ainsi, dans l’esprit du souverain pontife, que l’arrogant symbole d’un passé, non pas de ferveur exaltée, mais sournoisement  « suprématiste » ?

Est-ce que François – rejoignant en cela la conception politique d’un certain Mélenchon (connivence moins étrange qu’on pourrait le penser) – ne considérerait pas que sa mission cardinale, et à travers la sienne celle de l’Église de Rome, consisterait désormais à œuvrer pour une « créolisation » du christianisme ? On comprendrait mieux dès lors la défection de décembre. Une défection que, toute révérence gardée et en l’absence – pour l’instant- de toute justification convaincante, je m’autorise à regarder comme un camouflet.

Parano persane

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"Les graines du figuier sauvage" de Mohammad Rasoulof, 2024 © Pyramide Distrib.

L’action des graines du figuier sauvage, le film choc iranien de Mohammad Rassoulof, se déroule en pleine affaire Mahsa Amini.


« Pendant longtemps, j’ai vécu sur une île au sud de l’Iran. Sur cette île, il y a quelques vieux figuiers sauvages dont le nom scientifique est « ficus religiosa ». Le cycle de vie de cet arbre m’a inspiré. Ses graines, contenues dans des déjections d’oiseau, chutent sur d’autres arbres. Elles germent dans les interstices des branches et les racines naissantes poussent vers le sol. De nouvelles branches surgissent et enlacent le tronc de l’arbre hôte jusqu’à l’étrangler. Le figuier sauvage se dresse enfin, libéré de son socle. » Voilà comment Mohammad Rassoulof explique le titre énigmatique de son dernier long métrage, Les graines du figuier sauvage.  

Femme, vie, liberté 

La métaphore s’éclaire vite. Iman, enquêteur de police tout juste promu juge d’instruction au sein du bienveillant appareil judiciaire de la République islamique d’Iran, partage à Téhéran, avec son épouse Najmeh et ses deux filles étudiantes Rezvan et Sana, un logis à l’ameublement confortable, ce qui désigne leur foyer comme appartenant à la classe « moyenne supérieure » de la société perse, si délicatement régentée par les mollahs.

A lire aussi: Les intentions sont pures, mais…

Si Iman se trouve du côté du manche, il bosse pourtant dans une capitale en ébullition : suite à la mort en garde à vue de Mahsa Amini, simplement arrêtée, on s’en souvient, pour s’être opposée au port obligatoire du voile, la jeunesse se soulève contre la dictature théocratique, à l’enseigne du slogan « Femme, vie, liberté ». Filmée par les smartphones, la répression aveugle qui s’abat sur les passants contraste avec l’image qu’en donne la télévision d’Etat, dans le poste perpétuellement allumé devant la table de salle à manger. Najmeh, femme d’ordre et bonne épouse musulmane, tâche de maintenir tant bien que mal la concorde au sein de la famille, clairement divisée par les événements : les filles ne sont pas dupes ; les réseaux sociaux diffusent sur leurs smartphones ces images des exactions que les parents refusent de voir.

© Pyramide

Révolver caché dans la commode

Dans ce contexte, la sécurité des magistrats laisse à désirer : s’ils rechignent souvent à appliquer les peines d’exécutions que les barbus exigent d’eux par milliers, leur visage n’en circule pas moins sur la Toile, cible désignée des opposants ; il vaut mieux être armé, même à son domicile : Iman planque donc dans la commode le revolver que sa hiérarchie lui a confié, au cas où. Un jour, il cherche l’arme : elle a disparu, tandis qu’à son insu ses propres filles ont hébergé pour la nuit une copine en fuite, blessée dans la manif. Si sa hiérarchie apprend la disparition de l’arme, non seulement la carrière du procureur est foutue, mais il risque trois ans de taule. Prise en étau entre son mari et sa progéniture, Najmeh tente en vain de calmer le jeu.  Car la paranoïa s’empare du sbire – miroir de celle du régime lui-même – au point qu’il oblige bientôt les siens à se prêter à un interrogatoire auprès d’un inquisiteur patenté (la séquence fait froid dans le dos). Au fil des conciliabules et tensions qui agitent le microcosme familial (les dialogues ciselés en rendent compte avec un art consommé) la situation, inexorablement, se détériore. Jusqu’au stade où le géniteur suspicieux va jusqu’à séquestrer ses propres enfants pour leur arracher la vérité. Remarquable est, dans Les graines du figuier sauvage, la figure ambigüe de Najemeh, la femme du monstre en puissance qu’est Iman : elle incarne cette posture instable où l’a placée, malgré elle et à ses dépens, la dictature archaïque dont son mari est le suppôt. Presque onirique, le dénouement prendra pour décor le labyrinthe d’une cité perdue où le cacique a forcé les siens à le suivre…  

A lire aussi: « Houris », de Kamel Daoud: le grand roman de la «décennie noire» (1990-2000)

Le cinéma indépendant iranien (cf. Un héros, d’Asghar Farhadi, Les ombres persanes, de Mani Haghighi, ou encore les deux films précédents du même Mohammad Rassoulof, Le Diable n’existe pas, et son chef-d’œuvre, Un homme intègre) s’invente clandestinement, courageusement, presque miraculeusement contre le pouvoir en place, bien entendu sans autorisation officielle. Il prend appui, le plus souvent, sur un scénario implacable qui met aux prises les personnages avec la réalité kafkaïenne de la tyrannie théocratique, immiscée dans le moindre recoin de leur vie privée.  

Condamné en appel à huit ans de prison pour « collusion contre la sécurité nationale », Mohammad Rassoulof a réussi à fuir l’Iran à temps pour présenter son film à Cannes, dont le jury l’a récompensé à juste titre de son Prix spécial. À Rassoulof, l’Allemagne a accordé l’asile politique ; il vit désormais en exil. Demeurés au paradis persan, l’équipe et les comédiens, mais aussi leurs familles, ne s’y sentent pas tout à fait en sécurité…


Les graines du figuier sauvage. Film de Mohammad Rassoulof. Allemagne, France, Iran, couleur, 2024. Durée : 2h46. En salles le 18 septembre.

Peter Stamm: les obsessions d’une jeune cinéaste

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L'écrivain allemand Peter Stamm © Anita Affentranger

Comment saisir toute la vérité d’un écrivain dont on veut faire le portrait dans un documentaire, quand il refuse de livrer ses secrets ?


La trame de L’Heure bleue de Peter Stamm est assez simple : une jeune cinéaste, Andrea, convoque un romancier sur les lieux de son existence, pour faire de lui un portrait plus ou moins fidèle. Il s’appelle Wechsler et son œuvre est derrière lui, mais il n’a rien perdu de son aura, du moins aux yeux d’Andrea, qui ne peut s’empêcher d’être littéralement obnubilée par lui. Cette fascination, comme elle le verra, n’est pas la garantie d’un film documentaire réussi. De plus, Wechsler finit par se montrer rétif au projet, à partir du moment où il comprend qu’il va se dévoiler dangereusement. Alors, il joue les absents, les grands silencieux, attitude qu’adoptent parfois les écrivains qui estiment avoir tout dit dans leurs livres.

Un flux incoercible

Peter Stamm a habilement choisi Andrea pour narratrice de cette histoire. À défaut d’un film, il y aura au moins un livre, sorte de journal intime dans lequel elle parlera de Wechsler. Andrea a, malgré tout, réussi à rencontrer Wechsler à diverses reprises, et a pu recueillir de lui divers apophtegmes, aussi définitifs que désespérés. Comme si l’écrivain voulait persuader à toute force Andrea de choisir un autre sujet : « Je crois, disait Wechsler, comme l’écrit Andrea, que j’ai imaginé que ce film allait me faire découvrir des choses sur moi-même par votre regard sur moi. Mais c’est absurde. » Parfois, ses propos sont plus radicaux encore : « En une heure vous prétendez obtenir quelque chose d’une personne ? dit-il. De toute ma vie je n’y suis jamais arrivé. » Les propos de Wechsler sont désabusés, remplis d’amertume aussi. Cela n’empêche pas Andrea de grappiller tout ce que Wechsler lui confie. Tout ce qui a trait à l’écrivain, sa vie, son œuvre, revient en elle comme un flux « incoercible », pour utiliser un terme propre aux manuels de psychiatrie. Elle rêve de lui, à défaut de pouvoir le filmer : « Wechsler s’approche par derrière, me prend par la taille. C’était un très beau rêve et j’étais merveilleusement heureuse. »

Les paroles ultimes

À lire avec attention de nombreux passages, on se demande si ce personnage de Wechsler n’est pas, pour Peter Stamm, une sorte de double fictionnel un peu fantasmé. Se décrit-il, à travers Wechsler, de manière peut-être trop belle ? Peter Stamm essaie d’éviter ce piège, sans toujours y parvenir. Quand, par exemple, Wechsler meurt à l’improviste, au milieu du roman, c’est pour mieux continuer à vivre dans la mémoire des autres protagonistes, qui n’ont de cesse d’évoquer entre eux le souvenir du grand homme. Le clou de cette longue cérémonie des adieux intervient lorsque Peter Stamm n’hésite pas à mettre dans la bouche de Wechsler quelques inoubliables mots de la fin, juste avant son trépas. Ce sont ces paroles ultimes, a-t-on l’impression, que Peter Stamm aimerait lui-même lâcher, au moment fatal. Ainsi, il fait dire à son écrivain en manque d’inspiration : « J’ai suffisamment écrit. Des dernières paroles ? Si je devais mourir maintenant, je dirais : C’est tout ? Et : Je n’ai pas vraiment tout compris. Et : C’était un peu bruyant. »

Un cri sans écho

Ce qui m’a également intrigué, dans L’Heure bleue, c’est la proximité, plus ou moins appuyée, avec un autre livre, que j’ai lu récemment : Oh, Canada, de l’écrivain américain Russell Banks. Ce dernier y racontait l’agonie, non d’un écrivain, mais d’un cinéaste, qu’une équipe de télévision vient visiter, alors qu’il va bientôt rendre l’âme. Ses dernières paroles, là aussi, seront dûment enregistrées, comme un bilan de sa vie, un testament-confession lancé à ses proches, et sans doute au public. Le roman de Russell Banks est certes d’une plus grande ampleur que celui, plus allusif, de Peter Stamm. Mais, chez chacun, s’exprime un long cri de désespoir, forcément sans écho, dans le désert spirituel actuel. Je pense que Russell Banks a opté pour une forme plus classique, alors que Peter Stamm s’inscrit davantage dans le postmoderne (« La mort ne signifie rien », écrit-il, phrase typique). Tous les deux offrent des formes complémentaires, pourrait-on dire, pour une conclusion similaire.


Un personnage féminin central

Avec cela, l’un des points forts de L’Heure bleue reste sans conteste la manière dont Peter Stamm se glisse dans le personnage de la jeune Andrea, pour le rendre vivant et touchant, malgré tous ses manques. L’échec de son projet sur Wechsler met la cinéaste dans une situation difficile. Il lui faut trouver un travail alimentaire, qu’elle décrit de manière sarcastique, ne s’y adaptant pas du tout. Au fond, malgré ses très nombreuses aventures amoureuses, elle est malheureuse. Surtout, elle s’ennuie : « Je m’ennuie avec moi-même », avoue-t-elle. Elle ajoute : « j’ai l’impression de me réveiller du néant, comme si toute ma vie jusque-là n’avait été qu’un rêve qui se dissout dans la lumière trouble du jour ». Dans toutes ces pages sur Andrea, Peter Stamm excelle à peindre un désœuvrement malheureux. L’Heure bleue redevient alors le roman du vide et de la détresse.

Il incombe à un personnage secondaire d’apporter quelque espoir salvateur à Andrea. Il s’agit de Judith, femme de foi (elle est pasteure), qui fut la maîtresse de Wechsler. Andrea s’est rapprochée d’elle peu à peu, par affinité élective. C’est avec cette femme désormais qu’elle voudrait vivre ‒ et, peut-être, retravailler. La fin ouverte de L’Heure bleue nous laisse sur cette promesse de sérénité retrouvée.

Peter Stamm, L’Heure bleue. Traduit de l’allemand (Suisse) par Pierre Deshusses. Éd. Christian Bourgois.

L'heure bleue

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Russel Banks, Oh, Canada. Traduit de l’américain par Pierre Furlan. Éd. Actes Sud. Vient de reparaître dans la collection de poche « Babel ». L’adaptation de ce roman au cinéma par Paul Schrader sortira prochainement sur les écrans.

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Le député de la Somme et la politique au faciès

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Le député d'extrème gauche François Ruffin, Assemblée nationale, 18 juillet © J.E.E/SIPA

François Ruffin, qui avait rompu avec Jean-Luc Mélenchon durant les législatives, révèle dans son livre que la stratégie électorale communautariste de LFI ne lui convenait pas. Mieux vaut tard que jamais! Mais, il ne va pas jusqu’à dénoncer la dérive islamo-gauchiste de son ancien parti concernant le conflit israélo-palestinien.


« Clientélisme électoral », « mépris de classe », « campagne au faciès », le livre de François Ruffin, député de la Somme, décrit un parti LFI soumis au culte d’un chef, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne s’empêche pas beaucoup, ne se tient guère et se contrôle à peine. 
Pourtant, si le portrait de Jean-Luc Mélenchon correspond à ce que l’homme montre de lui-même et le décrit en autocrate vain et méprisant, il évite cependant le sujet le plus important : cet homme a ôté toute consistance morale à la gauche. Il est son déshonneur. Il a libéré l’antisémitisme en tant que force politique et puissance mobilisatrice. Depuis Hitler pourtant, on croyait l’Europe protégée de ce type de dérive. Depuis Jean-Luc Mélenchon, en France, je n’en suis plus si sûre.

Nouvelle France

Dans Itinéraire, ma France en entier, pas à moitié, François Ruffin raconte des tracts conçus en fonction du faciès de la clientèle visée. Un tract avec le visuel de Mélenchon dans les quartiers dits difficiles où est regroupée la population arabo-musulmane notamment, et un autre type de tracts pour les « Blancs » et les habitants du monde rural. Derrière cette anecdote, il y a surtout l’histoire d’un leader politique qui fait une distinction entre un peuple ancien à délaisser, les classes populaires et les habitants de la ruralité, et un peuple nouveau à investir : celui issu des quartiers. 

A lire aussi: Sophia Chikirou, le « martyr » du Hamas et la chute de la maison Mélenchon

Le député de la Somme révèle ainsi avoir eu « honte » d’avoir mené une « campagne au faciès » lors des dernières législatives, distribuant des tracts à l’effigie de Jean-Luc Mélenchon aux « Noirs et aux Arabes » d’Amiens-Nord, mais pas aux « Blancs ». Pourquoi ? Parce que Jean-Luc Mélenchon pense que ces deux peuples ont des identités peu compatibles et qu’il faut choisir son camp. Le problème est que dans les quartiers existe déjà une force constituée : l’islam dans sa version politique. Cibler cette clientèle, surtout en investissant les jeunes, c’est miser sur les plus radicalisés, ceux qui font passer l’islam avant les lois de la République. C’est ce choix-là que Jean-Luc Mélenchon a fait en conscience. 
Mais cette analyse-là n’est pas faite jusqu’au bout par ses opposants, car tout le clientélisme de la gauche, y compris non LFI, est bâti sur cette logique-là. Pourquoi croyez-vous qu’EELV a invité Médine à ses journées d’été ? Pourquoi croyez-vous qu’Olivier Faure préfère sacrifier le bon score de Raphaël Glucksmann pour préserver son lien de soumission au leader Insoumis ? Parce que dans nombre des derniers bastions qui leur reste, c’est le clientélisme islamiste ou communautariste qui leur permet de garder leur fief, et ce clientélisme-là est entre les mains de LFI.

Marine Tondelier débattait avec le rappeur Médine, au Havre en aout 2023, malgré un tweet à connotation antisémite adressé à Rachel Kahn quelques jours plus tôt © ISA HARSIN/SIPA

Militants radicaux outrés contre Ruffin

Sur ces critiques, François Ruffin a été défendu par Fabien Roussel, victime en son temps, comme l’est aujourd’hui le député de la Somme, du fanatisme de nombre de militants LFI, lesquels sont puissants sur les réseaux sociaux. Il faut dire que le dirigeant du PC partage probablement le qualificatif de « repoussoir » attribué par Ruffin à Jean-Luc Mélenchon. Mais que pèse encore réellement le patron du PC aujourd’hui? Si on en croit le programme de la fête de l’Humanité, Houria Bouteldja, dont l’ouvrage raciste et antisémite Les Blancs, les Juifs et nous est pourtant passé crème à gauche, devrait participer à une table ronde sur l’antisémitisme. Cela ne manque pas de piquant, à moins qu’elle ne soit là comme spécimen à étudier… Cela démontre surtout que la gauche républicaine est totalement marginalisée, et qu’aujourd’hui c’est bien la stratégie du leader Insoumis qui l’a emporté. La gauche cornaquée par LFI est islamo-gauchiste. Ce sont les islamistes qui apportent leur projet; la gauche, elle, les légitime et est chargée de passer une fine couche de vernis social sur les couches de haine raciale. On peut s’en indigner, mais en politique, choisir sa clientèle peut permettre l’accès au pouvoir ; c’est ce calcul que fait Mélenchon. Et en soi, il n’est pas illégitime.

Nos sociétés politiques actuelles se sont construites sur le souvenir de la Seconde Guerre mondiale

En revanche, ce qui est profondément illégitime, dangereux et inacceptable, ce n’est rien de tout cela. C’est d’avoir rompu avec le principal acquis de la Seconde Guerre mondiale. En faisant du conflit à Gaza un moyen de faire passer la jeunesse à l’action politique, le leader Insoumis a fait de la haine et particulièrement de la haine des Juifs un outil de constitution d’une force électorale et militante. Cela ne s’était plus vu en Europe depuis… Hitler. Là est la rupture impardonnable. 

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Mais cela ne sera dénoncé par personne à gauche, car tous se sont alliés à LFI en pleine connaissance de cause et cela les a salis à jamais. Aujourd’hui, que ce soit dans le camp de Mélenchon ou dans le clan de Ruffin, les militants de gauche continuent à donner des leçons sur les réseaux, mais ils ont perdu leur magistère moral. 
Il faut dire que cautionner le retour de l’antisémitisme au cœur des sociétés européennes, on l’aurait plutôt attendu de l’extrême-droite. Mais non, grâce à LFI, le privilège de cette infamie revient à la gauche. Le pire est que cette forfaiture a, comme je l’ai expliqué, sa forme de rentabilité. S’il y avait une seule chose à dénoncer, c’était celle-là. Le sujet aura pourtant été évité par tout le monde.

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De l’abbé Pierre, du concile cadavérique et de la damnatio memoriae

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"Le Pape Formose et Etienne VI" de Jean-Paul Laurens, 1870. Musée de Nantes. DR.

Notre chroniqueur n’a pas peur d’entrer en conflit avec Elisabeth Lévy, la main qui nous nourrit tous. Quand l’une semble comprendre l’exécration universelle qui frappe désormais l’un des hommes les plus aimés de France, l’abbé Pierre, l’autre s’émeut (comme dit la vache) de ces jugements a posteriori qui lui rappellent diverses sentences post mortem de sinistre mémoire. « Peut-on juger un mort ? » demande la patronne. « On peut — ça s’est fait. Et pas qu’une fois », répond notre érudit, friand d’histoires épouvantables.


En janvier 897, le pape Etienne VI convoqua un synode pour juger l’un de ses prédécesseurs, Formose, décédé en avril 896. Il s’agissait de régler une obscure querelle entre factions rivales.
Le corps de Formose est déterré, revêtu de ses habits pontificaux et installé sur un trône. L’ex-pape se voit attribuer un avocat, et un diacre répond aux questions à sa place.
Je vous la fais courte (tous les détails dans Daniel-Rops, Histoire de l’Eglise du Christ II, L’Église des temps barbares, 1950) : l’élection de Formose est dénoncée et annulée, l’ex-évêque de Rome est dépouillé de ses attributs pontificaux, on lui coupe les deux doigts de la main droite avec lesquels il bénissait, on le balance au peuple qui le jette dans le Tibre.
On récupéra plus tard, miraculeusement, le corps desséché, que l’on ramena à Rome. Les statues, dit la légende, s’inclinaient sur son passage, et il fut définitivement inhumé dans la basilique Saint-Pierre.
Jean-Paul Laurens, un peintre de la IIIème République qui avait fait de l’anti-religion son fonds de commerce, en tira un tableau saisissant.
Evidemment, tout cela se passait durant le Saeculum obscurum (le siècle sombre) de la papauté, qui vit se succéder 12 papes en une soixantaine d’années.

Moyen Age, me direz-vous. Âges obscurs…

Au milieu du XVIIe siècle, Olivier Cromwell renversa en Angleterre le roi Charles Ier, et le fit promptement décapiter (30 janvier 1649) à Whitehall. C’était un génie politique et militaire, et il dirigea le pays avec habileté jusqu’à sa mort en 1658. Trois ans plus tard, le fils de Charles Ier, Charles II (d’où le fait que l’actuel roi soit Charles III), fut réinstallé sur le trône, et l’on s’occupa à juger Cromwell de façon posthume : on le déterra, on le pendit dans une cage à Tyburn, on le décapita et l’on planta son crâne sur un poteau. En fait, il fut grossièrement hanged and quartered, le châtiment ordinaire des criminels d’Etat — voir la fin de Braveheart.

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Ce ne sont là que deux exemples de la longue liste des individus célèbres frappés de damnatio memoriae — dont nombre d’empereurs romains, à commencer par Néron. Leur nom disparaissait des actes et des monuments, leur corps était en général jeté dans le Tibre. En Egypte antique, on en avait fait autant avec Hatchepsout ou Akhenaton — entre autres. Dans le palais des doges, à Venise, on peut admirer les portraits de tous les doges — sauf celui de Marino Falieri, qui fut décapité en 1365 et son portrait recouvert de peinture noire.


Suggérons à Caroline De Haas, inlassable avocate des femmes humiliées par des hommes (ou qui a posteriori, si je puis dire, en ont conçu de l’humeur) d’aller à Esteville (Seine-Maritime) déterrer l’abbé Pierre, et de le précipiter à la Seine, qui n’est pas très loin. Qu’elle se dépêche, le centre Emmaüs dédié à la mémoire de l’abbé fondateur va fermer ses portes pour éviter, sans doute, que des harpies vindicatives ne lacèrent le cadavre frappé de damnatio memoriae.
Effacé, le souvenir des enfants juifs planqués par lui en 1942. Oublié, le fait qu’il ait fait passer en Suisse le plus jeune frère de De Gaulle. Gommée, son action dans les maquis du Vercors et de la Chartreuse. Passées sous silence, ses protestations pour sauver les pauvres durant l’hiver 1956.

Et pourquoi cette réécriture de l’Histoire ? Il a eu des tentations très charnelles auxquelles il n’a pas résisté.

Je reste sidéré par le fait qu’une société laïque — la nôtre — persiste à exiger d’un religieux l’obéissance au vœu de chasteté. Et toutes ces bonnes du curé qui au fil des siècles ont enfanté des « filleuls » qui étaient autant de fils de prêtres ? Et les petits garçons que l’abbé Dubois (1656-1723 — « il court il court, le furet » est la contrepèterie la plus illustre de la chanson française) s’obstinait à lutiner, lui qui fut par ailleurs l’un des plus grands ministres des Affaires étrangères français ?…

Post mortem ! Je n’en reviens pas. Nous sommes dans une époque où des dames en quête de notoriété poursuivent de leur vindicte l’homme qu’elles ont aimé. Il a raison, Hugo : « Toute fille de joie en séchant devient prude » — c’est dans Ruy Blas.

Il a forniqué ? Tant mieux pour lui, c’était un homme de chair et pas uniquement un pur esprit. Vous ne voulez que des saint Ambroise et des Vincent de Paul ? Où les trouverez-vous ?
Et moi qui croyais que la France était justement, au contraire de l’Amérique, un pays où la vie sexuelle, même extravertie, n’était pas un péché mortel… Où des présidents de la République rentraient chez bobonne à l’heure du laitier… 

C’est la seconde fois que je m’intéresse à ce que notre modernité fait à l’abbé Pierre et à sa mémoire. Parce que c’est emblématique d’une société où règne à nouveau le puritanisme anglo-saxon le plus rude. Jugeons les gens sur ce qu’ils font, pesons exactement leurs actes, et rendons justice aux morts — c’est bien tout ce qu’on peut leur rendre, malheureusement.

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Antisémitisme : aux grands maux les grands mots

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Gabriel Attal et Gérald Darmanin à La Grande-Motte, après l'attaque terroriste contre la synagogue de la ville, 24 août 2024 © ville de La Grande Motte

L’attentat contre la synagogue de la Grande-Motte a suscité dans la classe politique les habituelles rodomontades, généralement annonciatrices de renoncements. Certes, la gauche et les macronistes, qui ont pactisé avec LFI et pactiseront encore demain si cela sert leurs intérêts, dénoncent sa responsabilité dans la recrudescence des actes antijuifs. Mais tous refusent avec constance de voir que dans une grande partie de la jeunesse musulmane, l’antisémitisme est devenu tendance.


Pour commencer la saison, j’aurais préféré vous entretenir de ce courriel m’annonçant que septembre est « le mois de la prostate », matière à réflexion sur la rage contemporaine de tout montrer qui se déploie paradoxalement derrière l’étendard de la transparence – paradoxalement, car en théorie ce qui est transparent ne se voit pas. Mais me voilà encore une fois requise par un phénomène aussi récurrent à la une des magazines que la misère de l’hôpital public (ou de l’école, ou de l’armée…) : l’antisémitisme. Que dire encore sur la haine des juifs, qui ne l’ait été d’innombrables fois ? Son transfert de l’extrême droite à une frange significative de la société musulmane, le soutien sans participation de l’extrême gauche, le déni de nos dirigeants, l’alibi palestinien, le silence ou l’euphémisation du Parti des médias, l’entourloupe consistant à sonner le tocsin contre l’extrême droite : tout cela est connu de qui veut connaître.

Bien entendu, nous ne verrons rien

On ne sursaute plus quand Gérald Darmanin indique que les actes antisémites ont augmenté de 200 % depuis le 7-Octobre. On devrait pourtant méditer cette funeste contagion qui fait que, quand un juif est frappé quelque part, cela donne envie à certains d’en frapper d’autres. La plupart des êtres humains, doués d’empathie, s’identifient plus volontiers aux victimes qu’aux tortionnaires. Cette définition simple de l’humanité ne fonctionne plus. Pour pas mal de monde, le pogrom du Hamas a agi comme un encouragement, sinon à molester ou tuer des juifs, à les vomir haut et fort, ceci avant que la première balle israélienne ait été tirée. À cela aussi, on s’habitue.

Après l’attentat (raté) du 24 août contre la synagogue de La Grande-Motte, ce qui enrage presque autant que le crime (par chance sans victime, sinon un policier légèrement blessé), c’est le torrent de mots creux qu’il a déclenché. Ainsi a-t-on pu entendre Gabriel Attal déclarer que « s’attaquer à un juif, c’est s’attaquer à la France » (ou à la République, les deux variantes existent), ritournelle psalmodiée après chaque attentat[1]. Tous ces beaux esprits qui ne peuvent pas se passer des juifs, on en pleurerait.

A lire aussi: Mélenchon n’a rien inventé…

En décembre 1981 après le coup d’État de Jaruzelski en Pologne, notre ministre des Affaires étrangères Claude Cheysson faisait scandale en déclarant « Bien entendu nous ne ferons rien ». Cette sincérité un brin cynique est infiniment plus respectable que les « Nous ne céderons pas » de nos dirigeants, vaines rodomontades qui annoncent rituellement de nouveaux renoncements.

Car bien entendu, nous ne ferons rien. Conformément au théorème de Péguy, avant d’agir, il faudrait nommer et avant de nommer, il faudrait voir. Certes du PS au RN, il y a désormais unanimité contre les Insoumis et leur dégoûtante complaisance. Des hiérarques socialistes, écolos et communistes qui se sont acoquinés avec le parti de Rima Hassan ont leurs vapeurs. Ils prennent leurs distances. Au moins le temps de pleurnicher devant les caméras. Quant aux macronistes, maintenant qu’ils ont sauvé quelques dizaines de sièges grâce à leur carnaval antifasciste, ils prétendent désormais sauver leur âme avec des trémolos. Il y a deux mois, pour les uns comme pour les autres, l’antisémitisme n’était pas un motif de rupture, mais un point de détail. On n’a pas oublié.

L’antisémitisme, tendance dans une large partie de la jeunesse

Tous ont ouvert un œil – qu’ils refermeront dès que leurs intérêts électoraux seront en jeu. L’autre reste désespérément clos. Si les Insoumis instrumentalisent les sentiments antijuifs, c’est bien que ces sentiments existent. Où donc, au fait ? On le sait depuis 2002, le feu antisémite couve dans nos territoires perdus, là où les expressions les plus radicales de l’islam sont devenues la culture dominante. Toutes les enquêtes en attestent : pour une grande partie de notre jeunesse musulmane, l’antisémitisme n’est pas honteux, il est tendance. Seulement, pour l’admettre, nos admirables sauveurs de République devraient renoncer à leurs illusions multi-culti et à l’image flatteuse d’eux-mêmes qui va avec. Bien entendu, nous ne verrons rien. On continuera à se raconter des fadaises sur le vivre-ensemble perturbé par une infime minorité qui n’a rien à voir avec l’islam. Et à importer des antisémites au nom des droits de l’Homme.

Le Parti des médias nous enjoindra encore et toujours de regarder ailleurs. Il accueille en fanfare le « roman » d’Aurélien Bellanger. Le gars a dégoté une niche originale dans l’antifascisme. Pour lui, l’urgence, c’est de combattre la (fantomatique) gauche laïque. L’ennemi, c’est Philippe Val, c’est Manuel Valls, et même (la classe) feu Laurent Bouvet, fondateur du Printemps républicain qui ont, accrochez-vous, « réinventé un racisme à gauche ». Son hypothèse est résumée par Le Nouvel Obs : « Et si c’était au cœur de la gauche qu’était né l’esprit réactionnaire et raciste qui menace notre époque. » Tant de sottise laisse sans voix.

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Le 26, pour sa grande rentrée sur France Inter, Sonia Devillers reçoit ce Bellanger en majesté. Deux jours après qu’une synagogue a été attaquée au nom de l’islamo-palestinisme, cet inutile marquis des lettres ose déclarer : « Une islamophobie extrêmement forte travaille la société française. » Ce n’est pas l’islamisme qui travaille la société française, ce n’est pas l’antisémitisme, c’est l’islamophobie. Ravie de la crèche islamo-gauchiste, son interlocutrice ne songe pas à lui rétorquer que l’islamophobie, comme la critique de toute religion, est un droit. Sa bonne volonté progressiste vaudra à notre duo les félicitations de l’ex-CCIF dissous en France pour propagande islamiste.

Le même jour, un ami me raconte que son fils de 9 ans, scolarisé dans le public à Paris 14e, dans un coin plutôt bobo, a compris spontanément, sans la moindre consigne parentale, qu’il devait taire qu’il était juif. Comme son grand-père est un juif turc, le gamin brode sur ses origines turques. Des ondes nationales aux cours de récré, tout le monde a intégré l’avènement de la nouvelle France dont parle Zemmour.

Je n’aurais pas dû. Je me suis surprise à penser tout haut (sur CNews) que je ne finirai peut-être pas ma vie dans mon pays. Il ne s’agit pas d’un choix, encore moins d’une décision, plutôt d’un constat. L’idée qu’un jour, ce ne sera plus tenable. Pour les juifs et, un peu plus tard, pour les autres Français, ceux qui n’ont pas d’Israël. Alors peut-être qu’à quelques-uns, pour rester ensemble et pas trop loin, on fera notre alyah en Italie.


[1] Manuel Valls l’a aussi appliquée aux catholiques après des attentats contre des églises, ce qui est bien le moins.