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Pour les « Reds », Darmanin est ministre de l’Injustice !

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Après le fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des Champions 2022 et le calvaire vécu par les célèbres « supporters anglais » – privés d’accès au stade, gazés aux lacrymogènes et victimes de vols aux abords du Stade de France –, comment appréhendent-ils leur prochain déplacement dans la capitale française?


Mercredi 5 mars, en 8e de finale de la Ligue des Champions, le PSG reçoit le Liverpool FC, qui revient à Paris avec en tête de très mauvais souvenirs…

La dernière fois que l’équipe anglaise s’est déplacée en Ile-de-France, c’était le 28 mai 2022, au Stade de France à Saint-Denis, pour disputer la finale de la Ligue des Champions, une soirée qui avait tourné au cauchemar. Non seulement les Reds, surnom des joueurs de Liverpool, avaient perdu (victoire du Real Madrid 1 à 0) mais, surtout, leurs supporteurs étaient tombés dans des embuscades tendues par les cailleras du 9.3, profitant de l’événement pour faire la razzia.

Le comble, c’est que ces racailles avaient obtenu l’absolution du ministre de l’Intérieur français qui sans recul avançait alors que les Anglais avaient tiré les premiers, en se comportant comme des vandales. Sur X / Twitter, il nous en fichait son billet: « Des milliers de «supporters » britanniques, sans billet ou avec des faux billets ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers. »

Ce ministre était Gérald Darmanin…

À lire aussi : PSG: quand tifo allié (au Hamas)…

En février 2023, une commission d’experts indépendants rétablissait la vérité et démontrait que le premier fauteur de troubles était la police française, qui mal dirigée et encadrée, avait laissé les racailles se livrer à leurs exactions en toute impunité. Et qu’en conséquence les allégations de Gérald Darmanin n’étaient que des mensonges éhontés.

Dès le match suivant à Anfield, le temple du Liverpool FC, les fans des Reds brandissaient des banderoles où Darmanin (en compagnie de la ministre des sports Amélie Oudéa-Castéra) était caricaturé en Pinocchio.

Aujourd’hui, les supporteurs anglais sont donc de retour à Paris (mais moins nombreux qu’à l’accoutumée car certains ont décidé de boycotter la France…) et en haut-lieu on redoute qu’au Parc des Princes les sujets du roi Charles III fassent éclater leur ressentiment envers Darmanin… nouveau garde des Sceaux pour les Français, mais pour les Anglais éternel ministre de l’Injustice.

Un dandy nommé Eudeline

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Critique de rock éclairé, talentueux romancier, auteur-compositeur singulier, Patrick Eudeline signe un superbe récit autobiographique dans lequel il dévoile tout : sa famille, ses amis, ses fêlures et ses galères…


Perdu pour la France, Patrick Eudeline, Séguier, 2024.

On le savait critique de rock inspiré, avant-gardiste abordable et non poseur, capable d’exhumer raretés oubliées ou de réhabiliter des perles trop longtemps méprisées (ses articles dans le regretté Best le confirment) ; on l’a découvert auteur-compositeur précurseur (avec son groupe Asphalt Jungle) ; puis écrivain avec le manifeste essentiel – manière de Grognard & hussards, de Bernard Frank – du mouvement punk des seventies (L’Aventure punk, Le Sagittaire, 1977 ; Grasset, 2004) mais surtout avec de sublimes romans dans lesquels il aiguise sa plume surprenante (Dansons sous les bombes, Grasset, 2002 ; Rue des Martyrs, Grasset 2009) ; aujourd’hui, il nous surprend avec un récit autobiographique et inattendu : Perdu pour la France, dans lequel il dit tout, tout sur lui, sur sa vie, sur ses peurs, ses doutes, ses galères, sa famille, avec une désarmante et presque innocente sincérité. C’est beau comme quand un jour de 1974, Kléber Haedens nous donna à lire Adios. On comprend alors que Patrick Eudeline n’est pas seulement un sacré écrivain ; on comprend aussi que c’est un sacré bonhomme, authentique, hanté, fêlé comme un baron Corvo, loin, si loin, des frimeurs surestimés de la rock critic.

Lorsqu’on l’interroge sur le pourquoi de cet opus, il répond tout de go : « Parce que le temps était venu ! J’ai refusé plusieurs propositions d’autobiographies. Je n’aime pas le format. Mais un livre de souvenirs… oui ! C’est aussi un essai sur le Monde d’Avant. Plus intéressant de raconter les scouts et le collège Stanislas, le Pigalle d’alors et d’aujourd’hui que mes rencontres avec Mick Jagger ! La dope avec Sid Vicious, ça oui c’était marrant à raconter ! » Quant au pourquoi du titre énigmatique Perdu pour la France, il lâche : « Les bons titres sont des valises et des punchlines. Tu y mets ce que tu veux… »

 « Mon père, le vrai, était peut-être juif »

Des confidences intimes, il en pleut. Saviez-vous que jeune adolescent, il publia son premier article dans le bulletin Mon VI, micro-journal du VIe arrondissement édité par Tibéri (son père retapait l’un des nombreux appartements de l’inénarrable politicien). Titre des deux feuillets ? « L’art de l’esquive ou les basses manœuvres du Florentin » ; est-il utile de préciser que Mitterrand en prenait pour son grade ?

À lire aussi, Emmanuel Domont : Patrick Eudeline, le rock à l’âme

Le père de Patrick, parlons-en ! Il se prénomme Robert et fait croire à sa famille qu’il a quasiment libéré seul la ville du Havre du joug nazi. Du pipeau. Qui était-il pour lui ? « Ouh la ! L’image et l’origine même de mes contradictions. Un gaulliste prolétaire, hâbleur, et quelque peu inculte qui rêvait de bourgeoisie sans la comprendre. Le beauf de Cabu… un produit de la guerre etc., etc. » Il laisse même entendre qu’il pourrait ne pas être son propre géniteur : « Je ne saurais jamais. Mon père, le vrai, était peut-être juif. J’aimerais bien… je raconte tout ça. » En revanche, de son frère Christian, aujourd’hui critique de rock et écrivain, il en parle peu : « Pas envie et peur de la polémique, de le heurter. Je ne parle pas non plus de la seule femme que j’ai épousé, mais le livre lui est dédié. » Il en est de même de ses années Best : « Tellement de choses à raconter. Je suis allé au plus signifiant ou spectaculaire. Faudrait un second tome ! Mais non… » Il est plus disert à l’endroit du collège Stanislas, institution privée pour fils de bonnes familles, qui l’a marqué : « Ce sont mes racines, mes contradictions, ma culture. Comme disait Gainsbourg, l’érotisme comme la provocation ne se conçoivent que dans la langue de Bossuet. Comprenne qui pourra. » Il raconte même qu’adolescent, il a mis enceinte une fille de son âge. Un petit Eudeline existerait-il sur terre ? « Non malheureusement… Tout est vrai, évidemment. Sinon à quoi bon ? Le petit Eudeline a fini à Londres. Avortement, bien sûr. Grande famille ! J’avais quinze ans, et elle aussi. » Plus surprenant également, il cite Cloclo, Sheila et Enrico, et pas pour en dire du mal, loin de là. Et lâche cette belle phrase : « Puisque la France qu’ils chantent est celle qui me manque chaque jour. » Nostalgique des sixties et des seventies ? Bien sûr ; on est en droit de dire que l’époque actuelle le dégoûte. Que lui reproche-t-il ? « Euh… tout ! C’est la fin d’un monde. Une dégringolade dans un terrifiant Moyen Âge. » Suffisant pour se faire qualifier de droitard et de réac sur les réseaux sociaux : « Aujourd’hui il faut choisir son camp. Pour ce livre j’ai eu toute la presse et médias de droite, sauf CNews ! Et seulement France Inter à gauche. Un grand journal de gauche m’a avoué adorer le livre, mais comme Causeur, Le Figaro et le JDD en parlent…. Blackliste ! » Sur le plan de la musique, il balance, Patrick ; il balance tout. Lui, le précurseur du punk en France, confie avoir été marqué par le progressif rock français des années 70. D’autres, de sa génération, devenus rock’n’rollers tardifs, ont tout fait, eux, pour le dissimuler. Une sincérité qui l’honore : « J’aime la musique et son histoire, tout simplement. Je suis autant passionné par Puccini que par le blues crade ou la pop sixties. Les chapelles rock, c’est de l’ignorance en barre. »

 « Je suis une erreur sociale »

Il en est de même lorsqu’il concède que la haute bourgeoisie l’a toujours fasciné : « J’aime l’élégance, les grandes bibliothèques et… je suis une erreur sociale. Wilde est mort pauvre. Baudelaire…. ma hantise… Le dandysme est une philosophie, un désespoir. Le fétichisme des choses et des codes, la haine de la nature. Une transcendance ! Et puis ça occupe. Trouver le bon jean, rien que ça ! Bon, cadeau aux lecteurs : Lévis 505 ou rien ! ». Ses projets ? « Je me consacre à un livre… Totalement inattendu. Un thriller dystopique et grand public ! Je n’en dirais pas plus. Veilleuse sur la musique, sauf si propositions alléchantes. Que j’espère plus coté presse ou radio, d’ailleurs. Mon côté bon client ne demande qu’à s’épanouir. Le livre… le prochain… Il y a déjà des éditeurs très intéressés. Marre du côté poète maudit. Jamais été mon idéal ! » 

Même s’il chaloupe – à l’instar de Daniel Darc et Johnny Thunders –, Patrick Eudeline est toujours en marche. C’est bon signe pour nous, ses lecteurs passionnés.

Perdu pour la France

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Réseaux sociaux et jeunesse: en finir avec la dérégulation complice !

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Cyberharcèlement, contenus toxiques, pornographie, dépendance aux écrans : la France devrait d’urgence s’inspirer des meilleures pratiques de l’étranger pour protéger ses enfants des méfaits d’Internet.


Donner du vin aux enfants était, au siècle dernier, commun. De même, il était usuel de voir des tout jeunes collégiens aller s’acheter un « paquet de clopes » au bureau de tabac de la rue… On ne compte plus les pratiques, parfois recommandées par le corps médical de l’époque, aujourd’hui interdites pour la jeunesse. De même, une signalétique adéquate permet de guider les parents pour les programmes à la télévision, les films au cinéma sont catégorisés en fonction des classes d’âge ; et c’est heureux !

Pourtant, en ce qui concerne les réseaux sociaux (et Internet au sens large), le laisser-faire le plus absolu règne : pas un jour où un fait divers ne mette en scène le rôle prépondérant des réseaux sociaux dans les cas de harcèlement, de jeux mettant en danger la vie même des jeunes, ou les abus sexuels les plus sordides.

Aucune limite n’est infranchissable pour toutes les audiences, de 4 à 77 ans !

Fin 2024, l’Union européenne a stigmatisé « l’ingérence » de TikTok dans les élections roumaines, qui d’ailleurs furent annulées. Elon Musk lui-même est souvent accusé d’interférer dans tel ou tel processus politique.

La France, si prompte à dénoncer le danger de ces réseaux pour la démocratie, ne fait rien pour protéger sa jeunesse.

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Pire encore, ce grand vide permet à des forces parfois terroristes d’infuser leur propagande et leurs images à un public peu préparé à s’en protéger : de nombreuses études décrivent les stratégies des Frères musulmans, de Daech, ou de forces radicales souvent situées à l’extrême gauche, d’inonder la jeunesse de leurs thèses (dont l’antisémitisme n’est pas la moindre).

67% des élèves du primaire sont connectés à au moins un réseau social, 32% d’entre eux reconnaissent avoir vu des contenus choquants, violents ou inappropriés.

La loi sur la « majorité numérique » votée en juillet 2023 et interdisant aux moins de 15 ans de s’inscrire sur les réseaux sociaux est souverainement ignorée : tous les moins de 15 ans savent qu’il suffit de changer son année de naissance sur le formulaire… Ce laisser-faire entraîne une véritable addiction qui occupe entre deux et trois heures par jour, voir sept à heures pour les plus dépendants.

L’Institut des français de l’étranger, dans sa dernière étude, détaille l’ensemble des mesures appliquées dans des pays qui ont su prendre en main la régulation des réseaux sociaux : trois grands axes sont principalement mis en œuvre.

Prévention et éducation

En Corée du Sud, l’une des nations les plus connectées au monde, le gouvernement a intégré l’hygiène numérique dans les programmes scolaires afin de limiter les effets négatifs des réseaux sociaux. Dès l’école primaire, les élèves apprennent à gérer leur temps d’écran, à comprendre les mécanismes de dépendance des plateformes et à adopter une utilisation équilibrée des outils numériques tout en apprenant à relativiser les contenus.

Encadrés par des psychologues et des éducateurs spécialisés, les jeunes y apprennent à réguler leur consommation des écrans et à redécouvrir des interactions sociales en dehors du cadre virtuel.

L’Espagne, de son côté, a intégré des modules d’éducation numérique directement dans son système scolaire. Plutôt que de simplement mettre en garde contre les dangers des réseaux sociaux, ces modules visent à offrir aux élèves une compréhension approfondie des stratégies mises en place par les plateformes pour capter leur attention. En expliquant les algorithmes qui influencent leur comportement en ligne, ces programmes permettent aux jeunes de mieux identifier les manipulations subtiles et de prendre du recul face à leur consommation de contenus numériques.

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Pour accompagner cette initiative, l’Espagne a également mis l’accent sur la formation des enseignants, afin de leur donner les outils nécessaires pour repérer les signes d’addiction aux réseaux sociaux, ainsi que les signes de mal-être chez leurs élèves. Grâce à ces formations, les enseignants peuvent mieux encadrer les discussions sur l’usage du numérique, orienter les élèves en difficulté vers des solutions adaptées et instaurer des pratiques éducatives favorisant un rapport plus sain aux écrans. Cette approche permet de responsabiliser non seulement les élèves, mais aussi les acteurs de l’éducation qui jouent un rôle clé dans la prévention.

Parallèlement, l’Espagne a lancé de grandes campagnes de sensibilisation destinées à informer à la fois les jeunes et leurs parents sur les risques liés à une exposition excessive aux écrans et aux contenus dangereux.

Mettre les plateformes devant leurs responsabilités !

En Australie, le gouvernement a pris une mesure radicale en 2024, interdisant ainsi l’accès des réseaux sociaux aux moins de 16 ans sans possibilité de dérogation parentale.

En retardant leur accès aux plateformes numériques, l’Australie cherche à protéger les adolescents des effets négatifs du temps d’écran excessif, qui inclut une diminution de la concentration, un impact sur le bien-être psychologique et une augmentation des risques de dépendance.

Cette réglementation vise également à limiter des phénomènes préoccupants comme le cyberharcèlement et l’accès à des contenus inappropriés. En bloquant l’inscription des mineurs de moins de 16 ans, le gouvernement réduit leur vulnérabilité face aux interactions toxiques et aux dérives des réseaux sociaux, notamment en matière d’exploitation et de manipulation en ligne. Contrairement à d’autres pays qui laissent une certaine flexibilité aux parents, l’Australie a choisi une interdiction stricte considérant que l’encadrement parental seul ne suffisait pas à prévenir efficacement les dangers liés à l’hyperconnexion.

Autre fait notable : alors que l’on considère souvent que la toute-puissance des plateformes est difficilement contrôlable, le gouvernement australien oblige ces dernières à mettre au point elles-mêmes l’outil de contrôle, sous un an, au risque de fermer définitivement l’accès si cela n’est pas réalisé de manière satisfaisante.

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Aux États-Unis, la Californie a adopté une approche différente mais tout aussi stricte, en régulant directement les pratiques des plateformes numériques grâce au California Consumer Privacy Act (CCPA). Cette législation impose aux entreprises technologiques des règles spécifiques pour protéger les jeunes utilisateurs, notamment en limitant les notifications intrusives qui poussent à une connexion compulsive. En effet, l’une des stratégies des plateformes comme Instagram, TikTok ou Snapchat consiste à envoyer des rappels fréquents et des alertes pour inciter les utilisateurs à revenir sur l’application, créant ainsi une boucle addictive. En restreignant cette fonctionnalité, la loi californienne cherche à briser ces dynamiques de dépendance.

Le CCPA cible également les algorithmes de recommandation, qui sont conçus pour maximiser le temps passé sur les plateformes en proposant du contenu ultra-personnalisé. En obligeant les entreprises à réduire l’impact de ses algorithmes sur les mineurs, la Californie tente de limiter l’engagement excessif et la surexposition aux contenus viraux potentiellement nocifs. Cette régulation met les géants du numérique face à leurs responsabilités et les incite à concevoir des interfaces moins addictives pour les jeunes publics.

Ces politiques en Australie et en Californie montrent une volonté claire de limiter l’influence des réseaux sociaux sur le comportement des adolescents en imposant des restrictions légales aux plateformes numériques. Elles témoignent également d’un changement de paradigme : au-delà de la sensibilisation des jeunes, les États prennent désormais des mesures coercitives pour réguler directement l’écosystème numérique.

Libérer les jeunes les plus dépendants de l’emprise des réseaux sociaux

La Corée du Sud et l’Espagne se distinguent aussi par des stratégies innovantes en matière de sevrage numérique.

En Corée, où l’addiction aux écrans est un enjeu de santé publique, le gouvernement a mis en place des dispositifs thérapeutiques spécifiques, incluant des consultations gratuites pour les jeunes en détresse numérique. Encadrés par des psychologues et des spécialistes du numérique, ces jeunes bénéficient d’un suivi personnalisé et de thérapies adaptées pour les aider à réduire progressivement leur usage des réseaux sociaux. En complément d’un effort pédagogique sur les dangers des réseaux, le pays a mis en place des « lieux de désintoxication numérique » destinés aux adolescents présentant des signes de dépendance. Ces lieux, souvent situés en pleine nature, proposent un programme intensif mêlant activités physiques, thérapie de groupe et sensibilisation aux dangers de l’hyperconnexion. En éloignant temporairement les jeunes de leurs appareils numériques, ces centres leur permettent de reconstruire leur autonomie, d’améliorer leur concentration et de restaurer un lien plus sain avec leur entourage.

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L’Espagne a adopté une approche similaire en mettant en place un système de dépistage des troubles émotionnels liés à l’usage excessif des réseaux sociaux. Ce programme vise à identifier précocement les signes d’anxiété, de dépression et d’isolement social qui peuvent résulter d’une consommation excessive des plateformes numériques. Grâce à des collaborations entre écoles, services de santé et associations spécialisées, les adolescents à risque sont rapidement orientés vers des structures d’accompagnement adaptées.

Ce dépistage précoce permet une prise en charge immédiate des cas les plus préoccupants, avant que l’addiction aux écrans ne devienne un problème irréversible. L’Espagne a ainsi développé des programmes de soutien psychologique intégrés aux établissements scolaires, avec des séances d’accompagnement animées par des professionnels de la santé mentale.

Réguler l’utilisation des réseaux sociaux : oui c’est possible !

En Floride, depuis le 1er janvier 2025, les réseaux sociaux sont interdits aux moins de 14 ans, entre 14 et 15 ans un accord parental est obligatoire. Le Royaume-Uni a tout récemment commandé des études afin de préparer un dispositif de protection de la jeunesse. Ce problème sous-estimé en France doit d’urgence être remis à l’ordre du jour : l’utilisation des réseaux sociaux par les plus jeunes est aujourd’hui un non-sujet qui pourtant est de plus en plus dénoncé par les pédagogues, les pédopsychiatres et les enseignants… rien ne se passe !

Face à des parents parfois dépassés, il est temps que l’État réagisse ! Les modèles étrangers ne manquent pas…

Dans le monde du football, il y a les bons et les mauvais otages…

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Mikhael Nabeth s’indigne de voir que les hautes institutions du football refusent toute communication ou mise en place d’hommages vis-à-vis de l’horreur du 7-Octobre et l’enlèvement des otages.


Causeur. Vous êtes co-fondateur de l’association Human Face. Quel est son objectif ?

Mikhael Nabeth. C’est important de démystifier l’idée que les gens ont d’Israël et de détruire cet imaginaire collectif, d’un peuple autocentré qui a rompu avec toute forme d’humanité. Pour cela, j’ai commencé par réaliser des interviews d’Arabes qui vivent dans les territoires les plus reculés, près de Ramallah. Ils nous parlent de leurs droits, de leurs salaires et de leurs conditions de vie assez longuement pour qu’on comprenne ce qu’il en est vraiment. On voit dans ma vidéo que la contextualisation du 7-Octobre par le Secrétaire général de l’ONU est non seulement ignoble, mais en plus mensongère. Outre ce projet qui montre la réalité des uns et des autres en face, j’ai produit du contenu « débunk » et développé une activité sur les réseaux sociaux, notamment LinkedIn.

Il y a aussi une part importante de notre travail qui vise à alerter directement les politiques et les instances publiques à travers des rapports ou des enquêtes sociologiques, et on développe une branche juridique pour 2025.

Mikhael Nabeth

Fin 2023, vous avez contacté la Ligue de Football pour proposer une action en faveur des otages israéliens retenus par le Hamas.

Il n’est pas tolérable de voir que le Hamas bénéfice de relais en Europe ! On a demandé aux institutions du football s’il était possible de mettre en place des communications d’avant-match pour appeler à la libération des 240 otages et montrer une rupture idéologique entre le monde du football et le terrorisme. Chacun sait que les financements du football sont qataris et qu’un rapport idéologique parfois malsain s’installe entre le monde du football et le public jeune, crédule et réceptif aux messages antisémites d’un Dieudonné ou de joueurs de football. Cela nous oblige à agir.

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Mais l’UEFA ou les instances du foot français ont-elles l’habitude de laisser passer des messages politiques ou humanitaires sur les terrains ?

Sur ce sujet précis de la prise d’otages, elles l’avaient déjà fait. Par exemple pour les journalistes MM. Ghesquière et Taponier, retenus en Afghanistan, en 2011. La Ligue de Football avait fait une communication d’avant-match de la finale de la Coupe de la Ligue OM – Montpellier. Et sinon, ils communiquent pour de nombreuses causes : séisme au Maroc, lutte contre le cancer, les attentats de Charlie Hebdo… Cela ne manque pas.

Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, les instances du foot traitent de l’homosexualité plusieurs fois par an, en grande pompe. Le travail de la Ligue est remarquable là-dessus, ils investissent aussi 4% de leur chiffre d’affaires dans les communications RSE. C’est d’ailleurs ce qui est un peu choquant : avec toutes les communications passées, ce silence sur les otages prend une dimension de complaisance. Vous ne pouvez pas dénoncer les attentats en Russie l’an dernier, et vous taire pour le 7-Octobre.

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Quelle a été la réponse des institutions de football ?

Ils ont refusé. D’abord, ils ont annoncé avoir fait une minute de silence pour les Israéliens et les Palestiniens et que c’était suffisant. Cette réponse est odieuse, déjà parce qu’on a demandé un message pour les otages, et d’autre part parce que leur communication a totalement zappé les crimes terroristes du Hamas. Puis, à force d’insistance, j’ai eu la direction au téléphone qui m’a avancé des arguments bancals. Par exemple, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas communiquer sur les otages car ils avaient un agenda de communication. Je leur ai rétorqué que pour le séisme au Maroc ils ont mis 24h à le faire. J’ai produit une enquête sociologique qui a mis en évidence que les discours « Hamas, résistants » sont partagés par la moitié du public (échantillon de 300 supporters) et des cabinets ministériels sont intervenus. En vain. Ni le viol de Courbevoie perpétré par un jeune au maillot du PSG, ni l’attentat raté de la Grande-Motte n’auront fait agir la Ligue non plus, ils sont ancrés dans un profond refus.
Quant à la FFF, ils ont aussi refusé un soutien aux otages pour le dernier France-Israël. Ils ont avancé que l’UEFA leur interdisait, en vertu de l’article 14 qui interdit les manifestations politiques. Autrement dit, ils considèrent qu’une prise d’otages de civils s’inscrit dans des négociations politiques, ils parlent le langage du Hamas.

Ce même jour, les ultras du PSG déploient le tifo pro-Palestine, avec Israël rayé de la carte…

Au moment où la FFF me dit qu’ils refusent de communiquer pour France – Israël, on a un match de Ligue des Champions le soir même : PSG – Atletico Madrid.

Un tifo gigantesque sort, oui, et il évince Israël, et représente les Juifs comme des sanguinaires, fait écho à la prise de Jérusalem par des djihadistes, et la réponse de l’UEFA est de dire « circulez, il n’y a rien à voir ». Le Paris Saint-Germain ne sera pas inquiété, aucune sanction de l’UEFA ou du ministère de l’Intérieur. Ils ont même déclaré que le tifo n’était pas provocateur ou insultant. Que leur faut-il, à l’UEFA ? Donc demander la libération d’otages est politique, mais un tifo from the river to the sea ne l’est pas ? Pourquoi le gouvernement n’a pas pris de sanctions contre Nasser Al Kheilafi ?

«Si l’Université devient un espace ouvert aux vents des idéologies, plus aucune recherche, plus aucun enseignement n’est possible»

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Florence Bergeaud-Blackler nous explique que sa conférence prévue à l’université de Lille a été annulée sous la pression d’un syndicat étudiant radical et de certains universitaires opposés à ses travaux, officiellement pour des raisons de « trouble à l’ordre public ». Elle dénonce une censure orchestrée par des chercheurs proches des idées islamo-gauchistes, qui cherchent à tout prix à empêcher tout débat sur l’influence des Frères musulmans.


Causeur. Le doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de la faculté de Lille a décidé d’annuler votre conférence prévue le 5 mars. Que s’est-il passé ?

Florence Bergeaud-Blackler. Il y a deux ans, je publiais Le Frérisme et ses réseaux, un livre salué par trois prix. Il attira l’attention sur mon parcours jusque-là plutôt discret, parcours distingué en 2024 par la Légion d’honneur. Tout n’allait pas si bien cependant. Il y a deux ans, ma conférence à la Sorbonne a été suspendue, provoquant une émotion si forte que la Sorbonne l’a finalement autorisée. On a cru alors l’événement résolu. En réalité, j’ai bien donné ma conférence, sous haute sécurité, mais je suis entrée ensuite dans une période de « diète » universitaire : quelques collègues ont tenté, sans succès, de m’inviter dans leurs universités pour y présenter ma conférence sur Le Frérisme et ses réseaux, laquelle explique de façon documentée et méthodique comment les Frères musulmans agissent pour subvertir nos sociétés sécularisées, notamment en investissant les universités. On ne trouvait plus de salle libre, il y avait toutes sortes d’impossibilités de dernière minute… Je pouvais ainsi donner des conférences partout, mais jamais devant des étudiants.

A l’université de Lille, un syndicat étudiant classé à droite, l’UNI, a pris son courage à deux mains et m’a invitée à donner une conférence le 5 mars 2025. Dès son annonce publique, l’évènement a été pris en chasse par une organisation étudiante motivée par deux idéologies alliées : l’islamisme et la gauche radicale, qui, sans surprise, détestent mon travail. Ce syndicat Union Étudiante a diffusé des affiches calomnieuses me traitant de raciste et m’identifiant à l’extrême droite, ce qui a toujours un effet hypnotique sur les étudiants. Il n’est pas surprenant que ce syndicat ne soit pas capable de mobiliser le moindre argument puisque, comme il le dit très bien, il n’est pas possible de parler à la droite, car pour lui la droite c’est l’extrême droite raciste avec laquelle il ne faut pas parler. La seule option qu’il lui reste est la censure. Ce syndicat, bien mal nommé, a tenté d’empêcher la tenue de ma conférence, mais au fond ce n’est pas lui qui a pris la décision de ne pas l’autoriser.

Ce sont donc eux qui réclament la censure, mais qui a choisi de la faire appliquer, qui a décidé au sein de l’université ?

Il faut plutôt se tourner vers M. Potteau, le doyen de la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, dont j’ai pu consulter le message adressé à l’organisateur le 25 février 2025. A-t-il obéi aux injonctions du syndicat ? Peut-être, mais pas seulement. Il a fait savoir à l’organisateur qu’il y avait un risque de trouble à l’ordre public en raison d’un contexte extrêmement conflictuel existant, disait-il, entre l’invitée (moi-même) et les membres d’une unité de recherche de sa faculté, et que donc il ne pouvait pas autoriser la conférence.

Ce ne sont donc pas les étudiants qui ont emporté la décision, mais bien des professeurs. Ceux-ci sont-ils téléguidés ? Trouve-t-on des liens entre certains chercheurs du labo en question et la Frérosphère ?

Analysons l’argument. Le doyen semble redouter non pas que le syndicat menaçant s’en prenne à ma conférence, mais les réactions conflictuelles de mes collègues membres du CERAPS – une unité de recherche de sa faculté. Trois chercheurs au moins travaillent sur des problématiques liées à l’islam contemporain et ils se montrent très hostiles à mes travaux. Par exemple, Karim Souanef considère que mon travail véhicule des biais qui « sont les conséquences d’une position normative, un anti-islamisme académique, et de l’absence de cadre épistémologique et théorique » (sic), mais sans dire lesquels.

Le problème ce n’est pas le désaccord, mais le fait qu’aucun de ces chercheurs n’ose débattre avec moi.

Quant à moi, j’estime que certains des chercheurs servent la cause frériste, et qu’ils utilisent leur position à l’université pour empêcher un travail sur les mouvements islamistes et les remplacer par des études sur les discriminations dites « islamophobes ». Les méthodes de Julien Talpin et Olivier Esteves, chercheurs au CERAPS, auteurs d’un livre publié au Seuil, ont d’ailleurs été épinglées par des intellectuels qui ont souligné les biais méthodologiques et les intentions idéologiques de leur livre, preuves à l’appui cette fois, dans un article publié par l’hebdomadaire Le Point[1].

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Le lecteur peu au fait de ces sujets pourrait penser qu’il s’agit d’une querelle entre chercheurs. Ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de débat académique car une partie fait tout pour l’empêcher notamment en instrumentalisant les étudiants et en leur commandant de ne pas lire et citer certains chercheurs dans leurs mémoires. Les syndicats étudiants de la gauche radicale utilisent des méthodes d’intimidation violentes psychologiquement et parfois physiquement, comme on l’a vu depuis le 7-Octobre, et qui impressionnent les recteurs. Si je parle du 7-Octobre, c’est qu’au CERAPS de Lille, on ne cache pas son soutien à la cause « palestiniste » et une certaine complaisance, c’est le moins qu’on puisse dire, vis-à-vis des thèses fréristes.

Julien Talpin, par exemple, est connu pour ses liens avec l’association proche des Frères musulmans Alliance citoyenne[2], il peut dire par exemple que « le burqini n’est pas un symbole religieux »[3] ce qui n’est pas seulement du déni, mais bien ce que les Anglais appellent du gaslighting (autrement dit une forme de manipulation consistant à inverser toutes les valeurs, à retourner tous les concepts et à dévoyer le langage de manière à renvoyer ceux qui en sont victimes à une forme de folie et d’impossibilité à saisir la réalité). Il fait aussi des conférences en compagnie d’Elias d’Imzalène, frérosalafiste fiché S qui a pour mission d’infiltrer les milieux de la gauche radicale, et que l’on a vu très actif dans des mobilisations pro-Hamas.

Décidément, Lille est un microcosme particulier. Le directeur de Sciences-po Lille, Pierre Mathiot, adorait participer aux rassemblements organisé par les Frères musulmans. Même quand ceux-ci invitaient les prédicateurs les plus obscurantistes et violents. Il continuait à les fréquenter y compris en tant que délégué interministériel et très proche de la ministre de l’Education d’alors, Najat Vallaud-Belkacem. Il n’a jamais rompu avec ses amis et est toujours très en cour quelle que soit la cour et reste un fidèle relais des Frères : en 2023, il luttait aux côtés des frères musulmans pour empêcher le déconventionnement du lycée Averroes, établissement sous leur coupe et fleuron de leur offensive éducative. Mais là, vous nous montrez que la gangrène a encore progressé dans la métropole lilloise.

Ce qui est sûr c’est que pour coécrire son livre, Julien Talpin a fait appel à deux recruteurs de témoins musulmans dans une annonce du club de Mediapart en 2021 : Marwan Muhammad du CCIF (interdit en France) et le frérosalafiste Fateh Kimouche, promoteur du hijab intégral et du halal way of life, un proche d’Elias d’Imzalene. Le biais de recrutement a évidemment des incidences sur les analyses de récit et sur les conclusions du livre qui sont destinées à faire croire que les musulmans subissent un traitement discriminatoire structurel par l’État. Le CERAPS de Lille qui s’est opposé à ma venue organise également des séminaires comme celui d’Haoues Seniguer un autre de mes contempteurs qui participe depuis des années aux congrès des Frères Musulmans de France. Lui aussi s’est spécialisé dans la dénonciation de la « République autoritaire », je cite. Il s’est précipité dès la sortie de mon livre pour publier des textes incendiaires depuis l’EHESS-IISMM dont il était l’influent co-directeur, textes insultants et peu probants auxquels j’ai d’ailleurs répondu dans un autre texte, mais je n’ai pas pu le faire à l’Université ; lui y a accès, pas moi[4].

C’est un peu ennuyeux que ce Haoues Seniguer fasse œuvre de propagande en distillant le venin de l’existence d’une islamophobie d’Etat et que dans le même temps il soit membre du conseil scientifique du Bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur. C’est parce que Hassan Iquioussen n’était pas libre et Tariq Ramadan occupé à préparer ses procès ?

Je pense que le Bureau Central des Cultes (BCC) est très imprudent dans le choix de ses interlocuteurs. Aussi bien de ceux qui sont supposés représenter le culte musulman, que de ceux qui composent le conseil scientifique, des académiques, qui choisissent les candidatures des projets qu’il finance chaque année depuis 2015. Je pense que le BCC n’a aucune compréhension du frérisme, aucune idée de sa dangerosité, aucune appréhension de ses méthodes d’infiltration et de noyautage qui ne sont pas celles du djihadisme avec qui le frérisme partage le même projet de société islamique. Et comme le BCC joue un rôle clé dans la gestion des relations entre l’État et les cultes, il peut être une porte d’accès pour l’entrisme islamiste au ministère de l’Intérieur.

L’entrisme concerne tous les secteurs, cela a été théorisé par Youssef Al Qaradawi le maître à penser des Frères musulmans européens. Le secteur de l’éducation et notamment l’université a toujours été une priorité pour les Frères qui veulent former une élite. Ils ont compris que, pour garder une position de contrôle, il fallait empêcher à tout prix la connaissance de l’islamisme en contexte européen. Ils ont fait en sorte que tout débat contradictoire à ce sujet soit considéré comme une atteinte islamophobe et raciste, et ont facilité la carrière de chercheurs dociles qui sont devenus leurs instruments, et empêché celles de chercheurs critiques.

Mon livre sur le frérisme qui connait un vrai succès est passé à travers les mailles de leurs filets, ils m’en veulent beaucoup. S’ils parviennent à susciter un climat de terreur, la responsabilité, sur ce plan, n’est pas seulement celle des idiots utiles de l’islamisme que sont certains syndicats étudiants, c’est celle de l’institution universitaire qui ne fait pas son travail.

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Quelles sont les conséquences pour vous de cette lâcheté qui semble caractériser les dirigeants d’université et des grandes écoles (Sciences-po s’est ridiculisé dans le soutien à la Palestine, les grandes universités américaines ont vu leurs dirigeants nuancer le combat contre l’antisémitisme en mode « ça dépend du contexte », tout cela après le véritable premier pogrom du XXIème siècle) ?

Le résultat, en ce qui me concerne, c’est que, bien que fonctionnaire du CNRS, payée par le contribuable pour chercher et enseigner, je ne suis plus en mesure de le faire sur les campus… ce que le CNRS me reproche, de surcroit. Je suis menacée dans mon propre pays, placée sous protection policière, ma tête circule sur les réseaux étudiants avec la mention raciste écrite en gros, avec tous les risques que cela implique. Certes, je peux survivre et vivre de mes recherches sans aller à l’université, j’ai tout le matériel intellectuel pour cela, je peux aussi partir à l’étranger, bien que la situation n’y soit pas toujours meilleure comme je l’ai montré avec l’exemple anglais[5]. Mais ce qui m’inquiète c’est que je n’ai plus accès aux étudiants. Certains d’entre eux viennent me dire qu’ils ne sont pas libres de mener leurs travaux comme ils l’entendent, pas libres de réfléchir, pas libres des lectures de leur choix, pas libres de critiques. D’autres me rapportent qu’on a changé la formulation de leur sujet d’étude, qu’ils ont le sentiment d’être contrôlés, ne veulent pas prendre le risque d’être harcelés etc.

On ne peut que plaindre ces jeunes étudiants. Concernant la conférence, d’autres ont déjà été annulées, je pense par exemple à une conférence sur la Palestine que devait faire Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon à l’université de Lille, le 18 avril 2024. L’université n’a-t-elle pas choisie le parallélisme des formes ?

Je comprends cette question, mais justement le problème est qu’il n’y a aucun parallèle à faire. Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon font des campus leur QG pour tenir leurs meetings politiques. Ils rebaptisent en « conférence » ce qui n’est que propagande. En ce qui me concerne, je suis docteure en anthropologie, habilitée à diriger des recherches et chargée de recherche au CNRS, l’université est mon biotope. La recherche et le séminaire sont mes activités principales, et quand je donne une conférence c’est pour proposer mes hypothèses et résultats, pas pour asséner des vérités ni même emporter l’adhésion. Ce que je recherche c’est la critique, car c’est ainsi qu’on produit la connaissance.

Pour faire évoluer notre compréhension des choses et l’enseigner, on nous a alloué un lieu qui s’appelle l’université. Cet espace doit être protégé pour garantir ce qu’on appelle la liberté académique : la possibilité de tout questionner, de tout étudier selon des règles et des méthodes rigoureusement définies. Si cet espace devient hostile et ouvert aux vents des idéologies, plus aucune recherche, plus aucun enseignement ne sont possibles. Le milieu universitaire devient alors redoutablement toxique pour les enseignants-chercheurs comme pour les étudiants qui sont la future élite, sa toxicité se répand, durablement, dans toute la société. L’Université française, les sciences sociales et, en particulier, les études sur l’islam contemporain sont en voie de disparition, alors que l’islamisme menace la cohésion nationale de l’aveu même du directeur du renseignement territorial Bertrand Chamoulaud[6].

Si le doyen de l’Université n’a pas eu de courage, on ne peut pas en dire autant de Xavier Bertrand. Le président de la Région des Hauts-de-France, qui a porté le combat contre le frérisme et a le premier coupé les crédits au lycée Averroes, vous a soutenu et trouvé une salle pour que vous puissiez tenir cette conférence.

Et je l’en remercie. Nous allons d’ailleurs organiser en plus de ma conférence une table tonde sur la liberté académique. Les censeurs ont perdu deux fois. Et, soyez-en sûre, je reviendrai à l’Université.

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[1] Ils estimaient notamment que « l’ouvrage constitue une honte méthodologique et déontologique, au service des basses œuvres électoralistes d’une gauche radicale dévoyée dans l’islamo-gauchisme, et qui ternit considérablement la réputation d’une maison d’édition naguère respectée ».

https://www.lepoint.fr/debats/quand-la-sociologie-cede-a-l-ideologie-31-05-2024-2561666_2.php

[2] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/la-france-tu-l-aimes-mais-tu-la-quittes-le-livre-au-service-de-la-strategie-victimaire-islamiste

[3] https://www.liberation.fr/debats/2019/07/21/burkini-entendre-cette-demande-d-egalite_1741270/

[4] Auquel j’ai répondu

[5] https://www.lepoint.fr/monde/pourquoi-les-freres-musulmans-investissent-ils-le-monde-universitaire-britannique-09-03-2024-2554577_24.php

[6] Le Monde, https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/12/23/pour-le-patron-du-renseignement-territorial-les-deux-risques-majeurs-pour-la-cohesion-nationale-sont-le-narcotrafic-et-le-separatisme-islamiste_6463074_3224.html

Elon Musk, vox populiste

Le patron de X a fait de son combat pour la liberté d’expression un bras de fer politique en attaquant des gouvernements de gauche (Australie, Brésil, Angleterre) et l’Union européenne. Accusé de trafiquer l’algorithme de sa plateforme pour diffuser sa bonne parole, ce qui reste à prouver, il se livre surtout à un numéro d’ingérence.


« Un milliardaire arrogant », « un fieffé menteur », « le troll », le soutien d’« une internationale réactionnaire », « Fuck you ! ». Voici quelques commentaires qu’Elon Musk a inspirés respectivement à Anthony Albanese (le Premier ministre australien), Thierry Breton, Olaf Scholz, Emmanuel Macron et à la femme du président brésilien, Lula. Musk, lui, sur sa plateforme X, a qualifié les autorités australiennes de « fascistes d’extrême gauche », Alexandre de Moraes, le président du Tribunal suprême fédéral au Brésil, de « Dark Vador », Scholz d’« idiot incompétent » et Breton de « dictateur de l’Europe ».

Ces amabilités sont la conséquence de ce que le propriétaire de la plateforme X prétend être son grand combat pour la liberté d’expression. Les échanges prennent une forme aussi hyperbolique parce que, au milieu du charivari des réseaux sociaux, seuls ceux qui crient fort sont entendus et deviennent influents. Pour être « amplifié » par un algorithme, c’est-à-dire reposté suffisamment de fois pour devenir viral, un post politique doit souvent susciter un faisceau d’émotions fortes – indignation et mépris à l’égard d’un adversaire dénoncé, jouissance face à sa déconfiture imaginée… Il règne en ligne une concurrence féroce pour attirer l’attention générale. Si Musk défend la liberté d’expression sur son réseau, il montre par son insolence comment exploiter cette liberté. Ou plutôt, il semble vouloir exploiter cette liberté pour le compte des autres. Quand, le 6 novembre, il annonce la fin du règne des médias traditionnels en déclarant à ses plus de 214 millions d’abonnés, « Vous êtes les médias maintenant », en fait c’est lui, le gros poisson aux posts viraux, le richard capable de tenir tête aux grands de ce monde, le pote de Donald Trump, qui entraîne les autres, les petits, avec lui. Car son combat pour la liberté d’expression véhicule un combat politique. Au cours des dix dernières années, la liberté de parole est devenue la grande cause de la droite, face à la gauche qui promeut la cancel culture et accuse ses adversaires de répandre des fake news et des théories du complot. Ainsi, Musk se présente-t-il comme le défenseur des peuples occidentaux contre le poison idéologique de la gauche. À ce titre, il se permet des ingérences scandaleuses dans les affaires gouvernementales d’autres pays.

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Le glissement d’un combat vers l’autre commence en avril 2024, quand Musk entre en conflit simultanément et de manière acrimonieuse avec les autorités judiciaires du Brésil du socialiste Lula et le gouvernement travailliste en Australie. Les accusant de censure, il refuse leurs demandes de supprimer certains contenus et des comptes accusés de répandre la désinformation. Bien que le Brésil soit un des plus grands marchés de X, il justifie son intransigeance en déclarant que « les principes sont plus importants que les profits ». Hélas ! sa plateforme y étant interdite fin août, il capitule. En Australie en revanche, un tribunal donne raison à Musk qui, en septembre, y conspue un projet de loi contre la désinformation, et en novembre critique la nouvelle législation interdisant l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans.

Un combat pour la liberté d’expression ou un agenda politique ?

Mais c’est en août, après sa déclaration de soutien à Trump en juillet, que Musk passe à une vitesse supérieure en attaquant les autorités de l’Union européenne et du Royaume-Uni. L’UE n’est pas socialiste, mais aux yeux de Musk elle est une bureaucratie autoritaire gérée par une élite antipopuliste dont Thierry Breton, encore commissaire à l’époque, est l’archétype. Quand ce dernier, avant l’entretien avec Trump que Musk diffuse sur X le 12 août, le met en garde contre la possible « amplification de contenus toxiques », Musk l’accuse d’être antidémocratique. Le patron de X observe que les questions d’immigration et de multiculturalisme, qui tarabustent nombre d’électeurs occidentaux, sont refoulées dans le discours officiel des institutions et des politiques. La mission qu’il s’assigne, c’est de compenser ce refoulement en propulsant ces questions – et ceux qui les portent – sur le devant de la scène médiatique. Va-t-il jusqu’à utiliser, non seulement le langage hyperbolique, mais aussi la puissance des algorithmes ? C’est ce que suggèrent, à l’automne, une étude conduite par des chercheurs australiens[1] et deux autres publiées par le Washington Post et le Wall Street Journal. L’algorithme de X aurait été « tweaked » (« modifié ») pour booster le compte personnel de Musk et d’autres comptes diffusant des opinions comparables, surtout dans le contexte de l’élection américaine. Depuis décembre 2023, X est l’objet d’une enquête de la Commission pour des violations – surtout d’ordre commercial – du Règlement sur les services numériques (DSA). Cette enquête a été ensuite élargie afin de considérer de possibles « tweaks » commandés par Musk sur l’algorithme de X. L’UE s’intéresse donc non seulement à la modération des contenus ou au langage des posts, mais aussi à l’éventuelle promotion algorithmique de certains discours idéologiques. Qui n’est à ce jour pas prouvée.

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À ce stade, Musk n’occupe pas de fonction officielle, il peut donc dire ce qu’il veut sur qui il veut. Reste que ses prises de position tonitruantes sur la politique intérieure d’alliés de l’Amérique ont un petit parfum d’ingérence – elles paraissent avoir cessé après le 20 janvier, mais dès le 5 novembre, le patron de X était quasi ministre, ou au moins proche conseiller, du futur président américain : les bonnes manières diplomatiques auraient dû le pousser à s’abstenir. Avant Noël, il affiche son amitié avec Nigel Farage, le patron de Reform UK. Des rumeurs suggèrent qu’il va financer le parti par un don de 100 millions d’euros. Il est vrai qu’aux élections de 2014, Reform UK a obtenu 14,3 % des voix mais selon le système britannique, seulement 0,8 % des sièges aux Communes. Mais quand Farage tente de se dédiaboliser en prenant ses distances par rapport à l’activiste anti-islamiste sulfureux Tommy Robinson, Musk prend ses distances avec Farage. En janvier, Musk manifeste un enthousiasme plus durable pour le parti populiste allemand, l’AfD, en interviewant sa co-présidente, Alice Weidel, sur X. L’UE aurait mobilisé jusqu’à 150 spécialistes des règles du DSA et des algorithmes pour « fact-checker » l’opération. Musk est très critiqué par les parlementaires allemands et européens, mais il peut se targuer de contribuer à un rééquilibrage démocratique : selon une étude, l’AfD, donnée en deuxième position par les sondages pour les élections fédérales du 23 février, représenterait seulement 2,6 % des passages dans les émissions politiques sur les chaînes publiques en 2024[2].

Elon Musk apporte son soutien à l’AfD via vidéotransmission lors du lancement de la campagne électorale du parti, Halle (Saale), Allemagne, 25 janvier 2025 © Hendrik Schmidt/DPA/SIPA

L’ingérence britannique : un tournant décisif

Il est peu probable que le soutien de Musk à l’AfD change la donne électorale en Allemagne. En revanche, certaines de ses interventions ont clairement un impact politique au Royaume-Uni. Il faut revenir au mois d’août 2024, lorsque Musk entame une longue querelle avec le Premier ministre, Keir Starmer, et le Parti travailliste. Après la tuerie de Southport, le 29 juillet, où trois petites filles sont massacrées par un jeune homme, fils d’immigrés rwandais, les autorités divulguent très peu d’informations sur l’identité de l’assassin et son mobile, et affirment qu’il ne s’agit pas d’un acte terroriste. Ce silence radio doublé de déni alimente les spéculations en ligne prétendant que le tueur est un immigré clandestin et un terroriste musulman. Quand des émeutes violentes explosent dans certaines villes, Starmer rejette la faute sur des groupes d’extrême droite et dénonce des plateformes comme X, coupables selon lui de permettre la libre circulation de mensonges et de propos haineux. Tantôt furieux, tantôt moqueur, Musk réplique en accusant le travailliste de favoriser une communauté – celle des musulmans issus de l’immigration – aux dépens d’une autre, celle des Blancs et des non-musulmans. Le tout, pour préserver l’illusion de l’harmonie multiculturelle. Les déclarations de Musk sont un mélange d’hyperbole et de bon sens : « La guerre civile est inévitable, si des cultures incompatibles sont réunies ensemble sans assimilation. » Elles ne sont pas si éloignées des interventions de certains élus britanniques, comme Farage ou de la leader des conservateurs, Kemi Badenoch, sauf qu’elles ont beaucoup plus de portée.

Or, fin octobre, lors de la mise en accusation du suspect, les autorités révèlent qu’il possédait un manuel d’entraînement d’Al-Qaida et qu’il avait fabriqué une quantité d’un poison mortel, la ricine. En janvier, lors de son procès, le monde apprend que, non seulement, il avait un passé de violence et de démêlés avec la police, mais aussi qu’il avait été inscrit trois fois au programme officiel d’antiradicalisation. Bref, quel que fût son degré d’adhésion à l’idéologie islamiste, il s’agissait a minima d’une forme de terrorisme « d’atmosphère » que les autorités ont lamentablement échoué à prévenir. La dissimulation de ces informations pendant des mois conforte la thèse populiste diffusée par Musk selon laquelle les politiques mainstream ne sont pas dignes de la confiance publique.

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Un malheur ne vient jamais seul – pas plus qu’une opportunité pour Musk. En même temps que montait l’affaire de l’assassin de Southport, le scandale des « grooming gangs » revenait sur le devant de la scène. Aujourd’hui, tout le monde connaît l’histoire de ces hommes d’ascendance pakistanaise qui, pendant des années, ont pratiqué la pédocriminalité en prenant pour victimes des milliers de filles blanches. Jusqu’en 2011, l’omerta a régné sur le sujet, en partie pour préserver la paix sociale et l’illusion du multiculturalisme dans des villes gérées par des élus travaillistes. Après 2011, le scandale éclate, mais reste l’objet de tentatives médiatiques et politiques de contestation et de minimisation. En France, de nombreux journaux, dont Causeur, ont traité ce scandale. Mais sans doute avaient-ils moins d’écho que X.

Quel avenir pour Musk dans le paysage politique mondial ?

La chaîne GB News continue à enquêter. Le 1er janvier, elle révèle qu’en octobre, la ministre de la Protection des femmes et des enfants, Jess Phillips, a refusé la demande de la ville d’Oldham d’une enquête officielle sur les grooming gangs. Cette nouvelle arrive comme une bombe dans les médias britanniques et est immédiatement reprise par Musk qui affirme sur X que Starmer a été « complice » de l’omerta. Il somme le roi Charles de dissoudre son gouvernement, ce qui est impossible sur le plan constitutionnel. Goguenard, il demande à ses abonnés si l’Amérique ne devrait pas « libérer le peuple britannique ». Quant à Phillips, il la traite même d’« apologiste de génocide par viol ». Si l’emphase de Musk ne connaît pas de limites, c’est peut-être parce qu’il a un intérêt particulier pour le Royaume-Uni, certains de ses ancêtres étant anglais. Ainsi écrit-il que sa grand-mère, originaire de Liverpool, aurait pu être la victime des gangs si elle était née plus tard.

La pression sur le gouvernement travailliste devenant intolérable, il capitule en essayant de sauver l’honneur par un compromis. Le 16 janvier, la ministre de l’Intérieur annonce cinq enquêtes locales et un « audit » national sur les gangs. Le 21 janvier, Starmer est contraint d’annoncer une grande enquête sur la tuerie de Southport, qui doit être conduite « sans aucun égard pour des susceptibilités culturelles ». Le Premier ministre dispose d’une large majorité parlementaire, mais son image est désormais ternie et son autorité affaiblie par ces affaires. Les interventions intempestives de Musk, amplifiées sur les réseaux et abondamment commentées dans les médias traditionnels, y ont largement contribué.

Reste à savoir si son poste de conseiller auprès de Trump permettra à Musk de continuer à jouer ce rôle de trublion populiste mondial. Les différents gouvernements trouveront-ils le moyen de fermer X, ou seront-ils obligés par le droit démocratique à la liberté d’expression de tolérer des discours qu’ils détestent, autant sur le plan formel que sur celui de l’idéologie ? Si le rouleau compresseur Musk peut paraître monstrueux, il est parfaitement adapté aux conditions de notre époque. Si c’est un monstre, c’est notre monstre.


[1] T. Graham, M. Andrejevic, « A computational analysis of potential algorithmic bias on platform X during the 2024 US election » (document de travail), eprints.qut.edu.au.

[2] « Vergleich der Parteizugehörigkeit der Politiker in den politischen Talkshows von ARD und ZDF und dem Sitzanteil im Deutschen Bundestag im Jahr 2024 », de.statista.com.

Le champ des partisans

Le Salon de l’agriculture, qui ferme ses portes dimanche, ne se réduit pas au charme pastoral et la promotion patrimoniale. C’est aussi le lieu d’intenses affrontements idéologiques entre les trois principaux syndicats de la profession:  la Coordination rurale, la Confédération paysanne et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).


Comme chaque année à la fin du mois de février, ce n’est pas Paris qu’on met en bouteille, mais la France qui se concentre dans un hangar. Toutes ses provinces réunies pour exposer les plus beaux spécimens de leur race bovine, de leurs vins capiteux, de leur fromage robuste, de leur pitance et de  leur mangeaille… Au rythme de la peña baiona et des paquitos, c’est aussi la beuverie annuelle des Franciliens et le passage obligé des hommes politiques dont le toucher irrévérencieux (à l’heure de #Metoo) sur les postérieurs des bestiaux se fait l’écho d’un temps où le roi thaumaturge nourricier investissait de sa magie l’imaginaire du peuple.

En 2024, la précédente édition du Salon avait été marquée par la contestation agricole dont l’acmé fut le fameux siège de Paris. Résultat, l’an dernier, la Coordination rurale a récolté la moisson de la colère paysanne et  fait une percée spectaculaire lors des élections consulaires en remportant la présidence de 13 chambres d’agriculture (contre 3 auparavant) sur les 94 que compte le pays, et en recueillant 29,25 % des suffrages à l’échelle nationale. Pour la première fois, la FNSEA qui était la force hégémonique depuis les années 1960, est passée sous les 50% (46.83%).

Née à la fin de 1991, dans un contexte de montée de l’opposition à la PAC (politique agricole commune), la Coordination rurale s’est forgé une réputation de syndicat «  de droite réactionnaire » prônant un programme simple : « Moins de normes, moins d’impôts, moins de contrôle… laissez-nous faire. »

« On n’est pas contre les normes mais il y a une limite à tout… »

Il faut dire que le ras-le-bol est général : « on n’est pas contre les normes mais il y a une limite à tout… », « des normes ici, pas de normes là bas… ». Des thèmes qui plaisent alors que les agriculteurs se sentent pris entre l’enclume de l’inflation normative et fiscale qui enchérit leur coût de production et le marteau du libre échange qui les soumet à une concurrence déloyale.

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Au cœur du salon, le stand de la Coordination rurale attire le regard en même temps que le chaland. Attroupement de bonnets jaunes qui prennent l’apéritif et se réunissent dans la bonne humeur et l’envie d’en découdre. Un folklore qui séduit tant les professionnels de la terre que les urbains habitués du salon. C’est ici, qu’a rendez-vous le député européen et ancien élu versaillais François-Xavier Bellamy. Difficile rencontre pour l’agrégé en milieu agrarien. La position majoritaire du PPE (Parti populaire européen), groupe parlementaire auquel il appartient à Starsbourg, dont les membres allemands de la CDU-CSU sont les ardents partisans de l’accord de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie), irritent les bonnets jaunes. « Il y a des clivages politiques au Parlement européen mais il y a aussi des clivages nationaux, se défend Bellamy. Les députés de certains groupes n’ont pas forcément les mêmes intérêts. Les partenaires (allemands) de Marine le Pen sont par exemple favorables au Mercosur car ils savent qu’ils pourront vendre leur production industrielle en Amérique latine » (le député faisant peu de cas de la rupture entre le RN et l’AfD au printemps dernier) mais essuie les questions acerbes des paysans : « comment pouvez-vous rester dans un groupe parlementaire pareil ? » « Je comprends le ressentiment du monde paysan… » nous confie l’élu.

Reconnaissable à son béret et ses deux mètres de musculature paysanne, le médiatique Pierre-Guillaume Mercadal, responsable de la Coordination rurale dans le Tarn-et-Garonne ne s’étonne pas du succès de son organisation : « Il y a 8 tentatives de suicide tous les jours. Un mort toutes les 36 heures. 2 ou 3 fermes qui disparaissent tous les jours. Vous rajoutez à cela les accords de libre-échange et le statut d’invité d’honneur du Maroc qui est le premier concurrent de la France en matière agricole et la coupe est pleine ». Le dégagisme est assumé : « Nous ne croyons plus dans les beaux discours de la FNSEA et d’Emmanuel Macron. Les positions de Bellamy ne sont pas les nôtres. On se bat pour la souveraineté alimentaire de la France ». Un discours radical mais qui se traduit par une progression fulgurante. Dans la fédération que dirige Mercadal, la Coordination rurale est passée de 16 à 38 % aux dernières élections. Les témoignages récoltés dans les allées du salon offrent en effet un écho puissant aux tensions du monde agricole. Le responsable de la Coordination rurale pour le très maraicher département des Pyrénées-Orientales, Philippe Maydat déplore « la désertification de son département », conséquence d’une politique écologiste qui en voulant protéger le débit des fleuves, entrave le renouvellement naturel de l’eau. « On met en cause les agriculteurs qui pompent les nappes alors que c’est tout l’inverse. » Exemple type du leitmotiv de la coordination rurale : laissez faire les agriculteurs ! L’environnement, ils connaissent cela mieux que les gens des villes. Refus d’une modernisation mal comprise, d’une concentration capitaliste des unités d’exploitation qui abolirait la ferme artisanale et paysanne, alimentée par une fuite en avant normative et technocratique à laquelle seuls pourraient s’adapter les grands groupes… Le Granvillais Jean-Vincent Chantreau, secrétaire général de l’UFPA (Union française des pêcheurs artisans), partenaire de la Coordination rurale, dénonce le rachat de l’armement français par des capitaux néerlandais, comme le grignotage des zones de pêche françaises par nos voisins insulaires : « les Anglais nous emmerdent ».

La gauche José Bové en perte de vitesse

Tous aimeraient une agriculture moins encadrée, davantage tournée vers la consommation domestique, une politique protectionniste qui mette à l’abri les petites exploitations de la concurrence déloyale des grandes fermes du monde. Tous sont aussi lassés du monopole de la FNSEA, syndicat majoritaire et hégémonique depuis la grande réforme de l’agriculture française après-guerre : « Je suis à la Coordination rurale à cause de l’incompétence de la FNSEA. C’est un syndicat qui travaille pour ses propres intérêts. Il contrôle l’attribution des terres, les reprises d’exploitations dont il peut simplifier les démarches par rapport à d’autres ». Un discours clair, une communication efficace, des thèmes porteurs et portés par une critique générale de la mondialisation et de la bureaucratie… Comment s’étonner du succès de l’organisation. 

José Bové détruisant le McDo de Millau, les vocations paysannes d’étudiants maoïstes dans le Larzac, les RMIstes du soleil, le forum social, les fauchages d’OGM… l’agitprop paysanne était encore depuis les années 2000 le bastion de la gauche. La communication paysanne a opéré un virage surprenant vers la droite, réinventant son discours par des actions et des coups de com’ et un symbole ; les fameux « bonnets jaunes » – un savant mélange de gilets jaunes et de bonnets rouges. Symptôme d’un soixante-huitard à l’envers, le paysan d’avant-garde ne se bat plus contre le bétonnage du Larzac mais exhibe sur les réseaux sociaux sa bande de gaillards au nez rouge grillant de la bidoche avec un béret sur la tête à l’image du compte instagram « le Grand Gaulois » ou de la chaine de restauration Le Gueuleton.

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La Confédération paysanne, syndicat historique de la gauche agricole, qui défend une agriculture paysanne, de petite exploitation conjuguée à la protection de l’environnement, semble avoir renoncé aux coups de communication de l’ère Bové. Si le syndicat a maintenu ses positions (avec un habituel 20% des suffrages) conservant la direction de trois chambres régionales, il n’a pas réussi à capter la colère du monde paysan alors qu’il défend aussi un protectionnisme raisonné et bénéficie d’une certaine légitimité historique. Sa secrétaire générale Véronique Marchesseau assume une approche plus « complexe » et laisse les modes d’action « énervés » aux bonnets jaunes. La Confédération paysanne travaille en réseau avec des associations comme Terres de Lien qui lutte contre la déprise agricole et encourage les vocations. L’organisation recrute des étudiants en histoire ou en sciences sociales qui rêvent d’élever des chèvres ou de renouer avec le plaisir des choses simples. Sa défense de l’élevage et de la complémentarité entre homme et animal, son inquiétude concernant le retour du loup, l’éloignent des nouvelles gauches animalistes : « Il y a une déconnexion des populations urbaines avec le monde agricole » confesse la secrétaire générale par ailleurs éleveuse de vaches allaitantes dans le Morbihan.

Le tripartisme connu en politique depuis les législatives de 2022, le monde agricole la connaît depuis plusieurs décennies dans les chambres de commerce. Les uns et les autres ont dû apprendre à se supporter et les choses se passent généralement mieux qu’à l’Assemblée : en fonction des thèmes, les syndicats trouvent parfois des points d’accord et les représentants admettent parfois être bons copains à la ville comme dans les champs.

Vent de panique dans le syndicat de la startup nation

Ni ZAD, ni banquet gaulois, le stand de la FNSEA a, lui, des airs de hall de startup. Nous sommes reçus avec un verre d’eau citronné (dernier contact de la journée avec des molécules non-alcooliques). Arnaud Rousseau, le président, se fait attendre des journalistes. Il descend enfin, pose pour les photographes et remonte. Nous aurons droit finalement à son numéro deux, Luc Smessaert.

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Côté FNSEA, si l’on est sonnés par le recul électoral, on temporise : « la percée s’observe plutôt dans le sud-ouest. Là où la viande et le lait se portent bien comme en Normandie ou en Bretagne, la progression est retenue. C’est donc un effet de la crise. Après la contestation de 2023 on s’attendait au dégagisme. Ce qu’on a obtenu de la part du gouvernement n’était pas suffisant. Sur le fond, il y a de nombreux points d’accord. Simplement ils gueulent plus fort. » Un effet de conjoncture et une prime à la gouaille donc. Pourtant la FNSEA est accusée par ses concurrents de « cogérer » l’agriculture française, un terme qu’il réfute totalement, revendiquant un syndicalisme pragmatique et constructif : « Dans ces périodes, un syndicalisme de proposition peut passer pour un syndicalisme de cogestion. » Ambiance feutrée, discours pragmatique, approche constructive… la tête de l’organisation a tendance à singer les codes de politesse politique urbains. La base de la FNSEA est en revanche nettement plus offensive : c’est elle qui a initié le mouvement des pancartes retournées puis la fronde de début 2024. Sur le terrain, elle ferraille pour ne pas laisser à la Coordination rurale l’hégémonie de la contestation et de la culture du ras-le-bol. Un peu comme l’Eglise d’Ancien Régime (autre grand propriétaire foncier), le syndicat est partagé entre un haut clergé bien en cour et un bas clergé qui court après la contestation.

Des agriculteurs manifestent près de Chilly-Mazarin, le 31 janvier 2024 © Christophe Ena/AP/SIPA

Ces derniers ne sont jamais loin. Le jour de l’ouverture du Salon, le 22 février, certrains bonnets jaunes ont essayé de se rendre sur le stand de la FNSEA. Un cordon policier s’est alors interposé pour éviter, avec succès, les échauffourées. Depuis, aucun incident n’a été signalé. Cette année, 3 000 CRS étaient dépêchés, contre 1 000 l’an passé. Parmi eux, un agent, nous confie sans détour : « La FNSEA, ce sont des petites couilles. Ils sont cul et chemise avec le gouvernement. Le Mercosur coule la France ».

Le hall 4 qui accueille entreprises et syndicats n’est pas le plus couru. Autre ambiance au Hall 5, les Parisiens peuvent chaque année faire un tour de France éthylique et gustatif en jouant du coude pour se baffrer de Saint-Jacques cuites à la braise, de souris d’agneau et d’huitres de Cancale. Deux salles, deux ambiances mais un même constat : ce grand théâtre du Salon dans sa partie ludique comme dans sa partie institutionnelle révèle une France lassée de la froideur mondialisée et dont le terroir offre un dernier remède à l’oubli. C’est dans le vacarme des pancartes et le folklore des stands que la nation réaffirme, avec un certain sens de la mise en scène, sa nostalgie paysanne – où chaque bœuf, chaque fromage, chaque révolte, chaque coup de gueule, chaque jacquerie paysanne, chaque gouaille et chaque apéritif devient la dernière rébellion d’un imaginaire qui refuse de mourir.

La défense est dans le pré: Les dossiers choc de l'avocat de la cause paysanne

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Causons ! Le podcast de Causeur

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Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, vient d’annoncer des mesures prises par le gouvernement français pour sanctionner le régime algérien. Les membres de la nomenklatura de ce pays ne jouiront plus de facilités dans l’obtention de visas pour voyager en France. L’Algérie a réagi en dénonçant les « provocations », « intimidations » et « menaces » dont elle ferait l’objet de la part du gouvernement français. Mercredi après-midi, M. Barrot a proposé aux autres États-membres de l’UE de punir, en réduisant les délivrances de visas, tous les pays tiers qui refusent de reprendre leurs citoyens expulsés. En revanche, les pays tiers qui coopèrent avec les États-membres de l’UE se verraient récompensés par des baisses de droits de douane. La France peut-elle espérer résoudre ainsi ses problèmes avec l’Algérie en créant un front uni en Europe ? Il est permis d’en douter quand on voit que le gouvernement français lui-même n’est pas uni sur cette question. La France va-t-elle enfin engager un vrai bras de fer avec le régime de Tebboune ? Malheureusement, nos politiques vont rarement jusqu’au bout de leurs raisonnements. Il faudra que la France se fasse encore humilier, que d’autres citoyens se fassent assassiner par des criminels sous OQTF, avant qu’on ne voie une véritable révolte contre le récit, imposé par les Algériens, d’une France coupable de crimes coloniaux.

Sous l’impulsion de Donald Trump, les Européens commencent à se préoccuper sérieusement de leur propre défense. Contrairement à l’interprétation dominante dans les médias « mainstream », il n’est pas encore certain que les Américains abandonnent à la fois l’OTAN et l’Europe. Il est toujours possible que Trump ne cherche qu’à pousser ses alliés à endosser enfin une plus grande part de responsabilité – à devenir de véritables partenaires, plutôt que des dépendants.

Selon le dernier baromètre d’opinion Ifop-Fiduciaire, celui qui se trouve en tête du classement des personnalités politiques préférées des Français serait Dominique de Villepin. Nos intervenants tentent de trouver une explication rationnelle à ce phénomène qui dépasse l’entendement.

Vatican / migrants: grand cœur mais pas trop

Si François enjoint les nations du monde entier à accueillir les migrants sans compter, l’État qu’il dirige ne donne pas franchement le bon exemple


Comment dit-on « gauche caviar » dans la langue de Dante ? En Italie, il existe une expression pour désigner les bonnes âmes qui donnent des leçons d’ouverture et d’humanité à la terre entière tout en restant bien protégées dans leur ghetto doré : le « parti ZTL », en référence aux zones à circulation limitée (Zona a traffico limitato), c’est-à-dire les centres historiques des grandes villes où vivent les classes aisées votant souvent à gauche.

À Rome, l’une des ZTL les plus fameuses est la Cité du Vatican. D’une surface d’environ 500 hectares, c’est le plus petit État au monde, le moins peuplé (avec 500 habitants environ et 4 500 travailleurs étrangers), mais aussi le plus inégalitaire de la zone euro (son indice de Gini s’élevant à 0,35). Dans un décret du 19 décembre 2024, il vient de renforcer sa législation antimigrants.

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Désormais « quiconque entre sur le territoire de l’État de la Cité du Vatican par violence, menace ou tromperie » encourt un à quatre ans de prison, 10 000 à 25 000 euros d’amende ainsi qu’une interdiction d’entrée pour une période de dix ans. Peu de pays européens possèdent des règles aussi répressives en la matière… On ne manquera pas de remarquer que celles-ci sont en totale contradiction avec les beaux discours du chef d’État local, le pape François, qui depuis son élection en 2013, ne cesse d’appeler ses homologues à accueillir davantage de sans-papiers chez eux et ne manque jamais de rudoyer les Occidentaux xénophobes. Rappelons que le souverain pontife a si peu de respect pour le principe – pourtant souverain – de frontières nationales qu’en 2023, il déclarait, avant de se rendre dans la cité phocéenne : « J’irai à Marseille, mais pas en France. » Que dirait-il si un immigré clandestin affirmait, au moment de rentrer dans la basilique Saint-Pierre, qu’il se trouve certes à Rome, mais pas au Vatican ? En attendant, pas sûr que les gardes suisses soient sensibles à cet argument venu d’en haut.

Révolution anti-woke: les fausses pudeurs de la French Tech

Officiellement, le milieu des start-up françaises est progressiste. Officieusement, la bien-pensance en agace plus d’un. Et beaucoup pensent que le libéralisme trumpiste est vital pour le secteur.


« On est à côté de la plaque. On est toujours des communistes et les USA rentrent dans l’ultralibéralisme. » La lassitude de ce grand nom de l’innovation qui a investi dans des dizaines d’entreprises en France est palpable.

« C’est la révolution aux États-Unis, tandis qu’en France on est perclus dans l’Ancien Régime. Faire des marges est devenu très difficile. Parler librement, je peux encore, mais pas dans la presse, pas sur un podcast. J’ai gagné des millions, mais je reste un mâle blanc », enchaîne un autre « business angel » qui, moins par fascination pour l’homme politique que par instinct d’entrepreneur sentant le vent tourner, a repoussé sa décision de quitter le monde des affaires au moment de la victoire de Trump.

Officiellement, la French Tech est plutôt « progressiste », ouverte aux « minorités visibles », sensible aux « inégalités de genre » et convaincue que l’horizon économique hexagonal doit épouser les frontières de l’Union européenne. Sur LinkedIn France, on ne compte plus les classements d’« entrepreneur.e.s noir.e.s » ayant fait de « belles levées de fonds », ou encore de clubs d’investissement exclusivement réservés aux femmes appelant à encourager ces dernières « traînant aux pieds les boulets d’une société patriarcale et non inclusive ». Sur ce réseau mettant en relation les professionnels entre eux, l’élection de Trump a été perçue comme un « recul », un « drame » et le ralliement de Zuckerberg comme un geste « opportuniste », forcément « motivé par une personnalité torturée ».

Tout aussi officiellement (les chiffres sont publics), le financement des start-ups tricolores dépend en très large partie (aux alentours de 40 %) de fonds américains, mais aussi des aides de l’État (notamment à travers les prêts et les dons de la BPI). Un horizon économique qui se situe désormais au carrefour de deux idéologies opposées.

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Officieusement, la « start-up nation » déborde du cadre bâti par Emmanuel Macron. La bien-pensance agace, au moins autant que l’absence de patriotisme économique du président français. « Pourquoi Space X a réussi ? Parce que le gouvernement fédéral a commandé des fusées à Elon Musk », explique Thomas Fauré, l’un des rares entrepreneurs de la tech française à avoir le courage de s’exprimer à contre-courant de l’idéologie LinkedIn.

C’est ce milieu, largement dominé par une sociologie parisienne formée au sein des écoles de commerce, qui est aujourd’hui en passe d’être torpillé par un changement de régime politique et économique aussi radical que fulgurant. Est-ce en Seine-Saint-Denis, Californie rêvée par Emmanuel Macron, que les financiers de l’innovation française chercheront à rebâtir les rêves de la Silicon Valley ? Imposeront-ils les déterminants décomplexés de la révolution trumpienne aux entreprises françaises dont ils détiennent les capitaux ? La France est-elle en passe de devenir un champ de bataille extérieur entre ces gagnants et perdants aux visions opposées ?

Pour que la torpille américaine percute aussi la French Tech, il faudra d’abord un nouveau pouvoir à l’Élysée. Et les relais à qui la French Tech prête des accointances avec la mouvance trumpiste sont de plus en plus nombreux sur la scène politique française : Éric Zemmour, Sarah Knafo, Jordan Bardella, Éric Ciotti, David Lisnard… « Je pense que ce qu’il se passe aux États-Unis finira par arriver en France », conclut Thomas Fauré.

Pour les « Reds », Darmanin est ministre de l’Injustice !

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Les supporters de Liverpool brandissent une banderole critiquant Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castéra, Liverpool, 21 février 2023 © Paul Greenwood/Colorsport/Shutte/SIPA

Après le fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des Champions 2022 et le calvaire vécu par les célèbres « supporters anglais » – privés d’accès au stade, gazés aux lacrymogènes et victimes de vols aux abords du Stade de France –, comment appréhendent-ils leur prochain déplacement dans la capitale française?


Mercredi 5 mars, en 8e de finale de la Ligue des Champions, le PSG reçoit le Liverpool FC, qui revient à Paris avec en tête de très mauvais souvenirs…

La dernière fois que l’équipe anglaise s’est déplacée en Ile-de-France, c’était le 28 mai 2022, au Stade de France à Saint-Denis, pour disputer la finale de la Ligue des Champions, une soirée qui avait tourné au cauchemar. Non seulement les Reds, surnom des joueurs de Liverpool, avaient perdu (victoire du Real Madrid 1 à 0) mais, surtout, leurs supporteurs étaient tombés dans des embuscades tendues par les cailleras du 9.3, profitant de l’événement pour faire la razzia.

Le comble, c’est que ces racailles avaient obtenu l’absolution du ministre de l’Intérieur français qui sans recul avançait alors que les Anglais avaient tiré les premiers, en se comportant comme des vandales. Sur X / Twitter, il nous en fichait son billet: « Des milliers de «supporters » britanniques, sans billet ou avec des faux billets ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers. »

Ce ministre était Gérald Darmanin…

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En février 2023, une commission d’experts indépendants rétablissait la vérité et démontrait que le premier fauteur de troubles était la police française, qui mal dirigée et encadrée, avait laissé les racailles se livrer à leurs exactions en toute impunité. Et qu’en conséquence les allégations de Gérald Darmanin n’étaient que des mensonges éhontés.

Dès le match suivant à Anfield, le temple du Liverpool FC, les fans des Reds brandissaient des banderoles où Darmanin (en compagnie de la ministre des sports Amélie Oudéa-Castéra) était caricaturé en Pinocchio.

Aujourd’hui, les supporteurs anglais sont donc de retour à Paris (mais moins nombreux qu’à l’accoutumée car certains ont décidé de boycotter la France…) et en haut-lieu on redoute qu’au Parc des Princes les sujets du roi Charles III fassent éclater leur ressentiment envers Darmanin… nouveau garde des Sceaux pour les Français, mais pour les Anglais éternel ministre de l’Injustice.

Un dandy nommé Eudeline

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PatricK Eudeline © Philippe Lacoche

Critique de rock éclairé, talentueux romancier, auteur-compositeur singulier, Patrick Eudeline signe un superbe récit autobiographique dans lequel il dévoile tout : sa famille, ses amis, ses fêlures et ses galères…


Perdu pour la France, Patrick Eudeline, Séguier, 2024.

On le savait critique de rock inspiré, avant-gardiste abordable et non poseur, capable d’exhumer raretés oubliées ou de réhabiliter des perles trop longtemps méprisées (ses articles dans le regretté Best le confirment) ; on l’a découvert auteur-compositeur précurseur (avec son groupe Asphalt Jungle) ; puis écrivain avec le manifeste essentiel – manière de Grognard & hussards, de Bernard Frank – du mouvement punk des seventies (L’Aventure punk, Le Sagittaire, 1977 ; Grasset, 2004) mais surtout avec de sublimes romans dans lesquels il aiguise sa plume surprenante (Dansons sous les bombes, Grasset, 2002 ; Rue des Martyrs, Grasset 2009) ; aujourd’hui, il nous surprend avec un récit autobiographique et inattendu : Perdu pour la France, dans lequel il dit tout, tout sur lui, sur sa vie, sur ses peurs, ses doutes, ses galères, sa famille, avec une désarmante et presque innocente sincérité. C’est beau comme quand un jour de 1974, Kléber Haedens nous donna à lire Adios. On comprend alors que Patrick Eudeline n’est pas seulement un sacré écrivain ; on comprend aussi que c’est un sacré bonhomme, authentique, hanté, fêlé comme un baron Corvo, loin, si loin, des frimeurs surestimés de la rock critic.

Lorsqu’on l’interroge sur le pourquoi de cet opus, il répond tout de go : « Parce que le temps était venu ! J’ai refusé plusieurs propositions d’autobiographies. Je n’aime pas le format. Mais un livre de souvenirs… oui ! C’est aussi un essai sur le Monde d’Avant. Plus intéressant de raconter les scouts et le collège Stanislas, le Pigalle d’alors et d’aujourd’hui que mes rencontres avec Mick Jagger ! La dope avec Sid Vicious, ça oui c’était marrant à raconter ! » Quant au pourquoi du titre énigmatique Perdu pour la France, il lâche : « Les bons titres sont des valises et des punchlines. Tu y mets ce que tu veux… »

 « Mon père, le vrai, était peut-être juif »

Des confidences intimes, il en pleut. Saviez-vous que jeune adolescent, il publia son premier article dans le bulletin Mon VI, micro-journal du VIe arrondissement édité par Tibéri (son père retapait l’un des nombreux appartements de l’inénarrable politicien). Titre des deux feuillets ? « L’art de l’esquive ou les basses manœuvres du Florentin » ; est-il utile de préciser que Mitterrand en prenait pour son grade ?

À lire aussi, Emmanuel Domont : Patrick Eudeline, le rock à l’âme

Le père de Patrick, parlons-en ! Il se prénomme Robert et fait croire à sa famille qu’il a quasiment libéré seul la ville du Havre du joug nazi. Du pipeau. Qui était-il pour lui ? « Ouh la ! L’image et l’origine même de mes contradictions. Un gaulliste prolétaire, hâbleur, et quelque peu inculte qui rêvait de bourgeoisie sans la comprendre. Le beauf de Cabu… un produit de la guerre etc., etc. » Il laisse même entendre qu’il pourrait ne pas être son propre géniteur : « Je ne saurais jamais. Mon père, le vrai, était peut-être juif. J’aimerais bien… je raconte tout ça. » En revanche, de son frère Christian, aujourd’hui critique de rock et écrivain, il en parle peu : « Pas envie et peur de la polémique, de le heurter. Je ne parle pas non plus de la seule femme que j’ai épousé, mais le livre lui est dédié. » Il en est de même de ses années Best : « Tellement de choses à raconter. Je suis allé au plus signifiant ou spectaculaire. Faudrait un second tome ! Mais non… » Il est plus disert à l’endroit du collège Stanislas, institution privée pour fils de bonnes familles, qui l’a marqué : « Ce sont mes racines, mes contradictions, ma culture. Comme disait Gainsbourg, l’érotisme comme la provocation ne se conçoivent que dans la langue de Bossuet. Comprenne qui pourra. » Il raconte même qu’adolescent, il a mis enceinte une fille de son âge. Un petit Eudeline existerait-il sur terre ? « Non malheureusement… Tout est vrai, évidemment. Sinon à quoi bon ? Le petit Eudeline a fini à Londres. Avortement, bien sûr. Grande famille ! J’avais quinze ans, et elle aussi. » Plus surprenant également, il cite Cloclo, Sheila et Enrico, et pas pour en dire du mal, loin de là. Et lâche cette belle phrase : « Puisque la France qu’ils chantent est celle qui me manque chaque jour. » Nostalgique des sixties et des seventies ? Bien sûr ; on est en droit de dire que l’époque actuelle le dégoûte. Que lui reproche-t-il ? « Euh… tout ! C’est la fin d’un monde. Une dégringolade dans un terrifiant Moyen Âge. » Suffisant pour se faire qualifier de droitard et de réac sur les réseaux sociaux : « Aujourd’hui il faut choisir son camp. Pour ce livre j’ai eu toute la presse et médias de droite, sauf CNews ! Et seulement France Inter à gauche. Un grand journal de gauche m’a avoué adorer le livre, mais comme Causeur, Le Figaro et le JDD en parlent…. Blackliste ! » Sur le plan de la musique, il balance, Patrick ; il balance tout. Lui, le précurseur du punk en France, confie avoir été marqué par le progressif rock français des années 70. D’autres, de sa génération, devenus rock’n’rollers tardifs, ont tout fait, eux, pour le dissimuler. Une sincérité qui l’honore : « J’aime la musique et son histoire, tout simplement. Je suis autant passionné par Puccini que par le blues crade ou la pop sixties. Les chapelles rock, c’est de l’ignorance en barre. »

 « Je suis une erreur sociale »

Il en est de même lorsqu’il concède que la haute bourgeoisie l’a toujours fasciné : « J’aime l’élégance, les grandes bibliothèques et… je suis une erreur sociale. Wilde est mort pauvre. Baudelaire…. ma hantise… Le dandysme est une philosophie, un désespoir. Le fétichisme des choses et des codes, la haine de la nature. Une transcendance ! Et puis ça occupe. Trouver le bon jean, rien que ça ! Bon, cadeau aux lecteurs : Lévis 505 ou rien ! ». Ses projets ? « Je me consacre à un livre… Totalement inattendu. Un thriller dystopique et grand public ! Je n’en dirais pas plus. Veilleuse sur la musique, sauf si propositions alléchantes. Que j’espère plus coté presse ou radio, d’ailleurs. Mon côté bon client ne demande qu’à s’épanouir. Le livre… le prochain… Il y a déjà des éditeurs très intéressés. Marre du côté poète maudit. Jamais été mon idéal ! » 

Même s’il chaloupe – à l’instar de Daniel Darc et Johnny Thunders –, Patrick Eudeline est toujours en marche. C’est bon signe pour nous, ses lecteurs passionnés.

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Réseaux sociaux et jeunesse: en finir avec la dérégulation complice !

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Dominique Baudis présente la signalétique du CSA (aujourd'hui Arcom), en 2022 © MEIGNEUX/SIPA

Cyberharcèlement, contenus toxiques, pornographie, dépendance aux écrans : la France devrait d’urgence s’inspirer des meilleures pratiques de l’étranger pour protéger ses enfants des méfaits d’Internet.


Donner du vin aux enfants était, au siècle dernier, commun. De même, il était usuel de voir des tout jeunes collégiens aller s’acheter un « paquet de clopes » au bureau de tabac de la rue… On ne compte plus les pratiques, parfois recommandées par le corps médical de l’époque, aujourd’hui interdites pour la jeunesse. De même, une signalétique adéquate permet de guider les parents pour les programmes à la télévision, les films au cinéma sont catégorisés en fonction des classes d’âge ; et c’est heureux !

Pourtant, en ce qui concerne les réseaux sociaux (et Internet au sens large), le laisser-faire le plus absolu règne : pas un jour où un fait divers ne mette en scène le rôle prépondérant des réseaux sociaux dans les cas de harcèlement, de jeux mettant en danger la vie même des jeunes, ou les abus sexuels les plus sordides.

Aucune limite n’est infranchissable pour toutes les audiences, de 4 à 77 ans !

Fin 2024, l’Union européenne a stigmatisé « l’ingérence » de TikTok dans les élections roumaines, qui d’ailleurs furent annulées. Elon Musk lui-même est souvent accusé d’interférer dans tel ou tel processus politique.

La France, si prompte à dénoncer le danger de ces réseaux pour la démocratie, ne fait rien pour protéger sa jeunesse.

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Pire encore, ce grand vide permet à des forces parfois terroristes d’infuser leur propagande et leurs images à un public peu préparé à s’en protéger : de nombreuses études décrivent les stratégies des Frères musulmans, de Daech, ou de forces radicales souvent situées à l’extrême gauche, d’inonder la jeunesse de leurs thèses (dont l’antisémitisme n’est pas la moindre).

67% des élèves du primaire sont connectés à au moins un réseau social, 32% d’entre eux reconnaissent avoir vu des contenus choquants, violents ou inappropriés.

La loi sur la « majorité numérique » votée en juillet 2023 et interdisant aux moins de 15 ans de s’inscrire sur les réseaux sociaux est souverainement ignorée : tous les moins de 15 ans savent qu’il suffit de changer son année de naissance sur le formulaire… Ce laisser-faire entraîne une véritable addiction qui occupe entre deux et trois heures par jour, voir sept à heures pour les plus dépendants.

L’Institut des français de l’étranger, dans sa dernière étude, détaille l’ensemble des mesures appliquées dans des pays qui ont su prendre en main la régulation des réseaux sociaux : trois grands axes sont principalement mis en œuvre.

Prévention et éducation

En Corée du Sud, l’une des nations les plus connectées au monde, le gouvernement a intégré l’hygiène numérique dans les programmes scolaires afin de limiter les effets négatifs des réseaux sociaux. Dès l’école primaire, les élèves apprennent à gérer leur temps d’écran, à comprendre les mécanismes de dépendance des plateformes et à adopter une utilisation équilibrée des outils numériques tout en apprenant à relativiser les contenus.

Encadrés par des psychologues et des éducateurs spécialisés, les jeunes y apprennent à réguler leur consommation des écrans et à redécouvrir des interactions sociales en dehors du cadre virtuel.

L’Espagne, de son côté, a intégré des modules d’éducation numérique directement dans son système scolaire. Plutôt que de simplement mettre en garde contre les dangers des réseaux sociaux, ces modules visent à offrir aux élèves une compréhension approfondie des stratégies mises en place par les plateformes pour capter leur attention. En expliquant les algorithmes qui influencent leur comportement en ligne, ces programmes permettent aux jeunes de mieux identifier les manipulations subtiles et de prendre du recul face à leur consommation de contenus numériques.

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Pour accompagner cette initiative, l’Espagne a également mis l’accent sur la formation des enseignants, afin de leur donner les outils nécessaires pour repérer les signes d’addiction aux réseaux sociaux, ainsi que les signes de mal-être chez leurs élèves. Grâce à ces formations, les enseignants peuvent mieux encadrer les discussions sur l’usage du numérique, orienter les élèves en difficulté vers des solutions adaptées et instaurer des pratiques éducatives favorisant un rapport plus sain aux écrans. Cette approche permet de responsabiliser non seulement les élèves, mais aussi les acteurs de l’éducation qui jouent un rôle clé dans la prévention.

Parallèlement, l’Espagne a lancé de grandes campagnes de sensibilisation destinées à informer à la fois les jeunes et leurs parents sur les risques liés à une exposition excessive aux écrans et aux contenus dangereux.

Mettre les plateformes devant leurs responsabilités !

En Australie, le gouvernement a pris une mesure radicale en 2024, interdisant ainsi l’accès des réseaux sociaux aux moins de 16 ans sans possibilité de dérogation parentale.

En retardant leur accès aux plateformes numériques, l’Australie cherche à protéger les adolescents des effets négatifs du temps d’écran excessif, qui inclut une diminution de la concentration, un impact sur le bien-être psychologique et une augmentation des risques de dépendance.

Cette réglementation vise également à limiter des phénomènes préoccupants comme le cyberharcèlement et l’accès à des contenus inappropriés. En bloquant l’inscription des mineurs de moins de 16 ans, le gouvernement réduit leur vulnérabilité face aux interactions toxiques et aux dérives des réseaux sociaux, notamment en matière d’exploitation et de manipulation en ligne. Contrairement à d’autres pays qui laissent une certaine flexibilité aux parents, l’Australie a choisi une interdiction stricte considérant que l’encadrement parental seul ne suffisait pas à prévenir efficacement les dangers liés à l’hyperconnexion.

Autre fait notable : alors que l’on considère souvent que la toute-puissance des plateformes est difficilement contrôlable, le gouvernement australien oblige ces dernières à mettre au point elles-mêmes l’outil de contrôle, sous un an, au risque de fermer définitivement l’accès si cela n’est pas réalisé de manière satisfaisante.

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Aux États-Unis, la Californie a adopté une approche différente mais tout aussi stricte, en régulant directement les pratiques des plateformes numériques grâce au California Consumer Privacy Act (CCPA). Cette législation impose aux entreprises technologiques des règles spécifiques pour protéger les jeunes utilisateurs, notamment en limitant les notifications intrusives qui poussent à une connexion compulsive. En effet, l’une des stratégies des plateformes comme Instagram, TikTok ou Snapchat consiste à envoyer des rappels fréquents et des alertes pour inciter les utilisateurs à revenir sur l’application, créant ainsi une boucle addictive. En restreignant cette fonctionnalité, la loi californienne cherche à briser ces dynamiques de dépendance.

Le CCPA cible également les algorithmes de recommandation, qui sont conçus pour maximiser le temps passé sur les plateformes en proposant du contenu ultra-personnalisé. En obligeant les entreprises à réduire l’impact de ses algorithmes sur les mineurs, la Californie tente de limiter l’engagement excessif et la surexposition aux contenus viraux potentiellement nocifs. Cette régulation met les géants du numérique face à leurs responsabilités et les incite à concevoir des interfaces moins addictives pour les jeunes publics.

Ces politiques en Australie et en Californie montrent une volonté claire de limiter l’influence des réseaux sociaux sur le comportement des adolescents en imposant des restrictions légales aux plateformes numériques. Elles témoignent également d’un changement de paradigme : au-delà de la sensibilisation des jeunes, les États prennent désormais des mesures coercitives pour réguler directement l’écosystème numérique.

Libérer les jeunes les plus dépendants de l’emprise des réseaux sociaux

La Corée du Sud et l’Espagne se distinguent aussi par des stratégies innovantes en matière de sevrage numérique.

En Corée, où l’addiction aux écrans est un enjeu de santé publique, le gouvernement a mis en place des dispositifs thérapeutiques spécifiques, incluant des consultations gratuites pour les jeunes en détresse numérique. Encadrés par des psychologues et des spécialistes du numérique, ces jeunes bénéficient d’un suivi personnalisé et de thérapies adaptées pour les aider à réduire progressivement leur usage des réseaux sociaux. En complément d’un effort pédagogique sur les dangers des réseaux, le pays a mis en place des « lieux de désintoxication numérique » destinés aux adolescents présentant des signes de dépendance. Ces lieux, souvent situés en pleine nature, proposent un programme intensif mêlant activités physiques, thérapie de groupe et sensibilisation aux dangers de l’hyperconnexion. En éloignant temporairement les jeunes de leurs appareils numériques, ces centres leur permettent de reconstruire leur autonomie, d’améliorer leur concentration et de restaurer un lien plus sain avec leur entourage.

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L’Espagne a adopté une approche similaire en mettant en place un système de dépistage des troubles émotionnels liés à l’usage excessif des réseaux sociaux. Ce programme vise à identifier précocement les signes d’anxiété, de dépression et d’isolement social qui peuvent résulter d’une consommation excessive des plateformes numériques. Grâce à des collaborations entre écoles, services de santé et associations spécialisées, les adolescents à risque sont rapidement orientés vers des structures d’accompagnement adaptées.

Ce dépistage précoce permet une prise en charge immédiate des cas les plus préoccupants, avant que l’addiction aux écrans ne devienne un problème irréversible. L’Espagne a ainsi développé des programmes de soutien psychologique intégrés aux établissements scolaires, avec des séances d’accompagnement animées par des professionnels de la santé mentale.

Réguler l’utilisation des réseaux sociaux : oui c’est possible !

En Floride, depuis le 1er janvier 2025, les réseaux sociaux sont interdits aux moins de 14 ans, entre 14 et 15 ans un accord parental est obligatoire. Le Royaume-Uni a tout récemment commandé des études afin de préparer un dispositif de protection de la jeunesse. Ce problème sous-estimé en France doit d’urgence être remis à l’ordre du jour : l’utilisation des réseaux sociaux par les plus jeunes est aujourd’hui un non-sujet qui pourtant est de plus en plus dénoncé par les pédagogues, les pédopsychiatres et les enseignants… rien ne se passe !

Face à des parents parfois dépassés, il est temps que l’État réagisse ! Les modèles étrangers ne manquent pas…

Dans le monde du football, il y a les bons et les mauvais otages…

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Tifo pour la Palestine des ultras-parisiens pendant le match Atletico de Madrid - PSG, Paris, 6 novembre 2024 © JOHN SPENCER/SIPA

Mikhael Nabeth s’indigne de voir que les hautes institutions du football refusent toute communication ou mise en place d’hommages vis-à-vis de l’horreur du 7-Octobre et l’enlèvement des otages.


Causeur. Vous êtes co-fondateur de l’association Human Face. Quel est son objectif ?

Mikhael Nabeth. C’est important de démystifier l’idée que les gens ont d’Israël et de détruire cet imaginaire collectif, d’un peuple autocentré qui a rompu avec toute forme d’humanité. Pour cela, j’ai commencé par réaliser des interviews d’Arabes qui vivent dans les territoires les plus reculés, près de Ramallah. Ils nous parlent de leurs droits, de leurs salaires et de leurs conditions de vie assez longuement pour qu’on comprenne ce qu’il en est vraiment. On voit dans ma vidéo que la contextualisation du 7-Octobre par le Secrétaire général de l’ONU est non seulement ignoble, mais en plus mensongère. Outre ce projet qui montre la réalité des uns et des autres en face, j’ai produit du contenu « débunk » et développé une activité sur les réseaux sociaux, notamment LinkedIn.

Il y a aussi une part importante de notre travail qui vise à alerter directement les politiques et les instances publiques à travers des rapports ou des enquêtes sociologiques, et on développe une branche juridique pour 2025.

Mikhael Nabeth

Fin 2023, vous avez contacté la Ligue de Football pour proposer une action en faveur des otages israéliens retenus par le Hamas.

Il n’est pas tolérable de voir que le Hamas bénéfice de relais en Europe ! On a demandé aux institutions du football s’il était possible de mettre en place des communications d’avant-match pour appeler à la libération des 240 otages et montrer une rupture idéologique entre le monde du football et le terrorisme. Chacun sait que les financements du football sont qataris et qu’un rapport idéologique parfois malsain s’installe entre le monde du football et le public jeune, crédule et réceptif aux messages antisémites d’un Dieudonné ou de joueurs de football. Cela nous oblige à agir.

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Mais l’UEFA ou les instances du foot français ont-elles l’habitude de laisser passer des messages politiques ou humanitaires sur les terrains ?

Sur ce sujet précis de la prise d’otages, elles l’avaient déjà fait. Par exemple pour les journalistes MM. Ghesquière et Taponier, retenus en Afghanistan, en 2011. La Ligue de Football avait fait une communication d’avant-match de la finale de la Coupe de la Ligue OM – Montpellier. Et sinon, ils communiquent pour de nombreuses causes : séisme au Maroc, lutte contre le cancer, les attentats de Charlie Hebdo… Cela ne manque pas.

Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, les instances du foot traitent de l’homosexualité plusieurs fois par an, en grande pompe. Le travail de la Ligue est remarquable là-dessus, ils investissent aussi 4% de leur chiffre d’affaires dans les communications RSE. C’est d’ailleurs ce qui est un peu choquant : avec toutes les communications passées, ce silence sur les otages prend une dimension de complaisance. Vous ne pouvez pas dénoncer les attentats en Russie l’an dernier, et vous taire pour le 7-Octobre.

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Quelle a été la réponse des institutions de football ?

Ils ont refusé. D’abord, ils ont annoncé avoir fait une minute de silence pour les Israéliens et les Palestiniens et que c’était suffisant. Cette réponse est odieuse, déjà parce qu’on a demandé un message pour les otages, et d’autre part parce que leur communication a totalement zappé les crimes terroristes du Hamas. Puis, à force d’insistance, j’ai eu la direction au téléphone qui m’a avancé des arguments bancals. Par exemple, ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas communiquer sur les otages car ils avaient un agenda de communication. Je leur ai rétorqué que pour le séisme au Maroc ils ont mis 24h à le faire. J’ai produit une enquête sociologique qui a mis en évidence que les discours « Hamas, résistants » sont partagés par la moitié du public (échantillon de 300 supporters) et des cabinets ministériels sont intervenus. En vain. Ni le viol de Courbevoie perpétré par un jeune au maillot du PSG, ni l’attentat raté de la Grande-Motte n’auront fait agir la Ligue non plus, ils sont ancrés dans un profond refus.
Quant à la FFF, ils ont aussi refusé un soutien aux otages pour le dernier France-Israël. Ils ont avancé que l’UEFA leur interdisait, en vertu de l’article 14 qui interdit les manifestations politiques. Autrement dit, ils considèrent qu’une prise d’otages de civils s’inscrit dans des négociations politiques, ils parlent le langage du Hamas.

Ce même jour, les ultras du PSG déploient le tifo pro-Palestine, avec Israël rayé de la carte…

Au moment où la FFF me dit qu’ils refusent de communiquer pour France – Israël, on a un match de Ligue des Champions le soir même : PSG – Atletico Madrid.

Un tifo gigantesque sort, oui, et il évince Israël, et représente les Juifs comme des sanguinaires, fait écho à la prise de Jérusalem par des djihadistes, et la réponse de l’UEFA est de dire « circulez, il n’y a rien à voir ». Le Paris Saint-Germain ne sera pas inquiété, aucune sanction de l’UEFA ou du ministère de l’Intérieur. Ils ont même déclaré que le tifo n’était pas provocateur ou insultant. Que leur faut-il, à l’UEFA ? Donc demander la libération d’otages est politique, mais un tifo from the river to the sea ne l’est pas ? Pourquoi le gouvernement n’a pas pris de sanctions contre Nasser Al Kheilafi ?

«Si l’Université devient un espace ouvert aux vents des idéologies, plus aucune recherche, plus aucun enseignement n’est possible»

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Florence Bergeaud-Blackler © D.R

Florence Bergeaud-Blackler nous explique que sa conférence prévue à l’université de Lille a été annulée sous la pression d’un syndicat étudiant radical et de certains universitaires opposés à ses travaux, officiellement pour des raisons de « trouble à l’ordre public ». Elle dénonce une censure orchestrée par des chercheurs proches des idées islamo-gauchistes, qui cherchent à tout prix à empêcher tout débat sur l’influence des Frères musulmans.


Causeur. Le doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de la faculté de Lille a décidé d’annuler votre conférence prévue le 5 mars. Que s’est-il passé ?

Florence Bergeaud-Blackler. Il y a deux ans, je publiais Le Frérisme et ses réseaux, un livre salué par trois prix. Il attira l’attention sur mon parcours jusque-là plutôt discret, parcours distingué en 2024 par la Légion d’honneur. Tout n’allait pas si bien cependant. Il y a deux ans, ma conférence à la Sorbonne a été suspendue, provoquant une émotion si forte que la Sorbonne l’a finalement autorisée. On a cru alors l’événement résolu. En réalité, j’ai bien donné ma conférence, sous haute sécurité, mais je suis entrée ensuite dans une période de « diète » universitaire : quelques collègues ont tenté, sans succès, de m’inviter dans leurs universités pour y présenter ma conférence sur Le Frérisme et ses réseaux, laquelle explique de façon documentée et méthodique comment les Frères musulmans agissent pour subvertir nos sociétés sécularisées, notamment en investissant les universités. On ne trouvait plus de salle libre, il y avait toutes sortes d’impossibilités de dernière minute… Je pouvais ainsi donner des conférences partout, mais jamais devant des étudiants.

A l’université de Lille, un syndicat étudiant classé à droite, l’UNI, a pris son courage à deux mains et m’a invitée à donner une conférence le 5 mars 2025. Dès son annonce publique, l’évènement a été pris en chasse par une organisation étudiante motivée par deux idéologies alliées : l’islamisme et la gauche radicale, qui, sans surprise, détestent mon travail. Ce syndicat Union Étudiante a diffusé des affiches calomnieuses me traitant de raciste et m’identifiant à l’extrême droite, ce qui a toujours un effet hypnotique sur les étudiants. Il n’est pas surprenant que ce syndicat ne soit pas capable de mobiliser le moindre argument puisque, comme il le dit très bien, il n’est pas possible de parler à la droite, car pour lui la droite c’est l’extrême droite raciste avec laquelle il ne faut pas parler. La seule option qu’il lui reste est la censure. Ce syndicat, bien mal nommé, a tenté d’empêcher la tenue de ma conférence, mais au fond ce n’est pas lui qui a pris la décision de ne pas l’autoriser.

Ce sont donc eux qui réclament la censure, mais qui a choisi de la faire appliquer, qui a décidé au sein de l’université ?

Il faut plutôt se tourner vers M. Potteau, le doyen de la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, dont j’ai pu consulter le message adressé à l’organisateur le 25 février 2025. A-t-il obéi aux injonctions du syndicat ? Peut-être, mais pas seulement. Il a fait savoir à l’organisateur qu’il y avait un risque de trouble à l’ordre public en raison d’un contexte extrêmement conflictuel existant, disait-il, entre l’invitée (moi-même) et les membres d’une unité de recherche de sa faculté, et que donc il ne pouvait pas autoriser la conférence.

Ce ne sont donc pas les étudiants qui ont emporté la décision, mais bien des professeurs. Ceux-ci sont-ils téléguidés ? Trouve-t-on des liens entre certains chercheurs du labo en question et la Frérosphère ?

Analysons l’argument. Le doyen semble redouter non pas que le syndicat menaçant s’en prenne à ma conférence, mais les réactions conflictuelles de mes collègues membres du CERAPS – une unité de recherche de sa faculté. Trois chercheurs au moins travaillent sur des problématiques liées à l’islam contemporain et ils se montrent très hostiles à mes travaux. Par exemple, Karim Souanef considère que mon travail véhicule des biais qui « sont les conséquences d’une position normative, un anti-islamisme académique, et de l’absence de cadre épistémologique et théorique » (sic), mais sans dire lesquels.

Le problème ce n’est pas le désaccord, mais le fait qu’aucun de ces chercheurs n’ose débattre avec moi.

Quant à moi, j’estime que certains des chercheurs servent la cause frériste, et qu’ils utilisent leur position à l’université pour empêcher un travail sur les mouvements islamistes et les remplacer par des études sur les discriminations dites « islamophobes ». Les méthodes de Julien Talpin et Olivier Esteves, chercheurs au CERAPS, auteurs d’un livre publié au Seuil, ont d’ailleurs été épinglées par des intellectuels qui ont souligné les biais méthodologiques et les intentions idéologiques de leur livre, preuves à l’appui cette fois, dans un article publié par l’hebdomadaire Le Point[1].

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Le lecteur peu au fait de ces sujets pourrait penser qu’il s’agit d’une querelle entre chercheurs. Ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de débat académique car une partie fait tout pour l’empêcher notamment en instrumentalisant les étudiants et en leur commandant de ne pas lire et citer certains chercheurs dans leurs mémoires. Les syndicats étudiants de la gauche radicale utilisent des méthodes d’intimidation violentes psychologiquement et parfois physiquement, comme on l’a vu depuis le 7-Octobre, et qui impressionnent les recteurs. Si je parle du 7-Octobre, c’est qu’au CERAPS de Lille, on ne cache pas son soutien à la cause « palestiniste » et une certaine complaisance, c’est le moins qu’on puisse dire, vis-à-vis des thèses fréristes.

Julien Talpin, par exemple, est connu pour ses liens avec l’association proche des Frères musulmans Alliance citoyenne[2], il peut dire par exemple que « le burqini n’est pas un symbole religieux »[3] ce qui n’est pas seulement du déni, mais bien ce que les Anglais appellent du gaslighting (autrement dit une forme de manipulation consistant à inverser toutes les valeurs, à retourner tous les concepts et à dévoyer le langage de manière à renvoyer ceux qui en sont victimes à une forme de folie et d’impossibilité à saisir la réalité). Il fait aussi des conférences en compagnie d’Elias d’Imzalène, frérosalafiste fiché S qui a pour mission d’infiltrer les milieux de la gauche radicale, et que l’on a vu très actif dans des mobilisations pro-Hamas.

Décidément, Lille est un microcosme particulier. Le directeur de Sciences-po Lille, Pierre Mathiot, adorait participer aux rassemblements organisé par les Frères musulmans. Même quand ceux-ci invitaient les prédicateurs les plus obscurantistes et violents. Il continuait à les fréquenter y compris en tant que délégué interministériel et très proche de la ministre de l’Education d’alors, Najat Vallaud-Belkacem. Il n’a jamais rompu avec ses amis et est toujours très en cour quelle que soit la cour et reste un fidèle relais des Frères : en 2023, il luttait aux côtés des frères musulmans pour empêcher le déconventionnement du lycée Averroes, établissement sous leur coupe et fleuron de leur offensive éducative. Mais là, vous nous montrez que la gangrène a encore progressé dans la métropole lilloise.

Ce qui est sûr c’est que pour coécrire son livre, Julien Talpin a fait appel à deux recruteurs de témoins musulmans dans une annonce du club de Mediapart en 2021 : Marwan Muhammad du CCIF (interdit en France) et le frérosalafiste Fateh Kimouche, promoteur du hijab intégral et du halal way of life, un proche d’Elias d’Imzalene. Le biais de recrutement a évidemment des incidences sur les analyses de récit et sur les conclusions du livre qui sont destinées à faire croire que les musulmans subissent un traitement discriminatoire structurel par l’État. Le CERAPS de Lille qui s’est opposé à ma venue organise également des séminaires comme celui d’Haoues Seniguer un autre de mes contempteurs qui participe depuis des années aux congrès des Frères Musulmans de France. Lui aussi s’est spécialisé dans la dénonciation de la « République autoritaire », je cite. Il s’est précipité dès la sortie de mon livre pour publier des textes incendiaires depuis l’EHESS-IISMM dont il était l’influent co-directeur, textes insultants et peu probants auxquels j’ai d’ailleurs répondu dans un autre texte, mais je n’ai pas pu le faire à l’Université ; lui y a accès, pas moi[4].

C’est un peu ennuyeux que ce Haoues Seniguer fasse œuvre de propagande en distillant le venin de l’existence d’une islamophobie d’Etat et que dans le même temps il soit membre du conseil scientifique du Bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur. C’est parce que Hassan Iquioussen n’était pas libre et Tariq Ramadan occupé à préparer ses procès ?

Je pense que le Bureau Central des Cultes (BCC) est très imprudent dans le choix de ses interlocuteurs. Aussi bien de ceux qui sont supposés représenter le culte musulman, que de ceux qui composent le conseil scientifique, des académiques, qui choisissent les candidatures des projets qu’il finance chaque année depuis 2015. Je pense que le BCC n’a aucune compréhension du frérisme, aucune idée de sa dangerosité, aucune appréhension de ses méthodes d’infiltration et de noyautage qui ne sont pas celles du djihadisme avec qui le frérisme partage le même projet de société islamique. Et comme le BCC joue un rôle clé dans la gestion des relations entre l’État et les cultes, il peut être une porte d’accès pour l’entrisme islamiste au ministère de l’Intérieur.

L’entrisme concerne tous les secteurs, cela a été théorisé par Youssef Al Qaradawi le maître à penser des Frères musulmans européens. Le secteur de l’éducation et notamment l’université a toujours été une priorité pour les Frères qui veulent former une élite. Ils ont compris que, pour garder une position de contrôle, il fallait empêcher à tout prix la connaissance de l’islamisme en contexte européen. Ils ont fait en sorte que tout débat contradictoire à ce sujet soit considéré comme une atteinte islamophobe et raciste, et ont facilité la carrière de chercheurs dociles qui sont devenus leurs instruments, et empêché celles de chercheurs critiques.

Mon livre sur le frérisme qui connait un vrai succès est passé à travers les mailles de leurs filets, ils m’en veulent beaucoup. S’ils parviennent à susciter un climat de terreur, la responsabilité, sur ce plan, n’est pas seulement celle des idiots utiles de l’islamisme que sont certains syndicats étudiants, c’est celle de l’institution universitaire qui ne fait pas son travail.

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Quelles sont les conséquences pour vous de cette lâcheté qui semble caractériser les dirigeants d’université et des grandes écoles (Sciences-po s’est ridiculisé dans le soutien à la Palestine, les grandes universités américaines ont vu leurs dirigeants nuancer le combat contre l’antisémitisme en mode « ça dépend du contexte », tout cela après le véritable premier pogrom du XXIème siècle) ?

Le résultat, en ce qui me concerne, c’est que, bien que fonctionnaire du CNRS, payée par le contribuable pour chercher et enseigner, je ne suis plus en mesure de le faire sur les campus… ce que le CNRS me reproche, de surcroit. Je suis menacée dans mon propre pays, placée sous protection policière, ma tête circule sur les réseaux étudiants avec la mention raciste écrite en gros, avec tous les risques que cela implique. Certes, je peux survivre et vivre de mes recherches sans aller à l’université, j’ai tout le matériel intellectuel pour cela, je peux aussi partir à l’étranger, bien que la situation n’y soit pas toujours meilleure comme je l’ai montré avec l’exemple anglais[5]. Mais ce qui m’inquiète c’est que je n’ai plus accès aux étudiants. Certains d’entre eux viennent me dire qu’ils ne sont pas libres de mener leurs travaux comme ils l’entendent, pas libres de réfléchir, pas libres des lectures de leur choix, pas libres de critiques. D’autres me rapportent qu’on a changé la formulation de leur sujet d’étude, qu’ils ont le sentiment d’être contrôlés, ne veulent pas prendre le risque d’être harcelés etc.

On ne peut que plaindre ces jeunes étudiants. Concernant la conférence, d’autres ont déjà été annulées, je pense par exemple à une conférence sur la Palestine que devait faire Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon à l’université de Lille, le 18 avril 2024. L’université n’a-t-elle pas choisie le parallélisme des formes ?

Je comprends cette question, mais justement le problème est qu’il n’y a aucun parallèle à faire. Rima Hassan et Jean-Luc Mélenchon font des campus leur QG pour tenir leurs meetings politiques. Ils rebaptisent en « conférence » ce qui n’est que propagande. En ce qui me concerne, je suis docteure en anthropologie, habilitée à diriger des recherches et chargée de recherche au CNRS, l’université est mon biotope. La recherche et le séminaire sont mes activités principales, et quand je donne une conférence c’est pour proposer mes hypothèses et résultats, pas pour asséner des vérités ni même emporter l’adhésion. Ce que je recherche c’est la critique, car c’est ainsi qu’on produit la connaissance.

Pour faire évoluer notre compréhension des choses et l’enseigner, on nous a alloué un lieu qui s’appelle l’université. Cet espace doit être protégé pour garantir ce qu’on appelle la liberté académique : la possibilité de tout questionner, de tout étudier selon des règles et des méthodes rigoureusement définies. Si cet espace devient hostile et ouvert aux vents des idéologies, plus aucune recherche, plus aucun enseignement ne sont possibles. Le milieu universitaire devient alors redoutablement toxique pour les enseignants-chercheurs comme pour les étudiants qui sont la future élite, sa toxicité se répand, durablement, dans toute la société. L’Université française, les sciences sociales et, en particulier, les études sur l’islam contemporain sont en voie de disparition, alors que l’islamisme menace la cohésion nationale de l’aveu même du directeur du renseignement territorial Bertrand Chamoulaud[6].

Si le doyen de l’Université n’a pas eu de courage, on ne peut pas en dire autant de Xavier Bertrand. Le président de la Région des Hauts-de-France, qui a porté le combat contre le frérisme et a le premier coupé les crédits au lycée Averroes, vous a soutenu et trouvé une salle pour que vous puissiez tenir cette conférence.

Et je l’en remercie. Nous allons d’ailleurs organiser en plus de ma conférence une table tonde sur la liberté académique. Les censeurs ont perdu deux fois. Et, soyez-en sûre, je reviendrai à l’Université.

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[1] Ils estimaient notamment que « l’ouvrage constitue une honte méthodologique et déontologique, au service des basses œuvres électoralistes d’une gauche radicale dévoyée dans l’islamo-gauchisme, et qui ternit considérablement la réputation d’une maison d’édition naguère respectée ».

https://www.lepoint.fr/debats/quand-la-sociologie-cede-a-l-ideologie-31-05-2024-2561666_2.php

[2] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/la-france-tu-l-aimes-mais-tu-la-quittes-le-livre-au-service-de-la-strategie-victimaire-islamiste

[3] https://www.liberation.fr/debats/2019/07/21/burkini-entendre-cette-demande-d-egalite_1741270/

[4] Auquel j’ai répondu

[5] https://www.lepoint.fr/monde/pourquoi-les-freres-musulmans-investissent-ils-le-monde-universitaire-britannique-09-03-2024-2554577_24.php

[6] Le Monde, https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/12/23/pour-le-patron-du-renseignement-territorial-les-deux-risques-majeurs-pour-la-cohesion-nationale-sont-le-narcotrafic-et-le-separatisme-islamiste_6463074_3224.html

Elon Musk, vox populiste

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Elon Musk lors d’un meeting de Donald Trump au Madison Square Garden, New York, 27 octobre 2024 © AP Photo/Evan Vucci/SIPA

Le patron de X a fait de son combat pour la liberté d’expression un bras de fer politique en attaquant des gouvernements de gauche (Australie, Brésil, Angleterre) et l’Union européenne. Accusé de trafiquer l’algorithme de sa plateforme pour diffuser sa bonne parole, ce qui reste à prouver, il se livre surtout à un numéro d’ingérence.


« Un milliardaire arrogant », « un fieffé menteur », « le troll », le soutien d’« une internationale réactionnaire », « Fuck you ! ». Voici quelques commentaires qu’Elon Musk a inspirés respectivement à Anthony Albanese (le Premier ministre australien), Thierry Breton, Olaf Scholz, Emmanuel Macron et à la femme du président brésilien, Lula. Musk, lui, sur sa plateforme X, a qualifié les autorités australiennes de « fascistes d’extrême gauche », Alexandre de Moraes, le président du Tribunal suprême fédéral au Brésil, de « Dark Vador », Scholz d’« idiot incompétent » et Breton de « dictateur de l’Europe ».

Ces amabilités sont la conséquence de ce que le propriétaire de la plateforme X prétend être son grand combat pour la liberté d’expression. Les échanges prennent une forme aussi hyperbolique parce que, au milieu du charivari des réseaux sociaux, seuls ceux qui crient fort sont entendus et deviennent influents. Pour être « amplifié » par un algorithme, c’est-à-dire reposté suffisamment de fois pour devenir viral, un post politique doit souvent susciter un faisceau d’émotions fortes – indignation et mépris à l’égard d’un adversaire dénoncé, jouissance face à sa déconfiture imaginée… Il règne en ligne une concurrence féroce pour attirer l’attention générale. Si Musk défend la liberté d’expression sur son réseau, il montre par son insolence comment exploiter cette liberté. Ou plutôt, il semble vouloir exploiter cette liberté pour le compte des autres. Quand, le 6 novembre, il annonce la fin du règne des médias traditionnels en déclarant à ses plus de 214 millions d’abonnés, « Vous êtes les médias maintenant », en fait c’est lui, le gros poisson aux posts viraux, le richard capable de tenir tête aux grands de ce monde, le pote de Donald Trump, qui entraîne les autres, les petits, avec lui. Car son combat pour la liberté d’expression véhicule un combat politique. Au cours des dix dernières années, la liberté de parole est devenue la grande cause de la droite, face à la gauche qui promeut la cancel culture et accuse ses adversaires de répandre des fake news et des théories du complot. Ainsi, Musk se présente-t-il comme le défenseur des peuples occidentaux contre le poison idéologique de la gauche. À ce titre, il se permet des ingérences scandaleuses dans les affaires gouvernementales d’autres pays.

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Le glissement d’un combat vers l’autre commence en avril 2024, quand Musk entre en conflit simultanément et de manière acrimonieuse avec les autorités judiciaires du Brésil du socialiste Lula et le gouvernement travailliste en Australie. Les accusant de censure, il refuse leurs demandes de supprimer certains contenus et des comptes accusés de répandre la désinformation. Bien que le Brésil soit un des plus grands marchés de X, il justifie son intransigeance en déclarant que « les principes sont plus importants que les profits ». Hélas ! sa plateforme y étant interdite fin août, il capitule. En Australie en revanche, un tribunal donne raison à Musk qui, en septembre, y conspue un projet de loi contre la désinformation, et en novembre critique la nouvelle législation interdisant l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans.

Un combat pour la liberté d’expression ou un agenda politique ?

Mais c’est en août, après sa déclaration de soutien à Trump en juillet, que Musk passe à une vitesse supérieure en attaquant les autorités de l’Union européenne et du Royaume-Uni. L’UE n’est pas socialiste, mais aux yeux de Musk elle est une bureaucratie autoritaire gérée par une élite antipopuliste dont Thierry Breton, encore commissaire à l’époque, est l’archétype. Quand ce dernier, avant l’entretien avec Trump que Musk diffuse sur X le 12 août, le met en garde contre la possible « amplification de contenus toxiques », Musk l’accuse d’être antidémocratique. Le patron de X observe que les questions d’immigration et de multiculturalisme, qui tarabustent nombre d’électeurs occidentaux, sont refoulées dans le discours officiel des institutions et des politiques. La mission qu’il s’assigne, c’est de compenser ce refoulement en propulsant ces questions – et ceux qui les portent – sur le devant de la scène médiatique. Va-t-il jusqu’à utiliser, non seulement le langage hyperbolique, mais aussi la puissance des algorithmes ? C’est ce que suggèrent, à l’automne, une étude conduite par des chercheurs australiens[1] et deux autres publiées par le Washington Post et le Wall Street Journal. L’algorithme de X aurait été « tweaked » (« modifié ») pour booster le compte personnel de Musk et d’autres comptes diffusant des opinions comparables, surtout dans le contexte de l’élection américaine. Depuis décembre 2023, X est l’objet d’une enquête de la Commission pour des violations – surtout d’ordre commercial – du Règlement sur les services numériques (DSA). Cette enquête a été ensuite élargie afin de considérer de possibles « tweaks » commandés par Musk sur l’algorithme de X. L’UE s’intéresse donc non seulement à la modération des contenus ou au langage des posts, mais aussi à l’éventuelle promotion algorithmique de certains discours idéologiques. Qui n’est à ce jour pas prouvée.

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À ce stade, Musk n’occupe pas de fonction officielle, il peut donc dire ce qu’il veut sur qui il veut. Reste que ses prises de position tonitruantes sur la politique intérieure d’alliés de l’Amérique ont un petit parfum d’ingérence – elles paraissent avoir cessé après le 20 janvier, mais dès le 5 novembre, le patron de X était quasi ministre, ou au moins proche conseiller, du futur président américain : les bonnes manières diplomatiques auraient dû le pousser à s’abstenir. Avant Noël, il affiche son amitié avec Nigel Farage, le patron de Reform UK. Des rumeurs suggèrent qu’il va financer le parti par un don de 100 millions d’euros. Il est vrai qu’aux élections de 2014, Reform UK a obtenu 14,3 % des voix mais selon le système britannique, seulement 0,8 % des sièges aux Communes. Mais quand Farage tente de se dédiaboliser en prenant ses distances par rapport à l’activiste anti-islamiste sulfureux Tommy Robinson, Musk prend ses distances avec Farage. En janvier, Musk manifeste un enthousiasme plus durable pour le parti populiste allemand, l’AfD, en interviewant sa co-présidente, Alice Weidel, sur X. L’UE aurait mobilisé jusqu’à 150 spécialistes des règles du DSA et des algorithmes pour « fact-checker » l’opération. Musk est très critiqué par les parlementaires allemands et européens, mais il peut se targuer de contribuer à un rééquilibrage démocratique : selon une étude, l’AfD, donnée en deuxième position par les sondages pour les élections fédérales du 23 février, représenterait seulement 2,6 % des passages dans les émissions politiques sur les chaînes publiques en 2024[2].

Elon Musk apporte son soutien à l’AfD via vidéotransmission lors du lancement de la campagne électorale du parti, Halle (Saale), Allemagne, 25 janvier 2025 © Hendrik Schmidt/DPA/SIPA

L’ingérence britannique : un tournant décisif

Il est peu probable que le soutien de Musk à l’AfD change la donne électorale en Allemagne. En revanche, certaines de ses interventions ont clairement un impact politique au Royaume-Uni. Il faut revenir au mois d’août 2024, lorsque Musk entame une longue querelle avec le Premier ministre, Keir Starmer, et le Parti travailliste. Après la tuerie de Southport, le 29 juillet, où trois petites filles sont massacrées par un jeune homme, fils d’immigrés rwandais, les autorités divulguent très peu d’informations sur l’identité de l’assassin et son mobile, et affirment qu’il ne s’agit pas d’un acte terroriste. Ce silence radio doublé de déni alimente les spéculations en ligne prétendant que le tueur est un immigré clandestin et un terroriste musulman. Quand des émeutes violentes explosent dans certaines villes, Starmer rejette la faute sur des groupes d’extrême droite et dénonce des plateformes comme X, coupables selon lui de permettre la libre circulation de mensonges et de propos haineux. Tantôt furieux, tantôt moqueur, Musk réplique en accusant le travailliste de favoriser une communauté – celle des musulmans issus de l’immigration – aux dépens d’une autre, celle des Blancs et des non-musulmans. Le tout, pour préserver l’illusion de l’harmonie multiculturelle. Les déclarations de Musk sont un mélange d’hyperbole et de bon sens : « La guerre civile est inévitable, si des cultures incompatibles sont réunies ensemble sans assimilation. » Elles ne sont pas si éloignées des interventions de certains élus britanniques, comme Farage ou de la leader des conservateurs, Kemi Badenoch, sauf qu’elles ont beaucoup plus de portée.

Or, fin octobre, lors de la mise en accusation du suspect, les autorités révèlent qu’il possédait un manuel d’entraînement d’Al-Qaida et qu’il avait fabriqué une quantité d’un poison mortel, la ricine. En janvier, lors de son procès, le monde apprend que, non seulement, il avait un passé de violence et de démêlés avec la police, mais aussi qu’il avait été inscrit trois fois au programme officiel d’antiradicalisation. Bref, quel que fût son degré d’adhésion à l’idéologie islamiste, il s’agissait a minima d’une forme de terrorisme « d’atmosphère » que les autorités ont lamentablement échoué à prévenir. La dissimulation de ces informations pendant des mois conforte la thèse populiste diffusée par Musk selon laquelle les politiques mainstream ne sont pas dignes de la confiance publique.

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Un malheur ne vient jamais seul – pas plus qu’une opportunité pour Musk. En même temps que montait l’affaire de l’assassin de Southport, le scandale des « grooming gangs » revenait sur le devant de la scène. Aujourd’hui, tout le monde connaît l’histoire de ces hommes d’ascendance pakistanaise qui, pendant des années, ont pratiqué la pédocriminalité en prenant pour victimes des milliers de filles blanches. Jusqu’en 2011, l’omerta a régné sur le sujet, en partie pour préserver la paix sociale et l’illusion du multiculturalisme dans des villes gérées par des élus travaillistes. Après 2011, le scandale éclate, mais reste l’objet de tentatives médiatiques et politiques de contestation et de minimisation. En France, de nombreux journaux, dont Causeur, ont traité ce scandale. Mais sans doute avaient-ils moins d’écho que X.

Quel avenir pour Musk dans le paysage politique mondial ?

La chaîne GB News continue à enquêter. Le 1er janvier, elle révèle qu’en octobre, la ministre de la Protection des femmes et des enfants, Jess Phillips, a refusé la demande de la ville d’Oldham d’une enquête officielle sur les grooming gangs. Cette nouvelle arrive comme une bombe dans les médias britanniques et est immédiatement reprise par Musk qui affirme sur X que Starmer a été « complice » de l’omerta. Il somme le roi Charles de dissoudre son gouvernement, ce qui est impossible sur le plan constitutionnel. Goguenard, il demande à ses abonnés si l’Amérique ne devrait pas « libérer le peuple britannique ». Quant à Phillips, il la traite même d’« apologiste de génocide par viol ». Si l’emphase de Musk ne connaît pas de limites, c’est peut-être parce qu’il a un intérêt particulier pour le Royaume-Uni, certains de ses ancêtres étant anglais. Ainsi écrit-il que sa grand-mère, originaire de Liverpool, aurait pu être la victime des gangs si elle était née plus tard.

La pression sur le gouvernement travailliste devenant intolérable, il capitule en essayant de sauver l’honneur par un compromis. Le 16 janvier, la ministre de l’Intérieur annonce cinq enquêtes locales et un « audit » national sur les gangs. Le 21 janvier, Starmer est contraint d’annoncer une grande enquête sur la tuerie de Southport, qui doit être conduite « sans aucun égard pour des susceptibilités culturelles ». Le Premier ministre dispose d’une large majorité parlementaire, mais son image est désormais ternie et son autorité affaiblie par ces affaires. Les interventions intempestives de Musk, amplifiées sur les réseaux et abondamment commentées dans les médias traditionnels, y ont largement contribué.

Reste à savoir si son poste de conseiller auprès de Trump permettra à Musk de continuer à jouer ce rôle de trublion populiste mondial. Les différents gouvernements trouveront-ils le moyen de fermer X, ou seront-ils obligés par le droit démocratique à la liberté d’expression de tolérer des discours qu’ils détestent, autant sur le plan formel que sur celui de l’idéologie ? Si le rouleau compresseur Musk peut paraître monstrueux, il est parfaitement adapté aux conditions de notre époque. Si c’est un monstre, c’est notre monstre.


[1] T. Graham, M. Andrejevic, « A computational analysis of potential algorithmic bias on platform X during the 2024 US election » (document de travail), eprints.qut.edu.au.

[2] « Vergleich der Parteizugehörigkeit der Politiker in den politischen Talkshows von ARD und ZDF und dem Sitzanteil im Deutschen Bundestag im Jahr 2024 », de.statista.com.

Le champ des partisans

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Oupette, égérie du Salon de l'agriculture 2025 © Alain ROBERT/SIPA

Le Salon de l’agriculture, qui ferme ses portes dimanche, ne se réduit pas au charme pastoral et la promotion patrimoniale. C’est aussi le lieu d’intenses affrontements idéologiques entre les trois principaux syndicats de la profession:  la Coordination rurale, la Confédération paysanne et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).


Comme chaque année à la fin du mois de février, ce n’est pas Paris qu’on met en bouteille, mais la France qui se concentre dans un hangar. Toutes ses provinces réunies pour exposer les plus beaux spécimens de leur race bovine, de leurs vins capiteux, de leur fromage robuste, de leur pitance et de  leur mangeaille… Au rythme de la peña baiona et des paquitos, c’est aussi la beuverie annuelle des Franciliens et le passage obligé des hommes politiques dont le toucher irrévérencieux (à l’heure de #Metoo) sur les postérieurs des bestiaux se fait l’écho d’un temps où le roi thaumaturge nourricier investissait de sa magie l’imaginaire du peuple.

En 2024, la précédente édition du Salon avait été marquée par la contestation agricole dont l’acmé fut le fameux siège de Paris. Résultat, l’an dernier, la Coordination rurale a récolté la moisson de la colère paysanne et  fait une percée spectaculaire lors des élections consulaires en remportant la présidence de 13 chambres d’agriculture (contre 3 auparavant) sur les 94 que compte le pays, et en recueillant 29,25 % des suffrages à l’échelle nationale. Pour la première fois, la FNSEA qui était la force hégémonique depuis les années 1960, est passée sous les 50% (46.83%).

Née à la fin de 1991, dans un contexte de montée de l’opposition à la PAC (politique agricole commune), la Coordination rurale s’est forgé une réputation de syndicat «  de droite réactionnaire » prônant un programme simple : « Moins de normes, moins d’impôts, moins de contrôle… laissez-nous faire. »

« On n’est pas contre les normes mais il y a une limite à tout… »

Il faut dire que le ras-le-bol est général : « on n’est pas contre les normes mais il y a une limite à tout… », « des normes ici, pas de normes là bas… ». Des thèmes qui plaisent alors que les agriculteurs se sentent pris entre l’enclume de l’inflation normative et fiscale qui enchérit leur coût de production et le marteau du libre échange qui les soumet à une concurrence déloyale.

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Au cœur du salon, le stand de la Coordination rurale attire le regard en même temps que le chaland. Attroupement de bonnets jaunes qui prennent l’apéritif et se réunissent dans la bonne humeur et l’envie d’en découdre. Un folklore qui séduit tant les professionnels de la terre que les urbains habitués du salon. C’est ici, qu’a rendez-vous le député européen et ancien élu versaillais François-Xavier Bellamy. Difficile rencontre pour l’agrégé en milieu agrarien. La position majoritaire du PPE (Parti populaire européen), groupe parlementaire auquel il appartient à Starsbourg, dont les membres allemands de la CDU-CSU sont les ardents partisans de l’accord de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie), irritent les bonnets jaunes. « Il y a des clivages politiques au Parlement européen mais il y a aussi des clivages nationaux, se défend Bellamy. Les députés de certains groupes n’ont pas forcément les mêmes intérêts. Les partenaires (allemands) de Marine le Pen sont par exemple favorables au Mercosur car ils savent qu’ils pourront vendre leur production industrielle en Amérique latine » (le député faisant peu de cas de la rupture entre le RN et l’AfD au printemps dernier) mais essuie les questions acerbes des paysans : « comment pouvez-vous rester dans un groupe parlementaire pareil ? » « Je comprends le ressentiment du monde paysan… » nous confie l’élu.

Reconnaissable à son béret et ses deux mètres de musculature paysanne, le médiatique Pierre-Guillaume Mercadal, responsable de la Coordination rurale dans le Tarn-et-Garonne ne s’étonne pas du succès de son organisation : « Il y a 8 tentatives de suicide tous les jours. Un mort toutes les 36 heures. 2 ou 3 fermes qui disparaissent tous les jours. Vous rajoutez à cela les accords de libre-échange et le statut d’invité d’honneur du Maroc qui est le premier concurrent de la France en matière agricole et la coupe est pleine ». Le dégagisme est assumé : « Nous ne croyons plus dans les beaux discours de la FNSEA et d’Emmanuel Macron. Les positions de Bellamy ne sont pas les nôtres. On se bat pour la souveraineté alimentaire de la France ». Un discours radical mais qui se traduit par une progression fulgurante. Dans la fédération que dirige Mercadal, la Coordination rurale est passée de 16 à 38 % aux dernières élections. Les témoignages récoltés dans les allées du salon offrent en effet un écho puissant aux tensions du monde agricole. Le responsable de la Coordination rurale pour le très maraicher département des Pyrénées-Orientales, Philippe Maydat déplore « la désertification de son département », conséquence d’une politique écologiste qui en voulant protéger le débit des fleuves, entrave le renouvellement naturel de l’eau. « On met en cause les agriculteurs qui pompent les nappes alors que c’est tout l’inverse. » Exemple type du leitmotiv de la coordination rurale : laissez faire les agriculteurs ! L’environnement, ils connaissent cela mieux que les gens des villes. Refus d’une modernisation mal comprise, d’une concentration capitaliste des unités d’exploitation qui abolirait la ferme artisanale et paysanne, alimentée par une fuite en avant normative et technocratique à laquelle seuls pourraient s’adapter les grands groupes… Le Granvillais Jean-Vincent Chantreau, secrétaire général de l’UFPA (Union française des pêcheurs artisans), partenaire de la Coordination rurale, dénonce le rachat de l’armement français par des capitaux néerlandais, comme le grignotage des zones de pêche françaises par nos voisins insulaires : « les Anglais nous emmerdent ».

La gauche José Bové en perte de vitesse

Tous aimeraient une agriculture moins encadrée, davantage tournée vers la consommation domestique, une politique protectionniste qui mette à l’abri les petites exploitations de la concurrence déloyale des grandes fermes du monde. Tous sont aussi lassés du monopole de la FNSEA, syndicat majoritaire et hégémonique depuis la grande réforme de l’agriculture française après-guerre : « Je suis à la Coordination rurale à cause de l’incompétence de la FNSEA. C’est un syndicat qui travaille pour ses propres intérêts. Il contrôle l’attribution des terres, les reprises d’exploitations dont il peut simplifier les démarches par rapport à d’autres ». Un discours clair, une communication efficace, des thèmes porteurs et portés par une critique générale de la mondialisation et de la bureaucratie… Comment s’étonner du succès de l’organisation. 

José Bové détruisant le McDo de Millau, les vocations paysannes d’étudiants maoïstes dans le Larzac, les RMIstes du soleil, le forum social, les fauchages d’OGM… l’agitprop paysanne était encore depuis les années 2000 le bastion de la gauche. La communication paysanne a opéré un virage surprenant vers la droite, réinventant son discours par des actions et des coups de com’ et un symbole ; les fameux « bonnets jaunes » – un savant mélange de gilets jaunes et de bonnets rouges. Symptôme d’un soixante-huitard à l’envers, le paysan d’avant-garde ne se bat plus contre le bétonnage du Larzac mais exhibe sur les réseaux sociaux sa bande de gaillards au nez rouge grillant de la bidoche avec un béret sur la tête à l’image du compte instagram « le Grand Gaulois » ou de la chaine de restauration Le Gueuleton.

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La Confédération paysanne, syndicat historique de la gauche agricole, qui défend une agriculture paysanne, de petite exploitation conjuguée à la protection de l’environnement, semble avoir renoncé aux coups de communication de l’ère Bové. Si le syndicat a maintenu ses positions (avec un habituel 20% des suffrages) conservant la direction de trois chambres régionales, il n’a pas réussi à capter la colère du monde paysan alors qu’il défend aussi un protectionnisme raisonné et bénéficie d’une certaine légitimité historique. Sa secrétaire générale Véronique Marchesseau assume une approche plus « complexe » et laisse les modes d’action « énervés » aux bonnets jaunes. La Confédération paysanne travaille en réseau avec des associations comme Terres de Lien qui lutte contre la déprise agricole et encourage les vocations. L’organisation recrute des étudiants en histoire ou en sciences sociales qui rêvent d’élever des chèvres ou de renouer avec le plaisir des choses simples. Sa défense de l’élevage et de la complémentarité entre homme et animal, son inquiétude concernant le retour du loup, l’éloignent des nouvelles gauches animalistes : « Il y a une déconnexion des populations urbaines avec le monde agricole » confesse la secrétaire générale par ailleurs éleveuse de vaches allaitantes dans le Morbihan.

Le tripartisme connu en politique depuis les législatives de 2022, le monde agricole la connaît depuis plusieurs décennies dans les chambres de commerce. Les uns et les autres ont dû apprendre à se supporter et les choses se passent généralement mieux qu’à l’Assemblée : en fonction des thèmes, les syndicats trouvent parfois des points d’accord et les représentants admettent parfois être bons copains à la ville comme dans les champs.

Vent de panique dans le syndicat de la startup nation

Ni ZAD, ni banquet gaulois, le stand de la FNSEA a, lui, des airs de hall de startup. Nous sommes reçus avec un verre d’eau citronné (dernier contact de la journée avec des molécules non-alcooliques). Arnaud Rousseau, le président, se fait attendre des journalistes. Il descend enfin, pose pour les photographes et remonte. Nous aurons droit finalement à son numéro deux, Luc Smessaert.

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Côté FNSEA, si l’on est sonnés par le recul électoral, on temporise : « la percée s’observe plutôt dans le sud-ouest. Là où la viande et le lait se portent bien comme en Normandie ou en Bretagne, la progression est retenue. C’est donc un effet de la crise. Après la contestation de 2023 on s’attendait au dégagisme. Ce qu’on a obtenu de la part du gouvernement n’était pas suffisant. Sur le fond, il y a de nombreux points d’accord. Simplement ils gueulent plus fort. » Un effet de conjoncture et une prime à la gouaille donc. Pourtant la FNSEA est accusée par ses concurrents de « cogérer » l’agriculture française, un terme qu’il réfute totalement, revendiquant un syndicalisme pragmatique et constructif : « Dans ces périodes, un syndicalisme de proposition peut passer pour un syndicalisme de cogestion. » Ambiance feutrée, discours pragmatique, approche constructive… la tête de l’organisation a tendance à singer les codes de politesse politique urbains. La base de la FNSEA est en revanche nettement plus offensive : c’est elle qui a initié le mouvement des pancartes retournées puis la fronde de début 2024. Sur le terrain, elle ferraille pour ne pas laisser à la Coordination rurale l’hégémonie de la contestation et de la culture du ras-le-bol. Un peu comme l’Eglise d’Ancien Régime (autre grand propriétaire foncier), le syndicat est partagé entre un haut clergé bien en cour et un bas clergé qui court après la contestation.

Des agriculteurs manifestent près de Chilly-Mazarin, le 31 janvier 2024 © Christophe Ena/AP/SIPA

Ces derniers ne sont jamais loin. Le jour de l’ouverture du Salon, le 22 février, certrains bonnets jaunes ont essayé de se rendre sur le stand de la FNSEA. Un cordon policier s’est alors interposé pour éviter, avec succès, les échauffourées. Depuis, aucun incident n’a été signalé. Cette année, 3 000 CRS étaient dépêchés, contre 1 000 l’an passé. Parmi eux, un agent, nous confie sans détour : « La FNSEA, ce sont des petites couilles. Ils sont cul et chemise avec le gouvernement. Le Mercosur coule la France ».

Le hall 4 qui accueille entreprises et syndicats n’est pas le plus couru. Autre ambiance au Hall 5, les Parisiens peuvent chaque année faire un tour de France éthylique et gustatif en jouant du coude pour se baffrer de Saint-Jacques cuites à la braise, de souris d’agneau et d’huitres de Cancale. Deux salles, deux ambiances mais un même constat : ce grand théâtre du Salon dans sa partie ludique comme dans sa partie institutionnelle révèle une France lassée de la froideur mondialisée et dont le terroir offre un dernier remède à l’oubli. C’est dans le vacarme des pancartes et le folklore des stands que la nation réaffirme, avec un certain sens de la mise en scène, sa nostalgie paysanne – où chaque bœuf, chaque fromage, chaque révolte, chaque coup de gueule, chaque jacquerie paysanne, chaque gouaille et chaque apéritif devient la dernière rébellion d’un imaginaire qui refuse de mourir.

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Causons ! Le podcast de Causeur

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Conférence de presse de François Bayrou, aux côtés de Bruno Retailleau (au centre) et de Jean-Noël Barrot (à gauche) suite au comité interministériel du contrôle de l'immigration, Paris, 26 février 2025 © Jacques Witt/SIPA

Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, vient d’annoncer des mesures prises par le gouvernement français pour sanctionner le régime algérien. Les membres de la nomenklatura de ce pays ne jouiront plus de facilités dans l’obtention de visas pour voyager en France. L’Algérie a réagi en dénonçant les « provocations », « intimidations » et « menaces » dont elle ferait l’objet de la part du gouvernement français. Mercredi après-midi, M. Barrot a proposé aux autres États-membres de l’UE de punir, en réduisant les délivrances de visas, tous les pays tiers qui refusent de reprendre leurs citoyens expulsés. En revanche, les pays tiers qui coopèrent avec les États-membres de l’UE se verraient récompensés par des baisses de droits de douane. La France peut-elle espérer résoudre ainsi ses problèmes avec l’Algérie en créant un front uni en Europe ? Il est permis d’en douter quand on voit que le gouvernement français lui-même n’est pas uni sur cette question. La France va-t-elle enfin engager un vrai bras de fer avec le régime de Tebboune ? Malheureusement, nos politiques vont rarement jusqu’au bout de leurs raisonnements. Il faudra que la France se fasse encore humilier, que d’autres citoyens se fassent assassiner par des criminels sous OQTF, avant qu’on ne voie une véritable révolte contre le récit, imposé par les Algériens, d’une France coupable de crimes coloniaux.

Sous l’impulsion de Donald Trump, les Européens commencent à se préoccuper sérieusement de leur propre défense. Contrairement à l’interprétation dominante dans les médias « mainstream », il n’est pas encore certain que les Américains abandonnent à la fois l’OTAN et l’Europe. Il est toujours possible que Trump ne cherche qu’à pousser ses alliés à endosser enfin une plus grande part de responsabilité – à devenir de véritables partenaires, plutôt que des dépendants.

Selon le dernier baromètre d’opinion Ifop-Fiduciaire, celui qui se trouve en tête du classement des personnalités politiques préférées des Français serait Dominique de Villepin. Nos intervenants tentent de trouver une explication rationnelle à ce phénomène qui dépasse l’entendement.

Vatican / migrants: grand cœur mais pas trop

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© Vatican Mediai/SIPA

Si François enjoint les nations du monde entier à accueillir les migrants sans compter, l’État qu’il dirige ne donne pas franchement le bon exemple


Comment dit-on « gauche caviar » dans la langue de Dante ? En Italie, il existe une expression pour désigner les bonnes âmes qui donnent des leçons d’ouverture et d’humanité à la terre entière tout en restant bien protégées dans leur ghetto doré : le « parti ZTL », en référence aux zones à circulation limitée (Zona a traffico limitato), c’est-à-dire les centres historiques des grandes villes où vivent les classes aisées votant souvent à gauche.

À Rome, l’une des ZTL les plus fameuses est la Cité du Vatican. D’une surface d’environ 500 hectares, c’est le plus petit État au monde, le moins peuplé (avec 500 habitants environ et 4 500 travailleurs étrangers), mais aussi le plus inégalitaire de la zone euro (son indice de Gini s’élevant à 0,35). Dans un décret du 19 décembre 2024, il vient de renforcer sa législation antimigrants.

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Désormais « quiconque entre sur le territoire de l’État de la Cité du Vatican par violence, menace ou tromperie » encourt un à quatre ans de prison, 10 000 à 25 000 euros d’amende ainsi qu’une interdiction d’entrée pour une période de dix ans. Peu de pays européens possèdent des règles aussi répressives en la matière… On ne manquera pas de remarquer que celles-ci sont en totale contradiction avec les beaux discours du chef d’État local, le pape François, qui depuis son élection en 2013, ne cesse d’appeler ses homologues à accueillir davantage de sans-papiers chez eux et ne manque jamais de rudoyer les Occidentaux xénophobes. Rappelons que le souverain pontife a si peu de respect pour le principe – pourtant souverain – de frontières nationales qu’en 2023, il déclarait, avant de se rendre dans la cité phocéenne : « J’irai à Marseille, mais pas en France. » Que dirait-il si un immigré clandestin affirmait, au moment de rentrer dans la basilique Saint-Pierre, qu’il se trouve certes à Rome, mais pas au Vatican ? En attendant, pas sûr que les gardes suisses soient sensibles à cet argument venu d’en haut.

Révolution anti-woke: les fausses pudeurs de la French Tech

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Le président français Emmanuel Macron prononce un discours lors d'un événement de clôture de la première journée du Sommet d'action sur l'intelligence artificielle, au Grand Palais, à Paris, le 10 février © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Officiellement, le milieu des start-up françaises est progressiste. Officieusement, la bien-pensance en agace plus d’un. Et beaucoup pensent que le libéralisme trumpiste est vital pour le secteur.


« On est à côté de la plaque. On est toujours des communistes et les USA rentrent dans l’ultralibéralisme. » La lassitude de ce grand nom de l’innovation qui a investi dans des dizaines d’entreprises en France est palpable.

« C’est la révolution aux États-Unis, tandis qu’en France on est perclus dans l’Ancien Régime. Faire des marges est devenu très difficile. Parler librement, je peux encore, mais pas dans la presse, pas sur un podcast. J’ai gagné des millions, mais je reste un mâle blanc », enchaîne un autre « business angel » qui, moins par fascination pour l’homme politique que par instinct d’entrepreneur sentant le vent tourner, a repoussé sa décision de quitter le monde des affaires au moment de la victoire de Trump.

Officiellement, la French Tech est plutôt « progressiste », ouverte aux « minorités visibles », sensible aux « inégalités de genre » et convaincue que l’horizon économique hexagonal doit épouser les frontières de l’Union européenne. Sur LinkedIn France, on ne compte plus les classements d’« entrepreneur.e.s noir.e.s » ayant fait de « belles levées de fonds », ou encore de clubs d’investissement exclusivement réservés aux femmes appelant à encourager ces dernières « traînant aux pieds les boulets d’une société patriarcale et non inclusive ». Sur ce réseau mettant en relation les professionnels entre eux, l’élection de Trump a été perçue comme un « recul », un « drame » et le ralliement de Zuckerberg comme un geste « opportuniste », forcément « motivé par une personnalité torturée ».

Tout aussi officiellement (les chiffres sont publics), le financement des start-ups tricolores dépend en très large partie (aux alentours de 40 %) de fonds américains, mais aussi des aides de l’État (notamment à travers les prêts et les dons de la BPI). Un horizon économique qui se situe désormais au carrefour de deux idéologies opposées.

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Officieusement, la « start-up nation » déborde du cadre bâti par Emmanuel Macron. La bien-pensance agace, au moins autant que l’absence de patriotisme économique du président français. « Pourquoi Space X a réussi ? Parce que le gouvernement fédéral a commandé des fusées à Elon Musk », explique Thomas Fauré, l’un des rares entrepreneurs de la tech française à avoir le courage de s’exprimer à contre-courant de l’idéologie LinkedIn.

C’est ce milieu, largement dominé par une sociologie parisienne formée au sein des écoles de commerce, qui est aujourd’hui en passe d’être torpillé par un changement de régime politique et économique aussi radical que fulgurant. Est-ce en Seine-Saint-Denis, Californie rêvée par Emmanuel Macron, que les financiers de l’innovation française chercheront à rebâtir les rêves de la Silicon Valley ? Imposeront-ils les déterminants décomplexés de la révolution trumpienne aux entreprises françaises dont ils détiennent les capitaux ? La France est-elle en passe de devenir un champ de bataille extérieur entre ces gagnants et perdants aux visions opposées ?

Pour que la torpille américaine percute aussi la French Tech, il faudra d’abord un nouveau pouvoir à l’Élysée. Et les relais à qui la French Tech prête des accointances avec la mouvance trumpiste sont de plus en plus nombreux sur la scène politique française : Éric Zemmour, Sarah Knafo, Jordan Bardella, Éric Ciotti, David Lisnard… « Je pense que ce qu’il se passe aux États-Unis finira par arriver en France », conclut Thomas Fauré.