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Khadafithon

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Ce matin, je me suis réveillée avec les idées noires. J’espère que la currywurst que j’ai mangée hier soir au marché de Noël de Stuttgart n’était pas avariée. Willy, mon mari, me dit que non. Il connaît les vrais fautifs : Karlheinz Stockhausen et Mouammar Khadafi.

Avec la mort du premier, c’est l’un des plus grands compositeurs contemporains qui disparaît. De la musique savante à la pop music, son influence était telle qu’on le qualifie depuis longtemps de Beethoven du XXe siècle. Aux yeux de Stockhausen, tout était art, même les attentats du 11 septembre 2001, dont il disait qu’ils étaient « la plus grande oeuvre d’art totale jamais réalisée ». Quel grand esprit ! En mourant dans son lit, à domicile, Stockhausen aura réalisé la seule oeuvre d’art minimaliste de sa carrière.

Quant à Mouammar Khadafi, il n’est pas mort (enfin, pas autant que Fidel Castro). Il vient faire du tourisme à Paris. Le Guide de la grande révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste est un artiste en son genre. Il a contribué à renouveler la littérature militante, en repeignant en vert le Livre rouge de Mao. C’est aussi un pionnier de l’écologie : afin d’économiser le papier (et réduire ainsi la déforestation amazonienne), aucun bulletin de vote n’a été produit dans toute la Lybie depuis 1970. Enfin, avant d’entamer une carrière de saint Bulgare et de remiser les explosifs au placard, le colonel Khadafi a été célébré dans le monde entier pour exactement les mêmes raisons que Karlheinz Stockhausen : la rapidité d’exécution.

Le petit problème est que l’excursion parisienne du dirigeant lybien n’a pas l’heur de plaire à tout le monde. François Hollande récrimine, Bernard-Henri Lévy trépigne, Pierre Moscovici s’indigne et Ségolène Royal n’a rien à rajouter. Khadafi aura réussi le tour de force d’unir tous les socialistes français. Cet homme-là est bien parti pour finir premier secrétaire.

Néanmoins, de cette unanimité socialiste, on dénombre déjà une victime : le socialiste suisse Jean Ziegler. Cofondateur du Prix Khadafi des droits de l’Homme[1. Créé par Jean Ziegler et Mouammar Khadafi en 1988, le prix Khadafi récompense des personnalités reconnues pour leur action résolue en faveur des droits de l’Homme, comme Fidel Castro (1998) ou Hugo Chavez (2004). Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Jean Ziegler a lui-même été distingué par le prix Khadafi. C’était en 2002, aux côtés d’un défenseur acharné des droits de l’Homme s’il en est : Robert Faurisson.], il vient certainement de perdre tous ses amis d’une gauche française qui voyait en lui jusqu’à peu l’un des champions de l’altermondialisme et le considérait comme une référence indépassable.

Mais tout cela ne devrait pas empêcher Nicolas Sarkozy d’organiser correctement son Khadafithon.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Etudier plus pour gagner moins

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S’il y a une chose sur laquelle universitaires et chercheurs de droite, de gauche, du centre et d’ailleurs sont tous d’accord, c’est sur le fait qu’ils sont mal payés, mais alors très mal payés. Vous me direz qu’ils sont comme tout le monde. Tout le monde se considère mal payé, c’est pour ainsi dire la loi du siècle. Sauf qu’en l’occurrence, ce sont les seuls fonctionnaires français à avoir subi une telle érosion de leur pouvoir d’achat, pas moins de 25 % de baisse en 20 ans. A ce niveau, on peut parler de chute libre. Pourquoi, dès lors, n’en entendons-nous pas parler ? Je me suis longuement interrogé sur cet étrange silence et après enquête auprès de mes collègues d’horizons scientifiques les plus divers, unanimes pour constater le désastre, il semble que ce silence provient d’une pudeur particulière propre au milieu académique, une vague honte à l’idée de défendre une revendication financière.

Les universitaires peuvent être politiquement engagés, pétitionner pour des causes sociales diverses et variées. Ils ne descendent pas dans la rue pour eux-mêmes. Même ceux qui se situent le plus à gauche paraissent animés par un sentiment aristocratique qui les empêche de « s’abaisser » à demander l’aumône.

Je crois pourtant qu’il faut nous réveiller et dire enfin la réalité de notre situation. Nous sommes les hauts fonctionnaires – parce que nous sommes théoriquement des hauts fonctionnaires, au même titre que les conseillers d’Etat, généraux, ambassadeurs, administrateurs civils, préfets, etc. – les moins bien payés de la République et de loin. Les Professeurs des universités, titre assez ronflant si l’on y songe, ont beau être nommés par décret du Président de la République – pris en Conseil des ministres s’il vous plaît ! – ils sont beaucoup moins rétribués que tous les membres des autres corps « d’élite » nommés selon la même procédure.

Dans la fonction publique française, le niveau de rémunération obéit à deux lois simples indépendantes de l’effort, de la compétence et de l’utilité publique. La première concerne l’ensemble des fonctionnaires et peut s’énoncer ainsi : les agents jouissant d’une visibilité particulière, suffisamment nombreux et organisés pour descendre massivement dans la rue, capables, par la nature de leur activité, de bloquer ou de perturber le fonctionnement normal de la vie civile sont mieux payés que les autres et bénéficient de plus d’avantages sur tous les plans. La seconde, moins connue du public, concerne exclusivement les hauts fonctionnaires : plus on est proche de la caisse et du pouvoir, mieux on est payé. Principe aisément démontrable empiriquement. Les Trésoriers payeurs généraux qui sont en quelque sorte les comptables de la République, sont en moyenne les hauts fonctionnaires les mieux rémunérés de France, suivis de près par les membres de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat. Concernant le Conseil d’Etat qui a vocation à fourrer son nez, pour avis, dans les affaires des autres et qui, au fond, contrôle son propre statut, cela n’est guère étonnant. Mais le pire est que la haute assemblée qui semble se vivre comme une « noblesse d’Etat » donne souvent le sentiment de vouloir défendre ses privilèges. C’est ainsi qu’elle a fait traîner durant des années une réforme alignant la progression de carrière des directeurs d’hôpital sur celle des administrateurs civils, ne lâchant un avis favorable qu’après un véritable bras de fer.

Seulement, il est inutile d’espérer une telle résistance des universitaires. Parents pauvres de la haute fonction publique, pusillanimes, soumis, pudiques jusqu’à la pudibonderie face à l’argent, éloignés de la caisse comme du pouvoir, ils peuvent être traités sans le moindre égard. Aussi est-il piquant mais guère surprenant d’entendre notre bonne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, conseillère d’Etat bien mieux payée qu’un chercheurs, décréter que nous sommes encore trop rémunérés et que nous ne travaillons pas assez, sachant au passage qu’elle n’a aucune idée du type de travail que nous fournissons.

Questions d’actualité

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Si la Colombie envisage de confier la médiation en vue de la libération d’Ingrid Bétancourt à Nicolas Sarkozy, est-ce parce qu’il a réussi à libérer 20 millions de Français otages-des-syndicats-marxistes ?[1. © Yvan Rioufol, Le Figaro.]

Le gouvernement a décidé de supprimer l’exonération de la redevance dont bénéficiaient 800 000 ménages aux revenus modestes. Est-ce une mesure de justice sociale ? – après tout, ce sont eux qui regardent le plus la télé. Ou bien est-ce totalement injuste, puisqu’ils regardent surtout TF1 et M6 ?

Une cruche augmente-t-elle ses chances de réussite quand elle est affublée d’un traître ? Sinon quid de l’opération Panafieu-Cavada ?

Si un travesti tue en série ses amants d’un soir, doit-on parler de crimes homophobes ?

A l’approche des Fêtes, les commissaires-priseurs viennent de porter plainte contre E-bay pour concurrence déloyale. Si les émeutes redémarrent en fin d’année à Villiers-le-Bel, assistera-t-on à une démarche similaire des brûleurs de voitures de Strasbourg ?

Les associations de consommateurs demandent au gouvernement de mener contre l’obésité infantile « la même politique volontariste que s’agissant de lutte contre le tabac ». Il faut donc s’attendre à voir sur les confiseries des avertissements du style « croquer tue » ou « sucer peut provoquer l’impuissance ». Mais n’institue-t-on pas là une nouvelle discrimination vis-à-vis des enfants qui sont à la fois obèses et illettrés ? Par ailleurs, chacun sait que le tabac est un excellent coupe-faim. Pourquoi a-t-on négligé cette prometteuse piste thérapeutique ?

Une bombe dans le frigo

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L’Iran n’a pas de projet nucléaire militaire. Cette affirmation n’est pas extraite d’un discours de Mahmoud Ahmadinejad mais d’un rapport des services de renseignements américains (dont quelques pages sur 150 ont été rendues publiques cette semaine). Avec ce texte, la communauté du renseignement prend sa revanche sur la Maison Blanche. Plus jamais ça. Plus jamais nous ne porterons le chapeau de vos guerres : tel est en somme le message adressé à George Bush par les services secrets, CIA en tête. Il n’y aura pas de remake du scénario irakien. Si Messieurs Bush et Cheney veulent faire la guerre à l’Iran, c’est leur droit constitutionnel, mais ils devront assumer seuls leur choix.

Pour autant, les cris de victoire des partisans de l’apeasement ne sont guère de mise. Qu’apprend-on, en effet, dans ce texte explosif ? Non pas que le nucléaire iranien est un fantasme sorti du cerveau des docteurs Folamour de Washington pour justifier leurs noirs et impérialistes desseins. On n’y découvre pas non plus que les mollahs sont d’aimables pacifistes seulement soucieux de procurer à leur peuple une électricité écologiquement correcte. Les maîtres espions de l’Amérique se bornent à constater que Téhéran a gelé son programme nucléaire en 2003. Certes, il s’agit d’une déconvenue pour les faucons qui rêvaient d’en découdre – au demeurant, ils ne sont peut-être pas aussi nombreux qu’on l’imagine. Toutefois, cette conclusion en appelle deux autres. Primo, le programme nucléaire militaire iranien existe bel et bien ; secundo, les ayatollahs qui ont décidé de le geler peuvent aussi bien décider de le décongeler. Auquel cas Téhéran pourrait disposer d’une arme opérationnelle entre 2010 et 2015. En clair, l’affaire n’est pas classée. Loin s’en faut.

Il y a bien dans ce rapport une bonne nouvelle mais ce n’est pas celle que l’on croit. En effet, si l’on fait confiance à la CIA et aux autres agences (et, à vrai dire, on ne dispose pas de tant d’autres sources sur l’Iran), il apparaît que les dirigeants iraniens sont des hommes raisonnables. Contrairement à ce que laisse penser le langage fleuri du président Ahmadinejad, les ayatollahs comprennent les rapports de forces. Les prétendus « fous de Dieu » entendent aussi bien que n’importe quels autres politiques le langage de la carotte et du bâton.

Inutile, cependant, de se bercer d’illusions. Les Iraniens veulent la bombe. Simplement, les désirs sont une chose, les capacités une autre et les actes encore une troisième. Le rapport de l’intelligence US nous renseigne d’abord sur le troisième plan. Restent les deux premiers. S’agissant des souhaits et des capacités de Téhéran, la cause est entendue. Non seulement l’Iran a mené un programme nucléaire jusqu’en 2003, mais il l’a de surcroît dissimulé. Et c’est seulement pris la main dans le pot d’uranium qu’il a arrêté sa tambouille nucléaire.

Bien sûr, il faut se demander pourquoi on ajouterait foi aux « révélations » des services américains. Question brûlante sur laquelle ni les avocats, ni les adversaires de la politique américaine n’ont envie de s’attarder. De leur propre aveu, les services américains ont été incapables de détecter le programme iranien lorsqu’il était en pleine activité mais ont claironné son existence une fois qu’il était suspendu. Si l’on ajoute à ce bilan leur incurie en Irak et en Lybie et leur incapacité à prévenir les attaques du 11 septembre, il n’y a pas de quoi leur faire une confiance aveugle aujourd’hui.

Cela dit, quelle que soit sa fiabilité, le mérite de ce rapport est de rappeler que les dirigeants de Téhéran ne sont pas des fous furieux mais des realpoliticiens. Ils veulent l’arme nucléaire mais pas à tout prix. Reste à savoir combien ils sont prêts à mettre sur la table – et éventuellement combien d’Iraniens ils sont prêts à sacrifier à cette fin. Plutôt que de pousser des glapissements sur le juste combat qu’il conviendrait de mener contre les forces du mal, il importe de répondre à cette question.

Forme, c’est du belge

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Ce pays existe-t-il vraiment ? On le croirait sorti tout droit de l’imagination du père de Tintin, à ceci près que nous avons beaucoup plus de preuves tangibles de l’existence de la Syldavie – et je ne parle pas de la Bordurie – que de la Belgique…

Il faut dire que ce qui se passe aujourd’hui en Belgique est unique. Depuis plus de six mois, les Belges n’ont plus de Premier ministre. Une situation aussi terrible que celle d’une France qui n’aurait pas François Fillon.

Le pays s’ennuie terriblement. On mange bien des frites, on continue à aller dire bonjour en famille au Mannekenpis et à remanger des frites. On se suicide toujours autant en écoutant du Brel. Mais le cœur n’y est plus. La Belgique s’ennuie.

Elle s’ennuie d’autant plus que le « formateur », Yves Leterme, vient de rendre son tablier à Albert II (aucun lien de parenté avec Jean-Paul). Certes, il fallait être belge pour confier une mission aussi importante à un dénommé Leterme : c’était écrit noir sur blanc que ça allait finir. Le roi vient donc de demander à Guy Verhofstadt de trouver une solution. Le choix royal est assez judicieux, vu que l’ex-Premier ministre fédéral occupe encore le 16 rue de la Loi (le Matignon belge) et qu’il n’est pas pressé d’en déménager.

Guy Verhofstadt devra d’ailleurs prendre tout son temps pour ménager les bleus et les oranges, les wallons et les flamands, sans compter les 75 000 membres de la Deutschsprachige Gemeinschaft Belgiens.

Vu que toute prétention allemande sur Eupen-Malmedy est abandonnée, nous nous permettons de formuler la seule solution qui vaille : transférer le Palais royal au Berlaymont et dissoudre la Belgique dans l’Union européenne. Plus aucun Flamand, plus aucun Wallon ne se disputera la Belgique. C’est pour l’Europe qu’ils se taperont dessus.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Pas de repentance pour l’Algérie

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Les Algériens ne sont pas très contents de Nicolas Sarkozy. Primo il est juif, secundo son ministre des Affaires étrangères est juif, et tertio il voulait amener avec lui le chanteur Enrico Macias. Il est vrai qu’Enrico Macias est originaire d’Algérie, et ça, c’est plutôt un bon point ; l’ennui c’est qu’il est aussi juif et ça, c’est très mauvais – il n’y a pas de bien sans mal. Cela dit, à quel point sont-ils juifs, Sarkozy et Kouchner ? Selon Hitler, à 100 %. Pour les rabbins, ils sont 100% « goy ».

Seulement, quand il s’agit des « affaires juives », les Algériens ne se fient pas aux rabbins. Le ministre des Moudjahiddines, Mohamed Cherif Abbas, croit savoir que Sarkozy est à la solde du lobby juif. La « preuve », c’est que selon lui (et seulement selon lui) Israël a émis un timbre à l’effigie du président français avant même qu’il ne soit élu. Une autre preuve est fournie par les goûts musicaux du président, un peu trop juifs sur les bords.

Les Algériens ne partagent les goûts de Sarkozy ni en musique, ni en philatélie, ni en religion – pas nécessairement dans cet ordre. Surtout, ils exigent que la France fasse repentance pour les longues années de colonisation. Cette demande d’excuses est peut-être un symptôme inquiétant montrant que la judéïté est une maladie contagieuse qui pourrait même frapper de purs « goys » (malheureusement pas très ariens) comme Mohamed Cherif Abbas. En effet, rien n’est plus juif que ce désir d’entendre quelqu’un implorer son pardon. Nous adorons cela. Tout invité de marque – à moins qu’il ne soit juif ou représentant d’un lobby juif – est trainé à Yad Vashem et à la Knesset pour faire repentance. Et le succès de la visite se mesure à la puissance des excuses. Pas d’excuses du tout ? Un cas avéré d’antisémitisme. Des excuses mollassonnes ? Un résultat mitigé. Le visiteur se bat violemment la coulpe (mais sur la poitrine de ses parents), s’agenouille et injurie ses ancêtres ? Jackpot !

A ce qu’il paraît, les Algériens en veulent aussi. Mais non, ils ne tiennent pas à visiter Yad Vashem et la Knesset. Ils veulent des excuses, et pas tant pour le passé que pour le présent. Car il y a une différence de taille entre les demandes de repentance juive et postcoloniale (et pas seulement celle qui existe entre l’hitlérisme et la colonisation). Les Juifs (forts de leur lobby et de leur service philatélique, mais aussi, allez, grâce à Enrico Macias), sont assez contents d’eux-mêmes. Nous n’avons pas besoin d’imputer aux « goys » le triste état des choses – nous allons très bien, merci. Certes, nous sommes moins sûrs de notre bon droit moral que de notre puissance militaire et économique. Si nous avons besoin d’excuses, c’est pour nous conforter dans notre statut de victimes – quels que soient par ailleurs les faits sur ce terrain.

Dans un contexte postcolonial, la demande d’excuses joue un tout autre rôle – elle permet de disculper les actuels gouvernants des échecs du présent. Pourquoi sommes-nous pauvres, corrompus ou ignorants ? C’est la faute à Ferry. Pourquoi produisons-nous sans cesse des mouvements religieux qui sanctifient la violence intérieure comme extérieure ? C’est la faute à Bugeaud. Le colonialisme est coupable de tout. Sans colonialisme, c’est nous et pas vous qui aurions été les grandes puissances (et peu importe qu’il n’ait dans certain cas duré que quelques décennies). Les Etats postcoloniaux souffrent souvent d’une version particulièrement tragique du syndrome de Peter Pan – ils refusent de grandir moralement. Le problème c’est toujours « vous » ou « eux » – sinon les colonisateurs, les sionistes. Demandez-nous pardon.

Pour autant, il ne s’agit pas de prétendre que les ex-puissances coloniales n’ont rien à se faire pardonner. L’argument de Sarkozy selon lequel la France « a donné toute sa grandeur aux pays où elle était présente » est une absurdité. Et pourquoi pas, tant qu’on y est, demander aux Algériens ou aux autres peuples anciennement colonisés par la France de remercier celle-ci pour leur avoir fait don de sa grandeur – dont ils n’eurent de cesse de se débarrasser ?

Il y a lieu, des deux côtés de la Méditerranée, de se livrer à un examen de conscience, mais ce lieu n’est pas la politique. La politique est un jeu d’intérêts, pas une consultation pour couples en crise. Plus que d’une déclaration hypocrite de plus de la part d’un homme politique, les Algériens ont besoin des investissements français – les projets concrets valent mieux que les sentiments délicats. Et plutôt que d’attendre des excuses pour les crimes dont ils furent victimes, ils feraient mieux de se livrer à leur examen de conscience (notamment sur leur antisémitisme). La repentance détourne l’attention de l’essentiel. On peut très bien s’en passer.

Lobby juif : l’incident n’est pas clos

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Interrogé par PPDA et Arlette Chabot au sujet des déclarations du ministre algérien des Anciens combattants sur le rôle décisif du lobby juif dans son élection, Nicolas Sarkozy a cru devoir leur répondre que l’incident était clos.

Je reconnais toutes sortes de prérogatives au Président mais, à mon avis, il n’a pas le pouvoir de clore cet incident-là. Il a parfaitement le droit de fermer le ban dans une affaire qui ne concernerait que lui-même. D’ailleurs, il l’a déjà fait, et à bon escient : je n’ai pas entendu dire que le marin-pêcheur du Guilvinec qui l’a traité d’enculé ait été poursuivi pour injures au chef de l’Etat, ni même pour diffusion de fausses nouvelles. L’incident est clos.

Mais là il ne s’agissait pas d’une attaque personnelle d’un ministre algérien contre le chef de l’Etat. Le ministre en question n’a pas déclaré que Nicolas avait mauvais caractère, que ses cigares puaient ou qu’il s’habillait au rayon grande taille chez Jacadi. Il a déclaré que le chef de l’Etat devait son élection au lobby juif. Ce qui appelle quelques remarques.

Tout d’abord c’est arithmétiquement très improbable. 2 192 698 voix séparaient les deux candidats ; si tant est qu’il y ait un lobby juif (c’est un autre débat) et si tant est qu’il ait pesé de tout son poids pour l’un plutôt que pour l’autre (c’est encore un autre débat), on l’imagine mal déplaçant autant d’électeurs. S’il était avéré qu’une majorité de juifs a voté Sarkozy, cela ne suffirait d’ailleurs pas à faire de lui le candidat dudit éventuel lobby – sauf à considérer conséquemment que Ségolène Royal était, elle, la candidate du lobby musulman. Rappelons en effet que selon un sondage réalisé à la sortie des urnes dimanche 22 avril par l’institut CSA-CISCO pour La Croix, 64% des Français musulmans ont voté pour Ségolène Royal au premier tour de la présidentielle, contre 19% pour François Bayrou et 1% pour Nicolas Sarkozy. Voilà pour les données chiffrées dont, à mon humble avis, M. Bouteflika et son « ministre des moudjahiddine » se contrefichent, un peu comme moi en vérité, tant il est patent que le problème est ailleurs.

Car, quand on fait une telle déclaration, que dit-on ? Qu’en réalité le président de la République ne doit son élection qu’à des manœuvres souterraines. Et on démasque les coupables. Les juifs et leur lobby, à cause desquels 60 millions de Français se trouvent affublés d’un président de facto illégitime.

On m’objectera peut-être que le président algérien s’est désolidarisé de son ministre. Foutaises ! Que nous dit le site du Quai d’Orsay ?

Le Président de la République et le Président Bouteflika ont eu le 29 novembre une communication téléphonique. La question des déclarations prêtées au Ministre algérien des Moudjahiddine a été abordée. Le Président Bouteflika a souligné que de tels propos ne reflètent en rien la position de l’Algérie et que le Président français sera reçu en ami au cours de sa visite d’État en Algérie, visite essentielle pour les deux pays.

Le mot excuse ou le mot sanction n’ont donc pas été prononcés. Ni bien sûr par M. Bouteflika. Ni d’ailleurs par l’Amicale des Algériens en France, ni par le Recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, pourtant « réputé proche » des autorités algériennes. C’est au minimum ce qu’il aurait fallu pour que l’incident soit clos.

Car l’Algérie n’est pas le Paraguay. Plusieurs centaines de milliers d’Algériens vivent en France. Notre pays compte aussi un nombre conséquent de bi-nationaux et de Français originaires d’Algérie. On peut être certain que l’immense majorité d ‘entre eux ne prêtera pas plus d’attention à cette déclaration qu’aux autres mensonges proférés régulièrement par l’Etat algérien, et c’est très bien comme ça. Mais il ne faut pas se le cacher, une infime minorité de ceux-ci risque de sentir confortée dans son antisémitisme. Cette menace aurait pu, aurait du, être étouffée dans l’œuf par une réaction radicale de M. Bouteflika, qui avait, lui, le pouvoir de clore l’incident…

Si ces jours-ci, un enfant à kippa se fait traiter de sale youpin dans le métro, ou si une boucherie kasher se fait caillasser par des voyous décérébrés, ce sera un peu grâce à M. Bouteflika.

L’incident n’est pas clos.

NB : Toujours sans être sanctionné, le même ministre des Anciens Combattants a expliqué le ralliement de Bernard Kouchner au gouvernement par ses origines ethniques. Mais alors, quid du ralliement de Fadela Amara ? Il a aussi déclaré, dans l’indifférence générale, que la présence d’Enrico Macias dans la délégation ne l’aurait pas dérangé « parce qu’il n’est pas algérien ». Nous y reviendrons…

Poutine : victoire à la Bayrou

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Depuis quelques heures, il n’est pas un seul média, en Europe et dans le monde, qui ne relate les quelque 63 % des suffrages que serait parvenu à réunir Единая Россия, le parti de Vladimir Poutine, aux législatives russes.

On manie l’hyperbole et l’exagération ; on parle de « victoire écrasante », de « raz-de-marée » et de « triomphe ». Perdant toute mesure, certains font même de cette élection un « plébiscite pour le maître du Kremlin ».

On se demande si, dans les rédactions internationales, on n’a pas sorti un peu trop tôt blinis, caviar et vodka. Car, au même moment où Vladimir Poutine parvient à réunir très péniblement 63 % de son électorat, François Bayrou en réunit 96,8 % ! Incomparable.

33,8 % séparent l’un et l’autre. Comment expliquer alors que le Russe s’apprête à bénéficier d’une couverture médiatique mondiale, tandis que le Béarnais devra se contenter de quelques maigres entrefilets dans la presse quotidienne régionale ? N’y a-t-il pas là une effroyable injustice ?

Se trouvera-t-il seulement un journaliste suffisamment dévoué à la Vérité pour dénoncer l’exécrable rôle de Jean-Marie Cavada, qui a usé de son influence pour que les médias du monde entier dépêchent un correspondant spécial à Moscou et n’envoient personne à Villepinte ?

Quand le journaliste se trompe, le seul recours est celui de l’historien. J’en suis sûre : l’histoire, elle, se souviendra qu’un 2 décembre Napoléon Ier était sacré empereur, Napoléon III faisait un coup d’Etat et François Bayrou rétablissait, à lui seul, la démocratie planétaire. Quant à M. Poutine, souhaitons-lui qu’un jour il parvienne seulement à réunir plus de 96,8 % des voix à une élection. Il sera alors un vrai démocrate.

Villiers-le-Bel et la voyoucratie

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Ah ! Je ne me fais guère d’illusions : il y aura toujours des voyous ! Certains sont nés voyous dans l’âme : la voyouterie est dans leur sang et le système politique qui recueille leurs suffrages est bien la « voyoucratie », pour reprendre le terme utilisé par le Président.

Pierre Lacenaire était un voyou s’il en fut, assassin récidiviste qui tuait par derrière, à l’aide d’un tire-point de cordonnier. Dans Les Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945), Jacques Prévert lui fait dire : « Quand j’étais enfant, j’étais déjà plus lucide, plus intelligent que les autres… « Ils » ne me l’ont pas pardonné, ils voulaient que je sois comme eux… Levez la tête Pierre-François… regardez-moi… baissez les yeux… Et ils m’ont meublé l’esprit de force, avec des livres… de vieux livres … Pourquoi tant de poussière dans une tête d’enfant ? Quelle belle jeunesse, vraiment ! Mon père qui me détestait… ma mère, ma digne mère, qui préférait mon imbécile de frère et mon directeur de conscience qui me répétait sans cesse : « Vous êtes trop fier, Pierre François, il faut rentrer en vous-même ! » Alors je suis rentré en moi-même… mais je n’ai jamais pu en sortir ! Jolie souricière ! Les imprudents ! Ils m’ont laissé tout seul avec moi-même… et pourtant ils me défendaient les mauvaises fréquentations… »

Même les voyous dans l’âme vivent donc dans un monde peuplé de circonstances. Mais tous les voyous ne sont pas « voyous dans l’âme ». Les autres, je les appellerai précisément « de circonstance » : ceux qui ne sont pas nés voyous mais qu’un contexte, « une crise sociale », par exemple, ont fait basculer du côté de la voyouterie. Gavroche comme l’on sait avait eu une enfance difficile. On ne sait rien de la Liberté guidant le peuple chez Delacroix (1830) – sinon que son style dépoitraillé fait mauvais genre – mais pour prendre les risques qu’on la voit prendre, je ne crois pas m’avancer trop en disant qu’elle a dû en baver.

Je ne sais rien des enfants voleurs de bonbons de Villiers-le-Bel et condamnés à trois mois de prison ferme : peut–être sont–ils des voyous dans l’âme et j’aurais bien trop peur en les exonérant d’office, en invoquant leurs circonstances difficiles, de me retrouver dans le camp des « donneurs de leçons ». Mais peut–on au contraire me faire la preuve que leur acte n’a, comme l’affirme le Président, « rien à voir avec une crise sociale » ? Que ça n’a « rien à voir » avec un taux de chômage de 19 % et de 30 à 40 % dans les quartiers chauds, avec le fait que la ville compte 50 % de logements sociaux et que le revenu annuel moyen par habitant est de 6 500 euros (contre 12500 euros en Ile-de-France [1. Chiffres publiés dans Le Monde en ligne.]). Cela aussi me semblerait difficile à prouver.

Les anthropologues opposent dans un couple indissociable les « structures » aux « sentiments ». Ce sont les sentiments des femmes et des hommes qui les conduisent à bâtir des structures qui les contraignent ensuite et modèlent alors leurs sentiments, et ceci oblige à distinguer différents types de causes selon que l’on fixe son attention sur les unes ou sur les autres. Le voyou qui allume la mèche d’un cocktail Molotov puis le lance dans la direction des forces de l’ordre est bien la cause qui risque de provoquer des blessures effectivement « gravissimes ». Mais sa présence là a, elle aussi, ses propres causes au sein d’un contexte qui, ce n’est pas à exclure, pourrait très bien être celui d’une « crise sociale ». Quand les structures descendent dans la rue, elles réclament sans doute un voyou pour allumer la mèche, mais ce sont bien elles qui ont causé l’incendie.

Israël-Palestine : commençons par Jérusalem

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Le 29 novembre 1947 l’assemblée générale des Nations unies votait une résolution mettant fin au mandat britannique en Palestine et enjoignant les protagonistes d’y créer deux Etats, l’un juif, l’autre arabe (c’est-à-dire palestinien). Pour les Juifs de Palestine, ce fut l’euphorie, pour les Arabes la consternation. Dès le lendemain commença une guerre civile qui allait rapidement embraser la région.

Soixante ans, six guerres et deux intifadas plus tard, l’idée selon laquelle la seule solution de l’impossible équation proche-orientale est la création de deux Etats paraît s’être imposée à tous les gens raisonnables et même aux autres. De part et d’autre, même les plus extrémistes savent qu’il leur faudra partager la terre. Et pourtant, la mise en œuvre de ce partage semble presque aussi hors d’atteinte qu’elle l’était en 1948 – quand les Arabes promettaient de jeter tous les Juifs à la mer. C’est en tout cas ce qu’a affirmé Ehoud Olmert à son retour de la conférence de paix d’Annapolis, dans un entretien accordé à Haaretz à l’occasion du soixantième anniversaire de ce vote historique. Pour le Premier ministre israélien, un Etat bi-national sera bientôt la seule issue possible. En clair, pour le partage, c’est maintenant ou jamais. Et peut-être est-ce déjà trop tard. Peut-être que les Israéliens juifs devront un jour accepter d’être les citoyens minoritaires d’un Etat palestinien.

Il est donc possible qu’Annapolis soit la dernière chance d’un plan de partage redevenu d’actualité au début des années 90 avec les accords d’Oslo. La construction de la « barrière de sécurité » (appelée mur de séparation par les gauches européennes) aurait pu constituer une avancée significative dans ce processus de divorce raisonnable à défaut d’être à l’amiable. D’ailleurs, l’idée avait été lancée par la gauche avant d’être pervertie par la droite. « Les bonnes barrières font de bons voisins », disait Ehud Barak. Plus tard, Sharon a décidé de la construire, cette clôture de bon voisinage, mais dans le jardin des voisins, ce qui a considérablement amoindri ses effets bénéfiques.

Ehoud Olmert l’a bien compris : déjà extrêmement difficile à mettre en œuvre dans les conditions actuelles, la « solution à deux Etats » (two states solution) sera bientôt impossible à réaliser à cause de la colonisation. Sans même présumer de la volonté des Palestiniens de trouver un compromis avec Israël, il devient évident qu’un grand nombre de colonies sont aujourd’hui une réalité irréversible – un fait accompli. Autour d’un « Très grand Jérusalem », un tissu dense de villes et villages arabes et israéliens entrelacés, ainsi que deux autres conurbations au nord et au sud de la capitale, rendent peut-être déjà caduque toute solution de partage. Si Israël s’est déjà montré à deux reprises capable de démonter villes et villages (dans le Sinaï au début des années 1980 et à Gaza il y a deux ans), en Cisjordanie, certaines zones ont sans doute déjà dépassé le seuil critique et ne sont plus « démontables ». En conséquence, sauf à imaginer un scénario-catastrophe type indépendance algérienne, il n’est plus vraiment question de tracer une frontière au cordeau. Ce qui signifie qu’il n’y a plus de « solution toute simple » en vue.

Il faut prendre Olmert au sérieux. La logique actuelle des efforts de paix – dont la légitimité repose sur la résolution historique de l’ONU de novembre 1947 – a probablement vécu. Toute solution raisonnable impliquera d’une manière ou d’une autre des enclaves « binationales », tandis que les droits individuels et collectifs des uns et des autres feront l’objet d’arrangements complexes. Au lieu de tourner en rond autour d’un trésor qui n’existe plus, il faut donc placer ces zones au cœur des négociations. Le meilleur endroit pour commencer, c’est Jérusalem. Il faudra y inventer des structures communes permettant aux deux communautés de satisfaire leurs besoins pratiques et symboliques, autrement dit de répondre à leurs demandes en termes de souveraineté et de propriété. C’est la seule manière de recréer un cycle vertueux. Jérusalem ne doit plus être l’appendice empoisonné d’une négociation condamnée à ne pas aboutir, l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes à tous, Israéliens et Palestiniens. Le seul processus viable, c’est « Jérusalem d’abord ».

Khadafithon

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Ce matin, je me suis réveillée avec les idées noires. J’espère que la currywurst que j’ai mangée hier soir au marché de Noël de Stuttgart n’était pas avariée. Willy, mon mari, me dit que non. Il connaît les vrais fautifs : Karlheinz Stockhausen et Mouammar Khadafi.

Avec la mort du premier, c’est l’un des plus grands compositeurs contemporains qui disparaît. De la musique savante à la pop music, son influence était telle qu’on le qualifie depuis longtemps de Beethoven du XXe siècle. Aux yeux de Stockhausen, tout était art, même les attentats du 11 septembre 2001, dont il disait qu’ils étaient « la plus grande oeuvre d’art totale jamais réalisée ». Quel grand esprit ! En mourant dans son lit, à domicile, Stockhausen aura réalisé la seule oeuvre d’art minimaliste de sa carrière.

Quant à Mouammar Khadafi, il n’est pas mort (enfin, pas autant que Fidel Castro). Il vient faire du tourisme à Paris. Le Guide de la grande révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste est un artiste en son genre. Il a contribué à renouveler la littérature militante, en repeignant en vert le Livre rouge de Mao. C’est aussi un pionnier de l’écologie : afin d’économiser le papier (et réduire ainsi la déforestation amazonienne), aucun bulletin de vote n’a été produit dans toute la Lybie depuis 1970. Enfin, avant d’entamer une carrière de saint Bulgare et de remiser les explosifs au placard, le colonel Khadafi a été célébré dans le monde entier pour exactement les mêmes raisons que Karlheinz Stockhausen : la rapidité d’exécution.

Le petit problème est que l’excursion parisienne du dirigeant lybien n’a pas l’heur de plaire à tout le monde. François Hollande récrimine, Bernard-Henri Lévy trépigne, Pierre Moscovici s’indigne et Ségolène Royal n’a rien à rajouter. Khadafi aura réussi le tour de force d’unir tous les socialistes français. Cet homme-là est bien parti pour finir premier secrétaire.

Néanmoins, de cette unanimité socialiste, on dénombre déjà une victime : le socialiste suisse Jean Ziegler. Cofondateur du Prix Khadafi des droits de l’Homme[1. Créé par Jean Ziegler et Mouammar Khadafi en 1988, le prix Khadafi récompense des personnalités reconnues pour leur action résolue en faveur des droits de l’Homme, comme Fidel Castro (1998) ou Hugo Chavez (2004). Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Jean Ziegler a lui-même été distingué par le prix Khadafi. C’était en 2002, aux côtés d’un défenseur acharné des droits de l’Homme s’il en est : Robert Faurisson.], il vient certainement de perdre tous ses amis d’une gauche française qui voyait en lui jusqu’à peu l’un des champions de l’altermondialisme et le considérait comme une référence indépassable.

Mais tout cela ne devrait pas empêcher Nicolas Sarkozy d’organiser correctement son Khadafithon.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Etudier plus pour gagner moins

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S’il y a une chose sur laquelle universitaires et chercheurs de droite, de gauche, du centre et d’ailleurs sont tous d’accord, c’est sur le fait qu’ils sont mal payés, mais alors très mal payés. Vous me direz qu’ils sont comme tout le monde. Tout le monde se considère mal payé, c’est pour ainsi dire la loi du siècle. Sauf qu’en l’occurrence, ce sont les seuls fonctionnaires français à avoir subi une telle érosion de leur pouvoir d’achat, pas moins de 25 % de baisse en 20 ans. A ce niveau, on peut parler de chute libre. Pourquoi, dès lors, n’en entendons-nous pas parler ? Je me suis longuement interrogé sur cet étrange silence et après enquête auprès de mes collègues d’horizons scientifiques les plus divers, unanimes pour constater le désastre, il semble que ce silence provient d’une pudeur particulière propre au milieu académique, une vague honte à l’idée de défendre une revendication financière.

Les universitaires peuvent être politiquement engagés, pétitionner pour des causes sociales diverses et variées. Ils ne descendent pas dans la rue pour eux-mêmes. Même ceux qui se situent le plus à gauche paraissent animés par un sentiment aristocratique qui les empêche de « s’abaisser » à demander l’aumône.

Je crois pourtant qu’il faut nous réveiller et dire enfin la réalité de notre situation. Nous sommes les hauts fonctionnaires – parce que nous sommes théoriquement des hauts fonctionnaires, au même titre que les conseillers d’Etat, généraux, ambassadeurs, administrateurs civils, préfets, etc. – les moins bien payés de la République et de loin. Les Professeurs des universités, titre assez ronflant si l’on y songe, ont beau être nommés par décret du Président de la République – pris en Conseil des ministres s’il vous plaît ! – ils sont beaucoup moins rétribués que tous les membres des autres corps « d’élite » nommés selon la même procédure.

Dans la fonction publique française, le niveau de rémunération obéit à deux lois simples indépendantes de l’effort, de la compétence et de l’utilité publique. La première concerne l’ensemble des fonctionnaires et peut s’énoncer ainsi : les agents jouissant d’une visibilité particulière, suffisamment nombreux et organisés pour descendre massivement dans la rue, capables, par la nature de leur activité, de bloquer ou de perturber le fonctionnement normal de la vie civile sont mieux payés que les autres et bénéficient de plus d’avantages sur tous les plans. La seconde, moins connue du public, concerne exclusivement les hauts fonctionnaires : plus on est proche de la caisse et du pouvoir, mieux on est payé. Principe aisément démontrable empiriquement. Les Trésoriers payeurs généraux qui sont en quelque sorte les comptables de la République, sont en moyenne les hauts fonctionnaires les mieux rémunérés de France, suivis de près par les membres de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat. Concernant le Conseil d’Etat qui a vocation à fourrer son nez, pour avis, dans les affaires des autres et qui, au fond, contrôle son propre statut, cela n’est guère étonnant. Mais le pire est que la haute assemblée qui semble se vivre comme une « noblesse d’Etat » donne souvent le sentiment de vouloir défendre ses privilèges. C’est ainsi qu’elle a fait traîner durant des années une réforme alignant la progression de carrière des directeurs d’hôpital sur celle des administrateurs civils, ne lâchant un avis favorable qu’après un véritable bras de fer.

Seulement, il est inutile d’espérer une telle résistance des universitaires. Parents pauvres de la haute fonction publique, pusillanimes, soumis, pudiques jusqu’à la pudibonderie face à l’argent, éloignés de la caisse comme du pouvoir, ils peuvent être traités sans le moindre égard. Aussi est-il piquant mais guère surprenant d’entendre notre bonne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, conseillère d’Etat bien mieux payée qu’un chercheurs, décréter que nous sommes encore trop rémunérés et que nous ne travaillons pas assez, sachant au passage qu’elle n’a aucune idée du type de travail que nous fournissons.

Questions d’actualité

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Si la Colombie envisage de confier la médiation en vue de la libération d’Ingrid Bétancourt à Nicolas Sarkozy, est-ce parce qu’il a réussi à libérer 20 millions de Français otages-des-syndicats-marxistes ?[1. © Yvan Rioufol, Le Figaro.]

Le gouvernement a décidé de supprimer l’exonération de la redevance dont bénéficiaient 800 000 ménages aux revenus modestes. Est-ce une mesure de justice sociale ? – après tout, ce sont eux qui regardent le plus la télé. Ou bien est-ce totalement injuste, puisqu’ils regardent surtout TF1 et M6 ?

Une cruche augmente-t-elle ses chances de réussite quand elle est affublée d’un traître ? Sinon quid de l’opération Panafieu-Cavada ?

Si un travesti tue en série ses amants d’un soir, doit-on parler de crimes homophobes ?

A l’approche des Fêtes, les commissaires-priseurs viennent de porter plainte contre E-bay pour concurrence déloyale. Si les émeutes redémarrent en fin d’année à Villiers-le-Bel, assistera-t-on à une démarche similaire des brûleurs de voitures de Strasbourg ?

Les associations de consommateurs demandent au gouvernement de mener contre l’obésité infantile « la même politique volontariste que s’agissant de lutte contre le tabac ». Il faut donc s’attendre à voir sur les confiseries des avertissements du style « croquer tue » ou « sucer peut provoquer l’impuissance ». Mais n’institue-t-on pas là une nouvelle discrimination vis-à-vis des enfants qui sont à la fois obèses et illettrés ? Par ailleurs, chacun sait que le tabac est un excellent coupe-faim. Pourquoi a-t-on négligé cette prometteuse piste thérapeutique ?

Une bombe dans le frigo

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L’Iran n’a pas de projet nucléaire militaire. Cette affirmation n’est pas extraite d’un discours de Mahmoud Ahmadinejad mais d’un rapport des services de renseignements américains (dont quelques pages sur 150 ont été rendues publiques cette semaine). Avec ce texte, la communauté du renseignement prend sa revanche sur la Maison Blanche. Plus jamais ça. Plus jamais nous ne porterons le chapeau de vos guerres : tel est en somme le message adressé à George Bush par les services secrets, CIA en tête. Il n’y aura pas de remake du scénario irakien. Si Messieurs Bush et Cheney veulent faire la guerre à l’Iran, c’est leur droit constitutionnel, mais ils devront assumer seuls leur choix.

Pour autant, les cris de victoire des partisans de l’apeasement ne sont guère de mise. Qu’apprend-on, en effet, dans ce texte explosif ? Non pas que le nucléaire iranien est un fantasme sorti du cerveau des docteurs Folamour de Washington pour justifier leurs noirs et impérialistes desseins. On n’y découvre pas non plus que les mollahs sont d’aimables pacifistes seulement soucieux de procurer à leur peuple une électricité écologiquement correcte. Les maîtres espions de l’Amérique se bornent à constater que Téhéran a gelé son programme nucléaire en 2003. Certes, il s’agit d’une déconvenue pour les faucons qui rêvaient d’en découdre – au demeurant, ils ne sont peut-être pas aussi nombreux qu’on l’imagine. Toutefois, cette conclusion en appelle deux autres. Primo, le programme nucléaire militaire iranien existe bel et bien ; secundo, les ayatollahs qui ont décidé de le geler peuvent aussi bien décider de le décongeler. Auquel cas Téhéran pourrait disposer d’une arme opérationnelle entre 2010 et 2015. En clair, l’affaire n’est pas classée. Loin s’en faut.

Il y a bien dans ce rapport une bonne nouvelle mais ce n’est pas celle que l’on croit. En effet, si l’on fait confiance à la CIA et aux autres agences (et, à vrai dire, on ne dispose pas de tant d’autres sources sur l’Iran), il apparaît que les dirigeants iraniens sont des hommes raisonnables. Contrairement à ce que laisse penser le langage fleuri du président Ahmadinejad, les ayatollahs comprennent les rapports de forces. Les prétendus « fous de Dieu » entendent aussi bien que n’importe quels autres politiques le langage de la carotte et du bâton.

Inutile, cependant, de se bercer d’illusions. Les Iraniens veulent la bombe. Simplement, les désirs sont une chose, les capacités une autre et les actes encore une troisième. Le rapport de l’intelligence US nous renseigne d’abord sur le troisième plan. Restent les deux premiers. S’agissant des souhaits et des capacités de Téhéran, la cause est entendue. Non seulement l’Iran a mené un programme nucléaire jusqu’en 2003, mais il l’a de surcroît dissimulé. Et c’est seulement pris la main dans le pot d’uranium qu’il a arrêté sa tambouille nucléaire.

Bien sûr, il faut se demander pourquoi on ajouterait foi aux « révélations » des services américains. Question brûlante sur laquelle ni les avocats, ni les adversaires de la politique américaine n’ont envie de s’attarder. De leur propre aveu, les services américains ont été incapables de détecter le programme iranien lorsqu’il était en pleine activité mais ont claironné son existence une fois qu’il était suspendu. Si l’on ajoute à ce bilan leur incurie en Irak et en Lybie et leur incapacité à prévenir les attaques du 11 septembre, il n’y a pas de quoi leur faire une confiance aveugle aujourd’hui.

Cela dit, quelle que soit sa fiabilité, le mérite de ce rapport est de rappeler que les dirigeants de Téhéran ne sont pas des fous furieux mais des realpoliticiens. Ils veulent l’arme nucléaire mais pas à tout prix. Reste à savoir combien ils sont prêts à mettre sur la table – et éventuellement combien d’Iraniens ils sont prêts à sacrifier à cette fin. Plutôt que de pousser des glapissements sur le juste combat qu’il conviendrait de mener contre les forces du mal, il importe de répondre à cette question.

Forme, c’est du belge

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Ce pays existe-t-il vraiment ? On le croirait sorti tout droit de l’imagination du père de Tintin, à ceci près que nous avons beaucoup plus de preuves tangibles de l’existence de la Syldavie – et je ne parle pas de la Bordurie – que de la Belgique…

Il faut dire que ce qui se passe aujourd’hui en Belgique est unique. Depuis plus de six mois, les Belges n’ont plus de Premier ministre. Une situation aussi terrible que celle d’une France qui n’aurait pas François Fillon.

Le pays s’ennuie terriblement. On mange bien des frites, on continue à aller dire bonjour en famille au Mannekenpis et à remanger des frites. On se suicide toujours autant en écoutant du Brel. Mais le cœur n’y est plus. La Belgique s’ennuie.

Elle s’ennuie d’autant plus que le « formateur », Yves Leterme, vient de rendre son tablier à Albert II (aucun lien de parenté avec Jean-Paul). Certes, il fallait être belge pour confier une mission aussi importante à un dénommé Leterme : c’était écrit noir sur blanc que ça allait finir. Le roi vient donc de demander à Guy Verhofstadt de trouver une solution. Le choix royal est assez judicieux, vu que l’ex-Premier ministre fédéral occupe encore le 16 rue de la Loi (le Matignon belge) et qu’il n’est pas pressé d’en déménager.

Guy Verhofstadt devra d’ailleurs prendre tout son temps pour ménager les bleus et les oranges, les wallons et les flamands, sans compter les 75 000 membres de la Deutschsprachige Gemeinschaft Belgiens.

Vu que toute prétention allemande sur Eupen-Malmedy est abandonnée, nous nous permettons de formuler la seule solution qui vaille : transférer le Palais royal au Berlaymont et dissoudre la Belgique dans l’Union européenne. Plus aucun Flamand, plus aucun Wallon ne se disputera la Belgique. C’est pour l’Europe qu’ils se taperont dessus.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Pas de repentance pour l’Algérie

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Les Algériens ne sont pas très contents de Nicolas Sarkozy. Primo il est juif, secundo son ministre des Affaires étrangères est juif, et tertio il voulait amener avec lui le chanteur Enrico Macias. Il est vrai qu’Enrico Macias est originaire d’Algérie, et ça, c’est plutôt un bon point ; l’ennui c’est qu’il est aussi juif et ça, c’est très mauvais – il n’y a pas de bien sans mal. Cela dit, à quel point sont-ils juifs, Sarkozy et Kouchner ? Selon Hitler, à 100 %. Pour les rabbins, ils sont 100% « goy ».

Seulement, quand il s’agit des « affaires juives », les Algériens ne se fient pas aux rabbins. Le ministre des Moudjahiddines, Mohamed Cherif Abbas, croit savoir que Sarkozy est à la solde du lobby juif. La « preuve », c’est que selon lui (et seulement selon lui) Israël a émis un timbre à l’effigie du président français avant même qu’il ne soit élu. Une autre preuve est fournie par les goûts musicaux du président, un peu trop juifs sur les bords.

Les Algériens ne partagent les goûts de Sarkozy ni en musique, ni en philatélie, ni en religion – pas nécessairement dans cet ordre. Surtout, ils exigent que la France fasse repentance pour les longues années de colonisation. Cette demande d’excuses est peut-être un symptôme inquiétant montrant que la judéïté est une maladie contagieuse qui pourrait même frapper de purs « goys » (malheureusement pas très ariens) comme Mohamed Cherif Abbas. En effet, rien n’est plus juif que ce désir d’entendre quelqu’un implorer son pardon. Nous adorons cela. Tout invité de marque – à moins qu’il ne soit juif ou représentant d’un lobby juif – est trainé à Yad Vashem et à la Knesset pour faire repentance. Et le succès de la visite se mesure à la puissance des excuses. Pas d’excuses du tout ? Un cas avéré d’antisémitisme. Des excuses mollassonnes ? Un résultat mitigé. Le visiteur se bat violemment la coulpe (mais sur la poitrine de ses parents), s’agenouille et injurie ses ancêtres ? Jackpot !

A ce qu’il paraît, les Algériens en veulent aussi. Mais non, ils ne tiennent pas à visiter Yad Vashem et la Knesset. Ils veulent des excuses, et pas tant pour le passé que pour le présent. Car il y a une différence de taille entre les demandes de repentance juive et postcoloniale (et pas seulement celle qui existe entre l’hitlérisme et la colonisation). Les Juifs (forts de leur lobby et de leur service philatélique, mais aussi, allez, grâce à Enrico Macias), sont assez contents d’eux-mêmes. Nous n’avons pas besoin d’imputer aux « goys » le triste état des choses – nous allons très bien, merci. Certes, nous sommes moins sûrs de notre bon droit moral que de notre puissance militaire et économique. Si nous avons besoin d’excuses, c’est pour nous conforter dans notre statut de victimes – quels que soient par ailleurs les faits sur ce terrain.

Dans un contexte postcolonial, la demande d’excuses joue un tout autre rôle – elle permet de disculper les actuels gouvernants des échecs du présent. Pourquoi sommes-nous pauvres, corrompus ou ignorants ? C’est la faute à Ferry. Pourquoi produisons-nous sans cesse des mouvements religieux qui sanctifient la violence intérieure comme extérieure ? C’est la faute à Bugeaud. Le colonialisme est coupable de tout. Sans colonialisme, c’est nous et pas vous qui aurions été les grandes puissances (et peu importe qu’il n’ait dans certain cas duré que quelques décennies). Les Etats postcoloniaux souffrent souvent d’une version particulièrement tragique du syndrome de Peter Pan – ils refusent de grandir moralement. Le problème c’est toujours « vous » ou « eux » – sinon les colonisateurs, les sionistes. Demandez-nous pardon.

Pour autant, il ne s’agit pas de prétendre que les ex-puissances coloniales n’ont rien à se faire pardonner. L’argument de Sarkozy selon lequel la France « a donné toute sa grandeur aux pays où elle était présente » est une absurdité. Et pourquoi pas, tant qu’on y est, demander aux Algériens ou aux autres peuples anciennement colonisés par la France de remercier celle-ci pour leur avoir fait don de sa grandeur – dont ils n’eurent de cesse de se débarrasser ?

Il y a lieu, des deux côtés de la Méditerranée, de se livrer à un examen de conscience, mais ce lieu n’est pas la politique. La politique est un jeu d’intérêts, pas une consultation pour couples en crise. Plus que d’une déclaration hypocrite de plus de la part d’un homme politique, les Algériens ont besoin des investissements français – les projets concrets valent mieux que les sentiments délicats. Et plutôt que d’attendre des excuses pour les crimes dont ils furent victimes, ils feraient mieux de se livrer à leur examen de conscience (notamment sur leur antisémitisme). La repentance détourne l’attention de l’essentiel. On peut très bien s’en passer.

Lobby juif : l’incident n’est pas clos

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Interrogé par PPDA et Arlette Chabot au sujet des déclarations du ministre algérien des Anciens combattants sur le rôle décisif du lobby juif dans son élection, Nicolas Sarkozy a cru devoir leur répondre que l’incident était clos.

Je reconnais toutes sortes de prérogatives au Président mais, à mon avis, il n’a pas le pouvoir de clore cet incident-là. Il a parfaitement le droit de fermer le ban dans une affaire qui ne concernerait que lui-même. D’ailleurs, il l’a déjà fait, et à bon escient : je n’ai pas entendu dire que le marin-pêcheur du Guilvinec qui l’a traité d’enculé ait été poursuivi pour injures au chef de l’Etat, ni même pour diffusion de fausses nouvelles. L’incident est clos.

Mais là il ne s’agissait pas d’une attaque personnelle d’un ministre algérien contre le chef de l’Etat. Le ministre en question n’a pas déclaré que Nicolas avait mauvais caractère, que ses cigares puaient ou qu’il s’habillait au rayon grande taille chez Jacadi. Il a déclaré que le chef de l’Etat devait son élection au lobby juif. Ce qui appelle quelques remarques.

Tout d’abord c’est arithmétiquement très improbable. 2 192 698 voix séparaient les deux candidats ; si tant est qu’il y ait un lobby juif (c’est un autre débat) et si tant est qu’il ait pesé de tout son poids pour l’un plutôt que pour l’autre (c’est encore un autre débat), on l’imagine mal déplaçant autant d’électeurs. S’il était avéré qu’une majorité de juifs a voté Sarkozy, cela ne suffirait d’ailleurs pas à faire de lui le candidat dudit éventuel lobby – sauf à considérer conséquemment que Ségolène Royal était, elle, la candidate du lobby musulman. Rappelons en effet que selon un sondage réalisé à la sortie des urnes dimanche 22 avril par l’institut CSA-CISCO pour La Croix, 64% des Français musulmans ont voté pour Ségolène Royal au premier tour de la présidentielle, contre 19% pour François Bayrou et 1% pour Nicolas Sarkozy. Voilà pour les données chiffrées dont, à mon humble avis, M. Bouteflika et son « ministre des moudjahiddine » se contrefichent, un peu comme moi en vérité, tant il est patent que le problème est ailleurs.

Car, quand on fait une telle déclaration, que dit-on ? Qu’en réalité le président de la République ne doit son élection qu’à des manœuvres souterraines. Et on démasque les coupables. Les juifs et leur lobby, à cause desquels 60 millions de Français se trouvent affublés d’un président de facto illégitime.

On m’objectera peut-être que le président algérien s’est désolidarisé de son ministre. Foutaises ! Que nous dit le site du Quai d’Orsay ?

Le Président de la République et le Président Bouteflika ont eu le 29 novembre une communication téléphonique. La question des déclarations prêtées au Ministre algérien des Moudjahiddine a été abordée. Le Président Bouteflika a souligné que de tels propos ne reflètent en rien la position de l’Algérie et que le Président français sera reçu en ami au cours de sa visite d’État en Algérie, visite essentielle pour les deux pays.

Le mot excuse ou le mot sanction n’ont donc pas été prononcés. Ni bien sûr par M. Bouteflika. Ni d’ailleurs par l’Amicale des Algériens en France, ni par le Recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, pourtant « réputé proche » des autorités algériennes. C’est au minimum ce qu’il aurait fallu pour que l’incident soit clos.

Car l’Algérie n’est pas le Paraguay. Plusieurs centaines de milliers d’Algériens vivent en France. Notre pays compte aussi un nombre conséquent de bi-nationaux et de Français originaires d’Algérie. On peut être certain que l’immense majorité d ‘entre eux ne prêtera pas plus d’attention à cette déclaration qu’aux autres mensonges proférés régulièrement par l’Etat algérien, et c’est très bien comme ça. Mais il ne faut pas se le cacher, une infime minorité de ceux-ci risque de sentir confortée dans son antisémitisme. Cette menace aurait pu, aurait du, être étouffée dans l’œuf par une réaction radicale de M. Bouteflika, qui avait, lui, le pouvoir de clore l’incident…

Si ces jours-ci, un enfant à kippa se fait traiter de sale youpin dans le métro, ou si une boucherie kasher se fait caillasser par des voyous décérébrés, ce sera un peu grâce à M. Bouteflika.

L’incident n’est pas clos.

NB : Toujours sans être sanctionné, le même ministre des Anciens Combattants a expliqué le ralliement de Bernard Kouchner au gouvernement par ses origines ethniques. Mais alors, quid du ralliement de Fadela Amara ? Il a aussi déclaré, dans l’indifférence générale, que la présence d’Enrico Macias dans la délégation ne l’aurait pas dérangé « parce qu’il n’est pas algérien ». Nous y reviendrons…

Poutine : victoire à la Bayrou

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Depuis quelques heures, il n’est pas un seul média, en Europe et dans le monde, qui ne relate les quelque 63 % des suffrages que serait parvenu à réunir Единая Россия, le parti de Vladimir Poutine, aux législatives russes.

On manie l’hyperbole et l’exagération ; on parle de « victoire écrasante », de « raz-de-marée » et de « triomphe ». Perdant toute mesure, certains font même de cette élection un « plébiscite pour le maître du Kremlin ».

On se demande si, dans les rédactions internationales, on n’a pas sorti un peu trop tôt blinis, caviar et vodka. Car, au même moment où Vladimir Poutine parvient à réunir très péniblement 63 % de son électorat, François Bayrou en réunit 96,8 % ! Incomparable.

33,8 % séparent l’un et l’autre. Comment expliquer alors que le Russe s’apprête à bénéficier d’une couverture médiatique mondiale, tandis que le Béarnais devra se contenter de quelques maigres entrefilets dans la presse quotidienne régionale ? N’y a-t-il pas là une effroyable injustice ?

Se trouvera-t-il seulement un journaliste suffisamment dévoué à la Vérité pour dénoncer l’exécrable rôle de Jean-Marie Cavada, qui a usé de son influence pour que les médias du monde entier dépêchent un correspondant spécial à Moscou et n’envoient personne à Villepinte ?

Quand le journaliste se trompe, le seul recours est celui de l’historien. J’en suis sûre : l’histoire, elle, se souviendra qu’un 2 décembre Napoléon Ier était sacré empereur, Napoléon III faisait un coup d’Etat et François Bayrou rétablissait, à lui seul, la démocratie planétaire. Quant à M. Poutine, souhaitons-lui qu’un jour il parvienne seulement à réunir plus de 96,8 % des voix à une élection. Il sera alors un vrai démocrate.

Villiers-le-Bel et la voyoucratie

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Ah ! Je ne me fais guère d’illusions : il y aura toujours des voyous ! Certains sont nés voyous dans l’âme : la voyouterie est dans leur sang et le système politique qui recueille leurs suffrages est bien la « voyoucratie », pour reprendre le terme utilisé par le Président.

Pierre Lacenaire était un voyou s’il en fut, assassin récidiviste qui tuait par derrière, à l’aide d’un tire-point de cordonnier. Dans Les Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945), Jacques Prévert lui fait dire : « Quand j’étais enfant, j’étais déjà plus lucide, plus intelligent que les autres… « Ils » ne me l’ont pas pardonné, ils voulaient que je sois comme eux… Levez la tête Pierre-François… regardez-moi… baissez les yeux… Et ils m’ont meublé l’esprit de force, avec des livres… de vieux livres … Pourquoi tant de poussière dans une tête d’enfant ? Quelle belle jeunesse, vraiment ! Mon père qui me détestait… ma mère, ma digne mère, qui préférait mon imbécile de frère et mon directeur de conscience qui me répétait sans cesse : « Vous êtes trop fier, Pierre François, il faut rentrer en vous-même ! » Alors je suis rentré en moi-même… mais je n’ai jamais pu en sortir ! Jolie souricière ! Les imprudents ! Ils m’ont laissé tout seul avec moi-même… et pourtant ils me défendaient les mauvaises fréquentations… »

Même les voyous dans l’âme vivent donc dans un monde peuplé de circonstances. Mais tous les voyous ne sont pas « voyous dans l’âme ». Les autres, je les appellerai précisément « de circonstance » : ceux qui ne sont pas nés voyous mais qu’un contexte, « une crise sociale », par exemple, ont fait basculer du côté de la voyouterie. Gavroche comme l’on sait avait eu une enfance difficile. On ne sait rien de la Liberté guidant le peuple chez Delacroix (1830) – sinon que son style dépoitraillé fait mauvais genre – mais pour prendre les risques qu’on la voit prendre, je ne crois pas m’avancer trop en disant qu’elle a dû en baver.

Je ne sais rien des enfants voleurs de bonbons de Villiers-le-Bel et condamnés à trois mois de prison ferme : peut–être sont–ils des voyous dans l’âme et j’aurais bien trop peur en les exonérant d’office, en invoquant leurs circonstances difficiles, de me retrouver dans le camp des « donneurs de leçons ». Mais peut–on au contraire me faire la preuve que leur acte n’a, comme l’affirme le Président, « rien à voir avec une crise sociale » ? Que ça n’a « rien à voir » avec un taux de chômage de 19 % et de 30 à 40 % dans les quartiers chauds, avec le fait que la ville compte 50 % de logements sociaux et que le revenu annuel moyen par habitant est de 6 500 euros (contre 12500 euros en Ile-de-France [1. Chiffres publiés dans Le Monde en ligne.]). Cela aussi me semblerait difficile à prouver.

Les anthropologues opposent dans un couple indissociable les « structures » aux « sentiments ». Ce sont les sentiments des femmes et des hommes qui les conduisent à bâtir des structures qui les contraignent ensuite et modèlent alors leurs sentiments, et ceci oblige à distinguer différents types de causes selon que l’on fixe son attention sur les unes ou sur les autres. Le voyou qui allume la mèche d’un cocktail Molotov puis le lance dans la direction des forces de l’ordre est bien la cause qui risque de provoquer des blessures effectivement « gravissimes ». Mais sa présence là a, elle aussi, ses propres causes au sein d’un contexte qui, ce n’est pas à exclure, pourrait très bien être celui d’une « crise sociale ». Quand les structures descendent dans la rue, elles réclament sans doute un voyou pour allumer la mèche, mais ce sont bien elles qui ont causé l’incendie.

Israël-Palestine : commençons par Jérusalem

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Le 29 novembre 1947 l’assemblée générale des Nations unies votait une résolution mettant fin au mandat britannique en Palestine et enjoignant les protagonistes d’y créer deux Etats, l’un juif, l’autre arabe (c’est-à-dire palestinien). Pour les Juifs de Palestine, ce fut l’euphorie, pour les Arabes la consternation. Dès le lendemain commença une guerre civile qui allait rapidement embraser la région.

Soixante ans, six guerres et deux intifadas plus tard, l’idée selon laquelle la seule solution de l’impossible équation proche-orientale est la création de deux Etats paraît s’être imposée à tous les gens raisonnables et même aux autres. De part et d’autre, même les plus extrémistes savent qu’il leur faudra partager la terre. Et pourtant, la mise en œuvre de ce partage semble presque aussi hors d’atteinte qu’elle l’était en 1948 – quand les Arabes promettaient de jeter tous les Juifs à la mer. C’est en tout cas ce qu’a affirmé Ehoud Olmert à son retour de la conférence de paix d’Annapolis, dans un entretien accordé à Haaretz à l’occasion du soixantième anniversaire de ce vote historique. Pour le Premier ministre israélien, un Etat bi-national sera bientôt la seule issue possible. En clair, pour le partage, c’est maintenant ou jamais. Et peut-être est-ce déjà trop tard. Peut-être que les Israéliens juifs devront un jour accepter d’être les citoyens minoritaires d’un Etat palestinien.

Il est donc possible qu’Annapolis soit la dernière chance d’un plan de partage redevenu d’actualité au début des années 90 avec les accords d’Oslo. La construction de la « barrière de sécurité » (appelée mur de séparation par les gauches européennes) aurait pu constituer une avancée significative dans ce processus de divorce raisonnable à défaut d’être à l’amiable. D’ailleurs, l’idée avait été lancée par la gauche avant d’être pervertie par la droite. « Les bonnes barrières font de bons voisins », disait Ehud Barak. Plus tard, Sharon a décidé de la construire, cette clôture de bon voisinage, mais dans le jardin des voisins, ce qui a considérablement amoindri ses effets bénéfiques.

Ehoud Olmert l’a bien compris : déjà extrêmement difficile à mettre en œuvre dans les conditions actuelles, la « solution à deux Etats » (two states solution) sera bientôt impossible à réaliser à cause de la colonisation. Sans même présumer de la volonté des Palestiniens de trouver un compromis avec Israël, il devient évident qu’un grand nombre de colonies sont aujourd’hui une réalité irréversible – un fait accompli. Autour d’un « Très grand Jérusalem », un tissu dense de villes et villages arabes et israéliens entrelacés, ainsi que deux autres conurbations au nord et au sud de la capitale, rendent peut-être déjà caduque toute solution de partage. Si Israël s’est déjà montré à deux reprises capable de démonter villes et villages (dans le Sinaï au début des années 1980 et à Gaza il y a deux ans), en Cisjordanie, certaines zones ont sans doute déjà dépassé le seuil critique et ne sont plus « démontables ». En conséquence, sauf à imaginer un scénario-catastrophe type indépendance algérienne, il n’est plus vraiment question de tracer une frontière au cordeau. Ce qui signifie qu’il n’y a plus de « solution toute simple » en vue.

Il faut prendre Olmert au sérieux. La logique actuelle des efforts de paix – dont la légitimité repose sur la résolution historique de l’ONU de novembre 1947 – a probablement vécu. Toute solution raisonnable impliquera d’une manière ou d’une autre des enclaves « binationales », tandis que les droits individuels et collectifs des uns et des autres feront l’objet d’arrangements complexes. Au lieu de tourner en rond autour d’un trésor qui n’existe plus, il faut donc placer ces zones au cœur des négociations. Le meilleur endroit pour commencer, c’est Jérusalem. Il faudra y inventer des structures communes permettant aux deux communautés de satisfaire leurs besoins pratiques et symboliques, autrement dit de répondre à leurs demandes en termes de souveraineté et de propriété. C’est la seule manière de recréer un cycle vertueux. Jérusalem ne doit plus être l’appendice empoisonné d’une négociation condamnée à ne pas aboutir, l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes à tous, Israéliens et Palestiniens. Le seul processus viable, c’est « Jérusalem d’abord ».