La fiction dépasse souvent la réalité. Samedi, veille de Pâques, Trudi Kohl distillait sa coutumière ironie sur le monde des médias en mettant en garde le pape : « Osera-t-il contredire la Faculté en affirmant que le Christ est ressuscité ? » Notre consœur n’était pas loin de la réalité : l’Afp vient de publier hier mercredi une dépêche, reprise par Le Monde, titrant : « Pour Benoît XVI, la résurrection du Christ est un évènement réel, pas un mythe. » Pour une nouvelle, c’est une nouvelle ! C’est ce qui fonde la foi de tous les chrétiens depuis vingt siècles, et pas des seuls catholiques, comme le laisse entendre ce papier qui enchaîne avec une rare dextérité approximation et inexactitude. Bref, quand l’Afp découvre l’eau froide, Le Monde s’en sert un grand verre (c’est ce qui arrive quand on vire Henri Tincq avec l’eau du bain). On n’attribuera cependant pas le pompon de l’inconséquence au quotidien de déférence : il a déjà été décroché il y a une semaine par le Pèlerin magazine qui, à la veille de Pâques, publiait un sondage : « 13 % des catholiques croient en la résurrection. » Si l’on passe outre le tout petit point de détail qu’être catholique c’est justement croire en la résurrection, la situation s’éclaire : le pape est de plus en plus minoritaire chez lui. A quand un pape athée ?
Benoit XVI, athées 0 !
J’ai laissé passer la Semaine Sainte avant de donner libre cours à ma colère (sainte elle aussi, mais moins quand même). Mais enfin, trop c’est trop ! Depuis trois mois on fait la queue dans les médias, et notamment à la télévision, pour déverser sur le pape des tombereaux d’insultes stupides.
Pour être ridicule, cet anticatholicisme primaire n’en est pas moins odieux. Mais l’autre mercredi à « Ce soir ou jamais » (France 3, 23 heures), c’était quand même le ridicule qui l’emportait. Au point que l’animateur, Frédéric Taddeï, semblait parfois avoir quelque difficulté à garder son sérieux. Je le soupçonne même, le bougre, d’avoir organisé son plateau exprès pour ça… Sinon pourquoi, au milieu de sa brochette d’intellectuels antipapistes, aurait-il aussi clairement donné la vedette à André Comte-Sponville ?
Pour le fun, vous dis-je ! C’est quand même à ce philosophe de supermarché que l’on doit les meilleurs moments de la soirée… Dans le faux sérieux comme dans la drôlerie involontaire, l’homme n’a pas son pareil. D’emblée, André met la barre très haut, avec sa première saillie : « Benoît XVI compte sur la morale pour faire reculer le sida… C’est de l’angélisme ! » L’accusation est grave, en effet, concernant le successeur de Pierre.
Mais ne zappez pas ! Le meilleur est à venir… Déjà une perle nouvelle sort de la même huître baillante : « Quel dommage que les Evangiles soient ainsi gâchés par des querelles purement théologiques ! »
L’Evangile abîmé par la théologie : il n’y a que ce Comte de Sponville pour oser encore de telles blagues, et c’est pour ça qu’on l’aime ! Comme un vieux Polaroïd de notre plate époque qui croit survoler les montagnes…
J’aurais pu bien sûr vous entretenir aussi des autres intervenants de ce soir-là… L’anthropologue Georges Balandier par exemple, venu tout exprès dénoncer en Benoît XVI le nouveau flic d’une fantasmatique «police des corps». Ou cette espèce de sociologue nommé Eric Fassin qui, entre autres balançoires, accuse l’Eglise d’être criminelle : « Avec son discours, elle tue des gens au nom de la vie… »
Mais tout ça fait bien pâle figure à côté de Sponville. Lui seul sait passer du sérieux au comique avec un tel naturel qu’il est le seul à s’en rendre compte : « Lisez les Evangiles, vous n’y trouverez rien sur les préservatifs », lance-t-il sans rire, comme s’il rôdait son prochain one man show.
Dans la foulée l’artiste s’en prend à Jean-Paul II, coupable à ses yeux d’avoir qualifié « dans une encyclique » l’athéisme et l’apostasie de « péchés mortels ». Ignorant, volontairement ou non, le sens de cette formule théologique, ce nouveau M. Homais triomphe : « Moi je cumule les deux! Me voilà donc damné deux fois, sans rémission… Mais je m’en fous, bien sûr ! »
Ainsi, pour le plaisir d’une ultime pirouette, ce funambule de rez-de-chaussée détruit-il tout son numéro. Si décidément il se fout du Bon Dieu, pourquoi diable en parle-t-il ?
C’est un peu la faiblesse de tous ces contempteurs de l’Eglise : « Libérez-nous ! », hurlent-ils de l’extérieur. Mais de quoi se mêlent-ils ? Le pape s’adresse aux catholiques, et personne n’est obligé d’être catholique ! Peu importent donc ces Gros-Jean qui en remontrent à des curés qui ne sont même pas les leurs.
Le pire, vous savez quoi ? Ce sont les « catholiques critiques », une espèce de poissons-volants dont nos médias raffolent comme Mitterrand des ortolans.
Selon un récent sondage du JDD, ils seraient 43 % de « fidèles » à vouloir « changer de pape ». Un chiffre accueilli comme pain-bénit par les grands prêtres de l’areligion cathodique. La voilà bien, la preuve que Benoît XVI est dans l’erreur : si l’Eglise était une démocratie, il ne serait pas réélu !
Parmi les porte-parole de ce courant, j’ai eu la pénible surprise de trouver, au tout premier rang… Alain Juppé ! Dieu sait que je n’ai rien contre le bonhomme, surtout ces douze dernières années… Mais que vient-il faire dans cette galère ? Pourquoi la brebis Juppé bêle-t-elle avec les loups ?
« Ce pape commence à poser un vrai problème ! » lançait déjà le mois dernier, à la face de tous les micros et caméras, le maire de Bordeaux, avec une autorité d’origine indéterminée. Et le bon Dr Juppé de poser son diagnostic accablant : Benoît XVI, affligé d’un « autisme total », accumule des «contre-vérités» qui dénotent chez lui « une absence de charité extraordinaire ». Et comment ça s’appelle, d’après vous, un prétendu pape qui tourne ainsi le dos à la vérité et à la charité ? Un Antéchrist, tout simplement !
Je ne sais pas pourquoi, mais quand c’est un mec « de droite », soi-disant catho qui profère de telles insanités, ça m’énerve plus que si c’était un vulgaire saucissonneur du Vendredi Saint !
Parce qu’enfin, quand on pense comme ça, on sort de l’Eglise tout simplement : les portes sont grands ouvertes, dans les deux sens !
A priori, j’aurais songé pour Alain à une reconversion dans la Religion Prétendument Réformée. Non pas pour les initiales, qui lui ont fait tant de mal, mais pour le «libre examen» qui lui sied si bien : « Tout protestant fut pape une Bible à la main », comme disait Bossuet.
Mais dans les circonstances actuelles, peut-être le bouddhisme zen serait-il plus approprié. Si, comme on le murmure désormais tout haut, Juppé est appelé prochainement à bosser pour Sarkozy, il aura besoin de sérénité.
En attendant, l’ex-futur a cru bon d’en remettre une couche – rien que pour m’énerver, semble-t-il : par un de ces hasards qui n’existent pas, je suis retombé sur lui mercredi dernier sur France 5 dans l’émission « C à dire ».
En tournée de promo pour son nouveau bouquin (J’aurai plus la tentation de manger Venise en hiver, ou genre), l’intéressé a jugé bon de faire l’intéressant en fulminant un nouvel anathème contre le Pape.
Après avoir rappelé qu’il était catholique « à titre personnel » (!), Juppé a lancé « J’ai des doutes » – tel un Raymond Devos qui se voudrait sérieux. Au point même de les expliciter, ces doutes : « Les gens qui ont des certitudes définitives et péremptoires sur la vie et la mort me font un peu peur. » Gageons que ce garçon, décidément trop sensible, eût été effrayé par un mec comme le Christ, capable de proclamer plutôt péremptoirement : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. »
Heureusement, Jésus a aussi légué à la postérité d’autres aphorismes plus adaptés à un Juppé normal, genre : « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif… »
Villepin confidentiel
Avec l’assistance technique d’Imad Laoud, l’informaticien des stars, Causeur a réussi à intercepter un e-mail envoyé par l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin à François Bayrou, patron du Modem. Les plus hautes instances de Causeur se sont réunies en conclave, dont son Comité d’éthique (présidé par le dentiste et élu Modem André Epaulard), afin de juger s’il était moral de rendre publique une telle correspondance privée. L’intérêt historique de ce courriel, nous a convaincu qu’il convenait de le révéler au grand public. Le voici.
Cher François,
Le temps est venu, pour nous deux, de regarder la France au fond des yeux. Crois-moi, l’heure de notre rendez-vous avec l’histoire est venue. Cette vieille nation d’élite, sûre d’elle et dominatrice, à la culture millénaire, a besoin de rebelles sévères et authentiques, pour traverser la tempête actuelle et braver ses vagues scélérates. Nous ne serons pas trop de deux petits soldats vertueux pour atteindre la « bête immonde »… et la terrasser ! As-tu remarqué que Nicolas Sarkozy s’est acheté une Italienne transalpine comme légitime épouse ? Le fascisme est à nos portes ! En conséquence, et pour battre Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle de 2012, je te propose de t’unir à moi. Enfin, entendons-nous… je te propose de faire alliance. Si tu le veux bien, créons un nouveau parti… Notre programme appellera à la séquestration des patrons-voyous, au tabassage des étudiants boutonneux dans les Noctiliens par des bandes ethniques, à la réécriture de la Marseillaise par Gonzague Saint-Bris, et à la réforme stylistique des formulaires administratifs.
Demain sera poétique, crois-moi. A bientôt, mon François, pour ce nouveau combat poétique que nous allons gagner ! Tu m’es comme un sémaphore dans la nuit de l’esprit. Je t’aime !
Toutes les femmes sont belles
Il y a des bonheurs qu’on ne refuse pas et qu’on saisit comme ils viennent. Cette semaine, le magazine Elle avait choisi de ne pas consacrer sa couverture aux sexagénaires qui tentent de noyer rides et illusions dans l’alcool. Pas une ligne non plus sur les régimes printaniers, l’âge ennemi du muscle ferme, la liposuccion ou ces bourrelets si disgracieux que l’amour les prend par la poignée comme de vulgaires valises et s’enfuit au loin. Soulagée et heureuse, je me suis resservie un Jägermeister frappé et j’ai parcouru, d’un cœur léger, mon hebdomadaire préféré[1. Après évidemment le magazine Causeur, seul hebdo français à ne paraître qu’une fois par mois. La classe ! Je m’abonne.]. Il titrait : « Stars sans fards, sans maquillage, sans retouches, huit femmes osent la beauté vérité. »
Quand Elle innove, elle innove ! Le même sujet avait été traité en janvier 2008 par Touch, mais qu’importe : les Françaises ne sont pas censées maîtriser la langue de Rupert Murdoch et lire la presse féminine étrangère. D’ailleurs, la rédaction de Touch avait choisi de mettre côte à côte photos officielles et photos prises sur le vif : rien que du travail salopé de paparazzi, qui révélait les poches sous les yeux de Melanie Brown, la gueule de déterrée de Jennifer Garner, le visage ridé de Madonna et la tête de junkie de Lindsay Lohan.
Chez Elle, c’est la classe : la rédaction a sélectionné les huit plus gros thons de la planète – Sophie Marceau, Monica Bellucci, Karin Viard, Charlotte Rampling, Chiara Mastroianni, Ines de la Fressange, Anne Parillaud et Eva Herzigova – et a fait poser ces boudins devant le polaroïd du plus mauvais photographe de sa génération, Peter Lindbergh – tellement nul qu’on se demande s’il n’aurait pas mieux fait de continuer sa carrière dans l’aviation. Et le résultat ne s’est pas fait attendre : sans fards, sans maquillage, sans retouche Photoshop, ces laiderons restent splendides.
Elles ne parviennent pas à avoir la tête que toutes les femmes ont au réveil, pas maquillées, le teint livide, les cheveux encore ébouriffés par une nuit passée à reconstituer la chevauchée fantastique dans les vapeurs d’alcool, de sueur et de tabac. Lorsqu’une femme normale se réveille et que l’homme, rencontré dans la nuit, se tourne vers elle et la voit, un cri de peur et d’effroi monte de ses pectoraux. Il tremble. Il se rhabille. Et déjà il est en train de souscrire un abonnement à Têtu pour savoir comment devenir gay le plus rapidement possible.
Pour une star qu’on voit dans Elle sans maquillage, c’est une autre histoire. Elle ronfle encore que le type qu’elle n’a même pas payé pour faire ça est déjà descendu chercher des croissants et, à genoux au pied du lit, attend patiemment que les vapeurs du thé chaud qu’il a préparé éveillent doucement cette femme que la beauté seule pare de tous les atours. Bientôt, elle ouvrira un œil. Il lui déposera dans le cou un chaste baiser et murmurera à son oreille mamours et serments. C’est dégueulasse. Et il faudra peut-être qu’un jour elles songent, ces beautés sans fards ni retouches, à envoyer Ségolène Royal demander pardon en leur nom à toutes les femmes qui placent encore dans le blush et le rimmel toutes leurs espérances.
En chantant Toutes les femmes sont belles et en se passant les cheveux au cirage, Frank Michael, crooner pour vieilles, s’est constitué un cheptel de nonagénaires transies. Moi, il ne m’a pas eue. Toutes les femmes ne sont pas belles, et ça m’étonnerait qu’un jour Elle fasse sa couverture avec ma photo ou celle de Mme Michu, pas fardée, pas maquillée, pas retouchée. Lorsqu’un homme est en pleine possession de sa virilité, c’est-à-dire quand il ne se teint pas les cheveux pour chanter L’Hymne à l’amour dans des hospices, il ne fait pas le difficile : il est même prêt à se taper Monica Bellucci, si elle est consentante. Et même si elle ne l’est pas. Ça fera toujours une histoire à raconter aux copains du bistrot. En revanche, une Jeanne Moreau pas maquillée ni retouchée, là il hésite. Surtout si elle est consentante.
Et puis, reconnaissons une chose : s’il arrive qu’une femme ne soit pas maquillée, il est beaucoup plus rare qu’elle ait sous la main Peter Lindbergh, son objectif, ses parapluies et ses lumières pour se faire photographier. Dans un studio, la lumière est le premier des maquillages. Filtres et gélatines arrangent tout, font disparaître les rides, atténuent le teint couperosé des lendemains de cuite – ceux qui ne chantent pas forcément.
Pour le reste, sans Lindbergh ni Elle, nous autres pauvres mortelles devons nous contenter de la taloche et de la truelle pour chaque matin nous refaire une beauté – dans la vie d’une femme arrive le moment où Bouygues succède à l’Oréal. Vers l’âge de sept ou huit ans, tout commence chez les filles : on prend le tube de rouge à lèvres de maman, puis le fard à paupière et le vernis à ongle. Du même coup, on découvre les vertus du lait démaquillant tartiné sur le visage par la main maternelle et l’odeur du dissolvant sur le bout des doigts. On s’assagit. Puis, à quinze ou seize ans, le vice cosmétique revient. Plus tenace et organique que jamais. Comment pourrait-on à cet âge-là plaire sans maquillage à des garçons dont le visage est lui-même fardé plus que de mesure de poils au menton et de bubons d’acné ? On vole son premier eyeliner chez Karstadt. Et tout cela ne s’arrête jamais, nous survit même.
Diseuse hors pair de mots définitifs, maman proclamait : « C’est l’honneur de la femme de ne jamais sortir sans être maquillée. » A la fin de sa vie, parkinson aidant, son honneur grandissait chaque jour à vue d’œil. Paupières peintes jusqu’au bas-joues, rouge à lèvres les rejoignant en un geste hésitant, fond de teint jusqu’aux cheveux : plus le temps passait, plus elle ressemblait chaque jour davantage au clown Bozo. Il fallut attendre qu’un employé des pompes funèbres intervienne pour que son maquillage flirte enfin avec quelque chose de décent. Ultime retouche, dernier repentir.
Hadopi : halte aux lois karoutchicides
On l’a échappé belle : suite au rejet de la loi Hadopi à l’Assemblée, on a appris que Roger Karoutchi avait « pensé démissionner ». C’est ce qu’il explique dans le Monde d’hier soir. Dans une interview à Patrick Roger, le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement détaille les trois raisons qui ont failli le pousser à une telle extrémité, dont on imagine mal comment notre démocratie aurait pu se remettre. Il y a tout d’abord la grosse colère du président. Il y a ensuite l’absentéisme des députés UMP : comme qui dirait, les godillots ont voté avec leurs pieds. Et puis enfin Karoutchi n’a toujours pas digéré l’entourloupe que lui ont jouée les députés socialistes : « C’est, a-t-il commenté, le coup de flibuste monté par le groupe socialiste qui a dévoyé le résultat du vote », avant d’ajouter : « Moi, je voudrais un Parlement qui soit celui des envolées lyriques de Jaurès et de Blum ; on nous livre Les Fourberies de Scapin ! » Si Roger Karoutchi le dit, je veux bien croire que l’œuvre de ce Monsieur Molière n’est qu’une mauvaise farce et que le vaudeville avec camouflage des troupes orchestré par Patrick Bloche est passible de la Haute Cour. Mais c’est quand même assez délicieux que Roger Karoutchi reproche aux députés PS d’être tous soudainement, au moment du vote, sortis du placard…
La barbarie à visage urbain
Désolée, je ne sais toujours pas avec certitude si l’agression du bus de nuit parisien était ou non raciste. Et en plus je me demande si cela a tant d’importance. Dans cette affaire, le racisme, réel ou pas, est peut-être un point de détail. Si la victime avait été « issue de la diversité », les images auraient été tout aussi révoltantes.
La pénible scène filmée par une caméra de vidéosurveillance évoque ce qu’on appelle communément la barbarie. Nous voilà contraints de regarder en face la société que nous avons créée. L’épisode pourrait susciter un débat. Ces agresseurs qui paraissent dépourvus de tout surmoi susceptible de leur fixer une limite, le sentiment d’impunité qu’ils semblent éprouver, devraient provoquer un réflexe d’autodéfense collective. Au lieu de quoi, après quelques jours de polémique sur l’origine de la « fuite nauséabonde » (formule employée dans un texte défilant par LCI), la seule question qui vaut est désormais : raciste ou pas raciste ? Et quand je dis question, c’est une façon de parler. En réalité, c’est un concours de certitudes que chacun jette à la tête de l’autre, et l’autre, en l’espèce, est forcément un salaud ou un nigaud – un crypto-lepéniste attaché à la défense d’une fantasmatique race blanche, ou un fieffé angélique prêt à rallier le parti de l’anti-France. Ayant commis le crime de douter, j’ai reçu une double volée de bois vert.
Je vais aggraver mon cas. Je persiste à penser que l’agression du « noctilien » était peut-être raciste et peut-être pas, ou plutôt que dans le cocktail de passions déplaisantes qui animaient les agresseurs le racisme entrait pour une proportion indéterminée – et d’ailleurs indéterminable. L’injure « Français de merde » prononcée par l’un des agresseurs (que je n’avais pas entendue lorsque j’ai écrit mon premier texte) ne suffit pas à prouver le caractère essentiellement raciste de l’agression. J’entends d’ici les hauts cris – que vous faut-il de plus ? En ce domaine, l’expérience devrait pourtant apprendre à chacun à se méfier des évidences. Un juif à kipa peut se faire casser la gueule sans que l’antisémitisme y soit pour quoi que ce soit ou sans qu’il soit le premier mobile. Et quiconque a déjà mis les pieds dans une cité sait que l’injure raciale est pratiquée tous azimuts y compris entre personnes de même origine.
En regardant les images prises dans l’autobus, même avec le son, j’ai eu l’impression que la rage aveugle des petites brutes aurait très bien pu s’abattre sur un Arabe ou sur un Noir et qu’ils auraient pu tout autant le traiter de « sale nègre » ou d’ »Arabe de merde ». Mais en même temps, je ne saurais exclure que la haine du blanc ait réellement joué dans le choix de la victime. La vérité, c’est que personne n’en sait rien. Peut-être le procès des coupables permettra-t-il à chacun de se faire une opinion.
En attendant, chacun joue donc sa partition, les uns pour mettre en avant l’acte raciste, les autres pour planquer sous le tapis toute connotation raciste. Pour les premiers, la France dans son ensemble est désignée comme coupable de racisme envers sa minorité arabo-musulmane. La scène du bus rappelle que les blancs n’ont pas l’exclusivité de la beaufitude raciste – mais se trouve-t-il encore des gens de bonne foi pour en douter ? Quant aux autres, ils ont une fois pour toutes figé les rôles, celui du salaud étant forcément joué par le « céfran » – également dit « Français de souche », bien que sa souche soit aussi peu identifiable que celle de pas mal de ses concitoyens plus basanés. Pour ceux-là, si d’aventure un Français d’origine étrangère se montre coupable de racisme, c’est parce qu’il en a été victime lui-même (on pourrait appliquer ce raisonnement aux pédophiles qui ont généralement été des enfants abusés mais passons). Dans ce registre, le jeune homme agressé dans le bus est exemplaire. Il ne veut pas, a-t-il déclaré au Figaro, être instrumentalisé. En somme, pour lui aussi, le plus grave n’est pas de s’être fait tabasser mais ce qu’on pourrait en penser. Dans La Journée de la jupe, le négociateur envoie sur les roses un prof qui tente de convaincre ses élèves de bien se tenir en invoquant le Coran et qui, après avoir été un peu bousculé par ceux-ci, se montre encore plus compréhensif. « Après tout, si ça vous plait de vous faire taper dessus, libre à vous », dit en substance le flic. C’est ce qu’on a d’abord envie de répondre à cet étudiant visiblement doté d’une belle âme. Si ces agresseurs ont proféré des injures raciales c’est, a-t-il expliqué, parce qu’ils étaient « drogués ou ivres ». S’il lui plait de comprendre et même de tendre la joue gauche, grand bien lui fasse. Seulement, il n’est pas le seul concerné. Quand on le tabasse dans un autobus, c’est aussi moi qu’on agresse. Et le jour où un Tribunal jugera les coupables, c’est en notre nom à tous qu’il rendra sa sentence. Pour être honnête, je n’aimerais pas que les juges se montrent aussi compréhensifs que la victime. Souhaitons en tout cas au jeune homme qui manie si brillamment la grammaire du science-politiquement correct de surmonter le deuxième traumatisme – celui de la diffusion et de l’instrumentalisation – comme il a surmonté le premier.
Reste une énigme qui me paraît diablement plus intéressante que celle du caractère raciste ou non de l’agression du bus. Pourquoi cette question suscite-t-elle passions et invectives au point d’occulter toute autre discussion ? Pourquoi est-il si crucial de faire reconnaître ou de récuser la dimension raciste ? Il faut croire qu’il y a là un enjeu identitaire, et pas seulement pour ceux qui ont fait de cet adjectif leur nom de famille. Qu’on me pardonne cette lapalissade mais une identité, tout le monde en a une, et pas seulement à l’extrême droite. L’obsession du racisme est aussi une obsession de la « race », c’est-à-dire de l’appartenance.
Cette obsession n’est pas seulement étrange, elle est gênante. Au risque de saturer le fil de commentaires sur ma supposée propension à la « haine de soi », j’avouerai que je n’entends jamais sans malaise des responsables juifs « revendiquer » le caractère antisémite d’un acte dès que celui-ci est connu. Et j’ai ressenti le même malaise lorsque BHL s’est rendu au Tribunal de Lyon pour affirmer que le meurtre d’Oullins (dans lequel la victime était arabe) était raciste. À ma connaissance, BHL n’a pas été témoin de ce meurtre. Je ne sais pas par ailleurs si l’antisémitisme a compté pour un tiers ou un quart ou 100% dans les motivations de Fofana et de sa bande de criminels abrutis, mais je sais qu’à force de se focaliser sur cette question, on a accrédité l’idée qu’Ilan Halimi était le mort des juifs.
Pour la loi, le racisme et l’antisémitisme sont des circonstances aggravantes. Mais dans les faits ? En supposant que les agresseurs du bus, « drogués et ivres », n’aient même pas vu que leur victime était blanche, cela rend-il leur comportement plus acceptable ? Le calvaire d’Ilan Halimi eût-il été moins effroyable s’il avait été breton ou noir – ou les deux ?
Sur ce sujet, en tout cas, je réclame le droit à la nuance et à l’indétermination – je sais c’est beaucoup demander. Je ne méconnais pas les ravages de la bêtise et des préjugés racistes ni la nécessité de les combattre. Mais je n’aimerais pas vivre dans un monde où chacun, brandissant comme un trophée le racisme dont est victime sa propre « communauté », finirait par être sourd à celui qui s’abat sur les autres. Je crois que des salopards capables de torturer un juif sont tout aussi capables de torturer un Arabe ou un Asiatique.
Bref, il ne faudrait pas que l’obsession du racisme nous fasse oublier que rien de ce qui est inhumain ne nous est étranger.
Malthus II, le retour
Ce matin en lisant Marianne2, j’ai cru tomber de ma chaise. Il a osé ! Monsieur Cochet recycle les vieilles idées du bon pasteur Malthus qui voyait déjà, à la fin du XVIIIe siècle, le salut dans la restriction démographique. Ainsi, il s’agirait de supprimer les aides aux familles à partir du troisième enfant, tant le bébé est pollueur[1. Puisque d’après lui, un enfant européen aurait « un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York », les « aides » devraient « (diminuer) sensiblement à partir du troisième » nouveau-né !].
Donc, quand on fait un gosse, on est un affreux pollueur car on fabrique un pollueur de plus. Après avoir prôné la fin des industries et de la voiture, Cochet va jusqu’au bout de sa logique et jette le bébé avec l’eau du bain. Jamais l’expression n’a été aussi à propos. Qu’importe si le Japon et l’Allemagne, qui ont des sociétés beaucoup plus vieillissantes et moins fécondes que la nôtre, détiennent un bilan carbone beaucoup moins flatteur[2. Sans doute, en partie, à cause de la politique anti-nucléaire encouragée par les amis Grünnen de Monsieur Cochet.]. Qu’importe si la Chine figure aujourd’hui au premier rang des pollueurs de la planète alors qu’elle a mis en place une politique de l’enfant unique depuis des décennies.
Changement de stratégie : les écolos ne nous font plus le coup de « La Terre qu’on emprunte à ses enfants ». Il ne faut plus d’enfants. Plus de bébés. Monsieur Cochet propose d’en passer par la suppression des allocs. Il ne propose pas encore des grandes campagnes de stérilisation, ni la politique de l’enfant unique à la sauce chinoise.
Mais si tout cela ne suffisait pas, nul doute que cet ayatollah n’hésiterait pas à franchir le Rubicon. Qui ne voit pourtant que l’argument de préserver la planète pour ses enfants fut, de loin, le meilleur argument pour changer certains comportements ? Pas Monsieur Cochet ! Lui préfère une société de vieux rentiers dans un pays sans industrie ; des vieux sans enfant qui n’auraient même pas de voiture électrique et qui tourneraient en rond sur leurs vélos en attendant que la mort arrive ; une espèce humaine en voie de disparition.
Nous concèderait-il le droit de réintroduire l’Humain dans certaines contrées, l’Italie du Nord ou la Ruhr, comme on le fait aujourd’hui pour l’ours ou le loup ? Certainement pas ! L’être humain, lui, est vraiment nuisible.
Je n’ai pas l’habitude de prononcer des noms d’oiseaux ici mais là, c’en est trop : mon troisième enfant, j’en ai d’autant plus envie. Pour ne pas avoir une société de vieux cons. De vieux cons comme Cochet.
Rien dans les poches, tout dans le slip
On a enfin compris pourquoi la Réserve fédérale américaine n’avait pas vu venir la crise : son patron, Alan Greenspan, était occupé à mater le slip de ses concitoyens ! Tout s’éclaire. Slip, boxer, shorty, caleçon, string ou kangourou de grand-pa’ : Alan Greenspan n’était pas spécialiste de politique monétaire, comme certains s’étaient laissés prendre à le croire, mais chef du rayon lingerie au Wallmart de la 6e Avenue. The Huffington Post nous apprend, en effet, que l’ancien patron de la Fed tenait pour un indice économique sérieux les ventes de slips masculins aux Etats-Unis ! Selon lui, les hommes achèteraient moins de sous-vêtements par temps de crise, se résignant plus facilement que les femmes à porter leurs anciennes petites culottes plutôt que de claquer leur argent dans de nouvelles. Donc, si les marchés ont le moral dans les chaussettes, c’est que les consommateurs américains ne changent pas assez de slip. L’ancien gourou de la finance mondiale avait le tendanciel tendancieux.
Vers Vatican III ?
On pensait qu’avec la mort de Jean-Paul II, pape cathodique autant que catholique, le Vatican et le destin de l’Eglise catholique apostolique et romaine ne feraient plus les gros titres que de La Croix ou de Radio Notre-Dame. Eh bien on s’est trompé. Mais depuis l’élection de Benoît XVI, la fascination pour le pape s’est muée en méfiance et souvent en défiance. Ce retournement de l’opinion, catholique mais pas seulement, révèle un énorme malentendu : depuis Jean XXIII et le concile Vatican II – et surtout depuis qu’un prélat polonais a été élu au siège de saint Pierre – beaucoup avaient rangé le pape dans le camp des droits de l’homme et s’étaient persuadés que l’Eglise catholique s’était convertie à la religion du Progrès.
Les dernières controverses au sujet de l’évêque négationniste et surtout autour de la question du sida et des préservatifs montrent que ce malentendu repose, en particulier en France, sur une méconnaissance totale de la mission de l’Eglise. Vu de Rome, le combat à mener se trouve en Amérique du Sud, et notamment au Brésil, premier pays catholique du monde avec 125 millions de fidèles. Or, la proportion d’habitants se définissant comme catholiques y est passée de 89 % en 1980 à 74 % en 2000. Dans le même temps, le nombre de Brésiliens se réclamant de l’Eglise évangélique s’est envolé de 7 % à 15 %. Au-delà du Brésil, la « part de marché » des Eglises protestantes s’élève à environ 20 % au Chili et à presque 30 % au Guatemala. En Argentine, 10 % environ de la population revendique son appartenance au mouvement évangélique. En conséquence, les divisions du Vatican qui pouvaient mobiliser 85 % des 350 millions de latino-américains en 2000, ne représentent plus que 70 % de la population.
Les raisons de l’engouement pour les Eglises évangéliques (qui, bien que protestantes n’ont pas grand-chose à voir avec la sévérité calviniste) sont connues : elles proposent une religion pleine d’émotion reposant sur un fort sentiment d’appartenance à une communauté plutôt que sur un dogme ou un contenu intellectuel sophistiqué. Elles parviennent ainsi à séduire des populations laminées par l’éclatement des sociétés sous les coups des crises politiques, économiques et sociales répétées. Le plus frappant est que leur expansion fulgurante n’est nullement entravée – et peut-être même encouragée – par leur conservatisme en matière sociale et morale. Cela n’a pas échappé aux stratèges de Rome.
En Amérique latine, les Eglises évangéliques ont su séduire à la fois les pauvres et les classes moyennes bien mieux que n’avait su le faire « la théologie de la libération », dont les thuriféraires des années 1960 entendaient capter l’enthousiasme populaire suscité par la figure de Che Guevara et l’idée de la Révolution. Dans les années qui ont suivi Vatican II, Rome a même manifesté une certaine bienveillance à l’égard de ces expérimentations, même si une décennie auparavant le mouvement autrement ambitieux des prêtres-ouvriers avait été supprimé par Pie XII, marquant ainsi les limites de la tolérance du Saint-Siège.
Depuis, l’écroulement des régimes socialistes a fait presque disparaître toute initiative catho-marxiste. Aujourd’hui, pour l’Eglise, le danger ne vient pas de la gauche révolutionnaire mais des Eglises évangéliques.
Le personnage de Mgr Claudio Hummes, cardinal d’origine brésilienne, est symptomatique de cette évolution. Prêtre d’une paroisse de la banlieue ouvrière de São Paulo dans les années 1970, il s’était fait connaître par des prises de position hardies, notamment par son soutien à un jeune militant syndicaliste, Luiz Inacio Lula da Silva, l’autorisant même à prononcer des discours dans son église.
Quelque trente ans plus tard, en 2000, on entend de nouveau parler du prélat, promu depuis archevêque de São Paulo par Jean-Paul II. Mais les temps ont changé. Valeriano Paitoni va en faire l’amère expérience. Curé d’Imirim, une paroisse pauvre du nord de Sao Paulo, il a fondé, avec l’aide financière de ses ouailles, trois centres d’hébergement qui accueillent alors 33 séropositifs et malades du sida, dont 22 enfants. Indigné par les tests de dépistage secrètement exigés, selon lui, des candidats au sacerdoce par certains séminaires brésiliens, il a, pour couronner le tout, pris l’habitude de distribuer des préservatifs à ses paroissiens les plus démunis. Mgr Hummes, son supérieur hiérarchique, condamne aussitôt, avec l’aval de l’archevêque de Rio et « en communion avec le Pape et l’Eglise » les idées défendues par le père Valeriano. L’année suivante, Mgr Hummes critique un ministre brésilien qui avait renforcé le plan national d’éducation à la contraception. Fin 2006, Benoît XVI le rappelle à Rome et le nomme préfet de la Congrégation pour le Clergé, chargée notamment de la formation du clergé et de celle des fidèles (catéchisme).
Dans ces conditions et contrairement à ce que j’ai écrit, les choix de Benoît XVI sont peut-être dictés par la tactique politique autant que par la rigueur théologique. Il sait que l’avenir de sa multinationale ne se joue ni sur les rives du Tibre ni sur celles de la Seine mais en Amérique du sud, en Afrique et en Asie face aux nouvelles Eglises. Cette évolution semble avoir été bien comprise à la fois par les chefs de l’Église catholique et par certains croyants, comme on peut le constater par l’essor des charismatiques, sorte de « pentecôtisme catholique » agrémenté d’un fervent culte marial.
Rome peut regagner du terrain en s’appuyant sur ces mouvements mais continue à leur vouer une certaine méfiance. Sa stratégie s’appuie d’une part sur une défense de la morale sexuelle traditionnelle (contre le divorce, la contraception, l’avortement et l’éducation sexuelle à l’école), d’autre part sur celle des privilèges du catholicisme face à la concurrence évangélique. Les prises de position de Benoît XVI sur la contraception et l’avortement ne visent pas à lui gagner la sympathie, de toute façon temporaire, d’intellectuels mécréants, de faiseurs d’opinion parisiens ni même celle des évêques de France. Il a entendu le message venu d’ailleurs : ce que veulent les chrétiens d’Amérique latine, les participants des JMJ et les charismatiques, ce n’est pas une Réforme bis. C’est une Contre Réforme.
Le centrisme et la peinture en deuil
René Monory est mort, à l’âge de 86 ans, ce samedi 11 avril. Ce génial touche-à-tout de la vie politique française ne s’est pas contenté d’avoir été garagiste et ministre de l’Education nationale, gourou de Raffarin et président du Sénat, maire de Loudun, ville par laquelle il fut littéralement possédé et créateur du Futuroscope, faux parc de loisirs sur les nouvelles technologie mais vraie ambassade pour les extra-terrestres. René Monory, en effet, a aussi consacré sa vie à la peinture et a été le chef de file secret du courant de la Figuration Narrative. Les amateurs seuls savaient que derrière la bonhomie de ce centriste old school se cachait un artiste dont les toiles bleues et glacées représentent toute l’inhumanité de notre monde à travers des scènes de meurtres, de fusillade ou de femmes nues fumant dans des décors urbains déserts. Il serait heureux, en cette triste occasion, que le Sénat organise une rétrospective René Monory pour honorer le violon d’Ingres d’un de ses plus illustres représentants.
100 % des papes sont catholiques
La fiction dépasse souvent la réalité. Samedi, veille de Pâques, Trudi Kohl distillait sa coutumière ironie sur le monde des médias en mettant en garde le pape : « Osera-t-il contredire la Faculté en affirmant que le Christ est ressuscité ? » Notre consœur n’était pas loin de la réalité : l’Afp vient de publier hier mercredi une dépêche, reprise par Le Monde, titrant : « Pour Benoît XVI, la résurrection du Christ est un évènement réel, pas un mythe. » Pour une nouvelle, c’est une nouvelle ! C’est ce qui fonde la foi de tous les chrétiens depuis vingt siècles, et pas des seuls catholiques, comme le laisse entendre ce papier qui enchaîne avec une rare dextérité approximation et inexactitude. Bref, quand l’Afp découvre l’eau froide, Le Monde s’en sert un grand verre (c’est ce qui arrive quand on vire Henri Tincq avec l’eau du bain). On n’attribuera cependant pas le pompon de l’inconséquence au quotidien de déférence : il a déjà été décroché il y a une semaine par le Pèlerin magazine qui, à la veille de Pâques, publiait un sondage : « 13 % des catholiques croient en la résurrection. » Si l’on passe outre le tout petit point de détail qu’être catholique c’est justement croire en la résurrection, la situation s’éclaire : le pape est de plus en plus minoritaire chez lui. A quand un pape athée ?
Benoit XVI, athées 0 !
J’ai laissé passer la Semaine Sainte avant de donner libre cours à ma colère (sainte elle aussi, mais moins quand même). Mais enfin, trop c’est trop ! Depuis trois mois on fait la queue dans les médias, et notamment à la télévision, pour déverser sur le pape des tombereaux d’insultes stupides.
Pour être ridicule, cet anticatholicisme primaire n’en est pas moins odieux. Mais l’autre mercredi à « Ce soir ou jamais » (France 3, 23 heures), c’était quand même le ridicule qui l’emportait. Au point que l’animateur, Frédéric Taddeï, semblait parfois avoir quelque difficulté à garder son sérieux. Je le soupçonne même, le bougre, d’avoir organisé son plateau exprès pour ça… Sinon pourquoi, au milieu de sa brochette d’intellectuels antipapistes, aurait-il aussi clairement donné la vedette à André Comte-Sponville ?
Pour le fun, vous dis-je ! C’est quand même à ce philosophe de supermarché que l’on doit les meilleurs moments de la soirée… Dans le faux sérieux comme dans la drôlerie involontaire, l’homme n’a pas son pareil. D’emblée, André met la barre très haut, avec sa première saillie : « Benoît XVI compte sur la morale pour faire reculer le sida… C’est de l’angélisme ! » L’accusation est grave, en effet, concernant le successeur de Pierre.
Mais ne zappez pas ! Le meilleur est à venir… Déjà une perle nouvelle sort de la même huître baillante : « Quel dommage que les Evangiles soient ainsi gâchés par des querelles purement théologiques ! »
L’Evangile abîmé par la théologie : il n’y a que ce Comte de Sponville pour oser encore de telles blagues, et c’est pour ça qu’on l’aime ! Comme un vieux Polaroïd de notre plate époque qui croit survoler les montagnes…
J’aurais pu bien sûr vous entretenir aussi des autres intervenants de ce soir-là… L’anthropologue Georges Balandier par exemple, venu tout exprès dénoncer en Benoît XVI le nouveau flic d’une fantasmatique «police des corps». Ou cette espèce de sociologue nommé Eric Fassin qui, entre autres balançoires, accuse l’Eglise d’être criminelle : « Avec son discours, elle tue des gens au nom de la vie… »
Mais tout ça fait bien pâle figure à côté de Sponville. Lui seul sait passer du sérieux au comique avec un tel naturel qu’il est le seul à s’en rendre compte : « Lisez les Evangiles, vous n’y trouverez rien sur les préservatifs », lance-t-il sans rire, comme s’il rôdait son prochain one man show.
Dans la foulée l’artiste s’en prend à Jean-Paul II, coupable à ses yeux d’avoir qualifié « dans une encyclique » l’athéisme et l’apostasie de « péchés mortels ». Ignorant, volontairement ou non, le sens de cette formule théologique, ce nouveau M. Homais triomphe : « Moi je cumule les deux! Me voilà donc damné deux fois, sans rémission… Mais je m’en fous, bien sûr ! »
Ainsi, pour le plaisir d’une ultime pirouette, ce funambule de rez-de-chaussée détruit-il tout son numéro. Si décidément il se fout du Bon Dieu, pourquoi diable en parle-t-il ?
C’est un peu la faiblesse de tous ces contempteurs de l’Eglise : « Libérez-nous ! », hurlent-ils de l’extérieur. Mais de quoi se mêlent-ils ? Le pape s’adresse aux catholiques, et personne n’est obligé d’être catholique ! Peu importent donc ces Gros-Jean qui en remontrent à des curés qui ne sont même pas les leurs.
Le pire, vous savez quoi ? Ce sont les « catholiques critiques », une espèce de poissons-volants dont nos médias raffolent comme Mitterrand des ortolans.
Selon un récent sondage du JDD, ils seraient 43 % de « fidèles » à vouloir « changer de pape ». Un chiffre accueilli comme pain-bénit par les grands prêtres de l’areligion cathodique. La voilà bien, la preuve que Benoît XVI est dans l’erreur : si l’Eglise était une démocratie, il ne serait pas réélu !
Parmi les porte-parole de ce courant, j’ai eu la pénible surprise de trouver, au tout premier rang… Alain Juppé ! Dieu sait que je n’ai rien contre le bonhomme, surtout ces douze dernières années… Mais que vient-il faire dans cette galère ? Pourquoi la brebis Juppé bêle-t-elle avec les loups ?
« Ce pape commence à poser un vrai problème ! » lançait déjà le mois dernier, à la face de tous les micros et caméras, le maire de Bordeaux, avec une autorité d’origine indéterminée. Et le bon Dr Juppé de poser son diagnostic accablant : Benoît XVI, affligé d’un « autisme total », accumule des «contre-vérités» qui dénotent chez lui « une absence de charité extraordinaire ». Et comment ça s’appelle, d’après vous, un prétendu pape qui tourne ainsi le dos à la vérité et à la charité ? Un Antéchrist, tout simplement !
Je ne sais pas pourquoi, mais quand c’est un mec « de droite », soi-disant catho qui profère de telles insanités, ça m’énerve plus que si c’était un vulgaire saucissonneur du Vendredi Saint !
Parce qu’enfin, quand on pense comme ça, on sort de l’Eglise tout simplement : les portes sont grands ouvertes, dans les deux sens !
A priori, j’aurais songé pour Alain à une reconversion dans la Religion Prétendument Réformée. Non pas pour les initiales, qui lui ont fait tant de mal, mais pour le «libre examen» qui lui sied si bien : « Tout protestant fut pape une Bible à la main », comme disait Bossuet.
Mais dans les circonstances actuelles, peut-être le bouddhisme zen serait-il plus approprié. Si, comme on le murmure désormais tout haut, Juppé est appelé prochainement à bosser pour Sarkozy, il aura besoin de sérénité.
En attendant, l’ex-futur a cru bon d’en remettre une couche – rien que pour m’énerver, semble-t-il : par un de ces hasards qui n’existent pas, je suis retombé sur lui mercredi dernier sur France 5 dans l’émission « C à dire ».
En tournée de promo pour son nouveau bouquin (J’aurai plus la tentation de manger Venise en hiver, ou genre), l’intéressé a jugé bon de faire l’intéressant en fulminant un nouvel anathème contre le Pape.
Après avoir rappelé qu’il était catholique « à titre personnel » (!), Juppé a lancé « J’ai des doutes » – tel un Raymond Devos qui se voudrait sérieux. Au point même de les expliciter, ces doutes : « Les gens qui ont des certitudes définitives et péremptoires sur la vie et la mort me font un peu peur. » Gageons que ce garçon, décidément trop sensible, eût été effrayé par un mec comme le Christ, capable de proclamer plutôt péremptoirement : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. »
Heureusement, Jésus a aussi légué à la postérité d’autres aphorismes plus adaptés à un Juppé normal, genre : « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif… »
Villepin confidentiel
Avec l’assistance technique d’Imad Laoud, l’informaticien des stars, Causeur a réussi à intercepter un e-mail envoyé par l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin à François Bayrou, patron du Modem. Les plus hautes instances de Causeur se sont réunies en conclave, dont son Comité d’éthique (présidé par le dentiste et élu Modem André Epaulard), afin de juger s’il était moral de rendre publique une telle correspondance privée. L’intérêt historique de ce courriel, nous a convaincu qu’il convenait de le révéler au grand public. Le voici.
Cher François,
Le temps est venu, pour nous deux, de regarder la France au fond des yeux. Crois-moi, l’heure de notre rendez-vous avec l’histoire est venue. Cette vieille nation d’élite, sûre d’elle et dominatrice, à la culture millénaire, a besoin de rebelles sévères et authentiques, pour traverser la tempête actuelle et braver ses vagues scélérates. Nous ne serons pas trop de deux petits soldats vertueux pour atteindre la « bête immonde »… et la terrasser ! As-tu remarqué que Nicolas Sarkozy s’est acheté une Italienne transalpine comme légitime épouse ? Le fascisme est à nos portes ! En conséquence, et pour battre Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle de 2012, je te propose de t’unir à moi. Enfin, entendons-nous… je te propose de faire alliance. Si tu le veux bien, créons un nouveau parti… Notre programme appellera à la séquestration des patrons-voyous, au tabassage des étudiants boutonneux dans les Noctiliens par des bandes ethniques, à la réécriture de la Marseillaise par Gonzague Saint-Bris, et à la réforme stylistique des formulaires administratifs.
Demain sera poétique, crois-moi. A bientôt, mon François, pour ce nouveau combat poétique que nous allons gagner ! Tu m’es comme un sémaphore dans la nuit de l’esprit. Je t’aime !
Toutes les femmes sont belles
Il y a des bonheurs qu’on ne refuse pas et qu’on saisit comme ils viennent. Cette semaine, le magazine Elle avait choisi de ne pas consacrer sa couverture aux sexagénaires qui tentent de noyer rides et illusions dans l’alcool. Pas une ligne non plus sur les régimes printaniers, l’âge ennemi du muscle ferme, la liposuccion ou ces bourrelets si disgracieux que l’amour les prend par la poignée comme de vulgaires valises et s’enfuit au loin. Soulagée et heureuse, je me suis resservie un Jägermeister frappé et j’ai parcouru, d’un cœur léger, mon hebdomadaire préféré[1. Après évidemment le magazine Causeur, seul hebdo français à ne paraître qu’une fois par mois. La classe ! Je m’abonne.]. Il titrait : « Stars sans fards, sans maquillage, sans retouches, huit femmes osent la beauté vérité. »
Quand Elle innove, elle innove ! Le même sujet avait été traité en janvier 2008 par Touch, mais qu’importe : les Françaises ne sont pas censées maîtriser la langue de Rupert Murdoch et lire la presse féminine étrangère. D’ailleurs, la rédaction de Touch avait choisi de mettre côte à côte photos officielles et photos prises sur le vif : rien que du travail salopé de paparazzi, qui révélait les poches sous les yeux de Melanie Brown, la gueule de déterrée de Jennifer Garner, le visage ridé de Madonna et la tête de junkie de Lindsay Lohan.
Chez Elle, c’est la classe : la rédaction a sélectionné les huit plus gros thons de la planète – Sophie Marceau, Monica Bellucci, Karin Viard, Charlotte Rampling, Chiara Mastroianni, Ines de la Fressange, Anne Parillaud et Eva Herzigova – et a fait poser ces boudins devant le polaroïd du plus mauvais photographe de sa génération, Peter Lindbergh – tellement nul qu’on se demande s’il n’aurait pas mieux fait de continuer sa carrière dans l’aviation. Et le résultat ne s’est pas fait attendre : sans fards, sans maquillage, sans retouche Photoshop, ces laiderons restent splendides.
Elles ne parviennent pas à avoir la tête que toutes les femmes ont au réveil, pas maquillées, le teint livide, les cheveux encore ébouriffés par une nuit passée à reconstituer la chevauchée fantastique dans les vapeurs d’alcool, de sueur et de tabac. Lorsqu’une femme normale se réveille et que l’homme, rencontré dans la nuit, se tourne vers elle et la voit, un cri de peur et d’effroi monte de ses pectoraux. Il tremble. Il se rhabille. Et déjà il est en train de souscrire un abonnement à Têtu pour savoir comment devenir gay le plus rapidement possible.
Pour une star qu’on voit dans Elle sans maquillage, c’est une autre histoire. Elle ronfle encore que le type qu’elle n’a même pas payé pour faire ça est déjà descendu chercher des croissants et, à genoux au pied du lit, attend patiemment que les vapeurs du thé chaud qu’il a préparé éveillent doucement cette femme que la beauté seule pare de tous les atours. Bientôt, elle ouvrira un œil. Il lui déposera dans le cou un chaste baiser et murmurera à son oreille mamours et serments. C’est dégueulasse. Et il faudra peut-être qu’un jour elles songent, ces beautés sans fards ni retouches, à envoyer Ségolène Royal demander pardon en leur nom à toutes les femmes qui placent encore dans le blush et le rimmel toutes leurs espérances.
En chantant Toutes les femmes sont belles et en se passant les cheveux au cirage, Frank Michael, crooner pour vieilles, s’est constitué un cheptel de nonagénaires transies. Moi, il ne m’a pas eue. Toutes les femmes ne sont pas belles, et ça m’étonnerait qu’un jour Elle fasse sa couverture avec ma photo ou celle de Mme Michu, pas fardée, pas maquillée, pas retouchée. Lorsqu’un homme est en pleine possession de sa virilité, c’est-à-dire quand il ne se teint pas les cheveux pour chanter L’Hymne à l’amour dans des hospices, il ne fait pas le difficile : il est même prêt à se taper Monica Bellucci, si elle est consentante. Et même si elle ne l’est pas. Ça fera toujours une histoire à raconter aux copains du bistrot. En revanche, une Jeanne Moreau pas maquillée ni retouchée, là il hésite. Surtout si elle est consentante.
Et puis, reconnaissons une chose : s’il arrive qu’une femme ne soit pas maquillée, il est beaucoup plus rare qu’elle ait sous la main Peter Lindbergh, son objectif, ses parapluies et ses lumières pour se faire photographier. Dans un studio, la lumière est le premier des maquillages. Filtres et gélatines arrangent tout, font disparaître les rides, atténuent le teint couperosé des lendemains de cuite – ceux qui ne chantent pas forcément.
Pour le reste, sans Lindbergh ni Elle, nous autres pauvres mortelles devons nous contenter de la taloche et de la truelle pour chaque matin nous refaire une beauté – dans la vie d’une femme arrive le moment où Bouygues succède à l’Oréal. Vers l’âge de sept ou huit ans, tout commence chez les filles : on prend le tube de rouge à lèvres de maman, puis le fard à paupière et le vernis à ongle. Du même coup, on découvre les vertus du lait démaquillant tartiné sur le visage par la main maternelle et l’odeur du dissolvant sur le bout des doigts. On s’assagit. Puis, à quinze ou seize ans, le vice cosmétique revient. Plus tenace et organique que jamais. Comment pourrait-on à cet âge-là plaire sans maquillage à des garçons dont le visage est lui-même fardé plus que de mesure de poils au menton et de bubons d’acné ? On vole son premier eyeliner chez Karstadt. Et tout cela ne s’arrête jamais, nous survit même.
Diseuse hors pair de mots définitifs, maman proclamait : « C’est l’honneur de la femme de ne jamais sortir sans être maquillée. » A la fin de sa vie, parkinson aidant, son honneur grandissait chaque jour à vue d’œil. Paupières peintes jusqu’au bas-joues, rouge à lèvres les rejoignant en un geste hésitant, fond de teint jusqu’aux cheveux : plus le temps passait, plus elle ressemblait chaque jour davantage au clown Bozo. Il fallut attendre qu’un employé des pompes funèbres intervienne pour que son maquillage flirte enfin avec quelque chose de décent. Ultime retouche, dernier repentir.
Hadopi : halte aux lois karoutchicides
On l’a échappé belle : suite au rejet de la loi Hadopi à l’Assemblée, on a appris que Roger Karoutchi avait « pensé démissionner ». C’est ce qu’il explique dans le Monde d’hier soir. Dans une interview à Patrick Roger, le secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement détaille les trois raisons qui ont failli le pousser à une telle extrémité, dont on imagine mal comment notre démocratie aurait pu se remettre. Il y a tout d’abord la grosse colère du président. Il y a ensuite l’absentéisme des députés UMP : comme qui dirait, les godillots ont voté avec leurs pieds. Et puis enfin Karoutchi n’a toujours pas digéré l’entourloupe que lui ont jouée les députés socialistes : « C’est, a-t-il commenté, le coup de flibuste monté par le groupe socialiste qui a dévoyé le résultat du vote », avant d’ajouter : « Moi, je voudrais un Parlement qui soit celui des envolées lyriques de Jaurès et de Blum ; on nous livre Les Fourberies de Scapin ! » Si Roger Karoutchi le dit, je veux bien croire que l’œuvre de ce Monsieur Molière n’est qu’une mauvaise farce et que le vaudeville avec camouflage des troupes orchestré par Patrick Bloche est passible de la Haute Cour. Mais c’est quand même assez délicieux que Roger Karoutchi reproche aux députés PS d’être tous soudainement, au moment du vote, sortis du placard…
La barbarie à visage urbain
Désolée, je ne sais toujours pas avec certitude si l’agression du bus de nuit parisien était ou non raciste. Et en plus je me demande si cela a tant d’importance. Dans cette affaire, le racisme, réel ou pas, est peut-être un point de détail. Si la victime avait été « issue de la diversité », les images auraient été tout aussi révoltantes.
La pénible scène filmée par une caméra de vidéosurveillance évoque ce qu’on appelle communément la barbarie. Nous voilà contraints de regarder en face la société que nous avons créée. L’épisode pourrait susciter un débat. Ces agresseurs qui paraissent dépourvus de tout surmoi susceptible de leur fixer une limite, le sentiment d’impunité qu’ils semblent éprouver, devraient provoquer un réflexe d’autodéfense collective. Au lieu de quoi, après quelques jours de polémique sur l’origine de la « fuite nauséabonde » (formule employée dans un texte défilant par LCI), la seule question qui vaut est désormais : raciste ou pas raciste ? Et quand je dis question, c’est une façon de parler. En réalité, c’est un concours de certitudes que chacun jette à la tête de l’autre, et l’autre, en l’espèce, est forcément un salaud ou un nigaud – un crypto-lepéniste attaché à la défense d’une fantasmatique race blanche, ou un fieffé angélique prêt à rallier le parti de l’anti-France. Ayant commis le crime de douter, j’ai reçu une double volée de bois vert.
Je vais aggraver mon cas. Je persiste à penser que l’agression du « noctilien » était peut-être raciste et peut-être pas, ou plutôt que dans le cocktail de passions déplaisantes qui animaient les agresseurs le racisme entrait pour une proportion indéterminée – et d’ailleurs indéterminable. L’injure « Français de merde » prononcée par l’un des agresseurs (que je n’avais pas entendue lorsque j’ai écrit mon premier texte) ne suffit pas à prouver le caractère essentiellement raciste de l’agression. J’entends d’ici les hauts cris – que vous faut-il de plus ? En ce domaine, l’expérience devrait pourtant apprendre à chacun à se méfier des évidences. Un juif à kipa peut se faire casser la gueule sans que l’antisémitisme y soit pour quoi que ce soit ou sans qu’il soit le premier mobile. Et quiconque a déjà mis les pieds dans une cité sait que l’injure raciale est pratiquée tous azimuts y compris entre personnes de même origine.
En regardant les images prises dans l’autobus, même avec le son, j’ai eu l’impression que la rage aveugle des petites brutes aurait très bien pu s’abattre sur un Arabe ou sur un Noir et qu’ils auraient pu tout autant le traiter de « sale nègre » ou d’ »Arabe de merde ». Mais en même temps, je ne saurais exclure que la haine du blanc ait réellement joué dans le choix de la victime. La vérité, c’est que personne n’en sait rien. Peut-être le procès des coupables permettra-t-il à chacun de se faire une opinion.
En attendant, chacun joue donc sa partition, les uns pour mettre en avant l’acte raciste, les autres pour planquer sous le tapis toute connotation raciste. Pour les premiers, la France dans son ensemble est désignée comme coupable de racisme envers sa minorité arabo-musulmane. La scène du bus rappelle que les blancs n’ont pas l’exclusivité de la beaufitude raciste – mais se trouve-t-il encore des gens de bonne foi pour en douter ? Quant aux autres, ils ont une fois pour toutes figé les rôles, celui du salaud étant forcément joué par le « céfran » – également dit « Français de souche », bien que sa souche soit aussi peu identifiable que celle de pas mal de ses concitoyens plus basanés. Pour ceux-là, si d’aventure un Français d’origine étrangère se montre coupable de racisme, c’est parce qu’il en a été victime lui-même (on pourrait appliquer ce raisonnement aux pédophiles qui ont généralement été des enfants abusés mais passons). Dans ce registre, le jeune homme agressé dans le bus est exemplaire. Il ne veut pas, a-t-il déclaré au Figaro, être instrumentalisé. En somme, pour lui aussi, le plus grave n’est pas de s’être fait tabasser mais ce qu’on pourrait en penser. Dans La Journée de la jupe, le négociateur envoie sur les roses un prof qui tente de convaincre ses élèves de bien se tenir en invoquant le Coran et qui, après avoir été un peu bousculé par ceux-ci, se montre encore plus compréhensif. « Après tout, si ça vous plait de vous faire taper dessus, libre à vous », dit en substance le flic. C’est ce qu’on a d’abord envie de répondre à cet étudiant visiblement doté d’une belle âme. Si ces agresseurs ont proféré des injures raciales c’est, a-t-il expliqué, parce qu’ils étaient « drogués ou ivres ». S’il lui plait de comprendre et même de tendre la joue gauche, grand bien lui fasse. Seulement, il n’est pas le seul concerné. Quand on le tabasse dans un autobus, c’est aussi moi qu’on agresse. Et le jour où un Tribunal jugera les coupables, c’est en notre nom à tous qu’il rendra sa sentence. Pour être honnête, je n’aimerais pas que les juges se montrent aussi compréhensifs que la victime. Souhaitons en tout cas au jeune homme qui manie si brillamment la grammaire du science-politiquement correct de surmonter le deuxième traumatisme – celui de la diffusion et de l’instrumentalisation – comme il a surmonté le premier.
Reste une énigme qui me paraît diablement plus intéressante que celle du caractère raciste ou non de l’agression du bus. Pourquoi cette question suscite-t-elle passions et invectives au point d’occulter toute autre discussion ? Pourquoi est-il si crucial de faire reconnaître ou de récuser la dimension raciste ? Il faut croire qu’il y a là un enjeu identitaire, et pas seulement pour ceux qui ont fait de cet adjectif leur nom de famille. Qu’on me pardonne cette lapalissade mais une identité, tout le monde en a une, et pas seulement à l’extrême droite. L’obsession du racisme est aussi une obsession de la « race », c’est-à-dire de l’appartenance.
Cette obsession n’est pas seulement étrange, elle est gênante. Au risque de saturer le fil de commentaires sur ma supposée propension à la « haine de soi », j’avouerai que je n’entends jamais sans malaise des responsables juifs « revendiquer » le caractère antisémite d’un acte dès que celui-ci est connu. Et j’ai ressenti le même malaise lorsque BHL s’est rendu au Tribunal de Lyon pour affirmer que le meurtre d’Oullins (dans lequel la victime était arabe) était raciste. À ma connaissance, BHL n’a pas été témoin de ce meurtre. Je ne sais pas par ailleurs si l’antisémitisme a compté pour un tiers ou un quart ou 100% dans les motivations de Fofana et de sa bande de criminels abrutis, mais je sais qu’à force de se focaliser sur cette question, on a accrédité l’idée qu’Ilan Halimi était le mort des juifs.
Pour la loi, le racisme et l’antisémitisme sont des circonstances aggravantes. Mais dans les faits ? En supposant que les agresseurs du bus, « drogués et ivres », n’aient même pas vu que leur victime était blanche, cela rend-il leur comportement plus acceptable ? Le calvaire d’Ilan Halimi eût-il été moins effroyable s’il avait été breton ou noir – ou les deux ?
Sur ce sujet, en tout cas, je réclame le droit à la nuance et à l’indétermination – je sais c’est beaucoup demander. Je ne méconnais pas les ravages de la bêtise et des préjugés racistes ni la nécessité de les combattre. Mais je n’aimerais pas vivre dans un monde où chacun, brandissant comme un trophée le racisme dont est victime sa propre « communauté », finirait par être sourd à celui qui s’abat sur les autres. Je crois que des salopards capables de torturer un juif sont tout aussi capables de torturer un Arabe ou un Asiatique.
Bref, il ne faudrait pas que l’obsession du racisme nous fasse oublier que rien de ce qui est inhumain ne nous est étranger.
Malthus II, le retour
Ce matin en lisant Marianne2, j’ai cru tomber de ma chaise. Il a osé ! Monsieur Cochet recycle les vieilles idées du bon pasteur Malthus qui voyait déjà, à la fin du XVIIIe siècle, le salut dans la restriction démographique. Ainsi, il s’agirait de supprimer les aides aux familles à partir du troisième enfant, tant le bébé est pollueur[1. Puisque d’après lui, un enfant européen aurait « un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York », les « aides » devraient « (diminuer) sensiblement à partir du troisième » nouveau-né !].
Donc, quand on fait un gosse, on est un affreux pollueur car on fabrique un pollueur de plus. Après avoir prôné la fin des industries et de la voiture, Cochet va jusqu’au bout de sa logique et jette le bébé avec l’eau du bain. Jamais l’expression n’a été aussi à propos. Qu’importe si le Japon et l’Allemagne, qui ont des sociétés beaucoup plus vieillissantes et moins fécondes que la nôtre, détiennent un bilan carbone beaucoup moins flatteur[2. Sans doute, en partie, à cause de la politique anti-nucléaire encouragée par les amis Grünnen de Monsieur Cochet.]. Qu’importe si la Chine figure aujourd’hui au premier rang des pollueurs de la planète alors qu’elle a mis en place une politique de l’enfant unique depuis des décennies.
Changement de stratégie : les écolos ne nous font plus le coup de « La Terre qu’on emprunte à ses enfants ». Il ne faut plus d’enfants. Plus de bébés. Monsieur Cochet propose d’en passer par la suppression des allocs. Il ne propose pas encore des grandes campagnes de stérilisation, ni la politique de l’enfant unique à la sauce chinoise.
Mais si tout cela ne suffisait pas, nul doute que cet ayatollah n’hésiterait pas à franchir le Rubicon. Qui ne voit pourtant que l’argument de préserver la planète pour ses enfants fut, de loin, le meilleur argument pour changer certains comportements ? Pas Monsieur Cochet ! Lui préfère une société de vieux rentiers dans un pays sans industrie ; des vieux sans enfant qui n’auraient même pas de voiture électrique et qui tourneraient en rond sur leurs vélos en attendant que la mort arrive ; une espèce humaine en voie de disparition.
Nous concèderait-il le droit de réintroduire l’Humain dans certaines contrées, l’Italie du Nord ou la Ruhr, comme on le fait aujourd’hui pour l’ours ou le loup ? Certainement pas ! L’être humain, lui, est vraiment nuisible.
Je n’ai pas l’habitude de prononcer des noms d’oiseaux ici mais là, c’en est trop : mon troisième enfant, j’en ai d’autant plus envie. Pour ne pas avoir une société de vieux cons. De vieux cons comme Cochet.
Rien dans les poches, tout dans le slip
On a enfin compris pourquoi la Réserve fédérale américaine n’avait pas vu venir la crise : son patron, Alan Greenspan, était occupé à mater le slip de ses concitoyens ! Tout s’éclaire. Slip, boxer, shorty, caleçon, string ou kangourou de grand-pa’ : Alan Greenspan n’était pas spécialiste de politique monétaire, comme certains s’étaient laissés prendre à le croire, mais chef du rayon lingerie au Wallmart de la 6e Avenue. The Huffington Post nous apprend, en effet, que l’ancien patron de la Fed tenait pour un indice économique sérieux les ventes de slips masculins aux Etats-Unis ! Selon lui, les hommes achèteraient moins de sous-vêtements par temps de crise, se résignant plus facilement que les femmes à porter leurs anciennes petites culottes plutôt que de claquer leur argent dans de nouvelles. Donc, si les marchés ont le moral dans les chaussettes, c’est que les consommateurs américains ne changent pas assez de slip. L’ancien gourou de la finance mondiale avait le tendanciel tendancieux.
Vers Vatican III ?
On pensait qu’avec la mort de Jean-Paul II, pape cathodique autant que catholique, le Vatican et le destin de l’Eglise catholique apostolique et romaine ne feraient plus les gros titres que de La Croix ou de Radio Notre-Dame. Eh bien on s’est trompé. Mais depuis l’élection de Benoît XVI, la fascination pour le pape s’est muée en méfiance et souvent en défiance. Ce retournement de l’opinion, catholique mais pas seulement, révèle un énorme malentendu : depuis Jean XXIII et le concile Vatican II – et surtout depuis qu’un prélat polonais a été élu au siège de saint Pierre – beaucoup avaient rangé le pape dans le camp des droits de l’homme et s’étaient persuadés que l’Eglise catholique s’était convertie à la religion du Progrès.
Les dernières controverses au sujet de l’évêque négationniste et surtout autour de la question du sida et des préservatifs montrent que ce malentendu repose, en particulier en France, sur une méconnaissance totale de la mission de l’Eglise. Vu de Rome, le combat à mener se trouve en Amérique du Sud, et notamment au Brésil, premier pays catholique du monde avec 125 millions de fidèles. Or, la proportion d’habitants se définissant comme catholiques y est passée de 89 % en 1980 à 74 % en 2000. Dans le même temps, le nombre de Brésiliens se réclamant de l’Eglise évangélique s’est envolé de 7 % à 15 %. Au-delà du Brésil, la « part de marché » des Eglises protestantes s’élève à environ 20 % au Chili et à presque 30 % au Guatemala. En Argentine, 10 % environ de la population revendique son appartenance au mouvement évangélique. En conséquence, les divisions du Vatican qui pouvaient mobiliser 85 % des 350 millions de latino-américains en 2000, ne représentent plus que 70 % de la population.
Les raisons de l’engouement pour les Eglises évangéliques (qui, bien que protestantes n’ont pas grand-chose à voir avec la sévérité calviniste) sont connues : elles proposent une religion pleine d’émotion reposant sur un fort sentiment d’appartenance à une communauté plutôt que sur un dogme ou un contenu intellectuel sophistiqué. Elles parviennent ainsi à séduire des populations laminées par l’éclatement des sociétés sous les coups des crises politiques, économiques et sociales répétées. Le plus frappant est que leur expansion fulgurante n’est nullement entravée – et peut-être même encouragée – par leur conservatisme en matière sociale et morale. Cela n’a pas échappé aux stratèges de Rome.
En Amérique latine, les Eglises évangéliques ont su séduire à la fois les pauvres et les classes moyennes bien mieux que n’avait su le faire « la théologie de la libération », dont les thuriféraires des années 1960 entendaient capter l’enthousiasme populaire suscité par la figure de Che Guevara et l’idée de la Révolution. Dans les années qui ont suivi Vatican II, Rome a même manifesté une certaine bienveillance à l’égard de ces expérimentations, même si une décennie auparavant le mouvement autrement ambitieux des prêtres-ouvriers avait été supprimé par Pie XII, marquant ainsi les limites de la tolérance du Saint-Siège.
Depuis, l’écroulement des régimes socialistes a fait presque disparaître toute initiative catho-marxiste. Aujourd’hui, pour l’Eglise, le danger ne vient pas de la gauche révolutionnaire mais des Eglises évangéliques.
Le personnage de Mgr Claudio Hummes, cardinal d’origine brésilienne, est symptomatique de cette évolution. Prêtre d’une paroisse de la banlieue ouvrière de São Paulo dans les années 1970, il s’était fait connaître par des prises de position hardies, notamment par son soutien à un jeune militant syndicaliste, Luiz Inacio Lula da Silva, l’autorisant même à prononcer des discours dans son église.
Quelque trente ans plus tard, en 2000, on entend de nouveau parler du prélat, promu depuis archevêque de São Paulo par Jean-Paul II. Mais les temps ont changé. Valeriano Paitoni va en faire l’amère expérience. Curé d’Imirim, une paroisse pauvre du nord de Sao Paulo, il a fondé, avec l’aide financière de ses ouailles, trois centres d’hébergement qui accueillent alors 33 séropositifs et malades du sida, dont 22 enfants. Indigné par les tests de dépistage secrètement exigés, selon lui, des candidats au sacerdoce par certains séminaires brésiliens, il a, pour couronner le tout, pris l’habitude de distribuer des préservatifs à ses paroissiens les plus démunis. Mgr Hummes, son supérieur hiérarchique, condamne aussitôt, avec l’aval de l’archevêque de Rio et « en communion avec le Pape et l’Eglise » les idées défendues par le père Valeriano. L’année suivante, Mgr Hummes critique un ministre brésilien qui avait renforcé le plan national d’éducation à la contraception. Fin 2006, Benoît XVI le rappelle à Rome et le nomme préfet de la Congrégation pour le Clergé, chargée notamment de la formation du clergé et de celle des fidèles (catéchisme).
Dans ces conditions et contrairement à ce que j’ai écrit, les choix de Benoît XVI sont peut-être dictés par la tactique politique autant que par la rigueur théologique. Il sait que l’avenir de sa multinationale ne se joue ni sur les rives du Tibre ni sur celles de la Seine mais en Amérique du sud, en Afrique et en Asie face aux nouvelles Eglises. Cette évolution semble avoir été bien comprise à la fois par les chefs de l’Église catholique et par certains croyants, comme on peut le constater par l’essor des charismatiques, sorte de « pentecôtisme catholique » agrémenté d’un fervent culte marial.
Rome peut regagner du terrain en s’appuyant sur ces mouvements mais continue à leur vouer une certaine méfiance. Sa stratégie s’appuie d’une part sur une défense de la morale sexuelle traditionnelle (contre le divorce, la contraception, l’avortement et l’éducation sexuelle à l’école), d’autre part sur celle des privilèges du catholicisme face à la concurrence évangélique. Les prises de position de Benoît XVI sur la contraception et l’avortement ne visent pas à lui gagner la sympathie, de toute façon temporaire, d’intellectuels mécréants, de faiseurs d’opinion parisiens ni même celle des évêques de France. Il a entendu le message venu d’ailleurs : ce que veulent les chrétiens d’Amérique latine, les participants des JMJ et les charismatiques, ce n’est pas une Réforme bis. C’est une Contre Réforme.
Le centrisme et la peinture en deuil
René Monory est mort, à l’âge de 86 ans, ce samedi 11 avril. Ce génial touche-à-tout de la vie politique française ne s’est pas contenté d’avoir été garagiste et ministre de l’Education nationale, gourou de Raffarin et président du Sénat, maire de Loudun, ville par laquelle il fut littéralement possédé et créateur du Futuroscope, faux parc de loisirs sur les nouvelles technologie mais vraie ambassade pour les extra-terrestres. René Monory, en effet, a aussi consacré sa vie à la peinture et a été le chef de file secret du courant de la Figuration Narrative. Les amateurs seuls savaient que derrière la bonhomie de ce centriste old school se cachait un artiste dont les toiles bleues et glacées représentent toute l’inhumanité de notre monde à travers des scènes de meurtres, de fusillade ou de femmes nues fumant dans des décors urbains déserts. Il serait heureux, en cette triste occasion, que le Sénat organise une rétrospective René Monory pour honorer le violon d’Ingres d’un de ses plus illustres représentants.