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Le vent se lève…

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Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne, absolument personne, n’a relevé dans la presse française le dernier dérapage de Jean-Marie Le Pen sur la question de l’antisémitisme. Interrogé par des journalistes à Bruxelles pour savoir ce qu’il pensait du dernier rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union, portant sur 19 pays européens et soulignant une nette remontée des actes antijuifs depuis le déclenchement des hostilités à Gaza, Jean-Marie Le Pen a répondu, sans l’ombre d’une hésitation : « Ça ne me surprend pas qu’il y ait une montée (de l’antisémitisme). En fait, c’est parfaitement compréhensible car Israël alimente des sentiments d’antisémitisme. » Quant au rapport de l’Agence, le président du FN a estimé qu’il s’agissait d’une « grossière diversion », destinée à faire oublier les crimes de guerre d’Israël à Gaza.

On s’étonnera donc que la presse française qui, il y a une semaine, avait amplement relayé la sortie de Le Pen au Parlement européen et le come-back du « détail » dans la rhétorique frontiste, soit restée muette devant cette justification de l’antisémitisme, dont les seuls coupables ne sauraient être que les Israéliens. Enfin on ne s’étonnera qu’à moitié. Parce qu’en vrai, ces mots, cette justification, cette absolution, ce n’est pas à Jean-Marie Le Pen qu’on les doit, mais à Ken Loach.

Oui oui, Ken Loach, le metteur en scène concerné de Bread and Roses, l’humaniste engagé de Le vent se lève, pour lequel il a obtenu la Palme d’or à Cannes en 2006. Ken Loach le chouchou des pages cinéma de Télérama, du Monde et des Inrocks. Et surtout Ken Loach, le courageux militant d’extrême gauche, le grand contempteur du Capital et du social-libéralisme, le soutien inconditionnel d’Olivier Besancenot à la dernière présidentielle.

A ce stade du récit, une précision s’impose et notamment à l’attention des tenants de l’équation gauchisme = antisionisme = antisémitisme. Je le répéterai autant de fois qu’il le faudra : par pitié, laissons l’amalgame forcené au Camp du Bien ! Je n’accuse pas tous les trotskystes, ni toute l’extrême gauche de complaisance pour l’antisémitisme, et encore moins d’antisémitisme. En Grande Bretagne, de nombreux groupes marxistes ont dénoncé les déclarations de Loach. En France, l’excellent site trotskyste de Gilles Suze (un bolchevik old school, opposant interne au NPA) a prouvé, durant toute la durée du conflit à Gaza qu’on pouvait et qu’on devait impérativement faire la part des choses entre la condamnation de l’intervention et les accusations de massacres ou de génocide, porteuses de dérives antisémites. Toujours chez nous, depuis des années, c’est le site d’extrême gauche – certains diront même d’ultra-gauche – d’Yves Coleman[1. On pourra notamment y lire un compte-rendu hallucinant de la visite de courtoisie faite au Hezbollah par l’antisioniste radical Norman Finkelstein, auteur du fameux ouvrage L’Industrie de l’Holocauste.] qui maintient avec le plus de pertinence et de virulence les saines traditions de cordon sanitaire issues de l’Affaire Dreyfus – et que nombre d’élus banlieusards de la gauche et de la droite respectables oublient volontiers en période électorale.

Mais bon, cela étant dit, on est bien obligé de constater que le discours ultra-limite de Ken Loach a été glissé en douce sous le tapis de Libé jusqu’à l’Obs. Situation délicieuse, ce sont de fieffés réacs tsahalophiles comme mes amis XP et Menahem Macina qui ont rétabli le droit du cinéaste engagé à faire connaître ses prises de positions sur le Proche Orient, le pauvre ayant été censuré, pour son bien, par ses propres groupies !

On attendra donc en vain qu’à chaque fois que nos amis de la presse qui pense reparleront d’un film de Ken Loach, ils prendront des pincettes, préciseront que leur engouement est strictement artistique et qu’il n’a rien à voir avec ses prises de positions politiques nauséabondes ; un traitement façon Brigitte Bardot qu’on peut aimer dans Le mépris sans être pour autant accusé d’être favorable à l’abattage rituel de tous les immigrés pour l’Aïd el Kebir. Plus sérieusement, on attendra qu’Olivier Besancenot se fende d’une petite mise au point. Daniel Bensaïd, qui sait écrire, devrait pouvoir lui faire ça sans trop de souci. On sait le trotskyste lambda pointilleux, voire chichiteux sur les principes, faudrait pas perdre les bonnes habitudes avec la création du NPA. Rappelons que lors d’une rencontre avec le metteur en scène diffusée le 2 janvier 2008 sur France Inter, Olivier Besancenot avait déclaré : « J’irais bien au pouvoir avec Ken Loach ! » Espérons que le cas échéant, il ne lui confiera pas le Quai d’Orsay, et encore moins la division du ministère de l’Intérieur chargée de la protection des lieux de culte.

Bref, je pense qu’Olivier Besancenot et avec lui la quasi-totalité de l’establishment ont tort de fermer les yeux sur ces transgressions de plus en plus transgressives. On est tellement gêné qu’on préfère regarder ailleurs. C’est tabou, un peu comme l’inceste avant que ça devienne à la mode. On fait comme si ça n’existait pas, et pourtant, ça existe : Le Pen n’a pas le monopole du dérapage, il y a des chics types aux normes ISO 2009 qui trouvent que la montée de l’antisémitisme est understandable et que la dénonciation des récentes attaques de synagogues était une « grossière diversion » (Red herring, hareng rouge, en VO). Alors que jusque-là, le seul discours admissible dans cette frange de l’opinion était que quels que soient les crimes imputés à l’Etat d’Israël, toute forme d’antisémitisme était injustifiable. Grâce à Ken Loach, face aux actes antisémites, on est passé du traditionnel Je condamne, mais… à l’innovant Je comprends, mais…, bref on a franchi un palier, et qui risque de ne pas être le dernier. Sincèrement, je ne dis pas que Loach est antisémite et n’encourage personne à le penser. En revanche, je crois qu’il encourage l’antisémitisme, tout en étant intimement persuadé de ne pas le faire. Je pense que cet homme, comme des flopées de citoyennistes est plombé par sa vision strictement binaire du réel, par sa division du monde en bad guys et good guys, qui est pourtant celle des thrillers bourrins américains qu’il déteste et que j’adore. Par absence d’imagination, inculture historique ou paresse idéologique, Ken Loach plaque ses schémas de Land and freedom (méchants franquistes/gentils républicains ou encore crapules staliniennes/angelots trotskystes) sur le conflit entre Tsahal et Hamas, je vous laisse deviner qui est qui…

Le pire dans tout ça, c’est donc que Ken Loach n’est pas vraiment un raciste, ni plus spécialement un antisémite. Il est victime de son ignorance, de ses préjugés, de son simplisme. Oui, c’est ça, c’est un simplet. Il n’est en définitive que le frère jumeau du petit blanc gogol de ses propres cauchemars, celui qui croit que tous les arabes dealent du crack dans les caves de HLM entre deux tournantes…

Mieux vaut Qatar que jamais

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Le 17 mars dernier, Robert Ménard, ex-boss de Reporters sans frontières, menaçait de démissionner de son poste de directeur du Centre de Doha pour la liberté de la Presse, une institution financée par l’épouse de l’émir du Qatar. Il a piqué une grosse colère en prenant conscience que les confortables émoluments qui lui sont versés par cette dame d’œuvre pétroleuse ne l’autorisent pas à diriger effectivement cette Gongo (Governemental non governemental organisation). Ainsi, la maison de repos pour journalistes persécutés qui devait être la vitrine de ce centre n’abrite, après un an de fonctionnement que deux pensionnaires, les autres n’ayant pas obtenu le visa d’entrée au Qatar.

Peut-on prêcher la vertu dans un bordel ?

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Rama Yade, la diva des sondages, ferait mieux de regarder Thalassa que se faire enfumer par Jean Daniel dans un débat sur un éventuel boycott de la Conférence de l’ONU sur le racisme, dite Durban 2, prévue pour la fin de ce mois d’avril à Genève. Elle aurait pu voir[1. Les enfants de M’bour, un reportage de Daniel Grandclémentn, diffusé le 27 février dernier dans le magazine Thalassa, qui n’en n’a rien à cirer du politiquement correct, pourvu qu’on ne pisse pas dans la mer.], comment, dans son pays d’origine, le Sénégal, on traite des enfants confiés à des écoles coraniques où on les contraint à ânonner le Coran à coup de chicotte le matin, et l’après-midi à faire la manche pour rapporter 500 francs CFA, le minimum qui leur évitera la raclée de l’imam.

On n’a pas, jusqu’à ce jour, entendu le Sénégalais Doudou Diène, porteur du titre ronflant de « rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance », clouer au pilori ces pratiques infâmes. Ce maître d’œuvre du discours onusien sur le racisme préfère stigmatiser l’idéologie laïque à la française, pétrie de colonialisme et de xénophobie, qui prive les jeunes musulmanes du droit de se soumettre à l’obligation du port du hijab dans les enceintes scolaires. Poussée dans ses retranchements par un Jean Daniel plus sentencieux que jamais, la secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme a fini par concéder, lors d’un débat à Rennes, qu’elle était favorable à ce que la France participe à la Conférence Durban 2 pour, dit-elle « combattre au nom de nos valeurs ». Ben voyons ! Comme si notre brillante ministre ne savait pas que dans ce genre de raout, tout est vissé d’avance, les communiqués, résolutions et autres textes déclamatoires étant négociés à la virgule près et adoptés avant même que les excellences ne mettent les pieds dans la salle des conférences.

Dans sa dernière version qui doit beaucoup à la patte du représentant russe à Genève, le texte de Durban 2 est le résultat d’un compromis qui peut se résumer au marchandage suivant : les dictatures du tiers-monde arrêtent de diaboliser Israël comme ce fut le cas en 2001 à Durban, et les démocraties occidentales ne viennent pas leur chercher la petite bête sur le sort réservé dans ces pays, aux femmes, aux homosexuels et aux minorités ethniques et religieuses. Mais même édulcoré et nettoyé de ses formulations les plus provocatrices, le texte[2. 2.On lira une critique détaillée de ce « nouveau » texte dans une tribune de Malka Markovich publiée par Libération.] préparé par le secrétariat de la Conférence, présidé par la Libye et vice-présidé par le Pakistan et Cuba – plus respectueux des droits de l’homme tu meurs ! – n’a pas convaincu la Canada, Israël, l’Allemagne et l’Italie de participer à cette conférence. Les Etats-Unis d’Obama ont brièvement tenté un retour dans les réunions préparatoires au début février. Dix jours plus tard, ils pliaient bagages en constatant que les concessions des organisateurs étaient de pure forme, et qu’il était dangereux, en conséquence, de se laisser piéger dans ce traquenard genevois.

Mais le duo Rama Yade-Jean Daniel est sans doute plus à même que les gnomes de Washington de faire se comporter comme des gens civilisés les grands démocrates antiracistes qui gouvernent la Libye, Cuba, l’Iran ou le Venezuela. Vous savez, Mesdames et Messieurs, le racisme et la discrimination, c’est pas bien, mais en raison de cette merveilleuse alliance des civilisations qui nous rassemble dans ces lieux chargés d’histoire, on ne va pas en faire un fromage : il suffit d’une petite signature, là en bas à droite, mais qui n’engage à rien ou à pas grand chose. C’est non ?… Bon c’est dommage, mais on ne va pas se fâcher pour si peu. À plus, au prochain sommet de l’Union pour la Méditerranée sans doute…

Voilà à peu près l’effet que l’on peut attendre de l’attitude « combative » revendiquée par Rama Yade, puisque, par avance, on a déjà lâché sur les questions intéressant les féministes et associations de défense des homosexuels ainsi que sur « l’incitation à la haine des religions », nouvelle formule remplaçant la condamnation, par la Conférence, de la diffamation des religions qui visait clairement les caricatures de Mahomet.

Les partisans de la participation à la Conférence établissent un parallèle entre cette dernière et la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) des années 1970, qui avait été le cadre du dialogue entre les démocraties occidentales et le bloc communiste. Son texte majeur, l’Acte final d’Helsinki de 1975, comprenait un engagement de toutes les parties à respecter, à l’intérieur de leurs frontières, des principes compatibles avec les droits de l’homme fondamentaux. Leonid Brejnev signa sans broncher, mais rien ne changea vraiment en URSS et dans les pays satellites, sinon que les maigres bataillons des dissidents purent s’appuyer sur un texte signé par leurs dirigeants pour faire valoir leurs droits, la plupart du temps sans succès. Contrairement à ce que veulent nous faire croire ces diplomates qui prennent un plaisir intense à souper régulièrement avec le diable, ce n’est pas la CSCE et l’Acte final d’Helsinki qui ont mis à bas le communisme, mais le combat sans concession que Ronald Reagan a réussi à imposer contre « l’Empire du Mal » par le grand bluff de la « guerre des étoiles ». Mais même à Helsinki, les adversaires des démocraties n’étaient pas les maîtres de l’ordre du jour. C’était du donnant-donnant: nous acceptons de libéraliser les échanges commerciaux avec l’Est, si vous acceptez la corbeille « droits de l’homme » dans le deal final.

Certains espéraient que la substitution d’un Conseil des droits de l’homme à la Commission des droits de l’homme de l’ONU allait mettre un terme aux dérives de cette dernière, qui était devenue le forum où les dictatures obscurantistes mettaient systématiquement les démocraties en accusation, et un tribunal destiné à condamner Israël tandis que des tyrans sanguinaires se donnaient mutuellement l’absolution.

Il n’en est rien, et le système onusien continue de produire, en ce domaine, de la rhétorique déclamatoire et des rapports biaisés confiés à des « rapporteurs spéciaux » dont l’impartialité est aussi incontestable que celle de Richard Falk, probablement chargé des territoire palestiniens parce qu’il avait qualifié Gaza de « nouvel Auschwitz », ou celle de l’ineffable Jean Ziegler, l’obligé de Mouammar Kadhafi et de Fidel Castro. Son dernier opus, La haine de l’Occident, est une justification à peine voilée du terrorisme islamiste au nom des abominations que les pays « riches » ont commis et commettent encore dans le Tiers-monde.

On peut toujours aller prêcher la vertu dans un bordel, mais on ne doit pas s’étonner d’en revenir avec la vérole.

Pour une répression préventive

Quand j’étais au lycée, le directeur me convoqua un jour dans son bureau pour une bêtise que je n’avais pas faite. À ses questions sur la farce qui était plutôt comique mais que j’ai oubliée (désolé), je répondis que ce n’était pas moi et rajoutai : « Mais ça aurait pu l’être. » Quelques semaines plus tard, sans faits et sans preuves, j’étais viré. Motif : attitude négative. Dans sa grande sagesse, le responsable de l’établissement s’était débarrassé d’un insolent qui défiait l’autorité depuis un peu trop longtemps. Etait-ce juste ou pas ? Je l’ignore, mais à sa place aujourd’hui, je n’agirais pas autrement.

Dans un film dont j’ai oublié le titre, Sami Naceri est cerné par la police. Au lieu de mettre les mains en l’air comme on le lui ordonne, il fait le mariole, insulte, provoque et fait mine de dégainer en pointant sa main vide de toute arme sur une femme flic qui, se sentant menacée, le descend. Quand elle comprend que le braillard était désarmé, elle est bouleversée et gagnée par ce sentiment étrange et répandu surtout chez les innocents, la culpabilité. Franchement, je ne vois pas ce qu’il y a de bouleversant à flinguer Sami Naceri que je préfère voir torturé dans un roman de Dantec[1. Maurice G. Dantec, Artefact, Albin Michel, 2007, « Le monde de ce Prince ».] plutôt que pérorant à la télévision quand il devrait être en prison.

Mais oublions l’acteur et revenons au personnage du film. Est-il juste qu’il meure ? Je n’ai pas la réponse mais la leçon à tirer de cette histoire est que dans le doute, la police se défend. Si le message passe, le délinquant ne sera pas mort pour rien.

De même, que Saddam Hussein ait ou non détenu des armes de destruction massive n’a que peu d’importance. Qu’il l’ait fait croire au monde en baladant les inspecteurs de l’Onu pendant dix ans aura suffi à lui attirer les foudres de cet Occident qui ne craint pas ses ennemis. Attitude négative. Personne n’est à l’abri d’une guerre préventive. À bon entendeur, salut. Est-ce juste ? Le gendarme du monde marche parfois sur la justice mais je gage que l’avenir, à commencer par celui de l’Irak, donnera raison au regretté président Bush, n’en déplaise à ceux dont la pensée politique semble inspirée par les Guignols de l’Info.

Est-il juste que Julien Coupat soit en prison et Ivan Colonna condamné ? Que leurs sympathisants posent la question me paraît légitime, que les intéressés le fassent à l’ombre me semble indispensable.

Si vous écrivez des âneries sur la nécessité d’attaquer la société technologique en sabotant des trains, évitez de traîner près des rails les nuits de sabotage car vous pourriez attendre quelques mois derrière les barreaux que l’on établisse votre innocence ou votre culpabilité.

Si vous appartenez à un groupe d’où partent des coups de feu qui blessent des policiers, il se pourrait qu’on vous renvoie la balle et que vous en mouriez. Même si vous n’avez pas tiré vous même, même si vous n’avez pas d’armes. Est-ce juste ? Non, je vous l’accorde, mais je doute qu’à part chez les islamo-gauchistes on vous pleure très longtemps.

Si vous jouez le bandit corse avec tout le folklore, meurtre, embrouille, mensonge, aveux, désaveux, maquis et omerta, si, quand on vous aura gaulé comme une noix, vous prenez la justice de haut, vous courrez le risque d’être condamné sans preuves matérielles parce que l’intime conviction d’un jury suffit. Vous pourrez hurler au complot et en appeler à l’Europe mais depuis les geôles de la justice « coloniale ».

Avant de faire régner la justice, l’Etat se défend. À travers vous, l’Etat dissuade et je m’en réjouis. Tant pis pour ceux qui font semblant de tirer sur les flics, pour les dictateurs qui bluffent, les apprentis-révolutionnaires et les bergers bas du front. C’est une loi qu’on devrait enseigner aux écervelés comme l’eau qui mouille ou le feu qui brûle. L’Etat se défend et tant mieux parce que l’Etat c’est moi. Légitime défense. Quand on attaque la police ou qu’on bousille le chemin de fer, quand on menace ma civilisation ou qu’on assassine un Préfet, c’est moi qu’on vise parce que l’Etat, c’est moi.

Alors s’il arrive qu’en mon nom, on prenne quelques libertés avec la loi, les droits de la défense ou les droits de l’homme, je pense à Dirty Harry et je souris. Comme Mme Erignac depuis le verdict, je souris. Et quand une condamnation rend leur sourire aux veuves et aux orphelins, j’ai confiance dans la justice de mon pays. Vous trouvez ça injuste ?

Artefact

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Il est frais, mon Causeur

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numero10

Le numéro de Causeur du mois d’avril vient de paraître ! N’abandonnez pas aux poissonniers le monopole de s’en servir pour emballer le poisson. Abonnez-vous : vous y trouverez, réunis sous le titre de « Satan is back », des textes d’Elisabeth Lévy, Luc Rosenzweig, Marc Cohen, François Miclo, Bruno Maillé, Gil Mihaely, Jérôme Leroy, Basile de Koch, ainsi qu’un entretien exclusif avec Daniel Cohen. Retrouvez Causeur dans vos meilleures poissonneries (ou à défaut sur abonnement).

Le gouvernement Netanyahou : une coalition antinucléaire

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L’Iran d’abord : contrairement à ce que pensent la plupart des commentateurs, telle est la logique du nouveau gouvernement israélien présenté hier. Le casting de Netanyahou reflète et sans doute plus autant ses priorités stratégiques que ses calculs politiques. C’est dans cette perspective que se comprend le maintien d’Ehud Barak à la Défense ainsi que les choix du ministre des Affaires stratégiques et du ministre chargé des services de renseignements et de l’équivalent israélien du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Pour ces deux portefeuilles, Netanyahou a nommé le général Moshe Yaalon (que tout le monde appelle Boguy), ancien chef d’état-major, et Dan Meridor, ancien ministre de la Justice et vétéran du comité parlementaire chargé de la supervision des services de renseignements et des affaires stratégiques. En clair, c’est un cabinet de crise qui va devoir traiter ce dossier brûlant, lequel, selon l’analyse israélienne, est entré dans une phase critique.

Le calendrier a été défini le 25 mars par le général Yadlin, chef du renseignement militaire. Convoqué par la commission de sécurité et des affaires étrangères de la Knesset, cet ancien pilote de chasse qui a participé au raid sur le réacteur irakien Osirak en juin 1981 a déclaré que l’Iran avait dépassé le seuil technologique et que désormais, s’il décidait de se doter d’une arme nucléaire, il y parviendrait en quelques mois, au plus une année. Opérée par un lanceur de fabrication nationale, la mise en orbite d’un satellite par les Iraniens montre que la République islamique possède aussi des missiles capables de porter une tête nucléaire.
Netanyahou va donc observer de près ce que font les Américains qui donnent désormais la priorité aux tractations politiques pour parvenir à un accord avec l’Iran. Mais pendant que Barack Obama négocie, rien n’empêche Ehud Barak (ni la CIA d’ailleurs) de continuer la guerre secrète contre Téhéran et de prévoir, en coordination avec les Américains et les Européens, d’autres options plus violentes et moins discrètes. Au cas où. Autrement dit, l’option militaire est étudiée très sérieusement à Tel Aviv.

En faisant du dossier iranien – problème réel et urgent – la clé de voûte de sa stratégie, Netanyahou se montre très habile. Sur le plan national, cela lui permet d’intégrer les travaillistes dans sa coalition, ce qui a au moins trois avantages : présenter au public ce « gouvernement d’union nationale » qu’il apprécie tant, maquiller le socle de sa majorité qui repose à la fois sur la droite religieuse et sur la droite nationaliste et enfin, porter un coup supplémentaire au parti de Barak, déjà déplumé après les élections de février dernier. Très divisés – cinq députés travaillistes n’ont pas voté la confiance au gouvernement – et en chute libre dans les sondages, la plus vielle formation politique israélienne qui a promis-juré il y a un mois de se refaire une santé sur les bancs de l’opposition, aura du mal à retrouver son électorat aux prochaines échéances nationales.

L’espace politique que Barak vient d’abandonner n’a pas resté vide longtemps – Tzipi Livni, chef de Kadima, le plus grand parti de la Knesset, a montré par son discours musclé qu’elle a bien l’intention de se positionner comme le deuxième parti de gouvernement et donc comme une alternative.

Sur la scène internationale, l’argument iranien de Netanyahou est écouté. À Washington, Paris, Berlin et à Londres, on sait que l’Iran constitue une menace. Mais dans ces mêmes chancelleries, on craint aussi que Netanyahou n’utilise l’Iran comme prétexte pour traîner des pieds avec les Palestiniens et les Syriens. Cette méfiance n’est pas totalement infondée. Encore que quelles que soient les intentions réelles de Netanyahu, la situation au Proche-Orient est bel et bien bloquée, tout le monde attendant l’issue des négociations entre Obama et le gouvernement iranien pour savoir d’où vient le vent. Or, pour les Iraniens, leur influence sur le Hamas, le Hezbollah et la Syrie est une carte majeure dans le nouveau « grand jeu » qui s’annonce. Ils ont donc intérêt à tout verrouiller pour l’instant.

En conséquence, d’ici au moins six mois, il sera impossible d’avancer avec les Palestiniens et avec les Syriens. Netanyahou n’a donc aucune raison d’aller tout de suite au conflit avec ses alliés de droite qui le soutiennent sur le dossier iranien. Si, un règlement général devait être négocié avec l’Iran – ce qui me paraît hautement souhaitable mais un peu moins probable – la situation serait différente. Netanyahou devrait alors faire des choix politiques et idéologiques difficiles. On ne voit pas pourquoi l’Iran lâcherait à la fois la bombe, le Hezbollah et le Hamas, aiderait les Américains en Irak et en Afghanistan sans obtenir en contrepartie la reconnaissance de son statut de puissance régionale – perspective qui n’enthousiasme pas en Israël. Dans le cadre d’un tel arrangement global Israël aurait toute sa place mais il lui faudrait en échange renoncer à occuper celle des autres. Autrement dit, une fois l’hypothèque iranienne levée, les questions de la Cisjordanie et du Golan seront discutées sérieusement et Netanyahou devra choisir entre sa coalition et l’allié principal d’Israël. Par les temps qui courent, la première est plus facile à remplacer que le second.

Je suis con, la RATP parle dans ma tête

Depuis un mois ou deux, la RATP a lancé une éprouvante « campagne pédagogique pour aider à la régularité du trafic ». Les vitres des métros et des RER se sont ainsi recouvertes d’une lèpre pimpante d’ »info-bulles », de chiures multicolores, d’étiquettes adhésives en forme de bulles de bande-dessinée, sur lesquelles les prétendus « usagers » peuvent lire ces slogans qui font désormais partie de leur désespoir quotidien : « Préparer ma sortie facilite ma descente », « Les portes s’ouvrent, je laisse descendre », « Retenir les portes, c’est retenir le métro », « Au signal sonore, je m’éloigne des portes » ou encore « Une seconde perdue en station = du retard sur toute la ligne ». De manière à peu près contemporaine, des saloperies pédagogiques ont également envahi les bus de la ville qui a été un jour Paris.

Ces campagnes d’infantilisation publique généralisée n’ont pour l’heure suscité la création d’aucun collectif « Adultes en colère » ou « Ztop l’infantil ». La discrimination permanente contre les adultes laisse également absolument indifférente notre bonne vieille Halde. Seuls le talentueux Matthieu Jung dans Libération et Caroline Constant dans L’Humanité ont épinglé avec humour ces « stickers » maléfiques, ces outrageants bubons.

Mais la violence radicale de cette campagne réside avant tout dans sa dégoûtante manière d’employer le pronom « je » à ma place. Non contente de broyer régulièrement ses « usagers » physiquement, la RATP désire à présent les broyer aussi logiquement, symboliquement. Les faire entrer en fusion avec ses décourageantes chansonnettes citoyennes. Personnellement, je suis contre l’abolition de la frontière entre la RATP et moi. Je ne l’autorise pas à me tutoyer, moins encore à me jejoyer.

Tout ça me donne envie de coller quelques « stickers » sur le crâne des communicants délirants de la RATP : « Je ne dis pas je à la place des autres », « Mes lapalissades, je me les fous au cul », « Je ne parle pas aux adultes comme à des enfants », « J’arrête d’être cool, sympa et fun ». Si on continue comme ça, les policiers crieront peut-être bientôt à ceux qu’ils s’apprêtent à arrêter : « Je lève les mains, je me rends ! » On en conviendra, cela pourrait prêter à certaines fâcheuses confusions.

Pour tous les adeptes d’une « résistance citoyenne » à l’infantilisation et aux innombrables « incivilités » de la RATP, une bonne nouvelle, tout de même : la charmante petite pointe de ces bulles de bande-dessinée permet de les décoller avec une facilité admirable. Car, en plus, ces gens-là sont bourrés de sens pratique.

Alain Bauer, l’homme qui sauva la France

Un jour Alain Bauer[1. Aucun lien de parenté avec le Jack Bauer de 24 heures.], conseiller spécial pour le terrorisme à l’Elysée et président de l’observatoire de la délinquance, a lu un livre. En conséquence de quoi, Julien Coupat un jeune philosophe qui veut changer la vie, est en prison depuis quatre mois, sans preuve.

Lire un livre, un vrai, cela n’a pas dû arriver souvent à ce tâcheron surdiplômé, Mozart du rapport insipide et surpayé mais authentique virtuose quand il s’agit de mettre en musique les paranoïas à la mode : terrorisme, délinquance, violences urbaines fin du monde, etc. Comme il les enveloppe avec des couvertures dont ne voudrait pas Gérard de Villiers, il attire l’attention de ceux qui aiment tout ce qui brille et qui fait peur, comme le président Sarkozy, car Bauer, franc-maçon venu de la gauche, ou disons de la droite extrême de la gauche est typiquement ce genre de spécialiste autoproclamé dont les concepts clinquants font rire les vrais experts et lui valent dans le milieu universitaire et criminologique une solide réputation de faiseur et de marchand de piano.

C’était à la fin de l’été 2007 et le livre s’appelait L’insurrection qui vient, signé par un mystérieux Comité Invisible. Alain Bauer avait dû lire trop de Tom Clancy sur la plage et se prendre pour Jack Ryan, cet analyste de la CIA qui depuis son bureau annihile à la force du cortex les pires menaces terroristes planant sur les USA : tout seul, avec ses deux ordis de rien du tout, il empêche Al Qaida de s’emparer de toute l’Asie, des suprématistes blancs de fomenter un poutche à Washington ou les Français d’y exporter du Roquefort.

Que fait Alain Bauer, une fois qu’il a terminé péniblement L’Insurrection qui vient ? On peut imaginer sa perplexité : le texte est magnifiquement écrit et Alain Bauer est plus habitué à la poésie involontaire des rapports technocratiques qu’aux éclairs rimbaldiens et post-situ de ce chef d’œuvre. Oui, imaginons Alain Bauer, enseignant des disciplines n’existant pas dans diverses écoles de police se trouver tout à coup confronté à des phrases comme « On a brûlé en enfants perdus les premiers bibelots d’une société qui ne mérite pas plus d’égards que les monuments de Paris à la fin de la Semaine Sanglante, et qui le sait. ». Il ne peut pas comprendre mais comme tous les Danubes de la pensée, il croit comprendre, ce qui est bien pire. Il va justifier la confiance mise en lui par le président qui lui a aussi demandé de conseiller MAM à propos de toute la toute nouvelle DCRI, fusion des RG et de la DST. Bauer n’hésite pas une seconde, casse sa tirelire et achète quarante exemplaires de L’Insurrection qu’il distribue illico à tous les patrons de la sécurité intérieure. Il accompagne tout ça, non pas d’une boite de chocolats, mais d’une note circonstanciée où il explique que nous sommes potentiellement exposés au risque d’une dérive politico-militaire similaire à celle d’Action Directe à la fin années 1970. Il faut faire preuve d’une certaine nullité idéologique pour croire à ces sornettes, mais Alain Bauer connaît le marché. Il sait, comme on dit au poker, qu’il ne va pas falloir tarder à amuser le tapis pour occuper l’opinion qui voit le tsunami économique lui arriver dessus, dans un ralenti terrifiant. Bauer attend un prétexte, il l’a avec quelques sabotages de TGV en novembre. C’est l’invention de la fameuse mouvance anarcho-autonome, et le fiasco de Tarnac, en novembre, où l’on assiste au risible et terrifiant spectacle d’unités antiterroristes surarmées investissant une épicerie corrézienne sur de très aléatoires présomptions.

Ayant rejoint Jack Ryan au panthéon des sauveurs de l’Etat, Bauer se fait plus discret au fur et à mesure que le fiasco judiciaire est un peu plus manifeste. Il n’entend pas pour autant renoncer à son golden parachute: une chaire de criminologie créée à son usage aux Arts et Métiers (CNAM). Evidemment, la plupart de ses éventuels collègues mettent leur veto, arguant, les naïfs, de l’incompétence de ce Père Joseph de mauvais conseil. Mais bon, cela n’a pas suffi. Le décret créant cette chaire et l’attribuant à l’espion qui venait du rocardisme tiède vient d’être signé par le président lui-même.

Julien Coupat, lui, est toujours en prison.

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Benoit XVI à l’index ?

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Rompant avec une longue tradition, l’édition 2010 du Salon du livre de Paris ne mettra pas à l’honneur un pays mais l’ensemble des écrivains, français et étrangers, hommes et femmes, morts ou vivants. Très inattendue, cette décision pourrait paraître saugrenue, voire démagogique, si elle ne cachait un mini psychodrame qui secoue depuis deux semaines le monde secret de l’édition : suite aux déclarations controversées du pape, on a finalement annulé le choix primitif arrêté pour le Salon 2010 , dont l’invité d’honneur devait être le Vatican. Cette idée proposée par la maison d’édition Bayard et soutenue par d’autres éditeurs réputés proches de l’Eglise, tels Le Cerf, Fleurus, Le Centurion ou les Presses de la Renaissance, a été dans un premier temps accueillie favorablement au sein du Syndicat National de L’Edition: un récent sondage Ipsos/La Croix montrait que les catholiques pratiquants achetaient en moyenne trois fois plus de livres que l’ensemble des Français (missels non compris). Hélas, les polémiques autour de l’évêque Williamson, puis du préservatif en Afrique ont violemment divisé les organisateurs du Salon qui ont finalement décidé de renoncer à l’invitation du Vatican. Certains éditeurs ont alors suggéré de choisir le Tibet comme nouvel hôte d’honneur, mais on murmure que ce choix aurait été vite abandonné suite à de discrètes mais apparemment efficaces pressions de l’Elysée. C’est bien dommage, on aurait pu enfin savoir ce que le Dalaï Lama pensait de la Princesse de Clèves…

Contes de faits

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A l’origine, le « storystelling » est un art vieux comme le monde, ou presque. L’art d’être grand-mère et de raconter à ses petits-enfants, pour les enchanter ou les endormir, de bonnes vieilles histoires qui commencent toujours par « Il était une fois… » – et finissent bien, en général.

Au XIXe siècle, on retrouve ce « Il était une fois » dans l’Ouest : nos amis les cowboys, assis en cercle autour du feu de camp, occupent leurs soirées à se raconter de bonnes vieilles histoires du Nouveau Monde. Exactement comme dans la pire chanson d’Yves Montand : « Dans les plaines du Far West quand vient la nuit / Les cowboys près du bivouac sont réunis… », coin-coin.

Une distraction conviviale qui, paraît-il, revient très fort de l’autre côté de l’Atlantique ces trente dernières années. Chaque automne à Jonesborough (Tennessee), le plus grand festival de « storytelling » réunit quelque dix mille inconditionnels du genre. Un week-end durant, ces braves gens viennent retrouver l’esprit de la Frontière en écoutant les exploits d’anciens cowboys réels ou supposés et les « souvenirs » dûment romancés d’alertes arrière-grand-mères.

Mais ce n’est pas exactement de ça que nous parle « Storytelling, la machine à raconter des histoires ». Ce documentaire, multidiffusé sur Canal Plus, recense de façon rigoureuse et plutôt percutante les usages modernes du « storytelling » dont nous sommes aujourd’hui, bon gré mal gré, le public.

Ces histoires-là sont parfois enjolivées, voire totalement inventées, mais jamais gratuites : elles servent à influencer l’opinion au service de tel intérêt politique, économique ou militaire…

De manière un tantinet pédantesque, Christian Salmon, sociologue, co-auteur du documentaire et « inventeur » du néo-storytelling, appelle ça le « Nouvel ordre narratif ». Désormais un peu partout le pouvoir se prend, se garde et se renforce principalement grâce à la diffusion massive de « récits » soigneusement calibrés pour nous convaincre, nous motiver, voire nous mobiliser.

Déjà, aux Etats-Unis, le « storytelling » salmonien est devenu un outil indispensable pour gagner une élection. Il faut revoir, à cet égard, les images ébouriffantes de George W. Bush en pleine campagne pour sa réelection. La scène se passe le 1er mai 2003 : un mois et demi après la chute de Bagdad, le Président atterrit à bord d’un avion de chasse sur le porte-avions USS Abraham-Lincoln, de retour d’Irak.

Déguisé en pilote de guerre, W. semble lui-même rentrer tout droit du front… En fait, plus prosaïquement, il débarque de la base de San Diego – située à quelques miles de là. Qu’à cela ne tienne ! Victorieux, rassurant, courageux, Bush Jr se fait ovationner par les bidasses massés sur le pont, sous une gigantesque banderole proclamant « Mission accomplished ! » Par chance, les caméras des principaux « networks » sont aussi présents, et à travers eux toute l’Amérique – qui, quelques mois plus tard, réélira le Président haut la main !

Mais Barack Obama n’est pas en reste. Cinq jours avant le scrutin de novembre dernier, le candidat démocrate se paye un publi-reportage d’une demi-heure, diffusé en simultané sur six grandes chaînes à l’heure de la plus grande écoute. Le message de cette autobiographie largement photoshoppée est simple : mon histoire, c’est celle de l’Amérique ; donc l’avenir de l’Amérique, c’est moi !

Cela dit, un bon « storytelling », ça ne s’improvise pas ! McCain en fera l’amère expérience en sortant imprudemment de sa manche, lors du dernier débat télévisé de la campagne, la trop belle histoire de « Joe le Plombier ». Ce brave homme n’a-t-il pas apostrophé, quelques jours auparavant, le candidat noir en col blanc, sur un thème toujours porteur : « Et nos impôts ? » C’est bon ça, coco ! En une heure de parole, Mc Cain va donc citer 26 fois « Joe le plombier », incarnation de l’Américain moyen écrasé par les taxes…

Problème : cette « story »-là est plutôt mal ficelée ! Il ne faudra que quelques heures aux médias, et surtout à Internet, pour la démonter. Non seulement Joe le Plombier s’appelle Sam, mais il n’est pas plombier et ne paie pas ses impôts… Du coup l’or se change en plomb, et Mc Cain a l’air d’un con. Dommage ! Avec un peu plus de rigueur, personne n’y aurait vu que du bleu…

Mais l’Amérique n’a pas l’exclusivité du « racontage d’histoires », vient nous rappeler l’incontournable Salmon. Chez nous aussi, Nicolas Sarkozy y a recouru, entre autres pour habiller son retournement de veste (!) sur l’Afghanistan. En 2006, le candidat Sarko confie à Arlette Chabot son hostilité au maintien des troupes françaises « dans cette partie du monde » (sic). L’année suivante, changement de ton : Sarkozy, désormais président, a décidé de renforcer le contingent français en Afghanistan. Et pour expliquer aux larges masses un tel revirement, quoi de mieux qu’un bon « storytelling », je vous le demande ?

En l’espace d’un an, le chef de l’Etat va donc raconter à trois reprises – avec des variantes – la même histoire : les talibans, ils amputent d’une main les femmes qui osent porter du vernis à ongles. Avant d’enchaîner, dans son inimitable syle d’auto-interview piqué à Ardisson : « Est-ce qu’on peut discuter avec des gens comme ça ? Honnêtement, je crois pas ! »

Hélas, dût notre orgueil national en souffrir, cette belle histoire n’est même pas « made in France ». Dès 2001, Mmes Bush puis Blair l’avaient racontée, pratiquement dans les mêmes termes, pour justifier la politique commune de leurs époux respectifs dans l’affaire afghane.

Pire encore ! La source de cette « story » désormais historique est plutôt fragile : quatre lignes au conditionnel dans un rapport d’Amnesty International. En 1996, « dans le quartier de Khayr Khana à Kaboul, des islamistes auraient sectionné l’extrémité du pouce d’une femme ».

Enfoncée, la dépêche d’Ems ! Désormais, une brève invérifiée d’ONG, convenablement martelée, peut suffire à déclencher une guerre. C’est dire s’il convient d’affûter notre esprit critique – ou notre « vigilance citoyenne », comme disent mes amis de gauche : de plus en plus, le « storytelling » se substitue à l’analyse des vrais enjeux, le virtuel l’emporte sur le réel et la fiction légitime la politique !

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire…

Le vent se lève…

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Aussi surprenant que cela puisse paraître, personne, absolument personne, n’a relevé dans la presse française le dernier dérapage de Jean-Marie Le Pen sur la question de l’antisémitisme. Interrogé par des journalistes à Bruxelles pour savoir ce qu’il pensait du dernier rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union, portant sur 19 pays européens et soulignant une nette remontée des actes antijuifs depuis le déclenchement des hostilités à Gaza, Jean-Marie Le Pen a répondu, sans l’ombre d’une hésitation : « Ça ne me surprend pas qu’il y ait une montée (de l’antisémitisme). En fait, c’est parfaitement compréhensible car Israël alimente des sentiments d’antisémitisme. » Quant au rapport de l’Agence, le président du FN a estimé qu’il s’agissait d’une « grossière diversion », destinée à faire oublier les crimes de guerre d’Israël à Gaza.

On s’étonnera donc que la presse française qui, il y a une semaine, avait amplement relayé la sortie de Le Pen au Parlement européen et le come-back du « détail » dans la rhétorique frontiste, soit restée muette devant cette justification de l’antisémitisme, dont les seuls coupables ne sauraient être que les Israéliens. Enfin on ne s’étonnera qu’à moitié. Parce qu’en vrai, ces mots, cette justification, cette absolution, ce n’est pas à Jean-Marie Le Pen qu’on les doit, mais à Ken Loach.

Oui oui, Ken Loach, le metteur en scène concerné de Bread and Roses, l’humaniste engagé de Le vent se lève, pour lequel il a obtenu la Palme d’or à Cannes en 2006. Ken Loach le chouchou des pages cinéma de Télérama, du Monde et des Inrocks. Et surtout Ken Loach, le courageux militant d’extrême gauche, le grand contempteur du Capital et du social-libéralisme, le soutien inconditionnel d’Olivier Besancenot à la dernière présidentielle.

A ce stade du récit, une précision s’impose et notamment à l’attention des tenants de l’équation gauchisme = antisionisme = antisémitisme. Je le répéterai autant de fois qu’il le faudra : par pitié, laissons l’amalgame forcené au Camp du Bien ! Je n’accuse pas tous les trotskystes, ni toute l’extrême gauche de complaisance pour l’antisémitisme, et encore moins d’antisémitisme. En Grande Bretagne, de nombreux groupes marxistes ont dénoncé les déclarations de Loach. En France, l’excellent site trotskyste de Gilles Suze (un bolchevik old school, opposant interne au NPA) a prouvé, durant toute la durée du conflit à Gaza qu’on pouvait et qu’on devait impérativement faire la part des choses entre la condamnation de l’intervention et les accusations de massacres ou de génocide, porteuses de dérives antisémites. Toujours chez nous, depuis des années, c’est le site d’extrême gauche – certains diront même d’ultra-gauche – d’Yves Coleman[1. On pourra notamment y lire un compte-rendu hallucinant de la visite de courtoisie faite au Hezbollah par l’antisioniste radical Norman Finkelstein, auteur du fameux ouvrage L’Industrie de l’Holocauste.] qui maintient avec le plus de pertinence et de virulence les saines traditions de cordon sanitaire issues de l’Affaire Dreyfus – et que nombre d’élus banlieusards de la gauche et de la droite respectables oublient volontiers en période électorale.

Mais bon, cela étant dit, on est bien obligé de constater que le discours ultra-limite de Ken Loach a été glissé en douce sous le tapis de Libé jusqu’à l’Obs. Situation délicieuse, ce sont de fieffés réacs tsahalophiles comme mes amis XP et Menahem Macina qui ont rétabli le droit du cinéaste engagé à faire connaître ses prises de positions sur le Proche Orient, le pauvre ayant été censuré, pour son bien, par ses propres groupies !

On attendra donc en vain qu’à chaque fois que nos amis de la presse qui pense reparleront d’un film de Ken Loach, ils prendront des pincettes, préciseront que leur engouement est strictement artistique et qu’il n’a rien à voir avec ses prises de positions politiques nauséabondes ; un traitement façon Brigitte Bardot qu’on peut aimer dans Le mépris sans être pour autant accusé d’être favorable à l’abattage rituel de tous les immigrés pour l’Aïd el Kebir. Plus sérieusement, on attendra qu’Olivier Besancenot se fende d’une petite mise au point. Daniel Bensaïd, qui sait écrire, devrait pouvoir lui faire ça sans trop de souci. On sait le trotskyste lambda pointilleux, voire chichiteux sur les principes, faudrait pas perdre les bonnes habitudes avec la création du NPA. Rappelons que lors d’une rencontre avec le metteur en scène diffusée le 2 janvier 2008 sur France Inter, Olivier Besancenot avait déclaré : « J’irais bien au pouvoir avec Ken Loach ! » Espérons que le cas échéant, il ne lui confiera pas le Quai d’Orsay, et encore moins la division du ministère de l’Intérieur chargée de la protection des lieux de culte.

Bref, je pense qu’Olivier Besancenot et avec lui la quasi-totalité de l’establishment ont tort de fermer les yeux sur ces transgressions de plus en plus transgressives. On est tellement gêné qu’on préfère regarder ailleurs. C’est tabou, un peu comme l’inceste avant que ça devienne à la mode. On fait comme si ça n’existait pas, et pourtant, ça existe : Le Pen n’a pas le monopole du dérapage, il y a des chics types aux normes ISO 2009 qui trouvent que la montée de l’antisémitisme est understandable et que la dénonciation des récentes attaques de synagogues était une « grossière diversion » (Red herring, hareng rouge, en VO). Alors que jusque-là, le seul discours admissible dans cette frange de l’opinion était que quels que soient les crimes imputés à l’Etat d’Israël, toute forme d’antisémitisme était injustifiable. Grâce à Ken Loach, face aux actes antisémites, on est passé du traditionnel Je condamne, mais… à l’innovant Je comprends, mais…, bref on a franchi un palier, et qui risque de ne pas être le dernier. Sincèrement, je ne dis pas que Loach est antisémite et n’encourage personne à le penser. En revanche, je crois qu’il encourage l’antisémitisme, tout en étant intimement persuadé de ne pas le faire. Je pense que cet homme, comme des flopées de citoyennistes est plombé par sa vision strictement binaire du réel, par sa division du monde en bad guys et good guys, qui est pourtant celle des thrillers bourrins américains qu’il déteste et que j’adore. Par absence d’imagination, inculture historique ou paresse idéologique, Ken Loach plaque ses schémas de Land and freedom (méchants franquistes/gentils républicains ou encore crapules staliniennes/angelots trotskystes) sur le conflit entre Tsahal et Hamas, je vous laisse deviner qui est qui…

Le pire dans tout ça, c’est donc que Ken Loach n’est pas vraiment un raciste, ni plus spécialement un antisémite. Il est victime de son ignorance, de ses préjugés, de son simplisme. Oui, c’est ça, c’est un simplet. Il n’est en définitive que le frère jumeau du petit blanc gogol de ses propres cauchemars, celui qui croit que tous les arabes dealent du crack dans les caves de HLM entre deux tournantes…

Mieux vaut Qatar que jamais

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Le 17 mars dernier, Robert Ménard, ex-boss de Reporters sans frontières, menaçait de démissionner de son poste de directeur du Centre de Doha pour la liberté de la Presse, une institution financée par l’épouse de l’émir du Qatar. Il a piqué une grosse colère en prenant conscience que les confortables émoluments qui lui sont versés par cette dame d’œuvre pétroleuse ne l’autorisent pas à diriger effectivement cette Gongo (Governemental non governemental organisation). Ainsi, la maison de repos pour journalistes persécutés qui devait être la vitrine de ce centre n’abrite, après un an de fonctionnement que deux pensionnaires, les autres n’ayant pas obtenu le visa d’entrée au Qatar.

Peut-on prêcher la vertu dans un bordel ?

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Rama Yade, la diva des sondages, ferait mieux de regarder Thalassa que se faire enfumer par Jean Daniel dans un débat sur un éventuel boycott de la Conférence de l’ONU sur le racisme, dite Durban 2, prévue pour la fin de ce mois d’avril à Genève. Elle aurait pu voir[1. Les enfants de M’bour, un reportage de Daniel Grandclémentn, diffusé le 27 février dernier dans le magazine Thalassa, qui n’en n’a rien à cirer du politiquement correct, pourvu qu’on ne pisse pas dans la mer.], comment, dans son pays d’origine, le Sénégal, on traite des enfants confiés à des écoles coraniques où on les contraint à ânonner le Coran à coup de chicotte le matin, et l’après-midi à faire la manche pour rapporter 500 francs CFA, le minimum qui leur évitera la raclée de l’imam.

On n’a pas, jusqu’à ce jour, entendu le Sénégalais Doudou Diène, porteur du titre ronflant de « rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance », clouer au pilori ces pratiques infâmes. Ce maître d’œuvre du discours onusien sur le racisme préfère stigmatiser l’idéologie laïque à la française, pétrie de colonialisme et de xénophobie, qui prive les jeunes musulmanes du droit de se soumettre à l’obligation du port du hijab dans les enceintes scolaires. Poussée dans ses retranchements par un Jean Daniel plus sentencieux que jamais, la secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme a fini par concéder, lors d’un débat à Rennes, qu’elle était favorable à ce que la France participe à la Conférence Durban 2 pour, dit-elle « combattre au nom de nos valeurs ». Ben voyons ! Comme si notre brillante ministre ne savait pas que dans ce genre de raout, tout est vissé d’avance, les communiqués, résolutions et autres textes déclamatoires étant négociés à la virgule près et adoptés avant même que les excellences ne mettent les pieds dans la salle des conférences.

Dans sa dernière version qui doit beaucoup à la patte du représentant russe à Genève, le texte de Durban 2 est le résultat d’un compromis qui peut se résumer au marchandage suivant : les dictatures du tiers-monde arrêtent de diaboliser Israël comme ce fut le cas en 2001 à Durban, et les démocraties occidentales ne viennent pas leur chercher la petite bête sur le sort réservé dans ces pays, aux femmes, aux homosexuels et aux minorités ethniques et religieuses. Mais même édulcoré et nettoyé de ses formulations les plus provocatrices, le texte[2. 2.On lira une critique détaillée de ce « nouveau » texte dans une tribune de Malka Markovich publiée par Libération.] préparé par le secrétariat de la Conférence, présidé par la Libye et vice-présidé par le Pakistan et Cuba – plus respectueux des droits de l’homme tu meurs ! – n’a pas convaincu la Canada, Israël, l’Allemagne et l’Italie de participer à cette conférence. Les Etats-Unis d’Obama ont brièvement tenté un retour dans les réunions préparatoires au début février. Dix jours plus tard, ils pliaient bagages en constatant que les concessions des organisateurs étaient de pure forme, et qu’il était dangereux, en conséquence, de se laisser piéger dans ce traquenard genevois.

Mais le duo Rama Yade-Jean Daniel est sans doute plus à même que les gnomes de Washington de faire se comporter comme des gens civilisés les grands démocrates antiracistes qui gouvernent la Libye, Cuba, l’Iran ou le Venezuela. Vous savez, Mesdames et Messieurs, le racisme et la discrimination, c’est pas bien, mais en raison de cette merveilleuse alliance des civilisations qui nous rassemble dans ces lieux chargés d’histoire, on ne va pas en faire un fromage : il suffit d’une petite signature, là en bas à droite, mais qui n’engage à rien ou à pas grand chose. C’est non ?… Bon c’est dommage, mais on ne va pas se fâcher pour si peu. À plus, au prochain sommet de l’Union pour la Méditerranée sans doute…

Voilà à peu près l’effet que l’on peut attendre de l’attitude « combative » revendiquée par Rama Yade, puisque, par avance, on a déjà lâché sur les questions intéressant les féministes et associations de défense des homosexuels ainsi que sur « l’incitation à la haine des religions », nouvelle formule remplaçant la condamnation, par la Conférence, de la diffamation des religions qui visait clairement les caricatures de Mahomet.

Les partisans de la participation à la Conférence établissent un parallèle entre cette dernière et la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) des années 1970, qui avait été le cadre du dialogue entre les démocraties occidentales et le bloc communiste. Son texte majeur, l’Acte final d’Helsinki de 1975, comprenait un engagement de toutes les parties à respecter, à l’intérieur de leurs frontières, des principes compatibles avec les droits de l’homme fondamentaux. Leonid Brejnev signa sans broncher, mais rien ne changea vraiment en URSS et dans les pays satellites, sinon que les maigres bataillons des dissidents purent s’appuyer sur un texte signé par leurs dirigeants pour faire valoir leurs droits, la plupart du temps sans succès. Contrairement à ce que veulent nous faire croire ces diplomates qui prennent un plaisir intense à souper régulièrement avec le diable, ce n’est pas la CSCE et l’Acte final d’Helsinki qui ont mis à bas le communisme, mais le combat sans concession que Ronald Reagan a réussi à imposer contre « l’Empire du Mal » par le grand bluff de la « guerre des étoiles ». Mais même à Helsinki, les adversaires des démocraties n’étaient pas les maîtres de l’ordre du jour. C’était du donnant-donnant: nous acceptons de libéraliser les échanges commerciaux avec l’Est, si vous acceptez la corbeille « droits de l’homme » dans le deal final.

Certains espéraient que la substitution d’un Conseil des droits de l’homme à la Commission des droits de l’homme de l’ONU allait mettre un terme aux dérives de cette dernière, qui était devenue le forum où les dictatures obscurantistes mettaient systématiquement les démocraties en accusation, et un tribunal destiné à condamner Israël tandis que des tyrans sanguinaires se donnaient mutuellement l’absolution.

Il n’en est rien, et le système onusien continue de produire, en ce domaine, de la rhétorique déclamatoire et des rapports biaisés confiés à des « rapporteurs spéciaux » dont l’impartialité est aussi incontestable que celle de Richard Falk, probablement chargé des territoire palestiniens parce qu’il avait qualifié Gaza de « nouvel Auschwitz », ou celle de l’ineffable Jean Ziegler, l’obligé de Mouammar Kadhafi et de Fidel Castro. Son dernier opus, La haine de l’Occident, est une justification à peine voilée du terrorisme islamiste au nom des abominations que les pays « riches » ont commis et commettent encore dans le Tiers-monde.

On peut toujours aller prêcher la vertu dans un bordel, mais on ne doit pas s’étonner d’en revenir avec la vérole.

Pour une répression préventive

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Quand j’étais au lycée, le directeur me convoqua un jour dans son bureau pour une bêtise que je n’avais pas faite. À ses questions sur la farce qui était plutôt comique mais que j’ai oubliée (désolé), je répondis que ce n’était pas moi et rajoutai : « Mais ça aurait pu l’être. » Quelques semaines plus tard, sans faits et sans preuves, j’étais viré. Motif : attitude négative. Dans sa grande sagesse, le responsable de l’établissement s’était débarrassé d’un insolent qui défiait l’autorité depuis un peu trop longtemps. Etait-ce juste ou pas ? Je l’ignore, mais à sa place aujourd’hui, je n’agirais pas autrement.

Dans un film dont j’ai oublié le titre, Sami Naceri est cerné par la police. Au lieu de mettre les mains en l’air comme on le lui ordonne, il fait le mariole, insulte, provoque et fait mine de dégainer en pointant sa main vide de toute arme sur une femme flic qui, se sentant menacée, le descend. Quand elle comprend que le braillard était désarmé, elle est bouleversée et gagnée par ce sentiment étrange et répandu surtout chez les innocents, la culpabilité. Franchement, je ne vois pas ce qu’il y a de bouleversant à flinguer Sami Naceri que je préfère voir torturé dans un roman de Dantec[1. Maurice G. Dantec, Artefact, Albin Michel, 2007, « Le monde de ce Prince ».] plutôt que pérorant à la télévision quand il devrait être en prison.

Mais oublions l’acteur et revenons au personnage du film. Est-il juste qu’il meure ? Je n’ai pas la réponse mais la leçon à tirer de cette histoire est que dans le doute, la police se défend. Si le message passe, le délinquant ne sera pas mort pour rien.

De même, que Saddam Hussein ait ou non détenu des armes de destruction massive n’a que peu d’importance. Qu’il l’ait fait croire au monde en baladant les inspecteurs de l’Onu pendant dix ans aura suffi à lui attirer les foudres de cet Occident qui ne craint pas ses ennemis. Attitude négative. Personne n’est à l’abri d’une guerre préventive. À bon entendeur, salut. Est-ce juste ? Le gendarme du monde marche parfois sur la justice mais je gage que l’avenir, à commencer par celui de l’Irak, donnera raison au regretté président Bush, n’en déplaise à ceux dont la pensée politique semble inspirée par les Guignols de l’Info.

Est-il juste que Julien Coupat soit en prison et Ivan Colonna condamné ? Que leurs sympathisants posent la question me paraît légitime, que les intéressés le fassent à l’ombre me semble indispensable.

Si vous écrivez des âneries sur la nécessité d’attaquer la société technologique en sabotant des trains, évitez de traîner près des rails les nuits de sabotage car vous pourriez attendre quelques mois derrière les barreaux que l’on établisse votre innocence ou votre culpabilité.

Si vous appartenez à un groupe d’où partent des coups de feu qui blessent des policiers, il se pourrait qu’on vous renvoie la balle et que vous en mouriez. Même si vous n’avez pas tiré vous même, même si vous n’avez pas d’armes. Est-ce juste ? Non, je vous l’accorde, mais je doute qu’à part chez les islamo-gauchistes on vous pleure très longtemps.

Si vous jouez le bandit corse avec tout le folklore, meurtre, embrouille, mensonge, aveux, désaveux, maquis et omerta, si, quand on vous aura gaulé comme une noix, vous prenez la justice de haut, vous courrez le risque d’être condamné sans preuves matérielles parce que l’intime conviction d’un jury suffit. Vous pourrez hurler au complot et en appeler à l’Europe mais depuis les geôles de la justice « coloniale ».

Avant de faire régner la justice, l’Etat se défend. À travers vous, l’Etat dissuade et je m’en réjouis. Tant pis pour ceux qui font semblant de tirer sur les flics, pour les dictateurs qui bluffent, les apprentis-révolutionnaires et les bergers bas du front. C’est une loi qu’on devrait enseigner aux écervelés comme l’eau qui mouille ou le feu qui brûle. L’Etat se défend et tant mieux parce que l’Etat c’est moi. Légitime défense. Quand on attaque la police ou qu’on bousille le chemin de fer, quand on menace ma civilisation ou qu’on assassine un Préfet, c’est moi qu’on vise parce que l’Etat, c’est moi.

Alors s’il arrive qu’en mon nom, on prenne quelques libertés avec la loi, les droits de la défense ou les droits de l’homme, je pense à Dirty Harry et je souris. Comme Mme Erignac depuis le verdict, je souris. Et quand une condamnation rend leur sourire aux veuves et aux orphelins, j’ai confiance dans la justice de mon pays. Vous trouvez ça injuste ?

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Il est frais, mon Causeur

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numero10

Le numéro de Causeur du mois d’avril vient de paraître ! N’abandonnez pas aux poissonniers le monopole de s’en servir pour emballer le poisson. Abonnez-vous : vous y trouverez, réunis sous le titre de « Satan is back », des textes d’Elisabeth Lévy, Luc Rosenzweig, Marc Cohen, François Miclo, Bruno Maillé, Gil Mihaely, Jérôme Leroy, Basile de Koch, ainsi qu’un entretien exclusif avec Daniel Cohen. Retrouvez Causeur dans vos meilleures poissonneries (ou à défaut sur abonnement).

Le gouvernement Netanyahou : une coalition antinucléaire

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L’Iran d’abord : contrairement à ce que pensent la plupart des commentateurs, telle est la logique du nouveau gouvernement israélien présenté hier. Le casting de Netanyahou reflète et sans doute plus autant ses priorités stratégiques que ses calculs politiques. C’est dans cette perspective que se comprend le maintien d’Ehud Barak à la Défense ainsi que les choix du ministre des Affaires stratégiques et du ministre chargé des services de renseignements et de l’équivalent israélien du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Pour ces deux portefeuilles, Netanyahou a nommé le général Moshe Yaalon (que tout le monde appelle Boguy), ancien chef d’état-major, et Dan Meridor, ancien ministre de la Justice et vétéran du comité parlementaire chargé de la supervision des services de renseignements et des affaires stratégiques. En clair, c’est un cabinet de crise qui va devoir traiter ce dossier brûlant, lequel, selon l’analyse israélienne, est entré dans une phase critique.

Le calendrier a été défini le 25 mars par le général Yadlin, chef du renseignement militaire. Convoqué par la commission de sécurité et des affaires étrangères de la Knesset, cet ancien pilote de chasse qui a participé au raid sur le réacteur irakien Osirak en juin 1981 a déclaré que l’Iran avait dépassé le seuil technologique et que désormais, s’il décidait de se doter d’une arme nucléaire, il y parviendrait en quelques mois, au plus une année. Opérée par un lanceur de fabrication nationale, la mise en orbite d’un satellite par les Iraniens montre que la République islamique possède aussi des missiles capables de porter une tête nucléaire.
Netanyahou va donc observer de près ce que font les Américains qui donnent désormais la priorité aux tractations politiques pour parvenir à un accord avec l’Iran. Mais pendant que Barack Obama négocie, rien n’empêche Ehud Barak (ni la CIA d’ailleurs) de continuer la guerre secrète contre Téhéran et de prévoir, en coordination avec les Américains et les Européens, d’autres options plus violentes et moins discrètes. Au cas où. Autrement dit, l’option militaire est étudiée très sérieusement à Tel Aviv.

En faisant du dossier iranien – problème réel et urgent – la clé de voûte de sa stratégie, Netanyahou se montre très habile. Sur le plan national, cela lui permet d’intégrer les travaillistes dans sa coalition, ce qui a au moins trois avantages : présenter au public ce « gouvernement d’union nationale » qu’il apprécie tant, maquiller le socle de sa majorité qui repose à la fois sur la droite religieuse et sur la droite nationaliste et enfin, porter un coup supplémentaire au parti de Barak, déjà déplumé après les élections de février dernier. Très divisés – cinq députés travaillistes n’ont pas voté la confiance au gouvernement – et en chute libre dans les sondages, la plus vielle formation politique israélienne qui a promis-juré il y a un mois de se refaire une santé sur les bancs de l’opposition, aura du mal à retrouver son électorat aux prochaines échéances nationales.

L’espace politique que Barak vient d’abandonner n’a pas resté vide longtemps – Tzipi Livni, chef de Kadima, le plus grand parti de la Knesset, a montré par son discours musclé qu’elle a bien l’intention de se positionner comme le deuxième parti de gouvernement et donc comme une alternative.

Sur la scène internationale, l’argument iranien de Netanyahou est écouté. À Washington, Paris, Berlin et à Londres, on sait que l’Iran constitue une menace. Mais dans ces mêmes chancelleries, on craint aussi que Netanyahou n’utilise l’Iran comme prétexte pour traîner des pieds avec les Palestiniens et les Syriens. Cette méfiance n’est pas totalement infondée. Encore que quelles que soient les intentions réelles de Netanyahu, la situation au Proche-Orient est bel et bien bloquée, tout le monde attendant l’issue des négociations entre Obama et le gouvernement iranien pour savoir d’où vient le vent. Or, pour les Iraniens, leur influence sur le Hamas, le Hezbollah et la Syrie est une carte majeure dans le nouveau « grand jeu » qui s’annonce. Ils ont donc intérêt à tout verrouiller pour l’instant.

En conséquence, d’ici au moins six mois, il sera impossible d’avancer avec les Palestiniens et avec les Syriens. Netanyahou n’a donc aucune raison d’aller tout de suite au conflit avec ses alliés de droite qui le soutiennent sur le dossier iranien. Si, un règlement général devait être négocié avec l’Iran – ce qui me paraît hautement souhaitable mais un peu moins probable – la situation serait différente. Netanyahou devrait alors faire des choix politiques et idéologiques difficiles. On ne voit pas pourquoi l’Iran lâcherait à la fois la bombe, le Hezbollah et le Hamas, aiderait les Américains en Irak et en Afghanistan sans obtenir en contrepartie la reconnaissance de son statut de puissance régionale – perspective qui n’enthousiasme pas en Israël. Dans le cadre d’un tel arrangement global Israël aurait toute sa place mais il lui faudrait en échange renoncer à occuper celle des autres. Autrement dit, une fois l’hypothèque iranienne levée, les questions de la Cisjordanie et du Golan seront discutées sérieusement et Netanyahou devra choisir entre sa coalition et l’allié principal d’Israël. Par les temps qui courent, la première est plus facile à remplacer que le second.

Je suis con, la RATP parle dans ma tête

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Depuis un mois ou deux, la RATP a lancé une éprouvante « campagne pédagogique pour aider à la régularité du trafic ». Les vitres des métros et des RER se sont ainsi recouvertes d’une lèpre pimpante d’ »info-bulles », de chiures multicolores, d’étiquettes adhésives en forme de bulles de bande-dessinée, sur lesquelles les prétendus « usagers » peuvent lire ces slogans qui font désormais partie de leur désespoir quotidien : « Préparer ma sortie facilite ma descente », « Les portes s’ouvrent, je laisse descendre », « Retenir les portes, c’est retenir le métro », « Au signal sonore, je m’éloigne des portes » ou encore « Une seconde perdue en station = du retard sur toute la ligne ». De manière à peu près contemporaine, des saloperies pédagogiques ont également envahi les bus de la ville qui a été un jour Paris.

Ces campagnes d’infantilisation publique généralisée n’ont pour l’heure suscité la création d’aucun collectif « Adultes en colère » ou « Ztop l’infantil ». La discrimination permanente contre les adultes laisse également absolument indifférente notre bonne vieille Halde. Seuls le talentueux Matthieu Jung dans Libération et Caroline Constant dans L’Humanité ont épinglé avec humour ces « stickers » maléfiques, ces outrageants bubons.

Mais la violence radicale de cette campagne réside avant tout dans sa dégoûtante manière d’employer le pronom « je » à ma place. Non contente de broyer régulièrement ses « usagers » physiquement, la RATP désire à présent les broyer aussi logiquement, symboliquement. Les faire entrer en fusion avec ses décourageantes chansonnettes citoyennes. Personnellement, je suis contre l’abolition de la frontière entre la RATP et moi. Je ne l’autorise pas à me tutoyer, moins encore à me jejoyer.

Tout ça me donne envie de coller quelques « stickers » sur le crâne des communicants délirants de la RATP : « Je ne dis pas je à la place des autres », « Mes lapalissades, je me les fous au cul », « Je ne parle pas aux adultes comme à des enfants », « J’arrête d’être cool, sympa et fun ». Si on continue comme ça, les policiers crieront peut-être bientôt à ceux qu’ils s’apprêtent à arrêter : « Je lève les mains, je me rends ! » On en conviendra, cela pourrait prêter à certaines fâcheuses confusions.

Pour tous les adeptes d’une « résistance citoyenne » à l’infantilisation et aux innombrables « incivilités » de la RATP, une bonne nouvelle, tout de même : la charmante petite pointe de ces bulles de bande-dessinée permet de les décoller avec une facilité admirable. Car, en plus, ces gens-là sont bourrés de sens pratique.

Alain Bauer, l’homme qui sauva la France

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Un jour Alain Bauer[1. Aucun lien de parenté avec le Jack Bauer de 24 heures.], conseiller spécial pour le terrorisme à l’Elysée et président de l’observatoire de la délinquance, a lu un livre. En conséquence de quoi, Julien Coupat un jeune philosophe qui veut changer la vie, est en prison depuis quatre mois, sans preuve.

Lire un livre, un vrai, cela n’a pas dû arriver souvent à ce tâcheron surdiplômé, Mozart du rapport insipide et surpayé mais authentique virtuose quand il s’agit de mettre en musique les paranoïas à la mode : terrorisme, délinquance, violences urbaines fin du monde, etc. Comme il les enveloppe avec des couvertures dont ne voudrait pas Gérard de Villiers, il attire l’attention de ceux qui aiment tout ce qui brille et qui fait peur, comme le président Sarkozy, car Bauer, franc-maçon venu de la gauche, ou disons de la droite extrême de la gauche est typiquement ce genre de spécialiste autoproclamé dont les concepts clinquants font rire les vrais experts et lui valent dans le milieu universitaire et criminologique une solide réputation de faiseur et de marchand de piano.

C’était à la fin de l’été 2007 et le livre s’appelait L’insurrection qui vient, signé par un mystérieux Comité Invisible. Alain Bauer avait dû lire trop de Tom Clancy sur la plage et se prendre pour Jack Ryan, cet analyste de la CIA qui depuis son bureau annihile à la force du cortex les pires menaces terroristes planant sur les USA : tout seul, avec ses deux ordis de rien du tout, il empêche Al Qaida de s’emparer de toute l’Asie, des suprématistes blancs de fomenter un poutche à Washington ou les Français d’y exporter du Roquefort.

Que fait Alain Bauer, une fois qu’il a terminé péniblement L’Insurrection qui vient ? On peut imaginer sa perplexité : le texte est magnifiquement écrit et Alain Bauer est plus habitué à la poésie involontaire des rapports technocratiques qu’aux éclairs rimbaldiens et post-situ de ce chef d’œuvre. Oui, imaginons Alain Bauer, enseignant des disciplines n’existant pas dans diverses écoles de police se trouver tout à coup confronté à des phrases comme « On a brûlé en enfants perdus les premiers bibelots d’une société qui ne mérite pas plus d’égards que les monuments de Paris à la fin de la Semaine Sanglante, et qui le sait. ». Il ne peut pas comprendre mais comme tous les Danubes de la pensée, il croit comprendre, ce qui est bien pire. Il va justifier la confiance mise en lui par le président qui lui a aussi demandé de conseiller MAM à propos de toute la toute nouvelle DCRI, fusion des RG et de la DST. Bauer n’hésite pas une seconde, casse sa tirelire et achète quarante exemplaires de L’Insurrection qu’il distribue illico à tous les patrons de la sécurité intérieure. Il accompagne tout ça, non pas d’une boite de chocolats, mais d’une note circonstanciée où il explique que nous sommes potentiellement exposés au risque d’une dérive politico-militaire similaire à celle d’Action Directe à la fin années 1970. Il faut faire preuve d’une certaine nullité idéologique pour croire à ces sornettes, mais Alain Bauer connaît le marché. Il sait, comme on dit au poker, qu’il ne va pas falloir tarder à amuser le tapis pour occuper l’opinion qui voit le tsunami économique lui arriver dessus, dans un ralenti terrifiant. Bauer attend un prétexte, il l’a avec quelques sabotages de TGV en novembre. C’est l’invention de la fameuse mouvance anarcho-autonome, et le fiasco de Tarnac, en novembre, où l’on assiste au risible et terrifiant spectacle d’unités antiterroristes surarmées investissant une épicerie corrézienne sur de très aléatoires présomptions.

Ayant rejoint Jack Ryan au panthéon des sauveurs de l’Etat, Bauer se fait plus discret au fur et à mesure que le fiasco judiciaire est un peu plus manifeste. Il n’entend pas pour autant renoncer à son golden parachute: une chaire de criminologie créée à son usage aux Arts et Métiers (CNAM). Evidemment, la plupart de ses éventuels collègues mettent leur veto, arguant, les naïfs, de l’incompétence de ce Père Joseph de mauvais conseil. Mais bon, cela n’a pas suffi. Le décret créant cette chaire et l’attribuant à l’espion qui venait du rocardisme tiède vient d’être signé par le président lui-même.

Julien Coupat, lui, est toujours en prison.

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Benoit XVI à l’index ?

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Rompant avec une longue tradition, l’édition 2010 du Salon du livre de Paris ne mettra pas à l’honneur un pays mais l’ensemble des écrivains, français et étrangers, hommes et femmes, morts ou vivants. Très inattendue, cette décision pourrait paraître saugrenue, voire démagogique, si elle ne cachait un mini psychodrame qui secoue depuis deux semaines le monde secret de l’édition : suite aux déclarations controversées du pape, on a finalement annulé le choix primitif arrêté pour le Salon 2010 , dont l’invité d’honneur devait être le Vatican. Cette idée proposée par la maison d’édition Bayard et soutenue par d’autres éditeurs réputés proches de l’Eglise, tels Le Cerf, Fleurus, Le Centurion ou les Presses de la Renaissance, a été dans un premier temps accueillie favorablement au sein du Syndicat National de L’Edition: un récent sondage Ipsos/La Croix montrait que les catholiques pratiquants achetaient en moyenne trois fois plus de livres que l’ensemble des Français (missels non compris). Hélas, les polémiques autour de l’évêque Williamson, puis du préservatif en Afrique ont violemment divisé les organisateurs du Salon qui ont finalement décidé de renoncer à l’invitation du Vatican. Certains éditeurs ont alors suggéré de choisir le Tibet comme nouvel hôte d’honneur, mais on murmure que ce choix aurait été vite abandonné suite à de discrètes mais apparemment efficaces pressions de l’Elysée. C’est bien dommage, on aurait pu enfin savoir ce que le Dalaï Lama pensait de la Princesse de Clèves…

Contes de faits

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A l’origine, le « storystelling » est un art vieux comme le monde, ou presque. L’art d’être grand-mère et de raconter à ses petits-enfants, pour les enchanter ou les endormir, de bonnes vieilles histoires qui commencent toujours par « Il était une fois… » – et finissent bien, en général.

Au XIXe siècle, on retrouve ce « Il était une fois » dans l’Ouest : nos amis les cowboys, assis en cercle autour du feu de camp, occupent leurs soirées à se raconter de bonnes vieilles histoires du Nouveau Monde. Exactement comme dans la pire chanson d’Yves Montand : « Dans les plaines du Far West quand vient la nuit / Les cowboys près du bivouac sont réunis… », coin-coin.

Une distraction conviviale qui, paraît-il, revient très fort de l’autre côté de l’Atlantique ces trente dernières années. Chaque automne à Jonesborough (Tennessee), le plus grand festival de « storytelling » réunit quelque dix mille inconditionnels du genre. Un week-end durant, ces braves gens viennent retrouver l’esprit de la Frontière en écoutant les exploits d’anciens cowboys réels ou supposés et les « souvenirs » dûment romancés d’alertes arrière-grand-mères.

Mais ce n’est pas exactement de ça que nous parle « Storytelling, la machine à raconter des histoires ». Ce documentaire, multidiffusé sur Canal Plus, recense de façon rigoureuse et plutôt percutante les usages modernes du « storytelling » dont nous sommes aujourd’hui, bon gré mal gré, le public.

Ces histoires-là sont parfois enjolivées, voire totalement inventées, mais jamais gratuites : elles servent à influencer l’opinion au service de tel intérêt politique, économique ou militaire…

De manière un tantinet pédantesque, Christian Salmon, sociologue, co-auteur du documentaire et « inventeur » du néo-storytelling, appelle ça le « Nouvel ordre narratif ». Désormais un peu partout le pouvoir se prend, se garde et se renforce principalement grâce à la diffusion massive de « récits » soigneusement calibrés pour nous convaincre, nous motiver, voire nous mobiliser.

Déjà, aux Etats-Unis, le « storytelling » salmonien est devenu un outil indispensable pour gagner une élection. Il faut revoir, à cet égard, les images ébouriffantes de George W. Bush en pleine campagne pour sa réelection. La scène se passe le 1er mai 2003 : un mois et demi après la chute de Bagdad, le Président atterrit à bord d’un avion de chasse sur le porte-avions USS Abraham-Lincoln, de retour d’Irak.

Déguisé en pilote de guerre, W. semble lui-même rentrer tout droit du front… En fait, plus prosaïquement, il débarque de la base de San Diego – située à quelques miles de là. Qu’à cela ne tienne ! Victorieux, rassurant, courageux, Bush Jr se fait ovationner par les bidasses massés sur le pont, sous une gigantesque banderole proclamant « Mission accomplished ! » Par chance, les caméras des principaux « networks » sont aussi présents, et à travers eux toute l’Amérique – qui, quelques mois plus tard, réélira le Président haut la main !

Mais Barack Obama n’est pas en reste. Cinq jours avant le scrutin de novembre dernier, le candidat démocrate se paye un publi-reportage d’une demi-heure, diffusé en simultané sur six grandes chaînes à l’heure de la plus grande écoute. Le message de cette autobiographie largement photoshoppée est simple : mon histoire, c’est celle de l’Amérique ; donc l’avenir de l’Amérique, c’est moi !

Cela dit, un bon « storytelling », ça ne s’improvise pas ! McCain en fera l’amère expérience en sortant imprudemment de sa manche, lors du dernier débat télévisé de la campagne, la trop belle histoire de « Joe le Plombier ». Ce brave homme n’a-t-il pas apostrophé, quelques jours auparavant, le candidat noir en col blanc, sur un thème toujours porteur : « Et nos impôts ? » C’est bon ça, coco ! En une heure de parole, Mc Cain va donc citer 26 fois « Joe le plombier », incarnation de l’Américain moyen écrasé par les taxes…

Problème : cette « story »-là est plutôt mal ficelée ! Il ne faudra que quelques heures aux médias, et surtout à Internet, pour la démonter. Non seulement Joe le Plombier s’appelle Sam, mais il n’est pas plombier et ne paie pas ses impôts… Du coup l’or se change en plomb, et Mc Cain a l’air d’un con. Dommage ! Avec un peu plus de rigueur, personne n’y aurait vu que du bleu…

Mais l’Amérique n’a pas l’exclusivité du « racontage d’histoires », vient nous rappeler l’incontournable Salmon. Chez nous aussi, Nicolas Sarkozy y a recouru, entre autres pour habiller son retournement de veste (!) sur l’Afghanistan. En 2006, le candidat Sarko confie à Arlette Chabot son hostilité au maintien des troupes françaises « dans cette partie du monde » (sic). L’année suivante, changement de ton : Sarkozy, désormais président, a décidé de renforcer le contingent français en Afghanistan. Et pour expliquer aux larges masses un tel revirement, quoi de mieux qu’un bon « storytelling », je vous le demande ?

En l’espace d’un an, le chef de l’Etat va donc raconter à trois reprises – avec des variantes – la même histoire : les talibans, ils amputent d’une main les femmes qui osent porter du vernis à ongles. Avant d’enchaîner, dans son inimitable syle d’auto-interview piqué à Ardisson : « Est-ce qu’on peut discuter avec des gens comme ça ? Honnêtement, je crois pas ! »

Hélas, dût notre orgueil national en souffrir, cette belle histoire n’est même pas « made in France ». Dès 2001, Mmes Bush puis Blair l’avaient racontée, pratiquement dans les mêmes termes, pour justifier la politique commune de leurs époux respectifs dans l’affaire afghane.

Pire encore ! La source de cette « story » désormais historique est plutôt fragile : quatre lignes au conditionnel dans un rapport d’Amnesty International. En 1996, « dans le quartier de Khayr Khana à Kaboul, des islamistes auraient sectionné l’extrémité du pouce d’une femme ».

Enfoncée, la dépêche d’Ems ! Désormais, une brève invérifiée d’ONG, convenablement martelée, peut suffire à déclencher une guerre. C’est dire s’il convient d’affûter notre esprit critique – ou notre « vigilance citoyenne », comme disent mes amis de gauche : de plus en plus, le « storytelling » se substitue à l’analyse des vrais enjeux, le virtuel l’emporte sur le réel et la fiction légitime la politique !

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire…