Au cours de la messe qu’il célébrait il y a quinze jours à Castelgandolfo, le pape Benoît XVI a condamné avec la plus grande fermeté le racisme et les accidents automobiles. Quand on sait les insultes que profèrent les Romains au volant, on comprend les raisons de l’indignation pontificale. Dimanche prochain, le Saint Père devrait, selon toute vraisemblance, condamner la faim dans le monde et les infections nosocomiales.
Que faire de la Russie du camarade Poutine ?
Ainsi, pour la première fois depuis la chute du communisme, la Russie a envoyé ses chars contre un pays souverain dont le malheur est d’être, comme la Pologne, plus proche d’elle que de Dieu. Que la maladresse impulsive de Michael Saakashvili l’ait fait trébucher plus vite que de raison dans le piège tendu de longue main par Moscou ne change rien au constat brutal que partagent tous les commentateurs : Russia is back, en effet. Plutôt que de nous en indigner, ou en même temps, essayons de comprendre ce que cela signifie.
Pour Moscou, cela signifie que la parenthèse ouverte par l’implosion de l’empire soviétique est close. Les tenants de la realpolitik s’imaginent naïvement que, dans les relations entre les peuples, seuls les intérêts comptent, et que lesdits intérêts sont rationnellement définis. Ils oublient au passage que les intérêts des États passent par le prisme des passions des hommes qui les dirigent. L’intérêt bien compris de la Russie de Poutine, c’est la puissance, la restauration de la puissance ensevelie sous les décombres du mur de Berlin. Or, ce noble dessein passe, à l’intérieur, par la mise au pas de la société russe, à l’extérieur, par la pacification, au sens romain, de son « étranger proche ». Dans cette optique, dès lors qu’il prétendait échapper à cette logique, Saakachvili, fût-il la réincarnation de Metternich, n’avait aucune chance.
Pour l’Occident, la signification de ce retour de la Russie sur la scène du monde est une triple menace. Energétique d’abord, puisque la finlandisation de la Géorgie est censée mettre l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), et, avec lui le pétrole et le gaz de la Caspienne, sous la coupe russe. Régional ensuite, puisque le sort des Géorgiens a évidemment valeur d’avertissement pour les autres anciens de son glacis. Mondial enfin, puisque Moscou a non seulement tracé à leurs frais les limites de sa sphère directe d’influence, où elle entend agir sans concurrents, mais encore a signifié à son adversaire américain qu’il la trouvera sur son chemin partout où ses intérêts sont en jeu, notamment au Proche et au Moyen-Orient. Quelque peu masqué par la crise du Caucase, un axe Moscou-Téhéran-Bagdad-Damas se met discrètement en place. Si ce n’est pas la Guerre froide, cela en a tout de même les apparences. Sauf une : il n’y a plus de rivalité idéologique entre les blocs. On se console comme on peut.
Or, face au danger, l’Occident montre tous les signes de sa débilité coutumière. Saignés par cinq ans de guerre en Irak, impuissants à imposer la paix au Proche-Orient, impopulaires comme jamais et empêtrés dans une interminable campagne électorale, les États-Unis sont condamnés aux gesticulations symboliques. L’Europe est divisée comme à son habitude. La « nouvelle » tremble de peur et pousse à la fermeté, la « vieille » a peur de trembler de froid et freine des quatre fers. Il faut dire que plus du tiers du gaz allemand, le quart du gaz italien et 20 % du gaz français proviennent de la Russie, et que la demande va croissant.
Que faire ? D’abord, réfléchir, ensuite, arrêter une politique cohérente et s’y tenir. Le « retour » de la Russie était inévitable. Ce n’est pas lui qui fait problème, mais la nature paranoïaque du régime russe actuel. Aussi bien, il importe de ne pas exciter cette affection en l’alimentant par des actes dont l’urgence n’a rien d’évident. Ainsi, s’il n’y a aucune raison d’interdire à jamais la porte de l’OTAN aux États successeurs de l’empire soviétique, il n’est pas nécessaire de se dépêcher. En passant soit dit, l’Alliance aurait eu bonne mine si, ayant accepté la Géorgie en son sein, elle avait prouvé à la face du monde son incapacité à respecter sa propre charte en restant les bras croisés face à l’agression russe. Mais, dit-on à Tbilissi et à Varsovie, c’est précisément parce que la candidature de la Géorgie a été différée lors du sommet de Bucarest que les Russes, qui ne comprennent que les rapports de force, ont osé. Je ne suis pas convaincu. Ils y seraient allés de toute façon. C’est bien plutôt parce que personne n’avait l’intention de mourir pour Tbilissi que la candidature géorgienne a été différée.
Cela dit, ce n’est pas parce qu’il ne faut pas provoquer inutilement le paranoïaque qu’il faut lui passer toutes ses lubies et invoquer ad nauseam une « humiliation » bien réelle, certes, mais qu’il s’est infligée à lui-même après l’avoir fait trop longtemps subir aux peuples soumis à son empire. Dans le rapport de force qui l’oppose à l’Occident, et à condition que celui-ci se ressaisisse, la Russie n’a pas que des avantages. Il faut savoir qu’avant l’envolée des prix des hydrocarbures l’immense Russie disposait d’un PIB inférieur à celui des minuscules Pays-Bas. Corrompu, écartelé entre le premier et le tiers-monde, dépourvu de classe moyenne digne de ce nom et régnant sur des peuples qui se regardent en chiens de faïence, la Russie est un colosse aux pieds d’argile, qui n’exporte pour l’essentiel que du combustible fossile et des armes. Or, l’Occident n’a pas besoin de ses armes, et les Russes ne sauraient inhaler leur gaz ni boire leur pétrole. Déjà, les milieux économiques russes s’inquiètent de l’image agressive de leur pays, les investisseurs se font rares et la Bourse a fortement chuté. La force militaire seule ne fait pas la puissance d’un pays, l’or noir non plus.
Il faut donc établir des règles de jeu claires, comme au temps de la Guerre froide. Et d’abord, dans l’urgence, celle-ci : la prétention de la Russie à se tailler une zone-tampon en Géorgie est inadmissible. L’Occident ne fera certes pas la guerre pour la contraindre à s’en aller ; mais elle doit payer de son entêtement de sa place au G8, où elle n’est de toute manière entrée que par effraction.
God save the Queer
A Londres, le MI5 a décidé de revoir de fond en comble sa politique de ressources humaines : l’agence britannique de lutte antiterroriste a décidé de recruter des gays. Elle vient même de nouer un partenariat avec une association représentative de la communauté homosexuelle britannique. Le motif officiel ? Rompre avec l’image passéiste du MI5 et être plus ouvert aux minorités. On ne nous la fait pas : on sait bien que le MI5 entend mieux pénétrer les réseaux dormants.
Raccourci express
Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’Express, titre son édito vidéo du 19 août dernier : « Mourir pour Kaboul ». Une référence à l’article « Mourir pour Dantzig » que Marcel Déat signait en mai 1939 dans L’œuvre ? Si c’était le cas, l’histoire de Déat nous apprend que, du pacifisme à la collaboration, il n’y a qu’un pas : encore un effort et l’éditorialiste pourra signer ses éditos Klaus Barbier.
Qui veut faire taire Ingrid Betancourt ?
Pourquoi est-on depuis la mi-juillet sans aucune nouvelle d’Ingrid Betancourt ?
A priori, c’est tout bêtement parce qu’elle prend un repos bien mérité aux Seychelles – et puisqu’il n’y a rien à dire, les médias ne disent rien. Première nouvelle. Cette version raisonnable et romancée des faits devrait satisfaire les rédacteurs en chef et les amateurs de conte de fées.
Le problème, c’est qu’il se passe un tas de choses, depuis qu’ici et là-bas, on a éteint les lampions de la libération.
Il y a tout d’abord les misères conjugales de Juan Carlos Lecompte, dernier époux officiel en titre de l’ex-otage des FARC. Des déboires abondamment commentés dans la presse hispanophone, qui a largement repris l’interview sans équivoque donnée par Juan Carlos à El Tiempo de Bogota, où il constate, amer, que « l’amour que me portait Ingrid s’est sans doute évanoui dans la jungle… » Une détresse évoquée uniquement en France par Le Monde dans son édition du 1er août avec, rassurez-vous, toute la pudeur qui sied à ce douloureux événement : « Resté seul à Bogota, le mari d’Ingrid Betancourt l’attend encore. La captivité est une indicible tragédie, pour les otages comme pour leurs familles. » On imagine que les autres médias français ont souhaité faire preuve d’encore plus de ce tact qu’on leur connaît.
On s’étonnera néanmoins que d’autres développements de l’affaire, moins strictement intimes, soient restés sans écho ici. Car si dans les rédactions parisiennes, on lit assez peu la presse colombienne, on reçoit néanmoins CNN. Et on peut imaginer que compte tenu de l’exposition relativement importante d’Ingrid Betancourt juste après sa libération, il sera trouvé quelques journalistes pour regarder son interview par Larry King et en rendre compte au public français.
Comme tel ne fut pas le cas, nous allons vous raconter l’épisode que vous avez manqué : Ingrid s’est aussi brouillée avec sa meilleure amie, Clara Rojas, qui fut sa directrice de campagne et sa compagne d’infortune en captivité. Voici pourquoi.
Clara a eu une liaison avec un de leurs ravisseurs, dont est né un petit garçon, baptisé Emmanuel. Or selon certaines rumeurs dont on ignore l’origine, Emmanuel a failli ne jamais voir le jour, ou presque : aussitôt après l’accouchement, sa maman aurait essayé de le noyer dans une rivière. Le nouveau-né n’aurait survécu que grâce à l’intervention miraculeuse d’Ingrid qui avait empêché in extremis l’infanticide.
Pressée par Larry King de démentir cette probable calomnie, Ingrid s’en est bien gardée se contentant d’un commentaire aussi sibyllin qu’assassin : « Il faut laisser dans la jungle bien des choses arrivées dans la jungle. » C’est beau, l’amitié.
Du coup, Clara, dont on ne garantira pas non plus l’absolu sang-froid, a entrepris de contre attaquer. De façon soft, pour commencer : Ingrid ne pouvait rien savoir de « sa vie privée » puisque « j’étais dans la zone non-fumeur du camp, et Ingrid se trouvait du côté des fumeurs. Dès les premiers moments de ma grossesse nous ne nous voyions plus beaucoup. A peine nous disions-nous bonjour lorsque nous nous croisions… » Mais il se murmure que la dite Clara, non contente, donc, d’accuser son ancienne patronne d’avoir violé la Loi Evin, envisagerait un livre de révélations.
On s’en doute, cette polémique fait les gros titres en Amérique Latine. Ce qui fort heureusement ne risque pas d’arriver ici. Et n’allez surtout pas croire que c’est parce qu’il serait interdit par un prétendu Parti des médias de remettre en doute la sainteté d’Ingrid Betancourt. Mais il se trouve que notre presse a bâti son honneur autour d’une loi d’airain : en France, on n’évoque pas la vie privée des personnes publiques. C’est tout à son honneur.
Des souris et des neurones
Retenez bien ce nom : Pierre Vanderhaegen. Il est chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire en biologie humaine et moléculaire de l’Université libre de Bruxelles. A la tête d’une équipe de chercheurs européens, il est parvenu à transformer des cellules souches de souris en cortex cérébral. Va y avoir de la demande. N’en déplaise aux chiennes de garde.
BBC, le tiercé en désordre de la French ecology
C’est tout nouveau, ça vient de sortir : un trio de vieux briscards du gauchisme hexagonal vient de lancer une OPA sur la mouvance verte, celle de l’écologie politique française. Il s’agit de Daniel Cohn-Bendit, co-président du groupe Vert du parlement européen, José Bové, faucheur de maïs OGM, accessoirement leader de Via Campesina, et Jean-Paul Besset, porte-parole de la fondation Nicolas Hulot.
Leur objectif : fédérer les partis, associations et mouvements se réclamant de la défense de l’environnement dans l’espoir de « cartonner » lors des élections au Parlement européen du printemps 2009.
La débandade des écolos et altermondialistes lors de l’élection présidentielle de 2007 (Voynet 1,57 %, Bové 1,32 %), la pagaille perpétuelle régnant chez les Verts français et les déchirements internes du PS ont donné une idée à nos trois lascars : en lançant un coup de pied dans la fourmilière écologique, leur alliance devrait leur permettre de ramasser une mise électorale inespérée. De surcroît, elle devrait freiner la progression dans l’opinion d’Olivier Besancenot et de la LCR rebaptisée NPA (Nouveau parti anticapitaliste).
Nos pieds nickelés de la planète verte – hommage soit rendu aux héros de Forton jamais en retard d’une arnaque – ne sont pas des perdreaux de l’année dans le domaine de la manœuvre politico-médiatique. Formés dans les boutiques patentées du gauchisme français, anarchiste, trotskiste ou tiers-mondiste, Cohn-Bendit, Besset et Bové ont en commun une seule chose : il est urgent pour eux (surtout, il est vrai, pour les deux derniers) d’atteindre des positions de pouvoir avant que l’âge ne les renvoie à la plantation de leurs choux biologiques. Pour le reste, leurs convictions affichées et leurs itinéraires politiques ne présagent pas d’une harmonie céleste dans l’hypothèse où ils accéderaient ensemble à des responsabilités gouvernementales.
Commençons par le plus connu, et, il faut le reconnaître, le plus sympathique. Dany Cohn-Bendit n’en finit pas de recueillir les bénéfices politiques et médiatiques de son vedettariat de mai 1968. Dany-le-rouge est devenu Dany-le-grisonnant, mais il n’a rien perdu de son sens de la répartie, de son art des « coups » politiques et de sa capacité à dire tout et le contraire de tout avec un aplomb qui désarçonne ses contradicteurs. On a rarement entendu notre Dany se lancer dans des exposés motivés et savants sur le devenir de la planète où la théorie de la décroissance économique: s’il est Vert, envoyé au parlement européen par les électeurs allemands, c’est parce que l’écologie a été la voie royale d’intégration des anciens gauchistes d’outre-Rhin à l’establishment politique. Mais dans leur grande sagesse, ces mêmes électeurs ont préféré confier la clé verte du gouvernement de Berlin à Joschka Fischer, dont la solidité germanique rassurait, plutôt qu’à ce farfadet franco-allemand jugé par trop léger et virevoltant.
Depuis maintenant quarante ans, Dany Cohn-Bendit fait de la politique prétendument nouvelle avec les méthodes des rad-socs de la IIIe République. Un opportunisme sans rivages le conduit tantôt à cajoler François Bayrou, tantôt à pactiser avec les altermondialistes radicaux, en fonction de la météo électorale. Ses banquets républicains à lui sont les multiples talk-shows télévisés auxquels il participe à travers l’Europe avec un plaisir non dissimulé. Il est Vert, certes, mais d’un vert si pâle qu’il ne jure ni avec le bleu, ni avec le rose… Le calcul de Dany, dans cette nouvelle alliance dont il se fait le héraut, est simple : si je veux finir ministre, comme mon pote Kouchner, il faut que je passe par la case « France ». En effet, les perspectives d’un retour au pouvoir d’une coalition rouge-vert à Berlin sont nulles à court et moyen terme. Le parti social-démocrate est en pleine déconfiture, et les Verts sont concurrencés, à gauche par die Linke d’Oskar Lafontaine.
En revanche, il n’est pas interdit de rêver, en France, d’une victoire de la gauche à la présidentielle de 2012, et, dans cette hypothèse, il importe de positionner dès 2009 les Verts et associés comme partenaires de gouvernement incontournables. Des écolos avec un score à deux chiffres aux européennes seraient un tremplin idéal pour les ambitions françaises du Francfortois. La transmission de pouvoir, au quai d’Orsay entre Bernard Kouchner et Dany Cohn-Bendit, en juin 2012, est une image que les deux compères évoquent régulièrement dans leurs conversations intimes…
Jeux interdits
Les Jeux Olympiques finis, nous intéresserons-nous enfin à la Chine ? Pour être omniprésent sur nos écrans, les podiums et dans nos supermarchés, le pays le plus peuplé du monde n’en demeure pas moins un mystère. Y compris en librairie : Les habits du Président Mao de Simon Leys ne sont plus tout neufs, et plus personne, de Pierre Loti, ne lit Les derniers Jours de Pékin. Qui, du reste, s’appelle désormais Beijing.
Bref, à force de ressasser que la Chine changeait – sans toutefois vraiment changer, tempéraient les sinologues… – nous n’avons pas pris la mesure de ce qui s’y est réellement passé depuis vingt ans. Depuis la révolte de Tiananmen, en fait. Souvenez-vous : il y avait là de jeunes contestataires qui allumaient des bougies, dansaient sur Simon & Garfunkel et s’embrassaient fort peu chinoisement entre deux grèves de la faim. Une fois leur statue de la Liberté en plâtre élevée, le pouvoir les dispersa dans un bain de sang, le 4 juin 1989. Et nous en sommes restés là, à cette image d’Epinal – celle du petit bonhomme avec son sac à commissions, tentant d’immobiliser le premier d’une longue colonne de blindés.
Depuis ? Eh bien, depuis, répondront les experts, la Chine a récupéré Hong Kong, quadruplé son PNB, mis la main sur une partie de l’Afrique, fait monter le cours de toutes les matières premières, etc., etc. Mais pour décrire ces deux décennies de bouleversements, pour les raconter autrement qu’avec des chiffres si vertigineux qu’ils ne nous parlent guère, il fallait un roman – et un roman hors norme : Beijing Coma. Copieux, intime, nerveux, c’est un roman « à la russe » par sa longueur et l’imbrication des destins de personnages aux noms imprononçables ; il tient aussi du pavé américain pour sa crudité, ses détails, et sa construction en flash-back.
Le roman, justement, commence à Tiananmen, où le héros est plongé dans le coma par la balle d’un policier. Le récit suivra sa lente émergence, les bribes de sa mémoire retrouvée seront confrontées à des scènes d’une vie qui continue, frénétiquement, dans un pays à l’indestructible vitalité. Entre l’époque où « il fallait baisser les yeux quand on croisait un étranger » et les préparatifs des Jeux, où il s’agira désormais de leur en mettre plein la vue, Beijing Coma raconte la résurrection d’une nation traumatisée par les dizaines de millions de morts du maoïsme, un pays soudain pris d’une frénésie d’enrichissement et d’un chauvinisme inouï. Sexe, prolétaires errants, passion du jeu, trouille du flic et culte du fric, chambardements dans les familles : voici les entrailles, fumantes et vivantes, de la Chine nouvelle. Et, bien sûr, pas plus pour la Chine que pour le héros comateux, l’histoire ne s’en tiendra là : « Ceci n’est pas un bref éclair de vie avant la mort. Ceci est un nouveau commencement. » Bien d’autres surprises nous viendront d’Orient… Nous l’avons peut-être longtemps ignoré mais, en vingt ans, dans tous les domaines, et sur tous les tons, la Chine aura beaucoup tremblé. A nous de nous réveiller.
Helvètes underground
La Tribune de Genève nous apprend que l’acteur George Clooney présidera un dîner de soutien en faveur de Barack Obama, le 2 septembre prochain, à Genève. Si quelqu’un pouvait se dévouer pour informer le staff de campagne d’Obama que les Suisses ne voteront pas à cette élection, fussent-ils Confédérés…
Géorgie : l’erreur de l’Occident
L’Europe est toute nue face aux Russes en Géorgie et les éditeurs de Causeur s’en étonnent et je m’étonne de leur étonnement. L’Europe politique, diplomatique, militaire est un ectoplasme, un zombie. Vous avez entendu parler d’une souveraineté européenne ? Et privée de souveraineté, que voulez-vous qu’elle fasse, la pauvre ? A part M. Trichet, je ne repère personne en Europe qui soit habilité à parler avec M. Poutine et, vu qu’il est raide comme un lacet, le patron de la BCE ne penserait qu’à tendre la sébile devant les lingots de pétrole poutiniens. Medvedev a marchandé le cessez-le-feu avec Sarkozy de France, pas avec Sarkozy d’Europe et c’est la France qui s’est fait bananer, pas l’Allemagne. On a, à Bruxelles, un machin commercial, monétaire, philosophique, qui ne fonctionne pas trop mal à la satisfaction presque générale, on n’a pas à se plaindre, pourvu que ça dure. Mais il ne faut pas envoyer à la guerre un représentant de commerce. Si sympa soit-il, il ne sera pas pris au sérieux. Medvedev a reçu Sarko et, comme on dit chez moi, il lui a passé la datte sans beurre et sans même que Sarko s’en aperçoive. Fallait s’y attendre, le petit Saakashvili, il s’est tout encoléré. On lui a fait le coup de Prague et Sarko dit aux Russes : c’est pas grave, mais n’y allez pas trop fort quand même.
Ce qui s’est passé en Géorgie, c’est terrible d’abord pour la Russie. Le bon peuple moscovite, il bichait comme au football en regardant les images d’Ossétie. Les Géorgiens, déjà on ne peut pas les voir. A Saint-Pete, les houligans tabassent dans la rue les Caucasiens (quels qu’ils soient on les appelle les Noirs) rien que pour le fun. Ils filment leurs exploits et se les partagent sur le net. Quand Poutine a flanqué une raclée à l’une des contrées caucasiennes, c’était tout comme un lynchage ordinaire ou une médaille d’or à Pékin, ça s’arrose. Sur le front intérieur, la guerre a fait un tabac et donné à l’Etat-KGB encore plus de couleurs qu’il n’en avait.
Mais tous les autres, tous ceux qui grouillent derrière le regretté rideau de fer, des Tchèques aux Kirghizes, depuis le 8 août, ils balisent à mort, ils l’ont à zéro. Pensez. Depuis vingt ans, pépères ils étaient, l’Armée Rouge avait rendu l’âme, plus d’expéditions de Budapest, de Berlin ou de Prague. Et voilà que le cauchemar revient. L’avez-vous remarqué : aucun gouvernement n’a applaudi, pas même poliment, aux exploits russes en Géorgie. Pas une voix. La Russie, seule au monde. Il est vrai que, dès le 10 août, Raul Castro a apporté le soutien de Cuba à l’action militaire russe, mais il a fallu attendre une semaine pour que le caniche biélorusse se fende d’un communiqué de sympathie pincé. Suivi de notre ami Bachar el Assad. Lequel, en échange de ses félicitations, espère recevoir des missiles anti-fusées supposés lui assurer un triomphe contre Israël. C’est tout. Pas même les Kazakhs ni les Turkmènes, clients fidèles de Poutine, n’ont bronché. La Russie est seule au monde et fait peur à la terre entière.
Tous se foutent de la Géorgie mais se disent : et si c’était pour moi la prochaine tannée. Chacun n’a plus qu’une idée : trouver un protecteur. Avec une maestria de virtuose, Poutine a réussi en un clin d’œil à infiltrer dans le cerveau de tous ses voisins le besoin impératif d’une OTAN anti-russe. Que ni l’Amérique, ni personne n’a d’ailleurs les moyens de mettre en place. Vous brûlez de mourir pour la Kirghizie ou le Tadjikistan vous ? Pas moi.
Avant la guerre de Géorgie, je me disais, avec bien d’autres, que l’adhésion à l’OTAN de la Pologne était bien superflue et ne servait qu’à braquer Moscou. Je ne le pense plus du tout. Les chimpanzés du Kremlin m’ont démontré qu’ils sont capables de toutes les conneries. Je suis persuadé maintenant que la prochaine victime sera l’Ukraine, en Crimée et d’abord à Sébastopol. En Tchétchénie, j’estimais que la Russie jouait son existence. Même si elle y est allée avec de gros sabots, en raison de la nullité de son armée, elle avait quelques bonnes raisons de liquider les djihadistes. La Géorgie, c’est une toute autre histoire. Le FSB nous dit : les frontières, je m’en cogne. Le premier qui me contrarie, je lui envoie deux mille chars. Alors, forcément, si même à Paris, j’ai les chocottes, les Ukrainiens, vous imaginez.
A part la datte à Sarko et le sourire des moujiks, qu’est-ce qu’elle y a gagné la Russie ? Nada, des nèfles. Elle s’est mise tous ses voisins à dos, point. Parmi ses frontaliers, elle en compte deux qui pèsent des tonnes : la Chine et les USA. Et, dans l’état d’anémie où elle traîne, elle a tout à craindre de bisbilles avec eux. Je m’explique.
Le mobile du pape
Au cours de la messe qu’il célébrait il y a quinze jours à Castelgandolfo, le pape Benoît XVI a condamné avec la plus grande fermeté le racisme et les accidents automobiles. Quand on sait les insultes que profèrent les Romains au volant, on comprend les raisons de l’indignation pontificale. Dimanche prochain, le Saint Père devrait, selon toute vraisemblance, condamner la faim dans le monde et les infections nosocomiales.
Que faire de la Russie du camarade Poutine ?
Ainsi, pour la première fois depuis la chute du communisme, la Russie a envoyé ses chars contre un pays souverain dont le malheur est d’être, comme la Pologne, plus proche d’elle que de Dieu. Que la maladresse impulsive de Michael Saakashvili l’ait fait trébucher plus vite que de raison dans le piège tendu de longue main par Moscou ne change rien au constat brutal que partagent tous les commentateurs : Russia is back, en effet. Plutôt que de nous en indigner, ou en même temps, essayons de comprendre ce que cela signifie.
Pour Moscou, cela signifie que la parenthèse ouverte par l’implosion de l’empire soviétique est close. Les tenants de la realpolitik s’imaginent naïvement que, dans les relations entre les peuples, seuls les intérêts comptent, et que lesdits intérêts sont rationnellement définis. Ils oublient au passage que les intérêts des États passent par le prisme des passions des hommes qui les dirigent. L’intérêt bien compris de la Russie de Poutine, c’est la puissance, la restauration de la puissance ensevelie sous les décombres du mur de Berlin. Or, ce noble dessein passe, à l’intérieur, par la mise au pas de la société russe, à l’extérieur, par la pacification, au sens romain, de son « étranger proche ». Dans cette optique, dès lors qu’il prétendait échapper à cette logique, Saakachvili, fût-il la réincarnation de Metternich, n’avait aucune chance.
Pour l’Occident, la signification de ce retour de la Russie sur la scène du monde est une triple menace. Energétique d’abord, puisque la finlandisation de la Géorgie est censée mettre l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), et, avec lui le pétrole et le gaz de la Caspienne, sous la coupe russe. Régional ensuite, puisque le sort des Géorgiens a évidemment valeur d’avertissement pour les autres anciens de son glacis. Mondial enfin, puisque Moscou a non seulement tracé à leurs frais les limites de sa sphère directe d’influence, où elle entend agir sans concurrents, mais encore a signifié à son adversaire américain qu’il la trouvera sur son chemin partout où ses intérêts sont en jeu, notamment au Proche et au Moyen-Orient. Quelque peu masqué par la crise du Caucase, un axe Moscou-Téhéran-Bagdad-Damas se met discrètement en place. Si ce n’est pas la Guerre froide, cela en a tout de même les apparences. Sauf une : il n’y a plus de rivalité idéologique entre les blocs. On se console comme on peut.
Or, face au danger, l’Occident montre tous les signes de sa débilité coutumière. Saignés par cinq ans de guerre en Irak, impuissants à imposer la paix au Proche-Orient, impopulaires comme jamais et empêtrés dans une interminable campagne électorale, les États-Unis sont condamnés aux gesticulations symboliques. L’Europe est divisée comme à son habitude. La « nouvelle » tremble de peur et pousse à la fermeté, la « vieille » a peur de trembler de froid et freine des quatre fers. Il faut dire que plus du tiers du gaz allemand, le quart du gaz italien et 20 % du gaz français proviennent de la Russie, et que la demande va croissant.
Que faire ? D’abord, réfléchir, ensuite, arrêter une politique cohérente et s’y tenir. Le « retour » de la Russie était inévitable. Ce n’est pas lui qui fait problème, mais la nature paranoïaque du régime russe actuel. Aussi bien, il importe de ne pas exciter cette affection en l’alimentant par des actes dont l’urgence n’a rien d’évident. Ainsi, s’il n’y a aucune raison d’interdire à jamais la porte de l’OTAN aux États successeurs de l’empire soviétique, il n’est pas nécessaire de se dépêcher. En passant soit dit, l’Alliance aurait eu bonne mine si, ayant accepté la Géorgie en son sein, elle avait prouvé à la face du monde son incapacité à respecter sa propre charte en restant les bras croisés face à l’agression russe. Mais, dit-on à Tbilissi et à Varsovie, c’est précisément parce que la candidature de la Géorgie a été différée lors du sommet de Bucarest que les Russes, qui ne comprennent que les rapports de force, ont osé. Je ne suis pas convaincu. Ils y seraient allés de toute façon. C’est bien plutôt parce que personne n’avait l’intention de mourir pour Tbilissi que la candidature géorgienne a été différée.
Cela dit, ce n’est pas parce qu’il ne faut pas provoquer inutilement le paranoïaque qu’il faut lui passer toutes ses lubies et invoquer ad nauseam une « humiliation » bien réelle, certes, mais qu’il s’est infligée à lui-même après l’avoir fait trop longtemps subir aux peuples soumis à son empire. Dans le rapport de force qui l’oppose à l’Occident, et à condition que celui-ci se ressaisisse, la Russie n’a pas que des avantages. Il faut savoir qu’avant l’envolée des prix des hydrocarbures l’immense Russie disposait d’un PIB inférieur à celui des minuscules Pays-Bas. Corrompu, écartelé entre le premier et le tiers-monde, dépourvu de classe moyenne digne de ce nom et régnant sur des peuples qui se regardent en chiens de faïence, la Russie est un colosse aux pieds d’argile, qui n’exporte pour l’essentiel que du combustible fossile et des armes. Or, l’Occident n’a pas besoin de ses armes, et les Russes ne sauraient inhaler leur gaz ni boire leur pétrole. Déjà, les milieux économiques russes s’inquiètent de l’image agressive de leur pays, les investisseurs se font rares et la Bourse a fortement chuté. La force militaire seule ne fait pas la puissance d’un pays, l’or noir non plus.
Il faut donc établir des règles de jeu claires, comme au temps de la Guerre froide. Et d’abord, dans l’urgence, celle-ci : la prétention de la Russie à se tailler une zone-tampon en Géorgie est inadmissible. L’Occident ne fera certes pas la guerre pour la contraindre à s’en aller ; mais elle doit payer de son entêtement de sa place au G8, où elle n’est de toute manière entrée que par effraction.
God save the Queer
A Londres, le MI5 a décidé de revoir de fond en comble sa politique de ressources humaines : l’agence britannique de lutte antiterroriste a décidé de recruter des gays. Elle vient même de nouer un partenariat avec une association représentative de la communauté homosexuelle britannique. Le motif officiel ? Rompre avec l’image passéiste du MI5 et être plus ouvert aux minorités. On ne nous la fait pas : on sait bien que le MI5 entend mieux pénétrer les réseaux dormants.
Raccourci express
Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’Express, titre son édito vidéo du 19 août dernier : « Mourir pour Kaboul ». Une référence à l’article « Mourir pour Dantzig » que Marcel Déat signait en mai 1939 dans L’œuvre ? Si c’était le cas, l’histoire de Déat nous apprend que, du pacifisme à la collaboration, il n’y a qu’un pas : encore un effort et l’éditorialiste pourra signer ses éditos Klaus Barbier.
Qui veut faire taire Ingrid Betancourt ?
Pourquoi est-on depuis la mi-juillet sans aucune nouvelle d’Ingrid Betancourt ?
A priori, c’est tout bêtement parce qu’elle prend un repos bien mérité aux Seychelles – et puisqu’il n’y a rien à dire, les médias ne disent rien. Première nouvelle. Cette version raisonnable et romancée des faits devrait satisfaire les rédacteurs en chef et les amateurs de conte de fées.
Le problème, c’est qu’il se passe un tas de choses, depuis qu’ici et là-bas, on a éteint les lampions de la libération.
Il y a tout d’abord les misères conjugales de Juan Carlos Lecompte, dernier époux officiel en titre de l’ex-otage des FARC. Des déboires abondamment commentés dans la presse hispanophone, qui a largement repris l’interview sans équivoque donnée par Juan Carlos à El Tiempo de Bogota, où il constate, amer, que « l’amour que me portait Ingrid s’est sans doute évanoui dans la jungle… » Une détresse évoquée uniquement en France par Le Monde dans son édition du 1er août avec, rassurez-vous, toute la pudeur qui sied à ce douloureux événement : « Resté seul à Bogota, le mari d’Ingrid Betancourt l’attend encore. La captivité est une indicible tragédie, pour les otages comme pour leurs familles. » On imagine que les autres médias français ont souhaité faire preuve d’encore plus de ce tact qu’on leur connaît.
On s’étonnera néanmoins que d’autres développements de l’affaire, moins strictement intimes, soient restés sans écho ici. Car si dans les rédactions parisiennes, on lit assez peu la presse colombienne, on reçoit néanmoins CNN. Et on peut imaginer que compte tenu de l’exposition relativement importante d’Ingrid Betancourt juste après sa libération, il sera trouvé quelques journalistes pour regarder son interview par Larry King et en rendre compte au public français.
Comme tel ne fut pas le cas, nous allons vous raconter l’épisode que vous avez manqué : Ingrid s’est aussi brouillée avec sa meilleure amie, Clara Rojas, qui fut sa directrice de campagne et sa compagne d’infortune en captivité. Voici pourquoi.
Clara a eu une liaison avec un de leurs ravisseurs, dont est né un petit garçon, baptisé Emmanuel. Or selon certaines rumeurs dont on ignore l’origine, Emmanuel a failli ne jamais voir le jour, ou presque : aussitôt après l’accouchement, sa maman aurait essayé de le noyer dans une rivière. Le nouveau-né n’aurait survécu que grâce à l’intervention miraculeuse d’Ingrid qui avait empêché in extremis l’infanticide.
Pressée par Larry King de démentir cette probable calomnie, Ingrid s’en est bien gardée se contentant d’un commentaire aussi sibyllin qu’assassin : « Il faut laisser dans la jungle bien des choses arrivées dans la jungle. » C’est beau, l’amitié.
Du coup, Clara, dont on ne garantira pas non plus l’absolu sang-froid, a entrepris de contre attaquer. De façon soft, pour commencer : Ingrid ne pouvait rien savoir de « sa vie privée » puisque « j’étais dans la zone non-fumeur du camp, et Ingrid se trouvait du côté des fumeurs. Dès les premiers moments de ma grossesse nous ne nous voyions plus beaucoup. A peine nous disions-nous bonjour lorsque nous nous croisions… » Mais il se murmure que la dite Clara, non contente, donc, d’accuser son ancienne patronne d’avoir violé la Loi Evin, envisagerait un livre de révélations.
On s’en doute, cette polémique fait les gros titres en Amérique Latine. Ce qui fort heureusement ne risque pas d’arriver ici. Et n’allez surtout pas croire que c’est parce qu’il serait interdit par un prétendu Parti des médias de remettre en doute la sainteté d’Ingrid Betancourt. Mais il se trouve que notre presse a bâti son honneur autour d’une loi d’airain : en France, on n’évoque pas la vie privée des personnes publiques. C’est tout à son honneur.
Des souris et des neurones
Retenez bien ce nom : Pierre Vanderhaegen. Il est chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire en biologie humaine et moléculaire de l’Université libre de Bruxelles. A la tête d’une équipe de chercheurs européens, il est parvenu à transformer des cellules souches de souris en cortex cérébral. Va y avoir de la demande. N’en déplaise aux chiennes de garde.
BBC, le tiercé en désordre de la French ecology
C’est tout nouveau, ça vient de sortir : un trio de vieux briscards du gauchisme hexagonal vient de lancer une OPA sur la mouvance verte, celle de l’écologie politique française. Il s’agit de Daniel Cohn-Bendit, co-président du groupe Vert du parlement européen, José Bové, faucheur de maïs OGM, accessoirement leader de Via Campesina, et Jean-Paul Besset, porte-parole de la fondation Nicolas Hulot.
Leur objectif : fédérer les partis, associations et mouvements se réclamant de la défense de l’environnement dans l’espoir de « cartonner » lors des élections au Parlement européen du printemps 2009.
La débandade des écolos et altermondialistes lors de l’élection présidentielle de 2007 (Voynet 1,57 %, Bové 1,32 %), la pagaille perpétuelle régnant chez les Verts français et les déchirements internes du PS ont donné une idée à nos trois lascars : en lançant un coup de pied dans la fourmilière écologique, leur alliance devrait leur permettre de ramasser une mise électorale inespérée. De surcroît, elle devrait freiner la progression dans l’opinion d’Olivier Besancenot et de la LCR rebaptisée NPA (Nouveau parti anticapitaliste).
Nos pieds nickelés de la planète verte – hommage soit rendu aux héros de Forton jamais en retard d’une arnaque – ne sont pas des perdreaux de l’année dans le domaine de la manœuvre politico-médiatique. Formés dans les boutiques patentées du gauchisme français, anarchiste, trotskiste ou tiers-mondiste, Cohn-Bendit, Besset et Bové ont en commun une seule chose : il est urgent pour eux (surtout, il est vrai, pour les deux derniers) d’atteindre des positions de pouvoir avant que l’âge ne les renvoie à la plantation de leurs choux biologiques. Pour le reste, leurs convictions affichées et leurs itinéraires politiques ne présagent pas d’une harmonie céleste dans l’hypothèse où ils accéderaient ensemble à des responsabilités gouvernementales.
Commençons par le plus connu, et, il faut le reconnaître, le plus sympathique. Dany Cohn-Bendit n’en finit pas de recueillir les bénéfices politiques et médiatiques de son vedettariat de mai 1968. Dany-le-rouge est devenu Dany-le-grisonnant, mais il n’a rien perdu de son sens de la répartie, de son art des « coups » politiques et de sa capacité à dire tout et le contraire de tout avec un aplomb qui désarçonne ses contradicteurs. On a rarement entendu notre Dany se lancer dans des exposés motivés et savants sur le devenir de la planète où la théorie de la décroissance économique: s’il est Vert, envoyé au parlement européen par les électeurs allemands, c’est parce que l’écologie a été la voie royale d’intégration des anciens gauchistes d’outre-Rhin à l’establishment politique. Mais dans leur grande sagesse, ces mêmes électeurs ont préféré confier la clé verte du gouvernement de Berlin à Joschka Fischer, dont la solidité germanique rassurait, plutôt qu’à ce farfadet franco-allemand jugé par trop léger et virevoltant.
Depuis maintenant quarante ans, Dany Cohn-Bendit fait de la politique prétendument nouvelle avec les méthodes des rad-socs de la IIIe République. Un opportunisme sans rivages le conduit tantôt à cajoler François Bayrou, tantôt à pactiser avec les altermondialistes radicaux, en fonction de la météo électorale. Ses banquets républicains à lui sont les multiples talk-shows télévisés auxquels il participe à travers l’Europe avec un plaisir non dissimulé. Il est Vert, certes, mais d’un vert si pâle qu’il ne jure ni avec le bleu, ni avec le rose… Le calcul de Dany, dans cette nouvelle alliance dont il se fait le héraut, est simple : si je veux finir ministre, comme mon pote Kouchner, il faut que je passe par la case « France ». En effet, les perspectives d’un retour au pouvoir d’une coalition rouge-vert à Berlin sont nulles à court et moyen terme. Le parti social-démocrate est en pleine déconfiture, et les Verts sont concurrencés, à gauche par die Linke d’Oskar Lafontaine.
En revanche, il n’est pas interdit de rêver, en France, d’une victoire de la gauche à la présidentielle de 2012, et, dans cette hypothèse, il importe de positionner dès 2009 les Verts et associés comme partenaires de gouvernement incontournables. Des écolos avec un score à deux chiffres aux européennes seraient un tremplin idéal pour les ambitions françaises du Francfortois. La transmission de pouvoir, au quai d’Orsay entre Bernard Kouchner et Dany Cohn-Bendit, en juin 2012, est une image que les deux compères évoquent régulièrement dans leurs conversations intimes…
Jeux interdits
Les Jeux Olympiques finis, nous intéresserons-nous enfin à la Chine ? Pour être omniprésent sur nos écrans, les podiums et dans nos supermarchés, le pays le plus peuplé du monde n’en demeure pas moins un mystère. Y compris en librairie : Les habits du Président Mao de Simon Leys ne sont plus tout neufs, et plus personne, de Pierre Loti, ne lit Les derniers Jours de Pékin. Qui, du reste, s’appelle désormais Beijing.
Bref, à force de ressasser que la Chine changeait – sans toutefois vraiment changer, tempéraient les sinologues… – nous n’avons pas pris la mesure de ce qui s’y est réellement passé depuis vingt ans. Depuis la révolte de Tiananmen, en fait. Souvenez-vous : il y avait là de jeunes contestataires qui allumaient des bougies, dansaient sur Simon & Garfunkel et s’embrassaient fort peu chinoisement entre deux grèves de la faim. Une fois leur statue de la Liberté en plâtre élevée, le pouvoir les dispersa dans un bain de sang, le 4 juin 1989. Et nous en sommes restés là, à cette image d’Epinal – celle du petit bonhomme avec son sac à commissions, tentant d’immobiliser le premier d’une longue colonne de blindés.
Depuis ? Eh bien, depuis, répondront les experts, la Chine a récupéré Hong Kong, quadruplé son PNB, mis la main sur une partie de l’Afrique, fait monter le cours de toutes les matières premières, etc., etc. Mais pour décrire ces deux décennies de bouleversements, pour les raconter autrement qu’avec des chiffres si vertigineux qu’ils ne nous parlent guère, il fallait un roman – et un roman hors norme : Beijing Coma. Copieux, intime, nerveux, c’est un roman « à la russe » par sa longueur et l’imbrication des destins de personnages aux noms imprononçables ; il tient aussi du pavé américain pour sa crudité, ses détails, et sa construction en flash-back.
Le roman, justement, commence à Tiananmen, où le héros est plongé dans le coma par la balle d’un policier. Le récit suivra sa lente émergence, les bribes de sa mémoire retrouvée seront confrontées à des scènes d’une vie qui continue, frénétiquement, dans un pays à l’indestructible vitalité. Entre l’époque où « il fallait baisser les yeux quand on croisait un étranger » et les préparatifs des Jeux, où il s’agira désormais de leur en mettre plein la vue, Beijing Coma raconte la résurrection d’une nation traumatisée par les dizaines de millions de morts du maoïsme, un pays soudain pris d’une frénésie d’enrichissement et d’un chauvinisme inouï. Sexe, prolétaires errants, passion du jeu, trouille du flic et culte du fric, chambardements dans les familles : voici les entrailles, fumantes et vivantes, de la Chine nouvelle. Et, bien sûr, pas plus pour la Chine que pour le héros comateux, l’histoire ne s’en tiendra là : « Ceci n’est pas un bref éclair de vie avant la mort. Ceci est un nouveau commencement. » Bien d’autres surprises nous viendront d’Orient… Nous l’avons peut-être longtemps ignoré mais, en vingt ans, dans tous les domaines, et sur tous les tons, la Chine aura beaucoup tremblé. A nous de nous réveiller.
Helvètes underground
La Tribune de Genève nous apprend que l’acteur George Clooney présidera un dîner de soutien en faveur de Barack Obama, le 2 septembre prochain, à Genève. Si quelqu’un pouvait se dévouer pour informer le staff de campagne d’Obama que les Suisses ne voteront pas à cette élection, fussent-ils Confédérés…
Géorgie : l’erreur de l’Occident
L’Europe est toute nue face aux Russes en Géorgie et les éditeurs de Causeur s’en étonnent et je m’étonne de leur étonnement. L’Europe politique, diplomatique, militaire est un ectoplasme, un zombie. Vous avez entendu parler d’une souveraineté européenne ? Et privée de souveraineté, que voulez-vous qu’elle fasse, la pauvre ? A part M. Trichet, je ne repère personne en Europe qui soit habilité à parler avec M. Poutine et, vu qu’il est raide comme un lacet, le patron de la BCE ne penserait qu’à tendre la sébile devant les lingots de pétrole poutiniens. Medvedev a marchandé le cessez-le-feu avec Sarkozy de France, pas avec Sarkozy d’Europe et c’est la France qui s’est fait bananer, pas l’Allemagne. On a, à Bruxelles, un machin commercial, monétaire, philosophique, qui ne fonctionne pas trop mal à la satisfaction presque générale, on n’a pas à se plaindre, pourvu que ça dure. Mais il ne faut pas envoyer à la guerre un représentant de commerce. Si sympa soit-il, il ne sera pas pris au sérieux. Medvedev a reçu Sarko et, comme on dit chez moi, il lui a passé la datte sans beurre et sans même que Sarko s’en aperçoive. Fallait s’y attendre, le petit Saakashvili, il s’est tout encoléré. On lui a fait le coup de Prague et Sarko dit aux Russes : c’est pas grave, mais n’y allez pas trop fort quand même.
Ce qui s’est passé en Géorgie, c’est terrible d’abord pour la Russie. Le bon peuple moscovite, il bichait comme au football en regardant les images d’Ossétie. Les Géorgiens, déjà on ne peut pas les voir. A Saint-Pete, les houligans tabassent dans la rue les Caucasiens (quels qu’ils soient on les appelle les Noirs) rien que pour le fun. Ils filment leurs exploits et se les partagent sur le net. Quand Poutine a flanqué une raclée à l’une des contrées caucasiennes, c’était tout comme un lynchage ordinaire ou une médaille d’or à Pékin, ça s’arrose. Sur le front intérieur, la guerre a fait un tabac et donné à l’Etat-KGB encore plus de couleurs qu’il n’en avait.
Mais tous les autres, tous ceux qui grouillent derrière le regretté rideau de fer, des Tchèques aux Kirghizes, depuis le 8 août, ils balisent à mort, ils l’ont à zéro. Pensez. Depuis vingt ans, pépères ils étaient, l’Armée Rouge avait rendu l’âme, plus d’expéditions de Budapest, de Berlin ou de Prague. Et voilà que le cauchemar revient. L’avez-vous remarqué : aucun gouvernement n’a applaudi, pas même poliment, aux exploits russes en Géorgie. Pas une voix. La Russie, seule au monde. Il est vrai que, dès le 10 août, Raul Castro a apporté le soutien de Cuba à l’action militaire russe, mais il a fallu attendre une semaine pour que le caniche biélorusse se fende d’un communiqué de sympathie pincé. Suivi de notre ami Bachar el Assad. Lequel, en échange de ses félicitations, espère recevoir des missiles anti-fusées supposés lui assurer un triomphe contre Israël. C’est tout. Pas même les Kazakhs ni les Turkmènes, clients fidèles de Poutine, n’ont bronché. La Russie est seule au monde et fait peur à la terre entière.
Tous se foutent de la Géorgie mais se disent : et si c’était pour moi la prochaine tannée. Chacun n’a plus qu’une idée : trouver un protecteur. Avec une maestria de virtuose, Poutine a réussi en un clin d’œil à infiltrer dans le cerveau de tous ses voisins le besoin impératif d’une OTAN anti-russe. Que ni l’Amérique, ni personne n’a d’ailleurs les moyens de mettre en place. Vous brûlez de mourir pour la Kirghizie ou le Tadjikistan vous ? Pas moi.
Avant la guerre de Géorgie, je me disais, avec bien d’autres, que l’adhésion à l’OTAN de la Pologne était bien superflue et ne servait qu’à braquer Moscou. Je ne le pense plus du tout. Les chimpanzés du Kremlin m’ont démontré qu’ils sont capables de toutes les conneries. Je suis persuadé maintenant que la prochaine victime sera l’Ukraine, en Crimée et d’abord à Sébastopol. En Tchétchénie, j’estimais que la Russie jouait son existence. Même si elle y est allée avec de gros sabots, en raison de la nullité de son armée, elle avait quelques bonnes raisons de liquider les djihadistes. La Géorgie, c’est une toute autre histoire. Le FSB nous dit : les frontières, je m’en cogne. Le premier qui me contrarie, je lui envoie deux mille chars. Alors, forcément, si même à Paris, j’ai les chocottes, les Ukrainiens, vous imaginez.
A part la datte à Sarko et le sourire des moujiks, qu’est-ce qu’elle y a gagné la Russie ? Nada, des nèfles. Elle s’est mise tous ses voisins à dos, point. Parmi ses frontaliers, elle en compte deux qui pèsent des tonnes : la Chine et les USA. Et, dans l’état d’anémie où elle traîne, elle a tout à craindre de bisbilles avec eux. Je m’explique.