Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’Express, titre son édito vidéo du 19 août dernier : « Mourir pour Kaboul ». Une référence à l’article « Mourir pour Dantzig » que Marcel Déat signait en mai 1939 dans L’œuvre ? Si c’était le cas, l’histoire de Déat nous apprend que, du pacifisme à la collaboration, il n’y a qu’un pas : encore un effort et l’éditorialiste pourra signer ses éditos Klaus Barbier.
Qui veut faire taire Ingrid Betancourt ?
Pourquoi est-on depuis la mi-juillet sans aucune nouvelle d’Ingrid Betancourt ?
A priori, c’est tout bêtement parce qu’elle prend un repos bien mérité aux Seychelles – et puisqu’il n’y a rien à dire, les médias ne disent rien. Première nouvelle. Cette version raisonnable et romancée des faits devrait satisfaire les rédacteurs en chef et les amateurs de conte de fées.
Le problème, c’est qu’il se passe un tas de choses, depuis qu’ici et là-bas, on a éteint les lampions de la libération.
Il y a tout d’abord les misères conjugales de Juan Carlos Lecompte, dernier époux officiel en titre de l’ex-otage des FARC. Des déboires abondamment commentés dans la presse hispanophone, qui a largement repris l’interview sans équivoque donnée par Juan Carlos à El Tiempo de Bogota, où il constate, amer, que « l’amour que me portait Ingrid s’est sans doute évanoui dans la jungle… » Une détresse évoquée uniquement en France par Le Monde dans son édition du 1er août avec, rassurez-vous, toute la pudeur qui sied à ce douloureux événement : « Resté seul à Bogota, le mari d’Ingrid Betancourt l’attend encore. La captivité est une indicible tragédie, pour les otages comme pour leurs familles. » On imagine que les autres médias français ont souhaité faire preuve d’encore plus de ce tact qu’on leur connaît.
On s’étonnera néanmoins que d’autres développements de l’affaire, moins strictement intimes, soient restés sans écho ici. Car si dans les rédactions parisiennes, on lit assez peu la presse colombienne, on reçoit néanmoins CNN. Et on peut imaginer que compte tenu de l’exposition relativement importante d’Ingrid Betancourt juste après sa libération, il sera trouvé quelques journalistes pour regarder son interview par Larry King et en rendre compte au public français.
Comme tel ne fut pas le cas, nous allons vous raconter l’épisode que vous avez manqué : Ingrid s’est aussi brouillée avec sa meilleure amie, Clara Rojas, qui fut sa directrice de campagne et sa compagne d’infortune en captivité. Voici pourquoi.
Clara a eu une liaison avec un de leurs ravisseurs, dont est né un petit garçon, baptisé Emmanuel. Or selon certaines rumeurs dont on ignore l’origine, Emmanuel a failli ne jamais voir le jour, ou presque : aussitôt après l’accouchement, sa maman aurait essayé de le noyer dans une rivière. Le nouveau-né n’aurait survécu que grâce à l’intervention miraculeuse d’Ingrid qui avait empêché in extremis l’infanticide.
Pressée par Larry King de démentir cette probable calomnie, Ingrid s’en est bien gardée se contentant d’un commentaire aussi sibyllin qu’assassin : « Il faut laisser dans la jungle bien des choses arrivées dans la jungle. » C’est beau, l’amitié.
Du coup, Clara, dont on ne garantira pas non plus l’absolu sang-froid, a entrepris de contre attaquer. De façon soft, pour commencer : Ingrid ne pouvait rien savoir de « sa vie privée » puisque « j’étais dans la zone non-fumeur du camp, et Ingrid se trouvait du côté des fumeurs. Dès les premiers moments de ma grossesse nous ne nous voyions plus beaucoup. A peine nous disions-nous bonjour lorsque nous nous croisions… » Mais il se murmure que la dite Clara, non contente, donc, d’accuser son ancienne patronne d’avoir violé la Loi Evin, envisagerait un livre de révélations.
On s’en doute, cette polémique fait les gros titres en Amérique Latine. Ce qui fort heureusement ne risque pas d’arriver ici. Et n’allez surtout pas croire que c’est parce qu’il serait interdit par un prétendu Parti des médias de remettre en doute la sainteté d’Ingrid Betancourt. Mais il se trouve que notre presse a bâti son honneur autour d’une loi d’airain : en France, on n’évoque pas la vie privée des personnes publiques. C’est tout à son honneur.
Des souris et des neurones
Retenez bien ce nom : Pierre Vanderhaegen. Il est chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire en biologie humaine et moléculaire de l’Université libre de Bruxelles. A la tête d’une équipe de chercheurs européens, il est parvenu à transformer des cellules souches de souris en cortex cérébral. Va y avoir de la demande. N’en déplaise aux chiennes de garde.
BBC, le tiercé en désordre de la French ecology
C’est tout nouveau, ça vient de sortir : un trio de vieux briscards du gauchisme hexagonal vient de lancer une OPA sur la mouvance verte, celle de l’écologie politique française. Il s’agit de Daniel Cohn-Bendit, co-président du groupe Vert du parlement européen, José Bové, faucheur de maïs OGM, accessoirement leader de Via Campesina, et Jean-Paul Besset, porte-parole de la fondation Nicolas Hulot.
Leur objectif : fédérer les partis, associations et mouvements se réclamant de la défense de l’environnement dans l’espoir de « cartonner » lors des élections au Parlement européen du printemps 2009.
La débandade des écolos et altermondialistes lors de l’élection présidentielle de 2007 (Voynet 1,57 %, Bové 1,32 %), la pagaille perpétuelle régnant chez les Verts français et les déchirements internes du PS ont donné une idée à nos trois lascars : en lançant un coup de pied dans la fourmilière écologique, leur alliance devrait leur permettre de ramasser une mise électorale inespérée. De surcroît, elle devrait freiner la progression dans l’opinion d’Olivier Besancenot et de la LCR rebaptisée NPA (Nouveau parti anticapitaliste).
Nos pieds nickelés de la planète verte – hommage soit rendu aux héros de Forton jamais en retard d’une arnaque – ne sont pas des perdreaux de l’année dans le domaine de la manœuvre politico-médiatique. Formés dans les boutiques patentées du gauchisme français, anarchiste, trotskiste ou tiers-mondiste, Cohn-Bendit, Besset et Bové ont en commun une seule chose : il est urgent pour eux (surtout, il est vrai, pour les deux derniers) d’atteindre des positions de pouvoir avant que l’âge ne les renvoie à la plantation de leurs choux biologiques. Pour le reste, leurs convictions affichées et leurs itinéraires politiques ne présagent pas d’une harmonie céleste dans l’hypothèse où ils accéderaient ensemble à des responsabilités gouvernementales.
Commençons par le plus connu, et, il faut le reconnaître, le plus sympathique. Dany Cohn-Bendit n’en finit pas de recueillir les bénéfices politiques et médiatiques de son vedettariat de mai 1968. Dany-le-rouge est devenu Dany-le-grisonnant, mais il n’a rien perdu de son sens de la répartie, de son art des « coups » politiques et de sa capacité à dire tout et le contraire de tout avec un aplomb qui désarçonne ses contradicteurs. On a rarement entendu notre Dany se lancer dans des exposés motivés et savants sur le devenir de la planète où la théorie de la décroissance économique: s’il est Vert, envoyé au parlement européen par les électeurs allemands, c’est parce que l’écologie a été la voie royale d’intégration des anciens gauchistes d’outre-Rhin à l’establishment politique. Mais dans leur grande sagesse, ces mêmes électeurs ont préféré confier la clé verte du gouvernement de Berlin à Joschka Fischer, dont la solidité germanique rassurait, plutôt qu’à ce farfadet franco-allemand jugé par trop léger et virevoltant.
Depuis maintenant quarante ans, Dany Cohn-Bendit fait de la politique prétendument nouvelle avec les méthodes des rad-socs de la IIIe République. Un opportunisme sans rivages le conduit tantôt à cajoler François Bayrou, tantôt à pactiser avec les altermondialistes radicaux, en fonction de la météo électorale. Ses banquets républicains à lui sont les multiples talk-shows télévisés auxquels il participe à travers l’Europe avec un plaisir non dissimulé. Il est Vert, certes, mais d’un vert si pâle qu’il ne jure ni avec le bleu, ni avec le rose… Le calcul de Dany, dans cette nouvelle alliance dont il se fait le héraut, est simple : si je veux finir ministre, comme mon pote Kouchner, il faut que je passe par la case « France ». En effet, les perspectives d’un retour au pouvoir d’une coalition rouge-vert à Berlin sont nulles à court et moyen terme. Le parti social-démocrate est en pleine déconfiture, et les Verts sont concurrencés, à gauche par die Linke d’Oskar Lafontaine.
En revanche, il n’est pas interdit de rêver, en France, d’une victoire de la gauche à la présidentielle de 2012, et, dans cette hypothèse, il importe de positionner dès 2009 les Verts et associés comme partenaires de gouvernement incontournables. Des écolos avec un score à deux chiffres aux européennes seraient un tremplin idéal pour les ambitions françaises du Francfortois. La transmission de pouvoir, au quai d’Orsay entre Bernard Kouchner et Dany Cohn-Bendit, en juin 2012, est une image que les deux compères évoquent régulièrement dans leurs conversations intimes…
Jeux interdits
Les Jeux Olympiques finis, nous intéresserons-nous enfin à la Chine ? Pour être omniprésent sur nos écrans, les podiums et dans nos supermarchés, le pays le plus peuplé du monde n’en demeure pas moins un mystère. Y compris en librairie : Les habits du Président Mao de Simon Leys ne sont plus tout neufs, et plus personne, de Pierre Loti, ne lit Les derniers Jours de Pékin. Qui, du reste, s’appelle désormais Beijing.
Bref, à force de ressasser que la Chine changeait – sans toutefois vraiment changer, tempéraient les sinologues… – nous n’avons pas pris la mesure de ce qui s’y est réellement passé depuis vingt ans. Depuis la révolte de Tiananmen, en fait. Souvenez-vous : il y avait là de jeunes contestataires qui allumaient des bougies, dansaient sur Simon & Garfunkel et s’embrassaient fort peu chinoisement entre deux grèves de la faim. Une fois leur statue de la Liberté en plâtre élevée, le pouvoir les dispersa dans un bain de sang, le 4 juin 1989. Et nous en sommes restés là, à cette image d’Epinal – celle du petit bonhomme avec son sac à commissions, tentant d’immobiliser le premier d’une longue colonne de blindés.
Depuis ? Eh bien, depuis, répondront les experts, la Chine a récupéré Hong Kong, quadruplé son PNB, mis la main sur une partie de l’Afrique, fait monter le cours de toutes les matières premières, etc., etc. Mais pour décrire ces deux décennies de bouleversements, pour les raconter autrement qu’avec des chiffres si vertigineux qu’ils ne nous parlent guère, il fallait un roman – et un roman hors norme : Beijing Coma. Copieux, intime, nerveux, c’est un roman « à la russe » par sa longueur et l’imbrication des destins de personnages aux noms imprononçables ; il tient aussi du pavé américain pour sa crudité, ses détails, et sa construction en flash-back.
Le roman, justement, commence à Tiananmen, où le héros est plongé dans le coma par la balle d’un policier. Le récit suivra sa lente émergence, les bribes de sa mémoire retrouvée seront confrontées à des scènes d’une vie qui continue, frénétiquement, dans un pays à l’indestructible vitalité. Entre l’époque où « il fallait baisser les yeux quand on croisait un étranger » et les préparatifs des Jeux, où il s’agira désormais de leur en mettre plein la vue, Beijing Coma raconte la résurrection d’une nation traumatisée par les dizaines de millions de morts du maoïsme, un pays soudain pris d’une frénésie d’enrichissement et d’un chauvinisme inouï. Sexe, prolétaires errants, passion du jeu, trouille du flic et culte du fric, chambardements dans les familles : voici les entrailles, fumantes et vivantes, de la Chine nouvelle. Et, bien sûr, pas plus pour la Chine que pour le héros comateux, l’histoire ne s’en tiendra là : « Ceci n’est pas un bref éclair de vie avant la mort. Ceci est un nouveau commencement. » Bien d’autres surprises nous viendront d’Orient… Nous l’avons peut-être longtemps ignoré mais, en vingt ans, dans tous les domaines, et sur tous les tons, la Chine aura beaucoup tremblé. A nous de nous réveiller.
Helvètes underground
La Tribune de Genève nous apprend que l’acteur George Clooney présidera un dîner de soutien en faveur de Barack Obama, le 2 septembre prochain, à Genève. Si quelqu’un pouvait se dévouer pour informer le staff de campagne d’Obama que les Suisses ne voteront pas à cette élection, fussent-ils Confédérés…
Géorgie : l’erreur de l’Occident
L’Europe est toute nue face aux Russes en Géorgie et les éditeurs de Causeur s’en étonnent et je m’étonne de leur étonnement. L’Europe politique, diplomatique, militaire est un ectoplasme, un zombie. Vous avez entendu parler d’une souveraineté européenne ? Et privée de souveraineté, que voulez-vous qu’elle fasse, la pauvre ? A part M. Trichet, je ne repère personne en Europe qui soit habilité à parler avec M. Poutine et, vu qu’il est raide comme un lacet, le patron de la BCE ne penserait qu’à tendre la sébile devant les lingots de pétrole poutiniens. Medvedev a marchandé le cessez-le-feu avec Sarkozy de France, pas avec Sarkozy d’Europe et c’est la France qui s’est fait bananer, pas l’Allemagne. On a, à Bruxelles, un machin commercial, monétaire, philosophique, qui ne fonctionne pas trop mal à la satisfaction presque générale, on n’a pas à se plaindre, pourvu que ça dure. Mais il ne faut pas envoyer à la guerre un représentant de commerce. Si sympa soit-il, il ne sera pas pris au sérieux. Medvedev a reçu Sarko et, comme on dit chez moi, il lui a passé la datte sans beurre et sans même que Sarko s’en aperçoive. Fallait s’y attendre, le petit Saakashvili, il s’est tout encoléré. On lui a fait le coup de Prague et Sarko dit aux Russes : c’est pas grave, mais n’y allez pas trop fort quand même.
Ce qui s’est passé en Géorgie, c’est terrible d’abord pour la Russie. Le bon peuple moscovite, il bichait comme au football en regardant les images d’Ossétie. Les Géorgiens, déjà on ne peut pas les voir. A Saint-Pete, les houligans tabassent dans la rue les Caucasiens (quels qu’ils soient on les appelle les Noirs) rien que pour le fun. Ils filment leurs exploits et se les partagent sur le net. Quand Poutine a flanqué une raclée à l’une des contrées caucasiennes, c’était tout comme un lynchage ordinaire ou une médaille d’or à Pékin, ça s’arrose. Sur le front intérieur, la guerre a fait un tabac et donné à l’Etat-KGB encore plus de couleurs qu’il n’en avait.
Mais tous les autres, tous ceux qui grouillent derrière le regretté rideau de fer, des Tchèques aux Kirghizes, depuis le 8 août, ils balisent à mort, ils l’ont à zéro. Pensez. Depuis vingt ans, pépères ils étaient, l’Armée Rouge avait rendu l’âme, plus d’expéditions de Budapest, de Berlin ou de Prague. Et voilà que le cauchemar revient. L’avez-vous remarqué : aucun gouvernement n’a applaudi, pas même poliment, aux exploits russes en Géorgie. Pas une voix. La Russie, seule au monde. Il est vrai que, dès le 10 août, Raul Castro a apporté le soutien de Cuba à l’action militaire russe, mais il a fallu attendre une semaine pour que le caniche biélorusse se fende d’un communiqué de sympathie pincé. Suivi de notre ami Bachar el Assad. Lequel, en échange de ses félicitations, espère recevoir des missiles anti-fusées supposés lui assurer un triomphe contre Israël. C’est tout. Pas même les Kazakhs ni les Turkmènes, clients fidèles de Poutine, n’ont bronché. La Russie est seule au monde et fait peur à la terre entière.
Tous se foutent de la Géorgie mais se disent : et si c’était pour moi la prochaine tannée. Chacun n’a plus qu’une idée : trouver un protecteur. Avec une maestria de virtuose, Poutine a réussi en un clin d’œil à infiltrer dans le cerveau de tous ses voisins le besoin impératif d’une OTAN anti-russe. Que ni l’Amérique, ni personne n’a d’ailleurs les moyens de mettre en place. Vous brûlez de mourir pour la Kirghizie ou le Tadjikistan vous ? Pas moi.
Avant la guerre de Géorgie, je me disais, avec bien d’autres, que l’adhésion à l’OTAN de la Pologne était bien superflue et ne servait qu’à braquer Moscou. Je ne le pense plus du tout. Les chimpanzés du Kremlin m’ont démontré qu’ils sont capables de toutes les conneries. Je suis persuadé maintenant que la prochaine victime sera l’Ukraine, en Crimée et d’abord à Sébastopol. En Tchétchénie, j’estimais que la Russie jouait son existence. Même si elle y est allée avec de gros sabots, en raison de la nullité de son armée, elle avait quelques bonnes raisons de liquider les djihadistes. La Géorgie, c’est une toute autre histoire. Le FSB nous dit : les frontières, je m’en cogne. Le premier qui me contrarie, je lui envoie deux mille chars. Alors, forcément, si même à Paris, j’ai les chocottes, les Ukrainiens, vous imaginez.
A part la datte à Sarko et le sourire des moujiks, qu’est-ce qu’elle y a gagné la Russie ? Nada, des nèfles. Elle s’est mise tous ses voisins à dos, point. Parmi ses frontaliers, elle en compte deux qui pèsent des tonnes : la Chine et les USA. Et, dans l’état d’anémie où elle traîne, elle a tout à craindre de bisbilles avec eux. Je m’explique.
La mère, le fils et le bon goût
Le quotidien économique israélien Globes publie un grand entretien avec Munib al-Masri, l’homme le plus riche en Palestine. L’homme d’affaire, propriétaire d’une société spécialisée dans l’acheminement du pétrole, a fait construire sur la montagne surplombant Naplouse une magnifique maison, copie conforme de la célèbre villa Americo Capra, la Rotonde, située à côté de Vicence en Vénétie. Dans cette interview, l’heureux propriétaire de la villa se dit notamment très fier de sa décoration intérieure particulièrement de sa « commode Marie-Antoinette et de ses canapés Louis XVII »…
Préférez-vous la mort ou la vie ?
Etes-vous favorable à ce que de courageux petits gars de vingt ans se fassent trucider par des barbares dans un pays lointain ? Bon, je charrie. Bien sûr, ce n’est pas dans ces termes que Le Parisien a interrogé « les Français » – terme qui dans ce contexte désigne 1008 personnes âgées de 18 ans et plus et sélectionnées selon l’ancestrale et mystérieuse méthode des quotas. Il faut saluer la diligence de CSA qui a réalisé ce « sondage exclusif » sur l’engagement de la France en Afghanistan « à l’arrache », le 20 août, trente-six heures après l’annonce de la mort de dix soldats français dans une embuscade des Talibans. Il est vrai que sur genre de coup, il faut être le premier ou rien. L’opération a parfaitement réussi, en tout cas pour ce qui est de la « reprise », c’est-à-dire de la publicité gracieusement faite par les confrères qui est l’unique objectif poursuivi par la presse avec la publication de sondages. Celui du Parisien a bien « fait » l’ouverture d’un nombre respectable de journaux radio. L’effet sur les ventes n’est pas nécessairement garanti. Enfin, moi, j’ai acheté Le Parisien.
Rappelons que cet honorable quotidien n’a pas l’apanage du « sondage à l’estomac », même si, dans le genre, il est plutôt bon. Grâce au vieux couple qu’il forme avec son institut attitré CSA, on sait en effet, en temps presque réel, ce que pensent « les Français » (voir plus haut le sens de ce terme) sur des questions de la plus haute importance comme « Harry Roselmack doit-il rester au 20 heures ? » ou « Faut-il limoger Domenech? », deux exemples qui me reviennent en mémoire mais au sujet desquels je ne me rappelle pas quelles réponses avaient été données.
On apprend donc dans Le Parisien du 22 août que « 55 % des Français sont pour un retrait de nos soldats d’Afghanistan ». Résultat ô combien surprenant ! D’abord, tout être humain normal ne peut qu’être glacé par la mort de dix jeunes gens dans de telles conditions. De plus, dès l’annonce du guet-apens, télévisions et radios ont répété en boucle que ce drame relançait le débat sur la présence française en Afghanistan, tandis que des proches des victimes s’indignaient de ce que l’on ait envoyé des gamins de vingt ans sur un terrain aussi dangereux. Qui ne s’identifierait pas à ces parents, ces frères et sœurs endeuillés ? C’est bien ce qui me chafouine. En interrogeant son « échantillon de France » à chaud, le sondeur ne s’adresse pas à l’être de raison qui sommeille en chacun de nous ou presque (chez certains, il est dans le coma) mais au téléspectateur englué dans des torrents d’émotion cathodique. Ainsi demandera-t-on « aux Français » s’ils sont pour le service minimum au dixième jour d’une grève des transports ou s’ils font confiance aux compagnies low cost au lendemain d’un crash. Dans le cas présent, si la réponse n’est pas totalement contenue dans la question (il s’est tout de même trouvé 36 % de sans-cœur pour affirmer que nos soldats devaient rester en Afghanistan), elle y est fortement suggérée.
On ne voit pas pourquoi les médias s’abstiendraient vertueusement d’exploiter le filon inépuisable de l’émotion populaire, quand les politiques ne cessent de la flatter. Ainsi François Fillon s’est-il engagé à ce que la présence française en Afghanistan fasse l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement. On m’objectera que cela est fort démocratique et que notre participation à « la guerre contre le terrorisme » mérite bien un débat. Certes. Mais alors, il fallait l’organiser en avril, quand le président a décidé d’envoyer des renforts à Kaboul. Cette annonce faite quelques jours après l’embuscade de la vallée d’Uzbin – et le jour même de la publication du sondage du Parisien – donne l’impression que le Premier ministre cède à l’opinion ; plus fâcheux, il semble penser que la mort de nos dix soldats rend urgent un débat qui ne l’était pas il y a quatre mois. Comme si ces morts remettaient en cause la légitimité de la participation française à la « guerre contre le terrorisme » (ce qui, au passage, est l’objectif des assaillants). On se gardera de trancher ici l’épineuse question de la présence française en Afghanistan, mais soit la France avait raison d’y être hier, et elle a encore raison aujourd’hui, soit elle a tort aujourd’hui et elle avait déjà tort hier. Reste une réalité qu’on avait oubliée à force d’entendre parler de nos troupes envoyées sur des théâtres extérieurs comme si elles étaient composées d’infirmières en goguette humanitaire. Il s’agit de soldats et de guerres, et à la guerre les soldats peuvent mourir.
Retraite anticipée chez les Kadhafi
Quelques semaines à peine après que son frère Motassim Bilal alias Hannibal a défrayé la chronique, le plus fréquentable et visible fils Kadhafi, Seif el-Islam, a annoncé son intention de se retirer de la vie politique de son pays. Agé de 36 ans et très impliqué dans les réformes entreprises son père depuis une décennie, cette déclaration est surprenante. L’architecte de l’ouverture vers l’Occident est-il tenu responsable du manque d’égards des Suisses à l’encontre de son frère et sa belle sœur ? Ou bien utilise-t-il les verbes « retirer » et « se retirer » dans leur acception russe contemporaine, ce qui annonce un changement de cap ou, au moins, un petit rappel à l’ordre au sein de la famille régnant sur la Grande Jamâhîriyya arabe libyenne populaire et socialiste.
Raccourci express
Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’Express, titre son édito vidéo du 19 août dernier : « Mourir pour Kaboul ». Une référence à l’article « Mourir pour Dantzig » que Marcel Déat signait en mai 1939 dans L’œuvre ? Si c’était le cas, l’histoire de Déat nous apprend que, du pacifisme à la collaboration, il n’y a qu’un pas : encore un effort et l’éditorialiste pourra signer ses éditos Klaus Barbier.
Qui veut faire taire Ingrid Betancourt ?
Pourquoi est-on depuis la mi-juillet sans aucune nouvelle d’Ingrid Betancourt ?
A priori, c’est tout bêtement parce qu’elle prend un repos bien mérité aux Seychelles – et puisqu’il n’y a rien à dire, les médias ne disent rien. Première nouvelle. Cette version raisonnable et romancée des faits devrait satisfaire les rédacteurs en chef et les amateurs de conte de fées.
Le problème, c’est qu’il se passe un tas de choses, depuis qu’ici et là-bas, on a éteint les lampions de la libération.
Il y a tout d’abord les misères conjugales de Juan Carlos Lecompte, dernier époux officiel en titre de l’ex-otage des FARC. Des déboires abondamment commentés dans la presse hispanophone, qui a largement repris l’interview sans équivoque donnée par Juan Carlos à El Tiempo de Bogota, où il constate, amer, que « l’amour que me portait Ingrid s’est sans doute évanoui dans la jungle… » Une détresse évoquée uniquement en France par Le Monde dans son édition du 1er août avec, rassurez-vous, toute la pudeur qui sied à ce douloureux événement : « Resté seul à Bogota, le mari d’Ingrid Betancourt l’attend encore. La captivité est une indicible tragédie, pour les otages comme pour leurs familles. » On imagine que les autres médias français ont souhaité faire preuve d’encore plus de ce tact qu’on leur connaît.
On s’étonnera néanmoins que d’autres développements de l’affaire, moins strictement intimes, soient restés sans écho ici. Car si dans les rédactions parisiennes, on lit assez peu la presse colombienne, on reçoit néanmoins CNN. Et on peut imaginer que compte tenu de l’exposition relativement importante d’Ingrid Betancourt juste après sa libération, il sera trouvé quelques journalistes pour regarder son interview par Larry King et en rendre compte au public français.
Comme tel ne fut pas le cas, nous allons vous raconter l’épisode que vous avez manqué : Ingrid s’est aussi brouillée avec sa meilleure amie, Clara Rojas, qui fut sa directrice de campagne et sa compagne d’infortune en captivité. Voici pourquoi.
Clara a eu une liaison avec un de leurs ravisseurs, dont est né un petit garçon, baptisé Emmanuel. Or selon certaines rumeurs dont on ignore l’origine, Emmanuel a failli ne jamais voir le jour, ou presque : aussitôt après l’accouchement, sa maman aurait essayé de le noyer dans une rivière. Le nouveau-né n’aurait survécu que grâce à l’intervention miraculeuse d’Ingrid qui avait empêché in extremis l’infanticide.
Pressée par Larry King de démentir cette probable calomnie, Ingrid s’en est bien gardée se contentant d’un commentaire aussi sibyllin qu’assassin : « Il faut laisser dans la jungle bien des choses arrivées dans la jungle. » C’est beau, l’amitié.
Du coup, Clara, dont on ne garantira pas non plus l’absolu sang-froid, a entrepris de contre attaquer. De façon soft, pour commencer : Ingrid ne pouvait rien savoir de « sa vie privée » puisque « j’étais dans la zone non-fumeur du camp, et Ingrid se trouvait du côté des fumeurs. Dès les premiers moments de ma grossesse nous ne nous voyions plus beaucoup. A peine nous disions-nous bonjour lorsque nous nous croisions… » Mais il se murmure que la dite Clara, non contente, donc, d’accuser son ancienne patronne d’avoir violé la Loi Evin, envisagerait un livre de révélations.
On s’en doute, cette polémique fait les gros titres en Amérique Latine. Ce qui fort heureusement ne risque pas d’arriver ici. Et n’allez surtout pas croire que c’est parce qu’il serait interdit par un prétendu Parti des médias de remettre en doute la sainteté d’Ingrid Betancourt. Mais il se trouve que notre presse a bâti son honneur autour d’une loi d’airain : en France, on n’évoque pas la vie privée des personnes publiques. C’est tout à son honneur.
Des souris et des neurones
Retenez bien ce nom : Pierre Vanderhaegen. Il est chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire en biologie humaine et moléculaire de l’Université libre de Bruxelles. A la tête d’une équipe de chercheurs européens, il est parvenu à transformer des cellules souches de souris en cortex cérébral. Va y avoir de la demande. N’en déplaise aux chiennes de garde.
BBC, le tiercé en désordre de la French ecology
C’est tout nouveau, ça vient de sortir : un trio de vieux briscards du gauchisme hexagonal vient de lancer une OPA sur la mouvance verte, celle de l’écologie politique française. Il s’agit de Daniel Cohn-Bendit, co-président du groupe Vert du parlement européen, José Bové, faucheur de maïs OGM, accessoirement leader de Via Campesina, et Jean-Paul Besset, porte-parole de la fondation Nicolas Hulot.
Leur objectif : fédérer les partis, associations et mouvements se réclamant de la défense de l’environnement dans l’espoir de « cartonner » lors des élections au Parlement européen du printemps 2009.
La débandade des écolos et altermondialistes lors de l’élection présidentielle de 2007 (Voynet 1,57 %, Bové 1,32 %), la pagaille perpétuelle régnant chez les Verts français et les déchirements internes du PS ont donné une idée à nos trois lascars : en lançant un coup de pied dans la fourmilière écologique, leur alliance devrait leur permettre de ramasser une mise électorale inespérée. De surcroît, elle devrait freiner la progression dans l’opinion d’Olivier Besancenot et de la LCR rebaptisée NPA (Nouveau parti anticapitaliste).
Nos pieds nickelés de la planète verte – hommage soit rendu aux héros de Forton jamais en retard d’une arnaque – ne sont pas des perdreaux de l’année dans le domaine de la manœuvre politico-médiatique. Formés dans les boutiques patentées du gauchisme français, anarchiste, trotskiste ou tiers-mondiste, Cohn-Bendit, Besset et Bové ont en commun une seule chose : il est urgent pour eux (surtout, il est vrai, pour les deux derniers) d’atteindre des positions de pouvoir avant que l’âge ne les renvoie à la plantation de leurs choux biologiques. Pour le reste, leurs convictions affichées et leurs itinéraires politiques ne présagent pas d’une harmonie céleste dans l’hypothèse où ils accéderaient ensemble à des responsabilités gouvernementales.
Commençons par le plus connu, et, il faut le reconnaître, le plus sympathique. Dany Cohn-Bendit n’en finit pas de recueillir les bénéfices politiques et médiatiques de son vedettariat de mai 1968. Dany-le-rouge est devenu Dany-le-grisonnant, mais il n’a rien perdu de son sens de la répartie, de son art des « coups » politiques et de sa capacité à dire tout et le contraire de tout avec un aplomb qui désarçonne ses contradicteurs. On a rarement entendu notre Dany se lancer dans des exposés motivés et savants sur le devenir de la planète où la théorie de la décroissance économique: s’il est Vert, envoyé au parlement européen par les électeurs allemands, c’est parce que l’écologie a été la voie royale d’intégration des anciens gauchistes d’outre-Rhin à l’establishment politique. Mais dans leur grande sagesse, ces mêmes électeurs ont préféré confier la clé verte du gouvernement de Berlin à Joschka Fischer, dont la solidité germanique rassurait, plutôt qu’à ce farfadet franco-allemand jugé par trop léger et virevoltant.
Depuis maintenant quarante ans, Dany Cohn-Bendit fait de la politique prétendument nouvelle avec les méthodes des rad-socs de la IIIe République. Un opportunisme sans rivages le conduit tantôt à cajoler François Bayrou, tantôt à pactiser avec les altermondialistes radicaux, en fonction de la météo électorale. Ses banquets républicains à lui sont les multiples talk-shows télévisés auxquels il participe à travers l’Europe avec un plaisir non dissimulé. Il est Vert, certes, mais d’un vert si pâle qu’il ne jure ni avec le bleu, ni avec le rose… Le calcul de Dany, dans cette nouvelle alliance dont il se fait le héraut, est simple : si je veux finir ministre, comme mon pote Kouchner, il faut que je passe par la case « France ». En effet, les perspectives d’un retour au pouvoir d’une coalition rouge-vert à Berlin sont nulles à court et moyen terme. Le parti social-démocrate est en pleine déconfiture, et les Verts sont concurrencés, à gauche par die Linke d’Oskar Lafontaine.
En revanche, il n’est pas interdit de rêver, en France, d’une victoire de la gauche à la présidentielle de 2012, et, dans cette hypothèse, il importe de positionner dès 2009 les Verts et associés comme partenaires de gouvernement incontournables. Des écolos avec un score à deux chiffres aux européennes seraient un tremplin idéal pour les ambitions françaises du Francfortois. La transmission de pouvoir, au quai d’Orsay entre Bernard Kouchner et Dany Cohn-Bendit, en juin 2012, est une image que les deux compères évoquent régulièrement dans leurs conversations intimes…
Jeux interdits
Les Jeux Olympiques finis, nous intéresserons-nous enfin à la Chine ? Pour être omniprésent sur nos écrans, les podiums et dans nos supermarchés, le pays le plus peuplé du monde n’en demeure pas moins un mystère. Y compris en librairie : Les habits du Président Mao de Simon Leys ne sont plus tout neufs, et plus personne, de Pierre Loti, ne lit Les derniers Jours de Pékin. Qui, du reste, s’appelle désormais Beijing.
Bref, à force de ressasser que la Chine changeait – sans toutefois vraiment changer, tempéraient les sinologues… – nous n’avons pas pris la mesure de ce qui s’y est réellement passé depuis vingt ans. Depuis la révolte de Tiananmen, en fait. Souvenez-vous : il y avait là de jeunes contestataires qui allumaient des bougies, dansaient sur Simon & Garfunkel et s’embrassaient fort peu chinoisement entre deux grèves de la faim. Une fois leur statue de la Liberté en plâtre élevée, le pouvoir les dispersa dans un bain de sang, le 4 juin 1989. Et nous en sommes restés là, à cette image d’Epinal – celle du petit bonhomme avec son sac à commissions, tentant d’immobiliser le premier d’une longue colonne de blindés.
Depuis ? Eh bien, depuis, répondront les experts, la Chine a récupéré Hong Kong, quadruplé son PNB, mis la main sur une partie de l’Afrique, fait monter le cours de toutes les matières premières, etc., etc. Mais pour décrire ces deux décennies de bouleversements, pour les raconter autrement qu’avec des chiffres si vertigineux qu’ils ne nous parlent guère, il fallait un roman – et un roman hors norme : Beijing Coma. Copieux, intime, nerveux, c’est un roman « à la russe » par sa longueur et l’imbrication des destins de personnages aux noms imprononçables ; il tient aussi du pavé américain pour sa crudité, ses détails, et sa construction en flash-back.
Le roman, justement, commence à Tiananmen, où le héros est plongé dans le coma par la balle d’un policier. Le récit suivra sa lente émergence, les bribes de sa mémoire retrouvée seront confrontées à des scènes d’une vie qui continue, frénétiquement, dans un pays à l’indestructible vitalité. Entre l’époque où « il fallait baisser les yeux quand on croisait un étranger » et les préparatifs des Jeux, où il s’agira désormais de leur en mettre plein la vue, Beijing Coma raconte la résurrection d’une nation traumatisée par les dizaines de millions de morts du maoïsme, un pays soudain pris d’une frénésie d’enrichissement et d’un chauvinisme inouï. Sexe, prolétaires errants, passion du jeu, trouille du flic et culte du fric, chambardements dans les familles : voici les entrailles, fumantes et vivantes, de la Chine nouvelle. Et, bien sûr, pas plus pour la Chine que pour le héros comateux, l’histoire ne s’en tiendra là : « Ceci n’est pas un bref éclair de vie avant la mort. Ceci est un nouveau commencement. » Bien d’autres surprises nous viendront d’Orient… Nous l’avons peut-être longtemps ignoré mais, en vingt ans, dans tous les domaines, et sur tous les tons, la Chine aura beaucoup tremblé. A nous de nous réveiller.
Helvètes underground
La Tribune de Genève nous apprend que l’acteur George Clooney présidera un dîner de soutien en faveur de Barack Obama, le 2 septembre prochain, à Genève. Si quelqu’un pouvait se dévouer pour informer le staff de campagne d’Obama que les Suisses ne voteront pas à cette élection, fussent-ils Confédérés…
Géorgie : l’erreur de l’Occident
L’Europe est toute nue face aux Russes en Géorgie et les éditeurs de Causeur s’en étonnent et je m’étonne de leur étonnement. L’Europe politique, diplomatique, militaire est un ectoplasme, un zombie. Vous avez entendu parler d’une souveraineté européenne ? Et privée de souveraineté, que voulez-vous qu’elle fasse, la pauvre ? A part M. Trichet, je ne repère personne en Europe qui soit habilité à parler avec M. Poutine et, vu qu’il est raide comme un lacet, le patron de la BCE ne penserait qu’à tendre la sébile devant les lingots de pétrole poutiniens. Medvedev a marchandé le cessez-le-feu avec Sarkozy de France, pas avec Sarkozy d’Europe et c’est la France qui s’est fait bananer, pas l’Allemagne. On a, à Bruxelles, un machin commercial, monétaire, philosophique, qui ne fonctionne pas trop mal à la satisfaction presque générale, on n’a pas à se plaindre, pourvu que ça dure. Mais il ne faut pas envoyer à la guerre un représentant de commerce. Si sympa soit-il, il ne sera pas pris au sérieux. Medvedev a reçu Sarko et, comme on dit chez moi, il lui a passé la datte sans beurre et sans même que Sarko s’en aperçoive. Fallait s’y attendre, le petit Saakashvili, il s’est tout encoléré. On lui a fait le coup de Prague et Sarko dit aux Russes : c’est pas grave, mais n’y allez pas trop fort quand même.
Ce qui s’est passé en Géorgie, c’est terrible d’abord pour la Russie. Le bon peuple moscovite, il bichait comme au football en regardant les images d’Ossétie. Les Géorgiens, déjà on ne peut pas les voir. A Saint-Pete, les houligans tabassent dans la rue les Caucasiens (quels qu’ils soient on les appelle les Noirs) rien que pour le fun. Ils filment leurs exploits et se les partagent sur le net. Quand Poutine a flanqué une raclée à l’une des contrées caucasiennes, c’était tout comme un lynchage ordinaire ou une médaille d’or à Pékin, ça s’arrose. Sur le front intérieur, la guerre a fait un tabac et donné à l’Etat-KGB encore plus de couleurs qu’il n’en avait.
Mais tous les autres, tous ceux qui grouillent derrière le regretté rideau de fer, des Tchèques aux Kirghizes, depuis le 8 août, ils balisent à mort, ils l’ont à zéro. Pensez. Depuis vingt ans, pépères ils étaient, l’Armée Rouge avait rendu l’âme, plus d’expéditions de Budapest, de Berlin ou de Prague. Et voilà que le cauchemar revient. L’avez-vous remarqué : aucun gouvernement n’a applaudi, pas même poliment, aux exploits russes en Géorgie. Pas une voix. La Russie, seule au monde. Il est vrai que, dès le 10 août, Raul Castro a apporté le soutien de Cuba à l’action militaire russe, mais il a fallu attendre une semaine pour que le caniche biélorusse se fende d’un communiqué de sympathie pincé. Suivi de notre ami Bachar el Assad. Lequel, en échange de ses félicitations, espère recevoir des missiles anti-fusées supposés lui assurer un triomphe contre Israël. C’est tout. Pas même les Kazakhs ni les Turkmènes, clients fidèles de Poutine, n’ont bronché. La Russie est seule au monde et fait peur à la terre entière.
Tous se foutent de la Géorgie mais se disent : et si c’était pour moi la prochaine tannée. Chacun n’a plus qu’une idée : trouver un protecteur. Avec une maestria de virtuose, Poutine a réussi en un clin d’œil à infiltrer dans le cerveau de tous ses voisins le besoin impératif d’une OTAN anti-russe. Que ni l’Amérique, ni personne n’a d’ailleurs les moyens de mettre en place. Vous brûlez de mourir pour la Kirghizie ou le Tadjikistan vous ? Pas moi.
Avant la guerre de Géorgie, je me disais, avec bien d’autres, que l’adhésion à l’OTAN de la Pologne était bien superflue et ne servait qu’à braquer Moscou. Je ne le pense plus du tout. Les chimpanzés du Kremlin m’ont démontré qu’ils sont capables de toutes les conneries. Je suis persuadé maintenant que la prochaine victime sera l’Ukraine, en Crimée et d’abord à Sébastopol. En Tchétchénie, j’estimais que la Russie jouait son existence. Même si elle y est allée avec de gros sabots, en raison de la nullité de son armée, elle avait quelques bonnes raisons de liquider les djihadistes. La Géorgie, c’est une toute autre histoire. Le FSB nous dit : les frontières, je m’en cogne. Le premier qui me contrarie, je lui envoie deux mille chars. Alors, forcément, si même à Paris, j’ai les chocottes, les Ukrainiens, vous imaginez.
A part la datte à Sarko et le sourire des moujiks, qu’est-ce qu’elle y a gagné la Russie ? Nada, des nèfles. Elle s’est mise tous ses voisins à dos, point. Parmi ses frontaliers, elle en compte deux qui pèsent des tonnes : la Chine et les USA. Et, dans l’état d’anémie où elle traîne, elle a tout à craindre de bisbilles avec eux. Je m’explique.
La mère, le fils et le bon goût
Le quotidien économique israélien Globes publie un grand entretien avec Munib al-Masri, l’homme le plus riche en Palestine. L’homme d’affaire, propriétaire d’une société spécialisée dans l’acheminement du pétrole, a fait construire sur la montagne surplombant Naplouse une magnifique maison, copie conforme de la célèbre villa Americo Capra, la Rotonde, située à côté de Vicence en Vénétie. Dans cette interview, l’heureux propriétaire de la villa se dit notamment très fier de sa décoration intérieure particulièrement de sa « commode Marie-Antoinette et de ses canapés Louis XVII »…
Préférez-vous la mort ou la vie ?
Etes-vous favorable à ce que de courageux petits gars de vingt ans se fassent trucider par des barbares dans un pays lointain ? Bon, je charrie. Bien sûr, ce n’est pas dans ces termes que Le Parisien a interrogé « les Français » – terme qui dans ce contexte désigne 1008 personnes âgées de 18 ans et plus et sélectionnées selon l’ancestrale et mystérieuse méthode des quotas. Il faut saluer la diligence de CSA qui a réalisé ce « sondage exclusif » sur l’engagement de la France en Afghanistan « à l’arrache », le 20 août, trente-six heures après l’annonce de la mort de dix soldats français dans une embuscade des Talibans. Il est vrai que sur genre de coup, il faut être le premier ou rien. L’opération a parfaitement réussi, en tout cas pour ce qui est de la « reprise », c’est-à-dire de la publicité gracieusement faite par les confrères qui est l’unique objectif poursuivi par la presse avec la publication de sondages. Celui du Parisien a bien « fait » l’ouverture d’un nombre respectable de journaux radio. L’effet sur les ventes n’est pas nécessairement garanti. Enfin, moi, j’ai acheté Le Parisien.
Rappelons que cet honorable quotidien n’a pas l’apanage du « sondage à l’estomac », même si, dans le genre, il est plutôt bon. Grâce au vieux couple qu’il forme avec son institut attitré CSA, on sait en effet, en temps presque réel, ce que pensent « les Français » (voir plus haut le sens de ce terme) sur des questions de la plus haute importance comme « Harry Roselmack doit-il rester au 20 heures ? » ou « Faut-il limoger Domenech? », deux exemples qui me reviennent en mémoire mais au sujet desquels je ne me rappelle pas quelles réponses avaient été données.
On apprend donc dans Le Parisien du 22 août que « 55 % des Français sont pour un retrait de nos soldats d’Afghanistan ». Résultat ô combien surprenant ! D’abord, tout être humain normal ne peut qu’être glacé par la mort de dix jeunes gens dans de telles conditions. De plus, dès l’annonce du guet-apens, télévisions et radios ont répété en boucle que ce drame relançait le débat sur la présence française en Afghanistan, tandis que des proches des victimes s’indignaient de ce que l’on ait envoyé des gamins de vingt ans sur un terrain aussi dangereux. Qui ne s’identifierait pas à ces parents, ces frères et sœurs endeuillés ? C’est bien ce qui me chafouine. En interrogeant son « échantillon de France » à chaud, le sondeur ne s’adresse pas à l’être de raison qui sommeille en chacun de nous ou presque (chez certains, il est dans le coma) mais au téléspectateur englué dans des torrents d’émotion cathodique. Ainsi demandera-t-on « aux Français » s’ils sont pour le service minimum au dixième jour d’une grève des transports ou s’ils font confiance aux compagnies low cost au lendemain d’un crash. Dans le cas présent, si la réponse n’est pas totalement contenue dans la question (il s’est tout de même trouvé 36 % de sans-cœur pour affirmer que nos soldats devaient rester en Afghanistan), elle y est fortement suggérée.
On ne voit pas pourquoi les médias s’abstiendraient vertueusement d’exploiter le filon inépuisable de l’émotion populaire, quand les politiques ne cessent de la flatter. Ainsi François Fillon s’est-il engagé à ce que la présence française en Afghanistan fasse l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement. On m’objectera que cela est fort démocratique et que notre participation à « la guerre contre le terrorisme » mérite bien un débat. Certes. Mais alors, il fallait l’organiser en avril, quand le président a décidé d’envoyer des renforts à Kaboul. Cette annonce faite quelques jours après l’embuscade de la vallée d’Uzbin – et le jour même de la publication du sondage du Parisien – donne l’impression que le Premier ministre cède à l’opinion ; plus fâcheux, il semble penser que la mort de nos dix soldats rend urgent un débat qui ne l’était pas il y a quatre mois. Comme si ces morts remettaient en cause la légitimité de la participation française à la « guerre contre le terrorisme » (ce qui, au passage, est l’objectif des assaillants). On se gardera de trancher ici l’épineuse question de la présence française en Afghanistan, mais soit la France avait raison d’y être hier, et elle a encore raison aujourd’hui, soit elle a tort aujourd’hui et elle avait déjà tort hier. Reste une réalité qu’on avait oubliée à force d’entendre parler de nos troupes envoyées sur des théâtres extérieurs comme si elles étaient composées d’infirmières en goguette humanitaire. Il s’agit de soldats et de guerres, et à la guerre les soldats peuvent mourir.
Retraite anticipée chez les Kadhafi
Quelques semaines à peine après que son frère Motassim Bilal alias Hannibal a défrayé la chronique, le plus fréquentable et visible fils Kadhafi, Seif el-Islam, a annoncé son intention de se retirer de la vie politique de son pays. Agé de 36 ans et très impliqué dans les réformes entreprises son père depuis une décennie, cette déclaration est surprenante. L’architecte de l’ouverture vers l’Occident est-il tenu responsable du manque d’égards des Suisses à l’encontre de son frère et sa belle sœur ? Ou bien utilise-t-il les verbes « retirer » et « se retirer » dans leur acception russe contemporaine, ce qui annonce un changement de cap ou, au moins, un petit rappel à l’ordre au sein de la famille régnant sur la Grande Jamâhîriyya arabe libyenne populaire et socialiste.