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Tout va très bien, Madame la Professeure

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Du réel, du vrai : si Nicolas Demorand, le talentueux matinalier de France Inter[1. Dont le retour à l’antenne nous prive néanmoins de l’indignation estivale dispensée à jets continus par Pierre Weil.] a choisi, entre tous les livres qui paraissent sur l’école, celui de Luc Cédelle, journaliste au Monde, c’est d’abord parce qu’il ne s’agit pas d’un témoignage mais d’un reportage, « un reportage au ras des tables et des chaises », a-t-il cité, proclamant son enthousiasme pour cette merveilleuse expression. Et puis, il y a le titre « simple et joyeux », Plaisir de collège, qui, insiste l’animateur, « tranche avec le catastrophisme ambiant ». C’est vrai, quoi, sois cool, man. Il y a quelques années, une pubeuse répondant au prénom de Chicorée ou Vanessa (elle avait perdu son nom en route) avait patiemment tenté de me convaincre des vertus d’une campagne de la RATP qui proclamait : « Il faut tout voir en beau » et invitait les usagers à avoir « des pensées positives » et à « purifier leur mental » – dans les couloirs du métro, fallait oser. Pour stimuler la sérénité de l’usager, on lui offrait un massage pratiqué dans un couloir puant et une boite de thé vert vraiment dégueulasse. Vous ne voyez pas le rapport ? D’accord, ce n’est pas exactement la même chose. A propos de l’Ecole, on ne nous dit pas que « tout va très bien » mais que « tout ne va pas si mal ». Reste à savoir si c’est vrai.

Donc Luc Cédelle se contente de « restituer des faits ». Et contre les faits, vous le savez : rien à dire. Ceux qu’il livre se déroulent au Collège expérimental Diam’s (non, c’est une blague, il s’appelle Clisthène[2. Sur causeur aussi, on apprend en s’amusant : sachez donc que Clisthène fut un réformateur et politique athénien vers 525 avant notre ère.]). Planté en périphérie de Bordeaux, ce Summerhill de quartier chaud (pour ce que j’en ai compris) organise la cohabitation harmonieuse des enfants de la bourgeoisie et des enfants de pauvres de la cité voisine, le tout grâce à une pédagogie sur-mesure (et vaguement aussi grâce à un effectif de cent élèves seulement, toutes classes confondues). Bref, c’est la maison du bonheur et l’auteur aimerait y enseigner. Mais attention, qu’on ne croie pas qu’il donne des leçons à qui que ce soit. Il serait même d’accord pour que chacun puisse expérimenter ses idées, y compris les plus réacs des réacs comme Finkielkraut ou Brighelli – et alors, on verrait bien, qui, des partisans de la blouse grise ou des défenseurs de l’épanouissement de l’élève, obtient les meilleurs résultats.

Bien sûr, Demorand précise qu’il s’agit d’une exception et concède même que la machine « nécessairement normative » qu’est l’Education nationale ne saurait la généraliser. Sans doute sait-il aussi qu’informer, c’est choisir. Luc Cédelle, qui suit l’éducation pour Le Monde, a choisi Clisthène, et pas un autre établissement, pour y effectuer une plongée en eau profonde et Nicolas Demorand a choisi cet ouvrage et pas un autre dans la flopée de titres qui auscultent notre enseignement. Rien à dire, mes honorables confrères font leur job. Ils entendent délivrer un message optimiste – même lardé de toutes sortes de précautions. On peut les comprendre. Il ne faut pas désespérer Pablo Neruda (ou Louis Aragon ou Danielle Casanova). On aurait tort de mépriser cet argument. Personne n’a envie de dire à des jeunes qu’ils sont foutus. L’ennui, c’est qu’ils finissent par s’en rendre compte.

So what, me dira-t-on ? L’intérêt de cet exemple est d’être exemplaire. L’optimisme de principe des deux journalistes est visiblement en phase avec l’opinion dominante sur l’éducation dans les médias et une bonne partie des troupes enseignantes. On la résumera d’une phrase : « Arrêtez de noircir le tableau ! » Des pensées positives, vous dis-je. Notons cependant que cette heureuse disposition ne s’applique qu’aux élèves, tous capables de réussir (pourvu qu’on les aime), et aux profs, motivés et compétents (pour peu qu’on les comprenne). Il va sans dire que l’Etat et « le système » sont l’objet de critiques acerbes (souvent méritées d’ailleurs).

Positiver, donc, voir le verre à moitié plein, même s’il est totalement vide. Il faut bien comprendre que la querelle de l’Ecole ne porte plus sur ce que devrait être l’éducation mais sur ce qu’elle est. Finkielkraut versus Meirieu, archéos contre pédagos, c’est dépassé. Aujourd’hui, l’affrontement oppose les « niveau-montistes » aux « catastrophistes ». Autrement dit, sur ce sujet et sur pas mal d’autres, c’est le réel lui-même qui fait débat – ce qui rend le débat difficile voire impossible. Comme le dit volontiers Finkielkraut, « on ne peut pas discuter si on n’est pas d’accord sur le récit ». Et dans le récit canonique en vogue, l’élève d’une banlieue difficile est un lecteur et même un interprète de Marivaux en puissance qui compense ses carences dans les bases par une maîtrise époustouflante de l’écran et des multiples appendices électroniques dont il est équipé. Si on va par là, c’est sûr : le niveau monte.

Ah, c’est certain, la vie serait plus agréable sans ces grincheux toujours prêts à vous casser le moral avec leurs sombres pronostics. Pour noircir le tableau, il est fort, Iannis Roder. D’ailleurs, son livre s’appelle Tableau noir, tu parles d’un programme. Certes, il ne s’agit pas d’un reportage réalisé avec toute la distance requise, mais d’un simple témoignage, celui d’un prof d’histoire-géo qui officie depuis une dizaine d’années dans un collège de Saint Denis. Visiblement, l’ambiance n’y est pas aussi réussie qu’à Clysthène. Roder raconte ses élèves, en s’efforçant de ne pas les juger et, aussi bon petit soldat qu’un autre, il s’accroche, multiplie les initiatives en tout genre pour tenter de les intéresser au monde qui les entoure. Il n’en brosse pas moins un terrifiant portrait de groupe. Passons sur la violence, le racisme, la confiance accordée à l’imam plutôt qu’au prof ; passons sur le matérialisme frénétique, l’obsession de l’argent. Ce que dit Roder, c’est que notre société engendre des jeunes dépourvus du vocabulaire qui leur permettrait d’accéder à une compréhension minimale du monde dans lequel ils sont. Pendant une journée, le prof a noté les mots qui laissaient ses élèves perplexes. Citons en un échantillon : exception, majoritaire, minoritaire, ravitaillement, écart, abolir, répandu, aspiration, nation, suggérer… Autant dire que ces jeunes sont incapables de la moindre abstraction, et, plus largement, de la moindre représentation. On a l’impression que tout ce qui n’entre pas dans leur champ de vision direct est noyé dans une sorte de flou.

Bien sûr, il est ici question d’une minorité et sans doute d’une minorité dans la minorité. Reste un scandale : des adolescents quittent l’école de la République non seulement analphabètes mais aussi analphabètes sociaux, dépourvus de tous les codes qui organisent la société. Bref, nous fabriquons de petits barbares qui, dans le meilleur des cas, seront demain des assistés. On aimerait les contraindre, les sociologues satisfaits, les politiques verbeux, les journalistes positifs, à se coltiner cette réalité-là. Qu’ils opposent leurs chatoyantes enquêtes et leurs convictions progressistes à ce témoignage situé, lui aussi, « au ras des tables et des chaises » – et souvent bien plus bas. Il ne s’agit pas de désigner des coupables – on serait bien en peine de le faire. Même s’il n’y a pas de coupables, ce qui se joue, à bas bruit, dans certaines salles de classe de France, est un crime contre l’avenir.

Tableau noir: La défaite de l'école

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Donner le la depuis Ré

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Au cours des universités d’été de La Rochelle, la direction du parti socialiste a demandé à Lionel Jospin d’animer un atelier. Quoi de plus normal, pour un parti politique digne de ce nom, de faire appel à ceux qui, en son sein, ont exercé de grandes responsabilités et brigué les plus hauts mandats. Sauf que l’atelier portait sur la stratégie politique… « J’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conséquences en me retirant de cet atelier après la fin des universités d’été. »

Ô Corse, île d’amour

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Je ne sais pas si, un jour, je remettrai jamais les pieds en France. Je ne sais si l’on m’accordera le visa. Ce pays, dont j’ai tant aimé les hommes et le vin, se transforme lentement en une effroyable dictature. Les Biélorusses n’ont qu’à bien se tenir : ils ne sont plus seuls au monde. C’est du moins ce que j’ai lu, ces jours-ci, en parcourant la presse française et en y apprenant que Tino Rossi venait d’être relevé de ses fonctions en Corse.

Sous quel régime, si ce n’est la plus achevée des tyrannies, obligerait-on un homme de cent un ans à travailler encore ? Ne pouvait-on pas laisser le vieux chanteur s’éteindre paisiblement jusqu’à son dernier râle qui aurait pris la forme grave d’un chi chiiii… ? Non ! L’hydre sarkozyste a interdit l’Ajaccien de chanson[1. Certainement pour ne pas faire de l’ombre à Johnny Halliday, de trois ans son cadet.] et a contraint le vieillard à devenir coordinateur des forces de sécurité en Corse.

Samedi, Tino Rossi a commis la première bévue de sa carrière en ne faisant pas tirer sur les manifestants réunis dans le jardin corse de Christian Clavier. Aux yeux de l’Elysée, la faute est impardonnable : on a aussitôt rapatrié le vieil homme à Paris. Certainement pour le piquer, non sans au préalable l’avoir torturé dans les caves élyséennes, où il aura pu bénéficier – du moins l’espère-t-on – du réconfort de ses compagnons d’infortune, détenus eux aussi dans les geôles de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Peut-être le vieux chanteur, la tête appuyée contre la mâle épaule de Dominique de Villepin, aura-t-il pu couper trente secondes la parole à Jean-François Kahn pour entonner une dernière fois un émouvant Vieni Vieni… Rien n’est moins sûr.

A l’heure qu’il est, Tino Rossi est certainement mort et c’est vers les manifestants corses que doit se tourner notre solidarité.

De quoi sont-ils coupables ? D’aimer le cinéma ! Est-ce devenu un crime de manifester, en France, contre le pire acteur de sa génération ? N’a-t-on plus le droit de critiquer le jeu d’un comédien qui est à Louis de Funès ce que les extraterrestres sont aux gendarmes de Saint-Tropez ? Ce n’est pas le fait que Christian Clavier soit un acteur de droite qui me gêne. Les Allemands ont montré, au cours des soixante-dix dernières années qu’ils savaient parfaitement collaborer avec tous les acteurs français, de droite comme de gauche. Non, ce qui me dérange, c’est que Christian Clavier ne soit pas un acteur du tout.

Je voudrais d’ailleurs vous y voir, vous. Imaginez-vous un seul instant compter dans votre voisinage un type comme Christian Clavier. Les préjudices ne sont pas mineurs : la voix d’un Johnny complètement pété qui vous réveille à 3 heures du matin parce qu’il se croit à Bercy, l’irruption de Jean Reno à l’épicerie du coin qui dézingue tout le monde parce qu’on ne lui pas rend assez vite la monnaie, l’hélicoptère présidentiel se posant à n’importe quelle heure du jour et de la nuit parce que Nicolas Sarkozy a décidé de venir prendre des conseils éclairés en matière de politique culturelle, les interminables bouchons qui se forment derrière la voiture de Doc Gynéco, sans compter Christine Angot sous un porche dans le noir (et vice-versa). C’est insupportable.

Comme le peuple corse est le peuple le plus intelligent de la terre (la chanteuse Alizée et Jean-Marie Colombani en sont), les manifestants n’ont pas argué de leur cinéphilie et de leur aversion envers Christian Clavier pour protester contre la présence de l’acteur sur l’Ile de Beauté. Ils savent, les pas bêtes, que de tels motifs auraient provoqué l’ire élyséenne et que l’on aurait vu le chef de l’Etat mobiliser immédiatement le contingent pour régler militairement la situation.

Les manifestants corses ont simplement avancé quelques raisons bien de chez eux, du style « la Corse aux Corses », « dehors les Français ». Que ne feraient-ils pas pour faire progresser la cause du 7e art ?

Le socialisme suisse : un oxymore dévastateur

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Dans l’univers impitoyable de la francophonie en effervescence, il serait injuste de focaliser notre attention sur nos seuls amis wallons, au motif qu’ils se débattent dans la crise terminale de l’Etat belge. A quelques encablures de ce coin de France d’où j’observe le monde et les hommes, la République et Canton de Genève est la porte d’entrée dorée de la Suisse romande. Cette dernière rassemble près d’un million de locuteurs français dans la Confédération helvétique.

Contrée prospère grâce aux qualités industrieuses de ses habitants, à une neutralité la mettant à l’abri des guerres, et à la légendaire discrétion de ses institutions financières, cette Romandie bucolique n’a pas moins hérité de son histoire une gauche socialiste et même communiste. Ces formations obtiennent encore aujourd’hui des scores non négligeables dans les centres urbains, notamment à Genève. La fidélité des Suisses à une famille politique est affaire de tradition familiale plus que d’intérêts de classe ou d’idéologie.

Au niveau confédéral, la composition du gouvernement de Berne obéit toujours à la fameuse « formule magique », en vertu de laquelle le pouvoir exécutif est confié à un directoire de sept membres reflétant à la fois l’équilibre politique et la diversité linguistique du pays. Les principaux partis, de droite et de gauche, y sont donc représentés, les postes ministériels et la présidence de la Confédération étant soumis à une tournante (en tout bien tout honneur, bien sûr). Seul un séisme électoral, qui priverait le Conseil fédéral de sa représentativité, pourrait conduire à une révision de la sacro-sainte formule magique : c’est dire l’importance que les Suisses attachent aux élections générales (alors qu’ils raffolent des votations organisées sur les sujets les plus improbables).

Deux socialistes (en général un(e) germanophone et un(e) francophone) participent depuis des décennies à cet exécutif.

Reste à savoir à quoi peut bien servir un Parti socialiste dans un tel contexte, dont l’alternance est exclue, et où il n’est pas question de remettre en question la prééminence, dans la conduite du pays, des partis que l’on qualifie délicieusement de « bourgeois » – ce qui signifie « de droite ».

Parti socialiste suisse ? C’est le plus bel oxymore politique européen, tout aussi baroque que le Parti révolutionnaire institutionnel mexicain ! Comment voulez-vous faire avancer la cause du socialisme, même dans sa version rose pâle, avec un peuple qui a refusé, lors d’un référendum d’initiative populaire, de réduire la durée hebdomadaire légale du travail de 42 à 40 heures, comme il avait rejeté il y a quelques années l’instauration d’un congé-maternité ?

Dans ces conditions, les héritiers suisses de Jaurès et Liebknecht n’ont plus que la politique étrangère pour redorer leur blason révolutionnaire. Aussi les socialistes les plus convenables prennent-ils vaillamment fait et cause pour tous ceux qui prétendent lutter, dans le tiers-monde, contre le grand Satan américain et ses valets.

On connaissait déjà l’ineffable Jean Ziegler, ancien député socialiste et rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation, adorateur de Fidel Castro et lécheur régulier des babouches de Mouammar Kadhafi. On découvre maintenant Micheline Calmy-Rey, qui occupe actuellement le poste de ministre des Affaires étrangères de la Confédération. Cette dame qui s’était déjà montrée couverte d’un tchador lors d’un voyage controversé à Téhéran en mars dernier vient de se signaler à nouveau en se déclarant prête à s’asseoir à la table d’Oussama Ben Laden : « le refus du dialogue est toujours stérile, a-t-elle expliqué, y compris avec des gens réputés infréquentables. »

Imaginons-nous un instant sous la table d’un palace genevois où Mme Calmy-Rey aura mis son projet à exécution (toujours en tout bien tout honneur). Correctement entchadorée, elle accueille le chef d’Al Qaïda :

– M.C-R : Votre Excellence a-t-elle fait bon voyage ?
– Ben Laden : …
– M.C-R (ramenant à elle sa main tendue que le barbu refuse de toucher) : Thé ou café ?
Ben Laden intime l’ordre à ses sbires de lui verser du thé provenant de sa propre théière.
– M.C-R : A propos du terrorisme…..
Ben Laden se lève théâtralement et fait mine de quitter les lieux avec sa suite.
– M.C-R : Non… Non ne partez-pas, de grâce, c’est un malentendu ! Je voulais juste m’enquérir de vos sentiments sur les agissements terroristes des Occidentaux en Irak, en Iran, en Afghanistan et en Palestine…
Ben Laden fait demi-tour et se rassoit, l’air toujours contrarié. Il chuchote quelques mots en arabe à l’oreille de son secrétaire-traducteur.
– L’interprète : le cheikh Oussama a une faveur à vous demander.
– M.C-R : Si je… pardon, si la Confédération helvétique peut vous être utile, ce sera avec plaisir…
L’interprète présente à la ministre une valise de bonne taille, griffée Vuitton, pourvue d’une serrure à combinaison chiffrée
– L’interprète : Le Cheikh Oussama vous serait très reconnaissant d’apporter en personne cette valise à l’adresse indiquée sur l’étiquette. Ils sont prévenus.
– M.C-R (lisant l’étiquette) : Au siège de l’UBS ? Pas de problème, c’est sur mon chemin. Quoi d’autre pour votre service?
– Ben Laden: Khlass ! C’est pas tout ça, mais il se fait tard et il faut encore acheter des couteaux suisses pour les enfants.

Préservez-nous du mal

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Quatre garçons ont été arrêtés par la police à Pau, en train d’arracher des distributeurs de préservatifs. Se prétendant « catholiques fervents », ils ont confessé aux enquêteurs vouloir remettre leur butin à leur paroisse. Jeunes hommes, quand on est catholique, c’est à l’index qu’on met la capote. Pas ailleurs.

Un holocauste light ?

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Dans son édito de Causeur version papier, Elisabeth Lévy, commentant l’affaire Siné, appelait de ses vœux une « journée sans Juifs ». Cette excellente idée d’Elisabeth (qui je l’espère, me pardonnera la tautologie), étant pour l’instant restée lettre morte, j’ai décidé de donner l’exemple. Il ne sera donc pas question ici de Juifs, seulement d’antisémitisme, d’antisionisme et de trotskystes, britanniques de surcroît.

Le lièvre qui nous intéresse a été levé par l’Alliance for Workers Liberty, l’un des très nombreux groupes se réclamant de cette mouvance. À l’instar des autres groupes trotskystes du Royaume Uni et du reste du monde, l’AWL est très investie dans la lutte anti-impérialiste, le soutien aux sans-papiers et le combat antifasciste. C’est à ce dernier titre que ses militants ont participé, avec toute l’extrême gauche, le 16 août dernier à Codnor dans le Derbyshire, à un rassemblement de protestation contre la tenue de la fête annuelle du British National Party, principale formation extrême droitiste du pays – un happening qui rappelle nos grandes festivités antifascistes de Strasbourg, lesquelles, malheureusement n’ont eu lieu qu’une fois.

Or, voilà que dans la manif, les militants de l’AWL tombent sur un tract qui les fait sursauter. Il émane de Unite Against Fascism, l’équivalent anglais de Ras l’Front, une organisation animée et contrôlée par les militants du SWP, la principale organisation trotskyste britannique (Que ce soit dit une fois pour toutes, le SWP n’a aucun rapport avec la LCR française, ni avec LO qui ne sont donc pas spécialement visées ici). En plus du fonds de sauce trotskyste, le SWP est très en pointe dans la lutte contre « l’islamophobie », cause si essentielle qu’elle le conduit à passer des alliances électorales avec des groupes musulmans fondamentalistes ; et on ne le diffamera pas en affirmant que son antisionisme est souvent sans nuances.

En Angleterre, tout cela (qui n’a donc rien à voir avec des faits existant ou ayant existé) est connu depuis longtemps. Cela n’a pas empêché les militants de l’AWL de tomber sur le postérieur en lisant le tract de leurs concurrents du SWP. Et de fait, il y avait de quoi : « Le BNP, y explique-t-on, nie l’existence de l’Holocauste, l’Holocauste qui a exterminé des milliers de LGBT, de syndicalistes et d’handicapés. » Point final, pas d’autres victimes recensées. Pourquoi les coiffeurs, au fait ?

La réplique de l’AWL, dans un éditorial assez remonté publié sur son site, vaut le détour. L’auteur, Gerry Bates, qui y tient une rubrique intitulée « Antisémitisme de gauche » (ce qui est déjà culotté), s’interroge en titre : « Has the SWP Discovered a « Jew-Free » Holocaust ? » (La SWP a-t-elle découvert un Holocauste sans Juifs ?)

Une fois passé un léger moment de colère, il hasarde quelques hypothèses : « On n’ose imaginer que le SWP veuille faire appel aux gens qui considèrent qu’Hitler a eu raison de tuer six millions de Juifs, mais regrettent qu’il ait aussi liquidé des gays et des handicapés. Ou que le SWP lui-même considère que l’extermination des Juifs n’était pas une dimension décisive, voire répréhensible, de l’Holocauste. On en déduit donc qu’il s’agit d’une bavure, d’un dérapage. Mais s’il est passé inaperçu aux yeux de l’auteur, du claviste, de l’imprimeur, des organisateurs et des distributeurs, sans oublier tous les lecteurs, alors ce dérapage doit avoir du sens. »

Une autre militante, Jane Ashworth a son idée sur la question : « Cela signifie quelque chose : pour les militants du SWP, l’Holocauste est sans rapport avec le Moyen-Orient d’aujourd’hui – si ce n’est pour fournir l’amalgame entre sionistes et nazis qu’ils utilisent volontiers. » Un autre militant, ferme le ban par une muleta érudite, rapprochant la réécriture de l’Holocauste version SWP de celle qui prévalait dans l’URSS stalinienne, où le monument érigé en hommage aux 33.771 Juifs massacrés le 29 septembre 1941 par les nazis à Babi Yar ne parlait que de « citoyens soviétiques ». Pour l’auteur, le diagnostic est clair : « Le SWP a un problème avec l’antisémitisme. »

Heureusement, de telles polémiques ne risquent pas d’arriver chez nous. Pour la simple raison que personne à gauche ou à l’extrême gauche, ne procède à un travail de veille endogène sur l’antisémitisme[1. Ce travail est en revanche fort judicieusement fait – non pas du côté de l’extrême gauche politique mais, ce qui n’a rien d’un détail, de celui de l’ultra-gauche théorique –, par Yves Coleman sur son site. Qu’il en soit, malgré des désaccords à la tonne, formellement remercié ici ainsi que pour avoir traduit et publié les textes sans concessions du groupe hollandais « De Fabel van de illegaal » sur les ravages de l’antisémitisme au sein du mouvement altermondialiste, qui gagneraient, qui sait, à être mieux connus ici…]. D’ailleurs, on ne voit pas pourquoi quelqu’un s’y collerait, puisque chez nous, il n’y a d’antisémitisme qu’à l’extrême droite. Et quand dans Politis, Bernard Langlois traite Claude Askolovitch « d’agent d’influence israélien », il ne peut s’agir que d’une bavure typographique, sans quoi le MRAP, le PS ou Acrimed auraient immédiatement réagi.

Une bonne vieille révolution ?

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Ce fut juste l’une de ces petites phrases dont tout politique rompu aux lois d’airain de la communication sait truffer ses discours de meetings ou ses interviews. Il a beau avoir l’air d’un oiseau tombé du nid, Besancenot n’est pas un perdreau de l’année. Il sait que le Grand soir est un marché porteur. A Port Leucate, où ses sympathisants étaient réunis pour le séminaire de pré-lancement du NPA, il y est donc allé à la truelle dans le genre « profiteurs à gros cigares (ou devrait-on, désormais, dire à quatre-quatre ?) pendus aux réverbères ». Comme il a des lettres et que les participants des « universités d’été » de la LCR étudiaient sagement les œuvres de Marx et Engels, la bonne bouille de la politique française a parlé de la suraccumulation du capital. « Il y a du grabuge en perspective parce que le capitalisme et les capitalistes français sont en train de craquer. Ce qu’il leur faudrait, c’est une bonne vieille révolution », a-t-il lancé. Et qu’on ne croie pas qu’il s’agit là de rhétorique de meeting. « Pour nous autres révolutionnaires, a-t-il ajouté, les conditions sont réunies pour l’action.(…) Ca pètera dans un mois, dans un an, d’ici 2012 en tout cas. On fera tout pour ça et on sera là. » Le Grand soir, c’est pour demain. Attachez vos ceintures.

Certes, comme l’a excellemment observé Eric Dupin qui vient de reprendre les rênes de Marianne 2.fr, il n’est pas très surprenant qu’un parti appelé Ligue communiste révolutionnaire agite l’étendard de la Révolution. Sauf que depuis un bail, la plupart de ses aînés se contentaient de l’évoquer comme une promesse lointaine, un horizon inaccessible – en somme l’équivalent laïque du Paradis chrétien. La Révolution avait un avantage insigne sur toutes les idées disponibles, c’est qu’elle ne risquait pas d’advenir. Pour le reste, comme l’avait compris Furet, nous étions condamnés à vivre dans ce monde-là. Et voilà que le petit l’annonce pour de vrai, le Royaume des cieux, avec la date et l’heure ou presque. De quoi faire trembler exploiteurs assoiffés, possédants avides, marchands cupides. Un bon réverbère, vous dis-je…

Avant de se demander si les contradictions du sarko-capitalisme peuvent enfanter des lendemains qui chantent, il faudrait savoir ce que Besancenot entend par « révolution » et, plus encore, par « bonne vieille révolution ». D’abord, c’est hier ou demain ? Les deux, Camarades ! – « hier » et « demain » se donnant la main pour effacer « aujourd’hui ». En somme, le volontarisme historique affiché s’enracine dans une nostalgie d’anciens combattants. On peut trouver bizarre le coefficient automatique de sympathie qui s’attache au mot et peut-être à la chose, dans un pays qui, en ayant fait l’expérience, sait que dans la vraie vie, la révolution, c’est pas marrant très longtemps, et dans un monde qui a pu observer sur grande échelle l’ivresse mortifère des périodes révolutionnaires. Mais voilà, l’expérience historique ne fait pas le poids face à la mythologie. Dans le roman national, la révolution, c’est sympa, point.

Seulement, si les mots ont un sens, ce qui caractérise une révolution, c’est la violence, en tout cas la brutalité du changement. Il est vrai que notre époque sucrée a inventé les révolutions douces, fleuries, pacifiques, orange ou demi-saison, dans lesquelles les valeureux combattants des Droits de l’Homme finissent par terrasser les méchants dictateurs nationalistes. La chute du mur de Berlin est ce qui s’approche le plus d’une révolution démocratique, mais on peut aussi bien la qualifier de restauration. Le plus souvent, il s’agit de coups d’état soft plus ou moins encouragés par le commandement central du camp du Bien et surtout, retransmis en mondovision. (A la réflexion, la différence entre révolution et coup d’état tient largement au nombre de gens admis dans l’avant-garde révolutionnaire.)

Visiblement, ce n’est pas à ces néo-révolutions télévisées que pensait Besancenot en faisant sa tirade. Ce qui le fait rêver, dans la révolution, et avec lui pas mal de mes honorables concitoyens, c’est le sang, la castagne. « Va y avoir du grabuge ! » Cet engouement est assez mystérieux. On ne voit pas en quoi il serait préférable que les sociétés changent par à coups brutaux plutôt que de s’adapter en douceur, et ceci alors même que l’immense majorité des êtres humains, même les plus malheureux, ne souhaitent pas la destruction brutale de tous les cadres de leur existence ni la remise en cause violente de leur identité, ni même le renversement de toutes les hiérarchies. Ce « conservatisme » explique d’ailleurs le succès des communistes dans les anciennes « républiques populaires ». Or, la table rase est la substance du programme révolutionnaire. « Les premiers seront les derniers » – après tout, la maxime évangélique annonçait déjà « l’esprit sans-culotte » dépeint par Patrice Gueniffey.

Alors quoi, faudrait-il se résigner à un ordre immuable et injuste ? Pour tout dire, il m’arrive fréquemment de penser que certaines têtes finiront sur des piques et que leurs propriétaires l’auront bien cherché – à supposer que la fureur révolutionnaire frappe juste ce qui reste à prouver. De toute façon, il ne s’agit pas de se demander si la révolution est souhaitable, mais si elle est probable. Il faut dire qu’il n’a pas tout faux, ce petit Besancenot. Il est indéniable que la crise du capitalisme est « profonde, sérieuse, grave ». Et tout autant que pour une fraction grandissante du bon peuple, trop, c’est trop. Aussi est-on tenté de penser que l’ambiance est prérévolutionnaire, bref, que « ça pourrait péter » pour employer le langage fleuri de notre Che Guevara à la mode Canal +. Il est certain qu’on ne peut guère compter sur nos aimables socialos, qui viennent seulement de se rendre compte qu’ils avaient renoncé au marxisme, pour ramasser la mise. Mais aussi sympathique soit-il, Besancenot ne sera peut-être pas mieux placé. A observer la couleur des nuages qui s’amoncèlent au-dessus des sociétés, on se dit que si révolution il y a, elle risque d’être teintée de brun plutôt que de rouge et, en prime, d’être corsée par des affrontements interethniques préparés par deux ou trois décennies d’apologie bécasse du minoritaire victimisé. Bref, en fait d’avenir radieux, un processus révolutionnaire aurait toutes les chances de dégénérer en guerre des gangs. Et pour ce genre de jeux, il est un peu tendre, le postier.

Pas de panique, cependant, car, en fait, la révolution n’est pas très probable. Mon intuition est que la télévision la rend à la fois impossible et inutile. Inutile parce que désormais, la catharsis s’opère sur vos écrans : plus besoin de passer à l’acte quand on peut avoir le grand frisson à domicile. Impossible, parce que ce qui n’est pas médiatisé n’existe pas et qu’on ne voit pas pourquoi nos grandes boutiques d’informations donneraient corps à un processus révolutionnaire dont l’aboutissement logique serait leur destruction – et, sans doute, leur remplacement par d’autres. Ce n’est pas un hasard si les révolutions médiatiques précédemment évoquées s’apparentent à des comédies hollywoodiennes dans lesquelles les gentils gagnent. La télé ne peut tolérer la tragédie, les questions sans réponses, les choix impossibles, les dilemmes cornéliens. Il lui faut un monde en noir et blanc et ce monde, elle le fabrique. De fait, la Révolution, la nôtre, n’a pas été radine en matière de manichéisme, elle qui a inventé la loi des suspects et les ennemis du peuple. Certes, mais on admettra que dans la réalité, le combat de l’ombre et de la lumière a fortement ressemblé à une mêlée générale.

Il y a bien d’autres raisons de douter de l’imminence d’une explosion révolutionnaire, à commencer par l’absence sidérale de tout projet alternatif de société. A part « faire payer les riches », les têtes pensantes de la « vraie gauche » n’ont guère d’idée et ils ne savent pas vraiment comment mettre en œuvre cet intéressant programme. Besancenot pense qu’un sans-culotte sommeille en chaque Français, et il a sans doute raison. Mais à côté du sans-culotte endormi, il y a un notaire de province et celui-là est bien réveillé. Au lieu de lire Buonarroti, il ferait mieux de se plonger dans Balzac.

Présidente sans vice

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Mc Cain s’est donc enfin trouvé une vice-présidente digne de ce nom. Hostile à l’avortement, héroïne des conservateurs religieux, membre influent de la National Rifle Association, plaidant pour la construction d’un pipeline et la reprise des forages pétroliers en Alaska. Et dire qu’on passe pour des réacs…

Sale temps pour les junkies

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La production d’opium a baissé de 19 % cette année en Afghanistan, par rapport à 2007, a annoncé l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime). Le responsable ? Ni l’OTAN, ni le « gouvernement » ni même les ONG. Selon Antonio Maria Costa, directeur de l’agence onusienne, la cause principale de cette baisse de rendement, c’est la sécheresse. Comme quoi le réchauffement climatique peut avoir du bon, comme le pensent déjà tous les malheureux qui ont passé le mois d’août à Paris…

Russia on my mind

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Vous je ne sais pas, mais moi je commence à en avoir ras-la-frange de l’avalanche de propagande anti-russe ou plutôt anti-Medvedev, c’est-à-dire anti-Poutine, que nous déversent à pleins flots les démocrates occidentaux tombés brusquement raide dingues de l’exquise petite Géorgie menacée, dit-on, de génocide.

Moi qui étais déjà jeune bien avant la chute du mur de Berlin, je n’ai pas souvenir d’avoir été autant tympanisé avec les crimes de masse – avérés, eux – de feue l’Union soviétique.

Alors, pourquoi ces deux poids et deux mesures ? Lâcheté ? Sans doute. La « gauche morale » a toujours eu une regrettable propension à taper dans le beurre plutôt que dans le fer. « Est-ce par hasard ? », comme disait Dave dans un autre contexte, si Sartre a découvert les vertus de l’engagement en 1945 ?
Lâcheté certes, mais aveuglement surtout : ces singes-là veulent bien parler, mais en aucun cas ni voir ni entendre. Et puis après tout, peu importe : quelle que soit la face par laquelle on gravit la montagne de la connerie, on se retrouve ensemble au sommet !

Rumeurs sur les bancs de la gauche : « Vous n’avez pas le droit de comparer Staline et Hitler au nom du totalitarisme ! » Parce que, figurez-vous, il y a une différence de fond : le communisme, contrairement au nazisme, était pavé de bonnes intentions.

Mais depuis quand l’hypocrisie est-elle une preuve de bonne foi ? Devinette simple : à quoi reconnaît-on infailliblement un intellectuel-de-gauche ? A son étonnante capacité de changer d’erreur sans jamais effleurer la vérité.

En l’occurrence hélas, ce syndrome erroriste semble avoir contaminé les esprits bien au-delà des rangs de la gauche. Parmi les responsables de l’ex-Monde Libre, c’est à qui hurlera le plus fort au viol de la démocratie, depuis Nicolas Sarkozy jusqu’ à Angela Merkel, en passant par le décidément prometteur John Mc Cain – qui croit voir les trois lettres KGB dans les yeux de Poutine (qui ne sont pourtant que deux) avant de conclure logiquement : « Aujourd’hui, nous sommes tous Géorgiens. »

Car la vérité, dans cette affaire, c’est que jamais la Russie n’a été aussi démocratique ! Sans doute pas une démocratie parfaite telle que l’ont rêvée Platon ou Tocqueville. Mais où donc est-elle ? Après soixante-dix ans d’une dictature ubuesque et sadique, puis dix années de chaos où l’Etat désagrégé a démissionné au profit des clans mafieux, « que faire ? », comme disait l’autre ?

S’enfoncer dans le chaos des guerres entre féodalités ploutocratiques (auxquelles Eltsine avait cédé la réalité du pouvoir ) ? Retourner à la dictature communiste par la voie des urnes ? (Encore deux ans du même Eltsine, et on y était !)

En 2000, Poutine a proposé une troisième voie – la seule possible, et donc souhaitable – dans un pays qui revenait de si loin. Sortir la Russie de la crise, faire progresser le niveau de vie sans liquider les acquis sociaux. Et surtout, redonner au pays une fierté nationale et une stature internationale, au risque de fâcher quelques étrangers jaloux…

Que demande le peuple russe ? Ça, apparemment !

Photographie de une : Moscou, 2007, par Panoramas, flickr.

Tout va très bien, Madame la Professeure

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Du réel, du vrai : si Nicolas Demorand, le talentueux matinalier de France Inter[1. Dont le retour à l’antenne nous prive néanmoins de l’indignation estivale dispensée à jets continus par Pierre Weil.] a choisi, entre tous les livres qui paraissent sur l’école, celui de Luc Cédelle, journaliste au Monde, c’est d’abord parce qu’il ne s’agit pas d’un témoignage mais d’un reportage, « un reportage au ras des tables et des chaises », a-t-il cité, proclamant son enthousiasme pour cette merveilleuse expression. Et puis, il y a le titre « simple et joyeux », Plaisir de collège, qui, insiste l’animateur, « tranche avec le catastrophisme ambiant ». C’est vrai, quoi, sois cool, man. Il y a quelques années, une pubeuse répondant au prénom de Chicorée ou Vanessa (elle avait perdu son nom en route) avait patiemment tenté de me convaincre des vertus d’une campagne de la RATP qui proclamait : « Il faut tout voir en beau » et invitait les usagers à avoir « des pensées positives » et à « purifier leur mental » – dans les couloirs du métro, fallait oser. Pour stimuler la sérénité de l’usager, on lui offrait un massage pratiqué dans un couloir puant et une boite de thé vert vraiment dégueulasse. Vous ne voyez pas le rapport ? D’accord, ce n’est pas exactement la même chose. A propos de l’Ecole, on ne nous dit pas que « tout va très bien » mais que « tout ne va pas si mal ». Reste à savoir si c’est vrai.

Donc Luc Cédelle se contente de « restituer des faits ». Et contre les faits, vous le savez : rien à dire. Ceux qu’il livre se déroulent au Collège expérimental Diam’s (non, c’est une blague, il s’appelle Clisthène[2. Sur causeur aussi, on apprend en s’amusant : sachez donc que Clisthène fut un réformateur et politique athénien vers 525 avant notre ère.]). Planté en périphérie de Bordeaux, ce Summerhill de quartier chaud (pour ce que j’en ai compris) organise la cohabitation harmonieuse des enfants de la bourgeoisie et des enfants de pauvres de la cité voisine, le tout grâce à une pédagogie sur-mesure (et vaguement aussi grâce à un effectif de cent élèves seulement, toutes classes confondues). Bref, c’est la maison du bonheur et l’auteur aimerait y enseigner. Mais attention, qu’on ne croie pas qu’il donne des leçons à qui que ce soit. Il serait même d’accord pour que chacun puisse expérimenter ses idées, y compris les plus réacs des réacs comme Finkielkraut ou Brighelli – et alors, on verrait bien, qui, des partisans de la blouse grise ou des défenseurs de l’épanouissement de l’élève, obtient les meilleurs résultats.

Bien sûr, Demorand précise qu’il s’agit d’une exception et concède même que la machine « nécessairement normative » qu’est l’Education nationale ne saurait la généraliser. Sans doute sait-il aussi qu’informer, c’est choisir. Luc Cédelle, qui suit l’éducation pour Le Monde, a choisi Clisthène, et pas un autre établissement, pour y effectuer une plongée en eau profonde et Nicolas Demorand a choisi cet ouvrage et pas un autre dans la flopée de titres qui auscultent notre enseignement. Rien à dire, mes honorables confrères font leur job. Ils entendent délivrer un message optimiste – même lardé de toutes sortes de précautions. On peut les comprendre. Il ne faut pas désespérer Pablo Neruda (ou Louis Aragon ou Danielle Casanova). On aurait tort de mépriser cet argument. Personne n’a envie de dire à des jeunes qu’ils sont foutus. L’ennui, c’est qu’ils finissent par s’en rendre compte.

So what, me dira-t-on ? L’intérêt de cet exemple est d’être exemplaire. L’optimisme de principe des deux journalistes est visiblement en phase avec l’opinion dominante sur l’éducation dans les médias et une bonne partie des troupes enseignantes. On la résumera d’une phrase : « Arrêtez de noircir le tableau ! » Des pensées positives, vous dis-je. Notons cependant que cette heureuse disposition ne s’applique qu’aux élèves, tous capables de réussir (pourvu qu’on les aime), et aux profs, motivés et compétents (pour peu qu’on les comprenne). Il va sans dire que l’Etat et « le système » sont l’objet de critiques acerbes (souvent méritées d’ailleurs).

Positiver, donc, voir le verre à moitié plein, même s’il est totalement vide. Il faut bien comprendre que la querelle de l’Ecole ne porte plus sur ce que devrait être l’éducation mais sur ce qu’elle est. Finkielkraut versus Meirieu, archéos contre pédagos, c’est dépassé. Aujourd’hui, l’affrontement oppose les « niveau-montistes » aux « catastrophistes ». Autrement dit, sur ce sujet et sur pas mal d’autres, c’est le réel lui-même qui fait débat – ce qui rend le débat difficile voire impossible. Comme le dit volontiers Finkielkraut, « on ne peut pas discuter si on n’est pas d’accord sur le récit ». Et dans le récit canonique en vogue, l’élève d’une banlieue difficile est un lecteur et même un interprète de Marivaux en puissance qui compense ses carences dans les bases par une maîtrise époustouflante de l’écran et des multiples appendices électroniques dont il est équipé. Si on va par là, c’est sûr : le niveau monte.

Ah, c’est certain, la vie serait plus agréable sans ces grincheux toujours prêts à vous casser le moral avec leurs sombres pronostics. Pour noircir le tableau, il est fort, Iannis Roder. D’ailleurs, son livre s’appelle Tableau noir, tu parles d’un programme. Certes, il ne s’agit pas d’un reportage réalisé avec toute la distance requise, mais d’un simple témoignage, celui d’un prof d’histoire-géo qui officie depuis une dizaine d’années dans un collège de Saint Denis. Visiblement, l’ambiance n’y est pas aussi réussie qu’à Clysthène. Roder raconte ses élèves, en s’efforçant de ne pas les juger et, aussi bon petit soldat qu’un autre, il s’accroche, multiplie les initiatives en tout genre pour tenter de les intéresser au monde qui les entoure. Il n’en brosse pas moins un terrifiant portrait de groupe. Passons sur la violence, le racisme, la confiance accordée à l’imam plutôt qu’au prof ; passons sur le matérialisme frénétique, l’obsession de l’argent. Ce que dit Roder, c’est que notre société engendre des jeunes dépourvus du vocabulaire qui leur permettrait d’accéder à une compréhension minimale du monde dans lequel ils sont. Pendant une journée, le prof a noté les mots qui laissaient ses élèves perplexes. Citons en un échantillon : exception, majoritaire, minoritaire, ravitaillement, écart, abolir, répandu, aspiration, nation, suggérer… Autant dire que ces jeunes sont incapables de la moindre abstraction, et, plus largement, de la moindre représentation. On a l’impression que tout ce qui n’entre pas dans leur champ de vision direct est noyé dans une sorte de flou.

Bien sûr, il est ici question d’une minorité et sans doute d’une minorité dans la minorité. Reste un scandale : des adolescents quittent l’école de la République non seulement analphabètes mais aussi analphabètes sociaux, dépourvus de tous les codes qui organisent la société. Bref, nous fabriquons de petits barbares qui, dans le meilleur des cas, seront demain des assistés. On aimerait les contraindre, les sociologues satisfaits, les politiques verbeux, les journalistes positifs, à se coltiner cette réalité-là. Qu’ils opposent leurs chatoyantes enquêtes et leurs convictions progressistes à ce témoignage situé, lui aussi, « au ras des tables et des chaises » – et souvent bien plus bas. Il ne s’agit pas de désigner des coupables – on serait bien en peine de le faire. Même s’il n’y a pas de coupables, ce qui se joue, à bas bruit, dans certaines salles de classe de France, est un crime contre l’avenir.

Tableau noir: La défaite de l'école

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Donner le la depuis Ré

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Au cours des universités d’été de La Rochelle, la direction du parti socialiste a demandé à Lionel Jospin d’animer un atelier. Quoi de plus normal, pour un parti politique digne de ce nom, de faire appel à ceux qui, en son sein, ont exercé de grandes responsabilités et brigué les plus hauts mandats. Sauf que l’atelier portait sur la stratégie politique… « J’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conséquences en me retirant de cet atelier après la fin des universités d’été. »

Ô Corse, île d’amour

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Je ne sais pas si, un jour, je remettrai jamais les pieds en France. Je ne sais si l’on m’accordera le visa. Ce pays, dont j’ai tant aimé les hommes et le vin, se transforme lentement en une effroyable dictature. Les Biélorusses n’ont qu’à bien se tenir : ils ne sont plus seuls au monde. C’est du moins ce que j’ai lu, ces jours-ci, en parcourant la presse française et en y apprenant que Tino Rossi venait d’être relevé de ses fonctions en Corse.

Sous quel régime, si ce n’est la plus achevée des tyrannies, obligerait-on un homme de cent un ans à travailler encore ? Ne pouvait-on pas laisser le vieux chanteur s’éteindre paisiblement jusqu’à son dernier râle qui aurait pris la forme grave d’un chi chiiii… ? Non ! L’hydre sarkozyste a interdit l’Ajaccien de chanson[1. Certainement pour ne pas faire de l’ombre à Johnny Halliday, de trois ans son cadet.] et a contraint le vieillard à devenir coordinateur des forces de sécurité en Corse.

Samedi, Tino Rossi a commis la première bévue de sa carrière en ne faisant pas tirer sur les manifestants réunis dans le jardin corse de Christian Clavier. Aux yeux de l’Elysée, la faute est impardonnable : on a aussitôt rapatrié le vieil homme à Paris. Certainement pour le piquer, non sans au préalable l’avoir torturé dans les caves élyséennes, où il aura pu bénéficier – du moins l’espère-t-on – du réconfort de ses compagnons d’infortune, détenus eux aussi dans les geôles de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Peut-être le vieux chanteur, la tête appuyée contre la mâle épaule de Dominique de Villepin, aura-t-il pu couper trente secondes la parole à Jean-François Kahn pour entonner une dernière fois un émouvant Vieni Vieni… Rien n’est moins sûr.

A l’heure qu’il est, Tino Rossi est certainement mort et c’est vers les manifestants corses que doit se tourner notre solidarité.

De quoi sont-ils coupables ? D’aimer le cinéma ! Est-ce devenu un crime de manifester, en France, contre le pire acteur de sa génération ? N’a-t-on plus le droit de critiquer le jeu d’un comédien qui est à Louis de Funès ce que les extraterrestres sont aux gendarmes de Saint-Tropez ? Ce n’est pas le fait que Christian Clavier soit un acteur de droite qui me gêne. Les Allemands ont montré, au cours des soixante-dix dernières années qu’ils savaient parfaitement collaborer avec tous les acteurs français, de droite comme de gauche. Non, ce qui me dérange, c’est que Christian Clavier ne soit pas un acteur du tout.

Je voudrais d’ailleurs vous y voir, vous. Imaginez-vous un seul instant compter dans votre voisinage un type comme Christian Clavier. Les préjudices ne sont pas mineurs : la voix d’un Johnny complètement pété qui vous réveille à 3 heures du matin parce qu’il se croit à Bercy, l’irruption de Jean Reno à l’épicerie du coin qui dézingue tout le monde parce qu’on ne lui pas rend assez vite la monnaie, l’hélicoptère présidentiel se posant à n’importe quelle heure du jour et de la nuit parce que Nicolas Sarkozy a décidé de venir prendre des conseils éclairés en matière de politique culturelle, les interminables bouchons qui se forment derrière la voiture de Doc Gynéco, sans compter Christine Angot sous un porche dans le noir (et vice-versa). C’est insupportable.

Comme le peuple corse est le peuple le plus intelligent de la terre (la chanteuse Alizée et Jean-Marie Colombani en sont), les manifestants n’ont pas argué de leur cinéphilie et de leur aversion envers Christian Clavier pour protester contre la présence de l’acteur sur l’Ile de Beauté. Ils savent, les pas bêtes, que de tels motifs auraient provoqué l’ire élyséenne et que l’on aurait vu le chef de l’Etat mobiliser immédiatement le contingent pour régler militairement la situation.

Les manifestants corses ont simplement avancé quelques raisons bien de chez eux, du style « la Corse aux Corses », « dehors les Français ». Que ne feraient-ils pas pour faire progresser la cause du 7e art ?

Le socialisme suisse : un oxymore dévastateur

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Dans l’univers impitoyable de la francophonie en effervescence, il serait injuste de focaliser notre attention sur nos seuls amis wallons, au motif qu’ils se débattent dans la crise terminale de l’Etat belge. A quelques encablures de ce coin de France d’où j’observe le monde et les hommes, la République et Canton de Genève est la porte d’entrée dorée de la Suisse romande. Cette dernière rassemble près d’un million de locuteurs français dans la Confédération helvétique.

Contrée prospère grâce aux qualités industrieuses de ses habitants, à une neutralité la mettant à l’abri des guerres, et à la légendaire discrétion de ses institutions financières, cette Romandie bucolique n’a pas moins hérité de son histoire une gauche socialiste et même communiste. Ces formations obtiennent encore aujourd’hui des scores non négligeables dans les centres urbains, notamment à Genève. La fidélité des Suisses à une famille politique est affaire de tradition familiale plus que d’intérêts de classe ou d’idéologie.

Au niveau confédéral, la composition du gouvernement de Berne obéit toujours à la fameuse « formule magique », en vertu de laquelle le pouvoir exécutif est confié à un directoire de sept membres reflétant à la fois l’équilibre politique et la diversité linguistique du pays. Les principaux partis, de droite et de gauche, y sont donc représentés, les postes ministériels et la présidence de la Confédération étant soumis à une tournante (en tout bien tout honneur, bien sûr). Seul un séisme électoral, qui priverait le Conseil fédéral de sa représentativité, pourrait conduire à une révision de la sacro-sainte formule magique : c’est dire l’importance que les Suisses attachent aux élections générales (alors qu’ils raffolent des votations organisées sur les sujets les plus improbables).

Deux socialistes (en général un(e) germanophone et un(e) francophone) participent depuis des décennies à cet exécutif.

Reste à savoir à quoi peut bien servir un Parti socialiste dans un tel contexte, dont l’alternance est exclue, et où il n’est pas question de remettre en question la prééminence, dans la conduite du pays, des partis que l’on qualifie délicieusement de « bourgeois » – ce qui signifie « de droite ».

Parti socialiste suisse ? C’est le plus bel oxymore politique européen, tout aussi baroque que le Parti révolutionnaire institutionnel mexicain ! Comment voulez-vous faire avancer la cause du socialisme, même dans sa version rose pâle, avec un peuple qui a refusé, lors d’un référendum d’initiative populaire, de réduire la durée hebdomadaire légale du travail de 42 à 40 heures, comme il avait rejeté il y a quelques années l’instauration d’un congé-maternité ?

Dans ces conditions, les héritiers suisses de Jaurès et Liebknecht n’ont plus que la politique étrangère pour redorer leur blason révolutionnaire. Aussi les socialistes les plus convenables prennent-ils vaillamment fait et cause pour tous ceux qui prétendent lutter, dans le tiers-monde, contre le grand Satan américain et ses valets.

On connaissait déjà l’ineffable Jean Ziegler, ancien député socialiste et rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation, adorateur de Fidel Castro et lécheur régulier des babouches de Mouammar Kadhafi. On découvre maintenant Micheline Calmy-Rey, qui occupe actuellement le poste de ministre des Affaires étrangères de la Confédération. Cette dame qui s’était déjà montrée couverte d’un tchador lors d’un voyage controversé à Téhéran en mars dernier vient de se signaler à nouveau en se déclarant prête à s’asseoir à la table d’Oussama Ben Laden : « le refus du dialogue est toujours stérile, a-t-elle expliqué, y compris avec des gens réputés infréquentables. »

Imaginons-nous un instant sous la table d’un palace genevois où Mme Calmy-Rey aura mis son projet à exécution (toujours en tout bien tout honneur). Correctement entchadorée, elle accueille le chef d’Al Qaïda :

– M.C-R : Votre Excellence a-t-elle fait bon voyage ?
– Ben Laden : …
– M.C-R (ramenant à elle sa main tendue que le barbu refuse de toucher) : Thé ou café ?
Ben Laden intime l’ordre à ses sbires de lui verser du thé provenant de sa propre théière.
– M.C-R : A propos du terrorisme…..
Ben Laden se lève théâtralement et fait mine de quitter les lieux avec sa suite.
– M.C-R : Non… Non ne partez-pas, de grâce, c’est un malentendu ! Je voulais juste m’enquérir de vos sentiments sur les agissements terroristes des Occidentaux en Irak, en Iran, en Afghanistan et en Palestine…
Ben Laden fait demi-tour et se rassoit, l’air toujours contrarié. Il chuchote quelques mots en arabe à l’oreille de son secrétaire-traducteur.
– L’interprète : le cheikh Oussama a une faveur à vous demander.
– M.C-R : Si je… pardon, si la Confédération helvétique peut vous être utile, ce sera avec plaisir…
L’interprète présente à la ministre une valise de bonne taille, griffée Vuitton, pourvue d’une serrure à combinaison chiffrée
– L’interprète : Le Cheikh Oussama vous serait très reconnaissant d’apporter en personne cette valise à l’adresse indiquée sur l’étiquette. Ils sont prévenus.
– M.C-R (lisant l’étiquette) : Au siège de l’UBS ? Pas de problème, c’est sur mon chemin. Quoi d’autre pour votre service?
– Ben Laden: Khlass ! C’est pas tout ça, mais il se fait tard et il faut encore acheter des couteaux suisses pour les enfants.

Préservez-nous du mal

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Quatre garçons ont été arrêtés par la police à Pau, en train d’arracher des distributeurs de préservatifs. Se prétendant « catholiques fervents », ils ont confessé aux enquêteurs vouloir remettre leur butin à leur paroisse. Jeunes hommes, quand on est catholique, c’est à l’index qu’on met la capote. Pas ailleurs.

Un holocauste light ?

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Dans son édito de Causeur version papier, Elisabeth Lévy, commentant l’affaire Siné, appelait de ses vœux une « journée sans Juifs ». Cette excellente idée d’Elisabeth (qui je l’espère, me pardonnera la tautologie), étant pour l’instant restée lettre morte, j’ai décidé de donner l’exemple. Il ne sera donc pas question ici de Juifs, seulement d’antisémitisme, d’antisionisme et de trotskystes, britanniques de surcroît.

Le lièvre qui nous intéresse a été levé par l’Alliance for Workers Liberty, l’un des très nombreux groupes se réclamant de cette mouvance. À l’instar des autres groupes trotskystes du Royaume Uni et du reste du monde, l’AWL est très investie dans la lutte anti-impérialiste, le soutien aux sans-papiers et le combat antifasciste. C’est à ce dernier titre que ses militants ont participé, avec toute l’extrême gauche, le 16 août dernier à Codnor dans le Derbyshire, à un rassemblement de protestation contre la tenue de la fête annuelle du British National Party, principale formation extrême droitiste du pays – un happening qui rappelle nos grandes festivités antifascistes de Strasbourg, lesquelles, malheureusement n’ont eu lieu qu’une fois.

Or, voilà que dans la manif, les militants de l’AWL tombent sur un tract qui les fait sursauter. Il émane de Unite Against Fascism, l’équivalent anglais de Ras l’Front, une organisation animée et contrôlée par les militants du SWP, la principale organisation trotskyste britannique (Que ce soit dit une fois pour toutes, le SWP n’a aucun rapport avec la LCR française, ni avec LO qui ne sont donc pas spécialement visées ici). En plus du fonds de sauce trotskyste, le SWP est très en pointe dans la lutte contre « l’islamophobie », cause si essentielle qu’elle le conduit à passer des alliances électorales avec des groupes musulmans fondamentalistes ; et on ne le diffamera pas en affirmant que son antisionisme est souvent sans nuances.

En Angleterre, tout cela (qui n’a donc rien à voir avec des faits existant ou ayant existé) est connu depuis longtemps. Cela n’a pas empêché les militants de l’AWL de tomber sur le postérieur en lisant le tract de leurs concurrents du SWP. Et de fait, il y avait de quoi : « Le BNP, y explique-t-on, nie l’existence de l’Holocauste, l’Holocauste qui a exterminé des milliers de LGBT, de syndicalistes et d’handicapés. » Point final, pas d’autres victimes recensées. Pourquoi les coiffeurs, au fait ?

La réplique de l’AWL, dans un éditorial assez remonté publié sur son site, vaut le détour. L’auteur, Gerry Bates, qui y tient une rubrique intitulée « Antisémitisme de gauche » (ce qui est déjà culotté), s’interroge en titre : « Has the SWP Discovered a « Jew-Free » Holocaust ? » (La SWP a-t-elle découvert un Holocauste sans Juifs ?)

Une fois passé un léger moment de colère, il hasarde quelques hypothèses : « On n’ose imaginer que le SWP veuille faire appel aux gens qui considèrent qu’Hitler a eu raison de tuer six millions de Juifs, mais regrettent qu’il ait aussi liquidé des gays et des handicapés. Ou que le SWP lui-même considère que l’extermination des Juifs n’était pas une dimension décisive, voire répréhensible, de l’Holocauste. On en déduit donc qu’il s’agit d’une bavure, d’un dérapage. Mais s’il est passé inaperçu aux yeux de l’auteur, du claviste, de l’imprimeur, des organisateurs et des distributeurs, sans oublier tous les lecteurs, alors ce dérapage doit avoir du sens. »

Une autre militante, Jane Ashworth a son idée sur la question : « Cela signifie quelque chose : pour les militants du SWP, l’Holocauste est sans rapport avec le Moyen-Orient d’aujourd’hui – si ce n’est pour fournir l’amalgame entre sionistes et nazis qu’ils utilisent volontiers. » Un autre militant, ferme le ban par une muleta érudite, rapprochant la réécriture de l’Holocauste version SWP de celle qui prévalait dans l’URSS stalinienne, où le monument érigé en hommage aux 33.771 Juifs massacrés le 29 septembre 1941 par les nazis à Babi Yar ne parlait que de « citoyens soviétiques ». Pour l’auteur, le diagnostic est clair : « Le SWP a un problème avec l’antisémitisme. »

Heureusement, de telles polémiques ne risquent pas d’arriver chez nous. Pour la simple raison que personne à gauche ou à l’extrême gauche, ne procède à un travail de veille endogène sur l’antisémitisme[1. Ce travail est en revanche fort judicieusement fait – non pas du côté de l’extrême gauche politique mais, ce qui n’a rien d’un détail, de celui de l’ultra-gauche théorique –, par Yves Coleman sur son site. Qu’il en soit, malgré des désaccords à la tonne, formellement remercié ici ainsi que pour avoir traduit et publié les textes sans concessions du groupe hollandais « De Fabel van de illegaal » sur les ravages de l’antisémitisme au sein du mouvement altermondialiste, qui gagneraient, qui sait, à être mieux connus ici…]. D’ailleurs, on ne voit pas pourquoi quelqu’un s’y collerait, puisque chez nous, il n’y a d’antisémitisme qu’à l’extrême droite. Et quand dans Politis, Bernard Langlois traite Claude Askolovitch « d’agent d’influence israélien », il ne peut s’agir que d’une bavure typographique, sans quoi le MRAP, le PS ou Acrimed auraient immédiatement réagi.

Une bonne vieille révolution ?

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Ce fut juste l’une de ces petites phrases dont tout politique rompu aux lois d’airain de la communication sait truffer ses discours de meetings ou ses interviews. Il a beau avoir l’air d’un oiseau tombé du nid, Besancenot n’est pas un perdreau de l’année. Il sait que le Grand soir est un marché porteur. A Port Leucate, où ses sympathisants étaient réunis pour le séminaire de pré-lancement du NPA, il y est donc allé à la truelle dans le genre « profiteurs à gros cigares (ou devrait-on, désormais, dire à quatre-quatre ?) pendus aux réverbères ». Comme il a des lettres et que les participants des « universités d’été » de la LCR étudiaient sagement les œuvres de Marx et Engels, la bonne bouille de la politique française a parlé de la suraccumulation du capital. « Il y a du grabuge en perspective parce que le capitalisme et les capitalistes français sont en train de craquer. Ce qu’il leur faudrait, c’est une bonne vieille révolution », a-t-il lancé. Et qu’on ne croie pas qu’il s’agit là de rhétorique de meeting. « Pour nous autres révolutionnaires, a-t-il ajouté, les conditions sont réunies pour l’action.(…) Ca pètera dans un mois, dans un an, d’ici 2012 en tout cas. On fera tout pour ça et on sera là. » Le Grand soir, c’est pour demain. Attachez vos ceintures.

Certes, comme l’a excellemment observé Eric Dupin qui vient de reprendre les rênes de Marianne 2.fr, il n’est pas très surprenant qu’un parti appelé Ligue communiste révolutionnaire agite l’étendard de la Révolution. Sauf que depuis un bail, la plupart de ses aînés se contentaient de l’évoquer comme une promesse lointaine, un horizon inaccessible – en somme l’équivalent laïque du Paradis chrétien. La Révolution avait un avantage insigne sur toutes les idées disponibles, c’est qu’elle ne risquait pas d’advenir. Pour le reste, comme l’avait compris Furet, nous étions condamnés à vivre dans ce monde-là. Et voilà que le petit l’annonce pour de vrai, le Royaume des cieux, avec la date et l’heure ou presque. De quoi faire trembler exploiteurs assoiffés, possédants avides, marchands cupides. Un bon réverbère, vous dis-je…

Avant de se demander si les contradictions du sarko-capitalisme peuvent enfanter des lendemains qui chantent, il faudrait savoir ce que Besancenot entend par « révolution » et, plus encore, par « bonne vieille révolution ». D’abord, c’est hier ou demain ? Les deux, Camarades ! – « hier » et « demain » se donnant la main pour effacer « aujourd’hui ». En somme, le volontarisme historique affiché s’enracine dans une nostalgie d’anciens combattants. On peut trouver bizarre le coefficient automatique de sympathie qui s’attache au mot et peut-être à la chose, dans un pays qui, en ayant fait l’expérience, sait que dans la vraie vie, la révolution, c’est pas marrant très longtemps, et dans un monde qui a pu observer sur grande échelle l’ivresse mortifère des périodes révolutionnaires. Mais voilà, l’expérience historique ne fait pas le poids face à la mythologie. Dans le roman national, la révolution, c’est sympa, point.

Seulement, si les mots ont un sens, ce qui caractérise une révolution, c’est la violence, en tout cas la brutalité du changement. Il est vrai que notre époque sucrée a inventé les révolutions douces, fleuries, pacifiques, orange ou demi-saison, dans lesquelles les valeureux combattants des Droits de l’Homme finissent par terrasser les méchants dictateurs nationalistes. La chute du mur de Berlin est ce qui s’approche le plus d’une révolution démocratique, mais on peut aussi bien la qualifier de restauration. Le plus souvent, il s’agit de coups d’état soft plus ou moins encouragés par le commandement central du camp du Bien et surtout, retransmis en mondovision. (A la réflexion, la différence entre révolution et coup d’état tient largement au nombre de gens admis dans l’avant-garde révolutionnaire.)

Visiblement, ce n’est pas à ces néo-révolutions télévisées que pensait Besancenot en faisant sa tirade. Ce qui le fait rêver, dans la révolution, et avec lui pas mal de mes honorables concitoyens, c’est le sang, la castagne. « Va y avoir du grabuge ! » Cet engouement est assez mystérieux. On ne voit pas en quoi il serait préférable que les sociétés changent par à coups brutaux plutôt que de s’adapter en douceur, et ceci alors même que l’immense majorité des êtres humains, même les plus malheureux, ne souhaitent pas la destruction brutale de tous les cadres de leur existence ni la remise en cause violente de leur identité, ni même le renversement de toutes les hiérarchies. Ce « conservatisme » explique d’ailleurs le succès des communistes dans les anciennes « républiques populaires ». Or, la table rase est la substance du programme révolutionnaire. « Les premiers seront les derniers » – après tout, la maxime évangélique annonçait déjà « l’esprit sans-culotte » dépeint par Patrice Gueniffey.

Alors quoi, faudrait-il se résigner à un ordre immuable et injuste ? Pour tout dire, il m’arrive fréquemment de penser que certaines têtes finiront sur des piques et que leurs propriétaires l’auront bien cherché – à supposer que la fureur révolutionnaire frappe juste ce qui reste à prouver. De toute façon, il ne s’agit pas de se demander si la révolution est souhaitable, mais si elle est probable. Il faut dire qu’il n’a pas tout faux, ce petit Besancenot. Il est indéniable que la crise du capitalisme est « profonde, sérieuse, grave ». Et tout autant que pour une fraction grandissante du bon peuple, trop, c’est trop. Aussi est-on tenté de penser que l’ambiance est prérévolutionnaire, bref, que « ça pourrait péter » pour employer le langage fleuri de notre Che Guevara à la mode Canal +. Il est certain qu’on ne peut guère compter sur nos aimables socialos, qui viennent seulement de se rendre compte qu’ils avaient renoncé au marxisme, pour ramasser la mise. Mais aussi sympathique soit-il, Besancenot ne sera peut-être pas mieux placé. A observer la couleur des nuages qui s’amoncèlent au-dessus des sociétés, on se dit que si révolution il y a, elle risque d’être teintée de brun plutôt que de rouge et, en prime, d’être corsée par des affrontements interethniques préparés par deux ou trois décennies d’apologie bécasse du minoritaire victimisé. Bref, en fait d’avenir radieux, un processus révolutionnaire aurait toutes les chances de dégénérer en guerre des gangs. Et pour ce genre de jeux, il est un peu tendre, le postier.

Pas de panique, cependant, car, en fait, la révolution n’est pas très probable. Mon intuition est que la télévision la rend à la fois impossible et inutile. Inutile parce que désormais, la catharsis s’opère sur vos écrans : plus besoin de passer à l’acte quand on peut avoir le grand frisson à domicile. Impossible, parce que ce qui n’est pas médiatisé n’existe pas et qu’on ne voit pas pourquoi nos grandes boutiques d’informations donneraient corps à un processus révolutionnaire dont l’aboutissement logique serait leur destruction – et, sans doute, leur remplacement par d’autres. Ce n’est pas un hasard si les révolutions médiatiques précédemment évoquées s’apparentent à des comédies hollywoodiennes dans lesquelles les gentils gagnent. La télé ne peut tolérer la tragédie, les questions sans réponses, les choix impossibles, les dilemmes cornéliens. Il lui faut un monde en noir et blanc et ce monde, elle le fabrique. De fait, la Révolution, la nôtre, n’a pas été radine en matière de manichéisme, elle qui a inventé la loi des suspects et les ennemis du peuple. Certes, mais on admettra que dans la réalité, le combat de l’ombre et de la lumière a fortement ressemblé à une mêlée générale.

Il y a bien d’autres raisons de douter de l’imminence d’une explosion révolutionnaire, à commencer par l’absence sidérale de tout projet alternatif de société. A part « faire payer les riches », les têtes pensantes de la « vraie gauche » n’ont guère d’idée et ils ne savent pas vraiment comment mettre en œuvre cet intéressant programme. Besancenot pense qu’un sans-culotte sommeille en chaque Français, et il a sans doute raison. Mais à côté du sans-culotte endormi, il y a un notaire de province et celui-là est bien réveillé. Au lieu de lire Buonarroti, il ferait mieux de se plonger dans Balzac.

Présidente sans vice

8

Mc Cain s’est donc enfin trouvé une vice-présidente digne de ce nom. Hostile à l’avortement, héroïne des conservateurs religieux, membre influent de la National Rifle Association, plaidant pour la construction d’un pipeline et la reprise des forages pétroliers en Alaska. Et dire qu’on passe pour des réacs…

Sale temps pour les junkies

2

La production d’opium a baissé de 19 % cette année en Afghanistan, par rapport à 2007, a annoncé l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime). Le responsable ? Ni l’OTAN, ni le « gouvernement » ni même les ONG. Selon Antonio Maria Costa, directeur de l’agence onusienne, la cause principale de cette baisse de rendement, c’est la sécheresse. Comme quoi le réchauffement climatique peut avoir du bon, comme le pensent déjà tous les malheureux qui ont passé le mois d’août à Paris…

Russia on my mind

12

Vous je ne sais pas, mais moi je commence à en avoir ras-la-frange de l’avalanche de propagande anti-russe ou plutôt anti-Medvedev, c’est-à-dire anti-Poutine, que nous déversent à pleins flots les démocrates occidentaux tombés brusquement raide dingues de l’exquise petite Géorgie menacée, dit-on, de génocide.

Moi qui étais déjà jeune bien avant la chute du mur de Berlin, je n’ai pas souvenir d’avoir été autant tympanisé avec les crimes de masse – avérés, eux – de feue l’Union soviétique.

Alors, pourquoi ces deux poids et deux mesures ? Lâcheté ? Sans doute. La « gauche morale » a toujours eu une regrettable propension à taper dans le beurre plutôt que dans le fer. « Est-ce par hasard ? », comme disait Dave dans un autre contexte, si Sartre a découvert les vertus de l’engagement en 1945 ?
Lâcheté certes, mais aveuglement surtout : ces singes-là veulent bien parler, mais en aucun cas ni voir ni entendre. Et puis après tout, peu importe : quelle que soit la face par laquelle on gravit la montagne de la connerie, on se retrouve ensemble au sommet !

Rumeurs sur les bancs de la gauche : « Vous n’avez pas le droit de comparer Staline et Hitler au nom du totalitarisme ! » Parce que, figurez-vous, il y a une différence de fond : le communisme, contrairement au nazisme, était pavé de bonnes intentions.

Mais depuis quand l’hypocrisie est-elle une preuve de bonne foi ? Devinette simple : à quoi reconnaît-on infailliblement un intellectuel-de-gauche ? A son étonnante capacité de changer d’erreur sans jamais effleurer la vérité.

En l’occurrence hélas, ce syndrome erroriste semble avoir contaminé les esprits bien au-delà des rangs de la gauche. Parmi les responsables de l’ex-Monde Libre, c’est à qui hurlera le plus fort au viol de la démocratie, depuis Nicolas Sarkozy jusqu’ à Angela Merkel, en passant par le décidément prometteur John Mc Cain – qui croit voir les trois lettres KGB dans les yeux de Poutine (qui ne sont pourtant que deux) avant de conclure logiquement : « Aujourd’hui, nous sommes tous Géorgiens. »

Car la vérité, dans cette affaire, c’est que jamais la Russie n’a été aussi démocratique ! Sans doute pas une démocratie parfaite telle que l’ont rêvée Platon ou Tocqueville. Mais où donc est-elle ? Après soixante-dix ans d’une dictature ubuesque et sadique, puis dix années de chaos où l’Etat désagrégé a démissionné au profit des clans mafieux, « que faire ? », comme disait l’autre ?

S’enfoncer dans le chaos des guerres entre féodalités ploutocratiques (auxquelles Eltsine avait cédé la réalité du pouvoir ) ? Retourner à la dictature communiste par la voie des urnes ? (Encore deux ans du même Eltsine, et on y était !)

En 2000, Poutine a proposé une troisième voie – la seule possible, et donc souhaitable – dans un pays qui revenait de si loin. Sortir la Russie de la crise, faire progresser le niveau de vie sans liquider les acquis sociaux. Et surtout, redonner au pays une fierté nationale et une stature internationale, au risque de fâcher quelques étrangers jaloux…

Que demande le peuple russe ? Ça, apparemment !

Photographie de une : Moscou, 2007, par Panoramas, flickr.