D’après une étude à paraître dans un site hélas forcément inaccessible, puisqu’il dit la vérité, un groupe de scientifiques américains aurait démontré l’inexistence de Jean-Marie Bigard. Leur thèse : la profondeur de sa vacuité dépassant l’idée même de l’infini, l’existence du comique infirmerait les théories fondamentales d’Einstein sur les limites de l’univers. Donc, Bigard n’existe pas. Si vous ne nous croyez pas, posez-vous la question : si cette inexistence est si facile à contredire, pourquoi les grands médias n’en parlent-t-ils jamais ?
Ben Laden Airways
Sur le 11 septembre, cela fait des années qu’une question me tarabuste.
Elle ne porte pas sur la cible des djihadistes, si bien choisie qu’elle parle d’elle-même. À travers les Twins, c’est l’Occident jouisseur qu’on a voulu punir : cette évidence fait consensus d’Oussama jusqu’à Oriana, on ne va donc pas épiloguer. Non, ce qui me turlupine a quelque chose à voir avec l’arme utilisée. Ce qui me mène à une autre question. Dis, comment c’était, déjà, l’avion, avant le 11 septembre ?
Dans les années 80 et 90, comme des dizaines de millions d’occidentaux de la classe moyenne, j’avais pris l’habitude d’utiliser l’avion comme mes parents ou mes grands-parents prenaient le train. On achetait son billet pour une bouchée de pain, on arrivait à l’aéroport un quart d’heure avant le départ, et si par malheur, on était vraiment en retard, la compagnie aérienne vous inscrivait d’office sur le vol suivant. Quant aux visas et autres formalités, ce n’était plus qu’un mauvais souvenir pour la plupart des destinations motivantes. Et même, s’il s’agissait d’un vol intérieur, on ne vous demandait carrément pas de pièce d’identité, c’était même un jeu d’enfant de voyager vers Nice ou Biarritz avec un billet émis au nom d’une tierce personne, j’ai moi-même abondamment profité du tarif étudiant bien au-delà de la limite légale, avec pour seule sanction le regard amusé de l’hôtesse au sol d’Air Inter.
Vu d’aujourd’hui, ce passé récent a un goût de science-fiction : les attentats du 11 septembre ont entraîné ce qu’il faut bien appeler une régression. Thanks to Ben Laden, prendre l’avion aujourd’hui est devenu plus long, plus cher et infiniment plus contraignant, je ne vous referai pas le film. Et à mes yeux, il ne s’agit absolument pas d’un dégât collatéral. Comme tous les modernes, Ben Laden est épris de rationalisation. Son cursus universitaire (Economics and business administration) montre qu’il a intégré les fondamentaux de la macroéconomie avant même ceux du salafisme, auquel il s’intéresse plus tardivement. L’alliance des deux s’est révélée explosive.
En choisissant de rendre plus difficile le transport aérien, Ben Laden frappait très durement l’Occident au portefeuille. Les coûts de sécurisation du trafic ont cessé depuis longtemps d’être marginaux[1. Selon un rapport du cabinet de conseil américain Frost&Sullivan, la valeur du seul marché européen de sécurisation aéroportuaire s’est élevée en 2005 à 2 milliards d’euros et devrait quadrupler à l’horizon 2010. L’essentiel de la croissance du marché se concentre dans les domaines de l’identification biométrique et de la détection d’explosifs.] et ils augmentent chaque année. Quant aux dizaines de millions d’heures perdues quotidiennement par les voyageurs, j’ignore si un statisticien fou s’est amusé à les quantifier en dollars, auquel cas on doit s’approcher d’un chiffre à proprement parler sidéral. Mais l’essentiel n’est pas là, pas plus qu’il ne tient au coût financier de la destruction des tours jumelles.
C’est faire insulte à l’intelligence de Ben Laden que de penser qu’il n’avait pas, aussi, dans sa ligne de mire cette cochonnerie qu’est la libre circulation des êtres humains. Celle-ci, au même titre que celle des idées, a toujours été le cauchemar des totalitaires : ce n’était pas vraiment facile d’obtenir un visa de tourisme dans les pays du socialisme réel… Nombre de régimes autoritaires de l’après-guerre (URSS, Afrique du Sud) avaient même instauré des passeports intérieurs. Pour être encore plus clair, au crime de « guerre psychologique » de Manhattan, OBL a voulu adjoindre une guérilla psychologique permanente. Et, aussi déplaisant que cela soit, je crois qu’il a gagné. En réussissant à pourrir la vie de tout voyageur.
Trois mille morts le 11 septembre, et depuis, à chaque heure du jour, 365 jours par an, des millions de voyageurs enquiquinés, fouillés, agacés bref, humiliés : autant de piqûres de rappel destinées à nous remémorer qui vraiment est le plus fort. A ce titre, une vidéo très populaire sur le net, où l’on voit, au portail magnétique d’un aéroport, un voyageur sommé par un vigile d’ôter sa ceinture et qui perd son pantalon en dit très long. Je pense que quelque part dans les grottes du Nord Pakistan, on se repasse en boucle ces images de l’Occident au froc baissé.
On pourra émettre l’hypothèse – et seulement l’hypothèse – que cette détestation de la libre circulation concorde avec les intérêts des branches les plus indigentes et caporalistes du capitalisme mondialisé. Celles qui rêvent d’innovation zéro, de rationalisation forcenée des flux et stocks ou de consommateurs totalement captifs bref, de soviétisation libérale et donc, par exemple, d’avions, d’hôtels de parcs d’attractions ou de sex centersremplis six mois à l’avance. Toutes choses que permettrait une généralisation radicale du voyage organisé. Et que dérange ce qui reste de libre circulation bordélique.
Qu’il soit djihadiste ou corporate le rationaliste moderne déteste le flâneur, il veut lui couper les ailes. Il rêve d’un monde logique et ordonné donc d’avions pleins de touristes chinois, de commerciaux, de pèlerins ou de migrants.
Le 11 septembre ne nous a pas tués, mais il ne nous a pas rendus plus forts. Nous voyageons et voyagerons encore, mais, sauf victoire contre la Bête, toujours moins vite et toujours plus mal. Nous sommes vivants, mais perclus d’arthrose.
Paix à ses cendres
Au dos des kiosques parisiens, un magazine consacré aux cigares fait sa pub avec une photo pleine page de Sir Winston Churchill savourant un havane. Le vieux lion aura donc eu plus de chance que Sartre et Malraux : dans leurs deux cas, des affiches pour des expositions les concernant avaient été photoshopées pour faire disparaître leurs cigarettes. Pourquoi tant de mansuétude pour l’un et d’hygiénovigilance pour les autres ? Le cigare est-il jugé moins criminogène que la gitane maïs ? Ou bien le monumental barreau de chaise était-il impossible à retoucher sans laisser un grand blanc au milieu de la face de Churchill ? A moins qu’un censeur particulièrement cultivé mais rigoureusement antifasciste ait voulu épargner, parmi ces trois délinquants, celui qui avait réellement combattu la bête immonde…
Mauvais Siné
La polémique sur son licenciement oubliée, il y avait trois excellentes raisons de guetter la sortie de Siné Hebdo en kiosque. La première, c’est que l’arrivée d’un nouveau titre, en ces temps d’agonie de la presse papier, est toujours réconfortante. La seconde relevait de la pure gourmandise : le mercredi étant notre jour de dégustation des publications satiriques – Le Canard Enchaîné et Charlie Hebdo – on se régalait à l’avance de voir le millefeuille s’épaissir. La troisième raison, c’est qu’on nous annonçait du sport : Siné et son équipe – non pas de « collaborateurs » (le mot était rageusement biffé) mais de « résistants » – nous avaient promis de « chier dans la colle ».
A l’arrivée, ils nous ont simplement collé un truc chiant.
S’estimant « plus jeune que jamais », l’octogénaire Siné n’a hélas pas vu le temps passer et nous livre un hebdo qui retarde de quarante ans : rien de dérangeant, d’étonnant, de stimulant. Siné Hebdo ? De l’humour mordant, mais sans dent, la feuille de nostalgiques qui n’ont pas été informés que Mai 68, c’est loin, déjà fait, et que la fin du monde a déjà eu lieu – plus de bourgeois ni de curés à choquer, camarades ! On se consolera, in petto, en imaginant Jean Anouilh ou Marcel Aymé, Siné Hebdo en mains, croquant férocement cette parodie de lutte contre la pensée conformiste et ces « résistants » qui jouent à la dînette…
Que dire de « l’objet » ? Maquette tristounette. Textes tout juste dignes d’un numéro zéro. Le bâillement vient illico… Et ce ne sont pas les billets tragiquement plats de Guy Bedos, de Michel Onfray ou d’Isabelle Alonso qui pimenteront le tout. Bien sûr, on trouvera matière à quelques brefs hoquets (la chronique de Didier Porte sur les Israéliens tueurs d’enfants, celle de Michel Warschawski appelant les Palestiniens à renoncer au processus de paix pour d’autres « formes » de résistance) – mais ne savait-on pas, d’emblée, quelles tristes passions animaient cette nouvelle rédaction ?
Au final, la déception la plus vive, ce sont encore les caricatures. Fades. Attendues. Et qui pâtissent cruellement de la comparaison avec le Charlie « spécial Benoît XVI » sorti le même jour. Les partisans de Siné avaient pourtant sonné le tocsin : le caricaturiste français était muselé ! La liberté d’expression en péril ! Nom de Dieu ! avec Siné Hebdo, on allait voir ce qu’on allait voir. Bon. On a vu. Loup est égal à lui-même, Tardi a du talent. Quant aux autres… Pas de quoi gaspiller deux euros, vraiment.
Ces deux euros, il faudra néanmoins les dépenser pendant quelques semaines encore. D’abord, parce que le titre peut se bonifier et qu’il faut assurer la diversité de notre presse. Ensuite, parce que la pérennité de Siné Hebdo contribuera peut-être (je dis bien : peut-être…) à affaiblir la croyance paranoïaque d’une main mise sur la presse du lobby… Mettons de la branche française des « néo-cons ». Enfin, il faut soutenir (et donc acheter) Siné Hebdo le temps qu’il trouve son public parce que le besoin est vital d’une clarification idéologique – et qu’une certaine gauche dispose enfin de son organe est, en soi, une excellente nouvelle pour la suite des débats.
Armstrong revient, il va y avoir du sport !
J’ai fait un rêve. Un beau rêve. En allumant France Inter au réveil, le speaker de service annonçait que Lance Armstrong avait décidé de participer à nouveau au Tour de France en 2009. Et alors, je me suis aperçu que j’étais déjà réveillé. Car c’est seulement dans le monde réel qu’un journaliste peut être assez bête ou méchant pour dissimuler la vérité aux masses matinales : quels que soient les mots qu’il a utilisés, Armstrong ne peut pas avoir banalement exprimé son choix de participer à un nouveau Tour, il a forcément annoncé qu’il allait le gagner et, une fois de plus, ridiculiser ses adversaires
Et là, les filles, ça promet ! Parce que les pires adversaires d’Armstrong, ceux à qui il veut toute affaire cessante claquer le beignet, ne sont pas dans le peloton du Tour, mais dans le peloton d’exécution qu’on voit déjà se mettre en rang pour fusiller sur place le plus grand champion que le cyclisme ait jamais connu, celui que ni Blondin, ni Audiard, ni Michéa (père) n’auraient osé appeler de leurs vœux.
La cabale des dévots est à l’œuvre, je peux déjà vous donner son programme en exclu.
Ça commencera par les tirs de barrage sur le dopage, sur le détestable exemple donné par ce drogué notoire à notre saine jeunesse, qu’on savait jusque-là épargnée par ce terrible fléau, comme le sont, en bloc, les professionnels des médias.
On peut prédire en corollaire une glorification hors de propos de nos malheureux cyclistes français. C’est drôle comme le Parti de la Mondialisation Heureuse devient chauvin voire xénophobe dès qu’on parle de sport ou de culture, toutes choses où justement, la beauté du geste ne saurait avoir de patrie.
On aura forcément droit aux jérémiades sur le Dollar-roi qui menacerait de pervertir les idéaux du sport : « … bla-bla… l’ex-ministre des Sports, Marie George Buffet, nous déclare… bla-bla… une indignation que partage Roselyne Bachelot bla-bla… »
Enfin, élections américaines obligent, on n’échappera probablement pas aux parallèles foireux entre McCain et le septuple maillot jaune, tous deux symboles d’une Amérique moisie, quoique dominatrice et sûre d’elle, que la grande vague d’espoir obamiste enverra heureusement dès le mois de novembre aux poubelles de l’histoire. Il n’est pas à exclure, en bonus track, quelques considérations bien senties dans Libé ou Télérama, sur le lepénisme rampant du Tour tel qu’il est, et sa nécessaire ouverture aux minorités black, beur, gay et à mobilité réduite.
Mais tout ça, Armstrong s’en fout, ou plutôt, il s’en régale. Car comme son héroïque compagnon d’infamie Mike Tyson – qui s’était fait tatouer à sa sortie de prison un portrait du président Mao sur le biceps droit –, il a fait sienne depuis longtemps cette pensée essentielle du Petit livre rouge : « Etre attaqué par l’ennemi est une bonne et non une mauvaise chose. »
Le bon sens loin de chez nous
Roger L. Simon, figure emblématique du polar de gauche américain – on lui doit notamment le privé fumeur de joints, Moses Wine – a viré sa cuti. Atterré par l’attitude de son camp après le 11 septembre, c’est aujourd’hui un des plus virulents contempteurs d’Obama. Référence obligée des néoréacs locaux, Pajamas Média, le site de haute tenue qu’il a fondé (l’historien des guerres du Péloponèse, Victor Davis Hanson, fait partie de l’équipe), est un énorme succès commercial. Républicain atypique, Simon est resté, par exemple, favorable au mariage gay et explique très benoîtement qu’il comprend mal qu’on puisse vouloir que lesbiennes et homos vivent en paix sans souhaiter l’éradication de l’obscurantisme islamiste.
South Park : Touche pas à mes potes !
A l’instar de leurs collègues scientologues, maints télévangélistes américains rêvent tout haut de faire interdire le génial feuilleton South Park et, dans la foulée, de faire condamner ses non moins géniaux créateurs, Matt Stone et Trey Parker. Motivé, semble-t-il, par le déluge incessant de gros mots, de situations sexuellement explicites et de blasphèmes tous azimuts qui, de fait, sont la marque de fabrique de la série préférée des teenagers, cet acharnement, en dit long sur l’état de délabrement idéologique aggravé d’une certaine droite archéo-conservatrice (ce qui fait beaucoup).
En effet, comme nous l’expliquera prochainement dans ces colonnes Basile de Koch qui prépare ce qui s’annonce déjà comme la thèse définitive sur le sujet, South Park n’est pas seulement un florilège de réjouissantes obscénités en tous genres et tout terrain, c’est surtout le pire cauchemar de la gauche alteroïde et notamment de ses représentants agrées à Hollywood : Michael Moore, Sean Penn et leurs affidés y sont systématiquement rhabillés pour l’hiver en gogols ou en tartuffes.
Faute de pouvoir faire boire la ciguë à ces corrupteurs de la jeunesse et furieux de se casser régulièrement les dents sur le Premier Amendement – qui garantit aux bienheureux Américains un droit à l’expression absolu en théorie et bien plus large que chez nous en pratique – les cyberbigots de la Bible Belt, qui sont donc les alliés objectifs des radical-chic de LA, ont inventé une nouvelle combine : Reuters nous rapporte qu’une de leurs filiales offshore – « l’Union russe des chrétiens de foi évangélique » – a obtenu qu’un procureur de Moscou ouvre une information contre la chaîne locale qui diffuse le feuilleton. A défaut de protéger la jeunesse américaine, autant sauver quelques âmes du côté de la Sainte Russie. (Qu’on se rassure, ils n’en mènent pas moins aux States des batailles homériques contre l’emploi du mot fuck à la télévision.)
Depuis fin de la Guerre froide, les Américains avaient du mal à faire des droits de l’Homme et des libertés fondamentales un produit rentable à l’export. Il est amusant de constater que certains thuriféraires du « monde libre » se révèlent plus performants quand il s’agit de rétablir la censure dans l’ex-URSS – en attendant de le faire partout ailleurs-, que quand il fallait l’abattre en Union Soviétique. Très pointilleuse sur les droits de l’Homme, la Fédération Protestante de France, qui outre les réformés mainstream, accueille aussi en son sein une kyrielle d’agités évangélistes, ne s’est pas, à ma connaissance, désolidarisée de ces tentatives répétées de censures, dont on peut prédire sans risque qu’elles se produiront prochainement chez nous. Pour la plus grande joie des rebellocrates, toujours ravis de trouver « censure à leur pied », ainsi que le disait Muray, droit dans le mille comme toujours. Qu’y a-t-il de plus délicieusement Faubourg-Saint-Germain qu’une manif contre l’ordre moral, en particulier quand il n’y a aucun risque que celui-ci pointe son nez ?
Ceci étant, ce n’est pas une raison de nous priver de South Park qui a la rafraîchissante qualité de se payer la fiole des résistants de salon aussi bien que celle des red necks confits en dévotion.
A la place des apprentis-mollahs évangélistes, je ne crierais pas victoire trop vite. Nous savons où se tiennent les offices dominicaux de ces gens-là, nous croisons souvent leurs robots missionnaires dans nos rues, et nous nous ferons donc un plaisir d’aller leur rappeler, avec la fermeté qui s’impose, notre attachement à la liberté d’expression en général et, en particulier, à l’expression « Ça me troue le cul » – les fans auront compris, que les autres me pardonnent.
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Comme un trop-plein de vide
Suivre les débats internes qui font rage au PS est un passe-temps comme un autre. A coup sûr on s’amuse bien, même si on n’y comprend rien – et moins encore à la fin qu’au début…
Les règles de ce jeu nous restent totalement hermétiques (un peu comme, disons, la différence entre feue la Constitution européenne et son « Mini-moi » de Lisbonne).
Sans parler du but du jeu : prendre d’assaut une forteresse vide ? Ou bien ?
En vérité, à la question « Où en est le PS ? », la réponse qui s’impose nous vient tout droit de Michel Audiard dans Les Tontons flingueurs : « éparpillé aux quatre coins de l’Hexagone, façon puzzle ».
Pour comprendre ce Dallas socialiste qui va encore durer deux mois quand même (dans la meilleure hypothèse), mieux vaut poser les vraies questions : où en sont nos Ewing du PS ? Qui est JR ? Et Bobby ? Sue Helen est-elle vraiment alcoolique ? Et qui trompe qui avec qui ? Présenté comme ça, tout de suite ça devient plus intéressant, non ?
Les « motions » actuellement en gestation sont autant d’OPA exclusivement destinées à séduire le plus grand nombre d’actionnaires possible – et notamment les gros porteurs. Le but, c’est de s’imposer, tout simplement – au prix de tous les bluffs et de toutes les trahisons (intellectuelles, personnelles, cartes de crédit acceptées). Retraduite en termes politiciens, cette logique ultralibérale est la seule qui réunisse nos prétendants socialistes : « Vive le rassemblement, pourvu qu’il se fasse autour de moi. »
C’est une loi naturelle : l’affaissement des idées fait gonfler les ego. La droite a connu ça bien avant la gauche : depuis 60 ans au moins, voire 200 pour les plus pessimistes. Ayant tourné le dos, par inconscience ou par lâcheté, aux idéaux authentiquement providentiels dont elle fut la « servante inutile », la droite fourbue et gâteuse n’en finit plus de se raccrocher à de prétendus « hommes providentiels » (c’est-à-dire, en bon allemand, au Fürherprinzip).
J’ai bien peur que notre bonne vieille gauche « Mamie Nova » n’en soit désormais rendue là, elle aussi… Comme si l’idée d’un progrès irréversible de l’homme et de sa condition en avait pris un sacré coup dans l’aile au XXe siècle (20e peut-être, mais à coup sûr n°1 au hit-parade des siècles les plus massacreurs ; et ce n’est pas seulement une question de technologie, ne m’interromps pas !)
Bref, vous avez remarqué ? Plus les idéaux sont morts et enterrés , plus ils trouvent de porte-parole. Un ou deux illuminés au début ; une foule de Rastignac vers la fin.
« Après moi, disait De Gaulle, ce ne sera pas le vide, mais le trop-plein. » Et Dieu sait qu’on en a vu défiler, depuis trente ans, de ces glands qui tentaient d’enfiler le costume du Chêne. Rien à faire : ça flotte !
Mais voici qu’entre-temps, le petit monde de Don Demago, de droite comme de gauche, consciemment ou non, a glissé du modèle gaullien au mitterrandien. Et le mieux, c’est que le mitterrandisme qui tue tout ce qu’il n’avale pas, c’est Sarko qui l’incarne ! Au PS, on est prêt à s’entretuer jusqu’au dernier pour rien – ou au mieux pour empêcher les autres de survivre…
Bref, tout fout le camp ! Nos amis socialistes ne sont même plus dignes de lacer les mocassins de Mitterrand. A force de papillonner entre Bayrou et Besancenot, ces oiseaux-là ne savent même plus où se poser ; alors, comment pourraient-ils s’opposer ?
Entre eux, tout simplement.
Le Monde mérite une bonne correction
En 6e, vous avez sans doute été chapitré par votre prof d’anglais sur les « faux-amis ». Et le premier contre lequel on vous a mis en garde est probablement « bibliothèque », qui se dit là-bas library. Ce qui n’a pas empêché votre quotidien du soir, dans son portrait à charge de la colistière de John McCain, d’expliquer doctement que « L’hebdomadaire Time a rapporté que lorsqu’elle était maire de la petite ville de Saint George, Sarah Palin a tenté d’interdire plusieurs livres de la librairie locale, allant jusqu’à menacer de renvoyer une libraire qui s’y opposait ». Au Monde, les jeunes journalistes sont tellement doués qu’ils ont sans doute tous sauté la 6e.
Pour parler anglais ? Regardez la télé !
Tout Français a déjà fait l’humiliante expérience de s’exprimer en anglais et de susciter, chez ses interlocuteurs, des regards perplexes. Comment apprendre aux enfants à parler anglais ? Cette question soucie légitimement le ministre de l’Education vu le faible niveau en langue anglaise de nos têtes blondes. Pourtant, la solution ne se trouve pas à l’école.
Cette difficulté est fort ancienne, même si, longtemps, elle ne fut pas perçue comme difficulté, dans la mesure où les gens comme il faut parlaient français partout. Cet état de fait a malheureusement disparu et il n’est plus possible de se faire comprendre autour du monde si on n’a à sa disposition que l’idiome de Molière, Rabelais et Alphonse Allais réunis.
Dès lors donc que le monde refuse désormais d’apprendre la langue universelle, il nous faut universaliser nos connaissances linguistiques : si les étrangers ne viennent plus au français, c’est nous qui irons aux étrangers !
Les deux Français les plus doués pour l’anglais furent sans doute, jusqu’à présent, Athos (alias le comte de La Fère) – on apprend ce détail dans Vingt ans après d’Alexandre Dumas (& cie) – et Clemenceau (alias le Père la Victoire). Lorsqu’on s’en étonnait auprès d’eux, ils faisaient la même réponse : « L’anglais, c’est du français mal prononcé. »
Cette piste est malheureusement inutilisable dans la mesure où, la plupart du temps, nos écoliers comme nos journalistes prononcent mal l’anglais et le français.
L’enseignement traditionnel des langues se souciait fort peu d’apprendre aux élèves à s’exprimer, et beaucoup plus de développer leur aptitude à comprendre ce qu’ils lisaient. Le modèle était l’apprentissage des langues anciennes qu’on ne se soucie pas de prononcer (la prononciation érasmienne du grec reste une complète aberration !), ni de comprendre correctement à l’oral.
Au passage des XIXe et XXe siècles, apparut une méthode intitulée « la méthode directe », dont Sartre parle abondamment dans Les mots, car c’était celle que pratiquait son Alsacien de grand-père dans son enseignement ; elle consistait à s’adresser d’emblée et uniquement aux élèves dans la langue qu’on voulait leur enseigner. C’est une version améliorée de cette méthode qui a généralement cours aujourd’hui, à cette réserve que les explications sont données dans la langue connue (ou supposée telle) de l’élève.
Le problème, c’est que cette méthode directe – qui consiste à apprendre à nager en plongeant dans la piscine – n’est efficace qu’avec un petit groupe, car l’enseignant doit sans cesse s’assurer que ses élèves comprennent vaguement ce qui se dit. Résultat, nos élèves n’entendent ni ne lisent les langues étrangères, pas plus qu’ils ne savent les écrire ou les parler. Au moins la méthode traditionnelle leur apprenait-elle les bases de la morphologie et de la syntaxe. La nouvelle, certes, les fait parler. Mais si peu.
Dans le débat entre « fondamentalistes » (attachés à la maîtrise des savoirs fondamentaux) et « pédagogues » (attachés au développement de l’enfant – dût-il développer sa seule ignorance), les derniers sortent souvent une botte efficace consistant à s’extasier sur les pays nordiques – où, indéniablement, on parle anglais. Mais ce qu’on sait peu, c’est que les enfants n’apprennent pas l’anglais à l’école. Le jour de leur premier cours, ils le parlent et le comprennent déjà couramment. Ils l’ont appris en regardant la télévision. C’est elle qui pratique la méthode directe.
Comme les nôtres, leurs écrans sont saturés de programmes anglo-américains, souvent stupides mais pas toujours. Seulement, eux les diffusent en version originale, si bien qu’avant dix ans, les enfants ont entendu tant d’anglais qu’ils le connaissent.
Le ministre veut que nos lycéens soient bilingues – encore faudrait-il définir ce terme. À cette fin, il propose des stages d’anglais pendant les vacances scolaires. Il est certain que les lycéens pourront y faire des progrès, en anglais et dans d’autres domaines. Mais pour devenir bilingue, c’est beaucoup trop tard.
Si nous voulons que nos enfants soient bilingues, exigeons que les programmes anglo-américains soient diffusés en « vo sous-titrée ». Tant qu’à regarder des âneries, autant qu’ils apprennent quelque chose en même temps.
Donc, apprendre à parler anglais, ça ne se fait pas à l’école mais à la télévision.
Mais et les autres langues, me dira-t-on ? Et l’apprentissage de l’anglais écrit ? C’est précisément le boulot de l’école : apprendre à écrire et à parler correctement l’anglais et les autres langues. Laissons à la télévision l’apprentissage de l’anglais d’aéroport et les professeurs de langue pourront à nouveau enseigner la littérature anglophone ou d’autres langues que les élèves apprendront sans visée utilitaire. Pour le bonheur de se cultiver.
Bigard n’existe pas
D’après une étude à paraître dans un site hélas forcément inaccessible, puisqu’il dit la vérité, un groupe de scientifiques américains aurait démontré l’inexistence de Jean-Marie Bigard. Leur thèse : la profondeur de sa vacuité dépassant l’idée même de l’infini, l’existence du comique infirmerait les théories fondamentales d’Einstein sur les limites de l’univers. Donc, Bigard n’existe pas. Si vous ne nous croyez pas, posez-vous la question : si cette inexistence est si facile à contredire, pourquoi les grands médias n’en parlent-t-ils jamais ?
Ben Laden Airways
Sur le 11 septembre, cela fait des années qu’une question me tarabuste.
Elle ne porte pas sur la cible des djihadistes, si bien choisie qu’elle parle d’elle-même. À travers les Twins, c’est l’Occident jouisseur qu’on a voulu punir : cette évidence fait consensus d’Oussama jusqu’à Oriana, on ne va donc pas épiloguer. Non, ce qui me turlupine a quelque chose à voir avec l’arme utilisée. Ce qui me mène à une autre question. Dis, comment c’était, déjà, l’avion, avant le 11 septembre ?
Dans les années 80 et 90, comme des dizaines de millions d’occidentaux de la classe moyenne, j’avais pris l’habitude d’utiliser l’avion comme mes parents ou mes grands-parents prenaient le train. On achetait son billet pour une bouchée de pain, on arrivait à l’aéroport un quart d’heure avant le départ, et si par malheur, on était vraiment en retard, la compagnie aérienne vous inscrivait d’office sur le vol suivant. Quant aux visas et autres formalités, ce n’était plus qu’un mauvais souvenir pour la plupart des destinations motivantes. Et même, s’il s’agissait d’un vol intérieur, on ne vous demandait carrément pas de pièce d’identité, c’était même un jeu d’enfant de voyager vers Nice ou Biarritz avec un billet émis au nom d’une tierce personne, j’ai moi-même abondamment profité du tarif étudiant bien au-delà de la limite légale, avec pour seule sanction le regard amusé de l’hôtesse au sol d’Air Inter.
Vu d’aujourd’hui, ce passé récent a un goût de science-fiction : les attentats du 11 septembre ont entraîné ce qu’il faut bien appeler une régression. Thanks to Ben Laden, prendre l’avion aujourd’hui est devenu plus long, plus cher et infiniment plus contraignant, je ne vous referai pas le film. Et à mes yeux, il ne s’agit absolument pas d’un dégât collatéral. Comme tous les modernes, Ben Laden est épris de rationalisation. Son cursus universitaire (Economics and business administration) montre qu’il a intégré les fondamentaux de la macroéconomie avant même ceux du salafisme, auquel il s’intéresse plus tardivement. L’alliance des deux s’est révélée explosive.
En choisissant de rendre plus difficile le transport aérien, Ben Laden frappait très durement l’Occident au portefeuille. Les coûts de sécurisation du trafic ont cessé depuis longtemps d’être marginaux[1. Selon un rapport du cabinet de conseil américain Frost&Sullivan, la valeur du seul marché européen de sécurisation aéroportuaire s’est élevée en 2005 à 2 milliards d’euros et devrait quadrupler à l’horizon 2010. L’essentiel de la croissance du marché se concentre dans les domaines de l’identification biométrique et de la détection d’explosifs.] et ils augmentent chaque année. Quant aux dizaines de millions d’heures perdues quotidiennement par les voyageurs, j’ignore si un statisticien fou s’est amusé à les quantifier en dollars, auquel cas on doit s’approcher d’un chiffre à proprement parler sidéral. Mais l’essentiel n’est pas là, pas plus qu’il ne tient au coût financier de la destruction des tours jumelles.
C’est faire insulte à l’intelligence de Ben Laden que de penser qu’il n’avait pas, aussi, dans sa ligne de mire cette cochonnerie qu’est la libre circulation des êtres humains. Celle-ci, au même titre que celle des idées, a toujours été le cauchemar des totalitaires : ce n’était pas vraiment facile d’obtenir un visa de tourisme dans les pays du socialisme réel… Nombre de régimes autoritaires de l’après-guerre (URSS, Afrique du Sud) avaient même instauré des passeports intérieurs. Pour être encore plus clair, au crime de « guerre psychologique » de Manhattan, OBL a voulu adjoindre une guérilla psychologique permanente. Et, aussi déplaisant que cela soit, je crois qu’il a gagné. En réussissant à pourrir la vie de tout voyageur.
Trois mille morts le 11 septembre, et depuis, à chaque heure du jour, 365 jours par an, des millions de voyageurs enquiquinés, fouillés, agacés bref, humiliés : autant de piqûres de rappel destinées à nous remémorer qui vraiment est le plus fort. A ce titre, une vidéo très populaire sur le net, où l’on voit, au portail magnétique d’un aéroport, un voyageur sommé par un vigile d’ôter sa ceinture et qui perd son pantalon en dit très long. Je pense que quelque part dans les grottes du Nord Pakistan, on se repasse en boucle ces images de l’Occident au froc baissé.
On pourra émettre l’hypothèse – et seulement l’hypothèse – que cette détestation de la libre circulation concorde avec les intérêts des branches les plus indigentes et caporalistes du capitalisme mondialisé. Celles qui rêvent d’innovation zéro, de rationalisation forcenée des flux et stocks ou de consommateurs totalement captifs bref, de soviétisation libérale et donc, par exemple, d’avions, d’hôtels de parcs d’attractions ou de sex centersremplis six mois à l’avance. Toutes choses que permettrait une généralisation radicale du voyage organisé. Et que dérange ce qui reste de libre circulation bordélique.
Qu’il soit djihadiste ou corporate le rationaliste moderne déteste le flâneur, il veut lui couper les ailes. Il rêve d’un monde logique et ordonné donc d’avions pleins de touristes chinois, de commerciaux, de pèlerins ou de migrants.
Le 11 septembre ne nous a pas tués, mais il ne nous a pas rendus plus forts. Nous voyageons et voyagerons encore, mais, sauf victoire contre la Bête, toujours moins vite et toujours plus mal. Nous sommes vivants, mais perclus d’arthrose.
Paix à ses cendres
Au dos des kiosques parisiens, un magazine consacré aux cigares fait sa pub avec une photo pleine page de Sir Winston Churchill savourant un havane. Le vieux lion aura donc eu plus de chance que Sartre et Malraux : dans leurs deux cas, des affiches pour des expositions les concernant avaient été photoshopées pour faire disparaître leurs cigarettes. Pourquoi tant de mansuétude pour l’un et d’hygiénovigilance pour les autres ? Le cigare est-il jugé moins criminogène que la gitane maïs ? Ou bien le monumental barreau de chaise était-il impossible à retoucher sans laisser un grand blanc au milieu de la face de Churchill ? A moins qu’un censeur particulièrement cultivé mais rigoureusement antifasciste ait voulu épargner, parmi ces trois délinquants, celui qui avait réellement combattu la bête immonde…
Mauvais Siné
La polémique sur son licenciement oubliée, il y avait trois excellentes raisons de guetter la sortie de Siné Hebdo en kiosque. La première, c’est que l’arrivée d’un nouveau titre, en ces temps d’agonie de la presse papier, est toujours réconfortante. La seconde relevait de la pure gourmandise : le mercredi étant notre jour de dégustation des publications satiriques – Le Canard Enchaîné et Charlie Hebdo – on se régalait à l’avance de voir le millefeuille s’épaissir. La troisième raison, c’est qu’on nous annonçait du sport : Siné et son équipe – non pas de « collaborateurs » (le mot était rageusement biffé) mais de « résistants » – nous avaient promis de « chier dans la colle ».
A l’arrivée, ils nous ont simplement collé un truc chiant.
S’estimant « plus jeune que jamais », l’octogénaire Siné n’a hélas pas vu le temps passer et nous livre un hebdo qui retarde de quarante ans : rien de dérangeant, d’étonnant, de stimulant. Siné Hebdo ? De l’humour mordant, mais sans dent, la feuille de nostalgiques qui n’ont pas été informés que Mai 68, c’est loin, déjà fait, et que la fin du monde a déjà eu lieu – plus de bourgeois ni de curés à choquer, camarades ! On se consolera, in petto, en imaginant Jean Anouilh ou Marcel Aymé, Siné Hebdo en mains, croquant férocement cette parodie de lutte contre la pensée conformiste et ces « résistants » qui jouent à la dînette…
Que dire de « l’objet » ? Maquette tristounette. Textes tout juste dignes d’un numéro zéro. Le bâillement vient illico… Et ce ne sont pas les billets tragiquement plats de Guy Bedos, de Michel Onfray ou d’Isabelle Alonso qui pimenteront le tout. Bien sûr, on trouvera matière à quelques brefs hoquets (la chronique de Didier Porte sur les Israéliens tueurs d’enfants, celle de Michel Warschawski appelant les Palestiniens à renoncer au processus de paix pour d’autres « formes » de résistance) – mais ne savait-on pas, d’emblée, quelles tristes passions animaient cette nouvelle rédaction ?
Au final, la déception la plus vive, ce sont encore les caricatures. Fades. Attendues. Et qui pâtissent cruellement de la comparaison avec le Charlie « spécial Benoît XVI » sorti le même jour. Les partisans de Siné avaient pourtant sonné le tocsin : le caricaturiste français était muselé ! La liberté d’expression en péril ! Nom de Dieu ! avec Siné Hebdo, on allait voir ce qu’on allait voir. Bon. On a vu. Loup est égal à lui-même, Tardi a du talent. Quant aux autres… Pas de quoi gaspiller deux euros, vraiment.
Ces deux euros, il faudra néanmoins les dépenser pendant quelques semaines encore. D’abord, parce que le titre peut se bonifier et qu’il faut assurer la diversité de notre presse. Ensuite, parce que la pérennité de Siné Hebdo contribuera peut-être (je dis bien : peut-être…) à affaiblir la croyance paranoïaque d’une main mise sur la presse du lobby… Mettons de la branche française des « néo-cons ». Enfin, il faut soutenir (et donc acheter) Siné Hebdo le temps qu’il trouve son public parce que le besoin est vital d’une clarification idéologique – et qu’une certaine gauche dispose enfin de son organe est, en soi, une excellente nouvelle pour la suite des débats.
Armstrong revient, il va y avoir du sport !
J’ai fait un rêve. Un beau rêve. En allumant France Inter au réveil, le speaker de service annonçait que Lance Armstrong avait décidé de participer à nouveau au Tour de France en 2009. Et alors, je me suis aperçu que j’étais déjà réveillé. Car c’est seulement dans le monde réel qu’un journaliste peut être assez bête ou méchant pour dissimuler la vérité aux masses matinales : quels que soient les mots qu’il a utilisés, Armstrong ne peut pas avoir banalement exprimé son choix de participer à un nouveau Tour, il a forcément annoncé qu’il allait le gagner et, une fois de plus, ridiculiser ses adversaires
Et là, les filles, ça promet ! Parce que les pires adversaires d’Armstrong, ceux à qui il veut toute affaire cessante claquer le beignet, ne sont pas dans le peloton du Tour, mais dans le peloton d’exécution qu’on voit déjà se mettre en rang pour fusiller sur place le plus grand champion que le cyclisme ait jamais connu, celui que ni Blondin, ni Audiard, ni Michéa (père) n’auraient osé appeler de leurs vœux.
La cabale des dévots est à l’œuvre, je peux déjà vous donner son programme en exclu.
Ça commencera par les tirs de barrage sur le dopage, sur le détestable exemple donné par ce drogué notoire à notre saine jeunesse, qu’on savait jusque-là épargnée par ce terrible fléau, comme le sont, en bloc, les professionnels des médias.
On peut prédire en corollaire une glorification hors de propos de nos malheureux cyclistes français. C’est drôle comme le Parti de la Mondialisation Heureuse devient chauvin voire xénophobe dès qu’on parle de sport ou de culture, toutes choses où justement, la beauté du geste ne saurait avoir de patrie.
On aura forcément droit aux jérémiades sur le Dollar-roi qui menacerait de pervertir les idéaux du sport : « … bla-bla… l’ex-ministre des Sports, Marie George Buffet, nous déclare… bla-bla… une indignation que partage Roselyne Bachelot bla-bla… »
Enfin, élections américaines obligent, on n’échappera probablement pas aux parallèles foireux entre McCain et le septuple maillot jaune, tous deux symboles d’une Amérique moisie, quoique dominatrice et sûre d’elle, que la grande vague d’espoir obamiste enverra heureusement dès le mois de novembre aux poubelles de l’histoire. Il n’est pas à exclure, en bonus track, quelques considérations bien senties dans Libé ou Télérama, sur le lepénisme rampant du Tour tel qu’il est, et sa nécessaire ouverture aux minorités black, beur, gay et à mobilité réduite.
Mais tout ça, Armstrong s’en fout, ou plutôt, il s’en régale. Car comme son héroïque compagnon d’infamie Mike Tyson – qui s’était fait tatouer à sa sortie de prison un portrait du président Mao sur le biceps droit –, il a fait sienne depuis longtemps cette pensée essentielle du Petit livre rouge : « Etre attaqué par l’ennemi est une bonne et non une mauvaise chose. »
Le bon sens loin de chez nous
Roger L. Simon, figure emblématique du polar de gauche américain – on lui doit notamment le privé fumeur de joints, Moses Wine – a viré sa cuti. Atterré par l’attitude de son camp après le 11 septembre, c’est aujourd’hui un des plus virulents contempteurs d’Obama. Référence obligée des néoréacs locaux, Pajamas Média, le site de haute tenue qu’il a fondé (l’historien des guerres du Péloponèse, Victor Davis Hanson, fait partie de l’équipe), est un énorme succès commercial. Républicain atypique, Simon est resté, par exemple, favorable au mariage gay et explique très benoîtement qu’il comprend mal qu’on puisse vouloir que lesbiennes et homos vivent en paix sans souhaiter l’éradication de l’obscurantisme islamiste.
South Park : Touche pas à mes potes !
A l’instar de leurs collègues scientologues, maints télévangélistes américains rêvent tout haut de faire interdire le génial feuilleton South Park et, dans la foulée, de faire condamner ses non moins géniaux créateurs, Matt Stone et Trey Parker. Motivé, semble-t-il, par le déluge incessant de gros mots, de situations sexuellement explicites et de blasphèmes tous azimuts qui, de fait, sont la marque de fabrique de la série préférée des teenagers, cet acharnement, en dit long sur l’état de délabrement idéologique aggravé d’une certaine droite archéo-conservatrice (ce qui fait beaucoup).
En effet, comme nous l’expliquera prochainement dans ces colonnes Basile de Koch qui prépare ce qui s’annonce déjà comme la thèse définitive sur le sujet, South Park n’est pas seulement un florilège de réjouissantes obscénités en tous genres et tout terrain, c’est surtout le pire cauchemar de la gauche alteroïde et notamment de ses représentants agrées à Hollywood : Michael Moore, Sean Penn et leurs affidés y sont systématiquement rhabillés pour l’hiver en gogols ou en tartuffes.
Faute de pouvoir faire boire la ciguë à ces corrupteurs de la jeunesse et furieux de se casser régulièrement les dents sur le Premier Amendement – qui garantit aux bienheureux Américains un droit à l’expression absolu en théorie et bien plus large que chez nous en pratique – les cyberbigots de la Bible Belt, qui sont donc les alliés objectifs des radical-chic de LA, ont inventé une nouvelle combine : Reuters nous rapporte qu’une de leurs filiales offshore – « l’Union russe des chrétiens de foi évangélique » – a obtenu qu’un procureur de Moscou ouvre une information contre la chaîne locale qui diffuse le feuilleton. A défaut de protéger la jeunesse américaine, autant sauver quelques âmes du côté de la Sainte Russie. (Qu’on se rassure, ils n’en mènent pas moins aux States des batailles homériques contre l’emploi du mot fuck à la télévision.)
Depuis fin de la Guerre froide, les Américains avaient du mal à faire des droits de l’Homme et des libertés fondamentales un produit rentable à l’export. Il est amusant de constater que certains thuriféraires du « monde libre » se révèlent plus performants quand il s’agit de rétablir la censure dans l’ex-URSS – en attendant de le faire partout ailleurs-, que quand il fallait l’abattre en Union Soviétique. Très pointilleuse sur les droits de l’Homme, la Fédération Protestante de France, qui outre les réformés mainstream, accueille aussi en son sein une kyrielle d’agités évangélistes, ne s’est pas, à ma connaissance, désolidarisée de ces tentatives répétées de censures, dont on peut prédire sans risque qu’elles se produiront prochainement chez nous. Pour la plus grande joie des rebellocrates, toujours ravis de trouver « censure à leur pied », ainsi que le disait Muray, droit dans le mille comme toujours. Qu’y a-t-il de plus délicieusement Faubourg-Saint-Germain qu’une manif contre l’ordre moral, en particulier quand il n’y a aucun risque que celui-ci pointe son nez ?
Ceci étant, ce n’est pas une raison de nous priver de South Park qui a la rafraîchissante qualité de se payer la fiole des résistants de salon aussi bien que celle des red necks confits en dévotion.
A la place des apprentis-mollahs évangélistes, je ne crierais pas victoire trop vite. Nous savons où se tiennent les offices dominicaux de ces gens-là, nous croisons souvent leurs robots missionnaires dans nos rues, et nous nous ferons donc un plaisir d’aller leur rappeler, avec la fermeté qui s’impose, notre attachement à la liberté d’expression en général et, en particulier, à l’expression « Ça me troue le cul » – les fans auront compris, que les autres me pardonnent.
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Comme un trop-plein de vide
Suivre les débats internes qui font rage au PS est un passe-temps comme un autre. A coup sûr on s’amuse bien, même si on n’y comprend rien – et moins encore à la fin qu’au début…
Les règles de ce jeu nous restent totalement hermétiques (un peu comme, disons, la différence entre feue la Constitution européenne et son « Mini-moi » de Lisbonne).
Sans parler du but du jeu : prendre d’assaut une forteresse vide ? Ou bien ?
En vérité, à la question « Où en est le PS ? », la réponse qui s’impose nous vient tout droit de Michel Audiard dans Les Tontons flingueurs : « éparpillé aux quatre coins de l’Hexagone, façon puzzle ».
Pour comprendre ce Dallas socialiste qui va encore durer deux mois quand même (dans la meilleure hypothèse), mieux vaut poser les vraies questions : où en sont nos Ewing du PS ? Qui est JR ? Et Bobby ? Sue Helen est-elle vraiment alcoolique ? Et qui trompe qui avec qui ? Présenté comme ça, tout de suite ça devient plus intéressant, non ?
Les « motions » actuellement en gestation sont autant d’OPA exclusivement destinées à séduire le plus grand nombre d’actionnaires possible – et notamment les gros porteurs. Le but, c’est de s’imposer, tout simplement – au prix de tous les bluffs et de toutes les trahisons (intellectuelles, personnelles, cartes de crédit acceptées). Retraduite en termes politiciens, cette logique ultralibérale est la seule qui réunisse nos prétendants socialistes : « Vive le rassemblement, pourvu qu’il se fasse autour de moi. »
C’est une loi naturelle : l’affaissement des idées fait gonfler les ego. La droite a connu ça bien avant la gauche : depuis 60 ans au moins, voire 200 pour les plus pessimistes. Ayant tourné le dos, par inconscience ou par lâcheté, aux idéaux authentiquement providentiels dont elle fut la « servante inutile », la droite fourbue et gâteuse n’en finit plus de se raccrocher à de prétendus « hommes providentiels » (c’est-à-dire, en bon allemand, au Fürherprinzip).
J’ai bien peur que notre bonne vieille gauche « Mamie Nova » n’en soit désormais rendue là, elle aussi… Comme si l’idée d’un progrès irréversible de l’homme et de sa condition en avait pris un sacré coup dans l’aile au XXe siècle (20e peut-être, mais à coup sûr n°1 au hit-parade des siècles les plus massacreurs ; et ce n’est pas seulement une question de technologie, ne m’interromps pas !)
Bref, vous avez remarqué ? Plus les idéaux sont morts et enterrés , plus ils trouvent de porte-parole. Un ou deux illuminés au début ; une foule de Rastignac vers la fin.
« Après moi, disait De Gaulle, ce ne sera pas le vide, mais le trop-plein. » Et Dieu sait qu’on en a vu défiler, depuis trente ans, de ces glands qui tentaient d’enfiler le costume du Chêne. Rien à faire : ça flotte !
Mais voici qu’entre-temps, le petit monde de Don Demago, de droite comme de gauche, consciemment ou non, a glissé du modèle gaullien au mitterrandien. Et le mieux, c’est que le mitterrandisme qui tue tout ce qu’il n’avale pas, c’est Sarko qui l’incarne ! Au PS, on est prêt à s’entretuer jusqu’au dernier pour rien – ou au mieux pour empêcher les autres de survivre…
Bref, tout fout le camp ! Nos amis socialistes ne sont même plus dignes de lacer les mocassins de Mitterrand. A force de papillonner entre Bayrou et Besancenot, ces oiseaux-là ne savent même plus où se poser ; alors, comment pourraient-ils s’opposer ?
Entre eux, tout simplement.
Le Monde mérite une bonne correction
En 6e, vous avez sans doute été chapitré par votre prof d’anglais sur les « faux-amis ». Et le premier contre lequel on vous a mis en garde est probablement « bibliothèque », qui se dit là-bas library. Ce qui n’a pas empêché votre quotidien du soir, dans son portrait à charge de la colistière de John McCain, d’expliquer doctement que « L’hebdomadaire Time a rapporté que lorsqu’elle était maire de la petite ville de Saint George, Sarah Palin a tenté d’interdire plusieurs livres de la librairie locale, allant jusqu’à menacer de renvoyer une libraire qui s’y opposait ». Au Monde, les jeunes journalistes sont tellement doués qu’ils ont sans doute tous sauté la 6e.
Pour parler anglais ? Regardez la télé !
Tout Français a déjà fait l’humiliante expérience de s’exprimer en anglais et de susciter, chez ses interlocuteurs, des regards perplexes. Comment apprendre aux enfants à parler anglais ? Cette question soucie légitimement le ministre de l’Education vu le faible niveau en langue anglaise de nos têtes blondes. Pourtant, la solution ne se trouve pas à l’école.
Cette difficulté est fort ancienne, même si, longtemps, elle ne fut pas perçue comme difficulté, dans la mesure où les gens comme il faut parlaient français partout. Cet état de fait a malheureusement disparu et il n’est plus possible de se faire comprendre autour du monde si on n’a à sa disposition que l’idiome de Molière, Rabelais et Alphonse Allais réunis.
Dès lors donc que le monde refuse désormais d’apprendre la langue universelle, il nous faut universaliser nos connaissances linguistiques : si les étrangers ne viennent plus au français, c’est nous qui irons aux étrangers !
Les deux Français les plus doués pour l’anglais furent sans doute, jusqu’à présent, Athos (alias le comte de La Fère) – on apprend ce détail dans Vingt ans après d’Alexandre Dumas (& cie) – et Clemenceau (alias le Père la Victoire). Lorsqu’on s’en étonnait auprès d’eux, ils faisaient la même réponse : « L’anglais, c’est du français mal prononcé. »
Cette piste est malheureusement inutilisable dans la mesure où, la plupart du temps, nos écoliers comme nos journalistes prononcent mal l’anglais et le français.
L’enseignement traditionnel des langues se souciait fort peu d’apprendre aux élèves à s’exprimer, et beaucoup plus de développer leur aptitude à comprendre ce qu’ils lisaient. Le modèle était l’apprentissage des langues anciennes qu’on ne se soucie pas de prononcer (la prononciation érasmienne du grec reste une complète aberration !), ni de comprendre correctement à l’oral.
Au passage des XIXe et XXe siècles, apparut une méthode intitulée « la méthode directe », dont Sartre parle abondamment dans Les mots, car c’était celle que pratiquait son Alsacien de grand-père dans son enseignement ; elle consistait à s’adresser d’emblée et uniquement aux élèves dans la langue qu’on voulait leur enseigner. C’est une version améliorée de cette méthode qui a généralement cours aujourd’hui, à cette réserve que les explications sont données dans la langue connue (ou supposée telle) de l’élève.
Le problème, c’est que cette méthode directe – qui consiste à apprendre à nager en plongeant dans la piscine – n’est efficace qu’avec un petit groupe, car l’enseignant doit sans cesse s’assurer que ses élèves comprennent vaguement ce qui se dit. Résultat, nos élèves n’entendent ni ne lisent les langues étrangères, pas plus qu’ils ne savent les écrire ou les parler. Au moins la méthode traditionnelle leur apprenait-elle les bases de la morphologie et de la syntaxe. La nouvelle, certes, les fait parler. Mais si peu.
Dans le débat entre « fondamentalistes » (attachés à la maîtrise des savoirs fondamentaux) et « pédagogues » (attachés au développement de l’enfant – dût-il développer sa seule ignorance), les derniers sortent souvent une botte efficace consistant à s’extasier sur les pays nordiques – où, indéniablement, on parle anglais. Mais ce qu’on sait peu, c’est que les enfants n’apprennent pas l’anglais à l’école. Le jour de leur premier cours, ils le parlent et le comprennent déjà couramment. Ils l’ont appris en regardant la télévision. C’est elle qui pratique la méthode directe.
Comme les nôtres, leurs écrans sont saturés de programmes anglo-américains, souvent stupides mais pas toujours. Seulement, eux les diffusent en version originale, si bien qu’avant dix ans, les enfants ont entendu tant d’anglais qu’ils le connaissent.
Le ministre veut que nos lycéens soient bilingues – encore faudrait-il définir ce terme. À cette fin, il propose des stages d’anglais pendant les vacances scolaires. Il est certain que les lycéens pourront y faire des progrès, en anglais et dans d’autres domaines. Mais pour devenir bilingue, c’est beaucoup trop tard.
Si nous voulons que nos enfants soient bilingues, exigeons que les programmes anglo-américains soient diffusés en « vo sous-titrée ». Tant qu’à regarder des âneries, autant qu’ils apprennent quelque chose en même temps.
Donc, apprendre à parler anglais, ça ne se fait pas à l’école mais à la télévision.
Mais et les autres langues, me dira-t-on ? Et l’apprentissage de l’anglais écrit ? C’est précisément le boulot de l’école : apprendre à écrire et à parler correctement l’anglais et les autres langues. Laissons à la télévision l’apprentissage de l’anglais d’aéroport et les professeurs de langue pourront à nouveau enseigner la littérature anglophone ou d’autres langues que les élèves apprendront sans visée utilitaire. Pour le bonheur de se cultiver.