Accueil Site Page 2875

La femme de la situation ?

16

La France aime voter par procuration. Elle choisirait volontiers les dirigeants du monde entier. Certes, il arrive que des peuplades lointaines écartent le candidat qui a les faveurs du Quartier Latin – ainsi, il y a quatre ans, les Américains ont-il réélu « W » alors que Paris avait sacré Kerry. Heureusement, la fabrique planétaire de Jeunes Espoirs ne s’arrête jamais de tourner. Fanas d’Obama (qu’ils ont déjà élu dans leur tête), les Français – c’est-à-dire, en l’occurrence, les médias français – seront fous de Tzipi Livni. Bernard Guetta a ouvert le bal sur France Inter, avec un portrait enthousiaste de la ministre israélienne des Affaires étrangères. Ex-jeune mais toujours femme, la voilà sacrée comme seule candidate sérieuse à la succession de Ehoud Olmert, contraint à la démission par des affaires de corruption au petit pied. D’ailleurs, peut-on imaginer qu’un responsable politique soutenu par Elle pourrait échouer ?

Pourtant, de la dame, on ne sait pas grand-chose, et le peu que l’on sait mérite au mieux une note médiocre (ce qui, il faut l’admettre, n’est déjà pas si mal pour la classe politique israélienne). Cela n’empêche pas la « Tzipimania » de se développer à grande allure. Après tout, en politique, comme en amour, moins on sait, mieux on se porte.

Dans The Great White Hope, une pièce de théâtre montée à Washington en 1967 et devenue en 1970 un film (curieusement traduit en Français par L’insurgé, le dramaturge Howard Sackler (scénariste des Dents de la mer) met en scène un boxeur noir, dont l’ascension, dans une société imbibée de préjugés raciaux, suscite en réaction une demande populaire d’un champion blanc capable de le vaincre, demande encouragée et véhiculée par les médias. Depuis, l’expression « grand espoir blanc » désigne un personnage providentiel sur lequel se reportent les angoisses et les fantasmes d’un large segment du public. Censé incarner une solution – souvent aussi imaginaire que le problème – ce genre de super-héros permet d’échapper à une réalité à laquelle on préfère ne pas faire face. Pour certains Israéliens et un nombre croissant de journalistes dans le monde, Tzipi Livni est en train de devenir ce « grand espoir blanc », un fond d’écran sur lequel ils projettent leurs fantasmes.

A priori, Mme Livni n’est pas une mauvaise candidate à la double succession d’Olmert, à la direction du parti Kadima – issu de l’éclatement du Likoud, pivot de la coalition actuellement au pouvoir –, et donc à la tête du nouveau gouvernement que le patron du parti qui sera désigné dans des primaires jeudi devrait former cet automne. Députée depuis neuf ans, Livni assume depuis six ans des responsabilités ministérielles d’importance croissante, dont le portefeuille des Affaires étrangères qu’elle détient depuis deux ans et demi. Ce parcours respectable a pourtant été sérieusement entaché par la guerre du Liban de l’été 2006.

Son témoignage devant la commission Vinograd – chargé d’enquêter sur le déroulement et la gestion de la guerre déclenchée par l’enlèvement de deux soldats israéliens le 12 juillet 2006 – a révélé un tableau consternant. À en croire ses propres déclarations, elle aurait fait preuve d’une grande lucidité et marqué une saine méfiance vis-à-vis des généraux. Le problème est qu’à l’époque, elle ne l’a pas crié sur les toits. Toujours selon son témoignage, elle a cru voter pour une frappe aérienne courte et cinglante et s’est retrouvée solidaire de quelque chose qui ressemblait fortement à une guerre. Chef de la diplomatie et membre du cabinet restreint qui supervisait les opérations, Livni n’a pas bougé, n’eût-ce été que pour faire part de ses inquiétudes. Inexpérience ? Respect de l’autorité ? Opportunisme et prudent ? En tout cas, depuis cette époque, sa stratégie politique consiste à prendre ses distances vis-à-vis du Premier ministre sans renoncer à sa participation dans le gouvernement, ce qui indique que la troisième hypothèse n’est pas complètement dénuée de fondement.

Quant à ses talents de femme politique, ils restent à démontrer. Son arrivée sur le devant de la scène, elle la doit aux grâces d’Ariel Sharon qu’elle a rejoint il y a trois ans – avec Olmert – au moment de la création de Kadima. Et elle n’a jamais démontré au cours de sa carrière un talent particulier de meneuse d’hommes, pas plus que des capacités extraordinaires (ou même ordinaires) en matière de manœuvres politiciennes, pourtant essentielles dans la IVe République israélienne.

Certes, ce parcours un peu terne ne justifie pas que l’on récuse sa candidature – surtout si l’on songe que ses concurrents potentiels ne sont pas légion et de toute façon pas plus flamboyants. Mais il n’explique pas non plus la starisation dont elle l’objet. Aussi étrange que cela semble, Livni est désormais people. Ainsi, l’hebdomadaire américain Time l’a-t-elle intégrée en mai 2007 dans son palmarès des cent personnages les plus influents du monde. Compte tenu de son influence réelle, ce classement laisse rêveur.

On devine trop facilement les raisons de cette promotion : femme, passablement jeune (née en 1958, elle aura quarante-neuf ans pendant encore quelques années) elle représente un nouveau visage. Bref, un bon rapport passé/avenir : beaucoup de promesses, pas trop de passif. De plus, elle tient un discours de paix et de modération, ce qui est synonyme, dans l’opinion publique mondiale, de « concret ». En somme, elle est sympathique, elle pense bien et elle n’a pas de casseroles accrochées à sa réputation: on ne va pas en plus se poser des questions compliquées sur sa capacité à faire aboutir un projet politique.

Et pourtant, même ceux qui, comme moi, partagent dans les grandes lignes son analyse géopolitique du Moyen Orient, doivent se poser des questions autrement plus importantes que la qualité littéraires de ses discours. Car rien ne permet de penser que Tzipi Livni soit capable de mener à bien les tâches herculéennes qui s’annoncent, à commencer par l’évacuation de plusieurs colonies et par la conclusion d’un compromis territorial basé sur les frontières du 5 juin 1967. Cette mission, qui sera celle du prochain Premier ministre israélien, est à la mesure d’un de Gaulle, pas d’un Pflimlin. Seulement, en Israël comme ailleurs, notre époque secrète beaucoup de Pflimlin mais aucun de Gaulle n’est en vue.

Le pape est pape

84

De tous les emplois que peut, au cours de sa carrière, remplir un journaliste, la place de commentateur télévisé est certainement la moins enviable. La visite du pape en France nous en a apporté ce week-end une nouvelle illustration. Comment meubler l’antenne quand n’on a rien à dire ? Se taire resterait la forme la plus polie et la plus adéquate, si nous ne vivions pas en un temps où les silences de Mozart restent du silence[1. Sacha Guitry écrit dans Cinquante ans d’occupations : « Ô privilège du génie ! Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. »]. Mais la retransmission télévisée relève d’une phénoménologie particulière, où jamais l’image ne se suffit à elle-même et où rien n’existe réellement qui ne soit commenté.

En un sens, Jean-Claude Narcy, commentant la messe pontificale aux Invalides samedi matin sur TF1, c’est Husserl réinventé. A cette différence près que chez Jean-Claude Narcy les états de conscience ne durent pas plus de trois secondes, le temps qu’il faut à un poisson rouge pour oublier qu’il vient de faire le tour de son bocal, le temps qu’il faut à un présentateur télévisé pour oublier qu’il vient de répéter la même chose pour la trente-sixième fois.

Car lorsque le commentateur a épuisé ses fiches techniques[2. Nous aurons ainsi appris que Mercedes a spécialement conçu les cinq papamobiles que compte le Vatican pour que ces véhicules puissent rouler à 3 km/h sans à-coups.], il essaie de décrocher un bon gimmick. Lorsqu’il estime en tenir un bon, il le répète invariablement et sans discontinuer. Comme sa consœur Marie Drucker, qui traitait l’événement pour France 2, Jean-Claude Narcy avait une idée en tête samedi matin : démontrer que Benoît XVI n’est pas Jean-Paul II.

Plus d’une dizaine de fois, on vit donc Jean-Claude Narcy dépêcher un journaliste de la rédaction pour réaliser un micro-trottoir parmi les catholiques présents sur l’esplanade des Invalides. Invariablement, les mêmes questions et les mêmes réponses :

– Comment ressentez-vous cet événement ?
– C’est une grande joie de pouvoir communier avec le Saint-Père.
– Vous préfériez quand même Jean-Paul II, non ?
– …
– Il avait plus de charisme, Jean-Paul II ?
– Il avait un autre charisme.

Retour sur le plateau pour écouter immanquablement Jean-Luc Narcy déclarer : « C’est encore confirmé : pour les catholiques, Jean-Paul II avait plus de charisme » et d’enchaîner : « Benoît XVI est un pape plus rigide. Un pape plus à droite, non ? » Les consultants invités par la chaîne ont beau récriminer (un catholique peut parfois être protestant) que les notions de « gauche » et de « droite » ne s’appliquent pas à l’Eglise, notre commentateur persiste et répète l’opération une dizaine de fois.

On pardonnera à Jean-Claude Narcy d’ignorer ce qu’est le charisme. Pour lui, c’est un synonyme de « médiatique » et de « télégénique ». Dans la bouche d’un catholique, le charisme a une autre signification. C’est un don particulier de l’Esprit. Saint Paul, dans la 1ère Lettre aux Corinthiens, en souligne d’ailleurs la diversité : sagesse, raison, foi, pouvoir de guérir et d’accomplir des miracles, glossolalie, etc. Il y a un hiatus profond entre les médias et l’Eglise. Les deux parlent un langage différent. Avec Jean-Paul II, l’un des meilleurs clients qu’ils aient jamais eus, les journalistes l’avaient oublié, mais un monde sépare le cathodique du catholique.

Extirpons-nous un instant du bocal télévisuel, où la mémoire ne dure pas plus de trois secondes, pour nous souvenir du traitement médiatique réservé à Jean-Paul II. Au cours des vingt-cinq ans qu’a duré son pontificat, les journalistes ont adopté plusieurs attitudes face au défunt pape. De 1978 à la chute du mur de Berlin, ils l’ont présenté comme une figure exotique, un pape étrange venu de l’Est – résistant dans la Pologne de Jaruzelski sur l’air de Cracovie mon amour. Puis, on l’a qualifié de « pape réac », hostile à l’avortement, à la contraception ou au mariage des prêtres : « L’Eglise ne devrait-elle pas vivre avec son temps ? », s’interrogeaient alors les journalistes. Dans la foulée, les grands rassemblements mondiaux, suscités par ses visites sur les cinq continents et l’organisation de manifestations telles que les Journées mondiales de la Jeunesse en ont fait un « pape voyageur et médiatique ». Enfin, il est devenu le « pape malade », dont chacune des apparitions télévisées suscitait la question des présentateurs : « Le pape peut-il et doit-il démissionner ? »

Une fois mort, Jean-Paul II est devenu plus présentable par les médias. Il faut dire qu’ils l’avaient attendue, cette mort. Cela faisait six ans que TF1 louait à Rome une terrasse surplombant la place Saint-Pierre « uniquement dans la perspective d’événement qui se passeraient au Vatican ». Les journalistes ont donc immédiatement passé l’éponge sur son refus constant de se transformer en VRP du préservatif et joint leur voix à celle de la foule réunie place Saint-Pierre le jour de ses funérailles pour le déclarer « santo subito », oubliant du même coup ses prises de position tranchée sur toutes les matières sociales, sa rigidité morale et sa fermeté dogmatique. Car en vérité, rien ne sépare Jean-Paul II de Benoît XVI, si ce n’est la longévité du pontificat du premier. Jean-Paul II n’était pas plus « médiatique » que le pape actuel : il a simplement été médiatisé plus longtemps, au point de devenir un « bon client » de l’actualité mondiale.

Ce faisant, avec Benoît XVI – un pape tout neuf –, les médias sont désemparés. Ils ne peuvent plus utiliser décemment les formules toutes faites qu’ils avaient mis vingt-cinq ans à griffonner sur leurs fiches et qu’ils pouvaient ressortir chaque fois qu’il fallait parler du pape. Ils essaient d’improviser et d’y aller au débotté.

Comme on leur dit que Benoît XVI a été à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi pendant plus de vingt ans et que cette institution serait l’héritière de la Sainte Inquisition, ils présentent le nouveau pape comme un nouveau Torquemada – mettant de côté le fait que la Congrégation est une instance dont le rôle se limite, pour l’essentiel, à juger les questions de théologie catholique et à garantir la cohérence du magistère. Essayer de nuancer, comme tenta de le faire Mgr Lalanne samedi sur France 2 (lorsque le cardinal Ratzinger condamnait un théologien au silence pendant un an, expliqua l’évêque de Coutances, il s’appliquait à lui-même la peine), vous vous heurterez au mur de perplexité et d’incrédulité d’une Marie Drucker, à laquelle la notion de « correction fraternelle » semble totalement étrangère. Il est vrai que cette obstination de l’Eglise à se préoccuper de théologie est suspecte.

Pire encore, ce pape est un intellectuel de haut vol, un universitaire internationalement reconnu. Les médias en auraient préféré un à leur portée, c’est-à-dire légèrement débile, comme le suggérait lundi matin sur France Inter Stéphane Paoli qui, bouleversé, répéta plusieurs fois : « Aux Bernardins, le pape a tenu un discours, paraît-il, de qualité… » N’allons surtout pas essayer de lire ni de comprendre le discours de Benoît XVI, dès fois que ça nous donnerait mal à la tête.

Ce qui gêne au fond les médias, sous Jean-Paul II comme sous Benoît XVI, c’est une monstrueuse tautologie : le pape est pape. Il n’est pas une vedette du show-biz ni pétomane. Il ne montre pas son cul dans des reality show et ne joue pas des claquettes. Circonstance aggravante : le pape est l’une des seules personnalités au monde à ne pas tirer sa légitimité du cirque médiatique tout en étant exposé médiatiquement. Il n’est donc pas étonnant que, dans ces conditions, la plupart des médias en perdent leur latin.

Tableau de la vie parisienne

42

S’il s’agissait d’un T-shirt, un produit de beauté ou un gadget électronique, on assisterait sans doute à une foire d’empoigne. Comme disaient nos grand-mères, « à cheval donné, on ne regarde pas les dents ». Autrement dit, tout ce qui est donné est bon à prendre. Presque tout. Pas un livre. On accepterait n’importe quelle breloque absurde pourvu qu’elle fût gratuite, mais un livre ne vaut pas l’effort de le porter. Un honnête homme du XVIIIe siècle, et même un honnête bourgeois du XIXe, auraient trouvé incongru, et peut-être vaguement blasphématoire, le spectacle de ces ouvrages empilés dans un carton, livrés au vent parisien, dédaignés sans même un regard, par ceux à qui ils étaient offerts. C’est en tout cas l’un des plus tristes auxquels on puisse assister. Et, en l’occurrence, un déprimant précipité de l’époque. Un écrivain de mes amis qui vit retiré au milieu du monde tente souvent de contrecarrer mes inavouables pulsions réactionnaires en faisant valoir que, désormais, nous avons accès à la bibliothèque universelle. Oui, toute la littérature du monde est à notre portée. Mais le monde se fiche de la littérature.

Après les grands textes philosophiques, Le Monde, décidément fort optimiste sur ses contemporains, a donc décidé de booster ses ventes (ou peut-être d’empêcher leur chute) en proposant à ses lecteurs une édition intégrale de La Comédie Humaine à un tarif très concurrentiel. Pourtant, si l’on en croit une étude fort opportune, non seulement les ventes de tous les titres seraient en progression, mais les gratuits et internet auraient, au bout du compte, tiré le vieux journal papier vers le haut. Bref, tout va bien. C’est à se demander pourquoi les journaux offrent à ceux qui acceptent de débourser quelque argent pour les acquérir DVD, montres, valises, chaines hi-fi, batteries de cuisine et j’en passe, sans oublier les voyages ou les grands crus de l’année à prix réduit. Il peut sembler curieux d’attirer le chaland en lui fourguant autre chose que ce qu’on sait faire. Un confrère milanais s’est un jour désolé devant moi que la presse française n’ait pas su, suffisamment tôt, diversifier son offre comme l’ont fait depuis longtemps les journaux italiens et espagnols. C’est chose faite.

Jeudi, donc, pour le lancement de « l’opération Balzac », chaque acheteur avait donc droit gratuitement au premier tome de la série. Vous pouvez prendre le supplément, lance, visiblement excédée par tous ces tracas additionnels, cette kiosquière des Champs-Elysées à un homme qui se trouve devant moi. Je me demande de quel supplément elle parle. Je ne vois qu’une caisse pleine de bouquins – impossible qu’ils les offrent. En m’approchant, je découvre de quoi il retourne. Bonne pioche ! Parmi les textes rassemblés dans ce premier tome (sur 25 !), je n’ai lu que Le Père Goriot. À moi Le Colonel Chabert, La Messe de l’Athée (qui excite ma curiosité) et L‘Interdiction ! Des heures de lecture en perspective.

Trois ou quatre personnes achètent Le Monde, jettent un regard ennuyé à la pile des suppléments… et repartent sans s’encombrer de cet étrange cadeau. Je n’avais nullement l’intention d’acheter Le Monde, puisque j’y suis abonnée mais, je l’avoue : trois textes de Balzac que je n’ai pas encore lus pour 1,30 €, je me laisse tenter. « Le supplément ! », hurle la voix revêche sans me regarder. « Vous voulez dire le livre ? », osé-je, une octave au-dessus de ma tonalité habituelle. Visiblement, quelque chose l’empêche de prononcer ce mot. « Mais oui, le supplément ! », répète-t-elle, de plus en plus agacée par mon entêtement à ne pas comprendre. Je bafouille un peu car une idée me vient dont j’ai un peu honte. Si j’achetais deux Monde, j’aurais deux livres et je pourrais faire un heureux. « Je vais vous en prendre un autre », dis-je dans un gargouillis, anticipant un regard méprisant. Mais non, un grand sourire illumine son visage (tiens, elle sait, donc ?). « Prenez tous ceux que vous voulez ! » Désolée, les copains, j’ai joué petit bras et suis partie avec mes deux Balzac sous le bras. Mais pour un jour, mon pouvoir d’achat a augmenté. Elle est pas belle, la vie ?

Scoop !

3

Dans l’univers de la presse économique aussi, il y a quelques journaux de référence, ceux à qui on peut faire confiance, même par gros temps, pour orienter ses placements. Parmi ces titres inattaquables, Business Week, est souvent cité comme le premier de la classe par les experts. A juste titre, la preuve ici.

Jamel est trop grave !

66

Moi, Jamel Debbouze, il me fait rire. Dans le premier Astérix il était le seul à vraiment être drôle. Il a un vrai talent, ce garçon, et il aurait tort de ne pas l’exploiter. Mais Jamel n’est pas qu’un comique, il est aussi capable de jouer des rôles sérieux. Nous en avions déjà eu un aperçu dans Amélie Poulain où il jouait alors le rôle d’un jeune vendeur de quatre saisons, un peu simple et vraiment touchant, et surtout dans Indigènes. Le voici de nouveau dans un film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, Parlez-moi de la pluie, dans lequel il interprète le rôle de Karim.

Je me demandais qui pouvait bien être ce Karim. Je me suis donc jeté sur l’interview du comédien dans le JDD du 14 septembre. Sur Karim, je n’ai rien appris, mais j’ai approfondi mes connaissances sur Jamel Debbouze.

Sur une pleine page offerte par le journal et la journaliste Danièle Attali, le futur jeune papa nous fait comprendre qu’il souffre d’une humiliation permanente depuis son enfance, la preuve, un méchant lui aurait dit que « c’est bien pour toi de faire ce film avec Agnès et Jean-Pierre ». C’est vrai, c’est très vilain de dire des choses pareilles à quelqu’un non ? Mais pour Jamel Debbouze, c’est une terrible humiliation, ordinaire dit-il, car il le comprend comme un cadeau qu’on ferait au fils d’immigrés qu’il est, un cadeau condescendant. Soit, nous n’y étions pas et sommes bien incapables de dire quel ton fut employé par l’humilieur, sûrement fils de colon. La suite vaut le détour. L’humilié établit un lien direct entre cette humiliation par lui ressentie et l’intégration. « C’est dégradant d’entendre « intégrez-vous », dit-il. Je suis Français. »

Je me demande bien qui lui dit de s’intégrer à Jamel Debbouze ? À se sentir toujours humilié, cette idole des jeunes en deviendrait presque inquiétante. C’est que Jamel est une victime, une victime éternelle. Certes, une victime qui habite les beaux quartiers, une victime qui est l’une des stars françaises les mieux payées du moment, mais une victime quand même. C’est qu’il pense aux jeunes, à eux qui comme lui sont victimes du passé et du présent (!) colonial de la France, ce pays qui a employé sa mère comme femme de ménage. Et elle, malgré sa petite condition, trouvait que c’était « une chance d’habiter en France ». Le fils, lui, ne semble pas considérer la chose du même œil. Il juge même que « c’est intolérable ». Comme c’est un peu confus, on ne sait plus très bien ce qui est intolérable – que sa mère ait dû trimer ou bien qu’elle se sente redevable à la France d’avoir permis à ses enfants de devenir ce qu’ils sont ?

Alors lui, il a « envie de gueuler » et quand il gueule, ça décoiffe. Jugez plutôt : « Nos enfants à qui on va demander de s’intégrer (ça vire à l’obsession, on doit le lui demander tous les jours) ils réagiront plus violemment que nous (qui nous ?) (…). Ce ne sera pas des émeutes, ce sera pire. A être humiliés comme ça à outrance, ça crée des frustrés, de l’obscurantisme (Il est vrai que les talibans sont tous humiliés à outrance, tout comme les types du GIA ou les cheiks d’Arabie Saoudite…). (…) Moi je ne vois que de l’exclusion partout (c’est dur le huitième arrondissement). On cherche à intégrer les gens à coup de CV anonyme, c’est archaïque. »

Qu’on ne se méprenne pas. Il serait absurde de nier qu’il existe de la discrimination à l’embauche, au logement et à autre chose, ou encore que la vie dans certaines banlieues est loin d’être rose. Mais quand on écoute Jamel, on a l’impression que la France a instauré l’apartheid ! À moins qu’il ne devienne parano ? La fin de l’entretien suggère que c’est le plus probable. Interrogé sur le fichier Edvige, il s’énerve : « Ce qui me fout les boules, c’est qu’on va forcément aller au plus simple et cataloguer tous les petits « renois » et les petits « rebeux », sans même qu’ils fassent un faux pas. » Bien sûr, le racisme commence au niveau de l’Etat, comme à l’époque de Vichy, mais les cibles ont changé, on n’y avait pas pensé. En tout cas, rien ne saurait être reproché aux victimes. « Tant qu’on traitera mal cette population, elle se comportera mal. (…) Un jour, on ne pourra plus les retenir ces gamins. » Avec ce type de discours, c’est certain. Heureusement, il sait comment éviter le pire : « Il ne faut pas essayer de calmer les gens à coups de Kärcher mais de diplômes et d’éducation scolaire. » Fallait le dire ! Nous voilà sauvés ! Certes, la République a substitué le mérite à la naissance, mais les jeunes gens dont il parle ne devraient-ils pas, en compensation des torts faits à leurs parents, obtenir des diplômes simplement parce qu’ils sont ?

On arrêtera là le déballage de lieux communs, de discours simplificateurs et unilatéraux. Jamel Debbouze est un acteur, il fait ça très bien et la France, quoiqu’il semble en penser, l’a reconnu. En tant que citoyen, il est en droit d’avoir des opinions et de ressentir ce qu’il ressent. Mais nous avons, nous, le droit d’exiger que ses analyses nous soient épargnées.

NB : la semaine prochaine, dans le JDD, pour pourrez lire une interview de Dany Boon sur les problèmes de restructurations industrielles dans le Nord et dans quinze jours un entretien exclusif avec Paris Hilton sur les enjeux de l’élection présidentielle américaine.

Mourir pour Barcelonnette ?

17

Un meilleur matériel aurait-il sauvé la vie de nos dix soldats en Afghanistan ? Très probablement. Et pourtant, cette équivalence (meilleur matériel = vies sauvées) est non seulement simpliste mais carrément démagogique. Il est compréhensible que l’on recherche des responsables voire des coupables, et même que cette affaire relance le débat sur le budget militaire. Seulement, pour l’instant, on n’assiste pas à un débat mais à une foire d’empoigne dans laquelle affirmations et insinuations tiennent lieu d’arguments, en particulier à ceux qui, à tort ou à raison, se voient comme les oubliés du budget de la Défense.

Le débat avait vaguement commencé il y a trois mois, avec la publication du Livre blanc qui définit les grandes orientations de la stratégie de défense de la France pour les années à venir, suivi de la réplique tonitruante et anonyme, sous la signature de Surcouf, un groupe d’officiers. Il a fait long feu. Très vite, la réforme de la carte militaire a dominé l’agenda médiatico-politique, élus et journalistes s’intéressant d’abord aux fermetures de sites et aux remous afférents.

Le président de la République a défini les objectifs assignés aux auteurs du Livre blanc : la France doit rester une puissance militaire et diplomatique de premier plan, capable non seulement d’assurer l’indépendance du pays et la protection de ses ressortissants, mais, plus largement, de défendre ses intérêts et de remplir ses obligations internationales. L’ennui, c’est que l’on demande à l’armée de s’exécuter avec une enveloppe globale qui n’excède pas 2 % du PIB, soit 40 milliards d’euros par an. Bref, il n’y a pas le choix. Il faut trancher dans le vif, et ça fait mal. Comment arbitrer entre le régiment basé à Barcelonnette (qui sera, un jour, envoyé sur un terrain lointain) et l’équipement des soldats qui risquent leur vie aujourd’hui ? Les contribuables sont-ils prêts, parce que la France a perdu, depuis 2001, 19 soldats en Afghanistan, aux sacrifices qui seraient nécessaires si l’on voulait réduire significativement le risque qu’ils encourent ? Ces questions, qui engagent la collectivité dans son identité même, méritent mieux, comme réponses, que des slogans.

IL est donc légitime, surtout après l’embuscade de Surobi, de se demander si les arbitrages qui ont été faits étaient pertinents. Non, répond Jean Guisnel dans Le Point. L’article explique que les Vikings, dont l’achat était bloqué, auraient pu sauver des soldats. Le BV 206 Viking est un « véhicule blindé à haute mobilité » (VBHM), chenillé et doté d’une capacité tout-terrain exceptionnelle, bien meilleure que celle du VAB (véhicule d’avance blindé) classique qui est actuellement le transport de troupes le plus répandu dans l’armée de terre. Le Viking est capable de lâcher les fantassins face au feu ennemi le plus tard possible. Depuis 2000, tous les chefs de l’armée de Terre réclament ces équipements qui, fabriqués à la chaîne par les Suédois et utilisés par les Britanniques, ne coûtent qu’un million d’euros pièce. Selon les sources de Guisnel – visiblement proches de l’armée de terre –, la Direction générale de l’Armement (DGA), soutenue par l’Etat-major des armées (EMA), a freiné des quatre fers pour livrer les 129 véhicules demandés par l’infanterie. Dans Le Point, un général en colère propose une solution : « Supprimons un Rafale et achetons ces engins en urgence ! » (On comprend qu’il n’appartient pas à l’armée de l’Air). Il faut cependant préciser que ce véhicule, incapable de résister au RPG 7 (lance-roquette russe rustique et efficace qui a coûté aux Américains en Irak plusieurs véhicules de transports de troupes), aurait besoin d’un renforcement de son blindage et probablement de son armement. Si l’on en croit les chiffres du ministère britannique de la Défense, ces aménagements augmenteraient la facture d’environ 10%. C’est donc à deux Rafales et demi qu’il faudrait renoncer (53 millions d’euros pièce) !

On ne reprochera certainement pas à des journalistes comme Guisnel ou Jean-Dominique Merchet (dont le blog Secret Défense se distingue par la qualité de ses articles mais aussi par celle des commentaires) de se colleter avec ces questions pour le moins arides. Reste que, confronté à la colère – anonyme – d’officiers convaincus du bien-fondé de leur combat, le non-initié aura du mal à se faire une idée. Certes, qui n’aurait envie de pester contre « ces technos et bureaucrates » qui ne comprennent rien au « terrain » et privent nos petits gars de matériels essentiels pour accomplir leurs missions et protéger leur vie ? Oui, mais, en dehors des préférences exprimées par les sources de Guisnel, pourquoi un Viking plutôt qu’un Rafale ? Et, à ce compte-là, ne vaudrait-il pas mieux fermer une ou deux garnisons si cela sauve des vies ? Bref, ne faut-il pas déshabiller Pierre pour habiller Paul – ou inversement ?

De fait, puisque l’argent est compté, il faut bien définir la hiérarchie des besoins. Pas si simple, donc, quand chacun, du maire de petite ville au général d’aviation, du patron des commandos aux officiers d’infanterie, prêche pour sa paroisse. Juste après l’embuscade, des journaux, visiblement rencardés de l’intérieur de la « Grande Muette », ont dénoncé le manque de moyens aériens et plus particulièrement de drones de renseignements. La Croix et Europe 1, entre autres, affirmaient que ces engins, envoyés pour reconnaître le terrain avant la patrouille, auraient permis de repérer les préparatifs de l’embuscade. D’autres ont évoqué des hélicoptères de transport tactique qui manquent cruellement à l’armée française. Bref, comme toujours, a postériori, il n’a pas manqué de bons esprits pour trouver la parade.

Si l’armée disposait de moyens illimités, elle pourrait sans doute approcher (sans l’atteindre d’ailleurs) le risque zéro. Il n’est pas certain cependant que l’on puisse appliquer à la chose militaire notre sacro-saint principe de précaution. On imagine le séisme politique qu’entraînerait une augmentation des impôts nécessaire à la réalisation de cet objectif.

En attendant, aussi énorme soit « le poids des mots », aussi sidérant soit « le choc des photos », on peut difficilement imputer la mort de nos paras à une commune qui fait du lobbying pour conserver sa garnison parce que son départ entraînerait la fermeture de trois épiceries et d’une classe de maternelle.

Entre un drone et un Rafale, entre le maintien d’un régiment et la protection d’un autre, il n’est pas si facile de trancher. Dans le cas qui nous occupe, on se gardera de décréter quelle est la solution la plus adaptée. Peut-être que sur ce coup-là, les défenseurs du Viking ont cent fois raison, tandis que la DGA et l’EMA ont tort sur toute la ligne. Quoi qu’il en soit, notre engagement en Afghanistan risque de durer encore longtemps, sans oublier les autres missions que la France mène et sera appelée à mener en Afrique, au Moyen-Orient ou ailleurs. La crise du Caucase nous rappelle que, contrairement à ce que croient les opinions, la guerre n’a pas disparu de notre horizon. La défense de la France, son rang de grande puissance, exigent un effort considérable. Il est vital que les Français le comprennent. Ces questions sont trop graves pour qu’on les confie aux seuls généraux et ingénieurs.

Elephant woman

0

Son corps, nous apprend l’AFP, est fabriqué en Chine mais sa tête est moulée aux Etats-Unis. Vendue au prix de 30 $, elle fait fureur depuis quelques semaines sur Internet : c’est la poupée Sarah Palin. On se l’arrache en Amérique et l’engouement est tel qu’Emil Vicane, le fabricant de la figurine, prédit une victoire certaine des Républicains à l’élection présidentielle. Maintenant, on sait ce qui a manqué à Ségolène.

Benoit XVI, pape avec frontières

23

Restée seule organisation planétaire hiérarchisée depuis la déconfiture de l’Internationale communiste, l’Eglise catholique est soumise à des mouvements tectoniques souterrains, conséquences de ses luttes idéologiques internes.

Dans ces jeux de forces, la personnalité et les conceptions du chef suprême, le Pape, sont des éléments-clé de l’évolution de l’ensemble. Certes, l’église catholique universelle est une sorte de gros tanker qui ne fait pas demi-tour par une simple manœuvre du gouvernail. Cependant les impulsions venues de Rome ne sont pas sans effets sur son orientation, et le Pape dispose aujourd’hui d’une « force de frappe » médiatique inégalée dans l’univers religieux, et même politique.

Pour comprendre les ressorts de l’action de Benoît XVI, ci-devant Joseph Ratzinger, il n’est pas inutile de le replacer dans son terroir d’origine, l’Allemagne, et plus précisément la Bavière, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Les relations entre l’Eglise et l’Etat, dans ce Land majoritairement catholique, sont régies par le Concordat de 1924 entre l’Etat libre de Bavière et le Vatican. L’Etat finance le culte et rémunère son clergé, l’enseignement religieux est obligatoire dans les écoles publiques, les crucifix trônent dans les tribunaux et Rome désigne les évêques des sept diocèses bavarois à partir d’une liste de trois candidats proposés par le gouvernement provincial.

Cela ne signifie pas, pourtant, que l’Eglise et l’Etat soient en telle symbiose que la démocratie bavaroise puisse être considérée comme une théocratie à visage humain.

La juste répartition entre ce qui revient à Dieu et ce qui revient à César, en Bavière, remonte au début du 19e siècle, quand un ministre réformateur du royaume, le comte de Montgelas (1759-1838), d’origine savoyarde, laïcisa l’administration, déposséda les abbayes de leurs biens fonciers au profit des paysans, accorda un statut égal aux protestants et aux juifs. Ce libéralisme bavarois, ce « vivre et laisser vivre », mot d’ordre toujours en vigueur dans la bourgeoisie de Munich, s’est perpétué jusqu’à nos jours. Benoît XVI n’a aucun problème avec cette séparation du religieux et du politique, il en a même nourri sa réflexion théologique et en a tiré les conséquences pastorales. Il fut archevêque de Munich en 1977, à l’époque où le ministre-président Franz-Josef Strauss tenait d’une main de fer le gouvernement provincial, à la tête d’un parti à référence chrétienne, la CSU. Jamais l’archevêché ne put empêcher Strauss d’approuver des mesures comme la libéralisation de l’avortement, décidée au niveau fédéral et appliquée, avec réticences certes, mais appliquée tout de même en Bavière. Les relations avec un parti dominant qui se réclame du christianisme ne sont bien souvent pas plus simples, pour la hiérarchie catholique, que les affrontements rituels avec des adversaires anticléricaux…

Par ailleurs, le théologien Ratzinger a pu observer, dans son pays les effets des courants « modernistes » de l’église qui pratiquaient vis-à-vis des luthériens, l’autre grande force chrétienne allemande, un œcuménisme sans rivages et, à ses yeux, sans principes. On en était arrivé, dans les années 80 au point où, dans un très grand nombre de paroisses catholiques d’outre-Rhin, les curés vivaient en concubinage ouvert, avec la bénédiction et l’approbation de leurs ouailles…

Contrairement à son prédécesseur, Ratzinger n’est pas un pape politique dont l’objectif est la victoire sur l’incroyance par la mise en mouvement des masses plus ou moins sommairement catéchisées.
La restauration du dogme, l’accent mis sur la formation théorique et morale d’un clergé conscient de sa mission et de sa responsabilité, et le mépris affiché pour ceux qui voudraient faire de l’Eglise catholique une vaste ONG humanitaire, voilà les piliers de sa pensée et de son action. En cela il se rapproche plutôt de feu Jean-Marie Lustiger, dont la gestion pastorale du diocèse de Paris fut tout sauf laxiste…

La laïcité à la française n’a donc rien à redouter d’un pape qui voit dans l’intervention des clercs dans la vie politique un risque de corruption morale de ces derniers. À ses yeux, ces intrusions dans les affaires terrestres ne peuvent que désarmer les soldats de la foi. Pour le reste, c’est l’affaire des catholiques, dont je ne suis pas, de s’accommoder ou non de la forme de religion austère et rigide que leur prêche aujourd’hui leur guide suprême.

Pour la réintroduction du Blanc chez les Bleus ?

« Il y eut un Blanc et, soudain, un tonnerre d’applaudissements. Le Stade de France, mal rempli et malveillant, cessa de siffler les Bleus pour les encourager. Au milieu du terrain, un beau gosse venu de Lorient, avait tout changé, qui brillait de mille feux pour sa première titularisation face à la Serbie. Dribbles inspirés, passes millimétrées, jeu galvanisé : que Yoann Gourcuff faisait plaisir à voir parmi tous ces Blacks ! Cette équipe de nuls, décidément, offrait un visage trop monocolore jusqu’à sa venue. Du sang nouveau, frais, de la diversité, un bon petit gars du terroir au milieu des banlieusards, et au final, la gagne ! Enfin ! »

Racistes, les lignes qui précèdent ? Sans aucun doute.

Mais à ceux qui auront légitimement tiqué en lisant l’entame de ce billet, il faut poser une question : pourquoi ne sont-ils pas également choqués par les arguments des partisans de la « discrimination positive » ? Depuis plusieurs années, on nous explique en effet que la télévision française est trop « pâle » (je cite), que notre assemblée est « écoeurante avec tous ses hommes blancs », que nos facs et nos entreprises sont « désespérément monocolores ». Libération, Le Nouvel Observateur, le Parti Socialiste le disent, mais aussi Le Figaro et, désormais, l’UMP. Et s’il est ici question de foot, c’est parce que cette dérive a débuté sur la pelouse du Stade de France.

Souvenez-vous. En 1998 comme en 2000, les commentateurs ont unanimement estimé que la France était devenue championne du Monde et d’Europe parce que son équipe était « métissée« . La qualité de son réseau associatif amateur, ses centres de dépistage et de formation, la qualité de son encadrement ? Négligeables. Les Bleus étaient victorieux parce qu’il n’y avait pas trop de Blancs dans leurs rangs : relisez notre presse, c’est explicitement ce que l’on nous a gentiment seriné. Ce racisme angélique, ce racisme bienveillant, était évidemment maladroit : Brésil excepté, les équipes qui dominent le football mondial depuis trente ans, raflant toutes les Coupes du Monde – à savoir : l’Argentine, l’Allemagne et l’Italie – n’ont jamais aligné un seul joueur de souche non européenne. Que faudrait-il en déduire ? Que l’antiracisme mène à tout, y compris au racisme.

Parce que de deux choses l’une : ou bien l’appel à la « discrimination positive » s’avoue clairement raciste – c’est-à-dire dirigée pour l’éternité contre les seuls Blancs – ou bien alors elle doit s’appliquer à tous et partout. S’il s’agit de corriger la prédominance ethnique ou religieuse de tel ou tel groupe afin d’en favoriser d’autres, cette règle (absurde et destructrice du principe fondateur de notre civilisation, la méritocratie) ne devrait ne souffrir aucune exception. Vous en avez, bien entendu, anticipé la conséquence logique : dans le sport comme dans la musique, qui sont tout de même deux des plus faramineuses sources de célébrité et d’enrichissement en Occident, la proportion de Blancs étant bien moindre que dans la population, il conviendrait de leur réserver des places. Les tenants de l’affirmative action sont-ils prêts à accepter des quotas en faveur des Blancs dans les stades et sur M6 ?

Soyons conséquents : on ne pourra dire à certains de nos concitoyens que pour faire place aux « discriminés », ils seront exclus des amphithéâtres de Dauphine, des bancs du Palais Bourbon et des instances de Publicis en raison de leur origine corrézienne, polonaise ou vietnamienne… et leur expliquer dans le même temps que pour le rap, le foot, la radio ou le mannequinat, seuls le talent et le mérite seront pris en compte. « Désolé, Coco, on a déjà trop de blonds, trop de Juifs, trop de Latins : tes études, ton savoir-faire, ton énergie ne pèsent rien en comparaison de tes origines ! » Belle société, en vérité, que nous façonnerait la « discrimination positive » : injuste et déglinguée d’inefficacité. En matière « d’origine », la seule discrimination qui mérite d’être combattue, parce qu’elle est moralement odieuse, parce qu’elle nous prive d’innombrables talents, c’est celle de l’origine sociale. Que l’école revienne à sa mission, que le système des bourses soit rétabli et renforcé, que le principe de responsabilité (donc de limogeage) soit enfin appliqué enfin à tous les médiocres qui peuplent nos ministères, le Quai d’Orsay ou le CAC 40 : voilà la vraie, la seule révolution dont nous ayons besoin. Nous n’avons pas besoin de plus de « blacks » sur France Télévision ni de plus de juifs dans le hip-hop, nous n’avons pas besoin de plus de musulmans à l’assemblée ni de plus de Français « de souche » dans le basket : nous avons besoin, cruellement besoin, de plus de méritocratie. Vieux mot sans doute, mais idée toujours neuve à laquelle feraient bien de s’intéresser les partisans des quotas de race.

L’âge de la retraite encore repoussé

4

Né en 1928, la même année que le pétulant Siné, Jean-Marie Le Pen confie dans un entretien à Valeurs actuelles qu’il envisage de prendre sa retraite en 2010. Malheureusement, Arnauld Folch, notre confrère de VA qui recueillait ses propos, n’a pas pensé à lui demander quel serait le titre de l’hebdo satirique qu’il lancerait alors.

La femme de la situation ?

16

La France aime voter par procuration. Elle choisirait volontiers les dirigeants du monde entier. Certes, il arrive que des peuplades lointaines écartent le candidat qui a les faveurs du Quartier Latin – ainsi, il y a quatre ans, les Américains ont-il réélu « W » alors que Paris avait sacré Kerry. Heureusement, la fabrique planétaire de Jeunes Espoirs ne s’arrête jamais de tourner. Fanas d’Obama (qu’ils ont déjà élu dans leur tête), les Français – c’est-à-dire, en l’occurrence, les médias français – seront fous de Tzipi Livni. Bernard Guetta a ouvert le bal sur France Inter, avec un portrait enthousiaste de la ministre israélienne des Affaires étrangères. Ex-jeune mais toujours femme, la voilà sacrée comme seule candidate sérieuse à la succession de Ehoud Olmert, contraint à la démission par des affaires de corruption au petit pied. D’ailleurs, peut-on imaginer qu’un responsable politique soutenu par Elle pourrait échouer ?

Pourtant, de la dame, on ne sait pas grand-chose, et le peu que l’on sait mérite au mieux une note médiocre (ce qui, il faut l’admettre, n’est déjà pas si mal pour la classe politique israélienne). Cela n’empêche pas la « Tzipimania » de se développer à grande allure. Après tout, en politique, comme en amour, moins on sait, mieux on se porte.

Dans The Great White Hope, une pièce de théâtre montée à Washington en 1967 et devenue en 1970 un film (curieusement traduit en Français par L’insurgé, le dramaturge Howard Sackler (scénariste des Dents de la mer) met en scène un boxeur noir, dont l’ascension, dans une société imbibée de préjugés raciaux, suscite en réaction une demande populaire d’un champion blanc capable de le vaincre, demande encouragée et véhiculée par les médias. Depuis, l’expression « grand espoir blanc » désigne un personnage providentiel sur lequel se reportent les angoisses et les fantasmes d’un large segment du public. Censé incarner une solution – souvent aussi imaginaire que le problème – ce genre de super-héros permet d’échapper à une réalité à laquelle on préfère ne pas faire face. Pour certains Israéliens et un nombre croissant de journalistes dans le monde, Tzipi Livni est en train de devenir ce « grand espoir blanc », un fond d’écran sur lequel ils projettent leurs fantasmes.

A priori, Mme Livni n’est pas une mauvaise candidate à la double succession d’Olmert, à la direction du parti Kadima – issu de l’éclatement du Likoud, pivot de la coalition actuellement au pouvoir –, et donc à la tête du nouveau gouvernement que le patron du parti qui sera désigné dans des primaires jeudi devrait former cet automne. Députée depuis neuf ans, Livni assume depuis six ans des responsabilités ministérielles d’importance croissante, dont le portefeuille des Affaires étrangères qu’elle détient depuis deux ans et demi. Ce parcours respectable a pourtant été sérieusement entaché par la guerre du Liban de l’été 2006.

Son témoignage devant la commission Vinograd – chargé d’enquêter sur le déroulement et la gestion de la guerre déclenchée par l’enlèvement de deux soldats israéliens le 12 juillet 2006 – a révélé un tableau consternant. À en croire ses propres déclarations, elle aurait fait preuve d’une grande lucidité et marqué une saine méfiance vis-à-vis des généraux. Le problème est qu’à l’époque, elle ne l’a pas crié sur les toits. Toujours selon son témoignage, elle a cru voter pour une frappe aérienne courte et cinglante et s’est retrouvée solidaire de quelque chose qui ressemblait fortement à une guerre. Chef de la diplomatie et membre du cabinet restreint qui supervisait les opérations, Livni n’a pas bougé, n’eût-ce été que pour faire part de ses inquiétudes. Inexpérience ? Respect de l’autorité ? Opportunisme et prudent ? En tout cas, depuis cette époque, sa stratégie politique consiste à prendre ses distances vis-à-vis du Premier ministre sans renoncer à sa participation dans le gouvernement, ce qui indique que la troisième hypothèse n’est pas complètement dénuée de fondement.

Quant à ses talents de femme politique, ils restent à démontrer. Son arrivée sur le devant de la scène, elle la doit aux grâces d’Ariel Sharon qu’elle a rejoint il y a trois ans – avec Olmert – au moment de la création de Kadima. Et elle n’a jamais démontré au cours de sa carrière un talent particulier de meneuse d’hommes, pas plus que des capacités extraordinaires (ou même ordinaires) en matière de manœuvres politiciennes, pourtant essentielles dans la IVe République israélienne.

Certes, ce parcours un peu terne ne justifie pas que l’on récuse sa candidature – surtout si l’on songe que ses concurrents potentiels ne sont pas légion et de toute façon pas plus flamboyants. Mais il n’explique pas non plus la starisation dont elle l’objet. Aussi étrange que cela semble, Livni est désormais people. Ainsi, l’hebdomadaire américain Time l’a-t-elle intégrée en mai 2007 dans son palmarès des cent personnages les plus influents du monde. Compte tenu de son influence réelle, ce classement laisse rêveur.

On devine trop facilement les raisons de cette promotion : femme, passablement jeune (née en 1958, elle aura quarante-neuf ans pendant encore quelques années) elle représente un nouveau visage. Bref, un bon rapport passé/avenir : beaucoup de promesses, pas trop de passif. De plus, elle tient un discours de paix et de modération, ce qui est synonyme, dans l’opinion publique mondiale, de « concret ». En somme, elle est sympathique, elle pense bien et elle n’a pas de casseroles accrochées à sa réputation: on ne va pas en plus se poser des questions compliquées sur sa capacité à faire aboutir un projet politique.

Et pourtant, même ceux qui, comme moi, partagent dans les grandes lignes son analyse géopolitique du Moyen Orient, doivent se poser des questions autrement plus importantes que la qualité littéraires de ses discours. Car rien ne permet de penser que Tzipi Livni soit capable de mener à bien les tâches herculéennes qui s’annoncent, à commencer par l’évacuation de plusieurs colonies et par la conclusion d’un compromis territorial basé sur les frontières du 5 juin 1967. Cette mission, qui sera celle du prochain Premier ministre israélien, est à la mesure d’un de Gaulle, pas d’un Pflimlin. Seulement, en Israël comme ailleurs, notre époque secrète beaucoup de Pflimlin mais aucun de Gaulle n’est en vue.

Le pape est pape

84

De tous les emplois que peut, au cours de sa carrière, remplir un journaliste, la place de commentateur télévisé est certainement la moins enviable. La visite du pape en France nous en a apporté ce week-end une nouvelle illustration. Comment meubler l’antenne quand n’on a rien à dire ? Se taire resterait la forme la plus polie et la plus adéquate, si nous ne vivions pas en un temps où les silences de Mozart restent du silence[1. Sacha Guitry écrit dans Cinquante ans d’occupations : « Ô privilège du génie ! Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. »]. Mais la retransmission télévisée relève d’une phénoménologie particulière, où jamais l’image ne se suffit à elle-même et où rien n’existe réellement qui ne soit commenté.

En un sens, Jean-Claude Narcy, commentant la messe pontificale aux Invalides samedi matin sur TF1, c’est Husserl réinventé. A cette différence près que chez Jean-Claude Narcy les états de conscience ne durent pas plus de trois secondes, le temps qu’il faut à un poisson rouge pour oublier qu’il vient de faire le tour de son bocal, le temps qu’il faut à un présentateur télévisé pour oublier qu’il vient de répéter la même chose pour la trente-sixième fois.

Car lorsque le commentateur a épuisé ses fiches techniques[2. Nous aurons ainsi appris que Mercedes a spécialement conçu les cinq papamobiles que compte le Vatican pour que ces véhicules puissent rouler à 3 km/h sans à-coups.], il essaie de décrocher un bon gimmick. Lorsqu’il estime en tenir un bon, il le répète invariablement et sans discontinuer. Comme sa consœur Marie Drucker, qui traitait l’événement pour France 2, Jean-Claude Narcy avait une idée en tête samedi matin : démontrer que Benoît XVI n’est pas Jean-Paul II.

Plus d’une dizaine de fois, on vit donc Jean-Claude Narcy dépêcher un journaliste de la rédaction pour réaliser un micro-trottoir parmi les catholiques présents sur l’esplanade des Invalides. Invariablement, les mêmes questions et les mêmes réponses :

– Comment ressentez-vous cet événement ?
– C’est une grande joie de pouvoir communier avec le Saint-Père.
– Vous préfériez quand même Jean-Paul II, non ?
– …
– Il avait plus de charisme, Jean-Paul II ?
– Il avait un autre charisme.

Retour sur le plateau pour écouter immanquablement Jean-Luc Narcy déclarer : « C’est encore confirmé : pour les catholiques, Jean-Paul II avait plus de charisme » et d’enchaîner : « Benoît XVI est un pape plus rigide. Un pape plus à droite, non ? » Les consultants invités par la chaîne ont beau récriminer (un catholique peut parfois être protestant) que les notions de « gauche » et de « droite » ne s’appliquent pas à l’Eglise, notre commentateur persiste et répète l’opération une dizaine de fois.

On pardonnera à Jean-Claude Narcy d’ignorer ce qu’est le charisme. Pour lui, c’est un synonyme de « médiatique » et de « télégénique ». Dans la bouche d’un catholique, le charisme a une autre signification. C’est un don particulier de l’Esprit. Saint Paul, dans la 1ère Lettre aux Corinthiens, en souligne d’ailleurs la diversité : sagesse, raison, foi, pouvoir de guérir et d’accomplir des miracles, glossolalie, etc. Il y a un hiatus profond entre les médias et l’Eglise. Les deux parlent un langage différent. Avec Jean-Paul II, l’un des meilleurs clients qu’ils aient jamais eus, les journalistes l’avaient oublié, mais un monde sépare le cathodique du catholique.

Extirpons-nous un instant du bocal télévisuel, où la mémoire ne dure pas plus de trois secondes, pour nous souvenir du traitement médiatique réservé à Jean-Paul II. Au cours des vingt-cinq ans qu’a duré son pontificat, les journalistes ont adopté plusieurs attitudes face au défunt pape. De 1978 à la chute du mur de Berlin, ils l’ont présenté comme une figure exotique, un pape étrange venu de l’Est – résistant dans la Pologne de Jaruzelski sur l’air de Cracovie mon amour. Puis, on l’a qualifié de « pape réac », hostile à l’avortement, à la contraception ou au mariage des prêtres : « L’Eglise ne devrait-elle pas vivre avec son temps ? », s’interrogeaient alors les journalistes. Dans la foulée, les grands rassemblements mondiaux, suscités par ses visites sur les cinq continents et l’organisation de manifestations telles que les Journées mondiales de la Jeunesse en ont fait un « pape voyageur et médiatique ». Enfin, il est devenu le « pape malade », dont chacune des apparitions télévisées suscitait la question des présentateurs : « Le pape peut-il et doit-il démissionner ? »

Une fois mort, Jean-Paul II est devenu plus présentable par les médias. Il faut dire qu’ils l’avaient attendue, cette mort. Cela faisait six ans que TF1 louait à Rome une terrasse surplombant la place Saint-Pierre « uniquement dans la perspective d’événement qui se passeraient au Vatican ». Les journalistes ont donc immédiatement passé l’éponge sur son refus constant de se transformer en VRP du préservatif et joint leur voix à celle de la foule réunie place Saint-Pierre le jour de ses funérailles pour le déclarer « santo subito », oubliant du même coup ses prises de position tranchée sur toutes les matières sociales, sa rigidité morale et sa fermeté dogmatique. Car en vérité, rien ne sépare Jean-Paul II de Benoît XVI, si ce n’est la longévité du pontificat du premier. Jean-Paul II n’était pas plus « médiatique » que le pape actuel : il a simplement été médiatisé plus longtemps, au point de devenir un « bon client » de l’actualité mondiale.

Ce faisant, avec Benoît XVI – un pape tout neuf –, les médias sont désemparés. Ils ne peuvent plus utiliser décemment les formules toutes faites qu’ils avaient mis vingt-cinq ans à griffonner sur leurs fiches et qu’ils pouvaient ressortir chaque fois qu’il fallait parler du pape. Ils essaient d’improviser et d’y aller au débotté.

Comme on leur dit que Benoît XVI a été à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi pendant plus de vingt ans et que cette institution serait l’héritière de la Sainte Inquisition, ils présentent le nouveau pape comme un nouveau Torquemada – mettant de côté le fait que la Congrégation est une instance dont le rôle se limite, pour l’essentiel, à juger les questions de théologie catholique et à garantir la cohérence du magistère. Essayer de nuancer, comme tenta de le faire Mgr Lalanne samedi sur France 2 (lorsque le cardinal Ratzinger condamnait un théologien au silence pendant un an, expliqua l’évêque de Coutances, il s’appliquait à lui-même la peine), vous vous heurterez au mur de perplexité et d’incrédulité d’une Marie Drucker, à laquelle la notion de « correction fraternelle » semble totalement étrangère. Il est vrai que cette obstination de l’Eglise à se préoccuper de théologie est suspecte.

Pire encore, ce pape est un intellectuel de haut vol, un universitaire internationalement reconnu. Les médias en auraient préféré un à leur portée, c’est-à-dire légèrement débile, comme le suggérait lundi matin sur France Inter Stéphane Paoli qui, bouleversé, répéta plusieurs fois : « Aux Bernardins, le pape a tenu un discours, paraît-il, de qualité… » N’allons surtout pas essayer de lire ni de comprendre le discours de Benoît XVI, dès fois que ça nous donnerait mal à la tête.

Ce qui gêne au fond les médias, sous Jean-Paul II comme sous Benoît XVI, c’est une monstrueuse tautologie : le pape est pape. Il n’est pas une vedette du show-biz ni pétomane. Il ne montre pas son cul dans des reality show et ne joue pas des claquettes. Circonstance aggravante : le pape est l’une des seules personnalités au monde à ne pas tirer sa légitimité du cirque médiatique tout en étant exposé médiatiquement. Il n’est donc pas étonnant que, dans ces conditions, la plupart des médias en perdent leur latin.

Tableau de la vie parisienne

42

S’il s’agissait d’un T-shirt, un produit de beauté ou un gadget électronique, on assisterait sans doute à une foire d’empoigne. Comme disaient nos grand-mères, « à cheval donné, on ne regarde pas les dents ». Autrement dit, tout ce qui est donné est bon à prendre. Presque tout. Pas un livre. On accepterait n’importe quelle breloque absurde pourvu qu’elle fût gratuite, mais un livre ne vaut pas l’effort de le porter. Un honnête homme du XVIIIe siècle, et même un honnête bourgeois du XIXe, auraient trouvé incongru, et peut-être vaguement blasphématoire, le spectacle de ces ouvrages empilés dans un carton, livrés au vent parisien, dédaignés sans même un regard, par ceux à qui ils étaient offerts. C’est en tout cas l’un des plus tristes auxquels on puisse assister. Et, en l’occurrence, un déprimant précipité de l’époque. Un écrivain de mes amis qui vit retiré au milieu du monde tente souvent de contrecarrer mes inavouables pulsions réactionnaires en faisant valoir que, désormais, nous avons accès à la bibliothèque universelle. Oui, toute la littérature du monde est à notre portée. Mais le monde se fiche de la littérature.

Après les grands textes philosophiques, Le Monde, décidément fort optimiste sur ses contemporains, a donc décidé de booster ses ventes (ou peut-être d’empêcher leur chute) en proposant à ses lecteurs une édition intégrale de La Comédie Humaine à un tarif très concurrentiel. Pourtant, si l’on en croit une étude fort opportune, non seulement les ventes de tous les titres seraient en progression, mais les gratuits et internet auraient, au bout du compte, tiré le vieux journal papier vers le haut. Bref, tout va bien. C’est à se demander pourquoi les journaux offrent à ceux qui acceptent de débourser quelque argent pour les acquérir DVD, montres, valises, chaines hi-fi, batteries de cuisine et j’en passe, sans oublier les voyages ou les grands crus de l’année à prix réduit. Il peut sembler curieux d’attirer le chaland en lui fourguant autre chose que ce qu’on sait faire. Un confrère milanais s’est un jour désolé devant moi que la presse française n’ait pas su, suffisamment tôt, diversifier son offre comme l’ont fait depuis longtemps les journaux italiens et espagnols. C’est chose faite.

Jeudi, donc, pour le lancement de « l’opération Balzac », chaque acheteur avait donc droit gratuitement au premier tome de la série. Vous pouvez prendre le supplément, lance, visiblement excédée par tous ces tracas additionnels, cette kiosquière des Champs-Elysées à un homme qui se trouve devant moi. Je me demande de quel supplément elle parle. Je ne vois qu’une caisse pleine de bouquins – impossible qu’ils les offrent. En m’approchant, je découvre de quoi il retourne. Bonne pioche ! Parmi les textes rassemblés dans ce premier tome (sur 25 !), je n’ai lu que Le Père Goriot. À moi Le Colonel Chabert, La Messe de l’Athée (qui excite ma curiosité) et L‘Interdiction ! Des heures de lecture en perspective.

Trois ou quatre personnes achètent Le Monde, jettent un regard ennuyé à la pile des suppléments… et repartent sans s’encombrer de cet étrange cadeau. Je n’avais nullement l’intention d’acheter Le Monde, puisque j’y suis abonnée mais, je l’avoue : trois textes de Balzac que je n’ai pas encore lus pour 1,30 €, je me laisse tenter. « Le supplément ! », hurle la voix revêche sans me regarder. « Vous voulez dire le livre ? », osé-je, une octave au-dessus de ma tonalité habituelle. Visiblement, quelque chose l’empêche de prononcer ce mot. « Mais oui, le supplément ! », répète-t-elle, de plus en plus agacée par mon entêtement à ne pas comprendre. Je bafouille un peu car une idée me vient dont j’ai un peu honte. Si j’achetais deux Monde, j’aurais deux livres et je pourrais faire un heureux. « Je vais vous en prendre un autre », dis-je dans un gargouillis, anticipant un regard méprisant. Mais non, un grand sourire illumine son visage (tiens, elle sait, donc ?). « Prenez tous ceux que vous voulez ! » Désolée, les copains, j’ai joué petit bras et suis partie avec mes deux Balzac sous le bras. Mais pour un jour, mon pouvoir d’achat a augmenté. Elle est pas belle, la vie ?

Scoop !

3

Dans l’univers de la presse économique aussi, il y a quelques journaux de référence, ceux à qui on peut faire confiance, même par gros temps, pour orienter ses placements. Parmi ces titres inattaquables, Business Week, est souvent cité comme le premier de la classe par les experts. A juste titre, la preuve ici.

Jamel est trop grave !

66

Moi, Jamel Debbouze, il me fait rire. Dans le premier Astérix il était le seul à vraiment être drôle. Il a un vrai talent, ce garçon, et il aurait tort de ne pas l’exploiter. Mais Jamel n’est pas qu’un comique, il est aussi capable de jouer des rôles sérieux. Nous en avions déjà eu un aperçu dans Amélie Poulain où il jouait alors le rôle d’un jeune vendeur de quatre saisons, un peu simple et vraiment touchant, et surtout dans Indigènes. Le voici de nouveau dans un film d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, Parlez-moi de la pluie, dans lequel il interprète le rôle de Karim.

Je me demandais qui pouvait bien être ce Karim. Je me suis donc jeté sur l’interview du comédien dans le JDD du 14 septembre. Sur Karim, je n’ai rien appris, mais j’ai approfondi mes connaissances sur Jamel Debbouze.

Sur une pleine page offerte par le journal et la journaliste Danièle Attali, le futur jeune papa nous fait comprendre qu’il souffre d’une humiliation permanente depuis son enfance, la preuve, un méchant lui aurait dit que « c’est bien pour toi de faire ce film avec Agnès et Jean-Pierre ». C’est vrai, c’est très vilain de dire des choses pareilles à quelqu’un non ? Mais pour Jamel Debbouze, c’est une terrible humiliation, ordinaire dit-il, car il le comprend comme un cadeau qu’on ferait au fils d’immigrés qu’il est, un cadeau condescendant. Soit, nous n’y étions pas et sommes bien incapables de dire quel ton fut employé par l’humilieur, sûrement fils de colon. La suite vaut le détour. L’humilié établit un lien direct entre cette humiliation par lui ressentie et l’intégration. « C’est dégradant d’entendre « intégrez-vous », dit-il. Je suis Français. »

Je me demande bien qui lui dit de s’intégrer à Jamel Debbouze ? À se sentir toujours humilié, cette idole des jeunes en deviendrait presque inquiétante. C’est que Jamel est une victime, une victime éternelle. Certes, une victime qui habite les beaux quartiers, une victime qui est l’une des stars françaises les mieux payées du moment, mais une victime quand même. C’est qu’il pense aux jeunes, à eux qui comme lui sont victimes du passé et du présent (!) colonial de la France, ce pays qui a employé sa mère comme femme de ménage. Et elle, malgré sa petite condition, trouvait que c’était « une chance d’habiter en France ». Le fils, lui, ne semble pas considérer la chose du même œil. Il juge même que « c’est intolérable ». Comme c’est un peu confus, on ne sait plus très bien ce qui est intolérable – que sa mère ait dû trimer ou bien qu’elle se sente redevable à la France d’avoir permis à ses enfants de devenir ce qu’ils sont ?

Alors lui, il a « envie de gueuler » et quand il gueule, ça décoiffe. Jugez plutôt : « Nos enfants à qui on va demander de s’intégrer (ça vire à l’obsession, on doit le lui demander tous les jours) ils réagiront plus violemment que nous (qui nous ?) (…). Ce ne sera pas des émeutes, ce sera pire. A être humiliés comme ça à outrance, ça crée des frustrés, de l’obscurantisme (Il est vrai que les talibans sont tous humiliés à outrance, tout comme les types du GIA ou les cheiks d’Arabie Saoudite…). (…) Moi je ne vois que de l’exclusion partout (c’est dur le huitième arrondissement). On cherche à intégrer les gens à coup de CV anonyme, c’est archaïque. »

Qu’on ne se méprenne pas. Il serait absurde de nier qu’il existe de la discrimination à l’embauche, au logement et à autre chose, ou encore que la vie dans certaines banlieues est loin d’être rose. Mais quand on écoute Jamel, on a l’impression que la France a instauré l’apartheid ! À moins qu’il ne devienne parano ? La fin de l’entretien suggère que c’est le plus probable. Interrogé sur le fichier Edvige, il s’énerve : « Ce qui me fout les boules, c’est qu’on va forcément aller au plus simple et cataloguer tous les petits « renois » et les petits « rebeux », sans même qu’ils fassent un faux pas. » Bien sûr, le racisme commence au niveau de l’Etat, comme à l’époque de Vichy, mais les cibles ont changé, on n’y avait pas pensé. En tout cas, rien ne saurait être reproché aux victimes. « Tant qu’on traitera mal cette population, elle se comportera mal. (…) Un jour, on ne pourra plus les retenir ces gamins. » Avec ce type de discours, c’est certain. Heureusement, il sait comment éviter le pire : « Il ne faut pas essayer de calmer les gens à coups de Kärcher mais de diplômes et d’éducation scolaire. » Fallait le dire ! Nous voilà sauvés ! Certes, la République a substitué le mérite à la naissance, mais les jeunes gens dont il parle ne devraient-ils pas, en compensation des torts faits à leurs parents, obtenir des diplômes simplement parce qu’ils sont ?

On arrêtera là le déballage de lieux communs, de discours simplificateurs et unilatéraux. Jamel Debbouze est un acteur, il fait ça très bien et la France, quoiqu’il semble en penser, l’a reconnu. En tant que citoyen, il est en droit d’avoir des opinions et de ressentir ce qu’il ressent. Mais nous avons, nous, le droit d’exiger que ses analyses nous soient épargnées.

NB : la semaine prochaine, dans le JDD, pour pourrez lire une interview de Dany Boon sur les problèmes de restructurations industrielles dans le Nord et dans quinze jours un entretien exclusif avec Paris Hilton sur les enjeux de l’élection présidentielle américaine.

Mourir pour Barcelonnette ?

17

Un meilleur matériel aurait-il sauvé la vie de nos dix soldats en Afghanistan ? Très probablement. Et pourtant, cette équivalence (meilleur matériel = vies sauvées) est non seulement simpliste mais carrément démagogique. Il est compréhensible que l’on recherche des responsables voire des coupables, et même que cette affaire relance le débat sur le budget militaire. Seulement, pour l’instant, on n’assiste pas à un débat mais à une foire d’empoigne dans laquelle affirmations et insinuations tiennent lieu d’arguments, en particulier à ceux qui, à tort ou à raison, se voient comme les oubliés du budget de la Défense.

Le débat avait vaguement commencé il y a trois mois, avec la publication du Livre blanc qui définit les grandes orientations de la stratégie de défense de la France pour les années à venir, suivi de la réplique tonitruante et anonyme, sous la signature de Surcouf, un groupe d’officiers. Il a fait long feu. Très vite, la réforme de la carte militaire a dominé l’agenda médiatico-politique, élus et journalistes s’intéressant d’abord aux fermetures de sites et aux remous afférents.

Le président de la République a défini les objectifs assignés aux auteurs du Livre blanc : la France doit rester une puissance militaire et diplomatique de premier plan, capable non seulement d’assurer l’indépendance du pays et la protection de ses ressortissants, mais, plus largement, de défendre ses intérêts et de remplir ses obligations internationales. L’ennui, c’est que l’on demande à l’armée de s’exécuter avec une enveloppe globale qui n’excède pas 2 % du PIB, soit 40 milliards d’euros par an. Bref, il n’y a pas le choix. Il faut trancher dans le vif, et ça fait mal. Comment arbitrer entre le régiment basé à Barcelonnette (qui sera, un jour, envoyé sur un terrain lointain) et l’équipement des soldats qui risquent leur vie aujourd’hui ? Les contribuables sont-ils prêts, parce que la France a perdu, depuis 2001, 19 soldats en Afghanistan, aux sacrifices qui seraient nécessaires si l’on voulait réduire significativement le risque qu’ils encourent ? Ces questions, qui engagent la collectivité dans son identité même, méritent mieux, comme réponses, que des slogans.

IL est donc légitime, surtout après l’embuscade de Surobi, de se demander si les arbitrages qui ont été faits étaient pertinents. Non, répond Jean Guisnel dans Le Point. L’article explique que les Vikings, dont l’achat était bloqué, auraient pu sauver des soldats. Le BV 206 Viking est un « véhicule blindé à haute mobilité » (VBHM), chenillé et doté d’une capacité tout-terrain exceptionnelle, bien meilleure que celle du VAB (véhicule d’avance blindé) classique qui est actuellement le transport de troupes le plus répandu dans l’armée de terre. Le Viking est capable de lâcher les fantassins face au feu ennemi le plus tard possible. Depuis 2000, tous les chefs de l’armée de Terre réclament ces équipements qui, fabriqués à la chaîne par les Suédois et utilisés par les Britanniques, ne coûtent qu’un million d’euros pièce. Selon les sources de Guisnel – visiblement proches de l’armée de terre –, la Direction générale de l’Armement (DGA), soutenue par l’Etat-major des armées (EMA), a freiné des quatre fers pour livrer les 129 véhicules demandés par l’infanterie. Dans Le Point, un général en colère propose une solution : « Supprimons un Rafale et achetons ces engins en urgence ! » (On comprend qu’il n’appartient pas à l’armée de l’Air). Il faut cependant préciser que ce véhicule, incapable de résister au RPG 7 (lance-roquette russe rustique et efficace qui a coûté aux Américains en Irak plusieurs véhicules de transports de troupes), aurait besoin d’un renforcement de son blindage et probablement de son armement. Si l’on en croit les chiffres du ministère britannique de la Défense, ces aménagements augmenteraient la facture d’environ 10%. C’est donc à deux Rafales et demi qu’il faudrait renoncer (53 millions d’euros pièce) !

On ne reprochera certainement pas à des journalistes comme Guisnel ou Jean-Dominique Merchet (dont le blog Secret Défense se distingue par la qualité de ses articles mais aussi par celle des commentaires) de se colleter avec ces questions pour le moins arides. Reste que, confronté à la colère – anonyme – d’officiers convaincus du bien-fondé de leur combat, le non-initié aura du mal à se faire une idée. Certes, qui n’aurait envie de pester contre « ces technos et bureaucrates » qui ne comprennent rien au « terrain » et privent nos petits gars de matériels essentiels pour accomplir leurs missions et protéger leur vie ? Oui, mais, en dehors des préférences exprimées par les sources de Guisnel, pourquoi un Viking plutôt qu’un Rafale ? Et, à ce compte-là, ne vaudrait-il pas mieux fermer une ou deux garnisons si cela sauve des vies ? Bref, ne faut-il pas déshabiller Pierre pour habiller Paul – ou inversement ?

De fait, puisque l’argent est compté, il faut bien définir la hiérarchie des besoins. Pas si simple, donc, quand chacun, du maire de petite ville au général d’aviation, du patron des commandos aux officiers d’infanterie, prêche pour sa paroisse. Juste après l’embuscade, des journaux, visiblement rencardés de l’intérieur de la « Grande Muette », ont dénoncé le manque de moyens aériens et plus particulièrement de drones de renseignements. La Croix et Europe 1, entre autres, affirmaient que ces engins, envoyés pour reconnaître le terrain avant la patrouille, auraient permis de repérer les préparatifs de l’embuscade. D’autres ont évoqué des hélicoptères de transport tactique qui manquent cruellement à l’armée française. Bref, comme toujours, a postériori, il n’a pas manqué de bons esprits pour trouver la parade.

Si l’armée disposait de moyens illimités, elle pourrait sans doute approcher (sans l’atteindre d’ailleurs) le risque zéro. Il n’est pas certain cependant que l’on puisse appliquer à la chose militaire notre sacro-saint principe de précaution. On imagine le séisme politique qu’entraînerait une augmentation des impôts nécessaire à la réalisation de cet objectif.

En attendant, aussi énorme soit « le poids des mots », aussi sidérant soit « le choc des photos », on peut difficilement imputer la mort de nos paras à une commune qui fait du lobbying pour conserver sa garnison parce que son départ entraînerait la fermeture de trois épiceries et d’une classe de maternelle.

Entre un drone et un Rafale, entre le maintien d’un régiment et la protection d’un autre, il n’est pas si facile de trancher. Dans le cas qui nous occupe, on se gardera de décréter quelle est la solution la plus adaptée. Peut-être que sur ce coup-là, les défenseurs du Viking ont cent fois raison, tandis que la DGA et l’EMA ont tort sur toute la ligne. Quoi qu’il en soit, notre engagement en Afghanistan risque de durer encore longtemps, sans oublier les autres missions que la France mène et sera appelée à mener en Afrique, au Moyen-Orient ou ailleurs. La crise du Caucase nous rappelle que, contrairement à ce que croient les opinions, la guerre n’a pas disparu de notre horizon. La défense de la France, son rang de grande puissance, exigent un effort considérable. Il est vital que les Français le comprennent. Ces questions sont trop graves pour qu’on les confie aux seuls généraux et ingénieurs.

Elephant woman

0

Son corps, nous apprend l’AFP, est fabriqué en Chine mais sa tête est moulée aux Etats-Unis. Vendue au prix de 30 $, elle fait fureur depuis quelques semaines sur Internet : c’est la poupée Sarah Palin. On se l’arrache en Amérique et l’engouement est tel qu’Emil Vicane, le fabricant de la figurine, prédit une victoire certaine des Républicains à l’élection présidentielle. Maintenant, on sait ce qui a manqué à Ségolène.

Benoit XVI, pape avec frontières

23

Restée seule organisation planétaire hiérarchisée depuis la déconfiture de l’Internationale communiste, l’Eglise catholique est soumise à des mouvements tectoniques souterrains, conséquences de ses luttes idéologiques internes.

Dans ces jeux de forces, la personnalité et les conceptions du chef suprême, le Pape, sont des éléments-clé de l’évolution de l’ensemble. Certes, l’église catholique universelle est une sorte de gros tanker qui ne fait pas demi-tour par une simple manœuvre du gouvernail. Cependant les impulsions venues de Rome ne sont pas sans effets sur son orientation, et le Pape dispose aujourd’hui d’une « force de frappe » médiatique inégalée dans l’univers religieux, et même politique.

Pour comprendre les ressorts de l’action de Benoît XVI, ci-devant Joseph Ratzinger, il n’est pas inutile de le replacer dans son terroir d’origine, l’Allemagne, et plus précisément la Bavière, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Les relations entre l’Eglise et l’Etat, dans ce Land majoritairement catholique, sont régies par le Concordat de 1924 entre l’Etat libre de Bavière et le Vatican. L’Etat finance le culte et rémunère son clergé, l’enseignement religieux est obligatoire dans les écoles publiques, les crucifix trônent dans les tribunaux et Rome désigne les évêques des sept diocèses bavarois à partir d’une liste de trois candidats proposés par le gouvernement provincial.

Cela ne signifie pas, pourtant, que l’Eglise et l’Etat soient en telle symbiose que la démocratie bavaroise puisse être considérée comme une théocratie à visage humain.

La juste répartition entre ce qui revient à Dieu et ce qui revient à César, en Bavière, remonte au début du 19e siècle, quand un ministre réformateur du royaume, le comte de Montgelas (1759-1838), d’origine savoyarde, laïcisa l’administration, déposséda les abbayes de leurs biens fonciers au profit des paysans, accorda un statut égal aux protestants et aux juifs. Ce libéralisme bavarois, ce « vivre et laisser vivre », mot d’ordre toujours en vigueur dans la bourgeoisie de Munich, s’est perpétué jusqu’à nos jours. Benoît XVI n’a aucun problème avec cette séparation du religieux et du politique, il en a même nourri sa réflexion théologique et en a tiré les conséquences pastorales. Il fut archevêque de Munich en 1977, à l’époque où le ministre-président Franz-Josef Strauss tenait d’une main de fer le gouvernement provincial, à la tête d’un parti à référence chrétienne, la CSU. Jamais l’archevêché ne put empêcher Strauss d’approuver des mesures comme la libéralisation de l’avortement, décidée au niveau fédéral et appliquée, avec réticences certes, mais appliquée tout de même en Bavière. Les relations avec un parti dominant qui se réclame du christianisme ne sont bien souvent pas plus simples, pour la hiérarchie catholique, que les affrontements rituels avec des adversaires anticléricaux…

Par ailleurs, le théologien Ratzinger a pu observer, dans son pays les effets des courants « modernistes » de l’église qui pratiquaient vis-à-vis des luthériens, l’autre grande force chrétienne allemande, un œcuménisme sans rivages et, à ses yeux, sans principes. On en était arrivé, dans les années 80 au point où, dans un très grand nombre de paroisses catholiques d’outre-Rhin, les curés vivaient en concubinage ouvert, avec la bénédiction et l’approbation de leurs ouailles…

Contrairement à son prédécesseur, Ratzinger n’est pas un pape politique dont l’objectif est la victoire sur l’incroyance par la mise en mouvement des masses plus ou moins sommairement catéchisées.
La restauration du dogme, l’accent mis sur la formation théorique et morale d’un clergé conscient de sa mission et de sa responsabilité, et le mépris affiché pour ceux qui voudraient faire de l’Eglise catholique une vaste ONG humanitaire, voilà les piliers de sa pensée et de son action. En cela il se rapproche plutôt de feu Jean-Marie Lustiger, dont la gestion pastorale du diocèse de Paris fut tout sauf laxiste…

La laïcité à la française n’a donc rien à redouter d’un pape qui voit dans l’intervention des clercs dans la vie politique un risque de corruption morale de ces derniers. À ses yeux, ces intrusions dans les affaires terrestres ne peuvent que désarmer les soldats de la foi. Pour le reste, c’est l’affaire des catholiques, dont je ne suis pas, de s’accommoder ou non de la forme de religion austère et rigide que leur prêche aujourd’hui leur guide suprême.

Pour la réintroduction du Blanc chez les Bleus ?

52

« Il y eut un Blanc et, soudain, un tonnerre d’applaudissements. Le Stade de France, mal rempli et malveillant, cessa de siffler les Bleus pour les encourager. Au milieu du terrain, un beau gosse venu de Lorient, avait tout changé, qui brillait de mille feux pour sa première titularisation face à la Serbie. Dribbles inspirés, passes millimétrées, jeu galvanisé : que Yoann Gourcuff faisait plaisir à voir parmi tous ces Blacks ! Cette équipe de nuls, décidément, offrait un visage trop monocolore jusqu’à sa venue. Du sang nouveau, frais, de la diversité, un bon petit gars du terroir au milieu des banlieusards, et au final, la gagne ! Enfin ! »

Racistes, les lignes qui précèdent ? Sans aucun doute.

Mais à ceux qui auront légitimement tiqué en lisant l’entame de ce billet, il faut poser une question : pourquoi ne sont-ils pas également choqués par les arguments des partisans de la « discrimination positive » ? Depuis plusieurs années, on nous explique en effet que la télévision française est trop « pâle » (je cite), que notre assemblée est « écoeurante avec tous ses hommes blancs », que nos facs et nos entreprises sont « désespérément monocolores ». Libération, Le Nouvel Observateur, le Parti Socialiste le disent, mais aussi Le Figaro et, désormais, l’UMP. Et s’il est ici question de foot, c’est parce que cette dérive a débuté sur la pelouse du Stade de France.

Souvenez-vous. En 1998 comme en 2000, les commentateurs ont unanimement estimé que la France était devenue championne du Monde et d’Europe parce que son équipe était « métissée« . La qualité de son réseau associatif amateur, ses centres de dépistage et de formation, la qualité de son encadrement ? Négligeables. Les Bleus étaient victorieux parce qu’il n’y avait pas trop de Blancs dans leurs rangs : relisez notre presse, c’est explicitement ce que l’on nous a gentiment seriné. Ce racisme angélique, ce racisme bienveillant, était évidemment maladroit : Brésil excepté, les équipes qui dominent le football mondial depuis trente ans, raflant toutes les Coupes du Monde – à savoir : l’Argentine, l’Allemagne et l’Italie – n’ont jamais aligné un seul joueur de souche non européenne. Que faudrait-il en déduire ? Que l’antiracisme mène à tout, y compris au racisme.

Parce que de deux choses l’une : ou bien l’appel à la « discrimination positive » s’avoue clairement raciste – c’est-à-dire dirigée pour l’éternité contre les seuls Blancs – ou bien alors elle doit s’appliquer à tous et partout. S’il s’agit de corriger la prédominance ethnique ou religieuse de tel ou tel groupe afin d’en favoriser d’autres, cette règle (absurde et destructrice du principe fondateur de notre civilisation, la méritocratie) ne devrait ne souffrir aucune exception. Vous en avez, bien entendu, anticipé la conséquence logique : dans le sport comme dans la musique, qui sont tout de même deux des plus faramineuses sources de célébrité et d’enrichissement en Occident, la proportion de Blancs étant bien moindre que dans la population, il conviendrait de leur réserver des places. Les tenants de l’affirmative action sont-ils prêts à accepter des quotas en faveur des Blancs dans les stades et sur M6 ?

Soyons conséquents : on ne pourra dire à certains de nos concitoyens que pour faire place aux « discriminés », ils seront exclus des amphithéâtres de Dauphine, des bancs du Palais Bourbon et des instances de Publicis en raison de leur origine corrézienne, polonaise ou vietnamienne… et leur expliquer dans le même temps que pour le rap, le foot, la radio ou le mannequinat, seuls le talent et le mérite seront pris en compte. « Désolé, Coco, on a déjà trop de blonds, trop de Juifs, trop de Latins : tes études, ton savoir-faire, ton énergie ne pèsent rien en comparaison de tes origines ! » Belle société, en vérité, que nous façonnerait la « discrimination positive » : injuste et déglinguée d’inefficacité. En matière « d’origine », la seule discrimination qui mérite d’être combattue, parce qu’elle est moralement odieuse, parce qu’elle nous prive d’innombrables talents, c’est celle de l’origine sociale. Que l’école revienne à sa mission, que le système des bourses soit rétabli et renforcé, que le principe de responsabilité (donc de limogeage) soit enfin appliqué enfin à tous les médiocres qui peuplent nos ministères, le Quai d’Orsay ou le CAC 40 : voilà la vraie, la seule révolution dont nous ayons besoin. Nous n’avons pas besoin de plus de « blacks » sur France Télévision ni de plus de juifs dans le hip-hop, nous n’avons pas besoin de plus de musulmans à l’assemblée ni de plus de Français « de souche » dans le basket : nous avons besoin, cruellement besoin, de plus de méritocratie. Vieux mot sans doute, mais idée toujours neuve à laquelle feraient bien de s’intéresser les partisans des quotas de race.

L’âge de la retraite encore repoussé

4

Né en 1928, la même année que le pétulant Siné, Jean-Marie Le Pen confie dans un entretien à Valeurs actuelles qu’il envisage de prendre sa retraite en 2010. Malheureusement, Arnauld Folch, notre confrère de VA qui recueillait ses propos, n’a pas pensé à lui demander quel serait le titre de l’hebdo satirique qu’il lancerait alors.