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« En Afghanistan, nous ne sommes pas en guerre » : à se focaliser sur la dimension lexicologique de la crise afghane, François Fillon et son ministre de la Défense, Hervé Morin, sont devenus la cible de toutes les moqueries. Et pourtant, ils ont raison. Le mot « guerre » est inapproprié, car il masque la réalité. Comme l’a avancé l’historien Victor Hanson[1. Victor Davis Hanson, Le modèle occidental de la guerre, Paris, Les Belles Lettres, 1990.], depuis la Grèce antique, la guerre en Occident vise à obtenir un résultat définitif et incontestable de la manière la plus directe, efficace et rapide possible. Autant dire que cette définition cadre mal avec la situation en Afghanistan où l’opération militaire internationale ne saurait avoir le même objectif qu’une guerre classique.

Le fond du problème afghan est aussi simple que sa résolution est ardue. Il existe bien un pays appelé Afghanistan mais il n’y a pas d’Etat afghan – la terminologie contemporaine a inventé le terme d’ »Etats faillis » pour qualifier ces Etats qui n’existent pas. Seulement, transformer ces Etats « hors système » qui constituent une menace à long terme pour le système international exige un processus long et coûteux, en argent comme en vies humaines, et dont le succès est pour le moins aléatoire.

Dans le cas de l’Afghanistan, non seulement l’Etat n’existe pas mais il n’a jamais vraiment existé (si l’on admet que la légitimité est l’une des composantes nécessaires de l’Etat). Quoi qu’il en soit, on ne comprendra rien à ce pays et à ce que nous y faisons sans faire un détour par son histoire.

Comme beaucoup de pays d’Afrique et du Moyen-Orient, l’Afghanistan a été créé sur une carte d’état-major à l’aide d’une équerre et d’un stylo rouge. C’était en 1893. Les cartes étaient anglaises et c’est Sir Mortimer Durand, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères des Indes britanniques, qui maniait le stylo. A la fin du XIXe siècle, après de longues années de conflit anglo-russe, les deux Empires ont en effet décidé de créer une zone-tampon entre leurs sphères d’influence respectives – une sorte de Belgique asiatique. Seulement, exactement comme en Europe, cette ligne de démarcation de 2600 km a scindé des groupes ethnolinguistiques, en particulier celui des Pachtounes qui se répartissent aujourd’hui entre l’Afghanistan et le Pakistan, où ils constituent le deuxième groupe ethnique.

Il a pu arriver que les entités arbitraires dessinées par les « Mortimer Durand » français, anglais ou espagnols finissent par engendrer un Etat-nation – rien ne vaut un ennemi commun pour souder un peuple. En Afghanistan, cela n’a pas marché. L’une des explications réside sans doute dans le caractère à la fois tribal et multiethnique de la société. Quoique majoritaires, les Pachtounes ne sont que l’une des composantes d’une mosaïque ethnique avec les Tadjiks, les Hazaras et quelques autres groupes moins importants. À cette diversité s’ajoutent une géographie qui rend la communication entre les régions très difficile et un niveau de développement économique qui n’a pas permis l’émergence d’une classe moyenne urbaine et éduquée capable de créer et de servir un Etat.

En marge des grandes manœuvres de la Guerre froide, l’Afghanistan a donc rempli sa vocation de zone-tampon, d’abord entre Britanniques et Russes, puis entre Soviétiques et Occidentaux. Dès lors que l’Inde, chef de file des « non alignés », penchait du côté des Soviétiques, les Américains ont fait du Pakistan leur principal allié dans la région. Quant à la politique intérieure afghane, elle évoquait celle d’un royaume médiéval, avec une famille régnante déchirée par des luttes intestines, des assassinats et des exils. Le pays était « géré » par des fonctionnaires perçus par leurs « administrés » comme les ambassadeurs d’une puissance lointaine et pas toujours amie. Cette situation a lentement évolué dans les années 1950-1970, quand l’aide internationale (majoritairement soviétique) et la création d’un embryon d’élites ont laissé espérer qu’un Etat centralisé, appuyé par une fonction publique digne de ce nom, pourrait voir le jour. Au lieu de quoi le coup d’Etat communiste de 1978 et surtout la Révolution avortée qui s’en est ensuivie ont précipité l’Afghanistan vers l’abîme.

Frontières sans filtre

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Les élèves de l’Ontario et du Québec ont vu, ces derniers mois, de nombreux individus rôder autour de leurs lycées et ramasser les mégots qui traînaient par terre. Il ne s’agissait pas de robineux (mot québécois qu’on peut traduire par « clochard », c’est-à-dire « SDF » en français ancien) en mal de nicotine, mais d’enquêteurs commissionnés par les buralistes locaux. Leur syndicat entendait démontrer que la consommation de cigarettes de contrebande est une habitude en hausse chez les adolescents. De fait les importations illégales ont explosé au Canada suite aux hausses répétées du prix du tabac.

La palme de la démagogie

Sean Penn souhaitait récompenser un « film politique ». Politique, le film de Laurent Cantet l’est assurément. Une ambition dont nous ne saurions contester la légitimité, tant l’école de la République est au cœur des enjeux qui traversent la société française. L’unanimité des éloges – jusqu’à ceux du ministre Xavier Darcos – atteste pourtant d’un profond malentendu. Cantet a ainsi déclaré à L’Humanité que « le débat sur l’Ecole est suffisamment idéologisé pour que nous nous soyons montrés très vigilants à ce qu’aucun discours idéologique ne se glisse dans le film ». Louable neutralité, propre, se dit-on, au documentaire mais aussi au « réalisme social » dont son cinéma se revendique. Mais Cantet ajoute : « Mes positions politiques transparaissent à travers ma vision de l’école, c’est certain » (magazine du distributeur UGC). Voici donc un film politique qui réussit le tour de force de se soustraire à toute idéologie.

Or, idéologique, son film l’est incontestablement : il exprime son « désir d’une école plus ouverte à la réalité qui nous entoure, plus ouverte au langage, à la diversité, à la transmission, au fait de vivre ensemble, d’une école qui ne soit pas un sanctuaire où les élèves pourraient se débarrasser de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils sont » (magazine UGC). Des propositions exprimées dans une phraséologie aussi vague que répandue – depuis le racolage publicitaire jusqu’à la communication politique – relevant d’un désordre intellectuel et langagier. Pour commencer, il faudra bien se pencher un jour sur cet usage omniprésent du terme « diversité ». Présentée comme le remède à tous les maux de la société française, la diversité se substitue à l’égalitarisme républicain jusqu’à devenir une fin en soi. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Pour Laurent Cantet, c’est la « diversité de profils dans la classe [qui] en fait la richesse. J’ai passé ma scolarité dans une petite ville de province. Nous étions entre « petits blancs », de la classe moyenne, parce que le collège unique n’existait pas encore. (…) Mes enfants me semblent beaucoup plus ouverts sur le monde en allant au collège à Bagnolet, dans une classe ressemblant à celle que je décris, que moi à leur âge », confie-t-il à Libération. De tels propos entretiennent une confusion malvenue entre la mission de brassage social de l’école et une vision ethniciste de la société. Les jeunes français issus de l’immigration sont enfermés dans le rôle d’éléments « exotiques » d’une civilisation mondiale fantasmée dont l’école serait le microcosme. Dans cet esprit, les termes « diversité », « métissage », « multiculturalisme » ou « mixité » sont employés indifféremment, sans jamais être explicités, privilégiant une conception esthétique de la société au détriment d’une véritable critique sociale.

Refusant d’offrir des références communes aux élèves, l’école de Cantet met l’accent sur leur personnalité et leur « créativité ». Comme le réalisateur le dit lui-même, « beaucoup de profs seront d’accord avec cette idée que les élèves n’apprennent rien si ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent l’apprendre et que sans un certain plaisir à être à l’école, on n’apprend pas grand-chose. Le plaisir réside dans ces échanges, cette « tchatche », ces passes d’armes – les gamins aiment être dans l’opposition » (Regards). Il suffirait donc de « jouer le jeu de la confrontation, de la délibération, afin qu’une parole juste des élèves puisse surgir » (Télérama). Ce qui se traduit dans le film par des scènes de « stimulantes joutes verbales » où ni la « tchatche » des collégiens, ni la répartie du professeur ne parviennent à nous convaincre qu’il s’agit là d’un réel apprentissage. L’école ne sort pas grandie de la mise en scène appuyée de ce qui n’est qu’un pugilat verbal. Marin, le professeur du film, dialogue en effet, mais avec cinq ou six personnalités marquantes, et non pas avec l’ensemble de la classe. C’est la parole de ceux-ci qui est « libérée », et elle seule, écrasant celle de la majorité silencieuse réduite au rôle de spectatrice du conflit de prestige engagé entre ses camarades et l’enseignant. Pour que son cours se fasse au bénéfice de tous, il lui faudrait limiter cette parole intempestive, et donc établir son autorité. S’il ne le fait pas, c’est parce qu’il refuse d’endosser la légitimité de sa fonction.

Rejetant la mise à distance (l’école « n’est ni une forteresse, ni un sanctuaire », dit-il à La Croix), le professeur adopte une approche compassionnelle qui relègue au second plan la transmission des connaissances. Qu’enseigner en effet lorsqu’il s’agit d’abord « d’accepter une remise en question du savoir par les élèves » ? Bégaudeau se refuse à s’associer au rôle salutaire d’une école dont les murs devraient faire écran entre les difficultés quotidiennes des enfants et leur découverte des savoirs. Ainsi, flattant les petites individualités – la sienne y compris –, il adopte une pédagogie de la séduction qui révèle un désir de fusionner avec une éternelle adolescence qu’incarneraient ses élèves. François Bégaudeau revendique lui-même une certaine immaturité : « Je ne suis pas né prof et je suis assez peu adulte. Or, un prof se doit d’être un « suradulte ». J’ai toujours eu du mal à dire à un élève : « Il faut penser à ton avenir », alors que je n’aime rien tant que les jeunes qui s’en foutent » (Première). Cet esprit de démission s’explique par le souhait d’instaurer un rapport d’égalité entre le professeur et ses élèves. De toute façon, « aucun prof ne peut prétendre être un bon prof ». Sa mission, dès lors ? « Se mettre à leur niveau », « aller les chercher », « négocier avec la classe ». Avant même d’enseigner quoi que ce soit, les « prérequis » de la transmission des connaissances sont eux-mêmes discutés (silence, discipline, autorité – rien ne va de soi). Or, l’enseignement est une activité inégalitaire par essence, le savoir et la responsabilité étant d’un côté et pas de l’autre. Ceux qui n’assument pas cette position se justifient souvent à la manière de Cantet lorsque celui-ci dit, par exemple, que l’école serait « un terrain d’expérimentation de la démocratie, de la citoyenneté ». C’est une « école d’après l’école » qui est ainsi décrite, recherchant désespérément l’égalité, elle ne la trouve que dans la médiocrité pour tous ; une post-école qui favorise l’exclusion qu’elle prétend combattre.

Quoi qu’en dise Laurent Cantet, Entre les murs est donc un film à forte charge idéologique. S’il s’en défend, c’est pour mieux contredire le « fantasme actuel de la faillite scolaire » (Télérama) et couper court à toute critique en la disqualifiant. Comme chacun sait, l’idéologue, c’est toujours l’adversaire. Ainsi, neutre mais engagé, dans le confort de ses idées vagues, il célèbre les manifestations du désastre éducatif. Le bilan que tire François Bégaudeau de vingt ans de dérives pédagogiques se passe de tout commentaire : « Moi, je crois à l’évolution des choses, que ce soit dans le langage, le corps, les mœurs… Je pense que l’on gagne là où l’on perd. Depuis une dizaine d’années, on a affaire à une génération de jeunes beaucoup plus doués physiquement. Le corps bouge mieux. On a sans doute gagné en énergie ce que l’on a perdu en culture classique ou en qualités argumentatives. »

Entre les murs

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Après les couverts en plastique, les chips et le coca

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Présidée par la députée UMP Valérie Boyer, la mission parlementaire d’information sur la prévention de l’obésité a rendu hier son rapport. Au total, 25 propositions pour « faire de l’équilibre nutritionnel et de la lutte contre l’obésité une grande cause nationale pour 2009 ». Gérard Larcher n’a pas tenu à commenter.

Un écran de fumée sur le Rwanda

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Sur le banc des accusés, Pierre Péan et son éditeur Claude Durand faisaient face à SOS Racisme. En réalité, ce procès était une nouvelle péripétie de la campagne menée par le régime de Kigali pour faire porter à la France la responsabilité du génocide.

Péan et Claude Durand, Pdg de Fayard, ont donc comparu la semaine dernière, du 23 au 25 septembre 2008, devant la XVIIe Chambre correctionnelle de Paris, pour « diffamation raciale » et « incitation à la haine raciale ». A l’origine de ce procès, une plainte déposée en octobre 2006 par SOS Racisme et de son président, Dominique Sopo, contre Noires fureurs, Blanc menteurs[1. Pierre Péan, Noires fureurs, Blancs menteurs. Rwanda 1990-1994, Paris, Mille et Une Nuits, Fayard, 2005.].

Ce livre, paru un an plus tôt, est un pavé dans la marre. Il remet en cause l’historiographie récente du Rwanda. Selon Péan, contrairement à la thèse généralement admise par les médias, ce ne sont pas les extrémistes hutus qui ont assassiné le président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, déclenchant le génocide qui coûta la vie à 600.000 Tutsis du Rwanda et le massacre de centaines de milliers de Hutus. C’est, au contraire, le Front Patriotique Rwandais (FPR) qui est à l’origine de cet attentant. Et qui, donc, porte une part de responsabilité dans les tueries qui ont suivi.

Depuis sa création en 1987, le FPR s’est présenté devant l’opinion publique internationale comme un mouvement de libération nationale, dont le but était de mettre un terme à la dictature du régime Habyarimana et d’installer la démocratie au Rwanda. Mais, explique Péan, dès le départ, le véritable objectif du FPR était tout autre. Fondé par les descendants de l’élite royale tutsie chassée du Rwanda en 1959 et réfugiée d’Ouganda, soutenu par les Etats-Unis, le FPR avait pour véritable objectif la reconquête totale du pouvoir par la force, quel que soit le prix à payer. Y compris si cela devait entraîner le massacre des Tutsis de « l’intérieur », ceux qui n’avaient pas fui le Rwanda en 1959. C’est finalement ce qui s’est produit. Le FPR est donc une organisation criminelle, dirigée par un chef cynique, Paul Kagame. Devenu chef de l’Etat en 1994, ce dernier a mis en place une dictature totalitaire qui ne tolère aucune opposition. Péan dénonce ce régime sanguinaire, accusant au passage les relais de désinformation qu’il a mis en place en Europe dans le but de dissimuler ses crimes : ce sont les « Blancs menteurs ».

Péan n’est pas un spécialiste du Rwanda. Il n’est ni historien, ni ethnologue. Comme le rappelle Florence Bourg, avocate de la Défense, c’est un « journaliste de combat ». Son livre, écrit en quelques mois, est sans nuance : « je l’ai écrit avec mes tripes », justifie l’auteur, révulsé par la découverte, au cours de ses recherches, d’une gigantesque manipulation de l’opinion publique. Ce que Péan affirme dans Noires fureurs, Blancs menteurs n’est pas nouveau. D’autres auteurs, universitaires (Reyntjens, Guichaoua), journalistes (Smith) ou témoins (Ruzibiza), l’ont dit ou écrit avant lui. Mais voilà : Péan est une personnalité publique et son livre connaît un impact médiatique considérable.

Lorsque le livre paraît, en octobre 2005, nous sommes à quelques mois de l’inculpation de neuf cadres dirigeants du FPR par le juge Jean-Louis Bruguière en raison de leur participation présumée à l’attentat du 6 avril 1994, inculpation qui entraîne la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France. Le climat est pour le moins tendu. Irritées, voire inquiètes, les autorités de Kigali décident de réagir fermement à la publication de cet ouvrage potentiellement dangereux. L’association Ibuka organise une campagne de protestation en Europe. Association de survivants du génocide à l’origine, Ibuka a été rapidement récupérée par des proches de Kagame. Selon Human Rights Watch, International Crisis Group et Amnesty International, pour ne citer que ces trois organisations, Ibuka joue un rôle important dans la défense politique et idéologique du régime. En Belgique, Ibuka mobilise sa section locale et rassemble 217 plaignants contre Péan. Ces plaignants se présentent comme des survivants insultés par le livre de Péan. Certains le sont sans aucun doute : comment pourrait-il en être autrement, étant donné la gravité de l’accusation ? Mais un bon nombre sont des cadres politiques du régime en service commandé. Certains, comme Antoine Mugesera, Tom Ndahiro ou Eugène Twagira Mutabazi, se sont même fait connaître par leurs manœuvres gravement diffamatoires à l’encontre de journalistes rwandais ou européens[2. Voir « Peut-on encore critiquer le Rwanda ? » in Médias, n°16, Printemps 2008, pp. 70-74.] En France, Ibuka rencontre des difficultés juridiques et se rapproche de SOS Racisme, qui porte plainte.

Des accusations de négationnisme et de révisionnisme sont distillées dans la presse, mais les adversaires de Péan ne vont pas au bout de leur démarche. SOS Racisme ne s’en prend pas à la thèse de Péan. L’organisation antiraciste ne la cite pas, elle ne la critique pas : elle l’ignore. Dans sa plaidoirie, l’Accusation se défend même de vouloir attaquer l’homme – il est vrai que Pierre Péan a longtemps été parrain de SOS Racisme.

Ce que les avocats de Dominique Sopo reprochent à Péan et à son éditeur, ce sont quelques lignes situées dans l’introduction du livre, en périphérie du sujet principal. Après avoir brossé à gros traits l’histoire du Rwanda, Péan consacre quatre pages à un caractère culturel particulier au Rwanda : la culture du mensonge. S’appuyant sur des travaux universitaires bien connus des spécialistes, Péan veut montrer à quel point l’art du mensonge et de la dissimulation imprègne la vie quotidienne des Rwandais et, partant, la vie politique du pays. Cette spécificité rwandaise est un lieu commun pour les spécialistes, mais elle surprend les non-initiés. Est-ce pour cette raison que ce court extrait du texte de Péan, plus maladroit que malveillant, est perçu par SOS Racisme comme une « incitation à la haine raciale » ? « A ces rudiments d’histoire et de géographie [que l’auteur vient d’énumérer], il est important d’ajouter et de garder en tête que le Rwanda est aussi le pays des mille leurres, tant la culture du mensonge et de la dissimulation domine toutes les autres chez les Tutsis, et, dans une moindre part, par imprégnation, chez les Hutus », écrit Péan, demeurant bien en-deçà de ce qu’a pu écrire la journaliste belge proche du FPR Colette Braeckman qui, elle, n’a jamais été poursuivie par SOS-Racisme. On a donc des raisons de penser que ce ne sont pas ces quelques phrases mais le cœur de la thèse de Péan (et de Bruguière) qui ont fâché les dirigeants de Kigali et, partant, ceux qui sont, sans doute avec de bonnes intentions, devenus leurs relais en France. Et on les comprend : si Péan dit vrai, alors, la tragédie rwandaise ne peut plus se réduire à un affrontement entre bons et méchants. En effet, il faut alors admettre que, comme l’a affirmé Claude Durand, il y a des bourreaux parmi les victimes et des victimes parmi les bourreaux.

« On peut discuter cette formulation et même cette thèse, mais, dans un pays démocratique comme la France, doit-on le faire devant un tribunal ? », s’interroge l’africaniste Stephen Smith, dernier témoin entendu à l’audience. Faut-il résumer les 544 pages de la thèse de Péan, voire une vie d’engagement, à ces quatre lignes, et celles-ci suffisent-elles à comparer Noires fureurs à Mein Kampf, comme n’a pas hésité à le faire l’ancien président de l’Union des étudiants juifs de France, témoin de l’Accusation ? C’est une chose de critiquer la façon d’enquêter de Péan ou les faiblesses de son livre, c’en est une autre d’affirmer qu’il y a chez cet auteur une intention délibérée d’inciter à la haine ethnique, sans laquelle il n’y a pas matière à poursuite, résume l’avocat de la Défense, Me Jean-Yves Dupeux. « Les militants antiracistes se trompent de cible en s’attaquant à Péan, un homme qui a consacré toute sa vie de journaliste à la dénonciation des injustices, du racisme et de l’antisémitisme », conclut Claude Durand, directeur de Fayard.

Quelle que soit la sentence que prononceront les juges le 7 novembre prochain, une chose est certaine : la polémique entretenue au sujet des écrits prétendument racistes de Péan constitue d’ores et déjà une victoire pour Kigali. Les représentants de la présidence qui assistaient à l’audience peuvent être satisfaits de cet écran de fumée qui permet jusqu’à présent d’occulter le vrai débat : oui ou non le FPR est-il responsable de l’attentat du 6 avril 1994, du chaos, du génocide et des massacres qui s’ensuivirent ? Oui ou non Paul Kagame doit-il répondre de ses crimes présumés devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda ?

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WC du troisième type

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Afin de ne plus obliger les transsexuels à utiliser les toilettes dames ou messieurs, et de leur éviter les désagréments subséquents, plusieurs universités canadiennes ont décidé d’adopter des WC « désexués ».

La nouvelle, quand elle sera connue, ne manquera pas de hérisser quelques poils réactionnaires et j’imagine sans peine les lazzis qui suivront. Ou plutôt non, je les imagine avec de la peine, car une fois de plus, on se sera trompé d’ennemi. Je m’explique. Moi je trouve ça bien que les transgenres aient des toilettes pour eux. Je suis un Occidental bien dans sa peau et dans son camp et donc, naturellement, plutôt libéral en matière de mœurs et même totalement libéral quand il s’agit de privautés entre adultes consentants.

En clair, je suis pour qu’on fiche la paix aux L, aux G, aux B et même aux T. Alors quand j’apprends qu’on va instituer des latrines du troisième type, tout d’abord, je rigole un bon coup (quand même, on n’est pas de bois) et puis je me dis qu’après tout, si ça leur fait plaisir, pourquoi pas ? Et même si tout ça est financé sur fonds publics (pour l’instant dans l’Ontario et au Québec, mais bientôt, n’en doutons pas, chez nous aussi), ça coûtera sûrement moins cher que la réfection des colonnes de Buren, qui ne servent de toilettes qu’aux clochards et aux pigeons et c’est moins désespérant, rapport à ce que deviennent mes impôts, que le financement public des travaux de Julien Courbet ou de Michel Onfray.

N’empêche, à la réflexion (j’en vois qui se marrent au fond de la classe), il est quand même un peu troublant que cette innovation nous vienne des universités canadiennes qui sont, plus encore que Berkeley ou l’UCLA, le vrai laboratoire du « politiquement correct » pur et dur. C’est là-bas, dans les chaudrons de sorcières des gender studies[1. Sans entrer dans le détail, les gender studies, très inspirées des travaux de Derrida et Foucault et très en vogue dans les facs nord-américaines, expliquent notamment que la langue est une « machine de guerre » des majoritaires oppresseurs contre les minorités opprimées. Celles-ci (minorités sexuelles, raciales etc.) doivent grosso modo détourner cette arme contre les oppresseurs. (C’est ainsi que des féministes made in US ont exigé le remplacement du mot « séminarium » par celui d’ »ovarium » sur les salles de classes. Pour plus de détails, l’article de Wikipedia sur la question, quoique favorable aux gender studies offre un historique et un résumé assez honnêtes de la problématique.] francophones qu’ont été élaborés quelques-uns des pires attentats jamais perpétrés contre la langue française. Quand vous lisez dans le journal « la gouverneure Palin », « la procureure Louise Arbour » ou bien « Fred Vargas, auteure de polars », c’est aux lobbys LGBT canadiens que vous le devez, et aussi un peu à leurs agents d’influence chez nous, sans qui ces idiotismes lesbo-québécois ne serait jamais devenus des idioties françaises. C’est aussi chez les LGBT canadiens que s’est rodé l’arsenal répressif visant à punir les supposés actes ou visées homophobes (ou transphobes ou biphobes etc). Lequel arsenal est d’ores et déjà intégré à nos lois : il arrivera fatalement un jour ou il sera utilisé contre ceux qui, sans dire du mal de nos amis LGBT, diront du mal des lois censées les protéger de toutes les phobies – c’est-à-dire, accessoirement de nous.

Bref tout ça m’énerve .Qu’on fiche la paix aux LGBT, oui, mille fois oui, je laisse volontiers la chasse aux tapettes aux lanceurs de fatwa. Mais qu’en retour, les activistes lesbo-transo-gays nous lâchent un peu la grappe, arrêtent de saccager la langue et de pourrir nos lois, bref respectent, eux aussi, nos différences. Après tout, on est un peu tous sur le même bateau. Même si on n’utilise pas les mêmes toilettes.

Faut pas pousser Pépé dans les ors !

Du Sénat, la devise est claire : « A bas le populisme, vive le gâtisme ! » Je précise aussitôt, à l’intention des esprits malveillants, ce que par « gâtisme » il faut entendre : l’art et la manière de gâter les membres de la Haute assemblée. Jusques et y compris le petit personnel, d’ailleurs, puisque jardiniers et coiffeurs y touchent des salaires de cadres supérieurs et bénéficient, entre autres menus avantages, de « primes de nuits » – primes assurément méritées : quiconque s’est déjà essayé à la taille de roses trémières à la seule clarté lunaire en conviendra.

Oh ! Bien sûr les râleurs diront que dans un pays qui doute de son pouvoir d’achat et tremble pour sa retraite, le traitement de nos sénateurs relève des privilèges d’Ancien Régime. Leurs émoluments, fort difficiles à calculer précisément, s’élèvent à près de 12 000 euros net par mois. Soit environ 6 000 euros de salaire, et à peu près autant pour leurs « frais » (non imposables, il va sans dire, et d’un usage parfaitement discrétionnaire). Il faut bien payer sa secrétaire et… Et quoi d’autre, au juste ? Locaux, matériel informatique et bureautique ? Gracieusement mis à disposition. Les charges de fonctionnement et l’affranchissement postal ? Gratuits. Les transports alors ? Non pas : pour les sénateurs ne bénéficiant pas de voiture de fonction avec chauffeur, l’usage illimité du réseau SNCF est gratuit, ainsi qu’une quarantaine d’aller-retour aériens sur Air France et ses filiales. Sans oublier les 1 000 euros mensuels de « prime informatique » (pourquoi ? parce que). Et pour les retraites, le Sénat ne mégote pas davantage : un bref passage (un mandat) au Luxembourg suffit à toucher ad vitam une retraite de plus de 1 500 euros mensuels (ce qu’un Français moyen mettra plus de trente ans de cotisations à obtenir).

Le Sénat est par conséquent bonne mère. On y vit et travaille dans la quiétude, loin du stress électoral, on y mange bien, et, ce qui ne gâche rien, le cadre est somptueux. Une maison de retraite bien agréable, en somme, qui attire jusqu’à ses plus farouches contempteurs.

Or voilà que depuis ce week-end, la Chambre haute (mais avec « accès facilité ») est l’objet d’une polémique trop vive pour seoir aux lieux : en pleine tourmente financière, alors que les peuples ne décolèrent pas de voir les banquiers réclamer de l’argent public pour réparer leurs bêtises, on apprend que le Président du Sénat, Christian Poncelet, s’est attribué pour son départ un golden fauteuil roulant.

Poncelet percevra en effet une très confortable retraite (calculée sur ses indemnités de sénateur et de Président, soit tout de même la bagatelle de 23 000 euros par mois), qu’il pourra cumuler avec ses autres retraites, celles d’ancien député, d’ancien conseiller régional, d’ancien conseiller général… et même d’ancien fonctionnaire des PTT, puisqu’il devança jadis Besancenot dans le métier. Ajoutons pour faire bonne mesure une voiture de fonction Safrane (et son chauffeur à temps plein), deux gardes du corps, une secrétaire et les bureaux équipés qui vont avec. C’est beaucoup, mais visiblement ce n’était pas assez pour notre Papy flambeur, qui jouira de surcroît « à vie » d’un gigantesque appartement dans l’un des quartiers les plus chers d’Europe – logement que le Sénat, sur les deniers publics, a acheté tout exprès pour lui.

Interrogé par les médias, son probable successeur, l’UMP Gérard Larcher, s’est montré à ce sujet aussi vague qu’indélicat : une attribution « à vie », concernant Poncelet, cela n’aurait guère « de sens » ! En sait-il davantage que nous sur l’état de santé du Président du Sénat ? Mystère. Mais cela ne change rien à l’affaire : il est ici question d’argent public, c’est-à-dire de fonds qui doivent être contrôlés et dont l’attribution doit servir l’intérêt public. Propriétaire d’un joli patrimoine immobilier, assujetti à l’ISF, nanti d’une exceptionnelle retraite, Poncelet méritait-il et avait-il seulement besoin de bénéficier « à vie » et à titre gratuit d’une luxueuse résidence, dont la valeur locative avoisine les 10 000 euros par mois ?

Le ministre du Travail, secrétaire général adjoint de l’UMP et proche du Président de la République, Xavier Bertrand a estimé que non et a demandé que l’on revienne sur cette décision. Approuvons ! Et puisque l’on échappera sans doute pas à l’accusation de démagogie, osons même une suggestion : que le Sénat, visiblement en fonds, revende cet appartement et en verse le produit au Fond de Réserves des Retraites – depuis le début de la crise financière, sa valeur a chuté d’un tiers. Le Sénat n’y verra aucune objection, puisque ses éminents membres sont si sensibles au sort des retraités.

Prière d’insérer

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Contrairement à ce que laisse entendre une rumeur malveillante, Causeur.fr restera ouvert en ce mardi de Roch Hachana. Mais seuls les catholiques romains François Miclo et Basile de Koch tiendront la boutique. Les autres chômeront et prieront (ou essayeront de le faire croire à leurs mamans).

Courant alternatif

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Les Echos nous apprennent que Poweo, distributeur d’électricité privé, élargit son partenariat avec Darty. Il y a du relâchement à la rédaction des Echos. A Charlie Hebdo, une info pareille, ça ne serait pas passé !

Bonjour tristesse

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J’ai éprouvé le même sentiment à la mort de Giscard. L’étrange sensation du vide et du dépeuplement, le truc à virer frapadingue comme Lamartine et répéter après lui : « Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères, un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. »

Robert Ménard n’est plus secrétaire général de Reporters sans frontière. Il a renoncé lui-même à cette fonction. Et nous nous sentons, nous autres journalistes, abandonnés. Notre vie n’a plus guère de sens. Quant à notre liberté, n’en parlons pas.

A peine l’annonce de la démission de Robert Ménard était-elle publiée que le rédacteur en chef de la Süddeutsche Zeitung m’a refusé un article au prétexte que son journal n’a pas à se prononcer sur l’interdiction de la sexualité pour les vieillards. Et que le terme « vieillard » est un peu désobligeant pour les seniors. 300 euros, ça me coûte, la démission de Robert.

Les grands reporters de chez Burda, le groupe de presse qui a tant fait pour les patrons[1. Bon d’accord, ce ne sont ni les patrons de presse ni les patrons tout court, mais les patrons qui servent à confectionner soi-même des patrons. Mais il y avait de l’idée.], sont totalement déprimés. A Modes et travaux, c’est la consternation. Chez Biba, il s’est trouvé hier une journaliste d’investigation à chercher une poutre dans la rédaction pour y accrocher une corde.

A Causeur, on a vu Marc Cohen épancher ses larmes dans les bras d’une Elisabeth Lévy qui, affligée de tristesse, n’en pouvait mais.

Et je vous passe sous silence – pourquoi la Presse n’aurait-elle pas, elle aussi ses petits secrets ? – l’attitude bravache de la chef de la rubrique Cuisine de Elle, qui n’a pas hésité à menacer son monde de grève de la faim tant que Robert Ménard n’aurait pas repris la tête de la Société Protectrice des Journalistes. Certes, elle en fera certainement un dossier pour le magazine féminin : « Le jeûne fait-il maigrir ? » Mais le geste est là et il n’y a que l’intention qui compte.

C’est que nous autres, journalistes, nous n’aimons pas Robert Ménard. Nous l’adorons. Il est un maître pour nous tous. Sa carrière parle pour lui : il l’a faite entièrement à Radio France Hérault. Quel autre journaliste pourrait, dans le monde, avoir eu autant envie de Béziers que l’Albert Londres des temps modernes ? C’est certain qu’un type qui a fait sa carrière de journaliste comme localier à échelle cantonale voire départementale a toutes les capacités requises pour recaler la Chine au rang des réalités nulles et non avenues. D’ailleurs qui oserait le faire, sinon un localier de Radio France Hérault ?

Il ne reste plus qu’une chose aux journalistes libres : une catastrophe naturelle dans les environs de Béziers, un truc nucléaire qui y explose, une prise d’otage à la rédaction de France Bleue Hérault pour que l’on puisse tester à nouveau le caractère télégénique de Robert Ménard.

Bienvenue au Bordelistan !

6

« En Afghanistan, nous ne sommes pas en guerre » : à se focaliser sur la dimension lexicologique de la crise afghane, François Fillon et son ministre de la Défense, Hervé Morin, sont devenus la cible de toutes les moqueries. Et pourtant, ils ont raison. Le mot « guerre » est inapproprié, car il masque la réalité. Comme l’a avancé l’historien Victor Hanson[1. Victor Davis Hanson, Le modèle occidental de la guerre, Paris, Les Belles Lettres, 1990.], depuis la Grèce antique, la guerre en Occident vise à obtenir un résultat définitif et incontestable de la manière la plus directe, efficace et rapide possible. Autant dire que cette définition cadre mal avec la situation en Afghanistan où l’opération militaire internationale ne saurait avoir le même objectif qu’une guerre classique.

Le fond du problème afghan est aussi simple que sa résolution est ardue. Il existe bien un pays appelé Afghanistan mais il n’y a pas d’Etat afghan – la terminologie contemporaine a inventé le terme d’ »Etats faillis » pour qualifier ces Etats qui n’existent pas. Seulement, transformer ces Etats « hors système » qui constituent une menace à long terme pour le système international exige un processus long et coûteux, en argent comme en vies humaines, et dont le succès est pour le moins aléatoire.

Dans le cas de l’Afghanistan, non seulement l’Etat n’existe pas mais il n’a jamais vraiment existé (si l’on admet que la légitimité est l’une des composantes nécessaires de l’Etat). Quoi qu’il en soit, on ne comprendra rien à ce pays et à ce que nous y faisons sans faire un détour par son histoire.

Comme beaucoup de pays d’Afrique et du Moyen-Orient, l’Afghanistan a été créé sur une carte d’état-major à l’aide d’une équerre et d’un stylo rouge. C’était en 1893. Les cartes étaient anglaises et c’est Sir Mortimer Durand, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères des Indes britanniques, qui maniait le stylo. A la fin du XIXe siècle, après de longues années de conflit anglo-russe, les deux Empires ont en effet décidé de créer une zone-tampon entre leurs sphères d’influence respectives – une sorte de Belgique asiatique. Seulement, exactement comme en Europe, cette ligne de démarcation de 2600 km a scindé des groupes ethnolinguistiques, en particulier celui des Pachtounes qui se répartissent aujourd’hui entre l’Afghanistan et le Pakistan, où ils constituent le deuxième groupe ethnique.

Il a pu arriver que les entités arbitraires dessinées par les « Mortimer Durand » français, anglais ou espagnols finissent par engendrer un Etat-nation – rien ne vaut un ennemi commun pour souder un peuple. En Afghanistan, cela n’a pas marché. L’une des explications réside sans doute dans le caractère à la fois tribal et multiethnique de la société. Quoique majoritaires, les Pachtounes ne sont que l’une des composantes d’une mosaïque ethnique avec les Tadjiks, les Hazaras et quelques autres groupes moins importants. À cette diversité s’ajoutent une géographie qui rend la communication entre les régions très difficile et un niveau de développement économique qui n’a pas permis l’émergence d’une classe moyenne urbaine et éduquée capable de créer et de servir un Etat.

En marge des grandes manœuvres de la Guerre froide, l’Afghanistan a donc rempli sa vocation de zone-tampon, d’abord entre Britanniques et Russes, puis entre Soviétiques et Occidentaux. Dès lors que l’Inde, chef de file des « non alignés », penchait du côté des Soviétiques, les Américains ont fait du Pakistan leur principal allié dans la région. Quant à la politique intérieure afghane, elle évoquait celle d’un royaume médiéval, avec une famille régnante déchirée par des luttes intestines, des assassinats et des exils. Le pays était « géré » par des fonctionnaires perçus par leurs « administrés » comme les ambassadeurs d’une puissance lointaine et pas toujours amie. Cette situation a lentement évolué dans les années 1950-1970, quand l’aide internationale (majoritairement soviétique) et la création d’un embryon d’élites ont laissé espérer qu’un Etat centralisé, appuyé par une fonction publique digne de ce nom, pourrait voir le jour. Au lieu de quoi le coup d’Etat communiste de 1978 et surtout la Révolution avortée qui s’en est ensuivie ont précipité l’Afghanistan vers l’abîme.

Frontières sans filtre

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Les élèves de l’Ontario et du Québec ont vu, ces derniers mois, de nombreux individus rôder autour de leurs lycées et ramasser les mégots qui traînaient par terre. Il ne s’agissait pas de robineux (mot québécois qu’on peut traduire par « clochard », c’est-à-dire « SDF » en français ancien) en mal de nicotine, mais d’enquêteurs commissionnés par les buralistes locaux. Leur syndicat entendait démontrer que la consommation de cigarettes de contrebande est une habitude en hausse chez les adolescents. De fait les importations illégales ont explosé au Canada suite aux hausses répétées du prix du tabac.

La palme de la démagogie

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Sean Penn souhaitait récompenser un « film politique ». Politique, le film de Laurent Cantet l’est assurément. Une ambition dont nous ne saurions contester la légitimité, tant l’école de la République est au cœur des enjeux qui traversent la société française. L’unanimité des éloges – jusqu’à ceux du ministre Xavier Darcos – atteste pourtant d’un profond malentendu. Cantet a ainsi déclaré à L’Humanité que « le débat sur l’Ecole est suffisamment idéologisé pour que nous nous soyons montrés très vigilants à ce qu’aucun discours idéologique ne se glisse dans le film ». Louable neutralité, propre, se dit-on, au documentaire mais aussi au « réalisme social » dont son cinéma se revendique. Mais Cantet ajoute : « Mes positions politiques transparaissent à travers ma vision de l’école, c’est certain » (magazine du distributeur UGC). Voici donc un film politique qui réussit le tour de force de se soustraire à toute idéologie.

Or, idéologique, son film l’est incontestablement : il exprime son « désir d’une école plus ouverte à la réalité qui nous entoure, plus ouverte au langage, à la diversité, à la transmission, au fait de vivre ensemble, d’une école qui ne soit pas un sanctuaire où les élèves pourraient se débarrasser de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils sont » (magazine UGC). Des propositions exprimées dans une phraséologie aussi vague que répandue – depuis le racolage publicitaire jusqu’à la communication politique – relevant d’un désordre intellectuel et langagier. Pour commencer, il faudra bien se pencher un jour sur cet usage omniprésent du terme « diversité ». Présentée comme le remède à tous les maux de la société française, la diversité se substitue à l’égalitarisme républicain jusqu’à devenir une fin en soi. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Pour Laurent Cantet, c’est la « diversité de profils dans la classe [qui] en fait la richesse. J’ai passé ma scolarité dans une petite ville de province. Nous étions entre « petits blancs », de la classe moyenne, parce que le collège unique n’existait pas encore. (…) Mes enfants me semblent beaucoup plus ouverts sur le monde en allant au collège à Bagnolet, dans une classe ressemblant à celle que je décris, que moi à leur âge », confie-t-il à Libération. De tels propos entretiennent une confusion malvenue entre la mission de brassage social de l’école et une vision ethniciste de la société. Les jeunes français issus de l’immigration sont enfermés dans le rôle d’éléments « exotiques » d’une civilisation mondiale fantasmée dont l’école serait le microcosme. Dans cet esprit, les termes « diversité », « métissage », « multiculturalisme » ou « mixité » sont employés indifféremment, sans jamais être explicités, privilégiant une conception esthétique de la société au détriment d’une véritable critique sociale.

Refusant d’offrir des références communes aux élèves, l’école de Cantet met l’accent sur leur personnalité et leur « créativité ». Comme le réalisateur le dit lui-même, « beaucoup de profs seront d’accord avec cette idée que les élèves n’apprennent rien si ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent l’apprendre et que sans un certain plaisir à être à l’école, on n’apprend pas grand-chose. Le plaisir réside dans ces échanges, cette « tchatche », ces passes d’armes – les gamins aiment être dans l’opposition » (Regards). Il suffirait donc de « jouer le jeu de la confrontation, de la délibération, afin qu’une parole juste des élèves puisse surgir » (Télérama). Ce qui se traduit dans le film par des scènes de « stimulantes joutes verbales » où ni la « tchatche » des collégiens, ni la répartie du professeur ne parviennent à nous convaincre qu’il s’agit là d’un réel apprentissage. L’école ne sort pas grandie de la mise en scène appuyée de ce qui n’est qu’un pugilat verbal. Marin, le professeur du film, dialogue en effet, mais avec cinq ou six personnalités marquantes, et non pas avec l’ensemble de la classe. C’est la parole de ceux-ci qui est « libérée », et elle seule, écrasant celle de la majorité silencieuse réduite au rôle de spectatrice du conflit de prestige engagé entre ses camarades et l’enseignant. Pour que son cours se fasse au bénéfice de tous, il lui faudrait limiter cette parole intempestive, et donc établir son autorité. S’il ne le fait pas, c’est parce qu’il refuse d’endosser la légitimité de sa fonction.

Rejetant la mise à distance (l’école « n’est ni une forteresse, ni un sanctuaire », dit-il à La Croix), le professeur adopte une approche compassionnelle qui relègue au second plan la transmission des connaissances. Qu’enseigner en effet lorsqu’il s’agit d’abord « d’accepter une remise en question du savoir par les élèves » ? Bégaudeau se refuse à s’associer au rôle salutaire d’une école dont les murs devraient faire écran entre les difficultés quotidiennes des enfants et leur découverte des savoirs. Ainsi, flattant les petites individualités – la sienne y compris –, il adopte une pédagogie de la séduction qui révèle un désir de fusionner avec une éternelle adolescence qu’incarneraient ses élèves. François Bégaudeau revendique lui-même une certaine immaturité : « Je ne suis pas né prof et je suis assez peu adulte. Or, un prof se doit d’être un « suradulte ». J’ai toujours eu du mal à dire à un élève : « Il faut penser à ton avenir », alors que je n’aime rien tant que les jeunes qui s’en foutent » (Première). Cet esprit de démission s’explique par le souhait d’instaurer un rapport d’égalité entre le professeur et ses élèves. De toute façon, « aucun prof ne peut prétendre être un bon prof ». Sa mission, dès lors ? « Se mettre à leur niveau », « aller les chercher », « négocier avec la classe ». Avant même d’enseigner quoi que ce soit, les « prérequis » de la transmission des connaissances sont eux-mêmes discutés (silence, discipline, autorité – rien ne va de soi). Or, l’enseignement est une activité inégalitaire par essence, le savoir et la responsabilité étant d’un côté et pas de l’autre. Ceux qui n’assument pas cette position se justifient souvent à la manière de Cantet lorsque celui-ci dit, par exemple, que l’école serait « un terrain d’expérimentation de la démocratie, de la citoyenneté ». C’est une « école d’après l’école » qui est ainsi décrite, recherchant désespérément l’égalité, elle ne la trouve que dans la médiocrité pour tous ; une post-école qui favorise l’exclusion qu’elle prétend combattre.

Quoi qu’en dise Laurent Cantet, Entre les murs est donc un film à forte charge idéologique. S’il s’en défend, c’est pour mieux contredire le « fantasme actuel de la faillite scolaire » (Télérama) et couper court à toute critique en la disqualifiant. Comme chacun sait, l’idéologue, c’est toujours l’adversaire. Ainsi, neutre mais engagé, dans le confort de ses idées vagues, il célèbre les manifestations du désastre éducatif. Le bilan que tire François Bégaudeau de vingt ans de dérives pédagogiques se passe de tout commentaire : « Moi, je crois à l’évolution des choses, que ce soit dans le langage, le corps, les mœurs… Je pense que l’on gagne là où l’on perd. Depuis une dizaine d’années, on a affaire à une génération de jeunes beaucoup plus doués physiquement. Le corps bouge mieux. On a sans doute gagné en énergie ce que l’on a perdu en culture classique ou en qualités argumentatives. »

Entre les murs

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Après les couverts en plastique, les chips et le coca

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Présidée par la députée UMP Valérie Boyer, la mission parlementaire d’information sur la prévention de l’obésité a rendu hier son rapport. Au total, 25 propositions pour « faire de l’équilibre nutritionnel et de la lutte contre l’obésité une grande cause nationale pour 2009 ». Gérard Larcher n’a pas tenu à commenter.

Un écran de fumée sur le Rwanda

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Sur le banc des accusés, Pierre Péan et son éditeur Claude Durand faisaient face à SOS Racisme. En réalité, ce procès était une nouvelle péripétie de la campagne menée par le régime de Kigali pour faire porter à la France la responsabilité du génocide.

Péan et Claude Durand, Pdg de Fayard, ont donc comparu la semaine dernière, du 23 au 25 septembre 2008, devant la XVIIe Chambre correctionnelle de Paris, pour « diffamation raciale » et « incitation à la haine raciale ». A l’origine de ce procès, une plainte déposée en octobre 2006 par SOS Racisme et de son président, Dominique Sopo, contre Noires fureurs, Blanc menteurs[1. Pierre Péan, Noires fureurs, Blancs menteurs. Rwanda 1990-1994, Paris, Mille et Une Nuits, Fayard, 2005.].

Ce livre, paru un an plus tôt, est un pavé dans la marre. Il remet en cause l’historiographie récente du Rwanda. Selon Péan, contrairement à la thèse généralement admise par les médias, ce ne sont pas les extrémistes hutus qui ont assassiné le président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, déclenchant le génocide qui coûta la vie à 600.000 Tutsis du Rwanda et le massacre de centaines de milliers de Hutus. C’est, au contraire, le Front Patriotique Rwandais (FPR) qui est à l’origine de cet attentant. Et qui, donc, porte une part de responsabilité dans les tueries qui ont suivi.

Depuis sa création en 1987, le FPR s’est présenté devant l’opinion publique internationale comme un mouvement de libération nationale, dont le but était de mettre un terme à la dictature du régime Habyarimana et d’installer la démocratie au Rwanda. Mais, explique Péan, dès le départ, le véritable objectif du FPR était tout autre. Fondé par les descendants de l’élite royale tutsie chassée du Rwanda en 1959 et réfugiée d’Ouganda, soutenu par les Etats-Unis, le FPR avait pour véritable objectif la reconquête totale du pouvoir par la force, quel que soit le prix à payer. Y compris si cela devait entraîner le massacre des Tutsis de « l’intérieur », ceux qui n’avaient pas fui le Rwanda en 1959. C’est finalement ce qui s’est produit. Le FPR est donc une organisation criminelle, dirigée par un chef cynique, Paul Kagame. Devenu chef de l’Etat en 1994, ce dernier a mis en place une dictature totalitaire qui ne tolère aucune opposition. Péan dénonce ce régime sanguinaire, accusant au passage les relais de désinformation qu’il a mis en place en Europe dans le but de dissimuler ses crimes : ce sont les « Blancs menteurs ».

Péan n’est pas un spécialiste du Rwanda. Il n’est ni historien, ni ethnologue. Comme le rappelle Florence Bourg, avocate de la Défense, c’est un « journaliste de combat ». Son livre, écrit en quelques mois, est sans nuance : « je l’ai écrit avec mes tripes », justifie l’auteur, révulsé par la découverte, au cours de ses recherches, d’une gigantesque manipulation de l’opinion publique. Ce que Péan affirme dans Noires fureurs, Blancs menteurs n’est pas nouveau. D’autres auteurs, universitaires (Reyntjens, Guichaoua), journalistes (Smith) ou témoins (Ruzibiza), l’ont dit ou écrit avant lui. Mais voilà : Péan est une personnalité publique et son livre connaît un impact médiatique considérable.

Lorsque le livre paraît, en octobre 2005, nous sommes à quelques mois de l’inculpation de neuf cadres dirigeants du FPR par le juge Jean-Louis Bruguière en raison de leur participation présumée à l’attentat du 6 avril 1994, inculpation qui entraîne la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France. Le climat est pour le moins tendu. Irritées, voire inquiètes, les autorités de Kigali décident de réagir fermement à la publication de cet ouvrage potentiellement dangereux. L’association Ibuka organise une campagne de protestation en Europe. Association de survivants du génocide à l’origine, Ibuka a été rapidement récupérée par des proches de Kagame. Selon Human Rights Watch, International Crisis Group et Amnesty International, pour ne citer que ces trois organisations, Ibuka joue un rôle important dans la défense politique et idéologique du régime. En Belgique, Ibuka mobilise sa section locale et rassemble 217 plaignants contre Péan. Ces plaignants se présentent comme des survivants insultés par le livre de Péan. Certains le sont sans aucun doute : comment pourrait-il en être autrement, étant donné la gravité de l’accusation ? Mais un bon nombre sont des cadres politiques du régime en service commandé. Certains, comme Antoine Mugesera, Tom Ndahiro ou Eugène Twagira Mutabazi, se sont même fait connaître par leurs manœuvres gravement diffamatoires à l’encontre de journalistes rwandais ou européens[2. Voir « Peut-on encore critiquer le Rwanda ? » in Médias, n°16, Printemps 2008, pp. 70-74.] En France, Ibuka rencontre des difficultés juridiques et se rapproche de SOS Racisme, qui porte plainte.

Des accusations de négationnisme et de révisionnisme sont distillées dans la presse, mais les adversaires de Péan ne vont pas au bout de leur démarche. SOS Racisme ne s’en prend pas à la thèse de Péan. L’organisation antiraciste ne la cite pas, elle ne la critique pas : elle l’ignore. Dans sa plaidoirie, l’Accusation se défend même de vouloir attaquer l’homme – il est vrai que Pierre Péan a longtemps été parrain de SOS Racisme.

Ce que les avocats de Dominique Sopo reprochent à Péan et à son éditeur, ce sont quelques lignes situées dans l’introduction du livre, en périphérie du sujet principal. Après avoir brossé à gros traits l’histoire du Rwanda, Péan consacre quatre pages à un caractère culturel particulier au Rwanda : la culture du mensonge. S’appuyant sur des travaux universitaires bien connus des spécialistes, Péan veut montrer à quel point l’art du mensonge et de la dissimulation imprègne la vie quotidienne des Rwandais et, partant, la vie politique du pays. Cette spécificité rwandaise est un lieu commun pour les spécialistes, mais elle surprend les non-initiés. Est-ce pour cette raison que ce court extrait du texte de Péan, plus maladroit que malveillant, est perçu par SOS Racisme comme une « incitation à la haine raciale » ? « A ces rudiments d’histoire et de géographie [que l’auteur vient d’énumérer], il est important d’ajouter et de garder en tête que le Rwanda est aussi le pays des mille leurres, tant la culture du mensonge et de la dissimulation domine toutes les autres chez les Tutsis, et, dans une moindre part, par imprégnation, chez les Hutus », écrit Péan, demeurant bien en-deçà de ce qu’a pu écrire la journaliste belge proche du FPR Colette Braeckman qui, elle, n’a jamais été poursuivie par SOS-Racisme. On a donc des raisons de penser que ce ne sont pas ces quelques phrases mais le cœur de la thèse de Péan (et de Bruguière) qui ont fâché les dirigeants de Kigali et, partant, ceux qui sont, sans doute avec de bonnes intentions, devenus leurs relais en France. Et on les comprend : si Péan dit vrai, alors, la tragédie rwandaise ne peut plus se réduire à un affrontement entre bons et méchants. En effet, il faut alors admettre que, comme l’a affirmé Claude Durand, il y a des bourreaux parmi les victimes et des victimes parmi les bourreaux.

« On peut discuter cette formulation et même cette thèse, mais, dans un pays démocratique comme la France, doit-on le faire devant un tribunal ? », s’interroge l’africaniste Stephen Smith, dernier témoin entendu à l’audience. Faut-il résumer les 544 pages de la thèse de Péan, voire une vie d’engagement, à ces quatre lignes, et celles-ci suffisent-elles à comparer Noires fureurs à Mein Kampf, comme n’a pas hésité à le faire l’ancien président de l’Union des étudiants juifs de France, témoin de l’Accusation ? C’est une chose de critiquer la façon d’enquêter de Péan ou les faiblesses de son livre, c’en est une autre d’affirmer qu’il y a chez cet auteur une intention délibérée d’inciter à la haine ethnique, sans laquelle il n’y a pas matière à poursuite, résume l’avocat de la Défense, Me Jean-Yves Dupeux. « Les militants antiracistes se trompent de cible en s’attaquant à Péan, un homme qui a consacré toute sa vie de journaliste à la dénonciation des injustices, du racisme et de l’antisémitisme », conclut Claude Durand, directeur de Fayard.

Quelle que soit la sentence que prononceront les juges le 7 novembre prochain, une chose est certaine : la polémique entretenue au sujet des écrits prétendument racistes de Péan constitue d’ores et déjà une victoire pour Kigali. Les représentants de la présidence qui assistaient à l’audience peuvent être satisfaits de cet écran de fumée qui permet jusqu’à présent d’occulter le vrai débat : oui ou non le FPR est-il responsable de l’attentat du 6 avril 1994, du chaos, du génocide et des massacres qui s’ensuivirent ? Oui ou non Paul Kagame doit-il répondre de ses crimes présumés devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda ?

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WC du troisième type

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Afin de ne plus obliger les transsexuels à utiliser les toilettes dames ou messieurs, et de leur éviter les désagréments subséquents, plusieurs universités canadiennes ont décidé d’adopter des WC « désexués ».

La nouvelle, quand elle sera connue, ne manquera pas de hérisser quelques poils réactionnaires et j’imagine sans peine les lazzis qui suivront. Ou plutôt non, je les imagine avec de la peine, car une fois de plus, on se sera trompé d’ennemi. Je m’explique. Moi je trouve ça bien que les transgenres aient des toilettes pour eux. Je suis un Occidental bien dans sa peau et dans son camp et donc, naturellement, plutôt libéral en matière de mœurs et même totalement libéral quand il s’agit de privautés entre adultes consentants.

En clair, je suis pour qu’on fiche la paix aux L, aux G, aux B et même aux T. Alors quand j’apprends qu’on va instituer des latrines du troisième type, tout d’abord, je rigole un bon coup (quand même, on n’est pas de bois) et puis je me dis qu’après tout, si ça leur fait plaisir, pourquoi pas ? Et même si tout ça est financé sur fonds publics (pour l’instant dans l’Ontario et au Québec, mais bientôt, n’en doutons pas, chez nous aussi), ça coûtera sûrement moins cher que la réfection des colonnes de Buren, qui ne servent de toilettes qu’aux clochards et aux pigeons et c’est moins désespérant, rapport à ce que deviennent mes impôts, que le financement public des travaux de Julien Courbet ou de Michel Onfray.

N’empêche, à la réflexion (j’en vois qui se marrent au fond de la classe), il est quand même un peu troublant que cette innovation nous vienne des universités canadiennes qui sont, plus encore que Berkeley ou l’UCLA, le vrai laboratoire du « politiquement correct » pur et dur. C’est là-bas, dans les chaudrons de sorcières des gender studies[1. Sans entrer dans le détail, les gender studies, très inspirées des travaux de Derrida et Foucault et très en vogue dans les facs nord-américaines, expliquent notamment que la langue est une « machine de guerre » des majoritaires oppresseurs contre les minorités opprimées. Celles-ci (minorités sexuelles, raciales etc.) doivent grosso modo détourner cette arme contre les oppresseurs. (C’est ainsi que des féministes made in US ont exigé le remplacement du mot « séminarium » par celui d’ »ovarium » sur les salles de classes. Pour plus de détails, l’article de Wikipedia sur la question, quoique favorable aux gender studies offre un historique et un résumé assez honnêtes de la problématique.] francophones qu’ont été élaborés quelques-uns des pires attentats jamais perpétrés contre la langue française. Quand vous lisez dans le journal « la gouverneure Palin », « la procureure Louise Arbour » ou bien « Fred Vargas, auteure de polars », c’est aux lobbys LGBT canadiens que vous le devez, et aussi un peu à leurs agents d’influence chez nous, sans qui ces idiotismes lesbo-québécois ne serait jamais devenus des idioties françaises. C’est aussi chez les LGBT canadiens que s’est rodé l’arsenal répressif visant à punir les supposés actes ou visées homophobes (ou transphobes ou biphobes etc). Lequel arsenal est d’ores et déjà intégré à nos lois : il arrivera fatalement un jour ou il sera utilisé contre ceux qui, sans dire du mal de nos amis LGBT, diront du mal des lois censées les protéger de toutes les phobies – c’est-à-dire, accessoirement de nous.

Bref tout ça m’énerve .Qu’on fiche la paix aux LGBT, oui, mille fois oui, je laisse volontiers la chasse aux tapettes aux lanceurs de fatwa. Mais qu’en retour, les activistes lesbo-transo-gays nous lâchent un peu la grappe, arrêtent de saccager la langue et de pourrir nos lois, bref respectent, eux aussi, nos différences. Après tout, on est un peu tous sur le même bateau. Même si on n’utilise pas les mêmes toilettes.

Faut pas pousser Pépé dans les ors !

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Du Sénat, la devise est claire : « A bas le populisme, vive le gâtisme ! » Je précise aussitôt, à l’intention des esprits malveillants, ce que par « gâtisme » il faut entendre : l’art et la manière de gâter les membres de la Haute assemblée. Jusques et y compris le petit personnel, d’ailleurs, puisque jardiniers et coiffeurs y touchent des salaires de cadres supérieurs et bénéficient, entre autres menus avantages, de « primes de nuits » – primes assurément méritées : quiconque s’est déjà essayé à la taille de roses trémières à la seule clarté lunaire en conviendra.

Oh ! Bien sûr les râleurs diront que dans un pays qui doute de son pouvoir d’achat et tremble pour sa retraite, le traitement de nos sénateurs relève des privilèges d’Ancien Régime. Leurs émoluments, fort difficiles à calculer précisément, s’élèvent à près de 12 000 euros net par mois. Soit environ 6 000 euros de salaire, et à peu près autant pour leurs « frais » (non imposables, il va sans dire, et d’un usage parfaitement discrétionnaire). Il faut bien payer sa secrétaire et… Et quoi d’autre, au juste ? Locaux, matériel informatique et bureautique ? Gracieusement mis à disposition. Les charges de fonctionnement et l’affranchissement postal ? Gratuits. Les transports alors ? Non pas : pour les sénateurs ne bénéficiant pas de voiture de fonction avec chauffeur, l’usage illimité du réseau SNCF est gratuit, ainsi qu’une quarantaine d’aller-retour aériens sur Air France et ses filiales. Sans oublier les 1 000 euros mensuels de « prime informatique » (pourquoi ? parce que). Et pour les retraites, le Sénat ne mégote pas davantage : un bref passage (un mandat) au Luxembourg suffit à toucher ad vitam une retraite de plus de 1 500 euros mensuels (ce qu’un Français moyen mettra plus de trente ans de cotisations à obtenir).

Le Sénat est par conséquent bonne mère. On y vit et travaille dans la quiétude, loin du stress électoral, on y mange bien, et, ce qui ne gâche rien, le cadre est somptueux. Une maison de retraite bien agréable, en somme, qui attire jusqu’à ses plus farouches contempteurs.

Or voilà que depuis ce week-end, la Chambre haute (mais avec « accès facilité ») est l’objet d’une polémique trop vive pour seoir aux lieux : en pleine tourmente financière, alors que les peuples ne décolèrent pas de voir les banquiers réclamer de l’argent public pour réparer leurs bêtises, on apprend que le Président du Sénat, Christian Poncelet, s’est attribué pour son départ un golden fauteuil roulant.

Poncelet percevra en effet une très confortable retraite (calculée sur ses indemnités de sénateur et de Président, soit tout de même la bagatelle de 23 000 euros par mois), qu’il pourra cumuler avec ses autres retraites, celles d’ancien député, d’ancien conseiller régional, d’ancien conseiller général… et même d’ancien fonctionnaire des PTT, puisqu’il devança jadis Besancenot dans le métier. Ajoutons pour faire bonne mesure une voiture de fonction Safrane (et son chauffeur à temps plein), deux gardes du corps, une secrétaire et les bureaux équipés qui vont avec. C’est beaucoup, mais visiblement ce n’était pas assez pour notre Papy flambeur, qui jouira de surcroît « à vie » d’un gigantesque appartement dans l’un des quartiers les plus chers d’Europe – logement que le Sénat, sur les deniers publics, a acheté tout exprès pour lui.

Interrogé par les médias, son probable successeur, l’UMP Gérard Larcher, s’est montré à ce sujet aussi vague qu’indélicat : une attribution « à vie », concernant Poncelet, cela n’aurait guère « de sens » ! En sait-il davantage que nous sur l’état de santé du Président du Sénat ? Mystère. Mais cela ne change rien à l’affaire : il est ici question d’argent public, c’est-à-dire de fonds qui doivent être contrôlés et dont l’attribution doit servir l’intérêt public. Propriétaire d’un joli patrimoine immobilier, assujetti à l’ISF, nanti d’une exceptionnelle retraite, Poncelet méritait-il et avait-il seulement besoin de bénéficier « à vie » et à titre gratuit d’une luxueuse résidence, dont la valeur locative avoisine les 10 000 euros par mois ?

Le ministre du Travail, secrétaire général adjoint de l’UMP et proche du Président de la République, Xavier Bertrand a estimé que non et a demandé que l’on revienne sur cette décision. Approuvons ! Et puisque l’on échappera sans doute pas à l’accusation de démagogie, osons même une suggestion : que le Sénat, visiblement en fonds, revende cet appartement et en verse le produit au Fond de Réserves des Retraites – depuis le début de la crise financière, sa valeur a chuté d’un tiers. Le Sénat n’y verra aucune objection, puisque ses éminents membres sont si sensibles au sort des retraités.

Prière d’insérer

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Contrairement à ce que laisse entendre une rumeur malveillante, Causeur.fr restera ouvert en ce mardi de Roch Hachana. Mais seuls les catholiques romains François Miclo et Basile de Koch tiendront la boutique. Les autres chômeront et prieront (ou essayeront de le faire croire à leurs mamans).

Courant alternatif

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Les Echos nous apprennent que Poweo, distributeur d’électricité privé, élargit son partenariat avec Darty. Il y a du relâchement à la rédaction des Echos. A Charlie Hebdo, une info pareille, ça ne serait pas passé !

Bonjour tristesse

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J’ai éprouvé le même sentiment à la mort de Giscard. L’étrange sensation du vide et du dépeuplement, le truc à virer frapadingue comme Lamartine et répéter après lui : « Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères, un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. »

Robert Ménard n’est plus secrétaire général de Reporters sans frontière. Il a renoncé lui-même à cette fonction. Et nous nous sentons, nous autres journalistes, abandonnés. Notre vie n’a plus guère de sens. Quant à notre liberté, n’en parlons pas.

A peine l’annonce de la démission de Robert Ménard était-elle publiée que le rédacteur en chef de la Süddeutsche Zeitung m’a refusé un article au prétexte que son journal n’a pas à se prononcer sur l’interdiction de la sexualité pour les vieillards. Et que le terme « vieillard » est un peu désobligeant pour les seniors. 300 euros, ça me coûte, la démission de Robert.

Les grands reporters de chez Burda, le groupe de presse qui a tant fait pour les patrons[1. Bon d’accord, ce ne sont ni les patrons de presse ni les patrons tout court, mais les patrons qui servent à confectionner soi-même des patrons. Mais il y avait de l’idée.], sont totalement déprimés. A Modes et travaux, c’est la consternation. Chez Biba, il s’est trouvé hier une journaliste d’investigation à chercher une poutre dans la rédaction pour y accrocher une corde.

A Causeur, on a vu Marc Cohen épancher ses larmes dans les bras d’une Elisabeth Lévy qui, affligée de tristesse, n’en pouvait mais.

Et je vous passe sous silence – pourquoi la Presse n’aurait-elle pas, elle aussi ses petits secrets ? – l’attitude bravache de la chef de la rubrique Cuisine de Elle, qui n’a pas hésité à menacer son monde de grève de la faim tant que Robert Ménard n’aurait pas repris la tête de la Société Protectrice des Journalistes. Certes, elle en fera certainement un dossier pour le magazine féminin : « Le jeûne fait-il maigrir ? » Mais le geste est là et il n’y a que l’intention qui compte.

C’est que nous autres, journalistes, nous n’aimons pas Robert Ménard. Nous l’adorons. Il est un maître pour nous tous. Sa carrière parle pour lui : il l’a faite entièrement à Radio France Hérault. Quel autre journaliste pourrait, dans le monde, avoir eu autant envie de Béziers que l’Albert Londres des temps modernes ? C’est certain qu’un type qui a fait sa carrière de journaliste comme localier à échelle cantonale voire départementale a toutes les capacités requises pour recaler la Chine au rang des réalités nulles et non avenues. D’ailleurs qui oserait le faire, sinon un localier de Radio France Hérault ?

Il ne reste plus qu’une chose aux journalistes libres : une catastrophe naturelle dans les environs de Béziers, un truc nucléaire qui y explose, une prise d’otage à la rédaction de France Bleue Hérault pour que l’on puisse tester à nouveau le caractère télégénique de Robert Ménard.