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La Hongrie : de Karl Marx au Mac Do

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Si vous êtes amateur de 4×4, rendez-vous à Budapest. Les rues de la capitale magyare en sont envahies. Non que l’état des chaussées le nécessite (encore que…), mais tout simplement, du moins à mon humble et médisant avis, pour que leurs heureux propriétaires puissent rouler des mécaniques au sens propre et figuré… tout en polluant allègrement la vulgaire piétaille dont je fais partie. Vu le rapport entre le prix du litre d’essence (1,30 €) et le revenu mensuel net moyen (500 €), on peut se poser des questions. Mais bon, ce n’est pas un scoop, le thème de l’affreux nouveau riche dans les ex-pays dits « de l’Est » est plus que galvaudé.

Au-delà de cet aspect anecdotique, c’est un mal plus profond qui gangrène lentement mais sûrement, la société de cette ancienne « démocratie populaire ». Pour l’illustrer, je prendrai l’exemple de Budapest, la ville où je vis.

Cette maladie est celle d’une société de plus en plus écartelée entre des extrêmes qui ne se rencontrent pas, même s’ils vivent côte à côte. Un monde sépare aujourd’hui, non seulement riches et pauvres, mais encore très riches et très très pauvres, sans oublier les générations : il n’y a rien de commun aujourd’hui entre petits retraités sans ressources ni parents et jeunes loups trentenaires ou quadras qui gagnent souvent dix fois plus que leurs parents et peuvent se payer le luxe de deux voitures par foyer, de vacances sur les îles lointaines ou de séjours de ski en France. Bref, la Hongrie est devenue une démocratie, mais elle est de moins en moins « populaire ».

La première conséquence de cette situation est la disparition progressive au profit des extrêmes de cette couche moyenne cultivée, disons « normale », qui faisait autrefois l’un des attraits de Budapest. Avec pour corollaire, et c’est bien le plus triste, l’apparition d’un comportement individualiste et d’une obsession de l’argent – que l’on parvienne à en amasser ou, au contraire, que l’on se désole de ne pas en avoir. Or, ces nouvelles préoccupations se développent forcément au détriment de l’amour de la culture. Bien sûr, il existe encore une compagnie agréable que l’on croise le soir au théâtre, mais, dans le paysage quotidien, elle est de moins en moins visible – en d’autres termes, on assiste à une « harrypotterisation » ou à une « macdonaldisation » de la société. On peut le repérer aux nouveaux codes vestimentaires. Pour Monsieur : crâne rasé, tatouage, chaîne en or, maillot de corps mettant en valeur de gros bras bien musclés et surtout, pas de sourire, ce ne serait pas viril ! Quant à Madame, je vous laisse deviner. Non, je n’exagère pas : pour le vérifier, il suffit de faire un tour dans un grand centre commercial, West End par exemple.

Justement, parlons-en des centres commerciaux ! On dirait que pour cette nouvelle classe rien n’est plus enrichissant (pour l’esprit, pas pour le portefeuille..) que la sortie du samedi chez Auchan et Cora. Pendant ce temps, des pauvres bougres tirent le diable par la queue et se demandent de quoi demain sera fait, des dames revendent leurs bijoux de famille et des petites vieilles proposent pour deux sous les malheureuses fleurs ou fraises de leur jardin place de Moscou ou dans les couloirs du métro… Entre les uns et les autres, entre les nouveaux privilégiés et les nouveaux pauvres, il n’y a rien. Un no man’s land humain !

Mais les inégalités ne sont pas tout. Mais quelle indifférence ! Chacun pour soi. « Les autres, ce n’est pas mon problème ! Et l’Etat qui n’est qu’un voleur, encore moins. » Solidarność ? Le mot est polonais, mais il avait autrefois un très grand poids sous le ciel de Budapest (szolidárítás, összetartás). Fini, tout cela. Et c’est paradoxalement dans l’ancienne société dite « d’avant l’ouverture » (!…) que l’on trouvait cette convivialité, cet humour et cet esprit d’entraide si caractéristiques. Si les mots ont une âme, paix à l’âme de ces beaux mots-là.

Au moins, dira-t-on, c’en est fini du socialisme. Justement non ! Car, vingt ans après la chute du Mur, les habitudes restent bien ancrées : files d’attente aux guichets, paiement des factures (et de la majorité des salaires) en liquide, multiplication des fonctionnaires (quatre contrôleurs en tenue négligée à chaque entrée de métro, vigiles du troisième âge dans les administrations), policiers la cigarette au bec, etc. On peut d’autant moins leur en vouloir que ces malheureux sont payés au lance-pierre. Qu’on me permette cependant d’être dubitatif lorsque mes bons amis de France vantent les vertus du changement.

Fort heureusement, bien des Hongrois conservent ces valeurs de générosité tant appréciées autrefois (qui me manquaient alors à Paris). Par leur chaleur, ceux ci (souvent les plus modestes) compensent largement le manque de convivialité des autres, même si ces derniers, malheureusement, représentent la grande masse de la population.

Si l’on ajoute, pour conclure, que ce comportement de parvenu est davantage répandu chez les jeunes que chez les anciens, on admettra qu’il n’y a guère de raisons d’être optimiste. Plaise au Ciel que je me trompe !

Photo de une : Près de l’Erzsébet híd, Budapest. Flickr, Suzanna.

Modem est servie

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Fred Vargas est au polar français ce que le fromage 0 % est à l’époisse, une version light, garantie sans matières grasses idéologiques mais aussi sans la moindre saveur. Le goût est toujours un risque et, à voir le succès des livres de Vargas, la société française, ou tout au moins sa frange petite-bourgeoise et féminine qui lit Elle et Télérama, ce risque, elle a décidé de ne plus le prendre. Quand on sait que ce genre littéraire a toujours été subversif, depuis les pères fondateurs américains (Hammett, Chandler, Thompson, Goodis) jusqu’aux « refondateurs » français des années 1970 (Manchette et Fajardie), on mesure à quel point Fred Vargas, dans son domaine particulier, participe à l’entreprise de domestication de l’esprit de révolte et à l’occultation de ce travail du négatif à l’œuvre aujourd’hui dans tous les secteurs de la réalité. Elle reconnaissait elle-même, dans un récent colloque Manchette, écrire des « polars calmants ». L’aveu est clair, l’oxymore charmant. Un polar calmant, c’est comme un centriste courageux, un socialiste avec des idées claires, un sarkozyste qui lirait des livres : il y a contradiction indépassable dans les termes.

Je sens les objections pleuvoir, le procès en sorcellerie se préparer dans les arrière-cuisines des listes associatives diverses. Fred Vargas est en effet l’objet dans le milieu du « noir » (le terme est ici aussi à prendre dans son acception mafieuse) d’un véritable culte de la personnalité. Critiquer Vargas, c’est être tour à tour réactionnaire, jaloux, méchant, alcoolique, intolérant, élitiste, stalinien (bon, j’arrête ici mon autoportrait). Et puis dire que Fred Vargas est une tiède, c’est une contre-vérité : la preuve, vont répondre les gardiens du Temple, vestales outragées de la créatrice du commissaire Adamsberg, c’est qu’elle a été l’indéfectible soutien de Cesare Battisti, auteur de romans noirs (des bons et des vrais, ceux-là) rattrapé naguère par son passé dans la lutte armée italienne des années 1970. Que les choses soient claires, l’auteur de cet article a été signataire des pétitions de soutien à Battisti qui risquait et risque toujours, en Italie, la prison à perpétuité pour des faits vieux de plus de trente ans, non avérés de surcroît. Que l’on soit d’accord ou pas sur cette question est une autre faire.

Il n’empêche, Battisti est typiquement une cause sociétale. Et le choix du sociétal (mariage homosexuel, consommation libre de psychotrope, repentance pour le passé colonial, j’en passe et des pires) est toujours, à un moment ou à un autre, un écran de fumée pour masquer le social, ce social qui gêne toujours un peu les journaux gentils de la gauche moderne et libérale et ses lecteurs qui aiment aussi le « polar calmant » : la violence des rapports de production dans le monde du travail, la précarité généralisée, la montée en flèche des crispations communautaires, la révolte des banlieues. Bref, tout ce qui a fait la matière et l’honneur du polar français des années 1980 et le fait encore parfois aujourd’hui mais de plus en plus rarement : Thierry Jonquet et Serge Quadruppani chez les anciens, Antoine Chainas ou Caryl Ferey chez les plus jeunes.

Ce divorce entre le social et le sociétal, Fred Vargas l’a illustré jusqu’à la caricature en annonçant son ralliement au Modem lors de la dernière université d’été du parti bayrouiste. Pour Manchette et Fajardie, un rebelle avait le visage de Durutti[1. Buenaventura Durruti, 1896-1936 : militant anarchiste espagnol.]. Pour Fred Vargas, il a les traits de François Bayrou. On mesure l’écart. Pour se justifier, Fred Vargas a expliqué que François Bayrou était le seul homme politique à lui avoir régulièrement apporté son soutien dans l’affaire Battisti. C’est sans doute vrai que Bayrou a apporté son soutien à Battisti. Qu’il ait été le seul est en revanche une jolie contre-vérité. Que je sache, le PS, le PCF, la LCR n’ont pas appelé à une collaboration inconditionnelle avec la police de Berlusconi. Ça se serait entendu, non ?

En réalité, le choix politique de Vargas est en parfaite harmonie avec ses romans. Il est tout simplement celui de l’hypocrite embourgeoisement d’une certaine gauche libérale-sociale qui veut le beurre de la bonne conscience progressiste et l’argent du beurre d’une politique fiscale qui ne soit point exagérément redistributive. Au-delà d’un certain montant de droits d’auteur, on veut bien soutenir Battisti mais pas financer le RSA.

Faut pas déconner.

Saint Maclou, priez pour nous

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On a changé le papier peint dans le salon, mais on a laissé les meubles en place. Onze mois après sa création, causeur change de forme pour être plus lisible et accessible. Une “Une” plus développée, de nouvelles fonctionnalités, une barre de navigation facilitant la lecture de tous les articles en ligne : nous vous invitons à découvrir (et à faire découvrir) la nouvelle version de causeur.fr.

On demande d’urgence grand écrivain catholique

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Son Excellence Bernard Kessedjian, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, est passé de vie à trépas au mois de décembre dernier, laissant vacant l’un des postes les plus convoités de la diplomatie française. Les péripéties qui viennent d’aboutir à un accord entre le Quai d’Orsay et le Vatican sur la nomination à la villa Bonaparte de Stanislas Lefèbvre de Laboulaye, actuel ambassadeur à Moscou, méritent d’être rapportées.

Ce poste diplomatique permanent, le plus ancien de tous, puisqu’il fut établi en 1465 sous le pontificat de Paul II et le règne de Louis XI, n’est pas tout à fait comme les autres. Il ne suffit pas, pour qu’un ambassadeur soit agréé par le Vatican, qu’il n’ait pas manifesté d’anticléricalisme outrancier au cours de sa carrière. L’usage veut que les pays de tradition catholique choisissent, pour les représenter à Rome, des personnalités dont la religion, les mœurs et le comportement correspondent aux critères en vigueur au sein de l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Pas question donc, pour un protestant, un juif ou un franc-maçon d’aller baiser la mule du pape au nom de la France, et les postulants sont priés d’ajouter à leur CV un certificat de baptême, leur photo en premier communiant, et une attestation de moralité signée par le  curé de leur paroisse.

Tout frais nommé chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran, Nicolas Sarkozy a cru qu’il était devenu suffisamment pote avec Benoît XVI pour procéder à une « modernisation » de la relation diplomatique franco-vaticane. Prenant acte du fait que l’évolution de la société avait fini par atteindre le Quai, et qu’il devient de plus en plus difficile de trouver dans cet éminent vivier de talents un hétérosexuel monogame et père de famille, Sarkozy s’est dit que, maintenant, c’était à Rome de faire un effort. Pour lui faciliter la tâche, on se mit en quête d’un « grand écrivain catholique », une espèce dont la France fut jadis grande productrice. Un genre de Paul Claudel ou de François Mauriac, même divorcé deux ou trois fois devrait amener les Monsignori à faire montre d’indulgence et de charité chrétienne. Seulement voilà: on a beau parcourir le VIe arrondissement de long en large, draguer au Flore, au Twickenham[1. Je me dois de dire l’atroce vérité à Luc : cela fait des années que le Twickenham a disparu au profit d’un marchand de chaussures (ou peut-être de robes ?). EL.] ou à la Closerie des Lilas, le « grand écrivain catholique » est devenue une espèce aussi rare que le gorille des montagnes au Rwanda. Faute de grives, il faut donc se contenter de merles, et le choix présidentiel se porta sur le très chiraquien Denis Tillinac, qu’on voit plus au bistrot qu’à l’église, mais dont on est sûr qu’il n’est ni juif, ni homo.

Le verdict romain fut sans appel : recalé ! Le Corrézien divorcé et remarié ne traînera pas ses brodequins crottés sur les beaux tapis du palais Saint-Pierre. Le Quai d’Orsay proposa donc un diplomate exquis, compétent et expérimenté, assidu aux offices dominicaux, dont nous tairons le nom par discrétion. Recalé ! Le monsieur en question se vante trop ouvertement d’être de la jaquette, pas de celle qu’on revêt pour les grandes occasions, mais celle qui désignait jadis les tarlouzes. Et c’est ainsi que l’on a fini par déshabiller Moscou pour habiller Rome, un comble à la veille de l’hiver !

Cet échec de Nicolas Sarkozy, qu’Edwy Plenel, pourtant à l’affût, a omis de stigmatiser, nous incite à lancer un appel au monde des lettres et de l’édition : nous avons besoin, pour l’avenir d’un et même de plusieurs grands écrivains catholiques, pour constituer une réserve d’ambassadeurs au Saint-Siège ! On devrait, pour cela, fonder les « petits écrivains à la croix de bois » à l’image des choristes de Mgr Maillet. Le premier qui dit « pédophile » a un gage.

Henri Proliks

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Le peintre Jacques-Louis Vabre connut des jours plus inspirés que celui où il portraitura Henri Proliks assis à sa table de travail en 1825. Si la facture de cette huile sur toile ne tranche pas sur le reste de l’œuvre, le sujet figuré retiendra en revanche toute notre attention : Henri Proliks était l’officier de plume de Charles X, chargé d’écrire discours, sms et lettre d’abdication. Satisfait de ses services, le roi l’a anobli en 1827 en lui conférant le titre de « Premier pantomime de la Cour ». Il ne donna malheureusement aucune représentation silencieuse.

Jacques-Louis Vabre, Henri Proliks, Premier pantomime royal, huile sur toile, 1825. Œuvre perdue lors de l’emménagement de Georges-Marc Benamou à la Villa Medicis.

Rouillan est un con

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Le pathos a encore frappé. Ceux qui hier encore débinaient Ségolène à longueur d’éditos pour sa grandiloquence montent à leur tour aujourd’hui sur leurs grands chevaux de bois pour bouter Jean-Marc Rouillan hors de sa liberté conditionnelle. Ce n’est plus moderne contre moderne, mais crétin contre crétin.

Crétin, Rouillan l’est assurément mais, à sa décharge, il l’a toujours été. Et c’est heureux : à la fin des années 70, la faiblesse de ses analyses, la pauvreté de son argumentation et le ridicule de ses postures ont dissuadé des bataillons entiers de vandales politisés et cultivés de sombrer dans un terrorisme qui n’allait pas rester longtemps d’opérette. Au passage, grâces soient rendues à Guy Debord, qui, dénonçant l’embrouille dès les premiers pseudo-faits d’armes d’Action Directe (le mitraillage pour de rire du siège du patronat français, le 1er mai 1979) a considérablement réduit les perspectives d’expansion de la PME naissante.

Oui, Rouillan était un crétin, considéré comme infréquentable par le gratin du terrorisme européen. Pour en avoir la preuve formelle, on pourra consulter sur le net ses œuvres philosophico-politiques complètes, un indescriptible frichti stalino-libertaire. Grâce à l’inanité insondable de Rouillan, son grandiose projet de Brigades Rouges à la française ne sortira jamais du cercle restreint de ses groupies.

Crétin, Rouillan l’est resté. Après sa capture, au lieu de faire comme tous les condamnés politiques qui se respectent et de lire et relire tout Balzac, Dumas et Dickens, il a dû sûrement passer sa détention à faire des mots fléchés ou à potasser Pif Gadget, le Monde Diplo ou Le Marxisme pour les nuls. Les interviews qu’il a données depuis sa semi-libération sont toutes à l’aulne de ce bagage théorique. Du blabla de lycéen altergauchiste standard : les capitalistes sont méchants, les Américains très méchants et Sarkozy est aux ordres des capitalistes américains. Lisez l’interview qu’il a accordée à L’Express : 95 % de ce qu’il y déclare pourrait être signé, non seulement par Besancenot mais aussi par José Bové, Clémentine Autain ou Manu Chao. On notera que les journalistes à qui il veut bien confier ses états d’âme ont tous la politesse de ne pas l’interroger sur les questions sujettes à dérapage incontrôlé (11 septembre, Afghanistan ou Proche-Orient, par exemple). Restent les 5% qui fâchent (et qui, très accessoirement, font vendre). En tout et pour tout, deux passages ont suscité la colère (on ne parlera pas de convoitise) des confrères et l’indignation du Parquet, les voici.

Tout d’abord Rouillan déclare : « En tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée à un moment du processus révolutionnaire est nécessaire. » Tu parles d’un scoop ! On peut en penser ce qu’on veut, mais si ce propos, un B-A BA de la vulgate révolutionnaire, est intrinsèquement condamnable, alors il faut interdire immédiatement à la vente tout Marx, tout Gramsci, tout Althusser (et au passage, expurger de nos bibliothèques Brecht, Sartre, Pasolini et quelques autres). N’empêche cette banalité accouche d’une montagne d’indignations, la plus symptomatique étant sans doute celle de Gérard Carreyrou dans France Soir : « Quelles que soient vos précautions, Christophe Barbier, vous avez hélas concouru objectivement à l’apologie de la lutte armée et du terrorisme, et je le regrette pour L’Express. » Barbier, en QHS avec Rouillan ? C’est beau la confraternité… On notera aussi, chez des gens moins suspects de racolage public, que Le Monde donne une citation tronquée donc fausse de Rouillan à qui Alain Salles et Sylvia Zappi font dire – entre guillemets ! –, qu’il est « convaincu que la lutte armée reste nécessaire ». Tant pis pour l’exactitude, sans doute une question de place…

Le deuxième passage qui fâche intervient quand Gilles Rof, de L’Express demande explicitement à Rouillan : « Regrettez-vous les actes d’Action Directe, notamment cet assassinat ? » Sa réponse est millimétrée, chacun de ses mots a sans aucun doute été relu cent fois par ses avocats et ceux de l’hebdomadaire : « Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus… Mais le fait que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais m’exprimer. » C’est clair, c’est net : Rouillan ne dit pas qu’il a des regrets, il ne dit pas qu’il n’en a pas, il rappelle qu’il n’a pas le droit de répondre à cette question. Et il ajoute que s’il reniait tout son passé, on ne lui en tiendrait sans doute pas rigueur. Point barre. Ce que, pourtant, sur son blog de RTL.fr Nicolas Poincaré traduit instantanément par « Jean-Marc Rouillan ne regrette rien. Avant d’ajouter pour notre plus grande joie : « Son interview dans L’Express pourrait le réenvoyer (sic) en prison… »

Je ne sais pas si c’est à l’école communale ou à l’école de journalisme qu’il faudrait renvoyer Nicolas Poincaré et tous ceux qui ont décidé par bêtise ou par commodité de faire monter la mayonnaise en faisant dire à Rouillan autre chose que ce qu’il avait dit.

La meilleure façon de neutraliser Rouillan, c’est de le laisser déballer dans son coin son préchi-précha anti-impérialiste, et de ne pas se gêner pour s’en moquer. A contrario, remettons-le pour de bon au cachot, et on verra apparaître dans la semaine des T-shirts Rouillan dans les cours des lycées.

Electrons libres

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Il y a quinze jours, l’Iran et la Syrie, deux pays en conflit ouvert avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à cause de leurs programmes nucléaires, ont créé la surprise en posant leurs candidatures à l’un des 35 postes de gouverneurs de l’agence onusienne. Depuis les Iraniens ont décidé de se retirer de la course, laissant la Syrie et l’Afghanistan se disputer ce poste. Avec de tels pays contrôlant la diffusion des technologies nucléaires, l’avenir du monde semble plus sûr que jamais : nos descendants pourront dormir sur leurs deux oreilles, voire sur trois ou quatre…

Mince, des obèses !

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Les pouvoirs publics avaient cru un instant que la mort de Carlos leur accorderait un répit et que celle de Luciano Pavarotti éloignerait durablement la main du péquin moyen du paquet de chips. Rien pourtant ne semble altérer la marche des choses : imperturbablement le Français prend du poids.

Dans quelques années, les enfants ressembleront aux petits baleineaux échoués dans le Middle West et alentours. A dix ans, ils exhiberont, de part et d’autre de leur petit corps boursouflé, les bourrelets de Michael Moore. Au Monde diplo, on s’en réjouit déjà. Rue des Saints-Pères, les bien nommées éditions Grasset ont déjà réceptionné le nouvel essai géopolitique d’Alexandre Adler : Peser dans le monde. Chez Jacques Attali, on écrit un rapport prescrivant la libéralisation du marché de la liposuccion : « Le jour est bientôt venu où il sera aussi difficile de se faire retirer les tissus adipeux que de trouver un taxi à Paris. Nous déconseillons de traiter le mal à sa racine : cela freinerait durablement la consommation et provoquerait le licenciement d’innombrables clowns Ronald McDonald. En revanche, avec l’ouverture au plus grand nombre de l’exercice de la chirurgie plastique et réparatrice, la culotte de cheval deviendra un gisement d’emplois important. »

Le gouvernement français n’a pas voulu attendre que les prophéties de Jacques Attali se réalisent. Il est, quand même, l’un des rares futurologues français à ne s’être jamais trompé ni sur le futur ni sur le passé – il a juste un léger différé avec le présent. Une angoisse terrible a étreint François Fillon : celle de voir la France bientôt peuplée de petits Philippe Séguin en culotte courte. Qu’y a-t-il de plus terrible que d’essayer de distinguer entre deux amas de graisse les yeux chagrins d’un enfant obèse ? Le Premier ministre a essuyé la larme qui déjà perlait sur sa joue, recoiffé d’une main experte sa mèche, puis commandité une mission parlementaire afin de lutter contre l’obésité[1. Apprenant cela, Philippe Séguin, son ancien mentor, a recommandé une double Quatre Fromages à la pizzeria Pino des Champs-Elysées.]. Du Weight Watchers à échelle nationale.

Pendant plusieurs mois, cette mission a auditionné tout ce que la France comptait en spécialistes de la nutrition, y compris le chef du restaurant du Sénat, dont la recette de racines de pissenlits est approuvée internationalement par de nombreux diététiciens. Les parlementaires se sont accordés sur un point : la surcharge pondérale rend gros. Sur le reste, le débat a révélé des lignes d’opposition conséquentes : « On pourrait ravoir du pain ? », « Touche pas à mes frites, y en avait pas dans ton menu ! », « Qui reprend un pousse-café ? ». En fin de compte, ils ont rendu un rapport prescrivant la taxation des produits gras et sucrés. Généralement, lorsqu’un homme politique ne sait pas quoi faire face à un problème, il crée une nouvelle taxe. C’est ce qu’on appelle un réflexe pavlovien. Mais ici ce n’est pas tout à fait le cas. On peut même supputer que les parlementaires avaient abusé sur le digestif lorsqu’ils ont proposé d’instaurer plusieurs taux de TVA indexés sur la composition en lipides et en sucre ajouté des produits alimentaires.

Quittons la buvette de l’Assemblée et descendons dans la vraie vie. Imaginez votre épicier de quartier, celui chez lequel vous allez vous approvisionner chaque fois que vous décidez d’arrêter de financer la holding monopolistique qu’est la grande distribution en France – de toute façon, à 20 heures, c’est fermé chez Holding. Mohammed – c’est son nom[2. En allemand, Mohammed se dit Yilmaz ou Hakan. C’est selon.] – sait qu’il ne faut pas s’être fait empapaouter à la London Business School pour comprendre que, dans l’épicerie, pour gagner plus il faut ouvrir plus tard. Vous lui prenez quatre tranches de jambon, une plaquette de beurre, une baguette et des cornichons. Comme précisément Mohammed n’a pas fait HEC, il lui faudra quarante-six minutes pour déterminer le taux de TVA adaptable à chaque produit que vous lui achetez, avant de vous rendre la monnaie.

Voilà la réalité des choses. C’est visiblement ce qui a poussé Roselyne Bachelot, ministre française de la Santé, à refuser sans appel cette taxation à la gueule du produit. Pas question de discriminer lipides et glucides !, a déclaré celle qui, jour après jour, tente de devenir le sosie de Maïté. Elle sait que plus c’est gras meilleur c’est, qu’en été il faut manger beaucoup et qu’il vaut mieux faire envie que pitié. Maintenant que la question des plus de deux cents livres a été traitée avec brio par le gouvernement, les parlementaires n’ont plus qu’à s’occuper des anorexiques.

Réseau d’espionnage

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Après avoir lancé une campagne d’embauche en direction des gays, le MI6 a décidé de recruter sur Facebook. Plus de 1200 Internautes (dont votre serviteur qui a toujours rêvé de rencontrer Miss Moneypenny) ont adhéré au groupe « Secret Intelligence Service » mis très officiellement en place sur le réseau social. Pour sa part, selon nos informations, la DGSE aurait décidé, si ses lignes budgétaires le lui permettent, d’ouvrir avant 2012 un service Minitel.

La madone et les trotskystes

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Trop forte, Ségo ! Par un étonnant phénomène de sidération collective, tous les observateurs patentés de la planète socialiste, se sont transformés en critiques de spectacles ou chroniqueurs religieux à l’issue du maintenant fameux rassemblement du Zénith à Paris, le 27 septembre. Eva Peron ou Florence Foresti ? Télévangéliste ou « bergère » d’un groupe du Renouveau Charismatique ? Telles sont désormais les petites controverses qui agitent le microcosme politique et médiatique à propos des nouvelles aventures de la présidente du Conseil régional Poitou-Charentes.

Tant et si bien que personne, ou presque, n’a pris la peine de replacer cet événement dans l’évolution de la mouvance ségoliste depuis la campagne présidentielle de 2007.

Dans sa forme, ce one woman show encadré de prestations artistiques s’inscrivait parfaitement dans la continuité du meeting de Charléty de mai 2007 : on avait déjà pu y déceler une tendance à la transmutation du discours politique classique en un prêche visant à provoquer un élan émotionnel au sein de l’assistance. Sans tenir le moindre compte des critiques formulées au sein du PS sur cette dérive mystico-populiste, Ségolène en remet une couche dix-huit mois plus tard, provoquant les barrissements indignés des éléphants nourris au lait de la rhétorique républicaine traditionnelle.

Derrière l’encens et les paillettes, au delà d’un « relookage » de l’héroïne de la soirée digne d’une émission de télé populaire, on pouvait néanmoins discerner un net virage gauchiste dans le peu de contenu politique de son adresse au public. Exit « l’ordre juste » et l’exaltation du drapeau tricolore d’une campagne présidentielle qui a puisé dans le sac à idées chevènementiste ; place à « l’interdiction des licenciements et des délocalisations » et à la glorification de la « France métissée ». Adieu Bayrou, bonjour Besancenot !

La nouvelle Ségo, celle qui a été présentée au peuple le 27 septembre, n’a pas seulement changé de coiffure. Elle a également abandonné la stratégie de l’alliance avec un centre introuvable pour adopter la ligne proposée par un Julien Dray revenu au bercail : la constitution d’un front « arc en ciel » de Bové à Bayrou, étant bien entendu que le nom de Bayrou n’est cité que pour l’obliger à décliner cette offre malhonnête.

C’est donc le grand retour, dans le clan Ségo, de la phalange des anciens trotskystes, des Sophie Bouchet-Petersen, Julien Dray et Edwy Plenel. Ce dernier, déjà intervenant remarqué il y a quelques mois dans un rassemblement du club ségoliste « Désirs d’Avenir », s’est à nouveau montré parmi les pipoles présents au Zénith. La marque intellectuelle de ce trio, dont les cadres de pensée sont restés intacts malgré leur éloignement de l’appareil organisationnel de la LCR, se lit assez facilement dans le nouveau cours pris par la mouvance royaliste. Ainsi la litanie d’oxymores ( Il y a eu la « riante » primaire, la « courtoise » présidentielle, les « gentils » coups bas, les « tendres » attaques, les « doux » cambriolages, les « amicales » pressions et les charmantes épreuves personnelles…), point d’orgue du discours de Ségolène, avait pour objectif de la constituer en victime persécutée par tous les « dominants » de l’ordre social en place, qu’ils se trouvent à l’Elysée, rue de Solferino, et même au sein de sa propre famille fracassée. La dichotomie dominants/dominés instituée en paradigme de la pensée et de l’action n’induit pas seulement une critique politique de l’adversaire, mais sa délégitimation morale : il suffit d’écouter les billets hebdomadaires d’Edwy Plenel sur France Culture pour savoir distinguer les bons des méchants. Aux noirs desseins des étrangleurs de la démocratie, Bush, Sarkozy et consorts, s’opposent les aspirations au Beau, au Bien et au Vrai des damnés de la terre, méchamment traités de « barbares » par un Occident arrogant. J’exagère à peine…

Ce virage à gauche n’est pas le résultat d’une soudaine illumination qui serait venue à Ségolène telle la flamme de la Pentecôte au dessus de la tête des apôtres. Il participe d’une stratégie visant à demeurer en scène même si le congrès de Reims se solde par la victoire de son principal concurrent, Bertrand Delanoë. La mobilisation à son profit du « parti d’en bas », plus à gauche que les hiérarques et les notables, vise à maintenir une pression en sa faveur jusqu’à la nouvelle primaire de désignation du candidat à la présidentielle de 2012. Dans l’hypothèse où Bertrand Delanoë deviendrait premier secrétaire en novembre, il ne pourra pas compter sur le ralliement du clan royaliste. Et si, comme c’est probable, les élections européennes de juin 2009 se traduisent par une poussée des partis protestataires au détriment du PS et de l’UMP, on verra monter, au sein du PS, l’exigence de la constitution d’une nouvelle alliance avec une extrême gauche consolidée et des Verts triomphants, largement dominés par les altermondialistes et les gauchistes reconvertis. Si, au bout du compte, Delanoë sombre dans cette galère, il restera ensuite à faire barrage au retour de « l’exilé » Dominique Strauss-Kahn, dont la cote de popularité fait de l’ombre à la madone. Alors, ce sera feu sur le droitier, l’homme des privatisations et de la soumission au grand capital !

Il y a un peu plus de vingt ans, en Angleterre, un quarteron de trotskystes culottés parvenait à s’emparer d’importants leviers de commande au sein du Parti travailliste, mettant en avant un idiot utile », Michael Foot, comme candidat au 10 Downing Street. Résultat : une décennie de pouvoir sans partage pour Margaret Thatcher, jusqu’à ce que Tony Blair expulse sans ménagement les héritiers de feu Lev Davidovitch des rangs du Labour. Nicolas Sarkozy n’était pas présent physiquement au Zénith, mais toutes ses pensées, durant cette soirée, ont dû se résumer à un vibrant « Allez Ségo ! ».

La Hongrie : de Karl Marx au Mac Do

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Si vous êtes amateur de 4×4, rendez-vous à Budapest. Les rues de la capitale magyare en sont envahies. Non que l’état des chaussées le nécessite (encore que…), mais tout simplement, du moins à mon humble et médisant avis, pour que leurs heureux propriétaires puissent rouler des mécaniques au sens propre et figuré… tout en polluant allègrement la vulgaire piétaille dont je fais partie. Vu le rapport entre le prix du litre d’essence (1,30 €) et le revenu mensuel net moyen (500 €), on peut se poser des questions. Mais bon, ce n’est pas un scoop, le thème de l’affreux nouveau riche dans les ex-pays dits « de l’Est » est plus que galvaudé.

Au-delà de cet aspect anecdotique, c’est un mal plus profond qui gangrène lentement mais sûrement, la société de cette ancienne « démocratie populaire ». Pour l’illustrer, je prendrai l’exemple de Budapest, la ville où je vis.

Cette maladie est celle d’une société de plus en plus écartelée entre des extrêmes qui ne se rencontrent pas, même s’ils vivent côte à côte. Un monde sépare aujourd’hui, non seulement riches et pauvres, mais encore très riches et très très pauvres, sans oublier les générations : il n’y a rien de commun aujourd’hui entre petits retraités sans ressources ni parents et jeunes loups trentenaires ou quadras qui gagnent souvent dix fois plus que leurs parents et peuvent se payer le luxe de deux voitures par foyer, de vacances sur les îles lointaines ou de séjours de ski en France. Bref, la Hongrie est devenue une démocratie, mais elle est de moins en moins « populaire ».

La première conséquence de cette situation est la disparition progressive au profit des extrêmes de cette couche moyenne cultivée, disons « normale », qui faisait autrefois l’un des attraits de Budapest. Avec pour corollaire, et c’est bien le plus triste, l’apparition d’un comportement individualiste et d’une obsession de l’argent – que l’on parvienne à en amasser ou, au contraire, que l’on se désole de ne pas en avoir. Or, ces nouvelles préoccupations se développent forcément au détriment de l’amour de la culture. Bien sûr, il existe encore une compagnie agréable que l’on croise le soir au théâtre, mais, dans le paysage quotidien, elle est de moins en moins visible – en d’autres termes, on assiste à une « harrypotterisation » ou à une « macdonaldisation » de la société. On peut le repérer aux nouveaux codes vestimentaires. Pour Monsieur : crâne rasé, tatouage, chaîne en or, maillot de corps mettant en valeur de gros bras bien musclés et surtout, pas de sourire, ce ne serait pas viril ! Quant à Madame, je vous laisse deviner. Non, je n’exagère pas : pour le vérifier, il suffit de faire un tour dans un grand centre commercial, West End par exemple.

Justement, parlons-en des centres commerciaux ! On dirait que pour cette nouvelle classe rien n’est plus enrichissant (pour l’esprit, pas pour le portefeuille..) que la sortie du samedi chez Auchan et Cora. Pendant ce temps, des pauvres bougres tirent le diable par la queue et se demandent de quoi demain sera fait, des dames revendent leurs bijoux de famille et des petites vieilles proposent pour deux sous les malheureuses fleurs ou fraises de leur jardin place de Moscou ou dans les couloirs du métro… Entre les uns et les autres, entre les nouveaux privilégiés et les nouveaux pauvres, il n’y a rien. Un no man’s land humain !

Mais les inégalités ne sont pas tout. Mais quelle indifférence ! Chacun pour soi. « Les autres, ce n’est pas mon problème ! Et l’Etat qui n’est qu’un voleur, encore moins. » Solidarność ? Le mot est polonais, mais il avait autrefois un très grand poids sous le ciel de Budapest (szolidárítás, összetartás). Fini, tout cela. Et c’est paradoxalement dans l’ancienne société dite « d’avant l’ouverture » (!…) que l’on trouvait cette convivialité, cet humour et cet esprit d’entraide si caractéristiques. Si les mots ont une âme, paix à l’âme de ces beaux mots-là.

Au moins, dira-t-on, c’en est fini du socialisme. Justement non ! Car, vingt ans après la chute du Mur, les habitudes restent bien ancrées : files d’attente aux guichets, paiement des factures (et de la majorité des salaires) en liquide, multiplication des fonctionnaires (quatre contrôleurs en tenue négligée à chaque entrée de métro, vigiles du troisième âge dans les administrations), policiers la cigarette au bec, etc. On peut d’autant moins leur en vouloir que ces malheureux sont payés au lance-pierre. Qu’on me permette cependant d’être dubitatif lorsque mes bons amis de France vantent les vertus du changement.

Fort heureusement, bien des Hongrois conservent ces valeurs de générosité tant appréciées autrefois (qui me manquaient alors à Paris). Par leur chaleur, ceux ci (souvent les plus modestes) compensent largement le manque de convivialité des autres, même si ces derniers, malheureusement, représentent la grande masse de la population.

Si l’on ajoute, pour conclure, que ce comportement de parvenu est davantage répandu chez les jeunes que chez les anciens, on admettra qu’il n’y a guère de raisons d’être optimiste. Plaise au Ciel que je me trompe !

Photo de une : Près de l’Erzsébet híd, Budapest. Flickr, Suzanna.

Modem est servie

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Fred Vargas est au polar français ce que le fromage 0 % est à l’époisse, une version light, garantie sans matières grasses idéologiques mais aussi sans la moindre saveur. Le goût est toujours un risque et, à voir le succès des livres de Vargas, la société française, ou tout au moins sa frange petite-bourgeoise et féminine qui lit Elle et Télérama, ce risque, elle a décidé de ne plus le prendre. Quand on sait que ce genre littéraire a toujours été subversif, depuis les pères fondateurs américains (Hammett, Chandler, Thompson, Goodis) jusqu’aux « refondateurs » français des années 1970 (Manchette et Fajardie), on mesure à quel point Fred Vargas, dans son domaine particulier, participe à l’entreprise de domestication de l’esprit de révolte et à l’occultation de ce travail du négatif à l’œuvre aujourd’hui dans tous les secteurs de la réalité. Elle reconnaissait elle-même, dans un récent colloque Manchette, écrire des « polars calmants ». L’aveu est clair, l’oxymore charmant. Un polar calmant, c’est comme un centriste courageux, un socialiste avec des idées claires, un sarkozyste qui lirait des livres : il y a contradiction indépassable dans les termes.

Je sens les objections pleuvoir, le procès en sorcellerie se préparer dans les arrière-cuisines des listes associatives diverses. Fred Vargas est en effet l’objet dans le milieu du « noir » (le terme est ici aussi à prendre dans son acception mafieuse) d’un véritable culte de la personnalité. Critiquer Vargas, c’est être tour à tour réactionnaire, jaloux, méchant, alcoolique, intolérant, élitiste, stalinien (bon, j’arrête ici mon autoportrait). Et puis dire que Fred Vargas est une tiède, c’est une contre-vérité : la preuve, vont répondre les gardiens du Temple, vestales outragées de la créatrice du commissaire Adamsberg, c’est qu’elle a été l’indéfectible soutien de Cesare Battisti, auteur de romans noirs (des bons et des vrais, ceux-là) rattrapé naguère par son passé dans la lutte armée italienne des années 1970. Que les choses soient claires, l’auteur de cet article a été signataire des pétitions de soutien à Battisti qui risquait et risque toujours, en Italie, la prison à perpétuité pour des faits vieux de plus de trente ans, non avérés de surcroît. Que l’on soit d’accord ou pas sur cette question est une autre faire.

Il n’empêche, Battisti est typiquement une cause sociétale. Et le choix du sociétal (mariage homosexuel, consommation libre de psychotrope, repentance pour le passé colonial, j’en passe et des pires) est toujours, à un moment ou à un autre, un écran de fumée pour masquer le social, ce social qui gêne toujours un peu les journaux gentils de la gauche moderne et libérale et ses lecteurs qui aiment aussi le « polar calmant » : la violence des rapports de production dans le monde du travail, la précarité généralisée, la montée en flèche des crispations communautaires, la révolte des banlieues. Bref, tout ce qui a fait la matière et l’honneur du polar français des années 1980 et le fait encore parfois aujourd’hui mais de plus en plus rarement : Thierry Jonquet et Serge Quadruppani chez les anciens, Antoine Chainas ou Caryl Ferey chez les plus jeunes.

Ce divorce entre le social et le sociétal, Fred Vargas l’a illustré jusqu’à la caricature en annonçant son ralliement au Modem lors de la dernière université d’été du parti bayrouiste. Pour Manchette et Fajardie, un rebelle avait le visage de Durutti[1. Buenaventura Durruti, 1896-1936 : militant anarchiste espagnol.]. Pour Fred Vargas, il a les traits de François Bayrou. On mesure l’écart. Pour se justifier, Fred Vargas a expliqué que François Bayrou était le seul homme politique à lui avoir régulièrement apporté son soutien dans l’affaire Battisti. C’est sans doute vrai que Bayrou a apporté son soutien à Battisti. Qu’il ait été le seul est en revanche une jolie contre-vérité. Que je sache, le PS, le PCF, la LCR n’ont pas appelé à une collaboration inconditionnelle avec la police de Berlusconi. Ça se serait entendu, non ?

En réalité, le choix politique de Vargas est en parfaite harmonie avec ses romans. Il est tout simplement celui de l’hypocrite embourgeoisement d’une certaine gauche libérale-sociale qui veut le beurre de la bonne conscience progressiste et l’argent du beurre d’une politique fiscale qui ne soit point exagérément redistributive. Au-delà d’un certain montant de droits d’auteur, on veut bien soutenir Battisti mais pas financer le RSA.

Faut pas déconner.

Saint Maclou, priez pour nous

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On a changé le papier peint dans le salon, mais on a laissé les meubles en place. Onze mois après sa création, causeur change de forme pour être plus lisible et accessible. Une “Une” plus développée, de nouvelles fonctionnalités, une barre de navigation facilitant la lecture de tous les articles en ligne : nous vous invitons à découvrir (et à faire découvrir) la nouvelle version de causeur.fr.

On demande d’urgence grand écrivain catholique

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Son Excellence Bernard Kessedjian, ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, est passé de vie à trépas au mois de décembre dernier, laissant vacant l’un des postes les plus convoités de la diplomatie française. Les péripéties qui viennent d’aboutir à un accord entre le Quai d’Orsay et le Vatican sur la nomination à la villa Bonaparte de Stanislas Lefèbvre de Laboulaye, actuel ambassadeur à Moscou, méritent d’être rapportées.

Ce poste diplomatique permanent, le plus ancien de tous, puisqu’il fut établi en 1465 sous le pontificat de Paul II et le règne de Louis XI, n’est pas tout à fait comme les autres. Il ne suffit pas, pour qu’un ambassadeur soit agréé par le Vatican, qu’il n’ait pas manifesté d’anticléricalisme outrancier au cours de sa carrière. L’usage veut que les pays de tradition catholique choisissent, pour les représenter à Rome, des personnalités dont la religion, les mœurs et le comportement correspondent aux critères en vigueur au sein de l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Pas question donc, pour un protestant, un juif ou un franc-maçon d’aller baiser la mule du pape au nom de la France, et les postulants sont priés d’ajouter à leur CV un certificat de baptême, leur photo en premier communiant, et une attestation de moralité signée par le  curé de leur paroisse.

Tout frais nommé chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran, Nicolas Sarkozy a cru qu’il était devenu suffisamment pote avec Benoît XVI pour procéder à une « modernisation » de la relation diplomatique franco-vaticane. Prenant acte du fait que l’évolution de la société avait fini par atteindre le Quai, et qu’il devient de plus en plus difficile de trouver dans cet éminent vivier de talents un hétérosexuel monogame et père de famille, Sarkozy s’est dit que, maintenant, c’était à Rome de faire un effort. Pour lui faciliter la tâche, on se mit en quête d’un « grand écrivain catholique », une espèce dont la France fut jadis grande productrice. Un genre de Paul Claudel ou de François Mauriac, même divorcé deux ou trois fois devrait amener les Monsignori à faire montre d’indulgence et de charité chrétienne. Seulement voilà: on a beau parcourir le VIe arrondissement de long en large, draguer au Flore, au Twickenham[1. Je me dois de dire l’atroce vérité à Luc : cela fait des années que le Twickenham a disparu au profit d’un marchand de chaussures (ou peut-être de robes ?). EL.] ou à la Closerie des Lilas, le « grand écrivain catholique » est devenue une espèce aussi rare que le gorille des montagnes au Rwanda. Faute de grives, il faut donc se contenter de merles, et le choix présidentiel se porta sur le très chiraquien Denis Tillinac, qu’on voit plus au bistrot qu’à l’église, mais dont on est sûr qu’il n’est ni juif, ni homo.

Le verdict romain fut sans appel : recalé ! Le Corrézien divorcé et remarié ne traînera pas ses brodequins crottés sur les beaux tapis du palais Saint-Pierre. Le Quai d’Orsay proposa donc un diplomate exquis, compétent et expérimenté, assidu aux offices dominicaux, dont nous tairons le nom par discrétion. Recalé ! Le monsieur en question se vante trop ouvertement d’être de la jaquette, pas de celle qu’on revêt pour les grandes occasions, mais celle qui désignait jadis les tarlouzes. Et c’est ainsi que l’on a fini par déshabiller Moscou pour habiller Rome, un comble à la veille de l’hiver !

Cet échec de Nicolas Sarkozy, qu’Edwy Plenel, pourtant à l’affût, a omis de stigmatiser, nous incite à lancer un appel au monde des lettres et de l’édition : nous avons besoin, pour l’avenir d’un et même de plusieurs grands écrivains catholiques, pour constituer une réserve d’ambassadeurs au Saint-Siège ! On devrait, pour cela, fonder les « petits écrivains à la croix de bois » à l’image des choristes de Mgr Maillet. Le premier qui dit « pédophile » a un gage.

Henri Proliks

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Le peintre Jacques-Louis Vabre connut des jours plus inspirés que celui où il portraitura Henri Proliks assis à sa table de travail en 1825. Si la facture de cette huile sur toile ne tranche pas sur le reste de l’œuvre, le sujet figuré retiendra en revanche toute notre attention : Henri Proliks était l’officier de plume de Charles X, chargé d’écrire discours, sms et lettre d’abdication. Satisfait de ses services, le roi l’a anobli en 1827 en lui conférant le titre de « Premier pantomime de la Cour ». Il ne donna malheureusement aucune représentation silencieuse.

Jacques-Louis Vabre, Henri Proliks, Premier pantomime royal, huile sur toile, 1825. Œuvre perdue lors de l’emménagement de Georges-Marc Benamou à la Villa Medicis.

Rouillan est un con

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Le pathos a encore frappé. Ceux qui hier encore débinaient Ségolène à longueur d’éditos pour sa grandiloquence montent à leur tour aujourd’hui sur leurs grands chevaux de bois pour bouter Jean-Marc Rouillan hors de sa liberté conditionnelle. Ce n’est plus moderne contre moderne, mais crétin contre crétin.

Crétin, Rouillan l’est assurément mais, à sa décharge, il l’a toujours été. Et c’est heureux : à la fin des années 70, la faiblesse de ses analyses, la pauvreté de son argumentation et le ridicule de ses postures ont dissuadé des bataillons entiers de vandales politisés et cultivés de sombrer dans un terrorisme qui n’allait pas rester longtemps d’opérette. Au passage, grâces soient rendues à Guy Debord, qui, dénonçant l’embrouille dès les premiers pseudo-faits d’armes d’Action Directe (le mitraillage pour de rire du siège du patronat français, le 1er mai 1979) a considérablement réduit les perspectives d’expansion de la PME naissante.

Oui, Rouillan était un crétin, considéré comme infréquentable par le gratin du terrorisme européen. Pour en avoir la preuve formelle, on pourra consulter sur le net ses œuvres philosophico-politiques complètes, un indescriptible frichti stalino-libertaire. Grâce à l’inanité insondable de Rouillan, son grandiose projet de Brigades Rouges à la française ne sortira jamais du cercle restreint de ses groupies.

Crétin, Rouillan l’est resté. Après sa capture, au lieu de faire comme tous les condamnés politiques qui se respectent et de lire et relire tout Balzac, Dumas et Dickens, il a dû sûrement passer sa détention à faire des mots fléchés ou à potasser Pif Gadget, le Monde Diplo ou Le Marxisme pour les nuls. Les interviews qu’il a données depuis sa semi-libération sont toutes à l’aulne de ce bagage théorique. Du blabla de lycéen altergauchiste standard : les capitalistes sont méchants, les Américains très méchants et Sarkozy est aux ordres des capitalistes américains. Lisez l’interview qu’il a accordée à L’Express : 95 % de ce qu’il y déclare pourrait être signé, non seulement par Besancenot mais aussi par José Bové, Clémentine Autain ou Manu Chao. On notera que les journalistes à qui il veut bien confier ses états d’âme ont tous la politesse de ne pas l’interroger sur les questions sujettes à dérapage incontrôlé (11 septembre, Afghanistan ou Proche-Orient, par exemple). Restent les 5% qui fâchent (et qui, très accessoirement, font vendre). En tout et pour tout, deux passages ont suscité la colère (on ne parlera pas de convoitise) des confrères et l’indignation du Parquet, les voici.

Tout d’abord Rouillan déclare : « En tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée à un moment du processus révolutionnaire est nécessaire. » Tu parles d’un scoop ! On peut en penser ce qu’on veut, mais si ce propos, un B-A BA de la vulgate révolutionnaire, est intrinsèquement condamnable, alors il faut interdire immédiatement à la vente tout Marx, tout Gramsci, tout Althusser (et au passage, expurger de nos bibliothèques Brecht, Sartre, Pasolini et quelques autres). N’empêche cette banalité accouche d’une montagne d’indignations, la plus symptomatique étant sans doute celle de Gérard Carreyrou dans France Soir : « Quelles que soient vos précautions, Christophe Barbier, vous avez hélas concouru objectivement à l’apologie de la lutte armée et du terrorisme, et je le regrette pour L’Express. » Barbier, en QHS avec Rouillan ? C’est beau la confraternité… On notera aussi, chez des gens moins suspects de racolage public, que Le Monde donne une citation tronquée donc fausse de Rouillan à qui Alain Salles et Sylvia Zappi font dire – entre guillemets ! –, qu’il est « convaincu que la lutte armée reste nécessaire ». Tant pis pour l’exactitude, sans doute une question de place…

Le deuxième passage qui fâche intervient quand Gilles Rof, de L’Express demande explicitement à Rouillan : « Regrettez-vous les actes d’Action Directe, notamment cet assassinat ? » Sa réponse est millimétrée, chacun de ses mots a sans aucun doute été relu cent fois par ses avocats et ceux de l’hebdomadaire : « Je n’ai pas le droit de m’exprimer là-dessus… Mais le fait que je ne m’exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu’on avait fait, je pourrais m’exprimer. » C’est clair, c’est net : Rouillan ne dit pas qu’il a des regrets, il ne dit pas qu’il n’en a pas, il rappelle qu’il n’a pas le droit de répondre à cette question. Et il ajoute que s’il reniait tout son passé, on ne lui en tiendrait sans doute pas rigueur. Point barre. Ce que, pourtant, sur son blog de RTL.fr Nicolas Poincaré traduit instantanément par « Jean-Marc Rouillan ne regrette rien. Avant d’ajouter pour notre plus grande joie : « Son interview dans L’Express pourrait le réenvoyer (sic) en prison… »

Je ne sais pas si c’est à l’école communale ou à l’école de journalisme qu’il faudrait renvoyer Nicolas Poincaré et tous ceux qui ont décidé par bêtise ou par commodité de faire monter la mayonnaise en faisant dire à Rouillan autre chose que ce qu’il avait dit.

La meilleure façon de neutraliser Rouillan, c’est de le laisser déballer dans son coin son préchi-précha anti-impérialiste, et de ne pas se gêner pour s’en moquer. A contrario, remettons-le pour de bon au cachot, et on verra apparaître dans la semaine des T-shirts Rouillan dans les cours des lycées.

Electrons libres

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Il y a quinze jours, l’Iran et la Syrie, deux pays en conflit ouvert avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à cause de leurs programmes nucléaires, ont créé la surprise en posant leurs candidatures à l’un des 35 postes de gouverneurs de l’agence onusienne. Depuis les Iraniens ont décidé de se retirer de la course, laissant la Syrie et l’Afghanistan se disputer ce poste. Avec de tels pays contrôlant la diffusion des technologies nucléaires, l’avenir du monde semble plus sûr que jamais : nos descendants pourront dormir sur leurs deux oreilles, voire sur trois ou quatre…

Mince, des obèses !

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Les pouvoirs publics avaient cru un instant que la mort de Carlos leur accorderait un répit et que celle de Luciano Pavarotti éloignerait durablement la main du péquin moyen du paquet de chips. Rien pourtant ne semble altérer la marche des choses : imperturbablement le Français prend du poids.

Dans quelques années, les enfants ressembleront aux petits baleineaux échoués dans le Middle West et alentours. A dix ans, ils exhiberont, de part et d’autre de leur petit corps boursouflé, les bourrelets de Michael Moore. Au Monde diplo, on s’en réjouit déjà. Rue des Saints-Pères, les bien nommées éditions Grasset ont déjà réceptionné le nouvel essai géopolitique d’Alexandre Adler : Peser dans le monde. Chez Jacques Attali, on écrit un rapport prescrivant la libéralisation du marché de la liposuccion : « Le jour est bientôt venu où il sera aussi difficile de se faire retirer les tissus adipeux que de trouver un taxi à Paris. Nous déconseillons de traiter le mal à sa racine : cela freinerait durablement la consommation et provoquerait le licenciement d’innombrables clowns Ronald McDonald. En revanche, avec l’ouverture au plus grand nombre de l’exercice de la chirurgie plastique et réparatrice, la culotte de cheval deviendra un gisement d’emplois important. »

Le gouvernement français n’a pas voulu attendre que les prophéties de Jacques Attali se réalisent. Il est, quand même, l’un des rares futurologues français à ne s’être jamais trompé ni sur le futur ni sur le passé – il a juste un léger différé avec le présent. Une angoisse terrible a étreint François Fillon : celle de voir la France bientôt peuplée de petits Philippe Séguin en culotte courte. Qu’y a-t-il de plus terrible que d’essayer de distinguer entre deux amas de graisse les yeux chagrins d’un enfant obèse ? Le Premier ministre a essuyé la larme qui déjà perlait sur sa joue, recoiffé d’une main experte sa mèche, puis commandité une mission parlementaire afin de lutter contre l’obésité[1. Apprenant cela, Philippe Séguin, son ancien mentor, a recommandé une double Quatre Fromages à la pizzeria Pino des Champs-Elysées.]. Du Weight Watchers à échelle nationale.

Pendant plusieurs mois, cette mission a auditionné tout ce que la France comptait en spécialistes de la nutrition, y compris le chef du restaurant du Sénat, dont la recette de racines de pissenlits est approuvée internationalement par de nombreux diététiciens. Les parlementaires se sont accordés sur un point : la surcharge pondérale rend gros. Sur le reste, le débat a révélé des lignes d’opposition conséquentes : « On pourrait ravoir du pain ? », « Touche pas à mes frites, y en avait pas dans ton menu ! », « Qui reprend un pousse-café ? ». En fin de compte, ils ont rendu un rapport prescrivant la taxation des produits gras et sucrés. Généralement, lorsqu’un homme politique ne sait pas quoi faire face à un problème, il crée une nouvelle taxe. C’est ce qu’on appelle un réflexe pavlovien. Mais ici ce n’est pas tout à fait le cas. On peut même supputer que les parlementaires avaient abusé sur le digestif lorsqu’ils ont proposé d’instaurer plusieurs taux de TVA indexés sur la composition en lipides et en sucre ajouté des produits alimentaires.

Quittons la buvette de l’Assemblée et descendons dans la vraie vie. Imaginez votre épicier de quartier, celui chez lequel vous allez vous approvisionner chaque fois que vous décidez d’arrêter de financer la holding monopolistique qu’est la grande distribution en France – de toute façon, à 20 heures, c’est fermé chez Holding. Mohammed – c’est son nom[2. En allemand, Mohammed se dit Yilmaz ou Hakan. C’est selon.] – sait qu’il ne faut pas s’être fait empapaouter à la London Business School pour comprendre que, dans l’épicerie, pour gagner plus il faut ouvrir plus tard. Vous lui prenez quatre tranches de jambon, une plaquette de beurre, une baguette et des cornichons. Comme précisément Mohammed n’a pas fait HEC, il lui faudra quarante-six minutes pour déterminer le taux de TVA adaptable à chaque produit que vous lui achetez, avant de vous rendre la monnaie.

Voilà la réalité des choses. C’est visiblement ce qui a poussé Roselyne Bachelot, ministre française de la Santé, à refuser sans appel cette taxation à la gueule du produit. Pas question de discriminer lipides et glucides !, a déclaré celle qui, jour après jour, tente de devenir le sosie de Maïté. Elle sait que plus c’est gras meilleur c’est, qu’en été il faut manger beaucoup et qu’il vaut mieux faire envie que pitié. Maintenant que la question des plus de deux cents livres a été traitée avec brio par le gouvernement, les parlementaires n’ont plus qu’à s’occuper des anorexiques.

Réseau d’espionnage

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Après avoir lancé une campagne d’embauche en direction des gays, le MI6 a décidé de recruter sur Facebook. Plus de 1200 Internautes (dont votre serviteur qui a toujours rêvé de rencontrer Miss Moneypenny) ont adhéré au groupe « Secret Intelligence Service » mis très officiellement en place sur le réseau social. Pour sa part, selon nos informations, la DGSE aurait décidé, si ses lignes budgétaires le lui permettent, d’ouvrir avant 2012 un service Minitel.

La madone et les trotskystes

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Trop forte, Ségo ! Par un étonnant phénomène de sidération collective, tous les observateurs patentés de la planète socialiste, se sont transformés en critiques de spectacles ou chroniqueurs religieux à l’issue du maintenant fameux rassemblement du Zénith à Paris, le 27 septembre. Eva Peron ou Florence Foresti ? Télévangéliste ou « bergère » d’un groupe du Renouveau Charismatique ? Telles sont désormais les petites controverses qui agitent le microcosme politique et médiatique à propos des nouvelles aventures de la présidente du Conseil régional Poitou-Charentes.

Tant et si bien que personne, ou presque, n’a pris la peine de replacer cet événement dans l’évolution de la mouvance ségoliste depuis la campagne présidentielle de 2007.

Dans sa forme, ce one woman show encadré de prestations artistiques s’inscrivait parfaitement dans la continuité du meeting de Charléty de mai 2007 : on avait déjà pu y déceler une tendance à la transmutation du discours politique classique en un prêche visant à provoquer un élan émotionnel au sein de l’assistance. Sans tenir le moindre compte des critiques formulées au sein du PS sur cette dérive mystico-populiste, Ségolène en remet une couche dix-huit mois plus tard, provoquant les barrissements indignés des éléphants nourris au lait de la rhétorique républicaine traditionnelle.

Derrière l’encens et les paillettes, au delà d’un « relookage » de l’héroïne de la soirée digne d’une émission de télé populaire, on pouvait néanmoins discerner un net virage gauchiste dans le peu de contenu politique de son adresse au public. Exit « l’ordre juste » et l’exaltation du drapeau tricolore d’une campagne présidentielle qui a puisé dans le sac à idées chevènementiste ; place à « l’interdiction des licenciements et des délocalisations » et à la glorification de la « France métissée ». Adieu Bayrou, bonjour Besancenot !

La nouvelle Ségo, celle qui a été présentée au peuple le 27 septembre, n’a pas seulement changé de coiffure. Elle a également abandonné la stratégie de l’alliance avec un centre introuvable pour adopter la ligne proposée par un Julien Dray revenu au bercail : la constitution d’un front « arc en ciel » de Bové à Bayrou, étant bien entendu que le nom de Bayrou n’est cité que pour l’obliger à décliner cette offre malhonnête.

C’est donc le grand retour, dans le clan Ségo, de la phalange des anciens trotskystes, des Sophie Bouchet-Petersen, Julien Dray et Edwy Plenel. Ce dernier, déjà intervenant remarqué il y a quelques mois dans un rassemblement du club ségoliste « Désirs d’Avenir », s’est à nouveau montré parmi les pipoles présents au Zénith. La marque intellectuelle de ce trio, dont les cadres de pensée sont restés intacts malgré leur éloignement de l’appareil organisationnel de la LCR, se lit assez facilement dans le nouveau cours pris par la mouvance royaliste. Ainsi la litanie d’oxymores ( Il y a eu la « riante » primaire, la « courtoise » présidentielle, les « gentils » coups bas, les « tendres » attaques, les « doux » cambriolages, les « amicales » pressions et les charmantes épreuves personnelles…), point d’orgue du discours de Ségolène, avait pour objectif de la constituer en victime persécutée par tous les « dominants » de l’ordre social en place, qu’ils se trouvent à l’Elysée, rue de Solferino, et même au sein de sa propre famille fracassée. La dichotomie dominants/dominés instituée en paradigme de la pensée et de l’action n’induit pas seulement une critique politique de l’adversaire, mais sa délégitimation morale : il suffit d’écouter les billets hebdomadaires d’Edwy Plenel sur France Culture pour savoir distinguer les bons des méchants. Aux noirs desseins des étrangleurs de la démocratie, Bush, Sarkozy et consorts, s’opposent les aspirations au Beau, au Bien et au Vrai des damnés de la terre, méchamment traités de « barbares » par un Occident arrogant. J’exagère à peine…

Ce virage à gauche n’est pas le résultat d’une soudaine illumination qui serait venue à Ségolène telle la flamme de la Pentecôte au dessus de la tête des apôtres. Il participe d’une stratégie visant à demeurer en scène même si le congrès de Reims se solde par la victoire de son principal concurrent, Bertrand Delanoë. La mobilisation à son profit du « parti d’en bas », plus à gauche que les hiérarques et les notables, vise à maintenir une pression en sa faveur jusqu’à la nouvelle primaire de désignation du candidat à la présidentielle de 2012. Dans l’hypothèse où Bertrand Delanoë deviendrait premier secrétaire en novembre, il ne pourra pas compter sur le ralliement du clan royaliste. Et si, comme c’est probable, les élections européennes de juin 2009 se traduisent par une poussée des partis protestataires au détriment du PS et de l’UMP, on verra monter, au sein du PS, l’exigence de la constitution d’une nouvelle alliance avec une extrême gauche consolidée et des Verts triomphants, largement dominés par les altermondialistes et les gauchistes reconvertis. Si, au bout du compte, Delanoë sombre dans cette galère, il restera ensuite à faire barrage au retour de « l’exilé » Dominique Strauss-Kahn, dont la cote de popularité fait de l’ombre à la madone. Alors, ce sera feu sur le droitier, l’homme des privatisations et de la soumission au grand capital !

Il y a un peu plus de vingt ans, en Angleterre, un quarteron de trotskystes culottés parvenait à s’emparer d’importants leviers de commande au sein du Parti travailliste, mettant en avant un idiot utile », Michael Foot, comme candidat au 10 Downing Street. Résultat : une décennie de pouvoir sans partage pour Margaret Thatcher, jusqu’à ce que Tony Blair expulse sans ménagement les héritiers de feu Lev Davidovitch des rangs du Labour. Nicolas Sarkozy n’était pas présent physiquement au Zénith, mais toutes ses pensées, durant cette soirée, ont dû se résumer à un vibrant « Allez Ségo ! ».