Avec la crise financière, les trois valeurs en pointe ces derniers jours dans le CAC40 sont : Vallourec, Danone et Pernod-Ricard. Le premier groupe fait dans la pipeline, le deuxième dans le yaourt et le troisième dans un liquide qu’il serait imprudent de citer ici sous peine de passer sous le coup de la loi Evin. De là à conclure que les golden boys de la place de Paris ont laissé tomber la coke pour se mettre au pastis…
Edwy les bons tuyaux
On allait voir ce qu’on allait voir – les bons innocentés, les méchants confondus et le grand journalisme enfin incarné comme il le mérite. Une fois encore, Edwy Plenel allait porter le fer dans la plaie. L’homme qui, avec le Rainbow Warrior, avait fait trembler la République mitterrandienne sur ses bases, allait, avec Clearstream, porter un coup décisif à l’infâme Etat sarkozyste. Car cela vous a sans doute échappé mais MédiaPart est le « seul journal ou presque dont Sarkozy n’est pas le rédacteur en chef ». Et vlan, prenez vous-ça dans les dents, bandes de laquais du sarkozysme. Bon, passons sur cette gracieuseté confraternelle. Et passons itou sur l’étrange coquetterie qui consiste à qualifier de « journal » un site Internet – il parait même que c’est la consigne donnée aux journalistes qui ont rejoint le bateau plénélien : ils doivent se présenter comme travaillant pour le « journal MédiaPart ». Ce refus obstiné de prendre en compte, fût-ce pour la contrer, la spécificité d’un média électronique, n’est peut-être pas pour rien dans les difficultés de l’entreprise. L’ancien patron du Monde peine en effet à engranger des abonnements – l’internaute ayant été habitué à tout avoir sans rien payer, ce qui est, cher lecteur, bien fâcheux. Mais je m’en voudrais de vous gâcher l’humeur avec un pensum sur l’avenir de la presse en ligne.
Revenons à la prestation du journaliste le plus moustachu de France (depuis que Jean-François Kahn a honteusement déserté ce champ de bataille) sur le plateau de Ripostes, émission de débat animée par l’omniprésent Moati, le type qui a parfois l’air de trouver que ses invités sont de trop. Donc, dimanche, à la fin du débat consacré au capitalisme (ça coco, c’est une idée), Plenel est venu faire un petit tour de piste. Pas bien compris s’il s’agissait d’un « one shot » ou d’un numéro récurrent. C’est le genre de bonnes manières qu’on se fait entre gens du même monde. Au passage, on observera (pour s’en réjouir) que les journalistes sont des patrons comme les autres : il ne viendrait à l’idée de personne de leur tenir rigueur de leurs échecs. Qu’Edwy et ses anciens copains aient laissé Le Monde dans un état déplorable, humainement et économiquement, et que quelques casseroles de première qualité tintinnabulent derrière leur dos, n’empêche nullement qu’ils soient, tels des oracles, invités par les confrères respectueux à émettre des jugements profonds et définitifs et peut-être appelés à occuper de hautes fonctions dans le paysage médiatique. Après tout, si PPDA est victime de son indépendance, pourquoi Edwy Plenel ne donnerait-il pas des leçons de journalisme – c’est-à-dire de morale ? En tout cas, il mouille sa chemise pour sa petite entreprise : se fader vingt minutes de maquillage sans oublier le déplacement pour deux minutes et demie de passage à l’antenne, c’est héroïque.
Plissant les yeux avec ce sourire qu’on dirait adressé à lui-même, Plenel a balancé sa petite bombe sur le ton du bonimenteur qui veut écouler sa camelote (enfin, c’est mon avis perso). Il est frais, mon scoop ! Ne ratez pas mon scoop ! Mesdames et Messieurs, la « petite surprise » de MédiaPart. « Attendez-vous à savoir que dans l’affaire Clearstream, Dominique de Villepin est innocent et que tout cela n’a été qu’une exploitation de l’actuel président de la République pour tuer son rival. Le procureur de la République, un type assez honnête (sic), devrait recommander le non-lieu. » On ne sait pas si le Proc a apprécié le compliment. En tout cas, il n’a pas fait comme Edwy avait dit, ce salaud. Il a recommandé le renvoi de l’ancien Premier ministre devant le tribunal correctionnel pour « complicité de dénonciation calomnieuse ». Pas si honnête que ça, ce type.
Il n’est guère facile de se prononcer sur le fond de cette ténébreuse affaire. Le conte présentant le président de la République comme l’innocente et pure victime des manigances d’un rival est bien joli mais pas absolument convaincant. Disons qu’il l’a au minimum aidé à s’engluer dans ce dossier dont on a du mal à décider s’il relève de la cour de récré ou de la Haute Cour, des Pieds Nickelés ou de la tragédie du pouvoir. Après tout, à défaut de respirer l’élégance, on peut penser qu’il est de bonne guerre de profiter des conneries de son adversaire – il faut se rappeler que pendant la période d’incubation de l’affaire, Villepin semblait représenter une menace pour les ambitions sarkozystes. Rappelez-vous, c’était la période « corps d’athlète sorti des ondes » et « voix de la conscience universelle » face à la puissante Amérique. Même pas peur, le Galouzeau. C’est ce Villepin épique, lyrique et théâtral, ami des damnés de la terre, qui a séduit Plenel, et, depuis, tous les grands journalistes de gauche qui ne tarissent pas d’éloges pour ce ministre-poète. Bon, il n’est pas exclu que le poète n’ait pas toujours dédaigné de s’intéresser à des affaires de basse police. Laissons comme dit l’autre la Justice faire son boulot.
Cette embrouille suggère d’ores et déjà une fort intéressante question. Reste à savoir comment Plenel s’est fait refiler ce tuyau crevé. Si j’avais mauvais esprit, je pourrais imaginer que son ami Villepin l’a utilisé pour essayer de faire pencher le Proc du bon côté. Et j’ajouterais qu’il a déjà fait le coup à son autre ancien grand ami Franz-Olivier Giesbert (on se rappelle que c’est Le Point qui a lancé avec une « une » retentissante cette « Affaire d’Etat »). Je dirais encore que si ces deux là, qui ne sont pas des perdreaux de l’année, se sont fait rouler dans la farine, c’est qu’il doit savoir y faire, le Villepin, et qu’il y a peut-être chez cet homme-là plus de Fouché que de Napoléon. Mais comme je n’ai pas mauvais esprit, aucune pensée de ce genre ne m’effleure.
Résultat, il a l’air malin, le grand journaliste d’investigation avec son tuyau crevé. (Encore que la naïveté dont il semble avoir fait preuve le rend assez sympathique.) Inutile cependant, de s’en faire pour lui. Sa bombe s’est révélée être une boule puante, d’accord. Mais qui aurait le mauvais goût de le lui reprocher ? Pas moi en tout cas. Après tout, si Villepin, c’est Dreyfus, comme l’a fort sérieusement affirmé son avocat, il a trouvé son Zola.
Ne tirez pas sur l’instit
Encore une enseignante qui se suicide… Certes, peut-être est-ce imputable à des causes extra-scolaires. Mais tout de même, je commence à m’inquiéter sérieusement. Si, depuis Budapest, j’ai bien suivi l’actualité, j’ai cru comprendre qu’en France, tout professeur qui remet à sa place un élève grossier se voit mis au ban des accusés. Accusés au sens propre : l’un d’eux, pour avoir mouché un morveux qui l’avait insulté, s’est vu condamné à une amende… Autrefois, c’est moi qui avais la trouille quand il fallait faire signer les bulletins de colle par les parents (encore que les grands frères savaient bien imiter la signature, solidarité oblige…). Aujourd’hui, c’est le contraire. Mais peut-être n’ai-je rien compris…
Nmi publik !
Que les puristes ne s’étranglent pas à la lecture du texte que nous publions ici et qui, une nouvelle fois, justifie à lui seul la maxime de Vauvenargues : « La netteté est le génie des maîtres. » Si nous avons fait le choix de publier la version originale du texte Nmi publik, un échange de SMS qui, légèrement retouché, vient de paraître sous le nom Ennemis publics chez Flammarion, c’est pour célébrer les vertus d’un livre qui met définitivement au rancard les diverses tentatives de correspondance littéraire qui avaient eu lieu jusqu’à ce que Michel Houellebecq et Bernard Henri Lévy ne s’y essaient eux-mêmes. Héloïse et Abélard pour les uns, Stone et Charden pour les autres, ils réinventent enfin le genre du Dialogue, si mal traité depuis Platon.
Nous remercions M. Nestor B., employé de surface aux éditions Flammarion, d’avoir bien voulu nous transmettre le tapuscrit, dont nous vous livrons le contenu intégral.
MH : Té ou ?
BHL : Monopri, je fé dé kourses
MH : Monopri ou Tbilissi ? 😉
BHL : Fauchon c trop cher, bekoz pouvoir dachat. C la merd 🙁
MH : lol
BHL : Dekonne pa ! En + Passouline a pri devant moa le dernié baril de lessive en promo !
MH : 100 dek ? Les kritiks c vréman ke des gran cadavr à la renvers !
BH : Des faSSiSS ki kaSS lé petit métié ! Tous des ruSS ! et nou on est lé dernié géorgi1 !
MH : Me sens ossi o7. Pourkoi tan de n ? J’m kan tu penses : on diré du Nitche minimum. Tu peu m fer une foto de toa et tu m’envoie en MMS ?
BH : Nan, je ressembl pa a mon image ! Et toi tu t’en sor comman nivo power dachat ?
MH : Moa g la posiblité d’allé à Lille. C moins cher. Tu veux ke je fass une foto et je t’envoi en MMS ?
BH : Nan, tu ressembl pa à ton imag ! Alor, té livres se vendent plus ?
MH : Nan g sui obligé de fer un film
BHL : Galer !!! G ossi du passé par là ! Tu vas te fer détruir par la press
MH : G c. Ai eu idé sortir avec dr gynéco pour fer couv gala é voici. Mé c t deja pri par lot kone 🙁
BHL : T papd purtan ?
MH : Koa ?
BHL : TPAPD ??
MH : Ah ! T ouf toa !!! Bi1 sur ke nan mé me fo du frik ! Fodré kon fass un bouk1 !!!
BHL : Ok, ca péra le chan a ariel !
MH : Du champ ?
BHL : Nan, nan, des kours de chan pour fer des disk
MH : Ok ok ! Ta 1 ID de bouk1 kon pouré fer ?
BHL : Attan y a teresa kremsi ké a Monopi
MH : Ok ! Tu fé une foto de teresa et tu m’envoi en MMS ?
BHL : Nan, elle ressemb pas à son imag !!!
MH : El di kwa ?
BHL : El é ok pour édité lé fon de tiroir
MH : 🙁 Deja fé. G plu ri1
BHL : El di kon na ka publié nos sms
MH : Demande lui pour nos MMS !
BHL : El veut pas, el di kon ressembl pa à not imag
MH : G aussi list de kourses, el pran ?
BHL : El pran tou, sauf MMS paskon ressembl pas à not imag
MH : Pfffft
BHL : Raplik vite ! y a promo sur lé yaour
Soljenitsyne indésirable à Paris ?
En lisant le dernier numéro de Valeurs Actuelles, j’ai appris, grâce à mon avisée (et charmante) consœur Josée Pochat, un truc qui m’a laissé sans voix. Lors de la dernière réunion du Conseil de Paris, une proposition UMP d’attribuer le nom d’Alexandre Soljenitsyne à une rue de la capitale a failli être rejetée à cinq voix près (30 voix pour, 25 contre) ! Le maire de Paris – absent lors du scrutin – avait laissé la liberté de vote aux élus socialistes et il s’est trouvé parmi eux une majorité soit pour voter contre, soit pour s’abstenir, à l’instar des élus communistes et chevènementistes.
Le vote aurait pu ne pas avoir lieu du tout. D’après Jérôme Dubus – l’élu UMP à l’origine de cet hommage au Prix Nobel disparu le 3 août dernier – l’idée d’une place ou d’une rue Soljenitsyne a failli être enterrée par la majorité municipale dès les débats préliminaires en commission. Finalement, il semble que Bertrand Delanoë, plus fin politique que ses séides et peu désireux qu’on lui accroche cette casserole-là au fondement, a « préparé » le scrutin en Conseil de Paris de façon à aboutir à un vote ric-rac, mais positif. Mais avant d’en arriver là, les débats ont été d’une rudesse rare, et Jérôme Dubus raconte qu’il s’est cru téléporté en pleine guerre froide : « J’ai été surpris par la violence des propos tenus par les élus de gauche qui ne voulaient pas honorer l’écrivain. Ils étaient haineux, l’ont traité d’antisémite, d’ultranationaliste, lui ont reproché d’avoir soutenu le régime de Franco. » Renseignement pris, ce sont les élus du PCF qui ont porté l’accusation infâmante d’antisémitisme. La pudeur m’enjoint de ne pas épiloguer sur cette abjection. Par compassion pour ce qui fût autrefois et malgré toutes ses tares un grand parti communiste et français, je me contenterai d’un simple : « Pas ça, pas vous. » Je rappellerai néanmoins aux charlots et faux-culs qui siègent sous l’appellation communiste que, quand on marque au fer – fût-ce sur le front d’un mort – la lettre écarlate de l’antisémitisme, alors on ne s’abstient pas, on a le courage élémentaire de voter contre, sans quoi cela revient à considérer l’antisémitisme comme un point de détail.
Quant aux élus de gauche pour qui le soutien supposé de Soljenitsyne à Franco le disqualifierait pour donner son nom à une voie publique, j’espère qu’ils n’ont pas trop de suite dans les idées. Sans quoi, il va falloir débaptiser la place Charles-De-Gaulle. En juin 1970, quelques mois avant sa mort, le dernier chef d’Etat à qui le général tint à rendre visite n’était autre que Franco. Mais après tout, de Gaulle, n’était-il pas comme Soljenitsyne, un « ultranationaliste » ?
Invasion fiscale à Monaco ?
Porte-parole de l’UMP, la sympathique députée de Seine-et-Marne Chantal Brunel vient de publier sur le site du parti présidentiel, un communiqué aux accents poétiques mais belliqueux, qui risque de provoquer quelques inquiétudes chez nos voisins, et plus spécialement chez les plus petits d’entre eux. On peut y lire ceci : « Les paradis fiscaux sont une hérésie fiscale et les petites enclaves qui pratiquent ce dumping fiscal insupportable sont des cailloux dans la chaussure européenne qui empêchent la concurrence normale entre les Etats de l’UE. » La conclusion du texte est un ultimatum pur et simple : « Il est intolérable qu’un simple clic de souris permette une évasion fiscale massive dans de petits territoires limitrophes de la France. Il faut aussi s’attaquer au secret bancaire, encore pratiqué dans certains pays de l’UE. Nous devons lutter contre toutes les formes de fraude. Au moment où la crise frappe en Europe, celle-ci doit avoir une conduite exemplaire. »
De deux choses l’une : soit l’UMP lance des menaces en l’air, ce que personne n’ose imaginer ; soit un blitzkrieg se prépare contre le Luxembourg, Andorre et Monaco. Quant à la population de Jersey, elle peut encore dormir tranquille, vu l’état actuel de notre marine de guerre.
Pendant la crise, l’Affaire continue
Encore une Histoire de l’affaire Dreyfus ? La question qui viendra au lecteur, l’auteur, Philippe Oriol, se la pose d’emblée dans cette somme, dont les éditions Stock publient le premier tome dans le cadre de leur 300e anniversaire[1. Avec plus d’une centaine de livres publiés à l’époque sur Dreyfus (dont les livres de Bernard Lazare, de Clemenceau et de Dreyfus lui-même), Pierre-Victor Stock fut « l’éditeur de l’Affaire ».] Et la réponse de ce chercheur, qui évite la grandiloquence pour lui préférer un travail de fourmi, lisant tout, absolument tout des archives (brouillons de lettres compris !), est que l’Affaire fait désormais partie de nous. C’est l’un de ces événements qui appartiennent autant au présent qu’au passé, que nous traînons avec nous, lui donnant et redonnant du sens, l’interprétant, le triturant mais sans jamais arriver à le classer dans la pile des dossiers archivés – comme la journée des Dupes, le scandale de Panama ou les Trois Glorieuses.
Et puisqu’elle n’est pas près de nous quitter, ce livre de référence est plus que légitime ; il est nécessaire pour mettre de l’ordre dans les découvertes et l’évolution des interprétations. Après tout, qui s’étonnerait que l’on publie un nouveau guide touristique de l’Italie, une décennie après une édition précédente ? L’histoire, comme la géographie, cela s’actualise… Or, dans le cas de l’Affaire, il n’existe aujourd’hui que deux guides complets : celui de Joseph Reinach, acteur de premier plan dans l’affaire et qui a laissé un monumental récit en six volumes publié à chaud entre 1901 et 1908, et celui de Jean-Denis Bredin paru en 1983, c’est-à-dire plus d’une décennie avant que le centenaire de l’Affaire ne donne lieu à une avalanche de colloques, livres et articles ouvrant des perspectives nouvelles.
Mais, plus que tout, le livre de Philippe Oriol est une carte d’état-major, celle de la vaste et ténébreuse forêt des faits, documents et commentaires que constitue cette affaire longue et complexe. C’est aussi une boussole, qui rappelle certains faits indiscutables, car le polémique n’est pas seulement universitaire : un siècle après son déclenchement, « l’Affaire » n’est pas complètement dépassionnée. Ainsi, en plein centenaire de l’Affaire, explose comme un obus dans une tranchée un article paru le 31 janvier 1994, dans une publication de l’Armée de terre (Sirpa Actualités). Signé par le colonel Paul Gaujac, historien militaire et grand spécialiste de la Seconde Guerre Mondiale, ce texte met en doute l’innocence de Dreyfus. Pour l’anecdote, rappelons que lorsque le ministre de la Défense François Léotard décida de relever l’auteur de ses fonctions, l’avocat Georges-Paul Wagner posa la question dans les colonnes du quotidien Présent : « Est-il [Léotard] sûr de l’innocence de Dreyfus ? » – ajoutant que l’arrêt de la Cour de cassation de 1906 « a été pris contre toute jurisprudence ».
L’anniversaire de l’arrêt de 1906 et de la réintégration de Dreyfus dans l’armée française a, lui aussi, engendré une nouvelle polémique, dont le responsable a été l’historien Vincent Duclert, auteur d’une monumentale biographie de l’officier, (Alfred Dreyfus, l’honneur d’un patriote), qui proposait de transférer les cendres du colonel Dreyfus au Panthéon à l’occasion du centenaire. Une idée rejetée par le président de la République, qui suivait ainsi l’argument des opposants au projet, sous prétexte que Dreyfus n’avait fait que subir l’Affaire, et que son statut de victime ne justifiait pas qu’on lui rendît les plus grands honneurs de la République.
Abstraction faite de la polémique, de la querelle entre dreyfusards et antidreyfusards qui perdure et au-delà même de la politique, l’Affaire aura été une étape marquante de la culture politique de la France. Cette dimension essentielle de l’Affaire, Charles Péguy, dreyfusard de la première heure, l’avait exposée de façon prémonitoire dans Notre jeunesse : « Nous prendrons certainement cette grande crise comme exemple, comme référence de ce que c’est qu’une crise, un événement qui a une valeur propre éminente. Ce prix, cette valeur propre à l’affaire Dreyfus apparaît encore, apparaît constamment, quoi qu’on en ait, quoi qu’on fasse. Elle revient malgré tout, comme un revenant, comme une revenante. » Pour l’Eglise, les hérésies portent toutes le nom de celles qui sont apparues dans les premiers siècles de l’ère chrétienne. Pour la France contemporaine, la référence c’est l’Affaire, et elle n’est pas seulement une revenante : elle ne nous quitte jamais.
Au-delà des passions politiques et idéologiques, la France d’aujourd’hui qui n’est plus – et depuis longtemps – divisée entre dreyfusards et antidreyfusards, continue pourtant à vivre l’Affaire, car elle est devenue une référence fondamentale. Peut-on penser en France aujourd’hui sans utiliser le terme « intellectuels » (inventé par les antidreyfusards pour dénigrer leurs opposants) ? Peut-on évoquer une erreur judicaire sans parler du capitaine juif ? Enfin, peut-on être « anti » quelque chose sans se fendre d’un J’accuse ? L’Affaire a été la première manifestation de ce que l’on appelle l’opinion publique (avec médias de masse et mobilisation des consciences individuelles), qui caractérise la vie politique moderne, au même titre que le primat de l’Etat de droit sur la raison d’Etat. « L’affaire Dreyfus, poursuit Péguy, fut une affaire élue. Elle fut une crise éminente dans trois histoires elles-mêmes éminentes. Elle fut une crise éminente dans l’histoire d’Israël. Elle fut une crise éminente, évidemment, dans l’histoire de France. Elle fut surtout une crise éminente, et cette dignité apparaîtra de plus en plus, elle fut surtout une crise éminente dans l’histoire de la chrétienté. » Pour toutes ces raisons, c’est une Affaire sur laquelle il nous faut, encore et toujours, revenir. Et s’il fallait se contenter d’une seule étude sur le sujet, L’Histoire de Philippe Oriol s’imposerait.
L'Histoire de l'Affaire Dreyfus T.1: L'affaire du capitaine Dreyfus, 1894-1897
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Idées noires pour Nuit Blanche
Succès sur toute la ligne. C’est le bilan que les médias unanimes (contrairement à leur habitude…), ont dressé de la septième Nuit Blanche, merveilleuse invention jalousée dans le monde entier. Et même imitée de Madrid à Miami, de Montréal à Bucarest sans oublier Gaza dont les habitants auront eu droit, comme nous, à leur « moment de partage, de liberté, d’audace et d’ouverture », selon les termes sobres employés sur le site de la Ville de Paris. Qui oserait réclamer du pain quand les jeux sont si réussis ? La Nuit Blanche est bien plus qu’une simple manifestation culturelle – un état d’esprit et une bonne cause, un lieu de communion festive.
Tout au long de la journée pluvieuse qui a eu le bon goût de succéder à cette nuit éreintante, les journalistes n’ont pas caché leur satisfaction, décernant, au fil des journaux radio et télé, des compliments appuyés à ceux qui avaient bravé le froid : un million selon les uns, un million et demi s’enthousiasmaient les plus audacieux. À en juger par l’édito lyrique dont Bertrand Delanoë a gratifié ses administrés reconnaissants, ça valait le coup : au cas où cela vous aurait échappé (ou si vous n’avez pas la chance d’habiter une ville où résonnent « la poésie et l’émotion ») « le temps d’un rendez-vous nocturne qui rompt les traditions », « le rêve s’était installé dans la ville ». Cerise sur le gâteau, « l’espace d’un instant, des églises ont abrité l’unité des peuples libres orchestrée par la voix de Patti Smith ou les images de Javier Téllez ». Comme on vous le dit. C’est même dans l’édito du maire. Il est vrai que jusque-là les églises étaient le refuge de toutes les intolérances. À Saint Eustache, « où, apprend-on grâce à nouvelobs.com, l’art contemporain a toujours été présent et l’église fidèle à la Nuit Blanche depuis cinq ans », « l’heure était au recueillement face à l’oeuvre de Javier Téllez ». Pour les Béotiens, sachez que dans le film de ce dernier, « reliant voyants et non-voyants », on voit « cinq aveugles, cannes blanches en main, prendre contact avec un éléphant d’Asie, lui-même guidé par les friandises que laisse tomber son cornac sur le sol et que le pachyderme récolte avec sa trompe ». Je vous jure que je n’invente rien. D’ailleurs, Christophe Girard, l’adjoint à la Culture du maire de Paris, a été fort ému par l’implication des 80 bénévoles de la paroisse. Il y a huit ans, pour la première édition de cette belle manifestation, Girard rêvait de voir les Parisiens danser devant des Rembrandt (des fois qu’ils auraient eu l’idée bizarre de les contempler). Aujourd’hui, on peut se demander si la Nuit Blanche est une version festive de la Marche (belge) de la même couleur. Quoi qu’il en soit, on ne va pas bouder son plaisir devant une telle créativité mise au service de toutes les différences.
Bien sûr, on ne peut pas empêcher les rabat-joie de sévir et quelques-uns, saboteurs de bonne humeur et casseurs de réjouissances, ont préféré mettre l’accent sur la mauvaise nouvelle : « la Nuit Blanche endeuillée par le décès d’un voyageur tombé du quai du métro ». Mais pour l’essentiel, on répéta pieusement que la Nuit Blanche avait été une réussite malgré le tragique accident. Bref, une fois de plus, on put observer à quel point l’approbation est au cœur du logiciel médiatique, en particulier quand il est question de toutes les innovations concoctées par nos bons princes, fidèles héritiers du grand Surintendant aux Loisirs Jack Lang, pour nous divertir. Au sens premier de ce terme. Car ce qui crée une continuité entre les merveilleuses initiatives made in Paris que sont, entre autres, la Nuit Blanche, Paris Plage, la Fête de la Musique et la Techno-Parade (dont Marc Cohen me signale qu’elle est d’origine germano-américaine mais qui a été si bien acclimatée à Paris qu’on dirait qu’elle y a été inventée) n’est pas qu’elles emmerdent les Parisiens ni qu’elles constituent d’excellents produits d’importation, mais qu’elles participent à la même entreprise de destruction du réel. D’accord, Muray a tout écrit ou presque sur le sujet. En attendant de réaliser une avancée décisive dans la compréhension du désastre, et puisqu’il n’est pas là pour le faire, au moins peut-on souligner à quel point ce qui se passe dépasse ses pires espérances.
Le terrain privilégié de ce tour de passe-passe qui vise à nous fourguer, en lieu et place de la vieille réalité et de son cortège d’ambiguïtés, une existence de paillettes et de carton-pâte, est celui du langage. Grâce à Muray, nul n’ignore que Paris-Plage est une version moderne du « coup du Grand-Duc ». Vous longez les quais de la Seine, face à d’irréductibles bâtisses où s’est souvent jouée la tragédie nationale et, moyennant trois malheureux palmiers en plastique, quelques transats pris d’assaut et un terrain de pétanque rendu boueux par les orages, la transsubstantiation opère : « Ceci est une plage. » Avec la Nuit Blanche ou la Fête de la Musique, véritables orgies sonores auxquelles, sauf à fuir, nul ne peut échapper, on n’est plus dans un conte de fée mais dans un monde orwellien. Dans ce monde où les mots n’ont plus de sens, un infernal vacarme est qualifié de « musique », un gugusse invitant les spectateurs à reproduire ses « dégoulinures » de couleur est un artiste interactif et l’on célèbre la « convivialité » dès que des grappes humaines plus ou moins alcoolisées déambulent dans les rues sans but et sans la moindre curiosité pour les autres grappes humaines qui se livrent à la même activité – et encore moins pour les installations et autres interventions destinées à l’édification des masses.
Or, ce qui intrigue est le discours de recouvrement qui accompagne ces chatoyantes manifestations. En vérité, il y a de quoi devenir dingue. Pour commencer, vous avez supporté le pénible spectacle décrit ci-dessus et les nuisances sonores qui en découlaient. Imaginons que vers 4 heures du matin, épuisé, vous vous soyez vaguement révolté contre les fêtards qui beuglent sous votre fenêtre ou contre les petits malins de l’appartement d’en face qui ont choisi cette nuit où « la poésie et l’émotion de Paris résonnent » pour organiser une surboum et vous infligent leur mauvaise disco toutes fenêtres ouvertes – parce qu’ils veulent bien pourrir la vie d’un voisinage aussi rétrograde mais toute de même pas fumer à l’intérieur ! Dans le meilleur des cas, si vous êtes tombé sur des gens de bonne famille, ils vous ont traité de réac en rigolant, au pire, ils vous ont menacé de représailles. Après une pareille nuit, on est déjà peu disposé à aimer ses contemporains. Et voilà qu’il faut en plus endurer la propagande imbécile destinée à persuader les réfractaires qu’ils n’ont pas vécu une nuit de cauchemar mais un moment de féérie ! Assaisonnant les niaiseries que les communicants ont pondues à leur intention des témoignages de noctambules heureux qui s’émerveillent devant des lumières multicolores avec les accents satisfaits de madame Verdurin, les journalistes vous expliquent donc que le public était au rendez-vous. Peut-être faudrait-il pour la neuvième édition, envisager un exode massif de la capitale ? À vrai dire, il est sans doute inutile de se donner cette peine. Quand bien même elle se déroulerait dans une ville déserte et silencieuse, la Nuit Blanche serait présentée comme un succès – un grand moment de recueillement et de sérénité. Puisque nos oreilles n’ont pas de paupières, la seule solution est d’acquérir des boules Quiès. Mais n’ayez aucune illusion : le réel a disparu. Et il n’est pas prêt de réapparaître.
Photo de Une : Going trough walls, de Gints Gabrans, par Ollografik, flickr.
Agression antisémite dans la Loire
Devant des centaines de témoins, dont pas un n’est intervenu, onze jeunes juifs ont été sévèrement battus jeudi dernier à Saint-Etienne (42). Les coupables n’ont pas exprimé le moindre regret.
Je suis une femme, pourquoi pas vous ?
Il y a bien la crise financière, les petits cris aigus des golden boys, le malaise soudain de l’épargnant qui vient de jouer à la bête à deux dos sans y avoir consenti. Il y a bien les élections américaines qui nous renseignent sur l’état de délabrement démocratique d’un pays qui hésite encore à voter Barack Obama. Cependant, la fébrilité de l’actualité n’explique pas l’omerta qui entoure le 40e anniversaire du Mouvement de Libération des Femmes. Aucun journal n’a consacré de gros titre à la mémoire de cet événement qui pourtant bouleversa en 1968 la vie de millions de Françaises. Le fait que l’immense majorité des rédactions du pays[1. On m’objectera que la rédaction de Causeur est dirigée par une femme. Certes. Mais il reste encore à démontrer qu’Elisabeth Lévy n’est pas hyper machiste.] soit dirigée par des hommes expliquerait-il cela ? Bien sûr que oui, et cela nous rappelle que le combat est loin d’être achevé.
Les temps ne sont pas, après tout, si éloignés où nos mères, victimes du phallisme dominant, devaient subir sans broncher les assauts répétés de nos pères, qui, ivres de mauvais vin, rentraient à la maison, laissaient derrière eux l’huis clos, rabaissaient leurs braies et redoublaient d’assaut.
Bon. Mon père n’était pas de ce genre-là. Il était plutôt bonhomme et poussait la sollicitude jusqu’à faire la vaisselle un soir sur deux[2. Même dans l’accomplissement des tâches ménagères, nous conservons en Allemagne notre sacro-saint précepte : Ordnung muss sein (tout doit être en ordre).]. Mais nous autres femmes connaissons ce genre de ruse masculine : il a joué l’affable mari jusqu’au dernier jour de la vie de maman, tenant sa main jusqu’à son dernier souffle et mourant poliment une semaine après elle, uniquement dans le but de l’asservir à la morale patriarcale dans laquelle est engoncé tout l’Occident.
D’ailleurs, s’il avait été aussi prévenant, il aurait laissé maman travailler et vivre sa vie de femme libérée plutôt que de la confiner à l’élevage de quatre enfants. Sa robustesse physique en aurait fait une excellente bûcheronne, une chauffeure-routière ou l’une de ces manœuvrières du BTP qui vous creusent une tranchée comme si elles avaient fait Verdun[3. Le fait est assez peu connu en France, mais les Allemands aussi ont combattu à Verdun.] .
Grâce au MLF et à ses combats de gauche, les femmes françaises ont pu avoir droit à la contraception et à l’avortement. Peut-être que la contraception a été légalisée un an avant la création du MLF, mais n’empêche : Lucienne Neuwirth, quelle femme ! Elle était de la trempe des Olympe de Gouges et des Clara Zetkin ; et si jamais en France il devait se construire un jour un Gynécon – équivalent féminin de l’ignoble et sexiste Panthéon – Lulu y aurait bonne place.
C’est que le MLF est parti d’un bon sentiment : les hommes sont des salauds. C’est une vérité universelle. Et quiconque n’a jamais été contraint de ramasser les sous-vêtements de son mari négligemment jetés dans la salle de bains ne peut comprendre la portée philosophique d’une telle assertion.
Ce dont nous sommes encore plus sûre, c’est qu’en quarante ans le Mouvement de Libération des Femmes a pu faire avancer les choses en France : il a fallu quand même quatre décennies pour que la République passe de Tante Yvonne à Carla Bruni. On peut, sur ce point, remercier les électeurs français qui n’ont pas choisi de porter Ségolène Royal à la présidence : la France serait passée de Tante Yvonne à François Hollande. Et cela aurait été tout à fait inacceptable du point de vue féministe. Si aujourd’hui la première Dame de France peut tâter de la guitare, sans pour autant arborer les mâles bacchantes de l’ignoble Brassens, c’est à l’inlassable combat des militantes de la cause que nous le devons.
La littérature n’a pas non plus été indifférente au combat féministe[4. La société, la littérature, mais pas encore la politique qui est entachée, en France, d’un machisme primaire. Pourquoi Gérard Larcher a-t-il été élu contre Jean-Pierre Raffarin ? Parce que c’était un homme !]. En passant de Simone de Beauvoir à Christine Angot, le Deuxième sexe a enfin cédé la place à l’interrogation pertinente sur la deuxième voie, celle que veut emprunter Doc Gynéco et que Sartre ne frayait qu’accidentellement. Vive le progrès.
Il nous reste, à nous autres féministes, à poursuivre le combat. Le premier qu’il nous faut livrer, c’est le combat contre les homosexuels. Ces mecs nous font croire qu’ils ont abandonné les réflexes patriarcaux pour jouer les chochottes et tordre du cul en marchant. Ne prêtons aucun crédit aux billevesées de ces machistes qui se peignent les ongles en rouge. Même s’ils s’empapaoutent chaque dimanche devant TF1, ils restent des mecs et des salauds qui veulent nous asservir. Luttons contre.
Quant à moi, qui ai été de tous les combats, je sais, la soixantaine passée, que mon corps désormais m’appartient. Ça tombe assez mal, j’aurais bien aimé le partager un peu.
Un Ricard sinon rien
Avec la crise financière, les trois valeurs en pointe ces derniers jours dans le CAC40 sont : Vallourec, Danone et Pernod-Ricard. Le premier groupe fait dans la pipeline, le deuxième dans le yaourt et le troisième dans un liquide qu’il serait imprudent de citer ici sous peine de passer sous le coup de la loi Evin. De là à conclure que les golden boys de la place de Paris ont laissé tomber la coke pour se mettre au pastis…
Edwy les bons tuyaux
On allait voir ce qu’on allait voir – les bons innocentés, les méchants confondus et le grand journalisme enfin incarné comme il le mérite. Une fois encore, Edwy Plenel allait porter le fer dans la plaie. L’homme qui, avec le Rainbow Warrior, avait fait trembler la République mitterrandienne sur ses bases, allait, avec Clearstream, porter un coup décisif à l’infâme Etat sarkozyste. Car cela vous a sans doute échappé mais MédiaPart est le « seul journal ou presque dont Sarkozy n’est pas le rédacteur en chef ». Et vlan, prenez vous-ça dans les dents, bandes de laquais du sarkozysme. Bon, passons sur cette gracieuseté confraternelle. Et passons itou sur l’étrange coquetterie qui consiste à qualifier de « journal » un site Internet – il parait même que c’est la consigne donnée aux journalistes qui ont rejoint le bateau plénélien : ils doivent se présenter comme travaillant pour le « journal MédiaPart ». Ce refus obstiné de prendre en compte, fût-ce pour la contrer, la spécificité d’un média électronique, n’est peut-être pas pour rien dans les difficultés de l’entreprise. L’ancien patron du Monde peine en effet à engranger des abonnements – l’internaute ayant été habitué à tout avoir sans rien payer, ce qui est, cher lecteur, bien fâcheux. Mais je m’en voudrais de vous gâcher l’humeur avec un pensum sur l’avenir de la presse en ligne.
Revenons à la prestation du journaliste le plus moustachu de France (depuis que Jean-François Kahn a honteusement déserté ce champ de bataille) sur le plateau de Ripostes, émission de débat animée par l’omniprésent Moati, le type qui a parfois l’air de trouver que ses invités sont de trop. Donc, dimanche, à la fin du débat consacré au capitalisme (ça coco, c’est une idée), Plenel est venu faire un petit tour de piste. Pas bien compris s’il s’agissait d’un « one shot » ou d’un numéro récurrent. C’est le genre de bonnes manières qu’on se fait entre gens du même monde. Au passage, on observera (pour s’en réjouir) que les journalistes sont des patrons comme les autres : il ne viendrait à l’idée de personne de leur tenir rigueur de leurs échecs. Qu’Edwy et ses anciens copains aient laissé Le Monde dans un état déplorable, humainement et économiquement, et que quelques casseroles de première qualité tintinnabulent derrière leur dos, n’empêche nullement qu’ils soient, tels des oracles, invités par les confrères respectueux à émettre des jugements profonds et définitifs et peut-être appelés à occuper de hautes fonctions dans le paysage médiatique. Après tout, si PPDA est victime de son indépendance, pourquoi Edwy Plenel ne donnerait-il pas des leçons de journalisme – c’est-à-dire de morale ? En tout cas, il mouille sa chemise pour sa petite entreprise : se fader vingt minutes de maquillage sans oublier le déplacement pour deux minutes et demie de passage à l’antenne, c’est héroïque.
Plissant les yeux avec ce sourire qu’on dirait adressé à lui-même, Plenel a balancé sa petite bombe sur le ton du bonimenteur qui veut écouler sa camelote (enfin, c’est mon avis perso). Il est frais, mon scoop ! Ne ratez pas mon scoop ! Mesdames et Messieurs, la « petite surprise » de MédiaPart. « Attendez-vous à savoir que dans l’affaire Clearstream, Dominique de Villepin est innocent et que tout cela n’a été qu’une exploitation de l’actuel président de la République pour tuer son rival. Le procureur de la République, un type assez honnête (sic), devrait recommander le non-lieu. » On ne sait pas si le Proc a apprécié le compliment. En tout cas, il n’a pas fait comme Edwy avait dit, ce salaud. Il a recommandé le renvoi de l’ancien Premier ministre devant le tribunal correctionnel pour « complicité de dénonciation calomnieuse ». Pas si honnête que ça, ce type.
Il n’est guère facile de se prononcer sur le fond de cette ténébreuse affaire. Le conte présentant le président de la République comme l’innocente et pure victime des manigances d’un rival est bien joli mais pas absolument convaincant. Disons qu’il l’a au minimum aidé à s’engluer dans ce dossier dont on a du mal à décider s’il relève de la cour de récré ou de la Haute Cour, des Pieds Nickelés ou de la tragédie du pouvoir. Après tout, à défaut de respirer l’élégance, on peut penser qu’il est de bonne guerre de profiter des conneries de son adversaire – il faut se rappeler que pendant la période d’incubation de l’affaire, Villepin semblait représenter une menace pour les ambitions sarkozystes. Rappelez-vous, c’était la période « corps d’athlète sorti des ondes » et « voix de la conscience universelle » face à la puissante Amérique. Même pas peur, le Galouzeau. C’est ce Villepin épique, lyrique et théâtral, ami des damnés de la terre, qui a séduit Plenel, et, depuis, tous les grands journalistes de gauche qui ne tarissent pas d’éloges pour ce ministre-poète. Bon, il n’est pas exclu que le poète n’ait pas toujours dédaigné de s’intéresser à des affaires de basse police. Laissons comme dit l’autre la Justice faire son boulot.
Cette embrouille suggère d’ores et déjà une fort intéressante question. Reste à savoir comment Plenel s’est fait refiler ce tuyau crevé. Si j’avais mauvais esprit, je pourrais imaginer que son ami Villepin l’a utilisé pour essayer de faire pencher le Proc du bon côté. Et j’ajouterais qu’il a déjà fait le coup à son autre ancien grand ami Franz-Olivier Giesbert (on se rappelle que c’est Le Point qui a lancé avec une « une » retentissante cette « Affaire d’Etat »). Je dirais encore que si ces deux là, qui ne sont pas des perdreaux de l’année, se sont fait rouler dans la farine, c’est qu’il doit savoir y faire, le Villepin, et qu’il y a peut-être chez cet homme-là plus de Fouché que de Napoléon. Mais comme je n’ai pas mauvais esprit, aucune pensée de ce genre ne m’effleure.
Résultat, il a l’air malin, le grand journaliste d’investigation avec son tuyau crevé. (Encore que la naïveté dont il semble avoir fait preuve le rend assez sympathique.) Inutile cependant, de s’en faire pour lui. Sa bombe s’est révélée être une boule puante, d’accord. Mais qui aurait le mauvais goût de le lui reprocher ? Pas moi en tout cas. Après tout, si Villepin, c’est Dreyfus, comme l’a fort sérieusement affirmé son avocat, il a trouvé son Zola.
Ne tirez pas sur l’instit
Encore une enseignante qui se suicide… Certes, peut-être est-ce imputable à des causes extra-scolaires. Mais tout de même, je commence à m’inquiéter sérieusement. Si, depuis Budapest, j’ai bien suivi l’actualité, j’ai cru comprendre qu’en France, tout professeur qui remet à sa place un élève grossier se voit mis au ban des accusés. Accusés au sens propre : l’un d’eux, pour avoir mouché un morveux qui l’avait insulté, s’est vu condamné à une amende… Autrefois, c’est moi qui avais la trouille quand il fallait faire signer les bulletins de colle par les parents (encore que les grands frères savaient bien imiter la signature, solidarité oblige…). Aujourd’hui, c’est le contraire. Mais peut-être n’ai-je rien compris…
Nmi publik !
Que les puristes ne s’étranglent pas à la lecture du texte que nous publions ici et qui, une nouvelle fois, justifie à lui seul la maxime de Vauvenargues : « La netteté est le génie des maîtres. » Si nous avons fait le choix de publier la version originale du texte Nmi publik, un échange de SMS qui, légèrement retouché, vient de paraître sous le nom Ennemis publics chez Flammarion, c’est pour célébrer les vertus d’un livre qui met définitivement au rancard les diverses tentatives de correspondance littéraire qui avaient eu lieu jusqu’à ce que Michel Houellebecq et Bernard Henri Lévy ne s’y essaient eux-mêmes. Héloïse et Abélard pour les uns, Stone et Charden pour les autres, ils réinventent enfin le genre du Dialogue, si mal traité depuis Platon.
Nous remercions M. Nestor B., employé de surface aux éditions Flammarion, d’avoir bien voulu nous transmettre le tapuscrit, dont nous vous livrons le contenu intégral.
MH : Té ou ?
BHL : Monopri, je fé dé kourses
MH : Monopri ou Tbilissi ? 😉
BHL : Fauchon c trop cher, bekoz pouvoir dachat. C la merd 🙁
MH : lol
BHL : Dekonne pa ! En + Passouline a pri devant moa le dernié baril de lessive en promo !
MH : 100 dek ? Les kritiks c vréman ke des gran cadavr à la renvers !
BH : Des faSSiSS ki kaSS lé petit métié ! Tous des ruSS ! et nou on est lé dernié géorgi1 !
MH : Me sens ossi o7. Pourkoi tan de n ? J’m kan tu penses : on diré du Nitche minimum. Tu peu m fer une foto de toa et tu m’envoie en MMS ?
BH : Nan, je ressembl pa a mon image ! Et toi tu t’en sor comman nivo power dachat ?
MH : Moa g la posiblité d’allé à Lille. C moins cher. Tu veux ke je fass une foto et je t’envoi en MMS ?
BH : Nan, tu ressembl pa à ton imag ! Alor, té livres se vendent plus ?
MH : Nan g sui obligé de fer un film
BHL : Galer !!! G ossi du passé par là ! Tu vas te fer détruir par la press
MH : G c. Ai eu idé sortir avec dr gynéco pour fer couv gala é voici. Mé c t deja pri par lot kone 🙁
BHL : T papd purtan ?
MH : Koa ?
BHL : TPAPD ??
MH : Ah ! T ouf toa !!! Bi1 sur ke nan mé me fo du frik ! Fodré kon fass un bouk1 !!!
BHL : Ok, ca péra le chan a ariel !
MH : Du champ ?
BHL : Nan, nan, des kours de chan pour fer des disk
MH : Ok ok ! Ta 1 ID de bouk1 kon pouré fer ?
BHL : Attan y a teresa kremsi ké a Monopi
MH : Ok ! Tu fé une foto de teresa et tu m’envoi en MMS ?
BHL : Nan, elle ressemb pas à son imag !!!
MH : El di kwa ?
BHL : El é ok pour édité lé fon de tiroir
MH : 🙁 Deja fé. G plu ri1
BHL : El di kon na ka publié nos sms
MH : Demande lui pour nos MMS !
BHL : El veut pas, el di kon ressembl pa à not imag
MH : G aussi list de kourses, el pran ?
BHL : El pran tou, sauf MMS paskon ressembl pas à not imag
MH : Pfffft
BHL : Raplik vite ! y a promo sur lé yaour
Soljenitsyne indésirable à Paris ?
En lisant le dernier numéro de Valeurs Actuelles, j’ai appris, grâce à mon avisée (et charmante) consœur Josée Pochat, un truc qui m’a laissé sans voix. Lors de la dernière réunion du Conseil de Paris, une proposition UMP d’attribuer le nom d’Alexandre Soljenitsyne à une rue de la capitale a failli être rejetée à cinq voix près (30 voix pour, 25 contre) ! Le maire de Paris – absent lors du scrutin – avait laissé la liberté de vote aux élus socialistes et il s’est trouvé parmi eux une majorité soit pour voter contre, soit pour s’abstenir, à l’instar des élus communistes et chevènementistes.
Le vote aurait pu ne pas avoir lieu du tout. D’après Jérôme Dubus – l’élu UMP à l’origine de cet hommage au Prix Nobel disparu le 3 août dernier – l’idée d’une place ou d’une rue Soljenitsyne a failli être enterrée par la majorité municipale dès les débats préliminaires en commission. Finalement, il semble que Bertrand Delanoë, plus fin politique que ses séides et peu désireux qu’on lui accroche cette casserole-là au fondement, a « préparé » le scrutin en Conseil de Paris de façon à aboutir à un vote ric-rac, mais positif. Mais avant d’en arriver là, les débats ont été d’une rudesse rare, et Jérôme Dubus raconte qu’il s’est cru téléporté en pleine guerre froide : « J’ai été surpris par la violence des propos tenus par les élus de gauche qui ne voulaient pas honorer l’écrivain. Ils étaient haineux, l’ont traité d’antisémite, d’ultranationaliste, lui ont reproché d’avoir soutenu le régime de Franco. » Renseignement pris, ce sont les élus du PCF qui ont porté l’accusation infâmante d’antisémitisme. La pudeur m’enjoint de ne pas épiloguer sur cette abjection. Par compassion pour ce qui fût autrefois et malgré toutes ses tares un grand parti communiste et français, je me contenterai d’un simple : « Pas ça, pas vous. » Je rappellerai néanmoins aux charlots et faux-culs qui siègent sous l’appellation communiste que, quand on marque au fer – fût-ce sur le front d’un mort – la lettre écarlate de l’antisémitisme, alors on ne s’abstient pas, on a le courage élémentaire de voter contre, sans quoi cela revient à considérer l’antisémitisme comme un point de détail.
Quant aux élus de gauche pour qui le soutien supposé de Soljenitsyne à Franco le disqualifierait pour donner son nom à une voie publique, j’espère qu’ils n’ont pas trop de suite dans les idées. Sans quoi, il va falloir débaptiser la place Charles-De-Gaulle. En juin 1970, quelques mois avant sa mort, le dernier chef d’Etat à qui le général tint à rendre visite n’était autre que Franco. Mais après tout, de Gaulle, n’était-il pas comme Soljenitsyne, un « ultranationaliste » ?
Invasion fiscale à Monaco ?
Porte-parole de l’UMP, la sympathique députée de Seine-et-Marne Chantal Brunel vient de publier sur le site du parti présidentiel, un communiqué aux accents poétiques mais belliqueux, qui risque de provoquer quelques inquiétudes chez nos voisins, et plus spécialement chez les plus petits d’entre eux. On peut y lire ceci : « Les paradis fiscaux sont une hérésie fiscale et les petites enclaves qui pratiquent ce dumping fiscal insupportable sont des cailloux dans la chaussure européenne qui empêchent la concurrence normale entre les Etats de l’UE. » La conclusion du texte est un ultimatum pur et simple : « Il est intolérable qu’un simple clic de souris permette une évasion fiscale massive dans de petits territoires limitrophes de la France. Il faut aussi s’attaquer au secret bancaire, encore pratiqué dans certains pays de l’UE. Nous devons lutter contre toutes les formes de fraude. Au moment où la crise frappe en Europe, celle-ci doit avoir une conduite exemplaire. »
De deux choses l’une : soit l’UMP lance des menaces en l’air, ce que personne n’ose imaginer ; soit un blitzkrieg se prépare contre le Luxembourg, Andorre et Monaco. Quant à la population de Jersey, elle peut encore dormir tranquille, vu l’état actuel de notre marine de guerre.
Pendant la crise, l’Affaire continue
Encore une Histoire de l’affaire Dreyfus ? La question qui viendra au lecteur, l’auteur, Philippe Oriol, se la pose d’emblée dans cette somme, dont les éditions Stock publient le premier tome dans le cadre de leur 300e anniversaire[1. Avec plus d’une centaine de livres publiés à l’époque sur Dreyfus (dont les livres de Bernard Lazare, de Clemenceau et de Dreyfus lui-même), Pierre-Victor Stock fut « l’éditeur de l’Affaire ».] Et la réponse de ce chercheur, qui évite la grandiloquence pour lui préférer un travail de fourmi, lisant tout, absolument tout des archives (brouillons de lettres compris !), est que l’Affaire fait désormais partie de nous. C’est l’un de ces événements qui appartiennent autant au présent qu’au passé, que nous traînons avec nous, lui donnant et redonnant du sens, l’interprétant, le triturant mais sans jamais arriver à le classer dans la pile des dossiers archivés – comme la journée des Dupes, le scandale de Panama ou les Trois Glorieuses.
Et puisqu’elle n’est pas près de nous quitter, ce livre de référence est plus que légitime ; il est nécessaire pour mettre de l’ordre dans les découvertes et l’évolution des interprétations. Après tout, qui s’étonnerait que l’on publie un nouveau guide touristique de l’Italie, une décennie après une édition précédente ? L’histoire, comme la géographie, cela s’actualise… Or, dans le cas de l’Affaire, il n’existe aujourd’hui que deux guides complets : celui de Joseph Reinach, acteur de premier plan dans l’affaire et qui a laissé un monumental récit en six volumes publié à chaud entre 1901 et 1908, et celui de Jean-Denis Bredin paru en 1983, c’est-à-dire plus d’une décennie avant que le centenaire de l’Affaire ne donne lieu à une avalanche de colloques, livres et articles ouvrant des perspectives nouvelles.
Mais, plus que tout, le livre de Philippe Oriol est une carte d’état-major, celle de la vaste et ténébreuse forêt des faits, documents et commentaires que constitue cette affaire longue et complexe. C’est aussi une boussole, qui rappelle certains faits indiscutables, car le polémique n’est pas seulement universitaire : un siècle après son déclenchement, « l’Affaire » n’est pas complètement dépassionnée. Ainsi, en plein centenaire de l’Affaire, explose comme un obus dans une tranchée un article paru le 31 janvier 1994, dans une publication de l’Armée de terre (Sirpa Actualités). Signé par le colonel Paul Gaujac, historien militaire et grand spécialiste de la Seconde Guerre Mondiale, ce texte met en doute l’innocence de Dreyfus. Pour l’anecdote, rappelons que lorsque le ministre de la Défense François Léotard décida de relever l’auteur de ses fonctions, l’avocat Georges-Paul Wagner posa la question dans les colonnes du quotidien Présent : « Est-il [Léotard] sûr de l’innocence de Dreyfus ? » – ajoutant que l’arrêt de la Cour de cassation de 1906 « a été pris contre toute jurisprudence ».
L’anniversaire de l’arrêt de 1906 et de la réintégration de Dreyfus dans l’armée française a, lui aussi, engendré une nouvelle polémique, dont le responsable a été l’historien Vincent Duclert, auteur d’une monumentale biographie de l’officier, (Alfred Dreyfus, l’honneur d’un patriote), qui proposait de transférer les cendres du colonel Dreyfus au Panthéon à l’occasion du centenaire. Une idée rejetée par le président de la République, qui suivait ainsi l’argument des opposants au projet, sous prétexte que Dreyfus n’avait fait que subir l’Affaire, et que son statut de victime ne justifiait pas qu’on lui rendît les plus grands honneurs de la République.
Abstraction faite de la polémique, de la querelle entre dreyfusards et antidreyfusards qui perdure et au-delà même de la politique, l’Affaire aura été une étape marquante de la culture politique de la France. Cette dimension essentielle de l’Affaire, Charles Péguy, dreyfusard de la première heure, l’avait exposée de façon prémonitoire dans Notre jeunesse : « Nous prendrons certainement cette grande crise comme exemple, comme référence de ce que c’est qu’une crise, un événement qui a une valeur propre éminente. Ce prix, cette valeur propre à l’affaire Dreyfus apparaît encore, apparaît constamment, quoi qu’on en ait, quoi qu’on fasse. Elle revient malgré tout, comme un revenant, comme une revenante. » Pour l’Eglise, les hérésies portent toutes le nom de celles qui sont apparues dans les premiers siècles de l’ère chrétienne. Pour la France contemporaine, la référence c’est l’Affaire, et elle n’est pas seulement une revenante : elle ne nous quitte jamais.
Au-delà des passions politiques et idéologiques, la France d’aujourd’hui qui n’est plus – et depuis longtemps – divisée entre dreyfusards et antidreyfusards, continue pourtant à vivre l’Affaire, car elle est devenue une référence fondamentale. Peut-on penser en France aujourd’hui sans utiliser le terme « intellectuels » (inventé par les antidreyfusards pour dénigrer leurs opposants) ? Peut-on évoquer une erreur judicaire sans parler du capitaine juif ? Enfin, peut-on être « anti » quelque chose sans se fendre d’un J’accuse ? L’Affaire a été la première manifestation de ce que l’on appelle l’opinion publique (avec médias de masse et mobilisation des consciences individuelles), qui caractérise la vie politique moderne, au même titre que le primat de l’Etat de droit sur la raison d’Etat. « L’affaire Dreyfus, poursuit Péguy, fut une affaire élue. Elle fut une crise éminente dans trois histoires elles-mêmes éminentes. Elle fut une crise éminente dans l’histoire d’Israël. Elle fut une crise éminente, évidemment, dans l’histoire de France. Elle fut surtout une crise éminente, et cette dignité apparaîtra de plus en plus, elle fut surtout une crise éminente dans l’histoire de la chrétienté. » Pour toutes ces raisons, c’est une Affaire sur laquelle il nous faut, encore et toujours, revenir. Et s’il fallait se contenter d’une seule étude sur le sujet, L’Histoire de Philippe Oriol s’imposerait.
L'Histoire de l'Affaire Dreyfus T.1: L'affaire du capitaine Dreyfus, 1894-1897
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Idées noires pour Nuit Blanche
Succès sur toute la ligne. C’est le bilan que les médias unanimes (contrairement à leur habitude…), ont dressé de la septième Nuit Blanche, merveilleuse invention jalousée dans le monde entier. Et même imitée de Madrid à Miami, de Montréal à Bucarest sans oublier Gaza dont les habitants auront eu droit, comme nous, à leur « moment de partage, de liberté, d’audace et d’ouverture », selon les termes sobres employés sur le site de la Ville de Paris. Qui oserait réclamer du pain quand les jeux sont si réussis ? La Nuit Blanche est bien plus qu’une simple manifestation culturelle – un état d’esprit et une bonne cause, un lieu de communion festive.
Tout au long de la journée pluvieuse qui a eu le bon goût de succéder à cette nuit éreintante, les journalistes n’ont pas caché leur satisfaction, décernant, au fil des journaux radio et télé, des compliments appuyés à ceux qui avaient bravé le froid : un million selon les uns, un million et demi s’enthousiasmaient les plus audacieux. À en juger par l’édito lyrique dont Bertrand Delanoë a gratifié ses administrés reconnaissants, ça valait le coup : au cas où cela vous aurait échappé (ou si vous n’avez pas la chance d’habiter une ville où résonnent « la poésie et l’émotion ») « le temps d’un rendez-vous nocturne qui rompt les traditions », « le rêve s’était installé dans la ville ». Cerise sur le gâteau, « l’espace d’un instant, des églises ont abrité l’unité des peuples libres orchestrée par la voix de Patti Smith ou les images de Javier Téllez ». Comme on vous le dit. C’est même dans l’édito du maire. Il est vrai que jusque-là les églises étaient le refuge de toutes les intolérances. À Saint Eustache, « où, apprend-on grâce à nouvelobs.com, l’art contemporain a toujours été présent et l’église fidèle à la Nuit Blanche depuis cinq ans », « l’heure était au recueillement face à l’oeuvre de Javier Téllez ». Pour les Béotiens, sachez que dans le film de ce dernier, « reliant voyants et non-voyants », on voit « cinq aveugles, cannes blanches en main, prendre contact avec un éléphant d’Asie, lui-même guidé par les friandises que laisse tomber son cornac sur le sol et que le pachyderme récolte avec sa trompe ». Je vous jure que je n’invente rien. D’ailleurs, Christophe Girard, l’adjoint à la Culture du maire de Paris, a été fort ému par l’implication des 80 bénévoles de la paroisse. Il y a huit ans, pour la première édition de cette belle manifestation, Girard rêvait de voir les Parisiens danser devant des Rembrandt (des fois qu’ils auraient eu l’idée bizarre de les contempler). Aujourd’hui, on peut se demander si la Nuit Blanche est une version festive de la Marche (belge) de la même couleur. Quoi qu’il en soit, on ne va pas bouder son plaisir devant une telle créativité mise au service de toutes les différences.
Bien sûr, on ne peut pas empêcher les rabat-joie de sévir et quelques-uns, saboteurs de bonne humeur et casseurs de réjouissances, ont préféré mettre l’accent sur la mauvaise nouvelle : « la Nuit Blanche endeuillée par le décès d’un voyageur tombé du quai du métro ». Mais pour l’essentiel, on répéta pieusement que la Nuit Blanche avait été une réussite malgré le tragique accident. Bref, une fois de plus, on put observer à quel point l’approbation est au cœur du logiciel médiatique, en particulier quand il est question de toutes les innovations concoctées par nos bons princes, fidèles héritiers du grand Surintendant aux Loisirs Jack Lang, pour nous divertir. Au sens premier de ce terme. Car ce qui crée une continuité entre les merveilleuses initiatives made in Paris que sont, entre autres, la Nuit Blanche, Paris Plage, la Fête de la Musique et la Techno-Parade (dont Marc Cohen me signale qu’elle est d’origine germano-américaine mais qui a été si bien acclimatée à Paris qu’on dirait qu’elle y a été inventée) n’est pas qu’elles emmerdent les Parisiens ni qu’elles constituent d’excellents produits d’importation, mais qu’elles participent à la même entreprise de destruction du réel. D’accord, Muray a tout écrit ou presque sur le sujet. En attendant de réaliser une avancée décisive dans la compréhension du désastre, et puisqu’il n’est pas là pour le faire, au moins peut-on souligner à quel point ce qui se passe dépasse ses pires espérances.
Le terrain privilégié de ce tour de passe-passe qui vise à nous fourguer, en lieu et place de la vieille réalité et de son cortège d’ambiguïtés, une existence de paillettes et de carton-pâte, est celui du langage. Grâce à Muray, nul n’ignore que Paris-Plage est une version moderne du « coup du Grand-Duc ». Vous longez les quais de la Seine, face à d’irréductibles bâtisses où s’est souvent jouée la tragédie nationale et, moyennant trois malheureux palmiers en plastique, quelques transats pris d’assaut et un terrain de pétanque rendu boueux par les orages, la transsubstantiation opère : « Ceci est une plage. » Avec la Nuit Blanche ou la Fête de la Musique, véritables orgies sonores auxquelles, sauf à fuir, nul ne peut échapper, on n’est plus dans un conte de fée mais dans un monde orwellien. Dans ce monde où les mots n’ont plus de sens, un infernal vacarme est qualifié de « musique », un gugusse invitant les spectateurs à reproduire ses « dégoulinures » de couleur est un artiste interactif et l’on célèbre la « convivialité » dès que des grappes humaines plus ou moins alcoolisées déambulent dans les rues sans but et sans la moindre curiosité pour les autres grappes humaines qui se livrent à la même activité – et encore moins pour les installations et autres interventions destinées à l’édification des masses.
Or, ce qui intrigue est le discours de recouvrement qui accompagne ces chatoyantes manifestations. En vérité, il y a de quoi devenir dingue. Pour commencer, vous avez supporté le pénible spectacle décrit ci-dessus et les nuisances sonores qui en découlaient. Imaginons que vers 4 heures du matin, épuisé, vous vous soyez vaguement révolté contre les fêtards qui beuglent sous votre fenêtre ou contre les petits malins de l’appartement d’en face qui ont choisi cette nuit où « la poésie et l’émotion de Paris résonnent » pour organiser une surboum et vous infligent leur mauvaise disco toutes fenêtres ouvertes – parce qu’ils veulent bien pourrir la vie d’un voisinage aussi rétrograde mais toute de même pas fumer à l’intérieur ! Dans le meilleur des cas, si vous êtes tombé sur des gens de bonne famille, ils vous ont traité de réac en rigolant, au pire, ils vous ont menacé de représailles. Après une pareille nuit, on est déjà peu disposé à aimer ses contemporains. Et voilà qu’il faut en plus endurer la propagande imbécile destinée à persuader les réfractaires qu’ils n’ont pas vécu une nuit de cauchemar mais un moment de féérie ! Assaisonnant les niaiseries que les communicants ont pondues à leur intention des témoignages de noctambules heureux qui s’émerveillent devant des lumières multicolores avec les accents satisfaits de madame Verdurin, les journalistes vous expliquent donc que le public était au rendez-vous. Peut-être faudrait-il pour la neuvième édition, envisager un exode massif de la capitale ? À vrai dire, il est sans doute inutile de se donner cette peine. Quand bien même elle se déroulerait dans une ville déserte et silencieuse, la Nuit Blanche serait présentée comme un succès – un grand moment de recueillement et de sérénité. Puisque nos oreilles n’ont pas de paupières, la seule solution est d’acquérir des boules Quiès. Mais n’ayez aucune illusion : le réel a disparu. Et il n’est pas prêt de réapparaître.
Photo de Une : Going trough walls, de Gints Gabrans, par Ollografik, flickr.
Agression antisémite dans la Loire
Devant des centaines de témoins, dont pas un n’est intervenu, onze jeunes juifs ont été sévèrement battus jeudi dernier à Saint-Etienne (42). Les coupables n’ont pas exprimé le moindre regret.
Je suis une femme, pourquoi pas vous ?
Il y a bien la crise financière, les petits cris aigus des golden boys, le malaise soudain de l’épargnant qui vient de jouer à la bête à deux dos sans y avoir consenti. Il y a bien les élections américaines qui nous renseignent sur l’état de délabrement démocratique d’un pays qui hésite encore à voter Barack Obama. Cependant, la fébrilité de l’actualité n’explique pas l’omerta qui entoure le 40e anniversaire du Mouvement de Libération des Femmes. Aucun journal n’a consacré de gros titre à la mémoire de cet événement qui pourtant bouleversa en 1968 la vie de millions de Françaises. Le fait que l’immense majorité des rédactions du pays[1. On m’objectera que la rédaction de Causeur est dirigée par une femme. Certes. Mais il reste encore à démontrer qu’Elisabeth Lévy n’est pas hyper machiste.] soit dirigée par des hommes expliquerait-il cela ? Bien sûr que oui, et cela nous rappelle que le combat est loin d’être achevé.
Les temps ne sont pas, après tout, si éloignés où nos mères, victimes du phallisme dominant, devaient subir sans broncher les assauts répétés de nos pères, qui, ivres de mauvais vin, rentraient à la maison, laissaient derrière eux l’huis clos, rabaissaient leurs braies et redoublaient d’assaut.
Bon. Mon père n’était pas de ce genre-là. Il était plutôt bonhomme et poussait la sollicitude jusqu’à faire la vaisselle un soir sur deux[2. Même dans l’accomplissement des tâches ménagères, nous conservons en Allemagne notre sacro-saint précepte : Ordnung muss sein (tout doit être en ordre).]. Mais nous autres femmes connaissons ce genre de ruse masculine : il a joué l’affable mari jusqu’au dernier jour de la vie de maman, tenant sa main jusqu’à son dernier souffle et mourant poliment une semaine après elle, uniquement dans le but de l’asservir à la morale patriarcale dans laquelle est engoncé tout l’Occident.
D’ailleurs, s’il avait été aussi prévenant, il aurait laissé maman travailler et vivre sa vie de femme libérée plutôt que de la confiner à l’élevage de quatre enfants. Sa robustesse physique en aurait fait une excellente bûcheronne, une chauffeure-routière ou l’une de ces manœuvrières du BTP qui vous creusent une tranchée comme si elles avaient fait Verdun[3. Le fait est assez peu connu en France, mais les Allemands aussi ont combattu à Verdun.] .
Grâce au MLF et à ses combats de gauche, les femmes françaises ont pu avoir droit à la contraception et à l’avortement. Peut-être que la contraception a été légalisée un an avant la création du MLF, mais n’empêche : Lucienne Neuwirth, quelle femme ! Elle était de la trempe des Olympe de Gouges et des Clara Zetkin ; et si jamais en France il devait se construire un jour un Gynécon – équivalent féminin de l’ignoble et sexiste Panthéon – Lulu y aurait bonne place.
C’est que le MLF est parti d’un bon sentiment : les hommes sont des salauds. C’est une vérité universelle. Et quiconque n’a jamais été contraint de ramasser les sous-vêtements de son mari négligemment jetés dans la salle de bains ne peut comprendre la portée philosophique d’une telle assertion.
Ce dont nous sommes encore plus sûre, c’est qu’en quarante ans le Mouvement de Libération des Femmes a pu faire avancer les choses en France : il a fallu quand même quatre décennies pour que la République passe de Tante Yvonne à Carla Bruni. On peut, sur ce point, remercier les électeurs français qui n’ont pas choisi de porter Ségolène Royal à la présidence : la France serait passée de Tante Yvonne à François Hollande. Et cela aurait été tout à fait inacceptable du point de vue féministe. Si aujourd’hui la première Dame de France peut tâter de la guitare, sans pour autant arborer les mâles bacchantes de l’ignoble Brassens, c’est à l’inlassable combat des militantes de la cause que nous le devons.
La littérature n’a pas non plus été indifférente au combat féministe[4. La société, la littérature, mais pas encore la politique qui est entachée, en France, d’un machisme primaire. Pourquoi Gérard Larcher a-t-il été élu contre Jean-Pierre Raffarin ? Parce que c’était un homme !]. En passant de Simone de Beauvoir à Christine Angot, le Deuxième sexe a enfin cédé la place à l’interrogation pertinente sur la deuxième voie, celle que veut emprunter Doc Gynéco et que Sartre ne frayait qu’accidentellement. Vive le progrès.
Il nous reste, à nous autres féministes, à poursuivre le combat. Le premier qu’il nous faut livrer, c’est le combat contre les homosexuels. Ces mecs nous font croire qu’ils ont abandonné les réflexes patriarcaux pour jouer les chochottes et tordre du cul en marchant. Ne prêtons aucun crédit aux billevesées de ces machistes qui se peignent les ongles en rouge. Même s’ils s’empapaoutent chaque dimanche devant TF1, ils restent des mecs et des salauds qui veulent nous asservir. Luttons contre.
Quant à moi, qui ai été de tous les combats, je sais, la soixantaine passée, que mon corps désormais m’appartient. Ça tombe assez mal, j’aurais bien aimé le partager un peu.