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Buvez pour ceux qui ont soif

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Véronique Jannot est le prototype de l’actrice française qui n’a pas réussi. Elle en avait les atouts. Elle n’était pas plus sotte qu’une autre. Elle arborait sous son t-shirt tous les arguments d’une grande carrière.

Pourtant, le destin cantonna Véronique Jannot à connaître son unique heure de gloire au début des années 1980 lorsque des centaines de milliers d’adolescents s’occupaient à presser autre chose que leur bubons d’acné en la voyant tenir le rôle titre du téléfilm Pause Café.

A croire que le touche pipi n’est qu’une activité française : sa notoriété ne dépassa jamais les frontières de l’Hexagone. En Allemagne, les apparitions télévisées de l’assistante sociale au grand cœur n’eurent aucune incidence sur la consommation de kleenex des jeunes gens. Et c’est bien dommage car cela aurait évité à toute une génération de finir homosexuelle à force de mater l’icône gay qu’est Horst Tappert lorsqu’il revêtait encore l’imperméable si suggestif de l’inspecteur Derrick.

Le lecteur récalcitrant maugréera que Horst Tappert n’est pas une icône gay. Qu’on soit rassuré : il le deviendra sitôt qu’on aura sorti son cadavre du formol. On l’a bien fait pour Dalida, Line Renaud, Mireille Mathieu ou Chantal Goya. Aucun directeur marketing ne pourrait parier sa Rollex que ça ne marchera pas pour lui.

Mais revenons à nos lapins : Jannot n’a jamais été qu’une petite égérie française, comme l’avait dit en son temps le général Bigeard.

Aujourd’hui, elle n’a aucun contrat en vue : ni au théâtre, ni à la télévision, ni dans la chanson, ni au cinéma. Le seul engagement qu’elle ait trouvé, c’est l’humanitaire. Elle qui a connu la gloire sous Giscard milite pour Volvic, l’eau minérale des volcans d’Auvergne.

Cela fera plaisir à Véronique Jannot : il vous suffit d’acheter un litre de Volvic et les gens au Sahel pourront aller puiser dix litres d’eau potable dans leur village. En prenant connaissance de l’opération, j’avais compris qu’on les faisait débarquer par charter à Clermont-Ferrand, puis qu’on les trimballait en bus jusqu’à Volvic avant de les renvoyer par charter au Sahel avec leurs dix litres d’eau en poche. Je l’avoue : je me suis trompée.

Volvic et l’Unicef ont fait appel à Véronique Jannot pour une opération qui ressemble à s’y méprendre à « barils de pétrole contre sacs de blé ». Sauf qu’il s’agit, en l’espèce, d’un litre de flotte contre dix.

– Mais, il me faut vingt litres d’eau, Bouana.
– Ah non, aujourd’hui, t’auras droit qu’à dix litres : Elisabeth Lévy n’a acheté qu’une bouteille de Volvic à l’Unico d’Hagondange. Tu n’as qu’à t’en prendre à elle !
– Mais qu’est-ce qu’elle foutait à Hagondange, Elisabeth Lévy ?
– C’est pas tes oignons !

On n’avait pas vu plus belle initiative humanitaire depuis l’Arche de Zoé. Cependant, méfiez-vous : si vous achetez un litre d’Evian, de Contrexéville, de Vittel, de Saint-Yorre, d’Hépar, de Badoit ou de Perrier, on ferme l’arrivée d’eau dans les villages du Sahel. Ils peuvent bien crever la bouche ouverte, on vous avait dit que c’était du Volvic qu’il fallait boire. Et rien d’autre.

En revanche, si vous achetez six yaourts Danone aux fruits au lieu d’un litre de Volvic, on veut bien croire en votre bonne foi et donner cinq cent grammes de millet aux gens du Sahel. On n’a pas osé leur proposer du fromage blanc à 0 %. Le problème, c’est que le Sahélien moyen, lorsqu’il veut bouffer son millet, il lui faut de l’eau. Jamais satisfaits, ces gens-là. Donc, notre recommandation, c’est de toujours acheter un litre de Volvic avec vos yaourts Danone. A moins que cela ne vous dérange pas d’avoir des morts sur la conscience.

Si jamais, entre deux cirrhoses, l’un ou l’autre producteur de Pommard ou de Gevrey-Chambertin passait sur ce site, qu’il me laisse un message : je suis toute disposée à me dévouer à ne boire plus que ça. Même plusieurs fois par jour. Et sans enquiquiner le Sahélien moyen.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Peut-on rire de rien ?

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Le « rire de résistance », vous connaissez ? Non, ça ne date pas de l’occupation allemande, mais d’aujourd’hui. Plus précisément, d’un cycle de conférences organisé par Jean-Michel Ribes (d’ordinaire mieux inspiré) en son théâtre du Rond-Point. En tout, une vingtaine d’exposés pieusement relayés par France Culture, qui n’en rate pas une !

Mais alors, dira-t-on, « résistance » à quoi? Une fois de plus, ce sont les Inrocks qui m’ont éclairé : nous avons, à ce qu’il paraît, un « devoir de résistance politique (…) contre l’époque sarkozyste (…) par la subversion de nos rires ». Rien que ça !

Mais quels rires, au fait ? A vrai dire, on n’en a guère entendu durant la conférence de Roger-Pol Droit, « philosophe et homme d’esprit » comme le présentait (sans rire) l’animateur.

Faire croire aux lecteurs du Monde, auquel il collabore, que ce Roger-Pol là est un philosophe, passe encore ; après tout, ils croient bien lire un « grand quotidien de référence »… Mais le faire passer pour un « homme d’esprit », c’est à la limite de la diffamation !
Toujours est-il que notre ami a choisi, pour accomplir son « devoir de résistance », de s ‘en prendre à… Staline, à l’occasion du 55ème anniversaire de sa mort. On n’est pas plus audacieux.

Circonstance aggravante, notre Mondain avait imprudemment choisi pour arme le deuxième degré, qu’il manie avec une rare balourdise – crachant alternativement une ironie de plomb et des jeux de mots laids, qui à coup sûr seraient refusés aux « Grosses Têtes » ! Me croirez-vous, le ressort comique de cet interminable one-intello-show, c’est d’appeler Staline… le « GPS » !

Ravi de sa trouvaille, R.-P.D. va la décliner trente minutes durant, du « Grand Penseur Staline » au « Guide Parfait des Soviets » en passant par le « Gourou Prolétarien Systématique ». A ce niveau d’à-peu près foireux et de nullité facile, on se croirait sur Rire et Chansons… Et encore, en écrivant ça, je risque le procès (avec la station).

Soudain, R.-P.D. nous informe qu’il a cessé de plaisanter pour causer sérieux. Une précision bien utile au demeurant, puisqu’on rit au moins autant qu’avant ! Que dis-je, on rit beaucoup plus quand, par exemple, au lieu de ses vannes à deux kopeks, l’orateur cite des blagues de prisonniers du Goulag qui savaient, eux, de quoi ils plaisantaient !

– Combien tu as pris ?
– Moi, 20 ans !
– Pourquoi ?
– Pour rien !
– Menteur ! Pour rien, c’est 10 ans !

Mais on ne peut s’empêcher de sourire aussi quand notre humoriste enfile son costume de « Grande Conscience » pour clamer : « Staline a trompé l’espérance ! Il a mué le socialisme en dictature ! » Les nouvelles vont vite, chez RPD…

Pour sa conclusion, l’homme d’esprit a choisi de re-redevenir drôle. Je ne peux que citer : « Merci, camarade Staline, d’avoir montré jusqu’où peut se porter la bêtise, même chez les savants et les philosophes… » Mais si ça se trouve, on en a eu d’autres exemples depuis, n’est-ce pas Roger-Pol ?

Le rire de résistance: De Diogène à Charlie Hebdo

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Une cause nationale

Moi aussi, je préfèrerais qu’Ingrid Betancourt soit libre. Moi aussi, la simple idée de son calvaire me glace d’effroi. Moi aussi. Comme Nicolas Sarkozy, Bertrand Delanoë, Julien Dray, François Fillon et les autres. Comme les onze femmes du gouvernement qui, bravant le ridicule avec un courage admirable, ont enregistré des messages de soutien platonique à la captive. Comme les dizaines de milliers de pétitionnaires et militants plus ou moins actifs de la cause. Car « Ingrid », comme l’appellent désormais des tas de gens qui ne la connaissent pas, est devenue une cause. Et même une « cause nationale », comme l’a proclamée notre président sans susciter la moindre réserve – bien au contraire. Tout Paris s’est bouché le nez quand il s’est agi de remercier Khadafi qui, après tout, avait bel et bien renoncé à son programme nucléaire et libéré les infirmières bulgares. En revanche, la politique ingridienne de Nicolas Sarkozy est l’objet de toutes les approbations : il fait des mamours à Chavez ? Excellent ! Il se déclare prêt à aller la chercher lui-même – avec ou sans les dents ? Epatant !

Il faudrait être inhumain pour ne pas souhaiter la libération d’une femme détenue dans d’aussi atroces conditions, n’est-ce pas ? Alors, n’écoutant que les élans de notre bon cœur, nous jurons de « tout faire » pour libérer Ingrid. Oui, moi aussi, je la tutoie : depuis qu’elle est détenue dans une jungle lointaine, ne sommes-nous pas tous devenus ses amis intimes ? D’ailleurs, elle le mérite : grâce à elle, sans rien faire, sans bouger une fesse, nous voilà tous des « gens bien ». Des résistants ! Qui voudrait être en reste ?

Un portrait géant de la prisonnière est hissé sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris. Entre Césars (de cinéma) et Victoires (de la musique), le showbiz « se mobilise » et les intellectuels « s’engagent ». Déjà dans les théâtres municipaux parisiens on lit solennellement sa lettre – en attendant qu’elle soit inscrite au programme de CP ! Sous la houlette de Elle, l’hebdo qui n’en rate pas une (bonne cause), toutes les niches du people sont mises à contribution. De Marc Lévy à Julia Kristeva, de Catherine Deneuve à Harry Roselmack, de Ségolène Royal à André Vingt-Trois, chacun sait trouver le mot juste pour « Ingrid ». Il n’y manque qu’un message de soutien des Tokio Hotel pour mobiliser notre belle jeunesse.

« Vous nous êtes proche parce que vous êtes une victime. » Cette admirable phrase, que nous devons à Nathalie Kosciusko-Morizet, résume à elle seule le climat dans lequel baigne l’élite de notre pays à propos de « l’affaire Ingrid » : le pathos gratos.

Que nous soyons odieux avec nos subordonnés, impitoyables avec les faibles, complaisants avec les puissants, peu importe : en affirmant haut et fort combien nous souffrons pour et avec « elle », n’acquérons-nous pas nous-mêmes un statut de victimes ? Femme et otage, madame Betancourt est une victime au carré. La mère de toutes les victimes – ou leur « maman ».

Alors écoutons plutôt Fadela Amara qui, pour l’occasion, a délaissé son cher parler zyva au profit d’une prose gourmée, entre slam et IIIe République: « Pour les filles des quartiers / Vous êtes le visage de Marianne / Parce que vous êtes belle / Mais surtout parce que vous êtes rebelle », déclare-t-elle avec conviction. Ingrid, l’héroïne absente et silencieuse de la Journée internationale de la Femme (j’ai appris, sur France Inter, que Lénine en personne en avait fixé la date). Son visage de suppliciée fût l’icône de cette dénonciation rituelle autant qu’annuelle de toutes les méchanteries faites aux femmes des origines à nos jours.

D’accord, j’exagère. Que le combat pour la libération d’Ingrid Betancourt soit marqué par quelques boursouflures n’enlève rien à sa justesse. S’il y a du pathos, c’est aussi qu’il y a du pathétique. Fanatiques illuminés, seigneurs de la guerre ou droguistes déguisés, les FARC méritent bien que l’on brandisse contre eux les grands principes. Mais en l’occurrence, ce n’est pas contre eux qu’on les brandit ! Avant même d’être proclamée « cause nationale » dans notre beau pays, Ingrid Betancourt était – est reste – l’enjeu d’un affrontement politique et militaire entre un Etat soutenu par les USA et une organisation terroriste (selon les critères de l’Union européenne et du bon sens.) Cet affrontement nourrit la tension dans toute la région. Mais vous me direz, la Colombie, c’est loin et c’est compliqué…

Quoi qu’il en soit, l’opinion française a bien compris une chose : on peut faire pression sur le président Uribe plus facilement que sur les FARC. Et en plus, c’est lui le bad guy, celui qui refuse toute négociation… En abattant le numéro 2 des FARC, sur territoire équatorien de surcroît, n’a-t-il pas salopé d’un coup tous les efforts généreux déployés par le président Chavez ?

Ce n’est pas moi qui m’opposerai à l’idée que la France ait une politique étrangère. Encore faudrait-il qu’elle soit fondée sur une appréciation vaguement lucide des rapports de force et des intérêts nationaux plutôt que sur des élans médiatico-humanitaires. En faisant de l’ »ingridisme » l’alpha et l’omega de notre diplomatie locale, nous ne sommes pas sûrs du tout de hâter sa libération… Ce dont nous pouvons être certains en revanche, c’est qu’en jouant à ce jeu, la France prend parti à l’aveuglette dans un conflit dont elle ne détient pas les clés. Est-ce bien raisonnable ? Les droits de l’homme ne sont pas une politique, écrivait Marcel Gauchet en 1980. Les larmes d’enfants et de ministres non plus.

Au moins dans le monde réel ; mais tout le monde a le droit de déménager…

NB. Cette excellente chute et un certain nombre de perles – merci pour le pathos gratos – que les lecteurs avisés repèreront dans cette nouvelle version sont dues à Basile de Koch qui a été bien plus qu’un simple relecteur. Qu’il soit remercié pour ce talent rare et les heures nocturnes consacrées à ce texte. EL

Pour une révolution culturelle

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Plus loin ! Plus haut ! Les électeurs ont adressé un message clair à Nicolas Sarkozy. Il faut dépoussiérer la France et commencer par la culture.

La nomination de Georges-Marc Benamou à la Villa Médicis est un pas dans la bonne direction. Pouvait-on imaginer un meilleur ambassadeur pour la culture française ? Nul doute qu’à ce poste de confiance, il saura bousculer les vieilles habitudes et faire souffler l’air frais de la modernité.

Le chemin est tracé. Les Français le veulent. Non pas les « réformes » comme l’ânonne une vaine élite mais la « rupture » originelle ! La Révolution.

Nous exigeons l’adoption immédiate d’un plan de modernisation de la culture.
Quelques mesures symboliques seront prises dans les 50 premiers jours :

– Colorisation de tous les films en noir et blanc ;
– projection obligatoire de Bienvenue chez les Chtis dans toutes les classes de CM2, dans le cadre d’un projet pédagogique sur la mémoire des régions ;
– destruction des vieux bâtiments qui gâchent la perspective autour des colonnes de Buren ;
– instauration d’un jour férié pour commémorer la refondation du groupe NTM ;
– retour à la méthode globale et sa généralisation à l’ensemble des matières en particulier l’algèbre et la philosophie ;
– réaménagement de la Galerie des Glaces par Philippe Starck ;
– versement au parc Astérix d’une subvention de 10 millions d’euros dans le cadre de la lutte contre l’hégémonie américaine ;
– rétrospective Luc Besson à la Cinémathèque ;
– déplacement des épreuves du bac pour permettre la reprogrammation à sa date initiale du concert de Tokio Hotel ;
– réimpression, sur papier bible, à l’Imprimerie nationale, de la collection complète du magazine Globe.

La révolution culturelle que nous appelons de nos vœux a besoin d’hommes et de femmes neufs et neuves, capables enfin de faire table rase d’un passé désespérément vide.

Dès maintenant, nous suggérons vivement au président de la République de manifester son engagement pour la Modernité dont nous ne sommes que les modestes porte-drapeaux en procédant immédiatement aux nominations suivantes :

– Marc Lévy à la Culture
– Michel-Edouard Leclerc à la direction du Livre
– Christian Clavier, à la Comédie Française
– Thierry Ardisson à France Télévision dont il a été exclu dans des conditions ignobles qui ne sont pas sans rappeler les pages plus sombres de notre histoire
– Jean-Marie Bigard à l’Académie française
– Diam’s à l’Inspection générale de l’Education nationale
– Michel Polnareff à l’IRCAM
– Marion Cotillard au Quai d’Orsay

Vous aussi, vous voulez dépoussiérer la France ? Rien de plus simple ! Signez ce manifeste ! L’union à la base des gens de qualité comme toi et nous pourra donner enfin un coup d’accélérateur à l’immobilisme qui ronge ce pays comme un frein.

Le livre, une marchandise. Rentable ?

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La promotion de best-sellers ressemble aux lancements des campagnes électorales, qui eux-mêmes font penser aux pubs de lessives. Heureusement, il y a les critiques (heu, c’est un gag). Philippe et Elisabeth font remarquer qu’il y a beaucoup trop de livres de journalistes. Teresa est tellement bien élevée qu’elle ne leur fait même pas remarquer qu’ils viennent d’en publier un…

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Comment peut-on être éditeur ?

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Où l’on apprend que Philippe Cohen déprime chaque semaine devant la liste des meilleures ventes, que Teresa Cremisi pense que les lecteurs et n’ont jamais été aussi intelligents, que – surprise! – Elisabeth ne partage pas entièrement cet optimisme…et que Montaigne vous protège, même si vous ne le lisez pas.

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Le président aux œufs d’or

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Editrice de Yasmina Reza et d’Anna Bitton, Teresa Cremisi n’est pas donc pas une déçue du sarkozysme. Augustin Scalbert s’intéresse au procès intenté par Cécilia – qui tous comptes faits, effraie moins l’éditrice que le procès en pipolisation intenté par… devinez qui ?

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Térésa, elle en a !

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On ne présente plus le PDG de Flammarion. Enfin si, on la présente quand même et c’est Philippe Cohen qui s’en charge. Teresa Crémisi, trouve que le portrait qu’il fait d’elle ne lui ressemble pas. Cohen-Picasso, même combat ?

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La culture de la médiocrité morale

Historien des religions, professeur à l’université de Tel Aviv, Aviad Kleinberg est un spécialiste internationalement reconnu du christianisme médiéval – et une voix singulière en Israël. Dans Péchés Capitaux (Seuil), il explore avec drôlerie et gravité les bas-fonds de l’âme humaine.

Le péché inaugure l’Histoire. Il est au cœur de la conception biblique du monde. Est-il identique dans le judaïsme et le christianisme ?
Judaïsme et christianisme sont des monstres conceptuels qui n’existent que dans l’esprit des intellectuels et de ceux qui les prennent au sérieux. Il existe plusieurs judaïsmes, tout comme il y a plusieurs christianités. Ceci étant, des différences notables séparent les deux traditions qui forment cette étrange invention occidentale qu’est la culture judéo-chrétienne. Pour le plus optimiste des chrétiens, le péché est le Destructeur, l’Eris qui rivalise avec Eros, la version originale du dieu d’amour, l’Unificateur et le Créateur. Le péché a non seulement affaibli les aptitudes morales de l’être humain, mais il a de surcroît redessiné le cosmos en obligeant Dieu à créer l’enfer et le purgatoire. Le péché a même poussé Dieu à briser le tabou métaphysique essentiel en se faisant chair, au prix d’un mélange scandaleux entre l’humain et le divin. Enlevez le péché et le christianisme perd tout son sens.

Alors que le judaïsme pourrait s’en passer ?
Pour le plus pessimiste des juifs, le péché n’est pas une force cosmique du mal, mais une rupture du contrat. Le judaïsme s’en tient en effet à une conception contractuelle de la relation entre Dieu et ses créatures, à commencer par son peuple élu. Ce contrat (au sens strict « l’alliance » mais, plus largement, « la marche du monde ») lie les deux parties; la justice est au-dessus de Dieu et peut lui être opposée. Le contrat chrétien, s’il a jamais existé, a été mis en pièce par la Chute. La rédemption est au-dessus et au-delà de la justice. La grâce est donnée pour rien – gratia gratis data.

Cette approche différente du péché reflète donc le primat du respect de la Loi pour les juifs, de la foi pour les chrétiens ?
Pour les juifs, seuls les actes constituent des ruptures de contrat. Ils s’intéressent peu à la pureté des motivations. D’un point de vue juif, des normes morales que personne ne peut respecter n’ont aucun sens. A l’inverse, conformément à l’enseignement de Saint Paul, les chrétiens ne se fient pas à « l’œuvre » : « à celui qui ne fait point d’oeuvre, mais qui croit en celui qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice ». Ils se voient comme pécheurs par définition, incapables de faire le bien stricto sensu mais, dès lors qu’ils peuvent avoir la Foi, l’Espérance et l’Amour, ils sont attentifs aux processus psychologiques.

Traversons les siècles. « Vivre sans temps morts et jouir sans entraves », proclamaient les étudiants en mai 68. Peut-on jouir sans entraves ? Le désir peut-il exister sans interdits ?
Je ne crois pas. Pour la bonne raison que l’homme est un animal social. En dehors de la Cité, dit Aristote dans La Politique, on ne trouve que des dieux et des bêtes. Nous ne sommes ni l’un ni l’autre. La Cité, la société humaine, n’est pas faite de briques et de ciments mais de lois et règlements, en somme de chaînes. On devient humain en comprenant qu’il faut renoncer à certains plaisirs pour éviter la sanction (principe de réalité); on devient moral lorsqu’on intériorise les règles (en développant un surmoi) et qu’on les considère comme ses propres obligations. En résumé, être humain au sens plein du terme suppose d’accepter des limites. Bien entendu, cela ne signifie pas que nous ne désirons pas ce qui est interdit – au contraire cela nous arrive très souvent. Mais nous nous imposons des limites, nous sublimons et admettons comme un état normal la tension intérieure entre le désirable et le licite. Les étudiants de 1968 ne cherchaient pas à créer une société sans règles dans laquelle le désir aurait pu se donner libre cours. La plupart étaient des fils et filles à leur maman qui ne voulaient qu’une chose: devenir bourgeois le plus vite possible. C’est des entraves de leurs parents qu’ils entendaient se délivrer. Ils voulaient créer leur propre prison sociale. Et bien sûr, ils y sont parvenus. L’émergence de la morale politiquement correcte, qui est aussi moralisatrice et dégoulinante de bonne conscience que la vieille morale, révèle le caractère essentiellement conservateur de la révolution étudiante.

Et si, en 1968, on avait simplement raté le coche ? Une société sans surmoi (dans laquelle il serait « interdit d’interdire ») est-elle inconcevable ?
Je ne pense pas qu’une telle société soit possible – ou désirable. Même Thélème, la communauté utopique de Rabelais, exige que ses membres soient préalablement conditionnés par une éducation adaptée.

Penseriez-vous, comme Maurras, que la religion garantit l’ordre social ?
Il s’agit de savoir si, sans la croyance en un super-policier ou en un Dieu doté de rayons X moraux pour voir à travers les murs et d’un enfer pour régler ses comptes, on peut espérer un comportement moral des gens. C’est une vieille question. Dieu a souvent été le gendarme avec lequel on faisait peur aux petits enfants (« si tu n’es pas sage… »). Des générations de rabbins, hommes d’église et mollahs nous ont raconté que sans Dieu, le chaos moral règnerait. Pour moi, la peur ne peut pas être le fondement de l’éthique. Nous devons nous garder du mal non pas par peur du châtiment, mais parce que c’est le mal et qu’il contrecarre celui que nous voulons être. Ce comportement exige un entraînement moral incessant – l’askesis des Stoïciens. Lequel suppose une société sûre de ses valeurs dans laquelle les enfants sont éduqués à la responsabilité morale – aux devoirs et non aux seuls droits.

Oui, mais les droits priment désormais sur les devoirs. Chacun est encouragé à se comporter comme un créancier par rapport à la collectivité. La morale pourrait-elle être remplacée par une sorte de contrat minimal entre membres d’une société ?
Le triomphe des droits ne traduit pas seulement un affaiblissement de notre fibre morale. Il est conssubstantiel à l’idéologie du Marché. Pour l’utopie libérale, le seul objectif qui vaille est la quête du bonheur, défini par la consommation de biens marchands. Tout ce qui s’oppose à cette activité sacrée (qui, grâce à la « main invisible », bénéficie à l’ensemble de la communauté) doit être éliminé. Laissez faire! Laissez passer! Tant que vous n’interférez pas avec le plaisir d’autrui, faites tout ce qui vous chante. Dans un monde « idéal », les seules différences qui persisteront seront les différences de « goûts » (tu aimes Adidas et moi Nike). D’ores et déjà, nos produits, nos vies, et même nos passions, sont standardisés. Dans ces conditions, un système moral fondé sur l’intériorisation de la contrainte ne peut qu’aboutir à des frondes. Les gens prêts à payer le prix fort pour le respect de leurs valeurs sont des consommateurs politiques avertis et soupçonneux. Ils ont tendance à examiner sous toutes les coutures les produits qui leur sont proposés. Mais notre culture a besoin de consommateurs passifs, politiquement et moralement indifférents. Orwell s’est trompé: 1984 est passé et nous ne voyons rien qui ressemble à son enfer stalinien. En revanche, nous nous rapprochons un peu plus chaque jour du Meilleur des Mondes d’Huxley. Faut-il le déplorer? Difficile à dire. Si on est attaché à la liberté, la réponse est oui.

Nous voilà bien avancés : Dieu est mort, toute figure « surmoïque » est récusée et l’éthique de responsabilité n’est pas très tendance. Dans ces conditions, sur quoi peut-on fonder aujourd’hui une morale ? Qui est le « témoin » de nos péchés ?
J’ai déjà essayé de répondre mais j’admets que c’est là le point faible de tout système moral. L’emprise de nos passions est telle que nous avons du mal à croire que nous pourrions nous passer d’un « super-surveillant général ». Encore une fois, je crois en l’éducation à l’éthique de responsabilité. Cela dit, l’apprentissage de la morale ne peut intervenir que dans une société sûre de ses valeurs et de son droit à les imposer.

Le péché engendre la culpabilité mais aussi la honte. Or, à l’âge des prides, ce n’est pas un affect très apprécié en Occident aujourd’hui. Que pensez-vous de cette « fierté » revendiquée ?
Les anthropologues distinguent les sociétés de la honte – où le pire châtiment des contrevenants est le mépris de leurs pairs – et les sociétés de la culpabilité – où le surmoi joue pour chacun le rôle du coryphée grec de la tragédie. C’est un peu simpliste. Chaque société est une combinaison des deux formules. Même quand elle est profondément intériorisée, la morale résulte d’un effort collectif. Elle suppose une attention à l’opinion des autres –du moins des autres qui comptent. La nouvelle fierté – gay, noire, juive – vise à convaincre les autres qu’on méprise leur mépris, autrement dit à retourner l’hostilité, à la reprendre à son compte (ton injure sera mon nom). Nous sommes là au cœur du conflit entre l’intériorité (ce que nous ressentons) et l’extériorité (ce que disent les gens). Et voilà que, au terme d’un long combat contre la culpabilité, nous avons recréé une culture de la honte. Nous sommes plus attentifs au qu’en dira-t-on (ce n’est vraiment pas chic d’être macho) qu’à la voix intérieure qui pourrait nous entraîner dans un conflit avec la société. Nous renonçons à atteindre l’excellence morale. Notre culture croit à la médiocrité morale.

Si le péché n’est plus défini par la loi divine, existe-t-il une valeur morale universelle et immuable, valable en tout temps et en tout lieu ?
Non. Peut-être pensez-vous que le fait de ne pas faire de tort à son prochain est une valeur universelle mais c’est faux. La plupart des sociétés admettent tant d’exceptions à cette règle qu’un touriste éthique ferait mieux de ne pas se fier à elle. La seule valeur « universelle » est qu’il est interdit de me faire du mal. Malheureusement, elle est incompatible avec votre propre valeur « universelle » – il est interdit de vous faire du mal.

Quel est, pour vous, le péché capital de l’époque ?
Délivrés de la culpabilité, nous ne considérons plus le corps et la matière comme les ennemis de nos âmes. En dépit de notre hédonisme et de notre narcissisme, nous prétendons être aussi moraux, voire plus. Bref, nous voulons la même chose pour moins cher, ce qui révèle le vice que je trouve le plus exaspérant aujourd’hui en Occident – la bonne conscience. Nous sommes très contents de nous. Trop contents.

Propos recueillis par Elisabeth Lévy.

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Les élèves doivent-ils noter les profs ?

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Les tatas flingueuses. David Abiker le sait : les femmes sont bavardes. Il n’a donc pas jugé nécessaire de fournir à Elisabeth Lévy de Causeur, Bénédicte Charles de Marianne et de Virginie Roels de bakchich, un invité à cuisiner. « L’invitée, c’est l’actu », a annoncé notre hôte. Emission enregistrée le vendredi 7 mars.

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Buvez pour ceux qui ont soif

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Véronique Jannot est le prototype de l’actrice française qui n’a pas réussi. Elle en avait les atouts. Elle n’était pas plus sotte qu’une autre. Elle arborait sous son t-shirt tous les arguments d’une grande carrière.

Pourtant, le destin cantonna Véronique Jannot à connaître son unique heure de gloire au début des années 1980 lorsque des centaines de milliers d’adolescents s’occupaient à presser autre chose que leur bubons d’acné en la voyant tenir le rôle titre du téléfilm Pause Café.

A croire que le touche pipi n’est qu’une activité française : sa notoriété ne dépassa jamais les frontières de l’Hexagone. En Allemagne, les apparitions télévisées de l’assistante sociale au grand cœur n’eurent aucune incidence sur la consommation de kleenex des jeunes gens. Et c’est bien dommage car cela aurait évité à toute une génération de finir homosexuelle à force de mater l’icône gay qu’est Horst Tappert lorsqu’il revêtait encore l’imperméable si suggestif de l’inspecteur Derrick.

Le lecteur récalcitrant maugréera que Horst Tappert n’est pas une icône gay. Qu’on soit rassuré : il le deviendra sitôt qu’on aura sorti son cadavre du formol. On l’a bien fait pour Dalida, Line Renaud, Mireille Mathieu ou Chantal Goya. Aucun directeur marketing ne pourrait parier sa Rollex que ça ne marchera pas pour lui.

Mais revenons à nos lapins : Jannot n’a jamais été qu’une petite égérie française, comme l’avait dit en son temps le général Bigeard.

Aujourd’hui, elle n’a aucun contrat en vue : ni au théâtre, ni à la télévision, ni dans la chanson, ni au cinéma. Le seul engagement qu’elle ait trouvé, c’est l’humanitaire. Elle qui a connu la gloire sous Giscard milite pour Volvic, l’eau minérale des volcans d’Auvergne.

Cela fera plaisir à Véronique Jannot : il vous suffit d’acheter un litre de Volvic et les gens au Sahel pourront aller puiser dix litres d’eau potable dans leur village. En prenant connaissance de l’opération, j’avais compris qu’on les faisait débarquer par charter à Clermont-Ferrand, puis qu’on les trimballait en bus jusqu’à Volvic avant de les renvoyer par charter au Sahel avec leurs dix litres d’eau en poche. Je l’avoue : je me suis trompée.

Volvic et l’Unicef ont fait appel à Véronique Jannot pour une opération qui ressemble à s’y méprendre à « barils de pétrole contre sacs de blé ». Sauf qu’il s’agit, en l’espèce, d’un litre de flotte contre dix.

– Mais, il me faut vingt litres d’eau, Bouana.
– Ah non, aujourd’hui, t’auras droit qu’à dix litres : Elisabeth Lévy n’a acheté qu’une bouteille de Volvic à l’Unico d’Hagondange. Tu n’as qu’à t’en prendre à elle !
– Mais qu’est-ce qu’elle foutait à Hagondange, Elisabeth Lévy ?
– C’est pas tes oignons !

On n’avait pas vu plus belle initiative humanitaire depuis l’Arche de Zoé. Cependant, méfiez-vous : si vous achetez un litre d’Evian, de Contrexéville, de Vittel, de Saint-Yorre, d’Hépar, de Badoit ou de Perrier, on ferme l’arrivée d’eau dans les villages du Sahel. Ils peuvent bien crever la bouche ouverte, on vous avait dit que c’était du Volvic qu’il fallait boire. Et rien d’autre.

En revanche, si vous achetez six yaourts Danone aux fruits au lieu d’un litre de Volvic, on veut bien croire en votre bonne foi et donner cinq cent grammes de millet aux gens du Sahel. On n’a pas osé leur proposer du fromage blanc à 0 %. Le problème, c’est que le Sahélien moyen, lorsqu’il veut bouffer son millet, il lui faut de l’eau. Jamais satisfaits, ces gens-là. Donc, notre recommandation, c’est de toujours acheter un litre de Volvic avec vos yaourts Danone. A moins que cela ne vous dérange pas d’avoir des morts sur la conscience.

Si jamais, entre deux cirrhoses, l’un ou l’autre producteur de Pommard ou de Gevrey-Chambertin passait sur ce site, qu’il me laisse un message : je suis toute disposée à me dévouer à ne boire plus que ça. Même plusieurs fois par jour. Et sans enquiquiner le Sahélien moyen.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Peut-on rire de rien ?

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Le « rire de résistance », vous connaissez ? Non, ça ne date pas de l’occupation allemande, mais d’aujourd’hui. Plus précisément, d’un cycle de conférences organisé par Jean-Michel Ribes (d’ordinaire mieux inspiré) en son théâtre du Rond-Point. En tout, une vingtaine d’exposés pieusement relayés par France Culture, qui n’en rate pas une !

Mais alors, dira-t-on, « résistance » à quoi? Une fois de plus, ce sont les Inrocks qui m’ont éclairé : nous avons, à ce qu’il paraît, un « devoir de résistance politique (…) contre l’époque sarkozyste (…) par la subversion de nos rires ». Rien que ça !

Mais quels rires, au fait ? A vrai dire, on n’en a guère entendu durant la conférence de Roger-Pol Droit, « philosophe et homme d’esprit » comme le présentait (sans rire) l’animateur.

Faire croire aux lecteurs du Monde, auquel il collabore, que ce Roger-Pol là est un philosophe, passe encore ; après tout, ils croient bien lire un « grand quotidien de référence »… Mais le faire passer pour un « homme d’esprit », c’est à la limite de la diffamation !
Toujours est-il que notre ami a choisi, pour accomplir son « devoir de résistance », de s ‘en prendre à… Staline, à l’occasion du 55ème anniversaire de sa mort. On n’est pas plus audacieux.

Circonstance aggravante, notre Mondain avait imprudemment choisi pour arme le deuxième degré, qu’il manie avec une rare balourdise – crachant alternativement une ironie de plomb et des jeux de mots laids, qui à coup sûr seraient refusés aux « Grosses Têtes » ! Me croirez-vous, le ressort comique de cet interminable one-intello-show, c’est d’appeler Staline… le « GPS » !

Ravi de sa trouvaille, R.-P.D. va la décliner trente minutes durant, du « Grand Penseur Staline » au « Guide Parfait des Soviets » en passant par le « Gourou Prolétarien Systématique ». A ce niveau d’à-peu près foireux et de nullité facile, on se croirait sur Rire et Chansons… Et encore, en écrivant ça, je risque le procès (avec la station).

Soudain, R.-P.D. nous informe qu’il a cessé de plaisanter pour causer sérieux. Une précision bien utile au demeurant, puisqu’on rit au moins autant qu’avant ! Que dis-je, on rit beaucoup plus quand, par exemple, au lieu de ses vannes à deux kopeks, l’orateur cite des blagues de prisonniers du Goulag qui savaient, eux, de quoi ils plaisantaient !

– Combien tu as pris ?
– Moi, 20 ans !
– Pourquoi ?
– Pour rien !
– Menteur ! Pour rien, c’est 10 ans !

Mais on ne peut s’empêcher de sourire aussi quand notre humoriste enfile son costume de « Grande Conscience » pour clamer : « Staline a trompé l’espérance ! Il a mué le socialisme en dictature ! » Les nouvelles vont vite, chez RPD…

Pour sa conclusion, l’homme d’esprit a choisi de re-redevenir drôle. Je ne peux que citer : « Merci, camarade Staline, d’avoir montré jusqu’où peut se porter la bêtise, même chez les savants et les philosophes… » Mais si ça se trouve, on en a eu d’autres exemples depuis, n’est-ce pas Roger-Pol ?

Le rire de résistance: De Diogène à Charlie Hebdo

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Une cause nationale

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Moi aussi, je préfèrerais qu’Ingrid Betancourt soit libre. Moi aussi, la simple idée de son calvaire me glace d’effroi. Moi aussi. Comme Nicolas Sarkozy, Bertrand Delanoë, Julien Dray, François Fillon et les autres. Comme les onze femmes du gouvernement qui, bravant le ridicule avec un courage admirable, ont enregistré des messages de soutien platonique à la captive. Comme les dizaines de milliers de pétitionnaires et militants plus ou moins actifs de la cause. Car « Ingrid », comme l’appellent désormais des tas de gens qui ne la connaissent pas, est devenue une cause. Et même une « cause nationale », comme l’a proclamée notre président sans susciter la moindre réserve – bien au contraire. Tout Paris s’est bouché le nez quand il s’est agi de remercier Khadafi qui, après tout, avait bel et bien renoncé à son programme nucléaire et libéré les infirmières bulgares. En revanche, la politique ingridienne de Nicolas Sarkozy est l’objet de toutes les approbations : il fait des mamours à Chavez ? Excellent ! Il se déclare prêt à aller la chercher lui-même – avec ou sans les dents ? Epatant !

Il faudrait être inhumain pour ne pas souhaiter la libération d’une femme détenue dans d’aussi atroces conditions, n’est-ce pas ? Alors, n’écoutant que les élans de notre bon cœur, nous jurons de « tout faire » pour libérer Ingrid. Oui, moi aussi, je la tutoie : depuis qu’elle est détenue dans une jungle lointaine, ne sommes-nous pas tous devenus ses amis intimes ? D’ailleurs, elle le mérite : grâce à elle, sans rien faire, sans bouger une fesse, nous voilà tous des « gens bien ». Des résistants ! Qui voudrait être en reste ?

Un portrait géant de la prisonnière est hissé sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris. Entre Césars (de cinéma) et Victoires (de la musique), le showbiz « se mobilise » et les intellectuels « s’engagent ». Déjà dans les théâtres municipaux parisiens on lit solennellement sa lettre – en attendant qu’elle soit inscrite au programme de CP ! Sous la houlette de Elle, l’hebdo qui n’en rate pas une (bonne cause), toutes les niches du people sont mises à contribution. De Marc Lévy à Julia Kristeva, de Catherine Deneuve à Harry Roselmack, de Ségolène Royal à André Vingt-Trois, chacun sait trouver le mot juste pour « Ingrid ». Il n’y manque qu’un message de soutien des Tokio Hotel pour mobiliser notre belle jeunesse.

« Vous nous êtes proche parce que vous êtes une victime. » Cette admirable phrase, que nous devons à Nathalie Kosciusko-Morizet, résume à elle seule le climat dans lequel baigne l’élite de notre pays à propos de « l’affaire Ingrid » : le pathos gratos.

Que nous soyons odieux avec nos subordonnés, impitoyables avec les faibles, complaisants avec les puissants, peu importe : en affirmant haut et fort combien nous souffrons pour et avec « elle », n’acquérons-nous pas nous-mêmes un statut de victimes ? Femme et otage, madame Betancourt est une victime au carré. La mère de toutes les victimes – ou leur « maman ».

Alors écoutons plutôt Fadela Amara qui, pour l’occasion, a délaissé son cher parler zyva au profit d’une prose gourmée, entre slam et IIIe République: « Pour les filles des quartiers / Vous êtes le visage de Marianne / Parce que vous êtes belle / Mais surtout parce que vous êtes rebelle », déclare-t-elle avec conviction. Ingrid, l’héroïne absente et silencieuse de la Journée internationale de la Femme (j’ai appris, sur France Inter, que Lénine en personne en avait fixé la date). Son visage de suppliciée fût l’icône de cette dénonciation rituelle autant qu’annuelle de toutes les méchanteries faites aux femmes des origines à nos jours.

D’accord, j’exagère. Que le combat pour la libération d’Ingrid Betancourt soit marqué par quelques boursouflures n’enlève rien à sa justesse. S’il y a du pathos, c’est aussi qu’il y a du pathétique. Fanatiques illuminés, seigneurs de la guerre ou droguistes déguisés, les FARC méritent bien que l’on brandisse contre eux les grands principes. Mais en l’occurrence, ce n’est pas contre eux qu’on les brandit ! Avant même d’être proclamée « cause nationale » dans notre beau pays, Ingrid Betancourt était – est reste – l’enjeu d’un affrontement politique et militaire entre un Etat soutenu par les USA et une organisation terroriste (selon les critères de l’Union européenne et du bon sens.) Cet affrontement nourrit la tension dans toute la région. Mais vous me direz, la Colombie, c’est loin et c’est compliqué…

Quoi qu’il en soit, l’opinion française a bien compris une chose : on peut faire pression sur le président Uribe plus facilement que sur les FARC. Et en plus, c’est lui le bad guy, celui qui refuse toute négociation… En abattant le numéro 2 des FARC, sur territoire équatorien de surcroît, n’a-t-il pas salopé d’un coup tous les efforts généreux déployés par le président Chavez ?

Ce n’est pas moi qui m’opposerai à l’idée que la France ait une politique étrangère. Encore faudrait-il qu’elle soit fondée sur une appréciation vaguement lucide des rapports de force et des intérêts nationaux plutôt que sur des élans médiatico-humanitaires. En faisant de l’ »ingridisme » l’alpha et l’omega de notre diplomatie locale, nous ne sommes pas sûrs du tout de hâter sa libération… Ce dont nous pouvons être certains en revanche, c’est qu’en jouant à ce jeu, la France prend parti à l’aveuglette dans un conflit dont elle ne détient pas les clés. Est-ce bien raisonnable ? Les droits de l’homme ne sont pas une politique, écrivait Marcel Gauchet en 1980. Les larmes d’enfants et de ministres non plus.

Au moins dans le monde réel ; mais tout le monde a le droit de déménager…

NB. Cette excellente chute et un certain nombre de perles – merci pour le pathos gratos – que les lecteurs avisés repèreront dans cette nouvelle version sont dues à Basile de Koch qui a été bien plus qu’un simple relecteur. Qu’il soit remercié pour ce talent rare et les heures nocturnes consacrées à ce texte. EL

Pour une révolution culturelle

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Plus loin ! Plus haut ! Les électeurs ont adressé un message clair à Nicolas Sarkozy. Il faut dépoussiérer la France et commencer par la culture.

La nomination de Georges-Marc Benamou à la Villa Médicis est un pas dans la bonne direction. Pouvait-on imaginer un meilleur ambassadeur pour la culture française ? Nul doute qu’à ce poste de confiance, il saura bousculer les vieilles habitudes et faire souffler l’air frais de la modernité.

Le chemin est tracé. Les Français le veulent. Non pas les « réformes » comme l’ânonne une vaine élite mais la « rupture » originelle ! La Révolution.

Nous exigeons l’adoption immédiate d’un plan de modernisation de la culture.
Quelques mesures symboliques seront prises dans les 50 premiers jours :

– Colorisation de tous les films en noir et blanc ;
– projection obligatoire de Bienvenue chez les Chtis dans toutes les classes de CM2, dans le cadre d’un projet pédagogique sur la mémoire des régions ;
– destruction des vieux bâtiments qui gâchent la perspective autour des colonnes de Buren ;
– instauration d’un jour férié pour commémorer la refondation du groupe NTM ;
– retour à la méthode globale et sa généralisation à l’ensemble des matières en particulier l’algèbre et la philosophie ;
– réaménagement de la Galerie des Glaces par Philippe Starck ;
– versement au parc Astérix d’une subvention de 10 millions d’euros dans le cadre de la lutte contre l’hégémonie américaine ;
– rétrospective Luc Besson à la Cinémathèque ;
– déplacement des épreuves du bac pour permettre la reprogrammation à sa date initiale du concert de Tokio Hotel ;
– réimpression, sur papier bible, à l’Imprimerie nationale, de la collection complète du magazine Globe.

La révolution culturelle que nous appelons de nos vœux a besoin d’hommes et de femmes neufs et neuves, capables enfin de faire table rase d’un passé désespérément vide.

Dès maintenant, nous suggérons vivement au président de la République de manifester son engagement pour la Modernité dont nous ne sommes que les modestes porte-drapeaux en procédant immédiatement aux nominations suivantes :

– Marc Lévy à la Culture
– Michel-Edouard Leclerc à la direction du Livre
– Christian Clavier, à la Comédie Française
– Thierry Ardisson à France Télévision dont il a été exclu dans des conditions ignobles qui ne sont pas sans rappeler les pages plus sombres de notre histoire
– Jean-Marie Bigard à l’Académie française
– Diam’s à l’Inspection générale de l’Education nationale
– Michel Polnareff à l’IRCAM
– Marion Cotillard au Quai d’Orsay

Vous aussi, vous voulez dépoussiérer la France ? Rien de plus simple ! Signez ce manifeste ! L’union à la base des gens de qualité comme toi et nous pourra donner enfin un coup d’accélérateur à l’immobilisme qui ronge ce pays comme un frein.

Le livre, une marchandise. Rentable ?

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La promotion de best-sellers ressemble aux lancements des campagnes électorales, qui eux-mêmes font penser aux pubs de lessives. Heureusement, il y a les critiques (heu, c’est un gag). Philippe et Elisabeth font remarquer qu’il y a beaucoup trop de livres de journalistes. Teresa est tellement bien élevée qu’elle ne leur fait même pas remarquer qu’ils viennent d’en publier un…

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Comment peut-on être éditeur ?

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Où l’on apprend que Philippe Cohen déprime chaque semaine devant la liste des meilleures ventes, que Teresa Cremisi pense que les lecteurs et n’ont jamais été aussi intelligents, que – surprise! – Elisabeth ne partage pas entièrement cet optimisme…et que Montaigne vous protège, même si vous ne le lisez pas.

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Le président aux œufs d’or

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Editrice de Yasmina Reza et d’Anna Bitton, Teresa Cremisi n’est pas donc pas une déçue du sarkozysme. Augustin Scalbert s’intéresse au procès intenté par Cécilia – qui tous comptes faits, effraie moins l’éditrice que le procès en pipolisation intenté par… devinez qui ?

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Térésa, elle en a !

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On ne présente plus le PDG de Flammarion. Enfin si, on la présente quand même et c’est Philippe Cohen qui s’en charge. Teresa Crémisi, trouve que le portrait qu’il fait d’elle ne lui ressemble pas. Cohen-Picasso, même combat ?

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La culture de la médiocrité morale

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Historien des religions, professeur à l’université de Tel Aviv, Aviad Kleinberg est un spécialiste internationalement reconnu du christianisme médiéval – et une voix singulière en Israël. Dans Péchés Capitaux (Seuil), il explore avec drôlerie et gravité les bas-fonds de l’âme humaine.

Le péché inaugure l’Histoire. Il est au cœur de la conception biblique du monde. Est-il identique dans le judaïsme et le christianisme ?
Judaïsme et christianisme sont des monstres conceptuels qui n’existent que dans l’esprit des intellectuels et de ceux qui les prennent au sérieux. Il existe plusieurs judaïsmes, tout comme il y a plusieurs christianités. Ceci étant, des différences notables séparent les deux traditions qui forment cette étrange invention occidentale qu’est la culture judéo-chrétienne. Pour le plus optimiste des chrétiens, le péché est le Destructeur, l’Eris qui rivalise avec Eros, la version originale du dieu d’amour, l’Unificateur et le Créateur. Le péché a non seulement affaibli les aptitudes morales de l’être humain, mais il a de surcroît redessiné le cosmos en obligeant Dieu à créer l’enfer et le purgatoire. Le péché a même poussé Dieu à briser le tabou métaphysique essentiel en se faisant chair, au prix d’un mélange scandaleux entre l’humain et le divin. Enlevez le péché et le christianisme perd tout son sens.

Alors que le judaïsme pourrait s’en passer ?
Pour le plus pessimiste des juifs, le péché n’est pas une force cosmique du mal, mais une rupture du contrat. Le judaïsme s’en tient en effet à une conception contractuelle de la relation entre Dieu et ses créatures, à commencer par son peuple élu. Ce contrat (au sens strict « l’alliance » mais, plus largement, « la marche du monde ») lie les deux parties; la justice est au-dessus de Dieu et peut lui être opposée. Le contrat chrétien, s’il a jamais existé, a été mis en pièce par la Chute. La rédemption est au-dessus et au-delà de la justice. La grâce est donnée pour rien – gratia gratis data.

Cette approche différente du péché reflète donc le primat du respect de la Loi pour les juifs, de la foi pour les chrétiens ?
Pour les juifs, seuls les actes constituent des ruptures de contrat. Ils s’intéressent peu à la pureté des motivations. D’un point de vue juif, des normes morales que personne ne peut respecter n’ont aucun sens. A l’inverse, conformément à l’enseignement de Saint Paul, les chrétiens ne se fient pas à « l’œuvre » : « à celui qui ne fait point d’oeuvre, mais qui croit en celui qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice ». Ils se voient comme pécheurs par définition, incapables de faire le bien stricto sensu mais, dès lors qu’ils peuvent avoir la Foi, l’Espérance et l’Amour, ils sont attentifs aux processus psychologiques.

Traversons les siècles. « Vivre sans temps morts et jouir sans entraves », proclamaient les étudiants en mai 68. Peut-on jouir sans entraves ? Le désir peut-il exister sans interdits ?
Je ne crois pas. Pour la bonne raison que l’homme est un animal social. En dehors de la Cité, dit Aristote dans La Politique, on ne trouve que des dieux et des bêtes. Nous ne sommes ni l’un ni l’autre. La Cité, la société humaine, n’est pas faite de briques et de ciments mais de lois et règlements, en somme de chaînes. On devient humain en comprenant qu’il faut renoncer à certains plaisirs pour éviter la sanction (principe de réalité); on devient moral lorsqu’on intériorise les règles (en développant un surmoi) et qu’on les considère comme ses propres obligations. En résumé, être humain au sens plein du terme suppose d’accepter des limites. Bien entendu, cela ne signifie pas que nous ne désirons pas ce qui est interdit – au contraire cela nous arrive très souvent. Mais nous nous imposons des limites, nous sublimons et admettons comme un état normal la tension intérieure entre le désirable et le licite. Les étudiants de 1968 ne cherchaient pas à créer une société sans règles dans laquelle le désir aurait pu se donner libre cours. La plupart étaient des fils et filles à leur maman qui ne voulaient qu’une chose: devenir bourgeois le plus vite possible. C’est des entraves de leurs parents qu’ils entendaient se délivrer. Ils voulaient créer leur propre prison sociale. Et bien sûr, ils y sont parvenus. L’émergence de la morale politiquement correcte, qui est aussi moralisatrice et dégoulinante de bonne conscience que la vieille morale, révèle le caractère essentiellement conservateur de la révolution étudiante.

Et si, en 1968, on avait simplement raté le coche ? Une société sans surmoi (dans laquelle il serait « interdit d’interdire ») est-elle inconcevable ?
Je ne pense pas qu’une telle société soit possible – ou désirable. Même Thélème, la communauté utopique de Rabelais, exige que ses membres soient préalablement conditionnés par une éducation adaptée.

Penseriez-vous, comme Maurras, que la religion garantit l’ordre social ?
Il s’agit de savoir si, sans la croyance en un super-policier ou en un Dieu doté de rayons X moraux pour voir à travers les murs et d’un enfer pour régler ses comptes, on peut espérer un comportement moral des gens. C’est une vieille question. Dieu a souvent été le gendarme avec lequel on faisait peur aux petits enfants (« si tu n’es pas sage… »). Des générations de rabbins, hommes d’église et mollahs nous ont raconté que sans Dieu, le chaos moral règnerait. Pour moi, la peur ne peut pas être le fondement de l’éthique. Nous devons nous garder du mal non pas par peur du châtiment, mais parce que c’est le mal et qu’il contrecarre celui que nous voulons être. Ce comportement exige un entraînement moral incessant – l’askesis des Stoïciens. Lequel suppose une société sûre de ses valeurs dans laquelle les enfants sont éduqués à la responsabilité morale – aux devoirs et non aux seuls droits.

Oui, mais les droits priment désormais sur les devoirs. Chacun est encouragé à se comporter comme un créancier par rapport à la collectivité. La morale pourrait-elle être remplacée par une sorte de contrat minimal entre membres d’une société ?
Le triomphe des droits ne traduit pas seulement un affaiblissement de notre fibre morale. Il est conssubstantiel à l’idéologie du Marché. Pour l’utopie libérale, le seul objectif qui vaille est la quête du bonheur, défini par la consommation de biens marchands. Tout ce qui s’oppose à cette activité sacrée (qui, grâce à la « main invisible », bénéficie à l’ensemble de la communauté) doit être éliminé. Laissez faire! Laissez passer! Tant que vous n’interférez pas avec le plaisir d’autrui, faites tout ce qui vous chante. Dans un monde « idéal », les seules différences qui persisteront seront les différences de « goûts » (tu aimes Adidas et moi Nike). D’ores et déjà, nos produits, nos vies, et même nos passions, sont standardisés. Dans ces conditions, un système moral fondé sur l’intériorisation de la contrainte ne peut qu’aboutir à des frondes. Les gens prêts à payer le prix fort pour le respect de leurs valeurs sont des consommateurs politiques avertis et soupçonneux. Ils ont tendance à examiner sous toutes les coutures les produits qui leur sont proposés. Mais notre culture a besoin de consommateurs passifs, politiquement et moralement indifférents. Orwell s’est trompé: 1984 est passé et nous ne voyons rien qui ressemble à son enfer stalinien. En revanche, nous nous rapprochons un peu plus chaque jour du Meilleur des Mondes d’Huxley. Faut-il le déplorer? Difficile à dire. Si on est attaché à la liberté, la réponse est oui.

Nous voilà bien avancés : Dieu est mort, toute figure « surmoïque » est récusée et l’éthique de responsabilité n’est pas très tendance. Dans ces conditions, sur quoi peut-on fonder aujourd’hui une morale ? Qui est le « témoin » de nos péchés ?
J’ai déjà essayé de répondre mais j’admets que c’est là le point faible de tout système moral. L’emprise de nos passions est telle que nous avons du mal à croire que nous pourrions nous passer d’un « super-surveillant général ». Encore une fois, je crois en l’éducation à l’éthique de responsabilité. Cela dit, l’apprentissage de la morale ne peut intervenir que dans une société sûre de ses valeurs et de son droit à les imposer.

Le péché engendre la culpabilité mais aussi la honte. Or, à l’âge des prides, ce n’est pas un affect très apprécié en Occident aujourd’hui. Que pensez-vous de cette « fierté » revendiquée ?
Les anthropologues distinguent les sociétés de la honte – où le pire châtiment des contrevenants est le mépris de leurs pairs – et les sociétés de la culpabilité – où le surmoi joue pour chacun le rôle du coryphée grec de la tragédie. C’est un peu simpliste. Chaque société est une combinaison des deux formules. Même quand elle est profondément intériorisée, la morale résulte d’un effort collectif. Elle suppose une attention à l’opinion des autres –du moins des autres qui comptent. La nouvelle fierté – gay, noire, juive – vise à convaincre les autres qu’on méprise leur mépris, autrement dit à retourner l’hostilité, à la reprendre à son compte (ton injure sera mon nom). Nous sommes là au cœur du conflit entre l’intériorité (ce que nous ressentons) et l’extériorité (ce que disent les gens). Et voilà que, au terme d’un long combat contre la culpabilité, nous avons recréé une culture de la honte. Nous sommes plus attentifs au qu’en dira-t-on (ce n’est vraiment pas chic d’être macho) qu’à la voix intérieure qui pourrait nous entraîner dans un conflit avec la société. Nous renonçons à atteindre l’excellence morale. Notre culture croit à la médiocrité morale.

Si le péché n’est plus défini par la loi divine, existe-t-il une valeur morale universelle et immuable, valable en tout temps et en tout lieu ?
Non. Peut-être pensez-vous que le fait de ne pas faire de tort à son prochain est une valeur universelle mais c’est faux. La plupart des sociétés admettent tant d’exceptions à cette règle qu’un touriste éthique ferait mieux de ne pas se fier à elle. La seule valeur « universelle » est qu’il est interdit de me faire du mal. Malheureusement, elle est incompatible avec votre propre valeur « universelle » – il est interdit de vous faire du mal.

Quel est, pour vous, le péché capital de l’époque ?
Délivrés de la culpabilité, nous ne considérons plus le corps et la matière comme les ennemis de nos âmes. En dépit de notre hédonisme et de notre narcissisme, nous prétendons être aussi moraux, voire plus. Bref, nous voulons la même chose pour moins cher, ce qui révèle le vice que je trouve le plus exaspérant aujourd’hui en Occident – la bonne conscience. Nous sommes très contents de nous. Trop contents.

Propos recueillis par Elisabeth Lévy.

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Les élèves doivent-ils noter les profs ?

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Les tatas flingueuses. David Abiker le sait : les femmes sont bavardes. Il n’a donc pas jugé nécessaire de fournir à Elisabeth Lévy de Causeur, Bénédicte Charles de Marianne et de Virginie Roels de bakchich, un invité à cuisiner. « L’invitée, c’est l’actu », a annoncé notre hôte. Emission enregistrée le vendredi 7 mars.

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