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Un nouveau 21 avril

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Aucun front républicain en vue, aucune manifestation Nation-République ni sit-in à l’heure du thé devant Colette, aucune collégienne en fleur menaçant de se cuiter au Champomy ni de lycéenne menaçant de renoncer à écouter Tokio Hôtel si cela advenait, pas la moindre starlette, pas un seul comique-troupier pour crier des no pasaran gros comme des monocles : décidément, la vie politique française n’est plus ce qu’elle était.

Et pourtant, qui peut oublier qu’il y a six ans exactement le monde politique français était agité d’un séisme sans pareil – sans toutefois que l’on ait encore pu en mesurer toute l’onde de choc. Seuls les Taïnos avaient éprouvé les répercussions directes de ce drame interplanétaire lorsque, fondant le musée Branly afin de répondre à cette grave crise politique que traversait votre pays, Jacques Chirac déclara : « Nous sommes tous des Taïnos allemands. » Ou quelque chose comme ça.

Or, selon toute vraisemblance, un nouveau 21 avril est en train de se produire. J’entends d’ici les ricanements des sceptiques : avez-vous une preuve ? Je l’affirme : depuis 0 h 00 (GMT), la France se rejoue un 21 avril, et cela ans que personne ne proteste. Indifférence ? Lassitude ? Exaspéritude ? Indifférentisme ? Nul ne le sait. Ce dont on est certain c’est que Lionel Jospin n’envisage pas de faire de déclaration annonçant qu’il renonçait à tout jamais à la politique.

Hier encore à deux doigts de sombrer dans le fascisme (comme nous l’expliquait l’ensemble des politologues français, de Gérard Miller à Emmanuelle Béart), la France ne semble plus être agitée par les vieux démons et l’hydre à un œil de la Trinité-sur-Mer, mais par ses sordides problèmes de fins de mois : on ne diabolise donc plus personne quand les temps sont venus de s’occuper à tirer le diable par la queue. On jette aux orties la très nietzschéenne volonté de puissance, quand le pouvoir d’achat vide les bourses et préempte les esprits. Et puisqu’il a la forme d’une tirelire, on est tout prêt à croire, au-delà de ses croyances religieuses, que dans le cochon tout est bon.

Le problème, nous le connaissons depuis Aaron (le frère de Moïse), c’est qu’en politique le cochon ne suffit pas : nous voulons des veaux d’or. Le pire, c’est que nous en aurons.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Mai 1968 ou le vide en héritage

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Nous sommes les héritiers de Mai 1968. C’est indubitable. Mais nous ne nous sommes plus que cela. Ceux qui, comme moi, sont nés après 1970, n’ont reçu en héritage que ce que leur a légué la génération précédente, celle qui avait une vingtaine d’années lors des réjouissances printanières où tant de gens ont cru voir une révolution. Et cet héritage est bien pauvre : il consiste en une propension juvénile à la déploration et à la dénonciation publique, en une confiance illimitée et aveugle en la jeunesse et en soi, en une détestation de principe de l’autorité et en un rejet haineux du passé.

« Du passé faisons table rase », disait l’Internationale, Mai 1968 et ses petits soldats lyriques l’ont fait, en braillant : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi. »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est assez réussi : plus un élève qui ne sache qui est Danton ou Marat, plus un élève qui sache distinguer une église romane d’un lavoir, plus un élève qui sache même qui furent Lénine et Mao. Les élèves font désormais le même usage de l’histoire que celui de leurs ainés : l’histoire n’est bonne qu’à proposer les ébauches imparfaites de notre modernité

Il était frappant, lors du mouvement anti-CPE, d’observer le mimétisme des enfants et voire des petits enfants des « révolutionnaires » de Mai, qui n’avaient qu’une idée en tête, répéter Mai.

Il serait intéressant, en ces temps de commémoration lyrique, de soumettre les jeunes générations à une petite épreuve. Elle consisterait à leur faire lire les slogans inscrits sur les murs des rues et des universités en 1968 et à leur demander ce qu’ils en comprennent. On se rendrait alors compte qu’ils n’y comprennent rien, ni le sens, ni, plus grave, l’humour souvent référentiel (notamment des citations de Saint-Augustin, Napoléon, Ambrose Bierce, Alphonse Allais, etc.)

Enfants gâtés de l’histoire, ils furent la première génération depuis la nuit des temps qui ne connut pas la guerre, ni même sa menace – tandis que la génération précédente avait encore connu la guerre d’Algérie –, ils furent la dernière génération à connaître une telle prospérité et ce qui l’accompagnait, à savoir des carrières nombreuses et brillantes possibles à une époque où tout se développait et s’élargissait : les entreprises, les universités, les Grandes Ecoles, etc. Ajoutons qu’ils ne connurent pas, dans leur jeunesse, la psychose sexuelle induite par l’apparition du SIDA.

Gâtés par l’histoire, ils le furent aussi par l’instruction. Les premiers, ils reçurent si nombreux une excellente formation classique (latin, grec, littérature classique, une belle langue française, etc.) et les derniers, ils reçurent l’héritage populaire de nos provinces, ses langues (dialectes français, occitan, breton, basque, alsacien, gascon, etc.) et ses traditions.

Comme tous les enfants gâtés, ils ont détruit ce qu’ils avaient reçu, ce que l’histoire avait conservé si longtemps, ces langues, ces traditions et cet enseignement hérité des jésuites et généralisé par la République. Ils remplacèrent tout cela par leurs caprices, par leurs fantasmes et par la seule mémoire de leur jeunesse.

Ma génération est la première à n’avoir rien reçu : ni langue régionale (le fameux patois dont le patrimoine est parfois éminent, si on parvient à se souvenir des troubadours – ce que font les Italiens et les Catalans, mais pas nous) ; ni formation classique (les classes de latin et grec ont fermé presque partout, en dépit de la défense menée par leurs ainés, telle Mme Jacqueline Worms de Romilly) ; ni même, et c’est plus grave, culture nationale : nos élèves ignorent presque tout de l’histoire de France, de sa littérature classique et leur maîtrise du français est confuse et laxiste, conforme au fond aux seules exigences qu’on a fait peser sur eux et qui se résument à l’expression de soi (à la place de l’expression tout cours).

Bartabas rappelait récemment le péché de la génération 1968 par ces mots : « Ce que la génération qui m’a précédé – celle de 68 – a oublié d’assumer : la transmission du savoir. »

Nous n’avons reçu que le narcissisme des enfants gâtés de l’histoire et leurs bons sentiments ; nous n’avons reçu aucun savoir, ni aucun savoir-faire. N’est-ce pas dès lors à notre génération de dresser le bilan de Mai 1968 et de l’œuvre de ses acteurs, plutôt qu’à celle qui déjà a suffisamment fait pour rendre abruties et incultes celles qui viendraient après ? Or, on n’entend qu’eux ! Depuis quarante ans, on n’entend qu’eux, comme si la France avait commencé avec leurs cris et leurs slogans ; ils pavanent tous ces jours-ci, comme des anciens combattants alors que ce sont de nouveaux rentiers. Les vrais résistants, qui devaient leur carrière à leur engagement, avaient de la pudeur et du courage, EUX.

La crise de l’identité française n’est pas difficile à expliquer. Depuis Mai 1968 et conformément au crédo de ses acteurs, la France est considérée comme le pays des droits de l’homme et n’est que cela.

Oubliées les mémoires provinciales qui permettent de comprendre que la France s’est constituée au gré d’une histoire diverse et complexe, une histoire dont la République n’est que le dernier chapitre ; oubliés les siècles sans démocratie où l’Europe admirait pourtant nos écrivains et nos savants et nos soldats ; oubliées ses racines chrétiennes, latines, grecques, germaines ; oubliés ses patois ; oubliée la langue scolaire qui, pourtant, souda la nation d’abord son élite, puis, l’école se développant (et la guerre mélangeant les gens de toutes les provinces), toutes les autres couches de la société.

Ce qui fait une nation, c’est une commune mémoire. Nous n’en avons plus. Rien n’est plus écœurant pour ceux de ma génération que d’entendre à longueur de journée le diagnostic de tous ces irresponsables qui, passées les journées de Mai, une fois arrivés aux affaires (ils y sont toujours), n’ont eu de cesse que de réaliser leurs fantasmes : l’enfant au centre (de tout), les vieilles lunes aux oubliettes (les souvenirs inutilisables symboliquement, les langues régionales (inutiles pour l’ascension sociale et trop liées au passé et à la campagne), les humanités (latin, grec et culture religieuse), toutes les formes (vestimentaires, linguistiques, la politesse, etc.) et la sélection).

Les fossoyeurs de la mémoire et des langues s’érigent, depuis quarante ans, en médecins de celles-ci, qui prennent leurs modèles là où la mémoire survit moins encore.

Les pays scandinaves, sans cesse donnés en exemple, sont malades plus encore que nous : leurs enfants n’y apprennent presque rien (l’anglais qu’ils parlent si bien, ils l’apprennent à la télévision où rien n’est doublé), ils se désintéressent de leur histoire – les départements de scandinave ancien sont désertés par les Danois et les Suédois (où d’ailleurs ils ont même tendance à fermer).
Mais ils ne sont pas nombreux et les sociétés sont assez homogènes et prospères, aussi l’identité nationale est-elle préservée – mais pour combien de temps et dans quelles conditions ?

Les acteurs de Mai détestent la France, ils n’en aiment que les quelques symboles utilisables : la Révolution française, la Résistance (et encore) et une partie de son patrimoine artistique et culinaire. Ceux-là (et certains de leurs disciples dociles des générations suivantes) invoquent dès qu’ils peuvent les autres périodes de notre histoire comme des repoussoirs dont les gens ne savent plus rien désormais de toute manière : l’Ancien Régime (dont on confond tous les rois et toutes époques), le Moyen Âge (dont on ignore tout et qu’on caricature sous les traits de l’Enfer de Dante, auteur aujourd’hui ignoré universellement), l’Empire (Napoléon est de plus en plus décrit comme un Hitler – selon une lecture anglo-saxonne), le Second Empire (dont on ne retient rien alors qu’il permit de moderniser le pays et de développer un grand nombre de nos régions, dont le Sud-Ouest), Vichy (la référence et le résumé de la France selon BHL, dans L’idéologie française qui fut la Bible de nombreux acteurs de Mai)…

Comment s’étonner que le résultat de leurs travaux politiques, sociaux et idéologiques soit une générale détestation de la France, de son passé, de son présent et de tout ce qui y est associé, qu’une partie de notre jeunesse aille au stade pour siffler son hymne national, qu’elle n’hésite pas à quitter le pays ou la langue française ?

Le sentiment national est nécessairement un sentiment particulier : c’est le sentiment d’appartenir à une histoire particulière, de participer à une aventure particulière, de parler une langue particulière et de vivre sous des lois particulières.
Tout à leur lyrisme, les acteurs de Mai, ont décidé de renoncer au particulier pour embrasser l’universel : la France n’est plus que la patrie des droits de l’homme, l’expérience française, libérée de son lourd héritage historique, n’est qu’une promesse de justice sans cesse trahie – une bonne raison de redescendre sans cesse dans la rue commémorer Mai.
Aucune nation ne peut se nourrir que d’universel et chaque fois qu’une nation s’est pensée comme universelle, encore que cette pensée ne fut alors jamais qu’un horizon, cela se traduisit par des guerres et de l’expansion. La colonisation en fut un symptôme : si la France est universelle, pourquoi devait-on en priver les peuples ?

Il est évident qu’on ne restaurera pas l’identité nationale en se contentant d’expulser sans grand discernement un maximum d’étrangers et qu’on n’enseignera pas l’amour de la France et de sa langue (voire de ses langues) par un catéchisme scolaire vidé de toute mémoire et des coupes du monde.

La France est un pays fort de traditions savantes, linguistiques, historiques et universitaires riches et nombreuses. C’est un pays au patrimoine inépuisable mais menacé, par l’indifférence (on détruit de plus en plus d’églises et les châteaux sont massacrés les uns après les autres par de funestes transformations ou, tout simplement, la ruine).

Les acteurs de Mai détestent tant l’héritage qu’ils considèrent qu’on ne le taxe jamais suffisamment, qu’on ne l’entrave jamais suffisamment, car rien n’est plus inique que l’héritage. Je m’étonne souvent qu’ils n’aient pas encore envisagé d’égaliser les patrimoines génétiques (les héritages biologiques)… mais soyons patients : leur passion de l’égalité et leur haine de l’héritage les y conduiront un jour.

Les acteurs de Mai ont oublié une chose importante : tout héritage s’accompagne de dettes ; les premiers, ils ont joui de l’héritage en ignorant les dettes, à commencer par celle qu’on contracte en recevant tout héritage : celui de le transmettre à la génération suivante. Cette dette est une dette laissée non seulement par ceux qui nous ont précédés, mais aussi et surtout qui nous lie à ceux qui viennent et à qui nous devons confier mémoire et savoir car ils sont l’avenir.

Que transmettront ceux de ma génération et ceux de la génération suivante ? On ne fait pas une nation et une histoire avec de la bonne conscience et quelques symboles réconfortants. La nation se bâtit dans les mémoires et dans la langue, pas sur le pavé à hurler des slogans ineptes – les mêmes depuis trente ans (les seules chansons que les plus jeunes partagent avec les plus vieux sont ces chants fort laids des manifestations…).

Ceux qui ont acquis leur rente en jetant des pavés voudraient qu’on les admire d’avoir joui sans partage de leurs privilèges pendant tant de temps en cherchant à nous faire verser une larme émue sur leurs faits d’arme. Ce n’est plus odieux, c’est obscène.

Mohamed Al Doura et le Parti des Médias

« A quoi bon ressortir cette vieille histoire ? » « De toute façon, le mal est fait ». Telle a été la première réaction de ceux à qui nous avons confié notre intention de revenir sur « l’affaire Al Doura ».

Mohamed Al Doura, pour ceux qui l’auraient oublié, est ce petit garçon palestinien dont France 2 a présenté, le 30 septembre 2000, la mort dans les bras de son père, dans des affrontements entre Palestiniens et soldats israéliens au carrefour de Netzarim à Gaza. Monté et commenté par Charles Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem à partir d’images tournées par son cameraman palestinien Talal Abu Rahma, ce reportage a fait le tour du monde. L’enfant est devenu une icône dans le monde arabe et au-delà[1. Rappelons que Catherine Nay a cru bon d’affirmer que l’image de Mohamed effaçait celle de l’enfant juif du ghetto tenu en joue par des SS]. On a donné son nom à des rues, à des écoles, des timbres à son effigie ont été édités, des chansons et poèmes ont célébré sa mémoire. Bref, le petit Mohamed est, pour des millions de personnes à travers le monde, un symbole, un symbole de la barbarie israélienne, voire, pour certains, de la bestialité juive.

C’est vrai, le mal est fait. L’impact de cette image ne sera pas effacé. La « Place de l’Enfant martyr palestinien » à Bamako ne sera pas débaptisée. Du point de vue du conflit israélo-palestinien, l’épisode est clos. D’autres visages, d’autres morts, d’autres souffrances sont venues, depuis huit ans, peupler les vies et les imaginaires.

Restent les questions posées au journalisme télévisé et au journalisme tout court. Questions d’autant plus pressantes que voilà presque huit ans qu’elles demeurent sans réponse. Aux doutes et interrogations suscités par son reportage, France 2 a répondu par le silence ou le mépris – en fonction de la surface sociale de ceux qui l’interrogeaient[2. Denis Jeambar qui était alors patron de L’Express et Daniel Lecomte, producteur de télévision, ont eu droit à un traitement de faveur lorsqu’ils ont enquêté sur l’affaire en octobre 2004. En effet ils ont été invités par la direction de France 2 à visionner les vingt-sept minutes de rushes réalisées par Talal Abu Rahma, ce qui a été refusé à beaucoup d’autres, notamment Elisabeth Lévy pour l’édition du Premier Pouvoir sur France Culture consacrée à l’affaire le 26 février 2005.]. Et quand ces doutes se sont transformés en polémiques, la profession a fait corps autour de l’un des siens, odieusement attaqué, contribuant au passage à transformer l’affaire Al Doura en affaire Enderlin.

Morale de l’histoire : un journaliste ne peut pas se tromper. Le critiquer revient nécessairement à attenter à son honneur, et donc, à celui de toute la profession. Circulez, rien à voir. Comme la terre autrefois, la télé ne ment pas. S’interroger sur la réalité de ce qui nous est montré, c’est céder aux sirènes du complotisme. A l’ère de l’incrédulité érigée en principe, le Parti des Médias exige une foi aveugle. Telle est en effet la conclusion qui s’impose : il existe un Parti des Médias qui évoque furieusement les Partis communistes d’antan. Les intérêts supérieurs du Parti passent avant tout. Ceux qui se posent des questions sont des irresponsables, des salauds ou des traitres.

Afin de résumer un dossier qui, en huit ans, s’est considérablement alourdi, il n’est pas inutile de revenir sur les différentes interprétations de ce qui s’est passé, ce jour-là, au carrefour de Netzarim à Gaza.

1. Mohamed est mort, tué volontairement par des soldats israéliens. C’est ce qui ressort du commentaire de Charles Enderlin au soir du 30 septembre. « Les Palestiniens ont tiré à balles réelles, les Israéliens ripostent. Les cameramen, les passants les ambulanciers sont pris entre deux feux. Djamal et son fils Mohammed sont la cible de tirs venus de la position israélienne. (…) Mohamed est mort. Son père gravement blessé. » La déclaration sous serment faite le 3 octobre 2000 par Talal Abu Rahma au Centre palestinien des Droits de l’homme est encore plus nette : « Je peux confirmer que l’armée israélienne a tué l’enfant et blessé le père intentionnellement et de sang-froid. » Consciemment ou pas, la plupart des observateurs (y compris en Israël) ont à l’époque intégré l’idée que l’enfant avait été assassiné. Le surlendemain de la diffusion du reportage, le chargé d’affaires israélien à Paris, invité de France Inter, est cueilli à froid par une question sans équivoque : « Sincèrement, la mort de ce gosse est injustifiable, quelque soient les raisons pour lesquelles il a été tué. On ne peut pas tuer les enfants comme ça. » Le 7 octobre, au cours de l’émission du médiateur de France 2, Jean-Claude Allanic, celui-ci affirme : « L’horreur absolue, c’est l’assassinat d’un enfant. »

2. Mohamed est mort, victime de balles israéliennes dans des circonstances non élucidées. C’est la version de Charles Enderlin quelques jours après les faits. Interrogé par le médiateur de France 2, il répète que, selon son caméraman en qui il a pleinement confiance, les balles étaient israéliennes. En revanche, il admet n’avoir pas de certitude sur les circonstances du drame, c’est-à-dire sur ce que les soldats pouvaient voir de leur fortin. Cette version est proche de celle qui, dans un premier temps, a été validée par l’armée israélienne.

3. Mohamed est mort, tué par des balles dont il est impossible de connaître l’origine. C’est finalement ce que soutient Arlette Chabot dans un entretien accordé à Radio J en novembre 2004. « Est-ce que Mohamed, le petit Mohamed (et) son père ont été blessés et tués par des israéliens ou les Palestiniens. Je ne suis pas sûre que l’on ait un jour la réponse exacte à cette interrogation (…). Mais ce jour là l’idée la plus évidente, c’était que les tirs venant de la position israélienne, c’étaient des Israéliens ; bon voilà. Y a polémique, y a discussion, d’ailleurs je constate qu’aujourd’hui personne n’a de vérité absolue sur ce sujet et qu’y a toujours un doute. » Cette version prudente est confirmée par Talal Abu Rahma dans une déclaration faxée à France 2 le 30 septembre 2002 (deux ans après les événements). « Je n’ai jamais dit à l’Organisation Palestinienne des Droits de l’Homme à Gaza que les soldats israéliens avaient tué intentionnellement et en connaissance de cause Mohamed Al Doura et blessé son père, écrit-il. Tout ce que j’ai toujours dit dans les interviews que j’ai données est que d’où j’étais, j’ai vu que les tirs venaient de la position israélienne[3. Au moment où nous écrivons, cette déclaration se trouve toujours sur le site du Centre.]. » En quatre ans, France 2 est donc passé de la certitude au doute. Sans en tirer d’autres conclusions.

4. Mohamed n’est pas mort, et le reportage est une mise en scène. Cette thèse apparemment radicale est d’abord soutenue par la Mena (Metula News Agency, agence de presse francophone israélienne). Luc Rozensweig, ancien journaliste au Monde, qui a enquêté en Israël, a également la conviction qu’il s’agit d’une manipulation. De son côté, Philippe Karsenty, qui a fondé en France un site de « surveillance des médias », Média-Ratings, pense que France 2 a couvert après coup une « imposture médiatique ». Ce qui lui vaut d’être poursuivi pour diffamation devant la XVIIe Chambre du Tribunal de Paris[4. En revanche, France 2 n’a pas poursuivi Gérard Huber, ancien collaborateur de la Mena et auteur d’un livre sur l’affaire. Condamné en première instance en octobre 2006, Karsenty fait appel. En octobre 2007, la présidente de la XIe Chambre de la Cour d’Appel de Paris somme France 2 de produire les rushes. Ceux-ci, ainsi que la présentation de Karsenty sont visionnés en février 2008 par la Cour. Le jugement (qui portera sur le caractère diffamatoire ou non d’un article et non pas sur la véracité des faits) est mis en délibéré au 21 mai 2008.].

Le meilleur des sites

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Les invités de Parlonsnet présentent l’actualité de leur site respectif. Emission du vendredi 11 avril, avec David Abiker (France Info), Chloé Leprince (rue89.com), Anna Borel (Marianne2.fr) et David Martin-Castelnau (Causeur.fr).

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Règlements de comptes à gauche

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A la question des ses interviewers (Où en est la gauche ?), Patrick Weil répond avec sarcasme : « Où est la gauche ? » « Feignante », « myope » et « couarde », elle en prend pour son grade presque autant que le Président. Une suggestion pour la refonder, et réunifier autour d’elle le peuple, y compris immigré : s’inspirer et célébrer Clemenceau, l’homme du « J’accuse », de l’anticolonialisme et de la laïcité. Après Guy Moquet, Jaurès et Mendés, Sarkozy sait donc ce qu’il lui reste à faire…

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Patrick Weil

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Patrick Weil, spécialiste de l’immigration (CNRS), a usé son quota de patience vis-à-vis de Nicolas Sarkozy: il juge sa politique en matière d’immigration à la fois « réactionnaire » et « brouillonne ». Démissionnaire, l’année dernière, du conseil de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour marquer son refus du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, il revient à la charge avec un ouvrage de combat : « Liberté, Egalité, Discriminations » (Grasset, 2008). Il répondait ce vendredi 11 avril à David Abiker (France Info), Chloé Leprince (rue89.com), Anna Borel (Marianne2.fr) et David Martin-Castelnau (Causeur.fr).

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Sarkozy : l’agité législatif

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La voix a beau être posée, le propos argumenté, c’est à une exécution en règle que se livre Patrick Weil : « l’agitation » législative de Sarkozy, à l’Intérieur puis à l’Elysée, témoigne d’un retour « aux pires périodes de notre histoire ». Mieux (enfin, pire…) : les résultats lui semblent désastreux, puisqu’il avance le chiffre de « 25 % de dangereux criminels non expulsés alors que la justice les a sous la main ». Une concession, cependant : contrairement à ses prédécesseurs, Sarkozy « affronte les problèmes ».

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Une politique de la mémoire

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Vis-à-vis de la souffrance historique des immigrés (colonisation, esclavage, etc.), l’indifférence de l’Etat révolte Patrick Weil. Sur les différences d’intégration (le rejet de prénoms « occidentaux » par la plupart des immigrés musulmans, par exemple), Weil invoque une réaction au mauvais traitement que leur aurait réservé la France. Le fait que des sociétés tolérantes comme la Hollande, la Belgique et le Danemark aient basculé en vingt ans dans la xénophobie ? « Elles s’y sont mal prises… » Bref, comme à l’extrême droite, le problème est finalement simple: il n’y a toujours qu’un seul et unique responsable.

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Eric Breteau, sortie de prison, entrée des artistes

Il y a quelques semaines, c’était un zozo. Le voilà en passe de devenir un héros. A peine sorti de prison, Eric Breteau est reçu avec les honneurs dans les médias. Et pas les moindres. Le même jour, France Info, le 20 heures de Poivre d’Arvor sur TF1 et le Grand Journal de Canal (où curieusement, il est flanqué de son avocate supposée l’empêcher de dire des âneries). Tapis rouge.

Pour ceux qui auraient raté un épisode, rappelons que Breteau est l’organisateur de la piteuse équipée tchadienne de l’Arche de Zoé. Un Robert Ménard qui a échoué. Breteau, c’est un soldat du Bien, un professionnel de la bonne conscience. Plutôt sympathique au demeurant, le gars incarne à lui tout seul les deux vaches sacrées de l’époque – l’enfance et l’humanitaire. La complexité du réel, ce n’est pas son truc : d’un côté, il y a les salauds, les gouvernements qui pourraient agir et ne font rien et de l’autre, les justes. Breteau se joue en permanence un remake d’Antigone bravant Créon.

Tout s’explique. Il s’agissait bien sûr, de sauver des enfants, d’éveiller nos consciences endormies. Mais pas seulement. Breteau, avait, si on le comprend bien, un agenda caché. Il voulait provoquer une crise internationale majeure pour déclencher une action au Darfour. Rien de moins. A l’arrivée, il n’a réussi qu’à faire emprisonner toute son équipe dans les prisons tchadiennes, obligeant la diplomatie française à faire des mamours à Idriss Déby et une bonne partie des médias français à faire semblant de croire que la justice tchadienne était indépendante. Passons.

Que vient faire ce croisé sur les plateaux de télévision ? Tout d’abord, se justifier et expliquer qu’il est une victime. Victime de l’indifférence générale. Victime du gouvernement qui l’a encouragé dans son entreprise justicière avant de lui tirer le tapis sous les pieds. Une chose est sûre : il est bien un héritier maladroit et zélé de Bernard Kouchner. A force d’entendre d’éminents intellectuels et politiques proclamer qu’un génocide était en cours et rivaliser dans l’indignation face à la passivité mondiale (un mauvais procès compte tenu de la mobilisation humanitaire pour le Darfour), il a fini par se sentir investi d’une mission. D’une façon générale, le compassionalisme victimaire se portant fort bien dans les allées du pouvoir, il est fort probable que l’Arche de Zoé a bénéficié de soutiens gouvernementaux bien réels (voir notre entretien avec Rony Brauman).

On aimerait en savoir plus ? On attendra. Et c’est là qu’il y a, pardonnez-moi l’expression, foutage de gueule. Car ce qu’Eric Breteau vient faire sur les plateaux de télévision, c’est d’abord la promotion de son livre – lequel, curieusement, ne sortira que dans trois semaines. Vous ne serez pas déçu. Plon a mis le paquet pour cet ouvrage modestement intitulé Arche de Zoé, les dessous d’une affaire d’Etat. Que du croustillant. Eh oui, c’est cela, maintenant un livre : un objet de papier confectionné en quelques semaines, annonciateur d’appétissants scandales. Un nouveau genre : le livre à grande vitesse et à grand spectacle. Ecrit aussi vite qu’un article ou presque, ça rapporte beaucoup plus. Grâce aux téléspectateurs qui se sont rués sur les inoubliables ouvrages consacrés à Carla et Cécilia. Après le prélancement gracieusement assuré par TF1 et Canal +, ne doutons pas que le chef d’œuvre d’Eric Breteau sera un succès commercial. Au fait, que pourrais-je faire, comme ânerie, pour faire un livre et renflouer mes finances ?

Métis, si je veux !

Au début, c’était enivrant. Cela devient saoulant. « Qu’ils sont ravissants vos fils ! Métis, non ? Ah ! Les métis, c’est (sic) toujours très beau… » Aujourd’hui c’est une voisine, charmante comme tout, Nouvel Obs sous le bras, qui me sert le compliment.
Et m’exaspère.

Je n’ai pourtant rien contre le métissage. Certes, l’injonction culturelle du métissage à tous prix m’agace (comme du reste toute forme de « pensée gramophone »), mais d’elle je ne me préoccupe guère : contrairement aux idéologies totalitaires, il suffit de l’ignorer pour s’en libérer. Et puis, ne suis-je pas, moi aussi, à la fois fils et père du métissage ? Non, la gêne que j’éprouve aujourd’hui encore dans le hall de mon immeuble ne provient pas de la louange, mais de ce qu’elle sous-entend. Et qui me semble remarquablement préoccupant.

Le racisme est devenu un tabou contemporain. Tant mieux. Mais ce qui semble avoir échappé à notre vigilance, c’est la persistance d’un discours qui, pour être formellement sympathique, n’autorise pas moins la pérennité, la mutation et donc, à terme, le retour d’un racisme pur et dur.

Car si l’expression raciste de nature agressive est prohibée, la louange raciste, elle, ne l’est pas. Les Noirs sont plus sympathiques, les Nordiques mieux bâtis, les Asiatiques plus sensuels, et ad libitum : autant de jugements caricaturaux, qui sont communément propagés et admis dans la mesure où ils ne sont pas proférés dans un but méprisant… mais laudateur. Ils n’en demeurent pas moins d’essence parfaitement raciste. Mes enfants sont beaux… comme tous les Métis. Ben Johnson court vite… comme tous les Noirs. Mlle Gong Li est gracieuse… comme toutes les Jaunes. Zidane ne plaisante pas avec l’honneur de la famille… comme tous les Arabes [1. Zinédine Zidane n’est pas Arabe mais Kabyle ? Qu’importe. Pendant toute l’épopée bleue (1998-2006), il fut sommé d’incarner l’Arabe d’une équipe nationale black-blanc-beur, qui n’en compta jamais un seul. Dommage, car l’Arabe, dit-on, est fin dribbleur…].

On ne trouvera là nulle matière à procès. Ni injure, ni dénigrement. Que des compliments. Mais qui enferment. Qui caricaturent. Et soutiennent qu’un être humain n’est plus le produit de son histoire, de ses choix personnels, de son univers historique et de son héritage culturel : il est avant tout et plus que tout l’illustration d’un principe génétique. Les Métis sont beaux, comme les Noirs dansent bien et les Asiatiques cousent vite. Loin de toute vocifération hitlérienne, on en arrive ainsi, de nouveau, à ramener l’individu à ses caractéristiques zoologiques.

L’homme ? Un animal comme les autres

Pourtant, si toutes les vaches ont des cornes, tous les Noirs n’ont pas la voix de Barry White ; si tous les oiseaux volent, tous les Asiatiques ne sont pas soigneux ; si toutes les poules sont ovipares, tous les Métis ne sont pas gâtés par la nature ; si tous les poissons ont des écailles, tous les Juifs ne sont pas doués pour faire de l’argent, de la philosophie ou de la physique quantique.

Et c’est heureux : la non-reproduction de caractéristiques d’espèce est précisément ce qui fonde la dignité et la liberté de l’homme. Cette conception de l’homme est hélas minée par un néo-racisme débonnaire et flatteur, qui à la haine préfère l’ADN, et nous ramène sans cesse au règne animal : pour la chasse ? Un teckel. Pour l’entrée du magasin ? Un black ! Pour le défilé de Deauville ? Un lévrier. Pour le standard et l’accueil ? Une Noich… Pour la chambre du petit ? Un hamster. Dans les buts ? Un rebeu. Pour Mamy ? Un chat angora. Et pour la Direction Générale ? Un blanc, la bonne blague !

Où l’on constate que la division raciale de l’éloge appelle déjà la division raciale du travail – c’est-à-dire qu’elle détermine l’utilité sociale.
Question : quel avenir prépare-t-on à certains de nos enfants, encouragés à travailler leurs abdos parce que Noirs, dans une société où seuls la matière grise est recherchée et où la force est désormais fournie par des robots tendanciellement gratuits ? Le chômage, la déréliction, l’amertume. Cool.
Qu’on y songe donc : derrière d’innocents compliments (« Oh ! Comme ils sont beaux… ») se profile une régression idéologique majeure. Il ne tient qu’à nous de l’enrayer. Avec un peu de pédagogie, sinon d’humour…

C’est pourquoi, aux admirateurs de mes enfants, j’ai décidé de livrer, une fois pour toutes, le secret de leur beauté. Mes fils ne sont pas beaux parce qu’ils sont métis. Ni parce que leur mère est superbe (et, accessoirement, leur père pas mal). Mes fils sont beaux parce qu’ils ont du talent et de la volonté, mes fils sont beaux parce qu’ils ont décidé d’être beaux.

Les Francophobes

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Un nouveau 21 avril

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Aucun front républicain en vue, aucune manifestation Nation-République ni sit-in à l’heure du thé devant Colette, aucune collégienne en fleur menaçant de se cuiter au Champomy ni de lycéenne menaçant de renoncer à écouter Tokio Hôtel si cela advenait, pas la moindre starlette, pas un seul comique-troupier pour crier des no pasaran gros comme des monocles : décidément, la vie politique française n’est plus ce qu’elle était.

Et pourtant, qui peut oublier qu’il y a six ans exactement le monde politique français était agité d’un séisme sans pareil – sans toutefois que l’on ait encore pu en mesurer toute l’onde de choc. Seuls les Taïnos avaient éprouvé les répercussions directes de ce drame interplanétaire lorsque, fondant le musée Branly afin de répondre à cette grave crise politique que traversait votre pays, Jacques Chirac déclara : « Nous sommes tous des Taïnos allemands. » Ou quelque chose comme ça.

Or, selon toute vraisemblance, un nouveau 21 avril est en train de se produire. J’entends d’ici les ricanements des sceptiques : avez-vous une preuve ? Je l’affirme : depuis 0 h 00 (GMT), la France se rejoue un 21 avril, et cela ans que personne ne proteste. Indifférence ? Lassitude ? Exaspéritude ? Indifférentisme ? Nul ne le sait. Ce dont on est certain c’est que Lionel Jospin n’envisage pas de faire de déclaration annonçant qu’il renonçait à tout jamais à la politique.

Hier encore à deux doigts de sombrer dans le fascisme (comme nous l’expliquait l’ensemble des politologues français, de Gérard Miller à Emmanuelle Béart), la France ne semble plus être agitée par les vieux démons et l’hydre à un œil de la Trinité-sur-Mer, mais par ses sordides problèmes de fins de mois : on ne diabolise donc plus personne quand les temps sont venus de s’occuper à tirer le diable par la queue. On jette aux orties la très nietzschéenne volonté de puissance, quand le pouvoir d’achat vide les bourses et préempte les esprits. Et puisqu’il a la forme d’une tirelire, on est tout prêt à croire, au-delà de ses croyances religieuses, que dans le cochon tout est bon.

Le problème, nous le connaissons depuis Aaron (le frère de Moïse), c’est qu’en politique le cochon ne suffit pas : nous voulons des veaux d’or. Le pire, c’est que nous en aurons.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Mai 1968 ou le vide en héritage

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Nous sommes les héritiers de Mai 1968. C’est indubitable. Mais nous ne nous sommes plus que cela. Ceux qui, comme moi, sont nés après 1970, n’ont reçu en héritage que ce que leur a légué la génération précédente, celle qui avait une vingtaine d’années lors des réjouissances printanières où tant de gens ont cru voir une révolution. Et cet héritage est bien pauvre : il consiste en une propension juvénile à la déploration et à la dénonciation publique, en une confiance illimitée et aveugle en la jeunesse et en soi, en une détestation de principe de l’autorité et en un rejet haineux du passé.

« Du passé faisons table rase », disait l’Internationale, Mai 1968 et ses petits soldats lyriques l’ont fait, en braillant : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi. »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est assez réussi : plus un élève qui ne sache qui est Danton ou Marat, plus un élève qui sache distinguer une église romane d’un lavoir, plus un élève qui sache même qui furent Lénine et Mao. Les élèves font désormais le même usage de l’histoire que celui de leurs ainés : l’histoire n’est bonne qu’à proposer les ébauches imparfaites de notre modernité

Il était frappant, lors du mouvement anti-CPE, d’observer le mimétisme des enfants et voire des petits enfants des « révolutionnaires » de Mai, qui n’avaient qu’une idée en tête, répéter Mai.

Il serait intéressant, en ces temps de commémoration lyrique, de soumettre les jeunes générations à une petite épreuve. Elle consisterait à leur faire lire les slogans inscrits sur les murs des rues et des universités en 1968 et à leur demander ce qu’ils en comprennent. On se rendrait alors compte qu’ils n’y comprennent rien, ni le sens, ni, plus grave, l’humour souvent référentiel (notamment des citations de Saint-Augustin, Napoléon, Ambrose Bierce, Alphonse Allais, etc.)

Enfants gâtés de l’histoire, ils furent la première génération depuis la nuit des temps qui ne connut pas la guerre, ni même sa menace – tandis que la génération précédente avait encore connu la guerre d’Algérie –, ils furent la dernière génération à connaître une telle prospérité et ce qui l’accompagnait, à savoir des carrières nombreuses et brillantes possibles à une époque où tout se développait et s’élargissait : les entreprises, les universités, les Grandes Ecoles, etc. Ajoutons qu’ils ne connurent pas, dans leur jeunesse, la psychose sexuelle induite par l’apparition du SIDA.

Gâtés par l’histoire, ils le furent aussi par l’instruction. Les premiers, ils reçurent si nombreux une excellente formation classique (latin, grec, littérature classique, une belle langue française, etc.) et les derniers, ils reçurent l’héritage populaire de nos provinces, ses langues (dialectes français, occitan, breton, basque, alsacien, gascon, etc.) et ses traditions.

Comme tous les enfants gâtés, ils ont détruit ce qu’ils avaient reçu, ce que l’histoire avait conservé si longtemps, ces langues, ces traditions et cet enseignement hérité des jésuites et généralisé par la République. Ils remplacèrent tout cela par leurs caprices, par leurs fantasmes et par la seule mémoire de leur jeunesse.

Ma génération est la première à n’avoir rien reçu : ni langue régionale (le fameux patois dont le patrimoine est parfois éminent, si on parvient à se souvenir des troubadours – ce que font les Italiens et les Catalans, mais pas nous) ; ni formation classique (les classes de latin et grec ont fermé presque partout, en dépit de la défense menée par leurs ainés, telle Mme Jacqueline Worms de Romilly) ; ni même, et c’est plus grave, culture nationale : nos élèves ignorent presque tout de l’histoire de France, de sa littérature classique et leur maîtrise du français est confuse et laxiste, conforme au fond aux seules exigences qu’on a fait peser sur eux et qui se résument à l’expression de soi (à la place de l’expression tout cours).

Bartabas rappelait récemment le péché de la génération 1968 par ces mots : « Ce que la génération qui m’a précédé – celle de 68 – a oublié d’assumer : la transmission du savoir. »

Nous n’avons reçu que le narcissisme des enfants gâtés de l’histoire et leurs bons sentiments ; nous n’avons reçu aucun savoir, ni aucun savoir-faire. N’est-ce pas dès lors à notre génération de dresser le bilan de Mai 1968 et de l’œuvre de ses acteurs, plutôt qu’à celle qui déjà a suffisamment fait pour rendre abruties et incultes celles qui viendraient après ? Or, on n’entend qu’eux ! Depuis quarante ans, on n’entend qu’eux, comme si la France avait commencé avec leurs cris et leurs slogans ; ils pavanent tous ces jours-ci, comme des anciens combattants alors que ce sont de nouveaux rentiers. Les vrais résistants, qui devaient leur carrière à leur engagement, avaient de la pudeur et du courage, EUX.

La crise de l’identité française n’est pas difficile à expliquer. Depuis Mai 1968 et conformément au crédo de ses acteurs, la France est considérée comme le pays des droits de l’homme et n’est que cela.

Oubliées les mémoires provinciales qui permettent de comprendre que la France s’est constituée au gré d’une histoire diverse et complexe, une histoire dont la République n’est que le dernier chapitre ; oubliés les siècles sans démocratie où l’Europe admirait pourtant nos écrivains et nos savants et nos soldats ; oubliées ses racines chrétiennes, latines, grecques, germaines ; oubliés ses patois ; oubliée la langue scolaire qui, pourtant, souda la nation d’abord son élite, puis, l’école se développant (et la guerre mélangeant les gens de toutes les provinces), toutes les autres couches de la société.

Ce qui fait une nation, c’est une commune mémoire. Nous n’en avons plus. Rien n’est plus écœurant pour ceux de ma génération que d’entendre à longueur de journée le diagnostic de tous ces irresponsables qui, passées les journées de Mai, une fois arrivés aux affaires (ils y sont toujours), n’ont eu de cesse que de réaliser leurs fantasmes : l’enfant au centre (de tout), les vieilles lunes aux oubliettes (les souvenirs inutilisables symboliquement, les langues régionales (inutiles pour l’ascension sociale et trop liées au passé et à la campagne), les humanités (latin, grec et culture religieuse), toutes les formes (vestimentaires, linguistiques, la politesse, etc.) et la sélection).

Les fossoyeurs de la mémoire et des langues s’érigent, depuis quarante ans, en médecins de celles-ci, qui prennent leurs modèles là où la mémoire survit moins encore.

Les pays scandinaves, sans cesse donnés en exemple, sont malades plus encore que nous : leurs enfants n’y apprennent presque rien (l’anglais qu’ils parlent si bien, ils l’apprennent à la télévision où rien n’est doublé), ils se désintéressent de leur histoire – les départements de scandinave ancien sont désertés par les Danois et les Suédois (où d’ailleurs ils ont même tendance à fermer).
Mais ils ne sont pas nombreux et les sociétés sont assez homogènes et prospères, aussi l’identité nationale est-elle préservée – mais pour combien de temps et dans quelles conditions ?

Les acteurs de Mai détestent la France, ils n’en aiment que les quelques symboles utilisables : la Révolution française, la Résistance (et encore) et une partie de son patrimoine artistique et culinaire. Ceux-là (et certains de leurs disciples dociles des générations suivantes) invoquent dès qu’ils peuvent les autres périodes de notre histoire comme des repoussoirs dont les gens ne savent plus rien désormais de toute manière : l’Ancien Régime (dont on confond tous les rois et toutes époques), le Moyen Âge (dont on ignore tout et qu’on caricature sous les traits de l’Enfer de Dante, auteur aujourd’hui ignoré universellement), l’Empire (Napoléon est de plus en plus décrit comme un Hitler – selon une lecture anglo-saxonne), le Second Empire (dont on ne retient rien alors qu’il permit de moderniser le pays et de développer un grand nombre de nos régions, dont le Sud-Ouest), Vichy (la référence et le résumé de la France selon BHL, dans L’idéologie française qui fut la Bible de nombreux acteurs de Mai)…

Comment s’étonner que le résultat de leurs travaux politiques, sociaux et idéologiques soit une générale détestation de la France, de son passé, de son présent et de tout ce qui y est associé, qu’une partie de notre jeunesse aille au stade pour siffler son hymne national, qu’elle n’hésite pas à quitter le pays ou la langue française ?

Le sentiment national est nécessairement un sentiment particulier : c’est le sentiment d’appartenir à une histoire particulière, de participer à une aventure particulière, de parler une langue particulière et de vivre sous des lois particulières.
Tout à leur lyrisme, les acteurs de Mai, ont décidé de renoncer au particulier pour embrasser l’universel : la France n’est plus que la patrie des droits de l’homme, l’expérience française, libérée de son lourd héritage historique, n’est qu’une promesse de justice sans cesse trahie – une bonne raison de redescendre sans cesse dans la rue commémorer Mai.
Aucune nation ne peut se nourrir que d’universel et chaque fois qu’une nation s’est pensée comme universelle, encore que cette pensée ne fut alors jamais qu’un horizon, cela se traduisit par des guerres et de l’expansion. La colonisation en fut un symptôme : si la France est universelle, pourquoi devait-on en priver les peuples ?

Il est évident qu’on ne restaurera pas l’identité nationale en se contentant d’expulser sans grand discernement un maximum d’étrangers et qu’on n’enseignera pas l’amour de la France et de sa langue (voire de ses langues) par un catéchisme scolaire vidé de toute mémoire et des coupes du monde.

La France est un pays fort de traditions savantes, linguistiques, historiques et universitaires riches et nombreuses. C’est un pays au patrimoine inépuisable mais menacé, par l’indifférence (on détruit de plus en plus d’églises et les châteaux sont massacrés les uns après les autres par de funestes transformations ou, tout simplement, la ruine).

Les acteurs de Mai détestent tant l’héritage qu’ils considèrent qu’on ne le taxe jamais suffisamment, qu’on ne l’entrave jamais suffisamment, car rien n’est plus inique que l’héritage. Je m’étonne souvent qu’ils n’aient pas encore envisagé d’égaliser les patrimoines génétiques (les héritages biologiques)… mais soyons patients : leur passion de l’égalité et leur haine de l’héritage les y conduiront un jour.

Les acteurs de Mai ont oublié une chose importante : tout héritage s’accompagne de dettes ; les premiers, ils ont joui de l’héritage en ignorant les dettes, à commencer par celle qu’on contracte en recevant tout héritage : celui de le transmettre à la génération suivante. Cette dette est une dette laissée non seulement par ceux qui nous ont précédés, mais aussi et surtout qui nous lie à ceux qui viennent et à qui nous devons confier mémoire et savoir car ils sont l’avenir.

Que transmettront ceux de ma génération et ceux de la génération suivante ? On ne fait pas une nation et une histoire avec de la bonne conscience et quelques symboles réconfortants. La nation se bâtit dans les mémoires et dans la langue, pas sur le pavé à hurler des slogans ineptes – les mêmes depuis trente ans (les seules chansons que les plus jeunes partagent avec les plus vieux sont ces chants fort laids des manifestations…).

Ceux qui ont acquis leur rente en jetant des pavés voudraient qu’on les admire d’avoir joui sans partage de leurs privilèges pendant tant de temps en cherchant à nous faire verser une larme émue sur leurs faits d’arme. Ce n’est plus odieux, c’est obscène.

Mohamed Al Doura et le Parti des Médias

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« A quoi bon ressortir cette vieille histoire ? » « De toute façon, le mal est fait ». Telle a été la première réaction de ceux à qui nous avons confié notre intention de revenir sur « l’affaire Al Doura ».

Mohamed Al Doura, pour ceux qui l’auraient oublié, est ce petit garçon palestinien dont France 2 a présenté, le 30 septembre 2000, la mort dans les bras de son père, dans des affrontements entre Palestiniens et soldats israéliens au carrefour de Netzarim à Gaza. Monté et commenté par Charles Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem à partir d’images tournées par son cameraman palestinien Talal Abu Rahma, ce reportage a fait le tour du monde. L’enfant est devenu une icône dans le monde arabe et au-delà[1. Rappelons que Catherine Nay a cru bon d’affirmer que l’image de Mohamed effaçait celle de l’enfant juif du ghetto tenu en joue par des SS]. On a donné son nom à des rues, à des écoles, des timbres à son effigie ont été édités, des chansons et poèmes ont célébré sa mémoire. Bref, le petit Mohamed est, pour des millions de personnes à travers le monde, un symbole, un symbole de la barbarie israélienne, voire, pour certains, de la bestialité juive.

C’est vrai, le mal est fait. L’impact de cette image ne sera pas effacé. La « Place de l’Enfant martyr palestinien » à Bamako ne sera pas débaptisée. Du point de vue du conflit israélo-palestinien, l’épisode est clos. D’autres visages, d’autres morts, d’autres souffrances sont venues, depuis huit ans, peupler les vies et les imaginaires.

Restent les questions posées au journalisme télévisé et au journalisme tout court. Questions d’autant plus pressantes que voilà presque huit ans qu’elles demeurent sans réponse. Aux doutes et interrogations suscités par son reportage, France 2 a répondu par le silence ou le mépris – en fonction de la surface sociale de ceux qui l’interrogeaient[2. Denis Jeambar qui était alors patron de L’Express et Daniel Lecomte, producteur de télévision, ont eu droit à un traitement de faveur lorsqu’ils ont enquêté sur l’affaire en octobre 2004. En effet ils ont été invités par la direction de France 2 à visionner les vingt-sept minutes de rushes réalisées par Talal Abu Rahma, ce qui a été refusé à beaucoup d’autres, notamment Elisabeth Lévy pour l’édition du Premier Pouvoir sur France Culture consacrée à l’affaire le 26 février 2005.]. Et quand ces doutes se sont transformés en polémiques, la profession a fait corps autour de l’un des siens, odieusement attaqué, contribuant au passage à transformer l’affaire Al Doura en affaire Enderlin.

Morale de l’histoire : un journaliste ne peut pas se tromper. Le critiquer revient nécessairement à attenter à son honneur, et donc, à celui de toute la profession. Circulez, rien à voir. Comme la terre autrefois, la télé ne ment pas. S’interroger sur la réalité de ce qui nous est montré, c’est céder aux sirènes du complotisme. A l’ère de l’incrédulité érigée en principe, le Parti des Médias exige une foi aveugle. Telle est en effet la conclusion qui s’impose : il existe un Parti des Médias qui évoque furieusement les Partis communistes d’antan. Les intérêts supérieurs du Parti passent avant tout. Ceux qui se posent des questions sont des irresponsables, des salauds ou des traitres.

Afin de résumer un dossier qui, en huit ans, s’est considérablement alourdi, il n’est pas inutile de revenir sur les différentes interprétations de ce qui s’est passé, ce jour-là, au carrefour de Netzarim à Gaza.

1. Mohamed est mort, tué volontairement par des soldats israéliens. C’est ce qui ressort du commentaire de Charles Enderlin au soir du 30 septembre. « Les Palestiniens ont tiré à balles réelles, les Israéliens ripostent. Les cameramen, les passants les ambulanciers sont pris entre deux feux. Djamal et son fils Mohammed sont la cible de tirs venus de la position israélienne. (…) Mohamed est mort. Son père gravement blessé. » La déclaration sous serment faite le 3 octobre 2000 par Talal Abu Rahma au Centre palestinien des Droits de l’homme est encore plus nette : « Je peux confirmer que l’armée israélienne a tué l’enfant et blessé le père intentionnellement et de sang-froid. » Consciemment ou pas, la plupart des observateurs (y compris en Israël) ont à l’époque intégré l’idée que l’enfant avait été assassiné. Le surlendemain de la diffusion du reportage, le chargé d’affaires israélien à Paris, invité de France Inter, est cueilli à froid par une question sans équivoque : « Sincèrement, la mort de ce gosse est injustifiable, quelque soient les raisons pour lesquelles il a été tué. On ne peut pas tuer les enfants comme ça. » Le 7 octobre, au cours de l’émission du médiateur de France 2, Jean-Claude Allanic, celui-ci affirme : « L’horreur absolue, c’est l’assassinat d’un enfant. »

2. Mohamed est mort, victime de balles israéliennes dans des circonstances non élucidées. C’est la version de Charles Enderlin quelques jours après les faits. Interrogé par le médiateur de France 2, il répète que, selon son caméraman en qui il a pleinement confiance, les balles étaient israéliennes. En revanche, il admet n’avoir pas de certitude sur les circonstances du drame, c’est-à-dire sur ce que les soldats pouvaient voir de leur fortin. Cette version est proche de celle qui, dans un premier temps, a été validée par l’armée israélienne.

3. Mohamed est mort, tué par des balles dont il est impossible de connaître l’origine. C’est finalement ce que soutient Arlette Chabot dans un entretien accordé à Radio J en novembre 2004. « Est-ce que Mohamed, le petit Mohamed (et) son père ont été blessés et tués par des israéliens ou les Palestiniens. Je ne suis pas sûre que l’on ait un jour la réponse exacte à cette interrogation (…). Mais ce jour là l’idée la plus évidente, c’était que les tirs venant de la position israélienne, c’étaient des Israéliens ; bon voilà. Y a polémique, y a discussion, d’ailleurs je constate qu’aujourd’hui personne n’a de vérité absolue sur ce sujet et qu’y a toujours un doute. » Cette version prudente est confirmée par Talal Abu Rahma dans une déclaration faxée à France 2 le 30 septembre 2002 (deux ans après les événements). « Je n’ai jamais dit à l’Organisation Palestinienne des Droits de l’Homme à Gaza que les soldats israéliens avaient tué intentionnellement et en connaissance de cause Mohamed Al Doura et blessé son père, écrit-il. Tout ce que j’ai toujours dit dans les interviews que j’ai données est que d’où j’étais, j’ai vu que les tirs venaient de la position israélienne[3. Au moment où nous écrivons, cette déclaration se trouve toujours sur le site du Centre.]. » En quatre ans, France 2 est donc passé de la certitude au doute. Sans en tirer d’autres conclusions.

4. Mohamed n’est pas mort, et le reportage est une mise en scène. Cette thèse apparemment radicale est d’abord soutenue par la Mena (Metula News Agency, agence de presse francophone israélienne). Luc Rozensweig, ancien journaliste au Monde, qui a enquêté en Israël, a également la conviction qu’il s’agit d’une manipulation. De son côté, Philippe Karsenty, qui a fondé en France un site de « surveillance des médias », Média-Ratings, pense que France 2 a couvert après coup une « imposture médiatique ». Ce qui lui vaut d’être poursuivi pour diffamation devant la XVIIe Chambre du Tribunal de Paris[4. En revanche, France 2 n’a pas poursuivi Gérard Huber, ancien collaborateur de la Mena et auteur d’un livre sur l’affaire. Condamné en première instance en octobre 2006, Karsenty fait appel. En octobre 2007, la présidente de la XIe Chambre de la Cour d’Appel de Paris somme France 2 de produire les rushes. Ceux-ci, ainsi que la présentation de Karsenty sont visionnés en février 2008 par la Cour. Le jugement (qui portera sur le caractère diffamatoire ou non d’un article et non pas sur la véracité des faits) est mis en délibéré au 21 mai 2008.].

Le meilleur des sites

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Les invités de Parlonsnet présentent l’actualité de leur site respectif. Emission du vendredi 11 avril, avec David Abiker (France Info), Chloé Leprince (rue89.com), Anna Borel (Marianne2.fr) et David Martin-Castelnau (Causeur.fr).

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Règlements de comptes à gauche

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A la question des ses interviewers (Où en est la gauche ?), Patrick Weil répond avec sarcasme : « Où est la gauche ? » « Feignante », « myope » et « couarde », elle en prend pour son grade presque autant que le Président. Une suggestion pour la refonder, et réunifier autour d’elle le peuple, y compris immigré : s’inspirer et célébrer Clemenceau, l’homme du « J’accuse », de l’anticolonialisme et de la laïcité. Après Guy Moquet, Jaurès et Mendés, Sarkozy sait donc ce qu’il lui reste à faire…

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Patrick Weil

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Patrick Weil, spécialiste de l’immigration (CNRS), a usé son quota de patience vis-à-vis de Nicolas Sarkozy: il juge sa politique en matière d’immigration à la fois « réactionnaire » et « brouillonne ». Démissionnaire, l’année dernière, du conseil de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour marquer son refus du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, il revient à la charge avec un ouvrage de combat : « Liberté, Egalité, Discriminations » (Grasset, 2008). Il répondait ce vendredi 11 avril à David Abiker (France Info), Chloé Leprince (rue89.com), Anna Borel (Marianne2.fr) et David Martin-Castelnau (Causeur.fr).

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Sarkozy : l’agité législatif

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La voix a beau être posée, le propos argumenté, c’est à une exécution en règle que se livre Patrick Weil : « l’agitation » législative de Sarkozy, à l’Intérieur puis à l’Elysée, témoigne d’un retour « aux pires périodes de notre histoire ». Mieux (enfin, pire…) : les résultats lui semblent désastreux, puisqu’il avance le chiffre de « 25 % de dangereux criminels non expulsés alors que la justice les a sous la main ». Une concession, cependant : contrairement à ses prédécesseurs, Sarkozy « affronte les problèmes ».

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Une politique de la mémoire

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Vis-à-vis de la souffrance historique des immigrés (colonisation, esclavage, etc.), l’indifférence de l’Etat révolte Patrick Weil. Sur les différences d’intégration (le rejet de prénoms « occidentaux » par la plupart des immigrés musulmans, par exemple), Weil invoque une réaction au mauvais traitement que leur aurait réservé la France. Le fait que des sociétés tolérantes comme la Hollande, la Belgique et le Danemark aient basculé en vingt ans dans la xénophobie ? « Elles s’y sont mal prises… » Bref, comme à l’extrême droite, le problème est finalement simple: il n’y a toujours qu’un seul et unique responsable.

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Eric Breteau, sortie de prison, entrée des artistes

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Il y a quelques semaines, c’était un zozo. Le voilà en passe de devenir un héros. A peine sorti de prison, Eric Breteau est reçu avec les honneurs dans les médias. Et pas les moindres. Le même jour, France Info, le 20 heures de Poivre d’Arvor sur TF1 et le Grand Journal de Canal (où curieusement, il est flanqué de son avocate supposée l’empêcher de dire des âneries). Tapis rouge.

Pour ceux qui auraient raté un épisode, rappelons que Breteau est l’organisateur de la piteuse équipée tchadienne de l’Arche de Zoé. Un Robert Ménard qui a échoué. Breteau, c’est un soldat du Bien, un professionnel de la bonne conscience. Plutôt sympathique au demeurant, le gars incarne à lui tout seul les deux vaches sacrées de l’époque – l’enfance et l’humanitaire. La complexité du réel, ce n’est pas son truc : d’un côté, il y a les salauds, les gouvernements qui pourraient agir et ne font rien et de l’autre, les justes. Breteau se joue en permanence un remake d’Antigone bravant Créon.

Tout s’explique. Il s’agissait bien sûr, de sauver des enfants, d’éveiller nos consciences endormies. Mais pas seulement. Breteau, avait, si on le comprend bien, un agenda caché. Il voulait provoquer une crise internationale majeure pour déclencher une action au Darfour. Rien de moins. A l’arrivée, il n’a réussi qu’à faire emprisonner toute son équipe dans les prisons tchadiennes, obligeant la diplomatie française à faire des mamours à Idriss Déby et une bonne partie des médias français à faire semblant de croire que la justice tchadienne était indépendante. Passons.

Que vient faire ce croisé sur les plateaux de télévision ? Tout d’abord, se justifier et expliquer qu’il est une victime. Victime de l’indifférence générale. Victime du gouvernement qui l’a encouragé dans son entreprise justicière avant de lui tirer le tapis sous les pieds. Une chose est sûre : il est bien un héritier maladroit et zélé de Bernard Kouchner. A force d’entendre d’éminents intellectuels et politiques proclamer qu’un génocide était en cours et rivaliser dans l’indignation face à la passivité mondiale (un mauvais procès compte tenu de la mobilisation humanitaire pour le Darfour), il a fini par se sentir investi d’une mission. D’une façon générale, le compassionalisme victimaire se portant fort bien dans les allées du pouvoir, il est fort probable que l’Arche de Zoé a bénéficié de soutiens gouvernementaux bien réels (voir notre entretien avec Rony Brauman).

On aimerait en savoir plus ? On attendra. Et c’est là qu’il y a, pardonnez-moi l’expression, foutage de gueule. Car ce qu’Eric Breteau vient faire sur les plateaux de télévision, c’est d’abord la promotion de son livre – lequel, curieusement, ne sortira que dans trois semaines. Vous ne serez pas déçu. Plon a mis le paquet pour cet ouvrage modestement intitulé Arche de Zoé, les dessous d’une affaire d’Etat. Que du croustillant. Eh oui, c’est cela, maintenant un livre : un objet de papier confectionné en quelques semaines, annonciateur d’appétissants scandales. Un nouveau genre : le livre à grande vitesse et à grand spectacle. Ecrit aussi vite qu’un article ou presque, ça rapporte beaucoup plus. Grâce aux téléspectateurs qui se sont rués sur les inoubliables ouvrages consacrés à Carla et Cécilia. Après le prélancement gracieusement assuré par TF1 et Canal +, ne doutons pas que le chef d’œuvre d’Eric Breteau sera un succès commercial. Au fait, que pourrais-je faire, comme ânerie, pour faire un livre et renflouer mes finances ?

Métis, si je veux !

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Au début, c’était enivrant. Cela devient saoulant. « Qu’ils sont ravissants vos fils ! Métis, non ? Ah ! Les métis, c’est (sic) toujours très beau… » Aujourd’hui c’est une voisine, charmante comme tout, Nouvel Obs sous le bras, qui me sert le compliment.
Et m’exaspère.

Je n’ai pourtant rien contre le métissage. Certes, l’injonction culturelle du métissage à tous prix m’agace (comme du reste toute forme de « pensée gramophone »), mais d’elle je ne me préoccupe guère : contrairement aux idéologies totalitaires, il suffit de l’ignorer pour s’en libérer. Et puis, ne suis-je pas, moi aussi, à la fois fils et père du métissage ? Non, la gêne que j’éprouve aujourd’hui encore dans le hall de mon immeuble ne provient pas de la louange, mais de ce qu’elle sous-entend. Et qui me semble remarquablement préoccupant.

Le racisme est devenu un tabou contemporain. Tant mieux. Mais ce qui semble avoir échappé à notre vigilance, c’est la persistance d’un discours qui, pour être formellement sympathique, n’autorise pas moins la pérennité, la mutation et donc, à terme, le retour d’un racisme pur et dur.

Car si l’expression raciste de nature agressive est prohibée, la louange raciste, elle, ne l’est pas. Les Noirs sont plus sympathiques, les Nordiques mieux bâtis, les Asiatiques plus sensuels, et ad libitum : autant de jugements caricaturaux, qui sont communément propagés et admis dans la mesure où ils ne sont pas proférés dans un but méprisant… mais laudateur. Ils n’en demeurent pas moins d’essence parfaitement raciste. Mes enfants sont beaux… comme tous les Métis. Ben Johnson court vite… comme tous les Noirs. Mlle Gong Li est gracieuse… comme toutes les Jaunes. Zidane ne plaisante pas avec l’honneur de la famille… comme tous les Arabes [1. Zinédine Zidane n’est pas Arabe mais Kabyle ? Qu’importe. Pendant toute l’épopée bleue (1998-2006), il fut sommé d’incarner l’Arabe d’une équipe nationale black-blanc-beur, qui n’en compta jamais un seul. Dommage, car l’Arabe, dit-on, est fin dribbleur…].

On ne trouvera là nulle matière à procès. Ni injure, ni dénigrement. Que des compliments. Mais qui enferment. Qui caricaturent. Et soutiennent qu’un être humain n’est plus le produit de son histoire, de ses choix personnels, de son univers historique et de son héritage culturel : il est avant tout et plus que tout l’illustration d’un principe génétique. Les Métis sont beaux, comme les Noirs dansent bien et les Asiatiques cousent vite. Loin de toute vocifération hitlérienne, on en arrive ainsi, de nouveau, à ramener l’individu à ses caractéristiques zoologiques.

L’homme ? Un animal comme les autres

Pourtant, si toutes les vaches ont des cornes, tous les Noirs n’ont pas la voix de Barry White ; si tous les oiseaux volent, tous les Asiatiques ne sont pas soigneux ; si toutes les poules sont ovipares, tous les Métis ne sont pas gâtés par la nature ; si tous les poissons ont des écailles, tous les Juifs ne sont pas doués pour faire de l’argent, de la philosophie ou de la physique quantique.

Et c’est heureux : la non-reproduction de caractéristiques d’espèce est précisément ce qui fonde la dignité et la liberté de l’homme. Cette conception de l’homme est hélas minée par un néo-racisme débonnaire et flatteur, qui à la haine préfère l’ADN, et nous ramène sans cesse au règne animal : pour la chasse ? Un teckel. Pour l’entrée du magasin ? Un black ! Pour le défilé de Deauville ? Un lévrier. Pour le standard et l’accueil ? Une Noich… Pour la chambre du petit ? Un hamster. Dans les buts ? Un rebeu. Pour Mamy ? Un chat angora. Et pour la Direction Générale ? Un blanc, la bonne blague !

Où l’on constate que la division raciale de l’éloge appelle déjà la division raciale du travail – c’est-à-dire qu’elle détermine l’utilité sociale.
Question : quel avenir prépare-t-on à certains de nos enfants, encouragés à travailler leurs abdos parce que Noirs, dans une société où seuls la matière grise est recherchée et où la force est désormais fournie par des robots tendanciellement gratuits ? Le chômage, la déréliction, l’amertume. Cool.
Qu’on y songe donc : derrière d’innocents compliments (« Oh ! Comme ils sont beaux… ») se profile une régression idéologique majeure. Il ne tient qu’à nous de l’enrayer. Avec un peu de pédagogie, sinon d’humour…

C’est pourquoi, aux admirateurs de mes enfants, j’ai décidé de livrer, une fois pour toutes, le secret de leur beauté. Mes fils ne sont pas beaux parce qu’ils sont métis. Ni parce que leur mère est superbe (et, accessoirement, leur père pas mal). Mes fils sont beaux parce qu’ils ont du talent et de la volonté, mes fils sont beaux parce qu’ils ont décidé d’être beaux.

Les Francophobes

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