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L’homme qui n’avait pas de poils aux pattes

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Comment dites-vous en français ? « Cela m’a scié les jambes. » La Fédération internationale d’athlétisme vient de refuser à Oscar Pistorius de participer aux Jeux Olympiques de Pékin. Pour quelle raison ? Ce Sud-Africain blanc comme un oeuf est-il un chantre de l’apartheid ? A-t-il des positions contraires aux hautes valeurs des Jeux Olympiques, valeurs si bien incarnées par la grande République populaire de Chine ? Non, il faudrait qu’il puisse d’abord y réfléchir – c’est un sportif. Son patronyme en est-il la cause ? Même pas : il y a beaucoup plus ridicule que « Pistorius » – enfin, il faut chercher longtemps, mais ça doit se trouver. Peut-être ne supporte-t-il pas le riz cantonnais, la corbeille aux cinq bonheurs et les nems – aller au chinois tous les jours, c’est quand même l’angoisse niveau transit ? Pas davantage.

Amputé des deux jambes, il est doté de deux prothèses en fibre de carbone qui, selon les autorités sportives internationales, constituent un « avantage mécanique évident ». Sans me vanter, je trouve qu’ils ont l’évidence un peu rapide et un peu mécanique à la Fédération internationale d’athlétisme.

Vous me permettrez de ne pas me vautrer dans le politiquement correct, mais il faut bien reconnaître une chose : le sens commun a plutôt tendance à plaindre un handicapé qu’à critiquer les avantages dont il serait pourvu. On plaint un sourd de ne pas pouvoir entendre Bach ; on l’envie rarement d’échapper à la musique de Stevie Wonder, à la tristesse duquel on peut toutefois compatir de n’avoir jamais vu le piano de Ray Charles.

D’accord, Oscar Pistorius bénéficie de scandaleux avantages. Il a, d’abord, une carte officielle et dûment tamponnée de « personne en situation de handicap » (le terme handicapé est bien trop hard à nos chastes oreilles parfois mal-entendantes comme un pot) : lorsque l’athlète sud-africain veut garer sa voiture devant le Auchan de Pretoria ou le Leclerc de Johannesburg, il est sûr de trouver une place aussi facilement que les époux Mandela. De même, quand il va retirer une lettre à la poste du Cap, la préposée acariâtre le fait passer avant tout le monde. Et au bureau de la Sécurité sociale de Bloemfontein, on lui fait des ronds-de-jambe à n’en plus finir devant des files de personnes valides et injustement traitées.

Mieux encore, je suis certaine que lorsque vous vous plaignez de vos cors au pied, Oscar Pistorius rit à votre nez avec l’insolence qui caractérise tous les culs-de-jatte. L’handicapé est moqueur : on sait ça, à la Fédération internationale d’athlétisme.

Les handicapés, éclopés et gueules cassées bénéficient de tant d’avantages que cela vous inciterait à vous faire amputer de quelque chose : les jambes, les bras, la tête, alouette, enfin quelque chose d’inutile. C’est une évidence. Pourtant, ce n’était pas une raison pour que les dirigeants de la Fédération internationale d’athlétisme nous piquent une petite crise de jalousie et la règlent en se vengeant : « Quoi, Oscar, t’as perdu tes jambes ? Ça t’apprendra à ne pas ranger tes affaires. »

La décision est d’autant plus sévère et injuste que chez les organisateurs des Jeux Olympiques on n’a jamais été très regardant en matière de prothèses… Certes, j’exagère un peu : outre les roudoudous d’acier dont se plaignaient Kornelia Ender et Karen Koenig, ce n’était pas des prothèses qu’arboraient crânement les nageuses de l’ex-RDA. Leur « avantage évident », dont elle pouvait aisément se servir comme d’un gouvernail, poussait très naturellement entre leurs cuisses. A cause de l’eau chlorée des piscines.

Il ne reste plus à Oscar Pistorius qu’à s’inscrire aux Jeux Handisports. Mais qu’il soit prévenu une fois pour toutes : on lui ôtera ses prothèses en carbone pour lui visser au cul deux belles jambes de bois. En chêne, c’est plus solide. Non mais ! On ne va pas laisser un cul-de-jatte doté « d’avantages mécaniques évidents » ridiculiser nos valeureux sportifs de haut niveau qui n’ont, eux, à leur disposition que des avantages chimiques évidents.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Rony Brauman contre l’humanitaire spectacle

Rony Brauman, né à Jérusalem en 1950, est médecin, diplômé en épidémiologie et médecine tropicale. Après avoir travaillé plusieurs années comme médecin sur le terrain, il est devenu président de MSF en 1982 et a occupé ce poste jusqu’en 1994. Il est actuellement directeur de recherches à la Fondation Médecins Sans Frontières et professeur associé à l’IEP Paris. Il est chroniqueur pour le magazine trimestriel Alternatives Internationales. Ses principales publications Eloge de la désobéissance (avec Eyal Sivan), Le Pommier-Fayard, 1999, édition Poche-Pommier, 2006, Penser dans l’urgence, (entretiens avec Catherine Portevin), Le Seuil, 2006, La Discorde. Israël-Palestine, les Juifs, la France, (avec Alain Finkielkraut, conversations avec Elisabeth Lévy), Mille et Une Nuits, 2006 et Aider, sauver, pourquoi, comment ? Petite conférence sur l’humanitaire, Bayard, 2006.

« Quand les caméras seront parties, il ne restera que la misère » : pendant les « semaines de la compassion » qui ont suivi le Tsunami en décembre 2004, vous avez été atterré par cette phrase, prononcée par un journaliste ou un autre professionnel du bon sentiment. L’affaire de l’Arche de Zoé est-elle l’aboutissement logique de l’évolution de l’humanitaire ?
A la faveur de circonstances particulières, le langage humanitaire a pu arriver jusqu’à ce point de folie. Mais, effectivement, ce langage-là, on l’a déjà entendu en d’autres moments, et notamment après le tsunami en Asie du sud-est. On disait alors que des milliers d’orphelins erraient dans les rues, risquant de devenir les proies de rackets pédophiles. Et déjà, des initiatives avaient été lancées en vue de favoriser les adoptions. Heureusement, tout cela avait rapidement tourné court. Mais l’état d’esprit, le cadre, la matrice étaient là. Je pense aussi à un épisode de la guerre en Bosnie : une ONG avait décidé d’amener en France mille enfants bosniaques pour qu’ils passent un hiver à l’abri des bombes. Avec d’autres, notamment les gens de Handicap International, j’avais pris position contre ce projet totalement stupide. Sans succès. En réalité, ces enfants n’étaient pas sous les bombes et surtout, le traumatisme de l’arrachement à la famille et l’angoisse de l’abandon étaient plus violents que le maintien sur place, même dans une situation si dure que la guerre de Bosnie. Bien entendu, nous étions passés pour de mauvais coucheurs qui n’aiment pas les enfants et se fichent de les laisser sous les bombes. Autre exemple, au début des années 90 : des familles en attente d’adoption se sont précipitées en Roumanie après la chute de Ceausescu pour y adopter des enfants placés dans des orphelinats, mais qui n’étaient pas nécessairement des orphelins. C’était un véritable marché aux enfants, choisis par certains en fonction de l’âge, la taille la couleur des yeux. On a même vu des parents ramener des enfants après quelques semaines, parce que quelque chose n’allait pas. Il y avait en quelque sorte un défaut de fabrication. Ils réclamaient le service après-vente. Avec les cas de ce type, on est dans la marchandisation humanitaire intégrale. Tout cela pour dire que l’Arche de Zoé ne sort pas de nulle part et que l’aspect adoption y est important. D’ailleurs, le Congo a décidé d’interdire les adoptions internationales à la suite de cette affaire.

Tous ces cas, le tsunami, les épisodes bosniaque ou roumain que vous mentionnez ou l’Arche de Zoé mettent en jeu deux vaches sacrées de l’époque : l’humanitaire et l’enfance. L’humanitaire se préoccupe des victimes et l’enfant, en quelque sorte, est la victime idéale puisqu’il est innocent (ou a de grandes chances de l’être).
L’idée que, dans une situation de crise, quelles qu’en soient l’origine et la nature, il y a des enfants menacés qu’il faut sortir de là, s’accorde naturellement avec la frénésie d’adoption que l’on sent dans nos sociétés – et je ne prétends pas la juger. L’Arche de Zoé n’a donc eu aucun mal à rassembler un large groupe de familles en jouant sur l’ambiguïté d’un accueil qui pouvait se transformer ultérieurement en adoption. Ses dirigeants n’ont eu qu’à intervenir sur des forums de parents adoptants. Toute leur opération reposait sur la conviction qu’arracher un enfant à l’horreur du quotidien dans lequel il vit, c’est lui donner le bonheur et la sécurité. Or cette horreur n’est pas si évidente que cela et une telle affirmation est la porte ouverte aux abus de toute sorte. On le voit aussi en France quand les familles les plus vulnérables se voient systématiquement retirer leurs enfants par l’assistance sociale. Il existe un continuum entre toute ces formes de protection de l’enfance par des familles, des gens, des institutions qui veulent être à tout prix les protecteurs de l’enfance, y compris au détriment des enfants eux-mêmes.

En somme, dans les zones de guerre ou de crise, et notamment dans ce no man’s land imaginaire qu’est l’Afrique, tout enfant est un orphelin ou un malheureux en sursis. Et en Occident, l’enfant est un droit de l’homme.
Oui. Tout se passe comme si ne pas avoir d’enfant constituait un déni de droit. L’enfant est un bonheur auquel chacun a droit. Notre président ne vient-il pas de rappeler que chacun a droit au bonheur ?

Le génie du girardisme

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Je ne pense pas que « toutes les religions se valent », contrairement à l’opinion professée par 62% de mes camarades catholiques pratiquants (sondage La Croix, 11-11-07). Sinon je laisserais tomber aussi sec le catholicisme, et peut-être même sa pratique.

Au contraire je suis intimement touché, non par la grâce hélas, mais par la beauté de ma religion à moi, la seule qui repose tout entière sur l’Amour. Le coup du Créateur qui va jusqu’à se faire homme par amour pour sa créature (et pour lui montrer qu’elle-même peut « faire le chemin à l’envers », comme disait le poète), c’est dans la Bible et nulle part ailleurs !

Le génie du christianisme, c’est d’avoir transmis aux hommes vaille que vaille depuis 2000 ans cette Bonne Nouvelle : si ça se trouve, Dieu tout-puissant nous aime inconditionnellement depuis toujours et pour toujours ; Il l’aurait notamment prouvé dans les années 30 de notre ère, à l’occasion d’une apparition mouvementée en Judée-Galilée.

Le génie du girardisme, c’est de mettre en lumière le message christique comme l’unique et évident remède aux maux dont souffre la race humaine depuis la Genèse, c’est-à-dire depuis toujours, et dont notre époque risque désormais de crever, grâce aux progrès des sciences et des techniques.

J’ai mis longtemps à comprendre René Girard. Il répondait brillamment, dans un langage philosophique et néanmoins sensé, à des questions que je ne me posais pas (sur le mimétisme, le désir, la violence…) Et puis j’ai fini par comprendre que mes « questions métaphysiques » manquaient de précision – et aussitôt j’ai commencé d’apprécier les réponses de René. Il faut dire aussi que ce mec ne fait rien comme tout le monde. Y a qu’à voir comment il définit son métier : « anthropologue de la violence et des religions », je vous demande un peu ! Qu’est-ce que c’est que cette improbable glace à deux boules ? Serait-ce à dire que toute violence vient du religieux, comme l’ânonne avec succès un vulgaire Onfray ? Non, cent fois non : Girard est un philosophe chrétien, c’est-à-dire l’inverse exact d’Onfray.

Au commencement était le « désir mimétique », nous dit René Girard. Et d’opposer le besoin, réel et parfois vital, au désir, « essentiellement social (…) et dépourvu de tout fondement dans la réalité ». Alors, je vous vois venir : cette critique du désir ne serait-elle pas une vulgaire démarcation de l’infinie sagesse bouddhiste ? Eh bien pas du tout, si je puis me permettre ! Le christianisme ne nous propose pas de choisir entre le désir et le Néant (rebaptisé « Nirvana »), mais entre le désir et l’Amour, source de vie éternelle.

Il est cocasse, à propos du désir mimétique, de voir notre anthropologue mettre dans le même sac Don Quichotte et Madame Bovary. « Individualistes », ces personnages ? Tu parles ! Don Quichotte se rêve en « chevalier errant »… comme tous les Espagnols de qualité en ce début de XVIIe siècle décadent. Quant à Emma, c’est la lecture de romans qui instille en elle l’envie mimétique d’être une « Parisienne » comme ses héroïnes. Au moins Quichotte et Emma ont-ils l’excuse d’être eux-mêmes des personnages de fiction – ce qui n’est malheureusement pas le cas de tout le monde.

Proust, par exemple, n’est pas un héros de roman, c’est le contraire : un écrivain. Même que son premier roman Jean Santeuil (découvert, par bonheur, seulement en 1956) était plat et creux à la fois. Explication de l’anthropologue, qui décidément se fait critique littéraire quand il veut : Marcel n’a pas encore pigé l’idée qui fera tout le charme de sa Recherche. Le désir est toujours extérieur, inaccessible ; on court après lui et, quand on croit enfin le saisir, il est bientôt rattrapé par la réalité qui le tue aussitôt : « Ce n’était que cela… »

« Le désir dure trois semaines », confiait l’an dernier Carla Bruni, favorite de notre président depuis maintenant neuf semaines et demi. « L’amour dure trois ans », prêche en écho le beigbederologue Beigbeder. Mais ces intéressantes considérations sont faussées par une fâcheuse confusion de vocabulaire. L’amour au sens girardien, et d’ailleurs chrétien du terme, n’a rien à voir avec le désir. On peut jouer tant qu’on veut au cache-cache des désirs mimétiques croisés, et même appeler ça « amour » ; mais comme dit l’ami René, « comprendre et être compris, c’est quand même plus solide » !

Rachida Dati, sainte Benazir ou le syndrome de Marie

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Entre symboles, on se tient les coudes. Entre femmes aussi. Rachida Dati n’a donc pas résisté au besoin impérieux d’apporter sa contribution au monument érigé à la mémoire de Benazir Bhutto à coups de lieux communs et de grands sentiments. Gil Mihaely a parfaitement montré ce qu’il convenait de penser du titre de symbole de la démocratie décerné les yeux fermés par la presse à la politicienne assassinée. Mais l’article signé par le ministre de la Justice et publié dans Le Monde mérite une mention particulière. Au festival du poncif féministe, il obtiendrait la palme d’or haut la main.

Oublions le français plutôt baroque. Si quelqu’un peut m’expliquer ce que signifie « enlever la vie de Benazir Bhutto, c’est vouloir annihiler les jalons sociaux, politiques et humains qui doivent pourtant lui survivre » ou encore m’apprendre ce qu’est une injustice qui « crée un écho universel reniant simultanément la voie de la Justice et le sens de l’Histoire », je lui en serai fort reconnaissante. Mais il serait dommage que le conseiller qui a pondu cette merveille soit viré – le cabinet du ministre finirait par faire désordre voire désert.

Passons sur l’emphase qui ferait passer la prose de BHL pour un chef d’œuvre de sobriété : « La barbarie de cet acte terroriste » serait, parait-il, « l’incarnation suprême de l’Injustice », majusculisée pour l’occasion. Contentons-nous de nous demander quel qualificatif Rachida Dati sortira de son armoire à grands mots le jour où il lui faudra évoquer un massacre de masse. Mais peut-être considère-t-elle Benazir Bhutto comme la porte-parole de toutes les victimes passées et à venir.

Compte tenu de la gravité des faits, on s’interdira de sourire quand Madame Dati souhaite que l’assassinat d’un « symbole de la démocratie en terre d’islam » ne freine pas la marche vers l’égalité. En effet, pour que cette marche ne fût point freinée, encore aurait-il fallu qu’elle eût lieu. Faire du Pakistan, le premier producteur de Talibans, un pays pionnier de l’égalité entre les sexes, il fallait oser. Quant au « progressisme » dont Bhutto, à en croire notre garde des Sceaux, était aussi le symbole, voilà une plaisante fable, s’agissant d’une dame qui croyait à la légitimité dynastique au point d’avoir désigné comme dauphin son fiston, son époux étant appelé à jouer le rôle du régent (ce qui devrait lui permettre de veiller d’un œil sourcilleux sur les finances du parti, euh pardon, de la famille).

Si notre géopoliticienne en herbe – et en jupons – consentait à examiner froidement la réalité, elle parviendrait aisément à la conclusion qu’une femme chef d’Etat ou de gouvernement est très souvent l’exception qui confirme la règle : que l’on sache, le règne de Victoria ne se déroula pas dans une Angleterre particulièrement propice à l’épanouissement des femmes. En matière de droit des femmes, une péronnelle n’annonce pas le printemps.

Mais Rachida Dati préfère oublier que dans l’expression « femme de pouvoir » il y a pouvoir. « Du progrès, écrit-elle encore, surgissent des femmes engagées, revendiquant la modernité, la rupture avec la culture de la guerre, de la puissance et de la domination. » Winnie Mandela, Agathe Habyarimana, Simone Gbagbo, qui jouèrent un rôle politique de premier plan, avaient assurément rompu avec la culture de la puissance. Et Golda Meir ne savait pas ce qu’était la guerre. Madame Dati, dont on connait la douceur (dans le travail, s’entend) n’est-elle pas la preuve que les femmes sont des hommes politiques comme les autres ?

Mais aux marécages du réel, Rachida Dati préfère les sommets du mythe. Et le mythe qu’elle a en tête, c’est celui de la mère éternelle : Marie, rien de moins. Peu lui importe que ni Benazir Bhutto, ni Indira Gandhi, ni Golda Meir, ni Maggie Thatcher, ni Olympe de Gouges qu’elle cite avec ravissement n’aient été taillées pour le rôle. Elle ne se demande pas si « les femmes » dont elle se fait la porte-parole ont envie d’enfiler le costume de Piéta dont elle prétend les affubler – pour ma part, si on me donne le choix, j’aime autant les habits de la Liberté dépoitraillée de Delacroix ou, à la rigueur, ceux de Madame Sans-Gêne. Madame le ministre revient aux fondamentaux : « Il existe, nous apprend-elle, une relation symbolique entre l’idée de la femme, de la mère, et celle de la Nation. » On n’en saura pas plus sur cette relation symbolique et peut-être faut-il s’en réjouir. Mais ce n’est pas tout. « Il existe également, poursuit-elle, un ressort vital les conduisant (les femmes) à refuser la mort de leurs enfants. » Comme chacun sait depuis le pétage de plomb du roi David après la mort de son fils Absalon, pourtant rebelle au point d’avoir provoqué une guerre civile, les pères, eux, l’admettent sans problème.

Fariboles dépourvues de la moindre importance, dira-t-on. Oui et non. Je ne sais pas de quoi Benazir Bhutto était le symbole, mais sa béatification prouve, si besoin était, que le féminisme est dans un cul-de-sac, englué dans une bien-pensance qui pense plutôt mal, et pour tout dire pas du tout. « Parce qu’elle touche une femme, écrit la ministre, l’injustice qui a frappé Benazir Bhutto est encore plus criante et universelle. » En clair, il est plus grave d’attaquer une femme qu’un homme. Nous y voilà. Terminus tout le monde descend. Tous les hommes sont égaux, mais certaines sont plus égales que d’autres. Vous, je ne sais pas, mais moi, ce n’est pas là que je voulais en venir.

Franchise médicale

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Roselyne Bachelot a raison : la franchise médicale est une nécessité. Il faut certainement remonter à Hippocrate de Cos pour trouver une résolution aussi utile à la Science et à l’Homme. Bachelot et Hippo : même combat ! C’est ce que l’on lira dans les livres d’histoire du XXVIIe ou du XXVIIIe siècles.

Prenez l’exemple de Willy, mon mari : il est hypocondriaque. Il n’a jamais de rhume, mais un éternuement est chez lui le signe avant-coureur d’un cancer des voies respiratoires. Il ne souffre jamais de maux de tête, tout juste éprouve-t-il les symptômes d’une tumeur maligne qui, tôt ou tard, finira par l’emporter – et tout cela parce que j’utilise un téléphone portable dont les sales ondes lui pourrissent son petit crâne écologique.

Chez Willy, une simple écorchure au petit doigt n’appelle pas le sparadrap, mais le tétanos et la mort imminente dans d’affreuses douleurs. Lorsqu’à l’âge de quarante ans, il a commencé à perdre ses cheveux pour ressembler à Brice Hortefeux, ce n’est pas l’hérédité génétique ni les caractères capillaires de l’ADN que Willy a mis en cause, comme on le fait dans sa famille de chauves depuis quelques siècles : c’est le nuage de Tchernobyl qui a provoqué la dégénérescence précoce de ce qui lui servait de cheveux, en passant au-dessus de sa tête en 1986.

Le 12 septembre 2001, on l’a transporté d’urgence au Katharinehospital de Stuttgart pour une prétendue crise d’asthme causée par l’effrondrement des tours jumelles du World Trade Center : un gros nuage de poussière avait fait le trajet New York – Stuttgart pour venir s’abattre sur les bronches de Willy. Selon lui, la seule chance qu’il ait eue dans son malheur fut de ne pas avoir été contaminé par l’amiante…

Comme tout écolo allemand qui se respecte, Willy est partisan de la doctrine de la montagne qui accouche de la souris : à grandes causes, petits effets.

Le Dr Schweitzer (ne jamais lui demander l’heure) est notre médecin de famille. On dit « médecin de famille », car on le suppose ne pas être homme à se contenter de tuer un patient à la fois quand il peut décimer papa, maman, la bonne et moi en un seul diagnostic. Chaque fois qu’il va mal, Willy va consulter le Dr Schweitzer. Ce dernier conforte alors mon mari dans son hypocondrie avec un enthousiasme non-feint.

Je peux comprendre que la vérité soit difficile à annoncer à un malade lorsque les analyses montrent qu’il n’en a plus pour très longtemps. Beaucoup d’ailleurs tournent autour du pot, font des circonvolutions, essaient de changer de sujet, avec doigté, tact et délicatesse.

– Docteur, c’est bien une appendicite ?
– Tout de suite, les grands mots ! Une appendicite ! Et pourquoi pas une péritonite pendant que vous y êtes ? Vous avez juste un petit cancer du foie… Et ne faites pas l’enfant. Fait pas chaud pour la saison. Vous avez vu, Sarko et Carla ? Quelle histoire ! Si on nous avait dit ça…

Le Dr Schweitzer est d’une humanité si bouleversante qu’il préfère taire la vérité à ses patients plutôt que de rajouter à la douleur physique la détresse morale. « Il vaut mieux, dit-il, un petit mensonge qu’une grande peine. » Dr Schweitzer ment, Dr Schweitzer ment, Dr Schweitzer est allemand.

Le problème est qu’en cinquante ans d’exercice plus ou moins légal de la médecine le brave Dr Schweitzer a pris le pli : il ment toujours et jamais ne dit la vérité. Cela convient parfaitement à mon hypocondriaque de mari : la semaine dernière, Willy, qui a passé son le réveillon à fumer la moitié de la production agricole afghane, avait la migraine. Le Dr Schweitzer n’a pas attendu minuit pour lui prescrire un scanner, un bilan sanguin et une échographie. Pourquoi une échographie ? Les femmes enceintes y sont sujettes. On n’est jamais trop prudent.

Heureusement que Willy n’a pas l’hypocondrie trop ambitieuse : cela ferait longtemps qu’il l’aurait eue, sa chimio.

Vous aurez donc bien compris que Roselyne Bachelot a raison d’instaurer la franchise médicale. Elle fait oeuvre de salubrité publique : quand nos médecins auront un peu plus de franc-parler, nous aurons beaucoup moins de malades imaginaires.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Bhutto assassinée : un symbole, mais de quoi ?

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Un symbole a été tué au Pakistan – Le Parisien et d’autres l’ont proclamé en « une », on nous l’a répété sur tous les tons : avec l’assassinat de Benazir Bhutto, un grand espoir s’est éteint. Espoir de quoi ? C’est bien la question. Première femme à la tête d’un gouvernement dans un pays musulman, Madame Bhutto incarnait, parait-il, une promesse de démocratie. Le problème est qu’il s’agit d’un conte de fées. Philippe Cohen a plaisamment dénoncé la « béatification de Benazir Bhutto par BHL« . Bien vu, Philippe. Pour BHL, les relations internationales sont une garden party où se pressent des stars qui sont, comme lui, autant de « symboles » capables de transformer le monde grâce à quelques coups médiatiques bien assenés. On a l’habitude de ses élans lyriques. De même, la pieuse communion médiatique autour de la défunte n’est guère surprenante. Benazir Bhutto a en effet eu droit à une salve grandiloquente et pleurnicheuse – la voilà désormais intouchable. « L’espoir assassiné », proclamait gravement Pierre Rousselin, directeur-adjoint de la rédaction du Figaro, dans un édito écrit d’une plume dégoulinante de bons sentiments. Madame Bhutto, expliquait-il, était « le symbole de l’avenir démocratique d’un pays trop longtemps sous le joug d’une dictature militaire ». On croit rêver. Le PPP (Parti du peuple Pakistanais) ayant décidé de porter à sa tête le fils de la défunte qui sera coaché par le veuf, il faut saluer ce régime nouveau que l’on pourrait qualifier de démocratie dynastique. Que l’assassinat de Benazir Bhutto soit un signe supplémentaire de l’anarchie qui règne au Pakistan est indéniable. Ce n’est pas une raison pour repeindre l’histoire en rose. Redescendons sur terre.

Avant d’incarner l’espoir et la démocratie, bref, de figurer les gentils dans le western qui tient lieu de récit médiatique du monde, les Bhutto étaient de grands propriétaires terriens souvent décrits comme féodaux. Le père de Benazir, Zulfiqar Ali Bhutto, avait eu l’intelligence de devenir le concessionnaire local de la rhétorique démagogico-socialiste quand celle-ci était très en vogue, à la fin des années 1960. Mais ce grand démocrate n’a guère apprécié le résultat des élections qu’il avait appelées de ses vœux. Pour ce prince du Sindh, le bastion familial, la démocratie était une mode dictée par l’air du temps plutôt qu’une conviction. Ses calculs politiciens ont contribué à précipiter la sécession de l’est du pays et la création Bangladesh. Bref, il fut un politicien, ni pire ni meilleur que les autres. Evidemment, cela ne justifie en aucun cas son exécution en 1979. Mais une corde ne suffit pas à faire un martyr.

Quant à Madame Bhutto, son bilan est pour le moins décevant. Son premier atout était son nom. Belle (sa principale qualité selon Mitterrand et BHL), intelligente et cultivée parait-il, elle est devenue le chouchou de la presse internationale, une star mondialement reconnue – on ne saurait exclure que le voile blanc devenu sa marque de fabrique ait joué un rôle dans cette starisation. En 1988, son élection a donc été accueillie à grands renforts de superlatifs. Une femme élue dans un pays musulman : en guise d’analyse d’une réalité compliquée, le public n’avait qu’à se contenter d’idées simples et de formules creuses. Il aurait été rabat-joie d’avancer l’hypothèse que cette élection ne disait pas grand-chose du monde islamique – même pas de l’islam des Lumières tant aimé par BHL – et beaucoup du sous-continent indien. Car avant d’être une femme musulmane, Bhutto était une fille de famille de culture indienne, une Indira Gandhi à la Pakistanaise.

Seulement, la politique, la vraie, c’est un peu plus compliqué qu’un entretien au Times. Le deuxième mandat de Benazir Bhutto, entamé en 1993, n’a pas mieux tourné que le premier. Son mari Asif Ali Zardari, était aimablement surnommé « Monsieur 10% ». Les Bhutto dénonçaient ces accusations de corruption comme autant de coups montés par les militaires ou le régime pour les éliminer. Mais le dossier n’était pas tout-à-fait vide et on peut difficilement accuser la justice helvétique d’être à la solde des militaires pakistanais. Or, madame Bhutto fut condamnée en Suisse pour avoir touché plusieurs millions de dollars de pots-de-vin, avec son mari – qui se trouvait être son ministre de l’environnement pendant son deuxième mandat (C’est bien connu, en famille, on travaille mieux). Il y eut aussi la sombre affaire du manoir dans le Surrey dont le couple nia catégoriquement être propriétaire. Le fervent socialiste qu’est Monsieur Zardari s’indigna qu’on pût même le questionner : « Comment peut-on même songer à posséder un manoir en Angleterre quand tant de Pakistanais n’ont pas de toit », déclara-t-il. Et pourtant, quand la propriété fut vendue, cet enfant de Don Quichotte qui s’ignorait se souvint qu’il l’avait achetée. (Dans sa distraction, il avait aussi oublié qu’il avait demandé qu’on construise dans la cave du manoir une copie conforme du pub local – sans doute pour y boire un coup à la santé du peuple du Pakistan).

Si on ajoute le fait que Madame Bhutto n’a pas su plus que les autres anticiper la montée en puissance des Talibans et qu’elle n’a fait reculer ni la pauvreté ni la violence dans son pays, on est en droit de se demander si la ferveur et le deuil planétaires ne sont pas légèrement excessifs. Mais peut-être que je manque de cœur.

La volute finale

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La guerre engagée contre le tabagisme, la tabacomanie, le fumage, la fumigation, le fumisme, la fumance, les fumerolles fumigènes et autres fumophilies nicotiniques pratiquées isolément ou en réunion, par personnes ayant autorité ou pas, avec préméditation ou non, bat son plein. Nonobstant certaines hésitations ou marches arrière généralement dues, selon les fumophobes, au terrorisme buralistique, la France semble s’être engagée avec détermination sur la voie du non-fumage intégral et même absolu ou complet. La proportion de fumeurs et fumeures, d’intoxiqués et intoxiquées, d’accrocs et accroques, ainsi que la consommation moyenne de tabac et tabaque, sont en train de diminuer de manière spectaculaire. Certes, les gouvernements successifs, jugés d’ailleurs par beaucoup de fumophobes trop frileux sur ce point, ne se sont pas encore enhardis jusqu’à franchir l’étape décisive et décréter l’interdiction radicale du tabac dans tous les lieux privés, qu’il s’agisse d’endroits, de sites, de parages ou d’environs de parages et même de périmètres ; mais un tel programme, dont on discute actuellement les modes d’application, fait partie d’un processus historique inévitable, nul ne doit se faire d’illusions sur ce point. D’autant que cette mesure est aussi prévue par la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac et tabaque signée par la France et les autres pays européens le 62 janvril 2003 avant Jésus-Christ, ce qui prouve bien que l’inéluctible a partie liée avec l’irréversable.

Dans une telle situation, où les fumeurs sont en passe d’accéder au statut de minorité à part entière, il devient urgent de faire valoir leurs droits, d’exiger l’extension de ceux-ci et de réclamer un certain nombre de lois qui les protégeront.

La reconnaissance du fumage, et le respect qui lui est dû comme il l’est à toute activité minoritaire, est une première priorité. La seconde consiste à tout mettre en œuvre pour obtenir au plus vite une loi extrêmement répressive contre les actes et les propos fumophobes.

C’est dans cette double perspective que vient de se constituer La Volute finale, mouvement citoyen qui, en liaison étroite avec l’Observatoire de la fumophobie (www.sosfumophob.net), se présente à la fois comme un réseau de vigilance contre la fumophobie, un espace d’écoute ouvert aux victimes anonymes des fumophobes qui souffrent en silence, une association de surveillance et de dénonciation des actes, propos et autres manifestations fumophobiques, ainsi qu’un centre d’action pour la prévention de la fumophobie dans les écoles, sur les plages et dans les transports en commun. Pour chacun de ces objectifs, des commissions de travail sont en place, composées de bénévoles hétéroclites, et chaque personne souhaitant s’investir à nos côtés dans la lutte contre l’antifumage, la fumophobie et l’antitabacocentrisme peut y jouer un rôle. Toutes les bonnes volontés les plus diverses seront les meilleures. Le combat ne fait que commencer contre la fumophobie sous toutes ses formes, discriminations, violences ou rejets liés à l’orientation fumesque, et pour la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne fumante.

Certes, le chemin sera long avant que l’on comprenne que les actuelles victimes d’antifumage ou d’antitabacocentrisme le sont exactement comme les femmes, par exemple, furent victimes pendant des siècles d’androcentrisme, les Bretons victimes d’une politique barbare d’assimilation linguistique et de biniouphobie francocentriste, les enfants victimes d’adultocentrisme, pour ne rien dire des sorcières de Salem ni des moutons à cinq pattes, des canards émissaires ou des brebis boiteuses. Mais le temps précisément se chargera, en éclaircissant nos rangs d’année en année, de démontrer que nous appartenons bien à une minorité qui se minorise. C’est d’ailleurs le sens du nom que nous avons donné à notre association, et il indique aussi le peu d’illusions que nous avons de redevenir jamais majoritaires. Minorité nous sommes, minorité de plus en plus minoritaire nous serons, et c’est à ce titre que nous devons avoir accès à ce statut de dominés minoritaires qui ouvre sur de nombreux privilèges dérogatoires, droits particuliers, quotas, dégrèvements fiscaux, réparations, promotions spéciales, petits soins, tarifs préférentiels sur certaines compagnies aériennes, compensations compassionnelles et compensatrices, possibilité d’emmerder le monde jusqu’à la fin d’icelui et au-delà.

De manière plus générale, il est clair que si nous revendiquons l’égalité afin d’avoir autant de droits que les autres, nous revendiquons également la différence afin d’en avoir davantage. Comme tout un chacun.

« Pas de tolérance pour la fumophobie ! », tel est notre credo, et telle sera la doctrine qui dictera nos luttes, étant entendu que nous comprenons par le terme « fumophobie » toute manifestation avouée ou non de discrimination, d’exclusion, de forclusion ou de violence à l’encontre d’individus fumants, de pratiques ou de groupes tabagiques ou perçus comme tels.

Annus horribilis

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Les astres gouvernent nos vies. Ils conduisent le monde avec une régularité de métronome. Cette vérité se justifie chaque 1er janvier, quand l’éternel retour du même se produit.

Chaque année, la même odeur persistance de poudre d’artifice (autour de minuit) et de pétards (autour de Willy) flotte dans l’air. Les mêmes maux de tête et de foie au petit matin invitent chacun à bénir unanimement la mémoire du Dr Alkazelser. Chaque année, les mêmes inconnus reviennent vers moi me souhaiter je-ne-sais-quoi et me claquer deux bises, alors que je ne leur ai pourtant rien fait. Enfin, les mêmes astrologues réapparaissent dans nos journaux et sur nos petits écrans nous annoncer ce que la nouvelle année nous réserve.

Cela fait des années que je collectionne les horoscopes annuels d’Elizabeth Teissier. Elle ne se trompe jamais ! Elle est la plus grande astrologue européenne (et peut-être mondiale). Ses compétences ont été reconnues par l’université (la Sorbonne l’a faite docteur en sociologie) et par un ancien chef d’Etat français : chacun se souvient de la phrase mémorable de François Mitterrand à Christian Prouteau : « Il faut écouter Elizabeth Teiyssier. Carole Bouquet aussi. » (A l’époque Carole Bouquet ne pratiquait pas l’astrologie mais lisait l’avenir dans la coupe-rose de Gérard Depardieu).

L’an dernier, Elizabeth Teissier nous livrait un horoscope qui s’est vérifié en tout point. Elle écrivait : « 2007 n’apparaît pas de tout repos avec huit aspects négatifs contre six : un vent insurrectionnel souffle dès janvier, puis mai, tandis que l’économie et la Bourse donnent du fil à retordre aux spécialistes (et à l’homme de la rue également !), spécialement en mai (fortes turbulences boursières) et jusqu’en août, peut-être même jusqu’à l’automne. En janvier, mai et octobre, des inventions ou des découvertes spectaculaires sont à la clé. La fin de l’année, avec la première grande conjonction depuis l’an 2000 (Jupiter/Pluton), reflète un climat ambigu, une possible accalmie en même temps qu’une tentative de trouver des solutions au problème des sources d’énergie (pétrole), condition sine qua non d’un mieux-être économique. »

Le « vent insurrectionnel » de janvier 2007 est une allusion très fine à la véritable révolution démocratique que François Bayrou (le Toussaint Louverture béarnais) a fait souffler sur la France entière. Les « turbulences boursières » concernent évidemment l’affaire EADS. Quant au Grenelle de l’Environnement, il était clairement annoncé par Mme Teissier. Enfin, les grandes « inventions et découvertes » de janvier, mai et octobre sont tellement spectaculaires que les grands de ce monde ont préféré ne pas les rendre publiques pour le moment. On les comprend : si cela se trouve, un savant fou a mis au point un vaccin contre le rhume. Bush a téléphoné à Sarkozy, Sarkozy à Merkel, Merkel à Poutine, Poutine à Bush et aucun d’entre eux n’a souhaité mettre à mal l’industrie mondiale du grog : « On fait comme si Elizabeth Teissier n’avait rien dit… »

Même s’ils n’ont pas encore déterminé quand il adviendrait, le jour finira donc par arriver – c’est inéluctable – où l’on reconnaîtra aux astrologues le caractère scientifique de leurs prédictions.

En 2007, Jupiter a fait frotti-frotta avec Pluton (qui était pour sa part destitué perdant ses galons de planète pour devenir quoi, d’ailleurs, une vulgaire étoile ?). Et tout le monde s’en est aperçu. En 2008, il se pourrait bien que Saturne mette un petit coup par derrière à Neptune. Assurément, l’année sera bonne.

L’après-Bush a commencé

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La fin de l’ère Bush a commencé. Le coup d’envoi des élections présidentielles américaines de 2008 sera donné dans quelques jours, le 3 janvier, jour des primaires en Iowa, un état facile à repérer sur la carte des Etats-Unis, s’y trouvant au beau milieu. A première vue, aucun des deux seuls candidats présentables, Mc Cain à droite et Clinton à gauche, n’a de chance de l’emporter dans cet état : à l’heure où j’écris, les sondages donnent Obama, Monsieur Langue-de-bois, vainqueur chez les démocrates et Huckabee, Hucka-Qui ?, vainqueur chez les républicains.

Que faut-il entendre par présentable ? Je qualifie ainsi les candidats qui ont une quelconque chance de sortir les USA du bourbier où ils sont enfoncés et de leur rendre une chance d’être à nouveau entendus dans le concert – ou, si l’on préfère, la cacophonie – des nations. Huit ans de présidence Bush – à qui il ne reste qu’un seul admirateur, domicilié au 55 rue du Faubourg Saint Honoré à Paris – ont inauguré le déclin de l’Amérique, tant de fois annoncé et finalement en voie de réalisation. Il faut dire que le président a mis le paquet : il a justifié une guerre du pétrole par des informations truquées, fait fi de la convention de Genève, légalisé la torture et l’espionnage de ses propres citoyens, révoqué de fait l’Habeas Corpus, politisé à outrance l’administration de son pays et l’exercice de sa justice, encouragé la falsification de documents techniques – du domaine médical à celui de l’environnement – pour raisons purement lucratives et, pour finir, il assiste aujourd’hui en spectateur au plus extraordinaire naufrage du système financier, catastrophe en voie d’égaler – et peut–être même de dépasser – celle, déjà mémorable, de la Grande Crise.

Je n’ignore pas que l’on compte, parmi les autres candidats, des anciens gouverneurs, un ex-maire de New York et même un financier. Aussi honorables soient-ils, ils n’arrivent pas à la cheville des deux prétendants que j’ai désignés comme présentables. Ce qui ne signifie pas que leur affrontement constitue l’affiche la plus excitante possible. Le duel le plus divertissant serait sans doute celui qui opposerait Edwards à Huckabee : à ma gauche, le syndicaliste de choc, à ma droite, l’ancien pasteur. A propos de John Edwards, l’image qui me vient à l’esprit est celle du personnage joué par Martin Sheen dans Wall Street d’Oliver Stone (1987). Père du héros converti au culte de Mammon pour une pute de luxe et un gigantesque appartement dans l’Upper East Side, il lui lance : « Mon fils, ne vois–tu donc pas que le prix à payer, c’est la retraite de ton père et celles de ses camarades ! » Mike Huckabee, quant à lui, est le prêcheur du Far West, Bible dans une main, fourche dans l’autre, amateur de plaisanteries qui l’amusent manifestement mais sont souvent incompréhensibles pour ceux qui l’écoutent. Populiste de gauche contre populiste de droite, on ne s’ennuierait pas, au moins jusqu’à ce que l’un d’entre eux soit élu : on les imagine mal, l’un et l’autre, défendre un quelconque point de vue en matière de politique internationale.

McCain souffre d’un handicap sérieux. Son discours ressemble trop à celui de Bush. Par les temps qui courent, ce n’est pas le meilleur moyen de se rendre populaire. Il faut s’empresser de souligner que sa position diffère de celle de Bush au sujet de la torture dont il fut lui-même victime au Vietnam. Mais, avec le démocrate Joe Lieberman qui vient de lui apporter son soutien, il est l’un des rares à s’être aligné sur la position va-t-en-guerre du président et à avoir approuvé le surge, l’envoi de troupes supplémentaires au printemps. De plus, alors que les nuages de la récession menacent, il a été le dernier à oser soutenir le plan immigration auquel Bush entendait laisser son nom pour les siècles des siècles et qui a lamentablement capoté au printemps. Soutenu par les républicains proches des milieux d’affaires, cette vaste réforme conjuguait une amnistie étalée sur douze ans pour les 13 millions d’immigrés clandestins et un programme de « travailleurs-visiteurs » pour la main d’œuvre non qualifiée. Il n’a pas été torpillé par les démocrates, mais par l’autre aile du parti républicain : la droite xénophobe.

Le Wall Street Journal a beau claironner jour après jour que McCain reprend du poil de la bête, Huckabee a aujourd’hui 19,5 % d’avance sur lui dans les intentions de vote en Iowa et, au plan national, il n’arrive qu’à la quatrième place des candidats républicains, à 6,3 points derrière Giulani – grand partisan de la torture –, à 5 points de Huckabee et à 0,5 point de Romney – financier et mormon.

Dans ces conditions, on est tenté de miser sur Hillary Rodham-Clinton. Mais elle aussi souffre de sérieux handicaps, le premier étant qu’elle déploie une énergie considérable à se mettre en scène en futur chef des armées mais que son modèle semble copié sur le général paranoïaque Jack D. Ripper de Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1964). Le deuxième est qu’elle a adopté un ton de mégère dont elle croit qu’il lui confère de l’autorité mais qui énerve tout le monde, à commencer par les femmes. Enfin, son handicap majeur est qu’elle s’imagine déjà à la Maison Blanche et ne dit rien aujourd’hui qui pourrait la desservir lorsqu’elle occupera le bureau ovale. Certes, il serait admirable d’être un jour la présidente qui ne s’est jamais contredite mais du coup, elle perd toute spontanéité dans les débats des primaires, tiraillée qu’elle paraît entre son goût pour les rodomontades et son air de marcher sur des oeufs.

Reste Obama, dont on devine qu’il pourrait être le chouchou des médias européens. Je partage l’opinion d’Andrew Young, militant des droits civiques et ancien ambassadeur américain à l’ONU, l’un des vieux sages de la communauté noire américaine, qui a dit à son propos : « J’imagine très bien Barack Obama à la Maison Blanche. En 2016. »

Mes aïeux et le confort moderne

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De ces espaces que quelques-uns de nos ancêtres s’évertuèrent à travailler, résolus à tirer le meilleur parti de terres ou ne poussaient précédemment que forêts inextricables et mauvaises herbes, que reste-t-il ? De l’œuvre de ces paysans qui, poussés par la faim, ciselèrent des paysages, domptant ici un torrent, là une forte déclivité, créant des bocages, construisant villages et hameaux, qu’avons-nous conservé ?

Après des millénaires durant lesquels l’homme a façonné la nature, l’architecture internationale passe par là, les politiques y trouvent des solutions pour loger les ex-ruraux devenus citadins, les industriels de nouveaux marchés.

Arrivent les trente glorieuses, leurs Frigidaires, télévisions et voitures à explosions. L’ancien campagnard, ce terrien, fait un rêve : retrouver le foyer d’antan avec son âtre, sa femme, ses enfants et son chien pour garder les thuyas en leur faisant pipi dessus tout en aboyant sur les passants ! À cela, rien de répréhensible, il a une voiture, l’essence n’est pas chère, les routes en bon état et il a une place de parking au bureau. Le problème, c’est que loin de tout Madame ne pourra plus faire les courses, transporter les petits à l’école, la meilleure, pas la communale où ne vont que les ploucs. S’il le faut, ils achèteront une deuxième voiture. Et puis c’est décidé, ils la construiront, la villa de leurs rêves avec du carrelage partout parce que c’est plus facile pour l’entretien. De plus, le maire, qui dirige l’agence du Crédit Mutuel du village, dont sa famille est originaire, a une idée lumineuse pour attirer de nouveaux ruraux et éviter de fermer l’école : construire un lotissement. À cet effet, il rachète les terrains qui jouxtent la départementale à certains des exploitants agricoles qui composent son conseil municipal. Les banquiers, industriels, géomètres, promoteurs, maires, agriculteurs, mesdames et messieurs sont heureux – et la nation reconnaissante.

Villes après villages, zones commerciales après lotissements, sans oublier les maisons individuelles accolées aux hangars agricoles plantés au milieu des campagnes, le tout assaisonné de remembrements anachroniques et de monoculture : le mitage généralisé du paysage est presque partout irréversible. En moins de cinquante ans, la France a vu (et fait) disparaître la plus grande partie de ses paysages issus des siècles.

On n’inversera pas le cours du temps. Au moins sommes-nous en droit de questionner. Comment ces constructions de mauvaise qualité vieilliront-elles ? Qui paiera la note énergétique sachant qu’une maison individuelle est beaucoup moins économique que l’habitat collectif ? Qui voudra acheter des maisons de 150 000 euros dans vingt ans, quand les premiers enfants du baby-boom reviendront mourir en ville ? Qui entretiendra les rues de ces lotissements désertés ? Qui financera l’éclairage public, les réseaux et canalisations quand seules quelques maisons seront habitées ? Quels voyageurs voudront encore visiter des pays déglingués et sans âme ?

L’homme qui n’avait pas de poils aux pattes

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Comment dites-vous en français ? « Cela m’a scié les jambes. » La Fédération internationale d’athlétisme vient de refuser à Oscar Pistorius de participer aux Jeux Olympiques de Pékin. Pour quelle raison ? Ce Sud-Africain blanc comme un oeuf est-il un chantre de l’apartheid ? A-t-il des positions contraires aux hautes valeurs des Jeux Olympiques, valeurs si bien incarnées par la grande République populaire de Chine ? Non, il faudrait qu’il puisse d’abord y réfléchir – c’est un sportif. Son patronyme en est-il la cause ? Même pas : il y a beaucoup plus ridicule que « Pistorius » – enfin, il faut chercher longtemps, mais ça doit se trouver. Peut-être ne supporte-t-il pas le riz cantonnais, la corbeille aux cinq bonheurs et les nems – aller au chinois tous les jours, c’est quand même l’angoisse niveau transit ? Pas davantage.

Amputé des deux jambes, il est doté de deux prothèses en fibre de carbone qui, selon les autorités sportives internationales, constituent un « avantage mécanique évident ». Sans me vanter, je trouve qu’ils ont l’évidence un peu rapide et un peu mécanique à la Fédération internationale d’athlétisme.

Vous me permettrez de ne pas me vautrer dans le politiquement correct, mais il faut bien reconnaître une chose : le sens commun a plutôt tendance à plaindre un handicapé qu’à critiquer les avantages dont il serait pourvu. On plaint un sourd de ne pas pouvoir entendre Bach ; on l’envie rarement d’échapper à la musique de Stevie Wonder, à la tristesse duquel on peut toutefois compatir de n’avoir jamais vu le piano de Ray Charles.

D’accord, Oscar Pistorius bénéficie de scandaleux avantages. Il a, d’abord, une carte officielle et dûment tamponnée de « personne en situation de handicap » (le terme handicapé est bien trop hard à nos chastes oreilles parfois mal-entendantes comme un pot) : lorsque l’athlète sud-africain veut garer sa voiture devant le Auchan de Pretoria ou le Leclerc de Johannesburg, il est sûr de trouver une place aussi facilement que les époux Mandela. De même, quand il va retirer une lettre à la poste du Cap, la préposée acariâtre le fait passer avant tout le monde. Et au bureau de la Sécurité sociale de Bloemfontein, on lui fait des ronds-de-jambe à n’en plus finir devant des files de personnes valides et injustement traitées.

Mieux encore, je suis certaine que lorsque vous vous plaignez de vos cors au pied, Oscar Pistorius rit à votre nez avec l’insolence qui caractérise tous les culs-de-jatte. L’handicapé est moqueur : on sait ça, à la Fédération internationale d’athlétisme.

Les handicapés, éclopés et gueules cassées bénéficient de tant d’avantages que cela vous inciterait à vous faire amputer de quelque chose : les jambes, les bras, la tête, alouette, enfin quelque chose d’inutile. C’est une évidence. Pourtant, ce n’était pas une raison pour que les dirigeants de la Fédération internationale d’athlétisme nous piquent une petite crise de jalousie et la règlent en se vengeant : « Quoi, Oscar, t’as perdu tes jambes ? Ça t’apprendra à ne pas ranger tes affaires. »

La décision est d’autant plus sévère et injuste que chez les organisateurs des Jeux Olympiques on n’a jamais été très regardant en matière de prothèses… Certes, j’exagère un peu : outre les roudoudous d’acier dont se plaignaient Kornelia Ender et Karen Koenig, ce n’était pas des prothèses qu’arboraient crânement les nageuses de l’ex-RDA. Leur « avantage évident », dont elle pouvait aisément se servir comme d’un gouvernail, poussait très naturellement entre leurs cuisses. A cause de l’eau chlorée des piscines.

Il ne reste plus à Oscar Pistorius qu’à s’inscrire aux Jeux Handisports. Mais qu’il soit prévenu une fois pour toutes : on lui ôtera ses prothèses en carbone pour lui visser au cul deux belles jambes de bois. En chêne, c’est plus solide. Non mais ! On ne va pas laisser un cul-de-jatte doté « d’avantages mécaniques évidents » ridiculiser nos valeureux sportifs de haut niveau qui n’ont, eux, à leur disposition que des avantages chimiques évidents.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Rony Brauman contre l’humanitaire spectacle

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Rony Brauman, né à Jérusalem en 1950, est médecin, diplômé en épidémiologie et médecine tropicale. Après avoir travaillé plusieurs années comme médecin sur le terrain, il est devenu président de MSF en 1982 et a occupé ce poste jusqu’en 1994. Il est actuellement directeur de recherches à la Fondation Médecins Sans Frontières et professeur associé à l’IEP Paris. Il est chroniqueur pour le magazine trimestriel Alternatives Internationales. Ses principales publications Eloge de la désobéissance (avec Eyal Sivan), Le Pommier-Fayard, 1999, édition Poche-Pommier, 2006, Penser dans l’urgence, (entretiens avec Catherine Portevin), Le Seuil, 2006, La Discorde. Israël-Palestine, les Juifs, la France, (avec Alain Finkielkraut, conversations avec Elisabeth Lévy), Mille et Une Nuits, 2006 et Aider, sauver, pourquoi, comment ? Petite conférence sur l’humanitaire, Bayard, 2006.

« Quand les caméras seront parties, il ne restera que la misère » : pendant les « semaines de la compassion » qui ont suivi le Tsunami en décembre 2004, vous avez été atterré par cette phrase, prononcée par un journaliste ou un autre professionnel du bon sentiment. L’affaire de l’Arche de Zoé est-elle l’aboutissement logique de l’évolution de l’humanitaire ?
A la faveur de circonstances particulières, le langage humanitaire a pu arriver jusqu’à ce point de folie. Mais, effectivement, ce langage-là, on l’a déjà entendu en d’autres moments, et notamment après le tsunami en Asie du sud-est. On disait alors que des milliers d’orphelins erraient dans les rues, risquant de devenir les proies de rackets pédophiles. Et déjà, des initiatives avaient été lancées en vue de favoriser les adoptions. Heureusement, tout cela avait rapidement tourné court. Mais l’état d’esprit, le cadre, la matrice étaient là. Je pense aussi à un épisode de la guerre en Bosnie : une ONG avait décidé d’amener en France mille enfants bosniaques pour qu’ils passent un hiver à l’abri des bombes. Avec d’autres, notamment les gens de Handicap International, j’avais pris position contre ce projet totalement stupide. Sans succès. En réalité, ces enfants n’étaient pas sous les bombes et surtout, le traumatisme de l’arrachement à la famille et l’angoisse de l’abandon étaient plus violents que le maintien sur place, même dans une situation si dure que la guerre de Bosnie. Bien entendu, nous étions passés pour de mauvais coucheurs qui n’aiment pas les enfants et se fichent de les laisser sous les bombes. Autre exemple, au début des années 90 : des familles en attente d’adoption se sont précipitées en Roumanie après la chute de Ceausescu pour y adopter des enfants placés dans des orphelinats, mais qui n’étaient pas nécessairement des orphelins. C’était un véritable marché aux enfants, choisis par certains en fonction de l’âge, la taille la couleur des yeux. On a même vu des parents ramener des enfants après quelques semaines, parce que quelque chose n’allait pas. Il y avait en quelque sorte un défaut de fabrication. Ils réclamaient le service après-vente. Avec les cas de ce type, on est dans la marchandisation humanitaire intégrale. Tout cela pour dire que l’Arche de Zoé ne sort pas de nulle part et que l’aspect adoption y est important. D’ailleurs, le Congo a décidé d’interdire les adoptions internationales à la suite de cette affaire.

Tous ces cas, le tsunami, les épisodes bosniaque ou roumain que vous mentionnez ou l’Arche de Zoé mettent en jeu deux vaches sacrées de l’époque : l’humanitaire et l’enfance. L’humanitaire se préoccupe des victimes et l’enfant, en quelque sorte, est la victime idéale puisqu’il est innocent (ou a de grandes chances de l’être).
L’idée que, dans une situation de crise, quelles qu’en soient l’origine et la nature, il y a des enfants menacés qu’il faut sortir de là, s’accorde naturellement avec la frénésie d’adoption que l’on sent dans nos sociétés – et je ne prétends pas la juger. L’Arche de Zoé n’a donc eu aucun mal à rassembler un large groupe de familles en jouant sur l’ambiguïté d’un accueil qui pouvait se transformer ultérieurement en adoption. Ses dirigeants n’ont eu qu’à intervenir sur des forums de parents adoptants. Toute leur opération reposait sur la conviction qu’arracher un enfant à l’horreur du quotidien dans lequel il vit, c’est lui donner le bonheur et la sécurité. Or cette horreur n’est pas si évidente que cela et une telle affirmation est la porte ouverte aux abus de toute sorte. On le voit aussi en France quand les familles les plus vulnérables se voient systématiquement retirer leurs enfants par l’assistance sociale. Il existe un continuum entre toute ces formes de protection de l’enfance par des familles, des gens, des institutions qui veulent être à tout prix les protecteurs de l’enfance, y compris au détriment des enfants eux-mêmes.

En somme, dans les zones de guerre ou de crise, et notamment dans ce no man’s land imaginaire qu’est l’Afrique, tout enfant est un orphelin ou un malheureux en sursis. Et en Occident, l’enfant est un droit de l’homme.
Oui. Tout se passe comme si ne pas avoir d’enfant constituait un déni de droit. L’enfant est un bonheur auquel chacun a droit. Notre président ne vient-il pas de rappeler que chacun a droit au bonheur ?

Le génie du girardisme

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Je ne pense pas que « toutes les religions se valent », contrairement à l’opinion professée par 62% de mes camarades catholiques pratiquants (sondage La Croix, 11-11-07). Sinon je laisserais tomber aussi sec le catholicisme, et peut-être même sa pratique.

Au contraire je suis intimement touché, non par la grâce hélas, mais par la beauté de ma religion à moi, la seule qui repose tout entière sur l’Amour. Le coup du Créateur qui va jusqu’à se faire homme par amour pour sa créature (et pour lui montrer qu’elle-même peut « faire le chemin à l’envers », comme disait le poète), c’est dans la Bible et nulle part ailleurs !

Le génie du christianisme, c’est d’avoir transmis aux hommes vaille que vaille depuis 2000 ans cette Bonne Nouvelle : si ça se trouve, Dieu tout-puissant nous aime inconditionnellement depuis toujours et pour toujours ; Il l’aurait notamment prouvé dans les années 30 de notre ère, à l’occasion d’une apparition mouvementée en Judée-Galilée.

Le génie du girardisme, c’est de mettre en lumière le message christique comme l’unique et évident remède aux maux dont souffre la race humaine depuis la Genèse, c’est-à-dire depuis toujours, et dont notre époque risque désormais de crever, grâce aux progrès des sciences et des techniques.

J’ai mis longtemps à comprendre René Girard. Il répondait brillamment, dans un langage philosophique et néanmoins sensé, à des questions que je ne me posais pas (sur le mimétisme, le désir, la violence…) Et puis j’ai fini par comprendre que mes « questions métaphysiques » manquaient de précision – et aussitôt j’ai commencé d’apprécier les réponses de René. Il faut dire aussi que ce mec ne fait rien comme tout le monde. Y a qu’à voir comment il définit son métier : « anthropologue de la violence et des religions », je vous demande un peu ! Qu’est-ce que c’est que cette improbable glace à deux boules ? Serait-ce à dire que toute violence vient du religieux, comme l’ânonne avec succès un vulgaire Onfray ? Non, cent fois non : Girard est un philosophe chrétien, c’est-à-dire l’inverse exact d’Onfray.

Au commencement était le « désir mimétique », nous dit René Girard. Et d’opposer le besoin, réel et parfois vital, au désir, « essentiellement social (…) et dépourvu de tout fondement dans la réalité ». Alors, je vous vois venir : cette critique du désir ne serait-elle pas une vulgaire démarcation de l’infinie sagesse bouddhiste ? Eh bien pas du tout, si je puis me permettre ! Le christianisme ne nous propose pas de choisir entre le désir et le Néant (rebaptisé « Nirvana »), mais entre le désir et l’Amour, source de vie éternelle.

Il est cocasse, à propos du désir mimétique, de voir notre anthropologue mettre dans le même sac Don Quichotte et Madame Bovary. « Individualistes », ces personnages ? Tu parles ! Don Quichotte se rêve en « chevalier errant »… comme tous les Espagnols de qualité en ce début de XVIIe siècle décadent. Quant à Emma, c’est la lecture de romans qui instille en elle l’envie mimétique d’être une « Parisienne » comme ses héroïnes. Au moins Quichotte et Emma ont-ils l’excuse d’être eux-mêmes des personnages de fiction – ce qui n’est malheureusement pas le cas de tout le monde.

Proust, par exemple, n’est pas un héros de roman, c’est le contraire : un écrivain. Même que son premier roman Jean Santeuil (découvert, par bonheur, seulement en 1956) était plat et creux à la fois. Explication de l’anthropologue, qui décidément se fait critique littéraire quand il veut : Marcel n’a pas encore pigé l’idée qui fera tout le charme de sa Recherche. Le désir est toujours extérieur, inaccessible ; on court après lui et, quand on croit enfin le saisir, il est bientôt rattrapé par la réalité qui le tue aussitôt : « Ce n’était que cela… »

« Le désir dure trois semaines », confiait l’an dernier Carla Bruni, favorite de notre président depuis maintenant neuf semaines et demi. « L’amour dure trois ans », prêche en écho le beigbederologue Beigbeder. Mais ces intéressantes considérations sont faussées par une fâcheuse confusion de vocabulaire. L’amour au sens girardien, et d’ailleurs chrétien du terme, n’a rien à voir avec le désir. On peut jouer tant qu’on veut au cache-cache des désirs mimétiques croisés, et même appeler ça « amour » ; mais comme dit l’ami René, « comprendre et être compris, c’est quand même plus solide » !

Rachida Dati, sainte Benazir ou le syndrome de Marie

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Entre symboles, on se tient les coudes. Entre femmes aussi. Rachida Dati n’a donc pas résisté au besoin impérieux d’apporter sa contribution au monument érigé à la mémoire de Benazir Bhutto à coups de lieux communs et de grands sentiments. Gil Mihaely a parfaitement montré ce qu’il convenait de penser du titre de symbole de la démocratie décerné les yeux fermés par la presse à la politicienne assassinée. Mais l’article signé par le ministre de la Justice et publié dans Le Monde mérite une mention particulière. Au festival du poncif féministe, il obtiendrait la palme d’or haut la main.

Oublions le français plutôt baroque. Si quelqu’un peut m’expliquer ce que signifie « enlever la vie de Benazir Bhutto, c’est vouloir annihiler les jalons sociaux, politiques et humains qui doivent pourtant lui survivre » ou encore m’apprendre ce qu’est une injustice qui « crée un écho universel reniant simultanément la voie de la Justice et le sens de l’Histoire », je lui en serai fort reconnaissante. Mais il serait dommage que le conseiller qui a pondu cette merveille soit viré – le cabinet du ministre finirait par faire désordre voire désert.

Passons sur l’emphase qui ferait passer la prose de BHL pour un chef d’œuvre de sobriété : « La barbarie de cet acte terroriste » serait, parait-il, « l’incarnation suprême de l’Injustice », majusculisée pour l’occasion. Contentons-nous de nous demander quel qualificatif Rachida Dati sortira de son armoire à grands mots le jour où il lui faudra évoquer un massacre de masse. Mais peut-être considère-t-elle Benazir Bhutto comme la porte-parole de toutes les victimes passées et à venir.

Compte tenu de la gravité des faits, on s’interdira de sourire quand Madame Dati souhaite que l’assassinat d’un « symbole de la démocratie en terre d’islam » ne freine pas la marche vers l’égalité. En effet, pour que cette marche ne fût point freinée, encore aurait-il fallu qu’elle eût lieu. Faire du Pakistan, le premier producteur de Talibans, un pays pionnier de l’égalité entre les sexes, il fallait oser. Quant au « progressisme » dont Bhutto, à en croire notre garde des Sceaux, était aussi le symbole, voilà une plaisante fable, s’agissant d’une dame qui croyait à la légitimité dynastique au point d’avoir désigné comme dauphin son fiston, son époux étant appelé à jouer le rôle du régent (ce qui devrait lui permettre de veiller d’un œil sourcilleux sur les finances du parti, euh pardon, de la famille).

Si notre géopoliticienne en herbe – et en jupons – consentait à examiner froidement la réalité, elle parviendrait aisément à la conclusion qu’une femme chef d’Etat ou de gouvernement est très souvent l’exception qui confirme la règle : que l’on sache, le règne de Victoria ne se déroula pas dans une Angleterre particulièrement propice à l’épanouissement des femmes. En matière de droit des femmes, une péronnelle n’annonce pas le printemps.

Mais Rachida Dati préfère oublier que dans l’expression « femme de pouvoir » il y a pouvoir. « Du progrès, écrit-elle encore, surgissent des femmes engagées, revendiquant la modernité, la rupture avec la culture de la guerre, de la puissance et de la domination. » Winnie Mandela, Agathe Habyarimana, Simone Gbagbo, qui jouèrent un rôle politique de premier plan, avaient assurément rompu avec la culture de la puissance. Et Golda Meir ne savait pas ce qu’était la guerre. Madame Dati, dont on connait la douceur (dans le travail, s’entend) n’est-elle pas la preuve que les femmes sont des hommes politiques comme les autres ?

Mais aux marécages du réel, Rachida Dati préfère les sommets du mythe. Et le mythe qu’elle a en tête, c’est celui de la mère éternelle : Marie, rien de moins. Peu lui importe que ni Benazir Bhutto, ni Indira Gandhi, ni Golda Meir, ni Maggie Thatcher, ni Olympe de Gouges qu’elle cite avec ravissement n’aient été taillées pour le rôle. Elle ne se demande pas si « les femmes » dont elle se fait la porte-parole ont envie d’enfiler le costume de Piéta dont elle prétend les affubler – pour ma part, si on me donne le choix, j’aime autant les habits de la Liberté dépoitraillée de Delacroix ou, à la rigueur, ceux de Madame Sans-Gêne. Madame le ministre revient aux fondamentaux : « Il existe, nous apprend-elle, une relation symbolique entre l’idée de la femme, de la mère, et celle de la Nation. » On n’en saura pas plus sur cette relation symbolique et peut-être faut-il s’en réjouir. Mais ce n’est pas tout. « Il existe également, poursuit-elle, un ressort vital les conduisant (les femmes) à refuser la mort de leurs enfants. » Comme chacun sait depuis le pétage de plomb du roi David après la mort de son fils Absalon, pourtant rebelle au point d’avoir provoqué une guerre civile, les pères, eux, l’admettent sans problème.

Fariboles dépourvues de la moindre importance, dira-t-on. Oui et non. Je ne sais pas de quoi Benazir Bhutto était le symbole, mais sa béatification prouve, si besoin était, que le féminisme est dans un cul-de-sac, englué dans une bien-pensance qui pense plutôt mal, et pour tout dire pas du tout. « Parce qu’elle touche une femme, écrit la ministre, l’injustice qui a frappé Benazir Bhutto est encore plus criante et universelle. » En clair, il est plus grave d’attaquer une femme qu’un homme. Nous y voilà. Terminus tout le monde descend. Tous les hommes sont égaux, mais certaines sont plus égales que d’autres. Vous, je ne sais pas, mais moi, ce n’est pas là que je voulais en venir.

Franchise médicale

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Roselyne Bachelot a raison : la franchise médicale est une nécessité. Il faut certainement remonter à Hippocrate de Cos pour trouver une résolution aussi utile à la Science et à l’Homme. Bachelot et Hippo : même combat ! C’est ce que l’on lira dans les livres d’histoire du XXVIIe ou du XXVIIIe siècles.

Prenez l’exemple de Willy, mon mari : il est hypocondriaque. Il n’a jamais de rhume, mais un éternuement est chez lui le signe avant-coureur d’un cancer des voies respiratoires. Il ne souffre jamais de maux de tête, tout juste éprouve-t-il les symptômes d’une tumeur maligne qui, tôt ou tard, finira par l’emporter – et tout cela parce que j’utilise un téléphone portable dont les sales ondes lui pourrissent son petit crâne écologique.

Chez Willy, une simple écorchure au petit doigt n’appelle pas le sparadrap, mais le tétanos et la mort imminente dans d’affreuses douleurs. Lorsqu’à l’âge de quarante ans, il a commencé à perdre ses cheveux pour ressembler à Brice Hortefeux, ce n’est pas l’hérédité génétique ni les caractères capillaires de l’ADN que Willy a mis en cause, comme on le fait dans sa famille de chauves depuis quelques siècles : c’est le nuage de Tchernobyl qui a provoqué la dégénérescence précoce de ce qui lui servait de cheveux, en passant au-dessus de sa tête en 1986.

Le 12 septembre 2001, on l’a transporté d’urgence au Katharinehospital de Stuttgart pour une prétendue crise d’asthme causée par l’effrondrement des tours jumelles du World Trade Center : un gros nuage de poussière avait fait le trajet New York – Stuttgart pour venir s’abattre sur les bronches de Willy. Selon lui, la seule chance qu’il ait eue dans son malheur fut de ne pas avoir été contaminé par l’amiante…

Comme tout écolo allemand qui se respecte, Willy est partisan de la doctrine de la montagne qui accouche de la souris : à grandes causes, petits effets.

Le Dr Schweitzer (ne jamais lui demander l’heure) est notre médecin de famille. On dit « médecin de famille », car on le suppose ne pas être homme à se contenter de tuer un patient à la fois quand il peut décimer papa, maman, la bonne et moi en un seul diagnostic. Chaque fois qu’il va mal, Willy va consulter le Dr Schweitzer. Ce dernier conforte alors mon mari dans son hypocondrie avec un enthousiasme non-feint.

Je peux comprendre que la vérité soit difficile à annoncer à un malade lorsque les analyses montrent qu’il n’en a plus pour très longtemps. Beaucoup d’ailleurs tournent autour du pot, font des circonvolutions, essaient de changer de sujet, avec doigté, tact et délicatesse.

– Docteur, c’est bien une appendicite ?
– Tout de suite, les grands mots ! Une appendicite ! Et pourquoi pas une péritonite pendant que vous y êtes ? Vous avez juste un petit cancer du foie… Et ne faites pas l’enfant. Fait pas chaud pour la saison. Vous avez vu, Sarko et Carla ? Quelle histoire ! Si on nous avait dit ça…

Le Dr Schweitzer est d’une humanité si bouleversante qu’il préfère taire la vérité à ses patients plutôt que de rajouter à la douleur physique la détresse morale. « Il vaut mieux, dit-il, un petit mensonge qu’une grande peine. » Dr Schweitzer ment, Dr Schweitzer ment, Dr Schweitzer est allemand.

Le problème est qu’en cinquante ans d’exercice plus ou moins légal de la médecine le brave Dr Schweitzer a pris le pli : il ment toujours et jamais ne dit la vérité. Cela convient parfaitement à mon hypocondriaque de mari : la semaine dernière, Willy, qui a passé son le réveillon à fumer la moitié de la production agricole afghane, avait la migraine. Le Dr Schweitzer n’a pas attendu minuit pour lui prescrire un scanner, un bilan sanguin et une échographie. Pourquoi une échographie ? Les femmes enceintes y sont sujettes. On n’est jamais trop prudent.

Heureusement que Willy n’a pas l’hypocondrie trop ambitieuse : cela ferait longtemps qu’il l’aurait eue, sa chimio.

Vous aurez donc bien compris que Roselyne Bachelot a raison d’instaurer la franchise médicale. Elle fait oeuvre de salubrité publique : quand nos médecins auront un peu plus de franc-parler, nous aurons beaucoup moins de malades imaginaires.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Bhutto assassinée : un symbole, mais de quoi ?

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Un symbole a été tué au Pakistan – Le Parisien et d’autres l’ont proclamé en « une », on nous l’a répété sur tous les tons : avec l’assassinat de Benazir Bhutto, un grand espoir s’est éteint. Espoir de quoi ? C’est bien la question. Première femme à la tête d’un gouvernement dans un pays musulman, Madame Bhutto incarnait, parait-il, une promesse de démocratie. Le problème est qu’il s’agit d’un conte de fées. Philippe Cohen a plaisamment dénoncé la « béatification de Benazir Bhutto par BHL« . Bien vu, Philippe. Pour BHL, les relations internationales sont une garden party où se pressent des stars qui sont, comme lui, autant de « symboles » capables de transformer le monde grâce à quelques coups médiatiques bien assenés. On a l’habitude de ses élans lyriques. De même, la pieuse communion médiatique autour de la défunte n’est guère surprenante. Benazir Bhutto a en effet eu droit à une salve grandiloquente et pleurnicheuse – la voilà désormais intouchable. « L’espoir assassiné », proclamait gravement Pierre Rousselin, directeur-adjoint de la rédaction du Figaro, dans un édito écrit d’une plume dégoulinante de bons sentiments. Madame Bhutto, expliquait-il, était « le symbole de l’avenir démocratique d’un pays trop longtemps sous le joug d’une dictature militaire ». On croit rêver. Le PPP (Parti du peuple Pakistanais) ayant décidé de porter à sa tête le fils de la défunte qui sera coaché par le veuf, il faut saluer ce régime nouveau que l’on pourrait qualifier de démocratie dynastique. Que l’assassinat de Benazir Bhutto soit un signe supplémentaire de l’anarchie qui règne au Pakistan est indéniable. Ce n’est pas une raison pour repeindre l’histoire en rose. Redescendons sur terre.

Avant d’incarner l’espoir et la démocratie, bref, de figurer les gentils dans le western qui tient lieu de récit médiatique du monde, les Bhutto étaient de grands propriétaires terriens souvent décrits comme féodaux. Le père de Benazir, Zulfiqar Ali Bhutto, avait eu l’intelligence de devenir le concessionnaire local de la rhétorique démagogico-socialiste quand celle-ci était très en vogue, à la fin des années 1960. Mais ce grand démocrate n’a guère apprécié le résultat des élections qu’il avait appelées de ses vœux. Pour ce prince du Sindh, le bastion familial, la démocratie était une mode dictée par l’air du temps plutôt qu’une conviction. Ses calculs politiciens ont contribué à précipiter la sécession de l’est du pays et la création Bangladesh. Bref, il fut un politicien, ni pire ni meilleur que les autres. Evidemment, cela ne justifie en aucun cas son exécution en 1979. Mais une corde ne suffit pas à faire un martyr.

Quant à Madame Bhutto, son bilan est pour le moins décevant. Son premier atout était son nom. Belle (sa principale qualité selon Mitterrand et BHL), intelligente et cultivée parait-il, elle est devenue le chouchou de la presse internationale, une star mondialement reconnue – on ne saurait exclure que le voile blanc devenu sa marque de fabrique ait joué un rôle dans cette starisation. En 1988, son élection a donc été accueillie à grands renforts de superlatifs. Une femme élue dans un pays musulman : en guise d’analyse d’une réalité compliquée, le public n’avait qu’à se contenter d’idées simples et de formules creuses. Il aurait été rabat-joie d’avancer l’hypothèse que cette élection ne disait pas grand-chose du monde islamique – même pas de l’islam des Lumières tant aimé par BHL – et beaucoup du sous-continent indien. Car avant d’être une femme musulmane, Bhutto était une fille de famille de culture indienne, une Indira Gandhi à la Pakistanaise.

Seulement, la politique, la vraie, c’est un peu plus compliqué qu’un entretien au Times. Le deuxième mandat de Benazir Bhutto, entamé en 1993, n’a pas mieux tourné que le premier. Son mari Asif Ali Zardari, était aimablement surnommé « Monsieur 10% ». Les Bhutto dénonçaient ces accusations de corruption comme autant de coups montés par les militaires ou le régime pour les éliminer. Mais le dossier n’était pas tout-à-fait vide et on peut difficilement accuser la justice helvétique d’être à la solde des militaires pakistanais. Or, madame Bhutto fut condamnée en Suisse pour avoir touché plusieurs millions de dollars de pots-de-vin, avec son mari – qui se trouvait être son ministre de l’environnement pendant son deuxième mandat (C’est bien connu, en famille, on travaille mieux). Il y eut aussi la sombre affaire du manoir dans le Surrey dont le couple nia catégoriquement être propriétaire. Le fervent socialiste qu’est Monsieur Zardari s’indigna qu’on pût même le questionner : « Comment peut-on même songer à posséder un manoir en Angleterre quand tant de Pakistanais n’ont pas de toit », déclara-t-il. Et pourtant, quand la propriété fut vendue, cet enfant de Don Quichotte qui s’ignorait se souvint qu’il l’avait achetée. (Dans sa distraction, il avait aussi oublié qu’il avait demandé qu’on construise dans la cave du manoir une copie conforme du pub local – sans doute pour y boire un coup à la santé du peuple du Pakistan).

Si on ajoute le fait que Madame Bhutto n’a pas su plus que les autres anticiper la montée en puissance des Talibans et qu’elle n’a fait reculer ni la pauvreté ni la violence dans son pays, on est en droit de se demander si la ferveur et le deuil planétaires ne sont pas légèrement excessifs. Mais peut-être que je manque de cœur.

La volute finale

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La guerre engagée contre le tabagisme, la tabacomanie, le fumage, la fumigation, le fumisme, la fumance, les fumerolles fumigènes et autres fumophilies nicotiniques pratiquées isolément ou en réunion, par personnes ayant autorité ou pas, avec préméditation ou non, bat son plein. Nonobstant certaines hésitations ou marches arrière généralement dues, selon les fumophobes, au terrorisme buralistique, la France semble s’être engagée avec détermination sur la voie du non-fumage intégral et même absolu ou complet. La proportion de fumeurs et fumeures, d’intoxiqués et intoxiquées, d’accrocs et accroques, ainsi que la consommation moyenne de tabac et tabaque, sont en train de diminuer de manière spectaculaire. Certes, les gouvernements successifs, jugés d’ailleurs par beaucoup de fumophobes trop frileux sur ce point, ne se sont pas encore enhardis jusqu’à franchir l’étape décisive et décréter l’interdiction radicale du tabac dans tous les lieux privés, qu’il s’agisse d’endroits, de sites, de parages ou d’environs de parages et même de périmètres ; mais un tel programme, dont on discute actuellement les modes d’application, fait partie d’un processus historique inévitable, nul ne doit se faire d’illusions sur ce point. D’autant que cette mesure est aussi prévue par la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac et tabaque signée par la France et les autres pays européens le 62 janvril 2003 avant Jésus-Christ, ce qui prouve bien que l’inéluctible a partie liée avec l’irréversable.

Dans une telle situation, où les fumeurs sont en passe d’accéder au statut de minorité à part entière, il devient urgent de faire valoir leurs droits, d’exiger l’extension de ceux-ci et de réclamer un certain nombre de lois qui les protégeront.

La reconnaissance du fumage, et le respect qui lui est dû comme il l’est à toute activité minoritaire, est une première priorité. La seconde consiste à tout mettre en œuvre pour obtenir au plus vite une loi extrêmement répressive contre les actes et les propos fumophobes.

C’est dans cette double perspective que vient de se constituer La Volute finale, mouvement citoyen qui, en liaison étroite avec l’Observatoire de la fumophobie (www.sosfumophob.net), se présente à la fois comme un réseau de vigilance contre la fumophobie, un espace d’écoute ouvert aux victimes anonymes des fumophobes qui souffrent en silence, une association de surveillance et de dénonciation des actes, propos et autres manifestations fumophobiques, ainsi qu’un centre d’action pour la prévention de la fumophobie dans les écoles, sur les plages et dans les transports en commun. Pour chacun de ces objectifs, des commissions de travail sont en place, composées de bénévoles hétéroclites, et chaque personne souhaitant s’investir à nos côtés dans la lutte contre l’antifumage, la fumophobie et l’antitabacocentrisme peut y jouer un rôle. Toutes les bonnes volontés les plus diverses seront les meilleures. Le combat ne fait que commencer contre la fumophobie sous toutes ses formes, discriminations, violences ou rejets liés à l’orientation fumesque, et pour la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne fumante.

Certes, le chemin sera long avant que l’on comprenne que les actuelles victimes d’antifumage ou d’antitabacocentrisme le sont exactement comme les femmes, par exemple, furent victimes pendant des siècles d’androcentrisme, les Bretons victimes d’une politique barbare d’assimilation linguistique et de biniouphobie francocentriste, les enfants victimes d’adultocentrisme, pour ne rien dire des sorcières de Salem ni des moutons à cinq pattes, des canards émissaires ou des brebis boiteuses. Mais le temps précisément se chargera, en éclaircissant nos rangs d’année en année, de démontrer que nous appartenons bien à une minorité qui se minorise. C’est d’ailleurs le sens du nom que nous avons donné à notre association, et il indique aussi le peu d’illusions que nous avons de redevenir jamais majoritaires. Minorité nous sommes, minorité de plus en plus minoritaire nous serons, et c’est à ce titre que nous devons avoir accès à ce statut de dominés minoritaires qui ouvre sur de nombreux privilèges dérogatoires, droits particuliers, quotas, dégrèvements fiscaux, réparations, promotions spéciales, petits soins, tarifs préférentiels sur certaines compagnies aériennes, compensations compassionnelles et compensatrices, possibilité d’emmerder le monde jusqu’à la fin d’icelui et au-delà.

De manière plus générale, il est clair que si nous revendiquons l’égalité afin d’avoir autant de droits que les autres, nous revendiquons également la différence afin d’en avoir davantage. Comme tout un chacun.

« Pas de tolérance pour la fumophobie ! », tel est notre credo, et telle sera la doctrine qui dictera nos luttes, étant entendu que nous comprenons par le terme « fumophobie » toute manifestation avouée ou non de discrimination, d’exclusion, de forclusion ou de violence à l’encontre d’individus fumants, de pratiques ou de groupes tabagiques ou perçus comme tels.

Annus horribilis

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Les astres gouvernent nos vies. Ils conduisent le monde avec une régularité de métronome. Cette vérité se justifie chaque 1er janvier, quand l’éternel retour du même se produit.

Chaque année, la même odeur persistance de poudre d’artifice (autour de minuit) et de pétards (autour de Willy) flotte dans l’air. Les mêmes maux de tête et de foie au petit matin invitent chacun à bénir unanimement la mémoire du Dr Alkazelser. Chaque année, les mêmes inconnus reviennent vers moi me souhaiter je-ne-sais-quoi et me claquer deux bises, alors que je ne leur ai pourtant rien fait. Enfin, les mêmes astrologues réapparaissent dans nos journaux et sur nos petits écrans nous annoncer ce que la nouvelle année nous réserve.

Cela fait des années que je collectionne les horoscopes annuels d’Elizabeth Teissier. Elle ne se trompe jamais ! Elle est la plus grande astrologue européenne (et peut-être mondiale). Ses compétences ont été reconnues par l’université (la Sorbonne l’a faite docteur en sociologie) et par un ancien chef d’Etat français : chacun se souvient de la phrase mémorable de François Mitterrand à Christian Prouteau : « Il faut écouter Elizabeth Teiyssier. Carole Bouquet aussi. » (A l’époque Carole Bouquet ne pratiquait pas l’astrologie mais lisait l’avenir dans la coupe-rose de Gérard Depardieu).

L’an dernier, Elizabeth Teissier nous livrait un horoscope qui s’est vérifié en tout point. Elle écrivait : « 2007 n’apparaît pas de tout repos avec huit aspects négatifs contre six : un vent insurrectionnel souffle dès janvier, puis mai, tandis que l’économie et la Bourse donnent du fil à retordre aux spécialistes (et à l’homme de la rue également !), spécialement en mai (fortes turbulences boursières) et jusqu’en août, peut-être même jusqu’à l’automne. En janvier, mai et octobre, des inventions ou des découvertes spectaculaires sont à la clé. La fin de l’année, avec la première grande conjonction depuis l’an 2000 (Jupiter/Pluton), reflète un climat ambigu, une possible accalmie en même temps qu’une tentative de trouver des solutions au problème des sources d’énergie (pétrole), condition sine qua non d’un mieux-être économique. »

Le « vent insurrectionnel » de janvier 2007 est une allusion très fine à la véritable révolution démocratique que François Bayrou (le Toussaint Louverture béarnais) a fait souffler sur la France entière. Les « turbulences boursières » concernent évidemment l’affaire EADS. Quant au Grenelle de l’Environnement, il était clairement annoncé par Mme Teissier. Enfin, les grandes « inventions et découvertes » de janvier, mai et octobre sont tellement spectaculaires que les grands de ce monde ont préféré ne pas les rendre publiques pour le moment. On les comprend : si cela se trouve, un savant fou a mis au point un vaccin contre le rhume. Bush a téléphoné à Sarkozy, Sarkozy à Merkel, Merkel à Poutine, Poutine à Bush et aucun d’entre eux n’a souhaité mettre à mal l’industrie mondiale du grog : « On fait comme si Elizabeth Teissier n’avait rien dit… »

Même s’ils n’ont pas encore déterminé quand il adviendrait, le jour finira donc par arriver – c’est inéluctable – où l’on reconnaîtra aux astrologues le caractère scientifique de leurs prédictions.

En 2007, Jupiter a fait frotti-frotta avec Pluton (qui était pour sa part destitué perdant ses galons de planète pour devenir quoi, d’ailleurs, une vulgaire étoile ?). Et tout le monde s’en est aperçu. En 2008, il se pourrait bien que Saturne mette un petit coup par derrière à Neptune. Assurément, l’année sera bonne.

L’après-Bush a commencé

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La fin de l’ère Bush a commencé. Le coup d’envoi des élections présidentielles américaines de 2008 sera donné dans quelques jours, le 3 janvier, jour des primaires en Iowa, un état facile à repérer sur la carte des Etats-Unis, s’y trouvant au beau milieu. A première vue, aucun des deux seuls candidats présentables, Mc Cain à droite et Clinton à gauche, n’a de chance de l’emporter dans cet état : à l’heure où j’écris, les sondages donnent Obama, Monsieur Langue-de-bois, vainqueur chez les démocrates et Huckabee, Hucka-Qui ?, vainqueur chez les républicains.

Que faut-il entendre par présentable ? Je qualifie ainsi les candidats qui ont une quelconque chance de sortir les USA du bourbier où ils sont enfoncés et de leur rendre une chance d’être à nouveau entendus dans le concert – ou, si l’on préfère, la cacophonie – des nations. Huit ans de présidence Bush – à qui il ne reste qu’un seul admirateur, domicilié au 55 rue du Faubourg Saint Honoré à Paris – ont inauguré le déclin de l’Amérique, tant de fois annoncé et finalement en voie de réalisation. Il faut dire que le président a mis le paquet : il a justifié une guerre du pétrole par des informations truquées, fait fi de la convention de Genève, légalisé la torture et l’espionnage de ses propres citoyens, révoqué de fait l’Habeas Corpus, politisé à outrance l’administration de son pays et l’exercice de sa justice, encouragé la falsification de documents techniques – du domaine médical à celui de l’environnement – pour raisons purement lucratives et, pour finir, il assiste aujourd’hui en spectateur au plus extraordinaire naufrage du système financier, catastrophe en voie d’égaler – et peut–être même de dépasser – celle, déjà mémorable, de la Grande Crise.

Je n’ignore pas que l’on compte, parmi les autres candidats, des anciens gouverneurs, un ex-maire de New York et même un financier. Aussi honorables soient-ils, ils n’arrivent pas à la cheville des deux prétendants que j’ai désignés comme présentables. Ce qui ne signifie pas que leur affrontement constitue l’affiche la plus excitante possible. Le duel le plus divertissant serait sans doute celui qui opposerait Edwards à Huckabee : à ma gauche, le syndicaliste de choc, à ma droite, l’ancien pasteur. A propos de John Edwards, l’image qui me vient à l’esprit est celle du personnage joué par Martin Sheen dans Wall Street d’Oliver Stone (1987). Père du héros converti au culte de Mammon pour une pute de luxe et un gigantesque appartement dans l’Upper East Side, il lui lance : « Mon fils, ne vois–tu donc pas que le prix à payer, c’est la retraite de ton père et celles de ses camarades ! » Mike Huckabee, quant à lui, est le prêcheur du Far West, Bible dans une main, fourche dans l’autre, amateur de plaisanteries qui l’amusent manifestement mais sont souvent incompréhensibles pour ceux qui l’écoutent. Populiste de gauche contre populiste de droite, on ne s’ennuierait pas, au moins jusqu’à ce que l’un d’entre eux soit élu : on les imagine mal, l’un et l’autre, défendre un quelconque point de vue en matière de politique internationale.

McCain souffre d’un handicap sérieux. Son discours ressemble trop à celui de Bush. Par les temps qui courent, ce n’est pas le meilleur moyen de se rendre populaire. Il faut s’empresser de souligner que sa position diffère de celle de Bush au sujet de la torture dont il fut lui-même victime au Vietnam. Mais, avec le démocrate Joe Lieberman qui vient de lui apporter son soutien, il est l’un des rares à s’être aligné sur la position va-t-en-guerre du président et à avoir approuvé le surge, l’envoi de troupes supplémentaires au printemps. De plus, alors que les nuages de la récession menacent, il a été le dernier à oser soutenir le plan immigration auquel Bush entendait laisser son nom pour les siècles des siècles et qui a lamentablement capoté au printemps. Soutenu par les républicains proches des milieux d’affaires, cette vaste réforme conjuguait une amnistie étalée sur douze ans pour les 13 millions d’immigrés clandestins et un programme de « travailleurs-visiteurs » pour la main d’œuvre non qualifiée. Il n’a pas été torpillé par les démocrates, mais par l’autre aile du parti républicain : la droite xénophobe.

Le Wall Street Journal a beau claironner jour après jour que McCain reprend du poil de la bête, Huckabee a aujourd’hui 19,5 % d’avance sur lui dans les intentions de vote en Iowa et, au plan national, il n’arrive qu’à la quatrième place des candidats républicains, à 6,3 points derrière Giulani – grand partisan de la torture –, à 5 points de Huckabee et à 0,5 point de Romney – financier et mormon.

Dans ces conditions, on est tenté de miser sur Hillary Rodham-Clinton. Mais elle aussi souffre de sérieux handicaps, le premier étant qu’elle déploie une énergie considérable à se mettre en scène en futur chef des armées mais que son modèle semble copié sur le général paranoïaque Jack D. Ripper de Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1964). Le deuxième est qu’elle a adopté un ton de mégère dont elle croit qu’il lui confère de l’autorité mais qui énerve tout le monde, à commencer par les femmes. Enfin, son handicap majeur est qu’elle s’imagine déjà à la Maison Blanche et ne dit rien aujourd’hui qui pourrait la desservir lorsqu’elle occupera le bureau ovale. Certes, il serait admirable d’être un jour la présidente qui ne s’est jamais contredite mais du coup, elle perd toute spontanéité dans les débats des primaires, tiraillée qu’elle paraît entre son goût pour les rodomontades et son air de marcher sur des oeufs.

Reste Obama, dont on devine qu’il pourrait être le chouchou des médias européens. Je partage l’opinion d’Andrew Young, militant des droits civiques et ancien ambassadeur américain à l’ONU, l’un des vieux sages de la communauté noire américaine, qui a dit à son propos : « J’imagine très bien Barack Obama à la Maison Blanche. En 2016. »

Mes aïeux et le confort moderne

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De ces espaces que quelques-uns de nos ancêtres s’évertuèrent à travailler, résolus à tirer le meilleur parti de terres ou ne poussaient précédemment que forêts inextricables et mauvaises herbes, que reste-t-il ? De l’œuvre de ces paysans qui, poussés par la faim, ciselèrent des paysages, domptant ici un torrent, là une forte déclivité, créant des bocages, construisant villages et hameaux, qu’avons-nous conservé ?

Après des millénaires durant lesquels l’homme a façonné la nature, l’architecture internationale passe par là, les politiques y trouvent des solutions pour loger les ex-ruraux devenus citadins, les industriels de nouveaux marchés.

Arrivent les trente glorieuses, leurs Frigidaires, télévisions et voitures à explosions. L’ancien campagnard, ce terrien, fait un rêve : retrouver le foyer d’antan avec son âtre, sa femme, ses enfants et son chien pour garder les thuyas en leur faisant pipi dessus tout en aboyant sur les passants ! À cela, rien de répréhensible, il a une voiture, l’essence n’est pas chère, les routes en bon état et il a une place de parking au bureau. Le problème, c’est que loin de tout Madame ne pourra plus faire les courses, transporter les petits à l’école, la meilleure, pas la communale où ne vont que les ploucs. S’il le faut, ils achèteront une deuxième voiture. Et puis c’est décidé, ils la construiront, la villa de leurs rêves avec du carrelage partout parce que c’est plus facile pour l’entretien. De plus, le maire, qui dirige l’agence du Crédit Mutuel du village, dont sa famille est originaire, a une idée lumineuse pour attirer de nouveaux ruraux et éviter de fermer l’école : construire un lotissement. À cet effet, il rachète les terrains qui jouxtent la départementale à certains des exploitants agricoles qui composent son conseil municipal. Les banquiers, industriels, géomètres, promoteurs, maires, agriculteurs, mesdames et messieurs sont heureux – et la nation reconnaissante.

Villes après villages, zones commerciales après lotissements, sans oublier les maisons individuelles accolées aux hangars agricoles plantés au milieu des campagnes, le tout assaisonné de remembrements anachroniques et de monoculture : le mitage généralisé du paysage est presque partout irréversible. En moins de cinquante ans, la France a vu (et fait) disparaître la plus grande partie de ses paysages issus des siècles.

On n’inversera pas le cours du temps. Au moins sommes-nous en droit de questionner. Comment ces constructions de mauvaise qualité vieilliront-elles ? Qui paiera la note énergétique sachant qu’une maison individuelle est beaucoup moins économique que l’habitat collectif ? Qui voudra acheter des maisons de 150 000 euros dans vingt ans, quand les premiers enfants du baby-boom reviendront mourir en ville ? Qui entretiendra les rues de ces lotissements désertés ? Qui financera l’éclairage public, les réseaux et canalisations quand seules quelques maisons seront habitées ? Quels voyageurs voudront encore visiter des pays déglingués et sans âme ?