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L’émissaire Mégret

Bruno Mégret vient d’annoncer qu’il entendait se retirer de la vie politique du pays. On croyait que c’était chose faite, depuis son minuscule score au premier tour de la présidentielle 2002. Mais non, nous dit-il, c’est maintenant que ça se passe. Preuve en est : il convie les journalistes à assister vendredi à un « cocktail de presse » dans les salons d’un grand hôtel parisien. Il leur répétera à l’envi ce qu’il a annoncé aujourd’hui même à l’AFP : « Je vais travailler à l’étranger pour une grande société. » Ah, l’étranger ! toujours et encore. On ne se refait pas.

Meiji 68 ?

A trop célébrer Mai 68, on en oublie d’autres anniversaires largement aussi importants. Celui de notre modeste constitution (1958) – laquelle, il est vrai, n’aura jamais accouché que du régime républicain le plus stable de l’histoire de France… Mais aussi, voici cent quarante ans exactement, celui de la révolution Meiji au Japon. En 1868, l’archipel va procéder à des réformes sans précédent : fin du féodalisme, acclimatation des techniques européennes, de son modèle administratif et juridique, et de certaines de ses coutumes… Le monde « blanc » verra ainsi progressivement ses valeurs « universelles » validées par un peuple « de couleur » à l’identité pourtant très forte. L’adoption délibérée du modèle occidental par les Nippons (et les succès qu’elle engendrera – militaire contre la Russie, économique face aux USA) sonnera le début d’une transformation inédite de l’histoire du monde : la mondialisation.

Cours Oscar, cours !

C’est Trudi Kohl qui va être heureuse : le Tribunal arbitral du sport vient de casser la décision de la Fédération internationale d’athlétisme en autorisant le Sud-Africain Oscar Pistorius à participer aux Jeux Olympiques de Pékin. Amputé des deux jambes et doté de deux prothèses en carbone, cet athlète avait été disqualifié pour… « avantage mécanique évident » ! Oscar ne sera donc pas obligé de boycotter les JO ! C’est Robert Ménard, du coup, qui l’a mauvaise.

Israël SS

Il y a des gens qui savent fêter les anniversaires. Le Parti des musulmans de France avait choisi Strasbourg pour célébrer samedi après-midi le « soixantième anniversaire de la shoah du peuple palestinien », autrement dit la fondation de l’Etat d’Israël, le 14 mai 1948. C’est donc en cortège que des militants du PMF, dont la moyenne d’âge ne dépassait pas les seize ans, ont défilé dans les rues du centre ville, en criant des slogans d’une modération inouïe : « La Palestine aux Palestiniens », « Sionistes assassins », « Israël SS », entrecoupés de quelques « Allah Akhbar ». Mais pourquoi le PMF a-t-il organisé cette manifestation à Strasbourg ? Parce que la ville est la capitale européenne des droits de l’Homme ? Ou plutôt parce que ce « parti politique », qui vous ferait passer Tariq Ramadan pour un ultramodéré, n’a d’existence que dans la capitale alsacienne, où vit son président, Mohammed Latrèche ?

Georgio Benamoli

5

C’est en 1580 que Girolamo Macchietti réalisa l’une de ses plus remarquables oeuvres : le portrait de Georgio Marco Benamoli, cousin par alliance de Laurent de Medicis. A l’apogée du règne du Magnifique, Georgio se vit confier la rude sinécure de promouvoir les arts et d’en assurer leur essor à Florence. C’est notamment lui qui présenta le philosophe Savonarole au Prince, glissant à l’oreille de ce dernier la phrase que la postérité a retenu de lui : « Tu verras, c’est un type très bien. » Georgio fut vite exilé de Florence. Les historiens perdent ainsi sa trace. Après avoir orné le bureau élyséen de Georges-Marc Benamou, le tableau prit place dans les affaires de ce dernier, alors en partance pour Rome.

Girolamo Macchietti, Ritratto di stronzolissimo Georgio Marco Benamoli. Bois peint, 1580, conservé dans les consignes automatiques de la Gare de Lyon, Paris.

L’ironie perse…

A Téhéran où la population commence à se lasser de l’agitation de son président, Nicolas Sarkozy est aimablement surnommé Sarkozynejad. Certes, il n’a pas échappé aux Iraniens que notre président est légèrement plus amical envers Israël que le leur – du reste, c’est ce qu’ils aiment bien chez Sarko, beaucoup étant effarés par les délires antisémites d’Ahmadinejad. Mais, allez savoir pourquoi, ils trouvent qu’il y a, du point de vue du comportement, une certaine ressemblance entre les deux hommes. C’est rien que des jaloux : parce que notre Sarko, lui il en a une de bombe. Et même deux si on compte sa femme.

Obama, candidat du passé ?

Obama va-t-il casser la Barack ? Obama est-il Noir, métis ou just global ? Obama va-t-il réconcilier le monde avec les Etats-Unis ? Obama est-il le Kennedy noir ? Celui qui est en passe d’emporter l’investiture démocrate, tire incontestablement sa force des questions qu’il inspire. On en oublie cependant une, rendue inaudible par la célébration du « premier Noir à pouvoir entrer à la Maison Blanche ». Les Noirs ne sont plus « la » minorité aux USA. Concurrencés démographiquement par les « Latinos » et les Asiatiques, ils seront bientôt relégués au rang de quatrième composante ethnique. Ce qui signifie qu’à son sujet, la question serait plutôt : Obama est-il la dernière chance des Noirs de porter l’un des leurs au pouvoir ?

Anticapitaliste mais monopoliste

1

Il va de soi que Michel Drucker a eu raison d’inviter Olivier Besancenot à « Vivement Dimanche », et que ce dernier a eu raison d’y aller. Néanmoins, le porte-parole de la LCR aurait pu suggérer une autre date pour l’émission. Le dimanche du week-end de Pentecôte c’est, chaque année le grand jour d’Arlette Laguiller, celui durant lequel elle prononce son discours à la fête de LO, qui, pour une fois, est largement passée à la trappe dans les médias. Au vu des efforts déployés par la Ligue pour imposer son futur « Nouveau Parti Anticapitaliste » comme la seule offre politique crédible à gauche de la gauche, on a du mal à croire à une malheureuse coïncidence. Mais peut-être Olivier Besancenot – qu’on sait peu porté sur la théorie – a-t-il lu de façon un peu trop cursive les écrits de Gramsci sur l’ »hégémonie culturelle » ?

Ce n’est qu’un début

2

Les « médias aux ordres du grand capital et du régime » n’en finissent pas de déblatérer sur l’essoufflement du mouvement lycéen. Bien sûr il s’agit là d’un mensonge absolu. Comme l’expliquent fort bien leurs syndicats s’il n’y a plus de grèves et de manifestations c’est uniquement parce que les lycéens « poursuivent la lutte sous d’autres formes ». La preuve ? Un rassemblement géant de dizaines de milliers de lycéens et de collégiens sera organisé le 20 juin prochain à Paris ! De très importantes mesures de sécurité ont été prises pour empêcher tout débordement. Pourtant, on voit mal quels extrémistes oseraient bloquer les portes du Parc des Princes pour le concert de Tokio Hotel…

Desproges sans rire, rire sans Desproges

A l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort, Le Seuil publie Tout Desproges (1450 pages + 1 DVD). Inutile de dire que je ne m’y suis pas replongé. Cette « somme » finit par être assommante. Trop de textes déjà lus ou entendus – y compris, il faut bien le dire, quelques longueurs. Je veux parler bien sûr de ces tunnels obscurs et vides où le chroniqueur Desproges, visiblement payé au feuillet, débite au kilomètre des « loufoqueries » dignes de Pierre Dac, c’est-à-dire indignes de lui. Mais j’arrête : on dirait que ça déteint…

Au risque de choquer celles et ceux qui ne le seraient pas encore, je pense que le meilleur de Desproges, il le doit à son cancer. Face à la mort on fait moins le malin, et on n’en est que plus intelligent. Parce qu’enfin, que l’on croie au Ciel ou qu’on n’y croie pas, l’approche du sommeil éternel, ça réveille !

Si Desproges est drôle, c’est qu’il est tragique au sens grec, c’est-à-dire humain, du terme : confronté à une fatalité qu’il ne peut refuser qu’en l’accélérant, et relativiser qu’en l’acceptant. « Politesse du désespoir », et toute cette sorte de choses…

L’essentiel de l’esprit desprogésien, si je puis me permettre, tient dans le titre d’un de ses opuscules : Vivons heureux en attendant la mort ! Ce qui me séduit bien sûr dans ce mot d’ordre, au-delà du banal désespoir athée, c’est le défi hussard, profond et léger comme j’aime [1. « Superficiel par profondeur », comme disait il y a vingt-cinq siècles un philosophe grec dont j’ai oublié le nom là tout de suite.].

Si Desproges n’avait pas été drôle, il se serait appelé Cioran. Le soi-disant stoïcisme mégalomaniaque de ce maître-à-mourir m’insupporte tant que je l’aurais volontiers chantalsébirisé si la nature n’avait pris les devants.

Par bonheur chez Desproges, le crabe n’a rongé que le corps, pas l’esprit.

Un cancer assumé, c’est un peu comme le « naufrage » de la vieillesse anticipé et balisé : dans l’étroitesse imposée, et par un paradoxe qui n’est qu’apparent, on trouve soudain une liberté nouvelle ! On relativise ce qu’on croyait être nos obsessions ou nos ambitions. On est moins pressé d’ »arriver », dès qu’on a compris où on va en vrai.

En tant qu’humoriste agréé, Desproges connaissait la longueur de sa chaîne ; mais elle a dû lui paraître moins courte dès lors qu’il l’a mesurée non plus seulement en cm, mais en années… Le charme discret de Pierre, c’est celui d’un misanthrope tellement lucide sur lui-même qu’il a fini par ne plus l’être (misanthrope). Je le vois, presque physiquement, comme un E.T. qui s’attacherait progressivement à la race humaine tout en sachant qu’il doit, de toutes façons, téléphoner maison. « Rire contre la mort », après tout c’est pas plus con que « Rire contre le racisme [2. Dès que le rire devient « citoyen » il s’évanouit., allez savoir pourquoi…] ».

Las ! Même au bord de l’Achéron, ce PD [3. Ceci n’est pas une blague antisémite.] n’a pas vraiment franchi le Rubicon. A preuve, son inadmissible et consensuel aphorisme : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ! » Ce vent intellectuel, il le lâcha un jour courageusement – mais pas devant « n’importe qui » : face à Jean-Marie Le Pen, les yeux dans l’œil [4. Le Tribunal des flagrants délires, 1984.]. Fausse audace, ou vraie faveur buccale à nos « maîtres censeurs » ?

Le pire c’est qu’entre-temps, cette maxime creuse est devenue proverbiale [5. Voir l’édito désert du lugubre « Dossier Rire » de Libé (19 avril 2008), qui s’ouvrait sur ce piètre apophtègme.] : au cours des vingt dernières années, je jurerais l’avoir entendue mille fois… Dans les débats télé, dans les dîners en ville et même dans les conversations avec mes amis !

La lancinante question du « Peut-on rire de tout ? » est désormais expédiée en quinze secondes : « n’importe qui » cite Desproges, tout le monde opine, et le débat est clos.

L’émissaire Mégret

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Bruno Mégret vient d’annoncer qu’il entendait se retirer de la vie politique du pays. On croyait que c’était chose faite, depuis son minuscule score au premier tour de la présidentielle 2002. Mais non, nous dit-il, c’est maintenant que ça se passe. Preuve en est : il convie les journalistes à assister vendredi à un « cocktail de presse » dans les salons d’un grand hôtel parisien. Il leur répétera à l’envi ce qu’il a annoncé aujourd’hui même à l’AFP : « Je vais travailler à l’étranger pour une grande société. » Ah, l’étranger ! toujours et encore. On ne se refait pas.

Meiji 68 ?

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A trop célébrer Mai 68, on en oublie d’autres anniversaires largement aussi importants. Celui de notre modeste constitution (1958) – laquelle, il est vrai, n’aura jamais accouché que du régime républicain le plus stable de l’histoire de France… Mais aussi, voici cent quarante ans exactement, celui de la révolution Meiji au Japon. En 1868, l’archipel va procéder à des réformes sans précédent : fin du féodalisme, acclimatation des techniques européennes, de son modèle administratif et juridique, et de certaines de ses coutumes… Le monde « blanc » verra ainsi progressivement ses valeurs « universelles » validées par un peuple « de couleur » à l’identité pourtant très forte. L’adoption délibérée du modèle occidental par les Nippons (et les succès qu’elle engendrera – militaire contre la Russie, économique face aux USA) sonnera le début d’une transformation inédite de l’histoire du monde : la mondialisation.

Cours Oscar, cours !

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C’est Trudi Kohl qui va être heureuse : le Tribunal arbitral du sport vient de casser la décision de la Fédération internationale d’athlétisme en autorisant le Sud-Africain Oscar Pistorius à participer aux Jeux Olympiques de Pékin. Amputé des deux jambes et doté de deux prothèses en carbone, cet athlète avait été disqualifié pour… « avantage mécanique évident » ! Oscar ne sera donc pas obligé de boycotter les JO ! C’est Robert Ménard, du coup, qui l’a mauvaise.

Israël SS

51

Il y a des gens qui savent fêter les anniversaires. Le Parti des musulmans de France avait choisi Strasbourg pour célébrer samedi après-midi le « soixantième anniversaire de la shoah du peuple palestinien », autrement dit la fondation de l’Etat d’Israël, le 14 mai 1948. C’est donc en cortège que des militants du PMF, dont la moyenne d’âge ne dépassait pas les seize ans, ont défilé dans les rues du centre ville, en criant des slogans d’une modération inouïe : « La Palestine aux Palestiniens », « Sionistes assassins », « Israël SS », entrecoupés de quelques « Allah Akhbar ». Mais pourquoi le PMF a-t-il organisé cette manifestation à Strasbourg ? Parce que la ville est la capitale européenne des droits de l’Homme ? Ou plutôt parce que ce « parti politique », qui vous ferait passer Tariq Ramadan pour un ultramodéré, n’a d’existence que dans la capitale alsacienne, où vit son président, Mohammed Latrèche ?

Georgio Benamoli

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C’est en 1580 que Girolamo Macchietti réalisa l’une de ses plus remarquables oeuvres : le portrait de Georgio Marco Benamoli, cousin par alliance de Laurent de Medicis. A l’apogée du règne du Magnifique, Georgio se vit confier la rude sinécure de promouvoir les arts et d’en assurer leur essor à Florence. C’est notamment lui qui présenta le philosophe Savonarole au Prince, glissant à l’oreille de ce dernier la phrase que la postérité a retenu de lui : « Tu verras, c’est un type très bien. » Georgio fut vite exilé de Florence. Les historiens perdent ainsi sa trace. Après avoir orné le bureau élyséen de Georges-Marc Benamou, le tableau prit place dans les affaires de ce dernier, alors en partance pour Rome.

Girolamo Macchietti, Ritratto di stronzolissimo Georgio Marco Benamoli. Bois peint, 1580, conservé dans les consignes automatiques de la Gare de Lyon, Paris.

L’ironie perse…

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A Téhéran où la population commence à se lasser de l’agitation de son président, Nicolas Sarkozy est aimablement surnommé Sarkozynejad. Certes, il n’a pas échappé aux Iraniens que notre président est légèrement plus amical envers Israël que le leur – du reste, c’est ce qu’ils aiment bien chez Sarko, beaucoup étant effarés par les délires antisémites d’Ahmadinejad. Mais, allez savoir pourquoi, ils trouvent qu’il y a, du point de vue du comportement, une certaine ressemblance entre les deux hommes. C’est rien que des jaloux : parce que notre Sarko, lui il en a une de bombe. Et même deux si on compte sa femme.

Obama, candidat du passé ?

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Obama va-t-il casser la Barack ? Obama est-il Noir, métis ou just global ? Obama va-t-il réconcilier le monde avec les Etats-Unis ? Obama est-il le Kennedy noir ? Celui qui est en passe d’emporter l’investiture démocrate, tire incontestablement sa force des questions qu’il inspire. On en oublie cependant une, rendue inaudible par la célébration du « premier Noir à pouvoir entrer à la Maison Blanche ». Les Noirs ne sont plus « la » minorité aux USA. Concurrencés démographiquement par les « Latinos » et les Asiatiques, ils seront bientôt relégués au rang de quatrième composante ethnique. Ce qui signifie qu’à son sujet, la question serait plutôt : Obama est-il la dernière chance des Noirs de porter l’un des leurs au pouvoir ?

Anticapitaliste mais monopoliste

1

Il va de soi que Michel Drucker a eu raison d’inviter Olivier Besancenot à « Vivement Dimanche », et que ce dernier a eu raison d’y aller. Néanmoins, le porte-parole de la LCR aurait pu suggérer une autre date pour l’émission. Le dimanche du week-end de Pentecôte c’est, chaque année le grand jour d’Arlette Laguiller, celui durant lequel elle prononce son discours à la fête de LO, qui, pour une fois, est largement passée à la trappe dans les médias. Au vu des efforts déployés par la Ligue pour imposer son futur « Nouveau Parti Anticapitaliste » comme la seule offre politique crédible à gauche de la gauche, on a du mal à croire à une malheureuse coïncidence. Mais peut-être Olivier Besancenot – qu’on sait peu porté sur la théorie – a-t-il lu de façon un peu trop cursive les écrits de Gramsci sur l’ »hégémonie culturelle » ?

Ce n’est qu’un début

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Les « médias aux ordres du grand capital et du régime » n’en finissent pas de déblatérer sur l’essoufflement du mouvement lycéen. Bien sûr il s’agit là d’un mensonge absolu. Comme l’expliquent fort bien leurs syndicats s’il n’y a plus de grèves et de manifestations c’est uniquement parce que les lycéens « poursuivent la lutte sous d’autres formes ». La preuve ? Un rassemblement géant de dizaines de milliers de lycéens et de collégiens sera organisé le 20 juin prochain à Paris ! De très importantes mesures de sécurité ont été prises pour empêcher tout débordement. Pourtant, on voit mal quels extrémistes oseraient bloquer les portes du Parc des Princes pour le concert de Tokio Hotel…

Desproges sans rire, rire sans Desproges

61

A l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort, Le Seuil publie Tout Desproges (1450 pages + 1 DVD). Inutile de dire que je ne m’y suis pas replongé. Cette « somme » finit par être assommante. Trop de textes déjà lus ou entendus – y compris, il faut bien le dire, quelques longueurs. Je veux parler bien sûr de ces tunnels obscurs et vides où le chroniqueur Desproges, visiblement payé au feuillet, débite au kilomètre des « loufoqueries » dignes de Pierre Dac, c’est-à-dire indignes de lui. Mais j’arrête : on dirait que ça déteint…

Au risque de choquer celles et ceux qui ne le seraient pas encore, je pense que le meilleur de Desproges, il le doit à son cancer. Face à la mort on fait moins le malin, et on n’en est que plus intelligent. Parce qu’enfin, que l’on croie au Ciel ou qu’on n’y croie pas, l’approche du sommeil éternel, ça réveille !

Si Desproges est drôle, c’est qu’il est tragique au sens grec, c’est-à-dire humain, du terme : confronté à une fatalité qu’il ne peut refuser qu’en l’accélérant, et relativiser qu’en l’acceptant. « Politesse du désespoir », et toute cette sorte de choses…

L’essentiel de l’esprit desprogésien, si je puis me permettre, tient dans le titre d’un de ses opuscules : Vivons heureux en attendant la mort ! Ce qui me séduit bien sûr dans ce mot d’ordre, au-delà du banal désespoir athée, c’est le défi hussard, profond et léger comme j’aime [1. « Superficiel par profondeur », comme disait il y a vingt-cinq siècles un philosophe grec dont j’ai oublié le nom là tout de suite.].

Si Desproges n’avait pas été drôle, il se serait appelé Cioran. Le soi-disant stoïcisme mégalomaniaque de ce maître-à-mourir m’insupporte tant que je l’aurais volontiers chantalsébirisé si la nature n’avait pris les devants.

Par bonheur chez Desproges, le crabe n’a rongé que le corps, pas l’esprit.

Un cancer assumé, c’est un peu comme le « naufrage » de la vieillesse anticipé et balisé : dans l’étroitesse imposée, et par un paradoxe qui n’est qu’apparent, on trouve soudain une liberté nouvelle ! On relativise ce qu’on croyait être nos obsessions ou nos ambitions. On est moins pressé d’ »arriver », dès qu’on a compris où on va en vrai.

En tant qu’humoriste agréé, Desproges connaissait la longueur de sa chaîne ; mais elle a dû lui paraître moins courte dès lors qu’il l’a mesurée non plus seulement en cm, mais en années… Le charme discret de Pierre, c’est celui d’un misanthrope tellement lucide sur lui-même qu’il a fini par ne plus l’être (misanthrope). Je le vois, presque physiquement, comme un E.T. qui s’attacherait progressivement à la race humaine tout en sachant qu’il doit, de toutes façons, téléphoner maison. « Rire contre la mort », après tout c’est pas plus con que « Rire contre le racisme [2. Dès que le rire devient « citoyen » il s’évanouit., allez savoir pourquoi…] ».

Las ! Même au bord de l’Achéron, ce PD [3. Ceci n’est pas une blague antisémite.] n’a pas vraiment franchi le Rubicon. A preuve, son inadmissible et consensuel aphorisme : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ! » Ce vent intellectuel, il le lâcha un jour courageusement – mais pas devant « n’importe qui » : face à Jean-Marie Le Pen, les yeux dans l’œil [4. Le Tribunal des flagrants délires, 1984.]. Fausse audace, ou vraie faveur buccale à nos « maîtres censeurs » ?

Le pire c’est qu’entre-temps, cette maxime creuse est devenue proverbiale [5. Voir l’édito désert du lugubre « Dossier Rire » de Libé (19 avril 2008), qui s’ouvrait sur ce piètre apophtègme.] : au cours des vingt dernières années, je jurerais l’avoir entendue mille fois… Dans les débats télé, dans les dîners en ville et même dans les conversations avec mes amis !

La lancinante question du « Peut-on rire de tout ? » est désormais expédiée en quinze secondes : « n’importe qui » cite Desproges, tout le monde opine, et le débat est clos.