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La réalité ? Quelle réalité ?

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En décidant de décerner la Palme d’or au film de Laurent Cantet Entre les murs, le jury du Festival de Cannes, a offert au débat actuel sur l’école et son avenir, une formidable caisse de résonance. Enfin un film qui parle du rapport entre professeurs et élèves, de ses difficultés, de ses écueils. Mais aussi de ses petits bonheurs quotidiens qui font toute la joie d’enseigner, notamment dans ces zones de relégation sociale, ces fameuses ZEP de quartiers sensibles d’où, finalement, semble se dégager une incroyable et rafraîchissante énergie. Celle de cette jeunesse à laquelle fait face le professeur, François Bégaudeau, jouant à l’écran son propre rôle de professeur de français, ce qu’il fut pendant dix ans, à Dreux puis à Paris, dans des établissements difficiles. C’est de son roman, succès de librairie de l’année 2006, qu’est adapté le scénario du film de Laurent Cantet.

Le film est salué par la presse et le milieu du cinéma, notamment parce qu’il est « en prise avec le réel », ainsi que s’en targue Bégaudeau : « J’en avais assez de tous ces livres de profs qui, sous couvert de raconter ce qui se passe, se réduisent à des essais au ton apocalyptique. Ils ne racontent rien, en fait. Ils filtrent la réalité pour la faire correspondre à leurs a priori idéologiques, le plus souvent réactionnaires. » La classe, voilà la réalité, celle du quotidien. Bégaudeau promet de nous donner à voir « la vraie vie d’une classe ordinaire d’aujourd’hui ». Les filtreurs de réalité disent que l’Ecole va mal et nous empêchent donc de rêver éveillés, ils nous empêchent de croire que tout le monde a du talent, que chacun a de formidables qualités qu’il suffirait de faire éclore au grand jour, que de la spontanéité maladroite et un brin charmante de ces élèves puisse sortir quelque chose de positif. J’exagère ? Bégaudeau ne nie pas les difficultés de l’école ; lui l’héritier, le fils d’enseignants, se fait le porte-parole d’un courant de pensée qui récuse la baisse de niveau et avec elle, toute nostalgie dont seraient nécessairement empreints ceux qui pensent qu’il faut donner aux élèves, à tous les élèves, de grands textes et de grands auteurs à connaître. « Il faut les prendre comme ils sont ces élèves », lui fait dire un journaliste du Monde. Ils s’expriment mal, font des fautes de syntaxe à toutes les phrases, ont un vocabulaire très limité ? Donnons-leur à lire ce qu’ils ont envie de lire (c’est déjà bien qu’ils lisent, s’ils lisent), échangeons sur ce qui les intéresse et les touche en premier lieu, ancrons notre enseignement dans leur réalité et non dans un réel abstrait qui aurait pour effet de les braquer, qui agirait comme un repoussoir. C’est touchant, c’est émouvant, c’est généreux.

Curieusement, le roman de Bégaudeau est bien plus « juste » que les propos de son auteur. Entre les Murs ne se complait ni dans le fantasme, ni dans l’idéologie. Bref, l’écrivain Bégaudeau (et sans doute le prof Bégaudeau) est dans le vrai, dans la réalité, dans le réel.

De fait, dans ces établissements sensibles de banlieue (qui depuis une décennie ont aussi essaimé dans les quartiers populaires de Paris), la défaite de l’Ecole se traduit d’abord par une défaite du langage, fort bien dépeinte par l’écrivain dans son roman. Celui-ci sonne vrai, juste. On s’y croirait.

Il pointe ainsi fort habilement la minimisation du langage, la détresse linguistique dans laquelle sont plongés nombre de jeunes gens et ses corollaires, l’incompréhension et la violence. Incompréhension du langage du professeur et au-delà, de ce qui les entoure et du monde extérieur. Les jeunes élèves dont parle Bégaudeau n’envisagent les rapports sociaux que sous l’angle du rapport de force, incapables de se plier à une autorité, comprenant les remarques comme autant de défis, les injonctions comme autant d’agressions. Oui, c’est de cette réalité-là que parle, Bégaudeau, du racisme de certains, de l’antisémitisme de beaucoup, de l’homophobie comme norme. Bref, il décrit ce que nombre de professeurs vivent au quotidien, lesquels, et cela aussi il le montre parfaitement, sont de plus en plus las, fatigués, abandonnés et impuissants face au flot de problèmes qui submerge même les plus aguerris.

Quiconque fréquente les collèges aura un sentiment de déjà-vu en lisant la fin du livre. Celui-ci s’achève par la traditionnelle pièce de théâtre et l’annuel match de foot profs-élèves qui réconcilie tout le monde sur le pré. Oui, le vécu affleure sans cesse du roman de mon ex-collègue : j’y reconnais mon quotidien.

Je n’ai pas vu le film qui ne sortira que le 18 octobre prochain, mais je suis assez perplexe. J’avoue ne pas trouver, ni dans la vraie vie, ni dans les pages d’Entre les murs de quoi me rassurer sur l’avenir, celui de ces gamins comme le nôtre. Alors, qu’est-ce qui peut bien être, dans ce film, si « amazing », comme l’a annoncé Sean Penn ? Qu’est-ce qui mériterait qu’on le montre à tous les élèves dans toutes les écoles, comme l’a demandé à Christine Albanel un journaliste de Canal + ? Qu’est-ce qui semble rassurer tout un petit monde qui vit bien loin de cette fameuse réalité tant louée ? J’ose espérer que ce n’est pas, justement, la réalité.

Entre les murs

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Obama est blanc !

De France 2 à Arte, de Libé au Figaro, de Ségolène Royal à Condoleezza Rice, cela n’a pas manqué : on a salué aujourd’hui la désignation de Barak Obama comme celle du « premier Noir à pouvoir prétendre devenir président » des USA. Obama est pourtant métis. Son père, Kenyan, est noir. Sa mère, du Kansas, est blanche. Pourquoi cette insistance ? On disait jadis la même chose de Yannick Noah ou de Harlem Désir. Drumont, Le Pen et autres tenants de la « souillure » auraient-ils gagné dans les esprits : un peu de « sang » noir (juif, chinois, arabe) et vous n’êtes plus vraiment un « Blanc » ? Tenons-nous en donc aux faits : Obama est aussi blanc qu’il est noir – alors qu’en l’état actuel de nos connaissances, Hillary, elle, est 100% femme?

Edition : copie à revoir

L’Unesco vient de publier un Index Translationum, qui recense les auteurs les plus traduits dans le monde. Que ressort-il de ce classement ? D’abord la suprématie des anglo-saxons, dont Agatha Christie, n°1 mondiale, suivie de Barbara Cartland, talonnée par un certain Shakespeare. Ensuite, la bonne résistance des Français ou assimilés, avec Jules Verne (n°2), Simenon et Dumas (Alexandre, pas Mireille !). Mais aussi la présence inattendue des Russes : Lénine (n°3), Dostoïevski, Tolstoï. Et, enfin, l’absence totale dans ce top 50 du moindre auteur de langue extra-européenne, qu’il soit chinois, indien ou arabophone.

Logo sans logos

Nom d’une pipe, ceci est un logo. On nous apprend que Bernard Kouchner, rentrant du Kurdistan, a présenté le « logo » de la présidence française de l’Union européenne. Le visuel ne laisse souffrir aucun doute : la french touch graphique (inaugurée dans les années 1950 par Pierre Faucheux, André François ou Massin) est bel et bien morte. Fermez le ban. FM

Les secrétaires

Que ne faut-il pas faire pour devenir secrétaire ? L’art a le pouvoir de constituer autour de nous un monde peuplé d’objets immortels. Peint en 1594, ce tableau de l’école franco-hollandaise nous en apporte la plus éclatante démonstration. Plus de quatre cents ans ont passé et la secrétitude (en latin, l’éternel de la secrétaire) demeure : savoir taper à la machine avec dix doigts participatifs gentiment vernis, se faire régulièrement péroxyder au Réjécolor, supporter l’haleine chargé d’un patron qui vous force à prendre en sténo d’invraisemblables motions. Enfin, last but not least, adopter, en toutes circonstances, l’air pincé.

Anonyme franco-hollandais, Les secrétaires. Huile sur bois, 1594. Musée des Beaux-Arts de Jarnac (Poitou-Charente).

Sexe, mensonges et idéaux

Difficile d’écrire sur le sable, surtout en période de grandes marées ! Entre le 1er et le 4 juin, il m’aura fallu remanier trois fois le présent papier[1. Appelé à faire autorité sur la question.], à propos de cet absurde jugement ch’ti annulant le mariage de deux époux consentants (au divorce).

La faute à Rachida Dati, qui est le contraire d’une imbécile. La preuve : en quatre jours, elle a changé d’avis deux fois[2. Même si son troisième avis est le même que le premier.] ! Cela dit, je ne lui en veux pas : ce pétage de plombs à répétition finit même par me rendre sympathique celle que je prenais pour une banale arriviste, « froide et sans scrupules » comme on disait déjà chez Delly.

En risquant sa carrière politique pour défendre une conviction fondée sur son expérience personnelle, Rachida a brusquement révélé à un microcosme incrédule son côté humain : « Pour être ministre, on n’en est pas moins femme », comme disait le poète.

Réussir ainsi à faire l’unanimité contre elle – du PC au FN, en passant par les associations féministes, antiracistes, laïcistes… et l’UMP en personne –, ce n’est quand même pas si fréquent. Surtout pour des idées !

Certes, les volte-face de Mme Dati m’ont donné un surcroît de boulot ; mais c’est bon pour mon karma, comme on dit chez les bouddhistes d’Oberkampf. Simplement la prochaine fois, j’écrirai de préférence sur la peine de mort dans l’Egypte ptolémaïque.

Mais revenons à notre mouton noir de la classe politique. Si jamais une telle mésaventure ne lui a pas ouvert les yeux sur ces Jeux du Cirque cruels et vains qu’on nomme aujourd’hui « politique », au moins y aura-t-elle appris le b-a-ba du métier : ne jamais, sous aucun prétexte, dire ce qu’on pense !

Tel est d’ailleurs, à mes yeux, le fond de l’affaire. Que réclame en fait le Parquet dans son appel (cf. Le Monde, 5 juin 2008) ? Non pas la réformation du jugement ; juste la suppression d’une de ses motivations : « La référence à la virginité n’est pas compatible avec l’ordre public, car elle porte atteinte à la dignité des femmes et à l’égalité des sexes. »

Une fois ôtée la virginité, si j’ose dire, que reste-t-il donc au tribunal correctionnel de Lille pour justifier sa fameuse décision du 1er avril ? Le mensonge, tout simplement.

Contrairement à ce qu’un vain peuple pense, c’était même l’essentiel de l’argumentation développée par les juges de première instance. Non pas l’état de l’hymen de Madame au moment des faits[3. Il n’y a même pas eu reconstitution des faits !], mais la tromperie concernant un point-clé du consentement mutuel : « La vie matrimoniale a commencé par un mensonge, lequel est contraire à la confiance réciproque entre époux, pourtant essentielle dans le cadre de l’union conjugale. »

Alors là, en tant que défenseur de la famille[4. De la patrie aussi, mais pour le travail, je suis pas sûr…], je dis : attention à la dérive jurisprudentielle ! Si les mensonges entre époux devenaient une cause d’annulation de leur union, on serait bientôt 60 millions de célibataires.

De quoi Al Doura est-il le nom ?

Nous ne savons pas qui a tué Mohamed Al Doura. Ce qui semblait à tous une évidence, y compris à l’auteur de ces lignes, revient désormais comme une question, suite aux diverses investigations et procédures judiciaires déclenchées à la suite du reportage de Talal Abu Rahma et Charles Enderlin. La responsabilité de l’armée israélienne, qu’un officier avait reconnue dans les suites immédiates de la fusillade, reste en effet à démontrer, contrairement à ce que nous étions nombreux à croire. Peut-être aurons-nous un jour l’aveu de l’homme qui tenait le fusil, ou une preuve irréfutable de sa nationalité. On peut toutefois avancer sans grand risque de se tromper cette fois-ci, que cela ne changera rien. Car il ne s’agit pas en l’occurrence du redressement d’une éventuelle erreur judiciaire à la manière de Gilles Perrault dans Le Pull-over rouge. L’ »affaire Al Doura » n’est qu’une péripétie d’un conflit armé et d’une occupation au cours desquels des centaines d’autres enfants ont été tués.

On peut certes rétorquer que cette « mort en direct », selon le cliché médiatique, a joué un rôle important dans l’escalade de la violence à la fin de l’année 2000. En réalité, personne n’en sait rien et l’on peut penser au contraire, et c’est mon cas, que cet événement n’eut qu’un effet marginal sur le cours de la deuxième intifada. Quoiqu’il en soit, nous ne sommes sûrs que d’une chose : les images diffusées par France 2 furent une aubaine pour les uns et un désastre pour les autres. La question importante qui me semble posée ici n’est donc pas « qui a tué Al Doura ? » mais, que Badiou me pardonne : « De quoi Al Doura est-il le nom ? » Autrement dit, ce qui est en cause ici est moins l’identité du ou des tireurs que la raison pour laquelle ces tirs ont eu lieu.

Rappelons qu’ils se sont produits à Gaza, dans les alentours immédiats de la colonie de Netzarim, dont Sharon disait, avant de changer d’avis, qu’elle était aussi importante pour Israël que Tel Aviv. Elle a été, comme chacun sait, évacuée comme les autres colonies de Gaza en 2005. Je suis passé peu de temps auparavant dans ces parages. Regardant (de l’extérieur) à quoi ressemblait une colonie juive à Gaza, je n’y ai vu que des ouvriers agricoles thaïlandais cultivant des agrumes sous serre et sous bonne garde israélienne. Dans les environs, comme c’est souvent le cas autour des colonies, la plupart des maisons avaient été vidées de leurs habitants, le paysage était celui d’un chantier de destruction. Que défendaient les soldats israéliens à Netzarim ? La sécurité d’Israël ? Le droit des juifs à vivre la promesse biblique ? La suite a montré ce qu’il en était. Ils défendaient la politique israélienne, ou plutôt l’option politique du moment.

Accuser les soldats israéliens d’être des tueurs d’enfants est une absurdité devant laquelle ne reculent pas certains militants de la cause palestinienne. S’indigner devant de telles accusations ne mène nulle part, car la réalité est bien que ces soldats tuent aussi des enfants, parce qu’ils sont des occupants en butte, comme toute force d’occupation, à une hostilité généralisée. Qu’on lise, entre autres, les témoignages de ceux d’entre eux qui se sont rassemblés sous le mot d’ordre « Breaking the silence », si l’on a encore besoin de se convaincre de la violence quotidienne et silencieuse de Tsahal en Palestine. La mort de Al Doura, tué par un inconnu lors d’un échange de tirs entre résistants et occupants aurait pu n’être qu’un dommage collatéral parmi d’autres, regrettable et fugace. Par la grâce de la télévision, elle est devenue un symbole pour les uns, un outrage pour les autres. Le partage ne se faisant pas selon le degré de confiance accordée aux images mais en fonction du jugement porté sur cette situation.

La vérité du reportage incriminé réside ailleurs que dans les images qui le composent, puisqu’elles ne sont en fait que l’allégorie de l’injustice faite aux Palestiniens pour certains, la démonstration des procès haineux faits aux Israéliens pour d’autres.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que la vérité factuelle de ce reportage compte moins que sa signification symbolique, et pas seulement parce que le pathos est l’une des marques du conflit du Proche-Orient. C’est plus généralement la question du statut de l’image de reportage qui est posée ici et qui vaut, en dehors même de toute considération sur la Palestine et Israël, que l’on s’y intéresse. Ce n’est pas mon propos et je me bornerai à rappeler qu’un film quel qu’il soit est affaire de cadrage et de montage. Autrement dit, il ne s’agit pas d’enregistrer la réalité mais de la mettre en scène et que les images d’un reportage ne sont pas plus « vraies » par elles-mêmes que les mots d’un récit.

Sacrée union

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Nicolas Sarkozy se rendra ce samedi au Liban pour rencontrer le nouveau président Michel Sleimane. Histoire d’afficher à ce pays le soutien sans faille d’une France unie, l’Elysée a invité au voyage les principaux dirigeants de l’opposition – François Hollande (PS), François Bayrou (MoDem) et François Fillon (gouvernement)…

Sympathy for the Débile

Le mois de mai, tout entier dédié à la commémoration de 68, s’est-il achevé par un bâillement général ? Soit. Mais point de sarcasme : ces festivités auront été authentiquement remarquables. Tout d’abord parce qu’elles révèlent à quel point notre hiérarchie de l’histoire est bouleversée: à l’aune du traitement médiatique, Mai 68 est désormais l’événement le plus marquant de nos manuels. Exagération ? Qu’on en juge ! L’ensemble des hebdos et des quotidiens lui ont consacré au moins une couverture. Combien en ont fait de même pour le demi-siècle de la Ve République et de notre Constitution ? Aucun. Zéro couv’. Trop barbant ? En Allemagne, démocratie exemplaire, on ne rechigne pourtant jamais au « patriotisme constitutionnel »… Passons. Le printemps de Prague en 1968, prélude à un bouleversement inimaginable dans l’ordre géopolitique (souvenons-nous des sinistres prophéties de Jean-François Revel sur l’immuabilité du bloc de l’est…) ? Rien. Pas même un dossier – que dis-je ! pas même un simple article. Trop futile, sans doute. Le premier sursaut politique européen, appelé « printemps des peuples », en 1848 ? On cherchera en vain le moindre articulet. Trop populiste, certainement. L’ultime pavé de Daniel Cohn-Bendit – Forget 68 (éditons de l’Aube) – aura donc été inutile : le souvenir de Mai 68 mobilise plus sûrement nos médias que, pour ne prendre que cet exemple anecdotique, la chute du nazisme.

Mais nous avons aussi assisté à l’invention d’un nouveau genre de célébration. Avec le cru 2008, nous avons quitté l’ordre assez classique de la louange pour la recherche désespérée du procès en réhabilitation. Les champions de 68 réclament désormais, au besoin implorent, des procureurs ! Ne sachant plus exactement que célébrer (on verra plus bas pourquoi…), les célébrants n’ont cessé de convoquer des détracteurs qui ne daignaient plus montrer le bout de leur groin. Ah ! qu’ils paraissent enfin ces réactionnaires, anciens ou « nouveaux », et qu’ils étalent les griefs de « la France moisie »… « Accusez, levons-nous ! », s’encouragèrent-ils les uns les autres. Triste drame, vaine attente. De la génération précédente, les pourfendeurs du « monôme » sont pour la plupart tout bonnement morts. Parfois de fatigue. Les plus « jeunes », contemporains de July ou Sollers, sont un peu comme nous : ils ont tourné la page. Mai 68 : de Tillinac à Debray, on s’en tamponne le coquillard. Comprenons la déception de nos taxidermistes : sans adversaires, comment prolonger le combat ? Mai 68 sombre, hors médias, dans l’oubli – et si ce n’était qu’un début ?

Ici gît la malédiction de Mai 68, dont seuls les anniversaires sont d’authentiques révolutions. Pour trouver matière à célébration, il aura fallu recourir à un subterfuge d’une puissante candeur : apposer à tous les événements progressistes de l’histoire de France le label « 68 ». Tout ce qui fut bon avant et après 68 ne fut qu’annonciation ou prolongement du joli mois de mai. C’était cela, camarade, ou bien alors avouer, une bonne fois pour toute, que tout avait déjà eut lieu avant, ou bien après – et que dans tous les cas, d’autres que les jeteurs de pavés s’en étaient chargés… Prenez la cause des femmes. Leur entrée au gouvernement ? Blum, 1936. Le droit de vote ? De Gaulle, 1944. La pilule ? Neuwirth, sous de Gaulle. L’IVG ? Veil, sous Giscard. Voyez la libération sexuelle : au pays de Laclos et de Crébillon, de Clemenceau et de Guitry, est-il sacrilège de rappeler qu’elle commença il y a des lustres, et que ce ne sont pas les militants de Mai 68, aussi folkloriques aient-ils été mais l’importation des luttes américaines qui contribua à améliorer le sort des homosexuels ?

Quant à la condition ouvrière, est-il bien digne d’escamoter, après le Front Populaire, la collaboration gaullo-communiste qui en permit l’amélioration ? Et puisque chez nous toutes les révolutions, y compris rêvées, finissent en chansons, la musique n’aura pas échappé à cette entreprise de captation historique. En témoigne la compilation qui est restée tête de gondole dans toutes les FNAC et Virgin du pays ces dernières semaines : Mai 68 : la bande originale. Elle est édifiante, qui s’ouvre sur trois tubes des fifties : I’m left (Elvis Presley, 1954), Shake rattle and roll (Fats Domino, 1954), Johnny B Goode (Chuck Berry, 1958). Suivent quelques morceaux soixante-huitards en diable : Monsieur William par Les Compagnons de la Chanson (Léo Ferré, 1953), L’âme des poètes (Charles Trenet, 1951) ou encore le très guévariste Da Dou Ron Ron Ron de Richard Anthony (Gonzalo Roig, 1963). On trouvera certes quelques morceaux plus marqués, comme Le Déserteur de Boris Vian, mais il date, lui aussi, de… 1954. Curieux. Il y avait pourtant un bon titre à célébrer 68. Je veux dire un bon titre de chanson, composée spécialement pour et pendant Mai 68 par les Rolling Stones. Une chanson curieusement oubliée dans notre « compilation » officielle et dont le titre était Sympathy for the Devil. Craignait-on un mauvais jeu de mot ?

Sarko Psy Show

A l’Elysée, on a dû angoisser. Cela faisait au moins une semaine, peut-être même deux ou trois, que le Président n’était pas à la une des magazines. Au point que la rumeur sournoise a même couru qu’il ne vendait plus (ce qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire. Pas de panique. A en juger par les covers de Marianne et du Point, la mainmise de Nicolas Sarkozy sur les médias (en tout cas sur leur agenda) ne s’est pas desserrée. « Le cas Sarkozy expliqué par les femmes », annonce l’hebdomadaire fondé par JFK. Le Point, pour sa part, a préféré faire appel aux psys pour sonder le cœur et les reins du président. Et pourquoi pas « la politique de Sarkozy », tant qu’on y est ?

La réalité ? Quelle réalité ?

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En décidant de décerner la Palme d’or au film de Laurent Cantet Entre les murs, le jury du Festival de Cannes, a offert au débat actuel sur l’école et son avenir, une formidable caisse de résonance. Enfin un film qui parle du rapport entre professeurs et élèves, de ses difficultés, de ses écueils. Mais aussi de ses petits bonheurs quotidiens qui font toute la joie d’enseigner, notamment dans ces zones de relégation sociale, ces fameuses ZEP de quartiers sensibles d’où, finalement, semble se dégager une incroyable et rafraîchissante énergie. Celle de cette jeunesse à laquelle fait face le professeur, François Bégaudeau, jouant à l’écran son propre rôle de professeur de français, ce qu’il fut pendant dix ans, à Dreux puis à Paris, dans des établissements difficiles. C’est de son roman, succès de librairie de l’année 2006, qu’est adapté le scénario du film de Laurent Cantet.

Le film est salué par la presse et le milieu du cinéma, notamment parce qu’il est « en prise avec le réel », ainsi que s’en targue Bégaudeau : « J’en avais assez de tous ces livres de profs qui, sous couvert de raconter ce qui se passe, se réduisent à des essais au ton apocalyptique. Ils ne racontent rien, en fait. Ils filtrent la réalité pour la faire correspondre à leurs a priori idéologiques, le plus souvent réactionnaires. » La classe, voilà la réalité, celle du quotidien. Bégaudeau promet de nous donner à voir « la vraie vie d’une classe ordinaire d’aujourd’hui ». Les filtreurs de réalité disent que l’Ecole va mal et nous empêchent donc de rêver éveillés, ils nous empêchent de croire que tout le monde a du talent, que chacun a de formidables qualités qu’il suffirait de faire éclore au grand jour, que de la spontanéité maladroite et un brin charmante de ces élèves puisse sortir quelque chose de positif. J’exagère ? Bégaudeau ne nie pas les difficultés de l’école ; lui l’héritier, le fils d’enseignants, se fait le porte-parole d’un courant de pensée qui récuse la baisse de niveau et avec elle, toute nostalgie dont seraient nécessairement empreints ceux qui pensent qu’il faut donner aux élèves, à tous les élèves, de grands textes et de grands auteurs à connaître. « Il faut les prendre comme ils sont ces élèves », lui fait dire un journaliste du Monde. Ils s’expriment mal, font des fautes de syntaxe à toutes les phrases, ont un vocabulaire très limité ? Donnons-leur à lire ce qu’ils ont envie de lire (c’est déjà bien qu’ils lisent, s’ils lisent), échangeons sur ce qui les intéresse et les touche en premier lieu, ancrons notre enseignement dans leur réalité et non dans un réel abstrait qui aurait pour effet de les braquer, qui agirait comme un repoussoir. C’est touchant, c’est émouvant, c’est généreux.

Curieusement, le roman de Bégaudeau est bien plus « juste » que les propos de son auteur. Entre les Murs ne se complait ni dans le fantasme, ni dans l’idéologie. Bref, l’écrivain Bégaudeau (et sans doute le prof Bégaudeau) est dans le vrai, dans la réalité, dans le réel.

De fait, dans ces établissements sensibles de banlieue (qui depuis une décennie ont aussi essaimé dans les quartiers populaires de Paris), la défaite de l’Ecole se traduit d’abord par une défaite du langage, fort bien dépeinte par l’écrivain dans son roman. Celui-ci sonne vrai, juste. On s’y croirait.

Il pointe ainsi fort habilement la minimisation du langage, la détresse linguistique dans laquelle sont plongés nombre de jeunes gens et ses corollaires, l’incompréhension et la violence. Incompréhension du langage du professeur et au-delà, de ce qui les entoure et du monde extérieur. Les jeunes élèves dont parle Bégaudeau n’envisagent les rapports sociaux que sous l’angle du rapport de force, incapables de se plier à une autorité, comprenant les remarques comme autant de défis, les injonctions comme autant d’agressions. Oui, c’est de cette réalité-là que parle, Bégaudeau, du racisme de certains, de l’antisémitisme de beaucoup, de l’homophobie comme norme. Bref, il décrit ce que nombre de professeurs vivent au quotidien, lesquels, et cela aussi il le montre parfaitement, sont de plus en plus las, fatigués, abandonnés et impuissants face au flot de problèmes qui submerge même les plus aguerris.

Quiconque fréquente les collèges aura un sentiment de déjà-vu en lisant la fin du livre. Celui-ci s’achève par la traditionnelle pièce de théâtre et l’annuel match de foot profs-élèves qui réconcilie tout le monde sur le pré. Oui, le vécu affleure sans cesse du roman de mon ex-collègue : j’y reconnais mon quotidien.

Je n’ai pas vu le film qui ne sortira que le 18 octobre prochain, mais je suis assez perplexe. J’avoue ne pas trouver, ni dans la vraie vie, ni dans les pages d’Entre les murs de quoi me rassurer sur l’avenir, celui de ces gamins comme le nôtre. Alors, qu’est-ce qui peut bien être, dans ce film, si « amazing », comme l’a annoncé Sean Penn ? Qu’est-ce qui mériterait qu’on le montre à tous les élèves dans toutes les écoles, comme l’a demandé à Christine Albanel un journaliste de Canal + ? Qu’est-ce qui semble rassurer tout un petit monde qui vit bien loin de cette fameuse réalité tant louée ? J’ose espérer que ce n’est pas, justement, la réalité.

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De France 2 à Arte, de Libé au Figaro, de Ségolène Royal à Condoleezza Rice, cela n’a pas manqué : on a salué aujourd’hui la désignation de Barak Obama comme celle du « premier Noir à pouvoir prétendre devenir président » des USA. Obama est pourtant métis. Son père, Kenyan, est noir. Sa mère, du Kansas, est blanche. Pourquoi cette insistance ? On disait jadis la même chose de Yannick Noah ou de Harlem Désir. Drumont, Le Pen et autres tenants de la « souillure » auraient-ils gagné dans les esprits : un peu de « sang » noir (juif, chinois, arabe) et vous n’êtes plus vraiment un « Blanc » ? Tenons-nous en donc aux faits : Obama est aussi blanc qu’il est noir – alors qu’en l’état actuel de nos connaissances, Hillary, elle, est 100% femme?

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L’Unesco vient de publier un Index Translationum, qui recense les auteurs les plus traduits dans le monde. Que ressort-il de ce classement ? D’abord la suprématie des anglo-saxons, dont Agatha Christie, n°1 mondiale, suivie de Barbara Cartland, talonnée par un certain Shakespeare. Ensuite, la bonne résistance des Français ou assimilés, avec Jules Verne (n°2), Simenon et Dumas (Alexandre, pas Mireille !). Mais aussi la présence inattendue des Russes : Lénine (n°3), Dostoïevski, Tolstoï. Et, enfin, l’absence totale dans ce top 50 du moindre auteur de langue extra-européenne, qu’il soit chinois, indien ou arabophone.

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Nom d’une pipe, ceci est un logo. On nous apprend que Bernard Kouchner, rentrant du Kurdistan, a présenté le « logo » de la présidence française de l’Union européenne. Le visuel ne laisse souffrir aucun doute : la french touch graphique (inaugurée dans les années 1950 par Pierre Faucheux, André François ou Massin) est bel et bien morte. Fermez le ban. FM

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Que ne faut-il pas faire pour devenir secrétaire ? L’art a le pouvoir de constituer autour de nous un monde peuplé d’objets immortels. Peint en 1594, ce tableau de l’école franco-hollandaise nous en apporte la plus éclatante démonstration. Plus de quatre cents ans ont passé et la secrétitude (en latin, l’éternel de la secrétaire) demeure : savoir taper à la machine avec dix doigts participatifs gentiment vernis, se faire régulièrement péroxyder au Réjécolor, supporter l’haleine chargé d’un patron qui vous force à prendre en sténo d’invraisemblables motions. Enfin, last but not least, adopter, en toutes circonstances, l’air pincé.

Anonyme franco-hollandais, Les secrétaires. Huile sur bois, 1594. Musée des Beaux-Arts de Jarnac (Poitou-Charente).

Sexe, mensonges et idéaux

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Difficile d’écrire sur le sable, surtout en période de grandes marées ! Entre le 1er et le 4 juin, il m’aura fallu remanier trois fois le présent papier[1. Appelé à faire autorité sur la question.], à propos de cet absurde jugement ch’ti annulant le mariage de deux époux consentants (au divorce).

La faute à Rachida Dati, qui est le contraire d’une imbécile. La preuve : en quatre jours, elle a changé d’avis deux fois[2. Même si son troisième avis est le même que le premier.] ! Cela dit, je ne lui en veux pas : ce pétage de plombs à répétition finit même par me rendre sympathique celle que je prenais pour une banale arriviste, « froide et sans scrupules » comme on disait déjà chez Delly.

En risquant sa carrière politique pour défendre une conviction fondée sur son expérience personnelle, Rachida a brusquement révélé à un microcosme incrédule son côté humain : « Pour être ministre, on n’en est pas moins femme », comme disait le poète.

Réussir ainsi à faire l’unanimité contre elle – du PC au FN, en passant par les associations féministes, antiracistes, laïcistes… et l’UMP en personne –, ce n’est quand même pas si fréquent. Surtout pour des idées !

Certes, les volte-face de Mme Dati m’ont donné un surcroît de boulot ; mais c’est bon pour mon karma, comme on dit chez les bouddhistes d’Oberkampf. Simplement la prochaine fois, j’écrirai de préférence sur la peine de mort dans l’Egypte ptolémaïque.

Mais revenons à notre mouton noir de la classe politique. Si jamais une telle mésaventure ne lui a pas ouvert les yeux sur ces Jeux du Cirque cruels et vains qu’on nomme aujourd’hui « politique », au moins y aura-t-elle appris le b-a-ba du métier : ne jamais, sous aucun prétexte, dire ce qu’on pense !

Tel est d’ailleurs, à mes yeux, le fond de l’affaire. Que réclame en fait le Parquet dans son appel (cf. Le Monde, 5 juin 2008) ? Non pas la réformation du jugement ; juste la suppression d’une de ses motivations : « La référence à la virginité n’est pas compatible avec l’ordre public, car elle porte atteinte à la dignité des femmes et à l’égalité des sexes. »

Une fois ôtée la virginité, si j’ose dire, que reste-t-il donc au tribunal correctionnel de Lille pour justifier sa fameuse décision du 1er avril ? Le mensonge, tout simplement.

Contrairement à ce qu’un vain peuple pense, c’était même l’essentiel de l’argumentation développée par les juges de première instance. Non pas l’état de l’hymen de Madame au moment des faits[3. Il n’y a même pas eu reconstitution des faits !], mais la tromperie concernant un point-clé du consentement mutuel : « La vie matrimoniale a commencé par un mensonge, lequel est contraire à la confiance réciproque entre époux, pourtant essentielle dans le cadre de l’union conjugale. »

Alors là, en tant que défenseur de la famille[4. De la patrie aussi, mais pour le travail, je suis pas sûr…], je dis : attention à la dérive jurisprudentielle ! Si les mensonges entre époux devenaient une cause d’annulation de leur union, on serait bientôt 60 millions de célibataires.

De quoi Al Doura est-il le nom ?

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Nous ne savons pas qui a tué Mohamed Al Doura. Ce qui semblait à tous une évidence, y compris à l’auteur de ces lignes, revient désormais comme une question, suite aux diverses investigations et procédures judiciaires déclenchées à la suite du reportage de Talal Abu Rahma et Charles Enderlin. La responsabilité de l’armée israélienne, qu’un officier avait reconnue dans les suites immédiates de la fusillade, reste en effet à démontrer, contrairement à ce que nous étions nombreux à croire. Peut-être aurons-nous un jour l’aveu de l’homme qui tenait le fusil, ou une preuve irréfutable de sa nationalité. On peut toutefois avancer sans grand risque de se tromper cette fois-ci, que cela ne changera rien. Car il ne s’agit pas en l’occurrence du redressement d’une éventuelle erreur judiciaire à la manière de Gilles Perrault dans Le Pull-over rouge. L’ »affaire Al Doura » n’est qu’une péripétie d’un conflit armé et d’une occupation au cours desquels des centaines d’autres enfants ont été tués.

On peut certes rétorquer que cette « mort en direct », selon le cliché médiatique, a joué un rôle important dans l’escalade de la violence à la fin de l’année 2000. En réalité, personne n’en sait rien et l’on peut penser au contraire, et c’est mon cas, que cet événement n’eut qu’un effet marginal sur le cours de la deuxième intifada. Quoiqu’il en soit, nous ne sommes sûrs que d’une chose : les images diffusées par France 2 furent une aubaine pour les uns et un désastre pour les autres. La question importante qui me semble posée ici n’est donc pas « qui a tué Al Doura ? » mais, que Badiou me pardonne : « De quoi Al Doura est-il le nom ? » Autrement dit, ce qui est en cause ici est moins l’identité du ou des tireurs que la raison pour laquelle ces tirs ont eu lieu.

Rappelons qu’ils se sont produits à Gaza, dans les alentours immédiats de la colonie de Netzarim, dont Sharon disait, avant de changer d’avis, qu’elle était aussi importante pour Israël que Tel Aviv. Elle a été, comme chacun sait, évacuée comme les autres colonies de Gaza en 2005. Je suis passé peu de temps auparavant dans ces parages. Regardant (de l’extérieur) à quoi ressemblait une colonie juive à Gaza, je n’y ai vu que des ouvriers agricoles thaïlandais cultivant des agrumes sous serre et sous bonne garde israélienne. Dans les environs, comme c’est souvent le cas autour des colonies, la plupart des maisons avaient été vidées de leurs habitants, le paysage était celui d’un chantier de destruction. Que défendaient les soldats israéliens à Netzarim ? La sécurité d’Israël ? Le droit des juifs à vivre la promesse biblique ? La suite a montré ce qu’il en était. Ils défendaient la politique israélienne, ou plutôt l’option politique du moment.

Accuser les soldats israéliens d’être des tueurs d’enfants est une absurdité devant laquelle ne reculent pas certains militants de la cause palestinienne. S’indigner devant de telles accusations ne mène nulle part, car la réalité est bien que ces soldats tuent aussi des enfants, parce qu’ils sont des occupants en butte, comme toute force d’occupation, à une hostilité généralisée. Qu’on lise, entre autres, les témoignages de ceux d’entre eux qui se sont rassemblés sous le mot d’ordre « Breaking the silence », si l’on a encore besoin de se convaincre de la violence quotidienne et silencieuse de Tsahal en Palestine. La mort de Al Doura, tué par un inconnu lors d’un échange de tirs entre résistants et occupants aurait pu n’être qu’un dommage collatéral parmi d’autres, regrettable et fugace. Par la grâce de la télévision, elle est devenue un symbole pour les uns, un outrage pour les autres. Le partage ne se faisant pas selon le degré de confiance accordée aux images mais en fonction du jugement porté sur cette situation.

La vérité du reportage incriminé réside ailleurs que dans les images qui le composent, puisqu’elles ne sont en fait que l’allégorie de l’injustice faite aux Palestiniens pour certains, la démonstration des procès haineux faits aux Israéliens pour d’autres.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que la vérité factuelle de ce reportage compte moins que sa signification symbolique, et pas seulement parce que le pathos est l’une des marques du conflit du Proche-Orient. C’est plus généralement la question du statut de l’image de reportage qui est posée ici et qui vaut, en dehors même de toute considération sur la Palestine et Israël, que l’on s’y intéresse. Ce n’est pas mon propos et je me bornerai à rappeler qu’un film quel qu’il soit est affaire de cadrage et de montage. Autrement dit, il ne s’agit pas d’enregistrer la réalité mais de la mettre en scène et que les images d’un reportage ne sont pas plus « vraies » par elles-mêmes que les mots d’un récit.

Sacrée union

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Nicolas Sarkozy se rendra ce samedi au Liban pour rencontrer le nouveau président Michel Sleimane. Histoire d’afficher à ce pays le soutien sans faille d’une France unie, l’Elysée a invité au voyage les principaux dirigeants de l’opposition – François Hollande (PS), François Bayrou (MoDem) et François Fillon (gouvernement)…

Sympathy for the Débile

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Le mois de mai, tout entier dédié à la commémoration de 68, s’est-il achevé par un bâillement général ? Soit. Mais point de sarcasme : ces festivités auront été authentiquement remarquables. Tout d’abord parce qu’elles révèlent à quel point notre hiérarchie de l’histoire est bouleversée: à l’aune du traitement médiatique, Mai 68 est désormais l’événement le plus marquant de nos manuels. Exagération ? Qu’on en juge ! L’ensemble des hebdos et des quotidiens lui ont consacré au moins une couverture. Combien en ont fait de même pour le demi-siècle de la Ve République et de notre Constitution ? Aucun. Zéro couv’. Trop barbant ? En Allemagne, démocratie exemplaire, on ne rechigne pourtant jamais au « patriotisme constitutionnel »… Passons. Le printemps de Prague en 1968, prélude à un bouleversement inimaginable dans l’ordre géopolitique (souvenons-nous des sinistres prophéties de Jean-François Revel sur l’immuabilité du bloc de l’est…) ? Rien. Pas même un dossier – que dis-je ! pas même un simple article. Trop futile, sans doute. Le premier sursaut politique européen, appelé « printemps des peuples », en 1848 ? On cherchera en vain le moindre articulet. Trop populiste, certainement. L’ultime pavé de Daniel Cohn-Bendit – Forget 68 (éditons de l’Aube) – aura donc été inutile : le souvenir de Mai 68 mobilise plus sûrement nos médias que, pour ne prendre que cet exemple anecdotique, la chute du nazisme.

Mais nous avons aussi assisté à l’invention d’un nouveau genre de célébration. Avec le cru 2008, nous avons quitté l’ordre assez classique de la louange pour la recherche désespérée du procès en réhabilitation. Les champions de 68 réclament désormais, au besoin implorent, des procureurs ! Ne sachant plus exactement que célébrer (on verra plus bas pourquoi…), les célébrants n’ont cessé de convoquer des détracteurs qui ne daignaient plus montrer le bout de leur groin. Ah ! qu’ils paraissent enfin ces réactionnaires, anciens ou « nouveaux », et qu’ils étalent les griefs de « la France moisie »… « Accusez, levons-nous ! », s’encouragèrent-ils les uns les autres. Triste drame, vaine attente. De la génération précédente, les pourfendeurs du « monôme » sont pour la plupart tout bonnement morts. Parfois de fatigue. Les plus « jeunes », contemporains de July ou Sollers, sont un peu comme nous : ils ont tourné la page. Mai 68 : de Tillinac à Debray, on s’en tamponne le coquillard. Comprenons la déception de nos taxidermistes : sans adversaires, comment prolonger le combat ? Mai 68 sombre, hors médias, dans l’oubli – et si ce n’était qu’un début ?

Ici gît la malédiction de Mai 68, dont seuls les anniversaires sont d’authentiques révolutions. Pour trouver matière à célébration, il aura fallu recourir à un subterfuge d’une puissante candeur : apposer à tous les événements progressistes de l’histoire de France le label « 68 ». Tout ce qui fut bon avant et après 68 ne fut qu’annonciation ou prolongement du joli mois de mai. C’était cela, camarade, ou bien alors avouer, une bonne fois pour toute, que tout avait déjà eut lieu avant, ou bien après – et que dans tous les cas, d’autres que les jeteurs de pavés s’en étaient chargés… Prenez la cause des femmes. Leur entrée au gouvernement ? Blum, 1936. Le droit de vote ? De Gaulle, 1944. La pilule ? Neuwirth, sous de Gaulle. L’IVG ? Veil, sous Giscard. Voyez la libération sexuelle : au pays de Laclos et de Crébillon, de Clemenceau et de Guitry, est-il sacrilège de rappeler qu’elle commença il y a des lustres, et que ce ne sont pas les militants de Mai 68, aussi folkloriques aient-ils été mais l’importation des luttes américaines qui contribua à améliorer le sort des homosexuels ?

Quant à la condition ouvrière, est-il bien digne d’escamoter, après le Front Populaire, la collaboration gaullo-communiste qui en permit l’amélioration ? Et puisque chez nous toutes les révolutions, y compris rêvées, finissent en chansons, la musique n’aura pas échappé à cette entreprise de captation historique. En témoigne la compilation qui est restée tête de gondole dans toutes les FNAC et Virgin du pays ces dernières semaines : Mai 68 : la bande originale. Elle est édifiante, qui s’ouvre sur trois tubes des fifties : I’m left (Elvis Presley, 1954), Shake rattle and roll (Fats Domino, 1954), Johnny B Goode (Chuck Berry, 1958). Suivent quelques morceaux soixante-huitards en diable : Monsieur William par Les Compagnons de la Chanson (Léo Ferré, 1953), L’âme des poètes (Charles Trenet, 1951) ou encore le très guévariste Da Dou Ron Ron Ron de Richard Anthony (Gonzalo Roig, 1963). On trouvera certes quelques morceaux plus marqués, comme Le Déserteur de Boris Vian, mais il date, lui aussi, de… 1954. Curieux. Il y avait pourtant un bon titre à célébrer 68. Je veux dire un bon titre de chanson, composée spécialement pour et pendant Mai 68 par les Rolling Stones. Une chanson curieusement oubliée dans notre « compilation » officielle et dont le titre était Sympathy for the Devil. Craignait-on un mauvais jeu de mot ?

Sarko Psy Show

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A l’Elysée, on a dû angoisser. Cela faisait au moins une semaine, peut-être même deux ou trois, que le Président n’était pas à la une des magazines. Au point que la rumeur sournoise a même couru qu’il ne vendait plus (ce qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire. Pas de panique. A en juger par les covers de Marianne et du Point, la mainmise de Nicolas Sarkozy sur les médias (en tout cas sur leur agenda) ne s’est pas desserrée. « Le cas Sarkozy expliqué par les femmes », annonce l’hebdomadaire fondé par JFK. Le Point, pour sa part, a préféré faire appel aux psys pour sonder le cœur et les reins du président. Et pourquoi pas « la politique de Sarkozy », tant qu’on y est ?