Les Inrocks font fort : le meilleur magazine français (après Télérama et Notre Temps) s’apprête à lancer Volume, un nouveau mensuel consacré à la musique. Il fallait y penser. On attend avec impatience que Rustica sorte un mensuel consacré au jardinage et que le Chasseur français se décide enfin à lancer un mensuel sur la chasse.
Géopolitique des imbéciles
Georges W. Bush est actuellement en Europe pour « une tournée d’adieux ». Son message ? L’Iran est la menace n°1. Il n’en faut pas davantage aux « forumistes » d’extrême droite et d’extrême gauche réunis pour dégainer : le grand Satan défend les intérêt d’Israël jusqu’au bout ! Contresens complet : ce sont en réalité les émirs saoudiens, gardiens sunnites de la Mecque et alliés de la famille Bush, qui ont une peur bleue d’un Iran nucléarisé et font pression afin que Washington neutralise Téhéran. Avec, il est vrai, la bénédiction d’Israël… mais aussi du Koweït, des Emirats Arabes Unis, de la Turquie et de l’Egypte.
Ma pomme
Depuis hier, les heureux possesseurs d’iPhone et d’iPod touch peuvent tripoter causeur.fr avec une ergonomie adaptée au téléphone d’Apple. La mise en ligne de cette version de causeur.fr pour iPhone a provoqué – on s’y attendait – une hausse de 4,03 % de l’action de la firme à la pomme. On en aurait presque oublié que, hier à San Francisco, Steve Jobs, le patron d’Apple annonçait la sortie de l’iPhone en 3G, la version 2 du logiciel du téléphone tactile et des prix discount pour envelopper le tout.
Changement d’Eire
Pourquoi donc se fatiguer à rédiger des articles censément drôles quand nos confrères nous les fournissent gracieusement en kit prêt-à-monter ?
Un grand merci, donc, à Jean Quatremer, correspondant permanent de Libération auprès de l’Union européenne. Voici le début de son article du 6 juin, qui occupait toute la page 9 du quotidien : « A une semaine du référendum irlandais sur le traité de Lisbonne, Bruxelles retient son souffle. Car l’Irlande est le seul pays à procéder par voie référendaire à la ratification de ce texte, signé le 13 décembre 2007, qui doit remplacer la défunte Constitution européenne : une île de 4 millions d’habitants tient donc entre ses mains le sort d’une Union de 500 millions de personnes. Certes, les sondages donnent le oui largement gagnant (lire ci-contre) mais sait-on jamais ? »
Et sur la même page 9 que dit le fameux encadré « ci-contre » ?
« Sondages : le Non passe en tête. Selon un sondage paru ce matin dans le quotidien Irish Times, le non l’emporterait pour la première fois depuis le début de la campagne. »
De fait, le sondage précédent du même institut donnait certes le oui « largement gagnant » (35% contre 18 % de non). L’ami Quatremer avait seulement négligé la petite colonne qui indiquait 40% d’indécis. A moins qu’il n’ait décrété que le Traité de Lisbonne étant ce qu’il est, et ses détracteurs étant ce qu’ils sont, les indécis feraient le bon choix à l’approche du scrutin. Et c’est effectivement ce qui semble s’être passé, sauf que c’est le contraire : les derniers sondages montrent que le nombre des indécis (28%) a fondu, mais uniquement au bénéfice des adversaires de la ratification (35% des intentions de vote pour le non, 30% pour le oui).
Dès le lendemain, rassurez-vous, l’eurocorrespondant rectifie le tir. Il y a certes un glissement de l’opinion, mais il a été provoqué – selon l’expression à peine controuvée du Premier ministre irlandais – par la « campagne de peur » des opposants au Traité. En effet, non contents de faire une campagne foncièrement négative, ces désunionistes ont de surcroît trouvé un slogan qui fait basculer par wagons les hésitants : « If you don’t know, vote no ! » Une campagne de peur, on vous dit.
Jouer sur les peurs, ce n’est bien sûr pas le registre de Jean Quatremer. Dans ledit papier, tout juste parle-t-il de « scénario de cauchemar » ou de signal politique « désastreux ». Mais le devoir d’informer ne saurait s’arrêter à la porte de l’isoloir : au cas où il y aurait des lecteurs de Libé dans le corps électoral irlandais, les voilà prévenus. En cas de victoire du non, ça va barder : « La pression sur l’Irlande sera à son maximum. Dublin n’aurait guère d’autre choix que de faire revoter le traité de Lisbonne ou de se mettre en congé de l’Union. »
Comme me le rappelait la facétieuse Elisabeth (Lévy donc, pas Guigou !) l’emblématique « Quand une femme dit non, c’est non ! » des féministes n’a pas cours parmi les eurogroupies pour lesquels « quand un peuple dit non, c’est oui ».
Bons princes, nous sourirons de tout cela, mais pardonnerons aussitôt à l’infortuné Quatremer qui a bien du malheur. Il a beau retourner le problème dans tous les sens, il reste pantois face à « la dynamique d’un non qu’on comprend d’autant moins que l’Irlande doit la plus grande partie de sa richesse à l’Union ». C’est pas tous les jours facile d’être le correspondant permanent de l’Union européenne auprès de Libération…
PS. Quoiqu’en désaccord avec la quasi-totalité de ses papiers, j’aime bien Jean Quatremer, pour des raisons qui ne m’échappent pas tout à fait : en le lisant, je n’ai pas l’impression que ses poignants plaidoyers unionistes, ses caricatures systématiques de l’euroscepticisme ou même ses banals angles morts sur le réel, procèdent de la désinformation délibérée. Avec Quatremer, on n’est plus dans le journalisme d’opinion, mais d’évangélisation: l’Europe, il y croit et ne peut pas croire qu’on y croie pas. Son dévouement inspire le respect, c’est un Père Blanc de l’Union.
Euro 2008 : ça commence mal
Les Allemands écrasent les Polonais.
Perquisitions, réquisitions, inquisition
Un tribunal d’Alger vient de condamner, une fois encore, à de la prison avec sursis des convertis au christianisme. Le 18 juin, Habiba Kouider connaîtra le sort que lui réserve la justice de l’Etat algérien après avoir été arrêté – doux Jésus ! – « en possession de plusieurs bibles ». Chaque jour, la Kabylie est le théâtre d’intimidations policières et de sanctions judiciaires parce que des familles entières reviennent à l’une des religions de leurs ancêtres : le christianisme. Le silence de Bernard Kouchner et de Rama Yade est assourdissant. Celui des intellectuels musulmans, lui, est alarmant.
Libé, façon Thierry Rolland
Pour ses directs de l’Euro 2008, le site de Libé voulait faire « vivant » mais « pas beauf ». C’est réussi ! Extraits des commentaires du journaliste pour Portugal-Turquie (7 juin) : « Ah ! Un match qui sent la sueur et le découpage de Kebab… » « Tunçay court vite. Est-il encore vierge ? » « La Turquie n’arrive pas à faire mentir De Villiers. Ca se jette pas mal de manière kamikaze. » Après l’ouverture du score par la Seleçao : « Heureusement pour les concierges… » Un mauvais tacle : « L’intégriste turc a confondu les jambes de Nani avec les Twin Towers. » Les Turcs menés 2-0 : « Ils commencent à comprendre que c’est mort pour eux. Nous demandons à tous les Arméniens de s’éloigner, on ne sait jamais, ils peuvent avoir envie de passer leurs nerfs… »
Annulons, annulons !
Vous aussi, Mesdames, faites annuler votre mariage au motif qu’on vous aura trompé sur la marchandise ! Pardon : sur « une qualité essentielle ». Pour ce faire, voici quelques suggestions (liste non exhaustive). Votre futur prétendait être président de la République alors qu’il est surtout Premier ministre ? Annulation. Qu’il était blond, alors qu’il est teint (et borgne) ? Annulation. Qu’il adore la poésie et le shopping, vos deux passions, alors qu’il s’en tamponne ? Annulation ! Qu’il était Commissaire politique aux pages Culture des Inrockuptibles, alors que c’est pas vrai : il est chroniqueur chez causeur.fr ? An-nu-la-tion !
Yves Saint Laurent, priez pour nous
« La Démocratie a remplacé le faste par le luxe. » Si cette formule de Braque dit juste, Yves Saint Laurent est l’un des penseurs politiques les plus profonds de notre ère. Avant d’autres et mieux qu’eux, il a tout compris : que le citoyen se mue en consommateur, autrement dit que la démocratie résulte de la vulgarisation culturelle de l’aristocratie. Tous privilégiés ! L’avenir radieux, l’horizon indépassable du temps, c’est l’accès de tous aux attributs des happy few transformés en produits de consommation de masse. La bourgeoisie née sous les monarchies censitaires avait commencé le travail. Mais c’est à la génération d’après-guerre que devait échoir la mission historique de mener à bien la révolution de la Consommation – par la consommation. Car le but se confond avec l’instrument et c’est peut-être ce qui confère sa singularité à ce que nous vivons.
L’épopée d’Yves Saint Laurent accompagne le triomphe des baby-boomers, cette génération montée sur le devant de la scène dans les années 1960 et avec elle sa culture, c’est-à-dire son culte, de la jeunesse.
Créer des besoins et y répondre : tel a été le génie d’YSL. Les adolescentes de la génération précédente imitaient leurs mères. Devenues mères, elles se sont mises à s’habiller comme leurs filles. Au sommet de sa hiérarchie de la mode, Saint Laurent a été l’un des agents de ce retournement. Qu’est la mode, sinon la machine où l’air du temps se transforme en modèles et en biens marchands ? Doté de capteurs particulièrement aigus, le couturier a senti qu’il fallait aussi leur permettre de s’habiller comme leurs mecs et, ce faisant, de jouer avec la symbolique du pouvoir. D’où sa géniale invention du smoking pour femme (et de sa version executive woman – le tailleur-pantalon). C’est grâce à ce pionnier que les nouveaux codes qui régissaient les relations entre générations d’abord, entre sexes ensuite ont engendré une consommation de masse.
Il ne s’agit nullement ici de contester (ni d’ailleurs de juger) « le génial artiste » célébré, comme nous l’indique Paris Match, par le tout-Paris avec force superlatifs (ce qui est un peu inquiétant pour un artiste). Si le nom Saint Laurent est devenu une super-marque internationale, c’est d’abord à un génie du marketing qu’il le doit. Peut-être ce génie était-il autant, sinon bien plus, celui de Pierre Bergé que le sien. Passée maître en l’art de vendre du rêve, la dream team qu’ils formaient a senti très tôt que la culture des swinging sixties annonçait une véritable révolution dans l’imaginaire de la consommation. Persuadés d’être animés par la puissance de leurs désirs singuliers, les consommateurs sont devenus un troupeau mais un troupeau qui s’ignore, un troupeau de non-conformistes, de « mutins de Panurge », comme disait Philippe Muray. Au passage, on peut trouver surprenant que Catherine Deneuve ait été l’inamovible icône de cette religion dont les fidèles se prennent tous pour des libres-penseurs. C’est qu’elle n’a pas toujours été l’intouchable statue du cinéma français. Dans Marie Claire de mai 1963, on peut lire qu’elle incarne « un certain laisser-aller considéré comme élégant, et surtout cette liberté dont on nous rebat les oreilles ».
Le désir de distinction, qui est la logique profonde du marché de luxe, s’est largement démocratisé avec l’enrichissement (relatif mais réel) de masses jouissant des fruits de la croissance de l’après-guerre et formant les gros bataillons de ce qu’on a appelé les classes moyennes. Ces nouveaux consommateurs entendaient simultanément jouir du confort de l’aisance et rire de se voir si rebelles en ce miroir. Adolescents aux cheveux bientôt grisonnants, ils conjuguèrent le romantisme de la pauvreté et la bonne conscience que donne la richesse. Aznavour mettra ce fantasme en musique dans La Bohème. Qu’il était doux, le temps de notre jeunesse pauvre. Reste que manger un jour sur deux, c’est tout de même plus rigolo en chanson ou en souvenirs caressés entre poire et fromage qu’en vrai.
La réalité ? Quelle réalité ?
En décidant de décerner la Palme d’or au film de Laurent Cantet Entre les murs, le jury du Festival de Cannes, a offert au débat actuel sur l’école et son avenir, une formidable caisse de résonance. Enfin un film qui parle du rapport entre professeurs et élèves, de ses difficultés, de ses écueils. Mais aussi de ses petits bonheurs quotidiens qui font toute la joie d’enseigner, notamment dans ces zones de relégation sociale, ces fameuses ZEP de quartiers sensibles d’où, finalement, semble se dégager une incroyable et rafraîchissante énergie. Celle de cette jeunesse à laquelle fait face le professeur, François Bégaudeau, jouant à l’écran son propre rôle de professeur de français, ce qu’il fut pendant dix ans, à Dreux puis à Paris, dans des établissements difficiles. C’est de son roman, succès de librairie de l’année 2006, qu’est adapté le scénario du film de Laurent Cantet.
Le film est salué par la presse et le milieu du cinéma, notamment parce qu’il est « en prise avec le réel », ainsi que s’en targue Bégaudeau : « J’en avais assez de tous ces livres de profs qui, sous couvert de raconter ce qui se passe, se réduisent à des essais au ton apocalyptique. Ils ne racontent rien, en fait. Ils filtrent la réalité pour la faire correspondre à leurs a priori idéologiques, le plus souvent réactionnaires. » La classe, voilà la réalité, celle du quotidien. Bégaudeau promet de nous donner à voir « la vraie vie d’une classe ordinaire d’aujourd’hui ». Les filtreurs de réalité disent que l’Ecole va mal et nous empêchent donc de rêver éveillés, ils nous empêchent de croire que tout le monde a du talent, que chacun a de formidables qualités qu’il suffirait de faire éclore au grand jour, que de la spontanéité maladroite et un brin charmante de ces élèves puisse sortir quelque chose de positif. J’exagère ? Bégaudeau ne nie pas les difficultés de l’école ; lui l’héritier, le fils d’enseignants, se fait le porte-parole d’un courant de pensée qui récuse la baisse de niveau et avec elle, toute nostalgie dont seraient nécessairement empreints ceux qui pensent qu’il faut donner aux élèves, à tous les élèves, de grands textes et de grands auteurs à connaître. « Il faut les prendre comme ils sont ces élèves », lui fait dire un journaliste du Monde. Ils s’expriment mal, font des fautes de syntaxe à toutes les phrases, ont un vocabulaire très limité ? Donnons-leur à lire ce qu’ils ont envie de lire (c’est déjà bien qu’ils lisent, s’ils lisent), échangeons sur ce qui les intéresse et les touche en premier lieu, ancrons notre enseignement dans leur réalité et non dans un réel abstrait qui aurait pour effet de les braquer, qui agirait comme un repoussoir. C’est touchant, c’est émouvant, c’est généreux.
Curieusement, le roman de Bégaudeau est bien plus « juste » que les propos de son auteur. Entre les Murs ne se complait ni dans le fantasme, ni dans l’idéologie. Bref, l’écrivain Bégaudeau (et sans doute le prof Bégaudeau) est dans le vrai, dans la réalité, dans le réel.
De fait, dans ces établissements sensibles de banlieue (qui depuis une décennie ont aussi essaimé dans les quartiers populaires de Paris), la défaite de l’Ecole se traduit d’abord par une défaite du langage, fort bien dépeinte par l’écrivain dans son roman. Celui-ci sonne vrai, juste. On s’y croirait.
Il pointe ainsi fort habilement la minimisation du langage, la détresse linguistique dans laquelle sont plongés nombre de jeunes gens et ses corollaires, l’incompréhension et la violence. Incompréhension du langage du professeur et au-delà, de ce qui les entoure et du monde extérieur. Les jeunes élèves dont parle Bégaudeau n’envisagent les rapports sociaux que sous l’angle du rapport de force, incapables de se plier à une autorité, comprenant les remarques comme autant de défis, les injonctions comme autant d’agressions. Oui, c’est de cette réalité-là que parle, Bégaudeau, du racisme de certains, de l’antisémitisme de beaucoup, de l’homophobie comme norme. Bref, il décrit ce que nombre de professeurs vivent au quotidien, lesquels, et cela aussi il le montre parfaitement, sont de plus en plus las, fatigués, abandonnés et impuissants face au flot de problèmes qui submerge même les plus aguerris.
Quiconque fréquente les collèges aura un sentiment de déjà-vu en lisant la fin du livre. Celui-ci s’achève par la traditionnelle pièce de théâtre et l’annuel match de foot profs-élèves qui réconcilie tout le monde sur le pré. Oui, le vécu affleure sans cesse du roman de mon ex-collègue : j’y reconnais mon quotidien.
Je n’ai pas vu le film qui ne sortira que le 18 octobre prochain, mais je suis assez perplexe. J’avoue ne pas trouver, ni dans la vraie vie, ni dans les pages d’Entre les murs de quoi me rassurer sur l’avenir, celui de ces gamins comme le nôtre. Alors, qu’est-ce qui peut bien être, dans ce film, si « amazing », comme l’a annoncé Sean Penn ? Qu’est-ce qui mériterait qu’on le montre à tous les élèves dans toutes les écoles, comme l’a demandé à Christine Albanel un journaliste de Canal + ? Qu’est-ce qui semble rassurer tout un petit monde qui vit bien loin de cette fameuse réalité tant louée ? J’ose espérer que ce n’est pas, justement, la réalité.
Les Inrocks montent le volume
Les Inrocks font fort : le meilleur magazine français (après Télérama et Notre Temps) s’apprête à lancer Volume, un nouveau mensuel consacré à la musique. Il fallait y penser. On attend avec impatience que Rustica sorte un mensuel consacré au jardinage et que le Chasseur français se décide enfin à lancer un mensuel sur la chasse.
Géopolitique des imbéciles
Georges W. Bush est actuellement en Europe pour « une tournée d’adieux ». Son message ? L’Iran est la menace n°1. Il n’en faut pas davantage aux « forumistes » d’extrême droite et d’extrême gauche réunis pour dégainer : le grand Satan défend les intérêt d’Israël jusqu’au bout ! Contresens complet : ce sont en réalité les émirs saoudiens, gardiens sunnites de la Mecque et alliés de la famille Bush, qui ont une peur bleue d’un Iran nucléarisé et font pression afin que Washington neutralise Téhéran. Avec, il est vrai, la bénédiction d’Israël… mais aussi du Koweït, des Emirats Arabes Unis, de la Turquie et de l’Egypte.
Ma pomme
Depuis hier, les heureux possesseurs d’iPhone et d’iPod touch peuvent tripoter causeur.fr avec une ergonomie adaptée au téléphone d’Apple. La mise en ligne de cette version de causeur.fr pour iPhone a provoqué – on s’y attendait – une hausse de 4,03 % de l’action de la firme à la pomme. On en aurait presque oublié que, hier à San Francisco, Steve Jobs, le patron d’Apple annonçait la sortie de l’iPhone en 3G, la version 2 du logiciel du téléphone tactile et des prix discount pour envelopper le tout.
Changement d’Eire
Pourquoi donc se fatiguer à rédiger des articles censément drôles quand nos confrères nous les fournissent gracieusement en kit prêt-à-monter ?
Un grand merci, donc, à Jean Quatremer, correspondant permanent de Libération auprès de l’Union européenne. Voici le début de son article du 6 juin, qui occupait toute la page 9 du quotidien : « A une semaine du référendum irlandais sur le traité de Lisbonne, Bruxelles retient son souffle. Car l’Irlande est le seul pays à procéder par voie référendaire à la ratification de ce texte, signé le 13 décembre 2007, qui doit remplacer la défunte Constitution européenne : une île de 4 millions d’habitants tient donc entre ses mains le sort d’une Union de 500 millions de personnes. Certes, les sondages donnent le oui largement gagnant (lire ci-contre) mais sait-on jamais ? »
Et sur la même page 9 que dit le fameux encadré « ci-contre » ?
« Sondages : le Non passe en tête. Selon un sondage paru ce matin dans le quotidien Irish Times, le non l’emporterait pour la première fois depuis le début de la campagne. »
De fait, le sondage précédent du même institut donnait certes le oui « largement gagnant » (35% contre 18 % de non). L’ami Quatremer avait seulement négligé la petite colonne qui indiquait 40% d’indécis. A moins qu’il n’ait décrété que le Traité de Lisbonne étant ce qu’il est, et ses détracteurs étant ce qu’ils sont, les indécis feraient le bon choix à l’approche du scrutin. Et c’est effectivement ce qui semble s’être passé, sauf que c’est le contraire : les derniers sondages montrent que le nombre des indécis (28%) a fondu, mais uniquement au bénéfice des adversaires de la ratification (35% des intentions de vote pour le non, 30% pour le oui).
Dès le lendemain, rassurez-vous, l’eurocorrespondant rectifie le tir. Il y a certes un glissement de l’opinion, mais il a été provoqué – selon l’expression à peine controuvée du Premier ministre irlandais – par la « campagne de peur » des opposants au Traité. En effet, non contents de faire une campagne foncièrement négative, ces désunionistes ont de surcroît trouvé un slogan qui fait basculer par wagons les hésitants : « If you don’t know, vote no ! » Une campagne de peur, on vous dit.
Jouer sur les peurs, ce n’est bien sûr pas le registre de Jean Quatremer. Dans ledit papier, tout juste parle-t-il de « scénario de cauchemar » ou de signal politique « désastreux ». Mais le devoir d’informer ne saurait s’arrêter à la porte de l’isoloir : au cas où il y aurait des lecteurs de Libé dans le corps électoral irlandais, les voilà prévenus. En cas de victoire du non, ça va barder : « La pression sur l’Irlande sera à son maximum. Dublin n’aurait guère d’autre choix que de faire revoter le traité de Lisbonne ou de se mettre en congé de l’Union. »
Comme me le rappelait la facétieuse Elisabeth (Lévy donc, pas Guigou !) l’emblématique « Quand une femme dit non, c’est non ! » des féministes n’a pas cours parmi les eurogroupies pour lesquels « quand un peuple dit non, c’est oui ».
Bons princes, nous sourirons de tout cela, mais pardonnerons aussitôt à l’infortuné Quatremer qui a bien du malheur. Il a beau retourner le problème dans tous les sens, il reste pantois face à « la dynamique d’un non qu’on comprend d’autant moins que l’Irlande doit la plus grande partie de sa richesse à l’Union ». C’est pas tous les jours facile d’être le correspondant permanent de l’Union européenne auprès de Libération…
PS. Quoiqu’en désaccord avec la quasi-totalité de ses papiers, j’aime bien Jean Quatremer, pour des raisons qui ne m’échappent pas tout à fait : en le lisant, je n’ai pas l’impression que ses poignants plaidoyers unionistes, ses caricatures systématiques de l’euroscepticisme ou même ses banals angles morts sur le réel, procèdent de la désinformation délibérée. Avec Quatremer, on n’est plus dans le journalisme d’opinion, mais d’évangélisation: l’Europe, il y croit et ne peut pas croire qu’on y croie pas. Son dévouement inspire le respect, c’est un Père Blanc de l’Union.
Euro 2008 : ça commence mal
Les Allemands écrasent les Polonais.
Perquisitions, réquisitions, inquisition
Un tribunal d’Alger vient de condamner, une fois encore, à de la prison avec sursis des convertis au christianisme. Le 18 juin, Habiba Kouider connaîtra le sort que lui réserve la justice de l’Etat algérien après avoir été arrêté – doux Jésus ! – « en possession de plusieurs bibles ». Chaque jour, la Kabylie est le théâtre d’intimidations policières et de sanctions judiciaires parce que des familles entières reviennent à l’une des religions de leurs ancêtres : le christianisme. Le silence de Bernard Kouchner et de Rama Yade est assourdissant. Celui des intellectuels musulmans, lui, est alarmant.
Libé, façon Thierry Rolland
Pour ses directs de l’Euro 2008, le site de Libé voulait faire « vivant » mais « pas beauf ». C’est réussi ! Extraits des commentaires du journaliste pour Portugal-Turquie (7 juin) : « Ah ! Un match qui sent la sueur et le découpage de Kebab… » « Tunçay court vite. Est-il encore vierge ? » « La Turquie n’arrive pas à faire mentir De Villiers. Ca se jette pas mal de manière kamikaze. » Après l’ouverture du score par la Seleçao : « Heureusement pour les concierges… » Un mauvais tacle : « L’intégriste turc a confondu les jambes de Nani avec les Twin Towers. » Les Turcs menés 2-0 : « Ils commencent à comprendre que c’est mort pour eux. Nous demandons à tous les Arméniens de s’éloigner, on ne sait jamais, ils peuvent avoir envie de passer leurs nerfs… »
Annulons, annulons !
Vous aussi, Mesdames, faites annuler votre mariage au motif qu’on vous aura trompé sur la marchandise ! Pardon : sur « une qualité essentielle ». Pour ce faire, voici quelques suggestions (liste non exhaustive). Votre futur prétendait être président de la République alors qu’il est surtout Premier ministre ? Annulation. Qu’il était blond, alors qu’il est teint (et borgne) ? Annulation. Qu’il adore la poésie et le shopping, vos deux passions, alors qu’il s’en tamponne ? Annulation ! Qu’il était Commissaire politique aux pages Culture des Inrockuptibles, alors que c’est pas vrai : il est chroniqueur chez causeur.fr ? An-nu-la-tion !
Yves Saint Laurent, priez pour nous
« La Démocratie a remplacé le faste par le luxe. » Si cette formule de Braque dit juste, Yves Saint Laurent est l’un des penseurs politiques les plus profonds de notre ère. Avant d’autres et mieux qu’eux, il a tout compris : que le citoyen se mue en consommateur, autrement dit que la démocratie résulte de la vulgarisation culturelle de l’aristocratie. Tous privilégiés ! L’avenir radieux, l’horizon indépassable du temps, c’est l’accès de tous aux attributs des happy few transformés en produits de consommation de masse. La bourgeoisie née sous les monarchies censitaires avait commencé le travail. Mais c’est à la génération d’après-guerre que devait échoir la mission historique de mener à bien la révolution de la Consommation – par la consommation. Car le but se confond avec l’instrument et c’est peut-être ce qui confère sa singularité à ce que nous vivons.
L’épopée d’Yves Saint Laurent accompagne le triomphe des baby-boomers, cette génération montée sur le devant de la scène dans les années 1960 et avec elle sa culture, c’est-à-dire son culte, de la jeunesse.
Créer des besoins et y répondre : tel a été le génie d’YSL. Les adolescentes de la génération précédente imitaient leurs mères. Devenues mères, elles se sont mises à s’habiller comme leurs filles. Au sommet de sa hiérarchie de la mode, Saint Laurent a été l’un des agents de ce retournement. Qu’est la mode, sinon la machine où l’air du temps se transforme en modèles et en biens marchands ? Doté de capteurs particulièrement aigus, le couturier a senti qu’il fallait aussi leur permettre de s’habiller comme leurs mecs et, ce faisant, de jouer avec la symbolique du pouvoir. D’où sa géniale invention du smoking pour femme (et de sa version executive woman – le tailleur-pantalon). C’est grâce à ce pionnier que les nouveaux codes qui régissaient les relations entre générations d’abord, entre sexes ensuite ont engendré une consommation de masse.
Il ne s’agit nullement ici de contester (ni d’ailleurs de juger) « le génial artiste » célébré, comme nous l’indique Paris Match, par le tout-Paris avec force superlatifs (ce qui est un peu inquiétant pour un artiste). Si le nom Saint Laurent est devenu une super-marque internationale, c’est d’abord à un génie du marketing qu’il le doit. Peut-être ce génie était-il autant, sinon bien plus, celui de Pierre Bergé que le sien. Passée maître en l’art de vendre du rêve, la dream team qu’ils formaient a senti très tôt que la culture des swinging sixties annonçait une véritable révolution dans l’imaginaire de la consommation. Persuadés d’être animés par la puissance de leurs désirs singuliers, les consommateurs sont devenus un troupeau mais un troupeau qui s’ignore, un troupeau de non-conformistes, de « mutins de Panurge », comme disait Philippe Muray. Au passage, on peut trouver surprenant que Catherine Deneuve ait été l’inamovible icône de cette religion dont les fidèles se prennent tous pour des libres-penseurs. C’est qu’elle n’a pas toujours été l’intouchable statue du cinéma français. Dans Marie Claire de mai 1963, on peut lire qu’elle incarne « un certain laisser-aller considéré comme élégant, et surtout cette liberté dont on nous rebat les oreilles ».
Le désir de distinction, qui est la logique profonde du marché de luxe, s’est largement démocratisé avec l’enrichissement (relatif mais réel) de masses jouissant des fruits de la croissance de l’après-guerre et formant les gros bataillons de ce qu’on a appelé les classes moyennes. Ces nouveaux consommateurs entendaient simultanément jouir du confort de l’aisance et rire de se voir si rebelles en ce miroir. Adolescents aux cheveux bientôt grisonnants, ils conjuguèrent le romantisme de la pauvreté et la bonne conscience que donne la richesse. Aznavour mettra ce fantasme en musique dans La Bohème. Qu’il était doux, le temps de notre jeunesse pauvre. Reste que manger un jour sur deux, c’est tout de même plus rigolo en chanson ou en souvenirs caressés entre poire et fromage qu’en vrai.
La réalité ? Quelle réalité ?
En décidant de décerner la Palme d’or au film de Laurent Cantet Entre les murs, le jury du Festival de Cannes, a offert au débat actuel sur l’école et son avenir, une formidable caisse de résonance. Enfin un film qui parle du rapport entre professeurs et élèves, de ses difficultés, de ses écueils. Mais aussi de ses petits bonheurs quotidiens qui font toute la joie d’enseigner, notamment dans ces zones de relégation sociale, ces fameuses ZEP de quartiers sensibles d’où, finalement, semble se dégager une incroyable et rafraîchissante énergie. Celle de cette jeunesse à laquelle fait face le professeur, François Bégaudeau, jouant à l’écran son propre rôle de professeur de français, ce qu’il fut pendant dix ans, à Dreux puis à Paris, dans des établissements difficiles. C’est de son roman, succès de librairie de l’année 2006, qu’est adapté le scénario du film de Laurent Cantet.
Le film est salué par la presse et le milieu du cinéma, notamment parce qu’il est « en prise avec le réel », ainsi que s’en targue Bégaudeau : « J’en avais assez de tous ces livres de profs qui, sous couvert de raconter ce qui se passe, se réduisent à des essais au ton apocalyptique. Ils ne racontent rien, en fait. Ils filtrent la réalité pour la faire correspondre à leurs a priori idéologiques, le plus souvent réactionnaires. » La classe, voilà la réalité, celle du quotidien. Bégaudeau promet de nous donner à voir « la vraie vie d’une classe ordinaire d’aujourd’hui ». Les filtreurs de réalité disent que l’Ecole va mal et nous empêchent donc de rêver éveillés, ils nous empêchent de croire que tout le monde a du talent, que chacun a de formidables qualités qu’il suffirait de faire éclore au grand jour, que de la spontanéité maladroite et un brin charmante de ces élèves puisse sortir quelque chose de positif. J’exagère ? Bégaudeau ne nie pas les difficultés de l’école ; lui l’héritier, le fils d’enseignants, se fait le porte-parole d’un courant de pensée qui récuse la baisse de niveau et avec elle, toute nostalgie dont seraient nécessairement empreints ceux qui pensent qu’il faut donner aux élèves, à tous les élèves, de grands textes et de grands auteurs à connaître. « Il faut les prendre comme ils sont ces élèves », lui fait dire un journaliste du Monde. Ils s’expriment mal, font des fautes de syntaxe à toutes les phrases, ont un vocabulaire très limité ? Donnons-leur à lire ce qu’ils ont envie de lire (c’est déjà bien qu’ils lisent, s’ils lisent), échangeons sur ce qui les intéresse et les touche en premier lieu, ancrons notre enseignement dans leur réalité et non dans un réel abstrait qui aurait pour effet de les braquer, qui agirait comme un repoussoir. C’est touchant, c’est émouvant, c’est généreux.
Curieusement, le roman de Bégaudeau est bien plus « juste » que les propos de son auteur. Entre les Murs ne se complait ni dans le fantasme, ni dans l’idéologie. Bref, l’écrivain Bégaudeau (et sans doute le prof Bégaudeau) est dans le vrai, dans la réalité, dans le réel.
De fait, dans ces établissements sensibles de banlieue (qui depuis une décennie ont aussi essaimé dans les quartiers populaires de Paris), la défaite de l’Ecole se traduit d’abord par une défaite du langage, fort bien dépeinte par l’écrivain dans son roman. Celui-ci sonne vrai, juste. On s’y croirait.
Il pointe ainsi fort habilement la minimisation du langage, la détresse linguistique dans laquelle sont plongés nombre de jeunes gens et ses corollaires, l’incompréhension et la violence. Incompréhension du langage du professeur et au-delà, de ce qui les entoure et du monde extérieur. Les jeunes élèves dont parle Bégaudeau n’envisagent les rapports sociaux que sous l’angle du rapport de force, incapables de se plier à une autorité, comprenant les remarques comme autant de défis, les injonctions comme autant d’agressions. Oui, c’est de cette réalité-là que parle, Bégaudeau, du racisme de certains, de l’antisémitisme de beaucoup, de l’homophobie comme norme. Bref, il décrit ce que nombre de professeurs vivent au quotidien, lesquels, et cela aussi il le montre parfaitement, sont de plus en plus las, fatigués, abandonnés et impuissants face au flot de problèmes qui submerge même les plus aguerris.
Quiconque fréquente les collèges aura un sentiment de déjà-vu en lisant la fin du livre. Celui-ci s’achève par la traditionnelle pièce de théâtre et l’annuel match de foot profs-élèves qui réconcilie tout le monde sur le pré. Oui, le vécu affleure sans cesse du roman de mon ex-collègue : j’y reconnais mon quotidien.
Je n’ai pas vu le film qui ne sortira que le 18 octobre prochain, mais je suis assez perplexe. J’avoue ne pas trouver, ni dans la vraie vie, ni dans les pages d’Entre les murs de quoi me rassurer sur l’avenir, celui de ces gamins comme le nôtre. Alors, qu’est-ce qui peut bien être, dans ce film, si « amazing », comme l’a annoncé Sean Penn ? Qu’est-ce qui mériterait qu’on le montre à tous les élèves dans toutes les écoles, comme l’a demandé à Christine Albanel un journaliste de Canal + ? Qu’est-ce qui semble rassurer tout un petit monde qui vit bien loin de cette fameuse réalité tant louée ? J’ose espérer que ce n’est pas, justement, la réalité.