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Forme, c’est du belge

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Ce pays existe-t-il vraiment ? On le croirait sorti tout droit de l’imagination du père de Tintin, à ceci près que nous avons beaucoup plus de preuves tangibles de l’existence de la Syldavie – et je ne parle pas de la Bordurie – que de la Belgique…

Il faut dire que ce qui se passe aujourd’hui en Belgique est unique. Depuis plus de six mois, les Belges n’ont plus de Premier ministre. Une situation aussi terrible que celle d’une France qui n’aurait pas François Fillon.

Le pays s’ennuie terriblement. On mange bien des frites, on continue à aller dire bonjour en famille au Mannekenpis et à remanger des frites. On se suicide toujours autant en écoutant du Brel. Mais le cœur n’y est plus. La Belgique s’ennuie.

Elle s’ennuie d’autant plus que le « formateur », Yves Leterme, vient de rendre son tablier à Albert II (aucun lien de parenté avec Jean-Paul). Certes, il fallait être belge pour confier une mission aussi importante à un dénommé Leterme : c’était écrit noir sur blanc que ça allait finir. Le roi vient donc de demander à Guy Verhofstadt de trouver une solution. Le choix royal est assez judicieux, vu que l’ex-Premier ministre fédéral occupe encore le 16 rue de la Loi (le Matignon belge) et qu’il n’est pas pressé d’en déménager.

Guy Verhofstadt devra d’ailleurs prendre tout son temps pour ménager les bleus et les oranges, les wallons et les flamands, sans compter les 75 000 membres de la Deutschsprachige Gemeinschaft Belgiens.

Vu que toute prétention allemande sur Eupen-Malmedy est abandonnée, nous nous permettons de formuler la seule solution qui vaille : transférer le Palais royal au Berlaymont et dissoudre la Belgique dans l’Union européenne. Plus aucun Flamand, plus aucun Wallon ne se disputera la Belgique. C’est pour l’Europe qu’ils se taperont dessus.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Pas de repentance pour l’Algérie

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Les Algériens ne sont pas très contents de Nicolas Sarkozy. Primo il est juif, secundo son ministre des Affaires étrangères est juif, et tertio il voulait amener avec lui le chanteur Enrico Macias. Il est vrai qu’Enrico Macias est originaire d’Algérie, et ça, c’est plutôt un bon point ; l’ennui c’est qu’il est aussi juif et ça, c’est très mauvais – il n’y a pas de bien sans mal. Cela dit, à quel point sont-ils juifs, Sarkozy et Kouchner ? Selon Hitler, à 100 %. Pour les rabbins, ils sont 100% « goy ».

Seulement, quand il s’agit des « affaires juives », les Algériens ne se fient pas aux rabbins. Le ministre des Moudjahiddines, Mohamed Cherif Abbas, croit savoir que Sarkozy est à la solde du lobby juif. La « preuve », c’est que selon lui (et seulement selon lui) Israël a émis un timbre à l’effigie du président français avant même qu’il ne soit élu. Une autre preuve est fournie par les goûts musicaux du président, un peu trop juifs sur les bords.

Les Algériens ne partagent les goûts de Sarkozy ni en musique, ni en philatélie, ni en religion – pas nécessairement dans cet ordre. Surtout, ils exigent que la France fasse repentance pour les longues années de colonisation. Cette demande d’excuses est peut-être un symptôme inquiétant montrant que la judéïté est une maladie contagieuse qui pourrait même frapper de purs « goys » (malheureusement pas très ariens) comme Mohamed Cherif Abbas. En effet, rien n’est plus juif que ce désir d’entendre quelqu’un implorer son pardon. Nous adorons cela. Tout invité de marque – à moins qu’il ne soit juif ou représentant d’un lobby juif – est trainé à Yad Vashem et à la Knesset pour faire repentance. Et le succès de la visite se mesure à la puissance des excuses. Pas d’excuses du tout ? Un cas avéré d’antisémitisme. Des excuses mollassonnes ? Un résultat mitigé. Le visiteur se bat violemment la coulpe (mais sur la poitrine de ses parents), s’agenouille et injurie ses ancêtres ? Jackpot !

A ce qu’il paraît, les Algériens en veulent aussi. Mais non, ils ne tiennent pas à visiter Yad Vashem et la Knesset. Ils veulent des excuses, et pas tant pour le passé que pour le présent. Car il y a une différence de taille entre les demandes de repentance juive et postcoloniale (et pas seulement celle qui existe entre l’hitlérisme et la colonisation). Les Juifs (forts de leur lobby et de leur service philatélique, mais aussi, allez, grâce à Enrico Macias), sont assez contents d’eux-mêmes. Nous n’avons pas besoin d’imputer aux « goys » le triste état des choses – nous allons très bien, merci. Certes, nous sommes moins sûrs de notre bon droit moral que de notre puissance militaire et économique. Si nous avons besoin d’excuses, c’est pour nous conforter dans notre statut de victimes – quels que soient par ailleurs les faits sur ce terrain.

Dans un contexte postcolonial, la demande d’excuses joue un tout autre rôle – elle permet de disculper les actuels gouvernants des échecs du présent. Pourquoi sommes-nous pauvres, corrompus ou ignorants ? C’est la faute à Ferry. Pourquoi produisons-nous sans cesse des mouvements religieux qui sanctifient la violence intérieure comme extérieure ? C’est la faute à Bugeaud. Le colonialisme est coupable de tout. Sans colonialisme, c’est nous et pas vous qui aurions été les grandes puissances (et peu importe qu’il n’ait dans certain cas duré que quelques décennies). Les Etats postcoloniaux souffrent souvent d’une version particulièrement tragique du syndrome de Peter Pan – ils refusent de grandir moralement. Le problème c’est toujours « vous » ou « eux » – sinon les colonisateurs, les sionistes. Demandez-nous pardon.

Pour autant, il ne s’agit pas de prétendre que les ex-puissances coloniales n’ont rien à se faire pardonner. L’argument de Sarkozy selon lequel la France « a donné toute sa grandeur aux pays où elle était présente » est une absurdité. Et pourquoi pas, tant qu’on y est, demander aux Algériens ou aux autres peuples anciennement colonisés par la France de remercier celle-ci pour leur avoir fait don de sa grandeur – dont ils n’eurent de cesse de se débarrasser ?

Il y a lieu, des deux côtés de la Méditerranée, de se livrer à un examen de conscience, mais ce lieu n’est pas la politique. La politique est un jeu d’intérêts, pas une consultation pour couples en crise. Plus que d’une déclaration hypocrite de plus de la part d’un homme politique, les Algériens ont besoin des investissements français – les projets concrets valent mieux que les sentiments délicats. Et plutôt que d’attendre des excuses pour les crimes dont ils furent victimes, ils feraient mieux de se livrer à leur examen de conscience (notamment sur leur antisémitisme). La repentance détourne l’attention de l’essentiel. On peut très bien s’en passer.

Lobby juif : l’incident n’est pas clos

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Interrogé par PPDA et Arlette Chabot au sujet des déclarations du ministre algérien des Anciens combattants sur le rôle décisif du lobby juif dans son élection, Nicolas Sarkozy a cru devoir leur répondre que l’incident était clos.

Je reconnais toutes sortes de prérogatives au Président mais, à mon avis, il n’a pas le pouvoir de clore cet incident-là. Il a parfaitement le droit de fermer le ban dans une affaire qui ne concernerait que lui-même. D’ailleurs, il l’a déjà fait, et à bon escient : je n’ai pas entendu dire que le marin-pêcheur du Guilvinec qui l’a traité d’enculé ait été poursuivi pour injures au chef de l’Etat, ni même pour diffusion de fausses nouvelles. L’incident est clos.

Mais là il ne s’agissait pas d’une attaque personnelle d’un ministre algérien contre le chef de l’Etat. Le ministre en question n’a pas déclaré que Nicolas avait mauvais caractère, que ses cigares puaient ou qu’il s’habillait au rayon grande taille chez Jacadi. Il a déclaré que le chef de l’Etat devait son élection au lobby juif. Ce qui appelle quelques remarques.

Tout d’abord c’est arithmétiquement très improbable. 2 192 698 voix séparaient les deux candidats ; si tant est qu’il y ait un lobby juif (c’est un autre débat) et si tant est qu’il ait pesé de tout son poids pour l’un plutôt que pour l’autre (c’est encore un autre débat), on l’imagine mal déplaçant autant d’électeurs. S’il était avéré qu’une majorité de juifs a voté Sarkozy, cela ne suffirait d’ailleurs pas à faire de lui le candidat dudit éventuel lobby – sauf à considérer conséquemment que Ségolène Royal était, elle, la candidate du lobby musulman. Rappelons en effet que selon un sondage réalisé à la sortie des urnes dimanche 22 avril par l’institut CSA-CISCO pour La Croix, 64% des Français musulmans ont voté pour Ségolène Royal au premier tour de la présidentielle, contre 19% pour François Bayrou et 1% pour Nicolas Sarkozy. Voilà pour les données chiffrées dont, à mon humble avis, M. Bouteflika et son « ministre des moudjahiddine » se contrefichent, un peu comme moi en vérité, tant il est patent que le problème est ailleurs.

Car, quand on fait une telle déclaration, que dit-on ? Qu’en réalité le président de la République ne doit son élection qu’à des manœuvres souterraines. Et on démasque les coupables. Les juifs et leur lobby, à cause desquels 60 millions de Français se trouvent affublés d’un président de facto illégitime.

On m’objectera peut-être que le président algérien s’est désolidarisé de son ministre. Foutaises ! Que nous dit le site du Quai d’Orsay ?

Le Président de la République et le Président Bouteflika ont eu le 29 novembre une communication téléphonique. La question des déclarations prêtées au Ministre algérien des Moudjahiddine a été abordée. Le Président Bouteflika a souligné que de tels propos ne reflètent en rien la position de l’Algérie et que le Président français sera reçu en ami au cours de sa visite d’État en Algérie, visite essentielle pour les deux pays.

Le mot excuse ou le mot sanction n’ont donc pas été prononcés. Ni bien sûr par M. Bouteflika. Ni d’ailleurs par l’Amicale des Algériens en France, ni par le Recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, pourtant « réputé proche » des autorités algériennes. C’est au minimum ce qu’il aurait fallu pour que l’incident soit clos.

Car l’Algérie n’est pas le Paraguay. Plusieurs centaines de milliers d’Algériens vivent en France. Notre pays compte aussi un nombre conséquent de bi-nationaux et de Français originaires d’Algérie. On peut être certain que l’immense majorité d ‘entre eux ne prêtera pas plus d’attention à cette déclaration qu’aux autres mensonges proférés régulièrement par l’Etat algérien, et c’est très bien comme ça. Mais il ne faut pas se le cacher, une infime minorité de ceux-ci risque de sentir confortée dans son antisémitisme. Cette menace aurait pu, aurait du, être étouffée dans l’œuf par une réaction radicale de M. Bouteflika, qui avait, lui, le pouvoir de clore l’incident…

Si ces jours-ci, un enfant à kippa se fait traiter de sale youpin dans le métro, ou si une boucherie kasher se fait caillasser par des voyous décérébrés, ce sera un peu grâce à M. Bouteflika.

L’incident n’est pas clos.

NB : Toujours sans être sanctionné, le même ministre des Anciens Combattants a expliqué le ralliement de Bernard Kouchner au gouvernement par ses origines ethniques. Mais alors, quid du ralliement de Fadela Amara ? Il a aussi déclaré, dans l’indifférence générale, que la présence d’Enrico Macias dans la délégation ne l’aurait pas dérangé « parce qu’il n’est pas algérien ». Nous y reviendrons…

Poutine : victoire à la Bayrou

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Depuis quelques heures, il n’est pas un seul média, en Europe et dans le monde, qui ne relate les quelque 63 % des suffrages que serait parvenu à réunir Единая Россия, le parti de Vladimir Poutine, aux législatives russes.

On manie l’hyperbole et l’exagération ; on parle de « victoire écrasante », de « raz-de-marée » et de « triomphe ». Perdant toute mesure, certains font même de cette élection un « plébiscite pour le maître du Kremlin ».

On se demande si, dans les rédactions internationales, on n’a pas sorti un peu trop tôt blinis, caviar et vodka. Car, au même moment où Vladimir Poutine parvient à réunir très péniblement 63 % de son électorat, François Bayrou en réunit 96,8 % ! Incomparable.

33,8 % séparent l’un et l’autre. Comment expliquer alors que le Russe s’apprête à bénéficier d’une couverture médiatique mondiale, tandis que le Béarnais devra se contenter de quelques maigres entrefilets dans la presse quotidienne régionale ? N’y a-t-il pas là une effroyable injustice ?

Se trouvera-t-il seulement un journaliste suffisamment dévoué à la Vérité pour dénoncer l’exécrable rôle de Jean-Marie Cavada, qui a usé de son influence pour que les médias du monde entier dépêchent un correspondant spécial à Moscou et n’envoient personne à Villepinte ?

Quand le journaliste se trompe, le seul recours est celui de l’historien. J’en suis sûre : l’histoire, elle, se souviendra qu’un 2 décembre Napoléon Ier était sacré empereur, Napoléon III faisait un coup d’Etat et François Bayrou rétablissait, à lui seul, la démocratie planétaire. Quant à M. Poutine, souhaitons-lui qu’un jour il parvienne seulement à réunir plus de 96,8 % des voix à une élection. Il sera alors un vrai démocrate.

Villiers-le-Bel et la voyoucratie

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Ah ! Je ne me fais guère d’illusions : il y aura toujours des voyous ! Certains sont nés voyous dans l’âme : la voyouterie est dans leur sang et le système politique qui recueille leurs suffrages est bien la « voyoucratie », pour reprendre le terme utilisé par le Président.

Pierre Lacenaire était un voyou s’il en fut, assassin récidiviste qui tuait par derrière, à l’aide d’un tire-point de cordonnier. Dans Les Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945), Jacques Prévert lui fait dire : « Quand j’étais enfant, j’étais déjà plus lucide, plus intelligent que les autres… « Ils » ne me l’ont pas pardonné, ils voulaient que je sois comme eux… Levez la tête Pierre-François… regardez-moi… baissez les yeux… Et ils m’ont meublé l’esprit de force, avec des livres… de vieux livres … Pourquoi tant de poussière dans une tête d’enfant ? Quelle belle jeunesse, vraiment ! Mon père qui me détestait… ma mère, ma digne mère, qui préférait mon imbécile de frère et mon directeur de conscience qui me répétait sans cesse : « Vous êtes trop fier, Pierre François, il faut rentrer en vous-même ! » Alors je suis rentré en moi-même… mais je n’ai jamais pu en sortir ! Jolie souricière ! Les imprudents ! Ils m’ont laissé tout seul avec moi-même… et pourtant ils me défendaient les mauvaises fréquentations… »

Même les voyous dans l’âme vivent donc dans un monde peuplé de circonstances. Mais tous les voyous ne sont pas « voyous dans l’âme ». Les autres, je les appellerai précisément « de circonstance » : ceux qui ne sont pas nés voyous mais qu’un contexte, « une crise sociale », par exemple, ont fait basculer du côté de la voyouterie. Gavroche comme l’on sait avait eu une enfance difficile. On ne sait rien de la Liberté guidant le peuple chez Delacroix (1830) – sinon que son style dépoitraillé fait mauvais genre – mais pour prendre les risques qu’on la voit prendre, je ne crois pas m’avancer trop en disant qu’elle a dû en baver.

Je ne sais rien des enfants voleurs de bonbons de Villiers-le-Bel et condamnés à trois mois de prison ferme : peut–être sont–ils des voyous dans l’âme et j’aurais bien trop peur en les exonérant d’office, en invoquant leurs circonstances difficiles, de me retrouver dans le camp des « donneurs de leçons ». Mais peut–on au contraire me faire la preuve que leur acte n’a, comme l’affirme le Président, « rien à voir avec une crise sociale » ? Que ça n’a « rien à voir » avec un taux de chômage de 19 % et de 30 à 40 % dans les quartiers chauds, avec le fait que la ville compte 50 % de logements sociaux et que le revenu annuel moyen par habitant est de 6 500 euros (contre 12500 euros en Ile-de-France [1. Chiffres publiés dans Le Monde en ligne.]). Cela aussi me semblerait difficile à prouver.

Les anthropologues opposent dans un couple indissociable les « structures » aux « sentiments ». Ce sont les sentiments des femmes et des hommes qui les conduisent à bâtir des structures qui les contraignent ensuite et modèlent alors leurs sentiments, et ceci oblige à distinguer différents types de causes selon que l’on fixe son attention sur les unes ou sur les autres. Le voyou qui allume la mèche d’un cocktail Molotov puis le lance dans la direction des forces de l’ordre est bien la cause qui risque de provoquer des blessures effectivement « gravissimes ». Mais sa présence là a, elle aussi, ses propres causes au sein d’un contexte qui, ce n’est pas à exclure, pourrait très bien être celui d’une « crise sociale ». Quand les structures descendent dans la rue, elles réclament sans doute un voyou pour allumer la mèche, mais ce sont bien elles qui ont causé l’incendie.

Israël-Palestine : commençons par Jérusalem

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Le 29 novembre 1947 l’assemblée générale des Nations unies votait une résolution mettant fin au mandat britannique en Palestine et enjoignant les protagonistes d’y créer deux Etats, l’un juif, l’autre arabe (c’est-à-dire palestinien). Pour les Juifs de Palestine, ce fut l’euphorie, pour les Arabes la consternation. Dès le lendemain commença une guerre civile qui allait rapidement embraser la région.

Soixante ans, six guerres et deux intifadas plus tard, l’idée selon laquelle la seule solution de l’impossible équation proche-orientale est la création de deux Etats paraît s’être imposée à tous les gens raisonnables et même aux autres. De part et d’autre, même les plus extrémistes savent qu’il leur faudra partager la terre. Et pourtant, la mise en œuvre de ce partage semble presque aussi hors d’atteinte qu’elle l’était en 1948 – quand les Arabes promettaient de jeter tous les Juifs à la mer. C’est en tout cas ce qu’a affirmé Ehoud Olmert à son retour de la conférence de paix d’Annapolis, dans un entretien accordé à Haaretz à l’occasion du soixantième anniversaire de ce vote historique. Pour le Premier ministre israélien, un Etat bi-national sera bientôt la seule issue possible. En clair, pour le partage, c’est maintenant ou jamais. Et peut-être est-ce déjà trop tard. Peut-être que les Israéliens juifs devront un jour accepter d’être les citoyens minoritaires d’un Etat palestinien.

Il est donc possible qu’Annapolis soit la dernière chance d’un plan de partage redevenu d’actualité au début des années 90 avec les accords d’Oslo. La construction de la « barrière de sécurité » (appelée mur de séparation par les gauches européennes) aurait pu constituer une avancée significative dans ce processus de divorce raisonnable à défaut d’être à l’amiable. D’ailleurs, l’idée avait été lancée par la gauche avant d’être pervertie par la droite. « Les bonnes barrières font de bons voisins », disait Ehud Barak. Plus tard, Sharon a décidé de la construire, cette clôture de bon voisinage, mais dans le jardin des voisins, ce qui a considérablement amoindri ses effets bénéfiques.

Ehoud Olmert l’a bien compris : déjà extrêmement difficile à mettre en œuvre dans les conditions actuelles, la « solution à deux Etats » (two states solution) sera bientôt impossible à réaliser à cause de la colonisation. Sans même présumer de la volonté des Palestiniens de trouver un compromis avec Israël, il devient évident qu’un grand nombre de colonies sont aujourd’hui une réalité irréversible – un fait accompli. Autour d’un « Très grand Jérusalem », un tissu dense de villes et villages arabes et israéliens entrelacés, ainsi que deux autres conurbations au nord et au sud de la capitale, rendent peut-être déjà caduque toute solution de partage. Si Israël s’est déjà montré à deux reprises capable de démonter villes et villages (dans le Sinaï au début des années 1980 et à Gaza il y a deux ans), en Cisjordanie, certaines zones ont sans doute déjà dépassé le seuil critique et ne sont plus « démontables ». En conséquence, sauf à imaginer un scénario-catastrophe type indépendance algérienne, il n’est plus vraiment question de tracer une frontière au cordeau. Ce qui signifie qu’il n’y a plus de « solution toute simple » en vue.

Il faut prendre Olmert au sérieux. La logique actuelle des efforts de paix – dont la légitimité repose sur la résolution historique de l’ONU de novembre 1947 – a probablement vécu. Toute solution raisonnable impliquera d’une manière ou d’une autre des enclaves « binationales », tandis que les droits individuels et collectifs des uns et des autres feront l’objet d’arrangements complexes. Au lieu de tourner en rond autour d’un trésor qui n’existe plus, il faut donc placer ces zones au cœur des négociations. Le meilleur endroit pour commencer, c’est Jérusalem. Il faudra y inventer des structures communes permettant aux deux communautés de satisfaire leurs besoins pratiques et symboliques, autrement dit de répondre à leurs demandes en termes de souveraineté et de propriété. C’est la seule manière de recréer un cycle vertueux. Jérusalem ne doit plus être l’appendice empoisonné d’une négociation condamnée à ne pas aboutir, l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes à tous, Israéliens et Palestiniens. Le seul processus viable, c’est « Jérusalem d’abord ».

Le Pape, Sarkozy et moi

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Depuis que nous avons un pape allemand, je m’acquitte du Kirchensteuer (impôt sur les cultes) avec une profonde allégresse. Je me suis même surprise à siffloter gaiement le Jesus bleibet meine Freude en remplissant mon chèque. Dieu sait pourtant que la chose est cocasse : je suis pingre, luthérienne et le jour n’est pas venu où je jetterai la Réforme aux orties pour pouvoir m’époumoner en choeur : habemus papam.

La simple vue de ce vieil homme en robe blanche m’affole ; il serait peut-être temps que je pense à écrire un truc sur l’Allemagne moisie. Qu’on se rassure : l’affection que je porte à Benedictus XVI n’a aucune explication religieuse, nationale ni même littéraire. Elle est strictement gastronomique. Le pape ressemble, trait pour trait, à un pâtissier de Munich qui confectionnait, il y a vingt ou trente ans, les meilleurs Apfelstrudel du monde. Le Panzerkardinal Josef Ratzinger est ma madeleine de Proust à moi.

Imaginons maintenant mon Apfelstrudel – enfin ma madeleine – être obligé de recevoir Nicolas Sarkozy en visite protocolaire au Vatican. Bonjour l’angoisse !

Afin de ne pas froisser l’hôte français, l’administration vaticane serait obligée, avant tout, de recruter des gardes suisses de petite taille. Et les boîtes d’interims pour petits Suisses, même à Rome, ça ne court pas les rues. Elle devrait veiller très scrupuleusement à ce que personne ne s’avise à prendre ni François Fillon ni Henri Guaino pour des enfants de choeur : « Eh, voi laggiù, che cazzo fate dietro a Sarkozy ? Coglionazzi, siete ancora in ritardo ! Ecco, mettetevi la tonaca e andate a servire messa ! »

Mais ce ne serait encore là que de légères futilités. Le gros du problème se poserait au pape himself : comment, en effet, recevoir un président divorcé, sans évoquer des choses qui fâchent ? Lui faudrait-il modifier, vite fait bien fait, le droit canon ? Lâcher, distinctement mais poliment, une ou deux bulles avant la rencontre ?

La charité chrétienne nous invite à adresser quelques conseils avisés à notre compatriote et néanmoins Pontife romain.

La première chose que Benedictus XVI serait inspiré de faire, c’est avoir recours au plan A : la technique dite de l’Apfelstrudel. Tout au long de la rencontre avec Nicolas Sarkozy, il suffirait à Sa Sainteté d’imiter les vieilles dames allemandes lorsqu’elles reçoivent à l’improviste d’inopportunes visites : s’empiffrer de ce délicieux et germanique gâteau. La politesse obligeant, le pape serait dispensé d’adresser la parole au président divorcé.

Le plan B est un peu moins orthodoxe, quoique mis au point par Poutine. Il présente surtout un gros avantage : il fait moins de miettes et est, par conséquent, moins salissant pour le blanc. Il suffirait à Sa Sainteté de faire boire, subrepticement ou pas, une cuillerée à café de Jägermeister[1. « Le Jägermeister est l’état post-ultime de l’étantité de l’être. » Martin Heidegger, Sein und Zeit, p. 345, Trad. Martineau.] à Nicolas Sarkozy. Les cinquante-six plantes entrant dans la composition de ce so german breuvage titrant à 35° expédieraient illico le président français dans les bras de Morphée. Il ne serait alors plus question d’aucun autre bras ; et le pape pourrait méditer en silence sur la dormition de la Fille aînée de l’Eglise.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Photomaton

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Le petit oiseau tire une drôle de tête. C’est écrit sur les Photomatons : on n’a plus le droit de rigoler avec la photo d’identité. Finis le « Souriez, le petit oiseau va sortir », envoyés aux oubliettes les plus récents « Cheese » ou « Ouistiti Sex ». Ces aimables âneries qui amusent les enfants et vous poussent à adopter une mine enjouée lorsque le photographe vous « prend » en photo ne sont plus de mise. Mais au fait, que prend-on quand on prend en photo ? Qu’est-ce qui est pris ? Capturé ? Est-ce notre identité qui se trouve là, imprimée sur la bande de papier photosensible qui sort des nouveaux Photomatons ? Peut-on encore parler d’identité ? C’est bien ce qui est en jeu. Notre identité.

Pas de quoi faire un plat, dira-t-on. Et pourtant, les mots le disent : il s’agit d’une chose très sérieuse. Une affaire de biométrie. Nos passeports sont biométriques. Ce qui signifie que nous pourrons passer une frontière si les caractéristiques biologiques enregistrées sur nos passeports sont conformes à notre réalité corporelle. Corps, anticorps : la régulation des passages est désormais bâtie sur le modèle biologique du système immunitaire. Si je présente les bonnes caractéristiques biologiques, je passe, sinon, je ne passe pas ou plus difficilement. L’idée du corps pur, débarrassé des agents infectieux, l’idéal sanitaire, est là, juste derrière. Plus la globalisation prétend ouvrir les frontières et travailler à la dérégulation, plus les frontières internes à la globalisation deviennent dures à franchir. Exactement comme dans un corps : unifié, mais composé de parties distinctes.

Si on rigole, notre identité devient floue, car nos pupilles ne sont plus reconnaissables. Comme dans The Minority Report, le roman de Philip K. Dick. Ce qui nous permet de voir est aussi ce qui nous permet d’être vu. Contrôle intégré, contrôle intégral. Il y avait la photo (une technique et un art) d’un côté, et les matons (dans les prisons) de l’autre. Il y a synthèse avec le photomaton qui hybride l’écriture de lumière avec l’art de la surveillance pénitentiaire. Chacun devra être son propre flic. Aucune dérogation : il faut recommencer la photo autant de fois que nécessaire, jusqu’à ce que l’on parvienne à une représentation de soi dépourvue d’affect, c’est-à-dire de vie. Cela rappelle ces fabricants de cosmétiques qui promettent l’éradication des rides d’expression.

L’identité est une donnée objective. Elle ne dépend plus de vous. Mais pas non plus de l’autre. Elle est fournie par une machine inorganique qui fabrique les modalités de la reconnaissance de ces machines organiques que nous devenons. L’identité n’a plus rien à voir avec ce que l’on est, elle est ce qui permet d’être reconnu – et donc admis.

L’autre, le photographe, vous disait de sourire. La machine vous ordonne de ne plus rigoler. Car le rire, l’humour, le mot d’esprit font vaciller les certitudes et déjouent, dans l’entre-deux du nonsense, toute tentative de définir une identité. Anything is what it is and nothing else, dit la machine digitale cyclopéenne du photomaton. En face de ce nouveau Polyphème, il ne nous reste plus, pour mettre le système en court-circuit comme le fit Ulysse, qu’à prétendre que nous sommes Personne.

Le sourire comme ouverture à l’autre a vécu. Tout comme l’ouverture des frontières et le droit d’asile. Vieilleries. Sensibleries. Nous sommes désormais à l’ère du fermé. Sur la cabine du photomaton, la fille fait vraiment la tête.

Alors, ça vient ces émeutes ?

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On a failli attendre. Après l’annonce de la mort, dimanche, de deux gamins de Villiers-le-Bel dont la moto était entrée en collision avec une voiture de police, les citoyens-téléspectateurs ont pu craindre, quelques heures durant, d’être privés du spectacle annoncé : un reality-show intitulé « jeunes contre flics » à moins qu’on ne préfère « l’émeute », légèrement plus sobre.

Certes, à peine la nouvelle était-elle connue que des jeunes prêts à jouer leur rôle de jeunes se rassemblaient sur les lieux tandis que circulaient les théories les plus délirantes possibles sur les circonstances du drame. On peut gager que la plupart ne croyaient nullement que les deux gamins avaient été victimes de violences policières. Aucune importance dès lors qu’il s’agissait d’un excellent prétexte pour une soirée de défoulement. Il faut ajouter que le hasard avait bien fait les choses : à quelques jours près, Villiers-le-Bel tombait à point nommé pour marquer le deuxième anniversaire de Clichy-sous-Bois et rappeler à quel point rien n’avait été fait. Une aubaine pour les amateurs de sociologie à deux balles qui adorent pointer un doigt accusateur sur la société tout entière coupable de maltraitance à l’encontre des populations que l’on désigne désormais comme issues de la diversité. (Le fait que l’on puisse employer sans rigoler une expression aussi grotesque prouve à quel point l’esprit de sérieux s’est abattu sur ce malheureux pays, n’épargnant pas les citoyens issus de l’uniformité, également appelés Gaulois.)

Pour qu’il y ait spectacle, il faut un public. On voit mal le jeune-en-colère brûler des abribus (et plus si affinités) et se faire arroser de gaz lacrymogènes à la seule intention de ses voisins de palier. Pas de journaliste, pas d’émeute. Aucun problème : en moins d’une heure, dimanche, une nuée de micros et de caméras s’abattaient sur Villiers-le-Bel. On imagine sans peine le frisson d’excitation qui a dû traverser des rédactions où l’on s’ennuyait ferme en cette fin d’après-midi dominicale. « Génial ! », ont dû se dire certains, à l’image de David Pujadas, surpris en flagrant délit d’euphorie le 11 septembre 2001. Les affaires reprennent…

Il ne restait plus qu’à attendre l’explosion de violence que l’on disait redouter. Les « jeunes » ne déçurent pas leur public. Avec une touchante bonne volonté, ils se conformèrent au scénario écrit d’avance, ânonnant avec docilité les « dialogues » que nous voulions entendre (encore que le terme de dialogue soit assez peu adapté). Ayant compris que l’on attendait d’eux un remake de novembre 2005, ils décidèrent de faire mieux, incendiant directement une bibliothèque – « sans doute des lecteurs en colère », fit drôlement remarquer le maire du Raincy, Eric Raoult.

La seule fausse note vint du Procureur[1. Qu’il est agréable de savoir qu’aucun correcteur ne viendra sournoisement écrire Procureure derrière mon dos !] qui expliqua que, selon les premières constatations, la mort des deux adolescents était accidentelle et ne pouvait être imputée aux policiers. De quoi se mêlait-elle celle-là, encore un peu et elle allait carrément gâcher la fête.

Heureusement, l’inénarrable Mouloud Aounit du MRAP rattrapa ce couac malencontreux, jouant sa partition sans grande imagination mais avec un sérieux qui mérite d’être salué : mardi matin, après une nuit d’affrontements, il s’indignait que l’on ait pu choquer les âmes sensibles de ces grands enfants en disculpant les policiers. On ne la lui fait pas à Mouloud Aounit. Si des policiers circulent dans une cité un dimanche, c’est bien qu’ils ont l’intention de commettre un mauvais coup.

Interrogé sur France Inter, un habitant du quartier livré à la barbarie (malgré les appels au calme des proches des deux garçons) osa dire ce que personne, dans les médias, n’ose même plus penser. « Les deux jeunes ont été vite oubliés et maintenant, ils cassent pour s’amuser », observait-il. On ne s’appesantit guère sur ce témoignage. Il était bien plus amusant d’interroger des émeutiers toujours prêts à expliquer à qui voulait bien les entendre que la police ne les respectait pas et les traitait comme des « sous-hommes », terme sûrement appelé à servir abondamment. (Il est vrai que l’incendie d’une bibliothèque force hautement le respect.) Victimes pour les uns, barbares pour les autres : peu importe, l’essentiel est de faire de l’audience et, on le sait, la guerre des cités, c’est de la bonne came. Inutile de demander aux journalistes d’arrêter de la dealer au citoyen accro. « Ce serait de la censure ! » Peut-être. Reste qu’il suffirait d’imposer un couvre-feu médiatique pour arrêter l’engrenage. Mais justement, ce n’est pas l’objectif. « Il n’y a pas de contagion, les autres banlieues ne s’embrasent pas », pouvait-on entendre mardi sur toutes les ondes. Jusqu’ici, tout va bien.

Bon sang, qu’est-ce qu’ils foutent ces jeunes ? On va encore attendre longtemps ?

France-Maroc : match nul ou non advenu ?

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Les faits
L’Equipe du 20 novembre les relate parfaitement dans le compte rendu de ce match « amical » : une Marseillaise sifflée de bout en bout par 60 000 spectateurs venus de toute la France soutenir l’équipe marocaine et des Bleus systématiquement hués quand ils avaient la balle. Enfin, pas tous les Bleus. Toujours d’après l’Equipe : « Les seuls à avoir échappé à la bronca ont été Karin Benzema, Hatem Ben Arfa et Samir Nasri, tous trois de confession musulmane. Ce fut le cas également pour Franck Ribéry et Nicolas Anelka, les convertis ».

Le problème
L’événement est donc rien moins qu’anodin. Il aurait dû faire l’ouverture des journaux télévisés ou la une des quotidiens. Et pourtant, vous n’en avez probablement pas entendu parler. A moins d’avoir lu Le Canard Enchaîné de mercredi dernier, ou écouté le même jour sur Europe 1 la revue de presse de l’excellent Michel Grossiord. Ajoutez à cela une longue lamentation de Rioufol dans son bloc-notes du Figaro, qui déduit logiquement de ces événements qu’il faut privatiser de toute urgence la SNCF, et voilà, c’est tout, ou presque. Pas de mine contrite de la Chazal sur TF1, pas d’échos non plus au 13 heures de France 2, qui le lendemain du match préférait consacrer quatre minutes chrono à l’invasion de New Delhi par des hordes de macaques. Rien, donc, pas même un salutaire ronchonnage d’Eric Zemmour sur iTélé.
N’étant que modérément conspirationniste, je ne pense pas que l’ordre de la fermer soit venu d’en haut. Alors quoi ?

Les hypothèses

– La Gauche s’est tue pour ne pas faire le jeu du Front national ;

– la Droite s’est tue parce que ces désordres, agrémentés d’un conchiage généralisé de l’hymne national, mettent à mal le dogme de l’infaillibilité présidentielle ;

– la plupart des journalistes se sont tus parce que l’envoyé spécial du Monde au Stade de France n’a rien vu et rien entendu ;

– les télés se sont tues parce que c’est quand même un peu trop compliqué, cette histoire d’arabes qui insultent des noirs parce qu’ils sont français mais applaudissent des Français parce qu’ils sont musulmans ;

– les associations antiracistes se sont tues parce que les coupables avaient des profils de victimes ;

– Fadela Amara s’est tue parce qu’il ne faut pas stigmatiser les jeunes issus de l’immigration, sans quoi on aurait peut-être risqué d’avoir des émeutes en banlieue ces jours-ci ;

Bref, si on n’a pas parlé du match France-Maroc, c’est tout bêtement parce qu’il est advenu dans une zone de non-droit à l’information.

Forme, c’est du belge

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Ce pays existe-t-il vraiment ? On le croirait sorti tout droit de l’imagination du père de Tintin, à ceci près que nous avons beaucoup plus de preuves tangibles de l’existence de la Syldavie – et je ne parle pas de la Bordurie – que de la Belgique…

Il faut dire que ce qui se passe aujourd’hui en Belgique est unique. Depuis plus de six mois, les Belges n’ont plus de Premier ministre. Une situation aussi terrible que celle d’une France qui n’aurait pas François Fillon.

Le pays s’ennuie terriblement. On mange bien des frites, on continue à aller dire bonjour en famille au Mannekenpis et à remanger des frites. On se suicide toujours autant en écoutant du Brel. Mais le cœur n’y est plus. La Belgique s’ennuie.

Elle s’ennuie d’autant plus que le « formateur », Yves Leterme, vient de rendre son tablier à Albert II (aucun lien de parenté avec Jean-Paul). Certes, il fallait être belge pour confier une mission aussi importante à un dénommé Leterme : c’était écrit noir sur blanc que ça allait finir. Le roi vient donc de demander à Guy Verhofstadt de trouver une solution. Le choix royal est assez judicieux, vu que l’ex-Premier ministre fédéral occupe encore le 16 rue de la Loi (le Matignon belge) et qu’il n’est pas pressé d’en déménager.

Guy Verhofstadt devra d’ailleurs prendre tout son temps pour ménager les bleus et les oranges, les wallons et les flamands, sans compter les 75 000 membres de la Deutschsprachige Gemeinschaft Belgiens.

Vu que toute prétention allemande sur Eupen-Malmedy est abandonnée, nous nous permettons de formuler la seule solution qui vaille : transférer le Palais royal au Berlaymont et dissoudre la Belgique dans l’Union européenne. Plus aucun Flamand, plus aucun Wallon ne se disputera la Belgique. C’est pour l’Europe qu’ils se taperont dessus.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Pas de repentance pour l’Algérie

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Les Algériens ne sont pas très contents de Nicolas Sarkozy. Primo il est juif, secundo son ministre des Affaires étrangères est juif, et tertio il voulait amener avec lui le chanteur Enrico Macias. Il est vrai qu’Enrico Macias est originaire d’Algérie, et ça, c’est plutôt un bon point ; l’ennui c’est qu’il est aussi juif et ça, c’est très mauvais – il n’y a pas de bien sans mal. Cela dit, à quel point sont-ils juifs, Sarkozy et Kouchner ? Selon Hitler, à 100 %. Pour les rabbins, ils sont 100% « goy ».

Seulement, quand il s’agit des « affaires juives », les Algériens ne se fient pas aux rabbins. Le ministre des Moudjahiddines, Mohamed Cherif Abbas, croit savoir que Sarkozy est à la solde du lobby juif. La « preuve », c’est que selon lui (et seulement selon lui) Israël a émis un timbre à l’effigie du président français avant même qu’il ne soit élu. Une autre preuve est fournie par les goûts musicaux du président, un peu trop juifs sur les bords.

Les Algériens ne partagent les goûts de Sarkozy ni en musique, ni en philatélie, ni en religion – pas nécessairement dans cet ordre. Surtout, ils exigent que la France fasse repentance pour les longues années de colonisation. Cette demande d’excuses est peut-être un symptôme inquiétant montrant que la judéïté est une maladie contagieuse qui pourrait même frapper de purs « goys » (malheureusement pas très ariens) comme Mohamed Cherif Abbas. En effet, rien n’est plus juif que ce désir d’entendre quelqu’un implorer son pardon. Nous adorons cela. Tout invité de marque – à moins qu’il ne soit juif ou représentant d’un lobby juif – est trainé à Yad Vashem et à la Knesset pour faire repentance. Et le succès de la visite se mesure à la puissance des excuses. Pas d’excuses du tout ? Un cas avéré d’antisémitisme. Des excuses mollassonnes ? Un résultat mitigé. Le visiteur se bat violemment la coulpe (mais sur la poitrine de ses parents), s’agenouille et injurie ses ancêtres ? Jackpot !

A ce qu’il paraît, les Algériens en veulent aussi. Mais non, ils ne tiennent pas à visiter Yad Vashem et la Knesset. Ils veulent des excuses, et pas tant pour le passé que pour le présent. Car il y a une différence de taille entre les demandes de repentance juive et postcoloniale (et pas seulement celle qui existe entre l’hitlérisme et la colonisation). Les Juifs (forts de leur lobby et de leur service philatélique, mais aussi, allez, grâce à Enrico Macias), sont assez contents d’eux-mêmes. Nous n’avons pas besoin d’imputer aux « goys » le triste état des choses – nous allons très bien, merci. Certes, nous sommes moins sûrs de notre bon droit moral que de notre puissance militaire et économique. Si nous avons besoin d’excuses, c’est pour nous conforter dans notre statut de victimes – quels que soient par ailleurs les faits sur ce terrain.

Dans un contexte postcolonial, la demande d’excuses joue un tout autre rôle – elle permet de disculper les actuels gouvernants des échecs du présent. Pourquoi sommes-nous pauvres, corrompus ou ignorants ? C’est la faute à Ferry. Pourquoi produisons-nous sans cesse des mouvements religieux qui sanctifient la violence intérieure comme extérieure ? C’est la faute à Bugeaud. Le colonialisme est coupable de tout. Sans colonialisme, c’est nous et pas vous qui aurions été les grandes puissances (et peu importe qu’il n’ait dans certain cas duré que quelques décennies). Les Etats postcoloniaux souffrent souvent d’une version particulièrement tragique du syndrome de Peter Pan – ils refusent de grandir moralement. Le problème c’est toujours « vous » ou « eux » – sinon les colonisateurs, les sionistes. Demandez-nous pardon.

Pour autant, il ne s’agit pas de prétendre que les ex-puissances coloniales n’ont rien à se faire pardonner. L’argument de Sarkozy selon lequel la France « a donné toute sa grandeur aux pays où elle était présente » est une absurdité. Et pourquoi pas, tant qu’on y est, demander aux Algériens ou aux autres peuples anciennement colonisés par la France de remercier celle-ci pour leur avoir fait don de sa grandeur – dont ils n’eurent de cesse de se débarrasser ?

Il y a lieu, des deux côtés de la Méditerranée, de se livrer à un examen de conscience, mais ce lieu n’est pas la politique. La politique est un jeu d’intérêts, pas une consultation pour couples en crise. Plus que d’une déclaration hypocrite de plus de la part d’un homme politique, les Algériens ont besoin des investissements français – les projets concrets valent mieux que les sentiments délicats. Et plutôt que d’attendre des excuses pour les crimes dont ils furent victimes, ils feraient mieux de se livrer à leur examen de conscience (notamment sur leur antisémitisme). La repentance détourne l’attention de l’essentiel. On peut très bien s’en passer.

Lobby juif : l’incident n’est pas clos

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Interrogé par PPDA et Arlette Chabot au sujet des déclarations du ministre algérien des Anciens combattants sur le rôle décisif du lobby juif dans son élection, Nicolas Sarkozy a cru devoir leur répondre que l’incident était clos.

Je reconnais toutes sortes de prérogatives au Président mais, à mon avis, il n’a pas le pouvoir de clore cet incident-là. Il a parfaitement le droit de fermer le ban dans une affaire qui ne concernerait que lui-même. D’ailleurs, il l’a déjà fait, et à bon escient : je n’ai pas entendu dire que le marin-pêcheur du Guilvinec qui l’a traité d’enculé ait été poursuivi pour injures au chef de l’Etat, ni même pour diffusion de fausses nouvelles. L’incident est clos.

Mais là il ne s’agissait pas d’une attaque personnelle d’un ministre algérien contre le chef de l’Etat. Le ministre en question n’a pas déclaré que Nicolas avait mauvais caractère, que ses cigares puaient ou qu’il s’habillait au rayon grande taille chez Jacadi. Il a déclaré que le chef de l’Etat devait son élection au lobby juif. Ce qui appelle quelques remarques.

Tout d’abord c’est arithmétiquement très improbable. 2 192 698 voix séparaient les deux candidats ; si tant est qu’il y ait un lobby juif (c’est un autre débat) et si tant est qu’il ait pesé de tout son poids pour l’un plutôt que pour l’autre (c’est encore un autre débat), on l’imagine mal déplaçant autant d’électeurs. S’il était avéré qu’une majorité de juifs a voté Sarkozy, cela ne suffirait d’ailleurs pas à faire de lui le candidat dudit éventuel lobby – sauf à considérer conséquemment que Ségolène Royal était, elle, la candidate du lobby musulman. Rappelons en effet que selon un sondage réalisé à la sortie des urnes dimanche 22 avril par l’institut CSA-CISCO pour La Croix, 64% des Français musulmans ont voté pour Ségolène Royal au premier tour de la présidentielle, contre 19% pour François Bayrou et 1% pour Nicolas Sarkozy. Voilà pour les données chiffrées dont, à mon humble avis, M. Bouteflika et son « ministre des moudjahiddine » se contrefichent, un peu comme moi en vérité, tant il est patent que le problème est ailleurs.

Car, quand on fait une telle déclaration, que dit-on ? Qu’en réalité le président de la République ne doit son élection qu’à des manœuvres souterraines. Et on démasque les coupables. Les juifs et leur lobby, à cause desquels 60 millions de Français se trouvent affublés d’un président de facto illégitime.

On m’objectera peut-être que le président algérien s’est désolidarisé de son ministre. Foutaises ! Que nous dit le site du Quai d’Orsay ?

Le Président de la République et le Président Bouteflika ont eu le 29 novembre une communication téléphonique. La question des déclarations prêtées au Ministre algérien des Moudjahiddine a été abordée. Le Président Bouteflika a souligné que de tels propos ne reflètent en rien la position de l’Algérie et que le Président français sera reçu en ami au cours de sa visite d’État en Algérie, visite essentielle pour les deux pays.

Le mot excuse ou le mot sanction n’ont donc pas été prononcés. Ni bien sûr par M. Bouteflika. Ni d’ailleurs par l’Amicale des Algériens en France, ni par le Recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, pourtant « réputé proche » des autorités algériennes. C’est au minimum ce qu’il aurait fallu pour que l’incident soit clos.

Car l’Algérie n’est pas le Paraguay. Plusieurs centaines de milliers d’Algériens vivent en France. Notre pays compte aussi un nombre conséquent de bi-nationaux et de Français originaires d’Algérie. On peut être certain que l’immense majorité d ‘entre eux ne prêtera pas plus d’attention à cette déclaration qu’aux autres mensonges proférés régulièrement par l’Etat algérien, et c’est très bien comme ça. Mais il ne faut pas se le cacher, une infime minorité de ceux-ci risque de sentir confortée dans son antisémitisme. Cette menace aurait pu, aurait du, être étouffée dans l’œuf par une réaction radicale de M. Bouteflika, qui avait, lui, le pouvoir de clore l’incident…

Si ces jours-ci, un enfant à kippa se fait traiter de sale youpin dans le métro, ou si une boucherie kasher se fait caillasser par des voyous décérébrés, ce sera un peu grâce à M. Bouteflika.

L’incident n’est pas clos.

NB : Toujours sans être sanctionné, le même ministre des Anciens Combattants a expliqué le ralliement de Bernard Kouchner au gouvernement par ses origines ethniques. Mais alors, quid du ralliement de Fadela Amara ? Il a aussi déclaré, dans l’indifférence générale, que la présence d’Enrico Macias dans la délégation ne l’aurait pas dérangé « parce qu’il n’est pas algérien ». Nous y reviendrons…

Poutine : victoire à la Bayrou

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Depuis quelques heures, il n’est pas un seul média, en Europe et dans le monde, qui ne relate les quelque 63 % des suffrages que serait parvenu à réunir Единая Россия, le parti de Vladimir Poutine, aux législatives russes.

On manie l’hyperbole et l’exagération ; on parle de « victoire écrasante », de « raz-de-marée » et de « triomphe ». Perdant toute mesure, certains font même de cette élection un « plébiscite pour le maître du Kremlin ».

On se demande si, dans les rédactions internationales, on n’a pas sorti un peu trop tôt blinis, caviar et vodka. Car, au même moment où Vladimir Poutine parvient à réunir très péniblement 63 % de son électorat, François Bayrou en réunit 96,8 % ! Incomparable.

33,8 % séparent l’un et l’autre. Comment expliquer alors que le Russe s’apprête à bénéficier d’une couverture médiatique mondiale, tandis que le Béarnais devra se contenter de quelques maigres entrefilets dans la presse quotidienne régionale ? N’y a-t-il pas là une effroyable injustice ?

Se trouvera-t-il seulement un journaliste suffisamment dévoué à la Vérité pour dénoncer l’exécrable rôle de Jean-Marie Cavada, qui a usé de son influence pour que les médias du monde entier dépêchent un correspondant spécial à Moscou et n’envoient personne à Villepinte ?

Quand le journaliste se trompe, le seul recours est celui de l’historien. J’en suis sûre : l’histoire, elle, se souviendra qu’un 2 décembre Napoléon Ier était sacré empereur, Napoléon III faisait un coup d’Etat et François Bayrou rétablissait, à lui seul, la démocratie planétaire. Quant à M. Poutine, souhaitons-lui qu’un jour il parvienne seulement à réunir plus de 96,8 % des voix à une élection. Il sera alors un vrai démocrate.

Villiers-le-Bel et la voyoucratie

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Ah ! Je ne me fais guère d’illusions : il y aura toujours des voyous ! Certains sont nés voyous dans l’âme : la voyouterie est dans leur sang et le système politique qui recueille leurs suffrages est bien la « voyoucratie », pour reprendre le terme utilisé par le Président.

Pierre Lacenaire était un voyou s’il en fut, assassin récidiviste qui tuait par derrière, à l’aide d’un tire-point de cordonnier. Dans Les Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945), Jacques Prévert lui fait dire : « Quand j’étais enfant, j’étais déjà plus lucide, plus intelligent que les autres… « Ils » ne me l’ont pas pardonné, ils voulaient que je sois comme eux… Levez la tête Pierre-François… regardez-moi… baissez les yeux… Et ils m’ont meublé l’esprit de force, avec des livres… de vieux livres … Pourquoi tant de poussière dans une tête d’enfant ? Quelle belle jeunesse, vraiment ! Mon père qui me détestait… ma mère, ma digne mère, qui préférait mon imbécile de frère et mon directeur de conscience qui me répétait sans cesse : « Vous êtes trop fier, Pierre François, il faut rentrer en vous-même ! » Alors je suis rentré en moi-même… mais je n’ai jamais pu en sortir ! Jolie souricière ! Les imprudents ! Ils m’ont laissé tout seul avec moi-même… et pourtant ils me défendaient les mauvaises fréquentations… »

Même les voyous dans l’âme vivent donc dans un monde peuplé de circonstances. Mais tous les voyous ne sont pas « voyous dans l’âme ». Les autres, je les appellerai précisément « de circonstance » : ceux qui ne sont pas nés voyous mais qu’un contexte, « une crise sociale », par exemple, ont fait basculer du côté de la voyouterie. Gavroche comme l’on sait avait eu une enfance difficile. On ne sait rien de la Liberté guidant le peuple chez Delacroix (1830) – sinon que son style dépoitraillé fait mauvais genre – mais pour prendre les risques qu’on la voit prendre, je ne crois pas m’avancer trop en disant qu’elle a dû en baver.

Je ne sais rien des enfants voleurs de bonbons de Villiers-le-Bel et condamnés à trois mois de prison ferme : peut–être sont–ils des voyous dans l’âme et j’aurais bien trop peur en les exonérant d’office, en invoquant leurs circonstances difficiles, de me retrouver dans le camp des « donneurs de leçons ». Mais peut–on au contraire me faire la preuve que leur acte n’a, comme l’affirme le Président, « rien à voir avec une crise sociale » ? Que ça n’a « rien à voir » avec un taux de chômage de 19 % et de 30 à 40 % dans les quartiers chauds, avec le fait que la ville compte 50 % de logements sociaux et que le revenu annuel moyen par habitant est de 6 500 euros (contre 12500 euros en Ile-de-France [1. Chiffres publiés dans Le Monde en ligne.]). Cela aussi me semblerait difficile à prouver.

Les anthropologues opposent dans un couple indissociable les « structures » aux « sentiments ». Ce sont les sentiments des femmes et des hommes qui les conduisent à bâtir des structures qui les contraignent ensuite et modèlent alors leurs sentiments, et ceci oblige à distinguer différents types de causes selon que l’on fixe son attention sur les unes ou sur les autres. Le voyou qui allume la mèche d’un cocktail Molotov puis le lance dans la direction des forces de l’ordre est bien la cause qui risque de provoquer des blessures effectivement « gravissimes ». Mais sa présence là a, elle aussi, ses propres causes au sein d’un contexte qui, ce n’est pas à exclure, pourrait très bien être celui d’une « crise sociale ». Quand les structures descendent dans la rue, elles réclament sans doute un voyou pour allumer la mèche, mais ce sont bien elles qui ont causé l’incendie.

Israël-Palestine : commençons par Jérusalem

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Le 29 novembre 1947 l’assemblée générale des Nations unies votait une résolution mettant fin au mandat britannique en Palestine et enjoignant les protagonistes d’y créer deux Etats, l’un juif, l’autre arabe (c’est-à-dire palestinien). Pour les Juifs de Palestine, ce fut l’euphorie, pour les Arabes la consternation. Dès le lendemain commença une guerre civile qui allait rapidement embraser la région.

Soixante ans, six guerres et deux intifadas plus tard, l’idée selon laquelle la seule solution de l’impossible équation proche-orientale est la création de deux Etats paraît s’être imposée à tous les gens raisonnables et même aux autres. De part et d’autre, même les plus extrémistes savent qu’il leur faudra partager la terre. Et pourtant, la mise en œuvre de ce partage semble presque aussi hors d’atteinte qu’elle l’était en 1948 – quand les Arabes promettaient de jeter tous les Juifs à la mer. C’est en tout cas ce qu’a affirmé Ehoud Olmert à son retour de la conférence de paix d’Annapolis, dans un entretien accordé à Haaretz à l’occasion du soixantième anniversaire de ce vote historique. Pour le Premier ministre israélien, un Etat bi-national sera bientôt la seule issue possible. En clair, pour le partage, c’est maintenant ou jamais. Et peut-être est-ce déjà trop tard. Peut-être que les Israéliens juifs devront un jour accepter d’être les citoyens minoritaires d’un Etat palestinien.

Il est donc possible qu’Annapolis soit la dernière chance d’un plan de partage redevenu d’actualité au début des années 90 avec les accords d’Oslo. La construction de la « barrière de sécurité » (appelée mur de séparation par les gauches européennes) aurait pu constituer une avancée significative dans ce processus de divorce raisonnable à défaut d’être à l’amiable. D’ailleurs, l’idée avait été lancée par la gauche avant d’être pervertie par la droite. « Les bonnes barrières font de bons voisins », disait Ehud Barak. Plus tard, Sharon a décidé de la construire, cette clôture de bon voisinage, mais dans le jardin des voisins, ce qui a considérablement amoindri ses effets bénéfiques.

Ehoud Olmert l’a bien compris : déjà extrêmement difficile à mettre en œuvre dans les conditions actuelles, la « solution à deux Etats » (two states solution) sera bientôt impossible à réaliser à cause de la colonisation. Sans même présumer de la volonté des Palestiniens de trouver un compromis avec Israël, il devient évident qu’un grand nombre de colonies sont aujourd’hui une réalité irréversible – un fait accompli. Autour d’un « Très grand Jérusalem », un tissu dense de villes et villages arabes et israéliens entrelacés, ainsi que deux autres conurbations au nord et au sud de la capitale, rendent peut-être déjà caduque toute solution de partage. Si Israël s’est déjà montré à deux reprises capable de démonter villes et villages (dans le Sinaï au début des années 1980 et à Gaza il y a deux ans), en Cisjordanie, certaines zones ont sans doute déjà dépassé le seuil critique et ne sont plus « démontables ». En conséquence, sauf à imaginer un scénario-catastrophe type indépendance algérienne, il n’est plus vraiment question de tracer une frontière au cordeau. Ce qui signifie qu’il n’y a plus de « solution toute simple » en vue.

Il faut prendre Olmert au sérieux. La logique actuelle des efforts de paix – dont la légitimité repose sur la résolution historique de l’ONU de novembre 1947 – a probablement vécu. Toute solution raisonnable impliquera d’une manière ou d’une autre des enclaves « binationales », tandis que les droits individuels et collectifs des uns et des autres feront l’objet d’arrangements complexes. Au lieu de tourner en rond autour d’un trésor qui n’existe plus, il faut donc placer ces zones au cœur des négociations. Le meilleur endroit pour commencer, c’est Jérusalem. Il faudra y inventer des structures communes permettant aux deux communautés de satisfaire leurs besoins pratiques et symboliques, autrement dit de répondre à leurs demandes en termes de souveraineté et de propriété. C’est la seule manière de recréer un cycle vertueux. Jérusalem ne doit plus être l’appendice empoisonné d’une négociation condamnée à ne pas aboutir, l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes à tous, Israéliens et Palestiniens. Le seul processus viable, c’est « Jérusalem d’abord ».

Le Pape, Sarkozy et moi

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Depuis que nous avons un pape allemand, je m’acquitte du Kirchensteuer (impôt sur les cultes) avec une profonde allégresse. Je me suis même surprise à siffloter gaiement le Jesus bleibet meine Freude en remplissant mon chèque. Dieu sait pourtant que la chose est cocasse : je suis pingre, luthérienne et le jour n’est pas venu où je jetterai la Réforme aux orties pour pouvoir m’époumoner en choeur : habemus papam.

La simple vue de ce vieil homme en robe blanche m’affole ; il serait peut-être temps que je pense à écrire un truc sur l’Allemagne moisie. Qu’on se rassure : l’affection que je porte à Benedictus XVI n’a aucune explication religieuse, nationale ni même littéraire. Elle est strictement gastronomique. Le pape ressemble, trait pour trait, à un pâtissier de Munich qui confectionnait, il y a vingt ou trente ans, les meilleurs Apfelstrudel du monde. Le Panzerkardinal Josef Ratzinger est ma madeleine de Proust à moi.

Imaginons maintenant mon Apfelstrudel – enfin ma madeleine – être obligé de recevoir Nicolas Sarkozy en visite protocolaire au Vatican. Bonjour l’angoisse !

Afin de ne pas froisser l’hôte français, l’administration vaticane serait obligée, avant tout, de recruter des gardes suisses de petite taille. Et les boîtes d’interims pour petits Suisses, même à Rome, ça ne court pas les rues. Elle devrait veiller très scrupuleusement à ce que personne ne s’avise à prendre ni François Fillon ni Henri Guaino pour des enfants de choeur : « Eh, voi laggiù, che cazzo fate dietro a Sarkozy ? Coglionazzi, siete ancora in ritardo ! Ecco, mettetevi la tonaca e andate a servire messa ! »

Mais ce ne serait encore là que de légères futilités. Le gros du problème se poserait au pape himself : comment, en effet, recevoir un président divorcé, sans évoquer des choses qui fâchent ? Lui faudrait-il modifier, vite fait bien fait, le droit canon ? Lâcher, distinctement mais poliment, une ou deux bulles avant la rencontre ?

La charité chrétienne nous invite à adresser quelques conseils avisés à notre compatriote et néanmoins Pontife romain.

La première chose que Benedictus XVI serait inspiré de faire, c’est avoir recours au plan A : la technique dite de l’Apfelstrudel. Tout au long de la rencontre avec Nicolas Sarkozy, il suffirait à Sa Sainteté d’imiter les vieilles dames allemandes lorsqu’elles reçoivent à l’improviste d’inopportunes visites : s’empiffrer de ce délicieux et germanique gâteau. La politesse obligeant, le pape serait dispensé d’adresser la parole au président divorcé.

Le plan B est un peu moins orthodoxe, quoique mis au point par Poutine. Il présente surtout un gros avantage : il fait moins de miettes et est, par conséquent, moins salissant pour le blanc. Il suffirait à Sa Sainteté de faire boire, subrepticement ou pas, une cuillerée à café de Jägermeister[1. « Le Jägermeister est l’état post-ultime de l’étantité de l’être. » Martin Heidegger, Sein und Zeit, p. 345, Trad. Martineau.] à Nicolas Sarkozy. Les cinquante-six plantes entrant dans la composition de ce so german breuvage titrant à 35° expédieraient illico le président français dans les bras de Morphée. Il ne serait alors plus question d’aucun autre bras ; et le pape pourrait méditer en silence sur la dormition de la Fille aînée de l’Eglise.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Photomaton

13

Le petit oiseau tire une drôle de tête. C’est écrit sur les Photomatons : on n’a plus le droit de rigoler avec la photo d’identité. Finis le « Souriez, le petit oiseau va sortir », envoyés aux oubliettes les plus récents « Cheese » ou « Ouistiti Sex ». Ces aimables âneries qui amusent les enfants et vous poussent à adopter une mine enjouée lorsque le photographe vous « prend » en photo ne sont plus de mise. Mais au fait, que prend-on quand on prend en photo ? Qu’est-ce qui est pris ? Capturé ? Est-ce notre identité qui se trouve là, imprimée sur la bande de papier photosensible qui sort des nouveaux Photomatons ? Peut-on encore parler d’identité ? C’est bien ce qui est en jeu. Notre identité.

Pas de quoi faire un plat, dira-t-on. Et pourtant, les mots le disent : il s’agit d’une chose très sérieuse. Une affaire de biométrie. Nos passeports sont biométriques. Ce qui signifie que nous pourrons passer une frontière si les caractéristiques biologiques enregistrées sur nos passeports sont conformes à notre réalité corporelle. Corps, anticorps : la régulation des passages est désormais bâtie sur le modèle biologique du système immunitaire. Si je présente les bonnes caractéristiques biologiques, je passe, sinon, je ne passe pas ou plus difficilement. L’idée du corps pur, débarrassé des agents infectieux, l’idéal sanitaire, est là, juste derrière. Plus la globalisation prétend ouvrir les frontières et travailler à la dérégulation, plus les frontières internes à la globalisation deviennent dures à franchir. Exactement comme dans un corps : unifié, mais composé de parties distinctes.

Si on rigole, notre identité devient floue, car nos pupilles ne sont plus reconnaissables. Comme dans The Minority Report, le roman de Philip K. Dick. Ce qui nous permet de voir est aussi ce qui nous permet d’être vu. Contrôle intégré, contrôle intégral. Il y avait la photo (une technique et un art) d’un côté, et les matons (dans les prisons) de l’autre. Il y a synthèse avec le photomaton qui hybride l’écriture de lumière avec l’art de la surveillance pénitentiaire. Chacun devra être son propre flic. Aucune dérogation : il faut recommencer la photo autant de fois que nécessaire, jusqu’à ce que l’on parvienne à une représentation de soi dépourvue d’affect, c’est-à-dire de vie. Cela rappelle ces fabricants de cosmétiques qui promettent l’éradication des rides d’expression.

L’identité est une donnée objective. Elle ne dépend plus de vous. Mais pas non plus de l’autre. Elle est fournie par une machine inorganique qui fabrique les modalités de la reconnaissance de ces machines organiques que nous devenons. L’identité n’a plus rien à voir avec ce que l’on est, elle est ce qui permet d’être reconnu – et donc admis.

L’autre, le photographe, vous disait de sourire. La machine vous ordonne de ne plus rigoler. Car le rire, l’humour, le mot d’esprit font vaciller les certitudes et déjouent, dans l’entre-deux du nonsense, toute tentative de définir une identité. Anything is what it is and nothing else, dit la machine digitale cyclopéenne du photomaton. En face de ce nouveau Polyphème, il ne nous reste plus, pour mettre le système en court-circuit comme le fit Ulysse, qu’à prétendre que nous sommes Personne.

Le sourire comme ouverture à l’autre a vécu. Tout comme l’ouverture des frontières et le droit d’asile. Vieilleries. Sensibleries. Nous sommes désormais à l’ère du fermé. Sur la cabine du photomaton, la fille fait vraiment la tête.

Alors, ça vient ces émeutes ?

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On a failli attendre. Après l’annonce de la mort, dimanche, de deux gamins de Villiers-le-Bel dont la moto était entrée en collision avec une voiture de police, les citoyens-téléspectateurs ont pu craindre, quelques heures durant, d’être privés du spectacle annoncé : un reality-show intitulé « jeunes contre flics » à moins qu’on ne préfère « l’émeute », légèrement plus sobre.

Certes, à peine la nouvelle était-elle connue que des jeunes prêts à jouer leur rôle de jeunes se rassemblaient sur les lieux tandis que circulaient les théories les plus délirantes possibles sur les circonstances du drame. On peut gager que la plupart ne croyaient nullement que les deux gamins avaient été victimes de violences policières. Aucune importance dès lors qu’il s’agissait d’un excellent prétexte pour une soirée de défoulement. Il faut ajouter que le hasard avait bien fait les choses : à quelques jours près, Villiers-le-Bel tombait à point nommé pour marquer le deuxième anniversaire de Clichy-sous-Bois et rappeler à quel point rien n’avait été fait. Une aubaine pour les amateurs de sociologie à deux balles qui adorent pointer un doigt accusateur sur la société tout entière coupable de maltraitance à l’encontre des populations que l’on désigne désormais comme issues de la diversité. (Le fait que l’on puisse employer sans rigoler une expression aussi grotesque prouve à quel point l’esprit de sérieux s’est abattu sur ce malheureux pays, n’épargnant pas les citoyens issus de l’uniformité, également appelés Gaulois.)

Pour qu’il y ait spectacle, il faut un public. On voit mal le jeune-en-colère brûler des abribus (et plus si affinités) et se faire arroser de gaz lacrymogènes à la seule intention de ses voisins de palier. Pas de journaliste, pas d’émeute. Aucun problème : en moins d’une heure, dimanche, une nuée de micros et de caméras s’abattaient sur Villiers-le-Bel. On imagine sans peine le frisson d’excitation qui a dû traverser des rédactions où l’on s’ennuyait ferme en cette fin d’après-midi dominicale. « Génial ! », ont dû se dire certains, à l’image de David Pujadas, surpris en flagrant délit d’euphorie le 11 septembre 2001. Les affaires reprennent…

Il ne restait plus qu’à attendre l’explosion de violence que l’on disait redouter. Les « jeunes » ne déçurent pas leur public. Avec une touchante bonne volonté, ils se conformèrent au scénario écrit d’avance, ânonnant avec docilité les « dialogues » que nous voulions entendre (encore que le terme de dialogue soit assez peu adapté). Ayant compris que l’on attendait d’eux un remake de novembre 2005, ils décidèrent de faire mieux, incendiant directement une bibliothèque – « sans doute des lecteurs en colère », fit drôlement remarquer le maire du Raincy, Eric Raoult.

La seule fausse note vint du Procureur[1. Qu’il est agréable de savoir qu’aucun correcteur ne viendra sournoisement écrire Procureure derrière mon dos !] qui expliqua que, selon les premières constatations, la mort des deux adolescents était accidentelle et ne pouvait être imputée aux policiers. De quoi se mêlait-elle celle-là, encore un peu et elle allait carrément gâcher la fête.

Heureusement, l’inénarrable Mouloud Aounit du MRAP rattrapa ce couac malencontreux, jouant sa partition sans grande imagination mais avec un sérieux qui mérite d’être salué : mardi matin, après une nuit d’affrontements, il s’indignait que l’on ait pu choquer les âmes sensibles de ces grands enfants en disculpant les policiers. On ne la lui fait pas à Mouloud Aounit. Si des policiers circulent dans une cité un dimanche, c’est bien qu’ils ont l’intention de commettre un mauvais coup.

Interrogé sur France Inter, un habitant du quartier livré à la barbarie (malgré les appels au calme des proches des deux garçons) osa dire ce que personne, dans les médias, n’ose même plus penser. « Les deux jeunes ont été vite oubliés et maintenant, ils cassent pour s’amuser », observait-il. On ne s’appesantit guère sur ce témoignage. Il était bien plus amusant d’interroger des émeutiers toujours prêts à expliquer à qui voulait bien les entendre que la police ne les respectait pas et les traitait comme des « sous-hommes », terme sûrement appelé à servir abondamment. (Il est vrai que l’incendie d’une bibliothèque force hautement le respect.) Victimes pour les uns, barbares pour les autres : peu importe, l’essentiel est de faire de l’audience et, on le sait, la guerre des cités, c’est de la bonne came. Inutile de demander aux journalistes d’arrêter de la dealer au citoyen accro. « Ce serait de la censure ! » Peut-être. Reste qu’il suffirait d’imposer un couvre-feu médiatique pour arrêter l’engrenage. Mais justement, ce n’est pas l’objectif. « Il n’y a pas de contagion, les autres banlieues ne s’embrasent pas », pouvait-on entendre mardi sur toutes les ondes. Jusqu’ici, tout va bien.

Bon sang, qu’est-ce qu’ils foutent ces jeunes ? On va encore attendre longtemps ?

France-Maroc : match nul ou non advenu ?

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Les faits
L’Equipe du 20 novembre les relate parfaitement dans le compte rendu de ce match « amical » : une Marseillaise sifflée de bout en bout par 60 000 spectateurs venus de toute la France soutenir l’équipe marocaine et des Bleus systématiquement hués quand ils avaient la balle. Enfin, pas tous les Bleus. Toujours d’après l’Equipe : « Les seuls à avoir échappé à la bronca ont été Karin Benzema, Hatem Ben Arfa et Samir Nasri, tous trois de confession musulmane. Ce fut le cas également pour Franck Ribéry et Nicolas Anelka, les convertis ».

Le problème
L’événement est donc rien moins qu’anodin. Il aurait dû faire l’ouverture des journaux télévisés ou la une des quotidiens. Et pourtant, vous n’en avez probablement pas entendu parler. A moins d’avoir lu Le Canard Enchaîné de mercredi dernier, ou écouté le même jour sur Europe 1 la revue de presse de l’excellent Michel Grossiord. Ajoutez à cela une longue lamentation de Rioufol dans son bloc-notes du Figaro, qui déduit logiquement de ces événements qu’il faut privatiser de toute urgence la SNCF, et voilà, c’est tout, ou presque. Pas de mine contrite de la Chazal sur TF1, pas d’échos non plus au 13 heures de France 2, qui le lendemain du match préférait consacrer quatre minutes chrono à l’invasion de New Delhi par des hordes de macaques. Rien, donc, pas même un salutaire ronchonnage d’Eric Zemmour sur iTélé.
N’étant que modérément conspirationniste, je ne pense pas que l’ordre de la fermer soit venu d’en haut. Alors quoi ?

Les hypothèses

– La Gauche s’est tue pour ne pas faire le jeu du Front national ;

– la Droite s’est tue parce que ces désordres, agrémentés d’un conchiage généralisé de l’hymne national, mettent à mal le dogme de l’infaillibilité présidentielle ;

– la plupart des journalistes se sont tus parce que l’envoyé spécial du Monde au Stade de France n’a rien vu et rien entendu ;

– les télés se sont tues parce que c’est quand même un peu trop compliqué, cette histoire d’arabes qui insultent des noirs parce qu’ils sont français mais applaudissent des Français parce qu’ils sont musulmans ;

– les associations antiracistes se sont tues parce que les coupables avaient des profils de victimes ;

– Fadela Amara s’est tue parce qu’il ne faut pas stigmatiser les jeunes issus de l’immigration, sans quoi on aurait peut-être risqué d’avoir des émeutes en banlieue ces jours-ci ;

Bref, si on n’a pas parlé du match France-Maroc, c’est tout bêtement parce qu’il est advenu dans une zone de non-droit à l’information.