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Colossale finesse

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C’était une blague, vous savez, ce truc qui fait rire – enfin qui faisait rire à l’époque où le second degré n’avait pas encore été aboli et la raillerie bannie. L’espace d’une journée, c’est devenu une affaire.

Lundi soir, pour compléter le billet caustique de notre hilarante chroniqueuse Trudi Kohl sur les amours présidentielles, notre webmestre, qui ne manque ni de talent ni d’humour, suggère de créer un lien permettant d’acquérir par l’intermédiaire de fnac.com (entreprise à laquelle Causeur est affilié comme un grand nombre de sites) non seulement le dernier disque de la belle mais aussi le nouvel iPod à écran tactile d’Apple. En y ajoutant une innocente plaisanterie dans laquelle il est question d’écouter et de tripoter la dame comme à l’Elysée (à la réflexion, câliner eut peut-être été plus heureux). Admettons qu’il n’y a pas là de quoi concourir au festival de la dentelle. Mais pas non plus de quoi provoquer la troisième guerre mondiale. Sur ces entrefaites, la rédaction de Causeur ferme boutique pour la nuit.

Funeste erreur ! Nous n’avions pas imaginé un instant, en effet, que certains allaient prendre au sérieux notre colossale finesse. Or, après la publication d’un billet de Guy Birenbaum, la mayonnaise monte sur certains sites de discussion, notamment ceux des fondus d’Apple – au passage, on peut se demander comment des biens de consommation peuvent susciter l’engouement, l’adhésion, bref mobiliser des affects, au point que leurs utilisateurs aient le sentiment de former une communauté : vous sentez-vous proche des gens qui ont la même bagnole que vous ?

Pendant que nous vaquons à nos autres occupations, la machine à rumeur carbure. Diverses théories du complot s’échafaudent, certains internautes finissant par penser que le PDG de la Fnac a présenté la chanteuse au président dans le seul but de vendre des iPods sur causeur.fr. Mais aucun d’entre nous n’a vraiment conscience de l’agitation qui s’est emparée de la planète internet. D’ailleurs, à la Fnac, on ne semble pas prendre la chose au tragique. En l’absence de réaction, c’est en tout cas ce que nous pensons – à tort. Sollicités par le Post, la plate-forme interactive du Monde, nous commençons à comprendre que notre canular a marché au-delà de nos espérances. (Puisque nous n’espérions pas mystifier qui que ce soit).

Vers 18 heures, lorsque nous parvient un courriel assez furax dans lequel il est question de l’image de l’entreprise, nous sommes tous en vadrouille. Dans la soirée, un communiqué de « l’agitateur d’idées » déclare que l’entreprise est parfaitement étrangère à cette publicité mais mentionne par erreur causer.fr qui se trouve être un site de « rendez vous coquins » et de « rencontres entre libertins ». Halévy et Offenbach n’auraient pas fait mieux. Espérons que cette méprise aura fait rire ses auteurs.

Plus c’est gros, plus ça marche : c’est la première leçon de cette affaire. Des milliers d’internautes – et quelques journalistes – ont donc vraiment cru quelques heures durant, que la Fnac pouvait être à l’origine de cette « vraie-fausse publicité ». On ne peut même pas exclure totalement que quelques-uns aient vraiment cru qu’en achetant l’objet, ils pourraient toucher la dame.

La deuxième morale de l’histoire est que, s’il est une chose avec laquelle on ne rigole pas, c’est l’image des marques. Vous pouvez vous gausser comme bon vous semble du président de la République, brocarder Kadhafi tout à loisir, mais certainement pas vous payer la fiole d’un produit ou d’une entreprise. Répétons que nous n’avons nullement voulu attenter à l’honneur de Carla Bruni, du président de la République, de la Fnac ou de l’iPod. D’ailleurs, nous avons volontiers modifié le commentaire vantant les mérites de l’appareil. Comme dirait Nicolas Sarkozy, l’incident est clos.

Kadhafi au Louvre, Sarkozy à Eurodisney

Croyez-nous, il ne s’agit ni de jalousie (féminine) ni de concupiscence (masculine). Nous n’avons rien à redire au fait que le président ait choisi une femme que bon nombre de Français convoitent – peut-être est-ce précisément ce qui le fait craquer. Après tout, il a dû en rêver, ado, d’avoir la plus belle fille de la classe, plus encore que de présider le plus beau pays du monde. Il faut reconnaître, quoi que nous en ayons que, la Bruni, elle a de la classe : intello, polyglotte, de bonne famille, elle est zéro défaut (on ne se joindra pas ici aux moqueurs qui plaisantent sur sa voix). La belle-fille dont la France rêvait. Et puis, après une Espagnole, une Italienne, ça vous a un petit genre multiculturel du meilleur aloi. Tant qu’il ne s’amourache pas d’une Autrichienne…

Certes, on peut trouver qu’il s’est bien vite consolé du grand chagrin d’amour causé par le départ de Cécilia. La vitesse à laquelle il s’est délivré du statut de célibataire montre à quel point le président a horreur du vide. Pour lui, être seul avec lui-même, c’est être seul tout court. Au point qu’on a du mal à l’imaginer plongé dans un dossier ou dans un roman, ou encore méditant face à la mer. Hors de la relation, point de salut. Le président est shooté à l’Autre. S’agissant du chef de l’Etat, cette addiction est inquiétante mais c’est une autre affaire.

Pourtant, quelque chose ne passe pas. Que le président de la République ait choisi Eurodisney pour s’afficher avec sa fiancée quand Khadafi et ses amazones se montraient au Louvre, voilà qui est franchement humiliant. Certes, le « Guide » dont on nous a dit sur tous les tons qu’il était un peu fruste, a parcouru le musée au pas de charge, s’extasiant sur la Joconde et le Radeau de la Méduse, ce qui ne témoigne pas d’un raffinement exagéré. Au moins a-t-il visité un temple de la culture française.

Choisir le royaume de Mickey pour une escapade amoureuse (même avec enfants), il fallait oser. (Le Parc Astérix n’aurait pas été plus acceptable). Si on ajoute Eurodisney à la liste des choses qu’affectionne Nicolas Sarkozy – Fouquet’s, Paloma, maison de vacances dans le plus pur style Dynasty, Rolex et compagnie – il y a de quoi être accablé. Les goûts du président sont de moins en moins convenables pour un président.

Soyons clairs. Si Nicolas Sarkozy aime manger des hamburgers, lire du Marc Lévy et écouter du Johnny Hallyday, grand bien lui fasse. Qu’il carbure au Coca light, c’est son choix. Il peut tout aussi bien s’empiffrer de barbapapa et jouer au cow boy. C’est sa vie privée et nous la respectons. Mais qu’il se cache ! On a vidé le Louvre pour Khadafi, on peut bien ouvrir Eurodisney la nuit pour Sarkozy. S’il veut montrer sa fiancée, qu’il l’emmène à la Comédie Française. Ou à Beaubourg. Ou à l’opéra (elle doit aimer ça).

Sarkozy est libre de choisir ses amoureuses et ses loisirs. Mais en public, il ne s’appartient plus. Il appartient à la France. Il est le symbole de la France. Et que cela lui plaise ou non, la France est une vieille idée qui a partie liée avec la culture, le passé, la grandeur. Mère des arts, des armes et des lois, comme disait l’autre. « Tout cela est fini », répète-t-on. Peut-être : ce n’est pas au président de constater le décès. Il n’a pas seulement été élu pour gouverner la France mais pour l’incarner. Merde, Paris vaut bien un après-midi au Louvre.

Sarkozy a une ouverture

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Les hommes sont tous les mêmes. Depuis samedi, Willy me fait la gueule. Toute la semaine, je l’avais vu se réjouir à l’idée d’aller dimanche chez les Loewenberg manger des brocolis nature et des navets bio, arrosés d’un jus de betterave 100 % écolo, un simili-ersatz de château Petrus pour le Joshka Fischer de pacotille que j’ai à la maison. Samedi, j’ai dû appeler Frau Loewenberg pour lui dire que Willy se mourait dans son lit d’une angine blanche et que le Dr Reuter était à deux doigts de le faire hospitaliser dans la clinique de la Forêt Noire.

Willy n’était pas malade. Il me faisait juste la gueule. J’avais beau m’enquérir de son état, chaque fois il grommelait à mon visage quelques onomatopées distraites. Ceux qui ne connaissent pas l’Allemagne (ou qui la connaissent, mais ignorent tout de notre façon de parler dans le Bade-Wurtemberg) mésestiment certainement la puissance borborygmique du haut-allemand moyen.

J’ai donc décidé de quitter le domicile conjugal pour aller me réfugier chez Markus Pftizer, mon coiffeur (je conseille à toutes celles qui veulent quitter le domicile conjugal d’aller chez leur coiffeur plutôt que chez leur amant : aucun juge sensé ne pourrait retenir cela comme une charge en cas de divorce).

Le salon bruissait de mille rumeurs ; c’était une effervescence sans pareil. Les cliquetis des ciseaux et des peignes, le vrombissement des sèche-cheveux, le tintement des flacons de laque s’éteignaient derrière un caquètement permanent. Chacune y allait de son couplet : « Sarkozy sort avec Carla Bruni… On les a vus à Disneyland… Un coup dans le yacht fantôme, un autre dans la Montagne magique. Et vice-versa… La seule attraction qu’ils aient évitée, c’est la maison de Blanche Neige : ça faisait six de trop. »

Lorsque je suis rentrée à la maison, Willy se morfondait :

– Alors, lui ai-je dit, c’est Carla Bruni qui te met dans ces états ?
– Non !
– Alors qui ? Sarkozy ?
– Oui !
– Et pourquoi, Willy, Sarkozy te rend-il malade ? Il n’a pas décidé de reprendre les essais nucléaires français au fond du jardin quand même !
– Il a ce que tous les hommes veulent avoir : une femme sans voix.

Henri Guaino tient sa vengeance sur BHL.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

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L’âge des ténèbres

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Vous avez moins de quarante ans ? Vous avez donc la chance de n’avoir pas connu ces temps obscurs, ces âges heureusement révolus où les « femmes françaises » étaient soumises à la biblique malédiction de l’enfantement. Ayant tiré le mauvais numéro à la loterie de la biologie, elles étaient frappées d’inutilité. Oui, inconscients que vous êtes, « il y a quarante ans, les femmes françaises ne savaient plus que faire de leur fécondité ». (Des enfants ? Vous n’y pensez pas !) Cette phrase extraordinaire a été prononcée au matin du 14 décembre 2007 par Hélène Cardin, honorable journaliste « santé » officiant pour France Inter, le fleuron de notre radio publique, dans une ode vibrante à la gloire de l’homme qui a libéré les femmes – Lucien Neuwirth, le sénateur gaulliste à qui l’on doit la légalisation de la pilule.

Notre courageuse chroniqueuse risque d’être déçue, elle qui aimerait tant pourfendre les ennemis de la liberté. Cette liberté-là n’a plus guère d’ennemi. Pas ici en tout cas. Grâce à la pilule, la fatalité biologique a cédé la place à la vie choisie. On ne s’en plaindra pas[1. On peut cependant se demander pourquoi, depuis que la grossesse est choisie, elle est vécue comme une maladie, ainsi que me le fait remarquer un ami désabusé. Ce sera l’objet d’un prochain texte.].

On peut cependant s’étonner d’entendre proférer sur les ondes publiques de telles âneries. La bêtise est parfois amusante, souvent énervante – et, en fin de compte, toujours désarmante. En l’occurrence elle est aussi édifiante. Car elle révèle les ravages de l’idéologie que l’on qualifiera, en hommage à Jack Lang, de lombralalumiériste. En effet, l’homme à qui l’on doit presque autant de reconnaissance qu’à Lucien Neuwirth, puisqu’il inventa la Fête de la Musique, fut aussi celui qui, redonna ses lettres de noblesse au lombralaumiérisme, injustement décrié depuis que le grand Robespierre fit prévaloir sa version guillotineuse. Or, on se rappelle que Jack Lang put proclamer sans ciller que, le 10 mai 1981, les « Français avaient franchi le passage de l’ombre à la lumière ». (A observer son rafraîchissant enthousiasme pour Sarko Ier, il faut croire que le 6 mai 2007, nous avons carrément dépassé la vitesse de la lumière).

Quel rapport, vous demandez-vous entre le pimpant ministrable et l’admiratrice du sénateur Neuwirth qui, bien que gaulliste, était « bien de sa personne et aimait les femmes » ? Eh bien, justement, l’idéologie ! Oui, Hélène Cardin ne le sait pas, mais elle a des idées. Une vision du monde. Laquelle, certes, tient en peu de mots, mais tout de même : avant c’était l’horreur, aujourd’hui c’est vachement bien et demain, ce sera encore mieux. Donc, la dame nous rappelle que grâce à Neuwirth et à sa pilule magique, « les femmes françaises maitrisent le plaisir de faire l’amour ». En somme, la sexualité a commencé en 1967. Jusque-là, ce furent des millénaires d’enfantements non planifiés avec leur cortège de frustrations et de plaisir non maitrisé. « Grâce à Lucien Neuwirth, le bienfaiteur des femmes françaises, il y a quarante ans, tout a changé », conclut hardiment notre enfonceuse de portes ouvertes. Oui, cette date devrait être considérée comme l’an zéro d’une nouvelle ère. Depuis, nous jouissons sans entraves – et même sans partenaire grâce à nos sex toys achetés chez Sonia Rykiel (faut ce qu’il faut). Et en prime, nous pouvons nous rendre en Vélib à un débat participatif ou à un happening pour les sans-logis.

Qu’on se rassure, je n’ai nullement envie de nier les bienfaits de la science et de la technologie. Personne ne souhaite revenir à un monde dans lequel il n’y avait ni pilule, ni antibiotiques, ni aspirateur. Mais il y a quelque chose de profondément pervers dans l’idée que le monde a commencé avec nous. Sous couvert d’exprimer sa gratitude à un homme, Hélène Cardin nous dispense en fait de toute gratitude à l’égard du passé. Ouste ! Du balai ! Ceux qui nous ont précédés ne méritent que coups de pieds aux fesses, ces obscurantistes qui n’avaient aucune idée de ce qu’était la libération sexuelle.

La chose amusante, ou peut-être inquiétante, avec les Hélène Cardin qui sont légion dans nos médias, est que derrière leurs airs libertaires, ces aimables personnes cultivent un petit genre « commissaire politique ». L’idée qu’on peut avoir de l’existence une autre conception que la leur ne leur traverse pas l’esprit. Plus précisément, elles considèrent que les dangereux criminels qui n’adhèreraient pas au point de vue conforme avec l’enthousiasme requis auraient bien besoin d’une bonne rééducation. Vous n’avez pas d’autre choix que celui d’être pro-choice. Moi aussi, j’ai envie de remercier Lucien Neuwirth. Je n’en trouve pas moins furieusement barbante la liberté obligatoire pour tous.

Un référendum ? Non merci !

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Toute ressemblance avec une Constitution rejetée il y a deux ans est purement fortuite. Puisqu’on vous dit que le texte paraphé à Lisbonne par les dirigeants européens n’est pas une Constitution, mais un modeste traité modificatif – simplifié de surcroît. Admettons. Peut-être même est-ce parfaitement exact, juridiquement parlant. Reste que j’ai tout de même l’impression qu’on fait ingurgiter aux Français en petits morceaux le plat dont ils n’ont pas voulu il y a trente mois. Et, au risque de choquer, j’ajouterai que c’est tant mieux. Oui, vous avez bien lu : ce que d’aucuns considèrent comme un « déni de démocratie » me parait parfaitement légitime. Le président Sarkozy devrait l’assumer pleinement.

Des Constitutions (et des traités modificatifs), il ne faut pas juger avec des yeux d’avocat mais avec ceux de l’historien. La lettre des textes, au fond, importe peu – les Américains se débrouillent assez bien avec le leur qui est vieux de deux siècles. L’essentiel, c’est leur esprit qui s’incarne dans des institutions. La première qualité d’une Constitution, disait Napoléon, est d’être vague. En matière européenne, ce sont les lois votées par les Parlements et interprétées par les juridictions nationales qui comptent. En conséquence, appelez-le comme ça vous chante – « nouveau », « simplifié »… – le Traité de Lisbonne est bien le jumeau du texte rejeté sans ambiguïté par les Français et les Hollandais en mai 2005.

Laissons donc là le débat juridique pour nous intéresser au seul qui vaille en l’occurrence, le débat politique. La question européenne fait ressurgir le clivage entre gouvernés et gouvernants, que la théorie démocratique a tout intérêt à planquer sous le tapis puisque les seconds sont supposés être de pures émanations des premiers. Il suffit d’entendre Jack Lang tresser des lauriers à Nicolas Sarkozy pour se rappeler que l’Europe ne sépare pas la droite de la gauche mais dresse les citoyens contre leurs dirigeants (encore que ces louanges ont peut-être, qui sait, une autre fonction…). Toutes obédiences confondues, la classe dirigeante française (du moins celle qui représente les partis dits de gouvernement) partage trois certitudes. Primo, la construction européenne est un intérêt vital de la France ; secundo, la Constitution rejetée en mai 2005 était la « moins pire » des façons de consolider l’Union ; tertio, la victoire du « non » a traduit une panne générale de la confiance politique bien plus qu’un refus de l’Europe. Les Français ont dit « non » à Chirac bien plus qu’à la Constitution.

Forts de cette conviction, les principaux politiciens français soutiennent le tour de passe-passe réalisé par Sarko-Majax qui a transformé une Constitution en mini-traité comme d’autres changent des lapins en colombes. Ils ont bien raison. S’il ne s’était pas engagé à choisir la ratification parlementaire, le président français n’aurait jamais convaincu ses partenaires européens de négocier ce nouveau texte. Or, le train de l’Europe a déjà quitté la gare et la France n’en est plus à se demander si elle va monter dedans ou pas : il lui faut batailler pour être dans la locomotive – aux commandes. Le point de non-retour a été atteint dans les années 80 et 90 du XXe siècle, quand les citoyens ont accepté l’intégration de leur « cher et vieux pays » à un ensemble plus vaste. Dès lors, les intérêts vitaux de l’Europe faisaient partie des intérêts vitaux de la France. Autrement dit, nous avons déjà quitté l’Etat-nation classique pour nous diriger vers une Europe capable d’assumer les compétences que lui ont déléguées les Etats. Nous sommes au milieu du chemin, dans un terrain vague exposé à tous les vents mauvais. Il faut le traverser en courant.

Histoire d’aggraver mon cas, j’ajouterai que le président était légitime à contourner le suffrage universel – car c’est bien ce qu’il a fait. Il n’a pas seulement respecté une promesse électorale, il a aussi mis en œuvre un engagement des deux autres prétendants majeurs. Et puis, on ne peut pas dire que les Français ont été pris en traitres comme des consommateurs abusés par des clauses en tout petits caractères sur un contrat. Les électeurs ne pouvaient pas ignorer que Nicolas Sarkozy leur repasserait le plat constitutionnel. Sans référendum. J’ai envie d’en conclure que les Français sont moins anti-européens que beaucoup de mes amis. Mais peut-être veulent-ils qu’on leur force un peu la main.

Calendes grecques

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De tous les Premiers ministres qu’a comptés la France, Jean-Pierre Raffarin fut assurément celui qui s’illustra le moins par la subtilité. On le sait : sa brutalité lui valut très vite de se tailler une réputation exécrable dans le monde entier. Même les Iraniens – peu regardants d’habitude sur les hommes d’Etat mal dégrossis – le qualifièrent de « Raf’ sans génie ».

Mais c’est bien en France que l’Attila de Poitiers commit ses pires méfaits, laissant à Dominique de Villepin le soin de terroriser de son magnifique verbe le reste du monde. C’est ainsi que l’on vit Raffarin le Sanguinaire priver des millions de Français de leur sacro-saint lundi de Pentecôte, ce jour béni entre tous qui servait, depuis la nuit des temps, à digérer la pièce montée et le mauvais vin ingurgité la veille à la communion du petit dernier.

En supprimant cette journée, le Beria de chez Jacques Vabre précipita le déclin de la France : comment des millions de travailleurs exténués par 35 horribles heures de travail harassant pouvaient-ils continuer à être productifs ? Toute la semaine, du lundi matin au jeudi après-midi, quand le Français descend à la mine ou conduit sa locomotive à vapeur, c’est au lundi de Pentecôte qu’il pense encore.

Il semblerait que le nouveau régime ait décidé d’aller plus loin dans l’ignominie. Sous son air polissé[1. Qu’il est agréable de savoir qu’aucun correcteur pasquaïen ne viendra sournoisement écrire « policé » derrière mon dos !], François Fillon a habilement manœuvré pour qu’un deuxième jour férié soit supprimé en France : dans le secret de l’Hôtel Matignon, enfermé avec quelques obscurs conseillers, il a décidé qu’en 2008 le Jeudi de l’Ascension se déroulerait le 1er Mai ! En fusionnant ces deux jours fériés, le Premier ministre oblige les Français à travailler une journée de plus dans l’année !

S’il venait à l’esprit de notre chancelière de manigancer une telle chose, l’ensemble des syndicats et des partis politiques allemands (des néo-communistes de l’Est jusqu’à la bavaroise et très catholique CSU) se mobiliserait pour parler d’une seule voix.

Le moment venu, il est fort à parier qu’il y aura bien, en France, quelques protestations de circonstance. Le patron de la CGT, Bernard Thibaut, se fendra certainement d’un communiqué s’indignant de voir une fête catholique mêlée à la fête du Travail : « On ne mélange pas les curetons avec les Soviets ! » Quant à la Conférence épiscopale française, elle publiera un communiqué expliquant que le Christ était le premier communiste de l’histoire – les évêques saisissant au vol une irremplaçable occasion de faire repentance pour des crimes qu’ils n’ont pas commis, nec plus ultra de l’autoflagellation.

Mais tous ces atermoiements ne serviront à rien. Quand on songe que le Nouvel An 2009 tombera en France un vendredi 13, on est vraiment en droit de se poser la question : le gouvernement français n’aurait-il pas dû supprimer purement et simplement les 35 heures, plutôt que de se lancer dans autant de circonvolutions ?

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Tous victimes du grand méchant blanc ?

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Il y a un point commun entre l’Algérie et nos banlieues. Inutile de sortir les grands chevaux et les mots qui vont avec, on ne lira point ici de statistiques ethniques. Il s’agit d’autre chose, de ce cri qui, nous dit-on, jaillit à l’identique de toutes les poitrines. Tous victimes ! A ce qu’il paraît, le peuple algérien et celui des cités souffriraient pareillement d’un déficit de reconnaissance. Mais pas de n’importe quelle reconnaissance : ce que les uns et les autres veulent qu’on reconnaisse n’a rien à voir avec leurs mérites ou leurs talents. Leur identité réside dans le mal qu’on leur a fait, à eux, leurs parents ou leurs grands-parents (car le statut victimaire se transmet, ainsi que nous l’enseignent les lointains descendants d’esclaves). Je suis victime donc je suis.

A ce sujet, les attaques répétées contre les sociologues sont injustes. Nous n’avons pas de meilleurs interprètes du socialement, politiquement et culturellement correct. L’excellent Laurent Mucchielli qui ne manque jamais une occasion de recouvrir la réalité d’un voile bien-pensant mérite la palme d’or – que ne l’a-t-on envoyé en Algérie dans la suite présidentielle. Sur France Culture, après une nuit au cours de laquelle plus de 60 policiers avaient été blessés tandis qu’une bibliothèque et deux écoles étaient incendiées, l’excellent garçon s’indigna que l’on pût parler de violences urbaines. « Moi je n’utilise pas ce terme qui est celui de la police », affirma-t-il solennellement. Faudra-t-il désormais dire, comme pour les manifestations, « violences urbaines pour la police, légitime rébellion pour les travailleurs sociaux ? »

Après cette mise en bouche, Mucchielli lâcha le morceau. Les habitants du quartier, expliqua-t-il, n’avaient pas supporté que les policiers aient été si rapidement mis hors de cause – cela les avait rendus un peu nerveux. Beaucoup de gens – et pas seulement les mucchiellistes – se sont émus de la rapidité avec laquelle le Procureur s’est prononcé. On voit mal en quoi il serait surprenant ou choquant que les pouvoirs publics aient voulu calmer le jeu le plus vite possible (à moins, bien sûr, que l’on apprenne un jour que la proc avait manipulé les faits). Par ailleurs, peut-être n’est-il pas nécessaire de mener une longue enquête pour déterminer les circonstances d’un accident quand bien même il aurait mis en jeu une voiture de police.

Justement, il fallait que la mort des deux adolescents n’ait point été un accident pour qu’elle pût devenir le symbole du tort fait par la société à l’ensemble des habitants des cités. « Ce qu’attendent les familles et, au-delà d’elles l’ensemble du quartier, c’est qu’on leur reconnaisse le statut de victimes, déclara l’ineffable sociologue. Et il faut que cette reconnaissance soit officielle. Un coup de fil donné en catimini par un conseiller élyséen ne serait d’aucune utilité. » (Au fait, s’ils tiennent tant à ce qu’on les reconnaisse, pourquoi portent-ils des cagoules ?)

Difficile, à ce stade, d’éviter l’analogie avec la revendication algérienne de repentance. D’Alger à Villiers le Bel, on attendrait, en somme, que la France demande pardon à ceux qu’elle a humiliés et offensés, conférant ainsi aux récipiendaires de ces excuses d’Etat le titre de « victimes ». Certes, dans le second cas, ces excuses sont réclamées par des Français. Sauf que ce sont précisément ceux qui désignent leurs concitoyens par le terme de Gaulois (entendez blancs). Il y a un ou deux ans, ils se définissaient comme les Indigènes de la République, affirmant explicitement que la France reconduisait à l’endroit des fils l’oppression coloniale pratiquée envers les pères. La similitude entre les deux revendications n’est pas une coïncidence. Il faut d’ailleurs souligner que, dans les deux cas, l’obsession accusatoire est le fait d’une minorité. A Villiers-le-Bel comme à Alger, la majorité silencieuse pense à autre chose qu’à présenter éternellement la même addition.

Que le présent soit le fruit du passé est une tautologie. Les injustices de la colonisation, pour parler comme le président, expliquent assurément une partie des problèmes présents de l’Algérie dans la même mesure que les embrouilles de nos parents sont à l’origine de celles que nous vivons. Pour autant, l’hérédité ne saurait être l’alibi universel de l’impuissance.

Comme l’a parfaitement analysé Aviad Kleinberg, l’exigence de repentance vise à se délivrer de toute responsabilité en imputant ses malheurs au débit d’autrui. Allons un peu plus loin. Après tout, les Algériens pourraient faire porter le chapeau de leurs malheurs à Houari Boumedienne. Mais il faut en outre que le coupable soit un grand méchant autre. Ainsi le caïd des cités ne prend-il la pose de l’opprimé que face à la caméra, au militant associatif ou au ministre qui, à des titres divers, incarnent symboliquement le dominant (y compris quand il est rongé par la culpabilité). Dans sa cité, le caïd est un caïd. Il montre ses muscles. Il ne tient surtout pas, quoi qu’en pensent tous les Mucchielli, à être reconnu comme une victime. « Les jeunes hommes sont pris dans des jeux de virilité », explique notre malheurologue sans avoir la moindre conscience du fait que ces jeux d’hommes peuvent sembler légèrement contradictoires avec la revendication victimale dont il se fait le héraut. Dans « les quartiers », le faible est méprisé. De même, le potentat algérien dont la dignité exige que la France se repente de la colonisation peut-il, sans le moindre scrupule, faire suer le burnous à ses concitoyens comme peu de colons auraient osé le faire.

C’est en Occident et en Occident seulement que le titre de victime paraît enviable au point d’engendrer une concurrence frénétique entre groupes et individus susceptibles d’y prétendre. En postulant, ainsi que l’a observé René Girard, l’innocence de la victime, le christianisme a contribué à placer cette figure sur un piédestal. La victime a toujours raison. Sur ce terreau culturellement favorable, des siècles d’histoire ont conduit à délégitimer l’idée même de la puissance – non sans quelques bonnes raisons. Dans la cour des « Gaulois », la faiblesse est devenue une force. Le risque étant qu’à un certain point de retournement, la loi du régime victimaire devienne « faible avec le fort, fort avec le faible ». Nicolas Sarkozy se trompe : ce n’est pas la voyoucratie qui nous menace mais la victimocratie.

Khadafithon

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Ce matin, je me suis réveillée avec les idées noires. J’espère que la currywurst que j’ai mangée hier soir au marché de Noël de Stuttgart n’était pas avariée. Willy, mon mari, me dit que non. Il connaît les vrais fautifs : Karlheinz Stockhausen et Mouammar Khadafi.

Avec la mort du premier, c’est l’un des plus grands compositeurs contemporains qui disparaît. De la musique savante à la pop music, son influence était telle qu’on le qualifie depuis longtemps de Beethoven du XXe siècle. Aux yeux de Stockhausen, tout était art, même les attentats du 11 septembre 2001, dont il disait qu’ils étaient « la plus grande oeuvre d’art totale jamais réalisée ». Quel grand esprit ! En mourant dans son lit, à domicile, Stockhausen aura réalisé la seule oeuvre d’art minimaliste de sa carrière.

Quant à Mouammar Khadafi, il n’est pas mort (enfin, pas autant que Fidel Castro). Il vient faire du tourisme à Paris. Le Guide de la grande révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste est un artiste en son genre. Il a contribué à renouveler la littérature militante, en repeignant en vert le Livre rouge de Mao. C’est aussi un pionnier de l’écologie : afin d’économiser le papier (et réduire ainsi la déforestation amazonienne), aucun bulletin de vote n’a été produit dans toute la Lybie depuis 1970. Enfin, avant d’entamer une carrière de saint Bulgare et de remiser les explosifs au placard, le colonel Khadafi a été célébré dans le monde entier pour exactement les mêmes raisons que Karlheinz Stockhausen : la rapidité d’exécution.

Le petit problème est que l’excursion parisienne du dirigeant lybien n’a pas l’heur de plaire à tout le monde. François Hollande récrimine, Bernard-Henri Lévy trépigne, Pierre Moscovici s’indigne et Ségolène Royal n’a rien à rajouter. Khadafi aura réussi le tour de force d’unir tous les socialistes français. Cet homme-là est bien parti pour finir premier secrétaire.

Néanmoins, de cette unanimité socialiste, on dénombre déjà une victime : le socialiste suisse Jean Ziegler. Cofondateur du Prix Khadafi des droits de l’Homme[1. Créé par Jean Ziegler et Mouammar Khadafi en 1988, le prix Khadafi récompense des personnalités reconnues pour leur action résolue en faveur des droits de l’Homme, comme Fidel Castro (1998) ou Hugo Chavez (2004). Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Jean Ziegler a lui-même été distingué par le prix Khadafi. C’était en 2002, aux côtés d’un défenseur acharné des droits de l’Homme s’il en est : Robert Faurisson.], il vient certainement de perdre tous ses amis d’une gauche française qui voyait en lui jusqu’à peu l’un des champions de l’altermondialisme et le considérait comme une référence indépassable.

Mais tout cela ne devrait pas empêcher Nicolas Sarkozy d’organiser correctement son Khadafithon.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Etudier plus pour gagner moins

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S’il y a une chose sur laquelle universitaires et chercheurs de droite, de gauche, du centre et d’ailleurs sont tous d’accord, c’est sur le fait qu’ils sont mal payés, mais alors très mal payés. Vous me direz qu’ils sont comme tout le monde. Tout le monde se considère mal payé, c’est pour ainsi dire la loi du siècle. Sauf qu’en l’occurrence, ce sont les seuls fonctionnaires français à avoir subi une telle érosion de leur pouvoir d’achat, pas moins de 25 % de baisse en 20 ans. A ce niveau, on peut parler de chute libre. Pourquoi, dès lors, n’en entendons-nous pas parler ? Je me suis longuement interrogé sur cet étrange silence et après enquête auprès de mes collègues d’horizons scientifiques les plus divers, unanimes pour constater le désastre, il semble que ce silence provient d’une pudeur particulière propre au milieu académique, une vague honte à l’idée de défendre une revendication financière.

Les universitaires peuvent être politiquement engagés, pétitionner pour des causes sociales diverses et variées. Ils ne descendent pas dans la rue pour eux-mêmes. Même ceux qui se situent le plus à gauche paraissent animés par un sentiment aristocratique qui les empêche de « s’abaisser » à demander l’aumône.

Je crois pourtant qu’il faut nous réveiller et dire enfin la réalité de notre situation. Nous sommes les hauts fonctionnaires – parce que nous sommes théoriquement des hauts fonctionnaires, au même titre que les conseillers d’Etat, généraux, ambassadeurs, administrateurs civils, préfets, etc. – les moins bien payés de la République et de loin. Les Professeurs des universités, titre assez ronflant si l’on y songe, ont beau être nommés par décret du Président de la République – pris en Conseil des ministres s’il vous plaît ! – ils sont beaucoup moins rétribués que tous les membres des autres corps « d’élite » nommés selon la même procédure.

Dans la fonction publique française, le niveau de rémunération obéit à deux lois simples indépendantes de l’effort, de la compétence et de l’utilité publique. La première concerne l’ensemble des fonctionnaires et peut s’énoncer ainsi : les agents jouissant d’une visibilité particulière, suffisamment nombreux et organisés pour descendre massivement dans la rue, capables, par la nature de leur activité, de bloquer ou de perturber le fonctionnement normal de la vie civile sont mieux payés que les autres et bénéficient de plus d’avantages sur tous les plans. La seconde, moins connue du public, concerne exclusivement les hauts fonctionnaires : plus on est proche de la caisse et du pouvoir, mieux on est payé. Principe aisément démontrable empiriquement. Les Trésoriers payeurs généraux qui sont en quelque sorte les comptables de la République, sont en moyenne les hauts fonctionnaires les mieux rémunérés de France, suivis de près par les membres de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat. Concernant le Conseil d’Etat qui a vocation à fourrer son nez, pour avis, dans les affaires des autres et qui, au fond, contrôle son propre statut, cela n’est guère étonnant. Mais le pire est que la haute assemblée qui semble se vivre comme une « noblesse d’Etat » donne souvent le sentiment de vouloir défendre ses privilèges. C’est ainsi qu’elle a fait traîner durant des années une réforme alignant la progression de carrière des directeurs d’hôpital sur celle des administrateurs civils, ne lâchant un avis favorable qu’après un véritable bras de fer.

Seulement, il est inutile d’espérer une telle résistance des universitaires. Parents pauvres de la haute fonction publique, pusillanimes, soumis, pudiques jusqu’à la pudibonderie face à l’argent, éloignés de la caisse comme du pouvoir, ils peuvent être traités sans le moindre égard. Aussi est-il piquant mais guère surprenant d’entendre notre bonne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, conseillère d’Etat bien mieux payée qu’un chercheurs, décréter que nous sommes encore trop rémunérés et que nous ne travaillons pas assez, sachant au passage qu’elle n’a aucune idée du type de travail que nous fournissons.

Questions d’actualité

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Si la Colombie envisage de confier la médiation en vue de la libération d’Ingrid Bétancourt à Nicolas Sarkozy, est-ce parce qu’il a réussi à libérer 20 millions de Français otages-des-syndicats-marxistes ?[1. © Yvan Rioufol, Le Figaro.]

Le gouvernement a décidé de supprimer l’exonération de la redevance dont bénéficiaient 800 000 ménages aux revenus modestes. Est-ce une mesure de justice sociale ? – après tout, ce sont eux qui regardent le plus la télé. Ou bien est-ce totalement injuste, puisqu’ils regardent surtout TF1 et M6 ?

Une cruche augmente-t-elle ses chances de réussite quand elle est affublée d’un traître ? Sinon quid de l’opération Panafieu-Cavada ?

Si un travesti tue en série ses amants d’un soir, doit-on parler de crimes homophobes ?

A l’approche des Fêtes, les commissaires-priseurs viennent de porter plainte contre E-bay pour concurrence déloyale. Si les émeutes redémarrent en fin d’année à Villiers-le-Bel, assistera-t-on à une démarche similaire des brûleurs de voitures de Strasbourg ?

Les associations de consommateurs demandent au gouvernement de mener contre l’obésité infantile « la même politique volontariste que s’agissant de lutte contre le tabac ». Il faut donc s’attendre à voir sur les confiseries des avertissements du style « croquer tue » ou « sucer peut provoquer l’impuissance ». Mais n’institue-t-on pas là une nouvelle discrimination vis-à-vis des enfants qui sont à la fois obèses et illettrés ? Par ailleurs, chacun sait que le tabac est un excellent coupe-faim. Pourquoi a-t-on négligé cette prometteuse piste thérapeutique ?

Colossale finesse

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C’était une blague, vous savez, ce truc qui fait rire – enfin qui faisait rire à l’époque où le second degré n’avait pas encore été aboli et la raillerie bannie. L’espace d’une journée, c’est devenu une affaire.

Lundi soir, pour compléter le billet caustique de notre hilarante chroniqueuse Trudi Kohl sur les amours présidentielles, notre webmestre, qui ne manque ni de talent ni d’humour, suggère de créer un lien permettant d’acquérir par l’intermédiaire de fnac.com (entreprise à laquelle Causeur est affilié comme un grand nombre de sites) non seulement le dernier disque de la belle mais aussi le nouvel iPod à écran tactile d’Apple. En y ajoutant une innocente plaisanterie dans laquelle il est question d’écouter et de tripoter la dame comme à l’Elysée (à la réflexion, câliner eut peut-être été plus heureux). Admettons qu’il n’y a pas là de quoi concourir au festival de la dentelle. Mais pas non plus de quoi provoquer la troisième guerre mondiale. Sur ces entrefaites, la rédaction de Causeur ferme boutique pour la nuit.

Funeste erreur ! Nous n’avions pas imaginé un instant, en effet, que certains allaient prendre au sérieux notre colossale finesse. Or, après la publication d’un billet de Guy Birenbaum, la mayonnaise monte sur certains sites de discussion, notamment ceux des fondus d’Apple – au passage, on peut se demander comment des biens de consommation peuvent susciter l’engouement, l’adhésion, bref mobiliser des affects, au point que leurs utilisateurs aient le sentiment de former une communauté : vous sentez-vous proche des gens qui ont la même bagnole que vous ?

Pendant que nous vaquons à nos autres occupations, la machine à rumeur carbure. Diverses théories du complot s’échafaudent, certains internautes finissant par penser que le PDG de la Fnac a présenté la chanteuse au président dans le seul but de vendre des iPods sur causeur.fr. Mais aucun d’entre nous n’a vraiment conscience de l’agitation qui s’est emparée de la planète internet. D’ailleurs, à la Fnac, on ne semble pas prendre la chose au tragique. En l’absence de réaction, c’est en tout cas ce que nous pensons – à tort. Sollicités par le Post, la plate-forme interactive du Monde, nous commençons à comprendre que notre canular a marché au-delà de nos espérances. (Puisque nous n’espérions pas mystifier qui que ce soit).

Vers 18 heures, lorsque nous parvient un courriel assez furax dans lequel il est question de l’image de l’entreprise, nous sommes tous en vadrouille. Dans la soirée, un communiqué de « l’agitateur d’idées » déclare que l’entreprise est parfaitement étrangère à cette publicité mais mentionne par erreur causer.fr qui se trouve être un site de « rendez vous coquins » et de « rencontres entre libertins ». Halévy et Offenbach n’auraient pas fait mieux. Espérons que cette méprise aura fait rire ses auteurs.

Plus c’est gros, plus ça marche : c’est la première leçon de cette affaire. Des milliers d’internautes – et quelques journalistes – ont donc vraiment cru quelques heures durant, que la Fnac pouvait être à l’origine de cette « vraie-fausse publicité ». On ne peut même pas exclure totalement que quelques-uns aient vraiment cru qu’en achetant l’objet, ils pourraient toucher la dame.

La deuxième morale de l’histoire est que, s’il est une chose avec laquelle on ne rigole pas, c’est l’image des marques. Vous pouvez vous gausser comme bon vous semble du président de la République, brocarder Kadhafi tout à loisir, mais certainement pas vous payer la fiole d’un produit ou d’une entreprise. Répétons que nous n’avons nullement voulu attenter à l’honneur de Carla Bruni, du président de la République, de la Fnac ou de l’iPod. D’ailleurs, nous avons volontiers modifié le commentaire vantant les mérites de l’appareil. Comme dirait Nicolas Sarkozy, l’incident est clos.

Kadhafi au Louvre, Sarkozy à Eurodisney

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Croyez-nous, il ne s’agit ni de jalousie (féminine) ni de concupiscence (masculine). Nous n’avons rien à redire au fait que le président ait choisi une femme que bon nombre de Français convoitent – peut-être est-ce précisément ce qui le fait craquer. Après tout, il a dû en rêver, ado, d’avoir la plus belle fille de la classe, plus encore que de présider le plus beau pays du monde. Il faut reconnaître, quoi que nous en ayons que, la Bruni, elle a de la classe : intello, polyglotte, de bonne famille, elle est zéro défaut (on ne se joindra pas ici aux moqueurs qui plaisantent sur sa voix). La belle-fille dont la France rêvait. Et puis, après une Espagnole, une Italienne, ça vous a un petit genre multiculturel du meilleur aloi. Tant qu’il ne s’amourache pas d’une Autrichienne…

Certes, on peut trouver qu’il s’est bien vite consolé du grand chagrin d’amour causé par le départ de Cécilia. La vitesse à laquelle il s’est délivré du statut de célibataire montre à quel point le président a horreur du vide. Pour lui, être seul avec lui-même, c’est être seul tout court. Au point qu’on a du mal à l’imaginer plongé dans un dossier ou dans un roman, ou encore méditant face à la mer. Hors de la relation, point de salut. Le président est shooté à l’Autre. S’agissant du chef de l’Etat, cette addiction est inquiétante mais c’est une autre affaire.

Pourtant, quelque chose ne passe pas. Que le président de la République ait choisi Eurodisney pour s’afficher avec sa fiancée quand Khadafi et ses amazones se montraient au Louvre, voilà qui est franchement humiliant. Certes, le « Guide » dont on nous a dit sur tous les tons qu’il était un peu fruste, a parcouru le musée au pas de charge, s’extasiant sur la Joconde et le Radeau de la Méduse, ce qui ne témoigne pas d’un raffinement exagéré. Au moins a-t-il visité un temple de la culture française.

Choisir le royaume de Mickey pour une escapade amoureuse (même avec enfants), il fallait oser. (Le Parc Astérix n’aurait pas été plus acceptable). Si on ajoute Eurodisney à la liste des choses qu’affectionne Nicolas Sarkozy – Fouquet’s, Paloma, maison de vacances dans le plus pur style Dynasty, Rolex et compagnie – il y a de quoi être accablé. Les goûts du président sont de moins en moins convenables pour un président.

Soyons clairs. Si Nicolas Sarkozy aime manger des hamburgers, lire du Marc Lévy et écouter du Johnny Hallyday, grand bien lui fasse. Qu’il carbure au Coca light, c’est son choix. Il peut tout aussi bien s’empiffrer de barbapapa et jouer au cow boy. C’est sa vie privée et nous la respectons. Mais qu’il se cache ! On a vidé le Louvre pour Khadafi, on peut bien ouvrir Eurodisney la nuit pour Sarkozy. S’il veut montrer sa fiancée, qu’il l’emmène à la Comédie Française. Ou à Beaubourg. Ou à l’opéra (elle doit aimer ça).

Sarkozy est libre de choisir ses amoureuses et ses loisirs. Mais en public, il ne s’appartient plus. Il appartient à la France. Il est le symbole de la France. Et que cela lui plaise ou non, la France est une vieille idée qui a partie liée avec la culture, le passé, la grandeur. Mère des arts, des armes et des lois, comme disait l’autre. « Tout cela est fini », répète-t-on. Peut-être : ce n’est pas au président de constater le décès. Il n’a pas seulement été élu pour gouverner la France mais pour l’incarner. Merde, Paris vaut bien un après-midi au Louvre.

Sarkozy a une ouverture

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Les hommes sont tous les mêmes. Depuis samedi, Willy me fait la gueule. Toute la semaine, je l’avais vu se réjouir à l’idée d’aller dimanche chez les Loewenberg manger des brocolis nature et des navets bio, arrosés d’un jus de betterave 100 % écolo, un simili-ersatz de château Petrus pour le Joshka Fischer de pacotille que j’ai à la maison. Samedi, j’ai dû appeler Frau Loewenberg pour lui dire que Willy se mourait dans son lit d’une angine blanche et que le Dr Reuter était à deux doigts de le faire hospitaliser dans la clinique de la Forêt Noire.

Willy n’était pas malade. Il me faisait juste la gueule. J’avais beau m’enquérir de son état, chaque fois il grommelait à mon visage quelques onomatopées distraites. Ceux qui ne connaissent pas l’Allemagne (ou qui la connaissent, mais ignorent tout de notre façon de parler dans le Bade-Wurtemberg) mésestiment certainement la puissance borborygmique du haut-allemand moyen.

J’ai donc décidé de quitter le domicile conjugal pour aller me réfugier chez Markus Pftizer, mon coiffeur (je conseille à toutes celles qui veulent quitter le domicile conjugal d’aller chez leur coiffeur plutôt que chez leur amant : aucun juge sensé ne pourrait retenir cela comme une charge en cas de divorce).

Le salon bruissait de mille rumeurs ; c’était une effervescence sans pareil. Les cliquetis des ciseaux et des peignes, le vrombissement des sèche-cheveux, le tintement des flacons de laque s’éteignaient derrière un caquètement permanent. Chacune y allait de son couplet : « Sarkozy sort avec Carla Bruni… On les a vus à Disneyland… Un coup dans le yacht fantôme, un autre dans la Montagne magique. Et vice-versa… La seule attraction qu’ils aient évitée, c’est la maison de Blanche Neige : ça faisait six de trop. »

Lorsque je suis rentrée à la maison, Willy se morfondait :

– Alors, lui ai-je dit, c’est Carla Bruni qui te met dans ces états ?
– Non !
– Alors qui ? Sarkozy ?
– Oui !
– Et pourquoi, Willy, Sarkozy te rend-il malade ? Il n’a pas décidé de reprendre les essais nucléaires français au fond du jardin quand même !
– Il a ce que tous les hommes veulent avoir : une femme sans voix.

Henri Guaino tient sa vengeance sur BHL.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

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L’âge des ténèbres

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Vous avez moins de quarante ans ? Vous avez donc la chance de n’avoir pas connu ces temps obscurs, ces âges heureusement révolus où les « femmes françaises » étaient soumises à la biblique malédiction de l’enfantement. Ayant tiré le mauvais numéro à la loterie de la biologie, elles étaient frappées d’inutilité. Oui, inconscients que vous êtes, « il y a quarante ans, les femmes françaises ne savaient plus que faire de leur fécondité ». (Des enfants ? Vous n’y pensez pas !) Cette phrase extraordinaire a été prononcée au matin du 14 décembre 2007 par Hélène Cardin, honorable journaliste « santé » officiant pour France Inter, le fleuron de notre radio publique, dans une ode vibrante à la gloire de l’homme qui a libéré les femmes – Lucien Neuwirth, le sénateur gaulliste à qui l’on doit la légalisation de la pilule.

Notre courageuse chroniqueuse risque d’être déçue, elle qui aimerait tant pourfendre les ennemis de la liberté. Cette liberté-là n’a plus guère d’ennemi. Pas ici en tout cas. Grâce à la pilule, la fatalité biologique a cédé la place à la vie choisie. On ne s’en plaindra pas[1. On peut cependant se demander pourquoi, depuis que la grossesse est choisie, elle est vécue comme une maladie, ainsi que me le fait remarquer un ami désabusé. Ce sera l’objet d’un prochain texte.].

On peut cependant s’étonner d’entendre proférer sur les ondes publiques de telles âneries. La bêtise est parfois amusante, souvent énervante – et, en fin de compte, toujours désarmante. En l’occurrence elle est aussi édifiante. Car elle révèle les ravages de l’idéologie que l’on qualifiera, en hommage à Jack Lang, de lombralalumiériste. En effet, l’homme à qui l’on doit presque autant de reconnaissance qu’à Lucien Neuwirth, puisqu’il inventa la Fête de la Musique, fut aussi celui qui, redonna ses lettres de noblesse au lombralaumiérisme, injustement décrié depuis que le grand Robespierre fit prévaloir sa version guillotineuse. Or, on se rappelle que Jack Lang put proclamer sans ciller que, le 10 mai 1981, les « Français avaient franchi le passage de l’ombre à la lumière ». (A observer son rafraîchissant enthousiasme pour Sarko Ier, il faut croire que le 6 mai 2007, nous avons carrément dépassé la vitesse de la lumière).

Quel rapport, vous demandez-vous entre le pimpant ministrable et l’admiratrice du sénateur Neuwirth qui, bien que gaulliste, était « bien de sa personne et aimait les femmes » ? Eh bien, justement, l’idéologie ! Oui, Hélène Cardin ne le sait pas, mais elle a des idées. Une vision du monde. Laquelle, certes, tient en peu de mots, mais tout de même : avant c’était l’horreur, aujourd’hui c’est vachement bien et demain, ce sera encore mieux. Donc, la dame nous rappelle que grâce à Neuwirth et à sa pilule magique, « les femmes françaises maitrisent le plaisir de faire l’amour ». En somme, la sexualité a commencé en 1967. Jusque-là, ce furent des millénaires d’enfantements non planifiés avec leur cortège de frustrations et de plaisir non maitrisé. « Grâce à Lucien Neuwirth, le bienfaiteur des femmes françaises, il y a quarante ans, tout a changé », conclut hardiment notre enfonceuse de portes ouvertes. Oui, cette date devrait être considérée comme l’an zéro d’une nouvelle ère. Depuis, nous jouissons sans entraves – et même sans partenaire grâce à nos sex toys achetés chez Sonia Rykiel (faut ce qu’il faut). Et en prime, nous pouvons nous rendre en Vélib à un débat participatif ou à un happening pour les sans-logis.

Qu’on se rassure, je n’ai nullement envie de nier les bienfaits de la science et de la technologie. Personne ne souhaite revenir à un monde dans lequel il n’y avait ni pilule, ni antibiotiques, ni aspirateur. Mais il y a quelque chose de profondément pervers dans l’idée que le monde a commencé avec nous. Sous couvert d’exprimer sa gratitude à un homme, Hélène Cardin nous dispense en fait de toute gratitude à l’égard du passé. Ouste ! Du balai ! Ceux qui nous ont précédés ne méritent que coups de pieds aux fesses, ces obscurantistes qui n’avaient aucune idée de ce qu’était la libération sexuelle.

La chose amusante, ou peut-être inquiétante, avec les Hélène Cardin qui sont légion dans nos médias, est que derrière leurs airs libertaires, ces aimables personnes cultivent un petit genre « commissaire politique ». L’idée qu’on peut avoir de l’existence une autre conception que la leur ne leur traverse pas l’esprit. Plus précisément, elles considèrent que les dangereux criminels qui n’adhèreraient pas au point de vue conforme avec l’enthousiasme requis auraient bien besoin d’une bonne rééducation. Vous n’avez pas d’autre choix que celui d’être pro-choice. Moi aussi, j’ai envie de remercier Lucien Neuwirth. Je n’en trouve pas moins furieusement barbante la liberté obligatoire pour tous.

Un référendum ? Non merci !

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Toute ressemblance avec une Constitution rejetée il y a deux ans est purement fortuite. Puisqu’on vous dit que le texte paraphé à Lisbonne par les dirigeants européens n’est pas une Constitution, mais un modeste traité modificatif – simplifié de surcroît. Admettons. Peut-être même est-ce parfaitement exact, juridiquement parlant. Reste que j’ai tout de même l’impression qu’on fait ingurgiter aux Français en petits morceaux le plat dont ils n’ont pas voulu il y a trente mois. Et, au risque de choquer, j’ajouterai que c’est tant mieux. Oui, vous avez bien lu : ce que d’aucuns considèrent comme un « déni de démocratie » me parait parfaitement légitime. Le président Sarkozy devrait l’assumer pleinement.

Des Constitutions (et des traités modificatifs), il ne faut pas juger avec des yeux d’avocat mais avec ceux de l’historien. La lettre des textes, au fond, importe peu – les Américains se débrouillent assez bien avec le leur qui est vieux de deux siècles. L’essentiel, c’est leur esprit qui s’incarne dans des institutions. La première qualité d’une Constitution, disait Napoléon, est d’être vague. En matière européenne, ce sont les lois votées par les Parlements et interprétées par les juridictions nationales qui comptent. En conséquence, appelez-le comme ça vous chante – « nouveau », « simplifié »… – le Traité de Lisbonne est bien le jumeau du texte rejeté sans ambiguïté par les Français et les Hollandais en mai 2005.

Laissons donc là le débat juridique pour nous intéresser au seul qui vaille en l’occurrence, le débat politique. La question européenne fait ressurgir le clivage entre gouvernés et gouvernants, que la théorie démocratique a tout intérêt à planquer sous le tapis puisque les seconds sont supposés être de pures émanations des premiers. Il suffit d’entendre Jack Lang tresser des lauriers à Nicolas Sarkozy pour se rappeler que l’Europe ne sépare pas la droite de la gauche mais dresse les citoyens contre leurs dirigeants (encore que ces louanges ont peut-être, qui sait, une autre fonction…). Toutes obédiences confondues, la classe dirigeante française (du moins celle qui représente les partis dits de gouvernement) partage trois certitudes. Primo, la construction européenne est un intérêt vital de la France ; secundo, la Constitution rejetée en mai 2005 était la « moins pire » des façons de consolider l’Union ; tertio, la victoire du « non » a traduit une panne générale de la confiance politique bien plus qu’un refus de l’Europe. Les Français ont dit « non » à Chirac bien plus qu’à la Constitution.

Forts de cette conviction, les principaux politiciens français soutiennent le tour de passe-passe réalisé par Sarko-Majax qui a transformé une Constitution en mini-traité comme d’autres changent des lapins en colombes. Ils ont bien raison. S’il ne s’était pas engagé à choisir la ratification parlementaire, le président français n’aurait jamais convaincu ses partenaires européens de négocier ce nouveau texte. Or, le train de l’Europe a déjà quitté la gare et la France n’en est plus à se demander si elle va monter dedans ou pas : il lui faut batailler pour être dans la locomotive – aux commandes. Le point de non-retour a été atteint dans les années 80 et 90 du XXe siècle, quand les citoyens ont accepté l’intégration de leur « cher et vieux pays » à un ensemble plus vaste. Dès lors, les intérêts vitaux de l’Europe faisaient partie des intérêts vitaux de la France. Autrement dit, nous avons déjà quitté l’Etat-nation classique pour nous diriger vers une Europe capable d’assumer les compétences que lui ont déléguées les Etats. Nous sommes au milieu du chemin, dans un terrain vague exposé à tous les vents mauvais. Il faut le traverser en courant.

Histoire d’aggraver mon cas, j’ajouterai que le président était légitime à contourner le suffrage universel – car c’est bien ce qu’il a fait. Il n’a pas seulement respecté une promesse électorale, il a aussi mis en œuvre un engagement des deux autres prétendants majeurs. Et puis, on ne peut pas dire que les Français ont été pris en traitres comme des consommateurs abusés par des clauses en tout petits caractères sur un contrat. Les électeurs ne pouvaient pas ignorer que Nicolas Sarkozy leur repasserait le plat constitutionnel. Sans référendum. J’ai envie d’en conclure que les Français sont moins anti-européens que beaucoup de mes amis. Mais peut-être veulent-ils qu’on leur force un peu la main.

Calendes grecques

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De tous les Premiers ministres qu’a comptés la France, Jean-Pierre Raffarin fut assurément celui qui s’illustra le moins par la subtilité. On le sait : sa brutalité lui valut très vite de se tailler une réputation exécrable dans le monde entier. Même les Iraniens – peu regardants d’habitude sur les hommes d’Etat mal dégrossis – le qualifièrent de « Raf’ sans génie ».

Mais c’est bien en France que l’Attila de Poitiers commit ses pires méfaits, laissant à Dominique de Villepin le soin de terroriser de son magnifique verbe le reste du monde. C’est ainsi que l’on vit Raffarin le Sanguinaire priver des millions de Français de leur sacro-saint lundi de Pentecôte, ce jour béni entre tous qui servait, depuis la nuit des temps, à digérer la pièce montée et le mauvais vin ingurgité la veille à la communion du petit dernier.

En supprimant cette journée, le Beria de chez Jacques Vabre précipita le déclin de la France : comment des millions de travailleurs exténués par 35 horribles heures de travail harassant pouvaient-ils continuer à être productifs ? Toute la semaine, du lundi matin au jeudi après-midi, quand le Français descend à la mine ou conduit sa locomotive à vapeur, c’est au lundi de Pentecôte qu’il pense encore.

Il semblerait que le nouveau régime ait décidé d’aller plus loin dans l’ignominie. Sous son air polissé[1. Qu’il est agréable de savoir qu’aucun correcteur pasquaïen ne viendra sournoisement écrire « policé » derrière mon dos !], François Fillon a habilement manœuvré pour qu’un deuxième jour férié soit supprimé en France : dans le secret de l’Hôtel Matignon, enfermé avec quelques obscurs conseillers, il a décidé qu’en 2008 le Jeudi de l’Ascension se déroulerait le 1er Mai ! En fusionnant ces deux jours fériés, le Premier ministre oblige les Français à travailler une journée de plus dans l’année !

S’il venait à l’esprit de notre chancelière de manigancer une telle chose, l’ensemble des syndicats et des partis politiques allemands (des néo-communistes de l’Est jusqu’à la bavaroise et très catholique CSU) se mobiliserait pour parler d’une seule voix.

Le moment venu, il est fort à parier qu’il y aura bien, en France, quelques protestations de circonstance. Le patron de la CGT, Bernard Thibaut, se fendra certainement d’un communiqué s’indignant de voir une fête catholique mêlée à la fête du Travail : « On ne mélange pas les curetons avec les Soviets ! » Quant à la Conférence épiscopale française, elle publiera un communiqué expliquant que le Christ était le premier communiste de l’histoire – les évêques saisissant au vol une irremplaçable occasion de faire repentance pour des crimes qu’ils n’ont pas commis, nec plus ultra de l’autoflagellation.

Mais tous ces atermoiements ne serviront à rien. Quand on songe que le Nouvel An 2009 tombera en France un vendredi 13, on est vraiment en droit de se poser la question : le gouvernement français n’aurait-il pas dû supprimer purement et simplement les 35 heures, plutôt que de se lancer dans autant de circonvolutions ?

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Tous victimes du grand méchant blanc ?

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Il y a un point commun entre l’Algérie et nos banlieues. Inutile de sortir les grands chevaux et les mots qui vont avec, on ne lira point ici de statistiques ethniques. Il s’agit d’autre chose, de ce cri qui, nous dit-on, jaillit à l’identique de toutes les poitrines. Tous victimes ! A ce qu’il paraît, le peuple algérien et celui des cités souffriraient pareillement d’un déficit de reconnaissance. Mais pas de n’importe quelle reconnaissance : ce que les uns et les autres veulent qu’on reconnaisse n’a rien à voir avec leurs mérites ou leurs talents. Leur identité réside dans le mal qu’on leur a fait, à eux, leurs parents ou leurs grands-parents (car le statut victimaire se transmet, ainsi que nous l’enseignent les lointains descendants d’esclaves). Je suis victime donc je suis.

A ce sujet, les attaques répétées contre les sociologues sont injustes. Nous n’avons pas de meilleurs interprètes du socialement, politiquement et culturellement correct. L’excellent Laurent Mucchielli qui ne manque jamais une occasion de recouvrir la réalité d’un voile bien-pensant mérite la palme d’or – que ne l’a-t-on envoyé en Algérie dans la suite présidentielle. Sur France Culture, après une nuit au cours de laquelle plus de 60 policiers avaient été blessés tandis qu’une bibliothèque et deux écoles étaient incendiées, l’excellent garçon s’indigna que l’on pût parler de violences urbaines. « Moi je n’utilise pas ce terme qui est celui de la police », affirma-t-il solennellement. Faudra-t-il désormais dire, comme pour les manifestations, « violences urbaines pour la police, légitime rébellion pour les travailleurs sociaux ? »

Après cette mise en bouche, Mucchielli lâcha le morceau. Les habitants du quartier, expliqua-t-il, n’avaient pas supporté que les policiers aient été si rapidement mis hors de cause – cela les avait rendus un peu nerveux. Beaucoup de gens – et pas seulement les mucchiellistes – se sont émus de la rapidité avec laquelle le Procureur s’est prononcé. On voit mal en quoi il serait surprenant ou choquant que les pouvoirs publics aient voulu calmer le jeu le plus vite possible (à moins, bien sûr, que l’on apprenne un jour que la proc avait manipulé les faits). Par ailleurs, peut-être n’est-il pas nécessaire de mener une longue enquête pour déterminer les circonstances d’un accident quand bien même il aurait mis en jeu une voiture de police.

Justement, il fallait que la mort des deux adolescents n’ait point été un accident pour qu’elle pût devenir le symbole du tort fait par la société à l’ensemble des habitants des cités. « Ce qu’attendent les familles et, au-delà d’elles l’ensemble du quartier, c’est qu’on leur reconnaisse le statut de victimes, déclara l’ineffable sociologue. Et il faut que cette reconnaissance soit officielle. Un coup de fil donné en catimini par un conseiller élyséen ne serait d’aucune utilité. » (Au fait, s’ils tiennent tant à ce qu’on les reconnaisse, pourquoi portent-ils des cagoules ?)

Difficile, à ce stade, d’éviter l’analogie avec la revendication algérienne de repentance. D’Alger à Villiers le Bel, on attendrait, en somme, que la France demande pardon à ceux qu’elle a humiliés et offensés, conférant ainsi aux récipiendaires de ces excuses d’Etat le titre de « victimes ». Certes, dans le second cas, ces excuses sont réclamées par des Français. Sauf que ce sont précisément ceux qui désignent leurs concitoyens par le terme de Gaulois (entendez blancs). Il y a un ou deux ans, ils se définissaient comme les Indigènes de la République, affirmant explicitement que la France reconduisait à l’endroit des fils l’oppression coloniale pratiquée envers les pères. La similitude entre les deux revendications n’est pas une coïncidence. Il faut d’ailleurs souligner que, dans les deux cas, l’obsession accusatoire est le fait d’une minorité. A Villiers-le-Bel comme à Alger, la majorité silencieuse pense à autre chose qu’à présenter éternellement la même addition.

Que le présent soit le fruit du passé est une tautologie. Les injustices de la colonisation, pour parler comme le président, expliquent assurément une partie des problèmes présents de l’Algérie dans la même mesure que les embrouilles de nos parents sont à l’origine de celles que nous vivons. Pour autant, l’hérédité ne saurait être l’alibi universel de l’impuissance.

Comme l’a parfaitement analysé Aviad Kleinberg, l’exigence de repentance vise à se délivrer de toute responsabilité en imputant ses malheurs au débit d’autrui. Allons un peu plus loin. Après tout, les Algériens pourraient faire porter le chapeau de leurs malheurs à Houari Boumedienne. Mais il faut en outre que le coupable soit un grand méchant autre. Ainsi le caïd des cités ne prend-il la pose de l’opprimé que face à la caméra, au militant associatif ou au ministre qui, à des titres divers, incarnent symboliquement le dominant (y compris quand il est rongé par la culpabilité). Dans sa cité, le caïd est un caïd. Il montre ses muscles. Il ne tient surtout pas, quoi qu’en pensent tous les Mucchielli, à être reconnu comme une victime. « Les jeunes hommes sont pris dans des jeux de virilité », explique notre malheurologue sans avoir la moindre conscience du fait que ces jeux d’hommes peuvent sembler légèrement contradictoires avec la revendication victimale dont il se fait le héraut. Dans « les quartiers », le faible est méprisé. De même, le potentat algérien dont la dignité exige que la France se repente de la colonisation peut-il, sans le moindre scrupule, faire suer le burnous à ses concitoyens comme peu de colons auraient osé le faire.

C’est en Occident et en Occident seulement que le titre de victime paraît enviable au point d’engendrer une concurrence frénétique entre groupes et individus susceptibles d’y prétendre. En postulant, ainsi que l’a observé René Girard, l’innocence de la victime, le christianisme a contribué à placer cette figure sur un piédestal. La victime a toujours raison. Sur ce terreau culturellement favorable, des siècles d’histoire ont conduit à délégitimer l’idée même de la puissance – non sans quelques bonnes raisons. Dans la cour des « Gaulois », la faiblesse est devenue une force. Le risque étant qu’à un certain point de retournement, la loi du régime victimaire devienne « faible avec le fort, fort avec le faible ». Nicolas Sarkozy se trompe : ce n’est pas la voyoucratie qui nous menace mais la victimocratie.

Khadafithon

19

Ce matin, je me suis réveillée avec les idées noires. J’espère que la currywurst que j’ai mangée hier soir au marché de Noël de Stuttgart n’était pas avariée. Willy, mon mari, me dit que non. Il connaît les vrais fautifs : Karlheinz Stockhausen et Mouammar Khadafi.

Avec la mort du premier, c’est l’un des plus grands compositeurs contemporains qui disparaît. De la musique savante à la pop music, son influence était telle qu’on le qualifie depuis longtemps de Beethoven du XXe siècle. Aux yeux de Stockhausen, tout était art, même les attentats du 11 septembre 2001, dont il disait qu’ils étaient « la plus grande oeuvre d’art totale jamais réalisée ». Quel grand esprit ! En mourant dans son lit, à domicile, Stockhausen aura réalisé la seule oeuvre d’art minimaliste de sa carrière.

Quant à Mouammar Khadafi, il n’est pas mort (enfin, pas autant que Fidel Castro). Il vient faire du tourisme à Paris. Le Guide de la grande révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste est un artiste en son genre. Il a contribué à renouveler la littérature militante, en repeignant en vert le Livre rouge de Mao. C’est aussi un pionnier de l’écologie : afin d’économiser le papier (et réduire ainsi la déforestation amazonienne), aucun bulletin de vote n’a été produit dans toute la Lybie depuis 1970. Enfin, avant d’entamer une carrière de saint Bulgare et de remiser les explosifs au placard, le colonel Khadafi a été célébré dans le monde entier pour exactement les mêmes raisons que Karlheinz Stockhausen : la rapidité d’exécution.

Le petit problème est que l’excursion parisienne du dirigeant lybien n’a pas l’heur de plaire à tout le monde. François Hollande récrimine, Bernard-Henri Lévy trépigne, Pierre Moscovici s’indigne et Ségolène Royal n’a rien à rajouter. Khadafi aura réussi le tour de force d’unir tous les socialistes français. Cet homme-là est bien parti pour finir premier secrétaire.

Néanmoins, de cette unanimité socialiste, on dénombre déjà une victime : le socialiste suisse Jean Ziegler. Cofondateur du Prix Khadafi des droits de l’Homme[1. Créé par Jean Ziegler et Mouammar Khadafi en 1988, le prix Khadafi récompense des personnalités reconnues pour leur action résolue en faveur des droits de l’Homme, comme Fidel Castro (1998) ou Hugo Chavez (2004). Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Jean Ziegler a lui-même été distingué par le prix Khadafi. C’était en 2002, aux côtés d’un défenseur acharné des droits de l’Homme s’il en est : Robert Faurisson.], il vient certainement de perdre tous ses amis d’une gauche française qui voyait en lui jusqu’à peu l’un des champions de l’altermondialisme et le considérait comme une référence indépassable.

Mais tout cela ne devrait pas empêcher Nicolas Sarkozy d’organiser correctement son Khadafithon.

Traduit de l’allemand par l’auteur.

Etudier plus pour gagner moins

8

S’il y a une chose sur laquelle universitaires et chercheurs de droite, de gauche, du centre et d’ailleurs sont tous d’accord, c’est sur le fait qu’ils sont mal payés, mais alors très mal payés. Vous me direz qu’ils sont comme tout le monde. Tout le monde se considère mal payé, c’est pour ainsi dire la loi du siècle. Sauf qu’en l’occurrence, ce sont les seuls fonctionnaires français à avoir subi une telle érosion de leur pouvoir d’achat, pas moins de 25 % de baisse en 20 ans. A ce niveau, on peut parler de chute libre. Pourquoi, dès lors, n’en entendons-nous pas parler ? Je me suis longuement interrogé sur cet étrange silence et après enquête auprès de mes collègues d’horizons scientifiques les plus divers, unanimes pour constater le désastre, il semble que ce silence provient d’une pudeur particulière propre au milieu académique, une vague honte à l’idée de défendre une revendication financière.

Les universitaires peuvent être politiquement engagés, pétitionner pour des causes sociales diverses et variées. Ils ne descendent pas dans la rue pour eux-mêmes. Même ceux qui se situent le plus à gauche paraissent animés par un sentiment aristocratique qui les empêche de « s’abaisser » à demander l’aumône.

Je crois pourtant qu’il faut nous réveiller et dire enfin la réalité de notre situation. Nous sommes les hauts fonctionnaires – parce que nous sommes théoriquement des hauts fonctionnaires, au même titre que les conseillers d’Etat, généraux, ambassadeurs, administrateurs civils, préfets, etc. – les moins bien payés de la République et de loin. Les Professeurs des universités, titre assez ronflant si l’on y songe, ont beau être nommés par décret du Président de la République – pris en Conseil des ministres s’il vous plaît ! – ils sont beaucoup moins rétribués que tous les membres des autres corps « d’élite » nommés selon la même procédure.

Dans la fonction publique française, le niveau de rémunération obéit à deux lois simples indépendantes de l’effort, de la compétence et de l’utilité publique. La première concerne l’ensemble des fonctionnaires et peut s’énoncer ainsi : les agents jouissant d’une visibilité particulière, suffisamment nombreux et organisés pour descendre massivement dans la rue, capables, par la nature de leur activité, de bloquer ou de perturber le fonctionnement normal de la vie civile sont mieux payés que les autres et bénéficient de plus d’avantages sur tous les plans. La seconde, moins connue du public, concerne exclusivement les hauts fonctionnaires : plus on est proche de la caisse et du pouvoir, mieux on est payé. Principe aisément démontrable empiriquement. Les Trésoriers payeurs généraux qui sont en quelque sorte les comptables de la République, sont en moyenne les hauts fonctionnaires les mieux rémunérés de France, suivis de près par les membres de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat. Concernant le Conseil d’Etat qui a vocation à fourrer son nez, pour avis, dans les affaires des autres et qui, au fond, contrôle son propre statut, cela n’est guère étonnant. Mais le pire est que la haute assemblée qui semble se vivre comme une « noblesse d’Etat » donne souvent le sentiment de vouloir défendre ses privilèges. C’est ainsi qu’elle a fait traîner durant des années une réforme alignant la progression de carrière des directeurs d’hôpital sur celle des administrateurs civils, ne lâchant un avis favorable qu’après un véritable bras de fer.

Seulement, il est inutile d’espérer une telle résistance des universitaires. Parents pauvres de la haute fonction publique, pusillanimes, soumis, pudiques jusqu’à la pudibonderie face à l’argent, éloignés de la caisse comme du pouvoir, ils peuvent être traités sans le moindre égard. Aussi est-il piquant mais guère surprenant d’entendre notre bonne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, conseillère d’Etat bien mieux payée qu’un chercheurs, décréter que nous sommes encore trop rémunérés et que nous ne travaillons pas assez, sachant au passage qu’elle n’a aucune idée du type de travail que nous fournissons.

Questions d’actualité

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Si la Colombie envisage de confier la médiation en vue de la libération d’Ingrid Bétancourt à Nicolas Sarkozy, est-ce parce qu’il a réussi à libérer 20 millions de Français otages-des-syndicats-marxistes ?[1. © Yvan Rioufol, Le Figaro.]

Le gouvernement a décidé de supprimer l’exonération de la redevance dont bénéficiaient 800 000 ménages aux revenus modestes. Est-ce une mesure de justice sociale ? – après tout, ce sont eux qui regardent le plus la télé. Ou bien est-ce totalement injuste, puisqu’ils regardent surtout TF1 et M6 ?

Une cruche augmente-t-elle ses chances de réussite quand elle est affublée d’un traître ? Sinon quid de l’opération Panafieu-Cavada ?

Si un travesti tue en série ses amants d’un soir, doit-on parler de crimes homophobes ?

A l’approche des Fêtes, les commissaires-priseurs viennent de porter plainte contre E-bay pour concurrence déloyale. Si les émeutes redémarrent en fin d’année à Villiers-le-Bel, assistera-t-on à une démarche similaire des brûleurs de voitures de Strasbourg ?

Les associations de consommateurs demandent au gouvernement de mener contre l’obésité infantile « la même politique volontariste que s’agissant de lutte contre le tabac ». Il faut donc s’attendre à voir sur les confiseries des avertissements du style « croquer tue » ou « sucer peut provoquer l’impuissance ». Mais n’institue-t-on pas là une nouvelle discrimination vis-à-vis des enfants qui sont à la fois obèses et illettrés ? Par ailleurs, chacun sait que le tabac est un excellent coupe-faim. Pourquoi a-t-on négligé cette prometteuse piste thérapeutique ?