Accueil Site Page 2837

La graine et le muret

3

Le causeur Chinasky, qui ne doute de rien, me sollicite en vue d’une critique circonstanciée d’Entre les murs. N’ayant pas vu le film, j’ai certes des choses amusantes à en dire. Sauf que n’étant ni travailleur, ni masochiste, je préfère disposer de mon temps de cerveau disponible avec Nerval, T-Rex ou Sam Peckinpah. Comme je suis pas non plus le mauvais gars, je vous propose à toutes fins utiles un kit de dépannage d’urgence.

1. Vous copiez-collez mes divagations sur La graine dans votre traitement de texte.
2. Vous recherchez-remplacez les occurrences « La graine et le mulet » et « Kechiche » par « Entre les murs » et « Laurent Cantet ».
3. Si ça ne marche pas, n’hésitez pas à ne pas m’en parler.

PS : Je pense que Cantet et Bégaudeau méritent leur Palme, tout comme les abominables frères Dardenne la méritaient. La faute de goût, c’est quand on la décerne à Pialat ou Kusturica.

Il n’y a pas d’affaire Enderlin

Une pleine page (et un édito) dans le Wall Street Journal, deux feuillets dans Le Monde (au demeurant, le seul quotidien français à avoir traité l’information) : le désaveu judiciaire infligé à France 2 n’a pas passionné les médias français. Il est vrai qu’il s’agit d’une vétille : un tribunal déclare qu’il existe de légitimes raisons de douter de la véracité d’un reportage à haute teneur symbolique diffusé dans le monde entier par la première chaîne de la télévision publique française. Au passage, le juge admet que, parmi les récits présentés comme des « faits » qui sont supposés former notre intelligence du monde, certains sont peut-être de purs bidonnages. De la réalité pour télé. Un monde en noir et blanc pour écran couleurs.

On se demandait comment allait réagir la profession, si prompte à faire feu sur les manquements moraux, réels ou supposés, de toutes les autres corporations. Par un examen de conscience collectif ? Un authentique débat interne ? La bonne blague. En serrant les coudes. Puisque que ce dont nous ne parlons pas n’existe pas, étouffons l’affaire. Il en va de l’intérêt supérieur du Parti (des médias). Lequel, comme le monde est bien fait, se confond avec celui de la démocratie : taire ou traiter comme insignifiante la défaite de France 2, c’est protéger le public (on imagine sans peine le charivari qui eût suivi un verdict inverse).

Cela devait être un remake de David contre Goliath, avec David dans le rôle du méchant. La chaîne publique avait attaqué en diffamation Philippe Karsenty, animateur d’un site internet « de notation des médias ». Après le verdict de la Cour d’Appel infirmant sa condamnation en première instance, celui-ci a été interrogé par la BBC et des médias australien, néerlandais, américains, tunisien. En France, les « grands journaux » ont signalé l’information sur leur site internet – où elle a l’avantage d’être très vite ensevelie –, mais seul Le Monde l’a jugée digne de sa « version papier ». Quant à France 2, elle a jugé que ses téléspectateurs avaient « le droit de savoir » : le soir du verdict, en fin de JT, David Pujadas a expliqué que la Cour avait « reconnu la diffamation mais relaxé l’auteur des propos diffamatoires au bénéfice du doute ». Fermez le ban. Pas un mot sur les « incohérences inexplicables » relevées par Karsenty (et le Tribunal) dans le reportage sur la mort de Mohamed Al Doura, ni sur « l’imprudente affirmation par Charles Enderlin qu’il aurait coupé au montage les images de l’agonie de l’enfant » – agonie dont il n’a pas fourni les images au Tribunal. Bref, les téléspectateurs, à qui l’on a expliqué il y a huit ans qu’ils avaient assisté à « l’assassinat d’un enfant » (terme employé par Jean-Claude Allanic, alors médiateur de France 2, quelques jours après la diffusion du reportage) ne sauront pas l’essentiel : après avoir visionné les rushes (dont ils notent les « réticences persistantes » de France 2 à les montrer), les juges estiment qu’il n’est plus possible « d’écarter les avis des professionnels entendus au cours de la procédure » qui avaient mis en doute l’authenticité du reportage. S’ils reconnaissent le caractère diffamatoire, en clair offensant, des propos de Karsenty, leur verdict signifie que l’offense était légitime. Jouant des subtilités de la loi sur la presse, France 2 se paie notre tête. En 14 secondes.

La direction de France Télévision (qui, il est vrai, a hérité à son arrivée de ce bébé pas très bien formé) s’est montrée plutôt discrète. C’est par la bouche de ses avocats qu’elle a annoncé son intention de se pourvoir en cassation, décision justifiée de façon fort cocasse par le fait que la Cour d’Appel avait cassé le jugement de la XVIIe Chambre. Si l’on pousse à son terme un tel raisonnement, il faut en déduire que l’appel est par nature superfétatoire. En attendant, la chaîne ne s’est pas fendue du moindre communiqué de soutien à son correspondant en Israël. Lequel a choisi de s’en prendre indistinctement à tous ceux qui osent le critiquer.

Entre Tintin et Galilée, Charles Enderlin se la joue « baroudeur » et chante le grand air de la victime. Après avoir annoncé sur son site que « les propos de Philippe Karsenty étaient diffamatoires », il se plaint de la « campagne de désinformation et de diffamation » dont il est l’objet. Elle est excellente. Va-t-il poursuivre les juges pour diffamation ? Ainsi qu’en atteste l’échange (si on peut qualifier ainsi ce dialogue de sourds) que nous avons eu sur son site, mon honorable confrère a beaucoup de talent, y compris pour éviter les questions qui l’ennuient et répondre à celles qu’on ne lui pose pas – en tout cas, pas moi.

« Enderlin contre les méchants » : tel est le récit canonique relayé par la plupart des médias – récemment encore par Canal + et l’AFP sous la plume de Marius Schattner, journaliste au bureau de Jérusalem. « Différents organismes ultra-nationalistes ont alors répandu la thèse d’un véritable complot anti-israélien, certains allant jusqu’à prétendre que le petit Mohammed n’était pas mort », écrivait celui-ci il y a quelques semaines. La défense adoptée par Charles Enderlin nécessite qu’il ait en face de lui des extrémistes juifs, des nationalistes israéliens ou des émules de Thierry Meyssan. Certains des contradicteurs d’Enderlin appartiennent aux deux premiers groupes ; et, parmi eux, il en est qui manient l’invective et l’injure plutôt que l’argumentation – rendant un fier service au Parti des Médias qui s’estime ainsi dispensé de répondre à de tels adversaires. Les menaces, y compris physiques, proférées à l’encontre de Charles Enderlin et les insultes visant ses supposées préférences politiques ou ses prétendus tourments identitaires sont inacceptables – et pour tout dire, imbéciles.

Pour autant, rien n’autorise à confondre les uns et les autres, ceux qui s’interrogent et ceux qui dénoncent. Le procédé est connu : pour évacuer toute question, on disqualifie ceux qui les posent. Et on répond à des accusations imaginaires : Charles Enderlin se plaint de ce que je l’aurais accusé de ne pas avoir été à Netzarim le 30 septembre 2000 : or, c’est un fait qu’il n’a jamais nié et que j’ai tout simplement rappelé, sans en tirer la moindre conclusion d’ailleurs, n’ayant en aucun cas la religion du terrain – qui, lui, ne ment pas. Bref, pas la moindre accusation sur ce point mais un consensus total. (Sans doute est-ce inconsciemment qu’il use du registre sémantique du procès, lui-même se voyant dans le rôle de l’innocent injustement accusé).

Il est cependant plaisant qu’Enderlin invoque ici-même (voir dans les commentaires) son statut de « journaliste aux premières loges d’un conflit sanglant », puisque précisément, ce jour-là, il n’était pas « aux premières loges » : n’est-ce pas la preuve que l’on peut faire du journalisme, parfois du bon journalisme, sans être « sur place » ? Passons sur cette légère incohérence.

Reste qu’à force de se dire odieusement diffamé et harcelé, il a contribué à personnaliser le débat. Aussi partage-t-il avec ses ennemis les plus virulents la responsabilité d’avoir transformé l’affaire Al Doura en affaire Enderlin. Il n’y a pas d’affaire Enderlin.

Cher Charles, nul n’attend de vous une autocritique en place publique. Ici en tout cas. Mais rien ne vous autorise à répondre par le mépris à tous ceux qui doutent de bonne foi. Autorisez-moi donc à vous poser ici sept questions. Ces réponses, vous nous les devez, car vous êtes le seul à pouvoir les donner. Et surtout, vous vous les devez à vous-mêmes.

– De combien de temps avez-vous disposé pour monter votre sujet à partir des rushes fournis par Talal Abu Rahma ?
– Vous avez affirmé avoir coupé l’agonie de l’enfant parce qu’elle était trop insupportable, mais vous ne l’avez pas montrée au Tribunal, ni à quiconque. Votre mémoire vous a-t-elle trompé ?
– Le 30 septembre 2000, vous avez affirmé dans votre commentaire que « l’enfant était la cible de tirs venus de l’armée israélienne ». Quelques jours après, au cours d’une émission durant laquelle vous interveniez au téléphone, le médiateur de France 2 a parlé de « l’assassinat d’un enfant ». (Plus tard, vous avez donné la parole à Yom Tov Samia mais vous admettrez que sa parole n’a pas le même statut que la vôtre ou celle du médiateur). En novembre 2004, Arlette Chabot estimait qu’ »on ne saurait jamais d’où venaient les tirs ». Quelle est aujourd’hui votre intime conviction ?
– Comment expliquez-vous les contradictions existant entre les versions successives de Talal Abu Rahma, en particulier entre sa déclaration envoyée au Centre palestinien des Droits de l’homme début octobre 2000 et le fax adressé à France 2 en 2003, mais aussi quant à la durée de « l’incident » (je sais que le terme est mal choisi) et au nombre de caméramen présents ?
– La plupart de ceux qui ont visionné les rushes ont admis qu’ils comportaient des scènes de guerre jouées. Est-il selon vous possible et probable que votre collaborateur ait filmé des mises en scènes et que, dans la foulée, tournant sa caméra, il soit tombé sur une tragédie véritable ?
– Votre réflexe immédiat, dès que les polémiques ont commencé, a été de renouveler une confiance absolue à Talal Abou Rahma, et, d’une certaine façon, ce réflexe vous honore. Mais peut-être qu’aucun être humain ne mérite une confiance absolue. Par ailleurs, votre caméraman ne cache pas qu’il exerce ce métier pour défendre la cause palestinienne. Cela vous pose-t-il problème ? Vous est-il arrivé de douter ?
– Pensez-vous que votre travail est, par principe, irréprochable, au-delà de toute critique ?

C’est un juge qui doit aujourd’hui rappeler que les journalistes ne sauraient être les seuls à pouvoir échapper à la vigilance dont ils sont les champions. « Charles Enderlin peut d’autant moins se soustraire à la critique qu’elle le vise en tant que professionnel de l’information, correspondant en Israël et dans les territoires palestiniens pour les journaux de France 2 diffusés aux heures de grande audience, et, qu’à ce titre, il s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle des plus attentifs de ses faits et gestes de la part de ses concitoyens comme de ses confrères », estime la Cour d’appel. Son arrêt est d’autant plus notable qu’il rompt avec une tradition établie depuis une trentaine d’années de bienveillance mutuelle entre la magistrature et la presse. Il est de surcroît rarissime que le juge désavoue un « grand média ». Il convient d’ailleurs de rappeler que France 2 n’a pas été condamnée mais déboutée. « Le Tribunal a accordé un permis de douter », ainsi que l’a joliment résumé Pascale Robert-Diard dans Le Monde. Les journalistes n’ont pas un permis, mais un devoir de douter. Y compris, et peut-être d’abord, d’eux-mêmes.

Un jeune vieux parti

Die Linke (La Gauche), le parti de refondation de la gauche allemande créé il y un an, tenait son premier congrès les 24 et 25 mai. Son ambition : regrouper l’ensemble de la gauche anti-libérale et constituer un mouvement « digne du troisième millénaire ». De quoi fasciner tous ceux, en France, qui rêvent d’une formation unitaire de gauche en marge du PS. Seul hic : outre que nombre de ses cadres sont d’anciens staliniens, Die Linke est dirigée par un trio de papys – Oscar Lafontaine (65 ans), Lothar Bisky (68 ans) et leur cadet Gregor Gysi (60 ans), lequel pourrait difficilement rétorquer que « c’est la jeunesse du cœur qui compte », ayant déjà trois infarctus à son actif.

La France selon CNN

« Du 2 au 8 juin, une analyse complète du nouveau visage de la France » : telle est l’ambition (et la publicité) qu’affiche la chaîne américaine CNN. Et à chaque journée « d’analyse complète » correspond une illustration visuelle. Lundi, consacré au « nouveau visage » de notre pays : un tampon « immigration ». Mardi, consacré aux « enjeux stratégiques internationaux » nous impliquant : rien. Case vide. Mercredi, ou les « défis économiques » : un logo nucléaire. Jeudi, ou « l’art de vivre à la française » : un tag barré du mot « Amor ». Vendredi, ou les limbes de « l’identité française » : une trace de rouge à lèvres. No comment. Samedi, « best of » : rien. Dimanche, consacré à « la France qui bouge » : un F au milieu du seul drapeau européen.

Dany Boon a failli perdre le Nord

Kad Merad est en passe de devenir un de nos plus grands acteurs. J’ai dit ! La preuve : même dans les navets intimistes dont la France s’est fait une spécialité, il explose. C’est sur ses épaules que reposent les frêles Ch’tis et leur succès surdimensionné. Or qu’apprends-je ? Kad n’était qu’un deuxième choix. A l’origine, Dany Boon aurait préféré Daniel Auteuil ! Et pourquoi pas Francis Huster ou (j’ai mieux) Francis Perrin ?

Protégez-nous de Pascal Lamy

Pascal Lamy, le patron (socialiste et français) de l’OMC a le sens du débat. « Je ne connais aucun protectionnisme qui ne porte une dose de xénophobie et de nationalisme. C’est sur le « plus jamais ça » d’après-guerre que s’est bâti le système actuel », a-t-il déclaré dans Libération le 21 mai (), alors même que de nombreux économistes prônent aujourd’hui un certain protectionnisme européen. Les salauds ! (On attend qu’il fasse part de ses observations aux Etats-Unis et à la Chine qui en connaissent un rayon en matières de barrières commerciales). En clair, si vous pensez que l’Europe pourrait (ne serait-ce qu’en appliquant ses propres règles) protéger son marché intérieur, et accessoirement, ses habitants les plus vulnérables, c’est que vous êtes un foutu raciste. Si vous pensez qu’il faut encourager le Tiers Monde à se doter de lois sociales, vous êtes un xénophobe. C’est bien connu : on commence par s’énerver contre l’invasion des T shirts chinois (ou des téléviseurs chinois, ou des chaussures chinoises) et on finit par dénoncer le péril jaune. C’est bien connu.

Lettre à tout le monde sur n’importe qui

2

Mea maxima culpa ! Julien avait raison : Pierre Desproges n’a jamais dit « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui », mais seulement « … pas avec tout le monde ». Nuance !

« Ca change quoi ? » diront certains esprits légers (que je salue au passage). Eh bien désolé, mais en l’occurrence ça change tout, esprits légers que vous êtes ! Dans le vague « tout le monde », il n’y a pas trace du mépris qui suinte du « n’importe qui ».
Or la tradition orale dont on nous tympanise depuis plus de vingt ans insiste unanimement sur ce « n’importe qui » desprogien, y compris la presse commémorative que j’ai colligée pour vous servir.

Bref, maintenant que j’ai reconnu mon erreur, permettez-moi d’expliquer en un mot (comme en cent) pourquoi j’ai eu raison d’avoir tort.
Qu’est-ce qui compte le plus pour la postérité, d’après vous ? Une phrase authentique et oubliée, ou un apocryphe devenu canonique ?
Henri IV n’a jamais dit « Paris vaut bien une messe ! », ni Louis XIV « L’Etat c’est moi ! », ni même Sarkozy « Si tu reviens j’annule tout. » Ça n’empêche qu’on les résume volontiers à ces formules controuvées. Tout le problème est de savoir si ces faux-là traduisent quelque chose de vrai.

Dans l’affaire Desproges en tout cas, je réponds oui sans hésiter à ma propre question. Et pour le prouver, rien de tel que de replacer la phrase dans son contexte, n’est-ce pas ?

Donc « recontextualisons » ! Il en restera toujours quelque chose…
Et d’un, Desproges s’adresse au Pen, qui n’est pas exactement M. Tout le Monde, surtout en 1984. Et de deux, l’humoriste cite trois exemples de « méchants » avec lesquels il n’aurait pas envie de rire. Or parmi ceux-ci deux sont purement virtuels : sauras-tu deviner lesquels ?

1. les « staliniens pratiquants » (une race alors déjà éteinte en France – et même en URSS, maintenant que j’y pense) ;
2. les « terroristes hystériques » (qu’on se le dise ! Desproges ne plaisantait qu’avec les terroristes équanimes, voire ataraxiques…) ;
3. les « militants d’extrême droite » (qui, on l’aura noté, n’ont même pas besoin d’une épithète péjorative, tant la diabolisation va de soi).

Tu as coché la case 3 ? Bravo ! Mais ne juge pas pour autant Pierre… Le talent n’interdit pas le besoin de reconnaissance – même s’il passe sous des fourches caudines.

En tant qu’anar de droite contrarié par l’époque, notre P.D. a cru avoir besoin de ce brevet d’antifascisme à deux balles. Et qui sommes-nous pour juger ce gland ? Après tout il faut bien vivre, comme disait le mec juste avant de crever.

Bienvenue chez les Chiites

5

Le Liban a un drapeau, une monnaie, des institutions – en somme il possède tous les attributs du sujet, mais n’est pas un sujet. En réalité, il n’existe ni nation libanaise ni Etat libanais. Tout le problème est là.

Après plus de soixante ans de coexistence plus ou moins violente sous le même toit, cet agrégat de communautés n’est pas arrivé à transcender ses appartenances confessionnelles pour engendrer une nation, seule collectivité capable aujourd’hui de donner corps à un Etat souverain.

Le dernier épisode du feuilleton libanais n’est qu’une énième illustration de cette impasse. Rappelons brièvement les faits. Début mai, le conseil des ministres libanais prend deux décisions. La première est de démettre de ses fonctions l’officier responsable de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth (qui avait autorisé le Hezbollah à installer sur les pistes un équipement lui permettant de contrôler l’approvisionnement de son armée privée). La deuxième est d’ordonner à la milice chiite de démanteler son système de communication.

Dans les deux cas, il s’agissait d’une tentative gouvernementale de sauvegarder la souveraineté libanaise face à un mouvement qui œuvre depuis des années à la construction d’un Etat dans l’Etat. Le Hezbollah et ses alliés ont réagi manu militari par l’occupation de Beyrouth-Ouest. Et une fois de plus, « les armes sacrées de la résistance contre l’occupation israélienne », pour reprendre le style fleuri qui a cours là-bas, ont été tournées contre les « frères libanais ». Quant à l’armée, elle n’est pas plus libanaise que l’Etat et son impuissance face au putsch du Hezbollah ne fait que le confirmer. Le Liban n’est plus qu’un terme géographique. Ou un prête-nom.

Cependant, quoique le Hezbollah soit maître du jeu, ses dirigeants ont, très intelligemment, décidé de se contenter du vrai pouvoir sans s’embarrasser des ses attributs, ou plutôt de ses hochets. L’apparence du pouvoir, ils la laissent volontiers aux partis et clans traditionnels. Ainsi le Hezbollah peut-il exercer l’autorité sans en assumer la responsabilité. Avec, de plus en plus, le monopole de la violence – peu lui importe qu’elle soit ou non légale. Son chef Hassan Nasrallah fixe les objectifs de la politique extérieure du Liban, c’est lui qui décide et noue les alliances au nom du pays et dicte sa stratégie militaire. C’est lui également qui en recueille tous les dividendes tandis que les chefs de la majorité drainent vers eux toutes les critiques. Bien joué.

Nasrallah a compris ce que les chefs du Hamas à Gaza ont préféré ignorer : faire la pluie et le beau temps est plus efficace que d’apparaître comme le météorologue en chef. Le Hamas, qui ne peut plus s’abriter derrière une Autorité palestinienne qui lui servait de paratonnerre, doit assumer la responsabilité de sa politique et, de surcroît, affronter les foudres de la communauté internationale et les régimes arabes modérés. Face à cette stratégie qui n’en est pas une, celle du Hezbollah se résume donc à un magistral tour de passe-passe : le pouvoir sans ses conséquences, la résistance à un ventre mou.

Reste à savoir pourquoi la majorité gouvernementale se laisse ainsi ridiculiser. La raison en est probablement que le souci premier des chefs sunnites, maronites et druzes est de défendre leurs intérêts communautaires – ce qui revient à chouchouter leurs clientèles. En clair, ils sont incapables de privilégier l’intérêt général. Or, l’intérêt général consisterait précisément à empêcher le Hezbollah de rafler le beurre et l’argent du beurre. En passant, une fois de plus, à côté de l’Histoire, ils ne font que confirmer ce mot, tristement drôle, de l’ami Basile de Koch : le Liban est le seul pays au monde qui se suicide pendant qu’on l’assassine.

Attrapons le GAL !

8

Le film intitulé GAL m’a indisposé grave. Non que je l’aie vu, certes ! A nos âges il faut se concentrer sur l’essentiel et se ménager : deux contre-indications radicales. Juste l’idée exorbitante de faire un « sequel » avant le film. Comme si la réaction précédait l’action et que l’effet puisse exister sans sa cause. Et pourquoi pas évoquer les crimes de l’Ulster Defence Association avant ceux de l’IRA ? Même Ken Loach n’y aurait pas pensé…
Jamais l’organisation terroriste ETA n’a fait l’objet d’un film éponyme relatant ses cinquante ans de folie criminelle. En revanche, il s’est trouvé un producteur assez courageux pour dénoncer, vingt ans après les faits, la « dérive paramilitaire » anti-ETA financée et armée dans l’Espagne démocratique des années 80 par le gouvernement légitime – et même socialiste, pour l’essentiel… « Y a pas de hasard ! », comme dit mon épouse actuelle.

Esclavage : tout n’est pas noir

Alors que les commémorations de l’abolition de l’esclavage se succèdent (le 10 mai en France, le 22 aux Antilles), pourquoi ne pas célébrer aussi une date plus réjouissante et totalement ignorée : la première abolition, le 4 février 1794 par la Convention ?

La graine et le muret

3

Le causeur Chinasky, qui ne doute de rien, me sollicite en vue d’une critique circonstanciée d’Entre les murs. N’ayant pas vu le film, j’ai certes des choses amusantes à en dire. Sauf que n’étant ni travailleur, ni masochiste, je préfère disposer de mon temps de cerveau disponible avec Nerval, T-Rex ou Sam Peckinpah. Comme je suis pas non plus le mauvais gars, je vous propose à toutes fins utiles un kit de dépannage d’urgence.

1. Vous copiez-collez mes divagations sur La graine dans votre traitement de texte.
2. Vous recherchez-remplacez les occurrences « La graine et le mulet » et « Kechiche » par « Entre les murs » et « Laurent Cantet ».
3. Si ça ne marche pas, n’hésitez pas à ne pas m’en parler.

PS : Je pense que Cantet et Bégaudeau méritent leur Palme, tout comme les abominables frères Dardenne la méritaient. La faute de goût, c’est quand on la décerne à Pialat ou Kusturica.

Il n’y a pas d’affaire Enderlin

306

Une pleine page (et un édito) dans le Wall Street Journal, deux feuillets dans Le Monde (au demeurant, le seul quotidien français à avoir traité l’information) : le désaveu judiciaire infligé à France 2 n’a pas passionné les médias français. Il est vrai qu’il s’agit d’une vétille : un tribunal déclare qu’il existe de légitimes raisons de douter de la véracité d’un reportage à haute teneur symbolique diffusé dans le monde entier par la première chaîne de la télévision publique française. Au passage, le juge admet que, parmi les récits présentés comme des « faits » qui sont supposés former notre intelligence du monde, certains sont peut-être de purs bidonnages. De la réalité pour télé. Un monde en noir et blanc pour écran couleurs.

On se demandait comment allait réagir la profession, si prompte à faire feu sur les manquements moraux, réels ou supposés, de toutes les autres corporations. Par un examen de conscience collectif ? Un authentique débat interne ? La bonne blague. En serrant les coudes. Puisque que ce dont nous ne parlons pas n’existe pas, étouffons l’affaire. Il en va de l’intérêt supérieur du Parti (des médias). Lequel, comme le monde est bien fait, se confond avec celui de la démocratie : taire ou traiter comme insignifiante la défaite de France 2, c’est protéger le public (on imagine sans peine le charivari qui eût suivi un verdict inverse).

Cela devait être un remake de David contre Goliath, avec David dans le rôle du méchant. La chaîne publique avait attaqué en diffamation Philippe Karsenty, animateur d’un site internet « de notation des médias ». Après le verdict de la Cour d’Appel infirmant sa condamnation en première instance, celui-ci a été interrogé par la BBC et des médias australien, néerlandais, américains, tunisien. En France, les « grands journaux » ont signalé l’information sur leur site internet – où elle a l’avantage d’être très vite ensevelie –, mais seul Le Monde l’a jugée digne de sa « version papier ». Quant à France 2, elle a jugé que ses téléspectateurs avaient « le droit de savoir » : le soir du verdict, en fin de JT, David Pujadas a expliqué que la Cour avait « reconnu la diffamation mais relaxé l’auteur des propos diffamatoires au bénéfice du doute ». Fermez le ban. Pas un mot sur les « incohérences inexplicables » relevées par Karsenty (et le Tribunal) dans le reportage sur la mort de Mohamed Al Doura, ni sur « l’imprudente affirmation par Charles Enderlin qu’il aurait coupé au montage les images de l’agonie de l’enfant » – agonie dont il n’a pas fourni les images au Tribunal. Bref, les téléspectateurs, à qui l’on a expliqué il y a huit ans qu’ils avaient assisté à « l’assassinat d’un enfant » (terme employé par Jean-Claude Allanic, alors médiateur de France 2, quelques jours après la diffusion du reportage) ne sauront pas l’essentiel : après avoir visionné les rushes (dont ils notent les « réticences persistantes » de France 2 à les montrer), les juges estiment qu’il n’est plus possible « d’écarter les avis des professionnels entendus au cours de la procédure » qui avaient mis en doute l’authenticité du reportage. S’ils reconnaissent le caractère diffamatoire, en clair offensant, des propos de Karsenty, leur verdict signifie que l’offense était légitime. Jouant des subtilités de la loi sur la presse, France 2 se paie notre tête. En 14 secondes.

La direction de France Télévision (qui, il est vrai, a hérité à son arrivée de ce bébé pas très bien formé) s’est montrée plutôt discrète. C’est par la bouche de ses avocats qu’elle a annoncé son intention de se pourvoir en cassation, décision justifiée de façon fort cocasse par le fait que la Cour d’Appel avait cassé le jugement de la XVIIe Chambre. Si l’on pousse à son terme un tel raisonnement, il faut en déduire que l’appel est par nature superfétatoire. En attendant, la chaîne ne s’est pas fendue du moindre communiqué de soutien à son correspondant en Israël. Lequel a choisi de s’en prendre indistinctement à tous ceux qui osent le critiquer.

Entre Tintin et Galilée, Charles Enderlin se la joue « baroudeur » et chante le grand air de la victime. Après avoir annoncé sur son site que « les propos de Philippe Karsenty étaient diffamatoires », il se plaint de la « campagne de désinformation et de diffamation » dont il est l’objet. Elle est excellente. Va-t-il poursuivre les juges pour diffamation ? Ainsi qu’en atteste l’échange (si on peut qualifier ainsi ce dialogue de sourds) que nous avons eu sur son site, mon honorable confrère a beaucoup de talent, y compris pour éviter les questions qui l’ennuient et répondre à celles qu’on ne lui pose pas – en tout cas, pas moi.

« Enderlin contre les méchants » : tel est le récit canonique relayé par la plupart des médias – récemment encore par Canal + et l’AFP sous la plume de Marius Schattner, journaliste au bureau de Jérusalem. « Différents organismes ultra-nationalistes ont alors répandu la thèse d’un véritable complot anti-israélien, certains allant jusqu’à prétendre que le petit Mohammed n’était pas mort », écrivait celui-ci il y a quelques semaines. La défense adoptée par Charles Enderlin nécessite qu’il ait en face de lui des extrémistes juifs, des nationalistes israéliens ou des émules de Thierry Meyssan. Certains des contradicteurs d’Enderlin appartiennent aux deux premiers groupes ; et, parmi eux, il en est qui manient l’invective et l’injure plutôt que l’argumentation – rendant un fier service au Parti des Médias qui s’estime ainsi dispensé de répondre à de tels adversaires. Les menaces, y compris physiques, proférées à l’encontre de Charles Enderlin et les insultes visant ses supposées préférences politiques ou ses prétendus tourments identitaires sont inacceptables – et pour tout dire, imbéciles.

Pour autant, rien n’autorise à confondre les uns et les autres, ceux qui s’interrogent et ceux qui dénoncent. Le procédé est connu : pour évacuer toute question, on disqualifie ceux qui les posent. Et on répond à des accusations imaginaires : Charles Enderlin se plaint de ce que je l’aurais accusé de ne pas avoir été à Netzarim le 30 septembre 2000 : or, c’est un fait qu’il n’a jamais nié et que j’ai tout simplement rappelé, sans en tirer la moindre conclusion d’ailleurs, n’ayant en aucun cas la religion du terrain – qui, lui, ne ment pas. Bref, pas la moindre accusation sur ce point mais un consensus total. (Sans doute est-ce inconsciemment qu’il use du registre sémantique du procès, lui-même se voyant dans le rôle de l’innocent injustement accusé).

Il est cependant plaisant qu’Enderlin invoque ici-même (voir dans les commentaires) son statut de « journaliste aux premières loges d’un conflit sanglant », puisque précisément, ce jour-là, il n’était pas « aux premières loges » : n’est-ce pas la preuve que l’on peut faire du journalisme, parfois du bon journalisme, sans être « sur place » ? Passons sur cette légère incohérence.

Reste qu’à force de se dire odieusement diffamé et harcelé, il a contribué à personnaliser le débat. Aussi partage-t-il avec ses ennemis les plus virulents la responsabilité d’avoir transformé l’affaire Al Doura en affaire Enderlin. Il n’y a pas d’affaire Enderlin.

Cher Charles, nul n’attend de vous une autocritique en place publique. Ici en tout cas. Mais rien ne vous autorise à répondre par le mépris à tous ceux qui doutent de bonne foi. Autorisez-moi donc à vous poser ici sept questions. Ces réponses, vous nous les devez, car vous êtes le seul à pouvoir les donner. Et surtout, vous vous les devez à vous-mêmes.

– De combien de temps avez-vous disposé pour monter votre sujet à partir des rushes fournis par Talal Abu Rahma ?
– Vous avez affirmé avoir coupé l’agonie de l’enfant parce qu’elle était trop insupportable, mais vous ne l’avez pas montrée au Tribunal, ni à quiconque. Votre mémoire vous a-t-elle trompé ?
– Le 30 septembre 2000, vous avez affirmé dans votre commentaire que « l’enfant était la cible de tirs venus de l’armée israélienne ». Quelques jours après, au cours d’une émission durant laquelle vous interveniez au téléphone, le médiateur de France 2 a parlé de « l’assassinat d’un enfant ». (Plus tard, vous avez donné la parole à Yom Tov Samia mais vous admettrez que sa parole n’a pas le même statut que la vôtre ou celle du médiateur). En novembre 2004, Arlette Chabot estimait qu’ »on ne saurait jamais d’où venaient les tirs ». Quelle est aujourd’hui votre intime conviction ?
– Comment expliquez-vous les contradictions existant entre les versions successives de Talal Abu Rahma, en particulier entre sa déclaration envoyée au Centre palestinien des Droits de l’homme début octobre 2000 et le fax adressé à France 2 en 2003, mais aussi quant à la durée de « l’incident » (je sais que le terme est mal choisi) et au nombre de caméramen présents ?
– La plupart de ceux qui ont visionné les rushes ont admis qu’ils comportaient des scènes de guerre jouées. Est-il selon vous possible et probable que votre collaborateur ait filmé des mises en scènes et que, dans la foulée, tournant sa caméra, il soit tombé sur une tragédie véritable ?
– Votre réflexe immédiat, dès que les polémiques ont commencé, a été de renouveler une confiance absolue à Talal Abou Rahma, et, d’une certaine façon, ce réflexe vous honore. Mais peut-être qu’aucun être humain ne mérite une confiance absolue. Par ailleurs, votre caméraman ne cache pas qu’il exerce ce métier pour défendre la cause palestinienne. Cela vous pose-t-il problème ? Vous est-il arrivé de douter ?
– Pensez-vous que votre travail est, par principe, irréprochable, au-delà de toute critique ?

C’est un juge qui doit aujourd’hui rappeler que les journalistes ne sauraient être les seuls à pouvoir échapper à la vigilance dont ils sont les champions. « Charles Enderlin peut d’autant moins se soustraire à la critique qu’elle le vise en tant que professionnel de l’information, correspondant en Israël et dans les territoires palestiniens pour les journaux de France 2 diffusés aux heures de grande audience, et, qu’à ce titre, il s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle des plus attentifs de ses faits et gestes de la part de ses concitoyens comme de ses confrères », estime la Cour d’appel. Son arrêt est d’autant plus notable qu’il rompt avec une tradition établie depuis une trentaine d’années de bienveillance mutuelle entre la magistrature et la presse. Il est de surcroît rarissime que le juge désavoue un « grand média ». Il convient d’ailleurs de rappeler que France 2 n’a pas été condamnée mais déboutée. « Le Tribunal a accordé un permis de douter », ainsi que l’a joliment résumé Pascale Robert-Diard dans Le Monde. Les journalistes n’ont pas un permis, mais un devoir de douter. Y compris, et peut-être d’abord, d’eux-mêmes.

Un jeune vieux parti

2

Die Linke (La Gauche), le parti de refondation de la gauche allemande créé il y un an, tenait son premier congrès les 24 et 25 mai. Son ambition : regrouper l’ensemble de la gauche anti-libérale et constituer un mouvement « digne du troisième millénaire ». De quoi fasciner tous ceux, en France, qui rêvent d’une formation unitaire de gauche en marge du PS. Seul hic : outre que nombre de ses cadres sont d’anciens staliniens, Die Linke est dirigée par un trio de papys – Oscar Lafontaine (65 ans), Lothar Bisky (68 ans) et leur cadet Gregor Gysi (60 ans), lequel pourrait difficilement rétorquer que « c’est la jeunesse du cœur qui compte », ayant déjà trois infarctus à son actif.

La France selon CNN

0

« Du 2 au 8 juin, une analyse complète du nouveau visage de la France » : telle est l’ambition (et la publicité) qu’affiche la chaîne américaine CNN. Et à chaque journée « d’analyse complète » correspond une illustration visuelle. Lundi, consacré au « nouveau visage » de notre pays : un tampon « immigration ». Mardi, consacré aux « enjeux stratégiques internationaux » nous impliquant : rien. Case vide. Mercredi, ou les « défis économiques » : un logo nucléaire. Jeudi, ou « l’art de vivre à la française » : un tag barré du mot « Amor ». Vendredi, ou les limbes de « l’identité française » : une trace de rouge à lèvres. No comment. Samedi, « best of » : rien. Dimanche, consacré à « la France qui bouge » : un F au milieu du seul drapeau européen.

Dany Boon a failli perdre le Nord

11

Kad Merad est en passe de devenir un de nos plus grands acteurs. J’ai dit ! La preuve : même dans les navets intimistes dont la France s’est fait une spécialité, il explose. C’est sur ses épaules que reposent les frêles Ch’tis et leur succès surdimensionné. Or qu’apprends-je ? Kad n’était qu’un deuxième choix. A l’origine, Dany Boon aurait préféré Daniel Auteuil ! Et pourquoi pas Francis Huster ou (j’ai mieux) Francis Perrin ?

Protégez-nous de Pascal Lamy

1

Pascal Lamy, le patron (socialiste et français) de l’OMC a le sens du débat. « Je ne connais aucun protectionnisme qui ne porte une dose de xénophobie et de nationalisme. C’est sur le « plus jamais ça » d’après-guerre que s’est bâti le système actuel », a-t-il déclaré dans Libération le 21 mai (), alors même que de nombreux économistes prônent aujourd’hui un certain protectionnisme européen. Les salauds ! (On attend qu’il fasse part de ses observations aux Etats-Unis et à la Chine qui en connaissent un rayon en matières de barrières commerciales). En clair, si vous pensez que l’Europe pourrait (ne serait-ce qu’en appliquant ses propres règles) protéger son marché intérieur, et accessoirement, ses habitants les plus vulnérables, c’est que vous êtes un foutu raciste. Si vous pensez qu’il faut encourager le Tiers Monde à se doter de lois sociales, vous êtes un xénophobe. C’est bien connu : on commence par s’énerver contre l’invasion des T shirts chinois (ou des téléviseurs chinois, ou des chaussures chinoises) et on finit par dénoncer le péril jaune. C’est bien connu.

Lettre à tout le monde sur n’importe qui

2

Mea maxima culpa ! Julien avait raison : Pierre Desproges n’a jamais dit « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui », mais seulement « … pas avec tout le monde ». Nuance !

« Ca change quoi ? » diront certains esprits légers (que je salue au passage). Eh bien désolé, mais en l’occurrence ça change tout, esprits légers que vous êtes ! Dans le vague « tout le monde », il n’y a pas trace du mépris qui suinte du « n’importe qui ».
Or la tradition orale dont on nous tympanise depuis plus de vingt ans insiste unanimement sur ce « n’importe qui » desprogien, y compris la presse commémorative que j’ai colligée pour vous servir.

Bref, maintenant que j’ai reconnu mon erreur, permettez-moi d’expliquer en un mot (comme en cent) pourquoi j’ai eu raison d’avoir tort.
Qu’est-ce qui compte le plus pour la postérité, d’après vous ? Une phrase authentique et oubliée, ou un apocryphe devenu canonique ?
Henri IV n’a jamais dit « Paris vaut bien une messe ! », ni Louis XIV « L’Etat c’est moi ! », ni même Sarkozy « Si tu reviens j’annule tout. » Ça n’empêche qu’on les résume volontiers à ces formules controuvées. Tout le problème est de savoir si ces faux-là traduisent quelque chose de vrai.

Dans l’affaire Desproges en tout cas, je réponds oui sans hésiter à ma propre question. Et pour le prouver, rien de tel que de replacer la phrase dans son contexte, n’est-ce pas ?

Donc « recontextualisons » ! Il en restera toujours quelque chose…
Et d’un, Desproges s’adresse au Pen, qui n’est pas exactement M. Tout le Monde, surtout en 1984. Et de deux, l’humoriste cite trois exemples de « méchants » avec lesquels il n’aurait pas envie de rire. Or parmi ceux-ci deux sont purement virtuels : sauras-tu deviner lesquels ?

1. les « staliniens pratiquants » (une race alors déjà éteinte en France – et même en URSS, maintenant que j’y pense) ;
2. les « terroristes hystériques » (qu’on se le dise ! Desproges ne plaisantait qu’avec les terroristes équanimes, voire ataraxiques…) ;
3. les « militants d’extrême droite » (qui, on l’aura noté, n’ont même pas besoin d’une épithète péjorative, tant la diabolisation va de soi).

Tu as coché la case 3 ? Bravo ! Mais ne juge pas pour autant Pierre… Le talent n’interdit pas le besoin de reconnaissance – même s’il passe sous des fourches caudines.

En tant qu’anar de droite contrarié par l’époque, notre P.D. a cru avoir besoin de ce brevet d’antifascisme à deux balles. Et qui sommes-nous pour juger ce gland ? Après tout il faut bien vivre, comme disait le mec juste avant de crever.

Bienvenue chez les Chiites

5

Le Liban a un drapeau, une monnaie, des institutions – en somme il possède tous les attributs du sujet, mais n’est pas un sujet. En réalité, il n’existe ni nation libanaise ni Etat libanais. Tout le problème est là.

Après plus de soixante ans de coexistence plus ou moins violente sous le même toit, cet agrégat de communautés n’est pas arrivé à transcender ses appartenances confessionnelles pour engendrer une nation, seule collectivité capable aujourd’hui de donner corps à un Etat souverain.

Le dernier épisode du feuilleton libanais n’est qu’une énième illustration de cette impasse. Rappelons brièvement les faits. Début mai, le conseil des ministres libanais prend deux décisions. La première est de démettre de ses fonctions l’officier responsable de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth (qui avait autorisé le Hezbollah à installer sur les pistes un équipement lui permettant de contrôler l’approvisionnement de son armée privée). La deuxième est d’ordonner à la milice chiite de démanteler son système de communication.

Dans les deux cas, il s’agissait d’une tentative gouvernementale de sauvegarder la souveraineté libanaise face à un mouvement qui œuvre depuis des années à la construction d’un Etat dans l’Etat. Le Hezbollah et ses alliés ont réagi manu militari par l’occupation de Beyrouth-Ouest. Et une fois de plus, « les armes sacrées de la résistance contre l’occupation israélienne », pour reprendre le style fleuri qui a cours là-bas, ont été tournées contre les « frères libanais ». Quant à l’armée, elle n’est pas plus libanaise que l’Etat et son impuissance face au putsch du Hezbollah ne fait que le confirmer. Le Liban n’est plus qu’un terme géographique. Ou un prête-nom.

Cependant, quoique le Hezbollah soit maître du jeu, ses dirigeants ont, très intelligemment, décidé de se contenter du vrai pouvoir sans s’embarrasser des ses attributs, ou plutôt de ses hochets. L’apparence du pouvoir, ils la laissent volontiers aux partis et clans traditionnels. Ainsi le Hezbollah peut-il exercer l’autorité sans en assumer la responsabilité. Avec, de plus en plus, le monopole de la violence – peu lui importe qu’elle soit ou non légale. Son chef Hassan Nasrallah fixe les objectifs de la politique extérieure du Liban, c’est lui qui décide et noue les alliances au nom du pays et dicte sa stratégie militaire. C’est lui également qui en recueille tous les dividendes tandis que les chefs de la majorité drainent vers eux toutes les critiques. Bien joué.

Nasrallah a compris ce que les chefs du Hamas à Gaza ont préféré ignorer : faire la pluie et le beau temps est plus efficace que d’apparaître comme le météorologue en chef. Le Hamas, qui ne peut plus s’abriter derrière une Autorité palestinienne qui lui servait de paratonnerre, doit assumer la responsabilité de sa politique et, de surcroît, affronter les foudres de la communauté internationale et les régimes arabes modérés. Face à cette stratégie qui n’en est pas une, celle du Hezbollah se résume donc à un magistral tour de passe-passe : le pouvoir sans ses conséquences, la résistance à un ventre mou.

Reste à savoir pourquoi la majorité gouvernementale se laisse ainsi ridiculiser. La raison en est probablement que le souci premier des chefs sunnites, maronites et druzes est de défendre leurs intérêts communautaires – ce qui revient à chouchouter leurs clientèles. En clair, ils sont incapables de privilégier l’intérêt général. Or, l’intérêt général consisterait précisément à empêcher le Hezbollah de rafler le beurre et l’argent du beurre. En passant, une fois de plus, à côté de l’Histoire, ils ne font que confirmer ce mot, tristement drôle, de l’ami Basile de Koch : le Liban est le seul pays au monde qui se suicide pendant qu’on l’assassine.

Attrapons le GAL !

8

Le film intitulé GAL m’a indisposé grave. Non que je l’aie vu, certes ! A nos âges il faut se concentrer sur l’essentiel et se ménager : deux contre-indications radicales. Juste l’idée exorbitante de faire un « sequel » avant le film. Comme si la réaction précédait l’action et que l’effet puisse exister sans sa cause. Et pourquoi pas évoquer les crimes de l’Ulster Defence Association avant ceux de l’IRA ? Même Ken Loach n’y aurait pas pensé…
Jamais l’organisation terroriste ETA n’a fait l’objet d’un film éponyme relatant ses cinquante ans de folie criminelle. En revanche, il s’est trouvé un producteur assez courageux pour dénoncer, vingt ans après les faits, la « dérive paramilitaire » anti-ETA financée et armée dans l’Espagne démocratique des années 80 par le gouvernement légitime – et même socialiste, pour l’essentiel… « Y a pas de hasard ! », comme dit mon épouse actuelle.

Esclavage : tout n’est pas noir

7

Alors que les commémorations de l’abolition de l’esclavage se succèdent (le 10 mai en France, le 22 aux Antilles), pourquoi ne pas célébrer aussi une date plus réjouissante et totalement ignorée : la première abolition, le 4 février 1794 par la Convention ?