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Sacrée union

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Nicolas Sarkozy se rendra ce samedi au Liban pour rencontrer le nouveau président Michel Sleimane. Histoire d’afficher à ce pays le soutien sans faille d’une France unie, l’Elysée a invité au voyage les principaux dirigeants de l’opposition – François Hollande (PS), François Bayrou (MoDem) et François Fillon (gouvernement)…

Sympathy for the Débile

Le mois de mai, tout entier dédié à la commémoration de 68, s’est-il achevé par un bâillement général ? Soit. Mais point de sarcasme : ces festivités auront été authentiquement remarquables. Tout d’abord parce qu’elles révèlent à quel point notre hiérarchie de l’histoire est bouleversée: à l’aune du traitement médiatique, Mai 68 est désormais l’événement le plus marquant de nos manuels. Exagération ? Qu’on en juge ! L’ensemble des hebdos et des quotidiens lui ont consacré au moins une couverture. Combien en ont fait de même pour le demi-siècle de la Ve République et de notre Constitution ? Aucun. Zéro couv’. Trop barbant ? En Allemagne, démocratie exemplaire, on ne rechigne pourtant jamais au « patriotisme constitutionnel »… Passons. Le printemps de Prague en 1968, prélude à un bouleversement inimaginable dans l’ordre géopolitique (souvenons-nous des sinistres prophéties de Jean-François Revel sur l’immuabilité du bloc de l’est…) ? Rien. Pas même un dossier – que dis-je ! pas même un simple article. Trop futile, sans doute. Le premier sursaut politique européen, appelé « printemps des peuples », en 1848 ? On cherchera en vain le moindre articulet. Trop populiste, certainement. L’ultime pavé de Daniel Cohn-Bendit – Forget 68 (éditons de l’Aube) – aura donc été inutile : le souvenir de Mai 68 mobilise plus sûrement nos médias que, pour ne prendre que cet exemple anecdotique, la chute du nazisme.

Mais nous avons aussi assisté à l’invention d’un nouveau genre de célébration. Avec le cru 2008, nous avons quitté l’ordre assez classique de la louange pour la recherche désespérée du procès en réhabilitation. Les champions de 68 réclament désormais, au besoin implorent, des procureurs ! Ne sachant plus exactement que célébrer (on verra plus bas pourquoi…), les célébrants n’ont cessé de convoquer des détracteurs qui ne daignaient plus montrer le bout de leur groin. Ah ! qu’ils paraissent enfin ces réactionnaires, anciens ou « nouveaux », et qu’ils étalent les griefs de « la France moisie »… « Accusez, levons-nous ! », s’encouragèrent-ils les uns les autres. Triste drame, vaine attente. De la génération précédente, les pourfendeurs du « monôme » sont pour la plupart tout bonnement morts. Parfois de fatigue. Les plus « jeunes », contemporains de July ou Sollers, sont un peu comme nous : ils ont tourné la page. Mai 68 : de Tillinac à Debray, on s’en tamponne le coquillard. Comprenons la déception de nos taxidermistes : sans adversaires, comment prolonger le combat ? Mai 68 sombre, hors médias, dans l’oubli – et si ce n’était qu’un début ?

Ici gît la malédiction de Mai 68, dont seuls les anniversaires sont d’authentiques révolutions. Pour trouver matière à célébration, il aura fallu recourir à un subterfuge d’une puissante candeur : apposer à tous les événements progressistes de l’histoire de France le label « 68 ». Tout ce qui fut bon avant et après 68 ne fut qu’annonciation ou prolongement du joli mois de mai. C’était cela, camarade, ou bien alors avouer, une bonne fois pour toute, que tout avait déjà eut lieu avant, ou bien après – et que dans tous les cas, d’autres que les jeteurs de pavés s’en étaient chargés… Prenez la cause des femmes. Leur entrée au gouvernement ? Blum, 1936. Le droit de vote ? De Gaulle, 1944. La pilule ? Neuwirth, sous de Gaulle. L’IVG ? Veil, sous Giscard. Voyez la libération sexuelle : au pays de Laclos et de Crébillon, de Clemenceau et de Guitry, est-il sacrilège de rappeler qu’elle commença il y a des lustres, et que ce ne sont pas les militants de Mai 68, aussi folkloriques aient-ils été mais l’importation des luttes américaines qui contribua à améliorer le sort des homosexuels ?

Quant à la condition ouvrière, est-il bien digne d’escamoter, après le Front Populaire, la collaboration gaullo-communiste qui en permit l’amélioration ? Et puisque chez nous toutes les révolutions, y compris rêvées, finissent en chansons, la musique n’aura pas échappé à cette entreprise de captation historique. En témoigne la compilation qui est restée tête de gondole dans toutes les FNAC et Virgin du pays ces dernières semaines : Mai 68 : la bande originale. Elle est édifiante, qui s’ouvre sur trois tubes des fifties : I’m left (Elvis Presley, 1954), Shake rattle and roll (Fats Domino, 1954), Johnny B Goode (Chuck Berry, 1958). Suivent quelques morceaux soixante-huitards en diable : Monsieur William par Les Compagnons de la Chanson (Léo Ferré, 1953), L’âme des poètes (Charles Trenet, 1951) ou encore le très guévariste Da Dou Ron Ron Ron de Richard Anthony (Gonzalo Roig, 1963). On trouvera certes quelques morceaux plus marqués, comme Le Déserteur de Boris Vian, mais il date, lui aussi, de… 1954. Curieux. Il y avait pourtant un bon titre à célébrer 68. Je veux dire un bon titre de chanson, composée spécialement pour et pendant Mai 68 par les Rolling Stones. Une chanson curieusement oubliée dans notre « compilation » officielle et dont le titre était Sympathy for the Devil. Craignait-on un mauvais jeu de mot ?

Sarko Psy Show

A l’Elysée, on a dû angoisser. Cela faisait au moins une semaine, peut-être même deux ou trois, que le Président n’était pas à la une des magazines. Au point que la rumeur sournoise a même couru qu’il ne vendait plus (ce qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire. Pas de panique. A en juger par les covers de Marianne et du Point, la mainmise de Nicolas Sarkozy sur les médias (en tout cas sur leur agenda) ne s’est pas desserrée. « Le cas Sarkozy expliqué par les femmes », annonce l’hebdomadaire fondé par JFK. Le Point, pour sa part, a préféré faire appel aux psys pour sonder le cœur et les reins du président. Et pourquoi pas « la politique de Sarkozy », tant qu’on y est ?

Diffusion de fausses nouvelles

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Quelques brèves auxquelles vous avez échappé cette semaine :

– Grève des pêcheurs, les merlans solidaires
– Le bilan des Ch’tis : 20 millions d’entrées et le retour de Martine Aubry Temps pourri, la faute à Sarkozy ?
– Attentats de la FNAR : Le MRAP lance une pétition en faveur des radars Pour ou contre l’ouverture à gauche le dimanche ?
– Encore un mariage gay annulé : Kevin avait menti sur son homosexualité.

Question de fonds

Nous avons appris, grâce à Marianne2.fr, que nonfiction.fr, site dirigé par l’aimable confrère Frédéric Martel, bénéficiait de 25.000 € de subventions accordées par 5 ministères, dont celui des Affaires européennes. Si nous étions des libéraux aussi sourcilleux que ceux qui peuplent les institutions européennes, nous dénoncerions une grave atteinte à la concurrence, car Causeur ne bénéficie, malheureusement, d’aucune aide publique. Peut-être faut-il en conclure que, contrairement aux idées saines que défendent nos confrères, celles que nous propageons sont nocives. Si nous sommes tricards au ministère de la Propagande, il doit y avoir une raison, non ?

Réalisme socialiste ou ciné-réalité ?

Sean Penn avait annoncé une palme d’or politique. Elle fut politiquement correcte. Dans ce registre, aucun poncif ne nous a été épargné depuis que le jury cannois, dirigé par une grande conscience de l’Amérique, a accordé sa plus haute distinction au film de Laurent Cantet tiré du livre de François Bégaudeau, Entre les murs. Un festival de bons sentiments, de propos édifiants et de jeux de mots à deux balles – comme « la grande classe ». Que Jérôme Béglé, mon confrère de Paris Match, soit remercié pour avoir produit une fausse note dans ce concert si consensuel que cela en devient comique. De retour de Cannes, Béglé a ironisé sur la schizophrénie du festivalier contraint de compatir aux malheurs du monde le jour et de noyer sa compassion dans le champagne la nuit. Elle est pas belle, la vie ?

Après d’atroces hésitations, on décernera la palme du commentaire benêt à la journaliste qui, sur France Inter, a découvert avec effroi « une situation totalement anachronique » : « Derrière la Palme d’or et son tapis rouge se cachent des sans-papiers. » « Il est primé à Cannes et sa mère n’a pas de papiers. » S’il est encore permis de faire appel à la raison, on aimerait comprendre le rapport entre la performance d’acteur du fils et le statut juridique de la mère. Encore qu’il y en a un : la France étant, et c’est heureux, l’un des pays les plus généreux du monde, toute personne entrée sur le territoire national peut inscrire ses enfants à l’école. Le législateur peut décider demain que le fait d’avoir des enfants scolarisés en France donne le droit d’y rester – ce qui reviendrait peu ou prou à renoncer à avoir une politique migratoire. En attendant cette « avancée » (qu’aucun gouvernement de gauche ou de droite n’a jusque-là proposée), on se contentera d’inscrire l’obtention d’une Palme d’or à Cannes dans la liste des motifs de régularisation automatique. Ainsi, peu à peu, disparaîtra, au grand soulagement de notre compassionnelle consoeur, « cette situation anachronique » que l’on nomme frontière. Il faut saluer la candeur et la franchise d’une militante de RESF (Réseau Education sans Frontières), laquelle, stimulée par l’intervieweuse, lâche le morceau. Petit dialogue bien plus instructif qu’il n’y paraît.

– « RESF est habitué à tout mais là, disent-ils, on est vraiment dans l’envers du décor », s’émeut la journaliste qui pléonasme à tout-va sur les « futures stars en herbe » (ou alors, elle veut parler de nourrissons). C’est pas marrant, l’envers du décor.
– « Cela paraît étonnant, répond la militante, que dans un monde où l’on nous parle de paillettes et de stars, la réalité ce soit autre chose. »

Elle a raison, cette dame. Le réel, c’est étonnant. Et bien embêtant. Surtout quand il y a des enfants. Merde au réel, vive le décor : avec les mômes, il faut du gentil. De l’édifiant. Du benettonnisme bon teint. D’ailleurs, Bégaudeau l’a dit : c’est un film destiné à l’édification des vieux. Il s’agit de leur montrer que, contrairement à ce que disent les anachroniques, les jeunes sont sympas. Ainsi que me l’a obligeamment soufflé Marc Cohen, Entre les Murs, ce doit être une version des Choristes pour lecteurs de Télérama et de Libération – qui, eux aussi, ont droit à leur shoot de bonne conscience malheureuse.

Cela n’a échappé à personne : Entre les Murs est un film à message. Et même à multi-messages. Ce sont ces messages que célèbrent les commentateurs. Et ce sont ces commentaires que l’on prétend ici analyser. François Bégaudeau aimerait que personne ne s’exprime avant d’avoir vu le film. Il me pardonnera de ne pas céder à cette injonction et de trouver ses interventions et d’autres fort intéressantes par elles-mêmes. Elles méritent donc d’être décryptées. Il n’est pas exclu que le film, échappant au didactisme de ses auteurs, soit réussi – et on le souhaite ardemment.

En attendant de voir le film, la vague Entre les murs a valeur de symptôme. Laissons la parole à un journaliste du Parisien qui s’est étourdiment réjoui de la mort du cinéma : « Sean Penn, laissera sur la Croisette sa signature de Zorro, privilégiant un cinéma à double vocation, politique et sociale. » On craignait que le cinéma soit un art, ce truc bourgeois, voire élitiste, en tout cas vieux, qui prétend parler du monde à travers des situations et des personnages inventés. Nous voilà rassurés. Retour au bon vieux temps du réalisme socialiste, avatar vingtièmiste de la littérature édifiante du XIXe. On ne risque pas de revoir un mauvais coucheur dans le genre de Pialat gagner la Palme d’or.

Au cas où cela aurait échappé à quelques téléspectateurs distraits, le film palmé entend être un plaidoyer pour « la richesse de la diversité culturelle », selon Nicolas Demorand, une ode à « la sociologie bigarrée », pour Bégaudeau. Il est assez rigolo, d’ailleurs, d’observer à quel point le thème de la diversité fait l’unanimité, jusque dans les rangs du gouvernement qui s’est empressé de voler au secours de cette victoire. En somme, plus on est divers culturellement, plus on se doit d’être idéologiquement homogène. Entre les murs, on cultive l’entre-soi.

Cadavres exquis

L’indélicat internaute qui avait modifié la fiche de Philippe Manœuvre sur Wikipedia, en indiquant qu’il était mort, a été interpellé par la police et son matériel informatique a été confisqué. La chasse aux annonciateurs de cadavres, comme les appelait Elias Canetti, est ouverte.

PS : Si quelqu’un a un ordinateur de seconde main à prêter à Jean-Pierre Elkabbach, faire offre.

Ma vie sexuelle

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C’était le 24 mai 1968. A 17 h 30. J’étais une jeune étudiante berlinoise de 21 ans et nous prenions un verre dans le Charlottenburg avec Willy, qui ne m’avait pas encore demandée en mariage. Il ne l’a jamais fait d’ailleurs et j’attends toujours qu’il vienne, avec des gants beurre frais, me demander ma main pour y coller de romantiques menottes que seuls le marquis de Sade et Robert Ménard savent apprécier à leur juste valeur (Robert, si tu me lis, sache que j’ai vu tes affiches et que je suis ouverte, moi aussi, aux nuits de Chine, nuits câlines, nuits d’amour).

Le temps a fait son œuvre et je ne sais plus trop bien de quoi mon futur mari et moi parlions à ce moment précis de mai 1968. Peut-être était-il en train d’échafauder je-ne-sais-quelle organisation de sit-in ou de die-in en faveur d’une cause essentielle (Willy a toujours été revendicatif et fainéant) : solidarité avec les étudiants parisiens victimes de l’impitoyable répression gaulliste (10 000 morts), sympathie pour Rudi Dutschke qui se remettait à peine de l’attentat qui l’avait visé un mois auparavant, manifestation contre le coup d’Etat en Sierra Leone ou contre l’élection du vieil Arnulfo Arias à Panama…

Ce dont je me souviens, c’est qu’Il est entré à 17 h 30 précises dans le bar et que, dès lors, je n’ai plus vu que Lui. J’avais vu Sa photo noir et blanc dans les journaux. J’ai reconnu Ses cheveux rouges. Il s’est assis. Je me suis levée, empressée de Le saluer.

Il m’a répondu par un borborygme dont seuls les Allemands ont le secret, lorsqu’ils veulent se débarrasser d’un importun. Je L’ai quitté, pour retourner m’asseoir. Willy était déjà en train de partir, me lançant :

– Compte plus sur moi pour t’épouser… De toute façon, le mariage c’est nul !

Il est sorti. Neuf mois après nous avions notre première fille. Trois ans après nous nous mariions. Voilà trente-sept ans donc qu’à cause de Daniel Cohn-Bendit et Willy réunis, j’éprouve la nullité du mariage. Pas de quoi frapper une vierge.

Le faucheur du Champ de Mars

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En 1622, l’explorateur Josselin de Lachignolle ensemença le Champ de Mars (alors propriété de l’abbaye Sainte-Geneviève) d’une plante qu’il ramenait de l’un de ses voyages aux Amériques : le blé d’Inde, pas encore connu sous le nom de maïs. Les jeunes pousses furent fauchées en une nuit par Nicéphore Lacastagne, qui soutenait que le maïs transmettait la peste à l’homme. Cela lui valut de passer à la postérité sous les traits du Faucheur du Champ de Mars.

Diebo Velasquez, Le Faucheur du Champ de Mars. Huile première pression sur toile sans OGM, 1623, musée Mosanto. A lire, l’ouvrage de G.-M. Benamou : Le Faucheur du Champ de Mars.

Ayaan Hirsi Ali : les hérauts sont fatigués

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Aurions-nous eu raison de ne pas nous investir dans le soutien total à Ayaan Hirsi Ali ? Il est trop tôt pour l’affirmer, mais une nouvelle polémique se développe aux Pays-Bas à propos d’un livre pour enfants « à thèse » que l’ex-députée vient de faire publier à Amsterdam. D’après le quotidien britannique The Independant (d’ordinaire peu enclin à la caricature ou au bidonnage), le livre de la récente récipiendaire du premier « Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes » raconte l’amitié contrariée entre deux gamins hollandais, Adan le musulman – battu par son père intégriste – et Eva la juive – dont la belle-mère ne pense qu’à accroître sa fortune. On s’en doute, une telle juxtaposition de clichés était de nature à faire grincer quelques dents bataves. Si cette gourderie était avérée (nous lisons mal le néerlandais et, pour l’instant, le livre n’est pas traduit), nous n’en serions que modérément surpris, cette dame ne nous ayant jamais éblouis jusque-là par sa finesse d’analyse. Ainsi, pour Ayaan Hirsi Ali, il n’y a pas et ne peut pas avoir d’islam modéré ; il faut interdire les écoles musulmanes ; il faut réviser d’urgence nos politiques d’immigration, sans quoi la charia s’étendra progressivement à toute l’Europe. Le Parti des Médias a cloué Oriana Fallacci au pilori pour moins que ça. Et la propagation publique d’un tel credo vaudrait immanquablement à Jean-Marie Le Pen un aller simple pour la correctionnelle.

Ne tournons pas autour du pot: c’est aussi grâce aux raccourcis, aux contresens et aux exagérations de quelques supposés experts en islamologie, qu’un Mouloud Aounit réussit à apparaître aux yeux de l’opinion mainstream comme vaguement crédible et somme toute modéré.

Pour nous, il va de soi que rien, même la bêtise la plus crasse, même l’ignorance la plus rayonnante, même les opinions les plus déplorables sur l’islam, le judaïsme, l’homosexualité ou Céline Dion, ne saurait justifier le début d’un commencement de menace sur l’intégrité physique de leurs auteurs. Mais symétriquement, ce ne sont pas les appels au meurtre qui nous dicteront, par ricochet, les idées qu’il convient de défendre. Rien ni personne ne nous contraindra à penser que les cibles de fatwas, d’oukases, ou de censures diverses ont forcément raison sur tout et que leurs thèses seraient incritiquables de par leurs statuts de victimes. Ce victimisme-là, non plus, ne nous sied pas.

Sacrée union

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Nicolas Sarkozy se rendra ce samedi au Liban pour rencontrer le nouveau président Michel Sleimane. Histoire d’afficher à ce pays le soutien sans faille d’une France unie, l’Elysée a invité au voyage les principaux dirigeants de l’opposition – François Hollande (PS), François Bayrou (MoDem) et François Fillon (gouvernement)…

Sympathy for the Débile

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Le mois de mai, tout entier dédié à la commémoration de 68, s’est-il achevé par un bâillement général ? Soit. Mais point de sarcasme : ces festivités auront été authentiquement remarquables. Tout d’abord parce qu’elles révèlent à quel point notre hiérarchie de l’histoire est bouleversée: à l’aune du traitement médiatique, Mai 68 est désormais l’événement le plus marquant de nos manuels. Exagération ? Qu’on en juge ! L’ensemble des hebdos et des quotidiens lui ont consacré au moins une couverture. Combien en ont fait de même pour le demi-siècle de la Ve République et de notre Constitution ? Aucun. Zéro couv’. Trop barbant ? En Allemagne, démocratie exemplaire, on ne rechigne pourtant jamais au « patriotisme constitutionnel »… Passons. Le printemps de Prague en 1968, prélude à un bouleversement inimaginable dans l’ordre géopolitique (souvenons-nous des sinistres prophéties de Jean-François Revel sur l’immuabilité du bloc de l’est…) ? Rien. Pas même un dossier – que dis-je ! pas même un simple article. Trop futile, sans doute. Le premier sursaut politique européen, appelé « printemps des peuples », en 1848 ? On cherchera en vain le moindre articulet. Trop populiste, certainement. L’ultime pavé de Daniel Cohn-Bendit – Forget 68 (éditons de l’Aube) – aura donc été inutile : le souvenir de Mai 68 mobilise plus sûrement nos médias que, pour ne prendre que cet exemple anecdotique, la chute du nazisme.

Mais nous avons aussi assisté à l’invention d’un nouveau genre de célébration. Avec le cru 2008, nous avons quitté l’ordre assez classique de la louange pour la recherche désespérée du procès en réhabilitation. Les champions de 68 réclament désormais, au besoin implorent, des procureurs ! Ne sachant plus exactement que célébrer (on verra plus bas pourquoi…), les célébrants n’ont cessé de convoquer des détracteurs qui ne daignaient plus montrer le bout de leur groin. Ah ! qu’ils paraissent enfin ces réactionnaires, anciens ou « nouveaux », et qu’ils étalent les griefs de « la France moisie »… « Accusez, levons-nous ! », s’encouragèrent-ils les uns les autres. Triste drame, vaine attente. De la génération précédente, les pourfendeurs du « monôme » sont pour la plupart tout bonnement morts. Parfois de fatigue. Les plus « jeunes », contemporains de July ou Sollers, sont un peu comme nous : ils ont tourné la page. Mai 68 : de Tillinac à Debray, on s’en tamponne le coquillard. Comprenons la déception de nos taxidermistes : sans adversaires, comment prolonger le combat ? Mai 68 sombre, hors médias, dans l’oubli – et si ce n’était qu’un début ?

Ici gît la malédiction de Mai 68, dont seuls les anniversaires sont d’authentiques révolutions. Pour trouver matière à célébration, il aura fallu recourir à un subterfuge d’une puissante candeur : apposer à tous les événements progressistes de l’histoire de France le label « 68 ». Tout ce qui fut bon avant et après 68 ne fut qu’annonciation ou prolongement du joli mois de mai. C’était cela, camarade, ou bien alors avouer, une bonne fois pour toute, que tout avait déjà eut lieu avant, ou bien après – et que dans tous les cas, d’autres que les jeteurs de pavés s’en étaient chargés… Prenez la cause des femmes. Leur entrée au gouvernement ? Blum, 1936. Le droit de vote ? De Gaulle, 1944. La pilule ? Neuwirth, sous de Gaulle. L’IVG ? Veil, sous Giscard. Voyez la libération sexuelle : au pays de Laclos et de Crébillon, de Clemenceau et de Guitry, est-il sacrilège de rappeler qu’elle commença il y a des lustres, et que ce ne sont pas les militants de Mai 68, aussi folkloriques aient-ils été mais l’importation des luttes américaines qui contribua à améliorer le sort des homosexuels ?

Quant à la condition ouvrière, est-il bien digne d’escamoter, après le Front Populaire, la collaboration gaullo-communiste qui en permit l’amélioration ? Et puisque chez nous toutes les révolutions, y compris rêvées, finissent en chansons, la musique n’aura pas échappé à cette entreprise de captation historique. En témoigne la compilation qui est restée tête de gondole dans toutes les FNAC et Virgin du pays ces dernières semaines : Mai 68 : la bande originale. Elle est édifiante, qui s’ouvre sur trois tubes des fifties : I’m left (Elvis Presley, 1954), Shake rattle and roll (Fats Domino, 1954), Johnny B Goode (Chuck Berry, 1958). Suivent quelques morceaux soixante-huitards en diable : Monsieur William par Les Compagnons de la Chanson (Léo Ferré, 1953), L’âme des poètes (Charles Trenet, 1951) ou encore le très guévariste Da Dou Ron Ron Ron de Richard Anthony (Gonzalo Roig, 1963). On trouvera certes quelques morceaux plus marqués, comme Le Déserteur de Boris Vian, mais il date, lui aussi, de… 1954. Curieux. Il y avait pourtant un bon titre à célébrer 68. Je veux dire un bon titre de chanson, composée spécialement pour et pendant Mai 68 par les Rolling Stones. Une chanson curieusement oubliée dans notre « compilation » officielle et dont le titre était Sympathy for the Devil. Craignait-on un mauvais jeu de mot ?

Sarko Psy Show

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A l’Elysée, on a dû angoisser. Cela faisait au moins une semaine, peut-être même deux ou trois, que le Président n’était pas à la une des magazines. Au point que la rumeur sournoise a même couru qu’il ne vendait plus (ce qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire. Pas de panique. A en juger par les covers de Marianne et du Point, la mainmise de Nicolas Sarkozy sur les médias (en tout cas sur leur agenda) ne s’est pas desserrée. « Le cas Sarkozy expliqué par les femmes », annonce l’hebdomadaire fondé par JFK. Le Point, pour sa part, a préféré faire appel aux psys pour sonder le cœur et les reins du président. Et pourquoi pas « la politique de Sarkozy », tant qu’on y est ?

Diffusion de fausses nouvelles

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Quelques brèves auxquelles vous avez échappé cette semaine :

– Grève des pêcheurs, les merlans solidaires
– Le bilan des Ch’tis : 20 millions d’entrées et le retour de Martine Aubry Temps pourri, la faute à Sarkozy ?
– Attentats de la FNAR : Le MRAP lance une pétition en faveur des radars Pour ou contre l’ouverture à gauche le dimanche ?
– Encore un mariage gay annulé : Kevin avait menti sur son homosexualité.

Question de fonds

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Nous avons appris, grâce à Marianne2.fr, que nonfiction.fr, site dirigé par l’aimable confrère Frédéric Martel, bénéficiait de 25.000 € de subventions accordées par 5 ministères, dont celui des Affaires européennes. Si nous étions des libéraux aussi sourcilleux que ceux qui peuplent les institutions européennes, nous dénoncerions une grave atteinte à la concurrence, car Causeur ne bénéficie, malheureusement, d’aucune aide publique. Peut-être faut-il en conclure que, contrairement aux idées saines que défendent nos confrères, celles que nous propageons sont nocives. Si nous sommes tricards au ministère de la Propagande, il doit y avoir une raison, non ?

Réalisme socialiste ou ciné-réalité ?

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Sean Penn avait annoncé une palme d’or politique. Elle fut politiquement correcte. Dans ce registre, aucun poncif ne nous a été épargné depuis que le jury cannois, dirigé par une grande conscience de l’Amérique, a accordé sa plus haute distinction au film de Laurent Cantet tiré du livre de François Bégaudeau, Entre les murs. Un festival de bons sentiments, de propos édifiants et de jeux de mots à deux balles – comme « la grande classe ». Que Jérôme Béglé, mon confrère de Paris Match, soit remercié pour avoir produit une fausse note dans ce concert si consensuel que cela en devient comique. De retour de Cannes, Béglé a ironisé sur la schizophrénie du festivalier contraint de compatir aux malheurs du monde le jour et de noyer sa compassion dans le champagne la nuit. Elle est pas belle, la vie ?

Après d’atroces hésitations, on décernera la palme du commentaire benêt à la journaliste qui, sur France Inter, a découvert avec effroi « une situation totalement anachronique » : « Derrière la Palme d’or et son tapis rouge se cachent des sans-papiers. » « Il est primé à Cannes et sa mère n’a pas de papiers. » S’il est encore permis de faire appel à la raison, on aimerait comprendre le rapport entre la performance d’acteur du fils et le statut juridique de la mère. Encore qu’il y en a un : la France étant, et c’est heureux, l’un des pays les plus généreux du monde, toute personne entrée sur le territoire national peut inscrire ses enfants à l’école. Le législateur peut décider demain que le fait d’avoir des enfants scolarisés en France donne le droit d’y rester – ce qui reviendrait peu ou prou à renoncer à avoir une politique migratoire. En attendant cette « avancée » (qu’aucun gouvernement de gauche ou de droite n’a jusque-là proposée), on se contentera d’inscrire l’obtention d’une Palme d’or à Cannes dans la liste des motifs de régularisation automatique. Ainsi, peu à peu, disparaîtra, au grand soulagement de notre compassionnelle consoeur, « cette situation anachronique » que l’on nomme frontière. Il faut saluer la candeur et la franchise d’une militante de RESF (Réseau Education sans Frontières), laquelle, stimulée par l’intervieweuse, lâche le morceau. Petit dialogue bien plus instructif qu’il n’y paraît.

– « RESF est habitué à tout mais là, disent-ils, on est vraiment dans l’envers du décor », s’émeut la journaliste qui pléonasme à tout-va sur les « futures stars en herbe » (ou alors, elle veut parler de nourrissons). C’est pas marrant, l’envers du décor.
– « Cela paraît étonnant, répond la militante, que dans un monde où l’on nous parle de paillettes et de stars, la réalité ce soit autre chose. »

Elle a raison, cette dame. Le réel, c’est étonnant. Et bien embêtant. Surtout quand il y a des enfants. Merde au réel, vive le décor : avec les mômes, il faut du gentil. De l’édifiant. Du benettonnisme bon teint. D’ailleurs, Bégaudeau l’a dit : c’est un film destiné à l’édification des vieux. Il s’agit de leur montrer que, contrairement à ce que disent les anachroniques, les jeunes sont sympas. Ainsi que me l’a obligeamment soufflé Marc Cohen, Entre les Murs, ce doit être une version des Choristes pour lecteurs de Télérama et de Libération – qui, eux aussi, ont droit à leur shoot de bonne conscience malheureuse.

Cela n’a échappé à personne : Entre les Murs est un film à message. Et même à multi-messages. Ce sont ces messages que célèbrent les commentateurs. Et ce sont ces commentaires que l’on prétend ici analyser. François Bégaudeau aimerait que personne ne s’exprime avant d’avoir vu le film. Il me pardonnera de ne pas céder à cette injonction et de trouver ses interventions et d’autres fort intéressantes par elles-mêmes. Elles méritent donc d’être décryptées. Il n’est pas exclu que le film, échappant au didactisme de ses auteurs, soit réussi – et on le souhaite ardemment.

En attendant de voir le film, la vague Entre les murs a valeur de symptôme. Laissons la parole à un journaliste du Parisien qui s’est étourdiment réjoui de la mort du cinéma : « Sean Penn, laissera sur la Croisette sa signature de Zorro, privilégiant un cinéma à double vocation, politique et sociale. » On craignait que le cinéma soit un art, ce truc bourgeois, voire élitiste, en tout cas vieux, qui prétend parler du monde à travers des situations et des personnages inventés. Nous voilà rassurés. Retour au bon vieux temps du réalisme socialiste, avatar vingtièmiste de la littérature édifiante du XIXe. On ne risque pas de revoir un mauvais coucheur dans le genre de Pialat gagner la Palme d’or.

Au cas où cela aurait échappé à quelques téléspectateurs distraits, le film palmé entend être un plaidoyer pour « la richesse de la diversité culturelle », selon Nicolas Demorand, une ode à « la sociologie bigarrée », pour Bégaudeau. Il est assez rigolo, d’ailleurs, d’observer à quel point le thème de la diversité fait l’unanimité, jusque dans les rangs du gouvernement qui s’est empressé de voler au secours de cette victoire. En somme, plus on est divers culturellement, plus on se doit d’être idéologiquement homogène. Entre les murs, on cultive l’entre-soi.

Cadavres exquis

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L’indélicat internaute qui avait modifié la fiche de Philippe Manœuvre sur Wikipedia, en indiquant qu’il était mort, a été interpellé par la police et son matériel informatique a été confisqué. La chasse aux annonciateurs de cadavres, comme les appelait Elias Canetti, est ouverte.

PS : Si quelqu’un a un ordinateur de seconde main à prêter à Jean-Pierre Elkabbach, faire offre.

Ma vie sexuelle

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C’était le 24 mai 1968. A 17 h 30. J’étais une jeune étudiante berlinoise de 21 ans et nous prenions un verre dans le Charlottenburg avec Willy, qui ne m’avait pas encore demandée en mariage. Il ne l’a jamais fait d’ailleurs et j’attends toujours qu’il vienne, avec des gants beurre frais, me demander ma main pour y coller de romantiques menottes que seuls le marquis de Sade et Robert Ménard savent apprécier à leur juste valeur (Robert, si tu me lis, sache que j’ai vu tes affiches et que je suis ouverte, moi aussi, aux nuits de Chine, nuits câlines, nuits d’amour).

Le temps a fait son œuvre et je ne sais plus trop bien de quoi mon futur mari et moi parlions à ce moment précis de mai 1968. Peut-être était-il en train d’échafauder je-ne-sais-quelle organisation de sit-in ou de die-in en faveur d’une cause essentielle (Willy a toujours été revendicatif et fainéant) : solidarité avec les étudiants parisiens victimes de l’impitoyable répression gaulliste (10 000 morts), sympathie pour Rudi Dutschke qui se remettait à peine de l’attentat qui l’avait visé un mois auparavant, manifestation contre le coup d’Etat en Sierra Leone ou contre l’élection du vieil Arnulfo Arias à Panama…

Ce dont je me souviens, c’est qu’Il est entré à 17 h 30 précises dans le bar et que, dès lors, je n’ai plus vu que Lui. J’avais vu Sa photo noir et blanc dans les journaux. J’ai reconnu Ses cheveux rouges. Il s’est assis. Je me suis levée, empressée de Le saluer.

Il m’a répondu par un borborygme dont seuls les Allemands ont le secret, lorsqu’ils veulent se débarrasser d’un importun. Je L’ai quitté, pour retourner m’asseoir. Willy était déjà en train de partir, me lançant :

– Compte plus sur moi pour t’épouser… De toute façon, le mariage c’est nul !

Il est sorti. Neuf mois après nous avions notre première fille. Trois ans après nous nous mariions. Voilà trente-sept ans donc qu’à cause de Daniel Cohn-Bendit et Willy réunis, j’éprouve la nullité du mariage. Pas de quoi frapper une vierge.

Le faucheur du Champ de Mars

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En 1622, l’explorateur Josselin de Lachignolle ensemença le Champ de Mars (alors propriété de l’abbaye Sainte-Geneviève) d’une plante qu’il ramenait de l’un de ses voyages aux Amériques : le blé d’Inde, pas encore connu sous le nom de maïs. Les jeunes pousses furent fauchées en une nuit par Nicéphore Lacastagne, qui soutenait que le maïs transmettait la peste à l’homme. Cela lui valut de passer à la postérité sous les traits du Faucheur du Champ de Mars.

Diebo Velasquez, Le Faucheur du Champ de Mars. Huile première pression sur toile sans OGM, 1623, musée Mosanto. A lire, l’ouvrage de G.-M. Benamou : Le Faucheur du Champ de Mars.

Ayaan Hirsi Ali : les hérauts sont fatigués

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Aurions-nous eu raison de ne pas nous investir dans le soutien total à Ayaan Hirsi Ali ? Il est trop tôt pour l’affirmer, mais une nouvelle polémique se développe aux Pays-Bas à propos d’un livre pour enfants « à thèse » que l’ex-députée vient de faire publier à Amsterdam. D’après le quotidien britannique The Independant (d’ordinaire peu enclin à la caricature ou au bidonnage), le livre de la récente récipiendaire du premier « Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes » raconte l’amitié contrariée entre deux gamins hollandais, Adan le musulman – battu par son père intégriste – et Eva la juive – dont la belle-mère ne pense qu’à accroître sa fortune. On s’en doute, une telle juxtaposition de clichés était de nature à faire grincer quelques dents bataves. Si cette gourderie était avérée (nous lisons mal le néerlandais et, pour l’instant, le livre n’est pas traduit), nous n’en serions que modérément surpris, cette dame ne nous ayant jamais éblouis jusque-là par sa finesse d’analyse. Ainsi, pour Ayaan Hirsi Ali, il n’y a pas et ne peut pas avoir d’islam modéré ; il faut interdire les écoles musulmanes ; il faut réviser d’urgence nos politiques d’immigration, sans quoi la charia s’étendra progressivement à toute l’Europe. Le Parti des Médias a cloué Oriana Fallacci au pilori pour moins que ça. Et la propagation publique d’un tel credo vaudrait immanquablement à Jean-Marie Le Pen un aller simple pour la correctionnelle.

Ne tournons pas autour du pot: c’est aussi grâce aux raccourcis, aux contresens et aux exagérations de quelques supposés experts en islamologie, qu’un Mouloud Aounit réussit à apparaître aux yeux de l’opinion mainstream comme vaguement crédible et somme toute modéré.

Pour nous, il va de soi que rien, même la bêtise la plus crasse, même l’ignorance la plus rayonnante, même les opinions les plus déplorables sur l’islam, le judaïsme, l’homosexualité ou Céline Dion, ne saurait justifier le début d’un commencement de menace sur l’intégrité physique de leurs auteurs. Mais symétriquement, ce ne sont pas les appels au meurtre qui nous dicteront, par ricochet, les idées qu’il convient de défendre. Rien ni personne ne nous contraindra à penser que les cibles de fatwas, d’oukases, ou de censures diverses ont forcément raison sur tout et que leurs thèses seraient incritiquables de par leurs statuts de victimes. Ce victimisme-là, non plus, ne nous sied pas.