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Adoptons les Wallons et les Bruxellois

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Madame la Belgique se meurt, Madame la Belgique est presque morte, et nous restons là comme des benêts à contempler cette agonie comme s’il s’agissait d’un épisode du feuilleton débile de l’été sur France 2.

Comme les petits enfants belges ne présentent aucun symptôme de dénutrition (ventre ballonné, côtes saillantes, grands yeux couverts de mouches), et que l’abandon de la compétition par Justine Hénin ne suscite aucune mobilisation populaire demandant son retour immédiat sur les courts, l’opinion reste indifférente aux râles d’une nation en phase terminale. Elle a bien tort, car la France, volens nolens, va devoir réaménager ses relations avec son plus proche voisin, situé à 1 h 20 de Paris en chemin de fer.

L’actuel Premier ministre du Royaume de Belgique s’appelle Yves Leterme, que son nom prédestinait à éteindre la lumière avant de fermer pour toujours la maison belge unitaire. Ce fils de Wallons émigrés en Flandre avait défrayé la chronique en entonnant La Marseillaise, alors qu’un journaliste facétieux l’invitait à démontrer qu’il connaissait la version francophone de l’hymne national belge, La Brabançonne.

Ce lapsus en dit long sur l’insconscient collectif des habitants du plat pays, qui ont fait depuis bien longtemps leur deuil de cette Belgique de papa, chantée par Brel, Flamand francisé de Bruxelles…

La « question belge », celle des modalités de cohabitation de deux communautés et de trois régions (Flandre, Wallonie et Bruxelles) traverse l’histoire du royaume depuis sa création en 1830. Entre 1945 et 2008, ce pays est allé dans un seul sens : celui d’un éloignement croissant des deux principales composantes de cette nation, les néerlandophones et les francophones[1. On a coutume de rassembler ces derniers sous la dénomination de Wallons, ce qui n’est pas exact, car les Bruxellois d’expression française ne se reconnaissent pas comme tels.].

Parfois violent, comme lors de la séparation de l’Université de Louvain dans les années 1960, mais le plus souvent pacifique, ce détricotage de la Belgique unitaire a peu a peu vidé de l’essentiel de son contenu l’Etat central, pour renforcer le pouvoir des régions. Le moteur de cette évolution a été le mouvement national flamand : les francophones s’arrangeaient fort bien d’une Belgique dont ils furent longtemps les dominants, sur le plan économique, politique et culturel. La situation s’est inversée au cours du dernier demi-siècle : aujourd’hui les Flamands ont rattrapé, puis dépassé une Wallonie en déclin, dans le domaine démographique et économique. Jusqu’aux années 1980, l’élite politique flamande, dominée par les démocrates-chrétiens, avait réussi a endiguer la poussée indépendantiste et à satisfaire les revendications autonomistes de la population dans le cadre de ces fameux compromis à la Belge, où la Flandre « achetait » des éléments de souveraineté pour ses institutions provinciales contre des subsides versés à une économie wallonne en déconfiture.

Les dirigeants flamands comme Marc Eyskens ou Jean-Luc Dehaene faisaient d’autre part valoir aux impatients que la construction européenne allait régler une fois pour toutes la question belge : l’Etat-nation était promis au dépérissement au profit d’une Europe, fédérale d’un côté, multirégionale de l’autre.

Ces paroles apaisantes ont été balayées par deux événements majeurs : la chute du Mur de Berlin et le surgissement, puis l’enracinement, en Flandre d’un parti populiste xénophobe et séparatiste, le Vlaams Blok, rebaptisé aujourd’hui Vlaams Belang.

La libération des peuples d’Europe centrale et orientale a eu pour conséquence l’éclatement de deux pays : la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie, et la création, sous les ovations de l’Occident, de nouvelles nations souveraines, dont les peuples ne se sentaient plus à l’aise dans les structures étatiques établies après la première guerre mondiale. Les Belges francophones prétendent que leurs concitoyens flamands sont parfois lents de la comprenette, mais cette fois-ci ils n’ont pas tardé à se mettre en tête que, pour peu qu’ils le demandent avec un peu d’insistance, il serait difficile de leur refuser ce que l’on venait d’accorder à la Slovénie, la Slovaquie ou le Kosovo.

L’abandon de l’utopie fédéraliste européenne après l’élargissement à l’Est et l’échec du référendum constitutionnel réduisait à néant l’hypothèse d’une Belgique soluble dans l’Europe. Sous la pression du Vlaams Belang dont le slogan est « België barst ! » (crève Belgique!) l’ensemble des partis flamands, à l’exception des Verts, ont mis en avant des revendications qui reviennent à faire de l’Etat belge une coquille vide. L’exigence d’une régionalisation de la sécurité sociale, fin de la solidarité interpersonnelle de tous les Belges, est considérée comme un casus belli par tous les partis francophones. Ces derniers vivent également très mal les vexations imposées aux habitants francophones des communes de la périphérie bruxelloise.

Nous en sommes là : le 14 juillet, Yves Leterme jette l’éponge après quelques mois de gouvernement, se trouvant dans l’incapacité de conclure un accord avec les francophones sur la réforme de l’Etat. Le roi Albert II, dont le job et l’avenir de la dynastie dépendent de la pérennité de la Belgique, a beau refuser la démission de Leterme pour forcer le destin, les dés semblent jetés : jamais on n’a été si près de l’éclatement du pays.

Fin juillet, un sondage publié par Le Soir, principal quotidien francophone, indique que 49 % des Wallons et Bruxellois francophones sont favorables à un rattachement à la France en cas de départ de la Flandre. Le reste se partage également entre les « contre » et les sans-opinion.

La publication de ce sondage a provoqué un léger intérêt dans les médias français, qui n’ont cependant pas pris la juste mesure de la révolution mentale qu’il révèle. Alors que jusque-là le mouvement « rattachiste », favorable à l’intégration dans la France de Wallonie-Bruxelles, restait groupusculaire et ne réalisait que des scores infimes aux élections (1,28 % aux législatives de 2007), la percée de ses idées dans l’opinion constitue un événement historique. Il montre tout d’abord le désarroi des francophones devant le refus, catégorique cette fois-ci, des dirigeants flamands « d’arranger les bidons », savoureuse expression belge signifiant bricoler un accord.

Comme le dit un politicien wallon : « Maintenant, il n’ y a plus de gras à se partager, on est à l’os… » La Wallonie est un pays de cités. Chacune d’entre elles veille jalousement sur ses privilèges, et aucune ne supporterait la prééminence d’une autre: pour ne pas trancher entre Liège et Charleroi, villes d’importance équivalente, c’est la modeste Namur qui devint capitale régionale. Quant à Bruxelles, son éclatement en dix-neuf communes de plein exercice rabattrait son caquet de capitale, si toutefois il lui prenait la lubie de se hausser du col. Vingt ans de pouvoir français, révolutionnaire, puis impérial entre 1795 et 1815, ont vacciné les Belges contre le jacobinisme centralisateur et inquisiteur pour ce qui est de l’usage des deniers publics. Faut-il alors qu’ils soient dans la panade pour se retourner vers une France, certes adorée pour les vacances et la culture, mais dont on se passe fort bien dans l’organisation de la cité !

Ce sondage révèle également la défiance que le peuple francophone éprouve envers sa classe politique : ce n’est pas à ces gens-là, gangrenés par le clientélisme et la corruption, que l’on pourrait confier la construction d’un Etat, si la Belgique éclate.

Dans ce domaine, l’affaire Dutroux en 1997 a été le symptôme annonciateur d’une désagrégation de l’Etat belge, de la même manière que Tchernobyl en 1986 avait été celui de l’écroulement du communisme soviétique. Un Etat dont les dysfonctionnements provoquent la mort d’enfants perd sa légitimité.

Dans un mois, dans un an, les dirigeants français auront à répondre à une interpellation venue d’outre-Quiévrain : « Est-ce que vous voulez bien de nous, avec nos chômeurs, nos politiciens corrompus et alcooliques, certes, mais aussi avec nos universités, nos théâtres et nos opéras, et un peuple qui ne demande qu’à se relever pour peu qu’on lui tende la main ? »

Les Chtis sont déjà 60 % à dire « bienvenue chez nous » à leurs voisins, comme le révèle un sondage récent de La Voix du Nord. Cette fois-ci, la réunion des Français et des Belges n’aurait rien d’une annexion, ce serait plutôt une adoption. Avec ce qu’il faut de rééducation de part et d’autre : un peu plus de souplesse décentralisatrice du côté français, et une sérieuse rectification des mœurs politico-administratives du côté belge. Puisque le multiculturalisme est à la mode…

Navigateur solitaire

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Toujours d’après ces mêmes statistiques, j’apprends avec dépit que je suis un des rares causeurs à se connecter à mon site préféré via Camino, l’excellent navigateur gratuit concocté par Mozilla, et qui tourne à merveille sur mon Mac (mais il existe aussi une version PC pour les ploucs et les pauvres). Le plus piquant dans ces stats, c’est de constater qu’il existe des modes de connexions encore plus exotiques : très loin derrière les gros bataillons d’utilisateurs d’Internet Explorer, de Firefox ou de Safari, il s’est trouvé un internaute pour se connecter via sa Playstation 3. A moins qu’il ne s’agisse d’une internaute : c’est trop de la balle d’imaginer que que Lara Croft est peut-être des nôtres…

Un site trop aride ?

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En jetant un œil sur les statistiques et la provenance des visiteurs de Causeur.fr, on s’aperçoit que trois pays se taillent la part du lion : la France, la Belgique et le Canada. Nous souhaitons à nos amis belges et canadiens la bienvenue – ils sont de plus en plus nombreux, alors même que leur rattachement n’a pas encore été prononcé, ce qui ne saurait tarder. En revanche, grosse déception : il ne semble qu’aucun Internaute ne se soit connecté au site depuis l’île Clipperton. Saleté de réchauffement climatique.

Pas de choc pour le pétrolier

En juin dernier, notre ministre (très libérale) des Finances, Mme Lagarde, imposait au groupe Total de contribuer à la « prime de cuve de fioul » à hauteur de 100 millions d’euros, afin de soulager les consommateurs français. On jugera de l’effort consenti par le pétrolier tricolore à la lecture du classement des plus riches multinationales publié par le magazine Fortune. Total y est 5e mondial avec 18 milliards de dollars de bénéfices. Lesquels seront donc amputés de 0,75 % par ladite contribution.

T’as voulu voir Bruxelles et on a vu Beyrouth

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Fin juillet, Le Soir et La Voix du Nord ont publié un sondage établissant que 49 % des Wallons souhaitaient leur rattachement à la France et que 60 % des Français étaient prêts à accueillir les Belges, sans faire d’histoires. Ce que les observateurs ne tenaient jusqu’alors que pour une vieille lune irrédentiste est devenu, en quelques semaines, un fait politique majeur, au point d’éclipser la sortie de l’album de Carla Bruni dont le titre, Comme si de rien n’était, constituait pourtant un programme politique susceptible de maintes critiques[1. D’Alain Duhamel à Jean-Michel Apathie, aucun grand penseur français digne de ce nom n’a jugé bon de faire son métier et de souligner que le titre de cet album est une copie éhontée de la figure kantienne du als ob (comme si). Et qui dit Kant dit Eichmann. Cela nous montre où le régime actuel veut, mine de rien, nous conduire : une fois encore, Jean-François Kahn avait raison.].

On tenait les rattachistes pour de doux cinglés, au regard perdu dans des chopes de gueuse à moitié vides, des entarteurs en puissance, d’exotiques rêveurs mangeant des frites en regrettant qu’elles soient flamandes et se caressant nuitamment en songeant à Magritte et à la Belgique réunis : « Ceci n’est pas un pays. » Mais ce sondage a paru. Et tout a changé. Comme Emmanuel Berl le disait à Mireille : « Le sondage ne ment pas. » Dès lors, il faut nous attendre dans les prochains mois au pire : l’éclatement de la Belgique.

C’est, en effet, la pire chose qui puisse nous arriver. Pour une seule et unique raison : le divorce entre Wallons et Flamands provoquerait inéluctablement le retour des cantons rédimés (ceux de la Deutschsprachige Gemeinschaft Belgiens) à l’Allemagne. Et nous n’en voulons pas ! Nous avons déjà dû assimiler les Ossies dans les années 1990. Et il faudra certainement plusieurs générations pour que, dans dix ou vingt siècles, ils puissent se comporter convenablement en société, atteindre un niveau de civilisation égal aux vrais Allemands et perdre leur ridicule accent.

Il faut se rendre à l’évidence : les Belges germanophones sont inassimilables. Dire qu’ils sont cons est un euphémisme. Prenez le cas de la ville d’Eupen. Elle a été fondée en 1213. Ce qu’ils ont réussi à faire jusqu’à ce jour c’est un musée du chocolat. Ils auraient fait, au moins, une tablette, cela aurait pu passer chez eux pour un signe d’extrême lucidité et d’agilité mentale. Non, rien de tout cela. La seule chose remarquable qu’ils aient pour eux, c’est le barrage de la Vesdre, qui retient un tiers des réserves d’eau potable de Belgique et sans lequel le Manneken Pis n’aurait pas ses allures de fontaine de Trevi les soirs de grandes eaux.

Le retour d’Eupen et des cantons rédimés dans le giron allemand pourrait, en outre, nous redonner le goût de l’expansion. Que les Alsaciens-Lorrains soient prévenus : les Vosges sont une frontière naturelle tout aussi acceptable que les Pyrénées – ces saloperies d’ours en moins.

Mais je m’égare en faisant passer les intérêts nationaux allemands avant les intérêts bien compris de l’Europe. L’éclatement de la Belgique est, en réalité, une grande chance pour l’Europe. Jusqu’à présent, pour se régaler d’un bon petit conflit bien chaud (et le conflit, Dieu, que c’est bon), il fallait passer par une agence de voyage, prendre un avion, endurer les simagrées d’hôtesses de l’air pouffies[2. Note au correcteur : « pouffi » est un néologisme entre pouf et bouffi. Tu corriges ça que même ta mère ne te reconnaît plus.], afin de se rendre dans un Orient pas si proche que cela.

Il nous appartient de saisir l’extraordinaire opportunité de l’éclatement de la Belgique et de le favoriser par tous les moyens pour avoir sous la main un conflit dans la plus pure tradition moyen-orientale, un Israël-Palestine près de chez nous, un truc chic et pas cher.

La distribution est assez évidente. Dans le rôle des Palestiniens, les Wallons. Il faudra qu’ils se résolvent à porter le keffieh, mais qu’ils le sachent : on n’a rien sans rien. Les Flamands feront d’assez distingués Israéliens (une légère retouche sur le Mannekenpiss donnera le change). Dans le rôle du Liban, je ne vois que le Luxembourg (qui a déjà, pour lui, un système de banque et de blanchiment tout à fait satisfaisant). L’Allemagne fera une excellente Jordanie (il suffira à Angela Merkel de ne pas se raser pendant une ou deux semaines pour devenir un Abdallah II très convainquant). On demandera instamment à la reine Beatrix de Hollande d’arborer une bacchante à la Bachar, pour faire totalement syrienne. Quant à la France, qui a déjà au Louvre sa pyramide (François Mitterrand, quel visionnaire !), elle adoptera les mœurs égyptiennes. Il suffira de mélanger le tout et d’attendre. Cinq minutes devraient suffire.

Bien sûr, le cas de Bruxelles restera, autant que faire se peut, le plus litigieux qui soit. Il sera vraisemblablement nécessaire de raser le Berlaymont (siège de la Commission européenne) et ses alentours pour y aménager une esplanade où l’on consentira aux Wallons d’aller et venir aux heures de la prière. De même, la place de Broukère sera strictement réservée aux moukhères (l’organisation d’une guerre, fût-elle de proximité, ne doit pas nous priver de menus plaisirs poétiques). Il ne faudra pas négliger non plus la division de Bruxelles en deux entités distinctes (Bruxelles-Est et Bruxelles-Ouest). Enfin, pour parachever cette œuvre hautement salutaire, on n’omettra pas de disposer quelques colonies flamandes en territoire wallon. Comme nous sommes européens[3. Paul Valéry écrivait : « Partout où l’Esprit européen domine, on voit apparaître le maximum de besoins. »], on prendra garde d’essaimer judicieusement des colonies wallonnes en territoire flamand.

Non moindre problème, l’Atomium de Laeken a beau être une infrastructure civile, le risque est grand que l’autonomie wallonne ou le gouvernement flamand ne s’avise un jour de l’aménager pour accéder au statut envié de puissance nucléaire. Par précaution, un contingent de pioupious onusiens le détruira.

On veillera enfin, pour faire bonne mesure, à déplacer certaines populations. Amélie Nothomb, les frères Dardenne[4. C’est une demande du Wallon Marc Cohen qui a menacé d’aller se faire exploser dans une école à Bruges si je n’y satisfaisais pas.], Jean-Claude Van Damme et Lara Fabian recevront ainsi d’office la nationalité flamande.

Et nous visiterons cela, le dimanche, en famille. On y verra Nicolas Moubarak, accompagnée de son épouse, refuser de faire la bise à Angela el-Bachar (« Mais qu’est-ce qu’elle pique ! On ne pourrait pas lui demander de se raser à cette Syrienne de Boche ? »). Et ce sera reparti comme en 40, en nettement bien mieux qu’à Eurodisney.

E.T., un nouveau réactionnaire ?

D’où provient ce malaise ? Pas de la salle obscure, j’en suis sûr. Moyenne d’âge : 5 ans. C’est charmant. Ni du film : Wall-E, sorti ce mercredi et produit par les studios Pixar en association avec Walt Disney. Du groupe de Japonaises alors, au premier rang, qui couine des « Ka-wa-ï ! » (mignon) à la moindre occasion ? Pas davantage, évidemment.

Est-ce le côté exagérément politically correct de ce film d’animation ? En résumé : la terre a été abandonnée il y a sept siècles par les humains, qui l’avaient trop polluée. Les descendants des coupables, à quelques rares exceptions, sont bien sûr tous des blancs – et quand on sait qu’en 2008 les plus grands pollueurs sont la Chine et les autres pays « en voie de développement », n’est-il pas irritant de voir encore et toujours le seul Occidental désigné comme cause de tous nos malheurs écologiques ? Certes, certes… Mais le dernier navet de M. Night Shyamalan – Phénomènes (toujours à l’écran) – pousse la caricature bien au-delà… Et puis, en définitive, dans Wall-E, nos amis Yankees se révèleront aussi courageux que soucieux de la nature.

Pourquoi tiquer alors ? L’omniprésence de références geek et tous ces bruitages empruntés, ainsi que le générique le reconnaît, à l’univers Apple ? Kling ! Pardon : que nenni ! La déréalisation de notre univers est une réalité à laquelle on a fini par se faire. Les clins d’œil un peu lourdingues à 2001, Odyssée de l’espace ? Non : après tout Also sprach Zarathoustra dans un film pour gamins, voilà qui nous tire plutôt vers le haut… Quoi, alors ? La disparition complète, définitive, de toute frontière entre l’image réelle, filmée, et celle de synthèse, dans ce film ? Troublant, il est vrai, mais on ne peut que s’ébaubir d’une telle prouesse artistique (ou technique ?), qui relègue Matrix au rayon vintage. Alors ?

Alors le problème – le malaise – tout au long de ce film, c’est la voix off. La voix de l’ordinateur central. Une voix douceâtre, pédagogique, et qui ne cesse de mentir aux derniers survivants de l’espèce humaine. Pour leur bien. Une voix familière. Mais qui ? Voyons voir… Le générique de fin défile et indique : Sigourney Weaver pour la version anglophone. Nous voilà bien renseignés. Lumières allumées et salle vidée, il faut attendre les toutes dernières lignes pour découvrir le pot au rose : cette voix, celle du robot central, qui endort et berne son monde d’un ton d’évidence monocorde, appartient à… Pascale Clark.

Pascale Clark ? Oui ! Celle-là même dont les émissions, menées au knout, comme les revues de presse, furieusement brejnéviennes, ont fait l’aimable renommée. Celle-là même qui, en pleine confusion, réclama, lors d’une émission dont l’invité était Robert Redeker[1. Ce professeur, menacé de mort après avoir publié une tribune contre le prophète Mohamed dans Le Figaro, était l’invité de Laurent Ruquier le 17 mai 2008 dans l’émission « On est pas couché » sur France 2.], le rétablissement du délit de blasphème… Franchement, quel humour ! Accepter, avec une telle réputation, de doubler la voix synthétique d’un tyran numérique dont la fonction est d’imposer aux humains une version de la réalité non négociable parce que raisonnable et officielle… Quelle aisance dans le second degré !

En sortant du ciné, je me suis néanmoins interrogé : avait-elle en mémoire, au moment de signer ce contrat, le mot de Freud : « On ne plaisante jamais tout à fait » ? Lequel Freud n’était ni un souverainiste ni un nouveau réactionnaire, mais le théoricien du « refoulement ».

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Sida, prévention contre les soins

La vitesse de progression du sida dans nombre de pays musulmans reste encore inconnue, notamment en raison de la propagande, qui associe contamination et occidentalisation. Les soins, eux aussi, sont rendus difficiles par l’idéologie : le numéro un mondial des médicaments génériques anti-sida est l’israélien Teva. Et de la Lybie au Pakistan, on tient à s’en préserver.

Mourir en cette vie n’est pas nouveau

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Le cardinal de Richelieu avait tout compris de ce qu’étaient le monde et la littérature, lui qui donna à l’Académie son sceau et sa devise : « A l’immortalité ». Les grands écrivains sont immortels. Non pas que la mort ne les frappe pas ni qu’ils deviennent ce qu’ils sont après avoir fait l’expérience concluante de la finitude. Ils ne sont pas même « pareils aux semi-dieux » dont parle Hölderlin dans le poème Der Rhein, assez étrangers aux choses ennuyeuses du trépas. La mort les habite comme ils habitent la mort.

En un mot, je croyais Soljenitsyne mort depuis longtemps – aussi mort, tout du moins, que peuvent l’être Dostoïevski, Boulgakov, Gogol, l’auteur anonyme des Récits d’un pèlerin russe ou encore Serguei Essenine, écrivant en 1925 avec le sang qui s’écoulait de ses veines tailladées : « Au revoir, mon ami, sans geste, sans mot. Ne sois ni triste, ni chagrin. Mourir en cette vie n’est pas nouveau. Mais vivre, bien sûr n’est pas plus nouveau. »

A la vie, à la mort : c’est le leitmotiv millénaire de la Russie. C’est le mot d’ordre de toute littérature possible. Et c’est certainement là, entre la Russie, la vie, la mort, que se noue l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne.

Tous les biographes vous le diront : il est envoyé au goulag en 1945 pour des raisons dont la gravité est inversement proportionnelle au caractère totalitaire du régime soviétique. Il a critiqué à demi-mots dans sa correspondance avec Vitkievitch la stratégie militaire de Staline. Et c’est au goulag qu’il devient écrivain ou, plus précisément, que se matérialise la certitude qu’il le deviendra et qu’il avait acquise dès l’âge de dix ans en lisant Guerre et Paix de Tolstoï : « Nous étions tous prêts à affronter la mort et à la subir. Il ne me restait plus qu’un an à tirer, mais nous avions une telle nausée que nous tous nous disions : « Tuez-nous ! »… J’ai écrit des poèmes : c’était facile à mémoriser. Des petits poèmes de vingt lignes écrits sur des petits bouts de papier que j’apprenais par cœur et que je brûlais ensuite. A la fin de la période de prison et de camp, j’avais douze mille lignes en mémoire… J’avais un chapelet : chaque grain représentait un poème ; je le portais dans mon gant. Si on trouvait ce chapelet pendant la fouille, je disais prier : on ne faisait pas attention, ce n’était pas une arme ! »

Le jour même de la mort de Staline, le 5 mars 1953, il finit de purger sa peine et est condamné à la relégation perpétuelle dans le Kazakhstan. Seulement, atteint d’un cancer, on l’interne plusieurs mois à l’hôpital de Tachkent : « Cet hiver-là j’arrivai à Tachkent presque mort, oui, je venais là pour mourir. Mais on me renvoya à la vie, pour un bout de temps encore. »

De cette double expérience – celle de la prison et celle de la maladie –, il acquiert une force spirituelle qui le poussera au baptême en 1957 et lui donnera l’irrépressible volonté d’écrire tout ce qu’il a vécu. Pour l’auteur d’Une journée d’Ivan Denissovitch, écrire c’est décrire, témoigner du monde, rendre justice à la réalité. Et c’est ce que fait Soljenitsyne : il suit la recommandation de saint Paul dans la lettre aux Corinthiens : « Malheur à moi si je ne rends pas témoignage » et fait écho à Derrida paraphrasant Wittgenstein : « Ce que l’on ne peut pas dire, il ne faut surtout pas le taire, mais l’écrire[1. Jacques Derrida, La Carte Postale]. »

Une journée d’Ivan Denissovitch est le premier livre paru d’Alexandre Soljenitsyne en Union soviétique aussi bien qu’en France. A Moscou, après le XXIIe Congrès, les écrivains sont sommés de participer à la déstalinisation et Khrouchtchev en personne donne l’autorisation de publier l’œuvre de cet inconnu, non sans avoir expurgé la première édition de certains passages. En France, le livre paraît chez Julliard et le rédacteur en chef des Lettres françaises de l’époque, Pierre Daix, y voit un chef d’œuvre : Soljenitsyne est alors présenté comme le critique des « accidents » du socialisme réel, non pas comme un adversaire de l’idéologie socialiste. Pour un peu, on le ferait passer pour un précurseur de la doctrine que portera en 1968 Alexander Dubček : le socialisme à visage humain. A ceci près que, pour l’auteur de L’Archipel du Goulag, le socialisme ne peut présenter un visage humain.

Khrouchtchev ignorait qu’en autorisant la publication d’Une journée d’Ivan Denissovitch il allait ériger Soljenitsyne en grande figure de la dissidence soviétique. Beaucoup d’anciens déportés au goulag et les familles de ceux qui y sont morts se rallient à l’écrivain. Les bouches se délient. Le Kremlin prend peur et le KGB se charge de l’affaire. Comme il l’écrit dans Le Chêne et le Veau, on le prive de ressource, on perquisitionne chez ses amis, on saisit ses archives, on manque l’assassiner, jusqu’à ce que le régime se résolve à le déchoir de la citoyenneté soviétique et à l’expulser en 1974 en Allemagne, après la publication à Paris de L’Archipel du Goulag.

La France, d’ailleurs, comptera beaucoup dans l’histoire de Soljenitsyne : c’est François Mauriac qui plaide la cause de l’écrivain russe pour qu’il obtienne le Nobel en 1970 et c’est Claude Durand qui devient son agent littéraire mondial. La réciproque est vraie : Soljenitsyne comptera beaucoup dans l’histoire de la gauche contemporaine française. En 1976, c’est la traduction française de L’Archipel du Goulag qui sert de ciment idéologique aux « Nouveaux philosophes » : Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann et consorts ouvrent les yeux et découvrent alors les crimes du stalinisme – Hegel appelait cela le « retard de la pensée sur le monde »…

Soljenitsyne s’installe un temps en Suisse, puis prend le chemin des Etats-Unis. Il ne retrouvera la Russie qu’en 1994. Seulement, de la même façon que Khrouchtchev s’était trompé sur son compte, l’Occident ne retrouve pas en lui le combattant des droits de l’Homme qu’il avait cru déceler. Lorsqu’en février 1975 il arrive à Paris pour y donner une conférence de presse, il fulmine contre l’Occident : l’Ouest se satisfait de la réalité soviétique qui est, tout à la fois, un miroir et un épouvantail ; elle permet à la société de consommation occidentale de trouver sa justification… Grosse déception dans les chaumières de l’Occident bienpensant, qui avait préparé son mouchoir afin écouter l’ode convenue à la démocratie et aux droits de l’Homme qu’on attendait du Dissident…

Ce n’est pas que Soljenitsyne fût un nationaliste outrancier, ni un intégriste orthodoxe, ni un adversaire acharné de la démocratie, comme certains ont voulu le présenter (et comme il ne manquera pas de l’être une nouvelle fois encore dans les semaines et les mois qui viennent au cours des procès en sorcellerie qui constitueront son inventaire après décès). Ce patriote russe avait retenu une chose de la vie : il faut se méfier des idéologies comme de la peste et tenir à distance ceux qui veulent faire le bonheur du peuple même contre son gré. Son idéal démocratique ne dépassait pas celui des cantons suisses. C’est que tout pouvoir, nous apprend Soljenitsyne, n’a besoin de rien d’autre que de mesure.

Puisque, comme Essenine l’écrivait, « mourir en cette vie n’est pas nouveau », il nous suffit pour dire au revoir à Soljenitsyne de fredonner légèrement un petit air de Vissotsky : « Nous apprenons beaucoup dans les livres, mais les vérités volent au vent des paroles… On ignore les prophètes en leur pays ! Et leurs voisins les ignorent aussi. » [2. Vladimir Vissotsky, Я из дела ушел (Je me suis retiré d’une affaire), 1973.]

PS. Claude Durand, qui n’a pas souhaité s’exprimer sur la mort de son ami, nous informe que Fayard va publier en novembre l’avant-dernier volume de la Roue rouge, un livre de Georges Nivat et un autre essai sur Soljenitsyne.

Photo : Mikhail Evstafiev, Soljenitsyne prenant le train à Vladivostok, 1994.

Une journée d'Ivan Denissovitch

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Impossible Napa français

Château Montelena, l’un des fleurons des vins californiens de la Napa Valley, vient d’être racheté par le milliardaire français Michel Reybier. Autre choc de taille pour les Yankees : l’acquisition par les Belges de l’emblématique marque de bière Budweiser. A la place des dirigeants de Coca-Cola, on surveillerait de près ces assoiffés de la « vieille Europe ».

Sauvez la date !

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Le Comité international olympique n’en fait plus mystère : la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin risque d’être purement et simplement annulée. Le président du CIO, Jacques Rogge, vient en effet de s’apercevoir que la date retenue coïncide avec le cinquantième anniversaire de la naissance de Francis Lalanne. En tout cas, Trudi Kohl, notre envoyée spéciale aux JO, sera en direct de Pékin pour couvrir cette cérémonie d’ouverture, le 8 août de 12 h à 22 h. Qu’elle se fasse ou non.

Adoptons les Wallons et les Bruxellois

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Madame la Belgique se meurt, Madame la Belgique est presque morte, et nous restons là comme des benêts à contempler cette agonie comme s’il s’agissait d’un épisode du feuilleton débile de l’été sur France 2.

Comme les petits enfants belges ne présentent aucun symptôme de dénutrition (ventre ballonné, côtes saillantes, grands yeux couverts de mouches), et que l’abandon de la compétition par Justine Hénin ne suscite aucune mobilisation populaire demandant son retour immédiat sur les courts, l’opinion reste indifférente aux râles d’une nation en phase terminale. Elle a bien tort, car la France, volens nolens, va devoir réaménager ses relations avec son plus proche voisin, situé à 1 h 20 de Paris en chemin de fer.

L’actuel Premier ministre du Royaume de Belgique s’appelle Yves Leterme, que son nom prédestinait à éteindre la lumière avant de fermer pour toujours la maison belge unitaire. Ce fils de Wallons émigrés en Flandre avait défrayé la chronique en entonnant La Marseillaise, alors qu’un journaliste facétieux l’invitait à démontrer qu’il connaissait la version francophone de l’hymne national belge, La Brabançonne.

Ce lapsus en dit long sur l’insconscient collectif des habitants du plat pays, qui ont fait depuis bien longtemps leur deuil de cette Belgique de papa, chantée par Brel, Flamand francisé de Bruxelles…

La « question belge », celle des modalités de cohabitation de deux communautés et de trois régions (Flandre, Wallonie et Bruxelles) traverse l’histoire du royaume depuis sa création en 1830. Entre 1945 et 2008, ce pays est allé dans un seul sens : celui d’un éloignement croissant des deux principales composantes de cette nation, les néerlandophones et les francophones[1. On a coutume de rassembler ces derniers sous la dénomination de Wallons, ce qui n’est pas exact, car les Bruxellois d’expression française ne se reconnaissent pas comme tels.].

Parfois violent, comme lors de la séparation de l’Université de Louvain dans les années 1960, mais le plus souvent pacifique, ce détricotage de la Belgique unitaire a peu a peu vidé de l’essentiel de son contenu l’Etat central, pour renforcer le pouvoir des régions. Le moteur de cette évolution a été le mouvement national flamand : les francophones s’arrangeaient fort bien d’une Belgique dont ils furent longtemps les dominants, sur le plan économique, politique et culturel. La situation s’est inversée au cours du dernier demi-siècle : aujourd’hui les Flamands ont rattrapé, puis dépassé une Wallonie en déclin, dans le domaine démographique et économique. Jusqu’aux années 1980, l’élite politique flamande, dominée par les démocrates-chrétiens, avait réussi a endiguer la poussée indépendantiste et à satisfaire les revendications autonomistes de la population dans le cadre de ces fameux compromis à la Belge, où la Flandre « achetait » des éléments de souveraineté pour ses institutions provinciales contre des subsides versés à une économie wallonne en déconfiture.

Les dirigeants flamands comme Marc Eyskens ou Jean-Luc Dehaene faisaient d’autre part valoir aux impatients que la construction européenne allait régler une fois pour toutes la question belge : l’Etat-nation était promis au dépérissement au profit d’une Europe, fédérale d’un côté, multirégionale de l’autre.

Ces paroles apaisantes ont été balayées par deux événements majeurs : la chute du Mur de Berlin et le surgissement, puis l’enracinement, en Flandre d’un parti populiste xénophobe et séparatiste, le Vlaams Blok, rebaptisé aujourd’hui Vlaams Belang.

La libération des peuples d’Europe centrale et orientale a eu pour conséquence l’éclatement de deux pays : la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie, et la création, sous les ovations de l’Occident, de nouvelles nations souveraines, dont les peuples ne se sentaient plus à l’aise dans les structures étatiques établies après la première guerre mondiale. Les Belges francophones prétendent que leurs concitoyens flamands sont parfois lents de la comprenette, mais cette fois-ci ils n’ont pas tardé à se mettre en tête que, pour peu qu’ils le demandent avec un peu d’insistance, il serait difficile de leur refuser ce que l’on venait d’accorder à la Slovénie, la Slovaquie ou le Kosovo.

L’abandon de l’utopie fédéraliste européenne après l’élargissement à l’Est et l’échec du référendum constitutionnel réduisait à néant l’hypothèse d’une Belgique soluble dans l’Europe. Sous la pression du Vlaams Belang dont le slogan est « België barst ! » (crève Belgique!) l’ensemble des partis flamands, à l’exception des Verts, ont mis en avant des revendications qui reviennent à faire de l’Etat belge une coquille vide. L’exigence d’une régionalisation de la sécurité sociale, fin de la solidarité interpersonnelle de tous les Belges, est considérée comme un casus belli par tous les partis francophones. Ces derniers vivent également très mal les vexations imposées aux habitants francophones des communes de la périphérie bruxelloise.

Nous en sommes là : le 14 juillet, Yves Leterme jette l’éponge après quelques mois de gouvernement, se trouvant dans l’incapacité de conclure un accord avec les francophones sur la réforme de l’Etat. Le roi Albert II, dont le job et l’avenir de la dynastie dépendent de la pérennité de la Belgique, a beau refuser la démission de Leterme pour forcer le destin, les dés semblent jetés : jamais on n’a été si près de l’éclatement du pays.

Fin juillet, un sondage publié par Le Soir, principal quotidien francophone, indique que 49 % des Wallons et Bruxellois francophones sont favorables à un rattachement à la France en cas de départ de la Flandre. Le reste se partage également entre les « contre » et les sans-opinion.

La publication de ce sondage a provoqué un léger intérêt dans les médias français, qui n’ont cependant pas pris la juste mesure de la révolution mentale qu’il révèle. Alors que jusque-là le mouvement « rattachiste », favorable à l’intégration dans la France de Wallonie-Bruxelles, restait groupusculaire et ne réalisait que des scores infimes aux élections (1,28 % aux législatives de 2007), la percée de ses idées dans l’opinion constitue un événement historique. Il montre tout d’abord le désarroi des francophones devant le refus, catégorique cette fois-ci, des dirigeants flamands « d’arranger les bidons », savoureuse expression belge signifiant bricoler un accord.

Comme le dit un politicien wallon : « Maintenant, il n’ y a plus de gras à se partager, on est à l’os… » La Wallonie est un pays de cités. Chacune d’entre elles veille jalousement sur ses privilèges, et aucune ne supporterait la prééminence d’une autre: pour ne pas trancher entre Liège et Charleroi, villes d’importance équivalente, c’est la modeste Namur qui devint capitale régionale. Quant à Bruxelles, son éclatement en dix-neuf communes de plein exercice rabattrait son caquet de capitale, si toutefois il lui prenait la lubie de se hausser du col. Vingt ans de pouvoir français, révolutionnaire, puis impérial entre 1795 et 1815, ont vacciné les Belges contre le jacobinisme centralisateur et inquisiteur pour ce qui est de l’usage des deniers publics. Faut-il alors qu’ils soient dans la panade pour se retourner vers une France, certes adorée pour les vacances et la culture, mais dont on se passe fort bien dans l’organisation de la cité !

Ce sondage révèle également la défiance que le peuple francophone éprouve envers sa classe politique : ce n’est pas à ces gens-là, gangrenés par le clientélisme et la corruption, que l’on pourrait confier la construction d’un Etat, si la Belgique éclate.

Dans ce domaine, l’affaire Dutroux en 1997 a été le symptôme annonciateur d’une désagrégation de l’Etat belge, de la même manière que Tchernobyl en 1986 avait été celui de l’écroulement du communisme soviétique. Un Etat dont les dysfonctionnements provoquent la mort d’enfants perd sa légitimité.

Dans un mois, dans un an, les dirigeants français auront à répondre à une interpellation venue d’outre-Quiévrain : « Est-ce que vous voulez bien de nous, avec nos chômeurs, nos politiciens corrompus et alcooliques, certes, mais aussi avec nos universités, nos théâtres et nos opéras, et un peuple qui ne demande qu’à se relever pour peu qu’on lui tende la main ? »

Les Chtis sont déjà 60 % à dire « bienvenue chez nous » à leurs voisins, comme le révèle un sondage récent de La Voix du Nord. Cette fois-ci, la réunion des Français et des Belges n’aurait rien d’une annexion, ce serait plutôt une adoption. Avec ce qu’il faut de rééducation de part et d’autre : un peu plus de souplesse décentralisatrice du côté français, et une sérieuse rectification des mœurs politico-administratives du côté belge. Puisque le multiculturalisme est à la mode…

Navigateur solitaire

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Toujours d’après ces mêmes statistiques, j’apprends avec dépit que je suis un des rares causeurs à se connecter à mon site préféré via Camino, l’excellent navigateur gratuit concocté par Mozilla, et qui tourne à merveille sur mon Mac (mais il existe aussi une version PC pour les ploucs et les pauvres). Le plus piquant dans ces stats, c’est de constater qu’il existe des modes de connexions encore plus exotiques : très loin derrière les gros bataillons d’utilisateurs d’Internet Explorer, de Firefox ou de Safari, il s’est trouvé un internaute pour se connecter via sa Playstation 3. A moins qu’il ne s’agisse d’une internaute : c’est trop de la balle d’imaginer que que Lara Croft est peut-être des nôtres…

Un site trop aride ?

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En jetant un œil sur les statistiques et la provenance des visiteurs de Causeur.fr, on s’aperçoit que trois pays se taillent la part du lion : la France, la Belgique et le Canada. Nous souhaitons à nos amis belges et canadiens la bienvenue – ils sont de plus en plus nombreux, alors même que leur rattachement n’a pas encore été prononcé, ce qui ne saurait tarder. En revanche, grosse déception : il ne semble qu’aucun Internaute ne se soit connecté au site depuis l’île Clipperton. Saleté de réchauffement climatique.

Pas de choc pour le pétrolier

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En juin dernier, notre ministre (très libérale) des Finances, Mme Lagarde, imposait au groupe Total de contribuer à la « prime de cuve de fioul » à hauteur de 100 millions d’euros, afin de soulager les consommateurs français. On jugera de l’effort consenti par le pétrolier tricolore à la lecture du classement des plus riches multinationales publié par le magazine Fortune. Total y est 5e mondial avec 18 milliards de dollars de bénéfices. Lesquels seront donc amputés de 0,75 % par ladite contribution.

T’as voulu voir Bruxelles et on a vu Beyrouth

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Fin juillet, Le Soir et La Voix du Nord ont publié un sondage établissant que 49 % des Wallons souhaitaient leur rattachement à la France et que 60 % des Français étaient prêts à accueillir les Belges, sans faire d’histoires. Ce que les observateurs ne tenaient jusqu’alors que pour une vieille lune irrédentiste est devenu, en quelques semaines, un fait politique majeur, au point d’éclipser la sortie de l’album de Carla Bruni dont le titre, Comme si de rien n’était, constituait pourtant un programme politique susceptible de maintes critiques[1. D’Alain Duhamel à Jean-Michel Apathie, aucun grand penseur français digne de ce nom n’a jugé bon de faire son métier et de souligner que le titre de cet album est une copie éhontée de la figure kantienne du als ob (comme si). Et qui dit Kant dit Eichmann. Cela nous montre où le régime actuel veut, mine de rien, nous conduire : une fois encore, Jean-François Kahn avait raison.].

On tenait les rattachistes pour de doux cinglés, au regard perdu dans des chopes de gueuse à moitié vides, des entarteurs en puissance, d’exotiques rêveurs mangeant des frites en regrettant qu’elles soient flamandes et se caressant nuitamment en songeant à Magritte et à la Belgique réunis : « Ceci n’est pas un pays. » Mais ce sondage a paru. Et tout a changé. Comme Emmanuel Berl le disait à Mireille : « Le sondage ne ment pas. » Dès lors, il faut nous attendre dans les prochains mois au pire : l’éclatement de la Belgique.

C’est, en effet, la pire chose qui puisse nous arriver. Pour une seule et unique raison : le divorce entre Wallons et Flamands provoquerait inéluctablement le retour des cantons rédimés (ceux de la Deutschsprachige Gemeinschaft Belgiens) à l’Allemagne. Et nous n’en voulons pas ! Nous avons déjà dû assimiler les Ossies dans les années 1990. Et il faudra certainement plusieurs générations pour que, dans dix ou vingt siècles, ils puissent se comporter convenablement en société, atteindre un niveau de civilisation égal aux vrais Allemands et perdre leur ridicule accent.

Il faut se rendre à l’évidence : les Belges germanophones sont inassimilables. Dire qu’ils sont cons est un euphémisme. Prenez le cas de la ville d’Eupen. Elle a été fondée en 1213. Ce qu’ils ont réussi à faire jusqu’à ce jour c’est un musée du chocolat. Ils auraient fait, au moins, une tablette, cela aurait pu passer chez eux pour un signe d’extrême lucidité et d’agilité mentale. Non, rien de tout cela. La seule chose remarquable qu’ils aient pour eux, c’est le barrage de la Vesdre, qui retient un tiers des réserves d’eau potable de Belgique et sans lequel le Manneken Pis n’aurait pas ses allures de fontaine de Trevi les soirs de grandes eaux.

Le retour d’Eupen et des cantons rédimés dans le giron allemand pourrait, en outre, nous redonner le goût de l’expansion. Que les Alsaciens-Lorrains soient prévenus : les Vosges sont une frontière naturelle tout aussi acceptable que les Pyrénées – ces saloperies d’ours en moins.

Mais je m’égare en faisant passer les intérêts nationaux allemands avant les intérêts bien compris de l’Europe. L’éclatement de la Belgique est, en réalité, une grande chance pour l’Europe. Jusqu’à présent, pour se régaler d’un bon petit conflit bien chaud (et le conflit, Dieu, que c’est bon), il fallait passer par une agence de voyage, prendre un avion, endurer les simagrées d’hôtesses de l’air pouffies[2. Note au correcteur : « pouffi » est un néologisme entre pouf et bouffi. Tu corriges ça que même ta mère ne te reconnaît plus.], afin de se rendre dans un Orient pas si proche que cela.

Il nous appartient de saisir l’extraordinaire opportunité de l’éclatement de la Belgique et de le favoriser par tous les moyens pour avoir sous la main un conflit dans la plus pure tradition moyen-orientale, un Israël-Palestine près de chez nous, un truc chic et pas cher.

La distribution est assez évidente. Dans le rôle des Palestiniens, les Wallons. Il faudra qu’ils se résolvent à porter le keffieh, mais qu’ils le sachent : on n’a rien sans rien. Les Flamands feront d’assez distingués Israéliens (une légère retouche sur le Mannekenpiss donnera le change). Dans le rôle du Liban, je ne vois que le Luxembourg (qui a déjà, pour lui, un système de banque et de blanchiment tout à fait satisfaisant). L’Allemagne fera une excellente Jordanie (il suffira à Angela Merkel de ne pas se raser pendant une ou deux semaines pour devenir un Abdallah II très convainquant). On demandera instamment à la reine Beatrix de Hollande d’arborer une bacchante à la Bachar, pour faire totalement syrienne. Quant à la France, qui a déjà au Louvre sa pyramide (François Mitterrand, quel visionnaire !), elle adoptera les mœurs égyptiennes. Il suffira de mélanger le tout et d’attendre. Cinq minutes devraient suffire.

Bien sûr, le cas de Bruxelles restera, autant que faire se peut, le plus litigieux qui soit. Il sera vraisemblablement nécessaire de raser le Berlaymont (siège de la Commission européenne) et ses alentours pour y aménager une esplanade où l’on consentira aux Wallons d’aller et venir aux heures de la prière. De même, la place de Broukère sera strictement réservée aux moukhères (l’organisation d’une guerre, fût-elle de proximité, ne doit pas nous priver de menus plaisirs poétiques). Il ne faudra pas négliger non plus la division de Bruxelles en deux entités distinctes (Bruxelles-Est et Bruxelles-Ouest). Enfin, pour parachever cette œuvre hautement salutaire, on n’omettra pas de disposer quelques colonies flamandes en territoire wallon. Comme nous sommes européens[3. Paul Valéry écrivait : « Partout où l’Esprit européen domine, on voit apparaître le maximum de besoins. »], on prendra garde d’essaimer judicieusement des colonies wallonnes en territoire flamand.

Non moindre problème, l’Atomium de Laeken a beau être une infrastructure civile, le risque est grand que l’autonomie wallonne ou le gouvernement flamand ne s’avise un jour de l’aménager pour accéder au statut envié de puissance nucléaire. Par précaution, un contingent de pioupious onusiens le détruira.

On veillera enfin, pour faire bonne mesure, à déplacer certaines populations. Amélie Nothomb, les frères Dardenne[4. C’est une demande du Wallon Marc Cohen qui a menacé d’aller se faire exploser dans une école à Bruges si je n’y satisfaisais pas.], Jean-Claude Van Damme et Lara Fabian recevront ainsi d’office la nationalité flamande.

Et nous visiterons cela, le dimanche, en famille. On y verra Nicolas Moubarak, accompagnée de son épouse, refuser de faire la bise à Angela el-Bachar (« Mais qu’est-ce qu’elle pique ! On ne pourrait pas lui demander de se raser à cette Syrienne de Boche ? »). Et ce sera reparti comme en 40, en nettement bien mieux qu’à Eurodisney.

E.T., un nouveau réactionnaire ?

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D’où provient ce malaise ? Pas de la salle obscure, j’en suis sûr. Moyenne d’âge : 5 ans. C’est charmant. Ni du film : Wall-E, sorti ce mercredi et produit par les studios Pixar en association avec Walt Disney. Du groupe de Japonaises alors, au premier rang, qui couine des « Ka-wa-ï ! » (mignon) à la moindre occasion ? Pas davantage, évidemment.

Est-ce le côté exagérément politically correct de ce film d’animation ? En résumé : la terre a été abandonnée il y a sept siècles par les humains, qui l’avaient trop polluée. Les descendants des coupables, à quelques rares exceptions, sont bien sûr tous des blancs – et quand on sait qu’en 2008 les plus grands pollueurs sont la Chine et les autres pays « en voie de développement », n’est-il pas irritant de voir encore et toujours le seul Occidental désigné comme cause de tous nos malheurs écologiques ? Certes, certes… Mais le dernier navet de M. Night Shyamalan – Phénomènes (toujours à l’écran) – pousse la caricature bien au-delà… Et puis, en définitive, dans Wall-E, nos amis Yankees se révèleront aussi courageux que soucieux de la nature.

Pourquoi tiquer alors ? L’omniprésence de références geek et tous ces bruitages empruntés, ainsi que le générique le reconnaît, à l’univers Apple ? Kling ! Pardon : que nenni ! La déréalisation de notre univers est une réalité à laquelle on a fini par se faire. Les clins d’œil un peu lourdingues à 2001, Odyssée de l’espace ? Non : après tout Also sprach Zarathoustra dans un film pour gamins, voilà qui nous tire plutôt vers le haut… Quoi, alors ? La disparition complète, définitive, de toute frontière entre l’image réelle, filmée, et celle de synthèse, dans ce film ? Troublant, il est vrai, mais on ne peut que s’ébaubir d’une telle prouesse artistique (ou technique ?), qui relègue Matrix au rayon vintage. Alors ?

Alors le problème – le malaise – tout au long de ce film, c’est la voix off. La voix de l’ordinateur central. Une voix douceâtre, pédagogique, et qui ne cesse de mentir aux derniers survivants de l’espèce humaine. Pour leur bien. Une voix familière. Mais qui ? Voyons voir… Le générique de fin défile et indique : Sigourney Weaver pour la version anglophone. Nous voilà bien renseignés. Lumières allumées et salle vidée, il faut attendre les toutes dernières lignes pour découvrir le pot au rose : cette voix, celle du robot central, qui endort et berne son monde d’un ton d’évidence monocorde, appartient à… Pascale Clark.

Pascale Clark ? Oui ! Celle-là même dont les émissions, menées au knout, comme les revues de presse, furieusement brejnéviennes, ont fait l’aimable renommée. Celle-là même qui, en pleine confusion, réclama, lors d’une émission dont l’invité était Robert Redeker[1. Ce professeur, menacé de mort après avoir publié une tribune contre le prophète Mohamed dans Le Figaro, était l’invité de Laurent Ruquier le 17 mai 2008 dans l’émission « On est pas couché » sur France 2.], le rétablissement du délit de blasphème… Franchement, quel humour ! Accepter, avec une telle réputation, de doubler la voix synthétique d’un tyran numérique dont la fonction est d’imposer aux humains une version de la réalité non négociable parce que raisonnable et officielle… Quelle aisance dans le second degré !

En sortant du ciné, je me suis néanmoins interrogé : avait-elle en mémoire, au moment de signer ce contrat, le mot de Freud : « On ne plaisante jamais tout à fait » ? Lequel Freud n’était ni un souverainiste ni un nouveau réactionnaire, mais le théoricien du « refoulement ».

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Sida, prévention contre les soins

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La vitesse de progression du sida dans nombre de pays musulmans reste encore inconnue, notamment en raison de la propagande, qui associe contamination et occidentalisation. Les soins, eux aussi, sont rendus difficiles par l’idéologie : le numéro un mondial des médicaments génériques anti-sida est l’israélien Teva. Et de la Lybie au Pakistan, on tient à s’en préserver.

Mourir en cette vie n’est pas nouveau

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Le cardinal de Richelieu avait tout compris de ce qu’étaient le monde et la littérature, lui qui donna à l’Académie son sceau et sa devise : « A l’immortalité ». Les grands écrivains sont immortels. Non pas que la mort ne les frappe pas ni qu’ils deviennent ce qu’ils sont après avoir fait l’expérience concluante de la finitude. Ils ne sont pas même « pareils aux semi-dieux » dont parle Hölderlin dans le poème Der Rhein, assez étrangers aux choses ennuyeuses du trépas. La mort les habite comme ils habitent la mort.

En un mot, je croyais Soljenitsyne mort depuis longtemps – aussi mort, tout du moins, que peuvent l’être Dostoïevski, Boulgakov, Gogol, l’auteur anonyme des Récits d’un pèlerin russe ou encore Serguei Essenine, écrivant en 1925 avec le sang qui s’écoulait de ses veines tailladées : « Au revoir, mon ami, sans geste, sans mot. Ne sois ni triste, ni chagrin. Mourir en cette vie n’est pas nouveau. Mais vivre, bien sûr n’est pas plus nouveau. »

A la vie, à la mort : c’est le leitmotiv millénaire de la Russie. C’est le mot d’ordre de toute littérature possible. Et c’est certainement là, entre la Russie, la vie, la mort, que se noue l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne.

Tous les biographes vous le diront : il est envoyé au goulag en 1945 pour des raisons dont la gravité est inversement proportionnelle au caractère totalitaire du régime soviétique. Il a critiqué à demi-mots dans sa correspondance avec Vitkievitch la stratégie militaire de Staline. Et c’est au goulag qu’il devient écrivain ou, plus précisément, que se matérialise la certitude qu’il le deviendra et qu’il avait acquise dès l’âge de dix ans en lisant Guerre et Paix de Tolstoï : « Nous étions tous prêts à affronter la mort et à la subir. Il ne me restait plus qu’un an à tirer, mais nous avions une telle nausée que nous tous nous disions : « Tuez-nous ! »… J’ai écrit des poèmes : c’était facile à mémoriser. Des petits poèmes de vingt lignes écrits sur des petits bouts de papier que j’apprenais par cœur et que je brûlais ensuite. A la fin de la période de prison et de camp, j’avais douze mille lignes en mémoire… J’avais un chapelet : chaque grain représentait un poème ; je le portais dans mon gant. Si on trouvait ce chapelet pendant la fouille, je disais prier : on ne faisait pas attention, ce n’était pas une arme ! »

Le jour même de la mort de Staline, le 5 mars 1953, il finit de purger sa peine et est condamné à la relégation perpétuelle dans le Kazakhstan. Seulement, atteint d’un cancer, on l’interne plusieurs mois à l’hôpital de Tachkent : « Cet hiver-là j’arrivai à Tachkent presque mort, oui, je venais là pour mourir. Mais on me renvoya à la vie, pour un bout de temps encore. »

De cette double expérience – celle de la prison et celle de la maladie –, il acquiert une force spirituelle qui le poussera au baptême en 1957 et lui donnera l’irrépressible volonté d’écrire tout ce qu’il a vécu. Pour l’auteur d’Une journée d’Ivan Denissovitch, écrire c’est décrire, témoigner du monde, rendre justice à la réalité. Et c’est ce que fait Soljenitsyne : il suit la recommandation de saint Paul dans la lettre aux Corinthiens : « Malheur à moi si je ne rends pas témoignage » et fait écho à Derrida paraphrasant Wittgenstein : « Ce que l’on ne peut pas dire, il ne faut surtout pas le taire, mais l’écrire[1. Jacques Derrida, La Carte Postale]. »

Une journée d’Ivan Denissovitch est le premier livre paru d’Alexandre Soljenitsyne en Union soviétique aussi bien qu’en France. A Moscou, après le XXIIe Congrès, les écrivains sont sommés de participer à la déstalinisation et Khrouchtchev en personne donne l’autorisation de publier l’œuvre de cet inconnu, non sans avoir expurgé la première édition de certains passages. En France, le livre paraît chez Julliard et le rédacteur en chef des Lettres françaises de l’époque, Pierre Daix, y voit un chef d’œuvre : Soljenitsyne est alors présenté comme le critique des « accidents » du socialisme réel, non pas comme un adversaire de l’idéologie socialiste. Pour un peu, on le ferait passer pour un précurseur de la doctrine que portera en 1968 Alexander Dubček : le socialisme à visage humain. A ceci près que, pour l’auteur de L’Archipel du Goulag, le socialisme ne peut présenter un visage humain.

Khrouchtchev ignorait qu’en autorisant la publication d’Une journée d’Ivan Denissovitch il allait ériger Soljenitsyne en grande figure de la dissidence soviétique. Beaucoup d’anciens déportés au goulag et les familles de ceux qui y sont morts se rallient à l’écrivain. Les bouches se délient. Le Kremlin prend peur et le KGB se charge de l’affaire. Comme il l’écrit dans Le Chêne et le Veau, on le prive de ressource, on perquisitionne chez ses amis, on saisit ses archives, on manque l’assassiner, jusqu’à ce que le régime se résolve à le déchoir de la citoyenneté soviétique et à l’expulser en 1974 en Allemagne, après la publication à Paris de L’Archipel du Goulag.

La France, d’ailleurs, comptera beaucoup dans l’histoire de Soljenitsyne : c’est François Mauriac qui plaide la cause de l’écrivain russe pour qu’il obtienne le Nobel en 1970 et c’est Claude Durand qui devient son agent littéraire mondial. La réciproque est vraie : Soljenitsyne comptera beaucoup dans l’histoire de la gauche contemporaine française. En 1976, c’est la traduction française de L’Archipel du Goulag qui sert de ciment idéologique aux « Nouveaux philosophes » : Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann et consorts ouvrent les yeux et découvrent alors les crimes du stalinisme – Hegel appelait cela le « retard de la pensée sur le monde »…

Soljenitsyne s’installe un temps en Suisse, puis prend le chemin des Etats-Unis. Il ne retrouvera la Russie qu’en 1994. Seulement, de la même façon que Khrouchtchev s’était trompé sur son compte, l’Occident ne retrouve pas en lui le combattant des droits de l’Homme qu’il avait cru déceler. Lorsqu’en février 1975 il arrive à Paris pour y donner une conférence de presse, il fulmine contre l’Occident : l’Ouest se satisfait de la réalité soviétique qui est, tout à la fois, un miroir et un épouvantail ; elle permet à la société de consommation occidentale de trouver sa justification… Grosse déception dans les chaumières de l’Occident bienpensant, qui avait préparé son mouchoir afin écouter l’ode convenue à la démocratie et aux droits de l’Homme qu’on attendait du Dissident…

Ce n’est pas que Soljenitsyne fût un nationaliste outrancier, ni un intégriste orthodoxe, ni un adversaire acharné de la démocratie, comme certains ont voulu le présenter (et comme il ne manquera pas de l’être une nouvelle fois encore dans les semaines et les mois qui viennent au cours des procès en sorcellerie qui constitueront son inventaire après décès). Ce patriote russe avait retenu une chose de la vie : il faut se méfier des idéologies comme de la peste et tenir à distance ceux qui veulent faire le bonheur du peuple même contre son gré. Son idéal démocratique ne dépassait pas celui des cantons suisses. C’est que tout pouvoir, nous apprend Soljenitsyne, n’a besoin de rien d’autre que de mesure.

Puisque, comme Essenine l’écrivait, « mourir en cette vie n’est pas nouveau », il nous suffit pour dire au revoir à Soljenitsyne de fredonner légèrement un petit air de Vissotsky : « Nous apprenons beaucoup dans les livres, mais les vérités volent au vent des paroles… On ignore les prophètes en leur pays ! Et leurs voisins les ignorent aussi. » [2. Vladimir Vissotsky, Я из дела ушел (Je me suis retiré d’une affaire), 1973.]

PS. Claude Durand, qui n’a pas souhaité s’exprimer sur la mort de son ami, nous informe que Fayard va publier en novembre l’avant-dernier volume de la Roue rouge, un livre de Georges Nivat et un autre essai sur Soljenitsyne.

Photo : Mikhail Evstafiev, Soljenitsyne prenant le train à Vladivostok, 1994.

Une journée d'Ivan Denissovitch

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Impossible Napa français

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Château Montelena, l’un des fleurons des vins californiens de la Napa Valley, vient d’être racheté par le milliardaire français Michel Reybier. Autre choc de taille pour les Yankees : l’acquisition par les Belges de l’emblématique marque de bière Budweiser. A la place des dirigeants de Coca-Cola, on surveillerait de près ces assoiffés de la « vieille Europe ».

Sauvez la date !

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Le Comité international olympique n’en fait plus mystère : la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin risque d’être purement et simplement annulée. Le président du CIO, Jacques Rogge, vient en effet de s’apercevoir que la date retenue coïncide avec le cinquantième anniversaire de la naissance de Francis Lalanne. En tout cas, Trudi Kohl, notre envoyée spéciale aux JO, sera en direct de Pékin pour couvrir cette cérémonie d’ouverture, le 8 août de 12 h à 22 h. Qu’elle se fasse ou non.