Accueil Site Page 2821

Oublier Pristina ? Pas si simple

20

Ce n’était pas une solution mais il n’y en avait pas d’autre. On ne saurait dire que les diplomates qui, à Pristina, Bruxelles, Paris, New York, Washington et Berlin, ont bricolé le Kosovo indépendant, soient très fiers de leur créature. Ils sont bien placés pour savoir que le nouveau confetti étatique qui vient de surgir dans les Balkans est un pur produit de leur impuissance. Incapables d’imaginer un autre chemin que celui sur lequel ils étaient engagés, ils se sont rués tous ensemble vers le précipice – encore une course de canards sans têtes comme dirait Luc Rosenzweig. La machine était lancée depuis juin 1999. Le plus simple était de s’en tenir aux promesses faites aux Albanais sans se montrer trop regardants sur les contreparties que l’on exigeait d’eux. Il est vrai qu’aux tarifs pratiqués par l’ONU et les autres boutiques internationales installées à Pristina pour guider le Kosovo vers un avenir radieux, on s’habitue vite à regarder ailleurs dès qu’un problème surgit et à éviter tout ce qui pourrait en créer. La MINUK, administration onusienne créée en 1999 pour gérer les affaires civiles du protectorat militaire de l’OTAN – et, accessoirement, garantir le caractère multiethnique des institutions s’est donc soigneusement employée à ne rien faire qui aurait pu froisser ceux à qui on avait promis les clés de la province.

Pas de vagues, des rapports encourageants à New York ou Bruxelles et quelques articles de presse enthousiastes : muni de ce viatique, n’importe quel petit malin bombardé conseiller d’un ministre fraîchement passé du treillis au costard-cravate est assuré d’avoir payé les traites de sa maison de campagne bien avant que le gouvernement du nouvel Etat soit en état de gouverner. Alors que les « onusiens » s’apprêtent mollement à plier bagages, les fromages les plus convoités ces jours-ci sont quelques dizaines de postes directement financés par la Commission européenne au titre du programme support police : 1200 € par jour, nets d’impôts, sans oublier le précieux per diem qui couvre les dépenses quotidiennes, sachant que voitures et téléphones sont à la charge de l’employeur, autrement dit du contribuable européen. Pour mériter ces largesses, il faut mener des enquêtes serrées sur Google, participer à d’innombrables réunions, boire des litres de café et prodiguer d’enthousiastes encouragements à des Albanais dont la bonne volonté est souvent l’unique compétence. Ainsi va le grand circus international.

Le plus cocasse est qu’à Pristina comme à Belgrade, l’unique horizon promis aux populations pour leur faire avaler la pilule du présent est l’adhésion à notre merveilleuse usine à gaz européenne. Et ça marche…Leurs grands-parents voulaient régénérer le genre humain. Epuisés par des décennies d’affrontements à plus ou moins bas bruit, gavés d’identité, Serbes et Albanais ont en commun une volonté farouche de s’adonner aux délices du marché mondial. Et ils pensent – peut-être à raison – que la baguette magique européenne transformera leurs citrouilles en carrosses avec le moins de casse possible. On veut du cash, pas des romans. Ce pragmatisme désenchanté explique que le logo européen opère comme un totem laïque, au point de figurer sur le drapeau – assez ridicule il faut bien le dire – du Kosovo nouveau. « Avec moi vous entrerez dans l’Union » : ce slogan est devenu l’archétype de la promesse électorale. Après tout, on peut les comprendre. L’Histoire, ils en ont soupé. L’Europe, c’est la promesse d’y échapper.

Seulement, il ne suffit pas d’empiler des technos, des grands principes, de l’argent international, des grosses voitures pour créer un Etat. En attendant la fin de l’Histoire, reste une situation inextricable, ubuesque sur le plan légal, incertaine politiquement et désespérante économiquement. Cinq membres de l’UE n’ont pas reconnu le nouvel Etat. Anticipant les ennuis, les ministres européens des Affaires étrangères avaient adopté une position commune en vertu de laquelle… chaque pays pourrait déterminer librement sa position (ce n’est pas une blague). Résultat : en théorie, l’Union ne peut pas, en tant que telle, avoir des relations avec cet Etat mal-né, reconnu seulement par 45 pays. Même chose, évidemment, pour l’ONU. Le hic, c’est que la MINUK est maintenant supposée refiler le bébé à EULEX (prononcer youlex), mission européenne chargée d’aider le gouvernement du Kosovo à accoucher d’un Etat de droit. Mais ni l’ONU, ni l’UE, entravées par leurs divisions, ne sont en mesure de définir les modalités, l’une de sa sortie, l’autre de son entrée en fonctions. Présent à Pristina depuis plusieurs semaines, le patron de EULEX, le général français Yves de Kermabon, peine à trouver des locaux pour ses troupes. Tout juste a-t-il pu négocier un accord technique sur le transfert de la MINUK à EULEX de certains équipements et du parc automobile, accord qui a immédiatement provoqué les hauts cris de Belgrade.

Choses vues en Ossétie du Sud

40

1 J’arrive à Moscou, aéroport de Cheremetievo. L’été russe est beau. Je fais les 60 kilomètres jusqu’au Kremlin dans une Zil affrétée par le président Medvedev. Comment ce chef d’Etat assiégé par l’Amérique, l’Otan, les terroristes islamistes de Tchétchénie et du Daghestan, et maintenant l’agression géorgienne de ce Saakachvili couvert du sang encore fumant des Ossètes et des Abkhazes, peut-il avoir le temps et la délicatesse de penser à ce détail ?
Il fait nuit quand j’arrive dans le bureau du président de la Russie. L’homme a l’air tendu, mais souriant. De beaux cernes indiquent les nuits sans sommeil. « Je vous remercie d’être venu. Je ne suis pas sûr que le monde nous comprenne. Je compte sur vous. Il faut leur dire. »
J’ai la gorge serrée. Maxime Gremetz, qui m’accompagne, retire ses lunettes. Il pleure franchement.
Soudain une porte dorée s’ouvre. C’est Poutine, le Premier ministre, qui vient nous souhaiter la bienvenue. Son regard est triste. Je me lève pour lui serrer la main. Il préfère une accolade. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’accolade d’un héros. Je sens l’étreinte musclée, je pense à ses années de luttes au KGB contre les agressions yankees, puis à la tête de l’Etat russe, contre les oligarques mafieux, les fous furieux islamistes de Grozny… Et maintenant le génocide perpétré par les Géorgiens appuyés par l’Otan, la CIA, les technocrates bruxellois et l’OMC. Un génocide contre un peuple courageux et fier, un peuple de bergers héroïques : les Ossètes.
– Allez les voir, me dit Poutine. Allez voir cette horreur. Témoignez.
Maxime, maintenant, sanglote carrément.

2. Vladikavkaz. Ossétie du Nord. Ce qui frappe, dans la capitale d’Ossétie du Nord, QG des forces russes de la paix, c’est la détermination de ces jeunes soldats virils venus de toutes les républiques du pays. Ils chantent joyeusement, fraternellement. On joue aux cartes et on fume autour des chars. Derrière la détente, certains regards ne mentent pas : les combats ont été durs contre les hordes sauvages de Saakachvili le fantoche. Depuis cette nuit du 8 août quand la fureur homicide de Tbilissi s’est déployée, ces soldats ont peu dormi.
« Je suis fier d’eux, me déclare le major Polikarpov. Vous savez, mon grand père est mort en arrêtant les nazis à Stalingrad. Je ne pensais pas devoir remettre ça un jour. »
Il me tend un papirosse, ces cigarettes au bout cartonné, que fume l’armée sov…, euh russe. Polikarpov a les yeux fixés sur la crête de la montagne caucasienne. De l’autre côté, c’est l’enfer. Il n’a pas besoin de me le dire. Je le vois dans ses yeux clairs de soldat de tous les combats antitotalitaires.
Maxime Gremetz tousse un peu. Il ne fumait plus, mais là l’émotion est trop forte et il a accepté le don, simple et essentiel, du major Polikarpov.

3. Tskhinvali, capitale de la courageuse Ossétie du Sud. C’est une ville en ruines comme j’en ai déjà tant vu. Bagdad, quand la garde républicaine de Saddam se battait maison par maison contre les forces du Mal yankee, Belgrade sous les bombes de l’Otan quand ce pauvre Slobodan m’adjurait de dire la vérité, là-bas, en Occident, Jenine après le rezzou sioniste de Sharon, Villiers-le-bel lors de la reprise en main par les CRS sarkozistes.
Les hélicoptères de combat, siglés de l’étoile rouge, filent dans le ciel bleu. Ils rassurent une population traumatisée depuis ces nuits tragiques, quand le déluge de feu géorgien s’est abattu.
Une vieille dame s’approche de Maxime. Son visage est ridé mais beau. Elle nous dit quelque chose. Mes rudiments d’Ossète me permettent de saisir l’essentiel. Il y avait des « conseillers » américains dans les combats. Ils ont encouragé les massacreurs géorgiens à s’acharner sur l’hôpital de la ville.
L’hôpital de la ville, témoignage du martyre ossète.
Des blessés dans les caves, partout. L’un d’eux me saisit la main. Il me parle mais mon ossète du sud, cette fois, n’est pas suffisant. Une doctoresse russe bénévole, au visage épuisé mais étrangement rayonnant, me raconte. « C’est un berger. Il est descendu des montagnes dès l’arrivée des Géorgiens. Avec quelques camarades, ils ont repoussé les blindés de la clique fasciste de Tbilissi avec leurs fusils de chasse. Ils ont gagné des heures précieuses pour permettre aux sov, euh aux Russes d’arriver et de renverser in extremis la situation. »
La doctoresse me traduit toujours.
Son profil est le profil même de la liberté, de la lutte contre l’impérialisme marchand. C’est le même que celui des doctoresses cubaines dans les barrios de Caracas où elles aident Chavez avec une abnégation qui fait honneur au genre humain.
Nous l’invitons à prendre un verre dans un des derniers cafés de Tskhinvali.

4. Gori. Gori humiliée, Gori dévastée, mais Gori libérée. La statue de Staline, l’enfant de la cité, est miraculeusement intacte, malgré la brutalité des combats. Le colonel Andropov me fait écouter, dans son QG, les communications entre unités géorgiennes à quelques kilomètres de là. De temps à autre, au milieu des interférences, on entend la voix grasse, la voix pleine de cholestérol, des « amis américains ». La voix de l’horreur.
Maxime frémit, tout comme moi.
On ne pourra plus dire qu’on ne savait pas.

La grande môme

Price: 1,65 €

35 used & new available from

Des statistiques trop mouvantes

Chaque semaine, c’est la même satisfaction, et chaque semaine c’est le même vertige. En recevant mon exemplaire de The Economist, je sais que je trouverai, niché dans sa sobre maquette, un étonnant résumé du monde. Je ne parle pas des analyses, mais de l’irrésistible talent qu’a l’hebdo des dominants pour mettre la réalité en pourcentages et en courbes et multiplier les encadrés qui frappent l’imagination en chiffrant le monde tel qu’il va.

Cette semaine, The Economist publie le classement des capitales en fonction de leur « urban competitiveness ». Le Webster indiquant que la moitié du vocabulaire anglophone vient du français, il est inutile, j’imagine, de traduire. Alors, allons droit aux résultats. Car cette rivalité-là a son petit fumet Jeux Olympiques – c’est qui les champions du monde, hein ? Oh ! Je ne suis pas dupe : depuis que j’ai appris que « le fameux » classement de Shanghai des meilleures universités du monde était en réalité un bricolage solitaire, et qu’il était néanmoins repris partout sans examen… Et pas naïf non plus : la série d’études et de classements publiée par les médias français depuis deux ans était on ne peut plus claire sur le manque d’attractivité de Paris et de l’Ile-de-France.
Fataliste, donc, je pose l’œil sur l’oracle statistique. Surprise ! Paris arrive quatrième sur les cinq cent plus grandes villes du monde. Quatrième ! Médaille de zinc, en somme, ce qui n’est pas si mal. Juste derrière Tokyo, capitale de la seconde puissance économique mondiale, et à quelques coudées de New York et Londres. Du coup, je ne cherche pas même à décortiquer la méthode selon laquelle a été établi ledit classement : je l’adopte tel quel.

Je dois confesser avoir fait de même au sujet de la richesse des nations. J’appartiens à la génération à laquelle on avait enseigné que les pays se classaient selon leur PNB – ou, pour le dire en français : en fonction de la richesse qu’ils produisent chaque année. Leurs revenus, quoi. « Eh ! bien, tout faux ! » m’ont un jour annoncé Le Figaro et The Economist : l’heure est désormais au PPP. Prononciation : pi-pi-pi. Signification : purchase power parity. Là, je traduis tout de même : parité du pouvoir d’achat. Mode de calcul implacablement novateur, le PPP prend en compte les prix réels. Je traduis encore : si un Chinois gagne mille dollars par mois et un Américain dix mille, mais qu’à consommation équivalente (Coca, MacDo, essence, loyer d’un trois pièces, etc.), le Chinois ne dépense que cinq cents dollars pour vivre quand l’Américain en dépense huit mille, alors on se doit de conclure que cinq cents dollars à Beijing en valent huit mille à Washington. Et donc que le Chinois est en réalité seize fois plus riche que ne le disaient ces ânes de l’OCDE (75016 Paris). A l’échelle des nations, bien sûr, cela bouleverse la hiérarchie, faisant de la Chine la médaille d’or devant les USA et loin devant le Japon, rattrapé par l’Inde. Quant à la France, je ne vous dis pas : quinzième ou vingtième selon les classements, loin, très loin du podium. De quoi faire prendre la porte à Lagarde.

Quand on est cocardier et de nature sensible, le mieux est donc encore de choisir ses statistiques sur mesure. Voyez les Jeux Olympiques : en principe, le classement par nations se fait au nombre de médailles d’or. Le seul métal qui compte. Ce qui donne, à l’instant où j’écris, le podium suivant : Chine (43), USA (25), Royaume-Uni (14). France : quatre médailles d’or, onzième rang, entre l’Ukraine et la Roumanie. Pas brillant. Mais dans son édition on line, le Wall Street Journal a trouvé la parade : un classement comptabilisant le nombre total des médailles – après tout, l’argent ne vaut pas des clopinettes ! Et illico le podium en est chamboulé : USA (77), Chine (76), Russie (40)… et France (30). Médaille de zinc, là encore ! Epatant, non ? Car, en vérité, le seul calcul raisonnable, c’est de considérer les statistiques, qui disent tout et notamment son contraire, comme les nouvelles du JT. Et de ne s’attacher qu’aux plaisantes.

E pur si muove

4

Belle image que celle de Ségolène Royal recevant le Dalaï Lama. Tandis que le prix Nobel de la paix l’écharpait vigoureusement, l’ex-candidate socialiste a affiché sa détermination à agir pour les tibétains : « Dès la semaine prochaine je vais demander un visa pour me rendre au Tibet, je crois que les choses pourront ainsi bouger. » C’est sûr, à commencer par l’avion qui l’emmènera au Tibet.

Vous êtes dans le rouge ? Devenez socialiste !

6

C’est une nationalisation – qui ne dit pas son nom. Et ça se passe aux Etats-Unis. Le gouvernement fédéral vient bel et bien de prendre le contrôle des deux plus gros acteurs du marché du crédit immobilier, Freddie Mac et Fannie Mae (les « sœurs »), victimes de leur politique irresponsable d’attribution de prêts. Washington n’a pas opté pour une nationalisation pure et simple, qui aurait imposé l’inscription au budget fédéral des dettes des deux établissements et plongé encore plus profondément dans le rouge les comptes publics américains. Dans la réalité, cela revient exactement au même : en contrepartie de la garantie de ces dettes, le gouvernement détient des titres qui font de lui un actionnaire privilégié – les autres étant plus ou moins dépouillés : les titres ordinaires (common shares) ne vaudront plus rien, et les actions dites prioritaires ne donneront plus droit au versement de dividendes. Le gouvernement entend stabiliser les deux organismes de crédit pour les vendre – probablement après les avoir dépecés -, une fois la tempête financière passée.

L’opération paraît raisonnable. Ces mesures interventionnistes qui fleurent l’économie d’Etat peuvent néanmoins surprendre quand on se rappelle que Bruxelles trépigne dès qu’un gouvernement tente trop ouvertement de sauver une entreprise en difficulté, et alors que les Etats-Unis sont considérés comme la Mecque du néo-libéralisme échevelé qui a pris la suite du capitalisme de papa. Après tout, conformément à la règle d’or de l’économie libérale, ils auraient pu choisir de faire payer les pots cassés aux noceurs. Seulement, voilà, « Fannie » et « Freddie » sont trop grandes pour qu’on les abandonne au marché et à sa logique du « crime et châtiment ». A elles seules, les deux « sœurs terribles » détiennent la moitié du marché américain du crédit immobilier, leur chiffre d’affaires avoisinant la somme astronomique de 6.000 milliards de dollars.

Fannie Mae (Federal National Mortgage Association) et Freddie Mac (Federal Home Loan Mortgage Corporation) ont été respectivement fondées par le gouvernement américain en 1938 et 1970 pour développer et solidifier le marché du crédit immobilier. La principale mission de ces deux agences fédérales devenues par la suite des entreprises privées est de pourvoir en fonds les établissements distributeurs de crédits immobiliers : en somme, elles font office de « banques des banques ». Leur blason d’ex-agences gouvernementales leur a valu la confiance quasi absolue des marchés – brevet qui n’est pas seulement honorifique, car elles bénéficient d’un loyer de l’argent plus faible que les autres banques. En clair, les deux sœurs payaient moins cher les fonds qu’elles levaient, ce qui leur a permis de devenir de véritables géantes durant la décennie du « boom » immobilier. Seulement, dans un climat de taux baissiers, les marges se sont amenuisées. L’avidité conjuguée des actionnaires, des détenteurs d’obligations et des cadres dirigeants a poussé les deux banques à essayer de doper leurs performances en opérant dans le secteur des subprimes, les fameux prêts à risque et à rendement plus élevés. Cette stratégie devait « pimenter » les rendements, gonfler les résultats, et avec eux le prix de l’action, les dividendes et, last but not least, les bonus des dirigeants. On sait ce qu’il en est advenu.

Lorsque la bulle immobilière a éclaté, les deux sœurs ont subi l’onde de choc de plein fouet. En effet, les prêts à haut risque se sont vite révélés être un abîme sans fond. Face à l’ampleur de la crise, le gouvernement américain a d’abord hésité avant de se décider à agir avec pragmatisme, sans se montrer trop sourcilleux sur la doctrine. Par gros temps, le capitalisme a besoin d’un parapluie, voire d’une bouée de sauvetage. Et peu importe que cela soit peu libéral. Bref, en matière de politique économique, le président Bush semble avoir fait sien le slogan des pacifistes européens d’antan – better red than dead. Il a bien raison.

Psychologie para

5

Commandant en second des parachutistes russes, le général Viacheslav Borisov est un parfait connaisseur de la Géorgie, puisqu’il y a servi pendant cinq ans sur la base de Batoumi. Comme le général semble se plaire à revenir là où il a déjà sévi, nous recommandons aux habitants de Toulouse de se méfier : le général Borisov a été aperçu du 4 au 8 décembre 2006 aux abords du Capitole. Le motif officiel de sa présence dans la ville rose, selon le communiqué signé à l’époque par l’agence Ria Novosti, c’était un voyage d’étude du « processus d’instruction et d’entraînement dans l’Ecole de parachutisme de la brigade ». Visiblement, cela a marché. Et s’il lui prenait l’envie de revenir ?

La démocratie contre la culture

39

Avant-gardiste et réactionnaire, classique et scandaleux, sulfureux et branché, Renaud Camus a entrepris de sauver les Délicatesses du français contemporain. Le culturel triomphe mais la culture meurt sous les coups de l’hyperdémocratie. Diariste échevelé, avant-gardiste et réactionnaire, Renaud Camus repart au combat contre les « Niveau-montistes » et autres « Amis du Désastre », complices hébétés de La grande déculturation. Les vigilants s’énervent et glapissent : « Camus est raciste ! »

Vous observez que la culture fut longtemps le privilège héréditaire de la bourgeoisie. Faut-il en conclure qu’on naît cultivé mais qu’on ne le devient pas ?
On ne naît rien du tout. Dans la culture tout est devenir, élargissement et perte. En revanche, il est bien certain que passer ses premières années dans un milieu cultivé confère ou conférait un avantage prodigieux. Rien d’irréversible au demeurant : on voit tous les jours, le système éducatif y veille, des enfants et surtout des petits-enfants de parents et de grands-parents parfaitement cultivés témoigner la plus rigoureuse inculture et retourner paisiblement à la foncière sauvagerie de l’espèce.

Reste que votre définition de la culture est fondée sur la hiérarchie, la distinction, et cela vaut à la fois pour son contenu et pour le nombre de ceux qui y accèdent. Vous énoncez une loi de physique sociale selon laquelle plus la culture est largement partagée, plus son contenu se dévalue. Cela signifie-t-il que la possibilité de la culture est morte en 1789 ?
Oh là là, là il y aurait mille choses à redresser. Concentrons-nous sur une seule : 1789 n’a pas tué la culture, c’est à peu près à cette époque au contraire qu’est née la culture, au sens que nous voyons mourir sous nos yeux, au sens du ministère de la Culture (du moins au temps de Malraux et de Michel Guy). L’homme féodal, l’homme noble, l’homme classique ni l’honnête homme, ni même l’homme des Lumières, n’avaient de culture. Ils avaient éventuellement de la lecture, l’amour des arts, de l’entregent, de la courtoisie, des humanités, des lumières. Ils étaient ou non des êtres accomplis, pas des êtres cultivés. L’ère de la culture correspond grosso modo à l’ère bourgeoise. La culture est à l’idéal de l’honnête homme ce que l’esthétique selon Hegel est à l’art : une espèce de second degré, déjà, un deuil de l’immédiateté du rapport aux formes. La définition que vous me prêtez n’est pas la mienne, et en tout cas ce n’est pas une définition. La mienne, il y a déjà longtemps que je l’ai énoncée et je lui reste fidèle : la culture, c’est la claire conscience de la préciosité du temps.

Vilar, pour ne citer que lui, croyait à l’élitisme pour tous. Vous observez plutôt le triomphe de la médiocrité. Faut-il incriminer l’ancienne élite cultivée qui a abdiqué ses responsabilités ?
Elle a peut-être abdiqué, mais on ne lui a guère laissé le choix, la malheureuse. Il n’y a plus d’élite cultivée. L’élite, les élites au dérisoire sens moderne, ce sont d’une part les hommes politiques, les élus (et en cela le mot, pour trompeur qu’il soit, a au moins le mérite de rejoindre son étymologie), d’autre part les gens riches et influents. Cette élite-là n’est nullement culturelle, ni cultivée. Comme l’a fait remarquer très justement Gomez Davila, entre les riches et les pauvres, la seule différence aujourd’hui, c’est l’argent.

C’est donc bien à une démocratie devenue folle – que vous appelez hyperdémocratie — que vous en avez ?
L’hyperdémocratie – par quoi je ne veux certes pas dire l’achèvement triomphal de la démocratie politique mais sa transposition malencontreuse dans des domaines où elle n’a que faire, tels que la famille, l’éducation et la culture –, l’hyperdémocratie, donc, échouant, comme il était prévisible, à amener les masses au niveau de l’ancienne classe cultivée, s’est assurée par compensation que les héritiers de l’ancienne classe cultivée soient aussi incultes que les masses : grande victoire de l’égalité, triomphe de l’énorme classe centrale, prolétarisation générale.

A certaines disciplines que vous jugez mineures – bande dessinée, science-fiction – vous opposez l’acquis, le patrimonial, le classique. La culture est-elle un stock figé ? N’existe pas de culture contemporaine ?
Ces questions-là me semblent biaisées par le préjugé ou le soupçon. Que les gens ne lisent pas ce que j’écris c’est leur droit le plus strict mais que, ne l’ayant pas lu, ils viennent me reprocher d’être Paul Bourget si ce n’est pis, c’est un peu fatigant. Je suis obligé de rappeler, un peu ridiculement, que je suis un auteur P.O.L., considéré par trente ou quarante personnes comme d' »avant-garde », et que j’ai organisé de nombreuses expositions d’art contemporain, de Kounellis à Marcheschi ou Boltanski. La culture est certes patrimoine, mais si elle n’était que cela elle aurait tôt fait de mourir. Il est un peu comique de voir les hérauts de la chansonnette, qui sont les pires tenants des éternelles variations à la batterie sur l’éternelle marche militaire ou totalitaire fondamentale, s’ériger en champions de la modernité et rejeter parmi les vieilles barbes les admirateurs de Grisey, de Pesson ou Ferneyhough.

Ensemble, tout devient possible

6

Avec un taux de chômage à 2,3 %, le président peut être très satisfait de la politique économique de son gouvernement. De tels résultats annoncent une rentrée sociale beaucoup plus calme que prévue. Quant à l’opposition, on ne voit pas très bien comment ses arguments pourraient continuer à avoir prise, face à des succès qui assurent au président une popularité inégalée. Pascal Couchepin, le président de la Confédération helvétique, est un homme heureux.

Quand on n’aime plus, on compte

0

Le journal flamand De Morgen a publié les résultats d’une étude menée par le professeur Herman Matthijs (Vrije Universiteit Brussel) : le coût annuel de la Maison Royale s’élève à 30 millions d’euros. C’est plus du double de ce qui était comptabilisé jusqu’alors. Soixante ans après avoir imposé le maintien de la monarchie au Wallons qui, eux, plébiscitaient la république, les Flamands voudraient-ils se débarrasser du roi des Belges à coups de calculette ?

Folles de corrida

35

Nous avons aujourd’hui, en Occident, les idées suffisamment larges pour laisser des hommes exhiber à la foule leurs parties charnues sous un collant moulant sans que les dieux n’exigent en retour le sacrifice expiatoire d’un taureau.

Que Marc Cohen me pardonne. Mais tous les psychanalystes vous le diront et Markus Pftizer, mon coiffeur, l’explique comme nul autre : la tauromachie est un truc de folles honteuses. On ne veut pas avouer à maman ses inclinations et l’on se retrouve le dimanche après-midi à faire son intéressante dans une arène, quand d’autres, qui ont fait leur coming out, miment sans scrupule ce que les anciens Grecs dessinaient au fond de leur assiette.

Il faut avouer que cela ne trompe personne, ces hommes qui tiennent le moule-burnes comme le nec plus ultra de l’art vestimentaire et pensent rassurer leur mère éplorée en enquiquinant le bovidé. Victoire de l’homme sur l’animal ? Tu parles ! A ce compte, un éleveur de poulets, qui en zigouille vingt mille à l’heure, est assurément plus viril que ces tapettes costumées qui passent le plus clair de leur temps à exciter du veau dans une arène.

La maman du matador, elle, n’est pas dupe.
– Paquito, dit-elle en faisant mijoter un bœuf mironton sur le fourneau, tu as quarante-cinq ans et tu n’es pas encore marié ? Ton père et moi, nous nous posons des questions. Arrête de jouer avec mon tube de rouge à lèvres.
Mamacita, c’est que je n’ai pas encore trouvé la bonne.
– Oui, oui, tu dis toujours ça. En attendant, tâter de la queue et des oreilles tous les dimanches, nous avons peur que cela ne te donne un jour des idées. Et puis, d’ailleurs, le bœuf, nous on en a marre ! On veut manger du poisson !

Et le dimanche suivant, on retrouve Paquito à moitié dévoré par le grand requin blanc qu’il essayait de toréer à l’Aquarium municipal de Barcelone. Olé.

Que toréadors, picadors et matadors soient gays ne me dérange pas – chacun sa vie. Ce qui me gêne c’est la façon dont ils justifient leurs penchants : « La corrida, c’est dans notre culture. » Oui, et alors ? Qu’ils lisent (ou plutôt qu’ils se fassent lire à voix lente) l’article que Thomas Mann écrivait en septembre 1914 dans la Neue Rundschau : « La culture peut inclure des oracles, la magie, la pédérastie, des sacrifices humains, des cultes orgiastiques, l’inquisition, des autodafés, des danses rituelles, de la sorcellerie, et toute espèce de cruauté. » Au prétexte que cela ait fait partie de la culture occidentale, vais-je aller ramasser des fagots de bois, monter un bûcher et brûler deux ou trois sorcières, allumer cinq ou six vierges, parce que cela me chante ? Evidemment que non. Ou alors discrètement – et certainement pas dans une arène.

De même, faire remonter la corrida à la Grèce ancienne, au culte de Mithra, aux jeux du Cirque voire à la Préhistoire n’est qu’une bonne grosse supercherie : ce que le toréador moyen connaît de la mythologie, il ne l’a pas découvert chez Apollodore[1. Le Pseudo-Apollodore est l’auteur, au Ier siècle ap. J.C. de La Bibliothèque, une compilation de textes mythologiques.] ni chez Dürrenmatt[2. Dans son roman Minotaurus, publié en 1985, Friedrich Dürrenmatt nous présente un Minotaure charmant et sensible, tandis que Thésée nous apparaît comme un criminel sanguinaire.] mais en déchiffrant les étiquettes des canettes de Red Bull.

L’argument culturel étant une molle banderille, on voit alors nos aficionados frapper à l’huis d’Antonin Artaud et d’Aristote (ils ne sont pas en couple, mais simples colocataires) pour vous porter l’estocade : « La corrida, disent-ils, est un théâtre de la cruauté. Elle met en scène les passions humaines et, par sa dramaturgie, présente les vertus de la catharsis. » Certes. Mais, catharsis pour catharsis, il serait préférable – tous les Romains vous le diront – de trucider de vrais chrétiens dans l’arène et de laisser les taureaux à leur principale distraction : honorer bobonne en regardant passer les trains.

Et puis, la corrida reste une affaire de bobos. De bobos XIXe (siècle pas arrondissement), mais de bobos quand même : si elle s’est développée en Espagne au XVIIIe, il a fallu en France attendre Napoléon III pour que les plus impériaux crétins que comptait l’époque tentent de rentrer dans les grâces d’Eugénie de Montijo en devenant, comme elle, de passionnés aficionados. La mode était alors aux espagnolades et les Français un peu sensés s’opposaient farouchement à la corrida, à l’instar de Victor Hugo, de Léon Bloy, de Henri de Rochefort ou d’Octave Mirbeau.

Ils n’étaient pas des protecteurs de la cause animale. Le taureau, ils l’aimaient en steak saignant et l’on se souvient de l’appétit ogresque d’un Hugo criant : « Un Chateaubriand ou rien. » Ils connaissaient simplement le onzième Commandement, celui qu’un jour un paysan hébreu griffonna sur les tables de la Loi pendant que Moïse était occupé à regarder Isaac toréer un veau d’or : « Tu ne joueras pas avec la nourriture. »

Matador [Import anglais]

Price: 56,54 €

4 used & new available from 37,92 €

Oublier Pristina ? Pas si simple

20

Ce n’était pas une solution mais il n’y en avait pas d’autre. On ne saurait dire que les diplomates qui, à Pristina, Bruxelles, Paris, New York, Washington et Berlin, ont bricolé le Kosovo indépendant, soient très fiers de leur créature. Ils sont bien placés pour savoir que le nouveau confetti étatique qui vient de surgir dans les Balkans est un pur produit de leur impuissance. Incapables d’imaginer un autre chemin que celui sur lequel ils étaient engagés, ils se sont rués tous ensemble vers le précipice – encore une course de canards sans têtes comme dirait Luc Rosenzweig. La machine était lancée depuis juin 1999. Le plus simple était de s’en tenir aux promesses faites aux Albanais sans se montrer trop regardants sur les contreparties que l’on exigeait d’eux. Il est vrai qu’aux tarifs pratiqués par l’ONU et les autres boutiques internationales installées à Pristina pour guider le Kosovo vers un avenir radieux, on s’habitue vite à regarder ailleurs dès qu’un problème surgit et à éviter tout ce qui pourrait en créer. La MINUK, administration onusienne créée en 1999 pour gérer les affaires civiles du protectorat militaire de l’OTAN – et, accessoirement, garantir le caractère multiethnique des institutions s’est donc soigneusement employée à ne rien faire qui aurait pu froisser ceux à qui on avait promis les clés de la province.

Pas de vagues, des rapports encourageants à New York ou Bruxelles et quelques articles de presse enthousiastes : muni de ce viatique, n’importe quel petit malin bombardé conseiller d’un ministre fraîchement passé du treillis au costard-cravate est assuré d’avoir payé les traites de sa maison de campagne bien avant que le gouvernement du nouvel Etat soit en état de gouverner. Alors que les « onusiens » s’apprêtent mollement à plier bagages, les fromages les plus convoités ces jours-ci sont quelques dizaines de postes directement financés par la Commission européenne au titre du programme support police : 1200 € par jour, nets d’impôts, sans oublier le précieux per diem qui couvre les dépenses quotidiennes, sachant que voitures et téléphones sont à la charge de l’employeur, autrement dit du contribuable européen. Pour mériter ces largesses, il faut mener des enquêtes serrées sur Google, participer à d’innombrables réunions, boire des litres de café et prodiguer d’enthousiastes encouragements à des Albanais dont la bonne volonté est souvent l’unique compétence. Ainsi va le grand circus international.

Le plus cocasse est qu’à Pristina comme à Belgrade, l’unique horizon promis aux populations pour leur faire avaler la pilule du présent est l’adhésion à notre merveilleuse usine à gaz européenne. Et ça marche…Leurs grands-parents voulaient régénérer le genre humain. Epuisés par des décennies d’affrontements à plus ou moins bas bruit, gavés d’identité, Serbes et Albanais ont en commun une volonté farouche de s’adonner aux délices du marché mondial. Et ils pensent – peut-être à raison – que la baguette magique européenne transformera leurs citrouilles en carrosses avec le moins de casse possible. On veut du cash, pas des romans. Ce pragmatisme désenchanté explique que le logo européen opère comme un totem laïque, au point de figurer sur le drapeau – assez ridicule il faut bien le dire – du Kosovo nouveau. « Avec moi vous entrerez dans l’Union » : ce slogan est devenu l’archétype de la promesse électorale. Après tout, on peut les comprendre. L’Histoire, ils en ont soupé. L’Europe, c’est la promesse d’y échapper.

Seulement, il ne suffit pas d’empiler des technos, des grands principes, de l’argent international, des grosses voitures pour créer un Etat. En attendant la fin de l’Histoire, reste une situation inextricable, ubuesque sur le plan légal, incertaine politiquement et désespérante économiquement. Cinq membres de l’UE n’ont pas reconnu le nouvel Etat. Anticipant les ennuis, les ministres européens des Affaires étrangères avaient adopté une position commune en vertu de laquelle… chaque pays pourrait déterminer librement sa position (ce n’est pas une blague). Résultat : en théorie, l’Union ne peut pas, en tant que telle, avoir des relations avec cet Etat mal-né, reconnu seulement par 45 pays. Même chose, évidemment, pour l’ONU. Le hic, c’est que la MINUK est maintenant supposée refiler le bébé à EULEX (prononcer youlex), mission européenne chargée d’aider le gouvernement du Kosovo à accoucher d’un Etat de droit. Mais ni l’ONU, ni l’UE, entravées par leurs divisions, ne sont en mesure de définir les modalités, l’une de sa sortie, l’autre de son entrée en fonctions. Présent à Pristina depuis plusieurs semaines, le patron de EULEX, le général français Yves de Kermabon, peine à trouver des locaux pour ses troupes. Tout juste a-t-il pu négocier un accord technique sur le transfert de la MINUK à EULEX de certains équipements et du parc automobile, accord qui a immédiatement provoqué les hauts cris de Belgrade.

Choses vues en Ossétie du Sud

40

1 J’arrive à Moscou, aéroport de Cheremetievo. L’été russe est beau. Je fais les 60 kilomètres jusqu’au Kremlin dans une Zil affrétée par le président Medvedev. Comment ce chef d’Etat assiégé par l’Amérique, l’Otan, les terroristes islamistes de Tchétchénie et du Daghestan, et maintenant l’agression géorgienne de ce Saakachvili couvert du sang encore fumant des Ossètes et des Abkhazes, peut-il avoir le temps et la délicatesse de penser à ce détail ?
Il fait nuit quand j’arrive dans le bureau du président de la Russie. L’homme a l’air tendu, mais souriant. De beaux cernes indiquent les nuits sans sommeil. « Je vous remercie d’être venu. Je ne suis pas sûr que le monde nous comprenne. Je compte sur vous. Il faut leur dire. »
J’ai la gorge serrée. Maxime Gremetz, qui m’accompagne, retire ses lunettes. Il pleure franchement.
Soudain une porte dorée s’ouvre. C’est Poutine, le Premier ministre, qui vient nous souhaiter la bienvenue. Son regard est triste. Je me lève pour lui serrer la main. Il préfère une accolade. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’accolade d’un héros. Je sens l’étreinte musclée, je pense à ses années de luttes au KGB contre les agressions yankees, puis à la tête de l’Etat russe, contre les oligarques mafieux, les fous furieux islamistes de Grozny… Et maintenant le génocide perpétré par les Géorgiens appuyés par l’Otan, la CIA, les technocrates bruxellois et l’OMC. Un génocide contre un peuple courageux et fier, un peuple de bergers héroïques : les Ossètes.
– Allez les voir, me dit Poutine. Allez voir cette horreur. Témoignez.
Maxime, maintenant, sanglote carrément.

2. Vladikavkaz. Ossétie du Nord. Ce qui frappe, dans la capitale d’Ossétie du Nord, QG des forces russes de la paix, c’est la détermination de ces jeunes soldats virils venus de toutes les républiques du pays. Ils chantent joyeusement, fraternellement. On joue aux cartes et on fume autour des chars. Derrière la détente, certains regards ne mentent pas : les combats ont été durs contre les hordes sauvages de Saakachvili le fantoche. Depuis cette nuit du 8 août quand la fureur homicide de Tbilissi s’est déployée, ces soldats ont peu dormi.
« Je suis fier d’eux, me déclare le major Polikarpov. Vous savez, mon grand père est mort en arrêtant les nazis à Stalingrad. Je ne pensais pas devoir remettre ça un jour. »
Il me tend un papirosse, ces cigarettes au bout cartonné, que fume l’armée sov…, euh russe. Polikarpov a les yeux fixés sur la crête de la montagne caucasienne. De l’autre côté, c’est l’enfer. Il n’a pas besoin de me le dire. Je le vois dans ses yeux clairs de soldat de tous les combats antitotalitaires.
Maxime Gremetz tousse un peu. Il ne fumait plus, mais là l’émotion est trop forte et il a accepté le don, simple et essentiel, du major Polikarpov.

3. Tskhinvali, capitale de la courageuse Ossétie du Sud. C’est une ville en ruines comme j’en ai déjà tant vu. Bagdad, quand la garde républicaine de Saddam se battait maison par maison contre les forces du Mal yankee, Belgrade sous les bombes de l’Otan quand ce pauvre Slobodan m’adjurait de dire la vérité, là-bas, en Occident, Jenine après le rezzou sioniste de Sharon, Villiers-le-bel lors de la reprise en main par les CRS sarkozistes.
Les hélicoptères de combat, siglés de l’étoile rouge, filent dans le ciel bleu. Ils rassurent une population traumatisée depuis ces nuits tragiques, quand le déluge de feu géorgien s’est abattu.
Une vieille dame s’approche de Maxime. Son visage est ridé mais beau. Elle nous dit quelque chose. Mes rudiments d’Ossète me permettent de saisir l’essentiel. Il y avait des « conseillers » américains dans les combats. Ils ont encouragé les massacreurs géorgiens à s’acharner sur l’hôpital de la ville.
L’hôpital de la ville, témoignage du martyre ossète.
Des blessés dans les caves, partout. L’un d’eux me saisit la main. Il me parle mais mon ossète du sud, cette fois, n’est pas suffisant. Une doctoresse russe bénévole, au visage épuisé mais étrangement rayonnant, me raconte. « C’est un berger. Il est descendu des montagnes dès l’arrivée des Géorgiens. Avec quelques camarades, ils ont repoussé les blindés de la clique fasciste de Tbilissi avec leurs fusils de chasse. Ils ont gagné des heures précieuses pour permettre aux sov, euh aux Russes d’arriver et de renverser in extremis la situation. »
La doctoresse me traduit toujours.
Son profil est le profil même de la liberté, de la lutte contre l’impérialisme marchand. C’est le même que celui des doctoresses cubaines dans les barrios de Caracas où elles aident Chavez avec une abnégation qui fait honneur au genre humain.
Nous l’invitons à prendre un verre dans un des derniers cafés de Tskhinvali.

4. Gori. Gori humiliée, Gori dévastée, mais Gori libérée. La statue de Staline, l’enfant de la cité, est miraculeusement intacte, malgré la brutalité des combats. Le colonel Andropov me fait écouter, dans son QG, les communications entre unités géorgiennes à quelques kilomètres de là. De temps à autre, au milieu des interférences, on entend la voix grasse, la voix pleine de cholestérol, des « amis américains ». La voix de l’horreur.
Maxime frémit, tout comme moi.
On ne pourra plus dire qu’on ne savait pas.

La grande môme

Price: 1,65 €

35 used & new available from

Des statistiques trop mouvantes

0

Chaque semaine, c’est la même satisfaction, et chaque semaine c’est le même vertige. En recevant mon exemplaire de The Economist, je sais que je trouverai, niché dans sa sobre maquette, un étonnant résumé du monde. Je ne parle pas des analyses, mais de l’irrésistible talent qu’a l’hebdo des dominants pour mettre la réalité en pourcentages et en courbes et multiplier les encadrés qui frappent l’imagination en chiffrant le monde tel qu’il va.

Cette semaine, The Economist publie le classement des capitales en fonction de leur « urban competitiveness ». Le Webster indiquant que la moitié du vocabulaire anglophone vient du français, il est inutile, j’imagine, de traduire. Alors, allons droit aux résultats. Car cette rivalité-là a son petit fumet Jeux Olympiques – c’est qui les champions du monde, hein ? Oh ! Je ne suis pas dupe : depuis que j’ai appris que « le fameux » classement de Shanghai des meilleures universités du monde était en réalité un bricolage solitaire, et qu’il était néanmoins repris partout sans examen… Et pas naïf non plus : la série d’études et de classements publiée par les médias français depuis deux ans était on ne peut plus claire sur le manque d’attractivité de Paris et de l’Ile-de-France.
Fataliste, donc, je pose l’œil sur l’oracle statistique. Surprise ! Paris arrive quatrième sur les cinq cent plus grandes villes du monde. Quatrième ! Médaille de zinc, en somme, ce qui n’est pas si mal. Juste derrière Tokyo, capitale de la seconde puissance économique mondiale, et à quelques coudées de New York et Londres. Du coup, je ne cherche pas même à décortiquer la méthode selon laquelle a été établi ledit classement : je l’adopte tel quel.

Je dois confesser avoir fait de même au sujet de la richesse des nations. J’appartiens à la génération à laquelle on avait enseigné que les pays se classaient selon leur PNB – ou, pour le dire en français : en fonction de la richesse qu’ils produisent chaque année. Leurs revenus, quoi. « Eh ! bien, tout faux ! » m’ont un jour annoncé Le Figaro et The Economist : l’heure est désormais au PPP. Prononciation : pi-pi-pi. Signification : purchase power parity. Là, je traduis tout de même : parité du pouvoir d’achat. Mode de calcul implacablement novateur, le PPP prend en compte les prix réels. Je traduis encore : si un Chinois gagne mille dollars par mois et un Américain dix mille, mais qu’à consommation équivalente (Coca, MacDo, essence, loyer d’un trois pièces, etc.), le Chinois ne dépense que cinq cents dollars pour vivre quand l’Américain en dépense huit mille, alors on se doit de conclure que cinq cents dollars à Beijing en valent huit mille à Washington. Et donc que le Chinois est en réalité seize fois plus riche que ne le disaient ces ânes de l’OCDE (75016 Paris). A l’échelle des nations, bien sûr, cela bouleverse la hiérarchie, faisant de la Chine la médaille d’or devant les USA et loin devant le Japon, rattrapé par l’Inde. Quant à la France, je ne vous dis pas : quinzième ou vingtième selon les classements, loin, très loin du podium. De quoi faire prendre la porte à Lagarde.

Quand on est cocardier et de nature sensible, le mieux est donc encore de choisir ses statistiques sur mesure. Voyez les Jeux Olympiques : en principe, le classement par nations se fait au nombre de médailles d’or. Le seul métal qui compte. Ce qui donne, à l’instant où j’écris, le podium suivant : Chine (43), USA (25), Royaume-Uni (14). France : quatre médailles d’or, onzième rang, entre l’Ukraine et la Roumanie. Pas brillant. Mais dans son édition on line, le Wall Street Journal a trouvé la parade : un classement comptabilisant le nombre total des médailles – après tout, l’argent ne vaut pas des clopinettes ! Et illico le podium en est chamboulé : USA (77), Chine (76), Russie (40)… et France (30). Médaille de zinc, là encore ! Epatant, non ? Car, en vérité, le seul calcul raisonnable, c’est de considérer les statistiques, qui disent tout et notamment son contraire, comme les nouvelles du JT. Et de ne s’attacher qu’aux plaisantes.

E pur si muove

4

Belle image que celle de Ségolène Royal recevant le Dalaï Lama. Tandis que le prix Nobel de la paix l’écharpait vigoureusement, l’ex-candidate socialiste a affiché sa détermination à agir pour les tibétains : « Dès la semaine prochaine je vais demander un visa pour me rendre au Tibet, je crois que les choses pourront ainsi bouger. » C’est sûr, à commencer par l’avion qui l’emmènera au Tibet.

Vous êtes dans le rouge ? Devenez socialiste !

6

C’est une nationalisation – qui ne dit pas son nom. Et ça se passe aux Etats-Unis. Le gouvernement fédéral vient bel et bien de prendre le contrôle des deux plus gros acteurs du marché du crédit immobilier, Freddie Mac et Fannie Mae (les « sœurs »), victimes de leur politique irresponsable d’attribution de prêts. Washington n’a pas opté pour une nationalisation pure et simple, qui aurait imposé l’inscription au budget fédéral des dettes des deux établissements et plongé encore plus profondément dans le rouge les comptes publics américains. Dans la réalité, cela revient exactement au même : en contrepartie de la garantie de ces dettes, le gouvernement détient des titres qui font de lui un actionnaire privilégié – les autres étant plus ou moins dépouillés : les titres ordinaires (common shares) ne vaudront plus rien, et les actions dites prioritaires ne donneront plus droit au versement de dividendes. Le gouvernement entend stabiliser les deux organismes de crédit pour les vendre – probablement après les avoir dépecés -, une fois la tempête financière passée.

L’opération paraît raisonnable. Ces mesures interventionnistes qui fleurent l’économie d’Etat peuvent néanmoins surprendre quand on se rappelle que Bruxelles trépigne dès qu’un gouvernement tente trop ouvertement de sauver une entreprise en difficulté, et alors que les Etats-Unis sont considérés comme la Mecque du néo-libéralisme échevelé qui a pris la suite du capitalisme de papa. Après tout, conformément à la règle d’or de l’économie libérale, ils auraient pu choisir de faire payer les pots cassés aux noceurs. Seulement, voilà, « Fannie » et « Freddie » sont trop grandes pour qu’on les abandonne au marché et à sa logique du « crime et châtiment ». A elles seules, les deux « sœurs terribles » détiennent la moitié du marché américain du crédit immobilier, leur chiffre d’affaires avoisinant la somme astronomique de 6.000 milliards de dollars.

Fannie Mae (Federal National Mortgage Association) et Freddie Mac (Federal Home Loan Mortgage Corporation) ont été respectivement fondées par le gouvernement américain en 1938 et 1970 pour développer et solidifier le marché du crédit immobilier. La principale mission de ces deux agences fédérales devenues par la suite des entreprises privées est de pourvoir en fonds les établissements distributeurs de crédits immobiliers : en somme, elles font office de « banques des banques ». Leur blason d’ex-agences gouvernementales leur a valu la confiance quasi absolue des marchés – brevet qui n’est pas seulement honorifique, car elles bénéficient d’un loyer de l’argent plus faible que les autres banques. En clair, les deux sœurs payaient moins cher les fonds qu’elles levaient, ce qui leur a permis de devenir de véritables géantes durant la décennie du « boom » immobilier. Seulement, dans un climat de taux baissiers, les marges se sont amenuisées. L’avidité conjuguée des actionnaires, des détenteurs d’obligations et des cadres dirigeants a poussé les deux banques à essayer de doper leurs performances en opérant dans le secteur des subprimes, les fameux prêts à risque et à rendement plus élevés. Cette stratégie devait « pimenter » les rendements, gonfler les résultats, et avec eux le prix de l’action, les dividendes et, last but not least, les bonus des dirigeants. On sait ce qu’il en est advenu.

Lorsque la bulle immobilière a éclaté, les deux sœurs ont subi l’onde de choc de plein fouet. En effet, les prêts à haut risque se sont vite révélés être un abîme sans fond. Face à l’ampleur de la crise, le gouvernement américain a d’abord hésité avant de se décider à agir avec pragmatisme, sans se montrer trop sourcilleux sur la doctrine. Par gros temps, le capitalisme a besoin d’un parapluie, voire d’une bouée de sauvetage. Et peu importe que cela soit peu libéral. Bref, en matière de politique économique, le président Bush semble avoir fait sien le slogan des pacifistes européens d’antan – better red than dead. Il a bien raison.

Psychologie para

5

Commandant en second des parachutistes russes, le général Viacheslav Borisov est un parfait connaisseur de la Géorgie, puisqu’il y a servi pendant cinq ans sur la base de Batoumi. Comme le général semble se plaire à revenir là où il a déjà sévi, nous recommandons aux habitants de Toulouse de se méfier : le général Borisov a été aperçu du 4 au 8 décembre 2006 aux abords du Capitole. Le motif officiel de sa présence dans la ville rose, selon le communiqué signé à l’époque par l’agence Ria Novosti, c’était un voyage d’étude du « processus d’instruction et d’entraînement dans l’Ecole de parachutisme de la brigade ». Visiblement, cela a marché. Et s’il lui prenait l’envie de revenir ?

La démocratie contre la culture

39

Avant-gardiste et réactionnaire, classique et scandaleux, sulfureux et branché, Renaud Camus a entrepris de sauver les Délicatesses du français contemporain. Le culturel triomphe mais la culture meurt sous les coups de l’hyperdémocratie. Diariste échevelé, avant-gardiste et réactionnaire, Renaud Camus repart au combat contre les « Niveau-montistes » et autres « Amis du Désastre », complices hébétés de La grande déculturation. Les vigilants s’énervent et glapissent : « Camus est raciste ! »

Vous observez que la culture fut longtemps le privilège héréditaire de la bourgeoisie. Faut-il en conclure qu’on naît cultivé mais qu’on ne le devient pas ?
On ne naît rien du tout. Dans la culture tout est devenir, élargissement et perte. En revanche, il est bien certain que passer ses premières années dans un milieu cultivé confère ou conférait un avantage prodigieux. Rien d’irréversible au demeurant : on voit tous les jours, le système éducatif y veille, des enfants et surtout des petits-enfants de parents et de grands-parents parfaitement cultivés témoigner la plus rigoureuse inculture et retourner paisiblement à la foncière sauvagerie de l’espèce.

Reste que votre définition de la culture est fondée sur la hiérarchie, la distinction, et cela vaut à la fois pour son contenu et pour le nombre de ceux qui y accèdent. Vous énoncez une loi de physique sociale selon laquelle plus la culture est largement partagée, plus son contenu se dévalue. Cela signifie-t-il que la possibilité de la culture est morte en 1789 ?
Oh là là, là il y aurait mille choses à redresser. Concentrons-nous sur une seule : 1789 n’a pas tué la culture, c’est à peu près à cette époque au contraire qu’est née la culture, au sens que nous voyons mourir sous nos yeux, au sens du ministère de la Culture (du moins au temps de Malraux et de Michel Guy). L’homme féodal, l’homme noble, l’homme classique ni l’honnête homme, ni même l’homme des Lumières, n’avaient de culture. Ils avaient éventuellement de la lecture, l’amour des arts, de l’entregent, de la courtoisie, des humanités, des lumières. Ils étaient ou non des êtres accomplis, pas des êtres cultivés. L’ère de la culture correspond grosso modo à l’ère bourgeoise. La culture est à l’idéal de l’honnête homme ce que l’esthétique selon Hegel est à l’art : une espèce de second degré, déjà, un deuil de l’immédiateté du rapport aux formes. La définition que vous me prêtez n’est pas la mienne, et en tout cas ce n’est pas une définition. La mienne, il y a déjà longtemps que je l’ai énoncée et je lui reste fidèle : la culture, c’est la claire conscience de la préciosité du temps.

Vilar, pour ne citer que lui, croyait à l’élitisme pour tous. Vous observez plutôt le triomphe de la médiocrité. Faut-il incriminer l’ancienne élite cultivée qui a abdiqué ses responsabilités ?
Elle a peut-être abdiqué, mais on ne lui a guère laissé le choix, la malheureuse. Il n’y a plus d’élite cultivée. L’élite, les élites au dérisoire sens moderne, ce sont d’une part les hommes politiques, les élus (et en cela le mot, pour trompeur qu’il soit, a au moins le mérite de rejoindre son étymologie), d’autre part les gens riches et influents. Cette élite-là n’est nullement culturelle, ni cultivée. Comme l’a fait remarquer très justement Gomez Davila, entre les riches et les pauvres, la seule différence aujourd’hui, c’est l’argent.

C’est donc bien à une démocratie devenue folle – que vous appelez hyperdémocratie — que vous en avez ?
L’hyperdémocratie – par quoi je ne veux certes pas dire l’achèvement triomphal de la démocratie politique mais sa transposition malencontreuse dans des domaines où elle n’a que faire, tels que la famille, l’éducation et la culture –, l’hyperdémocratie, donc, échouant, comme il était prévisible, à amener les masses au niveau de l’ancienne classe cultivée, s’est assurée par compensation que les héritiers de l’ancienne classe cultivée soient aussi incultes que les masses : grande victoire de l’égalité, triomphe de l’énorme classe centrale, prolétarisation générale.

A certaines disciplines que vous jugez mineures – bande dessinée, science-fiction – vous opposez l’acquis, le patrimonial, le classique. La culture est-elle un stock figé ? N’existe pas de culture contemporaine ?
Ces questions-là me semblent biaisées par le préjugé ou le soupçon. Que les gens ne lisent pas ce que j’écris c’est leur droit le plus strict mais que, ne l’ayant pas lu, ils viennent me reprocher d’être Paul Bourget si ce n’est pis, c’est un peu fatigant. Je suis obligé de rappeler, un peu ridiculement, que je suis un auteur P.O.L., considéré par trente ou quarante personnes comme d' »avant-garde », et que j’ai organisé de nombreuses expositions d’art contemporain, de Kounellis à Marcheschi ou Boltanski. La culture est certes patrimoine, mais si elle n’était que cela elle aurait tôt fait de mourir. Il est un peu comique de voir les hérauts de la chansonnette, qui sont les pires tenants des éternelles variations à la batterie sur l’éternelle marche militaire ou totalitaire fondamentale, s’ériger en champions de la modernité et rejeter parmi les vieilles barbes les admirateurs de Grisey, de Pesson ou Ferneyhough.

Ensemble, tout devient possible

6

Avec un taux de chômage à 2,3 %, le président peut être très satisfait de la politique économique de son gouvernement. De tels résultats annoncent une rentrée sociale beaucoup plus calme que prévue. Quant à l’opposition, on ne voit pas très bien comment ses arguments pourraient continuer à avoir prise, face à des succès qui assurent au président une popularité inégalée. Pascal Couchepin, le président de la Confédération helvétique, est un homme heureux.

Quand on n’aime plus, on compte

0

Le journal flamand De Morgen a publié les résultats d’une étude menée par le professeur Herman Matthijs (Vrije Universiteit Brussel) : le coût annuel de la Maison Royale s’élève à 30 millions d’euros. C’est plus du double de ce qui était comptabilisé jusqu’alors. Soixante ans après avoir imposé le maintien de la monarchie au Wallons qui, eux, plébiscitaient la république, les Flamands voudraient-ils se débarrasser du roi des Belges à coups de calculette ?

Folles de corrida

35

Nous avons aujourd’hui, en Occident, les idées suffisamment larges pour laisser des hommes exhiber à la foule leurs parties charnues sous un collant moulant sans que les dieux n’exigent en retour le sacrifice expiatoire d’un taureau.

Que Marc Cohen me pardonne. Mais tous les psychanalystes vous le diront et Markus Pftizer, mon coiffeur, l’explique comme nul autre : la tauromachie est un truc de folles honteuses. On ne veut pas avouer à maman ses inclinations et l’on se retrouve le dimanche après-midi à faire son intéressante dans une arène, quand d’autres, qui ont fait leur coming out, miment sans scrupule ce que les anciens Grecs dessinaient au fond de leur assiette.

Il faut avouer que cela ne trompe personne, ces hommes qui tiennent le moule-burnes comme le nec plus ultra de l’art vestimentaire et pensent rassurer leur mère éplorée en enquiquinant le bovidé. Victoire de l’homme sur l’animal ? Tu parles ! A ce compte, un éleveur de poulets, qui en zigouille vingt mille à l’heure, est assurément plus viril que ces tapettes costumées qui passent le plus clair de leur temps à exciter du veau dans une arène.

La maman du matador, elle, n’est pas dupe.
– Paquito, dit-elle en faisant mijoter un bœuf mironton sur le fourneau, tu as quarante-cinq ans et tu n’es pas encore marié ? Ton père et moi, nous nous posons des questions. Arrête de jouer avec mon tube de rouge à lèvres.
Mamacita, c’est que je n’ai pas encore trouvé la bonne.
– Oui, oui, tu dis toujours ça. En attendant, tâter de la queue et des oreilles tous les dimanches, nous avons peur que cela ne te donne un jour des idées. Et puis, d’ailleurs, le bœuf, nous on en a marre ! On veut manger du poisson !

Et le dimanche suivant, on retrouve Paquito à moitié dévoré par le grand requin blanc qu’il essayait de toréer à l’Aquarium municipal de Barcelone. Olé.

Que toréadors, picadors et matadors soient gays ne me dérange pas – chacun sa vie. Ce qui me gêne c’est la façon dont ils justifient leurs penchants : « La corrida, c’est dans notre culture. » Oui, et alors ? Qu’ils lisent (ou plutôt qu’ils se fassent lire à voix lente) l’article que Thomas Mann écrivait en septembre 1914 dans la Neue Rundschau : « La culture peut inclure des oracles, la magie, la pédérastie, des sacrifices humains, des cultes orgiastiques, l’inquisition, des autodafés, des danses rituelles, de la sorcellerie, et toute espèce de cruauté. » Au prétexte que cela ait fait partie de la culture occidentale, vais-je aller ramasser des fagots de bois, monter un bûcher et brûler deux ou trois sorcières, allumer cinq ou six vierges, parce que cela me chante ? Evidemment que non. Ou alors discrètement – et certainement pas dans une arène.

De même, faire remonter la corrida à la Grèce ancienne, au culte de Mithra, aux jeux du Cirque voire à la Préhistoire n’est qu’une bonne grosse supercherie : ce que le toréador moyen connaît de la mythologie, il ne l’a pas découvert chez Apollodore[1. Le Pseudo-Apollodore est l’auteur, au Ier siècle ap. J.C. de La Bibliothèque, une compilation de textes mythologiques.] ni chez Dürrenmatt[2. Dans son roman Minotaurus, publié en 1985, Friedrich Dürrenmatt nous présente un Minotaure charmant et sensible, tandis que Thésée nous apparaît comme un criminel sanguinaire.] mais en déchiffrant les étiquettes des canettes de Red Bull.

L’argument culturel étant une molle banderille, on voit alors nos aficionados frapper à l’huis d’Antonin Artaud et d’Aristote (ils ne sont pas en couple, mais simples colocataires) pour vous porter l’estocade : « La corrida, disent-ils, est un théâtre de la cruauté. Elle met en scène les passions humaines et, par sa dramaturgie, présente les vertus de la catharsis. » Certes. Mais, catharsis pour catharsis, il serait préférable – tous les Romains vous le diront – de trucider de vrais chrétiens dans l’arène et de laisser les taureaux à leur principale distraction : honorer bobonne en regardant passer les trains.

Et puis, la corrida reste une affaire de bobos. De bobos XIXe (siècle pas arrondissement), mais de bobos quand même : si elle s’est développée en Espagne au XVIIIe, il a fallu en France attendre Napoléon III pour que les plus impériaux crétins que comptait l’époque tentent de rentrer dans les grâces d’Eugénie de Montijo en devenant, comme elle, de passionnés aficionados. La mode était alors aux espagnolades et les Français un peu sensés s’opposaient farouchement à la corrida, à l’instar de Victor Hugo, de Léon Bloy, de Henri de Rochefort ou d’Octave Mirbeau.

Ils n’étaient pas des protecteurs de la cause animale. Le taureau, ils l’aimaient en steak saignant et l’on se souvient de l’appétit ogresque d’un Hugo criant : « Un Chateaubriand ou rien. » Ils connaissaient simplement le onzième Commandement, celui qu’un jour un paysan hébreu griffonna sur les tables de la Loi pendant que Moïse était occupé à regarder Isaac toréer un veau d’or : « Tu ne joueras pas avec la nourriture. »

Matador [Import anglais]

Price: 56,54 €

4 used & new available from 37,92 €