Lors de la première semaine du procès des assistants parlementaires européens du RN, Marine Le Pen a expliqué que les prévenus n’étaient pas des fonctionnaires mais bien légitimes à faire de la politique comme ils l’entendaient pour les élus du peuple dont ils s’occupent. Elle a récusé tout soupçon de détournement financier. Récit.
Ce 30 septembre 2024 s’est ouvert à 13h30 le procès des assistants parlementaires européens du Front national (devenu Rassemblement national) à la 11è chambre du Tribunal correctionnel de Paris, sous la présidence de Mme Bénédicte de Perthuis.
Pour rappel des faits : le 9 mars 2015, Martin Schulz, alors président du Parlement européen, dénonce auprès du ministre de la Justice français une possible utilisation frauduleuse des fonds versés aux députés européens du Front national pour la prise en charge de leurs assistants parlementaires, représentant un potentiel préjudice annuel de 1 500 000 €. Le président socialiste (SPD) du Parlement européen précise avoir également saisi l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude (OLAF) afin d’enquêter sur de possibles fraudes au détriment du budget de l’Union européenne. C’est la publication d’un nouvel organigramme du parti Front national en février 2015 qui alerte les services administratifs et financiers de la Direction générale des finances du Parlement européen, laquelle relève que seize députés européens et vingt assistants parlementaires (quatre Assistants Parlementaires Accrédités (APA) et seize Assistants Parlementaires Locaux (APL)) occupent des fonctions officielles au sein du Front national. Dès lors, ces services suspectent des entorses aux textes européens en vigueur, qui prévoient notamment que les salaires versés par le Parlement européen aux assistants parlementaires ne peuvent servir directement ou indirectement à financer des contrats établis avec des partis politiques et que seuls peuvent être pris en charge les frais qui correspondent à l’assistance parlementaire nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés européens.
28 prévenus
Après le long et fastidieux exposé – selon les dires mêmes de la Présidente du tribunal – des charges contre les 28 prévenus, dont certains ont été excusés, les débats se sont ouverts sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Me de Caunes, avocat de Mme Marie-Christine Boutonnet, rappelle l’arrêt du 25 janvier 2017 qui dit qu’« un parti n’est pas investi d’une mission de service public, l’administration ne peut pas contrôler l’activité des partis » et dénonce « l’envie du pénal » du regretté écrivain Philippe Muray pour qualifier cette procédure injustifiée aux yeux de la défense.
Venu à la barre, M. Bruno Gollnisch ajoute que « l’ensemble de cette procédure est contraire au principe de séparation des pouvoirs », et pointe l’imprécision des textes en se référant à un arrêt du 4 février 2017 disant que le juge judiciaire ne saurait contrôler les tâches accomplies par un assistant parlementaire. Le conseil de Mme Le Pen, Me Bosselut, interroge dès lors la pertinence même des poursuites: « Nous sommes dans une situation unique où des règles internes, élaborées par le Parlement européen à vocation uniquement administrative, aboutissent à une poursuite pénale. » Pour la défense, « la liberté parlementaire est mise à mal par le Parlement européen qui souhaite transformer les assistants parlementaires en agents de l’institution. » L’avocat de Marine Le Pen interroge : « Le tribunal va porter jugement sur le travail parlementaire, en disant si l’activité militante est trop importante ou pas assez. Je vous le demande : où met-on le curseur ?». Et Marine Le Pen d’abonder dans son sens, lors d’une suspension de séance : « Personne ne remet en cause que nos assistants ont travaillé. C’est la nature du travail qui est discutée. Est-elle politique ou législative ? » À la reprise, la QPC est annoncée jugée recevable par le tribunal mais ne donnant pas lieu à un renvoi devant la Cour de cassation.
Le tribunal, tout comme le ministère public, entendent au contraire élargir la prévention au-delà des contrats jugés litigieux, courant de 2004 à 2017, jusqu’à cinq ans avant et après ces dates. Face à cette information inédite, les avocats de la défense ne manquent pas de réagir à cet élargissement inattendu du périmètre de l’affaire, alors que lesdits contrats ne sont pas visés nommément dans la prévention. La défense soulève ainsi la question de savoir si l’on peut condamner des contrats au titre de la personne morale (le Front national) sans condamner les personnes physiques signataires desdits contrats. Pour se justifier, le tribunal présente les tableaux annexés qui classent les différents contrats comme extensifs de la prévention, ce qui porterait le préjudice éventuel pour le Parlement européen de 3,213 à 4,503 millions d’euros. Les tableaux projetés par le tribunal estiment que Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen représentent 47% du volume de la fraude présumée. Selon ce nouveau calcul que découvrent les prévenus et la défense lors de l’audience, l’amende, qui pour une personne morale peut atteindre jusqu’à cinq fois le montant des fonds détournés, pourrait ainsi monter jusqu’à 27 millions d’euros. En cas de condamnation, il va sans dire que cette facture viendrait immanquablement plomber les comptes du Rassemblement national et peser très lourdement sur le financement des prochaines campagnes électorales.
« L’activité politique est indissociable du mandat électoral »
Au troisième jour, alors que la nuit tombe déjà sur le Tribunal correctionnel, forte de ses annotations rédigées avec son stylo quatre couleurs doré, Marine Le Pen s’avance d’un pas assuré à la barre pour apporter des éléments de contexte. Dans son argumentation, l’ancienne présidente du Front national puis du Rassemblement national tient à démontrer que « l’activité politique est indissociable du mandat ». Marine Le Pen remarque que « dans ce dossier, il y a énormément d’a priori. Il y a énormément d’idées préconçues, et ces idées préconçues, j’ai tout de même le sentiment qu’elles ont été fabriquées par la partie civile qui nous a engagés dans une forme de tunnel ».
Pour sortir de ce tunnel, pendant une heure, Marine Le Pen va s’employer à démonter ces différentes idées préconçues.
« Nous sommes la bête noire de l’administration du Parlement européen »
La première idée préconçue que l’ancienne député européenne veut déconstruire est l’image de neutralité qu’aurait le Parlement européen. Marine Le Pen affirme que « la direction de l’administration du Parlement européen n’est pas une direction neutre, [que] c’est une direction politique ». « M. Martin Schulz, le président du Parlement européen, est un homme politique qui a eu des responsabilités politiques éminentes au parti socialiste dans son pays, l’Allemagne », rappelle-t-elle, avant de dénoncer un deux poids deux mesures en rappelant les affaires Podemos ou de l’assistant de Martin Schulz. « Nous sommes la bête noire de l’administration du Parlement européen… Tout le montrera, les déclarations de M. Schulz, publiques, politiques, contre le Front national, il en existe un certain nombre. Clairement, il se positionne comme un opposant politique ». L’ancienne présidente du Rassemblement national pointe d’ailleurs la concomitance des enquêtes avec les succès électoraux du parti à la flamme tricolore. « Quand on était trois : bon. Sept : bon, ça va encore. Mais alors 24 ! Ça, c’est insupportable. Le lendemain de l’élection, l’OLAF commence à engager une enquête, pas sur la base d’une lettre de dénonciation qui concernerait deux assistants, souligne-t-elle, l’OLAF enquête sur tous les assistants de Marine Le Pen, y compris du mandat précédent. » Reprenant sa casquette d’avocate, Marine Le Pen souligne l’absence, étonnante pour des juristes français, accordée aux droits de la défense dans les procédures européennes. Ainsi le tribunal de l’Union européenne a refusé de recevoir ses pièces justificatives au titre que celles-ci n’avaient pas été remises précédemment à l’OLAF, que Marine Le Pen considère de parti-pris, raison pour laquelle, dit-elle, elle ne lui avait pas remis les pièces en question. Elle remarque par ailleurs que la Cour de justice de l’Union européenne n’est pas « une cour d’appel mais une cour de cassation », et que « l’Union européenne n’est pas adhérente de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).»
« Il y a des cultures politiques très différentes d’un pays à l’autre »
L’autre idée reçue que Marine Le Pen souhaite démonter, « c’est que toutes les cultures politiques sont les mêmes. M. Klethi (directeur financier du Parlement européen) l’a dit d’ailleurs, et il a eu raison de le dire : il y a des cultures politiques très différentes d’un pays à l’autre. » M. Didier Klethi, directeur financier du Parlement européen, a bien dit à la barre que les députés étaient en effet libres de faire ce qu’ils veulent de leurs assistants. Il a même employé malencontreusement l’expression “acheter leurs assistants”. Le directeur financier illustrait son propos en révélant que dans certains pays, des députés ont jusqu’à « une quinzaine voire une trentaine d’assistants », vu que les salaires des assistants sont fonction des pays, mais que l’enveloppe mensuelle alloué à chaque élu (17 652 € en 2019 et 24 554 € en 2024) est la même quel que soit le pays membre de l’Union européenne. On pourrait s’interroger sur la nature du travail d’un staff aussi pléthorique, mais cela ne semble pas avoir alerté le Parlement européen à ce jour !
L’ancienne présidente du Front national s’étonne que M. Schulz s’insurge qu’il y ait « des gens qui sont assistants parlementaires et qui ont des fonctions politiques » quand il découvre l’organigramme du parti. Pour l’ancienne élue du Front national, « ça paraissait être une évidence », et elle ajoute qu’elle ne comprenait absolument pas où pouvait être le problème, avant que tout s’éclaire : « Puis j’ai compris. En Allemagne, le salariat en politique est la règle et le bénévolat l’exception. En France, en politique, le bénévolat est la règle, et le salariat est l’exception ! »
Puis, Marine Le Pen explique que dans la pratique, il n’y a pas de différences de travail entre les assistants parlementaires accrédités (APA) et les assistants parlementaires locaux (APL). Marine Le Pen illustre ses propos en se référant à l’enquête du livre de Sébastien Michon, Les assistants parlementaires au Parlement européen (Michel Houdiard Éditeur, 2005), lequel démontre que « les assistants parlementaires européens sont exactement comme [des] assistants parlementaires français ». « Et d’ailleurs, on ne voit pas pourquoi il y aurait une différence entre les deux ! » pointe la députée du Pas-de-Calais. « On ne voit pas pourquoi un député européen aurait moins de droits qu’un député national et ferait de la politique différemment qu’un député national… En réalité, Sébastien Michon nous explique que les assistants locaux sont des militants qui sont embauchés pour faire de la politique avec leurs députés, ce que l’Assemblée nationale résume dans ces textes par : l’activité politique du député est indissociable de son mandat. »
« J’ai l’impression que quoi que je fasse, tout est suspect »
Marine Le Pen s’étonne ainsi que tout soit considéré comme suspect dans ce dossier. « J’ai l’impression que quoique je fasse, tout est suspect. » L’ancienne députée au Parlement européen égrène les différentes suspicions de l’OLAF : « Les assistants sont membres du parti, c’est suspect », et l’ex-candidate à l’élection présidentielle d’ironiser : « alors que si on avait pris des assistants de La France Insoumise, ce serait passé crème… Mais là, franchement, le fait que ce soit des gens qui partagent nos idées, c’est suspect ! Moi je trouve que c’est tout à fait logique et tout à fait cohérent que l’assistant parlementaire partage les idées de son député. D’ailleurs, M. Michon, dans son livre, dit la même chose, puisqu’il dit qu’évidemment l’assistant parlementaire se recrute au sein des adhérents, des militants du parti politique qui a fait élire les députés européens. »
L’ancienne député européenne pointe d’ailleurs un rapport de l’OLAF affirmant qu’il n’y a aucun soupçon sur dix assistants parlementaires… parce qu’ils n’étaient ni membres d’un parti politique ni candidats à quoi que ce soit. « Comme si c’était une tare d’avoir été candidat, y compris à une élection municipale par exemple, ou cantonale, ou d’être membre d’un parti ! A contrario, être membre d’un parti, c’est suspect ; et avoir été candidat est suspect… Et ça va plus loin, l’OLAF dit : certains sont membres d’associations souverainistes, c’est suspect… Ou de défense de la minorité chrétienne persécutée. Je ne vois pas pourquoi ce serait plus particulièrement suspect qu’autre chose, mais l’OLAF, lui, le dit. » Tout comme « certains assistants travaillent au siège du parti, c’est suspect. Eh bien non, ce n’est pas très suspect, argumente l’ancienne présidente du Rassemblement national, parce qu’en réalité les députés dont ils sont eux-mêmes les assistants travaillent aussi au siège du parti, donc qu’ils aient leurs assistants à côté d’eux, ce n’est pas très suspect. »
« On dépend des élections »
Marine Le Pen s’étonne ensuite que soit relevée la fragilité financière du Front national, car cela est selon elle le cas de tous les partis politiques soumis aux aléas des résultats électoraux. La députée raconte qu’à l’époque des faits, l’UMP avait 82 millions d’euros de dettes, et que malgré cela, « il y a une bonne banque qui les a suivis ; nous on a du mal à trouver des banques, mais eux manifestement, et malgré 82 millions d’euros de dettes, elles étaient toujours là pour les soutenir. Ils ont encore 9 millions de dettes, et ça n’a pas l’air de leur poser un problème majeur. » Marine Le Pen explique que les financements dépendent pour tous les partis des résultats électoraux. « C’est la vie d’un parti politique : un coup on gagne, un coup on perd. On dépend des élections. C’est un édifice fragile un parti politique. » La chef de l’opposition explique que la gestion d’un parti est évidemment bien différente d’une entreprise, où employeur et salarié ont une relation contractuelle. « Il y a des épreuves en commun, il y a des victoires en commun, il y a des défaites en commun, il y a des tristesses en commun. Il y a des gens qui sont là depuis très longtemps, qui ont sacrifié de leur vie, de leur tranquillité, de la tranquillité de leur famille, parfois leur emploi. Il y a des ambitions, aussi. » L’ancienne candidate à l’élection présidentielle explique que la reconnaissance du travail militant passe pas l’attribution de titres au sein du parti, dans le fameux organigramme incriminé par M. Schulz, fonctions qui servent aussi à se faire ensuite élire au sein du Conseil national du parti. « Il y a 400 candidats, il y a en a 100 à élire, si vous mettez conseiller spécial de Marine Le Pen, vous avez plus de chance d’être élu que si vous ne mettez rien ! »
« Assistant parlementaire, la voie royale pour être soi-même député »
Concernant la fragilité des finances du parti constatée par l’OLAF, qui soupçonne un transfert de charges du parti politique sur les fonds du Parlement européen, Marine Le Pen livre des chiffres qui contredisent cette hypothèse.
« 2012, il y a 58 salariés. 2013, il y a en a 60. 2014, il y en a 67. 2015, il y en a 62. 2016, il y en a 95. Si c’était un système pour faire baisser la masse salariale pour pouvoir faire des économies, excusez-moi mais pour le coup, c’est exactement la démonstration inverse que montre l’analyse des chiffres du Front national. » L’ancienne avocate nie tout va-et-vient entre les salariés du Front national et le Parlement européen : « Sur tous les assistants de la prévention, il y en a deux qui effectivement avant de devenir assistants parlementaires étaient salariés du Front national. Même pas, un et demi, parce qu’en réalité, M. Salles était en fin de CDD. » La présidente de groupe à l’Assemblée nationale ajoute toutefois qu’« il y aurait pu avoir plus de salariés, et que ça n’aurait pas été plus suspect. Parce qu’en réalité, encore une fois : qu’est-ce qu’une promotion, quand on est salarié dans un parti politique ? La promotion dans un parti politique, c’est de passer de salarié du mouvement à assistant parlementaire. Assistant parlementaire pour un salarié, c’est un peu le Graal, mais c’est surtout la voie royale pour être soi-même député. Cela aussi, il faut que le tribunal en prenne conscience. L’assistant parlementaire, c’est le vivier des futurs élus, pas seulement les futurs députés, les futurs conseillers régionaux, maires, sénateurs, etc. D’ailleurs, j’en veux pour preuve qu’il y en a énormément, des assistants parlementaires qui sont devenus députés. » Marine Le Pen cite alors M. Aliot, M. Chenu, M. Odoul, Mme Diaz, et d’autres encore.
« On ne peut pas fonctionner à 24 sans être mutualisés »
Marine Le Pen récuse ensuite l’accusation de « système », et ironise sur cette accusation : « Parce que deux salariés passent assistants parlementaires, on parle d’un système qui a été mis en place. Assez défaillant, quand même… » Car, si le nombre de salariés n’a pas baissé, les dépenses de personnel n’ont pas baissé non plus entre 2013 et 2017, selon les documents publics « validés par les commissaires au compte, et déposés à la CNCCFP et validés par la CNCCFP. En 2013, 2 913 678 euros de frais de personnel. 2014 : 3 129 624. 2015 : 3 288 214. 2016 : 3 710 033. 2017 : 4 607 182. Cela ne nous dit pas qu’il y a un mouvement politique qui cherche à gratter des postes auprès de députés européens pour faire baisser sa masse salariale. Ça dit un mouvement politique qui est en pleine ascension électorale, et qui doit faire des investissements », argumente l’élue frontiste. Sur la mutualisation appelée « système » par l’accusation, Marine Le Pen présente cela comme une logique de bonne gestion, une rationalisation naturelle, qui est aussi pratiquée au Parlement européen dans les staffs de groupe. « On ne peut pas fonctionner à vingt-quatre sans être mutualisé » relève-t-elle avant d’ajouter que si 30 députés ont choisi le même tiers-payant en la personne de M. Van Houtte, « ce n’est pas suspect, d’autant moins qu’en matière de tiers payant, il n’y a pas beaucoup de gens qui se sont précipités à la porte du Rassemblement national et de ses députés pour leur proposer éventuellement d’être tiers payant des députés au Parlement européen. Être un prestataire d’élus du Rassemblement national, ou du parti politique d’ailleurs, ça ne vous ouvre pas toutes les portes, ça peut même vous en fermer sur le plan professionnel (…) Même s’il y a beaucoup de gens qui nous aiment bien, de là à accepter (…) »
La présidente du premier groupe politique à l’Assemblée nationale raconte être confrontée à la même problématique au Palais Bourbon avec la recherche des commissaires aux comptes. « J’ai pu proposer aux 143 députés deux choix. Avant je n’en avais qu’un seul. Et je leur ai dit, vous pouvez potentiellement prendre M. ou untel, mais si vous avez des gens que vous connaissez dans vos circonscriptions, aucun problème. » L’élue constate donc qu’avoir un seul tiers payant n’est pas suspect, que c’est naturel et qu’« il y a plein de raisons d’ailleurs pour lesquelles c’est plutôt une bonne chose, la centralisation. »
« Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous sommes des élus du peuple »
Concernant l’activité au sein même du Parlement européen des élus frontistes, Marine Le Pen explique que « c’est compliqué parce que nous sommes des députés non-inscrits à qui on impose le cordon sanitaire. Vous savez que les étrangers disent ça en français ? » Marine Le Pen prononce alors l’expression « cordon sanitaire » avec un accent anglais. « C’est devenu une expression française qu’utilisent en fait les étrangers ! Le cordon sanitaire, ça consiste à dire : Ecoutez, quel que soit le nombre de députés que vous avez, même si vous êtes un groupe, vous n’aurez aucune présidence de commission, aucune vice-présidence (…) aucune place de questeurs, vous n’aurez aucun rapport distribué en commission. Rien, zéro, nada. Vous n’aurez pas une place dans les organes du Parlement européen (…) Et quand vous êtes victime du cordon sanitaire, permettez-moi de vous dire que votre travail législatif se réduit considérablement. (…) Qu’est-ce qu’il vous reste à faire ? Vous n’avez pas de possibilité de déposer des amendements. Vous n’avez quasiment plus de temps de parole. Donc, on fait de la politique. Et ça fait partie de notre mandat, car l’activité politique est indissociable du mandat parlementaire. Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nos assistants parlementaires ne sont pas des fonctionnaires. J’ai encore entendu dans la bouche de M. Klethi cette tendance de l’administration à vouloir transformer tous ceux qui passent à sa portée en fonctionnaires. Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous sommes des élus du peuple. Nous avons un mandat, nous ne le tenons pas de M. Klethi. Nous le tenons du peuple français, il nous a demandé de faire quelque chose, de défendre nos idées, nous le faisons, et dans le cadre de cette activité politique qui est indissociable de notre mandat parlementaire, nous sommes assistés par des assistants parlementaires. Certains travaillent un peu, les assistants parlementaires font les feuilles de vote, ils ne peuvent rien faire d’autre, alors on leur dit ce que l’on va voter, fais une feuille de vote. Et puis il y a ceux qui avec nous font de la politique. Mais, faire de la politique, encore une fois, cela ne veut pas dire ne pas remplir son mandat. Après, qui va décider quand Marine Le Pen est par exemple députée européen ? Quand est-elle présidente du Rassemblement national – quand elle l’était ? Quand est-elle candidate à la présidentielle, parce qu’après tout il y a des périodes aussi où je suis candidate à des élections, candidate aux régionales, candidate aux présidentielles… S’il va falloir tronçonner ça, je ne vais pas vous être d’une grande aide, parce que quand on m’invite sur un plateau de télévision, quand on m’invitait à l’époque sur un plateau de télévision, on me demandait : on met député ? Présidente de groupe au Parlement européen ? Présidente du Rassemblement national ? – Vous mettez ce que vous voulez, ça n’a pas d’importance, je suis tout cela en même temps ! » Pour compléter son témoignage, l’élue/présidente/candidate justifie les liens entre les élus et le parti politique : « On fait comment pour rencontrer les électeurs ? On sort dans la rue, on prend un mégaphone, on dit : est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un qui a voté pour moi ? Je vais faire une réunion, si vous voulez bien venir ? Bien sûr que non ! On s’adresse au parti politique. C’est lui qui a d’ailleurs la seule richesse d’un parti politique, le fichier. Et qui réserve la salle ? Qui est en contact avec les pompiers pour les problèmes de sécurité ? Qui rédige les documents envoyés ? C’est le délégué départemental en fait ! » Et l’ancienne chef de parti d’abonder : « le parti politique passe sa vie à aider les élus, à se mettre à leur disposition, à leur donner des moyens. Des moyens parfois financiers, on en reparlera sûrement pendant le procès. Des moyens techniques, des moyens humains, des moyens d’implantation pour pouvoir permettre aux députés nationaux et européens d’exercer leur activité politique. » Pour Marine Le Pen, cette interconnexion entre les personnes élues et les militants du parti est donc naturelle, alors que le Parlement européen reproche à des assistants parlementaires d’être aussi délégués départementaux. Il semblerait donc que la vision européenne soit bien différente de la pratique nationale. Comme le souligne une dernière fois la députée au tribunal : « Actuellement, au moment où je parle, il y a dix délégués départementaux qui sont devenus des assistants parlementaires. À l’Assemblée nationale, on n’y voit absolument aucun inconvénient, parce que c’est comme pour beaucoup d’autres fonctions, on ne paie pas un délégué départemental. »
La représentante du RN, « deux fois bavarde », selon ses propres mots, car femme politique et ancienne avocate, s’excuse de l’heure tardive, et remercie enfin la cour de l’avoir autorisée à « cette mise en contexte pendant cette période précise de 2004 à 2016. » Il est 21H50 passées, l’audience est levée et reprendra lundi 7 octobre à 13H30. Le tribunal entendra les parties sur le contrat d’assistant parlementaire de Thierry Légier, garde du corps de Jean-Marie Le Pen puis de Marine Le Pen, contrat considéré comme frauduleux par le Parlement européen.