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Annus horribilis

Si l’opération pagers piégés contre le Hezbollah a été une parenthèse réjouissante dans la guerre menée par Israël, l’onde de choc du 7-Octobre n’en finit pas d’ébranler, au-delà du Proche-Orient, toutes les sociétés occidentales. Cruel paradoxe : le pogrom du Hamas a ravivé l’antisémitisme dans le monde et vaut à l’Etat juif d’être accusé de génocide.


Pendant quelques heures, la guerre a ressemblé à un épisode de Star Wars quand les forces de l’Alliance mettent la pâtée à celles de l’Empire. Les gentils qui tuent (ou blessent) des méchants proprement et, en plus, se foutent de leur gueule. Pénétrer le système de communication de l’ennemi, fabriquer des bombinettes individuelles et en plus les vendre à ceux qu’elles devaient frapper – on espère qu’ils les ont payées : la toile soigneusement tissée par les services de renseignement israéliens pour piéger des milliers de combattants et auxiliaires du Hezbollah, par le truchement de leur pager puis de leur talkie-walkie, sera un jour la trame d’une haletante série Netflix. En attendant, cette opération magistrale a certainement offert à beaucoup d’Israéliens, et à ceux qui, dans le monde, ont le souci d’Israël, leurs premiers instants de joie sans mélange depuis ce funeste samedi. Soudain, les djihadistes associés qui, de Sanaa à Gaza, de Beyrouth à Téhéran, pensent que tuer des juifs est une mission sacrée, n’étaient plus ces ennemis féroces et redoutables, mais des guignols qu’on aurait dit inventés pour stimuler la créativité des rigolos d’internet. La vraie guerre, celle où des avions larguent des bombes, a repris ses droits, avec son cortège de vies innocentes broyées au nom de la tragique nécessité de tuer des enfants pour protéger les siens – nécessité qui ne se justifie que par l’ignominie de combattants planqués parmi les civils et qui doit être mesurée, et éventuellement contestée, à l’aune de chaque situation particulière. On doit en effet pouvoir en même temps dénoncer les crimes du Hamas et des autres et critiquer la conduite de la guerre par Benyamin Nétanyahou.

Cependant, on ne peut pas comprendre ni juger les affrontements en cours sans revenir à l’événement déclencheur et à son « effet de souffle », pour reprendre l’expression de Gilles Kepel[1]. En France et dans l’ensemble de l’Occident, il est à la fois brutal et durable. Kepel observe que le 11-Septembre n’avait pas « brisé le monde occidental », rappelant que Le Monde, « peu suspect d’atlantisme, avait alors intitulé sa une : “Nous sommes tous américains”. Cette solidarité n’a plus cours. La nouvelle razzia, écrit-il, a « fracturé de l’intérieur l’hégémonie de “l’Occident” avec une ampleur inédite. Celui-ci s’est vu diabolisé par ricochet et qualifié dans la foulée par une partie de sa propre jeunesse, de “Nord” haïssable auquel s’opposerait la coalition vertueuse du “Sud Global” ». C’est malheureusement la question juive, ou la question antisémite, qui surgit du cratère fumant, nourrissant en même temps le judéo-centrisme et l’agacement souvent légitime qu’il peut provoquer chez nombre de Français, lesquels peuvent se dire, et à raison, que tout ne tourne pas autour des juifs et d’Israël. Pour la sociologue Eva Illouz, qui publie ces jours-ci un essai à ce sujet, ce que les juifs peuvent espérer de mieux, c’est qu’on arrête de parler d’eux. Sans doute, mais qu’on le veuille ou pas, ces histoires de juifs ne sont pas seulement l’affaire des juifs. « Le 7-Octobre a eu pour effet paradoxal de fermer la parenthèse post-hitlérienne de l’Histoire et de relancer l’antisémitisme partout dans le monde », résume Alain Finkielkraut interrogé dans notre grand dossier À en croire toutes les enquêtes, il imprègne à des degrés divers une bonne partie de la société musulmane européenne, pesant sur les positions de dirigeants qui redoutent de froisser leurs minorités. Cependant, pour Pierre Manent, également présent dans nos pages du numéro d’octobre, « après le 7-Octobre, la question n’est pas seulement l’islam, mais l’existence d’un parti politique démocratique qui a choisi délibérément, gratuitement, de faire de la haine d’Israël au sens large, c’est-à-dire à la fois de l’État d’Israël et du peuple juif, le fédérateur de son projet politique. »

Le renversement est inouï. Pour la première fois depuis la fin du nazisme, une agression génocidaire qui rappelle le nazisme est perpétrée contre des juifs. Et le stigmate « génocide » est retourné contre Israël, accusé de tuer sciemment des civils, sans que quiconque explique par quel moyen plus humain il pourrait garantir à sa population qu’elle ne subira plus jamais ça. Jérôme, un lecteur fidèle, nous reproche de déroger à notre principe de pluralisme et de confrontation aux opinions contraires. « Depuis le 7-Octobre, pas une semaine sans un article défendant Israël ou clouant au pilori la contestation de son action. J’ai l’impression de subir une forme d’endoctrinement à laquelle Causeur ne m’avait pas habitué. Je pense que ce conflit en Israël affecte votre propre rationalité. » Que nos appartenances individuelles pèsent sur notre lecture des événements, c’est indéniable et inévitable. Ceci étant, Jérôme a peut-être raison. Peut-être n’accordons-nous pas assez de place à la critique d’Israël – notre circonstance atténuante étant que la plupart des médias ne s’en privent pas. De plus, à Causeur, la discussion à ce sujet se déroule à l’intérieur de l’« arc sioniste », c’est-à-dire entre gens qui croient à la légitimité de l’État juif. Devrions-nous, par amour de la discorde argumentée, interroger un député insoumis ? Peut-on discuter avec une Rima Hassan ou une Danièle Obono qui ont à peine caché leur joie le 7-Octobre ? De quoi parler, avec quels mots quand, de surcroît, la plupart de ces braillards sont d’une inculture crasse au sujet de cette Palestine qu’ils aiment du fleuve à la mer – sans avoir la moindre idée du fleuve et de la mer dont il est question. Cette digression est un brin oiseuse, dès lors qu’aucun n’accepterait de parler à un média sioniste – entre autres crimes. Même en dehors des cercles militants, Richard Prasquier observe que, depuis le 7-Octobre, des relations se sont tendues, distendues ou rompues. Je ne suis pas sûre qu’un Rony Brauman, l’un des défenseurs les plus civilisés de la cause palestinienne, accepterait aujourd’hui de reprendre notre dialogue d’autrefois. Mais il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre.

Ne nous racontons pas d’histoires : après Auschwitz, on a fait de la poésie (et beaucoup d’autres choses moins glorieuses), après le 7-Octobre, on continue à vivre, aimer, travailler, consommer. Certains se sont même passionnés pour la composition du gouvernement Barnier. On a dit que plus rien ne serait comme avant et bien sûr beaucoup de choses sont comme avant. Mais quelque chose s’est brisé, qui ne sera peut-être jamais réparé.

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[1] Gilles Kepel, Le Bouleversement du monde, Plon, septembre 2024.

Tous les défauts du « Monde »

Le grand quotidien du soir a perdu son statut de journal de référence aux yeux de la plupart de ses contemporains.


Il y a désormais une « affaire Le Monde », que de nombreux médias osent affronter de face. Pas seulement une affaire « Le Monde vs Israël », déjà souvent traitée depuis la création du quotidien vespéral à la Libération par un Hubert Beuve-Mery qui ne s’était pas couvert de gloire pendant l’Occupation. Le journal n’a en effet jamais beaucoup porté l’État juif dans son cœur (si l’on excepte peut-être la période où André Scemama occupait la place de correspondant à Jérusalem), le pic de sa détestation se situant, en dehors de la présente période, à celle où Edwy Plenel en était le rédacteur en chef, avec pour conséquence la plénélisation idéologique de toute une génération de jeunes journalistes, devenus, souvent de façon inconsciente, plus militants qu’informants, leur esprit critique extrêmement acéré envers une nation occidentale et juive n’ayant d’égal que leur indulgence extrême pour un mouvement terroriste musulman et oriental.

Mais depuis le 7-octobre, le journal a basculé, sous l’empire de ce prisme, dans une détestation totale qui l’autorise à présent à tenir pour « modéré » le défunt chef du Hamas, ou à s’interroger sur la nature éventuellement terroriste de l’« opération bipeurs », sans fustiger en rien un Hezbollah qu’il ne nomme jamais terroriste nonobstant son classement comme tel par l’Union européenne.

Mais si le litige avec Israël est vieux comme Le Monde, une affaire d’ordre déontologique a pris jour. Elle concerne, dans le cadre du procès moral et politique en parti pris contre l’État juif, son rédacteur plus spécialement chargé de l’étranger, Benjamin Barthe, et son épouse Muzna Shihabi. Le premier, ancien correspondant en Israël, ne cache même pas son aversion pour cet État. Il suffit de se rendre sur son compte X pour constater sa franchise absolue. Les plus anti-israéliens, et davantage encore, y trouvent ses faveurs, jusqu’à François Burgat, poursuivi pour apologie.

Quant à son épouse, activiste palestinienne assignée pour le même délit, elle a chanté le 7-octobre et pleuré le défunt chef du Hamas jusqu’à recommander son âme à Allah. Avocats sans Frontières la poursuit aussi pour avoir incriminé le « peuple élu ». Je recommande de visiter son compte X baptisé « Free Palestine » pour constater que je suis bien en dessous de la consternante réalité.

Certains observateurs ont cru devoir reprocher à Barthe une sorte de contradiction d’intérêts entre son épouse d’une part et son journal de l’autre. Je ne partage pas ce point de vue. Ceci posé, je note que sa collègue Ivanne Trippenbach, elle aussi membre de la rédaction du Monde, a été suspendue quand son conjoint travaillait pour Gabriel Attal à Matignon. En cette circonstance, l’ombrageux quotidien sait être sourcilleux. Mais partager la vie d’un collaborateur du Premier ministre est évidemment beaucoup plus grave que d’être uni à la groupie d’une organisation terroriste…

Il n’y a donc pas d’affaire Barthe et l’affaire « Le Monde vs Israël » est dépassée. Il n’y a plus que la perte de crédibilité accélérée d’un journal autrefois de référence, et pas seulement à cause de sa détestation d’un pays agressé. À force de mordre trop, les crocs sont élimés.

Mais après tout c’est son affaire.

Procès des assistants parlementaires du RN: Marine Le Pen récuse que tout soit suspect

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Lors de la première semaine du procès des assistants parlementaires européens du RN, Marine Le Pen a expliqué que les prévenus n’étaient pas des fonctionnaires mais bien légitimes à faire de la politique comme ils l’entendaient pour les élus du peuple dont ils s’occupent. Elle a récusé tout soupçon de détournement financier. Récit.


Ce 30 septembre 2024 s’est ouvert à 13h30 le procès des assistants parlementaires européens du Front national (devenu Rassemblement national) à la 11è chambre du Tribunal correctionnel de Paris, sous la présidence de Mme Bénédicte de Perthuis.

Pour rappel des faits : le 9 mars 2015, Martin Schulz, alors président du Parlement européen, dénonce auprès du ministre de la Justice français une possible utilisation frauduleuse des fonds versés aux députés européens du Front national pour la prise en charge de leurs assistants parlementaires, représentant un potentiel préjudice annuel de 1 500 000 €. Le président socialiste (SPD) du Parlement européen précise avoir également saisi l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude (OLAF) afin d’enquêter sur de possibles fraudes au détriment du budget de l’Union européenne. C’est la publication d’un nouvel organigramme du parti Front national en février 2015 qui alerte les services administratifs et financiers de la Direction générale des finances du Parlement européen, laquelle relève que seize députés européens et vingt assistants parlementaires (quatre Assistants Parlementaires Accrédités (APA) et seize Assistants Parlementaires Locaux (APL)) occupent des fonctions officielles au sein du Front national. Dès lors, ces services suspectent des entorses aux textes européens en vigueur, qui prévoient notamment que les salaires versés par le Parlement européen aux assistants parlementaires ne peuvent servir directement ou indirectement à financer des contrats établis avec des partis politiques et que seuls peuvent être pris en charge les frais qui correspondent à l’assistance parlementaire nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés européens.

28 prévenus

Après le long et fastidieux exposé – selon les dires mêmes de la Présidente du tribunal – des charges contre les 28 prévenus, dont certains ont été excusés, les débats se sont ouverts sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Me de Caunes, avocat de Mme Marie-Christine Boutonnet, rappelle l’arrêt du 25 janvier 2017 qui dit qu’« un parti n’est pas investi d’une mission de service public, l’administration ne peut pas contrôler l’activité des partis » et dénonce « l’envie du pénal » du regretté écrivain Philippe Muray pour qualifier cette procédure injustifiée aux yeux de la défense.

Venu à la barre, M. Bruno Gollnisch ajoute que « l’ensemble de cette procédure est contraire au principe de séparation des pouvoirs », et pointe l’imprécision des textes en se référant à un arrêt du 4 février 2017 disant que le juge judiciaire ne saurait contrôler les tâches accomplies par un assistant parlementaire. Le conseil de Mme Le Pen, Me Bosselut, interroge dès lors la pertinence même des poursuites: « Nous sommes dans une situation unique où des règles internes, élaborées par le Parlement européen à vocation uniquement administrative, aboutissent à une poursuite pénale. » Pour la défense, « la liberté parlementaire est mise à mal par le Parlement européen qui souhaite transformer les assistants parlementaires en agents de l’institution. » L’avocat de Marine Le Pen interroge : « Le tribunal va porter jugement sur le travail parlementaire, en disant si l’activité militante est trop importante ou pas assez. Je vous le demande : où met-on le curseur ?». Et Marine Le Pen d’abonder dans son sens, lors d’une suspension de séance : « Personne ne remet en cause que nos assistants ont travaillé. C’est la nature du travail qui est discutée. Est-elle politique ou législative ? » À la reprise, la QPC est annoncée jugée recevable par le tribunal mais ne donnant pas lieu à un renvoi devant la Cour de cassation.

Le tribunal, tout comme le ministère public, entendent au contraire élargir la prévention au-delà des contrats jugés litigieux, courant de 2004 à 2017, jusqu’à cinq ans avant et après ces dates. Face à cette information inédite, les avocats de la défense ne manquent pas de réagir à cet élargissement inattendu du périmètre de l’affaire, alors que lesdits contrats ne sont pas visés nommément dans la prévention. La défense soulève ainsi la question de savoir si l’on peut condamner des contrats au titre de la personne morale (le Front national) sans condamner les personnes physiques signataires desdits contrats. Pour se justifier, le tribunal présente les tableaux annexés qui classent les différents contrats comme extensifs de la prévention, ce qui porterait le préjudice éventuel pour le Parlement européen de 3,213 à 4,503 millions d’euros. Les tableaux projetés par le tribunal estiment que Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen représentent 47% du volume de la fraude présumée. Selon ce nouveau calcul que découvrent les prévenus et la défense lors de l’audience, l’amende, qui pour une personne morale peut atteindre jusqu’à cinq fois le montant des fonds détournés, pourrait ainsi monter jusqu’à 27 millions d’euros. En cas de condamnation, il va sans dire que cette facture viendrait immanquablement plomber les comptes du Rassemblement national et peser très lourdement sur le financement des prochaines campagnes électorales.

« L’activité politique est indissociable du mandat électoral »

Au troisième jour, alors que la nuit tombe déjà sur le Tribunal correctionnel, forte de ses annotations rédigées avec son stylo quatre couleurs doré, Marine Le Pen s’avance d’un pas assuré à la barre pour apporter des éléments de contexte. Dans son argumentation, l’ancienne présidente du Front national puis du Rassemblement national tient à démontrer que « l’activité politique est indissociable du mandat ». Marine Le Pen remarque que « dans ce dossier, il y a énormément d’a priori. Il y a énormément d’idées préconçues, et ces idées préconçues, j’ai tout de même le sentiment qu’elles ont été fabriquées par la partie civile qui nous a engagés dans une forme de tunnel ».

Pour sortir de ce tunnel, pendant une heure, Marine Le Pen va s’employer à démonter ces différentes idées préconçues.

« Nous sommes la bête noire de l’administration du Parlement européen »

La première idée préconçue que l’ancienne député européenne veut déconstruire est l’image de neutralité qu’aurait le Parlement européen. Marine Le Pen affirme que « la direction de l’administration du Parlement européen n’est pas une direction neutre, [que] c’est une direction politique ». « M. Martin Schulz, le président du Parlement européen, est un homme politique qui a eu des responsabilités politiques éminentes au parti socialiste dans son pays, l’Allemagne », rappelle-t-elle, avant de dénoncer un deux poids deux mesures en rappelant les affaires Podemos ou de l’assistant de Martin Schulz. « Nous sommes la bête noire de l’administration du Parlement européen… Tout le montrera, les déclarations de M. Schulz, publiques, politiques, contre le Front national, il en existe un certain nombre. Clairement, il se positionne comme un opposant politique ». L’ancienne présidente du Rassemblement national pointe d’ailleurs la concomitance des enquêtes avec les succès électoraux du parti à la flamme tricolore. « Quand on était trois : bon. Sept : bon, ça va encore. Mais alors 24 ! Ça, c’est insupportable. Le lendemain de l’élection, l’OLAF commence à engager une enquête, pas sur la base d’une lettre de dénonciation qui concernerait deux assistants, souligne-t-elle, l’OLAF enquête sur tous les assistants de Marine Le Pen, y compris du mandat précédent. » Reprenant sa casquette d’avocate, Marine Le Pen souligne l’absence, étonnante pour des juristes français, accordée aux droits de la défense dans les procédures européennes. Ainsi le tribunal de l’Union européenne a refusé de recevoir ses pièces justificatives au titre que celles-ci n’avaient pas été remises précédemment à l’OLAF, que Marine Le Pen considère de parti-pris, raison pour laquelle, dit-elle, elle ne lui avait pas remis les pièces en question. Elle remarque par ailleurs que la Cour de justice de l’Union européenne n’est pas « une cour d’appel mais une cour de cassation », et que « l’Union européenne n’est pas adhérente de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)

« Il y a des cultures politiques très différentes d’un pays à l’autre »

L’autre idée reçue que Marine Le Pen souhaite démonter, « c’est que toutes les cultures politiques sont les mêmes. M. Klethi (directeur financier du Parlement européen) l’a dit d’ailleurs, et il a eu raison de le dire : il y a des cultures politiques très différentes d’un pays à l’autre. » M. Didier Klethi, directeur financier du Parlement européen, a bien dit à la barre que les députés étaient en effet libres de faire ce qu’ils veulent de leurs assistants. Il a même employé malencontreusement l’expression “acheter leurs assistants”. Le directeur financier illustrait son propos en révélant que dans certains pays, des députés ont jusqu’à « une quinzaine voire une trentaine d’assistants », vu que les salaires des assistants sont fonction des pays, mais que l’enveloppe mensuelle alloué à chaque élu (17 652 € en 2019 et 24 554 € en 2024) est la même quel que soit le pays membre de l’Union européenne. On pourrait s’interroger sur la nature du travail d’un staff aussi pléthorique, mais cela ne semble pas avoir alerté le Parlement européen à ce jour !

L’ancienne présidente du Front national s’étonne que M. Schulz s’insurge qu’il y ait « des gens qui sont assistants parlementaires et qui ont des fonctions politiques » quand il découvre l’organigramme du parti. Pour l’ancienne élue du Front national, « ça paraissait être une évidence », et elle ajoute qu’elle ne comprenait absolument pas où pouvait être le problème, avant que tout s’éclaire : « Puis j’ai compris. En Allemagne, le salariat en politique est la règle et le bénévolat l’exception. En France, en politique, le bénévolat est la règle, et le salariat est l’exception ! »

Puis, Marine Le Pen explique que dans la pratique, il n’y a pas de différences de travail entre les assistants parlementaires accrédités (APA) et les assistants parlementaires locaux (APL). Marine Le Pen illustre ses propos en se référant à l’enquête du livre de Sébastien Michon, Les assistants parlementaires au Parlement européen (Michel Houdiard Éditeur, 2005), lequel démontre que « les assistants parlementaires européens sont exactement comme [des] assistants parlementaires français ». « Et d’ailleurs, on ne voit pas pourquoi il y aurait une différence entre les deux ! » pointe la députée du Pas-de-Calais. « On ne voit pas pourquoi un député européen aurait moins de droits qu’un député national et ferait de la politique différemment qu’un député national… En réalité, Sébastien Michon nous explique que les assistants locaux sont des militants qui sont embauchés pour faire de la politique avec leurs députés, ce que l’Assemblée nationale résume dans ces textes par : l’activité politique du député est indissociable de son mandat. »

« J’ai l’impression que quoi que je fasse, tout est suspect »

Marine Le Pen s’étonne ainsi que tout soit considéré comme suspect dans ce dossier. « J’ai l’impression que quoique je fasse, tout est suspect. » L’ancienne députée au Parlement européen égrène les différentes suspicions de l’OLAF : « Les assistants sont membres du parti, c’est suspect », et l’ex-candidate à l’élection présidentielle d’ironiser : « alors que si on avait pris des assistants de La France Insoumise, ce serait passé crème… Mais là, franchement, le fait que ce soit des gens qui partagent nos idées, c’est suspect ! Moi je trouve que c’est tout à fait logique et tout à fait cohérent que l’assistant parlementaire partage les idées de son député. D’ailleurs, M. Michon, dans son livre, dit la même chose, puisqu’il dit qu’évidemment l’assistant parlementaire se recrute au sein des adhérents, des militants du parti politique qui a fait élire les députés européens. »

L’ancienne député européenne pointe d’ailleurs un rapport de l’OLAF affirmant qu’il n’y a aucun soupçon sur dix assistants parlementaires… parce qu’ils n’étaient ni membres d’un parti politique ni candidats à quoi que ce soit. « Comme si c’était une tare d’avoir été candidat, y compris à une élection municipale par exemple, ou cantonale, ou d’être membre d’un parti ! A contrario, être membre d’un parti, c’est suspect ; et avoir été candidat est suspect… Et ça va plus loin, l’OLAF dit : certains sont membres d’associations souverainistes, c’est suspect… Ou de défense de la minorité chrétienne persécutée. Je ne vois pas pourquoi ce serait plus particulièrement suspect qu’autre chose, mais l’OLAF, lui, le dit. » Tout comme « certains assistants travaillent au siège du parti, c’est suspect. Eh bien non, ce n’est pas très suspect, argumente l’ancienne présidente du Rassemblement national, parce qu’en réalité les députés dont ils sont eux-mêmes les assistants travaillent aussi au siège du parti, donc qu’ils aient leurs assistants à côté d’eux, ce n’est pas très suspect. »

« On dépend des élections »

Marine Le Pen s’étonne ensuite que soit relevée la fragilité financière du Front national, car cela est selon elle le cas de tous les partis politiques soumis aux aléas des résultats électoraux. La députée raconte qu’à l’époque des faits, l’UMP avait 82 millions d’euros de dettes, et que malgré cela, « il y a une bonne banque qui les a suivis ; nous on a du mal à trouver des banques, mais eux manifestement, et malgré 82 millions d’euros de dettes, elles étaient toujours là pour les soutenir. Ils ont encore 9 millions de dettes, et ça n’a pas l’air de leur poser un problème majeur. » Marine Le Pen explique que les financements dépendent pour tous les partis des résultats électoraux. « C’est la vie d’un parti politique : un coup on gagne, un coup on perd. On dépend des élections. C’est un édifice fragile un parti politique. » La chef de l’opposition explique que la gestion d’un parti est évidemment bien différente d’une entreprise, où employeur et salarié ont une relation contractuelle. « Il y a des épreuves en commun, il y a des victoires en commun, il y a des défaites en commun, il y a des tristesses en commun. Il y a des gens qui sont là depuis très longtemps, qui ont sacrifié de leur vie, de leur tranquillité, de la tranquillité de leur famille, parfois leur emploi. Il y a des ambitions, aussi. » L’ancienne candidate à l’élection présidentielle explique que la reconnaissance du travail militant passe pas l’attribution de titres au sein du parti, dans le fameux organigramme incriminé par M. Schulz, fonctions qui servent aussi à se faire ensuite élire au sein du Conseil national du parti. « Il y a 400 candidats, il y a en a 100 à élire, si vous mettez conseiller spécial de Marine Le Pen, vous avez plus de chance d’être élu que si vous ne mettez rien ! »

« Assistant parlementaire, la voie royale pour être soi-même député »

Concernant la fragilité des finances du parti constatée par l’OLAF, qui soupçonne un transfert de charges du parti politique sur les fonds du Parlement européen, Marine Le Pen livre des chiffres qui contredisent cette hypothèse.

« 2012, il y a 58 salariés. 2013, il y a en a 60. 2014, il y en a 67. 2015, il y en a 62. 2016, il y en a 95. Si c’était un système pour faire baisser la masse salariale pour pouvoir faire des économies, excusez-moi mais pour le coup, c’est exactement la démonstration inverse que montre l’analyse des chiffres du Front national. » L’ancienne avocate nie tout va-et-vient entre les salariés du Front national et le Parlement européen : « Sur tous les assistants de la prévention, il y en a deux qui effectivement avant de devenir assistants parlementaires étaient salariés du Front national. Même pas, un et demi, parce qu’en réalité, M. Salles était en fin de CDD. » La présidente de groupe à l’Assemblée nationale ajoute toutefois qu’« il y aurait pu avoir plus de salariés, et que ça n’aurait pas été plus suspect. Parce qu’en réalité, encore une fois : qu’est-ce qu’une promotion, quand on est salarié dans un parti politique ? La promotion dans un parti politique, c’est de passer de salarié du mouvement à assistant parlementaire. Assistant parlementaire pour un salarié, c’est un peu le Graal, mais c’est surtout la voie royale pour être soi-même député. Cela aussi, il faut que le tribunal en prenne conscience. L’assistant parlementaire, c’est le vivier des futurs élus, pas seulement les futurs députés, les futurs conseillers régionaux, maires, sénateurs, etc. D’ailleurs, j’en veux pour preuve qu’il y en a énormément, des assistants parlementaires qui sont devenus députés. » Marine Le Pen cite alors M. Aliot, M. Chenu, M. Odoul, Mme Diaz, et d’autres encore.

« On ne peut pas fonctionner à 24 sans être mutualisés »

Marine Le Pen récuse ensuite l’accusation de « système », et ironise sur cette accusation : « Parce que deux salariés passent assistants parlementaires, on parle d’un système qui a été mis en place. Assez défaillant, quand même… » Car, si le nombre de salariés n’a pas baissé, les dépenses de personnel n’ont pas baissé non plus entre 2013 et 2017, selon les documents publics « validés par les commissaires au compte, et déposés à la CNCCFP et validés par la CNCCFP. En 2013, 2 913 678 euros de frais de personnel. 2014 : 3 129 624. 2015 : 3 288 214. 2016 : 3 710 033. 2017 : 4 607 182. Cela ne nous dit pas qu’il y a un mouvement politique qui cherche à gratter des postes auprès de députés européens pour faire baisser sa masse salariale. Ça dit un mouvement politique qui est en pleine ascension électorale, et qui doit faire des investissements », argumente l’élue frontiste. Sur la mutualisation appelée « système » par l’accusation, Marine Le Pen présente cela comme une logique de bonne gestion, une rationalisation naturelle, qui est aussi pratiquée au Parlement européen dans les staffs de groupe. « On ne peut pas fonctionner à vingt-quatre sans être mutualisé » relève-t-elle avant d’ajouter que si 30 députés ont choisi le même tiers-payant en la personne de M. Van Houtte, « ce n’est pas suspect, d’autant moins qu’en matière de tiers payant, il n’y a pas beaucoup de gens qui se sont précipités à la porte du Rassemblement national et de ses députés pour leur proposer éventuellement d’être tiers payant des députés au Parlement européen. Être un prestataire d’élus du Rassemblement national, ou du parti politique d’ailleurs, ça ne vous ouvre pas toutes les portes, ça peut même vous en fermer sur le plan professionnel (…) Même s’il y a beaucoup de gens qui nous aiment bien, de là à accepter (…) »

La présidente du premier groupe politique à l’Assemblée nationale raconte être confrontée à la même problématique au Palais Bourbon avec la recherche des commissaires aux comptes. « J’ai pu proposer aux 143 députés deux choix. Avant je n’en avais qu’un seul. Et je leur ai dit, vous pouvez potentiellement prendre M. ou untel, mais si vous avez des gens que vous connaissez dans vos circonscriptions, aucun problème. » L’élue constate donc qu’avoir un seul tiers payant n’est pas suspect, que c’est naturel et qu’« il y a plein de raisons d’ailleurs pour lesquelles c’est plutôt une bonne chose, la centralisation. »

« Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous sommes des élus du peuple »

Concernant l’activité au sein même du Parlement européen des élus frontistes, Marine Le Pen explique que « c’est compliqué parce que nous sommes des députés non-inscrits à qui on impose le cordon sanitaire. Vous savez que les étrangers disent ça en français ? » Marine Le Pen prononce alors l’expression « cordon sanitaire » avec un accent anglais. « C’est devenu une expression française qu’utilisent en fait les étrangers ! Le cordon sanitaire, ça consiste à dire : Ecoutez, quel que soit le nombre de députés que vous avez, même si vous êtes un groupe, vous n’aurez aucune présidence de commission, aucune vice-présidence (…) aucune place de questeurs, vous n’aurez aucun rapport distribué en commission. Rien, zéro, nada. Vous n’aurez pas une place dans les organes du Parlement européen (…) Et quand vous êtes victime du cordon sanitaire, permettez-moi de vous dire que votre travail législatif se réduit considérablement. (…) Qu’est-ce qu’il vous reste à faire ? Vous n’avez pas de possibilité de déposer des amendements. Vous n’avez quasiment plus de temps de parole. Donc, on fait de la politique. Et ça fait partie de notre mandat, car l’activité politique est indissociable du mandat parlementaire. Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nos assistants parlementaires ne sont pas des fonctionnaires. J’ai encore entendu dans la bouche de M. Klethi cette tendance de l’administration à vouloir transformer tous ceux qui passent à sa portée en fonctionnaires. Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous sommes des élus du peuple. Nous avons un mandat, nous ne le tenons pas de M. Klethi. Nous le tenons du peuple français, il nous a demandé de faire quelque chose, de défendre nos idées, nous le faisons, et dans le cadre de cette activité politique qui est indissociable de notre mandat parlementaire, nous sommes assistés par des assistants parlementaires. Certains travaillent un peu, les assistants parlementaires font les feuilles de vote, ils ne peuvent rien faire d’autre, alors on leur dit ce que l’on va voter, fais une feuille de vote. Et puis il y a ceux qui avec nous font de la politique. Mais, faire de la politique, encore une fois, cela ne veut pas dire ne pas remplir son mandat. Après, qui va décider quand Marine Le Pen est par exemple députée européen ? Quand est-elle présidente du Rassemblement national – quand elle l’était ? Quand est-elle candidate à la présidentielle, parce qu’après tout il y a des périodes aussi où je suis candidate à des élections, candidate aux régionales, candidate aux présidentielles… S’il va falloir tronçonner ça, je ne vais pas vous être d’une grande aide, parce que quand on m’invite sur un plateau de télévision, quand on m’invitait à l’époque sur un plateau de télévision, on me demandait : on met député ? Présidente de groupe au Parlement européen ? Présidente du Rassemblement national ? – Vous mettez ce que vous voulez, ça n’a pas d’importance, je suis tout cela en même temps ! » Pour compléter son témoignage, l’élue/présidente/candidate justifie les liens entre les élus et le parti politique : « On fait comment pour rencontrer les électeurs ? On sort dans la rue, on prend un mégaphone, on dit : est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un qui a voté pour moi ? Je vais faire une réunion, si vous voulez bien venir ? Bien sûr que non ! On s’adresse au parti politique. C’est lui qui a d’ailleurs la seule richesse d’un parti politique, le fichier. Et qui réserve la salle ? Qui est en contact avec les pompiers pour les problèmes de sécurité ? Qui rédige les documents envoyés ? C’est le délégué départemental en fait ! » Et l’ancienne chef de parti d’abonder : « le parti politique passe sa vie à aider les élus, à se mettre à leur disposition, à leur donner des moyens. Des moyens parfois financiers, on en reparlera sûrement pendant le procès. Des moyens techniques, des moyens humains, des moyens d’implantation pour pouvoir permettre aux députés nationaux et européens d’exercer leur activité politique. » Pour Marine Le Pen, cette interconnexion entre les personnes élues et les militants du parti est donc naturelle, alors que le Parlement européen reproche à des assistants parlementaires d’être aussi délégués départementaux. Il semblerait donc que la vision européenne soit bien différente de la pratique nationale. Comme le souligne une dernière fois la députée au tribunal : « Actuellement, au moment où je parle, il y a dix délégués départementaux qui sont devenus des assistants parlementaires. À l’Assemblée nationale, on n’y voit absolument aucun inconvénient, parce que c’est comme pour beaucoup d’autres fonctions, on ne paie pas un délégué départemental. »

La représentante du RN, « deux fois bavarde », selon ses propres mots, car femme politique et ancienne avocate, s’excuse de l’heure tardive, et remercie enfin la cour de l’avoir autorisée à « cette mise en contexte pendant cette période précise de 2004 à 2016. » Il est 21H50 passées, l’audience est levée et reprendra lundi 7 octobre à 13H30. Le tribunal entendra les parties sur le contrat d’assistant parlementaire de Thierry Légier, garde du corps de Jean-Marie Le Pen puis de Marine Le Pen, contrat considéré comme frauduleux par le Parlement européen.

Il ne faut plus se laisser intimider

Après ses propos aussi lucides que critiqués, Bruno Retailleau obtient le soutien de 170 députés et sénateurs. De son côté, Jean-Éric Schoettl rappelle que « l’État de droit ne doit pas empêcher de modifier l’état du droit », et Xavier Driencourt donne des pistes pour contraindre les pays maghrébins à délivrer les laissez-passer consulaires pour nos OQTF en attente.


L’exigence du courage se proclame à proportion de la lâcheté qui sévit à peu près partout. Dans la vie intellectuelle et politique, dans l’univers médiatique, dans tous les espaces où en principe la simple audace de s’exprimer librement et tranquillement devrait être sauvegardée.

Mais toutes les démissions ne se valent pas et certaines sont plus redoutables que d’autres, dans leurs effets.

Depuis que Bruno Retailleau a été nommé ministre de l’Intérieur, un débat fondamental a été posé avec vigueur sur la table démocratique : celui de l’État de droit. Non seulement il n’a pas à s’en excuser et feindre de revenir sur certains de ses propos pour complaire mais, au contraire, il doit continuer plus que jamais à user de cette pensée et de ce verbe qui ont l’immense mérite d’avoir toujours été les siens.

Le soutien apporté à Bruno Retailleau a une rançon : celle de laisser croire que Gérald Darmanin, à ce même poste, a démérité alors qu’il a sauvé l’honneur du régalien avant la mise en place du gouvernement de Michel Barnier. Je regrette qu’il semble s’abandonner maintenant à des jeux politiciens avec 2027 dans sa visée.

Il ne faut plus se laisser intimider.

Les déclarations de Bruno Retailleau, en particulier dans un très long entretien au Figaro Magazine, suscitent un vif émoi de la part d’idéologues qui sont ses adversaires compulsifs (le réel qu’il voit, ils ne veulent pas le voir !) ou de naïfs qui ont fait de l’humanisme une opportunité d’abandon et de délitement.

Pourtant cette évidence qu’il énonce : « Quand le droit ne protège plus, il faut le changer », me paraît tellement à la fois de bon sens et d’un authentique humanisme (celui qui se met au service de la majorité des honnêtes gens et de la pluralité des victimes) qu’on aurait pu espérer un consensus quasi général.

A lire aussi, Charles Rojzman: Bruno Retailleau, une chance pour la France?

En effet, sur des statistiques aujourd’hui indiscutées qui révèlent un lien entre une immigration non contrôlée et la criminalité qui peut en en surgir, sur la très faible exécution des OQTF et, plus généralement des peines, sur l’absurde loi sur les mineurs de 2021, le ministre de l’Intérieur affirme ce que la rectitude intellectuelle et le réalisme social et politique devraient inspirer à tous.

Je pense que le nouveau garde des Sceaux, dans son rôle et attentif à le préserver, ne se sentira plus contraint de mettre des bâtons dans les roues de son collègue de l’Intérieur, qui lui-même est parfaitement au fait des grandeurs et des faiblesses de la Justice.

Il ne faut plus se laisser intimider.

J’ai noté avec une grande satisfaction – rien n’est jamais gagné et la lâcheté sait couvrir toutes ses abstentions d’un voile honorable ! – le soutien clair, net et argumenté apporté à Bruno Retailleau par cent soixante-dix députés et sénateurs de la droite républicaine.

Ils ont rappelé que l’État de droit n’a pas vocation à être « intangible » et que le signifier n’a rien qui offense la démocratie. L’État de droit, c’est d’abord ce socle : « le respect de la Constitution, de la séparation des pouvoirs et de nos principes fondamentaux ». Tout le reste peut être évolutif si on veut bien s’attacher à quelques repères inaltérables, à portée moins juridique qu’humaine, sans lesquels la démocratie tournerait à une sorte de sauvagerie officielle. Notamment on ne juge pas deux fois la même affaire, l’exigence de la non-rétroactivité, du principe de la prescription, de l’irresponsabilité pénale (on ne juge pas les déments).

À partir de telles lignes rouges, qui peut soutenir de bonne foi que le pouvoir politique n’aurait pas à mettre toute son énergie au soutien de la sauvegarde sociale et de la tranquillité de chacun ? Qu’oppose-t-on d’ailleurs à cet impératif à la fois humain et juridique ?

Les communiqués du Syndicat de la magistrature, sur ce sujet, nous confirment plutôt que Bruno Retailleau parle vrai et voit juste.

Et, dans un tout autre registre, les propos convenus (pour la haute hiérarchie judiciaire d’aujourd’hui!) du procureur général près la Cour de cassation Rémy Heitz ne sont pas bouleversants au point de nous dissocier de la rudesse lucide du ministre.

Ce n’est pas non plus le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, qui avec une banalité solennelle nous alerte sur le fait que « l’État de droit est la condition de la démocratie » qui nous troublera : on est d’accord avec lui.

Ce n’est pas également ceux qui confondent le jeu de mots avec l’analyse intellectuelle et juridique qui sont susceptibles de nous détourner du point de vue de Bruno Retailleau : soutenir qu’il ne fallait pas confondre l’État de droit avec l’état du droit est amusant mais ne fait pas progresser.

L’excellente tribune de Jean-Éric Schoettl, au contraire, nous éclaire quand il souligne que « l’État de droit ne doit pas empêcher de modifier l’état du droit ». On ne peut que l’approuver quand il écrit ceci : « Le corpus des textes relatifs à la sécurité publique et à l’immigration, lui, n’est pas intangible. Il peut être modifié dans le respect des procédures dans lesquelles s’incarne l’État de droit et, en tout premier lieu, de la procédure législative ».

A lire aussi, Elisabeth Lévy: État de droit, que de frime on commet en ton nom

On pourrait résumer ainsi : l’Etat de droit est un cadre dans lequel l’état du droit apportera sa pierre et ses dispositions avec pragmatisme. En allant aussi loin qu’une démocratie à la fois combative et se limitant pour ne pas se dévoyer le permettra.

Il ne faut plus se laisser intimider.

En particulier par une ultime injonction. Que feriez-vous à la place de ceux qui n’ont que leur bonne volonté ou, pire, leur impuissance à offrir aux citoyens pour les consoler ?

Il est facile de répondre que le volontarisme actif, le courage politique effectif, s’ils étaient mis en œuvre, résoudraient beaucoup de ce qu’on prétend insoluble. Par exemple récemment, l’ancien ambassadeur de France en Algérie (de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020) Xavier Driencourt a proposé plusieurs pistes que la France devrait emprunter pour contraindre l’Algérie à délivrer les laissez-passer consulaires. Elles réduiraient sensiblement le nombre d’OQTF en jachère, non exécutées et qui mettent les Français en péril. Il y faudrait presque rien : l’audace attendue de ceux qui nous gouvernent.

Bruno Retailleau doit donner du courage à ceux qui doutent, aux fatalistes, aux frileux. Son plan d’action est de nature à rassurer la « majorité nationale » derrière lui. Son verbe ne sera pas un substitut aux œuvres qu’on espère de lui.

Ne nous laissons plus intimider.

Harmonie Comyn et les élections belges

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L’influenceur islamo-gauchiste ironise sur Harmonie Comyn ? Le voilà candidat aux élections communales !


Les Belges retournent aux urnes, le 13 octobre, afin d’élire leurs représentants communaux et provinciaux. Début juin, ils avaient élu leurs députés régionaux et fédéraux, renvoyant la gauche dans l’opposition (à l’exception d’un strapontin socialiste en Flandre), et surtout, faisant boire le bouillon au parti Ecolo. La Belgique bascule vers le centre-droit et met un terme aux singeries vertes qui la paralysent. Le même scénario est-il à l’ordre du jour pour le suffrage qui se dessine ? On discerne en tout cas une certaine nervosité dans les états-majors écolos.

La déclaration d’Harmonie Comyn, la veuve du gendarme français tué par un récidiviste Cap-Verdien n’était pas passée inaperçue au plat-pays. « Je l’affirme haut et fort, la France a tué mon mari par son insuffisance, son laxisme et son excès de tolérance » asséna-t-elle. Nombre de Belges se sont hélas reconnus dans cette dénonciation de la faiblesse des autorités, plus promptes à distribuer des éco-taxes qu’à traquer les criminels récidivistes.

Mais tandis que la Belgique prenait fait et cause pour l’épouse de l’adjudant-chef mort en service lors d’un contrôle routier, un candidat écolo de la pimpante commune de Rixensart, Rayhan Haddi, n’a pas hésité, lui, à réagir sur Twitter de façon particulièrement ignoble. Il propose en effet à cette jeune veuve, mère de deux enfants, d’« écrire le second volet de Mein Kampf ». Rayan Haddi est un éternel étudiant, visiblement plus occupé à cosigner des tribunes en faveur des Palestiniens[1] ou des étudiants en échec[2] qu’à potasser son droit. Mais comme il est issu de la diversité qui est paraît-il une chance pour la Belgique, Ecolo lui ouvre grand ses portes, peu importe la puanteur de ses propos ! Voué à la disparition, le parti fait visiblement feu de tout bois, et ne voit aucun problème à nazifier une victime et à moquer sa douleur.


[1] https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2024/05/03/lettre-ouverte-le-retrait-du-statut-de-refugie-en-raison-de-lappartenance-politique-met-en-danger-nos-libertes-civiles/

[2] https://www.lesoir.be/578218/article/2024-04-01/reussir-en-excluant-ou-en-accompagnant

Du quartz et des… perles

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Notre contributrice Marie-Hélène Verdier publie chez l’Harmattan un recueil de nouvelles : L’éléphant de quartz où un imaginaire à bride abattue le dispute à un réalisme poignant.


La première nouvelle nous emmène du côté de la Santé et d’une rue empruntée par deux jeunes filles bras dessus bras dessous et qui se tinrent ainsi le temps d’une joyeuse amitié, laquelle s’interrompit une fois leur vie sortie du champ des possibles pour prendre des formes plus précises qui n’eurent, brutalement, plus rien à se dire. Seule une écriture de la réminiscence peut encore restituer ce qui fut lumineux. La nouvelliste plonge régulièrement dans un passé révolu pour en saisir quelques moments, quelques bribes, voire quelques enluminures oniriques, emportée par un vocabulaire dont on n’a plus l’habitude et qui, dans une sorte d’ivresse d’associations nous donne passablement le vertige. La langue et les références qui l’habitent cavalent à toute allure avec Marie Soleil et destriers à ses côtés.

« Les terrils vont refleurir. Ce matin, la sève montait dans mon tronc, irradiant au bout des doigts, pour s’épanouir en ridules de rires dans mon cerveau. La Vénus du Nord dans un tonneau de fourrure ! La Madone des sleepings dans son étui de chocolat glacé ! Je me souviens du père Avril qui gravissait chaque jour les terrils pour y planter des bouleaux. Il voulait un rang serré de heaumes aux yeux fermés : le rêve samouraï pour une enfance Lorelei et chevaliers. Il fut emporté au sommet par une attaque : le cœur a-t-on dit. Jamais il n’aura vu les fils de ses rêves, les frères Aymon trouant les marais de leur galop mouillé, les terrils sous leur cape. »

Ailleurs, des métaphores aquatiques et solaires, où le bleu et le jaune dominent, colorient un style très pictural. Tableaux impressionnistes qui donnent à voir les sensations et les visions de personnages oscillant entre rêve et réalité, tel ce jeune garçon servant la messe dans une atmosphère sensorielle et mystique, et qui croit entendre « Saint-Pétersbourg » lorsque « le curé Grimbert, qui avalait les syllabes » prononçait trop vite le mot « saeculorum ». Ce qui fera qu’à chaque fois que le nom de cette ville russe sera prononcé, c’est la messe en son entier qui ressurgira à la façon du Venise des pavés inégaux.

La mort s’invite assez souvent dans ces récits, de manière crue et parfois très violente. Et la mélancolie, qui ne lâche pas un instant « l’écrivain public » penché sur ses amours anciennes, cède un instant le pas à une description de la grâce dont un couple marchant dans les rues de la capitale italienne témoigne et à un humour rafraîchissant : « Je suis à Rome avec Anaïs » dit le narrateur qui  s’y trouve des années après. « Je l’ai emmenée pour une conférence que je fais à l’institut français sur un tableau mythique de la Sainte famille à l’éléphant d’après Poussin. Nous allons dans les jardins de la villa Borghèse crayonner Daphné enlevée par Apollon. C’est là qu’Anaîs m’a quitté pour suivre mon collègue historien de l’antiquité tardive. »

Ainsi passe-t-on d’un registre à un autre, surréaliste souvent, lyrique presque toujours, en passant d’une nouvelle à une autre, en compagnie de personnages tamisés par le temps ; le temps ; cette grande affaire de la littérature.

L’éléphant de quartz de Marie-Hélène Verdier, L’Harmattan, 2024 98 pages.

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Bruno Retailleau, une chance pour la France?

Michel Barnier a promis qu’il allait davantage agir que parler. Son ministre de l’Intérieur, lui, parle beaucoup. Face à lui, tout un magistère moral et médiatique de gauche rêve qu’il se taise.


Il est temps de dire la vérité sur les mensonges de la gauche. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a mis les pieds dans le plat: « l’immigration n’est pas une chance pour la France ».  Une grande partie de la gauche s’est indignée de ces paroles qui reflètent pourtant l’opinion d’une majorité de Français aujourd’hui. Le ministre pourra-t-il passer à l’action ? Rien n’est moins sûr, étant donné le magistère moral qu’exerce sur nos élites politiques et médiatiques une extrême-gauche pourtant minoritaire dans le pays. Mais il est temps d’aller plus loin et de dire la vérité niée par les « talking classes », les classes qui ont le privilège de la parole publique et que les Français des milieux populaires connaissent parfaitement.

Mensonge, confiscation ou déni de la réalité, tous les totalitarismes créent un nouveau langage pour expulser le réel et donner à voir un monde qu’il déclare nouveau. Tous, ils font croire qu’ils font la guerre à la justice et à l’oppression. Tous sont porteurs d’une plus grande injustice et d’une plus grande oppression. Tous, ils prétendent nous sauver d’un danger ou d’un chaos qu’ils ont contribué à créer, à force de mensonges et de dissimulation des faits. Ainsi la crise des banlieues, la violence dans les quartiers, qui ne sont que la suite d’éruptions précédentes qui vont toujours en s’aggravant, de quelques émeutes dans des cités de la banlieue lyonnaise à ces émeutes dans tous les quartiers, au pillage et destructions des centres-villes et des villes moyennes. N’en doutons pas, la prochaine étape sera probablement plus grave puisqu’elle s’attaquera aux personnes comme nous le montre la multiplication des agressions au couteau pour un regard ou une autre futilité et qui témoigne une haine grandissante d’une partie de la jeunesse contre leurs propres concitoyens.

Autre mensonge : il n’y a pas de relation entre la délinquance et l’immigration comme ils le prétendent, alors que ce lien est évident. Tous les étrangers, tous les immigrés, tous les descendants des premières immigrations ne sont pas violents et délinquants, mais n’importe quel gardien de prison ou n’importe quel policier confirmera que les étrangers, les immigrés ou les descendants des immigrations maghrébines et subsahariennes sont surreprésentés dans les faits de délinquance et de violence aujourd’hui.

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Autre mensonge : la pauvreté dans les quartiers. La différence entre les « blancs » pauvres et les immigrés a toujours été que les immigrés avaient des moyens d’existence et de survie que les autres n’avaient pas. Faire construire des villas au bled et survivre chichement dans le logement social, au grand dam des enfants de leurs enfants qui considéraient qu’on les avait parqués dans des quartiers pourris dont ils étaient souvent d’ailleurs les premiers responsables du pourrissement. Entasser des marchandises achetées à bon marché chez Tati pour les revendre à prix d’or en Algérie ne fut jamais à la portée du petit blanc qui finit d’ailleurs par s’exiler dans la France périphérique, chassé par les violences et les incivilités et se sentant devenir étranger dans son pays, et abandonné des services publics contrairement aux habitants des métropoles abondamment pourvus en médiathèques et en transports publics.  

Bien sûr, il y a toujours des exceptions. De la misère par exemple. Bien sûr, des erreurs technocratiques furent commises au détriment des habitants des quartiers. Des injustices aussi, des bavures de la police, de l’école, de la justice, il y en a eu. Mais dans la grande majorité des cas, le tableau qui nous a été fait de la réalité est un tableau misérabiliste et mensonger qui n’a fait qu’alimenter la haine issue de la victimisation.

Il est donc temps de parler vrai. Les victimes sont aussi certains habitants de ces quartiers immigrés ou étrangers honnêtes. Il en existe, et ils sont nombreux, mais ce que je vois c’est comment pendant des dizaines d’années en mettant le couvert sur le réel on a entretenu la guerre entre les citoyens d’un même pays, comme ce fut le cas d’ailleurs au Rwanda, au Cambodge, dans l’ex-Yougoslavie, en Ukraine, aujourd’hui au Moyen-Orient. Comment on prépare sans l’avoir voulu la guerre civile ou tout au moins les massacres à grande échelle ? Prenons donc garde à ce risque autour des drames collectifs des haines communautaires avec leur cortège sanglant d’actes monstrueux encore inimaginables aujourd’hui. Les solutions existent. On les connait. Elles demandent un courage politique qu’on ne voit pas souvent chez nos dirigeants (après eux, le déluge). Ils savent probablement, mais le courage leur manque pour faire en sorte que le réel se découvre et que les mesures nécessaires soient prises aussi douloureuses et délicates qu’elles semblent être et qu’elles sont probablement.

Dans le Figaro Magazine, répondant aux questions de Carl Meeus, Guillaume Roquette et Judith Waintraub, Bruno Retailleau reste droit dans ses bottes et continue d’affirmer que « quand le droit ne protège plus, il faut le changer ». Il balaie les polémiques lancées par la gauche décrite dans cet article, estimant que les Français réclament une reprise de contrôle de l’immigration, « quelles que soient leurs sensibilités, y compris dans l’électorat de la France insoumise ».

Marco Koskas, plus sioniste qu’un Israélien

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Le romancier, auteur de David et Rosalie ou le film dans le film, a quitté la France pour vivre en Israël en 2011. Depuis, on ne le traite plus de « colon » mais son soutien à Netanyahu le coupe du monde littéraire, évidemment de gauche…  


Causeur. Pour quelles raisons avez-vous quitté Paris pour Tel Aviv en 2011 ?

Marco Koskas. Mon fils était parti en Israël étudier dans une yeshiva et je sentais qu’il n’était pas bien là-bas. De mon côté, en tant que sioniste, j’étais de plus en plus mal en France car le mot était en train de devenir un repoussoir. Or pour moi, le sionisme est la seule utopie du XIXe siècle qui ait abouti à une société démocratique. Et puis dans le monde de l’édition, je ne collais plus au mood du moment. Mon dernier éditeur français ne voulait même pas me recevoir. Il était persuadé que j’étais « un colon ». Quand je suis venu présenter mon livre aux commerciaux, il m’a lancé : « Tendez la main aux Palestiniens ! ». Lui qui refusait de me tendre la sienne… Les écrivains juifs en France se disent rarement sionistes. Il y a BHL bien sûr, sur un mode mélancolique ces temps-ci. Et Dieu merci, Georges Bensoussan pour remettre les pendules à l’heure ! Mais des non-juifs se font aussi entendre, comme Houellebecq et Onfray… J’ai donc émigré pour la deuxième fois, car la première c’était de ma Tunisie natale vers la France.

Cela a-t-il changé votre façon de travailler ?

Je me suis mis à écrire sur l’émigration française à Tel Aviv. Je faisais partie d’une bande, c’était gai, on se marrait, je vivais une deuxième jeunesse. Ça a donné Bande de français, refusé par tous les éditeurs, même ceux qui m’avaient souvent publié. Je me suis alors auto-édité sur Amazon. Ce devait être mon oraison funèbre d’écrivain, mais grâce à Patrick Besson, mon livre s’est retrouvé sur la liste du prix Renaudot ! Scandale ! Libération a alors fait de moi un portrait carrément antisémite.

Et en Israël, en a-t-on parlé ?

Oui, et ça a fait du bruit. L’hebdo culturel de Haaretz m’a consacré sa couverture en bad boy. Je me souviens de la fille qui m’a interviewé : elle avait les yeux de la jeune Charlotte Rampling mais me lançait des regards noirs parce que je ne déversais aucune haine contre Netanyahu et que je revendiquais mon sionisme. Or en Israël, il est de bon ton, à gauche, d’être post-sioniste.

C’est-à-dire ?

Le post-sionisme, c’est une critique du sionisme au regard des « souffrances » du peuple palestinien. Mais la question occultée est : pourquoi y a-t-il deux millions d’Arabes parmi les neuf millions d’Israéliens si la Nakba a bien eu lieu ? Il n’y a d’ailleurs pas d’iconographie de la Nakba. L’historien palestinien Elias Sanbar lui-même le regrette, n’ayant trouvé que cinq photos en tout et pour tout.

Vous entretenez des liens avec les écrivains israéliens ?

Pas vraiment, je ne suis sans doute pas assez de gauche ! Mais j’adore certains d’entre eux. David Shahar, un géant, mais il est mort. Et Zeruya Shalev, Alona Kimhi, Shani Boianju, une pépite, traduite chez Robert Laffont.

Donc j’imagine qu’avant le 7 octobre, vous ne défiliez pas dans la rue chaque samedi contre la réforme judiciaire…

Non, car pour moi cette réforme n’est pas essentielle. Elle nous a déchirés inutilement. Le gros problème interne du pays c’est la spéculation immobilière. C’est contre ce fléau qu’il faut se battre. C’est une vraie catastrophe.

Après le 7 octobre, des Israéliens ont décidé de quitter Israël. Et vous, vous y pensez ?

Quitter Israël ? Certainement pas ! Je suis plutôt convaincu que la plupart des juifs devront quitter l’Europe tôt ou tard car le changement de population mènera à la dépénalisation de l’antisémitisme. Et puis, comme disent les vieux juifs tunisiens : « J’ai pas d’autre endroit pour aller ! »

David et Rosalie ou le film dans le film, de Marco Koskas, Galligrassud, 2024. 153 pages

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Enfances irréconciliables ?  
Le pogrom du 7 octobre survient alors que Marco Koskas finit un manuscrit sur la relation de Romy Schneider et Sami Frey pendant le tournage de César et Rosalie. Comment continuer ce livre quand un tel massacre a lieu en direct sous vos yeux et que s’ensuit une guerre de survie face au Hamas ? Dans un premier temps, l’auteur abandonne son texte. Son « hypothèse romanesque » entre les deux acteurs lui paraît alors dérisoire. Mais après le premier choc, il y revient en se demandant ce qu’a pu ressentir Sami Frey, enfant rescapé de la Shoah, ce 7 octobre. Et cela donne quelques pages poignantes de David et Rosalie, l’impossible histoire d’amour entre Romy Schneider, dont la mère était une favorite de Hitler, et Sami Frey, fils de Perla Wolf, gazée à Auschwitz quand il avait cinq ans.
Revisiter ce film légendaire à l’aune de cette relation était déjà une idée aussi osée que captivante ; écrire ce film dans le film a été une gageure : « Ça ne pouvait pas être un roman et pas davantage un document, explique l’auteur. Je voulais juste imaginer ce qui a pu se produire entre les deux acteurs en calquant ma chronologie sur la chronologie du film. Du casting jusqu’à à la première au Normandy, en passant par le tournage. »
L’écrivain leur prête des sentiments et des pulsions qu’ils n’ont certainement pas eus mais reste convaincu de ne pas être loin de la vérité. En amoureux du cinéma français, Marco Koskas scrute le film à la loupe et déniche dans chaque séquence ce qu’il désigne comme une trace, sinon une preuve ou un écho du film dans le film qui échappe même à son réalisateur.
Y a-t-il eu finalement une histoire entre Sami et Romy, se demande Koskas ? Pour lui, il y a eu une relation, sans doute tumultueuse et compliquée, mais invisible à l’œil nu. Le romancier a tous les droits (ou presque) ! Tandis que le film de Sautet, léger comme les années 70, était un hymne à la joie de vivre, ce récit inattendu intercale désormais dans ce face à face le drame de deux enfances irréconciliables. On aimerait connaître la réaction du beau Sami. Le lira-t-il ?
M.N.

Fausses confidences et goût inachevé

Une nouvelle production des Fausses confidences, de Marivaux, vient de débuter au Théâtre de Carouge, à Genève, avant une tournée de plusieurs mois en France. La mise en scène d’Alain Françon et la plupart des comédiens sont remarquables, mais l’ensemble peine à séduire.


Un décor élégant mais simple, presqu’effacé, multipliant à l’envi les ouvertures entre scène et coulisses, et fait tout exprès pour favoriser l’avalanche des entrées et des sorties des protagonistes : assurément, la mise-en-scène des Fausses confidences semble être une translation dans l’espace de la vivacité, de la fluidité de la langue, de l’ivresse verbale de Marivaux et des rebondissements de la comédie. Tout cela étant composé en une partition diaboliquement volubile que l’orchestre d’acteurs réunis par Alain Françon exécute en virtuose.

Son pouvoir de démiurge

De cette éblouissante symphonie de sentiments cachés, de non-dits, d’ambitions contradictoires, de désirs inavoués, de fausses confidences où l’écriture de Marivaux égale celle de Mozart, on sort un peu étourdi, mais sans l’ivresse, hélas ! ressentie dans ce même Théâtre de Carouge, aux portes de Genève, lorsqu’Alain Françon y avait mis en scène Le Misanthrope avec un génie du théâtre éblouissant.

On espérait avec Les Fausses confidences un nouvel émerveillement.  On s’est retrouvé quelque peu désenchanté. Certes, le spectacle est de belle facture. Mais du metteur en scène de La Trilogie de la villégiature ou de La Locandiera, on attendait un nouveau miracle. Et il n’est pas survenu, comme si cet homme qui est un formidable directeur d’acteurs avait abdiqué de son pouvoir de démiurge.

Avec un tel aplomb

Bien évidemment, avec une voix métallique et tranchante, Dominique Valadié est magnifique dans le rôle de Madame Argante. Que pourrait-elle d’ailleurs être d’autre ? Vêtue de noir avec une élégance certaine, et une imperceptible raideur dans sa démarche qui trahit la dureté de son personnage, elle l’impose avec un tel aplomb, une telle sûreté, une telle intransigeance, qu’on ne pourrait l’imaginer autrement que sous l’aspect qu’elle en propose. Avec elle, Gilles Privat, en valet Dubois un peu inquiétant et terriblement manipulateur, est l’autre grande figure de la production. À qui s’ajoutent le charme de Zerline, l’esprit de Suzanne, incarnés par la délicieuse Yasmina Remil qui prend la figure de Marton, la jeune dame de compagnie de l’héroïne de la pièce. Comme dans un inventaire, on leur adjoindra le Lubin gauche et naïf de Séraphin Rousseau et le chaleureux et tonitruant Monsieur Rémy de Guillaume Levêque.       

Cela pêche en revanche quelque peu du côté de Pierre-François Garel, interprétant Dorante, le soupirant transi. Derrière une figure assez avantageuse, il y a en lui quelque chose d’inconsistant, d’insaisissable, comme s’il était étranger à son personnage, comme s’il n’avait pas su tirer le meilleur de lui-même. Avec un Alexandre Ruby en grand seigneur de comédie à la voix forte, mais lui-même un peu pâle, ces deux figures masculines des Fausses confidences manquent quelque peu d’étoffe. Eh bien involontairement, sans doute, vous laissent sur votre faim.   

Un léger malaise

Cependant c’est avant tout de l’Araminte de Georgia Scalliet que naît le malaise. Non pas qu’elle ne soit une bonne comédienne. Une brève scène de colère où elle apparaît brusquement elle-même la dévoile tout à fait remarquable. Mais comme tant d’actrices de sa génération, telles qu’on les découvre par exemple aujourd’hui sur la scène de la Comédie Française où elle se produisit de 2009 à 2020, elle affecte une manière de jouer qui décrédibilise son personnage. D’ailleurs, elle ne joue pas véritablement, elle ne s’incarne pas dans Araminte. Avec un ton qui donne à penser qu’elle serait en train de lire et de méditer un texte qu’elle possède parfaitement, elle semble prendre bien soin de n’y pas toucher, de le survoler avec un je-ne-sais-quoi de neutre et de détaché. Comme si elle tenait à faire savoir qu’elle n’est nullement le personnage qu’elle représente sur scène, mais bien une actrice s’appliquant à servir avec quelque distance le texte de Marivaux. Cet arrière-goût d’inachevé produit un jeu (un non-jeu comme on affiche de la non-danse) qui évidemment ne parvient jamais à convaincre. Et on a peine à comprendre qu’un directeur d’acteur aussi exigeant, subtil et profond que Françon, celui d’Avant la retraite de Thomas Bernhard, du Misanthrope ou de La Seconde surprise de l’amour, ne se soit pas attaché à imposer à ses comédiens plus d’authenticité, de présence et de force.

Cette réalisation du Théâtre des Nuages de neige, coproduite une nouvelle fois par le Théâtre de Carouge, par le Théâtre des Célestins à Lyon et par le Théâtre Montansier de Versailles va parcourir la France. Une fois encore, il est probable que le spectacle va, avec le temps, prendre de l’assurance et de l’ampleur. Et sans doute les spectateurs futurs y trouveront-ils plus de satisfaction. À Genève, où les salles du théâtre sont combles, le public ménage un accueil chaleureux à ces Fausses confidences au goût d’inachevé.


Prochaines représentations
Jusqu’au 19 octobre 2024 : Théâtre de Carouge, à Genève
Les 30 et 31 octobre : Théâtre Equilibre, à Fribourg
Du 6 au 17 novembre : Théâtre des Célestins, à Lyon
Du 23 nov. au 21 décembre : Théâtre des Amandiers de Nanterre
Du 8 au 10 janvier 2025 : Théâtre de l’Empreinte, à Brive
Les 15 et 16 janvier : Scène nationale, à Albi
Du 22 au 26 janvier : Théâtre Montansier, à Versailles
Les 30 et 31 janvier : Opéra de Massy
Du 5 au 8 février : Théâtre national de Nice
Les 12 et 13 février : Théâtre Saint-Louis, à Pau
Les 25 et 26 février : Maison de la Culture d’Amiens
Du 4 au 6 mars : Le Quai, à Angers
Du 18 au 21 mars : Théâtre du Jeu de Paume, à Aix-en-Provence
Du 25 au 29 mars : Théâtre de Caen
Du 2 au 5 avril : Théâtre d’Annecy
Du 8 au 11 avril : Comédie de Saint-Etienne

Un Vatican musulman?

C’est le projet du Premier ministre albanais, dont le pays est candidat à l’adhésion à l’Union européenne.


La création d’un micro-État musulman sur le modèle du Vatican : voilà l’ambition du Premier ministre albanais.

Se confiant au New York Times, le 21 septembre, Edi Rama a annoncé le projet d’installer un État souverain, s’étendant sur une superficie de 11 hectares (un quart de celle de la cité papale), dans sa capitale, Tirana. Avant que les populistes européens bondissent pour dénoncer encore une avancée des forces de l’obscurantisme islamiste, il faut savoir que l’État en question relèverait du courant soufiste, qui représente le versant mystique et ésotérique de la religion musulmane. Le soufisme, très à la mode parmi les babas cool occidentaux à partir des années 1960, est considéré comme hérétique par la majorité des sunnites et chiites, et vilipendé par tous les intégristes. Le nouvel État souverain serait confié à l’ordre Bektachi, une branche dissidente du chiisme datant du XIIIe siècle et implantée surtout en Turquie. En 1925, le très laïc Kemal Atatürk a fermé tous ses locaux, obligeant le centre mondial bektachiste à s’établir en Albanie en 1929. Le chef spirituel de l’ordre aujourd’hui est Baba Mondi dont le nombre des ouailles dans le monde pourrait s’élever à 20 millions. Son simili Vatican contrôlerait ses frontières, jouirait de sa propre administration et délivrerait ses propres passeports. Au grand dam des islamistes, le bektachisme n’impose pas aux femmes le port du voile ou de la burka, et tolère la consommation d’alcool, notamment le raki, une eau-de-vie locale. Rama, qui est catholique comme l’Albanaise la plus célèbre, la mère Teresa, dit vouloir promouvoir une version plus tolérante de l’islam. Si les textes législatifs sont apparemment en cours de rédaction, il faudra attendre l’approbation du Parlement.

Mais Rama est un homme d’action : il a déjà attiré des investissements considérables pour son pays de 2,5 millions d’habitants à travers des accords sur les migrants avec le Royaume-Uni et l’Italie. Il cherche aussi à rehausser l’image de l’Albanie en vue de son adhésion éventuelle à l’UE qui est en attente depuis quinze ans. Mais ne soyons pas cyniques : s’il fait rager les islamistes, que Dieu l’entende !

Annus horribilis

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Un panneau commémoratif des victimes et des personnes kidnappées lors de l'attaque du Hamas au festival de musique Nova, dans le sud d'Israël, le 19 septembre 2024 © Nir Alon/ZUMA Press Wire/Shutter/SIPA

Si l’opération pagers piégés contre le Hezbollah a été une parenthèse réjouissante dans la guerre menée par Israël, l’onde de choc du 7-Octobre n’en finit pas d’ébranler, au-delà du Proche-Orient, toutes les sociétés occidentales. Cruel paradoxe : le pogrom du Hamas a ravivé l’antisémitisme dans le monde et vaut à l’Etat juif d’être accusé de génocide.


Pendant quelques heures, la guerre a ressemblé à un épisode de Star Wars quand les forces de l’Alliance mettent la pâtée à celles de l’Empire. Les gentils qui tuent (ou blessent) des méchants proprement et, en plus, se foutent de leur gueule. Pénétrer le système de communication de l’ennemi, fabriquer des bombinettes individuelles et en plus les vendre à ceux qu’elles devaient frapper – on espère qu’ils les ont payées : la toile soigneusement tissée par les services de renseignement israéliens pour piéger des milliers de combattants et auxiliaires du Hezbollah, par le truchement de leur pager puis de leur talkie-walkie, sera un jour la trame d’une haletante série Netflix. En attendant, cette opération magistrale a certainement offert à beaucoup d’Israéliens, et à ceux qui, dans le monde, ont le souci d’Israël, leurs premiers instants de joie sans mélange depuis ce funeste samedi. Soudain, les djihadistes associés qui, de Sanaa à Gaza, de Beyrouth à Téhéran, pensent que tuer des juifs est une mission sacrée, n’étaient plus ces ennemis féroces et redoutables, mais des guignols qu’on aurait dit inventés pour stimuler la créativité des rigolos d’internet. La vraie guerre, celle où des avions larguent des bombes, a repris ses droits, avec son cortège de vies innocentes broyées au nom de la tragique nécessité de tuer des enfants pour protéger les siens – nécessité qui ne se justifie que par l’ignominie de combattants planqués parmi les civils et qui doit être mesurée, et éventuellement contestée, à l’aune de chaque situation particulière. On doit en effet pouvoir en même temps dénoncer les crimes du Hamas et des autres et critiquer la conduite de la guerre par Benyamin Nétanyahou.

Cependant, on ne peut pas comprendre ni juger les affrontements en cours sans revenir à l’événement déclencheur et à son « effet de souffle », pour reprendre l’expression de Gilles Kepel[1]. En France et dans l’ensemble de l’Occident, il est à la fois brutal et durable. Kepel observe que le 11-Septembre n’avait pas « brisé le monde occidental », rappelant que Le Monde, « peu suspect d’atlantisme, avait alors intitulé sa une : “Nous sommes tous américains”. Cette solidarité n’a plus cours. La nouvelle razzia, écrit-il, a « fracturé de l’intérieur l’hégémonie de “l’Occident” avec une ampleur inédite. Celui-ci s’est vu diabolisé par ricochet et qualifié dans la foulée par une partie de sa propre jeunesse, de “Nord” haïssable auquel s’opposerait la coalition vertueuse du “Sud Global” ». C’est malheureusement la question juive, ou la question antisémite, qui surgit du cratère fumant, nourrissant en même temps le judéo-centrisme et l’agacement souvent légitime qu’il peut provoquer chez nombre de Français, lesquels peuvent se dire, et à raison, que tout ne tourne pas autour des juifs et d’Israël. Pour la sociologue Eva Illouz, qui publie ces jours-ci un essai à ce sujet, ce que les juifs peuvent espérer de mieux, c’est qu’on arrête de parler d’eux. Sans doute, mais qu’on le veuille ou pas, ces histoires de juifs ne sont pas seulement l’affaire des juifs. « Le 7-Octobre a eu pour effet paradoxal de fermer la parenthèse post-hitlérienne de l’Histoire et de relancer l’antisémitisme partout dans le monde », résume Alain Finkielkraut interrogé dans notre grand dossier À en croire toutes les enquêtes, il imprègne à des degrés divers une bonne partie de la société musulmane européenne, pesant sur les positions de dirigeants qui redoutent de froisser leurs minorités. Cependant, pour Pierre Manent, également présent dans nos pages du numéro d’octobre, « après le 7-Octobre, la question n’est pas seulement l’islam, mais l’existence d’un parti politique démocratique qui a choisi délibérément, gratuitement, de faire de la haine d’Israël au sens large, c’est-à-dire à la fois de l’État d’Israël et du peuple juif, le fédérateur de son projet politique. »

Le renversement est inouï. Pour la première fois depuis la fin du nazisme, une agression génocidaire qui rappelle le nazisme est perpétrée contre des juifs. Et le stigmate « génocide » est retourné contre Israël, accusé de tuer sciemment des civils, sans que quiconque explique par quel moyen plus humain il pourrait garantir à sa population qu’elle ne subira plus jamais ça. Jérôme, un lecteur fidèle, nous reproche de déroger à notre principe de pluralisme et de confrontation aux opinions contraires. « Depuis le 7-Octobre, pas une semaine sans un article défendant Israël ou clouant au pilori la contestation de son action. J’ai l’impression de subir une forme d’endoctrinement à laquelle Causeur ne m’avait pas habitué. Je pense que ce conflit en Israël affecte votre propre rationalité. » Que nos appartenances individuelles pèsent sur notre lecture des événements, c’est indéniable et inévitable. Ceci étant, Jérôme a peut-être raison. Peut-être n’accordons-nous pas assez de place à la critique d’Israël – notre circonstance atténuante étant que la plupart des médias ne s’en privent pas. De plus, à Causeur, la discussion à ce sujet se déroule à l’intérieur de l’« arc sioniste », c’est-à-dire entre gens qui croient à la légitimité de l’État juif. Devrions-nous, par amour de la discorde argumentée, interroger un député insoumis ? Peut-on discuter avec une Rima Hassan ou une Danièle Obono qui ont à peine caché leur joie le 7-Octobre ? De quoi parler, avec quels mots quand, de surcroît, la plupart de ces braillards sont d’une inculture crasse au sujet de cette Palestine qu’ils aiment du fleuve à la mer – sans avoir la moindre idée du fleuve et de la mer dont il est question. Cette digression est un brin oiseuse, dès lors qu’aucun n’accepterait de parler à un média sioniste – entre autres crimes. Même en dehors des cercles militants, Richard Prasquier observe que, depuis le 7-Octobre, des relations se sont tendues, distendues ou rompues. Je ne suis pas sûre qu’un Rony Brauman, l’un des défenseurs les plus civilisés de la cause palestinienne, accepterait aujourd’hui de reprendre notre dialogue d’autrefois. Mais il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre.

Ne nous racontons pas d’histoires : après Auschwitz, on a fait de la poésie (et beaucoup d’autres choses moins glorieuses), après le 7-Octobre, on continue à vivre, aimer, travailler, consommer. Certains se sont même passionnés pour la composition du gouvernement Barnier. On a dit que plus rien ne serait comme avant et bien sûr beaucoup de choses sont comme avant. Mais quelque chose s’est brisé, qui ne sera peut-être jamais réparé.

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[1] Gilles Kepel, Le Bouleversement du monde, Plon, septembre 2024.

Tous les défauts du « Monde »

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Gilles-William Goldnadel © Hannah Assouline

Le grand quotidien du soir a perdu son statut de journal de référence aux yeux de la plupart de ses contemporains.


Il y a désormais une « affaire Le Monde », que de nombreux médias osent affronter de face. Pas seulement une affaire « Le Monde vs Israël », déjà souvent traitée depuis la création du quotidien vespéral à la Libération par un Hubert Beuve-Mery qui ne s’était pas couvert de gloire pendant l’Occupation. Le journal n’a en effet jamais beaucoup porté l’État juif dans son cœur (si l’on excepte peut-être la période où André Scemama occupait la place de correspondant à Jérusalem), le pic de sa détestation se situant, en dehors de la présente période, à celle où Edwy Plenel en était le rédacteur en chef, avec pour conséquence la plénélisation idéologique de toute une génération de jeunes journalistes, devenus, souvent de façon inconsciente, plus militants qu’informants, leur esprit critique extrêmement acéré envers une nation occidentale et juive n’ayant d’égal que leur indulgence extrême pour un mouvement terroriste musulman et oriental.

Mais depuis le 7-octobre, le journal a basculé, sous l’empire de ce prisme, dans une détestation totale qui l’autorise à présent à tenir pour « modéré » le défunt chef du Hamas, ou à s’interroger sur la nature éventuellement terroriste de l’« opération bipeurs », sans fustiger en rien un Hezbollah qu’il ne nomme jamais terroriste nonobstant son classement comme tel par l’Union européenne.

Mais si le litige avec Israël est vieux comme Le Monde, une affaire d’ordre déontologique a pris jour. Elle concerne, dans le cadre du procès moral et politique en parti pris contre l’État juif, son rédacteur plus spécialement chargé de l’étranger, Benjamin Barthe, et son épouse Muzna Shihabi. Le premier, ancien correspondant en Israël, ne cache même pas son aversion pour cet État. Il suffit de se rendre sur son compte X pour constater sa franchise absolue. Les plus anti-israéliens, et davantage encore, y trouvent ses faveurs, jusqu’à François Burgat, poursuivi pour apologie.

Quant à son épouse, activiste palestinienne assignée pour le même délit, elle a chanté le 7-octobre et pleuré le défunt chef du Hamas jusqu’à recommander son âme à Allah. Avocats sans Frontières la poursuit aussi pour avoir incriminé le « peuple élu ». Je recommande de visiter son compte X baptisé « Free Palestine » pour constater que je suis bien en dessous de la consternante réalité.

Certains observateurs ont cru devoir reprocher à Barthe une sorte de contradiction d’intérêts entre son épouse d’une part et son journal de l’autre. Je ne partage pas ce point de vue. Ceci posé, je note que sa collègue Ivanne Trippenbach, elle aussi membre de la rédaction du Monde, a été suspendue quand son conjoint travaillait pour Gabriel Attal à Matignon. En cette circonstance, l’ombrageux quotidien sait être sourcilleux. Mais partager la vie d’un collaborateur du Premier ministre est évidemment beaucoup plus grave que d’être uni à la groupie d’une organisation terroriste…

Il n’y a donc pas d’affaire Barthe et l’affaire « Le Monde vs Israël » est dépassée. Il n’y a plus que la perte de crédibilité accélérée d’un journal autrefois de référence, et pas seulement à cause de sa détestation d’un pays agressé. À force de mordre trop, les crocs sont élimés.

Mais après tout c’est son affaire.

Procès des assistants parlementaires du RN: Marine Le Pen récuse que tout soit suspect

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Paris, 30 septembre 2024 © Gabrielle CEZARD/SIPA

Lors de la première semaine du procès des assistants parlementaires européens du RN, Marine Le Pen a expliqué que les prévenus n’étaient pas des fonctionnaires mais bien légitimes à faire de la politique comme ils l’entendaient pour les élus du peuple dont ils s’occupent. Elle a récusé tout soupçon de détournement financier. Récit.


Ce 30 septembre 2024 s’est ouvert à 13h30 le procès des assistants parlementaires européens du Front national (devenu Rassemblement national) à la 11è chambre du Tribunal correctionnel de Paris, sous la présidence de Mme Bénédicte de Perthuis.

Pour rappel des faits : le 9 mars 2015, Martin Schulz, alors président du Parlement européen, dénonce auprès du ministre de la Justice français une possible utilisation frauduleuse des fonds versés aux députés européens du Front national pour la prise en charge de leurs assistants parlementaires, représentant un potentiel préjudice annuel de 1 500 000 €. Le président socialiste (SPD) du Parlement européen précise avoir également saisi l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude (OLAF) afin d’enquêter sur de possibles fraudes au détriment du budget de l’Union européenne. C’est la publication d’un nouvel organigramme du parti Front national en février 2015 qui alerte les services administratifs et financiers de la Direction générale des finances du Parlement européen, laquelle relève que seize députés européens et vingt assistants parlementaires (quatre Assistants Parlementaires Accrédités (APA) et seize Assistants Parlementaires Locaux (APL)) occupent des fonctions officielles au sein du Front national. Dès lors, ces services suspectent des entorses aux textes européens en vigueur, qui prévoient notamment que les salaires versés par le Parlement européen aux assistants parlementaires ne peuvent servir directement ou indirectement à financer des contrats établis avec des partis politiques et que seuls peuvent être pris en charge les frais qui correspondent à l’assistance parlementaire nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés européens.

28 prévenus

Après le long et fastidieux exposé – selon les dires mêmes de la Présidente du tribunal – des charges contre les 28 prévenus, dont certains ont été excusés, les débats se sont ouverts sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Me de Caunes, avocat de Mme Marie-Christine Boutonnet, rappelle l’arrêt du 25 janvier 2017 qui dit qu’« un parti n’est pas investi d’une mission de service public, l’administration ne peut pas contrôler l’activité des partis » et dénonce « l’envie du pénal » du regretté écrivain Philippe Muray pour qualifier cette procédure injustifiée aux yeux de la défense.

Venu à la barre, M. Bruno Gollnisch ajoute que « l’ensemble de cette procédure est contraire au principe de séparation des pouvoirs », et pointe l’imprécision des textes en se référant à un arrêt du 4 février 2017 disant que le juge judiciaire ne saurait contrôler les tâches accomplies par un assistant parlementaire. Le conseil de Mme Le Pen, Me Bosselut, interroge dès lors la pertinence même des poursuites: « Nous sommes dans une situation unique où des règles internes, élaborées par le Parlement européen à vocation uniquement administrative, aboutissent à une poursuite pénale. » Pour la défense, « la liberté parlementaire est mise à mal par le Parlement européen qui souhaite transformer les assistants parlementaires en agents de l’institution. » L’avocat de Marine Le Pen interroge : « Le tribunal va porter jugement sur le travail parlementaire, en disant si l’activité militante est trop importante ou pas assez. Je vous le demande : où met-on le curseur ?». Et Marine Le Pen d’abonder dans son sens, lors d’une suspension de séance : « Personne ne remet en cause que nos assistants ont travaillé. C’est la nature du travail qui est discutée. Est-elle politique ou législative ? » À la reprise, la QPC est annoncée jugée recevable par le tribunal mais ne donnant pas lieu à un renvoi devant la Cour de cassation.

Le tribunal, tout comme le ministère public, entendent au contraire élargir la prévention au-delà des contrats jugés litigieux, courant de 2004 à 2017, jusqu’à cinq ans avant et après ces dates. Face à cette information inédite, les avocats de la défense ne manquent pas de réagir à cet élargissement inattendu du périmètre de l’affaire, alors que lesdits contrats ne sont pas visés nommément dans la prévention. La défense soulève ainsi la question de savoir si l’on peut condamner des contrats au titre de la personne morale (le Front national) sans condamner les personnes physiques signataires desdits contrats. Pour se justifier, le tribunal présente les tableaux annexés qui classent les différents contrats comme extensifs de la prévention, ce qui porterait le préjudice éventuel pour le Parlement européen de 3,213 à 4,503 millions d’euros. Les tableaux projetés par le tribunal estiment que Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen représentent 47% du volume de la fraude présumée. Selon ce nouveau calcul que découvrent les prévenus et la défense lors de l’audience, l’amende, qui pour une personne morale peut atteindre jusqu’à cinq fois le montant des fonds détournés, pourrait ainsi monter jusqu’à 27 millions d’euros. En cas de condamnation, il va sans dire que cette facture viendrait immanquablement plomber les comptes du Rassemblement national et peser très lourdement sur le financement des prochaines campagnes électorales.

« L’activité politique est indissociable du mandat électoral »

Au troisième jour, alors que la nuit tombe déjà sur le Tribunal correctionnel, forte de ses annotations rédigées avec son stylo quatre couleurs doré, Marine Le Pen s’avance d’un pas assuré à la barre pour apporter des éléments de contexte. Dans son argumentation, l’ancienne présidente du Front national puis du Rassemblement national tient à démontrer que « l’activité politique est indissociable du mandat ». Marine Le Pen remarque que « dans ce dossier, il y a énormément d’a priori. Il y a énormément d’idées préconçues, et ces idées préconçues, j’ai tout de même le sentiment qu’elles ont été fabriquées par la partie civile qui nous a engagés dans une forme de tunnel ».

Pour sortir de ce tunnel, pendant une heure, Marine Le Pen va s’employer à démonter ces différentes idées préconçues.

« Nous sommes la bête noire de l’administration du Parlement européen »

La première idée préconçue que l’ancienne député européenne veut déconstruire est l’image de neutralité qu’aurait le Parlement européen. Marine Le Pen affirme que « la direction de l’administration du Parlement européen n’est pas une direction neutre, [que] c’est une direction politique ». « M. Martin Schulz, le président du Parlement européen, est un homme politique qui a eu des responsabilités politiques éminentes au parti socialiste dans son pays, l’Allemagne », rappelle-t-elle, avant de dénoncer un deux poids deux mesures en rappelant les affaires Podemos ou de l’assistant de Martin Schulz. « Nous sommes la bête noire de l’administration du Parlement européen… Tout le montrera, les déclarations de M. Schulz, publiques, politiques, contre le Front national, il en existe un certain nombre. Clairement, il se positionne comme un opposant politique ». L’ancienne présidente du Rassemblement national pointe d’ailleurs la concomitance des enquêtes avec les succès électoraux du parti à la flamme tricolore. « Quand on était trois : bon. Sept : bon, ça va encore. Mais alors 24 ! Ça, c’est insupportable. Le lendemain de l’élection, l’OLAF commence à engager une enquête, pas sur la base d’une lettre de dénonciation qui concernerait deux assistants, souligne-t-elle, l’OLAF enquête sur tous les assistants de Marine Le Pen, y compris du mandat précédent. » Reprenant sa casquette d’avocate, Marine Le Pen souligne l’absence, étonnante pour des juristes français, accordée aux droits de la défense dans les procédures européennes. Ainsi le tribunal de l’Union européenne a refusé de recevoir ses pièces justificatives au titre que celles-ci n’avaient pas été remises précédemment à l’OLAF, que Marine Le Pen considère de parti-pris, raison pour laquelle, dit-elle, elle ne lui avait pas remis les pièces en question. Elle remarque par ailleurs que la Cour de justice de l’Union européenne n’est pas « une cour d’appel mais une cour de cassation », et que « l’Union européenne n’est pas adhérente de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)

« Il y a des cultures politiques très différentes d’un pays à l’autre »

L’autre idée reçue que Marine Le Pen souhaite démonter, « c’est que toutes les cultures politiques sont les mêmes. M. Klethi (directeur financier du Parlement européen) l’a dit d’ailleurs, et il a eu raison de le dire : il y a des cultures politiques très différentes d’un pays à l’autre. » M. Didier Klethi, directeur financier du Parlement européen, a bien dit à la barre que les députés étaient en effet libres de faire ce qu’ils veulent de leurs assistants. Il a même employé malencontreusement l’expression “acheter leurs assistants”. Le directeur financier illustrait son propos en révélant que dans certains pays, des députés ont jusqu’à « une quinzaine voire une trentaine d’assistants », vu que les salaires des assistants sont fonction des pays, mais que l’enveloppe mensuelle alloué à chaque élu (17 652 € en 2019 et 24 554 € en 2024) est la même quel que soit le pays membre de l’Union européenne. On pourrait s’interroger sur la nature du travail d’un staff aussi pléthorique, mais cela ne semble pas avoir alerté le Parlement européen à ce jour !

L’ancienne présidente du Front national s’étonne que M. Schulz s’insurge qu’il y ait « des gens qui sont assistants parlementaires et qui ont des fonctions politiques » quand il découvre l’organigramme du parti. Pour l’ancienne élue du Front national, « ça paraissait être une évidence », et elle ajoute qu’elle ne comprenait absolument pas où pouvait être le problème, avant que tout s’éclaire : « Puis j’ai compris. En Allemagne, le salariat en politique est la règle et le bénévolat l’exception. En France, en politique, le bénévolat est la règle, et le salariat est l’exception ! »

Puis, Marine Le Pen explique que dans la pratique, il n’y a pas de différences de travail entre les assistants parlementaires accrédités (APA) et les assistants parlementaires locaux (APL). Marine Le Pen illustre ses propos en se référant à l’enquête du livre de Sébastien Michon, Les assistants parlementaires au Parlement européen (Michel Houdiard Éditeur, 2005), lequel démontre que « les assistants parlementaires européens sont exactement comme [des] assistants parlementaires français ». « Et d’ailleurs, on ne voit pas pourquoi il y aurait une différence entre les deux ! » pointe la députée du Pas-de-Calais. « On ne voit pas pourquoi un député européen aurait moins de droits qu’un député national et ferait de la politique différemment qu’un député national… En réalité, Sébastien Michon nous explique que les assistants locaux sont des militants qui sont embauchés pour faire de la politique avec leurs députés, ce que l’Assemblée nationale résume dans ces textes par : l’activité politique du député est indissociable de son mandat. »

« J’ai l’impression que quoi que je fasse, tout est suspect »

Marine Le Pen s’étonne ainsi que tout soit considéré comme suspect dans ce dossier. « J’ai l’impression que quoique je fasse, tout est suspect. » L’ancienne députée au Parlement européen égrène les différentes suspicions de l’OLAF : « Les assistants sont membres du parti, c’est suspect », et l’ex-candidate à l’élection présidentielle d’ironiser : « alors que si on avait pris des assistants de La France Insoumise, ce serait passé crème… Mais là, franchement, le fait que ce soit des gens qui partagent nos idées, c’est suspect ! Moi je trouve que c’est tout à fait logique et tout à fait cohérent que l’assistant parlementaire partage les idées de son député. D’ailleurs, M. Michon, dans son livre, dit la même chose, puisqu’il dit qu’évidemment l’assistant parlementaire se recrute au sein des adhérents, des militants du parti politique qui a fait élire les députés européens. »

L’ancienne député européenne pointe d’ailleurs un rapport de l’OLAF affirmant qu’il n’y a aucun soupçon sur dix assistants parlementaires… parce qu’ils n’étaient ni membres d’un parti politique ni candidats à quoi que ce soit. « Comme si c’était une tare d’avoir été candidat, y compris à une élection municipale par exemple, ou cantonale, ou d’être membre d’un parti ! A contrario, être membre d’un parti, c’est suspect ; et avoir été candidat est suspect… Et ça va plus loin, l’OLAF dit : certains sont membres d’associations souverainistes, c’est suspect… Ou de défense de la minorité chrétienne persécutée. Je ne vois pas pourquoi ce serait plus particulièrement suspect qu’autre chose, mais l’OLAF, lui, le dit. » Tout comme « certains assistants travaillent au siège du parti, c’est suspect. Eh bien non, ce n’est pas très suspect, argumente l’ancienne présidente du Rassemblement national, parce qu’en réalité les députés dont ils sont eux-mêmes les assistants travaillent aussi au siège du parti, donc qu’ils aient leurs assistants à côté d’eux, ce n’est pas très suspect. »

« On dépend des élections »

Marine Le Pen s’étonne ensuite que soit relevée la fragilité financière du Front national, car cela est selon elle le cas de tous les partis politiques soumis aux aléas des résultats électoraux. La députée raconte qu’à l’époque des faits, l’UMP avait 82 millions d’euros de dettes, et que malgré cela, « il y a une bonne banque qui les a suivis ; nous on a du mal à trouver des banques, mais eux manifestement, et malgré 82 millions d’euros de dettes, elles étaient toujours là pour les soutenir. Ils ont encore 9 millions de dettes, et ça n’a pas l’air de leur poser un problème majeur. » Marine Le Pen explique que les financements dépendent pour tous les partis des résultats électoraux. « C’est la vie d’un parti politique : un coup on gagne, un coup on perd. On dépend des élections. C’est un édifice fragile un parti politique. » La chef de l’opposition explique que la gestion d’un parti est évidemment bien différente d’une entreprise, où employeur et salarié ont une relation contractuelle. « Il y a des épreuves en commun, il y a des victoires en commun, il y a des défaites en commun, il y a des tristesses en commun. Il y a des gens qui sont là depuis très longtemps, qui ont sacrifié de leur vie, de leur tranquillité, de la tranquillité de leur famille, parfois leur emploi. Il y a des ambitions, aussi. » L’ancienne candidate à l’élection présidentielle explique que la reconnaissance du travail militant passe pas l’attribution de titres au sein du parti, dans le fameux organigramme incriminé par M. Schulz, fonctions qui servent aussi à se faire ensuite élire au sein du Conseil national du parti. « Il y a 400 candidats, il y a en a 100 à élire, si vous mettez conseiller spécial de Marine Le Pen, vous avez plus de chance d’être élu que si vous ne mettez rien ! »

« Assistant parlementaire, la voie royale pour être soi-même député »

Concernant la fragilité des finances du parti constatée par l’OLAF, qui soupçonne un transfert de charges du parti politique sur les fonds du Parlement européen, Marine Le Pen livre des chiffres qui contredisent cette hypothèse.

« 2012, il y a 58 salariés. 2013, il y a en a 60. 2014, il y en a 67. 2015, il y en a 62. 2016, il y en a 95. Si c’était un système pour faire baisser la masse salariale pour pouvoir faire des économies, excusez-moi mais pour le coup, c’est exactement la démonstration inverse que montre l’analyse des chiffres du Front national. » L’ancienne avocate nie tout va-et-vient entre les salariés du Front national et le Parlement européen : « Sur tous les assistants de la prévention, il y en a deux qui effectivement avant de devenir assistants parlementaires étaient salariés du Front national. Même pas, un et demi, parce qu’en réalité, M. Salles était en fin de CDD. » La présidente de groupe à l’Assemblée nationale ajoute toutefois qu’« il y aurait pu avoir plus de salariés, et que ça n’aurait pas été plus suspect. Parce qu’en réalité, encore une fois : qu’est-ce qu’une promotion, quand on est salarié dans un parti politique ? La promotion dans un parti politique, c’est de passer de salarié du mouvement à assistant parlementaire. Assistant parlementaire pour un salarié, c’est un peu le Graal, mais c’est surtout la voie royale pour être soi-même député. Cela aussi, il faut que le tribunal en prenne conscience. L’assistant parlementaire, c’est le vivier des futurs élus, pas seulement les futurs députés, les futurs conseillers régionaux, maires, sénateurs, etc. D’ailleurs, j’en veux pour preuve qu’il y en a énormément, des assistants parlementaires qui sont devenus députés. » Marine Le Pen cite alors M. Aliot, M. Chenu, M. Odoul, Mme Diaz, et d’autres encore.

« On ne peut pas fonctionner à 24 sans être mutualisés »

Marine Le Pen récuse ensuite l’accusation de « système », et ironise sur cette accusation : « Parce que deux salariés passent assistants parlementaires, on parle d’un système qui a été mis en place. Assez défaillant, quand même… » Car, si le nombre de salariés n’a pas baissé, les dépenses de personnel n’ont pas baissé non plus entre 2013 et 2017, selon les documents publics « validés par les commissaires au compte, et déposés à la CNCCFP et validés par la CNCCFP. En 2013, 2 913 678 euros de frais de personnel. 2014 : 3 129 624. 2015 : 3 288 214. 2016 : 3 710 033. 2017 : 4 607 182. Cela ne nous dit pas qu’il y a un mouvement politique qui cherche à gratter des postes auprès de députés européens pour faire baisser sa masse salariale. Ça dit un mouvement politique qui est en pleine ascension électorale, et qui doit faire des investissements », argumente l’élue frontiste. Sur la mutualisation appelée « système » par l’accusation, Marine Le Pen présente cela comme une logique de bonne gestion, une rationalisation naturelle, qui est aussi pratiquée au Parlement européen dans les staffs de groupe. « On ne peut pas fonctionner à vingt-quatre sans être mutualisé » relève-t-elle avant d’ajouter que si 30 députés ont choisi le même tiers-payant en la personne de M. Van Houtte, « ce n’est pas suspect, d’autant moins qu’en matière de tiers payant, il n’y a pas beaucoup de gens qui se sont précipités à la porte du Rassemblement national et de ses députés pour leur proposer éventuellement d’être tiers payant des députés au Parlement européen. Être un prestataire d’élus du Rassemblement national, ou du parti politique d’ailleurs, ça ne vous ouvre pas toutes les portes, ça peut même vous en fermer sur le plan professionnel (…) Même s’il y a beaucoup de gens qui nous aiment bien, de là à accepter (…) »

La présidente du premier groupe politique à l’Assemblée nationale raconte être confrontée à la même problématique au Palais Bourbon avec la recherche des commissaires aux comptes. « J’ai pu proposer aux 143 députés deux choix. Avant je n’en avais qu’un seul. Et je leur ai dit, vous pouvez potentiellement prendre M. ou untel, mais si vous avez des gens que vous connaissez dans vos circonscriptions, aucun problème. » L’élue constate donc qu’avoir un seul tiers payant n’est pas suspect, que c’est naturel et qu’« il y a plein de raisons d’ailleurs pour lesquelles c’est plutôt une bonne chose, la centralisation. »

« Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous sommes des élus du peuple »

Concernant l’activité au sein même du Parlement européen des élus frontistes, Marine Le Pen explique que « c’est compliqué parce que nous sommes des députés non-inscrits à qui on impose le cordon sanitaire. Vous savez que les étrangers disent ça en français ? » Marine Le Pen prononce alors l’expression « cordon sanitaire » avec un accent anglais. « C’est devenu une expression française qu’utilisent en fait les étrangers ! Le cordon sanitaire, ça consiste à dire : Ecoutez, quel que soit le nombre de députés que vous avez, même si vous êtes un groupe, vous n’aurez aucune présidence de commission, aucune vice-présidence (…) aucune place de questeurs, vous n’aurez aucun rapport distribué en commission. Rien, zéro, nada. Vous n’aurez pas une place dans les organes du Parlement européen (…) Et quand vous êtes victime du cordon sanitaire, permettez-moi de vous dire que votre travail législatif se réduit considérablement. (…) Qu’est-ce qu’il vous reste à faire ? Vous n’avez pas de possibilité de déposer des amendements. Vous n’avez quasiment plus de temps de parole. Donc, on fait de la politique. Et ça fait partie de notre mandat, car l’activité politique est indissociable du mandat parlementaire. Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nos assistants parlementaires ne sont pas des fonctionnaires. J’ai encore entendu dans la bouche de M. Klethi cette tendance de l’administration à vouloir transformer tous ceux qui passent à sa portée en fonctionnaires. Nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous sommes des élus du peuple. Nous avons un mandat, nous ne le tenons pas de M. Klethi. Nous le tenons du peuple français, il nous a demandé de faire quelque chose, de défendre nos idées, nous le faisons, et dans le cadre de cette activité politique qui est indissociable de notre mandat parlementaire, nous sommes assistés par des assistants parlementaires. Certains travaillent un peu, les assistants parlementaires font les feuilles de vote, ils ne peuvent rien faire d’autre, alors on leur dit ce que l’on va voter, fais une feuille de vote. Et puis il y a ceux qui avec nous font de la politique. Mais, faire de la politique, encore une fois, cela ne veut pas dire ne pas remplir son mandat. Après, qui va décider quand Marine Le Pen est par exemple députée européen ? Quand est-elle présidente du Rassemblement national – quand elle l’était ? Quand est-elle candidate à la présidentielle, parce qu’après tout il y a des périodes aussi où je suis candidate à des élections, candidate aux régionales, candidate aux présidentielles… S’il va falloir tronçonner ça, je ne vais pas vous être d’une grande aide, parce que quand on m’invite sur un plateau de télévision, quand on m’invitait à l’époque sur un plateau de télévision, on me demandait : on met député ? Présidente de groupe au Parlement européen ? Présidente du Rassemblement national ? – Vous mettez ce que vous voulez, ça n’a pas d’importance, je suis tout cela en même temps ! » Pour compléter son témoignage, l’élue/présidente/candidate justifie les liens entre les élus et le parti politique : « On fait comment pour rencontrer les électeurs ? On sort dans la rue, on prend un mégaphone, on dit : est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un qui a voté pour moi ? Je vais faire une réunion, si vous voulez bien venir ? Bien sûr que non ! On s’adresse au parti politique. C’est lui qui a d’ailleurs la seule richesse d’un parti politique, le fichier. Et qui réserve la salle ? Qui est en contact avec les pompiers pour les problèmes de sécurité ? Qui rédige les documents envoyés ? C’est le délégué départemental en fait ! » Et l’ancienne chef de parti d’abonder : « le parti politique passe sa vie à aider les élus, à se mettre à leur disposition, à leur donner des moyens. Des moyens parfois financiers, on en reparlera sûrement pendant le procès. Des moyens techniques, des moyens humains, des moyens d’implantation pour pouvoir permettre aux députés nationaux et européens d’exercer leur activité politique. » Pour Marine Le Pen, cette interconnexion entre les personnes élues et les militants du parti est donc naturelle, alors que le Parlement européen reproche à des assistants parlementaires d’être aussi délégués départementaux. Il semblerait donc que la vision européenne soit bien différente de la pratique nationale. Comme le souligne une dernière fois la députée au tribunal : « Actuellement, au moment où je parle, il y a dix délégués départementaux qui sont devenus des assistants parlementaires. À l’Assemblée nationale, on n’y voit absolument aucun inconvénient, parce que c’est comme pour beaucoup d’autres fonctions, on ne paie pas un délégué départemental. »

La représentante du RN, « deux fois bavarde », selon ses propres mots, car femme politique et ancienne avocate, s’excuse de l’heure tardive, et remercie enfin la cour de l’avoir autorisée à « cette mise en contexte pendant cette période précise de 2004 à 2016. » Il est 21H50 passées, l’audience est levée et reprendra lundi 7 octobre à 13H30. Le tribunal entendra les parties sur le contrat d’assistant parlementaire de Thierry Légier, garde du corps de Jean-Marie Le Pen puis de Marine Le Pen, contrat considéré comme frauduleux par le Parlement européen.

Il ne faut plus se laisser intimider

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Le magistrat et essayiste français Philippe Bilger © Pierre Olivier

Après ses propos aussi lucides que critiqués, Bruno Retailleau obtient le soutien de 170 députés et sénateurs. De son côté, Jean-Éric Schoettl rappelle que « l’État de droit ne doit pas empêcher de modifier l’état du droit », et Xavier Driencourt donne des pistes pour contraindre les pays maghrébins à délivrer les laissez-passer consulaires pour nos OQTF en attente.


L’exigence du courage se proclame à proportion de la lâcheté qui sévit à peu près partout. Dans la vie intellectuelle et politique, dans l’univers médiatique, dans tous les espaces où en principe la simple audace de s’exprimer librement et tranquillement devrait être sauvegardée.

Mais toutes les démissions ne se valent pas et certaines sont plus redoutables que d’autres, dans leurs effets.

Depuis que Bruno Retailleau a été nommé ministre de l’Intérieur, un débat fondamental a été posé avec vigueur sur la table démocratique : celui de l’État de droit. Non seulement il n’a pas à s’en excuser et feindre de revenir sur certains de ses propos pour complaire mais, au contraire, il doit continuer plus que jamais à user de cette pensée et de ce verbe qui ont l’immense mérite d’avoir toujours été les siens.

Le soutien apporté à Bruno Retailleau a une rançon : celle de laisser croire que Gérald Darmanin, à ce même poste, a démérité alors qu’il a sauvé l’honneur du régalien avant la mise en place du gouvernement de Michel Barnier. Je regrette qu’il semble s’abandonner maintenant à des jeux politiciens avec 2027 dans sa visée.

Il ne faut plus se laisser intimider.

Les déclarations de Bruno Retailleau, en particulier dans un très long entretien au Figaro Magazine, suscitent un vif émoi de la part d’idéologues qui sont ses adversaires compulsifs (le réel qu’il voit, ils ne veulent pas le voir !) ou de naïfs qui ont fait de l’humanisme une opportunité d’abandon et de délitement.

Pourtant cette évidence qu’il énonce : « Quand le droit ne protège plus, il faut le changer », me paraît tellement à la fois de bon sens et d’un authentique humanisme (celui qui se met au service de la majorité des honnêtes gens et de la pluralité des victimes) qu’on aurait pu espérer un consensus quasi général.

A lire aussi, Charles Rojzman: Bruno Retailleau, une chance pour la France?

En effet, sur des statistiques aujourd’hui indiscutées qui révèlent un lien entre une immigration non contrôlée et la criminalité qui peut en en surgir, sur la très faible exécution des OQTF et, plus généralement des peines, sur l’absurde loi sur les mineurs de 2021, le ministre de l’Intérieur affirme ce que la rectitude intellectuelle et le réalisme social et politique devraient inspirer à tous.

Je pense que le nouveau garde des Sceaux, dans son rôle et attentif à le préserver, ne se sentira plus contraint de mettre des bâtons dans les roues de son collègue de l’Intérieur, qui lui-même est parfaitement au fait des grandeurs et des faiblesses de la Justice.

Il ne faut plus se laisser intimider.

J’ai noté avec une grande satisfaction – rien n’est jamais gagné et la lâcheté sait couvrir toutes ses abstentions d’un voile honorable ! – le soutien clair, net et argumenté apporté à Bruno Retailleau par cent soixante-dix députés et sénateurs de la droite républicaine.

Ils ont rappelé que l’État de droit n’a pas vocation à être « intangible » et que le signifier n’a rien qui offense la démocratie. L’État de droit, c’est d’abord ce socle : « le respect de la Constitution, de la séparation des pouvoirs et de nos principes fondamentaux ». Tout le reste peut être évolutif si on veut bien s’attacher à quelques repères inaltérables, à portée moins juridique qu’humaine, sans lesquels la démocratie tournerait à une sorte de sauvagerie officielle. Notamment on ne juge pas deux fois la même affaire, l’exigence de la non-rétroactivité, du principe de la prescription, de l’irresponsabilité pénale (on ne juge pas les déments).

À partir de telles lignes rouges, qui peut soutenir de bonne foi que le pouvoir politique n’aurait pas à mettre toute son énergie au soutien de la sauvegarde sociale et de la tranquillité de chacun ? Qu’oppose-t-on d’ailleurs à cet impératif à la fois humain et juridique ?

Les communiqués du Syndicat de la magistrature, sur ce sujet, nous confirment plutôt que Bruno Retailleau parle vrai et voit juste.

Et, dans un tout autre registre, les propos convenus (pour la haute hiérarchie judiciaire d’aujourd’hui!) du procureur général près la Cour de cassation Rémy Heitz ne sont pas bouleversants au point de nous dissocier de la rudesse lucide du ministre.

Ce n’est pas non plus le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, qui avec une banalité solennelle nous alerte sur le fait que « l’État de droit est la condition de la démocratie » qui nous troublera : on est d’accord avec lui.

Ce n’est pas également ceux qui confondent le jeu de mots avec l’analyse intellectuelle et juridique qui sont susceptibles de nous détourner du point de vue de Bruno Retailleau : soutenir qu’il ne fallait pas confondre l’État de droit avec l’état du droit est amusant mais ne fait pas progresser.

L’excellente tribune de Jean-Éric Schoettl, au contraire, nous éclaire quand il souligne que « l’État de droit ne doit pas empêcher de modifier l’état du droit ». On ne peut que l’approuver quand il écrit ceci : « Le corpus des textes relatifs à la sécurité publique et à l’immigration, lui, n’est pas intangible. Il peut être modifié dans le respect des procédures dans lesquelles s’incarne l’État de droit et, en tout premier lieu, de la procédure législative ».

A lire aussi, Elisabeth Lévy: État de droit, que de frime on commet en ton nom

On pourrait résumer ainsi : l’Etat de droit est un cadre dans lequel l’état du droit apportera sa pierre et ses dispositions avec pragmatisme. En allant aussi loin qu’une démocratie à la fois combative et se limitant pour ne pas se dévoyer le permettra.

Il ne faut plus se laisser intimider.

En particulier par une ultime injonction. Que feriez-vous à la place de ceux qui n’ont que leur bonne volonté ou, pire, leur impuissance à offrir aux citoyens pour les consoler ?

Il est facile de répondre que le volontarisme actif, le courage politique effectif, s’ils étaient mis en œuvre, résoudraient beaucoup de ce qu’on prétend insoluble. Par exemple récemment, l’ancien ambassadeur de France en Algérie (de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020) Xavier Driencourt a proposé plusieurs pistes que la France devrait emprunter pour contraindre l’Algérie à délivrer les laissez-passer consulaires. Elles réduiraient sensiblement le nombre d’OQTF en jachère, non exécutées et qui mettent les Français en péril. Il y faudrait presque rien : l’audace attendue de ceux qui nous gouvernent.

Bruno Retailleau doit donner du courage à ceux qui doutent, aux fatalistes, aux frileux. Son plan d’action est de nature à rassurer la « majorité nationale » derrière lui. Son verbe ne sera pas un substitut aux œuvres qu’on espère de lui.

Ne nous laissons plus intimider.

Harmonie Comyn et les élections belges

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DR

L’influenceur islamo-gauchiste ironise sur Harmonie Comyn ? Le voilà candidat aux élections communales !


Les Belges retournent aux urnes, le 13 octobre, afin d’élire leurs représentants communaux et provinciaux. Début juin, ils avaient élu leurs députés régionaux et fédéraux, renvoyant la gauche dans l’opposition (à l’exception d’un strapontin socialiste en Flandre), et surtout, faisant boire le bouillon au parti Ecolo. La Belgique bascule vers le centre-droit et met un terme aux singeries vertes qui la paralysent. Le même scénario est-il à l’ordre du jour pour le suffrage qui se dessine ? On discerne en tout cas une certaine nervosité dans les états-majors écolos.

La déclaration d’Harmonie Comyn, la veuve du gendarme français tué par un récidiviste Cap-Verdien n’était pas passée inaperçue au plat-pays. « Je l’affirme haut et fort, la France a tué mon mari par son insuffisance, son laxisme et son excès de tolérance » asséna-t-elle. Nombre de Belges se sont hélas reconnus dans cette dénonciation de la faiblesse des autorités, plus promptes à distribuer des éco-taxes qu’à traquer les criminels récidivistes.

Mais tandis que la Belgique prenait fait et cause pour l’épouse de l’adjudant-chef mort en service lors d’un contrôle routier, un candidat écolo de la pimpante commune de Rixensart, Rayhan Haddi, n’a pas hésité, lui, à réagir sur Twitter de façon particulièrement ignoble. Il propose en effet à cette jeune veuve, mère de deux enfants, d’« écrire le second volet de Mein Kampf ». Rayan Haddi est un éternel étudiant, visiblement plus occupé à cosigner des tribunes en faveur des Palestiniens[1] ou des étudiants en échec[2] qu’à potasser son droit. Mais comme il est issu de la diversité qui est paraît-il une chance pour la Belgique, Ecolo lui ouvre grand ses portes, peu importe la puanteur de ses propos ! Voué à la disparition, le parti fait visiblement feu de tout bois, et ne voit aucun problème à nazifier une victime et à moquer sa douleur.


[1] https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2024/05/03/lettre-ouverte-le-retrait-du-statut-de-refugie-en-raison-de-lappartenance-politique-met-en-danger-nos-libertes-civiles/

[2] https://www.lesoir.be/578218/article/2024-04-01/reussir-en-excluant-ou-en-accompagnant

Du quartz et des… perles

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Image d'illustration Unsplash

Notre contributrice Marie-Hélène Verdier publie chez l’Harmattan un recueil de nouvelles : L’éléphant de quartz où un imaginaire à bride abattue le dispute à un réalisme poignant.


La première nouvelle nous emmène du côté de la Santé et d’une rue empruntée par deux jeunes filles bras dessus bras dessous et qui se tinrent ainsi le temps d’une joyeuse amitié, laquelle s’interrompit une fois leur vie sortie du champ des possibles pour prendre des formes plus précises qui n’eurent, brutalement, plus rien à se dire. Seule une écriture de la réminiscence peut encore restituer ce qui fut lumineux. La nouvelliste plonge régulièrement dans un passé révolu pour en saisir quelques moments, quelques bribes, voire quelques enluminures oniriques, emportée par un vocabulaire dont on n’a plus l’habitude et qui, dans une sorte d’ivresse d’associations nous donne passablement le vertige. La langue et les références qui l’habitent cavalent à toute allure avec Marie Soleil et destriers à ses côtés.

« Les terrils vont refleurir. Ce matin, la sève montait dans mon tronc, irradiant au bout des doigts, pour s’épanouir en ridules de rires dans mon cerveau. La Vénus du Nord dans un tonneau de fourrure ! La Madone des sleepings dans son étui de chocolat glacé ! Je me souviens du père Avril qui gravissait chaque jour les terrils pour y planter des bouleaux. Il voulait un rang serré de heaumes aux yeux fermés : le rêve samouraï pour une enfance Lorelei et chevaliers. Il fut emporté au sommet par une attaque : le cœur a-t-on dit. Jamais il n’aura vu les fils de ses rêves, les frères Aymon trouant les marais de leur galop mouillé, les terrils sous leur cape. »

Ailleurs, des métaphores aquatiques et solaires, où le bleu et le jaune dominent, colorient un style très pictural. Tableaux impressionnistes qui donnent à voir les sensations et les visions de personnages oscillant entre rêve et réalité, tel ce jeune garçon servant la messe dans une atmosphère sensorielle et mystique, et qui croit entendre « Saint-Pétersbourg » lorsque « le curé Grimbert, qui avalait les syllabes » prononçait trop vite le mot « saeculorum ». Ce qui fera qu’à chaque fois que le nom de cette ville russe sera prononcé, c’est la messe en son entier qui ressurgira à la façon du Venise des pavés inégaux.

La mort s’invite assez souvent dans ces récits, de manière crue et parfois très violente. Et la mélancolie, qui ne lâche pas un instant « l’écrivain public » penché sur ses amours anciennes, cède un instant le pas à une description de la grâce dont un couple marchant dans les rues de la capitale italienne témoigne et à un humour rafraîchissant : « Je suis à Rome avec Anaïs » dit le narrateur qui  s’y trouve des années après. « Je l’ai emmenée pour une conférence que je fais à l’institut français sur un tableau mythique de la Sainte famille à l’éléphant d’après Poussin. Nous allons dans les jardins de la villa Borghèse crayonner Daphné enlevée par Apollon. C’est là qu’Anaîs m’a quitté pour suivre mon collègue historien de l’antiquité tardive. »

Ainsi passe-t-on d’un registre à un autre, surréaliste souvent, lyrique presque toujours, en passant d’une nouvelle à une autre, en compagnie de personnages tamisés par le temps ; le temps ; cette grande affaire de la littérature.

L’éléphant de quartz de Marie-Hélène Verdier, L’Harmattan, 2024 98 pages.

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Bruno Retailleau, une chance pour la France?

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© J.E.E/SIPA

Michel Barnier a promis qu’il allait davantage agir que parler. Son ministre de l’Intérieur, lui, parle beaucoup. Face à lui, tout un magistère moral et médiatique de gauche rêve qu’il se taise.


Il est temps de dire la vérité sur les mensonges de la gauche. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a mis les pieds dans le plat: « l’immigration n’est pas une chance pour la France ».  Une grande partie de la gauche s’est indignée de ces paroles qui reflètent pourtant l’opinion d’une majorité de Français aujourd’hui. Le ministre pourra-t-il passer à l’action ? Rien n’est moins sûr, étant donné le magistère moral qu’exerce sur nos élites politiques et médiatiques une extrême-gauche pourtant minoritaire dans le pays. Mais il est temps d’aller plus loin et de dire la vérité niée par les « talking classes », les classes qui ont le privilège de la parole publique et que les Français des milieux populaires connaissent parfaitement.

Mensonge, confiscation ou déni de la réalité, tous les totalitarismes créent un nouveau langage pour expulser le réel et donner à voir un monde qu’il déclare nouveau. Tous, ils font croire qu’ils font la guerre à la justice et à l’oppression. Tous sont porteurs d’une plus grande injustice et d’une plus grande oppression. Tous, ils prétendent nous sauver d’un danger ou d’un chaos qu’ils ont contribué à créer, à force de mensonges et de dissimulation des faits. Ainsi la crise des banlieues, la violence dans les quartiers, qui ne sont que la suite d’éruptions précédentes qui vont toujours en s’aggravant, de quelques émeutes dans des cités de la banlieue lyonnaise à ces émeutes dans tous les quartiers, au pillage et destructions des centres-villes et des villes moyennes. N’en doutons pas, la prochaine étape sera probablement plus grave puisqu’elle s’attaquera aux personnes comme nous le montre la multiplication des agressions au couteau pour un regard ou une autre futilité et qui témoigne une haine grandissante d’une partie de la jeunesse contre leurs propres concitoyens.

Autre mensonge : il n’y a pas de relation entre la délinquance et l’immigration comme ils le prétendent, alors que ce lien est évident. Tous les étrangers, tous les immigrés, tous les descendants des premières immigrations ne sont pas violents et délinquants, mais n’importe quel gardien de prison ou n’importe quel policier confirmera que les étrangers, les immigrés ou les descendants des immigrations maghrébines et subsahariennes sont surreprésentés dans les faits de délinquance et de violence aujourd’hui.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: État de droit, que de frime on commet en ton nom

Autre mensonge : la pauvreté dans les quartiers. La différence entre les « blancs » pauvres et les immigrés a toujours été que les immigrés avaient des moyens d’existence et de survie que les autres n’avaient pas. Faire construire des villas au bled et survivre chichement dans le logement social, au grand dam des enfants de leurs enfants qui considéraient qu’on les avait parqués dans des quartiers pourris dont ils étaient souvent d’ailleurs les premiers responsables du pourrissement. Entasser des marchandises achetées à bon marché chez Tati pour les revendre à prix d’or en Algérie ne fut jamais à la portée du petit blanc qui finit d’ailleurs par s’exiler dans la France périphérique, chassé par les violences et les incivilités et se sentant devenir étranger dans son pays, et abandonné des services publics contrairement aux habitants des métropoles abondamment pourvus en médiathèques et en transports publics.  

Bien sûr, il y a toujours des exceptions. De la misère par exemple. Bien sûr, des erreurs technocratiques furent commises au détriment des habitants des quartiers. Des injustices aussi, des bavures de la police, de l’école, de la justice, il y en a eu. Mais dans la grande majorité des cas, le tableau qui nous a été fait de la réalité est un tableau misérabiliste et mensonger qui n’a fait qu’alimenter la haine issue de la victimisation.

Il est donc temps de parler vrai. Les victimes sont aussi certains habitants de ces quartiers immigrés ou étrangers honnêtes. Il en existe, et ils sont nombreux, mais ce que je vois c’est comment pendant des dizaines d’années en mettant le couvert sur le réel on a entretenu la guerre entre les citoyens d’un même pays, comme ce fut le cas d’ailleurs au Rwanda, au Cambodge, dans l’ex-Yougoslavie, en Ukraine, aujourd’hui au Moyen-Orient. Comment on prépare sans l’avoir voulu la guerre civile ou tout au moins les massacres à grande échelle ? Prenons donc garde à ce risque autour des drames collectifs des haines communautaires avec leur cortège sanglant d’actes monstrueux encore inimaginables aujourd’hui. Les solutions existent. On les connait. Elles demandent un courage politique qu’on ne voit pas souvent chez nos dirigeants (après eux, le déluge). Ils savent probablement, mais le courage leur manque pour faire en sorte que le réel se découvre et que les mesures nécessaires soient prises aussi douloureuses et délicates qu’elles semblent être et qu’elles sont probablement.

Dans le Figaro Magazine, répondant aux questions de Carl Meeus, Guillaume Roquette et Judith Waintraub, Bruno Retailleau reste droit dans ses bottes et continue d’affirmer que « quand le droit ne protège plus, il faut le changer ». Il balaie les polémiques lancées par la gauche décrite dans cet article, estimant que les Français réclament une reprise de contrôle de l’immigration, « quelles que soient leurs sensibilités, y compris dans l’électorat de la France insoumise ».

Marco Koskas, plus sioniste qu’un Israélien

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DR.

Le romancier, auteur de David et Rosalie ou le film dans le film, a quitté la France pour vivre en Israël en 2011. Depuis, on ne le traite plus de « colon » mais son soutien à Netanyahu le coupe du monde littéraire, évidemment de gauche…  


Causeur. Pour quelles raisons avez-vous quitté Paris pour Tel Aviv en 2011 ?

Marco Koskas. Mon fils était parti en Israël étudier dans une yeshiva et je sentais qu’il n’était pas bien là-bas. De mon côté, en tant que sioniste, j’étais de plus en plus mal en France car le mot était en train de devenir un repoussoir. Or pour moi, le sionisme est la seule utopie du XIXe siècle qui ait abouti à une société démocratique. Et puis dans le monde de l’édition, je ne collais plus au mood du moment. Mon dernier éditeur français ne voulait même pas me recevoir. Il était persuadé que j’étais « un colon ». Quand je suis venu présenter mon livre aux commerciaux, il m’a lancé : « Tendez la main aux Palestiniens ! ». Lui qui refusait de me tendre la sienne… Les écrivains juifs en France se disent rarement sionistes. Il y a BHL bien sûr, sur un mode mélancolique ces temps-ci. Et Dieu merci, Georges Bensoussan pour remettre les pendules à l’heure ! Mais des non-juifs se font aussi entendre, comme Houellebecq et Onfray… J’ai donc émigré pour la deuxième fois, car la première c’était de ma Tunisie natale vers la France.

Cela a-t-il changé votre façon de travailler ?

Je me suis mis à écrire sur l’émigration française à Tel Aviv. Je faisais partie d’une bande, c’était gai, on se marrait, je vivais une deuxième jeunesse. Ça a donné Bande de français, refusé par tous les éditeurs, même ceux qui m’avaient souvent publié. Je me suis alors auto-édité sur Amazon. Ce devait être mon oraison funèbre d’écrivain, mais grâce à Patrick Besson, mon livre s’est retrouvé sur la liste du prix Renaudot ! Scandale ! Libération a alors fait de moi un portrait carrément antisémite.

Et en Israël, en a-t-on parlé ?

Oui, et ça a fait du bruit. L’hebdo culturel de Haaretz m’a consacré sa couverture en bad boy. Je me souviens de la fille qui m’a interviewé : elle avait les yeux de la jeune Charlotte Rampling mais me lançait des regards noirs parce que je ne déversais aucune haine contre Netanyahu et que je revendiquais mon sionisme. Or en Israël, il est de bon ton, à gauche, d’être post-sioniste.

C’est-à-dire ?

Le post-sionisme, c’est une critique du sionisme au regard des « souffrances » du peuple palestinien. Mais la question occultée est : pourquoi y a-t-il deux millions d’Arabes parmi les neuf millions d’Israéliens si la Nakba a bien eu lieu ? Il n’y a d’ailleurs pas d’iconographie de la Nakba. L’historien palestinien Elias Sanbar lui-même le regrette, n’ayant trouvé que cinq photos en tout et pour tout.

Vous entretenez des liens avec les écrivains israéliens ?

Pas vraiment, je ne suis sans doute pas assez de gauche ! Mais j’adore certains d’entre eux. David Shahar, un géant, mais il est mort. Et Zeruya Shalev, Alona Kimhi, Shani Boianju, une pépite, traduite chez Robert Laffont.

Donc j’imagine qu’avant le 7 octobre, vous ne défiliez pas dans la rue chaque samedi contre la réforme judiciaire…

Non, car pour moi cette réforme n’est pas essentielle. Elle nous a déchirés inutilement. Le gros problème interne du pays c’est la spéculation immobilière. C’est contre ce fléau qu’il faut se battre. C’est une vraie catastrophe.

Après le 7 octobre, des Israéliens ont décidé de quitter Israël. Et vous, vous y pensez ?

Quitter Israël ? Certainement pas ! Je suis plutôt convaincu que la plupart des juifs devront quitter l’Europe tôt ou tard car le changement de population mènera à la dépénalisation de l’antisémitisme. Et puis, comme disent les vieux juifs tunisiens : « J’ai pas d’autre endroit pour aller ! »

David et Rosalie ou le film dans le film, de Marco Koskas, Galligrassud, 2024. 153 pages

DAVID ET ROSALIE ou le film dans le film

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Enfances irréconciliables ?  
Le pogrom du 7 octobre survient alors que Marco Koskas finit un manuscrit sur la relation de Romy Schneider et Sami Frey pendant le tournage de César et Rosalie. Comment continuer ce livre quand un tel massacre a lieu en direct sous vos yeux et que s’ensuit une guerre de survie face au Hamas ? Dans un premier temps, l’auteur abandonne son texte. Son « hypothèse romanesque » entre les deux acteurs lui paraît alors dérisoire. Mais après le premier choc, il y revient en se demandant ce qu’a pu ressentir Sami Frey, enfant rescapé de la Shoah, ce 7 octobre. Et cela donne quelques pages poignantes de David et Rosalie, l’impossible histoire d’amour entre Romy Schneider, dont la mère était une favorite de Hitler, et Sami Frey, fils de Perla Wolf, gazée à Auschwitz quand il avait cinq ans.
Revisiter ce film légendaire à l’aune de cette relation était déjà une idée aussi osée que captivante ; écrire ce film dans le film a été une gageure : « Ça ne pouvait pas être un roman et pas davantage un document, explique l’auteur. Je voulais juste imaginer ce qui a pu se produire entre les deux acteurs en calquant ma chronologie sur la chronologie du film. Du casting jusqu’à à la première au Normandy, en passant par le tournage. »
L’écrivain leur prête des sentiments et des pulsions qu’ils n’ont certainement pas eus mais reste convaincu de ne pas être loin de la vérité. En amoureux du cinéma français, Marco Koskas scrute le film à la loupe et déniche dans chaque séquence ce qu’il désigne comme une trace, sinon une preuve ou un écho du film dans le film qui échappe même à son réalisateur.
Y a-t-il eu finalement une histoire entre Sami et Romy, se demande Koskas ? Pour lui, il y a eu une relation, sans doute tumultueuse et compliquée, mais invisible à l’œil nu. Le romancier a tous les droits (ou presque) ! Tandis que le film de Sautet, léger comme les années 70, était un hymne à la joie de vivre, ce récit inattendu intercale désormais dans ce face à face le drame de deux enfances irréconciliables. On aimerait connaître la réaction du beau Sami. Le lira-t-il ?
M.N.

Fausses confidences et goût inachevé

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Marivaux (1688-1763) DR.

Une nouvelle production des Fausses confidences, de Marivaux, vient de débuter au Théâtre de Carouge, à Genève, avant une tournée de plusieurs mois en France. La mise en scène d’Alain Françon et la plupart des comédiens sont remarquables, mais l’ensemble peine à séduire.


Un décor élégant mais simple, presqu’effacé, multipliant à l’envi les ouvertures entre scène et coulisses, et fait tout exprès pour favoriser l’avalanche des entrées et des sorties des protagonistes : assurément, la mise-en-scène des Fausses confidences semble être une translation dans l’espace de la vivacité, de la fluidité de la langue, de l’ivresse verbale de Marivaux et des rebondissements de la comédie. Tout cela étant composé en une partition diaboliquement volubile que l’orchestre d’acteurs réunis par Alain Françon exécute en virtuose.

Son pouvoir de démiurge

De cette éblouissante symphonie de sentiments cachés, de non-dits, d’ambitions contradictoires, de désirs inavoués, de fausses confidences où l’écriture de Marivaux égale celle de Mozart, on sort un peu étourdi, mais sans l’ivresse, hélas ! ressentie dans ce même Théâtre de Carouge, aux portes de Genève, lorsqu’Alain Françon y avait mis en scène Le Misanthrope avec un génie du théâtre éblouissant.

On espérait avec Les Fausses confidences un nouvel émerveillement.  On s’est retrouvé quelque peu désenchanté. Certes, le spectacle est de belle facture. Mais du metteur en scène de La Trilogie de la villégiature ou de La Locandiera, on attendait un nouveau miracle. Et il n’est pas survenu, comme si cet homme qui est un formidable directeur d’acteurs avait abdiqué de son pouvoir de démiurge.

Avec un tel aplomb

Bien évidemment, avec une voix métallique et tranchante, Dominique Valadié est magnifique dans le rôle de Madame Argante. Que pourrait-elle d’ailleurs être d’autre ? Vêtue de noir avec une élégance certaine, et une imperceptible raideur dans sa démarche qui trahit la dureté de son personnage, elle l’impose avec un tel aplomb, une telle sûreté, une telle intransigeance, qu’on ne pourrait l’imaginer autrement que sous l’aspect qu’elle en propose. Avec elle, Gilles Privat, en valet Dubois un peu inquiétant et terriblement manipulateur, est l’autre grande figure de la production. À qui s’ajoutent le charme de Zerline, l’esprit de Suzanne, incarnés par la délicieuse Yasmina Remil qui prend la figure de Marton, la jeune dame de compagnie de l’héroïne de la pièce. Comme dans un inventaire, on leur adjoindra le Lubin gauche et naïf de Séraphin Rousseau et le chaleureux et tonitruant Monsieur Rémy de Guillaume Levêque.       

Cela pêche en revanche quelque peu du côté de Pierre-François Garel, interprétant Dorante, le soupirant transi. Derrière une figure assez avantageuse, il y a en lui quelque chose d’inconsistant, d’insaisissable, comme s’il était étranger à son personnage, comme s’il n’avait pas su tirer le meilleur de lui-même. Avec un Alexandre Ruby en grand seigneur de comédie à la voix forte, mais lui-même un peu pâle, ces deux figures masculines des Fausses confidences manquent quelque peu d’étoffe. Eh bien involontairement, sans doute, vous laissent sur votre faim.   

Un léger malaise

Cependant c’est avant tout de l’Araminte de Georgia Scalliet que naît le malaise. Non pas qu’elle ne soit une bonne comédienne. Une brève scène de colère où elle apparaît brusquement elle-même la dévoile tout à fait remarquable. Mais comme tant d’actrices de sa génération, telles qu’on les découvre par exemple aujourd’hui sur la scène de la Comédie Française où elle se produisit de 2009 à 2020, elle affecte une manière de jouer qui décrédibilise son personnage. D’ailleurs, elle ne joue pas véritablement, elle ne s’incarne pas dans Araminte. Avec un ton qui donne à penser qu’elle serait en train de lire et de méditer un texte qu’elle possède parfaitement, elle semble prendre bien soin de n’y pas toucher, de le survoler avec un je-ne-sais-quoi de neutre et de détaché. Comme si elle tenait à faire savoir qu’elle n’est nullement le personnage qu’elle représente sur scène, mais bien une actrice s’appliquant à servir avec quelque distance le texte de Marivaux. Cet arrière-goût d’inachevé produit un jeu (un non-jeu comme on affiche de la non-danse) qui évidemment ne parvient jamais à convaincre. Et on a peine à comprendre qu’un directeur d’acteur aussi exigeant, subtil et profond que Françon, celui d’Avant la retraite de Thomas Bernhard, du Misanthrope ou de La Seconde surprise de l’amour, ne se soit pas attaché à imposer à ses comédiens plus d’authenticité, de présence et de force.

Cette réalisation du Théâtre des Nuages de neige, coproduite une nouvelle fois par le Théâtre de Carouge, par le Théâtre des Célestins à Lyon et par le Théâtre Montansier de Versailles va parcourir la France. Une fois encore, il est probable que le spectacle va, avec le temps, prendre de l’assurance et de l’ampleur. Et sans doute les spectateurs futurs y trouveront-ils plus de satisfaction. À Genève, où les salles du théâtre sont combles, le public ménage un accueil chaleureux à ces Fausses confidences au goût d’inachevé.


Prochaines représentations
Jusqu’au 19 octobre 2024 : Théâtre de Carouge, à Genève
Les 30 et 31 octobre : Théâtre Equilibre, à Fribourg
Du 6 au 17 novembre : Théâtre des Célestins, à Lyon
Du 23 nov. au 21 décembre : Théâtre des Amandiers de Nanterre
Du 8 au 10 janvier 2025 : Théâtre de l’Empreinte, à Brive
Les 15 et 16 janvier : Scène nationale, à Albi
Du 22 au 26 janvier : Théâtre Montansier, à Versailles
Les 30 et 31 janvier : Opéra de Massy
Du 5 au 8 février : Théâtre national de Nice
Les 12 et 13 février : Théâtre Saint-Louis, à Pau
Les 25 et 26 février : Maison de la Culture d’Amiens
Du 4 au 6 mars : Le Quai, à Angers
Du 18 au 21 mars : Théâtre du Jeu de Paume, à Aix-en-Provence
Du 25 au 29 mars : Théâtre de Caen
Du 2 au 5 avril : Théâtre d’Annecy
Du 8 au 11 avril : Comédie de Saint-Etienne

Un Vatican musulman?

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Le sheikh Mohammed bin Abdulkarim Al-Issa et Edi Rama. DR.

C’est le projet du Premier ministre albanais, dont le pays est candidat à l’adhésion à l’Union européenne.


La création d’un micro-État musulman sur le modèle du Vatican : voilà l’ambition du Premier ministre albanais.

Se confiant au New York Times, le 21 septembre, Edi Rama a annoncé le projet d’installer un État souverain, s’étendant sur une superficie de 11 hectares (un quart de celle de la cité papale), dans sa capitale, Tirana. Avant que les populistes européens bondissent pour dénoncer encore une avancée des forces de l’obscurantisme islamiste, il faut savoir que l’État en question relèverait du courant soufiste, qui représente le versant mystique et ésotérique de la religion musulmane. Le soufisme, très à la mode parmi les babas cool occidentaux à partir des années 1960, est considéré comme hérétique par la majorité des sunnites et chiites, et vilipendé par tous les intégristes. Le nouvel État souverain serait confié à l’ordre Bektachi, une branche dissidente du chiisme datant du XIIIe siècle et implantée surtout en Turquie. En 1925, le très laïc Kemal Atatürk a fermé tous ses locaux, obligeant le centre mondial bektachiste à s’établir en Albanie en 1929. Le chef spirituel de l’ordre aujourd’hui est Baba Mondi dont le nombre des ouailles dans le monde pourrait s’élever à 20 millions. Son simili Vatican contrôlerait ses frontières, jouirait de sa propre administration et délivrerait ses propres passeports. Au grand dam des islamistes, le bektachisme n’impose pas aux femmes le port du voile ou de la burka, et tolère la consommation d’alcool, notamment le raki, une eau-de-vie locale. Rama, qui est catholique comme l’Albanaise la plus célèbre, la mère Teresa, dit vouloir promouvoir une version plus tolérante de l’islam. Si les textes législatifs sont apparemment en cours de rédaction, il faudra attendre l’approbation du Parlement.

Mais Rama est un homme d’action : il a déjà attiré des investissements considérables pour son pays de 2,5 millions d’habitants à travers des accords sur les migrants avec le Royaume-Uni et l’Italie. Il cherche aussi à rehausser l’image de l’Albanie en vue de son adhésion éventuelle à l’UE qui est en attente depuis quinze ans. Mais ne soyons pas cyniques : s’il fait rager les islamistes, que Dieu l’entende !