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Tchao, Ingrid !

32

Tout d’abord on est content. Pour elle, pour sa famille, pour ses proches.
Ensuite on est admiratif : techniquement, l’opération militaire était spectaculaire et pour tout dire réjouissante.
Et puis… et puis c’est tout, ou presque. Parce que, franchement, on voit mal de quoi cette libération est le symbole…

S’agit-il d’une victoire pour les droits de l’Homme ? Pas vraiment, et pour une raison simple : la capture, la détention, et la libération de Mme Betancourt sont de fait des événements essentiellement colombo-colombiens, sans aucune portée universelle. Si Ingrid n’avait pas, dans sa jeunesse, tissé un puissant réseau d’amitiés dans les élites parisiennes, si La rage au cœur, son recueil de banalités édité par XO n’avait pas fait un carton sur les plages à l’été 2001, je ne pense pas que les autorités françaises auraient fait le moindre effort pour la libérer, et je ne suis même pas sûr que les FARC se seraient donné la peine de la kidnapper. M’est avis que si Marulanda avait eu le choix, il aurait mille fois préféré capturer Madonna ou Brad Pitt… L’abominable calvaire qu’a vécu Ingrid Betancourt lui a été imposé par son statut de micro-vedette des médias, pas par ses idéaux. Certes il est possible que son exfiltration ait un impact sur les affaires intérieures colombiennes (mais, en vrai, qu’est-ce qu’on s’en fiche ?) ; en revanche, il est certain qu’à l’échelle planétaire, cet heureux dénouement c’est peanuts. Pardonnez-moi de gâcher la fête, mais cette libération-là n’est pas celle de Sakharov ou de Mandela. Il est vrai que, dans ces deux cas, TF1 n’avait pas jugé impératif d’interrompre ses programmes.

S’agit-il d’une victoire de la démocratie ? Bof. C’est, me semble-t-il, une mauvaise plaisanterie dans le cas d’Uribe, de son régime largement adossé aux milices paramilitaires, aux conseillers spéciaux américains et – autant, et peut-être plus que les FARC ne l’ont jamais été – aux narcotrafiquants. Parler dans cette affaire de victoire de la démocratie, c’est a minima avoir une piètre opinion de celle-ci – opinion respectable, même si Bernard Kouchner la défend trop rarement en public.

Victoire contre le terrorisme ? A la rigueur, je veux bien… Mais faut-il combattre le terrorisme ? A mon avis, non. Pas en tant que tel en tout cas. Personnellement, je ne regrette absolument pas d’avoir passé une bonne partie de ma jeunesse à défendre l’ANC de Nelson Mandela – y compris en collectant ouvertement de l’argent destiné à l’achat d’armes. Or l’ANC était bel et bien un mouvement terroriste. Pas seulement ça, certes, mais aussi ça. D’autres, plus vieux que moi, ont porté les valises du FLN mais, à leur décharge, le FLN, lui, ne s’encombrait pas d’otages. D’autres encore, aujourd’hui, témoignent vis-à-vis du terrorisme tchétchène ou gazaouï d’une mansuétude teintée de sidération enthousiaste. Faut-il rappeler qu’en 1943, une large partie de l’opinion française considérait Jean Moulin et ses camarades comme des terroristes ? Et que le Terrorisme avec un T majuscule, celui de Robespierre et Saint-Just est, que cela plaise ou non, la matrice de nos institutions ? Certes, tout cela ne nous dit pas si les guérilleros des FARC sont de courageux insurgés anti-impérialistes, genre Che Guevara-Robin des Bois ou d’odieux criminels marxistes façon Pol Pot-Savonarole. Pour être sûr de connaître la bonne réponse à cette question, il faut être abonné au Monde Diplo et au Meilleur de mondes. Et moi, je ne suis abonné qu’à Rock & Folk, à la Gazette de l’Hôtel Drouot et à Causeur version papier…

Cambrioleur pas gentleman

2

Un monte-en-l’air semble vouloir élire domicile chez Ségolène Royal : c’est la troisième fois que l’ex-candidate socialiste est cambriolée. Son avocat, Jean-Pierre Mignard, soulignait lundi matin sur RTL le caractère dramatique de l’événement qui a eu lieu « à la veille d’une intervention politique extrêmement importante : la présentation de sa contribution pour le prochain congrès du PS », avant de se poser la question que tout le monde se pose : « Est-ce que c’est un maniaque, est-ce que c’est une officine, sur ce point nous n’en savons strictement rien. » Enfin, cher Maître, voler un discours de Ségolène Royal, faut pas être maniaque, faut être carrément une officine de frapadingues.

Le sac de Carla

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« Ça fait Bernadette ! » Entendre cela dans une émission qui veut « scruter les rapports incestueux entre politique et médias » donne une idée du rayonnement résiduel issu du Big Bang des médias français. « Ça fait Bernadette », l’auteur de cette sentence définitive est Michel Field, incrédible donneur de leçons, parangon de la morale bienséante, ordonnateur du prêt-à-penser médiatique. De gauche, cela va sans dire. Je l’ai senti passer dans mes tympans, puis faire le tour de mes neurones qui ont essayé de ranger quelque part cette déclaration définitive. Ils l’ont classée dans le tiroir « conneries à jeter sans tarder ». Je crois rêver, mais cette déclaration est un cauchemar.

Contexte : dimanche dernier, nous étions le 29 juin, il faut que l’Histoire retienne cette date. Le lieu du crime était l’antenne d’Europe 1, l’émission Médiapolis. Cela avait commencé clean et intelligent avec le voyage officiel de Nicolas Sarkozy, expliqué en direct par un journaliste du respecté quotidien israélien Haaretz.

Le reste doit provenir de cela : Michel Field a été obligé d’écouter pendant quelques minutes quelqu’un qui disait du bien de Nicolas Sarkozy. Imaginez cela : dire du bien du Mal absolu. Cela a dû lui provoquer une chute de tension ou quelque chose de cet ordre-là. Ensuite, le père-la-morale a fait un petit effet sur le « sort enviable que les médias israéliens ont réservé à Carla Bruni » – histoire de leur dire qu’à lui on ne la lui faisait pas –, tout en ajoutant, vrai faux cul : « Aucun média français ne peut vous faire la leçon. » Ego te absolvo, donc.

C’est ensuite, sans transition, que Michel Field a fait son implosion : il a juste un problème avec le sac de Carla, enfin pas avec le sac, mais avec sa manière de le porter. Trop godiche, la Carla, tu penses, alors que Catherine Nay, éditorialiste maison, « porte le sac avec tant d’élégance ». Plusieurs minutes de ce tonneau. Olivier Duhamel, co-présentateur, était désespéré. Moi aussi.

J’ai réécouté le podcast pour vérifier que je ne n’avais pas halluciné. Je n’avais pas. Personne dans le studio pour dire son fait au précieux ridicule, sauf Sylvie Goulard, présidente du Mouvement européen, avec une verdeur bienvenue.

Je garde une haute opinion de mon métier, mais de moins en moins d’une part grandissante de ceux qui l’exercent. Mais jusqu’à quand abuseront-ils de notre patience ? Que l’on n’aime pas le président est tout a fait concevable – et Dieu sait qu’il y en a à dire sur Nicolas Sarkozy. Mais aussi nul, c’est rare : elle va faire le tour des plages et des cours de récrés, cette expression « ça fait Bernadette ».

Michel Field a eu raison de reprendre le flambeau : Frédéric Bonnaud, pourfendeur et contempteur pas drôle de « mon Nicolas » venait de partir en vacances, tant il s’était épuisé à attaquer les moulins à vent du sarkozysme pendant toute une saison. Une petite prise de narcissisme et une pointe de haine recuite plus tard, Field est entré au panthéon des nigauds avec une formule qui fera les bonheurs des dîners de bobos à gauche et des barbecues de droite. La prochaine fois qu’un gandin fera l’intéressant avec du creux aussi vide, on pourra toujours dire : « Ça fait Michel… ! »

L’Europe n’a pas d’odeur

2

La communauté latine est furieuse ! Par la voix de son porte-parole, Emilius Quintus Julii, elle a fait connaître sa colère contre le président de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy : « Il aurait pu déposer une gerbe ou prononcer une allocution, commémorant l’élection à la tête de l’Empire du regretté Caesar Vespanius Augustus, le 1er juillet 69. Mais, il a préféré écouter le lobby chrétien plutôt que de satisfaire au plus élémentaire devoir de mémoire. Stop à la discrimination ! Salve ! »

Récupération !

2

Quand ils oublient d’être faux-jetons ou curaillons, nos amis de la LCR savent encore parfois être drôles : on peut en avoir la preuve cette semaine avec le titre de Une de Rouge, qui lance un appel en forme de clin d’œil au peuple de gauche de la gauche : « Vous êtes impatients ? Nous aussi ! »

Bolivar reviens !

1

Tous ceux qui avaient peur qu’Hugo Chavez accepte sportivement sa défaite au référendum constitutionnel de décembre dernier peuvent respirer de nouveau. Une nouvelle loi sur les services de renseignement accroît considérablement leurs compétences, pour mieux contrer, cela va de soi, « les attaques impérialistes ». Cette nouvelle loi oblige chaque citoyen à « aider » lesdits services. Un refus sera puni de quatre ans de prison pour un simple citoyen. Un fonctionnaire écopera en prime de  deux ans de plus. Six ans c’est long, surtout si la seule lecture autorisée en cellule est celle du Monde Diplo.

Edwy Plenel, journaliste participatif

54

Les gens sont méchants. Certains se sont émus de la présence du patron de Médiapart, Edwy Plenel, samedi dernier, à la tribune de la Maison de la Chimie où Ségolène Royal dévoilait sa contribution aux débats du Parti Socialiste. Il y en a qui voient le mal partout, comme nos confrères d’Arrêt sur Images qui ont trouvé judicieux de rappeler qu’en décembre 2007, quand MédiaPart n’était qu’un projet et Ségolène Royal encore la madone dont le PS promettait de faire don au peuple français, celle-ci avait chaleureusement et personnellement encouragé ses militants à soutenir celui-là. Et comme les gens d’ASI sont décidément des fouilleurs de poubelles, des « chiens » comme disait l’autre, ils ont republié sur leur site le texte qui a malencontreusement disparu de celui de la dame. « Au nom du pluralisme des médias, je vous invite à leur donner leur chance en vous abonnant », écrivait-elle. Avant de conclure, sans doute pour les mal-comprenants qui, à ce stade, n’avaient pas encore mis la main à la poche : « Merci de ce geste militant qui s’inscrit dans la logique de la démocratie participative. » A vot’ bon cœur, amis lecteurs-électeurs.

Je vous vois venir. Vous vous trompez. Il faut vraiment avoir l’esprit mal tourné pour voir là un de ces échanges de bons procédés dont les journalistes ordinaires sont coutumiers mais qu’Edwy Plenel, lui, a toujours condamnés avec la dernière énergie. Il s’agit de tout autre chose, que les esprits bas sont bien incapables de comprendre et qui s’appelle tout simplement la liberté de la presse. Si le détenteur de la moustache la plus célèbre (depuis que Jean-François Kahn s’est séparé de la sienne) du paysage médiatique s’est exprimé, de même qu’Ariane Mnouchkine et le président de « Sauvons la Recherche », Bertrand Monthubert, au cours d’un meeting de Ségolène Royal, c’est parce que la liberté de l’information est en péril. Et comme ce déontologue sourcilleux est aussi un défenseur de la transparence, c’est sur son propre site qu’il est interpellé sur son pas de valse avec madame Royal. C’est promis : chaque fois qu’on le sollicitera pour défendre notre liberté à tous, Plenel répondra présent. « Je répondrai positivement à tous les autres têtes d’affiche du PS (et des autres partis), si elles me demandent de venir parler d’indépendance des médias à leurs militants… », explique-t-il à un internaute sceptique. Il serait plaisant que les dirigeants de l’UMP le prennent au mot.

On pourrait, si on était mesquin, chipoter Plenel sur le fait que sa « participation sans soutien » au meeting de Ségolène Royal n’est guère compatible avec la conception du journalisme qu’il a défendue jusque-là (et qui d’ailleurs n’est pas la mienne). Ce serait avouer qu’on n’a rien compris aux subtilités du plénélisme. « Ma position, c’est qu’un journaliste n’a pas à dire son vote. En revanche, il peut faire partager son analyse », déclarait-t-il il y a un an dans une vidéo sobrement intitulée « Edwy Plenel s’engage contre Sarkozy ». Si on comprend bien, il n’est pas sain qu’un journaliste se déclare pour un candidat mais il est excellent et démocratique qu’il s’engage contre – et peu importe qu’en ce cas l’appel à faire barrage à Sarkozy ait pu être entendu par les esprits malintentionnés déjà cités comme un appel à voter Royal. Essayons simplement d’imaginer un confrère d’Edwy évoquant au cours d’un meeting du candidat Sarkozy les dangers que l’élection de Ségolène Royal eût fait courir à la France. Que n’aurait-on entendu[1. Dans le même esprit, cela n’a pas troublé nos grandes consciences que le philosophe Alain Badiou transforme son séminaire à Normale Sup en think tank anti-sarkozyste (pourquoi pas, mais imaginons qu’il ait fait le contraire).] !

Qu’un journaliste ait des convictions et même qu’il les défende, parfait[2. Dans la vraie vie, la profession se distingue plutôt par une effarante absence de convictions.]. Le problème tient au fait que les journalistes font quotidiennement la promotion de leurs opinions comme si elles étaient les seules légitimes, ce qui signifie qu’ils les érigent au rang de vérités révélées. (Il est probable qu’eux-mêmes ne font plus la différence.) Quiconque oserait contester que le pouvoir d’achat est la première préoccupation des Français, que l’homophobie fait rage à l’école ou que le métissage culturel est une belle et grande chose (opinions respectables mais vérités médiatico-sondagières) s’attirerait aisément les foudres d’Edwy Plenel et de quelques autres. Bref, un journaliste a le droit (et peut-être le devoir) de défendre certaines idées ou certaines personnes. Quand il le fait, c’est un idéaliste. Qu’il s’avise d’en préférer d’autres et il ne sera plus qu’un idéologue. Pour la liste des idées et personnes défendables, le mieux est de s’adresser directement à Edwy Plenel.

J’ai un doute

1

La plupart des journaux européens annoncent que la présidence française de l’Union, qui s’est ouverte officiellement aujourd’hui à minuit (heure de Bruxelles), commence dans un climat de doute. Lech Kaczynski, qui adroitement a troqué ses habits de plombier polonais contre ceux de président, entend ne pas ratifier le traité de Lisbonne « devenu sans objet depuis le non irlandais ». On aurait dû conseiller à Nicolas Sarkozy de ne pas prendre cette présidence qui commence un 1er juillet, fête de saint Thomas l’Apôtre.

Criminels non discriminés

Le 1er juillet, l’Etat de Californie doit en principe mettre fin à la répartition des détenus par race et/ou religion dans ses prisons. Les Noirs étaient jusqu’ici regroupés avec les Noirs, les Latinos avec les Latinos, les membres de la Fraternité Aryenne avec leurs semblables, etc. Une avancée pour l’intégration, selon des blogs comme talkleft, qui n’est pourtant pas sans nourrir quelques inquiétudes : les « porte-paroles » de différents gangs ethniques promettent déjà des émeutes si leurs « droits » communautaires devaient être entamés.

L’homme révolté

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La Schwarzwälder Kirschtorte est un appétissant gâteau que nous autres Allemandes consommons entre nous dans des pâtisseries, où l’on veille scrupuleusement à maintenir élevés notre taux de médisance et de diabète. Cela s’appelle un Kaffeeklatsch (littéralement un café-ragots).

– Vous prendrez quoi, Frau Kohl ?
– Quelque chose de léger, je sors de déjeuner…
– Une Schwarzwaldtorte ?
– Oui, volontiers. Et un café, avec sucrettes !

Voilà plus de vingt ans que nous devions nous serrer la ceinture pour plaire à nos maris et nous contenter de minables ersatz pour sucrer nos cafés. Or, il n’y a rien de pire au monde que de devoir accompagner une succulente Schwarzwaldtorte et d’admirables médisances d’un café aspartamé à outrance.

Maintes fois, mes papilles ont éprouvé un dégoût si profond de la saveur métallique de la saccharine que je me suis vue, en songe, en train de pisser sur la tombe de Remsen et Fahlberg[1. Remsen et Fahlberg sont au sucre de synthèse ce que Parmentier fut à la pomme de terre : son inventeur.]. Et puis, pourquoi ne pas le dire, outre-Rhin ce genre d’ersatz nous replonge inéluctablement dans les tréfonds douloureux de la deutsche Vergangenheit : quand j’entends le mot sucrette, je sors mon revolver.

Or, nous voici aujourd’hui libérées, grâce à Elle, le magazine français qui libère les femmes et titre cette semaine : « Arrêtez de maigrir ! », « Le cri de révolte des hommes. » Quand j’ai lu ça hier après-midi, j’ai pensé instinctivement que cela devait être vrai : les mecs préfèrent les grosses autant que les grosses préfèrent les mecs. Enfin, je parle pour moi.

Et puis, comment ce magazine, nec plus ultra de la presse féminine mondiale, pourrait-il se tromper, lui qui depuis sa création en 1945 n’a jamais consacré une seule de ses couvertures au régime ni à la minceur. C’était donc ça ! Les décennies de silence de ces dames de Elle sur le poids des femmes n’étaient pas le pur fait de la courtoisie ni de la solidarité féminine : le coup était préparé depuis plus de cinquante ans.

Mais il faut y regarder à deux fois. « Arrêtez de maigrir, le cri de révolte des hommes » : le titre est plus politique qu’il n’y paraît. La rédaction de Elle s’engage, comme on dit à Marianne et alentours, dans une guerre sans merci contre l’hydre sarkozyste et les vieux démons altoséquanais. Le couteau entre les dents, les amazones de chez Elle arrêteront le combat lorsque Carla Bruni aura atteint le poids de Tante Yvonne et Germaine Coty réunies. En dessous de cent kilos, une première dame de France n’en est pas véritablement une.

Rassérénée par cette lecture, j’ai repris une deuxième part de Schwarzwaldtorte et tancé la serveuse de chez Hafendoerfer : « Donne-moi du sucre, du vrai ! Tu veux que Willy vienne te pousser son cri de révolte ou quoi ? » Défaite, elle m’a apporté un assortiment complet de sucre blanc, roux, candy et de canne[2. Je me dois d’informer mes aimables lecteurs qu’après douze sucres un café devient imbuvable.].

Repue, je suis sortie de la pâtisserie pour me précipiter chez le boucher. Depuis que je suis mariée à Willy, les paradis charcutiers me sont interdits par le zèle végétarien de mon époux. Libérée pour libérée, je me suis plongée à corps perdu dans des montagnes saucissières. La saucisse (nous en comptons plus de mille sortes de Hambourg à Munich) est l’apport allemand le plus précieux à la gastronomie mondiale. Les Italiens ont mondialisé la pizza ; les Chinois, le nem ; les américains, le hamburger. Il n’est que les Français qui n’ont jamais su rien imposer au monde en matière de gastronomie : il n’est pas né celui qui verra les fast-food américains, chinois, italiens ou les vendeurs de hot-dogs à la sauvette remplacés par une chaîne spécialisée dans l’escargot de Bourgogne[3. Au cas où il se trouverait néanmoins un serial entrepreneur bourguignon qui veuille reprendre l’idée à son compte, je la lui revends volontiers contre trois caisses de Pommard.].

Lorsque, hier soir, Willy s’est retrouvé attablé face à deux kilos de saucisses, il a tenté une rébellion.

– C’est quoi cette blague ?
– Comment une blague ? Tu vas me la finir, ta Brotwurst !
– Et d’une, je suis végétarien. Et de deux, tu devrais, ma chère Trudi, penser à ton régime !
– Mon quoi ?… Cet après-midi, tu la jouais Albert Camus, homme révolté et tout le bastringue dans Elle. Et ce soir tu veux me coller au régime. Faudrait savoir !

Bien sûr, Willy n’a rien compris. Il était planté là, devant moi, et me regardait.

– Allez, Willy, dis-moi quelque chose de gentil…
– …tu n’aurais pas perdu du poids ?

Tchao, Ingrid !

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Tout d’abord on est content. Pour elle, pour sa famille, pour ses proches.
Ensuite on est admiratif : techniquement, l’opération militaire était spectaculaire et pour tout dire réjouissante.
Et puis… et puis c’est tout, ou presque. Parce que, franchement, on voit mal de quoi cette libération est le symbole…

S’agit-il d’une victoire pour les droits de l’Homme ? Pas vraiment, et pour une raison simple : la capture, la détention, et la libération de Mme Betancourt sont de fait des événements essentiellement colombo-colombiens, sans aucune portée universelle. Si Ingrid n’avait pas, dans sa jeunesse, tissé un puissant réseau d’amitiés dans les élites parisiennes, si La rage au cœur, son recueil de banalités édité par XO n’avait pas fait un carton sur les plages à l’été 2001, je ne pense pas que les autorités françaises auraient fait le moindre effort pour la libérer, et je ne suis même pas sûr que les FARC se seraient donné la peine de la kidnapper. M’est avis que si Marulanda avait eu le choix, il aurait mille fois préféré capturer Madonna ou Brad Pitt… L’abominable calvaire qu’a vécu Ingrid Betancourt lui a été imposé par son statut de micro-vedette des médias, pas par ses idéaux. Certes il est possible que son exfiltration ait un impact sur les affaires intérieures colombiennes (mais, en vrai, qu’est-ce qu’on s’en fiche ?) ; en revanche, il est certain qu’à l’échelle planétaire, cet heureux dénouement c’est peanuts. Pardonnez-moi de gâcher la fête, mais cette libération-là n’est pas celle de Sakharov ou de Mandela. Il est vrai que, dans ces deux cas, TF1 n’avait pas jugé impératif d’interrompre ses programmes.

S’agit-il d’une victoire de la démocratie ? Bof. C’est, me semble-t-il, une mauvaise plaisanterie dans le cas d’Uribe, de son régime largement adossé aux milices paramilitaires, aux conseillers spéciaux américains et – autant, et peut-être plus que les FARC ne l’ont jamais été – aux narcotrafiquants. Parler dans cette affaire de victoire de la démocratie, c’est a minima avoir une piètre opinion de celle-ci – opinion respectable, même si Bernard Kouchner la défend trop rarement en public.

Victoire contre le terrorisme ? A la rigueur, je veux bien… Mais faut-il combattre le terrorisme ? A mon avis, non. Pas en tant que tel en tout cas. Personnellement, je ne regrette absolument pas d’avoir passé une bonne partie de ma jeunesse à défendre l’ANC de Nelson Mandela – y compris en collectant ouvertement de l’argent destiné à l’achat d’armes. Or l’ANC était bel et bien un mouvement terroriste. Pas seulement ça, certes, mais aussi ça. D’autres, plus vieux que moi, ont porté les valises du FLN mais, à leur décharge, le FLN, lui, ne s’encombrait pas d’otages. D’autres encore, aujourd’hui, témoignent vis-à-vis du terrorisme tchétchène ou gazaouï d’une mansuétude teintée de sidération enthousiaste. Faut-il rappeler qu’en 1943, une large partie de l’opinion française considérait Jean Moulin et ses camarades comme des terroristes ? Et que le Terrorisme avec un T majuscule, celui de Robespierre et Saint-Just est, que cela plaise ou non, la matrice de nos institutions ? Certes, tout cela ne nous dit pas si les guérilleros des FARC sont de courageux insurgés anti-impérialistes, genre Che Guevara-Robin des Bois ou d’odieux criminels marxistes façon Pol Pot-Savonarole. Pour être sûr de connaître la bonne réponse à cette question, il faut être abonné au Monde Diplo et au Meilleur de mondes. Et moi, je ne suis abonné qu’à Rock & Folk, à la Gazette de l’Hôtel Drouot et à Causeur version papier…

Cambrioleur pas gentleman

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Un monte-en-l’air semble vouloir élire domicile chez Ségolène Royal : c’est la troisième fois que l’ex-candidate socialiste est cambriolée. Son avocat, Jean-Pierre Mignard, soulignait lundi matin sur RTL le caractère dramatique de l’événement qui a eu lieu « à la veille d’une intervention politique extrêmement importante : la présentation de sa contribution pour le prochain congrès du PS », avant de se poser la question que tout le monde se pose : « Est-ce que c’est un maniaque, est-ce que c’est une officine, sur ce point nous n’en savons strictement rien. » Enfin, cher Maître, voler un discours de Ségolène Royal, faut pas être maniaque, faut être carrément une officine de frapadingues.

Le sac de Carla

11

« Ça fait Bernadette ! » Entendre cela dans une émission qui veut « scruter les rapports incestueux entre politique et médias » donne une idée du rayonnement résiduel issu du Big Bang des médias français. « Ça fait Bernadette », l’auteur de cette sentence définitive est Michel Field, incrédible donneur de leçons, parangon de la morale bienséante, ordonnateur du prêt-à-penser médiatique. De gauche, cela va sans dire. Je l’ai senti passer dans mes tympans, puis faire le tour de mes neurones qui ont essayé de ranger quelque part cette déclaration définitive. Ils l’ont classée dans le tiroir « conneries à jeter sans tarder ». Je crois rêver, mais cette déclaration est un cauchemar.

Contexte : dimanche dernier, nous étions le 29 juin, il faut que l’Histoire retienne cette date. Le lieu du crime était l’antenne d’Europe 1, l’émission Médiapolis. Cela avait commencé clean et intelligent avec le voyage officiel de Nicolas Sarkozy, expliqué en direct par un journaliste du respecté quotidien israélien Haaretz.

Le reste doit provenir de cela : Michel Field a été obligé d’écouter pendant quelques minutes quelqu’un qui disait du bien de Nicolas Sarkozy. Imaginez cela : dire du bien du Mal absolu. Cela a dû lui provoquer une chute de tension ou quelque chose de cet ordre-là. Ensuite, le père-la-morale a fait un petit effet sur le « sort enviable que les médias israéliens ont réservé à Carla Bruni » – histoire de leur dire qu’à lui on ne la lui faisait pas –, tout en ajoutant, vrai faux cul : « Aucun média français ne peut vous faire la leçon. » Ego te absolvo, donc.

C’est ensuite, sans transition, que Michel Field a fait son implosion : il a juste un problème avec le sac de Carla, enfin pas avec le sac, mais avec sa manière de le porter. Trop godiche, la Carla, tu penses, alors que Catherine Nay, éditorialiste maison, « porte le sac avec tant d’élégance ». Plusieurs minutes de ce tonneau. Olivier Duhamel, co-présentateur, était désespéré. Moi aussi.

J’ai réécouté le podcast pour vérifier que je ne n’avais pas halluciné. Je n’avais pas. Personne dans le studio pour dire son fait au précieux ridicule, sauf Sylvie Goulard, présidente du Mouvement européen, avec une verdeur bienvenue.

Je garde une haute opinion de mon métier, mais de moins en moins d’une part grandissante de ceux qui l’exercent. Mais jusqu’à quand abuseront-ils de notre patience ? Que l’on n’aime pas le président est tout a fait concevable – et Dieu sait qu’il y en a à dire sur Nicolas Sarkozy. Mais aussi nul, c’est rare : elle va faire le tour des plages et des cours de récrés, cette expression « ça fait Bernadette ».

Michel Field a eu raison de reprendre le flambeau : Frédéric Bonnaud, pourfendeur et contempteur pas drôle de « mon Nicolas » venait de partir en vacances, tant il s’était épuisé à attaquer les moulins à vent du sarkozysme pendant toute une saison. Une petite prise de narcissisme et une pointe de haine recuite plus tard, Field est entré au panthéon des nigauds avec une formule qui fera les bonheurs des dîners de bobos à gauche et des barbecues de droite. La prochaine fois qu’un gandin fera l’intéressant avec du creux aussi vide, on pourra toujours dire : « Ça fait Michel… ! »

L’Europe n’a pas d’odeur

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La communauté latine est furieuse ! Par la voix de son porte-parole, Emilius Quintus Julii, elle a fait connaître sa colère contre le président de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy : « Il aurait pu déposer une gerbe ou prononcer une allocution, commémorant l’élection à la tête de l’Empire du regretté Caesar Vespanius Augustus, le 1er juillet 69. Mais, il a préféré écouter le lobby chrétien plutôt que de satisfaire au plus élémentaire devoir de mémoire. Stop à la discrimination ! Salve ! »

Récupération !

2

Quand ils oublient d’être faux-jetons ou curaillons, nos amis de la LCR savent encore parfois être drôles : on peut en avoir la preuve cette semaine avec le titre de Une de Rouge, qui lance un appel en forme de clin d’œil au peuple de gauche de la gauche : « Vous êtes impatients ? Nous aussi ! »

Bolivar reviens !

1

Tous ceux qui avaient peur qu’Hugo Chavez accepte sportivement sa défaite au référendum constitutionnel de décembre dernier peuvent respirer de nouveau. Une nouvelle loi sur les services de renseignement accroît considérablement leurs compétences, pour mieux contrer, cela va de soi, « les attaques impérialistes ». Cette nouvelle loi oblige chaque citoyen à « aider » lesdits services. Un refus sera puni de quatre ans de prison pour un simple citoyen. Un fonctionnaire écopera en prime de  deux ans de plus. Six ans c’est long, surtout si la seule lecture autorisée en cellule est celle du Monde Diplo.

Edwy Plenel, journaliste participatif

54

Les gens sont méchants. Certains se sont émus de la présence du patron de Médiapart, Edwy Plenel, samedi dernier, à la tribune de la Maison de la Chimie où Ségolène Royal dévoilait sa contribution aux débats du Parti Socialiste. Il y en a qui voient le mal partout, comme nos confrères d’Arrêt sur Images qui ont trouvé judicieux de rappeler qu’en décembre 2007, quand MédiaPart n’était qu’un projet et Ségolène Royal encore la madone dont le PS promettait de faire don au peuple français, celle-ci avait chaleureusement et personnellement encouragé ses militants à soutenir celui-là. Et comme les gens d’ASI sont décidément des fouilleurs de poubelles, des « chiens » comme disait l’autre, ils ont republié sur leur site le texte qui a malencontreusement disparu de celui de la dame. « Au nom du pluralisme des médias, je vous invite à leur donner leur chance en vous abonnant », écrivait-elle. Avant de conclure, sans doute pour les mal-comprenants qui, à ce stade, n’avaient pas encore mis la main à la poche : « Merci de ce geste militant qui s’inscrit dans la logique de la démocratie participative. » A vot’ bon cœur, amis lecteurs-électeurs.

Je vous vois venir. Vous vous trompez. Il faut vraiment avoir l’esprit mal tourné pour voir là un de ces échanges de bons procédés dont les journalistes ordinaires sont coutumiers mais qu’Edwy Plenel, lui, a toujours condamnés avec la dernière énergie. Il s’agit de tout autre chose, que les esprits bas sont bien incapables de comprendre et qui s’appelle tout simplement la liberté de la presse. Si le détenteur de la moustache la plus célèbre (depuis que Jean-François Kahn s’est séparé de la sienne) du paysage médiatique s’est exprimé, de même qu’Ariane Mnouchkine et le président de « Sauvons la Recherche », Bertrand Monthubert, au cours d’un meeting de Ségolène Royal, c’est parce que la liberté de l’information est en péril. Et comme ce déontologue sourcilleux est aussi un défenseur de la transparence, c’est sur son propre site qu’il est interpellé sur son pas de valse avec madame Royal. C’est promis : chaque fois qu’on le sollicitera pour défendre notre liberté à tous, Plenel répondra présent. « Je répondrai positivement à tous les autres têtes d’affiche du PS (et des autres partis), si elles me demandent de venir parler d’indépendance des médias à leurs militants… », explique-t-il à un internaute sceptique. Il serait plaisant que les dirigeants de l’UMP le prennent au mot.

On pourrait, si on était mesquin, chipoter Plenel sur le fait que sa « participation sans soutien » au meeting de Ségolène Royal n’est guère compatible avec la conception du journalisme qu’il a défendue jusque-là (et qui d’ailleurs n’est pas la mienne). Ce serait avouer qu’on n’a rien compris aux subtilités du plénélisme. « Ma position, c’est qu’un journaliste n’a pas à dire son vote. En revanche, il peut faire partager son analyse », déclarait-t-il il y a un an dans une vidéo sobrement intitulée « Edwy Plenel s’engage contre Sarkozy ». Si on comprend bien, il n’est pas sain qu’un journaliste se déclare pour un candidat mais il est excellent et démocratique qu’il s’engage contre – et peu importe qu’en ce cas l’appel à faire barrage à Sarkozy ait pu être entendu par les esprits malintentionnés déjà cités comme un appel à voter Royal. Essayons simplement d’imaginer un confrère d’Edwy évoquant au cours d’un meeting du candidat Sarkozy les dangers que l’élection de Ségolène Royal eût fait courir à la France. Que n’aurait-on entendu[1. Dans le même esprit, cela n’a pas troublé nos grandes consciences que le philosophe Alain Badiou transforme son séminaire à Normale Sup en think tank anti-sarkozyste (pourquoi pas, mais imaginons qu’il ait fait le contraire).] !

Qu’un journaliste ait des convictions et même qu’il les défende, parfait[2. Dans la vraie vie, la profession se distingue plutôt par une effarante absence de convictions.]. Le problème tient au fait que les journalistes font quotidiennement la promotion de leurs opinions comme si elles étaient les seules légitimes, ce qui signifie qu’ils les érigent au rang de vérités révélées. (Il est probable qu’eux-mêmes ne font plus la différence.) Quiconque oserait contester que le pouvoir d’achat est la première préoccupation des Français, que l’homophobie fait rage à l’école ou que le métissage culturel est une belle et grande chose (opinions respectables mais vérités médiatico-sondagières) s’attirerait aisément les foudres d’Edwy Plenel et de quelques autres. Bref, un journaliste a le droit (et peut-être le devoir) de défendre certaines idées ou certaines personnes. Quand il le fait, c’est un idéaliste. Qu’il s’avise d’en préférer d’autres et il ne sera plus qu’un idéologue. Pour la liste des idées et personnes défendables, le mieux est de s’adresser directement à Edwy Plenel.

J’ai un doute

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La plupart des journaux européens annoncent que la présidence française de l’Union, qui s’est ouverte officiellement aujourd’hui à minuit (heure de Bruxelles), commence dans un climat de doute. Lech Kaczynski, qui adroitement a troqué ses habits de plombier polonais contre ceux de président, entend ne pas ratifier le traité de Lisbonne « devenu sans objet depuis le non irlandais ». On aurait dû conseiller à Nicolas Sarkozy de ne pas prendre cette présidence qui commence un 1er juillet, fête de saint Thomas l’Apôtre.

Criminels non discriminés

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Le 1er juillet, l’Etat de Californie doit en principe mettre fin à la répartition des détenus par race et/ou religion dans ses prisons. Les Noirs étaient jusqu’ici regroupés avec les Noirs, les Latinos avec les Latinos, les membres de la Fraternité Aryenne avec leurs semblables, etc. Une avancée pour l’intégration, selon des blogs comme talkleft, qui n’est pourtant pas sans nourrir quelques inquiétudes : les « porte-paroles » de différents gangs ethniques promettent déjà des émeutes si leurs « droits » communautaires devaient être entamés.

L’homme révolté

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La Schwarzwälder Kirschtorte est un appétissant gâteau que nous autres Allemandes consommons entre nous dans des pâtisseries, où l’on veille scrupuleusement à maintenir élevés notre taux de médisance et de diabète. Cela s’appelle un Kaffeeklatsch (littéralement un café-ragots).

– Vous prendrez quoi, Frau Kohl ?
– Quelque chose de léger, je sors de déjeuner…
– Une Schwarzwaldtorte ?
– Oui, volontiers. Et un café, avec sucrettes !

Voilà plus de vingt ans que nous devions nous serrer la ceinture pour plaire à nos maris et nous contenter de minables ersatz pour sucrer nos cafés. Or, il n’y a rien de pire au monde que de devoir accompagner une succulente Schwarzwaldtorte et d’admirables médisances d’un café aspartamé à outrance.

Maintes fois, mes papilles ont éprouvé un dégoût si profond de la saveur métallique de la saccharine que je me suis vue, en songe, en train de pisser sur la tombe de Remsen et Fahlberg[1. Remsen et Fahlberg sont au sucre de synthèse ce que Parmentier fut à la pomme de terre : son inventeur.]. Et puis, pourquoi ne pas le dire, outre-Rhin ce genre d’ersatz nous replonge inéluctablement dans les tréfonds douloureux de la deutsche Vergangenheit : quand j’entends le mot sucrette, je sors mon revolver.

Or, nous voici aujourd’hui libérées, grâce à Elle, le magazine français qui libère les femmes et titre cette semaine : « Arrêtez de maigrir ! », « Le cri de révolte des hommes. » Quand j’ai lu ça hier après-midi, j’ai pensé instinctivement que cela devait être vrai : les mecs préfèrent les grosses autant que les grosses préfèrent les mecs. Enfin, je parle pour moi.

Et puis, comment ce magazine, nec plus ultra de la presse féminine mondiale, pourrait-il se tromper, lui qui depuis sa création en 1945 n’a jamais consacré une seule de ses couvertures au régime ni à la minceur. C’était donc ça ! Les décennies de silence de ces dames de Elle sur le poids des femmes n’étaient pas le pur fait de la courtoisie ni de la solidarité féminine : le coup était préparé depuis plus de cinquante ans.

Mais il faut y regarder à deux fois. « Arrêtez de maigrir, le cri de révolte des hommes » : le titre est plus politique qu’il n’y paraît. La rédaction de Elle s’engage, comme on dit à Marianne et alentours, dans une guerre sans merci contre l’hydre sarkozyste et les vieux démons altoséquanais. Le couteau entre les dents, les amazones de chez Elle arrêteront le combat lorsque Carla Bruni aura atteint le poids de Tante Yvonne et Germaine Coty réunies. En dessous de cent kilos, une première dame de France n’en est pas véritablement une.

Rassérénée par cette lecture, j’ai repris une deuxième part de Schwarzwaldtorte et tancé la serveuse de chez Hafendoerfer : « Donne-moi du sucre, du vrai ! Tu veux que Willy vienne te pousser son cri de révolte ou quoi ? » Défaite, elle m’a apporté un assortiment complet de sucre blanc, roux, candy et de canne[2. Je me dois d’informer mes aimables lecteurs qu’après douze sucres un café devient imbuvable.].

Repue, je suis sortie de la pâtisserie pour me précipiter chez le boucher. Depuis que je suis mariée à Willy, les paradis charcutiers me sont interdits par le zèle végétarien de mon époux. Libérée pour libérée, je me suis plongée à corps perdu dans des montagnes saucissières. La saucisse (nous en comptons plus de mille sortes de Hambourg à Munich) est l’apport allemand le plus précieux à la gastronomie mondiale. Les Italiens ont mondialisé la pizza ; les Chinois, le nem ; les américains, le hamburger. Il n’est que les Français qui n’ont jamais su rien imposer au monde en matière de gastronomie : il n’est pas né celui qui verra les fast-food américains, chinois, italiens ou les vendeurs de hot-dogs à la sauvette remplacés par une chaîne spécialisée dans l’escargot de Bourgogne[3. Au cas où il se trouverait néanmoins un serial entrepreneur bourguignon qui veuille reprendre l’idée à son compte, je la lui revends volontiers contre trois caisses de Pommard.].

Lorsque, hier soir, Willy s’est retrouvé attablé face à deux kilos de saucisses, il a tenté une rébellion.

– C’est quoi cette blague ?
– Comment une blague ? Tu vas me la finir, ta Brotwurst !
– Et d’une, je suis végétarien. Et de deux, tu devrais, ma chère Trudi, penser à ton régime !
– Mon quoi ?… Cet après-midi, tu la jouais Albert Camus, homme révolté et tout le bastringue dans Elle. Et ce soir tu veux me coller au régime. Faudrait savoir !

Bien sûr, Willy n’a rien compris. Il était planté là, devant moi, et me regardait.

– Allez, Willy, dis-moi quelque chose de gentil…
– …tu n’aurais pas perdu du poids ?