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Prière de ne pas se tromper d’erreur

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L’Elysée a rejeté, dimanche 13 juillet, les critiques d’anciens Casques bleus visant la présence du président syrien Bachar el-Assad au défilé du 14 juillet. L’imputation à Damas de l’attentat du Drakkar en 1983 au Liban a été qualifié par la présidence française d' »erreur historique ». « Le Drakkar,a déclaré à la presse une source élyséenne, c’était l’Iran et le Hezbollah. La Syrie, c’était l’attentat contre l’ambassadeur de France au Liban Louis Delamare en 1981 ». Ouf, on a eu chaud.

Collé Carolis !

« Stupide » : c’est ainsi que la patron de France Télévisions avait répondu, au micro de RTL, à Nicolas Sarkozy, lequel estimait qu’il n’y avait guère de différence entre service public et chaînes privées. Manque de bol pour Patrick de Carolis : une étude comparative menée par Médiamétrie sur une année de programmes toutes chaînes confondues vient de mettre en évidence que « TF1 et M6 sont encore très proches de France 2, France 3 et France 5 ».

Tombeau pour Geremek

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Dans son testament, rédigé dans les jours de 1941 où il s’engageait dans la Résistance, Marc Bloch demandait qu’on inscrive le jour venu sur sa pierre tombale ces deux mots latins : dilexit veritatem (il a chéri la vérité). Il n’y a pas d’autres mots pour rendre hommage aujourd’hui à Bronislaw Geremek et lui édifier, d’une façon très modeste et très précaire, ce que le XIXe siècle appelait encore un tombeau.

Bronislaw Geremek avait fait le choix d’aimer la vérité et de n’aimer qu’elle. La vérité historique, tout d’abord, contre les falsifications et les repentances de tous ordres, contre les vérités d’Etat et l’intrusion du politique dans la fabrication de l’histoire. En mars 2007, on l’avait vu encore se rebeller contre la création en Pologne de l’Institut de la mémoire nationale et l’entrée en vigueur de la loi de lustration visant à « mettre au clair » la collaboration entre les Polonais et la police politique de l’ancien régime : « Je crois, écrivait-il, que la loi de lustration dans sa forme actuelle viole les règles morales et menace la liberté d’expression, l’indépendance des médias et l’autonomie des universités. Elle engendre une forme de « ministère de la vérité » et de « police de la mémoire ». Elle désarme le citoyen face aux campagnes de calomnies, en affaiblissant la protection légale de ses droits. »

C’est la recherche de la vérité qui l’écarta également, dès le printemps de Prague, du parti communiste polonais, dont il avait été un membre influent. Il ne prenait pas à la légère l’adage suivant lequel « toute vérité n’est pas bonne à dire ». Il en tirait toutes les conséquences, conscient qu’il n’existe pas, entre le bonheur et la vérité, de conciliation possible, mais un choix ardu et pénible.

Avec d’autres intellectuels polonais comme Kuron ou Michnik engagés au sein du Komitet Obrony Robotnikow (le comité de défense des ouvriers), puis emprisonnés, il joua un rôle de premier plan dans la chute du régime de Jaruzelski et l’arrivée de Lech Walesa au pouvoir. Bronislaw Geremek fut d’ailleurs certainement, au moment le plus décisif de la chute du communisme en Pologne, l’un des hommes les plus proches du responsable de Solidarnosc. Cependant, il ne sacrifia pas son indépendance et sa liberté de penser sur l’autel de ce compagnonnage des années de plomb et prit assez rapidement ses distances avec son vieil ami Walesa.

Mais la stature de Geremek dépasse le cadre de la simple histoire polonaise. Son œuvre le place au rang des médiévistes les plus importants de notre temps – ses recherches se sont concentrées principalement sur la place et la fonction des pauvres dans l’Europe médiévale. Sa vie et son destin en font l’une des figures les plus emblématiques du XXe siècle. Le ghetto de Varsovie, le totalitarisme communiste, la chute du bloc de l’Est, la construction d’un Etat polonais démocratique : Bronislaw Geremek aura vécu tout ce que son temps a compté en épreuves et en libérations.

Voilà ce qui fait de lui aujourd’hui une conscience éclairée de l’Europe, celle qui d’Albert le Grand[1. Au 13e siècle, le philosophe et théologien dominicain Albert le Grand, connu sous le nom de « docteur universel », fut le maître de Thomas d’Aquin.] à Stefan Zweig, croit avoir un message singulier à délivrer au reste du monde. Une conscience si éclairée d’ailleurs que l’Europe – en sa figure la plus vide de sens et la plus anhistorique qu’est son Parlement – le refusa comme président.

Cette élection manquée, en juillet 2004, l’avait blessé. Un sursaut d’orgueil lui faisait dire en privé qu’être battu par « un politicien aussi insignifiant que Josep Borrell » le laissait perplexe. Mais ce qui le bouleversait, par-dessus tout, c’était que le Parlement européen choisisse les combinazione policiennes et les alliances contre nature entre PPE et PSE, au moment même où l’Union vivait l’étape historique de son élargissement.

Puis, vite gêné par ce qu’il pensait être de l’orgueil mal placé, il balayait d’un sourire ces mauvaises pensées pour parler de vrais sujets, comme les conversations ininterrompues qu’il menait depuis plus de trente ans avec le pape Jean-Paul II ou la mort du fils naturel de Napoléon Ier et ministre des Affaires étrangères de Napoléon III, le comte Alexandre Waleski, en 1868, dans cette ville de Strasbourg où nous nous souvenions, en levant nos verres, que Marc Bloch accolait à ses livres un bien curieux ex-libris : veritas vinum vitae. La vérité est le vin de la vie.

Précédent fâcheux

3

Comme nous l’apprend l’excellent blog de Charles Bremmer, le correspondant du Times à Paris, si le disque de Carla est une première – on n’avait jamais vu l’épouse d’un grand chef d’Etat enregistrer un disque – elle avait déjà eu, il y a dix-neuf ans, une sorte de devancière, puisqu’un album de douze chansons d’amours avait été enregistré en 1989 par la pétulante ex-first lady des Philippines, Imelda Marcos.

Valse avec les souvenirs

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Les jeunes appelés qui partirent en Algérie ont aujourd’hui plus de soixante ans. Ils furent des victimes à part entière de cette guerre, eux qui virent leurs compagnons d’arme mourir en même temps que leur jeunesse, eux qui durent parfois accomplir des actes qu’ils réprouvaient et avec lesquels ils vivent depuis. Pourtant, dans le grand et permanent débat sur la guerre d’Algérie, on ne les écoute jamais. Leur souffrance ? Elle n’a droit qu’au silence. Les Algériens entretiennent très bien la mémoire de leurs victimes – c’est-à-dire des victimes acceptables pour le régime (et non celles du FLN parmi la population arabe). Nos victimes à nous, ce furent les Harkis, les Français d’Algérie déracinés, expulsés, massacrés, et les rapatriés, dont il est un peu, trop peu, question. Mais ce furent aussi tous ces gosses de métropole qui durent, un matin, quitter leurs études, leur famille et leurs amis pour aller faire la guerre. Leurs souffrances d’hier, leurs cauchemars toujours présents ne semblent intéresser personne. C’est ainsi que nous vivons, aveugles à cette blessure et sourds à ce qu’elle pourrait nous apprendre de nous-mêmes et de notre histoire. Mais les blessures parlent, qu’on les écoute ou pas ; elles minent, elles sapent, elles travaillent de l’intérieur les consciences et les esprits.

C’est de tout cela que nous entretient avec humilité, avec honnêteté, avec art le cinéaste israélien Ari Folman [1. Valse avec Bachir d’Ari Folman est actuellement sur les écrans.]. Il ne parle pas de la guerre d’Algérie, bien sûr, mais de celle du Liban. Cette guerre compliquée où les Libanais s’entretuèrent tandis que Palestiniens et Israéliens poursuivaient leur affrontement. Valse avec Bachir, son film, est un examen de conscience. Il y est question de la responsabilité israélienne dans le massacre par les phalanges chrétiennes de centaines de Palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila en septembre 1982, pour venger l’assassinat de Bachir Gemayel, nouvellement élu président du Liban. « Où étais-je pendant le massacre ? » Telle est la question que se posent tous les protagonistes de cet admirable film d’animation. Le narrateur a tout oublié. Il décide donc d’interroger ceux qui étaient avec lui et, petit à petit, la mémoire lui revient, jusqu’à ce que les images du massacre lui-même apparaissent. Il découvre que s’il n’est pas directement coupable, il est complice, lui qui permit aux milices d’y voir « clair » pendant les massacres nocturnes. Ce qui se révèle avoir été son rôle est une belle métaphore de ce que fait le film lui-même : faire la lumière sur le massacre et sur le rôle des uns et des autres. On ne se souvient tout d’abord pas, ou pas vraiment, mais à force de parler, de raconter, les souvenirs reviennent, désagréables et terrifiants. C’est ce caractère désagréable et terrifiant qui explique l’oubli. L’oubli seul permet de vivre, la mémoire tétanise. Il apparaît, dans ce film, que le remords ronge tous ceux qui y furent impliqués de près ou de loin. Cette guerre est à la fois ce qui les lie et ce qu’ils souhaiteraient oublier. Mais le souvenir est comme une meute de chiens qui vient troubler le sommeil, la quiétude et la vie normale. L’immense vertu de ce film est donc de permettre de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un jeune appelé, sans expérience, que tenaille la peur, le doute et qui doit néanmoins faire son « devoir » ; et ce qui se passe dans sa tête des années après, une fois qu’il a réussi à oublier. Si l’oubli ne vient pas, tout espoir est perdu, toute foi en l’homme est impossible. Mais l’oubli installé, on vit dans la dénégation.

Alors, puisque parler est vital, comment parler de ses « sales » guerres ? Ce film n’est pas un acte d’accusation : c’est une interrogation. Comment vit-on après ? La psychanalyse parle de « retour du refoulé » qui consiste pour tout ce que nous avons sciemment et prudemment rejeté dans les limbes de notre inconscient à ressortir par où c’est possible, dans les rêves, dans les obsessions – pire : dans les rêves de nos enfants. Une brève scène du film l’illustre : le massacre dont le narrateur croit être obsédé n’est pas seulement celui dont il serait partie prenante, c’est aussi un massacre plus ancien, sans commune mesure dans le domaine de l’horreur mais qui a aussi pour théâtre des « camps », ceux dont ses parents sont tous deux survivants. Sa triple responsabilité d’homme, de citoyen d’une démocratie et de fils de martyrs, le conduit donc à en finir avec le refoulé : ce qui s’est passé, il le dira, il se le dira. Et il apprendra à vivre avec, même si ceux qui l’entourent exigeaient le silence et l’oubli.

Comment, en voyant ce film, ne pas penser à la guerre d’Algérie et au silence forcé de ses acteurs ? Nous faudra-t-il attendre qu’ils soient tous mourants pour les interroger, les écouter et leur permettre de raconter, eux aussi, leurs traumatismes, leurs peurs, leurs hontes et leurs angoisses ? Eux seuls peuvent nous raconter ce que ce fut que de combattre là-bas, de participer à cette guerre qui fut sale des deux côtés et qui laissa traumatisées une génération de Français et une génération d’Algériens ? Quand comprendra-t-on que tronquer l’histoire, n’en donner qu’un récit partial, ce n’est pas faire justice à un camp plutôt qu’à un autre, mais les trahir tous ? Valse avec Bachir est un film admirable parce qu’il est beau et juste. Aux yeux de notre époque, il n’a qu’un défaut : celui de ne pas diviser de manière manichéenne les protagonistes. Et d’oser montrer que les supposés « méchants » sont capables d’autocritique – on attend d’ailleurs avec curiosité un film syrien sur l’occupation du Liban ou un film jordanien sur les massacres de Palestiniens par leurs « frères » arabes. Cette concession à la complexité, la beauté formelle de l’exercice et son honnêteté dénuée de toute pose, voilà qui aura sans doute coûté la Palme d’or à Ari Folman. Car si l’air du temps clame son amour des films « courageux », il requiert par-dessus tout que l’on évite d’en demander au spectateur ! Triste conformisme. Et pari perdu : viendra un jour, en France, où des œuvres de cinéma, à leur tour, donneront à voir toute le complexité de la guerre vécue par nos appelés d’Algérie et d’Indochine. Alors, et alors seulement, nous aussi, nous pourrons enfin y voir clair.

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A quoi sert Bernard Kouchner ?

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Du temps de sa splendeur et de son million d’exemplaires vendus chaque jour, le France Soir de Pierre Lazareff avait une politique originale en matière de ressources humaines : Pierrot-les-bretelles recrutait à tour de bras des « plumes » journalistiques et littéraires sans autre obligation pour ces dernières que celle de ne pas écrire pour la concurrence. Peu importait qu’ils alimentent ou non les colonnes du journal, l’essentiel étant de « geler » ces talents en les payant grassement à ne rien faire. C’est ainsi que Françoise Sagan émargea longtemps au quotidien de la rue Réaumur sans que les lecteurs de France Soir s’aperçoivent que la romancière à succès faisait partie de la maison…

Cette méthode a été adoptée par Nicolas Sarkozy dans sa politique d’ouverture de son gouvernement à des personnalités politiques venus de l’autre rive : Bernard Kouchner, Jean-Pierre Jouyet, Jean-Marie Bockel, Fadela Amara, Martin Hirsch.

Tous ne sont pas des potiches décoratives destinées à perturber, par leur seule présence au gouvernement, les électeurs de gauche.

Jeau-Marie Bockel s’est essayé, à la Coopération, à critiquer la « Françafrique » et les potentats stipendiés par Total, Bouygues, Lafarge et consorts. Cela l’a conduit tout droit au secrétariat d’Etat aux Anciens combattants. Jean-Pierre Jouyet « fait » la politique européenne de Sarkozy avec l’ambassadeur à Bruxelles Pierre Sellal, lui aussi proche de la gauche. Fadela Amara et Martin Hirsch s’attachent avec opiniâtreté à défendre les dossiers qui leur tenaient à coeur avant leur entrée au gouvernement : la promotion des jeunes des « cités » pour la première, le revenu minimal d’activité pour le second.

Mais Kouchner ? Quel usage en fait le président de la République hormis d’avoir, en le nommant au Quai, neutralisé un adversaire politique doté d’une cote de popularité inoxydable ? Tous ceux qui suivent d’un peu près l’évolution de la diplomatie française ont constaté que la rupture bien réelle opérée avec la politique étrangère chiraco-villepiniste est l’oeuvre d’un trio aussi discret qu’efficace composé de Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, Jean-David Lévitte, chef de la cellule diplomatique de Sarkozy, et Gérard Araud, directeur des affaires politiques et stratégiques du Quai d’Orsay, ancien ambassadeur en Israël.

Si l’on ajoute à cela la nomination, comme dircab du ministre, de Philippe Etienne, vieil habitué des cabinets de droite et spécialiste des questions européennes, on voit que notre Bernard est bien « cadré », et contraint, lui, le paladin des droits de l’homme, d’avaler forces couleuvres realpoliticiennes à propos du Tibet, de la Libye, de la Syrie…

La preuve que Nicolas Sarkozy considérait comme purement honorifique et comme une simple manoeuvre de politique intérieure la nomination d’une personnalité de gauche au Quai d’Orsay, c’est qu’il a hésité entre deux candidats, Hubert Védrine et Bernard Kouchner, dont les positions sur les grands problèmes géostratégiques sont aux antipodes l’une de l’autre. Ainsi Védrine qualifie d’Irrealpolitik l’agitation droit-de-l’hommiste du fondateur de Médecins sans frontières. Peu importait, au fond, les convictions de la personnalité choisie car la ligne était tracée d’avance : réconciliation avec Washington, prise de distance avec l’Allemagne, réintégration du commandement intégré de l’OTAN, liquidation de la « politique arabe » de la France et chaleureux rapprochement avec Israël.

L’utilité de Kouchner n’est cependant pas seulement décorative : il peut aussi servir de leurre, de trompe-couillon dans certains dossiers délicats. Ainsi l’a-t-on laissé s’échiner dans une entreprise de réconciliation des factions libanaises, dans laquelle il se posait en garant de l’indépendance du pays face au puissant voisin syrien, pendant que l’Elysée prenait discrètement langue avec Damas pour gagner Bachar el Assad au projet d’union pour la Méditerranée. Le prix de sa présence à Paris les 13 et 14 juillet : on « oublie » la résolution 1559 de l’ONU exigeant le démantèlement de toutes les milices libanaises et on reconnaît le droit de regard de Damas sur la vie politique du pays du Cèdre. Le seul cri de révolte du ministre manipulé a été de déclarer que la visite à Paris de Bachar El Assad « ne le remplissait pas d’aise », ce qui, on en conviendra, est de nature à faire rentrer sous terre ceux qui l’ont organisée…

Alors, Monsieur, que fait un ministre qui n’a que peu ou même rien à faire ? Eh bien il nomme, monsieur ! Il distribue postes et prébendes dans notre vaste réseau d’ambassades, instituts culturels et médias dont le Quai d’Orsay assure la tutelle. Et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, on fait nommer sa compagne, Christine Ockrent comme n° 2 de la holding mise en place pour gérer l’audiovisuel extérieur de la France, suscitant à travers le monde quolibets et ricanements des concurrents qui mettent en doute, les grossiers, l’indépendance éditoriale de la « CNN à la française ».

Plusieurs décennies d’intense activité germanopratine – Bernard a été naguère l’un des piliers de la section socialiste du 6e arrondissement – ont valu au « french doctor » un important réseau d’amitiés dans la presse et l’édition, qui a continûment chanté les louanges de la vedette humanitaire, puis politique. Comme il est loin d’être un ingrat, il s’efforce de renvoyer l’ascenseur à ceux qui, au fil des années, l’ont fait monter au firmament des sondages. Ainsi, il a promu au prestigieux poste de conseiller culturel en Israël son amie Annette Lévy-Willard, journaliste à Libération, à la grande fureur de l’ambassadeur en place, pourtant réputé de gauche, Jean-Michel Casa, qui ne croit pas que Mme Lévy-Willard ait les qualités nécessaires pour s’imposer dans les milieux universitaires et culturels israéliens. Son prédécesseur, l’ethnopsychiatre de renom Tobie Nathan espérait, lui, obtenir le poste de directeur du centre de recherche français de Jérusalem, antenne locale du CNRS, où il aurait pu poursuivre son travail de mise en relation des universitaires français et israéliens. Las ! Bernard avait une bonne manière à faire à un autre ami, David Kessler, directeur de France Culture, dont l’épouse Sophie Mesguich, professeur d’hébreu à l’université Paris III, briguait le même poste. Pour calmer Jean-Michel Casa, il a été décidé de reporter d’un an le départ d’Annette pour Tel Aviv, en espérant qu’elle finira par se lasser…

Philippe Berthelot (1866 -1934), figure mythique du Quai d’Orsay sous la IIIe République, avait coutume de répondre de la manière suivante aux ministres qui voulaient attribuer des postes diplomatique à des amis : « Si vous avez une personnalité hors du commun à me proposer, je suis prêt à m’incliner. En revanche, s’il s’agit d’un imbécile ou d’un incompétent, nous avons tout ce qu’il faut dans la maison. »

Photographie de une : Olivier Roller.

Le Retour d’Egypte

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Œuvre tardive d’Albrecht Dürer, le tryptique L’Egypte tu l’aimes ou tu la quittes ornait le chœur de l’abbatiale franciscaine de Bois-Colombes avant d’être vendu comme bien national en 1791. Composé à l’origine de trois panneaux polychromes, il ne subsiste plus du retable bois-colombien que le Retour d’Egypte (La Fuite au Sinaï et Joseph construisant la charpente d’une pyramide ayant disparu). Encore que l’on ait quelques doutes sur l’origine du panneau restant : pourvu de charnières de part et d’autre, nul ne sait s’il occupait la partie droite ou gauche du retable.

Albrecht Dürer, Le Retour d’Egypte. Bois polychrome, conservé au musée Bernadette-Chirac des Arts premiers de Bois-Colombes.

Vive la blogosphère libérée

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La blogosphère d’hier est morte. Elle a été tuée par des agences de buzz qui ne considèrent pas le blogueur comme un individu non professionnel qui tient un « carnet web » par plaisir, envie de partager ou d’en découdre, mais comme un linéaire de supermarché de proximité. Aujourd’hui, une nouvelle blogosphère capricieuse prend corps. Elle est le haut de gamme de l’influence digitale, et, pour les annonceurs, l’un des territoires de la nouvelle tendance : le bespoking, autrement dit le marketing sur mesure conçu pour chaque blogueur, comme il le serait pour un média traditionnel.

Plutôt poules de luxe que vaches à lait : cette fronde est une réplique à des campagnes de buzz, souvent orchestrée par des micro-agences qui croient découvrir un eldorado à efforts et à prix « dumpés ». Le mail d’approche envoyé au blogueur commence en général par : « J’aime beaucoup ce que tu écris sur ton blog. » Le contre-buzz se met alors en marche (il suffit pour cela que deux blogueurs comparent les courriers qui disent à chacun, dans les mêmes termes, à quel point il est unique). Ce genre d’opérations d’intelligence marketing n’aboutit qu’à donner du travail aux sociétés de gestion de crise.

Reste à savoir ce que va devenir la blogosphère si docile à relayer les messages standardisés des agences de buzz. Promue ces deux dernières années comme le phénomène de mode, la solution incontournable à toute opération de communication, la blogosphère telle qu’on a pu la connaître est morte de s’être laissée berner par ces agences non humaines. Revenus des régies qui ne payent plus autant qu’avant, les blogueurs veulent aujourd’hui en finir avec la soumission aveugle aux agences. La révolte gronde. Dans ces conditions, si elles veulent continuer à toucher les internautes, les marques vont devoir se détourner de ces agences pour « causer meilleur » à « la blogosphère libérée ». Le blogueur attend plus. Il demande de l’expérience, de l’échange, de la rencontre. Au fond, le blogueur veut qu’on l’aime. Il ne se situe pas dans une relation professionnelle, même s’il utilise parfois tous les leviers de la professionnalisation. Le blogueur demande du sur-mesure, faute de quoi il ne peut que rejeter des campagnes qui ne lui correspondent pas. La bespokingmania est l’expression de cette mutation de la blogosphère. « Pourquoi me contenterais-je d’un discours en série, identique pour tous les blogueurs ? Si une marque bénéficie de ma plume ou de ma caméra, si elle veut que je m’engage pour elle, elle doit me traiter différemment et en somme m’aimer » – voilà ce que dit le nouveau blogueur.

Il n’est pas certain que ce marketing sur mesure soit adapté aux autres territoires de la planète digitale (forum, réseaux sociaux…). La mécanique de la communication suppose peut-être de considérer la blogosphère comme le levier luxueux (car nominatif) d’une stratégie d’influence. Comme dans les grandes maisons de luxe, il y a un cérémonial de vente à respecter. Si elles veulent que les blogueurs intègrent au mieux les messages publicitaires, les agences vont devoir apprendre à traiter avec des individus plutôt qu’avec des troupeaux.

Dyslexie

2

Le Figaro nous l’apprend dans son édition de vendredi : « Des officiers de Surcouf auraient été identifiés. » Ne nous y trompons pas, c’est du business : après le magistral coup de pub qu’Ingrid Betancourt a fait aux Fnacs, il fallait bien que Surcouf se distinguât. Attendons-nous à une réplique rapide de Virgin.

Farc et attrapes

1

Le ministère des Affaires étrangères a formellement démenti mercredi que la France ait versé en 2003 de l’argent au Farc pour obtenir la libération d’Ingrid Betancourt. Personne n’a jamais dit le contraire. Selon un courrier électronique trouvé par les Colombiens dans l’ordinateur de Raoul Reyes, numéro 2 des Farc tué en mars, les émissaires de Paris étaient en contact avec des escrocs qui prétendaient représenter les ravisseurs de Betancourt.

Prière de ne pas se tromper d’erreur

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L’Elysée a rejeté, dimanche 13 juillet, les critiques d’anciens Casques bleus visant la présence du président syrien Bachar el-Assad au défilé du 14 juillet. L’imputation à Damas de l’attentat du Drakkar en 1983 au Liban a été qualifié par la présidence française d' »erreur historique ». « Le Drakkar,a déclaré à la presse une source élyséenne, c’était l’Iran et le Hezbollah. La Syrie, c’était l’attentat contre l’ambassadeur de France au Liban Louis Delamare en 1981 ». Ouf, on a eu chaud.

Collé Carolis !

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« Stupide » : c’est ainsi que la patron de France Télévisions avait répondu, au micro de RTL, à Nicolas Sarkozy, lequel estimait qu’il n’y avait guère de différence entre service public et chaînes privées. Manque de bol pour Patrick de Carolis : une étude comparative menée par Médiamétrie sur une année de programmes toutes chaînes confondues vient de mettre en évidence que « TF1 et M6 sont encore très proches de France 2, France 3 et France 5 ».

Tombeau pour Geremek

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Dans son testament, rédigé dans les jours de 1941 où il s’engageait dans la Résistance, Marc Bloch demandait qu’on inscrive le jour venu sur sa pierre tombale ces deux mots latins : dilexit veritatem (il a chéri la vérité). Il n’y a pas d’autres mots pour rendre hommage aujourd’hui à Bronislaw Geremek et lui édifier, d’une façon très modeste et très précaire, ce que le XIXe siècle appelait encore un tombeau.

Bronislaw Geremek avait fait le choix d’aimer la vérité et de n’aimer qu’elle. La vérité historique, tout d’abord, contre les falsifications et les repentances de tous ordres, contre les vérités d’Etat et l’intrusion du politique dans la fabrication de l’histoire. En mars 2007, on l’avait vu encore se rebeller contre la création en Pologne de l’Institut de la mémoire nationale et l’entrée en vigueur de la loi de lustration visant à « mettre au clair » la collaboration entre les Polonais et la police politique de l’ancien régime : « Je crois, écrivait-il, que la loi de lustration dans sa forme actuelle viole les règles morales et menace la liberté d’expression, l’indépendance des médias et l’autonomie des universités. Elle engendre une forme de « ministère de la vérité » et de « police de la mémoire ». Elle désarme le citoyen face aux campagnes de calomnies, en affaiblissant la protection légale de ses droits. »

C’est la recherche de la vérité qui l’écarta également, dès le printemps de Prague, du parti communiste polonais, dont il avait été un membre influent. Il ne prenait pas à la légère l’adage suivant lequel « toute vérité n’est pas bonne à dire ». Il en tirait toutes les conséquences, conscient qu’il n’existe pas, entre le bonheur et la vérité, de conciliation possible, mais un choix ardu et pénible.

Avec d’autres intellectuels polonais comme Kuron ou Michnik engagés au sein du Komitet Obrony Robotnikow (le comité de défense des ouvriers), puis emprisonnés, il joua un rôle de premier plan dans la chute du régime de Jaruzelski et l’arrivée de Lech Walesa au pouvoir. Bronislaw Geremek fut d’ailleurs certainement, au moment le plus décisif de la chute du communisme en Pologne, l’un des hommes les plus proches du responsable de Solidarnosc. Cependant, il ne sacrifia pas son indépendance et sa liberté de penser sur l’autel de ce compagnonnage des années de plomb et prit assez rapidement ses distances avec son vieil ami Walesa.

Mais la stature de Geremek dépasse le cadre de la simple histoire polonaise. Son œuvre le place au rang des médiévistes les plus importants de notre temps – ses recherches se sont concentrées principalement sur la place et la fonction des pauvres dans l’Europe médiévale. Sa vie et son destin en font l’une des figures les plus emblématiques du XXe siècle. Le ghetto de Varsovie, le totalitarisme communiste, la chute du bloc de l’Est, la construction d’un Etat polonais démocratique : Bronislaw Geremek aura vécu tout ce que son temps a compté en épreuves et en libérations.

Voilà ce qui fait de lui aujourd’hui une conscience éclairée de l’Europe, celle qui d’Albert le Grand[1. Au 13e siècle, le philosophe et théologien dominicain Albert le Grand, connu sous le nom de « docteur universel », fut le maître de Thomas d’Aquin.] à Stefan Zweig, croit avoir un message singulier à délivrer au reste du monde. Une conscience si éclairée d’ailleurs que l’Europe – en sa figure la plus vide de sens et la plus anhistorique qu’est son Parlement – le refusa comme président.

Cette élection manquée, en juillet 2004, l’avait blessé. Un sursaut d’orgueil lui faisait dire en privé qu’être battu par « un politicien aussi insignifiant que Josep Borrell » le laissait perplexe. Mais ce qui le bouleversait, par-dessus tout, c’était que le Parlement européen choisisse les combinazione policiennes et les alliances contre nature entre PPE et PSE, au moment même où l’Union vivait l’étape historique de son élargissement.

Puis, vite gêné par ce qu’il pensait être de l’orgueil mal placé, il balayait d’un sourire ces mauvaises pensées pour parler de vrais sujets, comme les conversations ininterrompues qu’il menait depuis plus de trente ans avec le pape Jean-Paul II ou la mort du fils naturel de Napoléon Ier et ministre des Affaires étrangères de Napoléon III, le comte Alexandre Waleski, en 1868, dans cette ville de Strasbourg où nous nous souvenions, en levant nos verres, que Marc Bloch accolait à ses livres un bien curieux ex-libris : veritas vinum vitae. La vérité est le vin de la vie.

Précédent fâcheux

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Comme nous l’apprend l’excellent blog de Charles Bremmer, le correspondant du Times à Paris, si le disque de Carla est une première – on n’avait jamais vu l’épouse d’un grand chef d’Etat enregistrer un disque – elle avait déjà eu, il y a dix-neuf ans, une sorte de devancière, puisqu’un album de douze chansons d’amours avait été enregistré en 1989 par la pétulante ex-first lady des Philippines, Imelda Marcos.

Valse avec les souvenirs

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Les jeunes appelés qui partirent en Algérie ont aujourd’hui plus de soixante ans. Ils furent des victimes à part entière de cette guerre, eux qui virent leurs compagnons d’arme mourir en même temps que leur jeunesse, eux qui durent parfois accomplir des actes qu’ils réprouvaient et avec lesquels ils vivent depuis. Pourtant, dans le grand et permanent débat sur la guerre d’Algérie, on ne les écoute jamais. Leur souffrance ? Elle n’a droit qu’au silence. Les Algériens entretiennent très bien la mémoire de leurs victimes – c’est-à-dire des victimes acceptables pour le régime (et non celles du FLN parmi la population arabe). Nos victimes à nous, ce furent les Harkis, les Français d’Algérie déracinés, expulsés, massacrés, et les rapatriés, dont il est un peu, trop peu, question. Mais ce furent aussi tous ces gosses de métropole qui durent, un matin, quitter leurs études, leur famille et leurs amis pour aller faire la guerre. Leurs souffrances d’hier, leurs cauchemars toujours présents ne semblent intéresser personne. C’est ainsi que nous vivons, aveugles à cette blessure et sourds à ce qu’elle pourrait nous apprendre de nous-mêmes et de notre histoire. Mais les blessures parlent, qu’on les écoute ou pas ; elles minent, elles sapent, elles travaillent de l’intérieur les consciences et les esprits.

C’est de tout cela que nous entretient avec humilité, avec honnêteté, avec art le cinéaste israélien Ari Folman [1. Valse avec Bachir d’Ari Folman est actuellement sur les écrans.]. Il ne parle pas de la guerre d’Algérie, bien sûr, mais de celle du Liban. Cette guerre compliquée où les Libanais s’entretuèrent tandis que Palestiniens et Israéliens poursuivaient leur affrontement. Valse avec Bachir, son film, est un examen de conscience. Il y est question de la responsabilité israélienne dans le massacre par les phalanges chrétiennes de centaines de Palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila en septembre 1982, pour venger l’assassinat de Bachir Gemayel, nouvellement élu président du Liban. « Où étais-je pendant le massacre ? » Telle est la question que se posent tous les protagonistes de cet admirable film d’animation. Le narrateur a tout oublié. Il décide donc d’interroger ceux qui étaient avec lui et, petit à petit, la mémoire lui revient, jusqu’à ce que les images du massacre lui-même apparaissent. Il découvre que s’il n’est pas directement coupable, il est complice, lui qui permit aux milices d’y voir « clair » pendant les massacres nocturnes. Ce qui se révèle avoir été son rôle est une belle métaphore de ce que fait le film lui-même : faire la lumière sur le massacre et sur le rôle des uns et des autres. On ne se souvient tout d’abord pas, ou pas vraiment, mais à force de parler, de raconter, les souvenirs reviennent, désagréables et terrifiants. C’est ce caractère désagréable et terrifiant qui explique l’oubli. L’oubli seul permet de vivre, la mémoire tétanise. Il apparaît, dans ce film, que le remords ronge tous ceux qui y furent impliqués de près ou de loin. Cette guerre est à la fois ce qui les lie et ce qu’ils souhaiteraient oublier. Mais le souvenir est comme une meute de chiens qui vient troubler le sommeil, la quiétude et la vie normale. L’immense vertu de ce film est donc de permettre de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un jeune appelé, sans expérience, que tenaille la peur, le doute et qui doit néanmoins faire son « devoir » ; et ce qui se passe dans sa tête des années après, une fois qu’il a réussi à oublier. Si l’oubli ne vient pas, tout espoir est perdu, toute foi en l’homme est impossible. Mais l’oubli installé, on vit dans la dénégation.

Alors, puisque parler est vital, comment parler de ses « sales » guerres ? Ce film n’est pas un acte d’accusation : c’est une interrogation. Comment vit-on après ? La psychanalyse parle de « retour du refoulé » qui consiste pour tout ce que nous avons sciemment et prudemment rejeté dans les limbes de notre inconscient à ressortir par où c’est possible, dans les rêves, dans les obsessions – pire : dans les rêves de nos enfants. Une brève scène du film l’illustre : le massacre dont le narrateur croit être obsédé n’est pas seulement celui dont il serait partie prenante, c’est aussi un massacre plus ancien, sans commune mesure dans le domaine de l’horreur mais qui a aussi pour théâtre des « camps », ceux dont ses parents sont tous deux survivants. Sa triple responsabilité d’homme, de citoyen d’une démocratie et de fils de martyrs, le conduit donc à en finir avec le refoulé : ce qui s’est passé, il le dira, il se le dira. Et il apprendra à vivre avec, même si ceux qui l’entourent exigeaient le silence et l’oubli.

Comment, en voyant ce film, ne pas penser à la guerre d’Algérie et au silence forcé de ses acteurs ? Nous faudra-t-il attendre qu’ils soient tous mourants pour les interroger, les écouter et leur permettre de raconter, eux aussi, leurs traumatismes, leurs peurs, leurs hontes et leurs angoisses ? Eux seuls peuvent nous raconter ce que ce fut que de combattre là-bas, de participer à cette guerre qui fut sale des deux côtés et qui laissa traumatisées une génération de Français et une génération d’Algériens ? Quand comprendra-t-on que tronquer l’histoire, n’en donner qu’un récit partial, ce n’est pas faire justice à un camp plutôt qu’à un autre, mais les trahir tous ? Valse avec Bachir est un film admirable parce qu’il est beau et juste. Aux yeux de notre époque, il n’a qu’un défaut : celui de ne pas diviser de manière manichéenne les protagonistes. Et d’oser montrer que les supposés « méchants » sont capables d’autocritique – on attend d’ailleurs avec curiosité un film syrien sur l’occupation du Liban ou un film jordanien sur les massacres de Palestiniens par leurs « frères » arabes. Cette concession à la complexité, la beauté formelle de l’exercice et son honnêteté dénuée de toute pose, voilà qui aura sans doute coûté la Palme d’or à Ari Folman. Car si l’air du temps clame son amour des films « courageux », il requiert par-dessus tout que l’on évite d’en demander au spectateur ! Triste conformisme. Et pari perdu : viendra un jour, en France, où des œuvres de cinéma, à leur tour, donneront à voir toute le complexité de la guerre vécue par nos appelés d’Algérie et d’Indochine. Alors, et alors seulement, nous aussi, nous pourrons enfin y voir clair.

Waltz with Bashir: A Lebanon War Story

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A quoi sert Bernard Kouchner ?

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Du temps de sa splendeur et de son million d’exemplaires vendus chaque jour, le France Soir de Pierre Lazareff avait une politique originale en matière de ressources humaines : Pierrot-les-bretelles recrutait à tour de bras des « plumes » journalistiques et littéraires sans autre obligation pour ces dernières que celle de ne pas écrire pour la concurrence. Peu importait qu’ils alimentent ou non les colonnes du journal, l’essentiel étant de « geler » ces talents en les payant grassement à ne rien faire. C’est ainsi que Françoise Sagan émargea longtemps au quotidien de la rue Réaumur sans que les lecteurs de France Soir s’aperçoivent que la romancière à succès faisait partie de la maison…

Cette méthode a été adoptée par Nicolas Sarkozy dans sa politique d’ouverture de son gouvernement à des personnalités politiques venus de l’autre rive : Bernard Kouchner, Jean-Pierre Jouyet, Jean-Marie Bockel, Fadela Amara, Martin Hirsch.

Tous ne sont pas des potiches décoratives destinées à perturber, par leur seule présence au gouvernement, les électeurs de gauche.

Jeau-Marie Bockel s’est essayé, à la Coopération, à critiquer la « Françafrique » et les potentats stipendiés par Total, Bouygues, Lafarge et consorts. Cela l’a conduit tout droit au secrétariat d’Etat aux Anciens combattants. Jean-Pierre Jouyet « fait » la politique européenne de Sarkozy avec l’ambassadeur à Bruxelles Pierre Sellal, lui aussi proche de la gauche. Fadela Amara et Martin Hirsch s’attachent avec opiniâtreté à défendre les dossiers qui leur tenaient à coeur avant leur entrée au gouvernement : la promotion des jeunes des « cités » pour la première, le revenu minimal d’activité pour le second.

Mais Kouchner ? Quel usage en fait le président de la République hormis d’avoir, en le nommant au Quai, neutralisé un adversaire politique doté d’une cote de popularité inoxydable ? Tous ceux qui suivent d’un peu près l’évolution de la diplomatie française ont constaté que la rupture bien réelle opérée avec la politique étrangère chiraco-villepiniste est l’oeuvre d’un trio aussi discret qu’efficace composé de Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, Jean-David Lévitte, chef de la cellule diplomatique de Sarkozy, et Gérard Araud, directeur des affaires politiques et stratégiques du Quai d’Orsay, ancien ambassadeur en Israël.

Si l’on ajoute à cela la nomination, comme dircab du ministre, de Philippe Etienne, vieil habitué des cabinets de droite et spécialiste des questions européennes, on voit que notre Bernard est bien « cadré », et contraint, lui, le paladin des droits de l’homme, d’avaler forces couleuvres realpoliticiennes à propos du Tibet, de la Libye, de la Syrie…

La preuve que Nicolas Sarkozy considérait comme purement honorifique et comme une simple manoeuvre de politique intérieure la nomination d’une personnalité de gauche au Quai d’Orsay, c’est qu’il a hésité entre deux candidats, Hubert Védrine et Bernard Kouchner, dont les positions sur les grands problèmes géostratégiques sont aux antipodes l’une de l’autre. Ainsi Védrine qualifie d’Irrealpolitik l’agitation droit-de-l’hommiste du fondateur de Médecins sans frontières. Peu importait, au fond, les convictions de la personnalité choisie car la ligne était tracée d’avance : réconciliation avec Washington, prise de distance avec l’Allemagne, réintégration du commandement intégré de l’OTAN, liquidation de la « politique arabe » de la France et chaleureux rapprochement avec Israël.

L’utilité de Kouchner n’est cependant pas seulement décorative : il peut aussi servir de leurre, de trompe-couillon dans certains dossiers délicats. Ainsi l’a-t-on laissé s’échiner dans une entreprise de réconciliation des factions libanaises, dans laquelle il se posait en garant de l’indépendance du pays face au puissant voisin syrien, pendant que l’Elysée prenait discrètement langue avec Damas pour gagner Bachar el Assad au projet d’union pour la Méditerranée. Le prix de sa présence à Paris les 13 et 14 juillet : on « oublie » la résolution 1559 de l’ONU exigeant le démantèlement de toutes les milices libanaises et on reconnaît le droit de regard de Damas sur la vie politique du pays du Cèdre. Le seul cri de révolte du ministre manipulé a été de déclarer que la visite à Paris de Bachar El Assad « ne le remplissait pas d’aise », ce qui, on en conviendra, est de nature à faire rentrer sous terre ceux qui l’ont organisée…

Alors, Monsieur, que fait un ministre qui n’a que peu ou même rien à faire ? Eh bien il nomme, monsieur ! Il distribue postes et prébendes dans notre vaste réseau d’ambassades, instituts culturels et médias dont le Quai d’Orsay assure la tutelle. Et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, on fait nommer sa compagne, Christine Ockrent comme n° 2 de la holding mise en place pour gérer l’audiovisuel extérieur de la France, suscitant à travers le monde quolibets et ricanements des concurrents qui mettent en doute, les grossiers, l’indépendance éditoriale de la « CNN à la française ».

Plusieurs décennies d’intense activité germanopratine – Bernard a été naguère l’un des piliers de la section socialiste du 6e arrondissement – ont valu au « french doctor » un important réseau d’amitiés dans la presse et l’édition, qui a continûment chanté les louanges de la vedette humanitaire, puis politique. Comme il est loin d’être un ingrat, il s’efforce de renvoyer l’ascenseur à ceux qui, au fil des années, l’ont fait monter au firmament des sondages. Ainsi, il a promu au prestigieux poste de conseiller culturel en Israël son amie Annette Lévy-Willard, journaliste à Libération, à la grande fureur de l’ambassadeur en place, pourtant réputé de gauche, Jean-Michel Casa, qui ne croit pas que Mme Lévy-Willard ait les qualités nécessaires pour s’imposer dans les milieux universitaires et culturels israéliens. Son prédécesseur, l’ethnopsychiatre de renom Tobie Nathan espérait, lui, obtenir le poste de directeur du centre de recherche français de Jérusalem, antenne locale du CNRS, où il aurait pu poursuivre son travail de mise en relation des universitaires français et israéliens. Las ! Bernard avait une bonne manière à faire à un autre ami, David Kessler, directeur de France Culture, dont l’épouse Sophie Mesguich, professeur d’hébreu à l’université Paris III, briguait le même poste. Pour calmer Jean-Michel Casa, il a été décidé de reporter d’un an le départ d’Annette pour Tel Aviv, en espérant qu’elle finira par se lasser…

Philippe Berthelot (1866 -1934), figure mythique du Quai d’Orsay sous la IIIe République, avait coutume de répondre de la manière suivante aux ministres qui voulaient attribuer des postes diplomatique à des amis : « Si vous avez une personnalité hors du commun à me proposer, je suis prêt à m’incliner. En revanche, s’il s’agit d’un imbécile ou d’un incompétent, nous avons tout ce qu’il faut dans la maison. »

Photographie de une : Olivier Roller.

Le Retour d’Egypte

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Œuvre tardive d’Albrecht Dürer, le tryptique L’Egypte tu l’aimes ou tu la quittes ornait le chœur de l’abbatiale franciscaine de Bois-Colombes avant d’être vendu comme bien national en 1791. Composé à l’origine de trois panneaux polychromes, il ne subsiste plus du retable bois-colombien que le Retour d’Egypte (La Fuite au Sinaï et Joseph construisant la charpente d’une pyramide ayant disparu). Encore que l’on ait quelques doutes sur l’origine du panneau restant : pourvu de charnières de part et d’autre, nul ne sait s’il occupait la partie droite ou gauche du retable.

Albrecht Dürer, Le Retour d’Egypte. Bois polychrome, conservé au musée Bernadette-Chirac des Arts premiers de Bois-Colombes.

Vive la blogosphère libérée

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La blogosphère d’hier est morte. Elle a été tuée par des agences de buzz qui ne considèrent pas le blogueur comme un individu non professionnel qui tient un « carnet web » par plaisir, envie de partager ou d’en découdre, mais comme un linéaire de supermarché de proximité. Aujourd’hui, une nouvelle blogosphère capricieuse prend corps. Elle est le haut de gamme de l’influence digitale, et, pour les annonceurs, l’un des territoires de la nouvelle tendance : le bespoking, autrement dit le marketing sur mesure conçu pour chaque blogueur, comme il le serait pour un média traditionnel.

Plutôt poules de luxe que vaches à lait : cette fronde est une réplique à des campagnes de buzz, souvent orchestrée par des micro-agences qui croient découvrir un eldorado à efforts et à prix « dumpés ». Le mail d’approche envoyé au blogueur commence en général par : « J’aime beaucoup ce que tu écris sur ton blog. » Le contre-buzz se met alors en marche (il suffit pour cela que deux blogueurs comparent les courriers qui disent à chacun, dans les mêmes termes, à quel point il est unique). Ce genre d’opérations d’intelligence marketing n’aboutit qu’à donner du travail aux sociétés de gestion de crise.

Reste à savoir ce que va devenir la blogosphère si docile à relayer les messages standardisés des agences de buzz. Promue ces deux dernières années comme le phénomène de mode, la solution incontournable à toute opération de communication, la blogosphère telle qu’on a pu la connaître est morte de s’être laissée berner par ces agences non humaines. Revenus des régies qui ne payent plus autant qu’avant, les blogueurs veulent aujourd’hui en finir avec la soumission aveugle aux agences. La révolte gronde. Dans ces conditions, si elles veulent continuer à toucher les internautes, les marques vont devoir se détourner de ces agences pour « causer meilleur » à « la blogosphère libérée ». Le blogueur attend plus. Il demande de l’expérience, de l’échange, de la rencontre. Au fond, le blogueur veut qu’on l’aime. Il ne se situe pas dans une relation professionnelle, même s’il utilise parfois tous les leviers de la professionnalisation. Le blogueur demande du sur-mesure, faute de quoi il ne peut que rejeter des campagnes qui ne lui correspondent pas. La bespokingmania est l’expression de cette mutation de la blogosphère. « Pourquoi me contenterais-je d’un discours en série, identique pour tous les blogueurs ? Si une marque bénéficie de ma plume ou de ma caméra, si elle veut que je m’engage pour elle, elle doit me traiter différemment et en somme m’aimer » – voilà ce que dit le nouveau blogueur.

Il n’est pas certain que ce marketing sur mesure soit adapté aux autres territoires de la planète digitale (forum, réseaux sociaux…). La mécanique de la communication suppose peut-être de considérer la blogosphère comme le levier luxueux (car nominatif) d’une stratégie d’influence. Comme dans les grandes maisons de luxe, il y a un cérémonial de vente à respecter. Si elles veulent que les blogueurs intègrent au mieux les messages publicitaires, les agences vont devoir apprendre à traiter avec des individus plutôt qu’avec des troupeaux.

Dyslexie

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Le Figaro nous l’apprend dans son édition de vendredi : « Des officiers de Surcouf auraient été identifiés. » Ne nous y trompons pas, c’est du business : après le magistral coup de pub qu’Ingrid Betancourt a fait aux Fnacs, il fallait bien que Surcouf se distinguât. Attendons-nous à une réplique rapide de Virgin.

Farc et attrapes

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Le ministère des Affaires étrangères a formellement démenti mercredi que la France ait versé en 2003 de l’argent au Farc pour obtenir la libération d’Ingrid Betancourt. Personne n’a jamais dit le contraire. Selon un courrier électronique trouvé par les Colombiens dans l’ordinateur de Raoul Reyes, numéro 2 des Farc tué en mars, les émissaires de Paris étaient en contact avec des escrocs qui prétendaient représenter les ravisseurs de Betancourt.