Une fois les danses folkloriques terminées, des discours beaucoup plus radicaux ont été tenus lors du «meeting des universités avec la Palestine», samedi, à Paris. Nous sommes allés écouter.
Paris, quartier de Censier, samedi soir. Quand beaucoup d’étudiants du quartier latin arrosent leur fin de semaine dans les bars, d’autres se réunissent pour « un meeting des universités avec la Palestine » au bâtiment de la Césure (ancien site de la Sorbonne-Nouvelle, aujourd’hui laissé en friche, il accueille en temps normal des recycleries et expos bobos, des stands Emmaüs ou des brunchs hors de prix). Allégé de quelques euros, fouillé à l’entrée par des jeunes gens un peu gringalets mais cagoulés et tout de noir vêtus, nous retrouvons dans le hall d’accueil l’habituel folklore militant pro-palestinien : des bandes dessinées au titre évocateur « From the river to the sea », des tracts pour la libération du « prisonnier politique » Georges Abdallah, un coin « cuisine palestinienne »…
La tenancière des fourneaux rafraîchit notre envie de bière : « Je ne pense pas qu’il y ait d’alcool ici ». On se contentera d’un Coca-Cola Palestine, « produit en dehors des zones d’occupation palestinienne ».
La politique est là aussi, bien sûr, avec les stands des associations étudiantes de gauche radicale type FSU ou encore la revue trotskiste Révolution permanente. Côté dress code, les garçons sont venus avec leur keffieh. Et on ne compte pas les jeunes filles voilées.
Femme à barbe, keffiehs et dénonciation du « pinkwashing »
Au fond, un amphithéâtre est reconverti en tribune pour harangues « anti-impérialistes ». Au programme : des témoignages d’étudiants « faisant leur rentrée sous occupation militaire », des intervenants appelant au « boycott académique », et un cours de dabké, une « danse traditionnelle palestinienne ». En guise de bourrée auvergnate, des jeunes gens reproduisent la chorégraphie d’une vidéo YouTube où des Gazaouis dansent « au front des snipers israéliens ». Au micro, les intervenants se succèdent. Les intitulés des conférences sont parfois énigmatiques.
Trois étudiants, Hamza du collectif « Queers for Palestine, » Mukit, un acteur français, et Riyadh, un étudiant en médecine, dissèquent « la stratégie du gouvernement israélien qui consiste à utiliser les droits LGBT ». Le gouvernement israélien est accusé de présenter son adversaire le Hamas en organisation homophobe. Hamza, un acteur palestinien né en Jordanie et arrivé en France à l’âge de 18 ans, affiche son identité transgenre et queer : il / elle porte la barbe. Pas très bien réveillé (« j’aurais eu besoin d’un café »), l’acteur prend bien soin de ne jamais terminer une seule de ses phrases ; il nous offre-là sûrement une démonstration de sa maîtrise de l’art professionnel de la suspension dramatique… Ces déclarations sont un mélange d’enthousiasme, de complainte et de fatigue (« Cela fait partie du personnage »), mâtiné d’élucubrations (« Il y a des cons et des anges dans chaque pays » (…) Je cherche une vision abstraite de l’être humain où l’identité n’est pas tout »). Car, il en est persuadé : tous les humains s’aiment. La preuve : l’homophobie ne serait pas réservée au seul monde musulman, comme le disent ces méchants Israéliens : « J’ai reçu aussi en France des blagues… qui n’étaient pas toujours de l’humour constructif ». Ryadh, l’étudiant en médecine, théorise : « On est en présence d’une nouvelle dichotomie entre un Occident qui arrive à penser la diversité mais uniquement face à un Orient essentialité ». Arrive quand même une concession : « Il y a certes un problème d’homophobie en Palestine », où des homosexuels sont régulièrement lynchés ou décapités. Un jeune homme en boucles d’oreilles et en keffieh demande comment dans la bataille on peut bien « mettre ça (l’identité queer et palestinienne de Hamza NDLR) en avant » auprès des masses.
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Nos intervenants farfelus ont beau rappeler que « l’identité n’est pas tout », elle abonde pourtant partout ailleurs lors de ce rassemblement militant: sur les stands, dans les panoplies vestimentaires ou religieuses des uns et des autres. Et, surtout, dans les discours, qui tous célèbrent cet Orient qu’il ne faudrait pas essentialiser, alors que l’on ne peine jamais à renvoyer l’Occident à son essence supposée « colonialiste, impérialiste et patriarcale ».
Le meilleur pour la fin
La conférence se clôture par une table ronde réunissant un parterre de choix : Rachele Borghi, maitre de conférences en géographie, chercheur et militante de la cause palestinienne, une certaine Janah, étudiante à Sorbonne-Université, et Omar Alsoumi, né d’un père palestinien, diplômé de Sciences-Po, porte-parole de PYM (Palestian Youth Movement), représentant de l’association Boussole Palestine. L’étudiante fulmine contre les « réacs » qui réprimandent la jeunesse pro-palestinienne française dans les médias, à savoir Michel Onfray, Elisabeth Badinter et Anne Sinclair – dont elle fait huer l’âge des dernières : « 76 ans et 80 ans » ! La prof, Rachele Borghi, s’interroge sur le silence des collègues enseignants-chercheurs et s’en prend carrément à l’institution qui la rémunère, « un foyer de production d’ignorance ».
Parmi les derniers à prendre le micro, enfin, Omar Alsoumi se dit « tenté de sortir du cadre ». Il va tenir parole. Après avoir dénoncé les « intentions génocidaires claires » du gouvernement israélien, il s’en prend aux journalistes (« des salopards » qui présentent les victimes civiles comme des dégâts collatéraux), et adresse des encouragements à « ceux qui prennent les armes pour assumer le risque suprême de leur vie »… Surtout, il développe tout un argumentaire autour de la « violence légitime » :
« On ne doit pas séparer, on doit articuler de la façon la plus précise possible le soutien à la résistance légitime, y compris armée, du peuple palestinien, et le soutien matériel concret aux Palestiniens (…) On a longtemps présenté en Occident et y compris dans le monde musulman les Palestiniens comme de pauvres victimes et potentiellement comme des mendiants. » Fini le pacifisme, fini la victimisation humanitaire, vive la résistance. Y compris terroriste ? Le propos est un peu ambigu… mais cela n’empêche pas la salle d’applaudir à tout rompre. À ce moment, près de nous, un jeune homme musclé et barbu vient demander qu’on lui indique la salle de prière, installée pour les plus pieux visiteurs. Prescience houellebecquienne : l’Université de la Sorbonne n’est-elle pas le décor du fameux roman Soumission ?