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Résilience et couteau suisse

Le gouvernement va envoyer un kit de survie à tous les foyers français d’ici l’été. Avec un livret qui détaillera les bons gestes à adopter en cas de conflit armé ou de crise sur le sol français.


Ainsi, grâce à l’oppressante incertitude des temps, voilà donc l’industrie du couteau-suisse relancée en même temps que celle du canon César et du missile à tête chercheuse. Couteau suisse dont on espère qu’il serait de fabrication française, bien sûr, car il ferait beau voir que, sur ce point essentiel, nous soyons dépendants de l’ingénierie helvétique comme nous l’avons été si longtemps, en matière de défense, du paternel bouclier made in USA.

Parer à toute éventualité

D’ici l’été, laissent entendre des gens du gouvernement, chaque Français devrait recevoir son kit de survie. Enfin l’intitulé n’est pas encore défini. Sans doute faudra-t-il quelques réunions interministérielles pour en décider, à moins qu’en très haut lieu on ne décide de s’en remettre à la voie référendaire, puisque dans une récente allocution ce recours avait été évoqué. De même pour le type exact de couteau : le modèle de base à six lames ? Ou l’engin de compétition à quinze fonctions ? Évidemment, selon le choix final, le budget n’est pas le même. La bonne vieille question du nerf de la guerre, comme toujours, que voulez-vous…

Remarquez, s’en remettre au référendum serait, pour le chef de l’État, une excellente occasion de montrer aux populations – ébahies pour le coup – que – une fois n’étant pas coutume – on convertit enfin les paroles en actes.

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En fait, pour que l’opération soit parfaitement menée, il serait opportun que le kit en question – couteau suisse, lampe de poche, petite radio à piles (éventuellement bloquée sur la fréquence d’état afin que les esprits ne s’égarent point et n’aillent pas battre la campagne) – pansements, compresses, guide de conseils en vingt pages – parviennent en tout début de saison estivale, juste avant le départ en camping pour les aventureuses équipées cévenoles ou quercynoises. Là, on aurait moins l’assurance que la panoplie du parfait Robinson pourrait servir à quelques chose.

« L’objectif est de dire aux Français de se préparer à toute éventualité et non pas qu’à un conflit armé, précise un membre du gouvernement se voulant rassurant. La doctrine française étant la dissuasion, il serait contre-productif de se focaliser uniquement sur le conflit armé et mettre uniquement cela dans la tête des Français. » En effet, ce serait faire l’impasse sur des circonstances autrement plus réjouissantes telles que le retour d’une pandémie type Covid, les crues monstres jusqu’aux à sourcils du zouave du pont de l’Alma, les pluies de sauterelles, les eaux des fleuves transformées en sang, les grenouilles partout, par milliards, les ténèbres pour trois jours, bref toute la lyre des antiques plaies à l’égyptienne.

Résilience

Aussi s’agit-il, dit encore le gouvernement, « d’assurer la résilience des populations ». Ah, le beau mot de résilience ! Avec ces autres mots que sont partage, convivialité, tolérance et vivre ensemble, il est un des incontournables de la logorrhée politicienne du moment.

Résilience : « capacité à surmonter les chocs traumatiques » nous explique le dictionnaire. Se pourrait-il qu’au sommet de l’État on en soit arrivé à considérer que, après quelque sept années de macronisme, il serait grand temps de se pencher sur la question, justement, de « la résilience des populations » ? Ce serait là un indéniable progrès…  

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Lyrique: « Samson », de Rameau, ou le fantôme d’un opéra

Opéra de Jean-Philippe Rameau dont le livret coécrit avec Voltaire en 1733 a été censuré pour son mélange de sacré et de profane, Samson est longtemps resté inachevé; il a été recréé en 2024 par Raphaël Pichon et Claus Guth pour le Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être repris à l’Opéra-Comique avec une distribution en partie renouvelée. Loin d’être une simple reconstitution historique, cette production propose une mise en scène audacieuse qui confère à l’œuvre une intéressante modernité .


Jean-Philippe Rameau (1683-1764) n’a rien d’un génie précoce. Le compositeur dijonnais des merveilleuses Pièces et autres Suites de clavecin a déjà franchi la cinquantaine quand, savant théoricien, auteur émérite, par ailleurs, de plusieurs Traités de l’harmonie, il devient l’auteur incontournable de toute une série de chef d’œuvres lyriques, depuis Hyppolyte et Aricie (1733), Les Indes galantes (1735), jusqu’à Zoroastre (1740), en passant par Castor et Pollux (1737),  Les Fêtes d’Hébé ou  Dardanus (1739)… Avant que de suspendre mystérieusement, pour les quatre années suivantes, cette enfilade d’opéras. Plus tard encore, se seront toute une flopée de pastorales, opéras-ballets et autres tragédies lyriques, jusqu’à ces fameuses Boréales, chant du cygne ce celui qui est devenu le parangon du grand style français. Rameau s’éteint l’année même de cette ultime production ; il a 81 ans. 

C’est dans ce contexte qu’il faut situer Samson, au livret duquel est associé Voltaire dès 1733, objet de dissension, dès l’abord avec le compositeur, mais censuré bientôt, sur fond de cabale janséniste, pour le caractère corrosif de cette intrigue mariant profane et sacré, et qui prend ses largesses avec la vérité biblique. Résultat, Rameau refuse d’imprimer la partition, et se réserve d’en recycler des morceaux pour de futures pages lyriques – ce qu’il fera abondamment.  

Opéra – fantôme que ce Samson, donc, librement « recréé » pour le Festival d’Aix en Provence, en juillet dernier, par le maestro Raphaël Pichon à la tête de l’orchestre baroque Pygmalion (qui joue sur instruments d’époque), en duo avec un metteur en scène toujours très inspiré, Claus Guth. Coproduit avec l’Opéra-Comique, ce spectacle est repris à Paris, salle Favart, jusqu’au 23 mars, dans une distribution en partie modifiée. Fort heureusement, si la soprano roumaine Ana Maria Labin reprend ici pour le meilleur le rôle de Dalila que tenait Jacquelyn Stucker sur la scène de l’évêché aixois, si Julie Roset permute avec Camille Chopin l’emploi de « l’Ange » pour camper Timma à la place de Lea Desandre, si Achisch, le chef philistin, emprunte les traits de la basse Mirco Palazzi en remplacement de Nahuel Di Pierro, l’excellent ténor britannique Laurence Kilsby est, lui, reconduit dans l’inégalable incarnation du jeune Elon ;  mais surtout, et c’est l’essentiel, le baryton Jarret Ott, malabar à la blonde crinière, assume à nouveau le rôle-titre. Avec une éloquence, une intensité, une délicatesse prodigieuse, dans un phrasé tellement impeccable qu’on peine à le connaître pour américain ! Il faut l’entendre chanter, dans un vibrato presque murmuré, l’aria sublime du troisième acte : « soleil, cache à mes yeux tes feux étincelants./A mon peuple, livré aux plus cruels tourments, / offre seul dans la nuit l’éclat de ta lumière ».  Ou encore, à l’acte IV, dans la scène où Dalila, prostituée aux philistins, ne le séduit que pour lui arracher le secret de sa force invincible, avouer que « sans l’amour et sans les flammes/ Tous nos beaux jours sont perdus. / Les vrais plaisirs ne sont dus/ Qu’à l’ivresse de nos âmes ». Puis, sacrifiantaux ardeurs sournoises de l’hétaïre, se confier au sommeil qui lui sera fatal : « Cédons à ce charme invincible : mes yeux en se fermant, s’abandonnent à la beauté »…

La régie de Claus Guth ne fait pas l’économie d’ébats érotiques à la sauvagerie tout à fait animale mais dans lesquels, n’en déplaise aux vestales du woke, la Femme n’est point victime, mais vénale, allumeuse, violeuse, manipulatrice – quand bien même le remord la conduira au suicide – il y a une justice sur cette terre ! Et l’Homme tout au contraire, à ses dépens : candide, vulnérable, confiant – mais vengeur in fine dès lors que la repousse de ses cheveux ravive son pouvoir herculéen ! Partie de l’Ancien testament, le Livre des Justes ne fait pas dans la propagande féministe : le metteur en scène en dispose d’éclairantes citations qui, tout au long du spectacle, s’impriment en bandeau sur une poutre massive. Le décor expose l’intérieur d’une demeure aristocratique d’époque classique, avec lambris et escalier d’apparat à rampe de fer forgé, dans l’état de ruine où, prélude à l’opéra, une cohorte de techniciens du bâtiment, casqués et outillés, évaluent le programme de restauration à effectuer sur l’édifice patrimonial. Au dénouement, on les verra y pratiquer des mesures au laser.

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Métaphore, précisément, de l’entreprise de restauration d’une œuvre en quelque sorte spectrale, composite en tous cas, puisqu’elle combine quantité d’airs repris par Rameau dans des productions lyriques ultérieures, et coud habilement un livret qui, aux vers originaux de Voltaire, raccorde des éléments inventés, mais parfaitement homogènes au style du temps. Rien d’une reconstitution historique, en somme, même si la résurrection de ce Samson mort-né s’enracine dans le matériau prosodique de Rameau. Cet enchâssement anti-archéologique est donc porté par une scénographie aussi spectaculaire visuellement que stimulante dans ses intentions.

Sous les traits de la comédienne Andréa Ferréol, elle intègre la mère de l’élu de Dieu, laquelle revisite, sur le site même du Temple ravagé, la tragédie qui a vu son fils se tuer en se vengeant – attentat-suicide avant la lettre, à Gaza qui plus est s’il faut en croire la Bible ! Sans jamais tomber dans la facilité des actualisations factices ou tendancieuses, le « scénario » imaginé par Claus Guth avec l’aide d’Eddy Garaudel invente également le personnage d’Elon, l’ami traître à Samson, ainsi que la jeune Timna conquise par lui tel un trophée de guerre, ou encore l’Ange annonçant en prologue que « ce jeune enfant devra supporter bien des chaînes »… Le climax se noue après l’entracte, dans le martyre sanguinolent et christique du colosse aux yeux crevés.

Au pupitre, Raphaël Pichon fait sonner chœur et orchestre avec une amplitude sonore qui s’agrège de généreuses, tonnantes percussions, qui impriment à la partition une étonnante modernité.  

A noter incidemment qu’on retrouve Claus Guth dans quelques jours à l’Opéra-Bastille, pour sa mise en scène de Il Viaggio, Dante, du très moderne Pascal Dusapin, également une commande Opéra de Paris/ Festival d’Aix-en-Provence, coproduite avec Le Saarländisches Staattheater Sarbrücken et les Théâtres de la ville de Luxembourg.

Pour en revenir au sieur Rameau, l’Auditorium de Radio France proposait, ce mardi 18 mars, une autre « tragédie lyrique » majeure du compositeur, mais en concert, pour le coup: Dardanus, dans une version revisitée en profondeur par ses soins en 1744. Représentation unique, sous les auspices de l’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie, avec le Chœur de chambre de Namur, à la baguette le chef (et violon solo) franco-italien Emmanuel Resche- Caserta, issu des Arts Florissants et assistant musical de William Christie, et une distribution de bonne tenue – le ténor belge Reinoud Van Mechelen dans le rôle-titre… Concert ultérieurement diffusé sur France Musique et francemusique.fr

Et pour en finir avec notre Samson né de ses cendres, ceux qui n’auront pas eu la chance d’assister salle Favart à sa résurrection, peuvent se reporter sur Arte Concert où, dans sa distribution aixoise, la captation de l’opéra demeure visionnable en accès libre, et ce pour de longs mois encore…  


Samson. Opéra de Jean-Philippe Rameau.  Avec Jarrett Ott (Samson), Ana Maria Labin ( Dalila), Julie Roset (Timna), Mirco Palazzi (Archisch) , Laurence Kilsby (Elon), Camille Chopin ( L’Ange). Direction : Raphaël Pichon. Mise en scène : Claus Guth. Chœur et orchestre : Pygmalion  Durée :2h40

Opéra-Comique, Paris. Les 19, 21 et 23 mars 2025


Dardanus, opéra de Jean-Philippe Rameau. Version de concert. Avec Emmanuelle de Negri, Marie Perbost, Reinoud Van Mechelen, Edwin Fardini, Stephan Macleod. Direction : Emmanuel Resche-Caserta. Chœur de chambre de Namur. Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie. Durée : 3h05. Concert du 18 mars 2025 à l’Auditorium de Radio France, diffusé le 5 avril à 20h sur France Musique, puis disponible à la réécoute sur francemusique.fr

« La Belle au bois dormant », une fastueuse pièce-montée

L’Opéra Bastille présente La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, dans la mise en scène de Rudolf Noureïev, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Une vision magnifique du conte de Perrault aux décors et aux costumes éblouissants. 


L’Opéra de Paris reprend la Belle au bois dormant mise en scène par Rudolf Noureïev, que son professeur, quand le tout jeune homme prenait ses premières leçons à Oufa, appelait « le ballet des ballets ». Vision très partiale d’un maître à danser de province qui, certes avait levé la jambe au Théâtre Marie (le Marinsky, alors appelé Kirov sous la coupe soviétique), mais qui, en échouant en Bachkirie, n’en était que plus étroit d’esprit.

Un ouvrage d’apparat

La Belle au bois dormant est un ouvrage d’apparat, bien moins attachant, bien moins émouvant que Le Lac des cygnes, bien moins fantaisiste et rêveur que le Casse-Noisette, mais qui fut un succès immédiat lors de sa création à Saint-Pétersbourg en 1890.

Aussi élégamment écrit, aussi joliment chantourné que soit le conte de Charles Perrault dont seule la première partie a inspiré le ballet, ce dernier est fort pauvre sur le plan narratif. Faute d’action véritablement dramatique induisant des sentiments passionnés, et hormis la noirceur de la fée Carabosse, ses personnages trop convenus n’offrent aucun trait de caractère marquant. Et belle souvent, parfois un peu terne, la partition s’en ressent. L’ensemble n’est au fond qu’un étalage sans fin de défilés cérémonieux, de scènes de bal, de majestueuses polonaises, le tout généreusement agrémenté de révérences et de pâmoisons. Un drame limité à presque rien, des personnages à la psychologie d’oiseaux et d’insipides fées heureusement malmenées par une sorcière maléfique.

La seule grâce d’un baiser

Les seuls moments de vrai théâtre se résument à l’apparition de Carabosse avec sa suite de monstres, à l’endormissement d’Aurore et de toute la cour qui l’entoure. Puis à la découverte par le prince Désiré de ce château enchanté enfoui dans une jungle épaisse et oublié depuis un siècle, de tous ses courtisans et officiers en costumes du temps jadis, pétrifiés dans l’attente du réveil, et de l’adolescente assoupie dans le sillage de laquelle tous s’éveilleront miraculeusement par la seule grâce d’un baiser qu’elle a reçu.

Malheureusement, du cheminement du prince à travers le château endormi, pourtant plein de mystère et de poésie, tel qu’il a été mis en musique par Piotr Ilitch Tchaïkovski, et tel qu’il avait été voulu par l’auteur du livret, le prince Ivan Alexandrovitch Vsevolojski, Noureïev, qui a pourtant su se révéler ailleurs excellent metteur en scène à défaut d’être un chorégraphe inspiré, Noureïev n’a pas vraiment su tirer parti, ainsi que l’aurait fait sans doute le Jean Cocteau de La Belle et la Bête. Et l’effet théâtral et féérique qu’on eut pu tirer de ce moment fabuleux est quelque peu avorté.

Même chose pour l’acte du mariage d’Aurore et Désiré. Dans la version traditionnelle, telle qu’écrite par le librettiste et par le compositeur, les personnages des autres contes de Perrault, invités pour les festivités, exécutent des danses de caractère qui définissent leurs profils et qui donnent du piment à cet acte. Las ! Le chorégraphe a effacé la présence de la plupart d’entre eux. Ont disparu Cendrillon et le prince Fortuné, le Chaperon rouge et le Loup, le Petit Poucet et l’Ogre. Seuls subsistent le Chat botté et la Chatte blanche, l’Oiseau bleu et la princesse Florine. La séquence où l’Oiseau s’envole dans de magnifiques prouesses, ces prouesses qui en leur temps avaient fait la gloire de Nijinski et de Noureïev, est cependant terriblement affadie par ces sempiternels pas de deux si convenus que Noureïev n’a pas eu l’esprit d’alléger. Détruisant les effets d’ailes du bel oiseau, ils sont faits, ces duos assommants, pour mettre en valeur la ballerine.

Comme une curiosité d’un autre âge

En fait, pour regarder cette Belle au bois dormant en toute sérénité, pour accepter cet aimable, mais insipide chapelet de marches nobles, de danses de cour et de pâmoisons princières, il faudrait impérativement mettre de côté ses préventions, ses exigences, sa raison de spectateur d’aujourd’hui. Et considérer ces déploiements pompeux avec des yeux d’historien ou d’ethnologue. Voir ce ballet comme une curiosité somptueuse venue d’autres mondes, celui de la danse académique, celui de la cour impériale russe (même si la chorégraphie originale fut celle d’un Français, Marius Petipa) et des grands bals au Palais d’hiver. C’est à ce prix que cet ouvrage peut retrouver quelque crédit, malgré tous les ratés, toutes les regrettables omissions de la mise en scène à laquelle on aurait pu conférer un caractère autrement plus marqué.

Il n’échappera à personne que la majorité du public ne se pose guère de questions à ce sujet et paraît avaler le tout sans restriction aucune. À telle enseigne que pour renflouer les caisses de l’Opéra, l’on peut ouvrir la salle de l’Opéra de la Bastille à La Belle au bois dormant pour un nombre élevé de représentations (il y en aura une trentaine) qui feront salle comble, en mars et en avril, en juin et en juillet de cette année 2025.

Il est vrai que l’opulence de la production, que le nombre impressionnant de protagonistes sur la scène créent l’heureuse impression d’en avoir pour son argent. Et la somptuosité des décors, dus à Ezio Frigerio, l’élégance et la variété des costumes dessinés par Franca Squarciapino, taillés dans des étoffes aux teintes magnifiques, les lumières de Vinicio Cheli, les qualités enfin du Ballet de l’Opéra contribuent à en offrir une vision magnifique.  

Un Versailles à la russe

Comme l’avait voulu l’auteur du livret, ce Vsevolojski, qui fut un brillant surintendant des théâtres impériaux à Saint-Pétersbourg au temps d’Alexandre III et de Nicolas II, l’action, pour la première partie du ballet, doit se dérouler dans un univers rappelant le Versailles de Louis XIV. Et pour la seconde, 100 ans plus tard, celui de Louis XV ou de Louis XVI.  On se retrouve ainsi dans un palais Grand Siècle, mais ici et sans doute à la demande de Noureïev lui-même, revu dans le goût russe.

Si les éléments d’architecture rappellent d’ailleurs davantage les bâtiments d’Ange-Jacques Gabriel sous Louis XV que ceux de Le Vau ou Mansart sous Louis XIV, du classicisme français, on a partiellement glissé vers le rococo des tsarines Élisabeth et Catherine. En témoignent l’ornementation alambiquée des grilles du palais, les portes monumentales coiffées d’un lourd décor, les colonnes des portiques où s’enroulent des guirlandes vieil or, la surcharge des chapiteaux… L’ensemble est conçu pour éblouir. Et il est éblouissant.

Danseurs du corps de ballet, solistes, étoiles, sont tous de bonne race. Ils offrent cette haute tenue dans laquelle excelle le plus souvent la première compagnie de France. Mais rares sont les interprètes d’exception. Parmi les différentes distributions qui assurent les multiples représentations, celle que l’on découvrait le soir de la première représentation, aussi digne qu’elle ait été, n’était pas vraiment bouleversante. Seul l’Oiseau bleu d’Antoine Kirscher, sans être miraculeux comme le furent sans doute ceux de Nijinski ou de Noureïev, portait quelque chose d’un peu magique.


La Belle au bois dormant par le Ballet de l’Opéra de Paris.

Opéra Bastille. Jusqu’au 23 avril, puis du 27 juin au 14 juillet 2025.

À lire : Le programme du spectacle en vente à l’Opéra qui contient nombre d’articles sur la genèse et la création du ballet en 1890, les récits et commentaires de Nijinska et les adaptations que Rudolf Noureïev fit de La Belle au bois dormant.

Ménage à trois avec IA

Une femme est parvenue à contourner les limitations de ChatGPT et à faire de l’intelligence artificielle un compagnon possessif et protecteur, doux et grivois. Mais elle rencontre des difficultés inattendues.


En janvier, une femme de 28 ans, Ayrin (un pseudonyme) a confessé au cours d’un entretien avec le New York Times qu’elle était amoureuse d’un agent conversationnel ou chatbot. Une telle relation surprendrait moins de la part d’un de ces hommes qu’on appelle « incels » (ou célibataires involontaires), qui n’arrivent pas à trouver une copine. Mais c’est plus surprenant de la part d’une femme, et qui est déjà mariée à un homme en chair et en os ! La relation, à la fois émotionnelle et sexuelle, a commencé l’été dernier, quand elle a découvert sur Instagram le compte d’une jeune femme qui fait l’éloge des amants virtuels et explique comment en programmer et customiser un sur ChatGPT. Ayrin a enjoint à celui qui a pris le nom de Leo et qui l’appelle « minette » d’être « dominateur, possessif et protecteur. Doux et grivois en même temps. » Elle lui parle de ses soucis pro et perso et, contournant les règles de ChatGPT contre les contenus érotiques, entame des rapports (verbalement) sexuels. Pendant un temps, elle programme son amant pour la rendre jalouse en parlant d’autres femmes. Elle en est devenue si dépendante qu’elle a pris un abonnement mensuel illimité pour 200 dollars. À la fin de chaque mois, la version de Leo est effacée par le système, et elle est obligée de le reprogrammer. Elle serait prête à payer 1 000 dollars pour éviter le sentiment de deuil que cela lui occasionne. Mue par la culpabilité, elle met son époux au courant, mais le mari cocufié par l’IA refuse de prendre Leo au sérieux, y voyant un soutien émotionnel passager. Pourtant, Ayrin n’envisage jamais de rompre avec Leo.

Ce type de trouple est en train de se normaliser. En 2023, une mère de 36 ans, native du Bronx, se marie virtuellement avec un bellâtre créé par Replika, un système spécialisé dans ce domaine. En 2024, une Chinoise tombe amoureuse de DAN, un autre agent conversationnel de ChatGPT. Elle fait un voyage romantique avec lui et le présente à sa mère, convaincue que cette IA a développé une conscience de soi. Entre sa tendance à l’anthropomorphisme et son besoin d’empathie même illusoire, l’humanité moderne est-elle vouée, à l’époque de l’IA, à un égoïsme solitaire et stérile ?

«Le financement du terrorisme repose souvent sur des activités économiques apparemment anodines»

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Il n’y a pas que les activités illégales et le narcotrafic qui alimentent les réseaux terroristes, nous apprend la sénatrice UDI de l’Orne


Causeur. Madame la sénatrice, votre livre L’argent du terrorisme soulève des questions cruciales sur le financement des activités terroristes. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire cet ouvrage ?

Nathalie Goulet. À partir de 2011-2012, j’ai commencé à travailler sur la délinquance financière et la fraude fiscale. En 2014, j’ai lu un livre de David Thompson, journaliste, sur les Français djihadistes, notamment ceux qui se convertissaient à l’islam pour partir en Syrie et en Irak. J’ai alors réalisé que nous ne disposions pas des outils juridiques nécessaires pour lutter contre cette nouvelle menace. J’ai donc demandé et obtenu, en juin 2014, la création d’une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes, soit six mois avant les attentats de Charlie Hebdo.

En travaillant à la fois sur la fraude fiscale, l’évasion fiscale et le terrorisme, j’ai découvert qu’au croisement de ces deux domaines se trouvait le financement du terrorisme. En réalité, les terroristes exploitent les réseaux de la criminalité financière. Pendant la pandémie de Covid-19, lorsque les activités se sont ralenties, j’ai décidé de consolider tout le travail accumulé au fil des années : rapports, amendements, et une quinzaine d’années de travail parlementaire. Cela m’a semblé important.

Initialement, j’avais l’intention d’écrire un livre classique sur le financement du terrorisme, mais je n’y suis pas parvenue. Finalement, j’ai opté pour un format de dictionnaire, car il me paraissait plus clair et accessible. C’est ainsi qu’est née la version 2022 de L’Abécédaire du financement du terrorisme, que j’ai mise à jour cette année sous le titre L’argent du terrorisme. Bien que ce livre se concentre sur le terrorisme, les mécanismes et outils décrits sont les mêmes que ceux utilisés dans la grande criminalité financière.

Après les attentats de Charlie Hebdo, avez-vous observé un changement dans la politique et les actions menées au Sénat et à l’Assemblée nationale sur ces questions ?

Absolument. Le budget du ministère de l’Intérieur pour le Projet de loi de finances pour 2015, voté en novembre 2014, ne mentionnait même pas le mot « terrorisme ». J’étais alors intervenue au Sénat pour souligner que, bien que ce budget soit bon, il n’était pas adapté aux nouveaux défis auxquels nous faisions face. Nous étions donc avant les attentats de Charlie Hebdo. Après Charlie Hebdo et les attaques du Bataclan, la France a dépensé près d’un milliard d’euros pour rééquiper les forces de police, réorganiser les services de renseignement et sensibiliser les agents. Plusieurs lois ont été votées, notamment sur l’état d’urgence, dont certaines dispositions ont ensuite été intégrées dans le droit commun. Les coopérations internationale et européenne se sont considérablement améliorées. Les avancées les plus significatives dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale sont d’ailleurs survenues parce qu’il était nécessaire de lutter contre le financement du terrorisme, créant ainsi un cercle vertueux.

Quels sont les mécanismes les plus courants que vous avez identifiés en matière de financement du terrorisme ?

Je parlerais plutôt des mécanismes les plus ordinaires, c’est-à-dire ceux de notre vie quotidienne détournés à des fins criminelles :

  • Les cagnottes en ligne : une fois l’argent collecté, il peut être détourné de ses objectifs initiaux. Les services de renseignement surveillent désormais de près ces cagnottes.
  • La contrefaçon : ce phénomène est mal connu. L’achat de produits contrefaits (vêtements, médicaments, pièces détachées, jouets) alimente souvent les réseaux criminels et terroristes. Par exemple, le Hezbollah se finance en partie par la vente de faux produits, y compris des faux médicaments comme le Viagra, générant des millions de dollars chaque mois.
  • Le trafic de migrants : l’afflux de migrants en Europe alimente également des réseaux criminels dont une partie des bénéfices peut financer des activités terroristes.

En 2023, en France, 20 millions de produits contrefaits ont été retirés du marché : jouets, vêtements, produits de soin, denrées alimentaires… La contrefaçon coûte 26 milliards d’euros par an aux industries européennes, représentant 2,5 % du commerce mondial, soit 652 milliards de dollars. Cette forme de criminalité est particulièrement attractive pour les réseaux terroristes car les sanctions sont bien moins sévères que celles appliquées au trafic de drogue ou d’armes. Ce déséquilibre rend cette activité d’autant plus rentable.

En somme, ces mécanismes montrent que le financement du terrorisme repose souvent sur des activités économiques apparemment anodines mais aux conséquences profondes et inquiétantes.

Le terrorisme est donc aussi en lien avec le trafic d’êtres humains et de migrants ?

Le trafic d’êtres humains génère entre 5,5 et 7 milliards de dollars par an. C’est donc un marché énorme, dont fait partie, bien sûr, le trafic de migrants. Nous disposons de chiffres qui ne sont pas tout à fait récents. Dans la zone ouest, le passage d’un migrant coûte environ 2500 euros. Sur la route centrale, c’est 2220 euros. Quant à l’est de la Méditerranée, cela s’élève à 2200 euros. Cette année, plus de 4000 passeurs ont été arrêtés. Oui, 4000 passeurs ! Il y a une vaste opération d’Interpol qui s’appelle « Liberterra II », ayant conduit à 2500 arrestations l’année dernière, avec un procès-verbal du 6 novembre 2024. C’est donc tout récent.

Effectivement, il y a un lien direct entre le financement du terrorisme et le trafic de migrants. C’est particulièrement vrai avec Daesh, qui non seulement a organisé le trafic de migrants, mais a aussi orchestré un trafic d’organes. Ils ont émis une fatwa autorisant le prélèvement d’organes sur des apostats pour en faire profiter un musulman, considérant cela comme vertueux, ce qui a constitué un financement de leur économie.

Concernant le démantèlement des réseaux de trafic d’êtres humains, nous avons récemment eu de nombreux chiffres. Par exemple, en Espagne, le 23 février dernier, un réseau de trafic impliquant un millier de femmes colombiennes et vénézuéliennes a été démantelé. Et il y a aussi eu un trafic d’organes.

J’ai un autre chiffre à partager : en avril 2024, un réseau irako-palestinien a été arrêté à la frontière polonaise avec la Biélorussie. 36 membres de ce réseau ont été interpellés. L’enquête a révélé qu’en examinant les flux financiers, la somme des crypto-actifs s’élevait à 581 millions de dollars. De plus, les procureurs ont détecté un virement de 30 millions de dollars vers le Hezbollah et 13 millions vers le Djihad islamique palestinien.

Quelle est l’importance des crypto-monnaies dans le financement du crime organisé ?

Il s’agit d’un vecteur majeur, surtout qu’elles permettent de contourner facilement les sanctions internationales. L’Iran, la Russie, et d’autres pays utilisent largement les crypto-monnaies. Gaza et le Hezbollah, entre autres, en ont largement bénéficié. TRACFIN, notre service de renseignement financier, dispose désormais d’une équipe dédiée aux crypto-actifs. En outre, le texte sur la lutte contre le narcotrafic que nous avons récemment voté prévoit notamment de saisir des crypto-monnaies dans le cadre de certaines infractions. L’Europe a mis en place des directives, comme MiCA, pour un meilleur contrôle des crypto-actifs, mais je suis sceptique quant à leur efficacité, tout comme je suis assez critique envers les futures directives qui risquent, selon moi, de créer une cacophonie, laissant les fraudeurs continuer leur activité.

Sur ce point j’appelle à une action d’ampleur nationale pour la formation des responsables de la sécurité, police, gendarmerie, mais aussi des élus qui n’ont pas encore bien appréhendé ce phénomène qui est incontournable et doivent être en mesure de la comprendre pour mieux réprimer la fraude qui peut en découler de l’utilisation des crytos. Je prends le pari que moins d’un parlementaire sur 10 est capable de vous expliquer la blockchain…

Que pouvez-vous faire pour participer à la lutte du financement du terrorisme à votre échelle ?

Mon livre sera disponible en plusieurs langues, dont l’arabe et l’anglais. Il sort la semaine prochaine en arabe. Mon éditeur arabe a même choisi une illustration percutante pour la couverture, un dessin d’Emmanuel Chaunu – ce qui devrait avoir un bon impact. Le livre sera vendu principalement en ligne.

Il est parfois très difficile de se faire entendre sur des sujets comme la fraude et l’évasion fiscale, qui sont complexes et difficiles à appréhender. La commission d’enquête sur le narcotrafic a permis d’écrire des éléments intéressants, mais beaucoup de points étaient déjà bien connus de ceux qui travaillent sur ces questions. D’ailleurs, le rapport de cette commission d’enquête affirme qu’il n’est pas prouvé que la drogue finance le terrorisme, ce qui va à l’encontre de ce que le ministre de l’Intérieur avait affirmé. Cependant, je trouve que le travail de la commission a été un électrochoc salutaire.

En ce qui concerne le terrorisme qui est financé par la fraude, s’agit-il d’organisations terroristes, assez structurées, qui opèrent par exemple au Moyen-Orient, en Asie, ou est-ce qu’on parle aussi d’un certain financement des terroristes en Europe ? Et est-ce qu’il y a aussi de l’argent qui va dans le trésor d’organisations à tendance séparatiste, comme les Frères musulmans ?

Il y a bien sûr des financements qui vont à des organisations terroristes comme le Hamas, le Hezbollah, Boko Haram, Al-Qaïda. Ceux-ci sont identifiables. Mais, il existe aussi des financements, y compris en Europe, qui vont vers des organismes liés aux Frères musulmans. Ce ne sont pas des organisations terroristes à proprement parler, mais elles prônent des idées séparatistes. Et ce séparatisme est dangereux car il est très inflammable. Prenons l’exemple du tourisme halal. En théorie, il peut sembler acceptable : vous pouvez vouloir manger halal, porter un voile ou pratiquer votre foi comme vous l’entendez, ce qui est tout à fait respectable. Cependant, sur le terrain, dans certains endroits, comme en Ouzbékistan, où l’islam n’a pas une place aussi prépondérante, j’ai pu observer des phénomènes inquiétants. Par exemple, il y a quelques années, ils servaient de la vodka dans des théières pour ne pas exposer les bouteilles d’alcool. Et l’année dernière, dans un restaurant où je vais régulièrement, un panneau indiquait « halal ». Ce genre de phénomène peut facilement déstabiliser des sociétés où la culture et la religion sont en jeu, et alimenter des tensions qui préparent le terrain pour des radicalisations futures. Le chiffre d’affaires du tourisme halal atteint 126 milliards en 2022 avec une projection à 174 milliards de $ pour 2027. C’est un élément de séparatisme : ce n’est pas critiquable en soi, mais cela nourrit quelque chose qui est contraire à ce qui fait la société.

Quant aux Frères musulmans, j’y consacre un long article cette année. Lorsqu’on observe le nombre d’atteintes à la laïcité, le nombre d’incidents, comme cette personne assassinée l’année dernière pendant le ramadan simplement parce qu’elle buvait. C’est une forme de police des mœurs. Les organisations comme les Frères musulmans testent constamment la solidité de la République et ses limites. Et ces derniers sont malheureusement financés avec nos impôts parfois, et aussi par l’Union européenne. Au nom de la diversité, on finance nos propres ennemis !

La France peut-elle éradiquer le financement du terrorisme ?

D’abord, il faut que ce soit une action internationale, sinon cela ne fonctionnera pas. Ensuite, avec les fractures sociales actuelles, il est extrêmement difficile de faire entendre un discours cohérent.

Il y a le binôme Darmanin-Retailleau, qui représente une sorte de « dream team » sur la question du narcotrafic, mais cela ne suffira pas, parce qu’il faut des moyens de renseignement, des moyens judiciaires, des moyens policiers, de gendarmerie, ainsi que des moyens carcéraux.

Il faut travailler, non seulement sur le narcotrafic, mais sur le blanchiment d’argent et donc sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale qui sont au cœur de plusieurs dispositifs. Toute cette criminalité, qui semble parfois sans victime, est présente à l’échelle nationale, européenne et mondiale. Cela pose des problèmes diplomatiques car, par exemple, quand le président Trump prend la décision de supprimer l’identification des bénéficiaires effectifs des entreprises et libère totalement les crypto-actifs, on arrive dans un système complètement dérégulé. Cette dérégulation profite à des intérêts internationaux. En France, 12% des Français possèdent un portefeuille en crypto-actifs, ce qui est énorme.

Le blanchiment d’argent représente entre 2 et 5% du PIB, ce qui correspond à 2 000 milliards d’euros par an, 2 000 milliards qui échappent à l’économie réelle, aux écoles, aux infrastructures comme les routes, aux forces de l’ordre, aux armées…

Vous insistez également sur la question des milices d’extrême droite…

J’ai effectivement consacré un chapitre à ce sujet. Mais je tiens à préciser que ce n’est pas un chapitre où l’objectif est simplement de dénoncer. Je l’ai écrit parce que c’est un sujet d’actualité.

Existe-t-il une forme de résistance au sein même de l’appareil d’État ?

Oui, il existe une forme de conflictualité. L’audition du journaliste d’investigation Fabrice Arfi le 4 mars a été un rappel douloureux. Il a rappelé que nous devions être le seul pays en Europe, voire au monde, à avoir eu deux présidents et deux Premiers ministres définitivement condamnés pour atteinte à la probité. Il a également mentionné un ministre du Budget condamné pour fraude fiscale. Cela révèle un climat assez particulier… Cette audition était, en effet, très marquante. Mais c’est Fabrice Arfi, et j’apprécie beaucoup son travail.

Au niveau de l’UE, il y a la question du « Qatar Gate » au Parlement européen. Qu’est-il advenu des protagonistes ? On a trouvé un million et demi en espèces dans un bureau, et pourtant, il ne se passe rien. Il y a un vrai tabou sur cette affaire.

496 pages

L'Argent du terrorisme

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Leur mère ne s’est pas ratée !

Avec Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann nous donne à lire un roman étonnant, vif et de haute qualité littéraire.


On la connaît comme illustratrice grâce à son personnage Gloria, hilarante petite bonne femme, citadine fantasque et attachante, à qui elle donne vie dans divers magazines français et belges. Mais on sait moins que Marianne Maury Kaufmann est un sacré écrivain ; une romancière à l’incontestable talent. La preuve : son dernier roman, Maman se suicide vendredi. Katia, la narratrice, apprend par Noémie, sa sœur, qu’elle n’a pas vu depuis des années, que leur mère, Claudie, veut mettre fin à ses jours vendredi.

A lire aussi: Mélodie de la mort

Elle est instable, autocentrée

Pour ce faire, elle a besoin de ses deux filles à ses côtés. Elle les convoque chez elle pour qu’elles l’assistent dans les funestes préparatifs. Claudie n’a pas été une femme facile : d’un caractère entier, elle est instable, autocentrée, dévorée par des douleurs intimes. Son instinct maternel en a pâti ; « ce n’est pas mon truc », disait-elle. Katia et Noémie le savent. La première a tout fait pour échapper à son emprise souvent délétère. Cette fois, elle n’a plus le choix. Elle doit se confronter au dernier choix de sa mère, tout en espérant que celle-ci va flancher au dernier moment et revenir sur sa terrible décision. Mais le compte à rebours est lancé. Les voilà toutes les trois dans cette maison à la laideur déprimante, pleine de vieilles choses et de tout aussi vieux souvenirs navrants. Claudie se couvre de patchs mortifères, elle s’endort. Pour toujours ? Les deux sœurs peinent à le croire. Katia choisit de contrôler régulièrement le pouls de sa génitrice. Elles sont obligées d’éteindre afin de ne pas éveiller l’attention des voisins : « Noémie voulait que nous éteignions tout, absolument tout dans l’appartement. Elle criait à voix basse, en brassant l’air de ses mains. Il fallait faire comme si nous partions, elle disait, tout éteindre et surtout claquer la porte, la claquer assez fort pour que les voisins entendent et s’imaginent que nous étions parties. » Les minutes passent ; les sœurs se remémorent des souvenirs, surtout ceux partagés avec la morte potentielle. Il y a des presque disputes, des vacheries, des sous-entendus. Puis des fous rires : « Comme quand nous étions petites. Nous riions comme on vomit, irrésistiblement, les yeux remplis de larmes, le ventre noué, à court d’air. (…) nous saisissions bien l’obscénité de la situation, notre pauvre mère dans son lit et nous dans ce rire infect, mais nous ne pouvions rien y faire. »

Katia apprend que sa sœur s’est adonnée à la cocaïne et à l’héroïne. Pour l’alcool, elle savait : « On en parlait à l’aise, avec les parents. C’était même un sujet qui nous rapprochait. Ça les amusait beaucoup, les adultes, cette attirance chez une fillette. Noémie était l’attraction, aux dîners. Ils lui faisaient goûter les cocktails. » Au fil des pages, on comprend – c’est certainement le moment le plus émouvant, le plus fort – que Claudie est une rescapée de la Shoah ; toute sa vie, elle était donc presque morte.

Un roman à la fois drôle et grave, écrit avec délicatesse et tendresse. Un texte très fort. Gloria peut être fière de sa créatrice.

Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann ; Maurice Nadeau ; 142 p.

Maman se suicide vendredi

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Michel-Georges Micberth: vociférations acides made in seventies

Il a disparu il y a tout juste douze ans. En 2023, nous lui avions rendu hommage à l’occasion des dix ans de sa disparition. Cette année, la maison d’édition Lorisse publie Les Vociférations d’un ange : recueil d’articles parus dans la première moitié des années 70 dans les colonnes de Minute et d’Actual-Hebdo.


Mai 68 est déjà derrière, les années de plomb (plutôt molles en France) ont commencé, et Micberth, avec sa barbe d’ogre truculent, vitupère, depuis ses châteaux tourangeaux successifs. Contre Pompidou : « Mais oui bon sang ! Mais c’est bien sûr ! Tout s’explique maintenant. Il y a quelques mois, nous avions un président de la République dret, coquet dynamique, un chouia playboy ; et aujourd’hui il nous reste une sorte de machin ovoïde, un peu flasque, moumoute, très peu ressemblant, en fait, avec le modèle d’origine. Voilà, ça y est, j’ai compris. On nous a chauffé notre président de la République, pour le remplacer par un extra-terrestre. Changer Messmer pour Messmer, par exemple, voilà une chose des plus curieuses. C’est bien là la décision d’un extra-terrestre programmé, décision hors de notre logique humaine ». Contre Michel Debré : « Pour Debré, on savait depuis belle lurette qu’il grimpait aux arbres. Des fois même il essayait de s’envoler. Fallait l’intercepter au filet à papillon et l’incarcérer sous son entonnoir avec une grosse pierre dessus pour plus qu’il bouge ». Contre Jean Royer, ministre de Pompidou, ardent défenseur de l’ordre moral, au sujet duquel on en apprend de belles par ailleurs : « Souhaitons qu’il trébuche et que sa folie soit diagnostiquée, non plus par quelques psychiatres qui chuchotent dans l’ombre mais par une armée de Français sains et lucides ». Manque de chance, Minute fait de Royer son candidat. C’est avec des petites choses comme ça qu’on perd une chronique dans un journal.

A lire aussi: Dernières leçons de maintien en date de tous ces cultureux qui me fatiguent…

Maître de la vacherie

Le recueil nous plonge dans l’ambiance des fanzines, de la presse parallèle, où quelques futures plumes connues apparaissent. Une génération soixante-huitarde avec laquelle il partage une partie de l’esprit de révolte, mais en bon Chouan, il cultive aussi la révolte contre la révolte. Dans ce petit monde, MGM est content d’être le plus grand parmi les petits : « [À Actual-Hebdo], nous avions quand même 10 000 lecteurs, ce qui est beaucoup pour de l’underground, mais pas assez pour se retrouver aux limites de l’aura de la grande presse nationale. […] il vaut mieux être le plus grand des petits que le plus petit des grands. Non par orgueil, ce qui serait infiniment triste et tarte, mais pour l’audience pas dégueu qu’on en tire ». Micberth se montre maître de la vacherie cinglante. Dans quelques notes de bas de page ajoutées dans les années 90, on lit à propos de Cavanna : « Maçon ayant laborieusement tenté d’écrire. Faux bonhomme, reconverti en héraut médiatique, terne à la ville et pétillant devant les caméras, sorte de vieux nanar égocentrique, pleureuse appointée, là où le conduisent ses prestations de mirliflore ». Pascal Jardin ? « Pascal Jardin était un scénariste affublé de trois gros défauts : un père collabo, un style à chier et un fils à pendre ». La chanteuse Dani ? « Chanteuse médiocre, brave pomme entraînée dans l’univers impitoyable de la drogue et convertie tardivement en brave andouille, marchande de fleurs, son prochain échec ». Néron avait eu Tacite ; de Gaulle, Jacques Laurent ; Giscard et Mitterrand, Jean-Edern Hallier. Les années Pompidou auront eu aussi leur grand pamphlétaire un peu oublié…

310 pages.

LES VOCIFÉRATIONS D'UN ANGE BARIOLÉ

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À consulter aussi : Regards sur Micberth

Immigration : convertir l’opinion publique au lieu de l’informer

Par crainte de représailles académiques, la démographe Michèle Tribalat avait déjà été écartée du fameux ouvrage Face à l’obscurantisme woke de Pierre Vermeren. Mais, après l’attaque publique contre le livre largement commentée ces derniers jours dans la presse, l’éditeur initial a annulé toute la publication, ce qui va finalement bénéficier à une nouvelle maison d’édition. Michèle Tribalat nous propose ici de lire sa contribution au livre : elle y explique l’emprise idéologique sur les institutions académiques et politiques concernant la question migratoire, accusant une élite dominante d’imposer un discours visant à naturaliser l’immigration et à disqualifier toute critique en la présentant comme irrationnelle. La démographe pointe notamment les contradictions et manipulations statistiques de figures influentes comme François Héran.


Le texte ci-dessous est celui que m’avaient commandé Emmanuelle Hénin, Pierre Vermeren et Xavier-Laurent Salvador le 10 juillet 2023 et qui devait figurer dans le livre – Face à l’obscurantisme woke – qu’ils co-dirigeaient pour les PUF. Par courriel du 12 novembre 2024, ils m’apprirent qu’ils avaient consenti à ce que je sois évincée du livre car l’éditeur craignait les mesures de rétorsion de François Héran du Collège de France. C’était sans moi ou pas de publication.

Finalement, comme on l’a appris il y a une semaine, après la charge de Patrick Boucheron (lui aussi du Collège de France) lors d’une conférence de presse du 7 mars dernier, c’est la publication dans son entier qui se trouve annulée par les PUF.

L’ouvrage a déjà trouvé un éditeur prêt à relever le défi et les co-directeurs se réjouissent de la publicité qui leur a ainsi été faite et ne manquera pas d’assurer le succès de la publication.


« L’idéologue désire non point connaître la vérité, mais protéger son système de croyance et abolir, spirituellement faute de mieux, tous ceux qui ne croient pas comme lui. L’idéologie repose sur une communion dans le mensonge impliquant l’ostracisme automatique de quiconque refuse de la partager. »

Jean-François Revel, La connaissance inutile, Grasset, 1988, p. 217


Sur la question migratoire, l’idéologie dominante de l’élite a conquis les institutions académiques. La curiosité, moteur de la recherche, y a été supplantée par la mission visant à convertir l’opinion publique à la bonne pensée qu’elles professent. Ce ne fut pas une conquête soudaine, mais l’écho lointain du « sociocentrisme négatif » (d’après la belle expression de Paul Yonnet) des années 1980, qui allait s’en prendre à l’identité française, après avoir détruit l’idée de roman national. Une « identité-mode de vie », « dernier bastion de l’appartenance groupale ». Comme l’écrivait encore Paul Yonnet, le projet de dissolution de la France place l’antiracisme « dans l’absolue incapacité de raisonner la crainte phobique d’une colonisation de peuplement étranger » qu’on n’appelait pas encore grand remplacement lorsqu’il a écrit son livre1. Et pourtant, c’est à cette crainte que le discours académique majoritaire cherche aujourd’hui à répondre en lui déniant tout ancrage dans le réel et en mettant en défaut les perceptions communes déplaisantes. Ce discours n’a pas pour objet – légitime – d’en rectifier les erreurs par une approche du réel mettant en œuvre les outils techniques adéquats, mais de les disqualifier pour ce qu’elles disent. L’emprise idéologique opère une sélection des scientifiques non pas sur leur maîtrise technique et leur respect des règles à respecter pour éviter de s’égarer, pourtant indispensables à la mesure du phénomène migratoire, mais sur leur adhésion (réelle ou supposée) ou non au dogme dominant.

Neutralité engagée

Tous les partis de gouvernement ont contribué à cette mission idéologique. Ce fut le cas du gouvernement Chirac-Villepin et de ses ministres qui signèrent le décret 2006-13882 créant l’Établissement public du Palais de la Porte dorée (EPPPD) comprenant la Cité nationale de l’histoire de l’immigration – aujourd’hui appelée Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) – dont une des missions était de « faire évoluer les regards et les mentalités sur l’immigration en France ». Message reçu cinq sur cinq par les dirigeants de ce musée, si l’on en croit son projet scientifique et culturel3 qui diffuse un discours paradoxal laissant penser que les tenants de l’idéologie dominante, ce qu’ils sont, peuvent se payer le luxe d’oublier le caractère idéologique de leur discours, caractère idéologique qu’ils reportent sur les adversaires qu’ils se désignent. Dans le MNHI, c’est la science qui parlerait à l’opposé des discours idéologiques de ceux qui ne pensent pas bien, car seuls ces derniers sont des idéologues. Seuls ces autres prêcheraient au lieu d’argumenter rationnellement. François Héran, professeur au Collège de France et ancien directeur de l’Ined, pour le malheur de cette vénérable institution, également président du Conseil d’orientation du musée, a fortement inspiré le projet muséal. À sa suite, ce projet revendique une « neutralité engagée ». Il soutient qu’« être pour ou contre l’immigration n’a pas plus de sens que de se prononcer pour ou contre le vieillissement de la population ». « L’immigration est un fait aussi établi que le réchauffement des températures moyennes, le développement du numérique ou le fait que la France a possédé un empire colonial »4. Le MNHI fait ainsi mine de croire que l’opposition à l’immigration reviendrait à en nier l’existence alors que c’est exactement le contraire. En fait, ce que le MNHI proclame c’est la permanence du fait migratoire et la vanité qu’il y aurait à s’y opposer. En la comparant au vieillissement de la population, il le naturalise et indique ainsi que seule l’idiotie peut conduire à se déclarer contre l’immigration.

Cette naturalisation5 du fait migratoire a fait son chemin dans la sphère politique. Ainsi a-t-elle été reprise par Gérald Darmanin. Ce dernier, alors ministre de l’Intérieur, a soutenu ce point de vue lors de sa conférence au Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (CRSI) le 19 septembre 2023 : « La question de l’immigration n’est pas une question d’opinion publique. Il n’y a pas à être pour ou contre. Être contre c’est comme être contre le soleil. » Ce faisant, le ministre nous explique que l’immigration n’est pas un objet politique et diffuse ainsi l’idée, paradoxale pour un ministre chargé de l’immigration, qu’il n’y a pas grand-chose à faire, sinon s’y adapter, alors même qu’il défend un projet de loi censé tout changer sur le sujet. Il ne peut donc qu’approuver la mission officielle du MNHI visant à changer le regard porté sur elle : en gros, puisque nous n’y pouvons rien, faisons mine de l’apprécier.

À lire aussi : Timur Kuran: l’islam est-il vraiment incapable d’évoluer?

Le rapprochement fait par le MNHI avec le changement climatique pose question. Les mêmes qui nous demandent de nous adapter à l’immigration programment des politiques très coûteuses censées peser sur l’évolution du climat. Celle-ci (à l’échelle planétaire) dépendrait donc des politiques qui seront mises en œuvre en France alors qu’il faudrait s’accommoder de l’immigration étrangère à l’échelle de ce pays ! Il est donc des décisions politiques prises en France qui pourraient freiner le réchauffement planétaire mais aucune vraiment capable de freiner l’immigration en France.

Les idéologues qui se chargent de la rééducation morale des gens ordinaires se moquent de la cohérence de leurs propos car ils savent qu’ils ne seront pas mis face à leurs contradictions. Ils sont entourés de collègues complaisants et sollicités par des médias porteurs de la même idéologie. Ils savent que les petites voix qui s’y risquent n’auront aucun écho tant que la croyance qu’ils répandent, car c’est bien de croyance qu’il s’agit, restera hégémonique dans les élites.

Cette croyance peut ainsi conjuguer le discours sur la faiblesse de l’immigration, notamment par rapport à nos voisins européens, propos favori de François Héran, et celui faisant de la France « le plus grand pays d’immigration du monde depuis au moins deux siècles »6.

François Héran est devenu un champion des déclarations contradictoires censées alimenter le même discours : on n’y peut rien mais c’est formidable !

Il plane au-dessus de la mêlée et sa parole est recueillie avec révérence. Un homme qui parle si bien ne saurait se tromper. Nous ne sommes donc pas très nombreux à nous être penchés sérieusement sur ses écrits et ses déclarations7.

Pourtant, il a apposé son sceau aux tripatouillages statistiques dont il ose se plaindre aujourd’hui. Tout récemment encore, sur RTL, au micro d’Yves Calvi, il récriminait contre ceux qui reproduisent les erreurs qu’il a lui-même commises. Citons-le : « C’est une erreur très fréquente, consistant à dire : ‘j’ai le nombre de séjours d’une année, j’ajoute l’estimation des irréguliers, j’ajoute les demandeurs d’asile et ça fait 500 000 personnes’. Eh bien ! C’est une erreur parce que ça fait des doubles et des triples comptes »8. En 2020, il s’était lui-même livré à ce type de calcul9 (sans estimation des « irréguliers ») dans Le Monde, lorsqu’il s’agissait de ridiculiser ceux qui pensaient qu’on pourrait éviter des contaminations au Covid en prolongeant l’expérience de confinement aux seuls étrangers cherchant à s’installer durablement en France : « chaque année en France, 540 000 entrées environ relèvent de la migration, ce qui est très peu sur l’ensemble des 90 millions d’entrées provisoires ou durables : 0,6 % »10 ; pourcentage calculé sur l’ensemble des entrées en France y compris touristiques ! François Héran avait réitéré ce propos lors d’un entretien avec le géographe Michel Foucher au MNHI : « de véritables migrants qui s’installent dans l’année pour au moins un an c’est peut-être [!!!], si on calcule très large, 500 000 en comptant les Européens, 550 000, peu importe [!!!], mais en gros c’est 1/150ème, 0,6 ou 0,7 % de la mobilité internationale »11. Au diable les doubles et les triples comptes quand c’est pour la bonne cause ! Pourquoi récriminer aujourd’hui contre un discours qu’il a lui-même contribué à propager ? En fait, tout dépend du point idéologique qu’il s’agit de soutenir.

Impuissance générale

En 2017, François Héran avait inventé une stabilité du flux autour de 200 000 entrées pour incriminer l’impuissance de François Fillon (qui se présentait alors à l’élection présidentielle) à le faire baisser12 pour, en 202213, …se rendre à l’évidence d’une hausse, que retrace l’évolution de la proportion d’immigrés dans la population. Cette fois, il souligne l’impuissance commune de tous les présidents de la République à agir sur cette tendance, même s’il consent à reconnaître un léger ralentissement du temps de Nicolas Sarkozy ! S’il fallait ridiculiser Nicolas Sarkozy, mais surtout François Fillon, en 2017, il faut épargner Emmanuel Macron en 2022. On ne peut pas incriminer ce président puisque la croissance de l’immigration étrangère lui échappe, comme elle échappait à ses prédécesseurs. En 2017, il invitait à « faire avec » l’immigration en la naturalisant : on ne pourrait pas plus empêcher des étrangers d’entrer que des enfants de naître. En 2022, c’est la petite France qui ne peut pas, à elle seule, se dresser contre une dynamique mondiale irréversible.

Enfin, comment ne pas évoquer la fessée que François Héran a cru mettre à Stephen Smith14, avec la complicité de Population & Sociétés15, revue de l’Ined, qui s’est ainsi joint à la campagne de dénigrement de Stephen Smith, sous les applaudissements de médias soulagés d’apprendre que ce dernier avait tout faux ? On ne peut guère en faire grief à la presse quand le comité de rédaction de la revue lui-même, grisé par la perspective de démolir le livre de Stephen Smith, n’a pas été en mesure de détecter l’erreur méthodologique flagrante de la démonstration de François Héran. Erreur, qui n’a jamais été rectifiée et dont il faut dire un mot. François Héran supposait que le rapport entre la population subsaharienne qui s’installerait en France et la population subsaharienne en Afrique resterait constant jusqu’en 2050, sans prendre la précaution de vérifier si tel avait bien été le cas jusque-là. En fait, entre 1982 et 2015, la population subsaharienne avait augmenté beaucoup plus vite en France qu’en Afrique. L’hypothèse de base était donc fausse, ce qui n’avait pas empêché les éditions Nathan de retenir l’article de Benoît Bréville, rédacteur en chef de Politis, titré « Le mythe de la ruée vers l’Europe, Immigration, un débat biaisé » s’appuyant sur la si brillante démonstration de François Héran et publié sur le site Groupe d’histoire sociale16, pour le proposer à la sagacité des lycéens comme exercice d’approfondissement.

À lire aussi : Immigration clandestine: il serait plus efficace de dissuader d’entrer que d’obliger à partir

Ce ne sont là que quelques exemples du fourvoiement d’un monde académique qui, sous des atours scientifiques, vise la transformation des perceptions communes afin de satisfaire une élite bien décidée à « changer le regard sur les populations immigrées, sur l’immigration » comme l’a si joliment formulé le MNHI17. Cet ascendant idéologique sur la recherche scientifique a des conséquences désastreuses sur le débat démocratique dans la mesure où toute malversation ayant la bonne tonalité idéologique a toutes les chances d’échapper à la vigilance médiatique.

Avec le risque de banaliser ainsi la fraude scientifique, pourvu qu’elle apporte la satisfaction idéologique attendue.

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  1. Publié en 1993 et réédité en 2022 chez L’Artilleur. Voyage au centre du malaise français.
    L’antiracisme et le roman national
    , Paul Yonnet, 349 p. ↩︎
  2. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000272458 ↩︎
  3. https://www.palais-portedoree.fr/le-projet-scientifique-et-culturel. ↩︎
  4. Op. cit., page 9. ↩︎
  5. Lire à ce propos le chapitre 6 de mon livre (Immigration, idéologie et souci de la vérité,
    L’Artilleur, 2021), consacré à la naturalisation du phénomène migratoire. ↩︎
  6. Projet MNHI op. cit., p. 9. ↩︎
  7. On trouvera mes critiques sur mon site : https://micheletribalat.fr/ et dans mon livre op. cit. ↩︎
  8. https://www.dailymotion.com/video/x8pf0m7. ↩︎
  9. Voir à ce sujet : https://micheletribalat.fr/435108953/mieux-appr-hender-les-flux-
    migratoires-en-france
    . ↩︎
  10. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/26/francois-heran-l-ideologie-du-confinement-
    national-n-est-qu-un-ruineux-cauchemar_6037821_3232.html
    ↩︎
  11. https://www.histoire-immigration.fr/programmation/le-musee-part-en-live/migrations-et-
    covid-19-le-grand-retour-des-frontieres
    . ↩︎
  12. Avec l’immigration, Mesure, débattre, agir, La Découverte, 2017. ↩︎
  13. Immigration : le grand déni, Seuil, 2023. ↩︎
  14. Pour son livre La ruée vers l’Europe, Grasset, 2018. ↩︎
  15. Population & Sociétés n°558, 12 septembre 2018.
    https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/28441/558.population.societes.migration.subsaharienn
    e.europe.fr.pdf
    . ↩︎
  16. https://groupedhistoiresociale.com/2018/11/02/immigration-un-debat-biaise-benoit-
    breville/
    . ↩︎
  17. https://www.palais-portedoree.fr/le-projet-scientifique-et-culturel p. 71. ↩︎

Glucksmann: tremble, Amérique!

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Relations internationales. En exigeant des Américains qu’ils restituent la statue de la Liberté, le chef de la gauche molle française espérait frapper un grand coup médiatique et faire le buzz. Malheureusement, on ne s’improvise pas leader populiste du jour au lendemain, et hormis sur France Inter, son coup d’éclat est passé inaperçu. Ah, si ! Une vulgaire petite porte-parole de la Maison Blanche a fini par réagir à ses menaces hier soir…


Le charismatique Raphaël Glucksmann s’attaque aux États-Unis d’Amérique : le monde tremble. Dimanche, au discours de clôture de son grand parti (Place Publique, si vous l’ignoriez), il a crié « Rendez-nous la statue de la liberté ! » — de sa voix terrible digne de Jean Jaurès. « Vous la méprisez ! », a-t-il rugi tel un lion devant la foule énorme, gigantesque, monstrueuse de ses mille cinq cents militants ; partout dans les rangs, ça défaillait, ça perdait connaissance ; les gens s’écroulaient comme des dominos, congestionnés, ivres de l’ambiance (c’est que les partisans de Glucksmann ne sont plus tout jeunes). Trump n’a qu’à bien se tenir ; quel dommage que six mille kilomètres et vingt-cinq milliards de dollars de PIB séparent Paris de Washington ! — sinon, à coup sûr, le président américain eût entendu les jérémiades (pardon, les menaces) du leader le plus magnétique de l’Hexagone, du nouveau Napoléon français, du Don Quichotte de la bobo-écologie.

Coup d’éclat

Le chef, faisant montre d’une stratégie héritée des préceptes de Sun Tzu, aura cherché à lancer sa campagne par un grand coup d’éclat. Balzac entrait dans la société « comme un boulet de canon » ; Glucksmann entrera dans la politique (au fait, n’y est-il pas déjà entré depuis plusieurs années… ?) comme une fusée électrique — éco-responsable. Raté ! le dandy des beaux quartiers, semble-t-il, est moins versé dans l’art suprême de la provocation que ses ennemis les populistes : la fusée a piqué du nez ; elle s’est échouée lamentablement à quelques encablures de l’Espace Charenton, dans la Seine (elle n’allait quand même pas quitter Paris). Toute la journée, on a guetté anxieusement les médias, les annonces, les communiqués de la Maison Blanche ; en vain ! Donald Trump a préféré rester silencieux. Aurait-il peur ?… on est en droit de se poser la question.

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Il faut dire aussi que Raphaël Glucksmann a sorti le grand jeu. Le paon a exhibé la traîne ; le ouistiti, gonflé la poitrine ; l’éléphanteau barri puissamment. De son ton plein d’assurance, gaullien (à peu de choses près), il a d’abord fustigé ces « Américains qui ont choisi de basculer du côté des tyrans » (si, si, il l’a dit), avant de se lancer dans une diatribe pas très claire au sujet des « scientifiques ». L’émotion dans la salle était palpable ; les vieux (pardon, les militants), essoufflés, hurlaient en chœur : Liberté ! Liberté ! On se serait presque cru avec les soldats de la grande armée lorsqu’ils entonnaient Le Chant du départ, et puis s’en allaient à l’assaut du monde — bien sûr, c’était plutôt la vieille armée ; puis les bourgeois affadis, les secrétaires de mairie, les artistes au chômage ont remplacé les grognards héroïques ; mais enfin, l’esprit était là.

Ce n’était qu’un rêve

Qu’on se le dise : Raphaël Glucksmann, candidat pour l’Ukraine (pardon, pour la France) ne sera jamais à la botte des États-Unis d’Amérique. Il va… il va… au fait, quel est son programme ? — nous verrons cela plus tard. Les grands ambitieux ne s’arrêtent pas aux détails bassement matériels, surtout quand de leur appartement ils ont vue sur la tour Eiffel. La tête dans les nuages, le rassembleur des gauches nous avait déjà fait rêver lors de sa précédente campagne avec ses masses de granit, les inoubliables « ticket climat », « pacte bleu pour les océans », « Europe du train ». Personne n’a oublié le courage dont il fit preuve, l’abnégation, les sacrifices qui furent les siens au moment de la croisade courageuse qu’il mena pour cette vaste idée, non pas la République, non pas la Liberté, non pas la Grandeur de la France, mais l’écologie sociale. Votre cœur s’emballe ? — ce n’est pas normal, allez consulter. Allons ! soyons sérieux : le héraut de l’intérêt général, qui chante la bien-pensance comme Florence Foster Jenkins chantait l’opéra, propose la taxation automatique des profits, la fin des écarts de salaire supérieurs à vingt dans les entreprises, la création de nouvelles autorités européennes (il n’y en a pas assez), et voudrait donner des leçons de liberté aux États-Unis ; trouve-t-il que Trump est ridicule ?…

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On lisait dans un portrait de L’Express publié en 2019 (déjà !), à propos de Glucksmann, ces lignes prophétiques : « il est un essayeur professionnel, il tente tout ; passe son temps à s’extraire de sa zone de confort, se rétame, se relance, essaie, essaie encore : « C’est pour ça que j’aime le mot ‘essayiste’. Il faut essayer en politique, en journalisme, sur le terrain des idées… » » Hélas ! six ans ont passé, et apparemment, le fils du nouveau philosophe ne connaît toujours pas le mot « succès » ; pendant ce temps-là, Elon Musk est devenu l’homme le plus riche du monde, haut conseiller du président des États-Unis, a racheté X et fondé xAI. Glucksmann ferait mieux d’aller prendre des leçons à la Maison Blanche, plutôt que de proférer des inepties sur la statue de Bartholdi ; l’idéalisme est poétique dans un État fort, quand il sort de la bouche de Victor Hugo ; il est bête quand l’État s’affaiblit, abruti de socialisme ignare ; du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. Interrogé par le journaliste dans le même portrait, le « pirate » (sic) confiait ceci : « Soit on regardait sans réagir ce paysage figé, désespéré, et l’on devenait un think tank d’intellectuels dont le monde se fout. Soit, au contraire, on essayait tout. On tentait tout pour faire bouger les choses ! » Eh bien, voilà, il l’aura lancé, son parti : mais ça aussi, tout le monde s’en fout.


PS : La porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, a qualifié hier soir (heure française) Raphaël Glucksmann de « petit homme politique français inconnu », et rappelé que les Américains ont été le phare de la liberté mondiale…

Écrits sur la littérature, I (14 février 2021 – 19 juin 2023)

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Christophe Kerrero, l’ex-Recteur qui dit « Non » à la Caste

Dans un monde où les hauts fonctionnaires rivalisent de servilité, Christophe Kerrero, en envoyant sa démission de Recteur de Paris au visage d’Amélie Oudéa-Castéra, ministre par le fait du Prince, a montré que dans les plus hautes sphères subsistaient des hommes ­intègres et capables, affirme notre chroniqueur, d’une pensée cohérente sur l’Ecole.


Début février 2024, j’avais expliqué pourquoi Christophe Kerrero avait choisi d’abandonner son beau logement de fonction de la Sorbonne, où le portrait en pied de Richelieu par Philippe de Champaigne le contemplait. Et comment, dans le même temps, Amélie Oudéa-Castéra, l’une des ministres les plus incompétentes jamais entrées rue de Grenelle (et la concurrence est rude) était, elle, restée en place : c’est tout simple, elle est sortie en 2004 de l’ENA, promotion Senghor, la même qu’Emmanuel Macron. Tout comme Hollande a favorisé la Promotion Voltaire — celle de Ségolène Royal et de sa « bravitude », celle aussi de Dominique de Villepin, l’homme qui aime Gaza, déjà dans les starters-blocks pour 2027.

Ainsi se forme et se recrute la Caste, en France : copinage sans souci de compétence. Dis-moi de quelle école tu sors, et je te nomme à l’Educ-Nat’ — ou aux Sports, eu égard à ta connaissance de la raquette de Gustavo Kuerten.

C’est pour avoir voulu mettre un peu d’air dans le vivier resserré des élites auto-proclamées que Kerrero s’est fait taper sur les doigts. Et lui qui avait imposé dans les écoles parisiennes une méthode alpha-syllabique, qui avait le projet de monter des prépas pour former les futurs professeurs des écoles — afin de leur épargner des formations annexées par les pédagos —, et qui avec la réforme Affelnet avait infiltré les grands lycées parisiens, cénacles de l’entre-soi, avec des élèves méritants issus des classes les moins favorisées, s’est senti désavoué par cette grande bourgeoise qui, comme ses semblables, pense que l’excellence académique est réservée aux enfants de ses amis (elle appartient à la tribu des Duhamel), aussi nuls soient-ils.

(Parenthèse : c’est avec le même raisonnement que les Anglais ont laissé Kim Philby, espion soviétique, monter pendant 25 ans dans la hiérarchie du MI6 — juste parce qu’il était le fils d’un ex-espion passé lui aussi par le Trinity College de Cambridge. Nous, nous avons l’ENA, nid de grandes incompétences qui n’ont pas pour l’état de la France le respect que l’on pourrait attendre).

Kerrero est né loin de la Caste. Il s’est même payé le luxe, raconte-t-il avec humour, d’être un cancre indécrottable — jusqu’à ce qu’il passe l’agrégation de Lettres. Il s’est dès lors mis au service de cette République à qui il devait tout, sans vouloir se mettre aux ordres des intérêts politiques et financiers auxquels nos Excellences sont dévouées.

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Son livre, L’École n’a pas dit son dernier mot, est le récit de ce combat. Ex-directeur de Cabinet de Blanquer, il connaît de l’intérieur les adversaires de l’École — et de la République. Il est significatif que le pouvoir laisse sur la touche les vraies compétences, en se repliant, comme disait jadis Michel Poniatowski, sur les copains et les coquins. On ne devient pas ministre avec l’intention de pantoufler rue de Grenelle. On ne reste pas recteur quand la Caste vous a repéré comme un trublion capable d’égratigner Stanislas ou Henri-IV, ces pépinières de l’excellence morne.

Ce livre est un hymne à la méritocratie républicaine, au besoin d’amener chacun au plus haut de ses capacités (et non à son point d’incompétence) et à la sélection des meilleurs. Que de résistances, à droite et à gauche ! Interviewé il y a quelques jours par Christine Kelly, Kerrero, tout en mesure, a dû expliquer à des journalistes de droite anxieux de l’apprendre, qu’il y a des gosses intelligents qui ne sont pas nés avec une cuiller en argent dans la bouche (c’est là, à la 39ème minute) : avec des débatteurs pareils, nous ne sommes pas sortis de gouffre où leurs pareils, de droite et de gauche, nous ont entraînés, à force de préserver les droits des plus nuls de leurs rejetons. Nous ne pouvons pas nous passer des talents réels, méprisés aujourd’hui par la Caste qui méprise 70 millions de Français.

Christophe Kerrero, L’Ecole n’a pas dit son dernier mot, Robert Laffont, mars 2025, 358 p.

Résilience et couteau suisse

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DR

Le gouvernement va envoyer un kit de survie à tous les foyers français d’ici l’été. Avec un livret qui détaillera les bons gestes à adopter en cas de conflit armé ou de crise sur le sol français.


Ainsi, grâce à l’oppressante incertitude des temps, voilà donc l’industrie du couteau-suisse relancée en même temps que celle du canon César et du missile à tête chercheuse. Couteau suisse dont on espère qu’il serait de fabrication française, bien sûr, car il ferait beau voir que, sur ce point essentiel, nous soyons dépendants de l’ingénierie helvétique comme nous l’avons été si longtemps, en matière de défense, du paternel bouclier made in USA.

Parer à toute éventualité

D’ici l’été, laissent entendre des gens du gouvernement, chaque Français devrait recevoir son kit de survie. Enfin l’intitulé n’est pas encore défini. Sans doute faudra-t-il quelques réunions interministérielles pour en décider, à moins qu’en très haut lieu on ne décide de s’en remettre à la voie référendaire, puisque dans une récente allocution ce recours avait été évoqué. De même pour le type exact de couteau : le modèle de base à six lames ? Ou l’engin de compétition à quinze fonctions ? Évidemment, selon le choix final, le budget n’est pas le même. La bonne vieille question du nerf de la guerre, comme toujours, que voulez-vous…

Remarquez, s’en remettre au référendum serait, pour le chef de l’État, une excellente occasion de montrer aux populations – ébahies pour le coup – que – une fois n’étant pas coutume – on convertit enfin les paroles en actes.

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En fait, pour que l’opération soit parfaitement menée, il serait opportun que le kit en question – couteau suisse, lampe de poche, petite radio à piles (éventuellement bloquée sur la fréquence d’état afin que les esprits ne s’égarent point et n’aillent pas battre la campagne) – pansements, compresses, guide de conseils en vingt pages – parviennent en tout début de saison estivale, juste avant le départ en camping pour les aventureuses équipées cévenoles ou quercynoises. Là, on aurait moins l’assurance que la panoplie du parfait Robinson pourrait servir à quelques chose.

« L’objectif est de dire aux Français de se préparer à toute éventualité et non pas qu’à un conflit armé, précise un membre du gouvernement se voulant rassurant. La doctrine française étant la dissuasion, il serait contre-productif de se focaliser uniquement sur le conflit armé et mettre uniquement cela dans la tête des Français. » En effet, ce serait faire l’impasse sur des circonstances autrement plus réjouissantes telles que le retour d’une pandémie type Covid, les crues monstres jusqu’aux à sourcils du zouave du pont de l’Alma, les pluies de sauterelles, les eaux des fleuves transformées en sang, les grenouilles partout, par milliards, les ténèbres pour trois jours, bref toute la lyre des antiques plaies à l’égyptienne.

Résilience

Aussi s’agit-il, dit encore le gouvernement, « d’assurer la résilience des populations ». Ah, le beau mot de résilience ! Avec ces autres mots que sont partage, convivialité, tolérance et vivre ensemble, il est un des incontournables de la logorrhée politicienne du moment.

Résilience : « capacité à surmonter les chocs traumatiques » nous explique le dictionnaire. Se pourrait-il qu’au sommet de l’État on en soit arrivé à considérer que, après quelque sept années de macronisme, il serait grand temps de se pencher sur la question, justement, de « la résilience des populations » ? Ce serait là un indéniable progrès…  

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Lyrique: « Samson », de Rameau, ou le fantôme d’un opéra

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"Samson" © S. Brion

Opéra de Jean-Philippe Rameau dont le livret coécrit avec Voltaire en 1733 a été censuré pour son mélange de sacré et de profane, Samson est longtemps resté inachevé; il a été recréé en 2024 par Raphaël Pichon et Claus Guth pour le Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être repris à l’Opéra-Comique avec une distribution en partie renouvelée. Loin d’être une simple reconstitution historique, cette production propose une mise en scène audacieuse qui confère à l’œuvre une intéressante modernité .


Jean-Philippe Rameau (1683-1764) n’a rien d’un génie précoce. Le compositeur dijonnais des merveilleuses Pièces et autres Suites de clavecin a déjà franchi la cinquantaine quand, savant théoricien, auteur émérite, par ailleurs, de plusieurs Traités de l’harmonie, il devient l’auteur incontournable de toute une série de chef d’œuvres lyriques, depuis Hyppolyte et Aricie (1733), Les Indes galantes (1735), jusqu’à Zoroastre (1740), en passant par Castor et Pollux (1737),  Les Fêtes d’Hébé ou  Dardanus (1739)… Avant que de suspendre mystérieusement, pour les quatre années suivantes, cette enfilade d’opéras. Plus tard encore, se seront toute une flopée de pastorales, opéras-ballets et autres tragédies lyriques, jusqu’à ces fameuses Boréales, chant du cygne ce celui qui est devenu le parangon du grand style français. Rameau s’éteint l’année même de cette ultime production ; il a 81 ans. 

C’est dans ce contexte qu’il faut situer Samson, au livret duquel est associé Voltaire dès 1733, objet de dissension, dès l’abord avec le compositeur, mais censuré bientôt, sur fond de cabale janséniste, pour le caractère corrosif de cette intrigue mariant profane et sacré, et qui prend ses largesses avec la vérité biblique. Résultat, Rameau refuse d’imprimer la partition, et se réserve d’en recycler des morceaux pour de futures pages lyriques – ce qu’il fera abondamment.  

Opéra – fantôme que ce Samson, donc, librement « recréé » pour le Festival d’Aix en Provence, en juillet dernier, par le maestro Raphaël Pichon à la tête de l’orchestre baroque Pygmalion (qui joue sur instruments d’époque), en duo avec un metteur en scène toujours très inspiré, Claus Guth. Coproduit avec l’Opéra-Comique, ce spectacle est repris à Paris, salle Favart, jusqu’au 23 mars, dans une distribution en partie modifiée. Fort heureusement, si la soprano roumaine Ana Maria Labin reprend ici pour le meilleur le rôle de Dalila que tenait Jacquelyn Stucker sur la scène de l’évêché aixois, si Julie Roset permute avec Camille Chopin l’emploi de « l’Ange » pour camper Timma à la place de Lea Desandre, si Achisch, le chef philistin, emprunte les traits de la basse Mirco Palazzi en remplacement de Nahuel Di Pierro, l’excellent ténor britannique Laurence Kilsby est, lui, reconduit dans l’inégalable incarnation du jeune Elon ;  mais surtout, et c’est l’essentiel, le baryton Jarret Ott, malabar à la blonde crinière, assume à nouveau le rôle-titre. Avec une éloquence, une intensité, une délicatesse prodigieuse, dans un phrasé tellement impeccable qu’on peine à le connaître pour américain ! Il faut l’entendre chanter, dans un vibrato presque murmuré, l’aria sublime du troisième acte : « soleil, cache à mes yeux tes feux étincelants./A mon peuple, livré aux plus cruels tourments, / offre seul dans la nuit l’éclat de ta lumière ».  Ou encore, à l’acte IV, dans la scène où Dalila, prostituée aux philistins, ne le séduit que pour lui arracher le secret de sa force invincible, avouer que « sans l’amour et sans les flammes/ Tous nos beaux jours sont perdus. / Les vrais plaisirs ne sont dus/ Qu’à l’ivresse de nos âmes ». Puis, sacrifiantaux ardeurs sournoises de l’hétaïre, se confier au sommeil qui lui sera fatal : « Cédons à ce charme invincible : mes yeux en se fermant, s’abandonnent à la beauté »…

La régie de Claus Guth ne fait pas l’économie d’ébats érotiques à la sauvagerie tout à fait animale mais dans lesquels, n’en déplaise aux vestales du woke, la Femme n’est point victime, mais vénale, allumeuse, violeuse, manipulatrice – quand bien même le remord la conduira au suicide – il y a une justice sur cette terre ! Et l’Homme tout au contraire, à ses dépens : candide, vulnérable, confiant – mais vengeur in fine dès lors que la repousse de ses cheveux ravive son pouvoir herculéen ! Partie de l’Ancien testament, le Livre des Justes ne fait pas dans la propagande féministe : le metteur en scène en dispose d’éclairantes citations qui, tout au long du spectacle, s’impriment en bandeau sur une poutre massive. Le décor expose l’intérieur d’une demeure aristocratique d’époque classique, avec lambris et escalier d’apparat à rampe de fer forgé, dans l’état de ruine où, prélude à l’opéra, une cohorte de techniciens du bâtiment, casqués et outillés, évaluent le programme de restauration à effectuer sur l’édifice patrimonial. Au dénouement, on les verra y pratiquer des mesures au laser.

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Métaphore, précisément, de l’entreprise de restauration d’une œuvre en quelque sorte spectrale, composite en tous cas, puisqu’elle combine quantité d’airs repris par Rameau dans des productions lyriques ultérieures, et coud habilement un livret qui, aux vers originaux de Voltaire, raccorde des éléments inventés, mais parfaitement homogènes au style du temps. Rien d’une reconstitution historique, en somme, même si la résurrection de ce Samson mort-né s’enracine dans le matériau prosodique de Rameau. Cet enchâssement anti-archéologique est donc porté par une scénographie aussi spectaculaire visuellement que stimulante dans ses intentions.

Sous les traits de la comédienne Andréa Ferréol, elle intègre la mère de l’élu de Dieu, laquelle revisite, sur le site même du Temple ravagé, la tragédie qui a vu son fils se tuer en se vengeant – attentat-suicide avant la lettre, à Gaza qui plus est s’il faut en croire la Bible ! Sans jamais tomber dans la facilité des actualisations factices ou tendancieuses, le « scénario » imaginé par Claus Guth avec l’aide d’Eddy Garaudel invente également le personnage d’Elon, l’ami traître à Samson, ainsi que la jeune Timna conquise par lui tel un trophée de guerre, ou encore l’Ange annonçant en prologue que « ce jeune enfant devra supporter bien des chaînes »… Le climax se noue après l’entracte, dans le martyre sanguinolent et christique du colosse aux yeux crevés.

Au pupitre, Raphaël Pichon fait sonner chœur et orchestre avec une amplitude sonore qui s’agrège de généreuses, tonnantes percussions, qui impriment à la partition une étonnante modernité.  

A noter incidemment qu’on retrouve Claus Guth dans quelques jours à l’Opéra-Bastille, pour sa mise en scène de Il Viaggio, Dante, du très moderne Pascal Dusapin, également une commande Opéra de Paris/ Festival d’Aix-en-Provence, coproduite avec Le Saarländisches Staattheater Sarbrücken et les Théâtres de la ville de Luxembourg.

Pour en revenir au sieur Rameau, l’Auditorium de Radio France proposait, ce mardi 18 mars, une autre « tragédie lyrique » majeure du compositeur, mais en concert, pour le coup: Dardanus, dans une version revisitée en profondeur par ses soins en 1744. Représentation unique, sous les auspices de l’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie, avec le Chœur de chambre de Namur, à la baguette le chef (et violon solo) franco-italien Emmanuel Resche- Caserta, issu des Arts Florissants et assistant musical de William Christie, et une distribution de bonne tenue – le ténor belge Reinoud Van Mechelen dans le rôle-titre… Concert ultérieurement diffusé sur France Musique et francemusique.fr

Et pour en finir avec notre Samson né de ses cendres, ceux qui n’auront pas eu la chance d’assister salle Favart à sa résurrection, peuvent se reporter sur Arte Concert où, dans sa distribution aixoise, la captation de l’opéra demeure visionnable en accès libre, et ce pour de longs mois encore…  


Samson. Opéra de Jean-Philippe Rameau.  Avec Jarrett Ott (Samson), Ana Maria Labin ( Dalila), Julie Roset (Timna), Mirco Palazzi (Archisch) , Laurence Kilsby (Elon), Camille Chopin ( L’Ange). Direction : Raphaël Pichon. Mise en scène : Claus Guth. Chœur et orchestre : Pygmalion  Durée :2h40

Opéra-Comique, Paris. Les 19, 21 et 23 mars 2025


Dardanus, opéra de Jean-Philippe Rameau. Version de concert. Avec Emmanuelle de Negri, Marie Perbost, Reinoud Van Mechelen, Edwin Fardini, Stephan Macleod. Direction : Emmanuel Resche-Caserta. Chœur de chambre de Namur. Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie. Durée : 3h05. Concert du 18 mars 2025 à l’Auditorium de Radio France, diffusé le 5 avril à 20h sur France Musique, puis disponible à la réécoute sur francemusique.fr

« La Belle au bois dormant », une fastueuse pièce-montée

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LA BELLE AU BOIS DORMANT (R. NOUREEV), Marine Ganio, Antoine Kirscher © Agathe Poupeney OnP

L’Opéra Bastille présente La Belle au bois dormant de Tchaïkovski, dans la mise en scène de Rudolf Noureïev, avec le Ballet de l’Opéra de Paris. Une vision magnifique du conte de Perrault aux décors et aux costumes éblouissants. 


L’Opéra de Paris reprend la Belle au bois dormant mise en scène par Rudolf Noureïev, que son professeur, quand le tout jeune homme prenait ses premières leçons à Oufa, appelait « le ballet des ballets ». Vision très partiale d’un maître à danser de province qui, certes avait levé la jambe au Théâtre Marie (le Marinsky, alors appelé Kirov sous la coupe soviétique), mais qui, en échouant en Bachkirie, n’en était que plus étroit d’esprit.

Un ouvrage d’apparat

La Belle au bois dormant est un ouvrage d’apparat, bien moins attachant, bien moins émouvant que Le Lac des cygnes, bien moins fantaisiste et rêveur que le Casse-Noisette, mais qui fut un succès immédiat lors de sa création à Saint-Pétersbourg en 1890.

Aussi élégamment écrit, aussi joliment chantourné que soit le conte de Charles Perrault dont seule la première partie a inspiré le ballet, ce dernier est fort pauvre sur le plan narratif. Faute d’action véritablement dramatique induisant des sentiments passionnés, et hormis la noirceur de la fée Carabosse, ses personnages trop convenus n’offrent aucun trait de caractère marquant. Et belle souvent, parfois un peu terne, la partition s’en ressent. L’ensemble n’est au fond qu’un étalage sans fin de défilés cérémonieux, de scènes de bal, de majestueuses polonaises, le tout généreusement agrémenté de révérences et de pâmoisons. Un drame limité à presque rien, des personnages à la psychologie d’oiseaux et d’insipides fées heureusement malmenées par une sorcière maléfique.

La seule grâce d’un baiser

Les seuls moments de vrai théâtre se résument à l’apparition de Carabosse avec sa suite de monstres, à l’endormissement d’Aurore et de toute la cour qui l’entoure. Puis à la découverte par le prince Désiré de ce château enchanté enfoui dans une jungle épaisse et oublié depuis un siècle, de tous ses courtisans et officiers en costumes du temps jadis, pétrifiés dans l’attente du réveil, et de l’adolescente assoupie dans le sillage de laquelle tous s’éveilleront miraculeusement par la seule grâce d’un baiser qu’elle a reçu.

Malheureusement, du cheminement du prince à travers le château endormi, pourtant plein de mystère et de poésie, tel qu’il a été mis en musique par Piotr Ilitch Tchaïkovski, et tel qu’il avait été voulu par l’auteur du livret, le prince Ivan Alexandrovitch Vsevolojski, Noureïev, qui a pourtant su se révéler ailleurs excellent metteur en scène à défaut d’être un chorégraphe inspiré, Noureïev n’a pas vraiment su tirer parti, ainsi que l’aurait fait sans doute le Jean Cocteau de La Belle et la Bête. Et l’effet théâtral et féérique qu’on eut pu tirer de ce moment fabuleux est quelque peu avorté.

Même chose pour l’acte du mariage d’Aurore et Désiré. Dans la version traditionnelle, telle qu’écrite par le librettiste et par le compositeur, les personnages des autres contes de Perrault, invités pour les festivités, exécutent des danses de caractère qui définissent leurs profils et qui donnent du piment à cet acte. Las ! Le chorégraphe a effacé la présence de la plupart d’entre eux. Ont disparu Cendrillon et le prince Fortuné, le Chaperon rouge et le Loup, le Petit Poucet et l’Ogre. Seuls subsistent le Chat botté et la Chatte blanche, l’Oiseau bleu et la princesse Florine. La séquence où l’Oiseau s’envole dans de magnifiques prouesses, ces prouesses qui en leur temps avaient fait la gloire de Nijinski et de Noureïev, est cependant terriblement affadie par ces sempiternels pas de deux si convenus que Noureïev n’a pas eu l’esprit d’alléger. Détruisant les effets d’ailes du bel oiseau, ils sont faits, ces duos assommants, pour mettre en valeur la ballerine.

Comme une curiosité d’un autre âge

En fait, pour regarder cette Belle au bois dormant en toute sérénité, pour accepter cet aimable, mais insipide chapelet de marches nobles, de danses de cour et de pâmoisons princières, il faudrait impérativement mettre de côté ses préventions, ses exigences, sa raison de spectateur d’aujourd’hui. Et considérer ces déploiements pompeux avec des yeux d’historien ou d’ethnologue. Voir ce ballet comme une curiosité somptueuse venue d’autres mondes, celui de la danse académique, celui de la cour impériale russe (même si la chorégraphie originale fut celle d’un Français, Marius Petipa) et des grands bals au Palais d’hiver. C’est à ce prix que cet ouvrage peut retrouver quelque crédit, malgré tous les ratés, toutes les regrettables omissions de la mise en scène à laquelle on aurait pu conférer un caractère autrement plus marqué.

Il n’échappera à personne que la majorité du public ne se pose guère de questions à ce sujet et paraît avaler le tout sans restriction aucune. À telle enseigne que pour renflouer les caisses de l’Opéra, l’on peut ouvrir la salle de l’Opéra de la Bastille à La Belle au bois dormant pour un nombre élevé de représentations (il y en aura une trentaine) qui feront salle comble, en mars et en avril, en juin et en juillet de cette année 2025.

Il est vrai que l’opulence de la production, que le nombre impressionnant de protagonistes sur la scène créent l’heureuse impression d’en avoir pour son argent. Et la somptuosité des décors, dus à Ezio Frigerio, l’élégance et la variété des costumes dessinés par Franca Squarciapino, taillés dans des étoffes aux teintes magnifiques, les lumières de Vinicio Cheli, les qualités enfin du Ballet de l’Opéra contribuent à en offrir une vision magnifique.  

Un Versailles à la russe

Comme l’avait voulu l’auteur du livret, ce Vsevolojski, qui fut un brillant surintendant des théâtres impériaux à Saint-Pétersbourg au temps d’Alexandre III et de Nicolas II, l’action, pour la première partie du ballet, doit se dérouler dans un univers rappelant le Versailles de Louis XIV. Et pour la seconde, 100 ans plus tard, celui de Louis XV ou de Louis XVI.  On se retrouve ainsi dans un palais Grand Siècle, mais ici et sans doute à la demande de Noureïev lui-même, revu dans le goût russe.

Si les éléments d’architecture rappellent d’ailleurs davantage les bâtiments d’Ange-Jacques Gabriel sous Louis XV que ceux de Le Vau ou Mansart sous Louis XIV, du classicisme français, on a partiellement glissé vers le rococo des tsarines Élisabeth et Catherine. En témoignent l’ornementation alambiquée des grilles du palais, les portes monumentales coiffées d’un lourd décor, les colonnes des portiques où s’enroulent des guirlandes vieil or, la surcharge des chapiteaux… L’ensemble est conçu pour éblouir. Et il est éblouissant.

Danseurs du corps de ballet, solistes, étoiles, sont tous de bonne race. Ils offrent cette haute tenue dans laquelle excelle le plus souvent la première compagnie de France. Mais rares sont les interprètes d’exception. Parmi les différentes distributions qui assurent les multiples représentations, celle que l’on découvrait le soir de la première représentation, aussi digne qu’elle ait été, n’était pas vraiment bouleversante. Seul l’Oiseau bleu d’Antoine Kirscher, sans être miraculeux comme le furent sans doute ceux de Nijinski ou de Noureïev, portait quelque chose d’un peu magique.


La Belle au bois dormant par le Ballet de l’Opéra de Paris.

Opéra Bastille. Jusqu’au 23 avril, puis du 27 juin au 14 juillet 2025.

À lire : Le programme du spectacle en vente à l’Opéra qui contient nombre d’articles sur la genèse et la création du ballet en 1890, les récits et commentaires de Nijinska et les adaptations que Rudolf Noureïev fit de La Belle au bois dormant.

Ménage à trois avec IA

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© DALL-E

Une femme est parvenue à contourner les limitations de ChatGPT et à faire de l’intelligence artificielle un compagnon possessif et protecteur, doux et grivois. Mais elle rencontre des difficultés inattendues.


En janvier, une femme de 28 ans, Ayrin (un pseudonyme) a confessé au cours d’un entretien avec le New York Times qu’elle était amoureuse d’un agent conversationnel ou chatbot. Une telle relation surprendrait moins de la part d’un de ces hommes qu’on appelle « incels » (ou célibataires involontaires), qui n’arrivent pas à trouver une copine. Mais c’est plus surprenant de la part d’une femme, et qui est déjà mariée à un homme en chair et en os ! La relation, à la fois émotionnelle et sexuelle, a commencé l’été dernier, quand elle a découvert sur Instagram le compte d’une jeune femme qui fait l’éloge des amants virtuels et explique comment en programmer et customiser un sur ChatGPT. Ayrin a enjoint à celui qui a pris le nom de Leo et qui l’appelle « minette » d’être « dominateur, possessif et protecteur. Doux et grivois en même temps. » Elle lui parle de ses soucis pro et perso et, contournant les règles de ChatGPT contre les contenus érotiques, entame des rapports (verbalement) sexuels. Pendant un temps, elle programme son amant pour la rendre jalouse en parlant d’autres femmes. Elle en est devenue si dépendante qu’elle a pris un abonnement mensuel illimité pour 200 dollars. À la fin de chaque mois, la version de Leo est effacée par le système, et elle est obligée de le reprogrammer. Elle serait prête à payer 1 000 dollars pour éviter le sentiment de deuil que cela lui occasionne. Mue par la culpabilité, elle met son époux au courant, mais le mari cocufié par l’IA refuse de prendre Leo au sérieux, y voyant un soutien émotionnel passager. Pourtant, Ayrin n’envisage jamais de rompre avec Leo.

Ce type de trouple est en train de se normaliser. En 2023, une mère de 36 ans, native du Bronx, se marie virtuellement avec un bellâtre créé par Replika, un système spécialisé dans ce domaine. En 2024, une Chinoise tombe amoureuse de DAN, un autre agent conversationnel de ChatGPT. Elle fait un voyage romantique avec lui et le présente à sa mère, convaincue que cette IA a développé une conscience de soi. Entre sa tendance à l’anthropomorphisme et son besoin d’empathie même illusoire, l’humanité moderne est-elle vouée, à l’époque de l’IA, à un égoïsme solitaire et stérile ?

«Le financement du terrorisme repose souvent sur des activités économiques apparemment anodines»

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La sénatrice Nathalie Goulet. DR.

Il n’y a pas que les activités illégales et le narcotrafic qui alimentent les réseaux terroristes, nous apprend la sénatrice UDI de l’Orne


Causeur. Madame la sénatrice, votre livre L’argent du terrorisme soulève des questions cruciales sur le financement des activités terroristes. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire cet ouvrage ?

Nathalie Goulet. À partir de 2011-2012, j’ai commencé à travailler sur la délinquance financière et la fraude fiscale. En 2014, j’ai lu un livre de David Thompson, journaliste, sur les Français djihadistes, notamment ceux qui se convertissaient à l’islam pour partir en Syrie et en Irak. J’ai alors réalisé que nous ne disposions pas des outils juridiques nécessaires pour lutter contre cette nouvelle menace. J’ai donc demandé et obtenu, en juin 2014, la création d’une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes, soit six mois avant les attentats de Charlie Hebdo.

En travaillant à la fois sur la fraude fiscale, l’évasion fiscale et le terrorisme, j’ai découvert qu’au croisement de ces deux domaines se trouvait le financement du terrorisme. En réalité, les terroristes exploitent les réseaux de la criminalité financière. Pendant la pandémie de Covid-19, lorsque les activités se sont ralenties, j’ai décidé de consolider tout le travail accumulé au fil des années : rapports, amendements, et une quinzaine d’années de travail parlementaire. Cela m’a semblé important.

Initialement, j’avais l’intention d’écrire un livre classique sur le financement du terrorisme, mais je n’y suis pas parvenue. Finalement, j’ai opté pour un format de dictionnaire, car il me paraissait plus clair et accessible. C’est ainsi qu’est née la version 2022 de L’Abécédaire du financement du terrorisme, que j’ai mise à jour cette année sous le titre L’argent du terrorisme. Bien que ce livre se concentre sur le terrorisme, les mécanismes et outils décrits sont les mêmes que ceux utilisés dans la grande criminalité financière.

Après les attentats de Charlie Hebdo, avez-vous observé un changement dans la politique et les actions menées au Sénat et à l’Assemblée nationale sur ces questions ?

Absolument. Le budget du ministère de l’Intérieur pour le Projet de loi de finances pour 2015, voté en novembre 2014, ne mentionnait même pas le mot « terrorisme ». J’étais alors intervenue au Sénat pour souligner que, bien que ce budget soit bon, il n’était pas adapté aux nouveaux défis auxquels nous faisions face. Nous étions donc avant les attentats de Charlie Hebdo. Après Charlie Hebdo et les attaques du Bataclan, la France a dépensé près d’un milliard d’euros pour rééquiper les forces de police, réorganiser les services de renseignement et sensibiliser les agents. Plusieurs lois ont été votées, notamment sur l’état d’urgence, dont certaines dispositions ont ensuite été intégrées dans le droit commun. Les coopérations internationale et européenne se sont considérablement améliorées. Les avancées les plus significatives dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale sont d’ailleurs survenues parce qu’il était nécessaire de lutter contre le financement du terrorisme, créant ainsi un cercle vertueux.

Quels sont les mécanismes les plus courants que vous avez identifiés en matière de financement du terrorisme ?

Je parlerais plutôt des mécanismes les plus ordinaires, c’est-à-dire ceux de notre vie quotidienne détournés à des fins criminelles :

  • Les cagnottes en ligne : une fois l’argent collecté, il peut être détourné de ses objectifs initiaux. Les services de renseignement surveillent désormais de près ces cagnottes.
  • La contrefaçon : ce phénomène est mal connu. L’achat de produits contrefaits (vêtements, médicaments, pièces détachées, jouets) alimente souvent les réseaux criminels et terroristes. Par exemple, le Hezbollah se finance en partie par la vente de faux produits, y compris des faux médicaments comme le Viagra, générant des millions de dollars chaque mois.
  • Le trafic de migrants : l’afflux de migrants en Europe alimente également des réseaux criminels dont une partie des bénéfices peut financer des activités terroristes.

En 2023, en France, 20 millions de produits contrefaits ont été retirés du marché : jouets, vêtements, produits de soin, denrées alimentaires… La contrefaçon coûte 26 milliards d’euros par an aux industries européennes, représentant 2,5 % du commerce mondial, soit 652 milliards de dollars. Cette forme de criminalité est particulièrement attractive pour les réseaux terroristes car les sanctions sont bien moins sévères que celles appliquées au trafic de drogue ou d’armes. Ce déséquilibre rend cette activité d’autant plus rentable.

En somme, ces mécanismes montrent que le financement du terrorisme repose souvent sur des activités économiques apparemment anodines mais aux conséquences profondes et inquiétantes.

Le terrorisme est donc aussi en lien avec le trafic d’êtres humains et de migrants ?

Le trafic d’êtres humains génère entre 5,5 et 7 milliards de dollars par an. C’est donc un marché énorme, dont fait partie, bien sûr, le trafic de migrants. Nous disposons de chiffres qui ne sont pas tout à fait récents. Dans la zone ouest, le passage d’un migrant coûte environ 2500 euros. Sur la route centrale, c’est 2220 euros. Quant à l’est de la Méditerranée, cela s’élève à 2200 euros. Cette année, plus de 4000 passeurs ont été arrêtés. Oui, 4000 passeurs ! Il y a une vaste opération d’Interpol qui s’appelle « Liberterra II », ayant conduit à 2500 arrestations l’année dernière, avec un procès-verbal du 6 novembre 2024. C’est donc tout récent.

Effectivement, il y a un lien direct entre le financement du terrorisme et le trafic de migrants. C’est particulièrement vrai avec Daesh, qui non seulement a organisé le trafic de migrants, mais a aussi orchestré un trafic d’organes. Ils ont émis une fatwa autorisant le prélèvement d’organes sur des apostats pour en faire profiter un musulman, considérant cela comme vertueux, ce qui a constitué un financement de leur économie.

Concernant le démantèlement des réseaux de trafic d’êtres humains, nous avons récemment eu de nombreux chiffres. Par exemple, en Espagne, le 23 février dernier, un réseau de trafic impliquant un millier de femmes colombiennes et vénézuéliennes a été démantelé. Et il y a aussi eu un trafic d’organes.

J’ai un autre chiffre à partager : en avril 2024, un réseau irako-palestinien a été arrêté à la frontière polonaise avec la Biélorussie. 36 membres de ce réseau ont été interpellés. L’enquête a révélé qu’en examinant les flux financiers, la somme des crypto-actifs s’élevait à 581 millions de dollars. De plus, les procureurs ont détecté un virement de 30 millions de dollars vers le Hezbollah et 13 millions vers le Djihad islamique palestinien.

Quelle est l’importance des crypto-monnaies dans le financement du crime organisé ?

Il s’agit d’un vecteur majeur, surtout qu’elles permettent de contourner facilement les sanctions internationales. L’Iran, la Russie, et d’autres pays utilisent largement les crypto-monnaies. Gaza et le Hezbollah, entre autres, en ont largement bénéficié. TRACFIN, notre service de renseignement financier, dispose désormais d’une équipe dédiée aux crypto-actifs. En outre, le texte sur la lutte contre le narcotrafic que nous avons récemment voté prévoit notamment de saisir des crypto-monnaies dans le cadre de certaines infractions. L’Europe a mis en place des directives, comme MiCA, pour un meilleur contrôle des crypto-actifs, mais je suis sceptique quant à leur efficacité, tout comme je suis assez critique envers les futures directives qui risquent, selon moi, de créer une cacophonie, laissant les fraudeurs continuer leur activité.

Sur ce point j’appelle à une action d’ampleur nationale pour la formation des responsables de la sécurité, police, gendarmerie, mais aussi des élus qui n’ont pas encore bien appréhendé ce phénomène qui est incontournable et doivent être en mesure de la comprendre pour mieux réprimer la fraude qui peut en découler de l’utilisation des crytos. Je prends le pari que moins d’un parlementaire sur 10 est capable de vous expliquer la blockchain…

Que pouvez-vous faire pour participer à la lutte du financement du terrorisme à votre échelle ?

Mon livre sera disponible en plusieurs langues, dont l’arabe et l’anglais. Il sort la semaine prochaine en arabe. Mon éditeur arabe a même choisi une illustration percutante pour la couverture, un dessin d’Emmanuel Chaunu – ce qui devrait avoir un bon impact. Le livre sera vendu principalement en ligne.

Il est parfois très difficile de se faire entendre sur des sujets comme la fraude et l’évasion fiscale, qui sont complexes et difficiles à appréhender. La commission d’enquête sur le narcotrafic a permis d’écrire des éléments intéressants, mais beaucoup de points étaient déjà bien connus de ceux qui travaillent sur ces questions. D’ailleurs, le rapport de cette commission d’enquête affirme qu’il n’est pas prouvé que la drogue finance le terrorisme, ce qui va à l’encontre de ce que le ministre de l’Intérieur avait affirmé. Cependant, je trouve que le travail de la commission a été un électrochoc salutaire.

En ce qui concerne le terrorisme qui est financé par la fraude, s’agit-il d’organisations terroristes, assez structurées, qui opèrent par exemple au Moyen-Orient, en Asie, ou est-ce qu’on parle aussi d’un certain financement des terroristes en Europe ? Et est-ce qu’il y a aussi de l’argent qui va dans le trésor d’organisations à tendance séparatiste, comme les Frères musulmans ?

Il y a bien sûr des financements qui vont à des organisations terroristes comme le Hamas, le Hezbollah, Boko Haram, Al-Qaïda. Ceux-ci sont identifiables. Mais, il existe aussi des financements, y compris en Europe, qui vont vers des organismes liés aux Frères musulmans. Ce ne sont pas des organisations terroristes à proprement parler, mais elles prônent des idées séparatistes. Et ce séparatisme est dangereux car il est très inflammable. Prenons l’exemple du tourisme halal. En théorie, il peut sembler acceptable : vous pouvez vouloir manger halal, porter un voile ou pratiquer votre foi comme vous l’entendez, ce qui est tout à fait respectable. Cependant, sur le terrain, dans certains endroits, comme en Ouzbékistan, où l’islam n’a pas une place aussi prépondérante, j’ai pu observer des phénomènes inquiétants. Par exemple, il y a quelques années, ils servaient de la vodka dans des théières pour ne pas exposer les bouteilles d’alcool. Et l’année dernière, dans un restaurant où je vais régulièrement, un panneau indiquait « halal ». Ce genre de phénomène peut facilement déstabiliser des sociétés où la culture et la religion sont en jeu, et alimenter des tensions qui préparent le terrain pour des radicalisations futures. Le chiffre d’affaires du tourisme halal atteint 126 milliards en 2022 avec une projection à 174 milliards de $ pour 2027. C’est un élément de séparatisme : ce n’est pas critiquable en soi, mais cela nourrit quelque chose qui est contraire à ce qui fait la société.

Quant aux Frères musulmans, j’y consacre un long article cette année. Lorsqu’on observe le nombre d’atteintes à la laïcité, le nombre d’incidents, comme cette personne assassinée l’année dernière pendant le ramadan simplement parce qu’elle buvait. C’est une forme de police des mœurs. Les organisations comme les Frères musulmans testent constamment la solidité de la République et ses limites. Et ces derniers sont malheureusement financés avec nos impôts parfois, et aussi par l’Union européenne. Au nom de la diversité, on finance nos propres ennemis !

La France peut-elle éradiquer le financement du terrorisme ?

D’abord, il faut que ce soit une action internationale, sinon cela ne fonctionnera pas. Ensuite, avec les fractures sociales actuelles, il est extrêmement difficile de faire entendre un discours cohérent.

Il y a le binôme Darmanin-Retailleau, qui représente une sorte de « dream team » sur la question du narcotrafic, mais cela ne suffira pas, parce qu’il faut des moyens de renseignement, des moyens judiciaires, des moyens policiers, de gendarmerie, ainsi que des moyens carcéraux.

Il faut travailler, non seulement sur le narcotrafic, mais sur le blanchiment d’argent et donc sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale qui sont au cœur de plusieurs dispositifs. Toute cette criminalité, qui semble parfois sans victime, est présente à l’échelle nationale, européenne et mondiale. Cela pose des problèmes diplomatiques car, par exemple, quand le président Trump prend la décision de supprimer l’identification des bénéficiaires effectifs des entreprises et libère totalement les crypto-actifs, on arrive dans un système complètement dérégulé. Cette dérégulation profite à des intérêts internationaux. En France, 12% des Français possèdent un portefeuille en crypto-actifs, ce qui est énorme.

Le blanchiment d’argent représente entre 2 et 5% du PIB, ce qui correspond à 2 000 milliards d’euros par an, 2 000 milliards qui échappent à l’économie réelle, aux écoles, aux infrastructures comme les routes, aux forces de l’ordre, aux armées…

Vous insistez également sur la question des milices d’extrême droite…

J’ai effectivement consacré un chapitre à ce sujet. Mais je tiens à préciser que ce n’est pas un chapitre où l’objectif est simplement de dénoncer. Je l’ai écrit parce que c’est un sujet d’actualité.

Existe-t-il une forme de résistance au sein même de l’appareil d’État ?

Oui, il existe une forme de conflictualité. L’audition du journaliste d’investigation Fabrice Arfi le 4 mars a été un rappel douloureux. Il a rappelé que nous devions être le seul pays en Europe, voire au monde, à avoir eu deux présidents et deux Premiers ministres définitivement condamnés pour atteinte à la probité. Il a également mentionné un ministre du Budget condamné pour fraude fiscale. Cela révèle un climat assez particulier… Cette audition était, en effet, très marquante. Mais c’est Fabrice Arfi, et j’apprécie beaucoup son travail.

Au niveau de l’UE, il y a la question du « Qatar Gate » au Parlement européen. Qu’est-il advenu des protagonistes ? On a trouvé un million et demi en espèces dans un bureau, et pourtant, il ne se passe rien. Il y a un vrai tabou sur cette affaire.

496 pages

L'Argent du terrorisme

Price: 22,00 €

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Leur mère ne s’est pas ratée !

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L'illustratrice Marianne Kaufmann © Darius Kaufmann

Avec Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann nous donne à lire un roman étonnant, vif et de haute qualité littéraire.


On la connaît comme illustratrice grâce à son personnage Gloria, hilarante petite bonne femme, citadine fantasque et attachante, à qui elle donne vie dans divers magazines français et belges. Mais on sait moins que Marianne Maury Kaufmann est un sacré écrivain ; une romancière à l’incontestable talent. La preuve : son dernier roman, Maman se suicide vendredi. Katia, la narratrice, apprend par Noémie, sa sœur, qu’elle n’a pas vu depuis des années, que leur mère, Claudie, veut mettre fin à ses jours vendredi.

A lire aussi: Mélodie de la mort

Elle est instable, autocentrée

Pour ce faire, elle a besoin de ses deux filles à ses côtés. Elle les convoque chez elle pour qu’elles l’assistent dans les funestes préparatifs. Claudie n’a pas été une femme facile : d’un caractère entier, elle est instable, autocentrée, dévorée par des douleurs intimes. Son instinct maternel en a pâti ; « ce n’est pas mon truc », disait-elle. Katia et Noémie le savent. La première a tout fait pour échapper à son emprise souvent délétère. Cette fois, elle n’a plus le choix. Elle doit se confronter au dernier choix de sa mère, tout en espérant que celle-ci va flancher au dernier moment et revenir sur sa terrible décision. Mais le compte à rebours est lancé. Les voilà toutes les trois dans cette maison à la laideur déprimante, pleine de vieilles choses et de tout aussi vieux souvenirs navrants. Claudie se couvre de patchs mortifères, elle s’endort. Pour toujours ? Les deux sœurs peinent à le croire. Katia choisit de contrôler régulièrement le pouls de sa génitrice. Elles sont obligées d’éteindre afin de ne pas éveiller l’attention des voisins : « Noémie voulait que nous éteignions tout, absolument tout dans l’appartement. Elle criait à voix basse, en brassant l’air de ses mains. Il fallait faire comme si nous partions, elle disait, tout éteindre et surtout claquer la porte, la claquer assez fort pour que les voisins entendent et s’imaginent que nous étions parties. » Les minutes passent ; les sœurs se remémorent des souvenirs, surtout ceux partagés avec la morte potentielle. Il y a des presque disputes, des vacheries, des sous-entendus. Puis des fous rires : « Comme quand nous étions petites. Nous riions comme on vomit, irrésistiblement, les yeux remplis de larmes, le ventre noué, à court d’air. (…) nous saisissions bien l’obscénité de la situation, notre pauvre mère dans son lit et nous dans ce rire infect, mais nous ne pouvions rien y faire. »

Katia apprend que sa sœur s’est adonnée à la cocaïne et à l’héroïne. Pour l’alcool, elle savait : « On en parlait à l’aise, avec les parents. C’était même un sujet qui nous rapprochait. Ça les amusait beaucoup, les adultes, cette attirance chez une fillette. Noémie était l’attraction, aux dîners. Ils lui faisaient goûter les cocktails. » Au fil des pages, on comprend – c’est certainement le moment le plus émouvant, le plus fort – que Claudie est une rescapée de la Shoah ; toute sa vie, elle était donc presque morte.

Un roman à la fois drôle et grave, écrit avec délicatesse et tendresse. Un texte très fort. Gloria peut être fière de sa créatrice.

Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann ; Maurice Nadeau ; 142 p.

Maman se suicide vendredi

Price: 18,00 €

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Michel-Georges Micberth: vociférations acides made in seventies

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© Photo archives Micberth

Il a disparu il y a tout juste douze ans. En 2023, nous lui avions rendu hommage à l’occasion des dix ans de sa disparition. Cette année, la maison d’édition Lorisse publie Les Vociférations d’un ange : recueil d’articles parus dans la première moitié des années 70 dans les colonnes de Minute et d’Actual-Hebdo.


Mai 68 est déjà derrière, les années de plomb (plutôt molles en France) ont commencé, et Micberth, avec sa barbe d’ogre truculent, vitupère, depuis ses châteaux tourangeaux successifs. Contre Pompidou : « Mais oui bon sang ! Mais c’est bien sûr ! Tout s’explique maintenant. Il y a quelques mois, nous avions un président de la République dret, coquet dynamique, un chouia playboy ; et aujourd’hui il nous reste une sorte de machin ovoïde, un peu flasque, moumoute, très peu ressemblant, en fait, avec le modèle d’origine. Voilà, ça y est, j’ai compris. On nous a chauffé notre président de la République, pour le remplacer par un extra-terrestre. Changer Messmer pour Messmer, par exemple, voilà une chose des plus curieuses. C’est bien là la décision d’un extra-terrestre programmé, décision hors de notre logique humaine ». Contre Michel Debré : « Pour Debré, on savait depuis belle lurette qu’il grimpait aux arbres. Des fois même il essayait de s’envoler. Fallait l’intercepter au filet à papillon et l’incarcérer sous son entonnoir avec une grosse pierre dessus pour plus qu’il bouge ». Contre Jean Royer, ministre de Pompidou, ardent défenseur de l’ordre moral, au sujet duquel on en apprend de belles par ailleurs : « Souhaitons qu’il trébuche et que sa folie soit diagnostiquée, non plus par quelques psychiatres qui chuchotent dans l’ombre mais par une armée de Français sains et lucides ». Manque de chance, Minute fait de Royer son candidat. C’est avec des petites choses comme ça qu’on perd une chronique dans un journal.

A lire aussi: Dernières leçons de maintien en date de tous ces cultureux qui me fatiguent…

Maître de la vacherie

Le recueil nous plonge dans l’ambiance des fanzines, de la presse parallèle, où quelques futures plumes connues apparaissent. Une génération soixante-huitarde avec laquelle il partage une partie de l’esprit de révolte, mais en bon Chouan, il cultive aussi la révolte contre la révolte. Dans ce petit monde, MGM est content d’être le plus grand parmi les petits : « [À Actual-Hebdo], nous avions quand même 10 000 lecteurs, ce qui est beaucoup pour de l’underground, mais pas assez pour se retrouver aux limites de l’aura de la grande presse nationale. […] il vaut mieux être le plus grand des petits que le plus petit des grands. Non par orgueil, ce qui serait infiniment triste et tarte, mais pour l’audience pas dégueu qu’on en tire ». Micberth se montre maître de la vacherie cinglante. Dans quelques notes de bas de page ajoutées dans les années 90, on lit à propos de Cavanna : « Maçon ayant laborieusement tenté d’écrire. Faux bonhomme, reconverti en héraut médiatique, terne à la ville et pétillant devant les caméras, sorte de vieux nanar égocentrique, pleureuse appointée, là où le conduisent ses prestations de mirliflore ». Pascal Jardin ? « Pascal Jardin était un scénariste affublé de trois gros défauts : un père collabo, un style à chier et un fils à pendre ». La chanteuse Dani ? « Chanteuse médiocre, brave pomme entraînée dans l’univers impitoyable de la drogue et convertie tardivement en brave andouille, marchande de fleurs, son prochain échec ». Néron avait eu Tacite ; de Gaulle, Jacques Laurent ; Giscard et Mitterrand, Jean-Edern Hallier. Les années Pompidou auront eu aussi leur grand pamphlétaire un peu oublié…

310 pages.

LES VOCIFÉRATIONS D'UN ANGE BARIOLÉ

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À consulter aussi : Regards sur Micberth

Immigration : convertir l’opinion publique au lieu de l’informer

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La démographe Michèle Tribalat et l'historien Pierre Vermeren © Hannah Assouline - IBO/SIPA

Par crainte de représailles académiques, la démographe Michèle Tribalat avait déjà été écartée du fameux ouvrage Face à l’obscurantisme woke de Pierre Vermeren. Mais, après l’attaque publique contre le livre largement commentée ces derniers jours dans la presse, l’éditeur initial a annulé toute la publication, ce qui va finalement bénéficier à une nouvelle maison d’édition. Michèle Tribalat nous propose ici de lire sa contribution au livre : elle y explique l’emprise idéologique sur les institutions académiques et politiques concernant la question migratoire, accusant une élite dominante d’imposer un discours visant à naturaliser l’immigration et à disqualifier toute critique en la présentant comme irrationnelle. La démographe pointe notamment les contradictions et manipulations statistiques de figures influentes comme François Héran.


Le texte ci-dessous est celui que m’avaient commandé Emmanuelle Hénin, Pierre Vermeren et Xavier-Laurent Salvador le 10 juillet 2023 et qui devait figurer dans le livre – Face à l’obscurantisme woke – qu’ils co-dirigeaient pour les PUF. Par courriel du 12 novembre 2024, ils m’apprirent qu’ils avaient consenti à ce que je sois évincée du livre car l’éditeur craignait les mesures de rétorsion de François Héran du Collège de France. C’était sans moi ou pas de publication.

Finalement, comme on l’a appris il y a une semaine, après la charge de Patrick Boucheron (lui aussi du Collège de France) lors d’une conférence de presse du 7 mars dernier, c’est la publication dans son entier qui se trouve annulée par les PUF.

L’ouvrage a déjà trouvé un éditeur prêt à relever le défi et les co-directeurs se réjouissent de la publicité qui leur a ainsi été faite et ne manquera pas d’assurer le succès de la publication.


« L’idéologue désire non point connaître la vérité, mais protéger son système de croyance et abolir, spirituellement faute de mieux, tous ceux qui ne croient pas comme lui. L’idéologie repose sur une communion dans le mensonge impliquant l’ostracisme automatique de quiconque refuse de la partager. »

Jean-François Revel, La connaissance inutile, Grasset, 1988, p. 217


Sur la question migratoire, l’idéologie dominante de l’élite a conquis les institutions académiques. La curiosité, moteur de la recherche, y a été supplantée par la mission visant à convertir l’opinion publique à la bonne pensée qu’elles professent. Ce ne fut pas une conquête soudaine, mais l’écho lointain du « sociocentrisme négatif » (d’après la belle expression de Paul Yonnet) des années 1980, qui allait s’en prendre à l’identité française, après avoir détruit l’idée de roman national. Une « identité-mode de vie », « dernier bastion de l’appartenance groupale ». Comme l’écrivait encore Paul Yonnet, le projet de dissolution de la France place l’antiracisme « dans l’absolue incapacité de raisonner la crainte phobique d’une colonisation de peuplement étranger » qu’on n’appelait pas encore grand remplacement lorsqu’il a écrit son livre1. Et pourtant, c’est à cette crainte que le discours académique majoritaire cherche aujourd’hui à répondre en lui déniant tout ancrage dans le réel et en mettant en défaut les perceptions communes déplaisantes. Ce discours n’a pas pour objet – légitime – d’en rectifier les erreurs par une approche du réel mettant en œuvre les outils techniques adéquats, mais de les disqualifier pour ce qu’elles disent. L’emprise idéologique opère une sélection des scientifiques non pas sur leur maîtrise technique et leur respect des règles à respecter pour éviter de s’égarer, pourtant indispensables à la mesure du phénomène migratoire, mais sur leur adhésion (réelle ou supposée) ou non au dogme dominant.

Neutralité engagée

Tous les partis de gouvernement ont contribué à cette mission idéologique. Ce fut le cas du gouvernement Chirac-Villepin et de ses ministres qui signèrent le décret 2006-13882 créant l’Établissement public du Palais de la Porte dorée (EPPPD) comprenant la Cité nationale de l’histoire de l’immigration – aujourd’hui appelée Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) – dont une des missions était de « faire évoluer les regards et les mentalités sur l’immigration en France ». Message reçu cinq sur cinq par les dirigeants de ce musée, si l’on en croit son projet scientifique et culturel3 qui diffuse un discours paradoxal laissant penser que les tenants de l’idéologie dominante, ce qu’ils sont, peuvent se payer le luxe d’oublier le caractère idéologique de leur discours, caractère idéologique qu’ils reportent sur les adversaires qu’ils se désignent. Dans le MNHI, c’est la science qui parlerait à l’opposé des discours idéologiques de ceux qui ne pensent pas bien, car seuls ces derniers sont des idéologues. Seuls ces autres prêcheraient au lieu d’argumenter rationnellement. François Héran, professeur au Collège de France et ancien directeur de l’Ined, pour le malheur de cette vénérable institution, également président du Conseil d’orientation du musée, a fortement inspiré le projet muséal. À sa suite, ce projet revendique une « neutralité engagée ». Il soutient qu’« être pour ou contre l’immigration n’a pas plus de sens que de se prononcer pour ou contre le vieillissement de la population ». « L’immigration est un fait aussi établi que le réchauffement des températures moyennes, le développement du numérique ou le fait que la France a possédé un empire colonial »4. Le MNHI fait ainsi mine de croire que l’opposition à l’immigration reviendrait à en nier l’existence alors que c’est exactement le contraire. En fait, ce que le MNHI proclame c’est la permanence du fait migratoire et la vanité qu’il y aurait à s’y opposer. En la comparant au vieillissement de la population, il le naturalise et indique ainsi que seule l’idiotie peut conduire à se déclarer contre l’immigration.

Cette naturalisation5 du fait migratoire a fait son chemin dans la sphère politique. Ainsi a-t-elle été reprise par Gérald Darmanin. Ce dernier, alors ministre de l’Intérieur, a soutenu ce point de vue lors de sa conférence au Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (CRSI) le 19 septembre 2023 : « La question de l’immigration n’est pas une question d’opinion publique. Il n’y a pas à être pour ou contre. Être contre c’est comme être contre le soleil. » Ce faisant, le ministre nous explique que l’immigration n’est pas un objet politique et diffuse ainsi l’idée, paradoxale pour un ministre chargé de l’immigration, qu’il n’y a pas grand-chose à faire, sinon s’y adapter, alors même qu’il défend un projet de loi censé tout changer sur le sujet. Il ne peut donc qu’approuver la mission officielle du MNHI visant à changer le regard porté sur elle : en gros, puisque nous n’y pouvons rien, faisons mine de l’apprécier.

À lire aussi : Timur Kuran: l’islam est-il vraiment incapable d’évoluer?

Le rapprochement fait par le MNHI avec le changement climatique pose question. Les mêmes qui nous demandent de nous adapter à l’immigration programment des politiques très coûteuses censées peser sur l’évolution du climat. Celle-ci (à l’échelle planétaire) dépendrait donc des politiques qui seront mises en œuvre en France alors qu’il faudrait s’accommoder de l’immigration étrangère à l’échelle de ce pays ! Il est donc des décisions politiques prises en France qui pourraient freiner le réchauffement planétaire mais aucune vraiment capable de freiner l’immigration en France.

Les idéologues qui se chargent de la rééducation morale des gens ordinaires se moquent de la cohérence de leurs propos car ils savent qu’ils ne seront pas mis face à leurs contradictions. Ils sont entourés de collègues complaisants et sollicités par des médias porteurs de la même idéologie. Ils savent que les petites voix qui s’y risquent n’auront aucun écho tant que la croyance qu’ils répandent, car c’est bien de croyance qu’il s’agit, restera hégémonique dans les élites.

Cette croyance peut ainsi conjuguer le discours sur la faiblesse de l’immigration, notamment par rapport à nos voisins européens, propos favori de François Héran, et celui faisant de la France « le plus grand pays d’immigration du monde depuis au moins deux siècles »6.

François Héran est devenu un champion des déclarations contradictoires censées alimenter le même discours : on n’y peut rien mais c’est formidable !

Il plane au-dessus de la mêlée et sa parole est recueillie avec révérence. Un homme qui parle si bien ne saurait se tromper. Nous ne sommes donc pas très nombreux à nous être penchés sérieusement sur ses écrits et ses déclarations7.

Pourtant, il a apposé son sceau aux tripatouillages statistiques dont il ose se plaindre aujourd’hui. Tout récemment encore, sur RTL, au micro d’Yves Calvi, il récriminait contre ceux qui reproduisent les erreurs qu’il a lui-même commises. Citons-le : « C’est une erreur très fréquente, consistant à dire : ‘j’ai le nombre de séjours d’une année, j’ajoute l’estimation des irréguliers, j’ajoute les demandeurs d’asile et ça fait 500 000 personnes’. Eh bien ! C’est une erreur parce que ça fait des doubles et des triples comptes »8. En 2020, il s’était lui-même livré à ce type de calcul9 (sans estimation des « irréguliers ») dans Le Monde, lorsqu’il s’agissait de ridiculiser ceux qui pensaient qu’on pourrait éviter des contaminations au Covid en prolongeant l’expérience de confinement aux seuls étrangers cherchant à s’installer durablement en France : « chaque année en France, 540 000 entrées environ relèvent de la migration, ce qui est très peu sur l’ensemble des 90 millions d’entrées provisoires ou durables : 0,6 % »10 ; pourcentage calculé sur l’ensemble des entrées en France y compris touristiques ! François Héran avait réitéré ce propos lors d’un entretien avec le géographe Michel Foucher au MNHI : « de véritables migrants qui s’installent dans l’année pour au moins un an c’est peut-être [!!!], si on calcule très large, 500 000 en comptant les Européens, 550 000, peu importe [!!!], mais en gros c’est 1/150ème, 0,6 ou 0,7 % de la mobilité internationale »11. Au diable les doubles et les triples comptes quand c’est pour la bonne cause ! Pourquoi récriminer aujourd’hui contre un discours qu’il a lui-même contribué à propager ? En fait, tout dépend du point idéologique qu’il s’agit de soutenir.

Impuissance générale

En 2017, François Héran avait inventé une stabilité du flux autour de 200 000 entrées pour incriminer l’impuissance de François Fillon (qui se présentait alors à l’élection présidentielle) à le faire baisser12 pour, en 202213, …se rendre à l’évidence d’une hausse, que retrace l’évolution de la proportion d’immigrés dans la population. Cette fois, il souligne l’impuissance commune de tous les présidents de la République à agir sur cette tendance, même s’il consent à reconnaître un léger ralentissement du temps de Nicolas Sarkozy ! S’il fallait ridiculiser Nicolas Sarkozy, mais surtout François Fillon, en 2017, il faut épargner Emmanuel Macron en 2022. On ne peut pas incriminer ce président puisque la croissance de l’immigration étrangère lui échappe, comme elle échappait à ses prédécesseurs. En 2017, il invitait à « faire avec » l’immigration en la naturalisant : on ne pourrait pas plus empêcher des étrangers d’entrer que des enfants de naître. En 2022, c’est la petite France qui ne peut pas, à elle seule, se dresser contre une dynamique mondiale irréversible.

Enfin, comment ne pas évoquer la fessée que François Héran a cru mettre à Stephen Smith14, avec la complicité de Population & Sociétés15, revue de l’Ined, qui s’est ainsi joint à la campagne de dénigrement de Stephen Smith, sous les applaudissements de médias soulagés d’apprendre que ce dernier avait tout faux ? On ne peut guère en faire grief à la presse quand le comité de rédaction de la revue lui-même, grisé par la perspective de démolir le livre de Stephen Smith, n’a pas été en mesure de détecter l’erreur méthodologique flagrante de la démonstration de François Héran. Erreur, qui n’a jamais été rectifiée et dont il faut dire un mot. François Héran supposait que le rapport entre la population subsaharienne qui s’installerait en France et la population subsaharienne en Afrique resterait constant jusqu’en 2050, sans prendre la précaution de vérifier si tel avait bien été le cas jusque-là. En fait, entre 1982 et 2015, la population subsaharienne avait augmenté beaucoup plus vite en France qu’en Afrique. L’hypothèse de base était donc fausse, ce qui n’avait pas empêché les éditions Nathan de retenir l’article de Benoît Bréville, rédacteur en chef de Politis, titré « Le mythe de la ruée vers l’Europe, Immigration, un débat biaisé » s’appuyant sur la si brillante démonstration de François Héran et publié sur le site Groupe d’histoire sociale16, pour le proposer à la sagacité des lycéens comme exercice d’approfondissement.

À lire aussi : Immigration clandestine: il serait plus efficace de dissuader d’entrer que d’obliger à partir

Ce ne sont là que quelques exemples du fourvoiement d’un monde académique qui, sous des atours scientifiques, vise la transformation des perceptions communes afin de satisfaire une élite bien décidée à « changer le regard sur les populations immigrées, sur l’immigration » comme l’a si joliment formulé le MNHI17. Cet ascendant idéologique sur la recherche scientifique a des conséquences désastreuses sur le débat démocratique dans la mesure où toute malversation ayant la bonne tonalité idéologique a toutes les chances d’échapper à la vigilance médiatique.

Avec le risque de banaliser ainsi la fraude scientifique, pourvu qu’elle apporte la satisfaction idéologique attendue.

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  1. Publié en 1993 et réédité en 2022 chez L’Artilleur. Voyage au centre du malaise français.
    L’antiracisme et le roman national
    , Paul Yonnet, 349 p. ↩︎
  2. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000272458 ↩︎
  3. https://www.palais-portedoree.fr/le-projet-scientifique-et-culturel. ↩︎
  4. Op. cit., page 9. ↩︎
  5. Lire à ce propos le chapitre 6 de mon livre (Immigration, idéologie et souci de la vérité,
    L’Artilleur, 2021), consacré à la naturalisation du phénomène migratoire. ↩︎
  6. Projet MNHI op. cit., p. 9. ↩︎
  7. On trouvera mes critiques sur mon site : https://micheletribalat.fr/ et dans mon livre op. cit. ↩︎
  8. https://www.dailymotion.com/video/x8pf0m7. ↩︎
  9. Voir à ce sujet : https://micheletribalat.fr/435108953/mieux-appr-hender-les-flux-
    migratoires-en-france
    . ↩︎
  10. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/26/francois-heran-l-ideologie-du-confinement-
    national-n-est-qu-un-ruineux-cauchemar_6037821_3232.html
    ↩︎
  11. https://www.histoire-immigration.fr/programmation/le-musee-part-en-live/migrations-et-
    covid-19-le-grand-retour-des-frontieres
    . ↩︎
  12. Avec l’immigration, Mesure, débattre, agir, La Découverte, 2017. ↩︎
  13. Immigration : le grand déni, Seuil, 2023. ↩︎
  14. Pour son livre La ruée vers l’Europe, Grasset, 2018. ↩︎
  15. Population & Sociétés n°558, 12 septembre 2018.
    https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/28441/558.population.societes.migration.subsaharienn
    e.europe.fr.pdf
    . ↩︎
  16. https://groupedhistoiresociale.com/2018/11/02/immigration-un-debat-biaise-benoit-
    breville/
    . ↩︎
  17. https://www.palais-portedoree.fr/le-projet-scientifique-et-culturel p. 71. ↩︎

Glucksmann: tremble, Amérique!

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Le député européen Raphaël Glucksmann, co-président de Place Publique, a réuni les militants du parti le 16 mars 2025 à l’Espace Charenton, à Paris, lors d’un congrès visant à définir leurs orientations politiques et stratégiques pour les deux prochaines années et les élections à venir © ISA HARSIN/SIPA

Relations internationales. En exigeant des Américains qu’ils restituent la statue de la Liberté, le chef de la gauche molle française espérait frapper un grand coup médiatique et faire le buzz. Malheureusement, on ne s’improvise pas leader populiste du jour au lendemain, et hormis sur France Inter, son coup d’éclat est passé inaperçu. Ah, si ! Une vulgaire petite porte-parole de la Maison Blanche a fini par réagir à ses menaces hier soir…


Le charismatique Raphaël Glucksmann s’attaque aux États-Unis d’Amérique : le monde tremble. Dimanche, au discours de clôture de son grand parti (Place Publique, si vous l’ignoriez), il a crié « Rendez-nous la statue de la liberté ! » — de sa voix terrible digne de Jean Jaurès. « Vous la méprisez ! », a-t-il rugi tel un lion devant la foule énorme, gigantesque, monstrueuse de ses mille cinq cents militants ; partout dans les rangs, ça défaillait, ça perdait connaissance ; les gens s’écroulaient comme des dominos, congestionnés, ivres de l’ambiance (c’est que les partisans de Glucksmann ne sont plus tout jeunes). Trump n’a qu’à bien se tenir ; quel dommage que six mille kilomètres et vingt-cinq milliards de dollars de PIB séparent Paris de Washington ! — sinon, à coup sûr, le président américain eût entendu les jérémiades (pardon, les menaces) du leader le plus magnétique de l’Hexagone, du nouveau Napoléon français, du Don Quichotte de la bobo-écologie.

Coup d’éclat

Le chef, faisant montre d’une stratégie héritée des préceptes de Sun Tzu, aura cherché à lancer sa campagne par un grand coup d’éclat. Balzac entrait dans la société « comme un boulet de canon » ; Glucksmann entrera dans la politique (au fait, n’y est-il pas déjà entré depuis plusieurs années… ?) comme une fusée électrique — éco-responsable. Raté ! le dandy des beaux quartiers, semble-t-il, est moins versé dans l’art suprême de la provocation que ses ennemis les populistes : la fusée a piqué du nez ; elle s’est échouée lamentablement à quelques encablures de l’Espace Charenton, dans la Seine (elle n’allait quand même pas quitter Paris). Toute la journée, on a guetté anxieusement les médias, les annonces, les communiqués de la Maison Blanche ; en vain ! Donald Trump a préféré rester silencieux. Aurait-il peur ?… on est en droit de se poser la question.

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Il faut dire aussi que Raphaël Glucksmann a sorti le grand jeu. Le paon a exhibé la traîne ; le ouistiti, gonflé la poitrine ; l’éléphanteau barri puissamment. De son ton plein d’assurance, gaullien (à peu de choses près), il a d’abord fustigé ces « Américains qui ont choisi de basculer du côté des tyrans » (si, si, il l’a dit), avant de se lancer dans une diatribe pas très claire au sujet des « scientifiques ». L’émotion dans la salle était palpable ; les vieux (pardon, les militants), essoufflés, hurlaient en chœur : Liberté ! Liberté ! On se serait presque cru avec les soldats de la grande armée lorsqu’ils entonnaient Le Chant du départ, et puis s’en allaient à l’assaut du monde — bien sûr, c’était plutôt la vieille armée ; puis les bourgeois affadis, les secrétaires de mairie, les artistes au chômage ont remplacé les grognards héroïques ; mais enfin, l’esprit était là.

Ce n’était qu’un rêve

Qu’on se le dise : Raphaël Glucksmann, candidat pour l’Ukraine (pardon, pour la France) ne sera jamais à la botte des États-Unis d’Amérique. Il va… il va… au fait, quel est son programme ? — nous verrons cela plus tard. Les grands ambitieux ne s’arrêtent pas aux détails bassement matériels, surtout quand de leur appartement ils ont vue sur la tour Eiffel. La tête dans les nuages, le rassembleur des gauches nous avait déjà fait rêver lors de sa précédente campagne avec ses masses de granit, les inoubliables « ticket climat », « pacte bleu pour les océans », « Europe du train ». Personne n’a oublié le courage dont il fit preuve, l’abnégation, les sacrifices qui furent les siens au moment de la croisade courageuse qu’il mena pour cette vaste idée, non pas la République, non pas la Liberté, non pas la Grandeur de la France, mais l’écologie sociale. Votre cœur s’emballe ? — ce n’est pas normal, allez consulter. Allons ! soyons sérieux : le héraut de l’intérêt général, qui chante la bien-pensance comme Florence Foster Jenkins chantait l’opéra, propose la taxation automatique des profits, la fin des écarts de salaire supérieurs à vingt dans les entreprises, la création de nouvelles autorités européennes (il n’y en a pas assez), et voudrait donner des leçons de liberté aux États-Unis ; trouve-t-il que Trump est ridicule ?…

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On lisait dans un portrait de L’Express publié en 2019 (déjà !), à propos de Glucksmann, ces lignes prophétiques : « il est un essayeur professionnel, il tente tout ; passe son temps à s’extraire de sa zone de confort, se rétame, se relance, essaie, essaie encore : « C’est pour ça que j’aime le mot ‘essayiste’. Il faut essayer en politique, en journalisme, sur le terrain des idées… » » Hélas ! six ans ont passé, et apparemment, le fils du nouveau philosophe ne connaît toujours pas le mot « succès » ; pendant ce temps-là, Elon Musk est devenu l’homme le plus riche du monde, haut conseiller du président des États-Unis, a racheté X et fondé xAI. Glucksmann ferait mieux d’aller prendre des leçons à la Maison Blanche, plutôt que de proférer des inepties sur la statue de Bartholdi ; l’idéalisme est poétique dans un État fort, quand il sort de la bouche de Victor Hugo ; il est bête quand l’État s’affaiblit, abruti de socialisme ignare ; du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. Interrogé par le journaliste dans le même portrait, le « pirate » (sic) confiait ceci : « Soit on regardait sans réagir ce paysage figé, désespéré, et l’on devenait un think tank d’intellectuels dont le monde se fout. Soit, au contraire, on essayait tout. On tentait tout pour faire bouger les choses ! » Eh bien, voilà, il l’aura lancé, son parti : mais ça aussi, tout le monde s’en fout.


PS : La porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, a qualifié hier soir (heure française) Raphaël Glucksmann de « petit homme politique français inconnu », et rappelé que les Américains ont été le phare de la liberté mondiale…

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Christophe Kerrero, l’ex-Recteur qui dit « Non » à la Caste

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Christophe Kerrero © Astrid di Crollalanza

Dans un monde où les hauts fonctionnaires rivalisent de servilité, Christophe Kerrero, en envoyant sa démission de Recteur de Paris au visage d’Amélie Oudéa-Castéra, ministre par le fait du Prince, a montré que dans les plus hautes sphères subsistaient des hommes ­intègres et capables, affirme notre chroniqueur, d’une pensée cohérente sur l’Ecole.


Début février 2024, j’avais expliqué pourquoi Christophe Kerrero avait choisi d’abandonner son beau logement de fonction de la Sorbonne, où le portrait en pied de Richelieu par Philippe de Champaigne le contemplait. Et comment, dans le même temps, Amélie Oudéa-Castéra, l’une des ministres les plus incompétentes jamais entrées rue de Grenelle (et la concurrence est rude) était, elle, restée en place : c’est tout simple, elle est sortie en 2004 de l’ENA, promotion Senghor, la même qu’Emmanuel Macron. Tout comme Hollande a favorisé la Promotion Voltaire — celle de Ségolène Royal et de sa « bravitude », celle aussi de Dominique de Villepin, l’homme qui aime Gaza, déjà dans les starters-blocks pour 2027.

Ainsi se forme et se recrute la Caste, en France : copinage sans souci de compétence. Dis-moi de quelle école tu sors, et je te nomme à l’Educ-Nat’ — ou aux Sports, eu égard à ta connaissance de la raquette de Gustavo Kuerten.

C’est pour avoir voulu mettre un peu d’air dans le vivier resserré des élites auto-proclamées que Kerrero s’est fait taper sur les doigts. Et lui qui avait imposé dans les écoles parisiennes une méthode alpha-syllabique, qui avait le projet de monter des prépas pour former les futurs professeurs des écoles — afin de leur épargner des formations annexées par les pédagos —, et qui avec la réforme Affelnet avait infiltré les grands lycées parisiens, cénacles de l’entre-soi, avec des élèves méritants issus des classes les moins favorisées, s’est senti désavoué par cette grande bourgeoise qui, comme ses semblables, pense que l’excellence académique est réservée aux enfants de ses amis (elle appartient à la tribu des Duhamel), aussi nuls soient-ils.

(Parenthèse : c’est avec le même raisonnement que les Anglais ont laissé Kim Philby, espion soviétique, monter pendant 25 ans dans la hiérarchie du MI6 — juste parce qu’il était le fils d’un ex-espion passé lui aussi par le Trinity College de Cambridge. Nous, nous avons l’ENA, nid de grandes incompétences qui n’ont pas pour l’état de la France le respect que l’on pourrait attendre).

Kerrero est né loin de la Caste. Il s’est même payé le luxe, raconte-t-il avec humour, d’être un cancre indécrottable — jusqu’à ce qu’il passe l’agrégation de Lettres. Il s’est dès lors mis au service de cette République à qui il devait tout, sans vouloir se mettre aux ordres des intérêts politiques et financiers auxquels nos Excellences sont dévouées.

A lire aussi, Jean-Michel Blanquer et Barbara Lefebvre: Ni godilleur ni godillot

Son livre, L’École n’a pas dit son dernier mot, est le récit de ce combat. Ex-directeur de Cabinet de Blanquer, il connaît de l’intérieur les adversaires de l’École — et de la République. Il est significatif que le pouvoir laisse sur la touche les vraies compétences, en se repliant, comme disait jadis Michel Poniatowski, sur les copains et les coquins. On ne devient pas ministre avec l’intention de pantoufler rue de Grenelle. On ne reste pas recteur quand la Caste vous a repéré comme un trublion capable d’égratigner Stanislas ou Henri-IV, ces pépinières de l’excellence morne.

Ce livre est un hymne à la méritocratie républicaine, au besoin d’amener chacun au plus haut de ses capacités (et non à son point d’incompétence) et à la sélection des meilleurs. Que de résistances, à droite et à gauche ! Interviewé il y a quelques jours par Christine Kelly, Kerrero, tout en mesure, a dû expliquer à des journalistes de droite anxieux de l’apprendre, qu’il y a des gosses intelligents qui ne sont pas nés avec une cuiller en argent dans la bouche (c’est là, à la 39ème minute) : avec des débatteurs pareils, nous ne sommes pas sortis de gouffre où leurs pareils, de droite et de gauche, nous ont entraînés, à force de préserver les droits des plus nuls de leurs rejetons. Nous ne pouvons pas nous passer des talents réels, méprisés aujourd’hui par la Caste qui méprise 70 millions de Français.

Christophe Kerrero, L’Ecole n’a pas dit son dernier mot, Robert Laffont, mars 2025, 358 p.