Richard Ferrand a été élu à la présidence du Conseil constitutionnel à une voix près. Ce vieux briscard du PS sans expérience juridique n’a jamais été un brillant tacticien, pas plus qu’un illustre ministre ou président de l’Assemblée nationale, et il traîne derrière lui de sérieuses casseroles. Mais il est le protégé du chef de l’État
Jusqu’à présent, il suffisait, sous la Ve république, de regarder qui était nommé à la tête du Conseil constitutionnel pour dresser le bilan d’une présidence. Ainsi les choix de de Gaulle et de Pompidou se portèrent tout naturellement sur Gaston Palewski et Roger Frey. Le premier, flamboyant, le deuxième, secret. L’un féru d’affaires étrangères, l’autre pas étranger aux affaires.
François Mitterrand désigna ceux qui incarnaient la double face de son histoire et de ses septennats. « J’ai deux avocats, aimait-il à répéter, Robert Badinter pour le droit et Roland Dumas pour le tordu. » Les deux impétrants présidèrent donc les Sages.
Jacques Chirac plaça, lui, sur ce pavois convoité Jean-Louis Debré, digne et sympathique représentant de l’inaction en politique. François Hollande nomma Laurent Fabius, son rival et compère, symbole d’une social-démocratie sans cesse éditorialisée et toujours avortée. Mais avec Emmanuel Macron, le doute surgit : que pouvait-il bien avoir en tête en propulsant à la présidence du Conseil constitutionnel Richard Ferrand qui trouve là son bâton de maréchal ?
Il est clair qu’en présentant ce nom, il ne cherchait pas à reprendre la main. Il savait que la ratification parlementaire de ce fait du prince serait page peu glorieuse. Sans doute n’avait-il pas mesuré, en revanche, la puissance du rejet d’un président des Sages durablement affaibli avant même son entrée en fonction…
Un choix qui n’est pas disruptif
Pour rejeter la candidature de l’ancien président de l’Assemblée, il fallait le vote des trois cinquièmes des membres des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, soit, compte tenu de l’abstention des élus lepénistes, 59 voix. À l’arrivée, 58 parlementaires, sur les 97 qui se sont exprimés, se sont prononcés contre l’arrivée de Richard Ferrand et seulement 38 pour. Une voix, une seule voix, aura manqué pour renvoyer la rosse macronienne à son paddock.
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Emmanuel Macron n’a pas non plus vu en Ferrand un de ces choix disruptifs qu’il nous dit affectionner. S’il existe une date de péremption en politique, l’ancien député du Finistère l’a atteinte depuis un bon moment puisqu’il y a près d’un demi-siècle qu’il s’est encarté au Parti socialiste. Accroché à son Finistère d’adoption comme une patelle à son rocher, il y a vécu tous les ressacs de cette formation politique cabotant de congrès en universités d’été, de conseils nationaux en réunions de section. Il aura ainsi soutenu Mitterrand en 1988, Emmanuelli sept ans plus tard, rallié Hollande en 2007 et soutenu Aubry en 2011. Le député de Corrèze élu, Ferrand flirta avec les frondeurs avant de tomber dans la dévotion d’Emmanuel Macron comme tous les oubliés des remaniements du quinquennat Hollande. Sa conversion sera si rapide qu’il oubliera de faire le ménage dans ses engagements précédents comme son soutien actif à l’association France Palestine Solidarité soutenant le BDS, activité de boycott d’Israël, déclarée illégale en France.
Avec Ferrand, le chef de l’État n’a pas cherché à donner du lustre à ses deux mandats. On est même passé du tout fou de « c’est mon projeeeet ! » au tofu, ce truc fade que l’on s’emploie à introduire en douce dans les assiettes électorales sous l’appellation « en même temps ». Car si certains éditorialistes ont généreusement qualifié Ferrand d’« éminence grise », c’est aller un peu vite en besogne.
Courtisanerie contemporaine
Le fait qu’il parlerait vertement au président de la République, « d’homme à homme », est une légende urbaine opportunément réapparue au moment de sa candidature pour camoufler sa dépendance intégrale à l’Élysée. En cherchant bien, son titre de gloire aurait été d’avoir été prévenu de la dissolution avant Gabriel Attal et François Bayrou, excusez du (très) peu, pas de quoi édifier une saga politique.
Si l’on excepte son souhait exprimé dans un accès fébrile de courtisanerie de voir l’actuel locataire de l’Élysée effectuer un troisième mandat (ce qu’il a bien dit en dépit de ses pathétiques dénégations devant les commissions), son apport tactique ou stratégique au macronisme est aussi plat qu’une limande.
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Éphémère ministre de la Cohésion des territoires, mauvais président de groupe qui prit sous sa férule l’allure d’une pétaudière, évanescent président de l’Assemblée nationale parvenant à faire regretter François de Rugy, Ferrand est une éminence insipide, neutre, avec beaucoup d’aspirations (l’homme est plein de lui-même), mais aucune aspérité. Le type d’éminence dont raffole un président qui a claironné devant ses troupes ballottées par les conflits sociaux : « Soyez fiers d’être des amateurs ! »
Casseroles…
Sur ce point, le chef de l’État ne pourra pas être déçu. À l’inverse de ses prédécesseurs, Ferrand ne dispose pas de la moindre parcelle d’expertise alors que, depuis la fin des années 1970, tous les prédécesseurs de Laurent Fabius ont disposé d’une solide formation juridique. Certes, on nous répond qu’il a poursuivi des études de droit, mais était-il opportun de le nommer à la tête du Conseil constitutionnel pour lui permettre de les rattraper ? Rappelons, au passage, que cette noble institution exige pour les juges de proximité l’équivalent d’une capacité en droit.
Faut-il ajouter à ce tableau peu reluisant le bruit de casseroles persistant autour de l’intéressé, longuement rappelé par le député Olivier Marleix lors de son audition ? Il y a bien sûr l’affaire des Mutuelles de Bretagne, classée sans suite en 2022, en raison de la prescription des faits et non d’un procès en bonne et due forme. Rappelons que la même année, il nomma pour siéger parmi les Sages Véronique Malbec, procureur général près de la cour d’appel de Rennes, qui avait une première fois classé sans suite cette sombre affaire. Mais il y a aussi l’emploi de son fils ou le fait qu’il n’ait pas déclaré la moindre activité à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, en dépit des 800 000 euros de chiffre d’affaires de son cabinet de conseil en 2023 et diverses autres broutilles.
Un rapport de 2021 de la commission des lois de l’Assemblée nationale soulignait combien le coquet montant des indemnités perçues par les Sages (15 000 euros nets pour leur président) ne reposait « sur aucune base légale ou transparente », évoluant dans la zone grise du droit. La loi organique qui devait mettre de la transparence dans ces petits arrangements entre amis a suivi un classement vertical, aucune formation politique n’ayant eu le courage d’irriter la noble institution. D’ailleurs, l’abrogation du régime fiscal si particulier de ses membres, il y a seulement quatre ans, fut immédiatement compensée par une indemnité complémentaire sur le fondement d’une décision illégale prise par l’exécutif macronien. Aurait-on nommé Richard Ferrand pour faire bénéficier ses collègues de la rue de Montpensier de ses lumières dans ce domaine ?