Serge Gainsbourg a été l’un des plus grands artistes français du XXe siècle. Un poète hypersensible doublé d’un immense mélodiste. Parce qu’une station de métro doit bientôt porter son nom, les néo-féministes attaquent sa vie-son œuvre. Non mesdames, le grand Serge n’était pas le prédateur de vos fantasmes.
Il devra aller loin, le client, pour se faire poinçonner avec classe. Aux Lilas (93) ! À la Porte des Lilas façon Grand Paris, pour être exact. Le quartier n’est pas riant mais ne boudons pas notre plaisir. La station Serge Gainsbourg sera idéalement située dans le prolongement de la Mairie des Lilas, juste avant Romainville. Et il y aura même une statue en bronze du grand Serge.
Ah, ce poinçonneur ! Composé en 1958, le premier tube du jeune chanteur est repris par les Frères Jacques qui en font un phénomène et Hugues Aufray lance sa carrière grâce à sa propre version. Mieux encore, reprise en hébreu après la tournée des Frères Jacques en Israël, elle devient un chant martial : Sayarim (éclaireurs ou gardes-frontières). Aucun rapport avec l’originale mais cela prouve les qualités de mélodiste universel de notre héros.
Mais 4000 féministes ne sont pas d’accord. Elles l’ont fait savoir sur Change.org. Haro sur le pornographe ! Le pédophile ! Le misogyne ! Le sale bonhomme. On a des preuves, messieurs-dames : son œuvre entière !
Bon, évaluons tout de suite la grinche et les motifs d’icelles. La propre fille de Serge l’a rappelé au monde entier. L’homme, qui se lavait comme un chat (dans son bidet), était un père pudique et respectueux.
Rappelons que Serge, en vrai, était un puritain, mal à l’aise devant le porno et juste avide de transcendance. Le contraire d’un violeur, d’un sale type. Injurier comme il l’a fait Catherine Ringer en lui rappelant son passé d’artiste porno n’était pas très gentil ni bienveillant. Mais l’homme avait été sincèrement choqué. C’était moche, c’était sale. Il ne sortait pas de ce milieu.
Bref, Gainsbourg est le plus innocent de tous les condamnés. On l’aura compris, et même radoté : la logique woke veut déboulonner tout talent blanc, mâle et patriarcal. C’est signé. Beigbeder, Gainsbourg, Garrel ou Jacquot, mort ou vivant : on trouvera bien un truc. Plutôt paradoxal dans notre société où Gabrielle Russier (on se rappelle le scandale de 70, la prof et son élève…) est la Première dame de France. Mais pour n’importe quel artiste, écrivain ou chroniqueur, peu importe : s’il est blanc et qu’il a plus de cinquante ans, c’est l’échafaud. Et quand l’homme est irréprochable, on s’attaque à l’œuvre. Comme les maos : révolution culturelle oblige. Si ce n’est pas de la dictature ou du fascisme, je n’ai rien compris à l’Histoire.
Gainsbourg n’a jamais forcé personne à rien, ni pratiqué d’odieux chantages ou touché un corps sans consentement. Quant au concept d’emprise, depuis Ronsard, on sait que le mot est synonyme d’amour. On a envie de le hurler encore : seul le viol est interdit. Notre artiste a chanté la transcendance, il a mis en vers et en musique tous les côtés de l’âme humaine, de la plus noble à la plus crasse. Et, situé entre les deux, cette difficulté, pour un homme, de voir sa propre fille devenir une femme. Il a appelé Chopin à la rescousse pour le chanter, fait un hymne quasi liturgique de cela. Le Dieu des Chrétiens nous dit de ne pas succomber à la tentation. Serge, parce que cela ne l’a jamais démangé, s’est amusé à jouer avec l’idée. Il n’y a pas plus innocent, monsieur le juge ! En fait, il n’y a pas plus grand. Devant l’horreur de la vie et des bas instincts, il a inventé les mots et la musique. Et la musique tend vers Dieu. On est loin du baiser forcé ou de la main au cul. Personne, dans quelque campagne reculée, n’a bousculé sa fille dans la grange parce qu’il avait entendu Lemon incest.
Avec Je t’aime moi non plus, Gainsbourg a imposé la France partout dans le monde. Nous sommes un grand pays parce que les Japonais adorent Gainsbourg, que les Jamaïcains s’en influencent et que les dieux pop d’alors ont été soufflés.
La station Serge Gainsbourg nous ramène à un temps où Serge allait se réinventer, quand le twist d’un roulé de jambes allait enterrer la Rive Gauche, les années 50, le vieux monde d’après-guerre, Philippe Clay, André Claveau, Sidney Bechet…
Il fallait renaître (J’ai retourné ma veste le jour où je me suis aperçu qu’elle était doublée de vison). Ce fut spectaculaire. À coups de poupées de cire et de son, Serge se retrouva en double page de Salut les Copains.
Ce qu’on ne lui pardonne pas, c’est d’avoir été unique. Misogyne, prétend la pétition ? Qu’est-ce donc que cette bête-là ? Initiales BB ou Harley Davidson nous montrent une walkyrie, une Salomé, une guerrière. N’est-ce pas aimer les femmes que d’être fasciné par elles ?
Les féministes veulent que les femmes soient des hommes. Rien de plus, rien de moins. Puis dans Initials B.B., Serge cite Pauwels : était-il en plus d’extrême droite, lui aussi ? Chouette ! Une autre pierre dans le jardin. Une station de métro Lucien Rebatet ne ferait pas plus scandale.
Après le jardin, et après l’ouverture de sa maison, une station Serge Gainsbourg s’imposait. Davantage qu’une rue David-Bowie (Paris 13e) qui, pour le coup, sent le caprice pour fans.
Sa maison doublée d’un musée rencontre un incroyable succès. C’est booké jusqu’à la Trinité. Les fans hardcore n’y apprendront pas grand-chose mais ils verront cet intérieur resté intact depuis la mort du chanteur, cendriers avec mégots compris.
Ce que Gainsbourg laisse est immensément plus grand que lui-même. L’homme fut mon héros. Il m’a fait découvrir le génie juif, comme Dylan ou Freud, et la force immense de la chanson. Il m’a grandi. Ce qu’il porte aujourd’hui, c’est tout ce que notre après-monde a perdu. Ça vaut bien une station de métro.
Le 7 avril marquera le 30ème anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda qui fit plus de 800 000 morts en trois mois en 1994. Alain Destexhe était à l’époque le secrétaire général de Médecins Sans Frontières. Il a vécu de près cette tragédie. Trente ans plus tard, il est retourné sur place à la rencontre de rescapés et de génocidaires. Nous publions ici deux extraits de son livre.
Rwanda : le carnage. 30 ans après, retour sur place, Editions Texquis, 140 pages
En 1994, Jean-Claude a 26 ans et est l’un des quatorze policiers de la commune de Nyamata, à une heure de Kigali, l’une des plus touchées par le génocide.
Quatre ans auparavant, le FPR, le Front patriotique rwandais, attaque le Rwanda depuis l’Ouganda. Le mouvement est composé de la jeune génération des Rwandais vivant en exil depuis 1959, principalement de Tutsis, que le régime n’a pas voulu laisser revenir au pays.
Dès 1990, après l’attaque du FPR, Jean-Claude et ses collègues, sur ordre des autorités, commencent à harceler les Tutsis de la commune, à les arrêter sans raison et à les passer à tabac. En 1992, plusieurs dizaines sont tués et leurs maisons brûlées. Suite à des reportages de la BBC et de RFI, l’administration leur enjoint de modérer leurs ardeurs et les persécutions cessent provisoirement. Jusqu’en 1994, au cours de réunions, les autorités ne cessent de répéter que les Tutsis sont des serpents, des cancrelats, et que le FPR va, selon leur vision tronquée de l’histoire, ramener le servage (des Hutus par les Tutsis), un thème puissant dans l’imaginaire du régime au pouvoir.
On leur bourre le crâne, en leur répétant que les Tutsis, tous les Tutsis, qui sont depuis 1959 des citoyens de seconde zone, sont les alliés du FPR. Quand l’avion du président Habyarimana est abattu le soir du 6 avril, les autorités répandent rapidement un discours accusateur : Voici la preuve que ce que nous vous disions était vrai, ils ont tué notre président.
Je tire dans le tas comme les autres
Dans la soirée du 10 avril, des militaires arrivent à Nyamata et les policiers leur montrent les maisons des Tutsis afin de les tuer. Beaucoup d’entre eux s’étaient réfugiés dans l’église de Nyamata et d’autres sur un terrain en face de la maison communale où se trouvaient plusieurs milliers de personnes apeurées, pensant que les autorités allaient les protéger. Celles-ci décidèrent plutôt, commodément, de les tuer sur place. Les militaires et les policiers, armés de fusils et de grenades, les miliciens munis de machettes et des gourdins cloutés, encerclent les réfugiés et commencent à tirer dans le tas, à jeter des grenades et à macheter.
Jean-Claude commence à tirer sur les plus proches, puis, au fur et à mesure que les victimes sans défense tombent, vers le centre de la foule. Il tire, il tire et tire encore. Il dispose de dix cartouches pour son fusil à un coup et, lorsqu’il n’en a plus, on lui en fournit de nouvelles. Les miliciens achèvent le travail à la machette et au gourdin. C’est un véritable carnage, une boucherie, un massacre. Combien de personnes a-t-il tué ? Il ne sait pas ou refuse de le dire. Il tirait dans le tas comme les autres.
Ce dont il est certain c’est qu’il a tué tous les jours pendant un mois, d’abord dans le centre du village, puis, par la suite, dans les forêts et les marais et qu’il n’a jamais manqué de munitions. Quel sentiment éprouvait-il ? Au début la peur, nous dit-il, mais ensuite la peur a disparu, il n’y a pas de joie non plus, cela devient une habitude de tuer. C’était un travail qui était ordonné par les autorités et nous accomplissions notre devoir. Il recevait des ordres et il obéissait, comme Adolf Eichmann et les autres exécuteurs nazis de la solution finale.
Jean-Claude erre ensuite pendant 10 ans au Congo avant de se rendre aux autorités rwandaises et d’être renvoyé à Nyamata.
Confession et jugement
Dans le cadre du processus de Gacaca (qui se prononce Gatchatcha), un processus de justice traditionnelle adapté pour juger les génocidaires au plus près du lieu de leurs crimes, il confessa ses forfaits et dit toute la vérité. En conséquence, il fut condamné, non à de la prison, mais à quatorze ans d’un régime plus clément de travaux d’intérêt général dont il n’en effectua que sept. Sept ans seulement, à construire des routes tout en restant libre, douze ans après les faits, pour le meurtre de dizaines, peut-être de centaines de personnes. Le nouveau gouvernement s’est montré généreux, mais avait-il le choix vu le nombre de tueurs qui ne pouvaient tous être gardés pour de longues peines ?
Libéré, il est devenu agriculteur et est désormais le père de sept enfants. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Par la suite, Jean-Paul a rencontré le père Lobald, fondateur d’un groupe de réconciliation entre rescapés, familles de victimes et assassins. A travers ce groupe, Jean-Claude dit qu’il a, enfin, compris ce qu’il qualifie de péché de génocide et pourquoi ce qu’il avait fait était mal.
Pardon et réconciliation ?
Car, auparavant, malgré ses dix ans d’errance dans la jungle, son procès et ses crimes confessés, il ne l’avait pas compris : Je n’avais pas cela sur la conscience car je n’avais fait que mon travail et on devait obéir aux autorités ! Ce n’est qu’à travers ce groupe de dialogue qu’il a pleinement pris conscience de ses actes et éprouvé, pour la première fois, des remords : C’est bien moi qui ai fait cela et j’en suis responsable.
Quand il nous raconte son histoire, il semble bien dans sa peau, il parle de façon volubile de son expérience et de son parcours. Est-il sincère ? Toujours est-il que très peu de tueurs se sont portés volontaires pour faire ce travail d’introspection et de réconciliation. On sait que le pardon est un élément essentiel de la doctrine chrétienne.
Innocent, un survivant de Nyamata qui a perdu toute sa famille, lui, ne veut pas entendre parler de pardon. Comme ils vivent dans la même commune, il lui arrive de parler avec des tueurs, mais il n’a certainement pas pardonné et ne veut pas entrer dans un groupe de dialogue avec eux. D’ailleurs, il s’est remarié avec une tutsie et n’aurait pu le faire avec une Hutue.
Que nous dit le parcours de Jean Claude ?
Le parcours de Jean-Claude nous apprend plusieurs choses importantes sur le génocide.
Vermine juive, cancrelat tutsi
Comme les nazis déshumanisaient les Juifs en les présentant comme de la vermine, le pouvoir hutu animalisait les Tutsis en les qualifiant de serpents ou de cancrelats. De la même manière que la plupart des exécuteurs de la solution finale se dédouanaient en se présentant comme de simples fonctionnaires obéissant aux ordres, Jean-Claude et ses homologues justifient leurs actes par l’obéissance aux autorités. À l’instar des nazis, notamment Eichmann lors de son procès à Jérusalem, les tueurs hutus ne manifestent ni culpabilité ni remords. Leurs aveux sont mécaniques, prononcés par obéissance aux nouvelles autorités. Mais au fond d’eux-mêmes, aucune trace de culpabilité n’émerge.
Grenades, fusils, gourdins cloutés…
Loin d’avoir été un génocide accompli uniquement avec des machettes, les armes à feu ont joué un rôle central lors des tueries, notamment lors des grands massacres où les Tutsis étaient rassemblés dans des églises, des stades ou des places communales. A côté des machettes, il y avait aussi des gourdins équipés de clous, une arme dont la vision fait frémir.
2. La résistance des Tutsis de Bisesero et la France
La place Aminadabu Biruta dans le 18e arrondissement de Paris rappelle aux Parisiens, qui l’ignorent probablement, l’histoire de la résistance des Tutsis de Bisesero.
Bisesero, une vaste région rurale, se trouve à 4h30 de voiture de Kigali – autrement dit le bout du monde dans ce pays un peu plus petit que la Belgique. Une fois arrivé sur place, il faut encore 30 minutes pour parcourir, au pas d’escargot, les huit derniers kilomètres sur une piste ravinée dans un superbe décor de montagnes verdoyantes.
Avant le génocide, l’habitat était dispersé dans les collines. Toutes les huttes ont été brûlées en 1994 et les survivants, presque tous des hommes, se sont regroupés dans des maisons le long de la piste. Ils ont épousé des femmes hutues et espèrent qu’avec un peu de chance, leurs descendants ne connaîtront pas l’enfer qu’ils ont vécu.
Des pierres contre des fusils
Bisesero est un haut lieu de la résistance aux génocidaires. Exception au Rwanda, cette région n’était peuplée quasi exclusivement que de Tutsis. Du 7 avril au 30 juin 1994, munis de leurs pauvres outils d’éleveurs (des bâtons, des serpettes, quelques lances), ils ont opposé une résistance acharnée à l’armée, aux milices et aux paysans hutus venus à Bisesero sur ordre du gouvernement intérimaire dans le seul but de les exterminer. Tous les jours, sauf les jours de grande pluie – un cadeau du ciel, synonyme de répit pour les Tutsis – les miliciens arrivaient vers huit heures du matin et se repliaient à seize heures, tels des fonctionnaires après une journée de travail.
Les Tutsis s’était choisi un chef déterminé, Aminadabu Biruta, qui, avec les moyens du bord, organisa la résistance sur un mode militaire. L’installation de guetteurs sur les collines avoisinantes permettaient le matin de voir arriver les tueurs de loin. Du haut de la colline de Muyira, culminant à 2 300 mètres d’altitude, les réfugiés frigorifiés, affamés et terrorisés regardaient approcher les assaillants. Les femmes et les enfants restaient au sommet de la colline et déterraient les pierres qui servaient de munitions. Sur ordre de Birara, les hommes dévalaient alors la colline pour arriver au milieu des miliciens. Avec une bravoure extraordinaire, il fallait d’abord s’exposer aux armes à feu mais, une fois dans la mêlée, celles-ci devenaient inutiles. Les Tutsis visaient en priorité ces hommes armés et, s’ils parvenaient à les tuer, souvent, les miliciens s’enfuyaient face à la froide détermination de ces hommes en sursis.
Malheureusement, le combat était toujours inégal car les miliciens étaient accompagnés de militaires et de policiers armés de fusils et de grenades.
L’attaque du 13 mai
Exaspérée par cette résistance inattendue, les autorités organisèrent une attaque de grande envergure le 13 mai. Avec les moyens de l’Etat à leur disposition, ils firent venir des bus et des camions de militaires et de miliciens de plusieurs régions éloignées du pays pour appuyer les forces locales.
Ce jour-là, les réfugiés, en sous-nombre, déjà épuisés par des semaines de résistance et de disette, furent encerclés et périrent en très grand nombre, y compris les femmes et les enfants qui étaient désormais sans défense. Le lendemain, des milliers de blessés furent achevés par un second assaut.
Charles Karoli, 75 ans, qui nous raconte cette épopée, a perdu toute sa famille et un œil à cause d’un éclat de grenade, détail que je n’avais pas remarqué en raison des lunettes sombres qu’il porte en permanence.
Bisesero et la France : un échec et un drame
Après 80 jours de résistance acharnée malgré les attaques incessantes, leurs blessures, le froid, la pluie et la faim, les rescapés seront sauvés le 30 juin par des militaires français de l’Opération Turquoise, une controversée opération militaro-humanitaire française autorisée le 22 juin par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Les soldats français qui arrivent ce jour-là sont accompagnés d’une équipe de l’ECPA, le cinéma des armées, qui les filme, confrontés à l’horreur.
Les militaires confrontés à l’horreur
Je cite le rapport La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994), plus connu sous le nom de rapport (Vincent) Duclert.
Se succèdent les images d’un enfant blessé à la tête avec une grande coupure à l’arrière du crâne ; un garçon de 8-10 ans avec une blessure à la main (« c’est une blessure par balle, normalement… oh putain, c’est depuis au moins deux jours cela… il doit avoir une putain d’infection ») ; un petit garçon blessé à la tête (« celui-là, c’est grave le petit … il a un éclat de grenade, il est … ») ; une petite fille de 3-4 ans avec de multiples blessures (« putain les tarés, mais c’est pas possible ! Elle est pas épaisse… ») ; un garçon de 8-10 ans avec une blessure sur la poitrine (« C’est déjà cicatrisé… Une balle qui l’a traversé, et il respire encore ! Je sais pas comment il a fait …)
(…)
La polémique découle du laps de trois jours qui s’est écoulé entre le premier contact des militaires français avec les rescapés et leur sauvetage effectif, alors que les troupes étaient stationnées à une heure de Bisesero. Les premiers soldats français sont arrivés sur la zone trois jours plus tôt. (…).
Le 27 juin, dans le cadre de l’Opération Turquoise, une patrouille de reconnaissance accompagnée de trois journalistes, dont Patrick de Saint-Exupéry du Figaro, se rend sur place. Eric Nzabihimana, l’un des rescapés s’approche des véhicules pour leur signaler la présence de milliers de rescapés aux alentours et demander de l’aide. Les Français sont accompagnés d’un génocidaire qui leur sert de guide, qui est reconnu (par un de ses élèves, dont c’était le professeur !) et que les soldats doivent protéger. On a évité un lynchage parce que… Le guide qui nous accompagnait manifestement c’était… c’était un des gars qui, comment dirais-je, qui guidait les milices dans les jours qui ont précédé́, quoi » (Duclert).
Les militaires leur promettent de revenir dans quelques jours. Éric me raconte leur avoir demandé, en vain, d’escorter les rescapés jusqu’à leur base, à une heure à pied de là.
Après le départ des Français, les autorités savent désormais qu’il y a encore un grand nombre de survivants à Bisesero. A l’annonce de l’arrivée des Français, le bourgmestre de Gishyita a fait intensifier les actions, faisant appel aux milices de Kibuye (Duclert).
Eric Nzabihimana, que j’ai retrouvé à Kigali, a 60 ans et en avait donc 30 à l’époque. Mais, dans l’article du Figaro du 29 juin 1994, Patrick de Saint-Exupéry le décrit comme un vieil homme appuyé sur un bâton.
Trois jours pour huit kilomètres …
Malgré les renseignements et témoignages précis sur la situation dramatique des réfugiés de Bisesero, il aura donc fallu trois jours pour que l’armée française, dont l’une des bases se situait à sept kilomètres seulement de Bisesero, vienne sauver les survivants.
Le rapport Duclert conclut : Biserero constitue un tournant dans la prise de conscience du génocide. Il y a un avant et un après Biserero. Face à l’objectif de sauver les victimes des massacres, Bisesero est à la fois un échec et un drame.
Monsieur Nostalgie tente de retenir le parfum de l’année 1974, des derniers jours du président Pompidou à la diffusion des « Brigades du Tigre » à la télévision
Encore un instant, Monsieur le bourreau ! Après, c’est juré, vous pourrez commencer votre travail de sape, de désintégration minutieuse de notre canevas national ; c’est promis, vous aurez les mains libres pour détricoter notre mémoire collective et faire advenir un monde meilleur, plus équitable et altruiste, plus inclusif et doux. A bas les oripeaux de grand-papa et sa liberté d’expression factieuse ! Laissez-nous juste quelques minutes pour nous retourner, une dernière fois, faire le deuil de nos piteuses Trente Glorieuses et accepter cette fatalitas chère à Chéri-Bibi. On ne vous embêtera plus avec cette nostalgie abrasive qui est le signe des peuples réfractaires. Nous ne vous encombrerons plus avec notre barda hétéroclite, de lectures ennuyeuses et d’objets démodés, nous avons conscience que nos souvenirs sont un frein à notre émancipation. Ils pèsent défavorablement sur notre humeur. Ils dérèglent notre vision du présent. Ils nous empêchent d’avancer. Toujours un œil dans le rétroviseur, nous voyons tout en noir et en recul systémique. Oui, mille fois oui, vous avez raison de nous tancer et de nous gronder. Nous ne sommes que des enfants incorrigibles, englués dans la naphtaline, à ressasser de vieilles comptines, à fantasmer une époque survendue par des boomers en manque d’idéal, incapables d’adopter la digitalisation des esprits, alors que vous nous offrez sur un plateau d’argent la civilisation du mouvement et du décloisonnement. Une ère nouvelle où l’Homme pourra enfin s’épanouir par le travail collaboratif et le communautarisme heureux. Nous sommes des ingrats, enfermés dans nos frontières et nos habitudes provinciales, nous croyons encore aux échanges épistolaires et aux usines remplies d’ouvriers ; à la chanson de variété intelligente et aux silences des bibliothèques. Désolé de vous importuner avec ces mirages d’avant les crises pétrolifères et vendettas identitaires. Je suis sûr que vous allez parvenir, à force de lois et d’injonctions, à coups de pédagogie, à nous faire accepter ce destin lumineux. Nous ne mesurons pas la chance de vous avoir à nos côtés, votre vigilance nous honore, vous êtes toujours là, pour remettre de l’ordre et des règles dans notre bric-à-brac décadent. Nous avons tellement besoin d’être recadrés et cornaqués. Sans votre surveillance omnisciente, nous sombrerions dans une mélancolie puérile avec nos gros godillots, à pleurer sur nos gloires anciennes et notre art de vivre disparu. C’est ridicule, pathétique, je le concède, de ne pas pouvoir brûler notre camisole idéologique. Nous allons y travailler, je vous le jure. Quelle ingratitude de notre part surtout avec tout le mal que vous vous donnez pour liquéfier notre histoire commune et réenchanter notre quotidien. Merci de nous déconstruire, chaque jour un peu plus, et de nous (ré)apprendre à marcher dignement. Culturellement, économiquement, sécuritairement, partout, dans tous les domaines, à l’école, à l’hôpital, dans la rue, aux champs et sur nos tablettes, grâce à vous, nous entrevoyons un avenir radieux. La fin des temps tragiques. Sans vous, nous serions bloqués en cette année 1974. Un président cantalou, amateur de poésie et de Porsche 356, avec la force tranquille d’un fils d’instituteurs ayant pris le train de la méritocratie, s’éteindrait bientôt. Marcel Pagnol, un autre bon élève, le suivrait de quelques jours. À la radio, la famille était à l’honneur. Daniel Guichard nous arrachait des larmes avec « Mon vieux » et le sémillant Sacha Distel cajolait « La Vieille Dame » pendant que Michel Jonasz proclamait son hymne à « Super Nana ». C’était mièvre et misogyne. Salement populaire. À la télévision, le générique de Chapi Chapo composé par François de Roubaix éclairait le regard des enfants tandis que « Les Brigades du Tigre » à la gloire de Clémenceau s’ouvraient sur les illustrations d’André Raffray et quelques notes hypnotiques de Claude Bolling, notre pays se vautrait dans la Troisième République et les prémices de la musique électronique. Aux États-Unis, c’était pire, Happy Days débarquait avec un Fonzie viriliste et un Richie, sorte de Tanguy suburbain, dans un décor en carton-pâte, pâle résurgence de l’embellie « fifties ». Au cinéma, Michel Deville dans « Le Mouton enragé » mettait en scène un affreux arriviste, Jean-Louis Trintignant, qui se servait des femmes pour grimper à l’échelle sociale ; Resnais nous montrait la chute de Stavisky avec Belmondo, comme si Le Magnifique pouvait incarner Serge Alexandre et Alain Delon se glissait dans la peau d’un député ministrable dans « La Race des seigneurs », film adapté du roman Creezy de Félicien Marceau. Ces images déplorables promouvaient à chaque fois le pouvoir de la séduction. Dans les librairies, le passéisme était à la mode, Kléber Haedens signait Adios et Jean d’Ormesson triomphait avec Au plaisir de dieu, la figure de Sosthène de Plessis à Saint-Fargeau et celle de Jérôme Dutoit à la Feria de Pampelune éduquèrent bien maladroitement les jeunesses rêveuses, pendant ce temps-là, René Fallet obtenait le Prix Scarron dont le dernier récipiendaire fut l’inénarrable Sim, pour Ersatz, une potacherie qui déplut à Pivot. Dans les concessions, Citroën en phase terminale d’absorption par Peugeot, lançait son oblongue CX dotée du tableau de bord « lunule », aussi mystérieux que lunaire. Où que j’aille, où que je regarde, il y a toujours un coin qui me rappelle cette année 1974, mais je vous promets de me faire soigner.
François de Saint-Cheron publie Malraux devant le Christ, et démontre que, si André Malraux était un agnostique revendiqué, sa vie fut aussi marquée par une quête ardente de transcendance. De là à le christianiser de force, non…
André Malraux n’est pas tendance. C’est que notre basse époque mercantile et inculte ne comprend plus rien à ses engagements, non pas politiques, mais esthétiques. Son lyrisme porté par une voix tremblante, parfois à la limite de la rupture, où sont évoqués Jeanne d’Arc, le Général de Gaulle et la France de la résistance, fait grimacer de dégoût les petits fonctionnaires du nihilisme. Quelques écrivains pâles comme l’aube sale haussent les épaules, qu’ils ont étroites, quand ils évoquent le style de l’auteur de La Condition humaine, prix Goncourt 1933. J’ose affirmer que cet homme, qui est d’abord l’homme du « non », nous manque terriblement. L’ouvrage de François de Saint-Cheron, Malraux devant le Christ, est donc une bonne nouvelle. Il tombe même à pic, puisque j’écris ces lignes le vendredi Saint. L’auteur, dans sa jeunesse, a eu le privilège de rencontrer Malraux. Il est aujourd’hui maître de conférences à la Faculté des lettres de la Sorbonne. Il a collaboré à l’édition des Œuvres complètes d’André Malraux. L’enjeu de l’ouvrage, qui se lit comme une enquête minutieuse et référencée, est de montrer que l’itinéraire de celui qui s’autoproclama colonel Berger fut marqué par une quête sinon de Dieu, d’un moins d’une forme de transcendance. Or, d’emblée, François de Saint-Cheron nous rappelle la phrase extraite D’une jeunesse européenne (1927) : « Nous qui ne sommes plus chrétiens ». Affirmation péremptoire confirmée un demi-siècle plus tard dans Lazare (1974) : « J’ai perdu la foi après ma confirmation. » Malraux confirme, à plusieurs reprises, qu’il n’a pas la foi. Le général de Gaulle lui en fait du reste le reproche amical : « Pourquoi parlez-vous comme si vous aviez la foi, puisque vous ne l’avez pas ? » Malraux déclare au micro de Jacques Chancel, dans l’émission « Radioscopie », deux ans avant sa mort, qu’il est agnostique. Ce qui n’est pas nouveau puisque François de Saint-Cheron rappelle les propos de l’ancien ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle tenus en 1971 : « Être agnostique, ça veut dire : penser qu’il n’y a pas de lien possible entre la pensée humaine et la conception d’une transcendance absolue. Ça ne veut pas dire du tout qu’on est athée, parce qu’être athée, ça veut dire : ‘’ c’est faux, la transcendance n’existe pas.’’ » Dans la plupart de ses romans, ou face aux œuvres d’art, ou encore en côtoyant les grandes figures catholiques, Malraux ne cesse de questionner le « mystère chrétien », comme le prouve l’étude de François de Saint-Cheron. Même la mort accidentelle de ses deux fils, le 23 mai 1961, ne parvient pas à éteindre « sa sensibilité » d’homme tourmenté par ce mystère-là. Et lorsqu’il est hospitalisé à la Salpêtrière, du 19 octobre au 16 novembre 1972, dans un état préoccupant, il relate son séjour et l’intitule Lazare, personnage ressuscité par Jésus. En vérité, Malraux ne cesse de tourner, le visage fiévreux, les mains agitées, autour du trou noir. C’est un Pascal sans Dieu que ni l’écriture, ni l’action, ne parviennent à calmer véritablement. L’absurde, la mort, le néant ne cessent de le hanter. Tout ce que notre société, dominée par la Technique, est incapable de penser, étant noyée sous les flots des discours publicitaires.
Pourquoi l’auteur des Antimémoires tient-il absolument à regarder en face le soleil noir ? À Élisabeth de Miribel, qui dactylographia l’Appel du 18 juin 1940, à Londres, Malraux avoue : « J’admire les chrétiens, je respecte leur foi mais je ne veux pas renoncer à l’inquiétude. C’est ce qu’il y a de plus grand chez l’homme ! »
C’est peu dire qu’il nous manque à l’heure où les chênes nains du Quercy ne cachent plus aucun maquis.
François de Saint-Cheron, Malraux devant le Christ, Éditions Desclée de Brouwer.
Une nouvelle loi limitant la liberté d’expression de tous les citoyens entre en vigueur le 1er avril. Censée encourager la tolérance en interdisant la haine, cette législation est justifiée par une vidéo officielle infantilisante (voir plus bas). Elle parle du « monstre de la haine » qui est tapi à l’intérieur de chacun d’entre nous et qu’il faut éradiquer. Aujourd’hui, Big Brother porte un kilt et il veut entrer dans le cerveau même de tous les membres de la classe ouvrière blanche.
Sous la direction de son Premier ministre Humza Yousaf, le gouvernement wokiste et islamo-gauchiste de l’Écosse emprunte un chemin de plus en plus autoritaire. Le signe le plus visible de cette dérive est une loi, dite Loi relative aux crimes de haine et à l’ordre public, proposée en 2020, promulguée en 2021 et qui doit entrer en vigueur le 1er avril 2024. Pour le malheur des Écossais, il ne s’agit nullement d’un poisson d’avril.
« Don’t feed the hate monster » Capture YouTube.
Et la grossophobie ?
Quel est le crime que cette nouvelle loi est destinée à sanctionner ? Celui de la « provocation à la haine » (« stirring up hatred »). Contre qui ? Une loi contre l’incitation à la haine raciale existe depuis 1986. Maintenant, il s’agit de punir tout ce qui provoque à la haine à l’égard de certaines « caractéristiques protégées ». Lesquelles ? L’âge, le handicap, l’orientation sexuelle, l’identité transgenre et – catégorie obscure mais qu’on suppose comprendre toutes les gradations de non-binarité – « des variations dans les caractéristiques sexuelles ». La catégorie du sexe, qui permettrait de sanctionner le sexisme à l’égard des femmes, n’est pas incluse car, selon le gouvernement, ce dernier va préparer une autre loi sur cette question. On devine surtout que la cause des femmes est insuffisamment compatible avec celle des trans pour que les deux figurent côte à côte dans la même loi.
Qu’apporte cette nouvelle loi par rapport à la législation déjà existante ? D’abord, des peines extraordinairement sévères. La provocation à la haine est punissable – jusqu’à sept ans de prison ! Ensuite, la gamme des situations où on peut fauter est très large. Les publications sur les réseaux sociaux en ligne tombent évidemment dans le périmètre de la loi. Mais on peut aussi être sanctionné pour des paroles tenues dans l’intimité de sa propre maison. Ce qui veut dire que des enfants peuvent dénoncer leurs parents. Retour à la censure d’une autre époque, les représentations théâtrales sont dans le viseur de la justice. En théorie, certaines pièces de Shakespeare et même certains passages de la Bible lus par un prêtre à l’église pourraient attirer des sanctions. Tout indique que les humoristes du stand up – des spécialistes professionnel de la provocation – seront dans le collimateur des forces de l’ordre, bien que les représentants de ces dernières insistent sur le fait qu’ils ne vont pas assister à tous les spectacles pour les évaluer. Dans un passé récent, beaucoup de spectacles d’humoristes ont été annulés à cause de la pression exercée par l’opinion wokiste ; désormais, les comiques eux-mêmes pourront être mis en tôle.
Bienvenue dans l’ère des « incidents de haine non-criminels »
La liste des inconvénients ne s’arrête pas là. La porte sera ouverte à la délation. Des centres seront créés où des individus pourront déposer une plainte contre un autre de manière anonyme. De tels centres sont prévus – sans trop de surprise – sur des campus universitaires. Il y en aura même un dans un sex shop à Glasgow, sous prétexte que les gens se confient plus facilement dans ce genre de boutique. Si la police décide que telle ou telle plainte ne constitue pas un véritable crime de haine, l’incident reste néanmoins sur le casier judiciaire de l’accusé sous le qualificatif absurde d’« incident de haine non-criminel ». La loi sera une véritable invitation à tous les accusateurs vexatoires et abusifs, et les magistrats auront du fil à retordre pour démêler les accusations justifiées et les accusations frivoles.
Mais le pire défaut de cette loi, c’est qu’elle ne définit pas le terme fondamental de « provocation à la haine ». Est-ce que c’est la formule utilisée qui est importante, le ressenti de la personne qui se prétend lésée, ou tout autre critère ? La responsabilité est déléguée aux policiers et à leur jugement subjectif. Si la loi n’entre en vigueur que trois ans après sa promulgation, c’est parce qu’il a fallu tout ce temps, non pas pour former la police à cette nouvelle tâche, mais pour concevoir le programme de formation ! À l’heure actuelle, tous les signes indiquent que la préparation en vue de la date du 1er avril a été rudimentaire et axée sur une approche autoritaire et répressive. Selon le secrétaire général de la Fédération de la police écossaise, sont réunis « tous les ingrédients d’une catastrophe ». Les forces de l’ordre disposent-elles des ressources nécessaires pour gérer l’avalanche de plaintes qui risque de se déclencher ? Au mois de mars, la police a annoncé que, faute des ressources, elle allait cesser d’enquêter sur des crimes de « moindre importance », tels que des vols où l’image du responsable n’a pas été enregistrée par une caméra de surveillance. Pourtant, la police écossaise s’est engagée à traiter chaque plainte.
Infantilisation générale
Afin de préparer le public, la police a diffusé une vidéo ridicule et condescendante, un dessin animé de mauvaise facture qui met en scène « le monstre de la haine » qui se cacherait à l’intérieur de chacun d’entre nous et ne demanderait qu’à se libérer. Sauf que, comme l’indiquent clairement la vidéo et d’autres documents publics, il ne s’agit pas de chacun d’entre nous. La cible de cette loi est une catégorie particulière de citoyens. La haine serait surtout le fait de personnes qui se sentent économiquement défavorisées mais qui croient posséder des privilèges parce qu’ils sont blancs. Autrement dit, la loi vise spécifiquement les classes ouvrières blanches, notamment les mâles en colère, les gens que les élites progressistes méprisent plus que toute autre catégorie. Mais la loi semble aussi adaptée à des cas individuels. J. K. Rowling habite à Édimbourg. Dans un cas sur lequel la police s’est entraînée, une femme nommée « Jo » a le tort d’affirmer qu’il n’y a que deux sexes. Il est clair que c’est la créatrice de Harry Potter qui est visée. Comble de la mauvaise foi, cette Jo imaginaire aurait déclaré que les trans devraient être envoyés dans des chambres à gaz…
Non, malheureusement, ce n’est pas un poisson d’avril de mauvais goût. Et pour assombrir encore le printemps qui essaie de montrer le bout de son nez, nous venons d’apprendre que le gouvernement irlandais prépare une loi similaire.
Les récents déboires judiciaires du maire d’Agde (34) projettent une lumière crue sur la ville, dont une partie du territoire est minée par des activités sexuelles un peu sordides.
Madame Irma est canon !
Que se passe-t-il à Agde, ville méditerranéenne dont le maire vient d’être arrêté, accusé d’avoir utilisé de l’argent qui ne lui appartenait pas pour payer une prétendue diseuse de bonne aventure ventriloque qui l’avait apparemment ensorcelé ? Soupçonné d’avoir détourné 300 000 euros d’argent public, Gilles d’Ettore, ancien policier, maire LR d’Agde depuis vingt ans, a été placé en garde à vue pour « corruption passive, prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics », révèle Le Midi Libre. Aussi arrêtée : Sophia Martinez, qui ne ressemble pas du tout au stéréotype de la voyante mature un peu moche.
Les procureurs disent que Mme Martinez a admis avoir dupé d’Ettorre, 55 ans, avec des séances mettant en vedette sa voix projetée, depuis qu’ils se sont rencontrés en 2020. Sur l’insistance de la voix, le maire l’aurait inondée de faveurs financées par la municipalité, y compris le paiement de son deuxième mariage dans un château, l’octroi d’emplois au conseil à son mari et à cinq membres de sa famille, et la fourniture d’une voiture du conseil et d’un chauffeur.
« Protégez Sophia, protégez Sophia, prenez soin d’elle et de son peuple », aurait imploré la voix dans des appels téléphoniques réguliers au maire dans son bureau, a déclaré la police. « Sa stratégie consistait à modifier sa voix, y compris avec les membres de sa famille et ses amis proches », a déclaré Raphaël Balland, le procureur. « En utilisant cette voix masculine et rauque, elle a réussi à leur faire croire qu’ils parlaient avec un être surnaturel de l’au-delà », a-t-il ajouté.
Gilles d’Ettore n’est pourtant pas un idiot : il détient une maîtrise de la faculté de droit de Montpellier. Durant son parcours professionnel, il est inspecteur de police et lieutenant dans les renseignements généraux à Lyon de 1992 à 2000. D’Ettore s’est donc justifié auprès des enquêteurs, expliquant avoir été contacté par téléphone depuis l’au-delà… La voix entendue au bout du fil lui aurait demandé de faire des dons d’argent et de financer des projets… Confronté à la version de la voyante qui a avoué ses méfaits, l’élu a maintenu sa version : il assure avoir été contacté par des voix de l’au-delà et non pas par la médium, selon La Dépêche ! (Révélation complète : je connais le maire Gilles d’Ettore. Il s’est marié avec une fille du pays dans le parc de ma maison dans un village près d’Agde. Il a ensuite généreusement offert des stages à plusieurs de mes étudiants de l’université du Michigan.)
C’est quoi ce bordel ?
M. d’Ettore n’est pas seulement maire d’Agde, il est aussi président de l’agglomération locale et a siégé une fois à l’Assemblée nationale (député UMP 2007-2012). Le voilà en prison ! Il est probablement temps pour les autorités d’examiner attentivement la situation à Agde, et de ne pas limiter leurs efforts à l’incident bizarre de la diseuse de bonne aventure. Ils devraient prêter une attention particulière à l’énorme enclave naturiste du Cap d’Agde, une station balnéaire qui m’a été décrite dernièrement par un agent des forces de l’ordre local comme « le plus grand bordel d’Europe ».
Le Cap d’Agde est réputé non seulement pour le libertinage débridé de la plage connue localement sous le nom de Baie des Cochons, mais aussi comme centre de prostitution, de pornographie ou de drogue. Pourquoi est-ce apparemment toléré ? Les habitants ont leurs soupçons et racontent des histoires qu’il serait judiciairement dangereux de répéter. Pendant la journée, la plage est connue pour ses exhibitions sexuelles nues. La nuit, le centre commercial abrite des boîtes de nuit. Les soupçons selon lesquels le quartier est infesté de gangsters sont renforcés par des actes de violence, dont des incendies criminels – que certains attribuent aux activités de racket de protection. Les enquêtes des autorités n’ont jamais été concluantes.
La tolérance y’a des maisons pour ça
Curieusement, il y a quelques années, lorsqu’un membre du conseil municipal d’Agde, Florence Denestebe, a osé soulever la question, le maire M. d’Ettore a refusé d’écouter et a fermement défendu le quartier naturiste comme étant essentiel à l’économie locale. Agde, qui compte 25 000 habitants, accueille 225 000 visiteurs par an, dont beaucoup se rendent sur les plages de nudistes.
Les visiteurs viennent du monde entier, mais les plaques d’immatriculation belges, allemandes et britanniques sont particulièrement bien représentées dans les parkings. C’est essentiellement sordide et hideux. Dans le Sunday Times de Londres, la journaliste Helena Frith Powell a décrit le Cap d’Agde comme un « village de vacances en béton sinistre ». Bâtie sur un marais dans les années 70, Agde a une réputation sulfureuse, depuis des décennies. Il y a cinq ans, Le Midi Libre rapportait l’existence d’une étude qui avait osé classer la ville comme la commune « la plus dangereuse de France » ! Une allégation alors démentie avec colère par le maire. Reste que, quand la conseillère municipale de l’opposition Florence Debeneste a défié le maire d’agir contre le quartier naturiste, elle s’est vue opposer une fin de non-recevoir ! Et pour des raisons inexplicables, les médias locaux ont adopté une attitude très tolérante à l’égard du fameux quartier naturiste. En 2005, le roman Les Particules Elémentaires de Michel Houellebecq en avait dressé un portrait peu reluisant. Roman auquel La Tribune de l’Hérault a répondu par un article largement à décharge : « Il ne nous appartient pas de juger le livre, la liberté d’expression tout comme la liberté sexuelle est un droit que nous ne nions à personne. Il serait toutefois utile de rappeler aux lecteurs que si ce type de pratiques sexuelles se développent et peuvent être considérées comme un véritable phénomène de société, le Cap d’Agde demeure une station de villégiature familiale. »
Le Midi Libre va plus loin et célèbre régulièrement le Cap d’Agde, avec des reportages annuels, richement photographiés, sur des vacanciers nus ! “C’est une chose de plonger dans la grande bleue sans maillot. C’est une autre paire de tongues que se balader les fesses à l’air dans le plus grand village naturiste d’Europe, et finalement du monde” s’enthousiasme la journaliste Annick Koscielniak. Cependant, une recherche dans les archives du journal révèle aussi toute une série de problèmes, y compris, plus récemment, des allégations d’agression contre trois vigiles employés à la station. L’affaire est en instance.
« Nos visiteurs y trouvent une multitude d’autres activités et de loisirs beaucoup plus consensuels et populaires » assurait en 2005 Patrick Vincent sur le site Hérault Tribune. « La micro-société « échangiste et libertine » est encore minoritaire dans un Village Naturiste où la pratique saine et familiale du naturisme est engagement de respect mutuel, excluant toute pratique qui pourrait nuire à autrui. L’amalgame et le raccourci qui peuvent être faits dans les médias pourraient être préjudiciables à terme, pour l’image de notre station, il serait bon d’en mesurer les effets » ajoutait-il.
Entre-temps, le Cap d’Agde est devenu plus sordide que jamais, selon un ami qui y travaille. Une recherche sur le terme « Agde » sur les sites pornographiques permet de s’en rendre compte. Il y a par exemple toute une micro-industrie qui filme la copulation publique à la Baie des Cochons… La longue suzeraineté du malheureux maire d’Ettore sur la ville touche vraisemblablement à sa fin, mais, étant donné que le Cap d’Agde est littéralement une vache à lait pour la ville, il est peu probable que les choses changent vraiment un jour, à moins que les autorités supérieures ne s’y intéressent enfin d’un peu plus près.
Enthousiasmé par les images du biceps présidentiel sur lequel court comme un serpent gonflé une veine céphalique digne des meilleurs jours de Sylvester Stallone, notre chroniqueur, lui-même grand consommateur de salles de musculation et d’exercices quotidiens au sac de sable, s’est lancé dans un rappel historique des figures emblématiques de l’Homme — avant-hier l’Hercule Farnèse, hier encore Arnold Schwarzenegger, et désormais Emmanuel Macron.
Longtemps l’homme a été simplement viril : c’était une sorte de pléonasme, puisque vir, en latin, c’est justement l’homme par rapport à la femme — et non homo, comme le croient les enthousiastes d’Olympes de Gouges, les féministes ignorantes et les LGBT.
Puis, les mœurs s’adoucissant, l’égalité des droits engendrant un homme nouveau à musculature faible, l’homme viril est devenu un gros macho, dérivation du latin masculus. Le machisme a remplacé la virilité, source de tant d’aberrations, nous a-t-on expliqué.
Brighelli, the Rock
L’intérêt de cette substitution, c’est qu’on pouvait être machiste tout en étant musclé comme un vélo de course. À la suprématie naturelle du muscle succédait la prétention cérébrale du mâle accroché à son service trois-pièces et à sa carte Gold ou Platinum. Le modèle masculin était soit un fifrelin, soit un gros tas — rappelez-vous cette pub Brandt des années 1970…
Arrive désormais le virilisme — qui comme tous les mots affublés de ce vilain suffixe dépréciateur, désigne le retour prétentieux de la belle brute blonde ou du minet surgonflé. D’ailleurs, la salle de musculation où je traîne chaque matin le corps admirable que m’ont légué mes parents (117 rue Sainte, 13007, venez m’y retrouver sur le coup de 8 heures, nous prendrons un café ensemble) est de plus en plus peuplée de jeunes gens qui s’y font des muscles époustouflants…
Bien sûr, l’apparition du virilisme ne signifie pas un retour en grâce de la virilité. Il marque juste une réaction aux excès de dévirilisation de ces trente dernières années. Le modèle était autrefois Humphrey Bogart ou Robert Mitchum, il est passé chez Stallone et autres stars bodybuildées, il s’exprime désormais chez des mâles cabossés, hier Bruce Willis ou Gerard Butler, aujourd’hui Dwayne « The Rock » Johnson. La vogue des super-héros ne dit pas autre chose.
Et, désormais, Macron. Par la grâce de quelques clichés dus à la photographe officielle de Not’ Président, Soazig de la Moissonnière, nous savons à présent que le nouveau standard de la virilité réside au 55 rue du Fg Saint-Honoré, Paris 75008. Bien sûr, cette mise en scène est à usage politique, tout comme les annonces guerrières d’il y a quinze jours. Virilisme et bellicisme se rejoignent dans leurs objectifs : non pas défier Poutine (judoka 8ème dan, mieux que Teddy Riner, qui n’en est qu’au 5ème) sur le terrain de la force, dont le président russe a usé et abusé — dans le pays de l’Ours, on révère les gros costauds —, mais se poser face à un RN qui gagnera les prochaines élections, provoquera la colère de tous les francs démocrates qui, comme leur nom l’indique, ne tolèrent pas un verdict des urnes, dégénèrera en émeutes… Et qui se dressera alors, dans sa stature de guerrier protecteur du peuple, pour revendiquer une troisième présidence ?
Corps de guerriers
À noter que ce n’est pas n’importe quel pan de la société qui exalte désormais le virilisme. Les jeunes des quartiers déshérités s’intéressent puissamment à la MMA, qui n’est pas exactement un sport de fillettes, et élèvent des autels à Cyril Gane. Ils se passionnent pour le body-building (ils savent, eux, qui sont Morgan Aste, Lionel Beyeke, Serge « The Black Panther » Nubret, Joël Stubbs ou Mohamed Makkawy). Et nombre de garçons empâtés au McDo s’inscrivent dans les salles de musculation. C’est même, à en croire un document officiel envoyé à tous les enseignants du rectorat d’Aix-Marseille, et probablement aux autres, l’un des signes auxquels on repère l’éventuelle radicalisation. L’un des « cas » analysé dans ces documents commence ainsi : « Le jeune X est élève en classe de 3e. D’ordinaire ponctuel et assidu, il commence à avoir des absences de plus en plus régulières. Ses amis avec qui il a de moins en moins de contacts l’aperçoivent avec des « grands » qui viennent le chercher à la fin des cours. Depuis quelque temps, il s’est affûté et il passe du temps à faire des exercices physiques. »
Le jihad commence par un combat face à soi-même pour se forger un corps de guerrier. À noter que d’autres jeunes, à idéologie inverse, s’inscrivent, eux, à des stages de krav-maga. Nous sommes sur une mauvaise pente où chacun se prépare à une guerre civile — et plus si affinités.
Le virilisme est l’expression de cette hyper-virilité. Chez Macron, cela relève de l’obsession narcissique, utilisée comme marqueur d’une force supposée. Chez d’autres, c’est le début d’une formation spartiate à la guerre. Dans tous les cas, c’est le marqueur d’un renversement de perspective : l’homme féminisé, le doux écolo, l’amateur de médecines douces et de nouvelles mobilités, a peut-être vécu : sur sa gauche comme sur sa droite, le guerrier renaît.
Dans la veine de ses tribunes publiées dans Causeur1, l’avocat toulousain Wilfried Kloepfer aborde dans son petit opuscule la question du wokisme, analyse la contestation du principe de laïcité et questionne la problématique du « gouvernement des juges »… Réussi.
Wilfried Kloepfer, docteur en droit spécialiste en droit public, nous livre dans un court et brillant essai une analyse qui pour être pessimiste, n’en est pas moins lucide. La cancel culture a pris le pouvoir en France et cette idéologie met en péril la culture chrétienne de nos ancêtres et est à l’origine de bien des maux : dénonciation du mâle hétérosexuel blanc, islamo-gauchisme, laïcité mal comprise et communautarisme, puisque si l’on peut intégrer des individus, on n’intègre pas des peuples.
Souveraineté de l’interprète
Le problème du « gouvernement des juges » n’arrange pas la situation : le Conseil constitutionnel a réussi à s’émanciper depuis 1974 de sa mission originelle, en décidant par exemple en 2018 la valeur constitutionnelle du « principe de fraternité » sans tenir compte de la régularité de séjour sur le territoire national… Le juge est donc alors seul maître de ses décisions, ce que l’auteur nomme « souveraineté de l’interprète », qui devient créateur de normes en créant un précédent. C’est ainsi que l’on n’a pas pu refouler vers Sfax les migrants de Lampedusa en vertu d’une jurisprudence de la CEDH, et qu’une fois en Italie, ils pouvaient librement franchir la frontière française. Sur la question des transgenres, on a vu également quelques aberrations…
Depuis quelques années, les juridictions n’hésitent plus à « judiciariser » la sphère politique au détriment du secret professionnel de l’avocat. L’affaire Bismuth et celle des « fadettes », sans oublier le fameux « mur des cons » ont mis en évidence les positions du Syndicat de la Magistrature et leur emprise sur les politiques.
Quand touchera-t-on enfin le fond pour pouvoir remonter ?
Comment remonter la pente ? L’auteur nous donne une lueur d’espoir en rappelant que ce n’est pas la première fois dans l’histoire que notre pays tutoie l’abîme : Guerre de Cent ans, guerres de religion, Révolution de 1789 et occupation allemande ont montré qu’une résistance pouvait tout sauver. Encore faudrait-il que les parents et les instituteurs enseignent aux jeunes les raisons d’aimer la France, en désignant les vrais ennemis de son identité sans se tromper d’adversaire en vouant perpétuellement le RN aux gémonies, ce qui du reste ne fonctionne pas si bien, à en croire les sondages. J’entends déjà son pas dans l’escalier…
Wilfried Kloepfer, Le Droit à la continuité historique, Vérone Editions.
La lecture du court roman posthume de l’écrivain colombien laisse une impression de parfaite satisfaction.
Cela fait dix ans que Gabriel García Márquez s’est éteint à Mexico, après avoir écrit une œuvre considérable, couronnée par le prix Nobel de littérature en 1982. Et voilà que ses ayants droit nous offrent un bref roman inédit de lui, présenté presque comme un fond de tiroir qui aurait été mis de côté en attendant des jours meilleurs… Or, ce texte, écrit à la fin de sa vie, est un petit bijou littéraire dans lequel García Márquez a comme synthétisé toute sa science romanesque, acquise au fil de sa vie ! Autant dire qu’il s’agit là d’une prose essentielle, qui introduit de manière somptueuse à tout un pan de la littérature latino-américaine dont García Márquez fut le chantre génial.
Un portrait de femme
En une centaine de pages, le romancier colombien dresse le portrait psychologique et amoureux d’une femme très belle, Ana Magdalena Bach, âgée d’une quarantaine d’années et professeur (sans doute de littérature). Ana Magdalena a pris l’habitude de se rendre chaque année, au mois d’août, dans une île touristique de la mer des Caraïbes, afin de déposer sur la tombe de sa mère, qui y est enterrée, un bouquet de glaïeuls. Elle accomplit ainsi avec régularité une sorte de pèlerinage, ponctué de rituels précis. Selon les circonstances du moment, elle s’arrange pour séduire un homme, si possible un mâle accompli, et passer avec lui la nuit à l’hôtel. Puis elle rentre chez elle, dès le lendemain matin, comme si de rien n’était, laissant son mari dans l’ignorance des détails de son périple mémoriel.
Ces visites sur l’île finissent par provoquer des changements dans sa personnalité, imperceptibles au début, mais de plus en plus manifestes ensuite.García Márquez décrit par exemple ainsi l’indifférence grandissante de son héroïne vis-à-vis de son monde quotidien, au retour de l’île : « Aussitôt entrée sous son toit, à cinq heures du soir, elle découvrit à quel point elle commençait à se sentir étrangère aux siens. » Le culte qu’Ana Magdalena voue une fois l’an à sa mère, agrémenté de la rencontre avec un inconnu, la transporte dans une dimension spirituelle qu’elle découvre petit à petit. Sous la plume de García Márquez, l’inlassable répétition du même que vit Ana Magdalena devient un cérémonial païen, comme inspiré du chamanisme et spécifique à cette terre sauvage.
Une vie nouvelle
García Márquez insiste sur l’aspect purement érotique des rencontres d’Ana Magdalena avec ses amants d’une nuit. Tout se passe comme si cela aussi était un rite initiatique digne des anciens mystères, qui allait la transformer et la faire renaître à une autre vie. García Márquez évoque par exemple ainsi ces séances amoureuses : « ils se livrèrent ensemble au plaisir inconcevable de la force bestiale subjuguée par la douceur ». Quand elle retrouve ensuite son mari, Ana Magdalena ne peut s’empêcher de se sentir détachée de lui, surtout lorsqu’il lui révèle qu’il l’a trompée au moins une fois avec une Chinoise à New York. Elle en éprouve une douleur intense, un goût de mort.
García Márquez analyse avec une fulgurante précision les états de conscience d’Ana Magdalena, et fait montre, au fil de la plume, d’une compréhension profonde pour l’âme féminine. Ce qui l’intéresse, en somme, c’est la part de l’éternel féminin qui s’incarne ici, de manière complexe et universelle, en cette femme à la recherche d’elle-même, hantée par la solitude et la mort, comme nombre de personnages de García Márquez.
Retrouver la mère
Dans les derniers chapitres du roman, la vie d’Ana Magdalena vire de bord. Sur l’île, elle a trouvé une voie vers davantage de liberté intérieure et d’autonomie : « la leçon, écrit García Márquez, ne laissait place à aucun doute : il était absurde d’attendre une année entière pour soumettre au hasard d’une nuit le restant de ses jours ». Ana Magdalena est particulièrement réceptive à l’idée d’un message que lui enverrait sa mère d’outre-tombe. Ce qu’elle voudrait, c’est perpétuer sa mère à travers elle-même, accomplir complètement ce que sa mère a commencé à vivre et qu’elle ne connaît pas encore vraiment, mais qui désormais, soupçonne-t-elle, se trouve être partie intégrante de sa personne.
« Quand elle sortit du cimetière, Ana Magdalena Bach était une autre femme », peut écrire García Márquez. En si peu de pages, celui-ci réussit à montrer l’évolution décisive de son personnage de femme. D’où l’impression de parfaite satisfaction que laisse ce roman. Ce texte posthume est l’occasion, pour l’auteur de Cent ans de solitude, de nous livrer de manière définitive sa vérité sur les êtres humains et, en même temps (c’est la même chose), sur la littérature, et tout ceci à travers la description de la psyché féminine, comme si là était la clef de l’univers.
García Márquez, Nous nous verrons en août. Traduit de l’espagnol (Colombie) par Gabriel Iaculli. Éd. Grasset.
Paris n’échappera pas à cette règle des jeux : le monde entier cherchera à pousser son agenda politique dans la capitale française cet été. Malheureusement.
Rien n’est sans doute plus politique que le sport, fors la politique elle-même. Pourtant, rien ne devrait plus échapper à celle-ci que les joutes sportives. Tandis que nous espérons voir briller les Jeux Olympiques par les performances des athlètes, certains entendent déjà s’accaparer la grand-messe quadriennale pour faire avancer leur propre agenda.
L’histoire regorge de ces épisodes où sport et politique n’ont, pour le meilleur et pour le pire, fait qu’un. Les Jeux, ce moment hors du temps durant lequel la compétition est portée à son acmé, n’ont jamais échappé à la règle : on se souvient du triomphe remarquable de Jesse Owens, en 1936 à Berlin, devant Adolf Hitler, des JO de 1980 à Moscou tenus en l’absence d’athlètes américains et issus de pays… musulmans suite à l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique et, une olympiade plus tard, de ceux de Los Angeles boycottés par les Russes qui organisèrent en réaction des Jeux de l’Amitié, du poing levé de Tommie Smith et John Carlos à Mexico ou encore de l’attentat perpétré contre la délégation israélienne lors des Jeux de Munich par l’organisation terroriste Septembre noir.
D’autres imbrications politico-olympiques sont moins connues, mais également chargées d’une puissante symbolique : les Finlandais concoururent sous leur propre bannière – mais sans drapeau ostensible – et non plus sous celle de l’Empire russe en 1908 ; la déchirure d’un empire austro-hongrois en capilotade se fit béante lorsque les deux délégations défilèrent séparément à Stockholm en 1912 ; a contrario, un semblant de rapprochement entre les deux Corées se fit lorsque leurs athlètes respectifs défilèrent ensemble lors des Jeux d’Hiver de 2018 à Pyeongchang ; les Pays-Bas et l’Espagne refusèrent de se rendre aux Jeux de 1956 pour protester contre la présence d’athlètes soviétiques après l’invasion de Budapest.
Les JO de Paris n’échapperont pas à la règle. Les voix des traditionnels islamo-gauchistes se lèvent aujourd’hui pour faire participer les athlètes israéliens sous bannière neutre, de la même manière que doivent le faire leurs homologues russes, déjà déclarés sportivement apatrides… depuis la mise au jour d’un système de dopage organisé dans leur pays. Si on peut se réjouir que les sportifs de ces nations puissent prendre part à la fête du sport, on peut regretter la grande hypocrisie, tant personne n’est dupe, entourant l’affichage ou non de la nationalité des athlètes engagés. Surtout, à l’allure olympique avec laquelle les wokistes effacent, quelle nation est à ce point irréprochable qu’elle échappera à l’invisibilisation ?
Le procédé de l’ostracisation n’est pas nouveau : deux ans après la fin de la Grande Guerre, les perdants furent exclus des Jeux d’Anvers où, pour la première fois, flotta le drapeau olympique ; en 1948, au lendemain d’un conflit encore dans tous les esprits, les forces de l’Axe, Allemagne et Japon, furent priées de ne pas se rendre à Londres ; l’Afrique du Sud a quant à elle été exclue de la compétition planétaire de 1964 à 1992 en raison de la politique d’apartheid qui sévissait alors dans le pays…
Le sport antique prévoyait une cessation du conflit durant les agônes (événements sportifs) et les Jeux olympiques. Leur adaptation moderne a quant à elle souvent été prise en tenaille entre ambitions sportives et considérations politiques (voire impératifs moraux). Si l’on n’abordera pas ici la tentative d’Emmanuel Macron de faire main basse sur l’événement planétaire pour masquer son bilan calamiteux en bien des domaines, on peut craindre que les Jeux soient désormais pris en otage par l’idéologie. Pour les associations militantes (climatiques, pro-palestiniennes, LGBT…), il n’y a pas de trêve olympique et on les imagine déjà faire des JO de Paris leur terrain de jeu, alors que nous aimerions tant qu’il soit uniquement celui des athlètes. Espérons dès lors que les Jeux de 2024 soient marqués par l’émergence de dignes successeurs aux grands champions que furent Paavo Nuurmi, Emil Zatopek, Larissa Latynina, Michael Phelps ou encore Usain Bolt. Et, au moment où sera allumée la vasque, par Marie-José Pérec et/ou un(e) autre athlète, que place soit faite au sport. Et rien qu’au sport.
Serge Gainsbourg a été l’un des plus grands artistes français du XXe siècle. Un poète hypersensible doublé d’un immense mélodiste. Parce qu’une station de métro doit bientôt porter son nom, les néo-féministes attaquent sa vie-son œuvre. Non mesdames, le grand Serge n’était pas le prédateur de vos fantasmes.
Il devra aller loin, le client, pour se faire poinçonner avec classe. Aux Lilas (93) ! À la Porte des Lilas façon Grand Paris, pour être exact. Le quartier n’est pas riant mais ne boudons pas notre plaisir. La station Serge Gainsbourg sera idéalement située dans le prolongement de la Mairie des Lilas, juste avant Romainville. Et il y aura même une statue en bronze du grand Serge.
Ah, ce poinçonneur ! Composé en 1958, le premier tube du jeune chanteur est repris par les Frères Jacques qui en font un phénomène et Hugues Aufray lance sa carrière grâce à sa propre version. Mieux encore, reprise en hébreu après la tournée des Frères Jacques en Israël, elle devient un chant martial : Sayarim (éclaireurs ou gardes-frontières). Aucun rapport avec l’originale mais cela prouve les qualités de mélodiste universel de notre héros.
Mais 4000 féministes ne sont pas d’accord. Elles l’ont fait savoir sur Change.org. Haro sur le pornographe ! Le pédophile ! Le misogyne ! Le sale bonhomme. On a des preuves, messieurs-dames : son œuvre entière !
Bon, évaluons tout de suite la grinche et les motifs d’icelles. La propre fille de Serge l’a rappelé au monde entier. L’homme, qui se lavait comme un chat (dans son bidet), était un père pudique et respectueux.
Rappelons que Serge, en vrai, était un puritain, mal à l’aise devant le porno et juste avide de transcendance. Le contraire d’un violeur, d’un sale type. Injurier comme il l’a fait Catherine Ringer en lui rappelant son passé d’artiste porno n’était pas très gentil ni bienveillant. Mais l’homme avait été sincèrement choqué. C’était moche, c’était sale. Il ne sortait pas de ce milieu.
Bref, Gainsbourg est le plus innocent de tous les condamnés. On l’aura compris, et même radoté : la logique woke veut déboulonner tout talent blanc, mâle et patriarcal. C’est signé. Beigbeder, Gainsbourg, Garrel ou Jacquot, mort ou vivant : on trouvera bien un truc. Plutôt paradoxal dans notre société où Gabrielle Russier (on se rappelle le scandale de 70, la prof et son élève…) est la Première dame de France. Mais pour n’importe quel artiste, écrivain ou chroniqueur, peu importe : s’il est blanc et qu’il a plus de cinquante ans, c’est l’échafaud. Et quand l’homme est irréprochable, on s’attaque à l’œuvre. Comme les maos : révolution culturelle oblige. Si ce n’est pas de la dictature ou du fascisme, je n’ai rien compris à l’Histoire.
Gainsbourg n’a jamais forcé personne à rien, ni pratiqué d’odieux chantages ou touché un corps sans consentement. Quant au concept d’emprise, depuis Ronsard, on sait que le mot est synonyme d’amour. On a envie de le hurler encore : seul le viol est interdit. Notre artiste a chanté la transcendance, il a mis en vers et en musique tous les côtés de l’âme humaine, de la plus noble à la plus crasse. Et, situé entre les deux, cette difficulté, pour un homme, de voir sa propre fille devenir une femme. Il a appelé Chopin à la rescousse pour le chanter, fait un hymne quasi liturgique de cela. Le Dieu des Chrétiens nous dit de ne pas succomber à la tentation. Serge, parce que cela ne l’a jamais démangé, s’est amusé à jouer avec l’idée. Il n’y a pas plus innocent, monsieur le juge ! En fait, il n’y a pas plus grand. Devant l’horreur de la vie et des bas instincts, il a inventé les mots et la musique. Et la musique tend vers Dieu. On est loin du baiser forcé ou de la main au cul. Personne, dans quelque campagne reculée, n’a bousculé sa fille dans la grange parce qu’il avait entendu Lemon incest.
Avec Je t’aime moi non plus, Gainsbourg a imposé la France partout dans le monde. Nous sommes un grand pays parce que les Japonais adorent Gainsbourg, que les Jamaïcains s’en influencent et que les dieux pop d’alors ont été soufflés.
La station Serge Gainsbourg nous ramène à un temps où Serge allait se réinventer, quand le twist d’un roulé de jambes allait enterrer la Rive Gauche, les années 50, le vieux monde d’après-guerre, Philippe Clay, André Claveau, Sidney Bechet…
Il fallait renaître (J’ai retourné ma veste le jour où je me suis aperçu qu’elle était doublée de vison). Ce fut spectaculaire. À coups de poupées de cire et de son, Serge se retrouva en double page de Salut les Copains.
Ce qu’on ne lui pardonne pas, c’est d’avoir été unique. Misogyne, prétend la pétition ? Qu’est-ce donc que cette bête-là ? Initiales BB ou Harley Davidson nous montrent une walkyrie, une Salomé, une guerrière. N’est-ce pas aimer les femmes que d’être fasciné par elles ?
Les féministes veulent que les femmes soient des hommes. Rien de plus, rien de moins. Puis dans Initials B.B., Serge cite Pauwels : était-il en plus d’extrême droite, lui aussi ? Chouette ! Une autre pierre dans le jardin. Une station de métro Lucien Rebatet ne ferait pas plus scandale.
Après le jardin, et après l’ouverture de sa maison, une station Serge Gainsbourg s’imposait. Davantage qu’une rue David-Bowie (Paris 13e) qui, pour le coup, sent le caprice pour fans.
Sa maison doublée d’un musée rencontre un incroyable succès. C’est booké jusqu’à la Trinité. Les fans hardcore n’y apprendront pas grand-chose mais ils verront cet intérieur resté intact depuis la mort du chanteur, cendriers avec mégots compris.
Ce que Gainsbourg laisse est immensément plus grand que lui-même. L’homme fut mon héros. Il m’a fait découvrir le génie juif, comme Dylan ou Freud, et la force immense de la chanson. Il m’a grandi. Ce qu’il porte aujourd’hui, c’est tout ce que notre après-monde a perdu. Ça vaut bien une station de métro.
Le 7 avril marquera le 30ème anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda qui fit plus de 800 000 morts en trois mois en 1994. Alain Destexhe était à l’époque le secrétaire général de Médecins Sans Frontières. Il a vécu de près cette tragédie. Trente ans plus tard, il est retourné sur place à la rencontre de rescapés et de génocidaires. Nous publions ici deux extraits de son livre.
Rwanda : le carnage. 30 ans après, retour sur place, Editions Texquis, 140 pages
En 1994, Jean-Claude a 26 ans et est l’un des quatorze policiers de la commune de Nyamata, à une heure de Kigali, l’une des plus touchées par le génocide.
Quatre ans auparavant, le FPR, le Front patriotique rwandais, attaque le Rwanda depuis l’Ouganda. Le mouvement est composé de la jeune génération des Rwandais vivant en exil depuis 1959, principalement de Tutsis, que le régime n’a pas voulu laisser revenir au pays.
Dès 1990, après l’attaque du FPR, Jean-Claude et ses collègues, sur ordre des autorités, commencent à harceler les Tutsis de la commune, à les arrêter sans raison et à les passer à tabac. En 1992, plusieurs dizaines sont tués et leurs maisons brûlées. Suite à des reportages de la BBC et de RFI, l’administration leur enjoint de modérer leurs ardeurs et les persécutions cessent provisoirement. Jusqu’en 1994, au cours de réunions, les autorités ne cessent de répéter que les Tutsis sont des serpents, des cancrelats, et que le FPR va, selon leur vision tronquée de l’histoire, ramener le servage (des Hutus par les Tutsis), un thème puissant dans l’imaginaire du régime au pouvoir.
On leur bourre le crâne, en leur répétant que les Tutsis, tous les Tutsis, qui sont depuis 1959 des citoyens de seconde zone, sont les alliés du FPR. Quand l’avion du président Habyarimana est abattu le soir du 6 avril, les autorités répandent rapidement un discours accusateur : Voici la preuve que ce que nous vous disions était vrai, ils ont tué notre président.
Je tire dans le tas comme les autres
Dans la soirée du 10 avril, des militaires arrivent à Nyamata et les policiers leur montrent les maisons des Tutsis afin de les tuer. Beaucoup d’entre eux s’étaient réfugiés dans l’église de Nyamata et d’autres sur un terrain en face de la maison communale où se trouvaient plusieurs milliers de personnes apeurées, pensant que les autorités allaient les protéger. Celles-ci décidèrent plutôt, commodément, de les tuer sur place. Les militaires et les policiers, armés de fusils et de grenades, les miliciens munis de machettes et des gourdins cloutés, encerclent les réfugiés et commencent à tirer dans le tas, à jeter des grenades et à macheter.
Jean-Claude commence à tirer sur les plus proches, puis, au fur et à mesure que les victimes sans défense tombent, vers le centre de la foule. Il tire, il tire et tire encore. Il dispose de dix cartouches pour son fusil à un coup et, lorsqu’il n’en a plus, on lui en fournit de nouvelles. Les miliciens achèvent le travail à la machette et au gourdin. C’est un véritable carnage, une boucherie, un massacre. Combien de personnes a-t-il tué ? Il ne sait pas ou refuse de le dire. Il tirait dans le tas comme les autres.
Ce dont il est certain c’est qu’il a tué tous les jours pendant un mois, d’abord dans le centre du village, puis, par la suite, dans les forêts et les marais et qu’il n’a jamais manqué de munitions. Quel sentiment éprouvait-il ? Au début la peur, nous dit-il, mais ensuite la peur a disparu, il n’y a pas de joie non plus, cela devient une habitude de tuer. C’était un travail qui était ordonné par les autorités et nous accomplissions notre devoir. Il recevait des ordres et il obéissait, comme Adolf Eichmann et les autres exécuteurs nazis de la solution finale.
Jean-Claude erre ensuite pendant 10 ans au Congo avant de se rendre aux autorités rwandaises et d’être renvoyé à Nyamata.
Confession et jugement
Dans le cadre du processus de Gacaca (qui se prononce Gatchatcha), un processus de justice traditionnelle adapté pour juger les génocidaires au plus près du lieu de leurs crimes, il confessa ses forfaits et dit toute la vérité. En conséquence, il fut condamné, non à de la prison, mais à quatorze ans d’un régime plus clément de travaux d’intérêt général dont il n’en effectua que sept. Sept ans seulement, à construire des routes tout en restant libre, douze ans après les faits, pour le meurtre de dizaines, peut-être de centaines de personnes. Le nouveau gouvernement s’est montré généreux, mais avait-il le choix vu le nombre de tueurs qui ne pouvaient tous être gardés pour de longues peines ?
Libéré, il est devenu agriculteur et est désormais le père de sept enfants. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Par la suite, Jean-Paul a rencontré le père Lobald, fondateur d’un groupe de réconciliation entre rescapés, familles de victimes et assassins. A travers ce groupe, Jean-Claude dit qu’il a, enfin, compris ce qu’il qualifie de péché de génocide et pourquoi ce qu’il avait fait était mal.
Pardon et réconciliation ?
Car, auparavant, malgré ses dix ans d’errance dans la jungle, son procès et ses crimes confessés, il ne l’avait pas compris : Je n’avais pas cela sur la conscience car je n’avais fait que mon travail et on devait obéir aux autorités ! Ce n’est qu’à travers ce groupe de dialogue qu’il a pleinement pris conscience de ses actes et éprouvé, pour la première fois, des remords : C’est bien moi qui ai fait cela et j’en suis responsable.
Quand il nous raconte son histoire, il semble bien dans sa peau, il parle de façon volubile de son expérience et de son parcours. Est-il sincère ? Toujours est-il que très peu de tueurs se sont portés volontaires pour faire ce travail d’introspection et de réconciliation. On sait que le pardon est un élément essentiel de la doctrine chrétienne.
Innocent, un survivant de Nyamata qui a perdu toute sa famille, lui, ne veut pas entendre parler de pardon. Comme ils vivent dans la même commune, il lui arrive de parler avec des tueurs, mais il n’a certainement pas pardonné et ne veut pas entrer dans un groupe de dialogue avec eux. D’ailleurs, il s’est remarié avec une tutsie et n’aurait pu le faire avec une Hutue.
Que nous dit le parcours de Jean Claude ?
Le parcours de Jean-Claude nous apprend plusieurs choses importantes sur le génocide.
Vermine juive, cancrelat tutsi
Comme les nazis déshumanisaient les Juifs en les présentant comme de la vermine, le pouvoir hutu animalisait les Tutsis en les qualifiant de serpents ou de cancrelats. De la même manière que la plupart des exécuteurs de la solution finale se dédouanaient en se présentant comme de simples fonctionnaires obéissant aux ordres, Jean-Claude et ses homologues justifient leurs actes par l’obéissance aux autorités. À l’instar des nazis, notamment Eichmann lors de son procès à Jérusalem, les tueurs hutus ne manifestent ni culpabilité ni remords. Leurs aveux sont mécaniques, prononcés par obéissance aux nouvelles autorités. Mais au fond d’eux-mêmes, aucune trace de culpabilité n’émerge.
Grenades, fusils, gourdins cloutés…
Loin d’avoir été un génocide accompli uniquement avec des machettes, les armes à feu ont joué un rôle central lors des tueries, notamment lors des grands massacres où les Tutsis étaient rassemblés dans des églises, des stades ou des places communales. A côté des machettes, il y avait aussi des gourdins équipés de clous, une arme dont la vision fait frémir.
2. La résistance des Tutsis de Bisesero et la France
La place Aminadabu Biruta dans le 18e arrondissement de Paris rappelle aux Parisiens, qui l’ignorent probablement, l’histoire de la résistance des Tutsis de Bisesero.
Bisesero, une vaste région rurale, se trouve à 4h30 de voiture de Kigali – autrement dit le bout du monde dans ce pays un peu plus petit que la Belgique. Une fois arrivé sur place, il faut encore 30 minutes pour parcourir, au pas d’escargot, les huit derniers kilomètres sur une piste ravinée dans un superbe décor de montagnes verdoyantes.
Avant le génocide, l’habitat était dispersé dans les collines. Toutes les huttes ont été brûlées en 1994 et les survivants, presque tous des hommes, se sont regroupés dans des maisons le long de la piste. Ils ont épousé des femmes hutues et espèrent qu’avec un peu de chance, leurs descendants ne connaîtront pas l’enfer qu’ils ont vécu.
Des pierres contre des fusils
Bisesero est un haut lieu de la résistance aux génocidaires. Exception au Rwanda, cette région n’était peuplée quasi exclusivement que de Tutsis. Du 7 avril au 30 juin 1994, munis de leurs pauvres outils d’éleveurs (des bâtons, des serpettes, quelques lances), ils ont opposé une résistance acharnée à l’armée, aux milices et aux paysans hutus venus à Bisesero sur ordre du gouvernement intérimaire dans le seul but de les exterminer. Tous les jours, sauf les jours de grande pluie – un cadeau du ciel, synonyme de répit pour les Tutsis – les miliciens arrivaient vers huit heures du matin et se repliaient à seize heures, tels des fonctionnaires après une journée de travail.
Les Tutsis s’était choisi un chef déterminé, Aminadabu Biruta, qui, avec les moyens du bord, organisa la résistance sur un mode militaire. L’installation de guetteurs sur les collines avoisinantes permettaient le matin de voir arriver les tueurs de loin. Du haut de la colline de Muyira, culminant à 2 300 mètres d’altitude, les réfugiés frigorifiés, affamés et terrorisés regardaient approcher les assaillants. Les femmes et les enfants restaient au sommet de la colline et déterraient les pierres qui servaient de munitions. Sur ordre de Birara, les hommes dévalaient alors la colline pour arriver au milieu des miliciens. Avec une bravoure extraordinaire, il fallait d’abord s’exposer aux armes à feu mais, une fois dans la mêlée, celles-ci devenaient inutiles. Les Tutsis visaient en priorité ces hommes armés et, s’ils parvenaient à les tuer, souvent, les miliciens s’enfuyaient face à la froide détermination de ces hommes en sursis.
Malheureusement, le combat était toujours inégal car les miliciens étaient accompagnés de militaires et de policiers armés de fusils et de grenades.
L’attaque du 13 mai
Exaspérée par cette résistance inattendue, les autorités organisèrent une attaque de grande envergure le 13 mai. Avec les moyens de l’Etat à leur disposition, ils firent venir des bus et des camions de militaires et de miliciens de plusieurs régions éloignées du pays pour appuyer les forces locales.
Ce jour-là, les réfugiés, en sous-nombre, déjà épuisés par des semaines de résistance et de disette, furent encerclés et périrent en très grand nombre, y compris les femmes et les enfants qui étaient désormais sans défense. Le lendemain, des milliers de blessés furent achevés par un second assaut.
Charles Karoli, 75 ans, qui nous raconte cette épopée, a perdu toute sa famille et un œil à cause d’un éclat de grenade, détail que je n’avais pas remarqué en raison des lunettes sombres qu’il porte en permanence.
Bisesero et la France : un échec et un drame
Après 80 jours de résistance acharnée malgré les attaques incessantes, leurs blessures, le froid, la pluie et la faim, les rescapés seront sauvés le 30 juin par des militaires français de l’Opération Turquoise, une controversée opération militaro-humanitaire française autorisée le 22 juin par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Les soldats français qui arrivent ce jour-là sont accompagnés d’une équipe de l’ECPA, le cinéma des armées, qui les filme, confrontés à l’horreur.
Les militaires confrontés à l’horreur
Je cite le rapport La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994), plus connu sous le nom de rapport (Vincent) Duclert.
Se succèdent les images d’un enfant blessé à la tête avec une grande coupure à l’arrière du crâne ; un garçon de 8-10 ans avec une blessure à la main (« c’est une blessure par balle, normalement… oh putain, c’est depuis au moins deux jours cela… il doit avoir une putain d’infection ») ; un petit garçon blessé à la tête (« celui-là, c’est grave le petit … il a un éclat de grenade, il est … ») ; une petite fille de 3-4 ans avec de multiples blessures (« putain les tarés, mais c’est pas possible ! Elle est pas épaisse… ») ; un garçon de 8-10 ans avec une blessure sur la poitrine (« C’est déjà cicatrisé… Une balle qui l’a traversé, et il respire encore ! Je sais pas comment il a fait …)
(…)
La polémique découle du laps de trois jours qui s’est écoulé entre le premier contact des militaires français avec les rescapés et leur sauvetage effectif, alors que les troupes étaient stationnées à une heure de Bisesero. Les premiers soldats français sont arrivés sur la zone trois jours plus tôt. (…).
Le 27 juin, dans le cadre de l’Opération Turquoise, une patrouille de reconnaissance accompagnée de trois journalistes, dont Patrick de Saint-Exupéry du Figaro, se rend sur place. Eric Nzabihimana, l’un des rescapés s’approche des véhicules pour leur signaler la présence de milliers de rescapés aux alentours et demander de l’aide. Les Français sont accompagnés d’un génocidaire qui leur sert de guide, qui est reconnu (par un de ses élèves, dont c’était le professeur !) et que les soldats doivent protéger. On a évité un lynchage parce que… Le guide qui nous accompagnait manifestement c’était… c’était un des gars qui, comment dirais-je, qui guidait les milices dans les jours qui ont précédé́, quoi » (Duclert).
Les militaires leur promettent de revenir dans quelques jours. Éric me raconte leur avoir demandé, en vain, d’escorter les rescapés jusqu’à leur base, à une heure à pied de là.
Après le départ des Français, les autorités savent désormais qu’il y a encore un grand nombre de survivants à Bisesero. A l’annonce de l’arrivée des Français, le bourgmestre de Gishyita a fait intensifier les actions, faisant appel aux milices de Kibuye (Duclert).
Eric Nzabihimana, que j’ai retrouvé à Kigali, a 60 ans et en avait donc 30 à l’époque. Mais, dans l’article du Figaro du 29 juin 1994, Patrick de Saint-Exupéry le décrit comme un vieil homme appuyé sur un bâton.
Trois jours pour huit kilomètres …
Malgré les renseignements et témoignages précis sur la situation dramatique des réfugiés de Bisesero, il aura donc fallu trois jours pour que l’armée française, dont l’une des bases se situait à sept kilomètres seulement de Bisesero, vienne sauver les survivants.
Le rapport Duclert conclut : Biserero constitue un tournant dans la prise de conscience du génocide. Il y a un avant et un après Biserero. Face à l’objectif de sauver les victimes des massacres, Bisesero est à la fois un échec et un drame.
Monsieur Nostalgie tente de retenir le parfum de l’année 1974, des derniers jours du président Pompidou à la diffusion des « Brigades du Tigre » à la télévision
Encore un instant, Monsieur le bourreau ! Après, c’est juré, vous pourrez commencer votre travail de sape, de désintégration minutieuse de notre canevas national ; c’est promis, vous aurez les mains libres pour détricoter notre mémoire collective et faire advenir un monde meilleur, plus équitable et altruiste, plus inclusif et doux. A bas les oripeaux de grand-papa et sa liberté d’expression factieuse ! Laissez-nous juste quelques minutes pour nous retourner, une dernière fois, faire le deuil de nos piteuses Trente Glorieuses et accepter cette fatalitas chère à Chéri-Bibi. On ne vous embêtera plus avec cette nostalgie abrasive qui est le signe des peuples réfractaires. Nous ne vous encombrerons plus avec notre barda hétéroclite, de lectures ennuyeuses et d’objets démodés, nous avons conscience que nos souvenirs sont un frein à notre émancipation. Ils pèsent défavorablement sur notre humeur. Ils dérèglent notre vision du présent. Ils nous empêchent d’avancer. Toujours un œil dans le rétroviseur, nous voyons tout en noir et en recul systémique. Oui, mille fois oui, vous avez raison de nous tancer et de nous gronder. Nous ne sommes que des enfants incorrigibles, englués dans la naphtaline, à ressasser de vieilles comptines, à fantasmer une époque survendue par des boomers en manque d’idéal, incapables d’adopter la digitalisation des esprits, alors que vous nous offrez sur un plateau d’argent la civilisation du mouvement et du décloisonnement. Une ère nouvelle où l’Homme pourra enfin s’épanouir par le travail collaboratif et le communautarisme heureux. Nous sommes des ingrats, enfermés dans nos frontières et nos habitudes provinciales, nous croyons encore aux échanges épistolaires et aux usines remplies d’ouvriers ; à la chanson de variété intelligente et aux silences des bibliothèques. Désolé de vous importuner avec ces mirages d’avant les crises pétrolifères et vendettas identitaires. Je suis sûr que vous allez parvenir, à force de lois et d’injonctions, à coups de pédagogie, à nous faire accepter ce destin lumineux. Nous ne mesurons pas la chance de vous avoir à nos côtés, votre vigilance nous honore, vous êtes toujours là, pour remettre de l’ordre et des règles dans notre bric-à-brac décadent. Nous avons tellement besoin d’être recadrés et cornaqués. Sans votre surveillance omnisciente, nous sombrerions dans une mélancolie puérile avec nos gros godillots, à pleurer sur nos gloires anciennes et notre art de vivre disparu. C’est ridicule, pathétique, je le concède, de ne pas pouvoir brûler notre camisole idéologique. Nous allons y travailler, je vous le jure. Quelle ingratitude de notre part surtout avec tout le mal que vous vous donnez pour liquéfier notre histoire commune et réenchanter notre quotidien. Merci de nous déconstruire, chaque jour un peu plus, et de nous (ré)apprendre à marcher dignement. Culturellement, économiquement, sécuritairement, partout, dans tous les domaines, à l’école, à l’hôpital, dans la rue, aux champs et sur nos tablettes, grâce à vous, nous entrevoyons un avenir radieux. La fin des temps tragiques. Sans vous, nous serions bloqués en cette année 1974. Un président cantalou, amateur de poésie et de Porsche 356, avec la force tranquille d’un fils d’instituteurs ayant pris le train de la méritocratie, s’éteindrait bientôt. Marcel Pagnol, un autre bon élève, le suivrait de quelques jours. À la radio, la famille était à l’honneur. Daniel Guichard nous arrachait des larmes avec « Mon vieux » et le sémillant Sacha Distel cajolait « La Vieille Dame » pendant que Michel Jonasz proclamait son hymne à « Super Nana ». C’était mièvre et misogyne. Salement populaire. À la télévision, le générique de Chapi Chapo composé par François de Roubaix éclairait le regard des enfants tandis que « Les Brigades du Tigre » à la gloire de Clémenceau s’ouvraient sur les illustrations d’André Raffray et quelques notes hypnotiques de Claude Bolling, notre pays se vautrait dans la Troisième République et les prémices de la musique électronique. Aux États-Unis, c’était pire, Happy Days débarquait avec un Fonzie viriliste et un Richie, sorte de Tanguy suburbain, dans un décor en carton-pâte, pâle résurgence de l’embellie « fifties ». Au cinéma, Michel Deville dans « Le Mouton enragé » mettait en scène un affreux arriviste, Jean-Louis Trintignant, qui se servait des femmes pour grimper à l’échelle sociale ; Resnais nous montrait la chute de Stavisky avec Belmondo, comme si Le Magnifique pouvait incarner Serge Alexandre et Alain Delon se glissait dans la peau d’un député ministrable dans « La Race des seigneurs », film adapté du roman Creezy de Félicien Marceau. Ces images déplorables promouvaient à chaque fois le pouvoir de la séduction. Dans les librairies, le passéisme était à la mode, Kléber Haedens signait Adios et Jean d’Ormesson triomphait avec Au plaisir de dieu, la figure de Sosthène de Plessis à Saint-Fargeau et celle de Jérôme Dutoit à la Feria de Pampelune éduquèrent bien maladroitement les jeunesses rêveuses, pendant ce temps-là, René Fallet obtenait le Prix Scarron dont le dernier récipiendaire fut l’inénarrable Sim, pour Ersatz, une potacherie qui déplut à Pivot. Dans les concessions, Citroën en phase terminale d’absorption par Peugeot, lançait son oblongue CX dotée du tableau de bord « lunule », aussi mystérieux que lunaire. Où que j’aille, où que je regarde, il y a toujours un coin qui me rappelle cette année 1974, mais je vous promets de me faire soigner.
François de Saint-Cheron publie Malraux devant le Christ, et démontre que, si André Malraux était un agnostique revendiqué, sa vie fut aussi marquée par une quête ardente de transcendance. De là à le christianiser de force, non…
André Malraux n’est pas tendance. C’est que notre basse époque mercantile et inculte ne comprend plus rien à ses engagements, non pas politiques, mais esthétiques. Son lyrisme porté par une voix tremblante, parfois à la limite de la rupture, où sont évoqués Jeanne d’Arc, le Général de Gaulle et la France de la résistance, fait grimacer de dégoût les petits fonctionnaires du nihilisme. Quelques écrivains pâles comme l’aube sale haussent les épaules, qu’ils ont étroites, quand ils évoquent le style de l’auteur de La Condition humaine, prix Goncourt 1933. J’ose affirmer que cet homme, qui est d’abord l’homme du « non », nous manque terriblement. L’ouvrage de François de Saint-Cheron, Malraux devant le Christ, est donc une bonne nouvelle. Il tombe même à pic, puisque j’écris ces lignes le vendredi Saint. L’auteur, dans sa jeunesse, a eu le privilège de rencontrer Malraux. Il est aujourd’hui maître de conférences à la Faculté des lettres de la Sorbonne. Il a collaboré à l’édition des Œuvres complètes d’André Malraux. L’enjeu de l’ouvrage, qui se lit comme une enquête minutieuse et référencée, est de montrer que l’itinéraire de celui qui s’autoproclama colonel Berger fut marqué par une quête sinon de Dieu, d’un moins d’une forme de transcendance. Or, d’emblée, François de Saint-Cheron nous rappelle la phrase extraite D’une jeunesse européenne (1927) : « Nous qui ne sommes plus chrétiens ». Affirmation péremptoire confirmée un demi-siècle plus tard dans Lazare (1974) : « J’ai perdu la foi après ma confirmation. » Malraux confirme, à plusieurs reprises, qu’il n’a pas la foi. Le général de Gaulle lui en fait du reste le reproche amical : « Pourquoi parlez-vous comme si vous aviez la foi, puisque vous ne l’avez pas ? » Malraux déclare au micro de Jacques Chancel, dans l’émission « Radioscopie », deux ans avant sa mort, qu’il est agnostique. Ce qui n’est pas nouveau puisque François de Saint-Cheron rappelle les propos de l’ancien ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle tenus en 1971 : « Être agnostique, ça veut dire : penser qu’il n’y a pas de lien possible entre la pensée humaine et la conception d’une transcendance absolue. Ça ne veut pas dire du tout qu’on est athée, parce qu’être athée, ça veut dire : ‘’ c’est faux, la transcendance n’existe pas.’’ » Dans la plupart de ses romans, ou face aux œuvres d’art, ou encore en côtoyant les grandes figures catholiques, Malraux ne cesse de questionner le « mystère chrétien », comme le prouve l’étude de François de Saint-Cheron. Même la mort accidentelle de ses deux fils, le 23 mai 1961, ne parvient pas à éteindre « sa sensibilité » d’homme tourmenté par ce mystère-là. Et lorsqu’il est hospitalisé à la Salpêtrière, du 19 octobre au 16 novembre 1972, dans un état préoccupant, il relate son séjour et l’intitule Lazare, personnage ressuscité par Jésus. En vérité, Malraux ne cesse de tourner, le visage fiévreux, les mains agitées, autour du trou noir. C’est un Pascal sans Dieu que ni l’écriture, ni l’action, ne parviennent à calmer véritablement. L’absurde, la mort, le néant ne cessent de le hanter. Tout ce que notre société, dominée par la Technique, est incapable de penser, étant noyée sous les flots des discours publicitaires.
Pourquoi l’auteur des Antimémoires tient-il absolument à regarder en face le soleil noir ? À Élisabeth de Miribel, qui dactylographia l’Appel du 18 juin 1940, à Londres, Malraux avoue : « J’admire les chrétiens, je respecte leur foi mais je ne veux pas renoncer à l’inquiétude. C’est ce qu’il y a de plus grand chez l’homme ! »
C’est peu dire qu’il nous manque à l’heure où les chênes nains du Quercy ne cachent plus aucun maquis.
François de Saint-Cheron, Malraux devant le Christ, Éditions Desclée de Brouwer.
Une nouvelle loi limitant la liberté d’expression de tous les citoyens entre en vigueur le 1er avril. Censée encourager la tolérance en interdisant la haine, cette législation est justifiée par une vidéo officielle infantilisante (voir plus bas). Elle parle du « monstre de la haine » qui est tapi à l’intérieur de chacun d’entre nous et qu’il faut éradiquer. Aujourd’hui, Big Brother porte un kilt et il veut entrer dans le cerveau même de tous les membres de la classe ouvrière blanche.
Sous la direction de son Premier ministre Humza Yousaf, le gouvernement wokiste et islamo-gauchiste de l’Écosse emprunte un chemin de plus en plus autoritaire. Le signe le plus visible de cette dérive est une loi, dite Loi relative aux crimes de haine et à l’ordre public, proposée en 2020, promulguée en 2021 et qui doit entrer en vigueur le 1er avril 2024. Pour le malheur des Écossais, il ne s’agit nullement d’un poisson d’avril.
« Don’t feed the hate monster » Capture YouTube.
Et la grossophobie ?
Quel est le crime que cette nouvelle loi est destinée à sanctionner ? Celui de la « provocation à la haine » (« stirring up hatred »). Contre qui ? Une loi contre l’incitation à la haine raciale existe depuis 1986. Maintenant, il s’agit de punir tout ce qui provoque à la haine à l’égard de certaines « caractéristiques protégées ». Lesquelles ? L’âge, le handicap, l’orientation sexuelle, l’identité transgenre et – catégorie obscure mais qu’on suppose comprendre toutes les gradations de non-binarité – « des variations dans les caractéristiques sexuelles ». La catégorie du sexe, qui permettrait de sanctionner le sexisme à l’égard des femmes, n’est pas incluse car, selon le gouvernement, ce dernier va préparer une autre loi sur cette question. On devine surtout que la cause des femmes est insuffisamment compatible avec celle des trans pour que les deux figurent côte à côte dans la même loi.
Qu’apporte cette nouvelle loi par rapport à la législation déjà existante ? D’abord, des peines extraordinairement sévères. La provocation à la haine est punissable – jusqu’à sept ans de prison ! Ensuite, la gamme des situations où on peut fauter est très large. Les publications sur les réseaux sociaux en ligne tombent évidemment dans le périmètre de la loi. Mais on peut aussi être sanctionné pour des paroles tenues dans l’intimité de sa propre maison. Ce qui veut dire que des enfants peuvent dénoncer leurs parents. Retour à la censure d’une autre époque, les représentations théâtrales sont dans le viseur de la justice. En théorie, certaines pièces de Shakespeare et même certains passages de la Bible lus par un prêtre à l’église pourraient attirer des sanctions. Tout indique que les humoristes du stand up – des spécialistes professionnel de la provocation – seront dans le collimateur des forces de l’ordre, bien que les représentants de ces dernières insistent sur le fait qu’ils ne vont pas assister à tous les spectacles pour les évaluer. Dans un passé récent, beaucoup de spectacles d’humoristes ont été annulés à cause de la pression exercée par l’opinion wokiste ; désormais, les comiques eux-mêmes pourront être mis en tôle.
Bienvenue dans l’ère des « incidents de haine non-criminels »
La liste des inconvénients ne s’arrête pas là. La porte sera ouverte à la délation. Des centres seront créés où des individus pourront déposer une plainte contre un autre de manière anonyme. De tels centres sont prévus – sans trop de surprise – sur des campus universitaires. Il y en aura même un dans un sex shop à Glasgow, sous prétexte que les gens se confient plus facilement dans ce genre de boutique. Si la police décide que telle ou telle plainte ne constitue pas un véritable crime de haine, l’incident reste néanmoins sur le casier judiciaire de l’accusé sous le qualificatif absurde d’« incident de haine non-criminel ». La loi sera une véritable invitation à tous les accusateurs vexatoires et abusifs, et les magistrats auront du fil à retordre pour démêler les accusations justifiées et les accusations frivoles.
Mais le pire défaut de cette loi, c’est qu’elle ne définit pas le terme fondamental de « provocation à la haine ». Est-ce que c’est la formule utilisée qui est importante, le ressenti de la personne qui se prétend lésée, ou tout autre critère ? La responsabilité est déléguée aux policiers et à leur jugement subjectif. Si la loi n’entre en vigueur que trois ans après sa promulgation, c’est parce qu’il a fallu tout ce temps, non pas pour former la police à cette nouvelle tâche, mais pour concevoir le programme de formation ! À l’heure actuelle, tous les signes indiquent que la préparation en vue de la date du 1er avril a été rudimentaire et axée sur une approche autoritaire et répressive. Selon le secrétaire général de la Fédération de la police écossaise, sont réunis « tous les ingrédients d’une catastrophe ». Les forces de l’ordre disposent-elles des ressources nécessaires pour gérer l’avalanche de plaintes qui risque de se déclencher ? Au mois de mars, la police a annoncé que, faute des ressources, elle allait cesser d’enquêter sur des crimes de « moindre importance », tels que des vols où l’image du responsable n’a pas été enregistrée par une caméra de surveillance. Pourtant, la police écossaise s’est engagée à traiter chaque plainte.
Infantilisation générale
Afin de préparer le public, la police a diffusé une vidéo ridicule et condescendante, un dessin animé de mauvaise facture qui met en scène « le monstre de la haine » qui se cacherait à l’intérieur de chacun d’entre nous et ne demanderait qu’à se libérer. Sauf que, comme l’indiquent clairement la vidéo et d’autres documents publics, il ne s’agit pas de chacun d’entre nous. La cible de cette loi est une catégorie particulière de citoyens. La haine serait surtout le fait de personnes qui se sentent économiquement défavorisées mais qui croient posséder des privilèges parce qu’ils sont blancs. Autrement dit, la loi vise spécifiquement les classes ouvrières blanches, notamment les mâles en colère, les gens que les élites progressistes méprisent plus que toute autre catégorie. Mais la loi semble aussi adaptée à des cas individuels. J. K. Rowling habite à Édimbourg. Dans un cas sur lequel la police s’est entraînée, une femme nommée « Jo » a le tort d’affirmer qu’il n’y a que deux sexes. Il est clair que c’est la créatrice de Harry Potter qui est visée. Comble de la mauvaise foi, cette Jo imaginaire aurait déclaré que les trans devraient être envoyés dans des chambres à gaz…
Non, malheureusement, ce n’est pas un poisson d’avril de mauvais goût. Et pour assombrir encore le printemps qui essaie de montrer le bout de son nez, nous venons d’apprendre que le gouvernement irlandais prépare une loi similaire.
Les récents déboires judiciaires du maire d’Agde (34) projettent une lumière crue sur la ville, dont une partie du territoire est minée par des activités sexuelles un peu sordides.
Madame Irma est canon !
Que se passe-t-il à Agde, ville méditerranéenne dont le maire vient d’être arrêté, accusé d’avoir utilisé de l’argent qui ne lui appartenait pas pour payer une prétendue diseuse de bonne aventure ventriloque qui l’avait apparemment ensorcelé ? Soupçonné d’avoir détourné 300 000 euros d’argent public, Gilles d’Ettore, ancien policier, maire LR d’Agde depuis vingt ans, a été placé en garde à vue pour « corruption passive, prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics », révèle Le Midi Libre. Aussi arrêtée : Sophia Martinez, qui ne ressemble pas du tout au stéréotype de la voyante mature un peu moche.
Les procureurs disent que Mme Martinez a admis avoir dupé d’Ettorre, 55 ans, avec des séances mettant en vedette sa voix projetée, depuis qu’ils se sont rencontrés en 2020. Sur l’insistance de la voix, le maire l’aurait inondée de faveurs financées par la municipalité, y compris le paiement de son deuxième mariage dans un château, l’octroi d’emplois au conseil à son mari et à cinq membres de sa famille, et la fourniture d’une voiture du conseil et d’un chauffeur.
« Protégez Sophia, protégez Sophia, prenez soin d’elle et de son peuple », aurait imploré la voix dans des appels téléphoniques réguliers au maire dans son bureau, a déclaré la police. « Sa stratégie consistait à modifier sa voix, y compris avec les membres de sa famille et ses amis proches », a déclaré Raphaël Balland, le procureur. « En utilisant cette voix masculine et rauque, elle a réussi à leur faire croire qu’ils parlaient avec un être surnaturel de l’au-delà », a-t-il ajouté.
Gilles d’Ettore n’est pourtant pas un idiot : il détient une maîtrise de la faculté de droit de Montpellier. Durant son parcours professionnel, il est inspecteur de police et lieutenant dans les renseignements généraux à Lyon de 1992 à 2000. D’Ettore s’est donc justifié auprès des enquêteurs, expliquant avoir été contacté par téléphone depuis l’au-delà… La voix entendue au bout du fil lui aurait demandé de faire des dons d’argent et de financer des projets… Confronté à la version de la voyante qui a avoué ses méfaits, l’élu a maintenu sa version : il assure avoir été contacté par des voix de l’au-delà et non pas par la médium, selon La Dépêche ! (Révélation complète : je connais le maire Gilles d’Ettore. Il s’est marié avec une fille du pays dans le parc de ma maison dans un village près d’Agde. Il a ensuite généreusement offert des stages à plusieurs de mes étudiants de l’université du Michigan.)
C’est quoi ce bordel ?
M. d’Ettore n’est pas seulement maire d’Agde, il est aussi président de l’agglomération locale et a siégé une fois à l’Assemblée nationale (député UMP 2007-2012). Le voilà en prison ! Il est probablement temps pour les autorités d’examiner attentivement la situation à Agde, et de ne pas limiter leurs efforts à l’incident bizarre de la diseuse de bonne aventure. Ils devraient prêter une attention particulière à l’énorme enclave naturiste du Cap d’Agde, une station balnéaire qui m’a été décrite dernièrement par un agent des forces de l’ordre local comme « le plus grand bordel d’Europe ».
Le Cap d’Agde est réputé non seulement pour le libertinage débridé de la plage connue localement sous le nom de Baie des Cochons, mais aussi comme centre de prostitution, de pornographie ou de drogue. Pourquoi est-ce apparemment toléré ? Les habitants ont leurs soupçons et racontent des histoires qu’il serait judiciairement dangereux de répéter. Pendant la journée, la plage est connue pour ses exhibitions sexuelles nues. La nuit, le centre commercial abrite des boîtes de nuit. Les soupçons selon lesquels le quartier est infesté de gangsters sont renforcés par des actes de violence, dont des incendies criminels – que certains attribuent aux activités de racket de protection. Les enquêtes des autorités n’ont jamais été concluantes.
La tolérance y’a des maisons pour ça
Curieusement, il y a quelques années, lorsqu’un membre du conseil municipal d’Agde, Florence Denestebe, a osé soulever la question, le maire M. d’Ettore a refusé d’écouter et a fermement défendu le quartier naturiste comme étant essentiel à l’économie locale. Agde, qui compte 25 000 habitants, accueille 225 000 visiteurs par an, dont beaucoup se rendent sur les plages de nudistes.
Les visiteurs viennent du monde entier, mais les plaques d’immatriculation belges, allemandes et britanniques sont particulièrement bien représentées dans les parkings. C’est essentiellement sordide et hideux. Dans le Sunday Times de Londres, la journaliste Helena Frith Powell a décrit le Cap d’Agde comme un « village de vacances en béton sinistre ». Bâtie sur un marais dans les années 70, Agde a une réputation sulfureuse, depuis des décennies. Il y a cinq ans, Le Midi Libre rapportait l’existence d’une étude qui avait osé classer la ville comme la commune « la plus dangereuse de France » ! Une allégation alors démentie avec colère par le maire. Reste que, quand la conseillère municipale de l’opposition Florence Debeneste a défié le maire d’agir contre le quartier naturiste, elle s’est vue opposer une fin de non-recevoir ! Et pour des raisons inexplicables, les médias locaux ont adopté une attitude très tolérante à l’égard du fameux quartier naturiste. En 2005, le roman Les Particules Elémentaires de Michel Houellebecq en avait dressé un portrait peu reluisant. Roman auquel La Tribune de l’Hérault a répondu par un article largement à décharge : « Il ne nous appartient pas de juger le livre, la liberté d’expression tout comme la liberté sexuelle est un droit que nous ne nions à personne. Il serait toutefois utile de rappeler aux lecteurs que si ce type de pratiques sexuelles se développent et peuvent être considérées comme un véritable phénomène de société, le Cap d’Agde demeure une station de villégiature familiale. »
Le Midi Libre va plus loin et célèbre régulièrement le Cap d’Agde, avec des reportages annuels, richement photographiés, sur des vacanciers nus ! “C’est une chose de plonger dans la grande bleue sans maillot. C’est une autre paire de tongues que se balader les fesses à l’air dans le plus grand village naturiste d’Europe, et finalement du monde” s’enthousiasme la journaliste Annick Koscielniak. Cependant, une recherche dans les archives du journal révèle aussi toute une série de problèmes, y compris, plus récemment, des allégations d’agression contre trois vigiles employés à la station. L’affaire est en instance.
« Nos visiteurs y trouvent une multitude d’autres activités et de loisirs beaucoup plus consensuels et populaires » assurait en 2005 Patrick Vincent sur le site Hérault Tribune. « La micro-société « échangiste et libertine » est encore minoritaire dans un Village Naturiste où la pratique saine et familiale du naturisme est engagement de respect mutuel, excluant toute pratique qui pourrait nuire à autrui. L’amalgame et le raccourci qui peuvent être faits dans les médias pourraient être préjudiciables à terme, pour l’image de notre station, il serait bon d’en mesurer les effets » ajoutait-il.
Entre-temps, le Cap d’Agde est devenu plus sordide que jamais, selon un ami qui y travaille. Une recherche sur le terme « Agde » sur les sites pornographiques permet de s’en rendre compte. Il y a par exemple toute une micro-industrie qui filme la copulation publique à la Baie des Cochons… La longue suzeraineté du malheureux maire d’Ettore sur la ville touche vraisemblablement à sa fin, mais, étant donné que le Cap d’Agde est littéralement une vache à lait pour la ville, il est peu probable que les choses changent vraiment un jour, à moins que les autorités supérieures ne s’y intéressent enfin d’un peu plus près.
Enthousiasmé par les images du biceps présidentiel sur lequel court comme un serpent gonflé une veine céphalique digne des meilleurs jours de Sylvester Stallone, notre chroniqueur, lui-même grand consommateur de salles de musculation et d’exercices quotidiens au sac de sable, s’est lancé dans un rappel historique des figures emblématiques de l’Homme — avant-hier l’Hercule Farnèse, hier encore Arnold Schwarzenegger, et désormais Emmanuel Macron.
Longtemps l’homme a été simplement viril : c’était une sorte de pléonasme, puisque vir, en latin, c’est justement l’homme par rapport à la femme — et non homo, comme le croient les enthousiastes d’Olympes de Gouges, les féministes ignorantes et les LGBT.
Puis, les mœurs s’adoucissant, l’égalité des droits engendrant un homme nouveau à musculature faible, l’homme viril est devenu un gros macho, dérivation du latin masculus. Le machisme a remplacé la virilité, source de tant d’aberrations, nous a-t-on expliqué.
Brighelli, the Rock
L’intérêt de cette substitution, c’est qu’on pouvait être machiste tout en étant musclé comme un vélo de course. À la suprématie naturelle du muscle succédait la prétention cérébrale du mâle accroché à son service trois-pièces et à sa carte Gold ou Platinum. Le modèle masculin était soit un fifrelin, soit un gros tas — rappelez-vous cette pub Brandt des années 1970…
Arrive désormais le virilisme — qui comme tous les mots affublés de ce vilain suffixe dépréciateur, désigne le retour prétentieux de la belle brute blonde ou du minet surgonflé. D’ailleurs, la salle de musculation où je traîne chaque matin le corps admirable que m’ont légué mes parents (117 rue Sainte, 13007, venez m’y retrouver sur le coup de 8 heures, nous prendrons un café ensemble) est de plus en plus peuplée de jeunes gens qui s’y font des muscles époustouflants…
Bien sûr, l’apparition du virilisme ne signifie pas un retour en grâce de la virilité. Il marque juste une réaction aux excès de dévirilisation de ces trente dernières années. Le modèle était autrefois Humphrey Bogart ou Robert Mitchum, il est passé chez Stallone et autres stars bodybuildées, il s’exprime désormais chez des mâles cabossés, hier Bruce Willis ou Gerard Butler, aujourd’hui Dwayne « The Rock » Johnson. La vogue des super-héros ne dit pas autre chose.
Et, désormais, Macron. Par la grâce de quelques clichés dus à la photographe officielle de Not’ Président, Soazig de la Moissonnière, nous savons à présent que le nouveau standard de la virilité réside au 55 rue du Fg Saint-Honoré, Paris 75008. Bien sûr, cette mise en scène est à usage politique, tout comme les annonces guerrières d’il y a quinze jours. Virilisme et bellicisme se rejoignent dans leurs objectifs : non pas défier Poutine (judoka 8ème dan, mieux que Teddy Riner, qui n’en est qu’au 5ème) sur le terrain de la force, dont le président russe a usé et abusé — dans le pays de l’Ours, on révère les gros costauds —, mais se poser face à un RN qui gagnera les prochaines élections, provoquera la colère de tous les francs démocrates qui, comme leur nom l’indique, ne tolèrent pas un verdict des urnes, dégénèrera en émeutes… Et qui se dressera alors, dans sa stature de guerrier protecteur du peuple, pour revendiquer une troisième présidence ?
Corps de guerriers
À noter que ce n’est pas n’importe quel pan de la société qui exalte désormais le virilisme. Les jeunes des quartiers déshérités s’intéressent puissamment à la MMA, qui n’est pas exactement un sport de fillettes, et élèvent des autels à Cyril Gane. Ils se passionnent pour le body-building (ils savent, eux, qui sont Morgan Aste, Lionel Beyeke, Serge « The Black Panther » Nubret, Joël Stubbs ou Mohamed Makkawy). Et nombre de garçons empâtés au McDo s’inscrivent dans les salles de musculation. C’est même, à en croire un document officiel envoyé à tous les enseignants du rectorat d’Aix-Marseille, et probablement aux autres, l’un des signes auxquels on repère l’éventuelle radicalisation. L’un des « cas » analysé dans ces documents commence ainsi : « Le jeune X est élève en classe de 3e. D’ordinaire ponctuel et assidu, il commence à avoir des absences de plus en plus régulières. Ses amis avec qui il a de moins en moins de contacts l’aperçoivent avec des « grands » qui viennent le chercher à la fin des cours. Depuis quelque temps, il s’est affûté et il passe du temps à faire des exercices physiques. »
Le jihad commence par un combat face à soi-même pour se forger un corps de guerrier. À noter que d’autres jeunes, à idéologie inverse, s’inscrivent, eux, à des stages de krav-maga. Nous sommes sur une mauvaise pente où chacun se prépare à une guerre civile — et plus si affinités.
Le virilisme est l’expression de cette hyper-virilité. Chez Macron, cela relève de l’obsession narcissique, utilisée comme marqueur d’une force supposée. Chez d’autres, c’est le début d’une formation spartiate à la guerre. Dans tous les cas, c’est le marqueur d’un renversement de perspective : l’homme féminisé, le doux écolo, l’amateur de médecines douces et de nouvelles mobilités, a peut-être vécu : sur sa gauche comme sur sa droite, le guerrier renaît.
Dans la veine de ses tribunes publiées dans Causeur1, l’avocat toulousain Wilfried Kloepfer aborde dans son petit opuscule la question du wokisme, analyse la contestation du principe de laïcité et questionne la problématique du « gouvernement des juges »… Réussi.
Wilfried Kloepfer, docteur en droit spécialiste en droit public, nous livre dans un court et brillant essai une analyse qui pour être pessimiste, n’en est pas moins lucide. La cancel culture a pris le pouvoir en France et cette idéologie met en péril la culture chrétienne de nos ancêtres et est à l’origine de bien des maux : dénonciation du mâle hétérosexuel blanc, islamo-gauchisme, laïcité mal comprise et communautarisme, puisque si l’on peut intégrer des individus, on n’intègre pas des peuples.
Souveraineté de l’interprète
Le problème du « gouvernement des juges » n’arrange pas la situation : le Conseil constitutionnel a réussi à s’émanciper depuis 1974 de sa mission originelle, en décidant par exemple en 2018 la valeur constitutionnelle du « principe de fraternité » sans tenir compte de la régularité de séjour sur le territoire national… Le juge est donc alors seul maître de ses décisions, ce que l’auteur nomme « souveraineté de l’interprète », qui devient créateur de normes en créant un précédent. C’est ainsi que l’on n’a pas pu refouler vers Sfax les migrants de Lampedusa en vertu d’une jurisprudence de la CEDH, et qu’une fois en Italie, ils pouvaient librement franchir la frontière française. Sur la question des transgenres, on a vu également quelques aberrations…
Depuis quelques années, les juridictions n’hésitent plus à « judiciariser » la sphère politique au détriment du secret professionnel de l’avocat. L’affaire Bismuth et celle des « fadettes », sans oublier le fameux « mur des cons » ont mis en évidence les positions du Syndicat de la Magistrature et leur emprise sur les politiques.
Quand touchera-t-on enfin le fond pour pouvoir remonter ?
Comment remonter la pente ? L’auteur nous donne une lueur d’espoir en rappelant que ce n’est pas la première fois dans l’histoire que notre pays tutoie l’abîme : Guerre de Cent ans, guerres de religion, Révolution de 1789 et occupation allemande ont montré qu’une résistance pouvait tout sauver. Encore faudrait-il que les parents et les instituteurs enseignent aux jeunes les raisons d’aimer la France, en désignant les vrais ennemis de son identité sans se tromper d’adversaire en vouant perpétuellement le RN aux gémonies, ce qui du reste ne fonctionne pas si bien, à en croire les sondages. J’entends déjà son pas dans l’escalier…
Wilfried Kloepfer, Le Droit à la continuité historique, Vérone Editions.
La lecture du court roman posthume de l’écrivain colombien laisse une impression de parfaite satisfaction.
Cela fait dix ans que Gabriel García Márquez s’est éteint à Mexico, après avoir écrit une œuvre considérable, couronnée par le prix Nobel de littérature en 1982. Et voilà que ses ayants droit nous offrent un bref roman inédit de lui, présenté presque comme un fond de tiroir qui aurait été mis de côté en attendant des jours meilleurs… Or, ce texte, écrit à la fin de sa vie, est un petit bijou littéraire dans lequel García Márquez a comme synthétisé toute sa science romanesque, acquise au fil de sa vie ! Autant dire qu’il s’agit là d’une prose essentielle, qui introduit de manière somptueuse à tout un pan de la littérature latino-américaine dont García Márquez fut le chantre génial.
Un portrait de femme
En une centaine de pages, le romancier colombien dresse le portrait psychologique et amoureux d’une femme très belle, Ana Magdalena Bach, âgée d’une quarantaine d’années et professeur (sans doute de littérature). Ana Magdalena a pris l’habitude de se rendre chaque année, au mois d’août, dans une île touristique de la mer des Caraïbes, afin de déposer sur la tombe de sa mère, qui y est enterrée, un bouquet de glaïeuls. Elle accomplit ainsi avec régularité une sorte de pèlerinage, ponctué de rituels précis. Selon les circonstances du moment, elle s’arrange pour séduire un homme, si possible un mâle accompli, et passer avec lui la nuit à l’hôtel. Puis elle rentre chez elle, dès le lendemain matin, comme si de rien n’était, laissant son mari dans l’ignorance des détails de son périple mémoriel.
Ces visites sur l’île finissent par provoquer des changements dans sa personnalité, imperceptibles au début, mais de plus en plus manifestes ensuite.García Márquez décrit par exemple ainsi l’indifférence grandissante de son héroïne vis-à-vis de son monde quotidien, au retour de l’île : « Aussitôt entrée sous son toit, à cinq heures du soir, elle découvrit à quel point elle commençait à se sentir étrangère aux siens. » Le culte qu’Ana Magdalena voue une fois l’an à sa mère, agrémenté de la rencontre avec un inconnu, la transporte dans une dimension spirituelle qu’elle découvre petit à petit. Sous la plume de García Márquez, l’inlassable répétition du même que vit Ana Magdalena devient un cérémonial païen, comme inspiré du chamanisme et spécifique à cette terre sauvage.
Une vie nouvelle
García Márquez insiste sur l’aspect purement érotique des rencontres d’Ana Magdalena avec ses amants d’une nuit. Tout se passe comme si cela aussi était un rite initiatique digne des anciens mystères, qui allait la transformer et la faire renaître à une autre vie. García Márquez évoque par exemple ainsi ces séances amoureuses : « ils se livrèrent ensemble au plaisir inconcevable de la force bestiale subjuguée par la douceur ». Quand elle retrouve ensuite son mari, Ana Magdalena ne peut s’empêcher de se sentir détachée de lui, surtout lorsqu’il lui révèle qu’il l’a trompée au moins une fois avec une Chinoise à New York. Elle en éprouve une douleur intense, un goût de mort.
García Márquez analyse avec une fulgurante précision les états de conscience d’Ana Magdalena, et fait montre, au fil de la plume, d’une compréhension profonde pour l’âme féminine. Ce qui l’intéresse, en somme, c’est la part de l’éternel féminin qui s’incarne ici, de manière complexe et universelle, en cette femme à la recherche d’elle-même, hantée par la solitude et la mort, comme nombre de personnages de García Márquez.
Retrouver la mère
Dans les derniers chapitres du roman, la vie d’Ana Magdalena vire de bord. Sur l’île, elle a trouvé une voie vers davantage de liberté intérieure et d’autonomie : « la leçon, écrit García Márquez, ne laissait place à aucun doute : il était absurde d’attendre une année entière pour soumettre au hasard d’une nuit le restant de ses jours ». Ana Magdalena est particulièrement réceptive à l’idée d’un message que lui enverrait sa mère d’outre-tombe. Ce qu’elle voudrait, c’est perpétuer sa mère à travers elle-même, accomplir complètement ce que sa mère a commencé à vivre et qu’elle ne connaît pas encore vraiment, mais qui désormais, soupçonne-t-elle, se trouve être partie intégrante de sa personne.
« Quand elle sortit du cimetière, Ana Magdalena Bach était une autre femme », peut écrire García Márquez. En si peu de pages, celui-ci réussit à montrer l’évolution décisive de son personnage de femme. D’où l’impression de parfaite satisfaction que laisse ce roman. Ce texte posthume est l’occasion, pour l’auteur de Cent ans de solitude, de nous livrer de manière définitive sa vérité sur les êtres humains et, en même temps (c’est la même chose), sur la littérature, et tout ceci à travers la description de la psyché féminine, comme si là était la clef de l’univers.
García Márquez, Nous nous verrons en août. Traduit de l’espagnol (Colombie) par Gabriel Iaculli. Éd. Grasset.
Paris n’échappera pas à cette règle des jeux : le monde entier cherchera à pousser son agenda politique dans la capitale française cet été. Malheureusement.
Rien n’est sans doute plus politique que le sport, fors la politique elle-même. Pourtant, rien ne devrait plus échapper à celle-ci que les joutes sportives. Tandis que nous espérons voir briller les Jeux Olympiques par les performances des athlètes, certains entendent déjà s’accaparer la grand-messe quadriennale pour faire avancer leur propre agenda.
L’histoire regorge de ces épisodes où sport et politique n’ont, pour le meilleur et pour le pire, fait qu’un. Les Jeux, ce moment hors du temps durant lequel la compétition est portée à son acmé, n’ont jamais échappé à la règle : on se souvient du triomphe remarquable de Jesse Owens, en 1936 à Berlin, devant Adolf Hitler, des JO de 1980 à Moscou tenus en l’absence d’athlètes américains et issus de pays… musulmans suite à l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique et, une olympiade plus tard, de ceux de Los Angeles boycottés par les Russes qui organisèrent en réaction des Jeux de l’Amitié, du poing levé de Tommie Smith et John Carlos à Mexico ou encore de l’attentat perpétré contre la délégation israélienne lors des Jeux de Munich par l’organisation terroriste Septembre noir.
D’autres imbrications politico-olympiques sont moins connues, mais également chargées d’une puissante symbolique : les Finlandais concoururent sous leur propre bannière – mais sans drapeau ostensible – et non plus sous celle de l’Empire russe en 1908 ; la déchirure d’un empire austro-hongrois en capilotade se fit béante lorsque les deux délégations défilèrent séparément à Stockholm en 1912 ; a contrario, un semblant de rapprochement entre les deux Corées se fit lorsque leurs athlètes respectifs défilèrent ensemble lors des Jeux d’Hiver de 2018 à Pyeongchang ; les Pays-Bas et l’Espagne refusèrent de se rendre aux Jeux de 1956 pour protester contre la présence d’athlètes soviétiques après l’invasion de Budapest.
Les JO de Paris n’échapperont pas à la règle. Les voix des traditionnels islamo-gauchistes se lèvent aujourd’hui pour faire participer les athlètes israéliens sous bannière neutre, de la même manière que doivent le faire leurs homologues russes, déjà déclarés sportivement apatrides… depuis la mise au jour d’un système de dopage organisé dans leur pays. Si on peut se réjouir que les sportifs de ces nations puissent prendre part à la fête du sport, on peut regretter la grande hypocrisie, tant personne n’est dupe, entourant l’affichage ou non de la nationalité des athlètes engagés. Surtout, à l’allure olympique avec laquelle les wokistes effacent, quelle nation est à ce point irréprochable qu’elle échappera à l’invisibilisation ?
Le procédé de l’ostracisation n’est pas nouveau : deux ans après la fin de la Grande Guerre, les perdants furent exclus des Jeux d’Anvers où, pour la première fois, flotta le drapeau olympique ; en 1948, au lendemain d’un conflit encore dans tous les esprits, les forces de l’Axe, Allemagne et Japon, furent priées de ne pas se rendre à Londres ; l’Afrique du Sud a quant à elle été exclue de la compétition planétaire de 1964 à 1992 en raison de la politique d’apartheid qui sévissait alors dans le pays…
Le sport antique prévoyait une cessation du conflit durant les agônes (événements sportifs) et les Jeux olympiques. Leur adaptation moderne a quant à elle souvent été prise en tenaille entre ambitions sportives et considérations politiques (voire impératifs moraux). Si l’on n’abordera pas ici la tentative d’Emmanuel Macron de faire main basse sur l’événement planétaire pour masquer son bilan calamiteux en bien des domaines, on peut craindre que les Jeux soient désormais pris en otage par l’idéologie. Pour les associations militantes (climatiques, pro-palestiniennes, LGBT…), il n’y a pas de trêve olympique et on les imagine déjà faire des JO de Paris leur terrain de jeu, alors que nous aimerions tant qu’il soit uniquement celui des athlètes. Espérons dès lors que les Jeux de 2024 soient marqués par l’émergence de dignes successeurs aux grands champions que furent Paavo Nuurmi, Emil Zatopek, Larissa Latynina, Michael Phelps ou encore Usain Bolt. Et, au moment où sera allumée la vasque, par Marie-José Pérec et/ou un(e) autre athlète, que place soit faite au sport. Et rien qu’au sport.