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« Black dog », de Guan Hu : demain, les chiens ?

Notre chroniqueur est un mauvais Français — en matière de cinéma, au moins. Il ne s’extasie pas devant Anatomie d’une Chute, ne porte pas Omar Sy aux nues, et méprise Le Comte de Monte-Cristo. Mais parlez-lui d’un film chinois ou coréen, et il s’extasie volontiers. Ne serait-il pas un peu snob ?


La ville — un gros village à l’échelle chinoise — est sur le déclin, ses immeubles sont vides, son zoo à l’abandon, et le seul gros entrepreneur est un boucher spécialisé dans la viande de serpent. Le paysage à l’entour est désolé — nous sommes sur la frange du désert de Gobi, au nord-ouest, loin de Pékin, Shanghaï et autres vitrines du décollage économique chinois.

©TheSeventhArtPictures

Paysage accablant, sublimement filmé en teintes gris-bleues, où le vent traîne des tumbleweeds, ces boules de broussailles qui roulaient dans les westerns de notre enfance – et de fait, il s’agit bien d’un eastern.

Lang, un homme taciturne (Eddie Peng, habitué des rôles de serial lover, utilisé ici à contre-emploi, n’a pas eu dix lignes de texte à apprendre), ancien cascadeur à moto, incarcéré dix ans pour meurtre, revient chez lui. Mais la ville est envahie de meutes de chiens errants qu’elle cherche à capturer pour s’en débarrasser et faire venir d’hypothétiques investisseurs. On craint en particulier un grand lévrier noir, famélique et soupçonné de porter la rage — mais la rage et la mort suintent des murs, que les tremblements de terre fissurent chaque jour davantage.

Cet homme sans attaches — son père est un alcoolique qui s’est donné pour tâche de nourrir les dernières bêtes du zoo, dont un tigre mélancolique — se prend d’amitié pour cette bête efflanquée qui ressemble exactement à l’Anubis égyptien, dieu des morts. Il récupère sa moto, répare le radio-cassettes obsolète qui diffuse en boucle « Hey you », chanson cafardeuse du Pink Floyd que l’on entendra aussi dans le générique final, erre dans ce paysage de dunes noires, pendant que le pays entier est sommé de s’enthousiasmer pour les Jeux olympiques qui vont commencer. Fichue année 2008, fichu destin.

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C’est d’une beauté sidérante, d’un intérêt constant. Le cafard a cette couleur froide, la mort se déplace à cette allure, les chiens délaissés par les hommes et les hommes abandonnés des dieux ont cet aspect squelettique, désespéré.

Le film est dédié, à la fin, « à ceux qui n’hésitent pas à reprendre la route ». Belle idée — et Lang reprend sa moto pour fuir dans le désert bleuté avec le chiot issu des amours du Black dog, pendant qu’une armée de chiens lui rend hommage. Magnifique. 

Guan Hu est ordinairement un réalisateur de films à grand spectacle — dont aucun n’est sorti en Occident : j’avais parlé en son temps de La Bataille des 800, film de guerre patriotique comme nous ne savons plus les faire. Il a utilisé ici un budget minimaliste (et non, ce n’est pas par manque de moyens que le cinéma est nul, c’est par manque de talent) et monté un film sidérant de beauté maladive, comme les fleurs de Baudelaire. N’importe quel plan est supérieur à la totalité d’un long métrage de Justine Triet, qui ne dépasse jamais le niveau d’un téléfilm du dimanche soir. Courez-y.

Et pendant que je suis dans le cinéma asiatique, allez voir Mickey 17, de Bong Joon Ho (oui, le réalisateur de Parasite). Ne croyez pas les petits jaloux qui vous susurrent que ce chef d’œuvre ne vaut pas un blockbuster américain. J’en ai dit ici tout le bien que j’en pense.

110 minutes.


Demain les chiens

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Manifestations antiracistes: le piège islamiste

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Il faut sans cesse le rappeler: derrière les larmes d’enfants et les ruines de Gaza se cache un projet totalitaire fondé sur la haine et le fanatisme religieux.


Depuis le début de la riposte israélienne aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023, de nombreuses manifestations ont éclaté dans plusieurs villes de France et en particulier une manifestation  samedi dernier  qui a mobilisé aux côtés de la France insoumise des partis politiques de gauche et  de nombreuses associations. Officiellement organisées en solidarité avec le peuple palestinien, ces manifestations  ont souvent pris une tournure radicale. Certains slogans scandés dans les cortèges — tels que « Israël assassin » ou « Gaza, Gaza » — traduisent une hostilité marquée envers l’État hébreu, voire une adhésion implicite à des discours islamistes. Ces démonstrations publiques, parfois teintées d’antisémitisme, illustrent une fracture idéologique de plus en plus visible au sein des sociétés occidentales. Dans ce contexte, il est crucial de comprendre les ressorts de la stratégie du Hamas et les effets qu’elle cherche à produire, tant au Proche-Orient que sur le sol européen.

Le cynisme absolu des terroristes palestiniens

Le 7 octobre 2023, le Hamas a perpétré des actes d’une brutalité méthodique et glaçante, mêlant massacres, viols et enlèvements. Ces atrocités, commises non seulement par ses combattants mais aussi par des membres de la société civile enrôlés ou radicalisés – y compris certains employés de l’UNRWA ou des habitants de Gaza – n’étaient pas de simples débordements de violence. Elles étaient stratégiquement calculées. Le Hamas savait pertinemment quelle serait la réponse d’Israël : une riposte militaire massive, implacable, qui ferait payer un prix important à la population gazaouie, hommes, femmes et enfants confondus.

Cette stratégie cynique repose sur un double calcul : d’un côté, militariser l’ensemble du territoire – construire des centaines de kilomètres de tunnels avec les fonds de l’aide humanitaire, convertir des écoles, des hôpitaux, des mosquées en dépôts d’armes ou en bases de lancement de missiles – et, de l’autre, exposer délibérément les civils aux représailles pour en faire les martyrs d’un récit victimaire soigneusement entretenu.

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Ce recours aux boucliers humains n’est pas seulement tactique. Il est idéologique. Il repose sur une lecture perverse de la guerre, dans laquelle la vie des innocents est instrumentalisée pour servir une cause politique et religieuse. Il vise à provoquer une indignation mondiale qui affaiblira la position d’Israël et, au-delà, celle de l’Occident. Car les islamistes, notamment ceux du Hamas, connaissent parfaitement les ressorts psychologiques de leurs adversaires : ils savent exploiter la vulnérabilité morale de l’Occident, son goût de la repentance, sa culture de la contrition héritée du christianisme. Comme l’écrivait Chesterton, ce sont là des « vertus chrétiennes devenues folles », retournées contre ceux qui les portent.

Un piège mortel

Les images d’enfants palestiniens sous les décombres, tout comme celles de migrants africains noyés en Méditerranée, deviennent alors des armes émotionnelles d’une redoutable efficacité. Elles touchent le cœur des opinions publiques occidentales, souvent promptes à condamner l’État démocratique en guerre et à absoudre, au nom de la souffrance, l’organisation terroriste qui l’a provoquée. Le cessez-le-feu, dans cette logique, n’est plus une pause humanitaire, mais un salut offert à une organisation qui proclame ouvertement son intention de répéter indéfiniment le 7 octobre, jusqu’à la disparition totale de « l’entité sioniste » et, avec elle, des Juifs de la région.

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Le piège est là, tendu avec méthode : faire de la guerre un spectacle de douleur, inverser les rôles entre bourreaux et victimes, instrumentaliser la compassion occidentale pour mieux désarmer moralement ses sociétés. Et ce piège ne concerne pas seulement Israël. Il vise l’Occident tout entier, confronté sur son propre sol à une offensive idéologique islamiste qui avance masquée, se drapant dans les oripeaux de la justice, de la résistance et de la libération des peuples opprimés.

La question cruciale est donc la suivante : l’Occident saura-t-il ouvrir les yeux à temps ? Réalisera-t-il que derrière les larmes d’enfants et les ruines de Gaza se cache un projet totalitaire, fondé sur la haine, le fanatisme et la manipulation ? Et comprendra-t-il qu’il ne peut espérer se préserver en cédant, en s’excusant, ou en condamnant ceux qui le défendent ?

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Cinq ans après le Covid-19, la France doit abandonner l’Absurdistan pour renouer avec la liberté !

Attestations pour promener son chien, débats interminables sur la jauge exacte des rassemblements, confinements: pour gérer la crise sanitaire du Covid et les restrictions de toutes sortes, la France s’est révélée fort ingénieuse. Mais, il faudrait maintenant tourner la page, et que notre brillant pays redevienne une terre de libertés, explique cette tribune.


Le 23 janvier 2020, la Chine ouvre la voie au monde entier : elle acte le confinement et la mise en quarantaine de la population de la région de Wuhan ! Cette décision justifiée par le principe d’efficacité contre le virus a fait entrer le monde dans une nouvelle ère où l’efficacité des politiques publiques prime sur la sanctuarisation des libertés publiques. Seulement, le modèle français est pris en étau à cause de l’Absurdistan, qui prive le pays d’efficacité tout en bridant les libertés.

Lille, mars 2021 © Michel Spingler/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22550164_000047

L’État stratège est devenu l’État absurde

La crise sanitaire est parfaite pour un État stratège gaullien. En effet, assurer une campagne vaccinale, confiner ou déconfiner méthodiquement une population région par région, correspondent aux trois qualités de l’État stratège gaullien. Premièrement, la vision et la capacité à fixer un cap permettent de dégager rapidement un objectif de guerre qui dans le cadre d’une pandémie est « le confinement du virus » pour envisager une sortie de crise. Deuxièmement, la planification permet de séquencer les objectifs, et les ressources allouées pour y parvenir, ce qui est utile pour lutter contre un virus qui mute. Enfin, l’appui par des relais au niveau des corps intermédiaires permet d’appuyer la prise de décision en construisant un consensus.

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Seulement, l’État stratège est devenu l’État absurde. L’Absurdistan est un modèle où la bureaucratie et la technostructure prennent le pas sur le bon sens et la liberté au nom d’une supposée connaissance éclairée par l’expertise. Il en résulte des décisions absurdes et surtout des injonctions contradictoires pour les Français. Qui ne se souvient pas des attestations de sortie aux motifs kafkaïens, des amendes pour un masque mal ajusté alors que le port du masque était jugé inutile au début de la crise, ou des débats sans fin sur la jauge exacte d’un rassemblement ? Ces absurdités ont révélé une bureaucratie déconnectée et qui cherche à ce que le terrain corresponde à son imaginaire plutôt que l’inverse.

Une France désormais paralysée par l’Absurdistan

L’Absurdistan étouffe les Français. Il s’est construit sur deux logiques : une suractivité législative et réglementaire et une démultiplication d’organes administratifs indépendants producteurs de normes. Sur le premier aspect, le secteur de la santé est l’un des champions de la « réforme ». En effet, depuis l’an 2000, le Code de la santé publique a été révisé 84 fois par une loi ou une ordonnance, soit près d’une fois par trimestre ! Sur le second point, le monde de la santé étouffe par la multiplication des agences administratives (HAS, ANAP, ANS, etc.) dont les périmètres sont proches sans compter les ARS. Tous se sont illustrés lors de la crise sanitaire, puis pendant l’après-Covid. Ainsi, l’administration reste tentée par le contrôle tatillon et les politiques par des solutions simplistes.

Pire, l’Absurdistan est fort avec les faibles et faible avec les forts. Lors de la crise sanitaire, il a été capable de multiplier les PV, les amendes et les Cerfa contre les citoyens, mais n’a pas été capable de faire respecter l’état d’urgence sanitaire auprès des voyous et délinquants dans les quartiers populaires, notamment à partir du deuxième confinement. Ainsi, cinq ans plus tard, des traces de cet Absurdistan persistent. Les Français habitués à une certaine idée de la liberté – celle des Lumières, de la Révolution, de la Résistance – se retrouvent encore englués dans un système où les règles absurdes priment sur la raison. Aujourd’hui, des secteurs entiers – restauration, culture, petites entreprises – peinent encore à se relever, tandis que l’État multiplie les normes et les taxes, comme si la crise n’avait jamais eu lieu.

La France doit abandonner l’Absurdistan pour renouer avec la liberté

Cinq ans plus tard, alors que la pandémie n’est plus qu’un souvenir lointain, il est temps de tirer les leçons de cette période et de rompre avec cet héritage absurde. La France doit profiter de cette nouvelle ère pour entériner le retrait de l’État absurde pour retrouver son souffle, celui d’une nation qui place les libertés individuelles et collectives au cœur de son projet. Renouer avec la liberté n’est pas nier les leçons du Covid-19. Oui, une crise sanitaire peut exiger des mesures collectives. Oui, la science doit guider nos choix. Mais ces impératifs ne justifient pas un abandon durable de nos principes de liberté. Cela suppose de faire confiance aux citoyens, de les responsabiliser plutôt que de les infantiliser.

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Concrètement, cela passe par plusieurs chantiers. D’abord, alléger le poids d’une bureaucratie qui étouffe l’initiative individuelle. Ensuite, garantir que les mesures d’urgence restent exceptionnelles, encadrées et proportionnées. Enfin, réhabiliter le débat public, trop souvent remplacé par des injonctions venues d’en haut par un prétendu « cercle de la raison ». Cela nécessite une nouvelle incarnation. C’est pourquoi les offres politiques qui fonctionnent sont actuellement celles des populismes de droite (MM. Trump et Milei, Mme Meloni). En effet, ils ciblent l’Absurdistan (on pense au DOGE d’Elon Musk) pour préserver les libertés publiques (liberté d’expression, de mobilité, d’entreprendre), non pas dans une lecture individualiste mais dans le cadre d’un projet collectif (faire gagner les Américains en tant que nation, par exemple).

La raison est rarement là on l’on pense qu’elle est. La France a les ressources pour tourner la page de l’Absurdistan : une histoire riche, une culture de la liberté, un peuple capable de se relever. Mais cela exige un sursaut, une volonté politique et citoyenne de dire non à l’absurde et oui à la raison. Abandonnons donc l’Absurdistan et ses chimères pour retrouver le goût de la liberté, celle qui inspire, qui unit, et qui fait de la France une lumière dans le monde.


Matthieu Hocque, directeur adjoint des Études du Millénaire, spécialiste des politiques publiques, co-auteur du rapport « Quel modèle démocratique post-Covid ? »

Denis Nicolaï, analyste au Millénaire, co-auteur du rapport « Quel modèle démocratique post-Covid ? »

Papa ne s’est pas laissé faire: la leçon du rabbin d’Orléans à son fils

Il a dit : “Est-ce que vous êtes juifs ?”, puis il a craché. Le rabbin d’Orléans, Arié Engelberg, a été violemment agressé en pleine rue samedi après-midi alors qu’il rentrait chez lui avec son fils de neuf ans. La garde à vue du suspect, un mineur âgé de 16 ans, a été prolongée. La haine des juifs est le trait d’union de l’islamo-gauchisme, rappelle notre directrice de la rédaction dans sa chronique.


Emmanuel Macron dénonce le poison de l’antisémitisme. C’était un week-end ordinaire en France. Samedi, Arié Engelberg, le rabbin d’Orléans revenait de la synagogue avec son fils de 9 ans. Il est alors agressé, frappé et mordu par un individu qui hurle que tous les juifs sont des « fils de pute » et profère des insultes en arabe. Au même moment, quelques milliers de gauchistes (ils n’étaient finalement pas bien nombreux) défilaient contre le racisme. Une manifestation à laquelle il avait été appelé à participer avec une affiche proprement nazie. Dans le défilé parisien, quand un courageux (ou un inconscient) brandit la photo du bébé Kfir Bibas assassiné par le Hamas avant son premier anniversaire, Mathilde Panot l’ignore et Danièle Obono l’enjoint à aller le dire à Netanyahou. Un bébé assassiné parce qu’il est juif n’intéresse pas ces antiracistes. Leur seule cible, le coupable de tous les maux, c’est Israël, Etat qualifié de « génocidaire » (ils se moquent bien du 7-Octobre qui a déclenché cette guerre ou des massacres d’Assad et consorts). Par association, les juifs sont les nouveaux nazis. Donc, l’antisémitisme est un devoir.

Sales sionistes !

Je reviens d’Israël. Habituellement quand mes amis ou ma famille s’inquiètent pour moi, je rigole. En France on n’a pas le Hamas au sud et le Hezbollah au nord, c’est vrai. Mais, il y a tout de même un antisémitisme d’atmosphère décomplexé et présent à l’école comme à l’Assemblée nationale. Un tiers des enfants refusent d’avoir des relations avec leurs camarades juifs, nous apprend l’IFOP. La haine des juifs est le trait d’union de l’islamo-gauchisme. Le président Macron, qui n’a pas défilé en novembre 2023 pour ne pas froisser les quartiers, dit que nous ne cèderons pas, mais nous avons en réalité déjà cédé.

https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1903760123954090071

La plupart des Français sont certes révulsés par l’agression du rabbin. Saluons d’ailleurs la tribune du Monde[1] signée par Gabriel Attal, David Lisnard, Elisabeth Badinter, François Hollande, Aurore Bergé, Anne Hidalgo et beaucoup d’autres qui explique que l’antisionisme est le paravent de l’antisémitisme. Le texte cite Jankélévitch qui disait que «l’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission d’être antisémite au nom de la démocratie ». La prise de conscience de tous ces signataires – notamment de gauche – est évidemment salutaire. Elle serait encore plus convaincante si plusieurs d’entre eux n’appartenaient pas à un parti qui a pactisé avec ce que Mme Badinter appelle désormais sans plus prendre de gants un parti antisémite. Admettons qu’on ne les y reprendra pas…

Un enjeu beaucoup plus large

Il y a aussi une autre raison d’espérer. Arié Engelberg s’est défendu. Après l’agression, il a dit à son fils « Papa ne s’est pas laissé faire ». Parfois, il faut combattre l’antisémitisme à coups de poings plutôt que de proclamations.

Et pour finir, j’ai envie de dire à tous ces Français qui comme le dit un personnage de Houellebecq, n’ont pas d’Israël, pas de « patrie de rechange » si les choses tournent mal, et à tous ceux qui pensent que ça ne les concerne pas : aujourd’hui, c’est les juifs, demain ce sera eux. Parce que trop blancs, trop assimilés, trop chrétiens ou trop français. L’enjeu, ce n’est pas le sort des juifs. C’est l’avenir de la France.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/03/21/pour-que-l-antisionisme-ne-serve-plus-de-pretexte-a-l-antisemitisme_6584276_3232.html

Bruno Retailleau à l’heure des premiers doutes

Le ministre de l’Intérieur, chouchou de la droite conservatrice, essuie ses premières critiques. Notre chroniqueur voit dans ce torpillage en règle qui provient de toutes parts le signe qu’il est en réalité sur le bon cap…


Ce moment politique, je savais qu’il arriverait. Cette heure où après l’enthousiasme surviendrait, inéluctable, la désillusion politique et médiatique. Où après avoir suscité un immense espoir, pas seulement à droite, Bruno Retailleau aurait, paraît-il, « une stratégie qui sème le doute » et que ce serait « la fin de l’état de grâce » : comme si à un quelconque moment il avait eu le temps et le narcissisme de la goûter ! Ce qui me rassure, sans paradoxe, c’est qu’il est attaqué de toutes parts. Quel meilleur signe pour démontrer qu’il pense et agit juste ! Qu’il soit honteusement stigmatisé comme « raciste » sur une affiche LFI apporte une justification supplémentaire à sa défense.

L’heure des premiers comptes

Il convient de distinguer les critiques de bonne foi des hostilités tactiques, partisanes et personnelles. Pour les premières, elles tournent peu ou prou autour du fait que le ministre de l’Intérieur obtiendrait peu de résultats, qu’il serait, comme tant d’autres ministres, un adepte du verbe et que, pour l’Algérie, sa méthode de durcissement serait contre-productive. Bruno Retailleau n’a pas besoin de moi pour faire justice de ces allégations. Autour de lui, une équipe soudée sait comme elles sont imméritées.

D’abord un certain nombre d’évaluations établissent, pour ce qui relève strictement de son pouvoir, un progrès dans l’action régalienne et l’activité policière. Les choses bougent lentement mais elles bougent. Rappelons que M. Retailleau n’est pas seul. Il s’inscrit dans un processus où l’État de droit, les recours, la vie parlementaire, rendent souvent impossibles les réformes pourtant les plus nécessaires. Il est normal qu’on attende beaucoup de lui, encore faut-il prendre la mesure de tout ce qui le ligote.

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Quant à sa volonté de répondre aux humiliations répétitives que fait subir l’Algérie à la France – sans évoquer la terrible angoisse sur le futur de Boualem Sansal -, sa politique de riposte graduée est approuvée par une forte majorité de Français, mais elle est limitée par la retenue présidentielle. On perçoit bien la différence de stratégie entre Emmanuel Macron et Bruno Retailleau. En espérant que le premier ne vise pas seulement à entraver l’énergie déterminée du second…

Là où Retailleau, pour vaincre Alger, hiérarchise ses menaces, le président flatte pour amadouer : il compte sur la « clairvoyance » du président Tebboune. En tout cas, personne ne peut contester que place Beauvau, tout en ne sortant jamais de son rôle, on accomplisse tout pour sauvegarder l’honneur de la France… Une exigence dont les candidats devront mesurer toute la portée lors de la campagne en 2027.

Macron, seul « interlocuteur légitime » des Algériens

La démarche d’Emmanuel Macron paraît validée par le président algérien qui affirme qu’il est son seul interlocuteur légitime – une pierre de plus contre Bruno Retailleau – , minimise le problème des OQTF et ne répond rien sur Boualem Sansal. On se contentera de peu et on interprétera cela comme une amorce d’apaisement.

Derrière ces discussions admissibles – Bruno Retailleau est le premier à regretter cette règle fatale de la vie politique, qui empêche souvent le nécessaire de devenir possible -, il y a une fronde aigre, jalouse et vindicative à son encontre.

De la part de ses adversaires, rien de plus normal. Il est détesté par une grande part de la gauche et de l’extrême gauche, parce qu’il a cessé cette perversion d’une droite copie conforme de ceux qui la combattent. Mais il suscite toutefois des adhésions hors de son propre camp…

Affiche de LFI. Le parti de Jean-Luc Mélenchon organisait des marches samedi en France contre « l’extrème droite ». DR.

Dans sa propre famille largement entendue, c’est anormal, c’est un poison. Il est l’objet de polémiques, de controverses, de dérision, de contradictions aberrantes, de sous-estimation systématique de ce qu’il a insufflé, d’un refus permanent de considérer qu’après Nicolas Sarkozy (même si son mandat n’a pas été à la hauteur de sa formidable campagne de 2007), Bruno Retailleau est le seul ayant enfin redonné à la vraie droite sa fierté.

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Si au mois de mai Laurent Wauquiez – il mène une campagne à fond – bénéficie de ses coups fourrés, manœuvres et propos ambigus à l’encontre de Bruno Retailleau en devenant président de la droite républicaine, il est clair qu’on aura perdu beaucoup et qu’aucun lot de consolation ne comblera cette déception.

Je voudrais insister sur le caractère et le comportement de Bruno Retailleau. Je n’ai jamais dérogé à cette obsession de la tenue des politiques, de l’exemplarité de leur attitude (privée et publique, la première n’étant jamais sans effet sur la seconde) et de leur éthique irréprochable. On n’a jamais, sur ce plan, mis en cause Bruno Retailleau. C’est un élément fondamental dans mon adhésion à cette nouvelle droite. Elle ne noiera pas les valeurs de la morale publique dans les remous sales du pouvoir. L’intégrité d’un Bruno Retailleau, voire son austérité (L’Express) remettent la République à sa bonne place, contre la peopolisation ridicule ou dégradante de pratiques politiques indignes de l’espérance des citoyens, même au plus haut niveau. C’est parce qu’il est décrié qu’il faut absolument se tenir à ses côtés. Le soutenir. Se battre pour ce qu’il incarne et représente. Sinon, pour la droite qui lui doit déjà beaucoup, le destin ne repassera pas les plats !

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Marche antifasciste du 22, peu de monde. Dommage !

Près de 91 000 personnes ont défilé en France samedi contre le racisme et l’extrême droite, selon la police. Le parti de Jean-Luc Mélenchon s’était vu reprocher la diffusion d’une affiche critiquée pour des accents antisémites, qui avait suscité l’indignation de… SOS Racisme. Malgré un mea culpa partiel de certains élus, cette controverse a renforcé l’isolement de LFI au sein de la gauche, qui outre cette communication jugée calamiteuse se voit aussi reprocher un manque de prise en compte explicite de la lutte contre l’antisémitisme.


Oui, peu de monde s’il s’agit véritablement de lutter contre un si grand péril.

Cependant, de mon point de vue, ces messieurs z’et dames devraient continuer, prolonger le noble effort. Ils devraient reconduire ces marches de samedi en samedi partout en France et par tous les temps. En aboyant leur révolte de pacotille, en brandissant leurs pancartes ineptes. Oui, marcher sans faiblir, par les boulevards, les places, les rues et les venelles. Car à chaque mètre de parcours franchi, à chaque vocifération lancée ils ne font en réalité que contribuer à éveiller et doper ce qui fait depuis toujours la première force, la première vertu de l’esprit français, le Bon Sens. (Le Bon Sens n’a pas encore de monument ou de temple en France, il faudra y penser.)

Plus ils marcheront, plus ils brailleront et plus ils assureront la promotion de ce qu’ils prétendent combattre. De ce fait, leurs cortèges, leurs criaillements ne sont pas en réalité des marches et des chœurs contre la droite – extrême ou non – mais tout au contraire pour la droite, ce territoire idéologique qui, ces dernières années, prospère continument pour la simple et bonne raison que c’est là que s’est réfugié et réside désormais le Bon Sens à la française. Là est bel et bien, en effet, l’explication première du phénomène.

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Ce bon sens, la lucidité salutaire qui, contre vents et marées, invite et engage à voir le réel tel qu’il est et à rejeter, in fine, les postures morales et les impostures mentales qui ne visent qu’à tromper les populations, à leur faire prendre des vessies pour des lanternes…

Ici même Céline Pina a excellemment mis en exergue le fatras de contradictions que ces marionnettes déambulantes véhiculent.        

Outre celles-ci, une des plus jubilatoires est bien, en effet, que ces résistants-héros du samedi après-midi n’aboutissent qu’à promouvoir et fertiliser ce qu’ils exècrent et vouent au bûcher… Et qui, pourtant, à la fin des fins, les sauvera. Car – pour s’en tenir à seulement deux cas – particulièrement parlants, il est vrai – si les inspirateurs islamistes de ces mouvements, bref ceux qui tirent en vrai les ficelles accédaient aux commandes, il est bien clair qu’aucun des livres d’Annie Ernaux (je les ai tous lus), aucun des sketchs de Blanche Gardin (je pense qu’aucun ne m’aura échappé – ou que je n’aurai échappé à aucun, au choix…) n’y survivraient. Au bout de leur marche, en réalité, pour l’une et l’autre – et pour tant d’autres à leurs côtés – c’est leur propre bûcher qui les attend. Et, voyez-vous, ça ne me fait même pas rire…

Cela dit, à vous de voir, camarades. Mais en attendant, marchez et marchez encore. Le Bon Sens vous en saura gré.

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Mark Carney, magistral stratège politique

Élections fédérales : les Canadiens se rendront donc aux urnes le 28 avril prochain. Mark Carney sollicite un mandat « fort » des électeurs et sera notamment opposé à Pierre Poilievre pour le Parti conservateur et Yves-François Blanchet du Bloc québécois


Ce sont les circonstances qui mettent un homme providentiel au pouvoir, jamais des élections.
Georges Wolinski (Les pensées).


Comme prévu, le nouveau Premier ministre canadien libéral convoque les élections fédérales ce dimanche 23 mars 2025; il échappe donc à l’application de la Loi sur les conflits d’intérêts. « El banquero » l’emportera-t-il face au teigneux petit roquet Pierre Poilièvre, chef du parti conservateur du Canada, en lui piquant son programme?

Plantons le décor.

Le Canada est (un pays? État? nation? territoire?) bilingue. Un peu d’histoire, en vrac.

En 1890, le gouvernement du Manitoba, possible inspiration de Donald Trump, défia ouvertement la justice en imposant illégalement l’unilinguisme anglais (l’égalité du français ne fut officiellement rétablie qu’en 1982, alors que la francophonie manitobaine était devenue une simple pièce de musée, comptant moins que les Doukhobors et les Circassiens, multiculturalisme trudeauesque oblige). En 2006 et en 2011, des unilingues anglophones sont nommés à la Cour suprême du Canada : la connaissance du français n’était pas une « compétence » pertinente selon le ministère de la justice; un ancien juge de la haute juridiction précisait d’ailleurs que les magistrats unilingues pouvaient se fier à un excellent service de traduction et d’interprétariat; et qui était mieux placé pour l’encenser qu’un juriste lui-même unilingue?

On suivait ainsi le modèle judiciaire camerounais.

(Incidemment, tous les heureux élus avaient promis d’apprendre le français, quoique les résultats se font attendre. Quelle surprise. Mais quelle importance?)

Est particulièrement savoureux le refus de la Cour suprême de respecter la Loi sur les langues officielles, et de faire traduire les arrêts antérieurs à 1969 rédigés uniquement en anglais. L’opération serait trop coûteuse et, de toute manière, « l’intérêt juridique de ces décisions-là, historiques, est très minime ».

Dixit le juge en chef Richard Wagner. Texto.

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Le justiciable lambda aurait pensé que chaque phrase, chaque mot, chaque virgule de la Cour valait son pesant de caramels mous, mais quelle belle leçon de modestie bien canadienne. Cela dit, tout juge en chef qu’il fût, il a alors fait preuve d’une regrettable outrecuidance car il n’avait aucune autorité pour faire une telle affirmation : que cela lui plaise ou non, c’est à chaque plaideur qu’il appartient de déterminer, de prime abord, la pertinence de n’importe quelle jurisprudence. Le juge en chef n’a rien d’un Esmein, ni d’un Maitland. De toute manière, pour échapper à toute possibilité de poursuite, la haute juridiction a tout simplement retiré de son site web tous ces arrêts… La solution était simple, mais il fallait de grands oracles du droit canadien pour y penser. Et nul n’est censé ignorer la loi dans un Etat de droit, dit-on.

Rappelons la nomination de la gouverneure générale du Canada et de la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick unilingues par Justin « Blackface » Trudeau.

En matière d’administration publique, les deux langues officielles sont l’anglais et le français… Rectification, le français est la langue officielle de traduction.

Concrètement, sauf exceptions, les administrations fédérales pensent, parlent et fonctionnent en anglais, et les gestionnaires, sauf exceptions (il n’y a pas que des rednecks dans la fonction publique), se moquent comme d’une guigne du français, mais… ils doivent respecter la… lettre de la loi sur les langues officielles; les documents sont donc traduits en français. S’il y a urgence, notamment lorsque le responsable du dossier termine son texte à la dernière minute, ce qui est fréquent, il le balance fissa à son érudite secrétaire franco-ontarienne avec cette directive : « type it in French » en v.o. (« tapez-moi ça en français » en v.f.) et elle a trois jours pour traduire 10 000 mots (s’il y a 20 000 mots, on saucissonne le texte parmi trois ou quatre secrétaires, bonjour l’uniformité). Lorsque le temps presse moins, ladite secrétaire transmet (avec la même directive), le fruit écrit de ces cogitations au « Bureau de la translation », en v.o (Bureau de la traduction, en v.f.) où le travail peut être effectué avec un peu plus de minutie. Bilinguisme en sens unique, mais il n’y a rien d’autre.

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Et voilà Mark Carney qui vient d’entrer en scène.

Or, il y a trois jours, son ministre des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada, Ali Ehsassi, dont relève le Bureau de la traduction, annonce la diminution de son budget et l’abolition de 339 postes au cours des cinq prochaines années, soit le quart des effectifs. Mais que les francophones (du pays? de l’Etat? de la nation? du territoire?) se rassurent : le Bureau de la traduction tient compte des avancées technologiques et de la baisse de la demande en traduction (ah oui ?) pour orienter ses prévisions.

Apparemment, le ministre Ehsassi ignore que le mirage de la traduction informatisée censée rendre possible la traduction des lois du Manitoba et de la Saskatchewan a donné lieu aux sables mouvants des scandales financiers dans les années 1980-1990. Mais peut-être, tel Aladin, dispose-t-il d’une lampe merveilleuse d’où sort un génie traducteur lorsqu’il la frotte.

De toute manière, voilà un argument de campagne imparable pour les électeurs québécois qui apprécieront la pensée magique du ministre et son sens du moment historique.

Par ailleurs, Carney recrute, parmi ses candidats vedettes, un ex-journaliste de la « Canadian Broadcasting Corporation » (pendant anglophone de « Radio-Canada »), Evan Solomon, viré il y a quelques années pour cause de…conflit d’intérêt (eh oui…) : il avait joué le rôle d’intermédiaire pour la vente d’œuvres d’art à un « bon client », à savoir, devinez qui ? Et oui, « the one and only » (« le seul et unique » en v.f.) Mark Joseph Carney, qu’il avait interviouvé par le passé.

Quant à Yves-François Blanchet, chef du bloc québécois, (parti indépendantiste représenté au parlement fédéral), il a choisi son slogan : « Je choisis le Québec ».

Pour l’électeur québécois laïciste, les enjeux sont clairs.

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Lyrique: Dante & Dusapin, c’est du lourd!

La Divine Comédie de Dante semble résister à toute adaptation. Pascal Dusapin relève le défi !


Quoi de moins opératique, a priori, que Dante ? La Divine comédie, immense poème ésotérique, épopée composite, transcrite, diffusée, traduite au fil des siècles dans toutes les langues de la terre, se prête difficilement, et c’est peu dire, à une transposition sous forme de livret. C’est pourtant à l’œuvre intimidante du génial Florentin que s’attaque Pascal Dusapin dans Il viaggio, Dante, traversée lyrique qui s’agrège également La Vita nova et La Commedia, aux deux extrémités biographiques de l’aède médiéval (1265-67/1321).

Difficile d’accès

Créé au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2022, le spectacle est repris à l’Opéra-Bastille, jusqu’ au 6 avril prochain.  Sous les auspices de l’écrivain, poète et traducteur Frédéric Boyer, (en outre actuel directeur des éditions P.O.L) associé déjà par le passé au compositeur contemporain pour l’opéra Macbeth Underworld en 2019, le présent « opéra  en un prologue et sept tableaux » chemine donc dans ce monument vertigineux, pèlerinage dont les stations prennent nom ici :  Le départ, Chant de deuil, les Limbes, Les Cercles de l’enfer, Sortir du noir, Purgatoire, Le Paradis

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Il revient à Claus Guth, metteur en scène infiniment talentueux de donner chair à ce corpus passablement abstrait et difficile d’accès. (Hasard du calendrier, l’Opéra-Comique  reprenait, presque concurremment, la production aixoise de Samson, superbe « réinvention » d’une œuvre oubliée de Rameau). A l’enseigne de Dante, sous les ors du Palais Garnier, le rideau blanc, rigide et plissé qui ferme le plateau dans toute sa largeur se lève sur une sorte de cabinet de travail simplement meublé dans le goût XIXème, pièce percée d’une fenêtre dont les jalousies ouvrent sur la clarté du jour. Au mur, à côté de la table de travail, se reconnaît, encadré, le tableau de Botticelli qui dépeint L’Enfer tel un entonnoir où tournoient les âmes damnées…  Là, un Dante agonisant, costume noir, chemise blanche maculée de sang, revisite en pensée son amour pour Béatrice, voyageant à la recherche de ses souvenirs enfouis. Il est redoublé par la figure du « Giovane Dante » qu’il fut, grimé en jeune homme par une voix de mezzo. Les parois s’écartent bientôt, pour déployer en vidéo (signée Roland Horvath) sur grand écran en fond de scène, l’accident de voiture  qui, dans un nocturne paysage sylvestre, a supposément ravi Béatrice au poète… Les cercles de l’enfer développent leurs arcanes, figurées par les tonalités verdâtres d’un décor qui convoque toutes sortes de réminiscences, dont celles, incidemment, des univers propres à Lynch ou à Cronenberg (cf. le film Crash)…

IL VIAGGIO DANTE Opéra de Paris.

Tableaux oppressants

Sept tableaux hallucinés, donc, pour porter cette œuvre lyrique qui tient plus de l’oratorio que de l’opéra, sous la baguette de l’émérite maestro américain Kent Nagano. Il dirige avec le brio, la netteté qu’on lui connaît cette partition aride, angoissée, qui associe les chœurs (dans la fosse) à une orchestration où orgue, percussions (très présentes), voire  harmonica de verre et dispositif électroacoustique se combinent aux instruments traditionnels d’une formation classique, pour former une texture dense, oppressante, monodique, transpercée de citations mélodiques où transparaissent tout aussi bien telle phrase évoquant Puccini que tel morceau grégorien.. C’est donc sur ce spectre expressif éclectique, tonnant, privilégiant le registre grave, que montent les voix alternées du vieux Dante – le baryton Bo Skovhus – , de Béatrice – la soprano Jennifer France -, de la sainte Lucie – Danae Kontora – , de Virgile – la basse américaine David Leigh… Vocalement, la part la plus belle du spectacle revient sans aucun doute au jeune Dante, campé en travesti par la jeune mezzo allemande Christel Loetzsch, qu’on découvre sur la scène parisienne. Ses tourments se fichent en nous comme autant de flèches.  

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On se souvient qu’à Pascal Dusapin le président Macron passait commande, en 2020, d’une œuvre – In Nomine Lucis –  pour célébrer l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix. À 69 ans, Dusapin ne serait-il pas devenu, en quelque sorte, le compositeur officiel de la République française ? En tout cas, Dusapin à l’enseigne de Dante, c’est encore du lourd !     


Il viaggio, Dante. Opéra de Pascal Dusapin. Avec Bo Skovhus, David Leigh, Christel Loetzsch, Jennifer France, Danae Kontora, Dominique Visse et Giaccomo Prestia (narrateur). Direction : Kent Nagano. Mise en scène : Claus Guth. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 2h
Palais Garnier, les 26, 28 mars, 3 et 9 avril à 20h. Le 6 avril à 14h30.      

Lovecraft et ses mondes fantastiques en Pléiade…

Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), natif de Providence, maître du fantastique et de l’horreur, vient de faire son entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade, chez Gallimard, dans des traductions nouvelles.


Ce sont vingt-neuf histoires (ou tales en anglais) qui ont été sélectionnées, et sont proposées dans l’ordre chronologique de leur rédaction, de 1917 à 1935. Le choix s’est porté sur les meilleures ou les plus fameuses, comme « L’Appel de Cthulhu » ou « Les Rats dans les murs ». Les textes de Lovecraft, qui n’a jamais écrit de roman, s’inscrivent dans le genre de la nouvelle, ou, en anglais, novelette, parfois novella pour les plus longs. Ils ont tous paru dans des pulp magazines bon marché etpopulaires comme Weird Tales, le mot « weird » signifiant étrange ou bizarre (« supernatural »,indique pour synonyme mon dictionnaire d’Oxford, autrement dit en français : surnaturel). Néanmoins, l’œuvre weird de Lovecraft, élitiste convaincu, conserve une valeur avant-gardiste indiscutable.

Un univers morbide et décadent

Je me souviens avoir essayé de le lire lorsque j’étais adolescent. Mais je n’étais pas pleinement entré dans cet univers morbide et décadent, bien que les personnages extravagants peints par Lovecraft eussent dû s’accorder avec mes fantasmes d’alors. Je découvris ces quelques histoires dans un ou deux volumes en poche, trouvés dans la bibliothèque familiale, mais ils ne me laissèrent pas un souvenir impérissable, comme « Le Cas de Charles Dexter Ward ». Cette nouvelle édition vient donc fort à propos pour réévaluer un auteur maudit, dans tous les sens du terme. L’appareil critique propre à la collection de la Pléiade nous y aiderait peut-être. Il y a une introduction assez intéressante, que l’on doit à Laurent Folliot. On sent qu’il connaît par cœur l’œuvre de Lovecraft, mais il a une curieuse tendance à en énumérer les défauts. Ainsi, à propos du style lovecraftien, il écrit : « Un style dont il est vrai qu’avec sa débauche d’adjectifs, ses intensifieurs omniprésents, ses tics lexicaux, il se prête notoirement à la parodie, et auquel les jugements sévères n’ont pas manqué dès les premiers temps de sa réception auprès du grand public (Edmund Wilson, Borges entre autres). » Je ne savais pas qu’Emund Wilson et Borges, « entre autres », faisaient spécialement partie du « grand public ». Néanmoins, et à part ses redites, c’est une introduction très fournie, même si, bien sûr, il faudra au lecteur, grand public ou non, revenir en priorité au texte même de Lovecraft.

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La qualité littéraire de Lovecraft

C’est donc ce que j’ai fait et, je dois dire, avec un grand plaisir. Je ne suis plus l’adolescent inexpérimenté de 1979, et j’ai été frappé désormais par la qualité littéraire de Lovecraft. Il m’a suffi de relire un ou deux contes, pour être d’accord avec la fascination qu’il inspire par exemple à Michel Houellebecq. Dans son livre sur Lovecraft, intitulé Contre le monde, contre la vie, Houellebecq admet : « Nous sommes là à un moment où l’extrême acuité de la perception sensorielle est tout près de provoquer un basculement dans la perception philosophique du monde ; autrement dit, nous sommes là dans la poésie. » (Préface de 1998). Il ne faut pas oublier que Lovecraft est un contemporain des surréalistes. L’air du temps a agi sur lui comme sur eux, d’une manière, à suivre Houellebecq, pas si différente que ça dans l’un ou l’autre cas. Je laisse le lecteur en juger.

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Des ruminations fin de siècle

Lors de mes premières lectures, dans les années 70, je ne sais plus si j’avais lu « La Clef d’argent », ce conte de Lovecraft nourri de l’influence de Poe et des écrivains décadents. C’est dans ces ruminations fin de siècle que Lovecraft a toujours excellé, il me semble. Lovecraft s’y inspire aussi de sa propre vie et de ses névroses d’écrivain solitaire. En même temps, il y exprime sa nostalgie de l’enfance. Le personnage principal en est un certain Randolph Carter. Voici comment nous le présente Laurent Folliot : « Au culte du réel, Carter tente enfin de substituer, dans une veine décadentiste, celui du bizarre et de l’ésotérisme. » Se révèlent à lui, notamment par l’entremise de ses rêves, toute une série d’autres mondes qu’il finit par faire siens au détriment de la vraie vie. Tout l’art de Lovecraft est dans la manière de nous raconter ce voyage dans les limbes, mais comme s’il s’agissait d’une histoire réaliste, c’est-à-dire avec le moins possible d’effets artificiels.

Lovecraft est un écrivain nécessaire. Ses textes, malgré leurs défauts sur lesquels on aura avantage à passer, possèdent un véritable élan qui transporte le lecteur hors de sa zone de confort habituel. Ses admirateurs s’y délectent d’un imaginaire grandiose, à base de mythologies perdues comme celle de Cthulhu, monstre abject définitivement associé au nom de Lovecraft. Aujourd’hui, grâce à cette formidable Pléiade, je refais connaissance avec Cthulhu et autres « Great Old Ones » (les « Grands Anciens »), et mon verdict est sans appel : « Lisez Lovecraft ! »

H. P. Lovecraft, Récits. Introduction par Laurent Folliot. Édition publiée sous la direction de Philippe Jaworski. Éd. Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 1408 pages.

Récits

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Michel Houellebecq, H.P. Lovecraft, Contre le monde, contre la vie. Avec une introduction de Stephen King. Éd. du Rocher, 2005.

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Bouches cousues

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Emilio, jeune artiste romain, assistant peintre, se retrouve plongé au cœur de nombreuses enquêtes suite à des crimes commis afin de dissuader le Roi Soleil de s’installer à Versailles. Une histoire captivante qui retrace les débuts de la police moderne, de la cour de Louis XIV jusqu’au pire quartier de la capitale.


Jacques Forgeas ne m’est pas inconnu. Le roman de Philippe Sollers, Une curieuse solitude, a été adapté à la télévision sous le titre Un jeune français. Le scénario et les dialogues étaient de Forgeas. Les lecteurs fidèles de Causeur savent que j’ai longtemps fréquenté l’auteur de Femmes. À chaque fois que l’occasion m’est donnée, j’évoque l’écrivain. Je suis gâté en ce moment car je lis le nouveau livre de Jean-Paul Enthoven, Je me retournerai souvent, dont je parlerai lors d’un prochain article, où il est question de Sollers. Mais revenons à Jacques Forgeas qui publie Les fantômes de Versailles, un polar épatant se déroulant en l’an 1673.

Crime sordide

Versailles n’est pas encore Versailles. Il y a davantage de marécages et de bois que de beaux jardins dessinés par Le Nôtre. S’exiler de Paris et construire un extraordinaire château ruineux fait grincer les dents de la noblesse et de la bourgeoisie réunies. Mais Louis XIV est un grand monarque qui voit grand. Il veut s’installer à Versailles et personne ne pourra s’y opposer.

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Le lieutenant général de police du Roi Soleil l’a bien compris. C’est une sorte de Maigret en perruque et bas de soie qui apprécie le canard rôti accompagné de navets. Mais un crime sordide va bouleverser à la fois les méthodes d’investigation de la police et les médecins légistes. Le foie des victimes va délivrer ses secrets. Crime sordide, donc, d’une jeune femme assassinée sauvagement dans une rue de Paris à peine éclairée où prospèrent les rats – les détails sont précis, jamais anachroniques – à qui on a cousu la gourmande bouche. Cousue avec un fil de soie. Les inspecteurs Laruche et Torsac mènent l’enquête qui va réserver de nombreux rebondissements. Les crimes se succèdent et conduisent aux arcanes de la politique. C’est encore l’époque des poisons et celle de la guerre avec la Hollande. C’est également la période où Colbert est tout-puissant et contrôle une police secrète redoutable. Ajoutons à ce tableau, décrit avec brio par Forgeas – on voit qu’il est scénariste –, l’évocation de la duchesse de La Vallière, évincée par la nouvelle maîtresse du roi, la redoutable et jalouse Montespan. La Vallière s’apprête à entrer au couvent. Mais le roi exige du peintre Mignard de l’immortaliser. Comment va-t-il la représenter ? Le tableau mérite un décryptage, d’autant plus qu’intervient un jeune artiste romain, Emilio, amant de la comtesse de Cruissan. L’artiste est visiblement très doué, surtout pour dessiner les jeunes mortes aux bouches cousues. Il devient l’indic’ des services de La Reynie. Ce dernier, à l’intuition redoutable, veut connaître, sur les ordres royaux, les détails picturaux constituant le portrait de la femme mise au placard.

Réflexion sur l’art

Jacques Forgeas nous tient en haleine jusqu’au bout. Les dialogues sont aussi efficaces que ceux produits par les laboratoires hollywoodiens. Cela signifie qu’il n’y aucun remplissage psychologico-sociologique qui désespère le lecteur au bout de deux chapitres. Il y a, en revanche, une réflexion captivante sur l’art, avec un clin d’œil appuyé à Giotto. « Giotto, vois-tu, est l’inaccessible », dit Mignard à Emilio. L’artiste florentin est très au-dessus des espions, mouchards, sbires, de tous ces hommes sans existence totalement hors-la-loi, surnommés « les fantômes de Versailles. »

Jacques Forgeas, Les fantômes de Versailles, Albin Michel, 448p.

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« Black dog », de Guan Hu : demain, les chiens ?

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Notre chroniqueur est un mauvais Français — en matière de cinéma, au moins. Il ne s’extasie pas devant Anatomie d’une Chute, ne porte pas Omar Sy aux nues, et méprise Le Comte de Monte-Cristo. Mais parlez-lui d’un film chinois ou coréen, et il s’extasie volontiers. Ne serait-il pas un peu snob ?


La ville — un gros village à l’échelle chinoise — est sur le déclin, ses immeubles sont vides, son zoo à l’abandon, et le seul gros entrepreneur est un boucher spécialisé dans la viande de serpent. Le paysage à l’entour est désolé — nous sommes sur la frange du désert de Gobi, au nord-ouest, loin de Pékin, Shanghaï et autres vitrines du décollage économique chinois.

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Paysage accablant, sublimement filmé en teintes gris-bleues, où le vent traîne des tumbleweeds, ces boules de broussailles qui roulaient dans les westerns de notre enfance – et de fait, il s’agit bien d’un eastern.

Lang, un homme taciturne (Eddie Peng, habitué des rôles de serial lover, utilisé ici à contre-emploi, n’a pas eu dix lignes de texte à apprendre), ancien cascadeur à moto, incarcéré dix ans pour meurtre, revient chez lui. Mais la ville est envahie de meutes de chiens errants qu’elle cherche à capturer pour s’en débarrasser et faire venir d’hypothétiques investisseurs. On craint en particulier un grand lévrier noir, famélique et soupçonné de porter la rage — mais la rage et la mort suintent des murs, que les tremblements de terre fissurent chaque jour davantage.

Cet homme sans attaches — son père est un alcoolique qui s’est donné pour tâche de nourrir les dernières bêtes du zoo, dont un tigre mélancolique — se prend d’amitié pour cette bête efflanquée qui ressemble exactement à l’Anubis égyptien, dieu des morts. Il récupère sa moto, répare le radio-cassettes obsolète qui diffuse en boucle « Hey you », chanson cafardeuse du Pink Floyd que l’on entendra aussi dans le générique final, erre dans ce paysage de dunes noires, pendant que le pays entier est sommé de s’enthousiasmer pour les Jeux olympiques qui vont commencer. Fichue année 2008, fichu destin.

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C’est d’une beauté sidérante, d’un intérêt constant. Le cafard a cette couleur froide, la mort se déplace à cette allure, les chiens délaissés par les hommes et les hommes abandonnés des dieux ont cet aspect squelettique, désespéré.

Le film est dédié, à la fin, « à ceux qui n’hésitent pas à reprendre la route ». Belle idée — et Lang reprend sa moto pour fuir dans le désert bleuté avec le chiot issu des amours du Black dog, pendant qu’une armée de chiens lui rend hommage. Magnifique. 

Guan Hu est ordinairement un réalisateur de films à grand spectacle — dont aucun n’est sorti en Occident : j’avais parlé en son temps de La Bataille des 800, film de guerre patriotique comme nous ne savons plus les faire. Il a utilisé ici un budget minimaliste (et non, ce n’est pas par manque de moyens que le cinéma est nul, c’est par manque de talent) et monté un film sidérant de beauté maladive, comme les fleurs de Baudelaire. N’importe quel plan est supérieur à la totalité d’un long métrage de Justine Triet, qui ne dépasse jamais le niveau d’un téléfilm du dimanche soir. Courez-y.

Et pendant que je suis dans le cinéma asiatique, allez voir Mickey 17, de Bong Joon Ho (oui, le réalisateur de Parasite). Ne croyez pas les petits jaloux qui vous susurrent que ce chef d’œuvre ne vaut pas un blockbuster américain. J’en ai dit ici tout le bien que j’en pense.

110 minutes.


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Manifestations antiracistes: le piège islamiste

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Khan Younès, dans la bande de Gaza, le 24 mars 2025 © Doaa el-Baz\ apaimages/SIPA

Il faut sans cesse le rappeler: derrière les larmes d’enfants et les ruines de Gaza se cache un projet totalitaire fondé sur la haine et le fanatisme religieux.


Depuis le début de la riposte israélienne aux attaques du Hamas du 7 octobre 2023, de nombreuses manifestations ont éclaté dans plusieurs villes de France et en particulier une manifestation  samedi dernier  qui a mobilisé aux côtés de la France insoumise des partis politiques de gauche et  de nombreuses associations. Officiellement organisées en solidarité avec le peuple palestinien, ces manifestations  ont souvent pris une tournure radicale. Certains slogans scandés dans les cortèges — tels que « Israël assassin » ou « Gaza, Gaza » — traduisent une hostilité marquée envers l’État hébreu, voire une adhésion implicite à des discours islamistes. Ces démonstrations publiques, parfois teintées d’antisémitisme, illustrent une fracture idéologique de plus en plus visible au sein des sociétés occidentales. Dans ce contexte, il est crucial de comprendre les ressorts de la stratégie du Hamas et les effets qu’elle cherche à produire, tant au Proche-Orient que sur le sol européen.

Le cynisme absolu des terroristes palestiniens

Le 7 octobre 2023, le Hamas a perpétré des actes d’une brutalité méthodique et glaçante, mêlant massacres, viols et enlèvements. Ces atrocités, commises non seulement par ses combattants mais aussi par des membres de la société civile enrôlés ou radicalisés – y compris certains employés de l’UNRWA ou des habitants de Gaza – n’étaient pas de simples débordements de violence. Elles étaient stratégiquement calculées. Le Hamas savait pertinemment quelle serait la réponse d’Israël : une riposte militaire massive, implacable, qui ferait payer un prix important à la population gazaouie, hommes, femmes et enfants confondus.

Cette stratégie cynique repose sur un double calcul : d’un côté, militariser l’ensemble du territoire – construire des centaines de kilomètres de tunnels avec les fonds de l’aide humanitaire, convertir des écoles, des hôpitaux, des mosquées en dépôts d’armes ou en bases de lancement de missiles – et, de l’autre, exposer délibérément les civils aux représailles pour en faire les martyrs d’un récit victimaire soigneusement entretenu.

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Ce recours aux boucliers humains n’est pas seulement tactique. Il est idéologique. Il repose sur une lecture perverse de la guerre, dans laquelle la vie des innocents est instrumentalisée pour servir une cause politique et religieuse. Il vise à provoquer une indignation mondiale qui affaiblira la position d’Israël et, au-delà, celle de l’Occident. Car les islamistes, notamment ceux du Hamas, connaissent parfaitement les ressorts psychologiques de leurs adversaires : ils savent exploiter la vulnérabilité morale de l’Occident, son goût de la repentance, sa culture de la contrition héritée du christianisme. Comme l’écrivait Chesterton, ce sont là des « vertus chrétiennes devenues folles », retournées contre ceux qui les portent.

Un piège mortel

Les images d’enfants palestiniens sous les décombres, tout comme celles de migrants africains noyés en Méditerranée, deviennent alors des armes émotionnelles d’une redoutable efficacité. Elles touchent le cœur des opinions publiques occidentales, souvent promptes à condamner l’État démocratique en guerre et à absoudre, au nom de la souffrance, l’organisation terroriste qui l’a provoquée. Le cessez-le-feu, dans cette logique, n’est plus une pause humanitaire, mais un salut offert à une organisation qui proclame ouvertement son intention de répéter indéfiniment le 7 octobre, jusqu’à la disparition totale de « l’entité sioniste » et, avec elle, des Juifs de la région.

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Le piège est là, tendu avec méthode : faire de la guerre un spectacle de douleur, inverser les rôles entre bourreaux et victimes, instrumentaliser la compassion occidentale pour mieux désarmer moralement ses sociétés. Et ce piège ne concerne pas seulement Israël. Il vise l’Occident tout entier, confronté sur son propre sol à une offensive idéologique islamiste qui avance masquée, se drapant dans les oripeaux de la justice, de la résistance et de la libération des peuples opprimés.

La question cruciale est donc la suivante : l’Occident saura-t-il ouvrir les yeux à temps ? Réalisera-t-il que derrière les larmes d’enfants et les ruines de Gaza se cache un projet totalitaire, fondé sur la haine, le fanatisme et la manipulation ? Et comprendra-t-il qu’il ne peut espérer se préserver en cédant, en s’excusant, ou en condamnant ceux qui le défendent ?

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Cinq ans après le Covid-19, la France doit abandonner l’Absurdistan pour renouer avec la liberté !

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Un rayon de jouets fermé pendant la crise sanitaire afin d'éviter la propagation du Covid, Isère, 4 novembre 2020 © ALLILI MOURAD/SIPA

Attestations pour promener son chien, débats interminables sur la jauge exacte des rassemblements, confinements: pour gérer la crise sanitaire du Covid et les restrictions de toutes sortes, la France s’est révélée fort ingénieuse. Mais, il faudrait maintenant tourner la page, et que notre brillant pays redevienne une terre de libertés, explique cette tribune.


Le 23 janvier 2020, la Chine ouvre la voie au monde entier : elle acte le confinement et la mise en quarantaine de la population de la région de Wuhan ! Cette décision justifiée par le principe d’efficacité contre le virus a fait entrer le monde dans une nouvelle ère où l’efficacité des politiques publiques prime sur la sanctuarisation des libertés publiques. Seulement, le modèle français est pris en étau à cause de l’Absurdistan, qui prive le pays d’efficacité tout en bridant les libertés.

Lille, mars 2021 © Michel Spingler/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22550164_000047

L’État stratège est devenu l’État absurde

La crise sanitaire est parfaite pour un État stratège gaullien. En effet, assurer une campagne vaccinale, confiner ou déconfiner méthodiquement une population région par région, correspondent aux trois qualités de l’État stratège gaullien. Premièrement, la vision et la capacité à fixer un cap permettent de dégager rapidement un objectif de guerre qui dans le cadre d’une pandémie est « le confinement du virus » pour envisager une sortie de crise. Deuxièmement, la planification permet de séquencer les objectifs, et les ressources allouées pour y parvenir, ce qui est utile pour lutter contre un virus qui mute. Enfin, l’appui par des relais au niveau des corps intermédiaires permet d’appuyer la prise de décision en construisant un consensus.

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Seulement, l’État stratège est devenu l’État absurde. L’Absurdistan est un modèle où la bureaucratie et la technostructure prennent le pas sur le bon sens et la liberté au nom d’une supposée connaissance éclairée par l’expertise. Il en résulte des décisions absurdes et surtout des injonctions contradictoires pour les Français. Qui ne se souvient pas des attestations de sortie aux motifs kafkaïens, des amendes pour un masque mal ajusté alors que le port du masque était jugé inutile au début de la crise, ou des débats sans fin sur la jauge exacte d’un rassemblement ? Ces absurdités ont révélé une bureaucratie déconnectée et qui cherche à ce que le terrain corresponde à son imaginaire plutôt que l’inverse.

Une France désormais paralysée par l’Absurdistan

L’Absurdistan étouffe les Français. Il s’est construit sur deux logiques : une suractivité législative et réglementaire et une démultiplication d’organes administratifs indépendants producteurs de normes. Sur le premier aspect, le secteur de la santé est l’un des champions de la « réforme ». En effet, depuis l’an 2000, le Code de la santé publique a été révisé 84 fois par une loi ou une ordonnance, soit près d’une fois par trimestre ! Sur le second point, le monde de la santé étouffe par la multiplication des agences administratives (HAS, ANAP, ANS, etc.) dont les périmètres sont proches sans compter les ARS. Tous se sont illustrés lors de la crise sanitaire, puis pendant l’après-Covid. Ainsi, l’administration reste tentée par le contrôle tatillon et les politiques par des solutions simplistes.

Pire, l’Absurdistan est fort avec les faibles et faible avec les forts. Lors de la crise sanitaire, il a été capable de multiplier les PV, les amendes et les Cerfa contre les citoyens, mais n’a pas été capable de faire respecter l’état d’urgence sanitaire auprès des voyous et délinquants dans les quartiers populaires, notamment à partir du deuxième confinement. Ainsi, cinq ans plus tard, des traces de cet Absurdistan persistent. Les Français habitués à une certaine idée de la liberté – celle des Lumières, de la Révolution, de la Résistance – se retrouvent encore englués dans un système où les règles absurdes priment sur la raison. Aujourd’hui, des secteurs entiers – restauration, culture, petites entreprises – peinent encore à se relever, tandis que l’État multiplie les normes et les taxes, comme si la crise n’avait jamais eu lieu.

La France doit abandonner l’Absurdistan pour renouer avec la liberté

Cinq ans plus tard, alors que la pandémie n’est plus qu’un souvenir lointain, il est temps de tirer les leçons de cette période et de rompre avec cet héritage absurde. La France doit profiter de cette nouvelle ère pour entériner le retrait de l’État absurde pour retrouver son souffle, celui d’une nation qui place les libertés individuelles et collectives au cœur de son projet. Renouer avec la liberté n’est pas nier les leçons du Covid-19. Oui, une crise sanitaire peut exiger des mesures collectives. Oui, la science doit guider nos choix. Mais ces impératifs ne justifient pas un abandon durable de nos principes de liberté. Cela suppose de faire confiance aux citoyens, de les responsabiliser plutôt que de les infantiliser.

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Concrètement, cela passe par plusieurs chantiers. D’abord, alléger le poids d’une bureaucratie qui étouffe l’initiative individuelle. Ensuite, garantir que les mesures d’urgence restent exceptionnelles, encadrées et proportionnées. Enfin, réhabiliter le débat public, trop souvent remplacé par des injonctions venues d’en haut par un prétendu « cercle de la raison ». Cela nécessite une nouvelle incarnation. C’est pourquoi les offres politiques qui fonctionnent sont actuellement celles des populismes de droite (MM. Trump et Milei, Mme Meloni). En effet, ils ciblent l’Absurdistan (on pense au DOGE d’Elon Musk) pour préserver les libertés publiques (liberté d’expression, de mobilité, d’entreprendre), non pas dans une lecture individualiste mais dans le cadre d’un projet collectif (faire gagner les Américains en tant que nation, par exemple).

La raison est rarement là on l’on pense qu’elle est. La France a les ressources pour tourner la page de l’Absurdistan : une histoire riche, une culture de la liberté, un peuple capable de se relever. Mais cela exige un sursaut, une volonté politique et citoyenne de dire non à l’absurde et oui à la raison. Abandonnons donc l’Absurdistan et ses chimères pour retrouver le goût de la liberté, celle qui inspire, qui unit, et qui fait de la France une lumière dans le monde.


Matthieu Hocque, directeur adjoint des Études du Millénaire, spécialiste des politiques publiques, co-auteur du rapport « Quel modèle démocratique post-Covid ? »

Denis Nicolaï, analyste au Millénaire, co-auteur du rapport « Quel modèle démocratique post-Covid ? »

Papa ne s’est pas laissé faire: la leçon du rabbin d’Orléans à son fils

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Le rabbin Arié Engelberg (ici interrogé par France 3 en 2020), a été agressé dans la rue samedi 22 mars 2025. Image DR.

Il a dit : “Est-ce que vous êtes juifs ?”, puis il a craché. Le rabbin d’Orléans, Arié Engelberg, a été violemment agressé en pleine rue samedi après-midi alors qu’il rentrait chez lui avec son fils de neuf ans. La garde à vue du suspect, un mineur âgé de 16 ans, a été prolongée. La haine des juifs est le trait d’union de l’islamo-gauchisme, rappelle notre directrice de la rédaction dans sa chronique.


Emmanuel Macron dénonce le poison de l’antisémitisme. C’était un week-end ordinaire en France. Samedi, Arié Engelberg, le rabbin d’Orléans revenait de la synagogue avec son fils de 9 ans. Il est alors agressé, frappé et mordu par un individu qui hurle que tous les juifs sont des « fils de pute » et profère des insultes en arabe. Au même moment, quelques milliers de gauchistes (ils n’étaient finalement pas bien nombreux) défilaient contre le racisme. Une manifestation à laquelle il avait été appelé à participer avec une affiche proprement nazie. Dans le défilé parisien, quand un courageux (ou un inconscient) brandit la photo du bébé Kfir Bibas assassiné par le Hamas avant son premier anniversaire, Mathilde Panot l’ignore et Danièle Obono l’enjoint à aller le dire à Netanyahou. Un bébé assassiné parce qu’il est juif n’intéresse pas ces antiracistes. Leur seule cible, le coupable de tous les maux, c’est Israël, Etat qualifié de « génocidaire » (ils se moquent bien du 7-Octobre qui a déclenché cette guerre ou des massacres d’Assad et consorts). Par association, les juifs sont les nouveaux nazis. Donc, l’antisémitisme est un devoir.

Sales sionistes !

Je reviens d’Israël. Habituellement quand mes amis ou ma famille s’inquiètent pour moi, je rigole. En France on n’a pas le Hamas au sud et le Hezbollah au nord, c’est vrai. Mais, il y a tout de même un antisémitisme d’atmosphère décomplexé et présent à l’école comme à l’Assemblée nationale. Un tiers des enfants refusent d’avoir des relations avec leurs camarades juifs, nous apprend l’IFOP. La haine des juifs est le trait d’union de l’islamo-gauchisme. Le président Macron, qui n’a pas défilé en novembre 2023 pour ne pas froisser les quartiers, dit que nous ne cèderons pas, mais nous avons en réalité déjà cédé.

https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1903760123954090071

La plupart des Français sont certes révulsés par l’agression du rabbin. Saluons d’ailleurs la tribune du Monde[1] signée par Gabriel Attal, David Lisnard, Elisabeth Badinter, François Hollande, Aurore Bergé, Anne Hidalgo et beaucoup d’autres qui explique que l’antisionisme est le paravent de l’antisémitisme. Le texte cite Jankélévitch qui disait que «l’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission d’être antisémite au nom de la démocratie ». La prise de conscience de tous ces signataires – notamment de gauche – est évidemment salutaire. Elle serait encore plus convaincante si plusieurs d’entre eux n’appartenaient pas à un parti qui a pactisé avec ce que Mme Badinter appelle désormais sans plus prendre de gants un parti antisémite. Admettons qu’on ne les y reprendra pas…

Un enjeu beaucoup plus large

Il y a aussi une autre raison d’espérer. Arié Engelberg s’est défendu. Après l’agression, il a dit à son fils « Papa ne s’est pas laissé faire ». Parfois, il faut combattre l’antisémitisme à coups de poings plutôt que de proclamations.

Et pour finir, j’ai envie de dire à tous ces Français qui comme le dit un personnage de Houellebecq, n’ont pas d’Israël, pas de « patrie de rechange » si les choses tournent mal, et à tous ceux qui pensent que ça ne les concerne pas : aujourd’hui, c’est les juifs, demain ce sera eux. Parce que trop blancs, trop assimilés, trop chrétiens ou trop français. L’enjeu, ce n’est pas le sort des juifs. C’est l’avenir de la France.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/03/21/pour-que-l-antisionisme-ne-serve-plus-de-pretexte-a-l-antisemitisme_6584276_3232.html

Bruno Retailleau à l’heure des premiers doutes

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Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau sort du conseil des ministres, Paris, 19 mars 2025 © LEO VIGNAL/SIPA

Le ministre de l’Intérieur, chouchou de la droite conservatrice, essuie ses premières critiques. Notre chroniqueur voit dans ce torpillage en règle qui provient de toutes parts le signe qu’il est en réalité sur le bon cap…


Ce moment politique, je savais qu’il arriverait. Cette heure où après l’enthousiasme surviendrait, inéluctable, la désillusion politique et médiatique. Où après avoir suscité un immense espoir, pas seulement à droite, Bruno Retailleau aurait, paraît-il, « une stratégie qui sème le doute » et que ce serait « la fin de l’état de grâce » : comme si à un quelconque moment il avait eu le temps et le narcissisme de la goûter ! Ce qui me rassure, sans paradoxe, c’est qu’il est attaqué de toutes parts. Quel meilleur signe pour démontrer qu’il pense et agit juste ! Qu’il soit honteusement stigmatisé comme « raciste » sur une affiche LFI apporte une justification supplémentaire à sa défense.

L’heure des premiers comptes

Il convient de distinguer les critiques de bonne foi des hostilités tactiques, partisanes et personnelles. Pour les premières, elles tournent peu ou prou autour du fait que le ministre de l’Intérieur obtiendrait peu de résultats, qu’il serait, comme tant d’autres ministres, un adepte du verbe et que, pour l’Algérie, sa méthode de durcissement serait contre-productive. Bruno Retailleau n’a pas besoin de moi pour faire justice de ces allégations. Autour de lui, une équipe soudée sait comme elles sont imméritées.

D’abord un certain nombre d’évaluations établissent, pour ce qui relève strictement de son pouvoir, un progrès dans l’action régalienne et l’activité policière. Les choses bougent lentement mais elles bougent. Rappelons que M. Retailleau n’est pas seul. Il s’inscrit dans un processus où l’État de droit, les recours, la vie parlementaire, rendent souvent impossibles les réformes pourtant les plus nécessaires. Il est normal qu’on attende beaucoup de lui, encore faut-il prendre la mesure de tout ce qui le ligote.

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Quant à sa volonté de répondre aux humiliations répétitives que fait subir l’Algérie à la France – sans évoquer la terrible angoisse sur le futur de Boualem Sansal -, sa politique de riposte graduée est approuvée par une forte majorité de Français, mais elle est limitée par la retenue présidentielle. On perçoit bien la différence de stratégie entre Emmanuel Macron et Bruno Retailleau. En espérant que le premier ne vise pas seulement à entraver l’énergie déterminée du second…

Là où Retailleau, pour vaincre Alger, hiérarchise ses menaces, le président flatte pour amadouer : il compte sur la « clairvoyance » du président Tebboune. En tout cas, personne ne peut contester que place Beauvau, tout en ne sortant jamais de son rôle, on accomplisse tout pour sauvegarder l’honneur de la France… Une exigence dont les candidats devront mesurer toute la portée lors de la campagne en 2027.

Macron, seul « interlocuteur légitime » des Algériens

La démarche d’Emmanuel Macron paraît validée par le président algérien qui affirme qu’il est son seul interlocuteur légitime – une pierre de plus contre Bruno Retailleau – , minimise le problème des OQTF et ne répond rien sur Boualem Sansal. On se contentera de peu et on interprétera cela comme une amorce d’apaisement.

Derrière ces discussions admissibles – Bruno Retailleau est le premier à regretter cette règle fatale de la vie politique, qui empêche souvent le nécessaire de devenir possible -, il y a une fronde aigre, jalouse et vindicative à son encontre.

De la part de ses adversaires, rien de plus normal. Il est détesté par une grande part de la gauche et de l’extrême gauche, parce qu’il a cessé cette perversion d’une droite copie conforme de ceux qui la combattent. Mais il suscite toutefois des adhésions hors de son propre camp…

Affiche de LFI. Le parti de Jean-Luc Mélenchon organisait des marches samedi en France contre « l’extrème droite ». DR.

Dans sa propre famille largement entendue, c’est anormal, c’est un poison. Il est l’objet de polémiques, de controverses, de dérision, de contradictions aberrantes, de sous-estimation systématique de ce qu’il a insufflé, d’un refus permanent de considérer qu’après Nicolas Sarkozy (même si son mandat n’a pas été à la hauteur de sa formidable campagne de 2007), Bruno Retailleau est le seul ayant enfin redonné à la vraie droite sa fierté.

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Si au mois de mai Laurent Wauquiez – il mène une campagne à fond – bénéficie de ses coups fourrés, manœuvres et propos ambigus à l’encontre de Bruno Retailleau en devenant président de la droite républicaine, il est clair qu’on aura perdu beaucoup et qu’aucun lot de consolation ne comblera cette déception.

Je voudrais insister sur le caractère et le comportement de Bruno Retailleau. Je n’ai jamais dérogé à cette obsession de la tenue des politiques, de l’exemplarité de leur attitude (privée et publique, la première n’étant jamais sans effet sur la seconde) et de leur éthique irréprochable. On n’a jamais, sur ce plan, mis en cause Bruno Retailleau. C’est un élément fondamental dans mon adhésion à cette nouvelle droite. Elle ne noiera pas les valeurs de la morale publique dans les remous sales du pouvoir. L’intégrité d’un Bruno Retailleau, voire son austérité (L’Express) remettent la République à sa bonne place, contre la peopolisation ridicule ou dégradante de pratiques politiques indignes de l’espérance des citoyens, même au plus haut niveau. C’est parce qu’il est décrié qu’il faut absolument se tenir à ses côtés. Le soutenir. Se battre pour ce qu’il incarne et représente. Sinon, pour la droite qui lui doit déjà beaucoup, le destin ne repassera pas les plats !

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Marche antifasciste du 22, peu de monde. Dommage !

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Lyon, 22 mars 2025 © KONRAD K./SIPA

Près de 91 000 personnes ont défilé en France samedi contre le racisme et l’extrême droite, selon la police. Le parti de Jean-Luc Mélenchon s’était vu reprocher la diffusion d’une affiche critiquée pour des accents antisémites, qui avait suscité l’indignation de… SOS Racisme. Malgré un mea culpa partiel de certains élus, cette controverse a renforcé l’isolement de LFI au sein de la gauche, qui outre cette communication jugée calamiteuse se voit aussi reprocher un manque de prise en compte explicite de la lutte contre l’antisémitisme.


Oui, peu de monde s’il s’agit véritablement de lutter contre un si grand péril.

Cependant, de mon point de vue, ces messieurs z’et dames devraient continuer, prolonger le noble effort. Ils devraient reconduire ces marches de samedi en samedi partout en France et par tous les temps. En aboyant leur révolte de pacotille, en brandissant leurs pancartes ineptes. Oui, marcher sans faiblir, par les boulevards, les places, les rues et les venelles. Car à chaque mètre de parcours franchi, à chaque vocifération lancée ils ne font en réalité que contribuer à éveiller et doper ce qui fait depuis toujours la première force, la première vertu de l’esprit français, le Bon Sens. (Le Bon Sens n’a pas encore de monument ou de temple en France, il faudra y penser.)

Plus ils marcheront, plus ils brailleront et plus ils assureront la promotion de ce qu’ils prétendent combattre. De ce fait, leurs cortèges, leurs criaillements ne sont pas en réalité des marches et des chœurs contre la droite – extrême ou non – mais tout au contraire pour la droite, ce territoire idéologique qui, ces dernières années, prospère continument pour la simple et bonne raison que c’est là que s’est réfugié et réside désormais le Bon Sens à la française. Là est bel et bien, en effet, l’explication première du phénomène.

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Ce bon sens, la lucidité salutaire qui, contre vents et marées, invite et engage à voir le réel tel qu’il est et à rejeter, in fine, les postures morales et les impostures mentales qui ne visent qu’à tromper les populations, à leur faire prendre des vessies pour des lanternes…

Ici même Céline Pina a excellemment mis en exergue le fatras de contradictions que ces marionnettes déambulantes véhiculent.        

Outre celles-ci, une des plus jubilatoires est bien, en effet, que ces résistants-héros du samedi après-midi n’aboutissent qu’à promouvoir et fertiliser ce qu’ils exècrent et vouent au bûcher… Et qui, pourtant, à la fin des fins, les sauvera. Car – pour s’en tenir à seulement deux cas – particulièrement parlants, il est vrai – si les inspirateurs islamistes de ces mouvements, bref ceux qui tirent en vrai les ficelles accédaient aux commandes, il est bien clair qu’aucun des livres d’Annie Ernaux (je les ai tous lus), aucun des sketchs de Blanche Gardin (je pense qu’aucun ne m’aura échappé – ou que je n’aurai échappé à aucun, au choix…) n’y survivraient. Au bout de leur marche, en réalité, pour l’une et l’autre – et pour tant d’autres à leurs côtés – c’est leur propre bûcher qui les attend. Et, voyez-vous, ça ne me fait même pas rire…

Cela dit, à vous de voir, camarades. Mais en attendant, marchez et marchez encore. Le Bon Sens vous en saura gré.

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Mark Carney, magistral stratège politique

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Mark Carney à la rencontre de jeunes enfants lors de la parade de la St Patrick à Montréal, Québec, 16 mars 2025 © Graham Hughes/AP/SIPA

Élections fédérales : les Canadiens se rendront donc aux urnes le 28 avril prochain. Mark Carney sollicite un mandat « fort » des électeurs et sera notamment opposé à Pierre Poilievre pour le Parti conservateur et Yves-François Blanchet du Bloc québécois


Ce sont les circonstances qui mettent un homme providentiel au pouvoir, jamais des élections.
Georges Wolinski (Les pensées).


Comme prévu, le nouveau Premier ministre canadien libéral convoque les élections fédérales ce dimanche 23 mars 2025; il échappe donc à l’application de la Loi sur les conflits d’intérêts. « El banquero » l’emportera-t-il face au teigneux petit roquet Pierre Poilièvre, chef du parti conservateur du Canada, en lui piquant son programme?

Plantons le décor.

Le Canada est (un pays? État? nation? territoire?) bilingue. Un peu d’histoire, en vrac.

En 1890, le gouvernement du Manitoba, possible inspiration de Donald Trump, défia ouvertement la justice en imposant illégalement l’unilinguisme anglais (l’égalité du français ne fut officiellement rétablie qu’en 1982, alors que la francophonie manitobaine était devenue une simple pièce de musée, comptant moins que les Doukhobors et les Circassiens, multiculturalisme trudeauesque oblige). En 2006 et en 2011, des unilingues anglophones sont nommés à la Cour suprême du Canada : la connaissance du français n’était pas une « compétence » pertinente selon le ministère de la justice; un ancien juge de la haute juridiction précisait d’ailleurs que les magistrats unilingues pouvaient se fier à un excellent service de traduction et d’interprétariat; et qui était mieux placé pour l’encenser qu’un juriste lui-même unilingue?

On suivait ainsi le modèle judiciaire camerounais.

(Incidemment, tous les heureux élus avaient promis d’apprendre le français, quoique les résultats se font attendre. Quelle surprise. Mais quelle importance?)

Est particulièrement savoureux le refus de la Cour suprême de respecter la Loi sur les langues officielles, et de faire traduire les arrêts antérieurs à 1969 rédigés uniquement en anglais. L’opération serait trop coûteuse et, de toute manière, « l’intérêt juridique de ces décisions-là, historiques, est très minime ».

Dixit le juge en chef Richard Wagner. Texto.

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Le justiciable lambda aurait pensé que chaque phrase, chaque mot, chaque virgule de la Cour valait son pesant de caramels mous, mais quelle belle leçon de modestie bien canadienne. Cela dit, tout juge en chef qu’il fût, il a alors fait preuve d’une regrettable outrecuidance car il n’avait aucune autorité pour faire une telle affirmation : que cela lui plaise ou non, c’est à chaque plaideur qu’il appartient de déterminer, de prime abord, la pertinence de n’importe quelle jurisprudence. Le juge en chef n’a rien d’un Esmein, ni d’un Maitland. De toute manière, pour échapper à toute possibilité de poursuite, la haute juridiction a tout simplement retiré de son site web tous ces arrêts… La solution était simple, mais il fallait de grands oracles du droit canadien pour y penser. Et nul n’est censé ignorer la loi dans un Etat de droit, dit-on.

Rappelons la nomination de la gouverneure générale du Canada et de la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick unilingues par Justin « Blackface » Trudeau.

En matière d’administration publique, les deux langues officielles sont l’anglais et le français… Rectification, le français est la langue officielle de traduction.

Concrètement, sauf exceptions, les administrations fédérales pensent, parlent et fonctionnent en anglais, et les gestionnaires, sauf exceptions (il n’y a pas que des rednecks dans la fonction publique), se moquent comme d’une guigne du français, mais… ils doivent respecter la… lettre de la loi sur les langues officielles; les documents sont donc traduits en français. S’il y a urgence, notamment lorsque le responsable du dossier termine son texte à la dernière minute, ce qui est fréquent, il le balance fissa à son érudite secrétaire franco-ontarienne avec cette directive : « type it in French » en v.o. (« tapez-moi ça en français » en v.f.) et elle a trois jours pour traduire 10 000 mots (s’il y a 20 000 mots, on saucissonne le texte parmi trois ou quatre secrétaires, bonjour l’uniformité). Lorsque le temps presse moins, ladite secrétaire transmet (avec la même directive), le fruit écrit de ces cogitations au « Bureau de la translation », en v.o (Bureau de la traduction, en v.f.) où le travail peut être effectué avec un peu plus de minutie. Bilinguisme en sens unique, mais il n’y a rien d’autre.

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Et voilà Mark Carney qui vient d’entrer en scène.

Or, il y a trois jours, son ministre des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada, Ali Ehsassi, dont relève le Bureau de la traduction, annonce la diminution de son budget et l’abolition de 339 postes au cours des cinq prochaines années, soit le quart des effectifs. Mais que les francophones (du pays? de l’Etat? de la nation? du territoire?) se rassurent : le Bureau de la traduction tient compte des avancées technologiques et de la baisse de la demande en traduction (ah oui ?) pour orienter ses prévisions.

Apparemment, le ministre Ehsassi ignore que le mirage de la traduction informatisée censée rendre possible la traduction des lois du Manitoba et de la Saskatchewan a donné lieu aux sables mouvants des scandales financiers dans les années 1980-1990. Mais peut-être, tel Aladin, dispose-t-il d’une lampe merveilleuse d’où sort un génie traducteur lorsqu’il la frotte.

De toute manière, voilà un argument de campagne imparable pour les électeurs québécois qui apprécieront la pensée magique du ministre et son sens du moment historique.

Par ailleurs, Carney recrute, parmi ses candidats vedettes, un ex-journaliste de la « Canadian Broadcasting Corporation » (pendant anglophone de « Radio-Canada »), Evan Solomon, viré il y a quelques années pour cause de…conflit d’intérêt (eh oui…) : il avait joué le rôle d’intermédiaire pour la vente d’œuvres d’art à un « bon client », à savoir, devinez qui ? Et oui, « the one and only » (« le seul et unique » en v.f.) Mark Joseph Carney, qu’il avait interviouvé par le passé.

Quant à Yves-François Blanchet, chef du bloc québécois, (parti indépendantiste représenté au parlement fédéral), il a choisi son slogan : « Je choisis le Québec ».

Pour l’électeur québécois laïciste, les enjeux sont clairs.

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Lyrique: Dante & Dusapin, c’est du lourd!

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Il Viaggio, Dante © Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

La Divine Comédie de Dante semble résister à toute adaptation. Pascal Dusapin relève le défi !


Quoi de moins opératique, a priori, que Dante ? La Divine comédie, immense poème ésotérique, épopée composite, transcrite, diffusée, traduite au fil des siècles dans toutes les langues de la terre, se prête difficilement, et c’est peu dire, à une transposition sous forme de livret. C’est pourtant à l’œuvre intimidante du génial Florentin que s’attaque Pascal Dusapin dans Il viaggio, Dante, traversée lyrique qui s’agrège également La Vita nova et La Commedia, aux deux extrémités biographiques de l’aède médiéval (1265-67/1321).

Difficile d’accès

Créé au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2022, le spectacle est repris à l’Opéra-Bastille, jusqu’ au 6 avril prochain.  Sous les auspices de l’écrivain, poète et traducteur Frédéric Boyer, (en outre actuel directeur des éditions P.O.L) associé déjà par le passé au compositeur contemporain pour l’opéra Macbeth Underworld en 2019, le présent « opéra  en un prologue et sept tableaux » chemine donc dans ce monument vertigineux, pèlerinage dont les stations prennent nom ici :  Le départ, Chant de deuil, les Limbes, Les Cercles de l’enfer, Sortir du noir, Purgatoire, Le Paradis

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Il revient à Claus Guth, metteur en scène infiniment talentueux de donner chair à ce corpus passablement abstrait et difficile d’accès. (Hasard du calendrier, l’Opéra-Comique  reprenait, presque concurremment, la production aixoise de Samson, superbe « réinvention » d’une œuvre oubliée de Rameau). A l’enseigne de Dante, sous les ors du Palais Garnier, le rideau blanc, rigide et plissé qui ferme le plateau dans toute sa largeur se lève sur une sorte de cabinet de travail simplement meublé dans le goût XIXème, pièce percée d’une fenêtre dont les jalousies ouvrent sur la clarté du jour. Au mur, à côté de la table de travail, se reconnaît, encadré, le tableau de Botticelli qui dépeint L’Enfer tel un entonnoir où tournoient les âmes damnées…  Là, un Dante agonisant, costume noir, chemise blanche maculée de sang, revisite en pensée son amour pour Béatrice, voyageant à la recherche de ses souvenirs enfouis. Il est redoublé par la figure du « Giovane Dante » qu’il fut, grimé en jeune homme par une voix de mezzo. Les parois s’écartent bientôt, pour déployer en vidéo (signée Roland Horvath) sur grand écran en fond de scène, l’accident de voiture  qui, dans un nocturne paysage sylvestre, a supposément ravi Béatrice au poète… Les cercles de l’enfer développent leurs arcanes, figurées par les tonalités verdâtres d’un décor qui convoque toutes sortes de réminiscences, dont celles, incidemment, des univers propres à Lynch ou à Cronenberg (cf. le film Crash)…

IL VIAGGIO DANTE Opéra de Paris.

Tableaux oppressants

Sept tableaux hallucinés, donc, pour porter cette œuvre lyrique qui tient plus de l’oratorio que de l’opéra, sous la baguette de l’émérite maestro américain Kent Nagano. Il dirige avec le brio, la netteté qu’on lui connaît cette partition aride, angoissée, qui associe les chœurs (dans la fosse) à une orchestration où orgue, percussions (très présentes), voire  harmonica de verre et dispositif électroacoustique se combinent aux instruments traditionnels d’une formation classique, pour former une texture dense, oppressante, monodique, transpercée de citations mélodiques où transparaissent tout aussi bien telle phrase évoquant Puccini que tel morceau grégorien.. C’est donc sur ce spectre expressif éclectique, tonnant, privilégiant le registre grave, que montent les voix alternées du vieux Dante – le baryton Bo Skovhus – , de Béatrice – la soprano Jennifer France -, de la sainte Lucie – Danae Kontora – , de Virgile – la basse américaine David Leigh… Vocalement, la part la plus belle du spectacle revient sans aucun doute au jeune Dante, campé en travesti par la jeune mezzo allemande Christel Loetzsch, qu’on découvre sur la scène parisienne. Ses tourments se fichent en nous comme autant de flèches.  

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On se souvient qu’à Pascal Dusapin le président Macron passait commande, en 2020, d’une œuvre – In Nomine Lucis –  pour célébrer l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix. À 69 ans, Dusapin ne serait-il pas devenu, en quelque sorte, le compositeur officiel de la République française ? En tout cas, Dusapin à l’enseigne de Dante, c’est encore du lourd !     


Il viaggio, Dante. Opéra de Pascal Dusapin. Avec Bo Skovhus, David Leigh, Christel Loetzsch, Jennifer France, Danae Kontora, Dominique Visse et Giaccomo Prestia (narrateur). Direction : Kent Nagano. Mise en scène : Claus Guth. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 2h
Palais Garnier, les 26, 28 mars, 3 et 9 avril à 20h. Le 6 avril à 14h30.      

Lovecraft et ses mondes fantastiques en Pléiade…

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L'écrivain américain Howard Phillips Lovecraft (1890-1937). DR.

Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), natif de Providence, maître du fantastique et de l’horreur, vient de faire son entrée dans la prestigieuse collection de la Pléiade, chez Gallimard, dans des traductions nouvelles.


Ce sont vingt-neuf histoires (ou tales en anglais) qui ont été sélectionnées, et sont proposées dans l’ordre chronologique de leur rédaction, de 1917 à 1935. Le choix s’est porté sur les meilleures ou les plus fameuses, comme « L’Appel de Cthulhu » ou « Les Rats dans les murs ». Les textes de Lovecraft, qui n’a jamais écrit de roman, s’inscrivent dans le genre de la nouvelle, ou, en anglais, novelette, parfois novella pour les plus longs. Ils ont tous paru dans des pulp magazines bon marché etpopulaires comme Weird Tales, le mot « weird » signifiant étrange ou bizarre (« supernatural »,indique pour synonyme mon dictionnaire d’Oxford, autrement dit en français : surnaturel). Néanmoins, l’œuvre weird de Lovecraft, élitiste convaincu, conserve une valeur avant-gardiste indiscutable.

Un univers morbide et décadent

Je me souviens avoir essayé de le lire lorsque j’étais adolescent. Mais je n’étais pas pleinement entré dans cet univers morbide et décadent, bien que les personnages extravagants peints par Lovecraft eussent dû s’accorder avec mes fantasmes d’alors. Je découvris ces quelques histoires dans un ou deux volumes en poche, trouvés dans la bibliothèque familiale, mais ils ne me laissèrent pas un souvenir impérissable, comme « Le Cas de Charles Dexter Ward ». Cette nouvelle édition vient donc fort à propos pour réévaluer un auteur maudit, dans tous les sens du terme. L’appareil critique propre à la collection de la Pléiade nous y aiderait peut-être. Il y a une introduction assez intéressante, que l’on doit à Laurent Folliot. On sent qu’il connaît par cœur l’œuvre de Lovecraft, mais il a une curieuse tendance à en énumérer les défauts. Ainsi, à propos du style lovecraftien, il écrit : « Un style dont il est vrai qu’avec sa débauche d’adjectifs, ses intensifieurs omniprésents, ses tics lexicaux, il se prête notoirement à la parodie, et auquel les jugements sévères n’ont pas manqué dès les premiers temps de sa réception auprès du grand public (Edmund Wilson, Borges entre autres). » Je ne savais pas qu’Emund Wilson et Borges, « entre autres », faisaient spécialement partie du « grand public ». Néanmoins, et à part ses redites, c’est une introduction très fournie, même si, bien sûr, il faudra au lecteur, grand public ou non, revenir en priorité au texte même de Lovecraft.

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La qualité littéraire de Lovecraft

C’est donc ce que j’ai fait et, je dois dire, avec un grand plaisir. Je ne suis plus l’adolescent inexpérimenté de 1979, et j’ai été frappé désormais par la qualité littéraire de Lovecraft. Il m’a suffi de relire un ou deux contes, pour être d’accord avec la fascination qu’il inspire par exemple à Michel Houellebecq. Dans son livre sur Lovecraft, intitulé Contre le monde, contre la vie, Houellebecq admet : « Nous sommes là à un moment où l’extrême acuité de la perception sensorielle est tout près de provoquer un basculement dans la perception philosophique du monde ; autrement dit, nous sommes là dans la poésie. » (Préface de 1998). Il ne faut pas oublier que Lovecraft est un contemporain des surréalistes. L’air du temps a agi sur lui comme sur eux, d’une manière, à suivre Houellebecq, pas si différente que ça dans l’un ou l’autre cas. Je laisse le lecteur en juger.

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Des ruminations fin de siècle

Lors de mes premières lectures, dans les années 70, je ne sais plus si j’avais lu « La Clef d’argent », ce conte de Lovecraft nourri de l’influence de Poe et des écrivains décadents. C’est dans ces ruminations fin de siècle que Lovecraft a toujours excellé, il me semble. Lovecraft s’y inspire aussi de sa propre vie et de ses névroses d’écrivain solitaire. En même temps, il y exprime sa nostalgie de l’enfance. Le personnage principal en est un certain Randolph Carter. Voici comment nous le présente Laurent Folliot : « Au culte du réel, Carter tente enfin de substituer, dans une veine décadentiste, celui du bizarre et de l’ésotérisme. » Se révèlent à lui, notamment par l’entremise de ses rêves, toute une série d’autres mondes qu’il finit par faire siens au détriment de la vraie vie. Tout l’art de Lovecraft est dans la manière de nous raconter ce voyage dans les limbes, mais comme s’il s’agissait d’une histoire réaliste, c’est-à-dire avec le moins possible d’effets artificiels.

Lovecraft est un écrivain nécessaire. Ses textes, malgré leurs défauts sur lesquels on aura avantage à passer, possèdent un véritable élan qui transporte le lecteur hors de sa zone de confort habituel. Ses admirateurs s’y délectent d’un imaginaire grandiose, à base de mythologies perdues comme celle de Cthulhu, monstre abject définitivement associé au nom de Lovecraft. Aujourd’hui, grâce à cette formidable Pléiade, je refais connaissance avec Cthulhu et autres « Great Old Ones » (les « Grands Anciens »), et mon verdict est sans appel : « Lisez Lovecraft ! »

H. P. Lovecraft, Récits. Introduction par Laurent Folliot. Édition publiée sous la direction de Philippe Jaworski. Éd. Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 1408 pages.

Récits

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Michel Houellebecq, H.P. Lovecraft, Contre le monde, contre la vie. Avec une introduction de Stephen King. Éd. du Rocher, 2005.

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Bouches cousues

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Jacques Forgeas © Hélène Bozzi

Emilio, jeune artiste romain, assistant peintre, se retrouve plongé au cœur de nombreuses enquêtes suite à des crimes commis afin de dissuader le Roi Soleil de s’installer à Versailles. Une histoire captivante qui retrace les débuts de la police moderne, de la cour de Louis XIV jusqu’au pire quartier de la capitale.


Jacques Forgeas ne m’est pas inconnu. Le roman de Philippe Sollers, Une curieuse solitude, a été adapté à la télévision sous le titre Un jeune français. Le scénario et les dialogues étaient de Forgeas. Les lecteurs fidèles de Causeur savent que j’ai longtemps fréquenté l’auteur de Femmes. À chaque fois que l’occasion m’est donnée, j’évoque l’écrivain. Je suis gâté en ce moment car je lis le nouveau livre de Jean-Paul Enthoven, Je me retournerai souvent, dont je parlerai lors d’un prochain article, où il est question de Sollers. Mais revenons à Jacques Forgeas qui publie Les fantômes de Versailles, un polar épatant se déroulant en l’an 1673.

Crime sordide

Versailles n’est pas encore Versailles. Il y a davantage de marécages et de bois que de beaux jardins dessinés par Le Nôtre. S’exiler de Paris et construire un extraordinaire château ruineux fait grincer les dents de la noblesse et de la bourgeoisie réunies. Mais Louis XIV est un grand monarque qui voit grand. Il veut s’installer à Versailles et personne ne pourra s’y opposer.

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Le lieutenant général de police du Roi Soleil l’a bien compris. C’est une sorte de Maigret en perruque et bas de soie qui apprécie le canard rôti accompagné de navets. Mais un crime sordide va bouleverser à la fois les méthodes d’investigation de la police et les médecins légistes. Le foie des victimes va délivrer ses secrets. Crime sordide, donc, d’une jeune femme assassinée sauvagement dans une rue de Paris à peine éclairée où prospèrent les rats – les détails sont précis, jamais anachroniques – à qui on a cousu la gourmande bouche. Cousue avec un fil de soie. Les inspecteurs Laruche et Torsac mènent l’enquête qui va réserver de nombreux rebondissements. Les crimes se succèdent et conduisent aux arcanes de la politique. C’est encore l’époque des poisons et celle de la guerre avec la Hollande. C’est également la période où Colbert est tout-puissant et contrôle une police secrète redoutable. Ajoutons à ce tableau, décrit avec brio par Forgeas – on voit qu’il est scénariste –, l’évocation de la duchesse de La Vallière, évincée par la nouvelle maîtresse du roi, la redoutable et jalouse Montespan. La Vallière s’apprête à entrer au couvent. Mais le roi exige du peintre Mignard de l’immortaliser. Comment va-t-il la représenter ? Le tableau mérite un décryptage, d’autant plus qu’intervient un jeune artiste romain, Emilio, amant de la comtesse de Cruissan. L’artiste est visiblement très doué, surtout pour dessiner les jeunes mortes aux bouches cousues. Il devient l’indic’ des services de La Reynie. Ce dernier, à l’intuition redoutable, veut connaître, sur les ordres royaux, les détails picturaux constituant le portrait de la femme mise au placard.

Réflexion sur l’art

Jacques Forgeas nous tient en haleine jusqu’au bout. Les dialogues sont aussi efficaces que ceux produits par les laboratoires hollywoodiens. Cela signifie qu’il n’y aucun remplissage psychologico-sociologique qui désespère le lecteur au bout de deux chapitres. Il y a, en revanche, une réflexion captivante sur l’art, avec un clin d’œil appuyé à Giotto. « Giotto, vois-tu, est l’inaccessible », dit Mignard à Emilio. L’artiste florentin est très au-dessus des espions, mouchards, sbires, de tous ces hommes sans existence totalement hors-la-loi, surnommés « les fantômes de Versailles. »

Jacques Forgeas, Les fantômes de Versailles, Albin Michel, 448p.

Les Fantômes de Versailles

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