Réflexion sur la lourde sentence du Conseil d’État qui s’est abattue sur le professeur Jean-Luc Coronel de Boissezon, à la suite de l’évacuation musclée d’étudiants gauchistes de la fac de Montpellier, en 2018.
Vendredi 27 septembre 2024, aux termes d’une décision très discutable, le Conseil d’État a révoqué définitivement de ses fonctions Monsieur Jean-Luc Coronel de Boissezon, professeur agrégé d’histoire du droit à l’université de Montpellier (CE, 27 septembre 2024, Université de Montpellier, req. n°488978).
Pour rappel, il est reproché à Monsieur Coronel de Boissezon d’avoir participé, dans la nuit du 22 au 23 mars 2018, à l’évacuation musclée d’un amphithéâtre de la faculté de droit, occupé par un « collectif » d’organisations d’extrême-gauche dans le cadre d’un mouvement d’opposition à la loi ORE.
Une peine sensiblement aggravée
Si l’on peut entendre que des poursuites judiciaires et disciplinaires aient été diligentées, on relèvera que la sanction de révocation – la plus grave – est l’aboutissement d’un acharnement certain à l’encontre du professeur, qui avait le défaut supplémentaire d’avoir un cœur penchant à droite.
Le déroulé de la procédure disciplinaire est significatif de cet acharnement. Après une première décision de révocation de la section disciplinaire de Sorbonne Université, le CNESER[1] – juridiction compétente à l’égard des enseignants-chercheurs – a sensiblement allégé la sanction en prononçant, le 23 mars 2022, une interdiction d’exercer toute fonction d’enseignement pour une durée de quatre ans avec privation de traitement. Le 30 décembre 2022, le Conseil d’État, saisi par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, juge la sanction prononcée par le CNESER trop clémente. Mais le 4 septembre 2023, sur renvoi du Conseil d’Etat, l’indocile CNESER a prononcé une sanction identique à celle du 23 mars 2022. Mauvais joueurs, le président de l’université de Montpellier et la ministre chargée de l’Enseignement supérieur se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État, qui a révoqué définitivement Jean-Luc Coronel de Boissezon.
Cette dernière décision soulève un certain nombre questions.
Tout d’abord, celle des pouvoirs du juge de cassation. En matière de révocation, le juge a de longue date introduit un critère de proportionnalité : la révocation doit être en adéquation avec la gravité des faits reprochés au fonctionnaire, condition dont l’appréciation appartient aux juges du fond (CE, 21 juin 2000, Ville de Paris, req. n°179218). Ainsi, lorsque le juge de cassation intervient, il peut certes annuler la décision prise par la juridiction d’appel s’il la juge disproportionnée par rapport à la gravité des faits, mais toujours pour prononcer une sanction moins sévère. Or, en prononçant la révocation définitive de Monsieur Coronel de Boissezon, le Conseil d’État a substitué son appréciation à celle, en principe souveraine, du CNESER, pour aggraver sensiblement la peine.
Ensuite, comme cela avait été souligné par Anne-Marie Le Pourhiet et François-Xavier Lucas à propos de la précédente décision du 30 décembre 2022 (cf. Le Figaro, 17 janvier 2023) ; la motivation du Conseil d’État est bâclée, car elle occulte la question de la responsabilité personnelle du professeur, qui n’était ni armé ni cagoulé, en retenant une forme de responsabilité collective. Le Conseil d’État se contente en effet de retenir que Monsieur Coronel de Boissezon a « participé, à la tête d’un groupe comprenant des personnes extérieures à l’université, pour certaines cagoulées et munies de planches de bois et d’un pistolet à impulsion électrique, et en portant lui-même des coups, à l’expulsion violente des occupants d’un amphithéâtre de l’UFR de droit et science politique de l’université de Montpellier ». Or, cette notion de « responsabilité collective » qui sous-tend le raisonnement, est en décalage avec la propre jurisprudence du Conseil d’État en matière de révocation. Il s’attache en effet habituellement à identifier de manière très circonstanciée la responsabilité personnelle de l’auteur des faits. Il en va ainsi, par exemple, d’un agent public ayant agressé sexuellement une mineure handicapée (CAA Douai, 6 octobre 2011, req. n°10DA01437) ; ou d’un médecin ayant porté des mentions mensongères, en termes de vaccination, sur le carnet de santé d’un enfant (CE, 22 décembre 2017, M.X, req. n°406360).
Phalange factieuse
Enfin, le point le plus confondant vient des conclusions du rapporteur public. Pour justifier la révocation, il est indiqué que le professeur a « pris la tête d’une phalange factieuse » (cf. conclusions de Monsieur Jean-François de Montgolfier, p. 9). On reste interdit devant l’usage de ces termes, qui n’ont pas été choisis au hasard et qui travestissent la réalité. Si l’on se réfère à une définition simple donnée par le Trésor de la langue française, l’adjectif « factieux » s’entend d’un groupe « qui exerce ou tente d’exercer contre un gouvernement légalement établi une action violente visant à provoquer des troubles » (passons sur le terme « phalange », si ridiculement outrancier qu’il ne mérite pas que l’on s’y attarde).
Or, comme cela a été souligné par le rapport de l’IGAENR[2], l’occupation de l’amphithéâtre « par des étudiants » et « quelques personnes extérieures, qui n’ont pas le statut d’usager […] est illégale » (Rapport IGAENR n° 2018-036, mai 2018, page 9). Cette occupation illégale a en outre été émaillée de déprédations, violences, injures et brutalités. Quelques exemples, non exhaustifs :
- « Un enseignant reçoit un coup de poing au visage, sa montre est arrachée. Un syndicaliste, postier, secrétaire départemental de l’union syndicale Solidaires a ses lunettes de vue cassées » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
- « Vers 23 heures, des étudiantes accrochent des tampons et des serviettes hygiéniques souillées à la barrière qui ferme l’accès au sous-sol où se trouvent les toilettes, elles en brandissent sous le nez du doyen. Une jeune fille met une serviette hygiénique dans la poche de son veston. Un tampon est jeté à la tête d’un agent de sécurité, un autre à celle du doyen. » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
- « Une personne présente une bouteille d’urine à la responsable administrative qui préfère la prendre de peur qu’elle ne la lui jette. La vice-doyenne et une enseignante sont également présentes et assistent à cette scène. » (Rapport IGAENR, p. 8).
Ainsi, pour le rapporteur public, il n’y a pas de factieux du côté de ceux qui occupent un amphithéâtre sans droit ni titre, qui insultent, méprisent, violentent et dégradent ; mais exclusivement du côté de ceux qui ont cherché à redonner à un amphithéâtre sa vocation naturelle. D’ailleurs, les premiers n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale, civile ou disciplinaire. On comprend que si Monsieur de Boissezon avait apporté son concours à l’occupation illégale, aux insultes et déprédations, il n’aurait pas été inquiété.
Il est donc difficile de voir autre chose, dans cette décision de révocation obtenue au forceps, qu’une volonté de juger Jean-Luc Coronel de Boissezon au pied du mur de l’exemple. Il n’est pas non plus certain que cette décision, adoptée sur pourvoi de la ministre de l’Enseignement supérieur et de l’université de Montpellier, eux-mêmes soumis à la pression de certains syndicats étudiants, soit de nature à tempérer le sentiment de partialité idéologique des juridictions françaises.
[1] Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche
[2] Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche