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Thomas Jolly, « mi-homme mi-coffre fort »

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Le directeur artistique de Paris 2024 vient de lever un bout du voile recouvrant la mystérieuse cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques du 26 juillet… Au journaliste du Monde venu espionner son travail, le metteur en scène chouchou du public assure que chaque défi surmonté enrichira le spectacle. On a tellement hâte d’y être !


A la faveur d’un reportage publié dans le quotidien Le Monde, de réjouissantes nouvelles nous parviennent enfin. Alors que le pays est un peu crispé, notamment par la situation politique, cela fait un bien fou.

Le journal des bonnes nouvelles

Le grand quotidien du soir nous dévoile tout ce qu’il sait de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Si les organisateurs sont toujours à la recherche d’agents de sécurité pour cet évènement estival décrit depuis des mois comme hautement grandiose mais aussi hautement risqué, les préparatifs artistiques vont bon train de leur côté. « Je voulais construire une tour Eiffel inversée, ça, ce n’était pas possible », confie d’emblée le metteur en scène Thomas Jolly aux journalistes chargés de nous raconter ces bonnes nouvelles. Il n’est malheureusement plus question non plus de voir les têtes de nos rois sortir de la Seine depuis un moment.

Dans un hangar de Saint-Denis (93), où les répétitions se tiennent actuellement dans le plus grand secret, cet artiste woke en vogue regrette également d’avoir dû revoir à la baisse une autre de ses ambitions : « Sur l’un des ponts [il n’a pas le droit de dire lequel], on voulait faire un grand ballet de deux cents danseurs. Les experts ont calculé qu’avec la résonance et les vibrations du poids des danseurs, le pont ne résisterait pas. On a dû transformer le tableau », déplore le créateur. Mais, soyons rassurés : car ailleurs, 3000 danseurs « d’ici et de partout », 400 « performeurs » et une centaine de bateaux seront bien dispatchés pour le plus grand plaisir des yeux. Autour de la Seine, quatre scènes et pas moins de dix ou douze tableaux sur les berges sont prévus pour accueillir le monde entier, croit savoir le journal.

Une cérémonie hors d’un stade, une grande première

Le protocole habituel est complètement bousculé ; les délégations des différentes nations défileront en même temps que sera donné le somptueux show artistique et musical. Un spectacle qui doit durer près de quatre heures.

L’idée initiale de cette cérémonie en dehors d’un stade revient à Thierry Reboul, spécialiste de l’événementiel de 56 ans, originaire de Marseille, qui occupe le poste prestigieux de directeur exécutif des cérémonies et de la « marque » Paris 2024. Le Parisien brosse le portrait suivant de cet homme au grand cœur et au goût du risque prononcé, dont le talent n’a pas échappé à Thierry Estanguet : « Mégalo pour les uns, génie pour les autres, Thierry Reboul bouscule les codes ».

Thomas Jolly, dont bousculer les codes fait aussi probablement partie de l’ADN, s’enthousiasme : « Le show, la parade, les éléments du protocole, j’ai décidé de tout entremêler. Faire que toute la cité danse, se synchronise. Jamais il n’y a eu de cérémonie qui ne soit pas dans un stade. Du coup, il n’y a pas de modèle. Il faut tout remettre en question en permanence ». Du coup, à l’approche de l’évènement, le chorégraphe-star de 42 ans est aussi excité qu’angoissé ! « Je ne vous cache pas que je passe des nuits où j’angoisse un peu… Et aussi des jours ». Il peut compter sur le soutien de Maud Le Pladec dans cette épreuve, chorégraphe avec laquelle il a déjà collaboré, et dont le travail se caractériserait par une énergie et une synchronisation marquantes. « Pour les JO, la danse, c’est moi. C’est mon ADN [comprendre : cette énergie, cette foule compacte de danseurs, précise Le Monde] Pas un pont, pas une berge qui ne sera habitée par un événement artistique » nous assure-t-elle. Voilà qui promet d’être grandiose. « Maud a une culture large de la danse […] On a commencé à travailler sur les JO en décembre 2022. La structure de la cérémonie a été posée en juin 2023. Et, depuis mars, cela devient concret. Les costumes sortent des ateliers, et l’on voit ici, pour la première fois, la danse de Maud épouser la musique composée par Victor Le Masne » explique Thomas Jolly, ravi.

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Thomas Jolly est surtout connu pour avoir ressuscité la comédie musicale « Starmania ». Dans son reportage, Le Monde le décrit comme « gourmand » et soucieux d’« appâter sans rien dévoiler, de façon à maintenir le suspense et à garder la surprise ». On en saliverait presque… « Chaque spectacle que j’ai imaginé dans ma tête n’est jamais arrivé semblable à ce que j’imaginais. Non, ça ne crée pas de frustration : si une idée ne va pas jusqu’au bout, c’est qu’elle n’est pas bonne ». Si l’on comprend bien, le metteur en scène semble donc assez sûr de ne pas se tromper. Ouf ! « Je suis un coffre-fort. En ce moment, je suis mi-homme, mi-coffre fort. Entendre les fantasmes des gens, moi qui sais ce qui va se passer, ça me fait souvent sourire » explique le facétieux artiste qui n’en dira pas plus sur la mise en scène tant attendue et pour laquelle il bénéficie d’une coquette enveloppe (on parle de plus de 150 millions d’euros pour 300 000 spectateurs).

Un enthousiasme grandissant attendu de la part des Parisiens

Même s’il aurait préféré les Daft Punk, la musique est donc confiée à Victor Le Masne, déjà à ses côtés sur « Starmania », déjà à l’initiative de la nouvelle version de « La Marseillaise » avec l’astronaute Thomas Pesquet au saxophone, mais également coqueluche des plus grands talents de la variété française (il a collaboré avec les chanteurs farfelus Philippe Katerine et Eddy de Pretto, ainsi qu’avec la chanteuse Juliette Armanet) ; mais on ne sait pas encore très bien qui viendra effectuer un tour de chant sur la Seine le 26 juillet. Après les rappeurs crétins Soprano et Alonzo, et le cauchemar Jul lors de l’arrivée de la flamme olympique à Marseille, que nous réserve la Ville Lumière ? Céline Dion, un peu rétablie de sa maladie ? Aya Nakamura, si et seulement si elle chante du Piaf et évite les poses lascives ? Beaucoup a déjà été dit… Marc Cerrone et son tube « Supernature » semblent à peu près sûrs, la Britannico-Albanaise Dua Lipa aurait été approchée… Le député RN Jean-Philippe Tanguy rêverait de son côté de voir Mylène Farmer. Il faudrait au moins adjoindre à cette dernière un Etienne Daho pour qu’on entende quelque chose… Quant à Michel Sardou, le nom du chanteur non-déconstruit et à la voix puissante n’est malheureusement jamais mentionné, bien sûr ! « La cérémonie promet des surprises bien plus radicales que la présence ou pas d’Aya Nakamura » assurait Thomas Jolly, au mois d’avril, dans Télérama. Au micro de France Inter, en octobre, il annonçait que tout ce qu’il faisait était « politique », et que Britney Spears valait bien Shakespeare… Alors n’en déplaise aux grincheux, cette cérémonie d’ouverture pourrait être une réussite fantastique, pense Anne Hidalgo dans son Hôtel de Ville, où se prépare pour la mi-juillet une baignade dans le fleuve coulant sous les fenêtres. « Ras-le-bol de tous ces peines-à-jouir qui n’ont pas du tout envie qu’on puisse célébrer quelque chose ensemble. De toute façon, on est là, et on le fait », s’énervait l’édile au Conseil de Paris le 22 mai. 

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Décidément, comme l’observait justement Elisabeth Lévy dès l’automne dernier lorsque Thomas Jolly s’est fait connaitre au-delà du petit monde du théâtre public subventionné, alors que la guerre des civilisations redémarre, Festivus1 continue ses saccages… Et c’est tant mieux : car sans lui et sans nos médias progressistes qui se font un devoir de le célébrer bruyamment, on n’aurait pas beaucoup d’occasions de rire. Reste deux inconnues : tout d’abord, il est évidemment impossible de savoir si le soleil sera présent au-dessus de Paris pour éclairer tous nos merveilleux danseurs et funambules le 26 juillet. Ensuite, surtout, on ne sait pas encore quel Premier ministre sera aux côtés d’Emmanuel Macron lors de cette cérémonie magique.


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CADA exquis du Berry 

Bélâbre, une petite commune du Berry où s’affrontent partisans et adversaires d’un centre pour demandeurs d’asile. Nous avions pu assister à une manifestation opposant les deux cortèges début mai. Le député du coin vient de laisser entendre que le projet pourrait être modifié. Retour sur une guerre des boutons villageoise. 


Sur son site, la municipalité de Bélâbre vante « le charme discret du Berry ». Discret, puisqu’avec 940 habitants perdus au cœur de l’Indre et Loire, le village n’a rien pour attirer le chaland ou le visiteur. Depuis un an, un projet municipal vise pourtant à y installer l’étranger. Le 9 février 2023, le conseil municipal vote une motion favorable à l’ouverture d’un CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) répondant à un projet de l’association Viltaïs. La structure permettrait d’accueillir en permanence 38 demandeurs d’asile, lesquels resteraient sur place pour le délai qu’exige le traitement de leur demande. A cet effet, les locaux d’une ancienne chemiserie, coincés dans une impasse et appartenant à la mairie ont été vendus à l’association.  

Qu’en pensent les administrés bélabrais ? Au bar du coin où nous entrons, on feint l’ignorance : « Il y a cette affaire oui. On préfère parler du soleil et des loisirs de l’été » nous assure un habitué accoudé au comptoir. Droit de réserve commerçant du côté de la tenancière qui « n’a pas le droit de donner son avis ». Samedi 11 mai, il était difficile pourtant d’ignorer les six camions de gendarmerie qui bloquent l’artère principale de la ville ou les deux manifestations, une pro CADA et une anti, avec des effectifs plutôt garnis pour un si petit village. Côté contre, 200 personnes réunies par l’Union Bélabraise avec un cortège essentiellement composé de retraités du petit commerce ou de la paysannerie, de quelques anciens combattants en uniforme et de nombreux jeunes actifs. Côté pour, ils sont 150 réunis aux abords de la mairie pour manifester leur soutien au CADA. Nombreux dans le groupe se disent enseignants, souvent retraités ou militants associatifs. Un trentenaire parisien, ingénieur son pour la télévision, qui réside « souvent dans la région en week end » a fait cinquante kilomètres pour manifester à l’initiative du maire « un soutien moral ». Fonctionnaires ménopausées et bobos d’un côté ; badauds et enfants du pays de l’autre. Nez rouges contre vierges rouges.

Méthode autoritaire et crainte sécuritaire 

Ce n’était pas la première fois que partisans et adversaires ont pu s’affronter ou échanger des noms d’oiseaux. Depuis février 2023, les opposants ont manifesté sept fois contre ledit projet et se sont organisés dans un collectif, l’Union Bélabraise. Initialement, l’association dénonçait les méthodes du maire, jugées autoritaires. Ludivine Fassiaux, présidente de l’association, parle d’« un déni de démocratie locale ». Elle dit avoir appris initialement la décision par voie de presse. Le collectif avait aussi proposé un référendum municipal ; Mme Fassiaux assure qu’elle « se serait inclinée devant la volonté de la majorité ». Alors qu’une nouvelle manifestation est prévue le samedi 11 mai, le meurtre de Mathis à Châteauroux, 50km de Bélabre, par un mineur afghan est dans tous les esprits : « Ce ne sont pas forcément de mauvais gens mais il n’en suffit que d’un seul… » La présidente affiche désormais des craintes sécuritaires : « Le CADA est mal positionné. Ce sont des chambres de 7m2 pour des familles. Et puis qu’est-ce qu’ils vont faire ici ? » Alors on redoute de voir des migrants désœuvrés zoner le soir : « On regarde ce qui se passe en France… Voyez Nantes. Voyez Châteauroux ». 

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Insensible aux critiques, le maire, Laurent Laroche, défend avec énergie son projet : « Les CADA n’ont rien à voir avec le terrible drame de Châteauroux ». Quid des craintes d’une partie de la population ? « Elles sont entretenues par l’extrême droite… » assure le maire. Dans chaque camp, on a pris l’habitude de se renvoyer le mistigri de la récupération politique, de l’aveuglement idéologique et du renfort de manifestants étrangers au village à chaque manifestation. 

La politique reprend ses droits 

Si le discours du maire se veut consensuel et rassurant, le propos de certains manifestants du 11 mai était plus politique. Au mégaphone, la représentante de la Ligue des Droits de l’Homme dénonce la politique répressive du gouvernement, parle des « frontières murées » de Schengen… Un badaud nous dit vouloir fonder un collectif contre l’extrême droite à Bélâbre. Certains parlent même de la présence de militants de la vieille Action française de Charles Maurras. 

De son côté l’Union Belâbraise ne cache pas l’étendard du pays réel dans sa poche. L’avocat médiatique Pierre Gentillet, désormais candidat pour le Rassemblement National dans le département voisin du Cher, et originaire du département, surtout connu des téléspectateurs de Cnews et de Cyril Hanouna, a pris l’habitude de prendre la parole à chaque manifestation. Elle ne s’en cache pas, Ludivine Fassiaux cherche des relais politiques : « Nous avons écrit à François-Xavier Bellamy et Eric Ciotti, sans réponse pour l’instant […] La raison de l’installation des CADA un peu partout, c’est bien la politique migratoire de la France ». Les pouvoirs publics ne semblent pas indifférents à cette initiative. On trouve sur le site de la préfecture d’Indre et Loire un projet de la Croix-Rouge, lequel dresse un état des lieux qui regrette la « faiblesse du taux CADA » : « Le taux de places CADA est le plus faible de la région : 1 place pour 2 350 habitants pour l’Indre-et-Loire, contre une moyenne régionale d’une place pour 1 175 habitants. » 

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Dans chaque camp, on ne cherche en tout cas plus à rassurer ni à s’abriter derrière des problèmes de méthode ou des appels au calme et à la concertation. Au fil des mois, alors que les positions se radicalisaient, le discours est devenu résolument politique. Les méthodes aussi, et pas forcément pour le meilleur. Patricia Fassiaux, qui en plus d’être cofondatrice avec sa fille de l’Union Belâbraise et gérante du Casino, a fait l’objet de pressions : « Le collectif Oui au CADA a envoyé une lettre au Casino pour dire que l’on faisait de la politique avec l’enseigne » assure-t-elle en brandissant pour nous convaincre la copie de la lettre à laquelle elle a pu avoir accès. Des tracts pro et anti sont distribués dans les boites le dimanche. Certains badauds regrettent « une omerta sur le sujet » comme de voir certaines familles du village se déchirer à table sur l’opportunité du projet, à l’heure de la traditionnelle engueulade politique du dimanche midi. 

Opportunisme politique et contexte électoral ? Ainsi que le relate France Bleu Berry, le député sortant Horizons de l’Indre, François Jolivet, en campagne, a laissé entendre que le projet pourrait être modifié  « Je pense que ce projet, pour des raisons sans doute d’ailleurs financières, ne verra pas le jour […] S’il se fait, il se fera à taille moindre à Bélâbre » affirme-t-il, citant une association dans une commune du département qui dispose déjà d’une structure d’accueil accolée à une résidence de retraite. Comme il ne s’agit pour le député que d’une piste de travail, les opposants ne désarment pas. Le 11 mai, devant l’auditoire, la présidente de l’union bélabraise avait prévenu : « Nous on se bat, eux ils perdent ». Dont acte. 

Bas de laine

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Los Delincuentes, le dernier long-métrage de Rodrigo Moreno, raconte les aventures de deux employés de banque qui, piégés dans leur routine, décident de prendre leur destin en main. Audacieux sur le plan formel, le drame oppose vie de bureau et oisiveté utopique.


Costard cravate ringard de petit employé de banque, Morán (Daniel Elias) exerce son métier sans joie depuis des lustres dans une agence défraîchie de Buenos Aires, assez loin du décor high tech auquel nous sommes accoutumés pour ce genre de boutique. N’en pouvant plus, le quarantenaire fait le calcul : si, dans le coffre auquel ses années de bons et loyaux services lui donnent accès quotidiennement, il puise, en cash, l’équivalent de ce qu’il va toucher comme salaire jusqu’à sa retraite, il pourra se la couler douce, sans faire d’excès, en claquant lentement, avec pondération, son petit bas de laine. Adieu travail, adieu routine. Morán prend soin de multiplier par deux l’estimation du montant nécessaire, en sorte de partager le pactole, le temps venu, avec Román (Esteban Bigliardi), son collègue employé modèle, encore plus insoupçonnable que lui. A Román de mettre en lieu sûr les liasses de dollars (le peso argentin, comme l’on sait, ne vaut plus rien), pendant que lui, après s’être dénoncé à la police, purgera comme il se doit ses six années de prison dont, prévoyant, il anticipe qu’elles seront automatiquement ramenées à trois ans, pour bonne conduite.

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Complices d’opportunité, voilà nos deux hères devenus delincuentes – faut-il traduire ? Tout semble se passer selon leurs plans. A cela près que la sinistre maison d’arrêt n’a rien d’un havre de paix pour Morán, soudoyé sans délai par le parrain des lieux (de façon significative, un seul et même acteur, Germán De Silva, campe d’ailleurs le malfrat et le directeur de la banque – Janus d’une seule et même oppression, semble nous suggérer ce doublon). Quant à Román, il doit faire face aux soupçons (légitimes) d’une investigatrice pugnace, en charge d’enquêter pour le compte des assurances au sein de la banque, dans une ambiance évidemment délétère, qui met le personnel à cran. Román, en proie aux insomnies et tenté par l’alcoolisme, voit son foyer conjugal passablement perturbé.

Los Delincuentes. © WankaCinema

La fable nous entraîne bientôt loin de la capitale argentine, au cœur de cette nature inviolée où Román a été chargé par Morán d’enfouir le sac contenant les précieuses liasses, sous un énorme rocher, non loin d’un plan d’eau sur la rive duquel pique-nique et se délasse un conclave des deux sexes, auquel le citadin sera invité à se joindre… S’ensuivra une drôle de romance où convergeront à leur insu les assiduités de nos deux apprentis forbans pour une naïade néo-rurale.

Un conte attendrissant et cruel

Los delincuentes, sixième long-métrage du pontife de la «nouvelle vague argentine» Rodrigo Moreno, déploie ainsi, en deux actes dont cette « partie de campagne » fait la jonction, le théâtre captivant d’un récit nimbé de musiques, aux aller-retours temporels inattendus, et dont la durée, étirée sur plus de trois heures, fait pièce au formatage de nos fatigantes séries télévisées. Conjuguant l’air de rien, et sans y insister outre mesure, quelques remarquables audaces formelles (split-screens, fondus ralentis, superbes panoramiques ou plans fixes sur les paysages), sa coulée sans accrocs s’adosse à un scénario construit avec sûreté. Au fil des péripéties de ce conte à la fois savoureux, attendrissant et cruel, s’esquisse sans pathos, mais avec beaucoup de poésie, le rêve rousseauiste d’une vie simple, tout entière livrée à l’oisiveté, en communion avec la nature, sans préoccupation du lendemain, sans iPhone ni réseaux sociaux.

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Sciemment anagrammés pour leur donner sens, les prénoms de Morán et Román, et de Morna et Norma, leurs âmes-sœurs de rencontre dans ce paradis sylvestre, paraphent en quelque sorte l’utopie mi-écolo mi-anarchiste de se soustraire une bonne fois pour toutes aux contingences du réel. L’errance contre la routine, en somme. A ce titre, nous sommes tous des délinquants en puissance.

Los Delincuentes. Film de Rodrigo Moreno. Argentine, Luxembourg, Brésil, Chili. Couleur, 2023. Durée : 1h40. Sorti en France le 27 mars 2024.

Le gaucho-blanchiment

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Quelques centaines de cadres de l’Éducation nationale ont signé une pétition assurant qu’ils n’obéiront pas à un ministre issu du Rassemblement national. Leur texte méritait un commentaire linéaire car leur copie est à revoir.


Le 14 juin, les lycéens commentaient pour le bac un extrait d’Édouard, roman de la célébrissime Claire de Duras, dont le principal talent ne fut certes pas le style, mais l’idéologie, et surtout le sexe — mais la gauche nous a depuis longtemps habitués à ne pas juger les femmes sur leur talent (pour information, l’année même de la parution d’Édouard étaient publiées des œuvres de Balzac, de Lamennais, de Saint-Simon, de Scott, de Lamartine et de Mérimée !).

Je ne m’attarderai pas à la rédaction d’un énième corrigé du bac ; si j’évoquais la date du 14 juin, c’est parce que le même jour des « cadres, inspecteurs et chefs d’établissement des écoles, collèges et lycées de France » affirmaient benoîtement, dans une pétition, qu’ils n’obéiraient pas aux mesures du Rassemblement National, en cas de victoire du parti de Marine Le Pen. Que l’on se rassure : cette pétition, cas d’école de mauvaise copie, qui multiplie les hors-sujets, les imprécisions et les barbarismes, n’a recueilli pour l’heure que 776 signatures…

Il faut dire aussi qu’elle vaut son pesant d’observations ! La troisième phrase, déjà, appelle une grosse rature au stylo rouge : « Nous sommes des cadres de l’Éducation nationale, chargé.es de faire appliquer les orientations gouvernementales ». L’écriture inclusive, je le signale, n’est reconnue par aucune des instances officielles chargées de fixer les règles de la langue ; il s’agit d’une écriture militante ; le seul fait de l’utiliser indique par conséquent un positionnement idéologique, ce qui contrevient exactement à ce qui est écrit deux phrases plus loin : « Nous [appliquons les orientations gouvernementales] avec loyauté, sérieux, impartialité et rigueur ». Puis, l’écriture inclusive n’est pas optionnelle à merci ; il faut avoir le courage d’en user jusqu’au bout, ou de la bannir ! On accuse les entreprises de greenwashing, ou éco-blanchiment, lorsqu’elles se servent opportunément des principes écologiques pour faire leur publicité ; moi, j’accuse cette pétition, qui appelle du pied l’électorat de gauche au nom d’une prétendue « inclusion », de gaucho-blanchiment ; et je pose une première question ouverte à ses différents auteurs et signataires : pensez-vous, avec sérieux et impartialité, que le fait que « cadre » soit un substantif masculin à valeur générique traduise une misogynie systémique de l’État français ?…

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Mais je poursuis. Les « cadres », immédiatement après s’être présentés, nous assurent qu’ils servent l’État depuis des dizaines d’années sous « des gouvernements de droite, de gauche, du centre ». On s’étonnera que des intellectuels, œuvrant avec « rigueur » et « sérieux », se servent de mots aussi confus que « droite » et « gauche » ; à ce propos, j’aimerais leur demander — deuxième question ouverte — si Macron est à leurs yeux plutôt de droite ou plutôt de gauche ? Et au passage, si le Chirac du bruit et de l’odeur, le Sarkozy en campagne, sont plutôt de droite ou d’extrême-droite ? Et si le Front Populaire est plutôt de gauche ou d’extrême-gauche ?…

« Demain peut-être, continuent les pétitionnaires avec gravité, notre prochain ministre issu des rangs de l’extrême-droite exigera des cadres que nous sommes d’appliquer des directives, de mettre en œuvre des politiques ou d’organiser un enseignement en opposition avec les valeurs républicaines qui fondent nos métiers et justifient nos engagements ». Et d’ajouter, avec force componction, qu’ils n’obéiront pas. C’est là où le bât blesse ! À France Info, quelques-uns des signataires, en guise de précision, ont invoqué le statut de la fonction publique : « L’obligation d’obéissance hiérarchique peut cesser si l’ordre donné risque de compromettre gravement l’intérêt public » ; et comme on leur demandait ce qu’ils entendaient exactement par la formule « valeurs républicaines », ils ont cité « la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité ». De quoi rester songeur… Mais tandis que la République précisément, et la nation, et l’économie tremblent à l’idée d’une potentielle accession au pouvoir du Front Populaire (on cherche en vain les similitudes avec le Front de 1936 !), je voudrais poser une troisième série de questions aux auteurs de la pétition, pour conclure : 1) L’affectation des élèves perturbateurs dans des centres spécialisés après deux exclusions, ou l’examen d’entrée en sixième, constituent-ils selon vous des ordres qui risquent de compromettre gravement l’intérêt public ? 2) L’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices des sorties scolaires est-elle une mesure plutôt laïque ou plutôt contraire à l’ordre public ? 3) Le retour des uniformes et des groupes de niveaux, est-ce une mesure plutôt conforme au principe d’égalité ou plutôt contraire à l’ordre public ?…

Je gage qu’en répondant aux différentes questions posées, les braves inspecteurs et chefs d’établissement, très certainement rigoureux, loyaux et sérieux, ouvriront les yeux sur la fausse objectivité des principes qu’ils invoquent, et comprendront qu’un principe ne vaut rien sans son interprétation particulière. J’espère alors qu’ils n’auront plus la perfidie de désobéir à des ordres avec lesquels ils peuvent être en désaccord, mais qui ne justifient en rien une désobéissance hiérarchique… et qu’ils trouveront plutôt le courage de démissionner, comme tant d’autres l’ont fait avant eux, victimes des indignités de la Gauche au pouvoir.

Pour lire la pétition :

https://www.change.org/p/cadres-de-l-education-nationale-pour-la-r%C3%A9publique

Le conte d’une cité

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La montée du Rassemblement National et la fragmentation de la droite républicaine transforment discrètement mais inexorablement le paysage politique, présageant des changements significatifs aux prochaines élections locales et nationales.


Nous nous situons dans une grande ville, à l’épicentre de la guerre que se livrent les droites. Les conséquences de ce conflit se prolongeront pour les dix à quinze prochaines années. Elles participeront du résultat d’ensemble des prochaines élections nationales autant que locales. Pourtant, tout avait particulièrement bien commencé. L’élection, puis la réélection à la présidence de la République d’Emmanuel Macron semblait garantir une continuité triomphante. Malgré une poussée, chaque fois accentuée, du Rassemblement National, le résultat final ne faisait pas de doute : un bloc central – qui s’était dérobé sous les pas de Nicolas Sarkozy en 2012 – garantissait l’exercice du pouvoir.

La première alerte dans cette ville n’a pas retenu l’attention. Elle s’est manifestée en deux temps très rapprochés, au printemps 2022. La progression de Marine Le Pen à l’élection présidentielle prenait beaucoup d’épaisseur. Surtout, les neuf circonscriptions du département dont cette ville est chef-lieu offraient, un mois plus tard, un panorama où le basculement le disputait à la fragmentation. Basculement, parce que le Rassemblement National s’installait de manière prégnante dans le paysage parlementaire, hors Sénat, en imposant ses députés là où leur victoire paraissait possible (un jour lointain), mais improbable (sur le moment). Fragmentation, car la droite accolée à l’espace central majoritaire – composé par les élus de la défunte UMP ayant rejoint, d’une manière ou d’une autre, la Macronie, y compris à travers Edouard Philippe et François Bayrou – perdait de substantielles positions.

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L’air de rien, tout se préparait au changement. Or, il vient un moment où la poussée d’une minorité grossissante et organisée finit par rencontrer la placidité ou l’inaction d’une majorité rendue débonnaire par la lassitude à l’égard d’une action publique perçue comme insatisfaisante, puis comme source de frustration. « C’est d’abord rumeur légère. Un petit vent rasant la Terre. Puis doucement, vous voyez calomnie Se dresser, s’enfler, s’enfler en grandissant. » Comme dans l' »Air de la calomnie » de Rossini, prenant appui sur l’exceptionnel orfèvre que fut Beaumarchais, le cheminement s’est fait à bas bruit mais de manière affirmée. Et voilà que tout à coup – Beaumarchais et Rossini en ont exprimé le texte et les notes avec génie – l’orage « éclate et tonne » en juin 2022, et les députés font mosaïque, à la (fausse) surprise légèrement ironique des citoyens-électeurs, partagés entre la bonhomie du laisser-faire, et la joie personnelle autant de fois dupliquée qu’il existe de votants décidés à participer au mouvement d’ensemble. « Mais enfin rien ne l’arrête, C’est la foudre, la tempête, Mais enfin rien ne l’arrête C’est la foudre, la tempête ». L’ancienne circonscription du maire tombe dans l’escarcelle de LR, dont le futur patron national est réélu dans la sienne, malgré les efforts déployés pour le battre.

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Le Chef de l’État mettant en œuvre l’expression de sa lassitude devant les rétifs de tout ordre, la séquence électorale législative devient périlleuse pour l’exécutif municipal, comme pour le pouvoir central. La transition osée, gaillarde et brusque – une révolution au sein du Gaullisme, en réalité – du rival déclaré et définitif du maire sous forme d’alliance avec le RN impose son application brute dans les circonscriptions de la ville. Nous saurons dans moins de trois semaines si cette transition politique prend corps. Si c’est le cas, l’agrégat Gaullisme-nationalisme aura réussi plusieurs tours de force : s’implanter localement pour constituer une majorité nationale de gouvernement, après un succès net aux élections européennes ; se débarrasser des oripeaux de l’extrémisme (tout en gardant un parfum de radicalité) pour entrer dans une nouvelle normalité majoritaire que beaucoup rejoindront par tacite ou expresse adhésion ; s’en aller quérir une victoire à l’élection présidentielle suivante, rompant la tradition des cohabitations fatales.

Dans cette ville, sachant que le poids des métropoles est lourd de conséquences pour le scrutin majeur désignant le Chef de l’État, il n’est plus impossible que la mairie change de main dans moins de deux ans. Un éventuel grand Chelem sur les trois circonscriptions qui la structurent marquerait le prélude de la suite qui se prépare, non plus dans le cheminement lent évoqué dans le début de l' »Air de la calomnie », mais dans le coup de canon final.

Le Nouveau Front populaire et la morale des intérêts

Qu’aurait pensé Chateaubriand du Nouveau Front populaire et des marchandages et compromissions sur lesquels ce dernier est fondé? Il n’aurait peut-être pas été très enthousiaste… Tribune.


Emmanuel Macron a reçu le score de 14,6 % obtenu par sa majorité et le succès de la liste RN à 31,37% à la manière d’un camouflet. Il a alors, il était temps, pris la mesure de la lassitude française vis-à-vis de sa politique et réalisé l’intérêt croissant du peuple pour « l’esstrême droite ». En ces traverses, notre Néron du XXIe siècle dont l’hubris n’a d’égale que l’impulsivité ou la tendance à sous-estimer l’ennemi ne nous a pas déçus. Il a réagi avec la fougue conjuguée au manque de discernement qu’on lui connaît, misant sur l’incapacité de la gauche dite républicaine à s’allier et ne l’imaginant pas oser se compromettre dans de turpides ententes ; c’était là mal la connaître. Voici l’Assemblée nationale dissoute ; la table renversée ; les dés pipés jetés. L’histoire se répète et la farce se poursuit : « Comme l’initié mithriaque, la race humaine a peut-être besoin du bain de sang et du passage périodique dans la fosse funèbre » réfléchit l’Hadrien de Yourcenar.

Tandis que les droites peinent à s’allier dans la douleur et qu’Emmanuel Macron tente de récupérer les opposants à la ligne Ciotti, la gauche fait front (de taureau, assurément), se fédère et se met en ordre de marche pour rafler la mise aux législatives. Coalition et compromission avec l’antisémitisme promues par nombreux sectateurs de LFI et autres affidés au NPA du funeste Philippe Poutou (dont s’exemptent cependant, il convient de le mentionner, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Jérôme Guedj), tous les coups sont permis. Voici les politiques de gauche, prêts à tous les estampages pour gameler. Délesté de son scooter vendu aux enchères, le croissant assurément entre les dents et bradant un honneur déjà bien démonétisé, François Hollande est lui-même de la fête ! Le Nouveau Front Populaire est né. On n’ose imaginer ce que Léon Blum aurait pensé.

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Aux sièges, Députés ! Dénoncer le terrorisme du Hamas n’est plus de mise. Adoptez maintenant tous l’électoraliste attitude : promotion du multiculturalisme heureux, du wokisme repentant, de l’écologie punitive triomphante, éloge de l’égalitarisme. On ratisse large et on rase gratis : blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants, appel à un cessez-le feu immédiat à Gaza, smic à 1600 euros net… On accepte sans barguiner la candidature des personnages les plus contestables : Raphaël Arnault, militant antifa et triple fiché S, Aly Dioura dont le compte X dégueule de propos antisémites et anti-blancs ; voilà même le sieur Poutou, qui n’a de cesse de déclarer à qui veut bien l’entendre : « La police tue » (et dont le parti est poursuivi pour apologie du terrorisme) parachuté dans la circonscription de Trèbes, là où a été tué le colonel Beltrame dans un attentat revendiqué par l’État islamiste. La parole du camp du Bien, celle des artistes (Marion Cotillard) et des sportifs (Marcus Thuram ou Kylian Mbappé) qu’on pensait muets depuis le 7 octobre s’élève enfin. Les voix d’autorités socialistes périmées (Lionel Jospin) ou de vieilles gloires d’un paysage audiovisuel défunt (Anne Sinclair), maladivement excitées à l’idée de faire un dernier tour de piste, chevrotent depuis leurs tombes, descellées pour l’occasion, une exhortation périmée à l’union contre le Rassemblement national et les héritiers de Pétain. L’Histoire se répète, comme à l’accoutumé, en une farce sordide. «Élevez les hommes politiques à ne penser qu’à ce qui les touche, et vous verrez comment ils arrangeront l’État ; vous n’aurez par là que des ministres corrompus et avides, semblables à ces esclaves mutilés qui gouvernaient le Bas-Empire et qui vendaient tout, se souvenant d’avoir été eux-mêmes vendus», mettait en garde Chateaubriand dans le Conservateur, en date du 5 décembre 1818. Il avait aussi préalablement déclaré : «Le ministère a inventé une morale nouvelle, celle des intérêts ; celle des devoirs est abandonnée aux imbéciles». Puissent tous les imbéciles maintenant sonner la fin de partie.

Quand la politique déchire les Bleus

Les joueurs de notre équipe nationale devraient-ils rester en dehors de la politique? Leur capitaine Kylian Mbappé exploite sa célébrité pour exprimer ses opinions personnelles: il n’aime pas le RN. En revanche, le milieu de terrain Adrien Rabiot fait preuve d’une meilleure compréhension de ce que c’est que la démocratie. A la fin, l’équipe de France est aussi polarisée que le pays qu’elle représente.


Alors que le championnat d’Europe des Nations vient de débuter, le positionnement politique des membres de l’équipe de France fait l’actualité. Tournant autour de l’hôtel de Bad Lippspringe où logent les Bleus, le journaliste Sébastien Tarrago avait très envie que les joueurs expriment leur point de vue à l’approche des législatives anticipées. Ce fut chose faite par l’intermédiaire de Marcus Thuram, puis du capitaine Kylian Mbappé, qui a déclaré le 16 juin dernier qu’il espérait « être encore fier de porter [l]e maillot [de l’équipe de France] » le 7 juillet prochain, court-circuitant quelque peu le communiqué de la Fédération française de football rappelant sa neutralité politique. Établissant une hiérarchie des priorités à venir, le désormais ex-attaquant du PSG situe l’Euro très en dessous des élections législatives ; un point de vue qui peut s’entendre à l’échelle de la nation mais qui ne rassure pas complètement quant à son implication sportive personnelle.

On pensait que l’entrée en lice de la sélection contre l’Autriche permettrait aux esprits de passer à autre chose jusqu’à ce qu’un joueur vienne contredire en partie son propre capitaine. Adrien Rabiot, milieu de terrain de la Juventus, a déclaré mercredi 19 juin en conférence de presse : « Chacun a ses convictions. Nous, simplement, on veut dire aux gens d’aller voter. Il ne faut pas laisser les autres choisir pour soi. Mon avis est que chacun est libre de voter en fonction de ses convictions. Je ne vais pas vous donner mon vote mais on est dans une démocratie, il faut l’accepter. Celui qui obtiendra le plus de voix, le peuple l’aura choisi ». Un rappel du principe démocratique qui tombe sous le sens mais constitue presque déjà une audace.

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Il y a entre l’équipe de France et le FN, devenu RN, une longue histoire. En 1978, le jeune parti encore peu connu encourageait la sélection à disputer le mondial en Argentine, alors qu’une partie de la gauche la poussait à boycotter la compétition organisée par la dictature des généraux. En 1996, lors de l’euro anglais, Jean-Marie Le Pen avait reproché aux joueurs de l’équipe de France de ne pas connaître la Marseillaise et d’avoir été pour la plupart naturalisé dans un seul but carriériste. A l’époque, Didier Deschamps, joueur et capitaine, était monté au filet pour défendre ses camarades. Face à la récente attitude de Mbappé, Deschamps a rappelé qu’il n’avait fait, lui, que réagir aux propos de Jean-Marie Le Pen. Six ans plus tard, c’est le psychodrame du 21 avril 2002. Les Bleus sont entretemps devenus champions du monde et les dieux de l’époque. Durant la quinzaine anti-Le Pen, ils sortent du bois. Marcel Desailly, fils adoptif d’un diplomate, avait alors qualifié le Front National de « parti fasciste ». Seul Christophe Dugarry s’était tenu à l’écart de cette unanimité. Ancêtre d’Adrien Rabiot en quelque sorte, mais dans une version plus je-m’en-foutiste, il avait estimé qu’entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, aucun des deux candidats ne lui avait donné envie de voter. Aujourd’hui chroniqueur sportif sur RMC, il a fustigé la politisation de l’équipe de France opérée par Kylian Mbappé.

Le clivage Mbappé/Rabiot, début d’un clivage ethnique ? En 1996, l’équipe des Pays-Bas avait volé en éclats en plein Euro. Un peu à cause de questions d’argent, non sans arrière-fond ethnique. Une photographie montrant les joueurs d’origine surinamienne disposés sur une table à l’écart des joueurs blancs, avaient fait couler beaucoup d’encre. Des tensions pas complètement redescendues deux ans plus tard, lors du mondial en France. En 2010, lors du fiasco français en Afrique du Sud, Sydney Govou avait admis que des clans ethniques s’étaient constitués au sein de l’équipe nationale : « Dans la vie de tous les jours, on cherche des affinités, alors en équipe de France aussi. Et quand on cherche des affinités, la couleur c’est la première chose qui vient à l’esprit ». Laurent Blanc, intronisé sélectionneur des Bleus au lendemain de la coupe du monde sud-africaine, prit comme première mesure de supprimer le buffet halal…

Choc des savoirs, extrême droite : ils ne passeront pas!

Les syndicats d’enseignants s’opposent au programme du « choc des savoirs » lancé par Gabriel Attal quand il était ministre de l’Education. De la même façon, ils prétendent s’opposer à l’élection des candidats du Rassemblement national. Et s’ils se consacraient plutôt à l’enseignement? Témoignage.


« « Choc des savoirs » : ni amendable, ni négociable! Exigeons son abrogation! » clame le Syndicat National Force Ouvrière des Lycées et Collèges. Fédération SGEN-CFDT, CGT Educ’action, SNES-FSU…, tous ont défilé le 25 mai, braillé leur colère, brandi l’étendard de la révolte: « Non au choc des savoirs, pour l’école publique! Pour la défense de l’école publique, contre le choc des savoirs! ¡No pasará! »

Les syndicats de l’Éducation nationale combattent le bon combat. Ce n’est plus à prouver. Mais pourquoi cette offensive printanière? L’école de la République, bienveillante, nivelante, bêtifiante, serait-elle en danger? Le savoir menacerait-il de faire son grand retour? Si la formule « choc » et la rhétorique guerrière de Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation – « bataille des savoirs », « mobilisation générale pour élever le niveau de l’école »… –  pouvaient nourrir les peurs, Belloubet s’est vite montrée rassurante : priorité donnée à « la lutte contre le harcèlement scolaire, afin que l’école soit pour chaque élève un lieu d’épanouissement et de bien-être ».  Et de substituer aux groupes de « niveau » en français et en mathématiques prévus au collège pour la rentrée 2024 des groupes de « besoins », histoire de parler pour ne rien dire et de réformer pour ne surtout rien changer.

Que les syndicats, donc, dorment sur leurs deux oreilles! Nous toucherons bien le fond des classements PISA et enverrons des cohortes d’analphabètes au bac dans les années qui viennent.

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Dans mon collège, on s’applique à ne pas appliquer la réforme. Les groupes de besoins? « « Besoins » ne signifie pas « niveau ». D’ailleurs les classes de niveau stigmatisent les élèves en difficulté. Nous ne ferons pas le tri des élèves ». C’est là qu’interviennent les inspecteurs, mandatés pour prêcher (mollement) le choc des savoirs, à coup d’« animations pédagogiques » : «Il n’y pas d’élèves en difficulté mais des élèves en situation de difficulté, il faut donc des groupes flexibles dans la stabilité, de l’hétérogénéité dans l’homogénéité, il s’agit de tenir les deux principes, en même temps…» Alors, après «avoir proposé et non pas imposé», puis «posé les jalons pour un travail harmonisé», avant le goudron et les plumes (parce que la réforme Attal-Belloubet met surtout un joyeux bazar dans les emplois du temps et que c’est un sujet sur lequel les profs ne plaisantent pas), ils se retirent précautionneusement. À la cheffe de finir le boulot et de faire non plus des classes hétérogènes, mais des groupes hétérogènes. Pour une révolution copernicienne, on repassera.

Nos petits élèves qui ont connu une scolarité sporadique au temps de la Covid-19 et dont les connaissances en français et en mathématiques tutoient les abîmes seront donc protégés du choc des savoirs. Ouf. Leurs professeurs aussi, d’ailleurs, si l’on en croit le niveau de recrutement, la barre d’admissibilité ayant été de 5,13/20 au CAPES de mathématiques en 2022.

Mais le seront-ils de l’extrême droite? L’intersyndicale veille et poursuit le combat. Après le 25 mai, le 15 juin. Puis le 23 juin. «Toutes et tous ensemble contre l’extrême droite!»

«L’extrême droite a toujours été, et demeure plus que jamais l’ennemie mortelle des travailleurs et des travailleuses, des étranger⋅ères, des personnes racisées, des LGBTQIA+ et de la démocratie. Son programme conduit à une accélération de la crise écologique. Au niveau de l’école, ses offensives se font déjà de plus en plus visibles : parents vigilants, pression sur les enseignant·es, « Redresser les corps, redresser les esprits, pour redresser la nation », le projet éducatif de l’extrême droite est à l’image de son idéologie et de ses valeurs : inégalitaire, autoritaire et identitaire».

Ça fait froid dans le dos. ¡No pasarán!

Cessons d’écouter la morale des déracinés

Que le peuple refuse de voter majoritairement pour la gauche, l’extrême-gauche ou le centre ne fait qu’accroître encore le mépris que ressentent les élites à son égard. Tribune de Philippe B. Grimbert.


« Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple » disait en son temps le facétieux Bertolt Brecht. C’était mal connaitre notre cher président, seigneur et maître du en même temps qui s’acharne, lui, avec l’agilité qu’on lui connait aux deux tâches : la dissolution de l’Assemblée contiguë à celle de cet « âne qui se cabre, cet éternel mineur » qu’est le peuple, le bon ou le mauvais selon qu’il est virtuel, romanesque ou bien qu’il vote (mal).

Cette chose qui grossit à vue d’œil ou du moins d’élection puisqu’il n’y a plus que ces dernières pour l’éprouver, cette moitié de France qui s’abstient ou cette autre presque moitié votante mais qui vote rance, hier ouvrière, puis paysanne, puis cadre, fonctionnaire, rang C, rang B, retraités, le temps est venu malgré l’ampleur de la tache et de la tâche sinon de pouvoir totalement les dissoudre, du moins de les néantiser. A tous les déclassés qui viennent en grossir les rangs, à tous ces ahuris qui peinent à en finir avec la réalité, comme d’autres avec des punaises de lits, qui comptent les centimes dans les allées des supermarchés, qui font le plein une fois par semaine dans les stations-services des Zones d’Aménagement Commercial, qui osent souffrir moins de la fonte du permafrost que de celle de leur pouvoir d’achat, qui rechignent encore à aimer l’Autre comme la chance de leur terne existence, ou leur descendance anémique, il est temps de s’adresser durant quatre semaines, de leur faire l’aumône d’une pédagogie que les écoles de la république hélas ne dispensent plus le reste du temps.

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Les tenants vertueux ont pour cela ressorti leurs vieux oripeaux, ceux qui ont fait leur preuve et vous rhabille un Gilet Jaune égaré en soldat de la Wehrmacht. Habitant du peuple, (l’ancien), apprend-le, ta nostalgie est fasciste, ta précarité est nazie, tu t’extremedroitises sans le savoir comme Mr Jourdan faisait de la prose. Car il te manque depuis toujours cette chose qui ne s’apprend que dans les grands appartements et les grandes écoles de la nation : le sens du discernement, le bon goût en quelque sorte. Et cette chose-là ne s’apprend pas dans les zones pavillonnaires ou les territoires non pas perdus mais égarés de la France qui perd et, à vrai dire, qui nous fait un peu honte, ici et hors de nos frontières que nous souhaitons ouvertes pour qu’un autre peuple vienne laver les assiettes de nos bobuns, chercher nos enfants à la sortie de leur école privée et construire les logements sociaux où ils habiterons, près de chez nous, puisque nous somme ainsi faits, accueillants, cordicoles, partisans du (bien) vivre ensemble, que nous avons le sens de la décence, celle que contrairement à ce que pensait Orwell, le vieux peuple a depuis bien longtemps perdue. Ce même Orwell qui par ailleurs nous rappelait que si la gauche a toujours été anti-fasciste, elle n’a jamais été anti-totalitaire, toujours prompte à repérer le mal absolu sous ses couleurs brunes mais jamais chez Staline, Mao, Pol Pot et consorts, comme elle est aujourd’hui incapable de la repérer dans l’idéologie de La France Insoumise, préférant s’en tenir à ses bons vieux fétiches, ses anachronismes, recycler sa morale aux valeurs sûres du bien et du mal.

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Pour qui voter?

Donner sa voix à un candidat du Nouveau Front populaire n’est pas une option pour un Français juif, car l’« antisionisme » affiché par les membres de cette alliance de gauche et de l’extrême gauche cache mal une judéophobie fondée sur l’opportunisme électoral. Pourtant, dans les élections législatives, tous les extrêmes sont à éviter. L’analyse de Richard Prasquier, ancien président du Crif.


Les élections européennes ont réveillé des spectres divers, dont plusieurs parcourent l’Europe et dont d’autres sont spécifiques à la France. Dans une impression globale de déclassement régalien, économique, politique, éducatif, scientifique, culturel et social contre laquelle les affirmations volontaristes et martiales ressemblent à autant de coups d’épée dans l’eau, s’insinue l’idée d’un conflit de civilisation pouvant conduire à la guerre civile que certains dépeignent et beaucoup redoutent, dont d’aucuns exploitent la menace et que la plupart escamotent de leur esprit.

La minuscule communauté juive française (0,5% peut-être de la population), qui est pourtant la plus importante et probablement la mieux structurée d’Europe, ne compte électoralement que dans un nombre minime de circonscriptions. Alors que notre pays affiche la laïcité, aujourd’hui trop souvent brocardée, comme une de ses valeurs fondamentales, on doit constater que dans d’autres démocraties, le choix du multiculturalisme a finalement rendu la situation des Juifs plus difficile. Par ailleurs, si la communauté juive française n’est pas monolithique, elle est, contrairement à d’autres pays, comme les États-Unis, presque exclusivement sioniste. C’est dire si la situation en Israël influe sur les choix électoraux.

Sur les Juifs de France, l’impact du 7 octobre 2023 a été massif. Ils ont été choqués de constater que la manipulation de l’information a rendu certains de leurs amis imperméables à la profondeur de cette blessure. A notre époque d’information au bout du clic, la vérité est devenue d’autant moins précieuse qu’elle est plus facile à obtenir. Mais encore plus stupéfiant a été le fait qu’un parti, la France Insoumise, a pris la guerre de Gaza comme thème électoral majeur d’élections européennes où bien d’autres sujets eussent été plus pertinents.

Cette dérive a été amplement commentée. La lutte contre le racisme a été dévoyée en un chantage à l’islamophobie lui-même gangrené par un antisémitisme qui n’ose pas dire son nom et qui a fini par aboutir là d’où tous les Frères Musulmans (dont le Hamas, faut-il le rappeler, est la filiale palestinienne) sont partis : il n’y a plus de mot pour Israélien, on ne connait plus que le Juif, pardon, le « sioniste », condensé de toutes les vilenies.

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Parti d’une judéophobie très courante au XIXe siècle dans la gauche révolutionnaire, Jean Jaurès avait su corriger ses opinions à l’occasion de l’affaire Dreyfus. Jean-Luc Mélenchon a suivi le chemin inverse. Aujourd’hui, ses remarques relèvent d’un antisémitisme de plus en plus débridé, où il imite son idole, le vénézuélien Hugo Chavez.

Le philosophe Jean-Claude Milner distingue un antisémitisme de passion et un antisémitisme de calcul. Dans ce second cas, on est antisémite parce qu’on y trouve des avantages : parcours de carrière, adhésion à un groupe ou plus souvent encore désir de ne pas avoir d’ennuis. Mais pour qu’un individu garde une cohérence psychologique interne, moteur de son estime de soi, passion et calcul finissent par s’alimenter l’un l’autre. C’est pourquoi le démontage de ce que Mélenchon pense au fond de lui-même est sans intérêt. Le discours de haine d’Israël, produit d’appel électoral destiné à aspirer les votes des « quartiers difficiles » s’est mué, et c’était inévitable, en discours antisémite. 

Cette stratégie a malheureusement été plutôt efficace. Le score européen de LFI a augmenté de 55% par rapport à 2019. Il est générationnel et communautariste, dépendant de facteurs interconnectés, le pourcentage de musulmans dans la population, la jeunesse des électeurs et le degré de leur ressentiment face à un présent et un avenir difficiles.

A moyen terme, plus inquiétante encore est l’influence d’un parti dont les méthodes prennent peu à peu un caractère stalinien. La jeunesse est le terrain d’action privilégié des dictatures auxquelles les inclusives aberrations du wokisme offrent un réservoir inépuisable de militants décervelés. Tous risquent d’être les idiots utiles de l’islamisme, qui, s’il parvient au pouvoir, se débarrassera, comme Khomeini l’avait fait, de ces alliés du début et de leurs oripeaux idéologiques qui ne pèse guère devant ce qu’on prétend être des injonctions divines.

Dans le court terme de l’élection législative, un parti dans une dérive morale aussi évidente que la LFI ne devrait que susciter le rejet. Il n’empêche : le Parti socialiste qui a pourtant obtenu bien plus de voix aux européennes, non seulement accepte des candidatures uniques dans chaque circonscription dès le premier tour des législatives, mais laisse aux candidats LFI un nombre plus élevé de circonscriptions. Le Mélenchon nouveau est arrivé, qui ne « s’élimine pas, mais ne s’impose pas » et qui endosse le costume de rempart de la démocratie après avoir pris jusque-là celui de chef de file du chaos. Mathilde Panot s’érige en défenseur des Juifs et même Rima Hassan n’écrit plus ses tweets incendiaires sur les Israéliens. La ficelle est grosse. En choisissant de faire alliance avec LFI et même avec un parti NPA qui s’est révélé dès le 8 octobre comme un admirateur du Hamas, Olivier Faure proclame que l’antisémitisme n’a pas beaucoup d’importance. 

Les Juifs ont souvent servi dans le passé de variable d’ajustement. C’est entre autres pour ne plus être les objets d’une histoire qui les passait jusque-là par profits et pertes qu’ils ont créé l’État d’Israël. Olivier Faure, quelles que soient ses opinions personnelles, agit en antisémite de calcul.

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A Raphael Glucksmann qui avait rejeté l’alliance avec LFI et qui n’avait pourtant pas épargné Israël pendant sa campagne, les manifestants de la Place de la République ont réservé un de ces qualificatifs tout en nuances dont ils ont le secret : « Israël assassin, Glucksmann complice ». A son corps défendant, ce dernier est finalement venu à résipiscence…

C’est un avant-goût de la liberté d’opinion telle que la conçoit LFI. Honneur à ceux parmi les socialistes qui ont refusé de vendre leurs principes contre un plat de lentilles électoral…

L’irruption d’Emmanuel Macron dans le jeu politique a conduit à une tripolarisation. Un centre « enmêmetempiste » taillait des croupières aux partis de gauche et de droite en aspirant leurs électeurs modérés mais déportait mécaniquement les opposants vers les extrêmes. Le bon score du candidat socialiste aux européennes provient d’un espace électoral momentanément élargi par la déception des électeurs de gauche modérée qui avaient voté pour Emmanuel Macron et qui ont constaté que sa politique économique et sociale était de droite. A cela s’est ajoutée l’impéritie d’un parti écologiste incarné par de ternes dirigeants, dont certains(-es) sombrent dans le gaucho-wokisme. Ce relatif succès rend l’accord de premier tour avec LFI d’autant plus scandaleux.

Du côté droit de l’échiquier politique, la déroute des LR traduit la perte d’espace politique entre un gouvernement dont ils sont proches sur le plan économique et un Rassemblement National qui peut se targuer d’une ancienneté supérieure à tirer la sonnette d’alarme sécuritaire. La réaction d’Éric Ciotti témoigne de cette asphyxie d’un parti qui a été depuis plus de soixante ans, sous des noms divers, le pivot de la droite et du gaullisme. Nul ne peut dire aujourd’hui si sa décision historique de briser, contre l’avis de la majorité des cadres du parti, le cordon sanitaire autour du RN aura des incidences électorales, mais il est probable que beaucoup d’électeurs LR, les jeunes surtout, le suivront, malgré les grandes différences programmatiques entre le LR et le RN (on rappelle que Marine Le Pen se veut « ni-ni », ni droite-ni gauche).

Le contraste est cuisant entre ce parti LR en crise et le succès de la droite modérée qui va dominer le Parlement européen. C’est le résultat de la stratégie macronienne de tripolarisation électorale. Chacun y trouve une carte à jouer :  LFI redorant à bas prix son blason sous le slogan éculé du  Front populaire contre l’extrême droite, le RN se présentant comme le défenseur d’une France en insécurité et Emmanuel Macron comme le parti de la République de raison contre les extrêmes.

Mais cette initiative est lourde de risques car la dévalorisation actuelle de la parole présidentielle, qui a beaucoup perdu de son aura de 2017, risque d’amener les extrêmes au pouvoir et plus probablement encore de rendre l’Assemblée Nationale ingouvernable. Le succès du RN, en particulier, est possible mais son échec économique, probable, disent de plus compétents que moi dans ce domaine, donnerait un tremplin à l’extrême gauche. La pyromanie dissolutive, celle du 21 avril 1997 par Jacques Chirac, ou, il y a bien plus longtemps, celle du 25 juin 1877, par le Président Mac Mahon (Mac Macron, diront évidemment les humoristes), a parfois carbonisé ses auteurs.

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Dans cette élection législative, où ira le vote des Français juifs ? Très rarement, c’est certain, en faveur d’un candidat adoubé par Jean-Luc Mélenchon. En revanche, la possibilité d’un vote sanction en faveur du RN (je ne parle pas d’un Éric Zemmour en perdition électorale…) se pose pour un nombre significatif d’entre eux. Ils observent qu’on n’a jamais pu relever contre Marine Le Pen de paroles antisémites et que, depuis le début de la guerre de Gaza, son discours sur Israël a été d’une clarté parfaite. Traumatisés par les horreurs du 7 octobre, ils ne comprennent pas la complaisance au sujet du Hamas et des dangers de l’islamisme, les valses hésitations moralisatrices de la diplomatie française, le parti pris anti-israélien et les accusations pseudo-génocidaires d’une grande part de l’intelligentsia, des médias et des leaders d’opinion, l’euphémisation de l’antisémitisme qui provient de la gauche et, enfin, pour ceux qui y sont géographiquement exposés, l’impression d’être abandonnés dans des territoires perdus de la République, du nom de ce livre écrit il y a plus de vingt ans et soigneusement ignoré par tous les gouvernements de l’époque.

Le Président du Crif, soutenu par son exécutif, s’est exprimé clairement contre un vote pour les partis extrémistes. Comme on s’en doute, cela lui a valu des critiques. Je soutiens sa position.

L’indifférence à l’histoire est aujourd’hui à la mode, mais je ne peux pas voter pour un parti qui, tout en ayant changé son nom et son discours, et apparemment rejeté le parrainage de son fondateur, est l’héritier direct du Front National. Quoi qu’en dise Jordan Bardella, Jean Marie Le Pen, à sa grande époque, bien qu’il maniât avec brio l’imparfait du subjonctif, était une brute antisémite dont les multiples plaisanteries sur fond de Shoah et l’admiration pour les Waffen SS et leurs viriles chansons, révélait le fond de ses passions.

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Je me félicite, comme Serge Klarsfeld, de l’évolution du RN, je n’ai pas d’argument pour accuser Marine Le Pen d’arrière-pensées et je pense que l’antisémitisme est le cadet des soucis de la plupart de ses électeurs. Mais pas de tous ! De très anciens amis de la présidente du RN, tels Frédéric Chatillon et Axel Loustau, toujours actifs autour d’elle, ont un palmarès édifiant d’accointances avec le nazi Degrelle, Bachar el Assad, Soral, Dieudonné et consorts. En 2012 à Vienne, le 27 janvier (jour de la libération d’Auschwitz) Marine le Pen avait fait la fête avec ce qu’il y avait de pire dans l’extrême droite locale. Certes, elle a aussi organisé récemment l’exclusion du groupe européen « Identité et Démocratie » de l’AfD allemande, mais cela signifie qu’elle avait accepté jusque-là de coopérer avec ce parti rempli de néo-nazis. Ce qu’on dit de certaines soirées intimes du RN et des plaisanteries qui y ont lieu banalement sur le thème des races, des Juifs ou de la Shoah confirme que la prudence doit rester de mise.

En France, chacun exprime ses préférences dans son bulletin de vote. Certains Juifs voteront pour le RN parce qu’ils pensent que sur les sujets qui leur importent, pouvoir d’achat, sécurité, lutte contre l’islamisme ou défense d’Israël, il représente leur meilleur choix. Le Crif n’a pas pour vocation d’être un calque de ces options politiques, mais de défendre les valeurs pour lesquelles il a été créé, la lutte contre l’antisémitisme, à laquelle j’adjoins la lutte contre tous les racismes, la défense d’Israël et la mémoire de la Shoah. Ce n’est que dans la certitude que ces objectifs sont communs que des relations avec un parti politique peuvent être fructueuses. 

Compréhensible est l’exaspération de certains Français juifs face à la politique d’aller-retour de la France à l’égard d’Israël, ses ambiguïtés, ses silences et parfois ses hypocrisies (l’exclusion d’Israël lors du récent salon de la défense…) mais, sur un simple plan pragmatique et non pas moral, un vote sanction au profit du RN serait une mauvaise réponse à une véritable angoisse : c’est à l’ensemble des citoyens de notre pays qu’il faut faire comprendre que le combat d’Israël contre l’islamisme les  concerne tous. Ce combat ne doit pas être adossé à un seul parti, dont l’éventuelle victoire risquerait de toute façon d’être éphémère et dont le programme et les antécédents sont si problématiques. Une telle orientation par ailleurs ne rend pas justice aux nombreux Français non-juifs qui témoignent, souvent malgré les menaces et les insultes, de leur rejet du terrorisme islamique et de leur amitié envers Israël, mais qui ne se résolvent pas au compagnonnage de l’extrême droite. Nous ne devons pas en même temps fustiger les socialistes qui signent une alliance honteuse avec LFI pour le mirage de profits électoraux et faire fi de nos inquiétudes quant aux idiosyncrasies du RN : ce sont des valeurs qui font la fierté du judaïsme que nous risquerions pour le coup de brader pour un plat de lentilles…

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Organisation de l'ouverture des JO à Paris le 25 juillet 2023. © ANTON KARLINER/SIPA

Le directeur artistique de Paris 2024 vient de lever un bout du voile recouvrant la mystérieuse cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques du 26 juillet… Au journaliste du Monde venu espionner son travail, le metteur en scène chouchou du public assure que chaque défi surmonté enrichira le spectacle. On a tellement hâte d’y être !


A la faveur d’un reportage publié dans le quotidien Le Monde, de réjouissantes nouvelles nous parviennent enfin. Alors que le pays est un peu crispé, notamment par la situation politique, cela fait un bien fou.

Le journal des bonnes nouvelles

Le grand quotidien du soir nous dévoile tout ce qu’il sait de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Si les organisateurs sont toujours à la recherche d’agents de sécurité pour cet évènement estival décrit depuis des mois comme hautement grandiose mais aussi hautement risqué, les préparatifs artistiques vont bon train de leur côté. « Je voulais construire une tour Eiffel inversée, ça, ce n’était pas possible », confie d’emblée le metteur en scène Thomas Jolly aux journalistes chargés de nous raconter ces bonnes nouvelles. Il n’est malheureusement plus question non plus de voir les têtes de nos rois sortir de la Seine depuis un moment.

Dans un hangar de Saint-Denis (93), où les répétitions se tiennent actuellement dans le plus grand secret, cet artiste woke en vogue regrette également d’avoir dû revoir à la baisse une autre de ses ambitions : « Sur l’un des ponts [il n’a pas le droit de dire lequel], on voulait faire un grand ballet de deux cents danseurs. Les experts ont calculé qu’avec la résonance et les vibrations du poids des danseurs, le pont ne résisterait pas. On a dû transformer le tableau », déplore le créateur. Mais, soyons rassurés : car ailleurs, 3000 danseurs « d’ici et de partout », 400 « performeurs » et une centaine de bateaux seront bien dispatchés pour le plus grand plaisir des yeux. Autour de la Seine, quatre scènes et pas moins de dix ou douze tableaux sur les berges sont prévus pour accueillir le monde entier, croit savoir le journal.

Une cérémonie hors d’un stade, une grande première

Le protocole habituel est complètement bousculé ; les délégations des différentes nations défileront en même temps que sera donné le somptueux show artistique et musical. Un spectacle qui doit durer près de quatre heures.

L’idée initiale de cette cérémonie en dehors d’un stade revient à Thierry Reboul, spécialiste de l’événementiel de 56 ans, originaire de Marseille, qui occupe le poste prestigieux de directeur exécutif des cérémonies et de la « marque » Paris 2024. Le Parisien brosse le portrait suivant de cet homme au grand cœur et au goût du risque prononcé, dont le talent n’a pas échappé à Thierry Estanguet : « Mégalo pour les uns, génie pour les autres, Thierry Reboul bouscule les codes ».

Thomas Jolly, dont bousculer les codes fait aussi probablement partie de l’ADN, s’enthousiasme : « Le show, la parade, les éléments du protocole, j’ai décidé de tout entremêler. Faire que toute la cité danse, se synchronise. Jamais il n’y a eu de cérémonie qui ne soit pas dans un stade. Du coup, il n’y a pas de modèle. Il faut tout remettre en question en permanence ». Du coup, à l’approche de l’évènement, le chorégraphe-star de 42 ans est aussi excité qu’angoissé ! « Je ne vous cache pas que je passe des nuits où j’angoisse un peu… Et aussi des jours ». Il peut compter sur le soutien de Maud Le Pladec dans cette épreuve, chorégraphe avec laquelle il a déjà collaboré, et dont le travail se caractériserait par une énergie et une synchronisation marquantes. « Pour les JO, la danse, c’est moi. C’est mon ADN [comprendre : cette énergie, cette foule compacte de danseurs, précise Le Monde] Pas un pont, pas une berge qui ne sera habitée par un événement artistique » nous assure-t-elle. Voilà qui promet d’être grandiose. « Maud a une culture large de la danse […] On a commencé à travailler sur les JO en décembre 2022. La structure de la cérémonie a été posée en juin 2023. Et, depuis mars, cela devient concret. Les costumes sortent des ateliers, et l’on voit ici, pour la première fois, la danse de Maud épouser la musique composée par Victor Le Masne » explique Thomas Jolly, ravi.

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Thomas Jolly est surtout connu pour avoir ressuscité la comédie musicale « Starmania ». Dans son reportage, Le Monde le décrit comme « gourmand » et soucieux d’« appâter sans rien dévoiler, de façon à maintenir le suspense et à garder la surprise ». On en saliverait presque… « Chaque spectacle que j’ai imaginé dans ma tête n’est jamais arrivé semblable à ce que j’imaginais. Non, ça ne crée pas de frustration : si une idée ne va pas jusqu’au bout, c’est qu’elle n’est pas bonne ». Si l’on comprend bien, le metteur en scène semble donc assez sûr de ne pas se tromper. Ouf ! « Je suis un coffre-fort. En ce moment, je suis mi-homme, mi-coffre fort. Entendre les fantasmes des gens, moi qui sais ce qui va se passer, ça me fait souvent sourire » explique le facétieux artiste qui n’en dira pas plus sur la mise en scène tant attendue et pour laquelle il bénéficie d’une coquette enveloppe (on parle de plus de 150 millions d’euros pour 300 000 spectateurs).

Un enthousiasme grandissant attendu de la part des Parisiens

Même s’il aurait préféré les Daft Punk, la musique est donc confiée à Victor Le Masne, déjà à ses côtés sur « Starmania », déjà à l’initiative de la nouvelle version de « La Marseillaise » avec l’astronaute Thomas Pesquet au saxophone, mais également coqueluche des plus grands talents de la variété française (il a collaboré avec les chanteurs farfelus Philippe Katerine et Eddy de Pretto, ainsi qu’avec la chanteuse Juliette Armanet) ; mais on ne sait pas encore très bien qui viendra effectuer un tour de chant sur la Seine le 26 juillet. Après les rappeurs crétins Soprano et Alonzo, et le cauchemar Jul lors de l’arrivée de la flamme olympique à Marseille, que nous réserve la Ville Lumière ? Céline Dion, un peu rétablie de sa maladie ? Aya Nakamura, si et seulement si elle chante du Piaf et évite les poses lascives ? Beaucoup a déjà été dit… Marc Cerrone et son tube « Supernature » semblent à peu près sûrs, la Britannico-Albanaise Dua Lipa aurait été approchée… Le député RN Jean-Philippe Tanguy rêverait de son côté de voir Mylène Farmer. Il faudrait au moins adjoindre à cette dernière un Etienne Daho pour qu’on entende quelque chose… Quant à Michel Sardou, le nom du chanteur non-déconstruit et à la voix puissante n’est malheureusement jamais mentionné, bien sûr ! « La cérémonie promet des surprises bien plus radicales que la présence ou pas d’Aya Nakamura » assurait Thomas Jolly, au mois d’avril, dans Télérama. Au micro de France Inter, en octobre, il annonçait que tout ce qu’il faisait était « politique », et que Britney Spears valait bien Shakespeare… Alors n’en déplaise aux grincheux, cette cérémonie d’ouverture pourrait être une réussite fantastique, pense Anne Hidalgo dans son Hôtel de Ville, où se prépare pour la mi-juillet une baignade dans le fleuve coulant sous les fenêtres. « Ras-le-bol de tous ces peines-à-jouir qui n’ont pas du tout envie qu’on puisse célébrer quelque chose ensemble. De toute façon, on est là, et on le fait », s’énervait l’édile au Conseil de Paris le 22 mai. 

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Décidément, comme l’observait justement Elisabeth Lévy dès l’automne dernier lorsque Thomas Jolly s’est fait connaitre au-delà du petit monde du théâtre public subventionné, alors que la guerre des civilisations redémarre, Festivus1 continue ses saccages… Et c’est tant mieux : car sans lui et sans nos médias progressistes qui se font un devoir de le célébrer bruyamment, on n’aurait pas beaucoup d’occasions de rire. Reste deux inconnues : tout d’abord, il est évidemment impossible de savoir si le soleil sera présent au-dessus de Paris pour éclairer tous nos merveilleux danseurs et funambules le 26 juillet. Ensuite, surtout, on ne sait pas encore quel Premier ministre sera aux côtés d’Emmanuel Macron lors de cette cérémonie magique.


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CADA exquis du Berry 

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Campagne contre l'installation d'un CADA, à Béziers, le 12 octobre 2016. © Franck LODI/SIPA

Bélâbre, une petite commune du Berry où s’affrontent partisans et adversaires d’un centre pour demandeurs d’asile. Nous avions pu assister à une manifestation opposant les deux cortèges début mai. Le député du coin vient de laisser entendre que le projet pourrait être modifié. Retour sur une guerre des boutons villageoise. 


Sur son site, la municipalité de Bélâbre vante « le charme discret du Berry ». Discret, puisqu’avec 940 habitants perdus au cœur de l’Indre et Loire, le village n’a rien pour attirer le chaland ou le visiteur. Depuis un an, un projet municipal vise pourtant à y installer l’étranger. Le 9 février 2023, le conseil municipal vote une motion favorable à l’ouverture d’un CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) répondant à un projet de l’association Viltaïs. La structure permettrait d’accueillir en permanence 38 demandeurs d’asile, lesquels resteraient sur place pour le délai qu’exige le traitement de leur demande. A cet effet, les locaux d’une ancienne chemiserie, coincés dans une impasse et appartenant à la mairie ont été vendus à l’association.  

Qu’en pensent les administrés bélabrais ? Au bar du coin où nous entrons, on feint l’ignorance : « Il y a cette affaire oui. On préfère parler du soleil et des loisirs de l’été » nous assure un habitué accoudé au comptoir. Droit de réserve commerçant du côté de la tenancière qui « n’a pas le droit de donner son avis ». Samedi 11 mai, il était difficile pourtant d’ignorer les six camions de gendarmerie qui bloquent l’artère principale de la ville ou les deux manifestations, une pro CADA et une anti, avec des effectifs plutôt garnis pour un si petit village. Côté contre, 200 personnes réunies par l’Union Bélabraise avec un cortège essentiellement composé de retraités du petit commerce ou de la paysannerie, de quelques anciens combattants en uniforme et de nombreux jeunes actifs. Côté pour, ils sont 150 réunis aux abords de la mairie pour manifester leur soutien au CADA. Nombreux dans le groupe se disent enseignants, souvent retraités ou militants associatifs. Un trentenaire parisien, ingénieur son pour la télévision, qui réside « souvent dans la région en week end » a fait cinquante kilomètres pour manifester à l’initiative du maire « un soutien moral ». Fonctionnaires ménopausées et bobos d’un côté ; badauds et enfants du pays de l’autre. Nez rouges contre vierges rouges.

Méthode autoritaire et crainte sécuritaire 

Ce n’était pas la première fois que partisans et adversaires ont pu s’affronter ou échanger des noms d’oiseaux. Depuis février 2023, les opposants ont manifesté sept fois contre ledit projet et se sont organisés dans un collectif, l’Union Bélabraise. Initialement, l’association dénonçait les méthodes du maire, jugées autoritaires. Ludivine Fassiaux, présidente de l’association, parle d’« un déni de démocratie locale ». Elle dit avoir appris initialement la décision par voie de presse. Le collectif avait aussi proposé un référendum municipal ; Mme Fassiaux assure qu’elle « se serait inclinée devant la volonté de la majorité ». Alors qu’une nouvelle manifestation est prévue le samedi 11 mai, le meurtre de Mathis à Châteauroux, 50km de Bélabre, par un mineur afghan est dans tous les esprits : « Ce ne sont pas forcément de mauvais gens mais il n’en suffit que d’un seul… » La présidente affiche désormais des craintes sécuritaires : « Le CADA est mal positionné. Ce sont des chambres de 7m2 pour des familles. Et puis qu’est-ce qu’ils vont faire ici ? » Alors on redoute de voir des migrants désœuvrés zoner le soir : « On regarde ce qui se passe en France… Voyez Nantes. Voyez Châteauroux ». 

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Insensible aux critiques, le maire, Laurent Laroche, défend avec énergie son projet : « Les CADA n’ont rien à voir avec le terrible drame de Châteauroux ». Quid des craintes d’une partie de la population ? « Elles sont entretenues par l’extrême droite… » assure le maire. Dans chaque camp, on a pris l’habitude de se renvoyer le mistigri de la récupération politique, de l’aveuglement idéologique et du renfort de manifestants étrangers au village à chaque manifestation. 

La politique reprend ses droits 

Si le discours du maire se veut consensuel et rassurant, le propos de certains manifestants du 11 mai était plus politique. Au mégaphone, la représentante de la Ligue des Droits de l’Homme dénonce la politique répressive du gouvernement, parle des « frontières murées » de Schengen… Un badaud nous dit vouloir fonder un collectif contre l’extrême droite à Bélâbre. Certains parlent même de la présence de militants de la vieille Action française de Charles Maurras. 

De son côté l’Union Belâbraise ne cache pas l’étendard du pays réel dans sa poche. L’avocat médiatique Pierre Gentillet, désormais candidat pour le Rassemblement National dans le département voisin du Cher, et originaire du département, surtout connu des téléspectateurs de Cnews et de Cyril Hanouna, a pris l’habitude de prendre la parole à chaque manifestation. Elle ne s’en cache pas, Ludivine Fassiaux cherche des relais politiques : « Nous avons écrit à François-Xavier Bellamy et Eric Ciotti, sans réponse pour l’instant […] La raison de l’installation des CADA un peu partout, c’est bien la politique migratoire de la France ». Les pouvoirs publics ne semblent pas indifférents à cette initiative. On trouve sur le site de la préfecture d’Indre et Loire un projet de la Croix-Rouge, lequel dresse un état des lieux qui regrette la « faiblesse du taux CADA » : « Le taux de places CADA est le plus faible de la région : 1 place pour 2 350 habitants pour l’Indre-et-Loire, contre une moyenne régionale d’une place pour 1 175 habitants. » 

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Dans chaque camp, on ne cherche en tout cas plus à rassurer ni à s’abriter derrière des problèmes de méthode ou des appels au calme et à la concertation. Au fil des mois, alors que les positions se radicalisaient, le discours est devenu résolument politique. Les méthodes aussi, et pas forcément pour le meilleur. Patricia Fassiaux, qui en plus d’être cofondatrice avec sa fille de l’Union Belâbraise et gérante du Casino, a fait l’objet de pressions : « Le collectif Oui au CADA a envoyé une lettre au Casino pour dire que l’on faisait de la politique avec l’enseigne » assure-t-elle en brandissant pour nous convaincre la copie de la lettre à laquelle elle a pu avoir accès. Des tracts pro et anti sont distribués dans les boites le dimanche. Certains badauds regrettent « une omerta sur le sujet » comme de voir certaines familles du village se déchirer à table sur l’opportunité du projet, à l’heure de la traditionnelle engueulade politique du dimanche midi. 

Opportunisme politique et contexte électoral ? Ainsi que le relate France Bleu Berry, le député sortant Horizons de l’Indre, François Jolivet, en campagne, a laissé entendre que le projet pourrait être modifié  « Je pense que ce projet, pour des raisons sans doute d’ailleurs financières, ne verra pas le jour […] S’il se fait, il se fera à taille moindre à Bélâbre » affirme-t-il, citant une association dans une commune du département qui dispose déjà d’une structure d’accueil accolée à une résidence de retraite. Comme il ne s’agit pour le député que d’une piste de travail, les opposants ne désarment pas. Le 11 mai, devant l’auditoire, la présidente de l’union bélabraise avait prévenu : « Nous on se bat, eux ils perdent ». Dont acte. 

Bas de laine

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Los delincuentes. Film de Rodrigo Moreno. © WankaCine

Los Delincuentes, le dernier long-métrage de Rodrigo Moreno, raconte les aventures de deux employés de banque qui, piégés dans leur routine, décident de prendre leur destin en main. Audacieux sur le plan formel, le drame oppose vie de bureau et oisiveté utopique.


Costard cravate ringard de petit employé de banque, Morán (Daniel Elias) exerce son métier sans joie depuis des lustres dans une agence défraîchie de Buenos Aires, assez loin du décor high tech auquel nous sommes accoutumés pour ce genre de boutique. N’en pouvant plus, le quarantenaire fait le calcul : si, dans le coffre auquel ses années de bons et loyaux services lui donnent accès quotidiennement, il puise, en cash, l’équivalent de ce qu’il va toucher comme salaire jusqu’à sa retraite, il pourra se la couler douce, sans faire d’excès, en claquant lentement, avec pondération, son petit bas de laine. Adieu travail, adieu routine. Morán prend soin de multiplier par deux l’estimation du montant nécessaire, en sorte de partager le pactole, le temps venu, avec Román (Esteban Bigliardi), son collègue employé modèle, encore plus insoupçonnable que lui. A Román de mettre en lieu sûr les liasses de dollars (le peso argentin, comme l’on sait, ne vaut plus rien), pendant que lui, après s’être dénoncé à la police, purgera comme il se doit ses six années de prison dont, prévoyant, il anticipe qu’elles seront automatiquement ramenées à trois ans, pour bonne conduite.

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Complices d’opportunité, voilà nos deux hères devenus delincuentes – faut-il traduire ? Tout semble se passer selon leurs plans. A cela près que la sinistre maison d’arrêt n’a rien d’un havre de paix pour Morán, soudoyé sans délai par le parrain des lieux (de façon significative, un seul et même acteur, Germán De Silva, campe d’ailleurs le malfrat et le directeur de la banque – Janus d’une seule et même oppression, semble nous suggérer ce doublon). Quant à Román, il doit faire face aux soupçons (légitimes) d’une investigatrice pugnace, en charge d’enquêter pour le compte des assurances au sein de la banque, dans une ambiance évidemment délétère, qui met le personnel à cran. Román, en proie aux insomnies et tenté par l’alcoolisme, voit son foyer conjugal passablement perturbé.

Los Delincuentes. © WankaCinema

La fable nous entraîne bientôt loin de la capitale argentine, au cœur de cette nature inviolée où Román a été chargé par Morán d’enfouir le sac contenant les précieuses liasses, sous un énorme rocher, non loin d’un plan d’eau sur la rive duquel pique-nique et se délasse un conclave des deux sexes, auquel le citadin sera invité à se joindre… S’ensuivra une drôle de romance où convergeront à leur insu les assiduités de nos deux apprentis forbans pour une naïade néo-rurale.

Un conte attendrissant et cruel

Los delincuentes, sixième long-métrage du pontife de la «nouvelle vague argentine» Rodrigo Moreno, déploie ainsi, en deux actes dont cette « partie de campagne » fait la jonction, le théâtre captivant d’un récit nimbé de musiques, aux aller-retours temporels inattendus, et dont la durée, étirée sur plus de trois heures, fait pièce au formatage de nos fatigantes séries télévisées. Conjuguant l’air de rien, et sans y insister outre mesure, quelques remarquables audaces formelles (split-screens, fondus ralentis, superbes panoramiques ou plans fixes sur les paysages), sa coulée sans accrocs s’adosse à un scénario construit avec sûreté. Au fil des péripéties de ce conte à la fois savoureux, attendrissant et cruel, s’esquisse sans pathos, mais avec beaucoup de poésie, le rêve rousseauiste d’une vie simple, tout entière livrée à l’oisiveté, en communion avec la nature, sans préoccupation du lendemain, sans iPhone ni réseaux sociaux.

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Sciemment anagrammés pour leur donner sens, les prénoms de Morán et Román, et de Morna et Norma, leurs âmes-sœurs de rencontre dans ce paradis sylvestre, paraphent en quelque sorte l’utopie mi-écolo mi-anarchiste de se soustraire une bonne fois pour toutes aux contingences du réel. L’errance contre la routine, en somme. A ce titre, nous sommes tous des délinquants en puissance.

Los Delincuentes. Film de Rodrigo Moreno. Argentine, Luxembourg, Brésil, Chili. Couleur, 2023. Durée : 1h40. Sorti en France le 27 mars 2024.

Le gaucho-blanchiment

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Manifestation contre l'extrême droite, à Lyon, le 16 juin 2024. © KONRAD K./SIPA

Quelques centaines de cadres de l’Éducation nationale ont signé une pétition assurant qu’ils n’obéiront pas à un ministre issu du Rassemblement national. Leur texte méritait un commentaire linéaire car leur copie est à revoir.


Le 14 juin, les lycéens commentaient pour le bac un extrait d’Édouard, roman de la célébrissime Claire de Duras, dont le principal talent ne fut certes pas le style, mais l’idéologie, et surtout le sexe — mais la gauche nous a depuis longtemps habitués à ne pas juger les femmes sur leur talent (pour information, l’année même de la parution d’Édouard étaient publiées des œuvres de Balzac, de Lamennais, de Saint-Simon, de Scott, de Lamartine et de Mérimée !).

Je ne m’attarderai pas à la rédaction d’un énième corrigé du bac ; si j’évoquais la date du 14 juin, c’est parce que le même jour des « cadres, inspecteurs et chefs d’établissement des écoles, collèges et lycées de France » affirmaient benoîtement, dans une pétition, qu’ils n’obéiraient pas aux mesures du Rassemblement National, en cas de victoire du parti de Marine Le Pen. Que l’on se rassure : cette pétition, cas d’école de mauvaise copie, qui multiplie les hors-sujets, les imprécisions et les barbarismes, n’a recueilli pour l’heure que 776 signatures…

Il faut dire aussi qu’elle vaut son pesant d’observations ! La troisième phrase, déjà, appelle une grosse rature au stylo rouge : « Nous sommes des cadres de l’Éducation nationale, chargé.es de faire appliquer les orientations gouvernementales ». L’écriture inclusive, je le signale, n’est reconnue par aucune des instances officielles chargées de fixer les règles de la langue ; il s’agit d’une écriture militante ; le seul fait de l’utiliser indique par conséquent un positionnement idéologique, ce qui contrevient exactement à ce qui est écrit deux phrases plus loin : « Nous [appliquons les orientations gouvernementales] avec loyauté, sérieux, impartialité et rigueur ». Puis, l’écriture inclusive n’est pas optionnelle à merci ; il faut avoir le courage d’en user jusqu’au bout, ou de la bannir ! On accuse les entreprises de greenwashing, ou éco-blanchiment, lorsqu’elles se servent opportunément des principes écologiques pour faire leur publicité ; moi, j’accuse cette pétition, qui appelle du pied l’électorat de gauche au nom d’une prétendue « inclusion », de gaucho-blanchiment ; et je pose une première question ouverte à ses différents auteurs et signataires : pensez-vous, avec sérieux et impartialité, que le fait que « cadre » soit un substantif masculin à valeur générique traduise une misogynie systémique de l’État français ?…

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Mais je poursuis. Les « cadres », immédiatement après s’être présentés, nous assurent qu’ils servent l’État depuis des dizaines d’années sous « des gouvernements de droite, de gauche, du centre ». On s’étonnera que des intellectuels, œuvrant avec « rigueur » et « sérieux », se servent de mots aussi confus que « droite » et « gauche » ; à ce propos, j’aimerais leur demander — deuxième question ouverte — si Macron est à leurs yeux plutôt de droite ou plutôt de gauche ? Et au passage, si le Chirac du bruit et de l’odeur, le Sarkozy en campagne, sont plutôt de droite ou d’extrême-droite ? Et si le Front Populaire est plutôt de gauche ou d’extrême-gauche ?…

« Demain peut-être, continuent les pétitionnaires avec gravité, notre prochain ministre issu des rangs de l’extrême-droite exigera des cadres que nous sommes d’appliquer des directives, de mettre en œuvre des politiques ou d’organiser un enseignement en opposition avec les valeurs républicaines qui fondent nos métiers et justifient nos engagements ». Et d’ajouter, avec force componction, qu’ils n’obéiront pas. C’est là où le bât blesse ! À France Info, quelques-uns des signataires, en guise de précision, ont invoqué le statut de la fonction publique : « L’obligation d’obéissance hiérarchique peut cesser si l’ordre donné risque de compromettre gravement l’intérêt public » ; et comme on leur demandait ce qu’ils entendaient exactement par la formule « valeurs républicaines », ils ont cité « la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité ». De quoi rester songeur… Mais tandis que la République précisément, et la nation, et l’économie tremblent à l’idée d’une potentielle accession au pouvoir du Front Populaire (on cherche en vain les similitudes avec le Front de 1936 !), je voudrais poser une troisième série de questions aux auteurs de la pétition, pour conclure : 1) L’affectation des élèves perturbateurs dans des centres spécialisés après deux exclusions, ou l’examen d’entrée en sixième, constituent-ils selon vous des ordres qui risquent de compromettre gravement l’intérêt public ? 2) L’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices des sorties scolaires est-elle une mesure plutôt laïque ou plutôt contraire à l’ordre public ? 3) Le retour des uniformes et des groupes de niveaux, est-ce une mesure plutôt conforme au principe d’égalité ou plutôt contraire à l’ordre public ?…

Je gage qu’en répondant aux différentes questions posées, les braves inspecteurs et chefs d’établissement, très certainement rigoureux, loyaux et sérieux, ouvriront les yeux sur la fausse objectivité des principes qu’ils invoquent, et comprendront qu’un principe ne vaut rien sans son interprétation particulière. J’espère alors qu’ils n’auront plus la perfidie de désobéir à des ordres avec lesquels ils peuvent être en désaccord, mais qui ne justifient en rien une désobéissance hiérarchique… et qu’ils trouveront plutôt le courage de démissionner, comme tant d’autres l’ont fait avant eux, victimes des indignités de la Gauche au pouvoir.

Pour lire la pétition :

https://www.change.org/p/cadres-de-l-education-nationale-pour-la-r%C3%A9publique

Le conte d’une cité

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Un bureau de vote, au second tour des législatives de 2022. © SYSPEO/SIPA

La montée du Rassemblement National et la fragmentation de la droite républicaine transforment discrètement mais inexorablement le paysage politique, présageant des changements significatifs aux prochaines élections locales et nationales.


Nous nous situons dans une grande ville, à l’épicentre de la guerre que se livrent les droites. Les conséquences de ce conflit se prolongeront pour les dix à quinze prochaines années. Elles participeront du résultat d’ensemble des prochaines élections nationales autant que locales. Pourtant, tout avait particulièrement bien commencé. L’élection, puis la réélection à la présidence de la République d’Emmanuel Macron semblait garantir une continuité triomphante. Malgré une poussée, chaque fois accentuée, du Rassemblement National, le résultat final ne faisait pas de doute : un bloc central – qui s’était dérobé sous les pas de Nicolas Sarkozy en 2012 – garantissait l’exercice du pouvoir.

La première alerte dans cette ville n’a pas retenu l’attention. Elle s’est manifestée en deux temps très rapprochés, au printemps 2022. La progression de Marine Le Pen à l’élection présidentielle prenait beaucoup d’épaisseur. Surtout, les neuf circonscriptions du département dont cette ville est chef-lieu offraient, un mois plus tard, un panorama où le basculement le disputait à la fragmentation. Basculement, parce que le Rassemblement National s’installait de manière prégnante dans le paysage parlementaire, hors Sénat, en imposant ses députés là où leur victoire paraissait possible (un jour lointain), mais improbable (sur le moment). Fragmentation, car la droite accolée à l’espace central majoritaire – composé par les élus de la défunte UMP ayant rejoint, d’une manière ou d’une autre, la Macronie, y compris à travers Edouard Philippe et François Bayrou – perdait de substantielles positions.

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L’air de rien, tout se préparait au changement. Or, il vient un moment où la poussée d’une minorité grossissante et organisée finit par rencontrer la placidité ou l’inaction d’une majorité rendue débonnaire par la lassitude à l’égard d’une action publique perçue comme insatisfaisante, puis comme source de frustration. « C’est d’abord rumeur légère. Un petit vent rasant la Terre. Puis doucement, vous voyez calomnie Se dresser, s’enfler, s’enfler en grandissant. » Comme dans l' »Air de la calomnie » de Rossini, prenant appui sur l’exceptionnel orfèvre que fut Beaumarchais, le cheminement s’est fait à bas bruit mais de manière affirmée. Et voilà que tout à coup – Beaumarchais et Rossini en ont exprimé le texte et les notes avec génie – l’orage « éclate et tonne » en juin 2022, et les députés font mosaïque, à la (fausse) surprise légèrement ironique des citoyens-électeurs, partagés entre la bonhomie du laisser-faire, et la joie personnelle autant de fois dupliquée qu’il existe de votants décidés à participer au mouvement d’ensemble. « Mais enfin rien ne l’arrête, C’est la foudre, la tempête, Mais enfin rien ne l’arrête C’est la foudre, la tempête ». L’ancienne circonscription du maire tombe dans l’escarcelle de LR, dont le futur patron national est réélu dans la sienne, malgré les efforts déployés pour le battre.

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Le Chef de l’État mettant en œuvre l’expression de sa lassitude devant les rétifs de tout ordre, la séquence électorale législative devient périlleuse pour l’exécutif municipal, comme pour le pouvoir central. La transition osée, gaillarde et brusque – une révolution au sein du Gaullisme, en réalité – du rival déclaré et définitif du maire sous forme d’alliance avec le RN impose son application brute dans les circonscriptions de la ville. Nous saurons dans moins de trois semaines si cette transition politique prend corps. Si c’est le cas, l’agrégat Gaullisme-nationalisme aura réussi plusieurs tours de force : s’implanter localement pour constituer une majorité nationale de gouvernement, après un succès net aux élections européennes ; se débarrasser des oripeaux de l’extrémisme (tout en gardant un parfum de radicalité) pour entrer dans une nouvelle normalité majoritaire que beaucoup rejoindront par tacite ou expresse adhésion ; s’en aller quérir une victoire à l’élection présidentielle suivante, rompant la tradition des cohabitations fatales.

Dans cette ville, sachant que le poids des métropoles est lourd de conséquences pour le scrutin majeur désignant le Chef de l’État, il n’est plus impossible que la mairie change de main dans moins de deux ans. Un éventuel grand Chelem sur les trois circonscriptions qui la structurent marquerait le prélude de la suite qui se prépare, non plus dans le cheminement lent évoqué dans le début de l' »Air de la calomnie », mais dans le coup de canon final.

Le Nouveau Front populaire et la morale des intérêts

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Chateaubriand par Girodet-Trioson. Musee de Versailles. 24/05/2001 NAMUR-LALANCE/SIPA

Qu’aurait pensé Chateaubriand du Nouveau Front populaire et des marchandages et compromissions sur lesquels ce dernier est fondé? Il n’aurait peut-être pas été très enthousiaste… Tribune.


Emmanuel Macron a reçu le score de 14,6 % obtenu par sa majorité et le succès de la liste RN à 31,37% à la manière d’un camouflet. Il a alors, il était temps, pris la mesure de la lassitude française vis-à-vis de sa politique et réalisé l’intérêt croissant du peuple pour « l’esstrême droite ». En ces traverses, notre Néron du XXIe siècle dont l’hubris n’a d’égale que l’impulsivité ou la tendance à sous-estimer l’ennemi ne nous a pas déçus. Il a réagi avec la fougue conjuguée au manque de discernement qu’on lui connaît, misant sur l’incapacité de la gauche dite républicaine à s’allier et ne l’imaginant pas oser se compromettre dans de turpides ententes ; c’était là mal la connaître. Voici l’Assemblée nationale dissoute ; la table renversée ; les dés pipés jetés. L’histoire se répète et la farce se poursuit : « Comme l’initié mithriaque, la race humaine a peut-être besoin du bain de sang et du passage périodique dans la fosse funèbre » réfléchit l’Hadrien de Yourcenar.

Tandis que les droites peinent à s’allier dans la douleur et qu’Emmanuel Macron tente de récupérer les opposants à la ligne Ciotti, la gauche fait front (de taureau, assurément), se fédère et se met en ordre de marche pour rafler la mise aux législatives. Coalition et compromission avec l’antisémitisme promues par nombreux sectateurs de LFI et autres affidés au NPA du funeste Philippe Poutou (dont s’exemptent cependant, il convient de le mentionner, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Jérôme Guedj), tous les coups sont permis. Voici les politiques de gauche, prêts à tous les estampages pour gameler. Délesté de son scooter vendu aux enchères, le croissant assurément entre les dents et bradant un honneur déjà bien démonétisé, François Hollande est lui-même de la fête ! Le Nouveau Front Populaire est né. On n’ose imaginer ce que Léon Blum aurait pensé.

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Aux sièges, Députés ! Dénoncer le terrorisme du Hamas n’est plus de mise. Adoptez maintenant tous l’électoraliste attitude : promotion du multiculturalisme heureux, du wokisme repentant, de l’écologie punitive triomphante, éloge de l’égalitarisme. On ratisse large et on rase gratis : blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants, appel à un cessez-le feu immédiat à Gaza, smic à 1600 euros net… On accepte sans barguiner la candidature des personnages les plus contestables : Raphaël Arnault, militant antifa et triple fiché S, Aly Dioura dont le compte X dégueule de propos antisémites et anti-blancs ; voilà même le sieur Poutou, qui n’a de cesse de déclarer à qui veut bien l’entendre : « La police tue » (et dont le parti est poursuivi pour apologie du terrorisme) parachuté dans la circonscription de Trèbes, là où a été tué le colonel Beltrame dans un attentat revendiqué par l’État islamiste. La parole du camp du Bien, celle des artistes (Marion Cotillard) et des sportifs (Marcus Thuram ou Kylian Mbappé) qu’on pensait muets depuis le 7 octobre s’élève enfin. Les voix d’autorités socialistes périmées (Lionel Jospin) ou de vieilles gloires d’un paysage audiovisuel défunt (Anne Sinclair), maladivement excitées à l’idée de faire un dernier tour de piste, chevrotent depuis leurs tombes, descellées pour l’occasion, une exhortation périmée à l’union contre le Rassemblement national et les héritiers de Pétain. L’Histoire se répète, comme à l’accoutumé, en une farce sordide. «Élevez les hommes politiques à ne penser qu’à ce qui les touche, et vous verrez comment ils arrangeront l’État ; vous n’aurez par là que des ministres corrompus et avides, semblables à ces esclaves mutilés qui gouvernaient le Bas-Empire et qui vendaient tout, se souvenant d’avoir été eux-mêmes vendus», mettait en garde Chateaubriand dans le Conservateur, en date du 5 décembre 1818. Il avait aussi préalablement déclaré : «Le ministère a inventé une morale nouvelle, celle des intérêts ; celle des devoirs est abandonnée aux imbéciles». Puissent tous les imbéciles maintenant sonner la fin de partie.

Quand la politique déchire les Bleus

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Le capitaine de l'équipe de France, Kylian Mbappé, en conférence de presse le 22 mars 2024 © MOURAD ALLILI/SIPA

Les joueurs de notre équipe nationale devraient-ils rester en dehors de la politique? Leur capitaine Kylian Mbappé exploite sa célébrité pour exprimer ses opinions personnelles: il n’aime pas le RN. En revanche, le milieu de terrain Adrien Rabiot fait preuve d’une meilleure compréhension de ce que c’est que la démocratie. A la fin, l’équipe de France est aussi polarisée que le pays qu’elle représente.


Alors que le championnat d’Europe des Nations vient de débuter, le positionnement politique des membres de l’équipe de France fait l’actualité. Tournant autour de l’hôtel de Bad Lippspringe où logent les Bleus, le journaliste Sébastien Tarrago avait très envie que les joueurs expriment leur point de vue à l’approche des législatives anticipées. Ce fut chose faite par l’intermédiaire de Marcus Thuram, puis du capitaine Kylian Mbappé, qui a déclaré le 16 juin dernier qu’il espérait « être encore fier de porter [l]e maillot [de l’équipe de France] » le 7 juillet prochain, court-circuitant quelque peu le communiqué de la Fédération française de football rappelant sa neutralité politique. Établissant une hiérarchie des priorités à venir, le désormais ex-attaquant du PSG situe l’Euro très en dessous des élections législatives ; un point de vue qui peut s’entendre à l’échelle de la nation mais qui ne rassure pas complètement quant à son implication sportive personnelle.

On pensait que l’entrée en lice de la sélection contre l’Autriche permettrait aux esprits de passer à autre chose jusqu’à ce qu’un joueur vienne contredire en partie son propre capitaine. Adrien Rabiot, milieu de terrain de la Juventus, a déclaré mercredi 19 juin en conférence de presse : « Chacun a ses convictions. Nous, simplement, on veut dire aux gens d’aller voter. Il ne faut pas laisser les autres choisir pour soi. Mon avis est que chacun est libre de voter en fonction de ses convictions. Je ne vais pas vous donner mon vote mais on est dans une démocratie, il faut l’accepter. Celui qui obtiendra le plus de voix, le peuple l’aura choisi ». Un rappel du principe démocratique qui tombe sous le sens mais constitue presque déjà une audace.

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Il y a entre l’équipe de France et le FN, devenu RN, une longue histoire. En 1978, le jeune parti encore peu connu encourageait la sélection à disputer le mondial en Argentine, alors qu’une partie de la gauche la poussait à boycotter la compétition organisée par la dictature des généraux. En 1996, lors de l’euro anglais, Jean-Marie Le Pen avait reproché aux joueurs de l’équipe de France de ne pas connaître la Marseillaise et d’avoir été pour la plupart naturalisé dans un seul but carriériste. A l’époque, Didier Deschamps, joueur et capitaine, était monté au filet pour défendre ses camarades. Face à la récente attitude de Mbappé, Deschamps a rappelé qu’il n’avait fait, lui, que réagir aux propos de Jean-Marie Le Pen. Six ans plus tard, c’est le psychodrame du 21 avril 2002. Les Bleus sont entretemps devenus champions du monde et les dieux de l’époque. Durant la quinzaine anti-Le Pen, ils sortent du bois. Marcel Desailly, fils adoptif d’un diplomate, avait alors qualifié le Front National de « parti fasciste ». Seul Christophe Dugarry s’était tenu à l’écart de cette unanimité. Ancêtre d’Adrien Rabiot en quelque sorte, mais dans une version plus je-m’en-foutiste, il avait estimé qu’entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, aucun des deux candidats ne lui avait donné envie de voter. Aujourd’hui chroniqueur sportif sur RMC, il a fustigé la politisation de l’équipe de France opérée par Kylian Mbappé.

Le clivage Mbappé/Rabiot, début d’un clivage ethnique ? En 1996, l’équipe des Pays-Bas avait volé en éclats en plein Euro. Un peu à cause de questions d’argent, non sans arrière-fond ethnique. Une photographie montrant les joueurs d’origine surinamienne disposés sur une table à l’écart des joueurs blancs, avaient fait couler beaucoup d’encre. Des tensions pas complètement redescendues deux ans plus tard, lors du mondial en France. En 2010, lors du fiasco français en Afrique du Sud, Sydney Govou avait admis que des clans ethniques s’étaient constitués au sein de l’équipe nationale : « Dans la vie de tous les jours, on cherche des affinités, alors en équipe de France aussi. Et quand on cherche des affinités, la couleur c’est la première chose qui vient à l’esprit ». Laurent Blanc, intronisé sélectionneur des Bleus au lendemain de la coupe du monde sud-africaine, prit comme première mesure de supprimer le buffet halal…

Choc des savoirs, extrême droite : ils ne passeront pas!

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Les enseignants en grève manifestent le 6 fevrier 2024 à Paris. ISA HARSIN/SIPA

Les syndicats d’enseignants s’opposent au programme du « choc des savoirs » lancé par Gabriel Attal quand il était ministre de l’Education. De la même façon, ils prétendent s’opposer à l’élection des candidats du Rassemblement national. Et s’ils se consacraient plutôt à l’enseignement? Témoignage.


« « Choc des savoirs » : ni amendable, ni négociable! Exigeons son abrogation! » clame le Syndicat National Force Ouvrière des Lycées et Collèges. Fédération SGEN-CFDT, CGT Educ’action, SNES-FSU…, tous ont défilé le 25 mai, braillé leur colère, brandi l’étendard de la révolte: « Non au choc des savoirs, pour l’école publique! Pour la défense de l’école publique, contre le choc des savoirs! ¡No pasará! »

Les syndicats de l’Éducation nationale combattent le bon combat. Ce n’est plus à prouver. Mais pourquoi cette offensive printanière? L’école de la République, bienveillante, nivelante, bêtifiante, serait-elle en danger? Le savoir menacerait-il de faire son grand retour? Si la formule « choc » et la rhétorique guerrière de Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation – « bataille des savoirs », « mobilisation générale pour élever le niveau de l’école »… –  pouvaient nourrir les peurs, Belloubet s’est vite montrée rassurante : priorité donnée à « la lutte contre le harcèlement scolaire, afin que l’école soit pour chaque élève un lieu d’épanouissement et de bien-être ».  Et de substituer aux groupes de « niveau » en français et en mathématiques prévus au collège pour la rentrée 2024 des groupes de « besoins », histoire de parler pour ne rien dire et de réformer pour ne surtout rien changer.

Que les syndicats, donc, dorment sur leurs deux oreilles! Nous toucherons bien le fond des classements PISA et enverrons des cohortes d’analphabètes au bac dans les années qui viennent.

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Dans mon collège, on s’applique à ne pas appliquer la réforme. Les groupes de besoins? « « Besoins » ne signifie pas « niveau ». D’ailleurs les classes de niveau stigmatisent les élèves en difficulté. Nous ne ferons pas le tri des élèves ». C’est là qu’interviennent les inspecteurs, mandatés pour prêcher (mollement) le choc des savoirs, à coup d’« animations pédagogiques » : «Il n’y pas d’élèves en difficulté mais des élèves en situation de difficulté, il faut donc des groupes flexibles dans la stabilité, de l’hétérogénéité dans l’homogénéité, il s’agit de tenir les deux principes, en même temps…» Alors, après «avoir proposé et non pas imposé», puis «posé les jalons pour un travail harmonisé», avant le goudron et les plumes (parce que la réforme Attal-Belloubet met surtout un joyeux bazar dans les emplois du temps et que c’est un sujet sur lequel les profs ne plaisantent pas), ils se retirent précautionneusement. À la cheffe de finir le boulot et de faire non plus des classes hétérogènes, mais des groupes hétérogènes. Pour une révolution copernicienne, on repassera.

Nos petits élèves qui ont connu une scolarité sporadique au temps de la Covid-19 et dont les connaissances en français et en mathématiques tutoient les abîmes seront donc protégés du choc des savoirs. Ouf. Leurs professeurs aussi, d’ailleurs, si l’on en croit le niveau de recrutement, la barre d’admissibilité ayant été de 5,13/20 au CAPES de mathématiques en 2022.

Mais le seront-ils de l’extrême droite? L’intersyndicale veille et poursuit le combat. Après le 25 mai, le 15 juin. Puis le 23 juin. «Toutes et tous ensemble contre l’extrême droite!»

«L’extrême droite a toujours été, et demeure plus que jamais l’ennemie mortelle des travailleurs et des travailleuses, des étranger⋅ères, des personnes racisées, des LGBTQIA+ et de la démocratie. Son programme conduit à une accélération de la crise écologique. Au niveau de l’école, ses offensives se font déjà de plus en plus visibles : parents vigilants, pression sur les enseignant·es, « Redresser les corps, redresser les esprits, pour redresser la nation », le projet éducatif de l’extrême droite est à l’image de son idéologie et de ses valeurs : inégalitaire, autoritaire et identitaire».

Ça fait froid dans le dos. ¡No pasarán!

Cessons d’écouter la morale des déracinés

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Rassemblement contre l'extrême droite à Paris, le 11 juin 2024. © SEVGI/SIPA

Que le peuple refuse de voter majoritairement pour la gauche, l’extrême-gauche ou le centre ne fait qu’accroître encore le mépris que ressentent les élites à son égard. Tribune de Philippe B. Grimbert.


« Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple » disait en son temps le facétieux Bertolt Brecht. C’était mal connaitre notre cher président, seigneur et maître du en même temps qui s’acharne, lui, avec l’agilité qu’on lui connait aux deux tâches : la dissolution de l’Assemblée contiguë à celle de cet « âne qui se cabre, cet éternel mineur » qu’est le peuple, le bon ou le mauvais selon qu’il est virtuel, romanesque ou bien qu’il vote (mal).

Cette chose qui grossit à vue d’œil ou du moins d’élection puisqu’il n’y a plus que ces dernières pour l’éprouver, cette moitié de France qui s’abstient ou cette autre presque moitié votante mais qui vote rance, hier ouvrière, puis paysanne, puis cadre, fonctionnaire, rang C, rang B, retraités, le temps est venu malgré l’ampleur de la tache et de la tâche sinon de pouvoir totalement les dissoudre, du moins de les néantiser. A tous les déclassés qui viennent en grossir les rangs, à tous ces ahuris qui peinent à en finir avec la réalité, comme d’autres avec des punaises de lits, qui comptent les centimes dans les allées des supermarchés, qui font le plein une fois par semaine dans les stations-services des Zones d’Aménagement Commercial, qui osent souffrir moins de la fonte du permafrost que de celle de leur pouvoir d’achat, qui rechignent encore à aimer l’Autre comme la chance de leur terne existence, ou leur descendance anémique, il est temps de s’adresser durant quatre semaines, de leur faire l’aumône d’une pédagogie que les écoles de la république hélas ne dispensent plus le reste du temps.

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Les tenants vertueux ont pour cela ressorti leurs vieux oripeaux, ceux qui ont fait leur preuve et vous rhabille un Gilet Jaune égaré en soldat de la Wehrmacht. Habitant du peuple, (l’ancien), apprend-le, ta nostalgie est fasciste, ta précarité est nazie, tu t’extremedroitises sans le savoir comme Mr Jourdan faisait de la prose. Car il te manque depuis toujours cette chose qui ne s’apprend que dans les grands appartements et les grandes écoles de la nation : le sens du discernement, le bon goût en quelque sorte. Et cette chose-là ne s’apprend pas dans les zones pavillonnaires ou les territoires non pas perdus mais égarés de la France qui perd et, à vrai dire, qui nous fait un peu honte, ici et hors de nos frontières que nous souhaitons ouvertes pour qu’un autre peuple vienne laver les assiettes de nos bobuns, chercher nos enfants à la sortie de leur école privée et construire les logements sociaux où ils habiterons, près de chez nous, puisque nous somme ainsi faits, accueillants, cordicoles, partisans du (bien) vivre ensemble, que nous avons le sens de la décence, celle que contrairement à ce que pensait Orwell, le vieux peuple a depuis bien longtemps perdue. Ce même Orwell qui par ailleurs nous rappelait que si la gauche a toujours été anti-fasciste, elle n’a jamais été anti-totalitaire, toujours prompte à repérer le mal absolu sous ses couleurs brunes mais jamais chez Staline, Mao, Pol Pot et consorts, comme elle est aujourd’hui incapable de la repérer dans l’idéologie de La France Insoumise, préférant s’en tenir à ses bons vieux fétiches, ses anachronismes, recycler sa morale aux valeurs sûres du bien et du mal.

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Pour qui voter?

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Affiches électorales pour les européennes, Montpellier, le 9 juin 2023. Alain ROBERT/SIPA

Donner sa voix à un candidat du Nouveau Front populaire n’est pas une option pour un Français juif, car l’« antisionisme » affiché par les membres de cette alliance de gauche et de l’extrême gauche cache mal une judéophobie fondée sur l’opportunisme électoral. Pourtant, dans les élections législatives, tous les extrêmes sont à éviter. L’analyse de Richard Prasquier, ancien président du Crif.


Les élections européennes ont réveillé des spectres divers, dont plusieurs parcourent l’Europe et dont d’autres sont spécifiques à la France. Dans une impression globale de déclassement régalien, économique, politique, éducatif, scientifique, culturel et social contre laquelle les affirmations volontaristes et martiales ressemblent à autant de coups d’épée dans l’eau, s’insinue l’idée d’un conflit de civilisation pouvant conduire à la guerre civile que certains dépeignent et beaucoup redoutent, dont d’aucuns exploitent la menace et que la plupart escamotent de leur esprit.

La minuscule communauté juive française (0,5% peut-être de la population), qui est pourtant la plus importante et probablement la mieux structurée d’Europe, ne compte électoralement que dans un nombre minime de circonscriptions. Alors que notre pays affiche la laïcité, aujourd’hui trop souvent brocardée, comme une de ses valeurs fondamentales, on doit constater que dans d’autres démocraties, le choix du multiculturalisme a finalement rendu la situation des Juifs plus difficile. Par ailleurs, si la communauté juive française n’est pas monolithique, elle est, contrairement à d’autres pays, comme les États-Unis, presque exclusivement sioniste. C’est dire si la situation en Israël influe sur les choix électoraux.

Sur les Juifs de France, l’impact du 7 octobre 2023 a été massif. Ils ont été choqués de constater que la manipulation de l’information a rendu certains de leurs amis imperméables à la profondeur de cette blessure. A notre époque d’information au bout du clic, la vérité est devenue d’autant moins précieuse qu’elle est plus facile à obtenir. Mais encore plus stupéfiant a été le fait qu’un parti, la France Insoumise, a pris la guerre de Gaza comme thème électoral majeur d’élections européennes où bien d’autres sujets eussent été plus pertinents.

Cette dérive a été amplement commentée. La lutte contre le racisme a été dévoyée en un chantage à l’islamophobie lui-même gangrené par un antisémitisme qui n’ose pas dire son nom et qui a fini par aboutir là d’où tous les Frères Musulmans (dont le Hamas, faut-il le rappeler, est la filiale palestinienne) sont partis : il n’y a plus de mot pour Israélien, on ne connait plus que le Juif, pardon, le « sioniste », condensé de toutes les vilenies.

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Parti d’une judéophobie très courante au XIXe siècle dans la gauche révolutionnaire, Jean Jaurès avait su corriger ses opinions à l’occasion de l’affaire Dreyfus. Jean-Luc Mélenchon a suivi le chemin inverse. Aujourd’hui, ses remarques relèvent d’un antisémitisme de plus en plus débridé, où il imite son idole, le vénézuélien Hugo Chavez.

Le philosophe Jean-Claude Milner distingue un antisémitisme de passion et un antisémitisme de calcul. Dans ce second cas, on est antisémite parce qu’on y trouve des avantages : parcours de carrière, adhésion à un groupe ou plus souvent encore désir de ne pas avoir d’ennuis. Mais pour qu’un individu garde une cohérence psychologique interne, moteur de son estime de soi, passion et calcul finissent par s’alimenter l’un l’autre. C’est pourquoi le démontage de ce que Mélenchon pense au fond de lui-même est sans intérêt. Le discours de haine d’Israël, produit d’appel électoral destiné à aspirer les votes des « quartiers difficiles » s’est mué, et c’était inévitable, en discours antisémite. 

Cette stratégie a malheureusement été plutôt efficace. Le score européen de LFI a augmenté de 55% par rapport à 2019. Il est générationnel et communautariste, dépendant de facteurs interconnectés, le pourcentage de musulmans dans la population, la jeunesse des électeurs et le degré de leur ressentiment face à un présent et un avenir difficiles.

A moyen terme, plus inquiétante encore est l’influence d’un parti dont les méthodes prennent peu à peu un caractère stalinien. La jeunesse est le terrain d’action privilégié des dictatures auxquelles les inclusives aberrations du wokisme offrent un réservoir inépuisable de militants décervelés. Tous risquent d’être les idiots utiles de l’islamisme, qui, s’il parvient au pouvoir, se débarrassera, comme Khomeini l’avait fait, de ces alliés du début et de leurs oripeaux idéologiques qui ne pèse guère devant ce qu’on prétend être des injonctions divines.

Dans le court terme de l’élection législative, un parti dans une dérive morale aussi évidente que la LFI ne devrait que susciter le rejet. Il n’empêche : le Parti socialiste qui a pourtant obtenu bien plus de voix aux européennes, non seulement accepte des candidatures uniques dans chaque circonscription dès le premier tour des législatives, mais laisse aux candidats LFI un nombre plus élevé de circonscriptions. Le Mélenchon nouveau est arrivé, qui ne « s’élimine pas, mais ne s’impose pas » et qui endosse le costume de rempart de la démocratie après avoir pris jusque-là celui de chef de file du chaos. Mathilde Panot s’érige en défenseur des Juifs et même Rima Hassan n’écrit plus ses tweets incendiaires sur les Israéliens. La ficelle est grosse. En choisissant de faire alliance avec LFI et même avec un parti NPA qui s’est révélé dès le 8 octobre comme un admirateur du Hamas, Olivier Faure proclame que l’antisémitisme n’a pas beaucoup d’importance. 

Les Juifs ont souvent servi dans le passé de variable d’ajustement. C’est entre autres pour ne plus être les objets d’une histoire qui les passait jusque-là par profits et pertes qu’ils ont créé l’État d’Israël. Olivier Faure, quelles que soient ses opinions personnelles, agit en antisémite de calcul.

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A Raphael Glucksmann qui avait rejeté l’alliance avec LFI et qui n’avait pourtant pas épargné Israël pendant sa campagne, les manifestants de la Place de la République ont réservé un de ces qualificatifs tout en nuances dont ils ont le secret : « Israël assassin, Glucksmann complice ». A son corps défendant, ce dernier est finalement venu à résipiscence…

C’est un avant-goût de la liberté d’opinion telle que la conçoit LFI. Honneur à ceux parmi les socialistes qui ont refusé de vendre leurs principes contre un plat de lentilles électoral…

L’irruption d’Emmanuel Macron dans le jeu politique a conduit à une tripolarisation. Un centre « enmêmetempiste » taillait des croupières aux partis de gauche et de droite en aspirant leurs électeurs modérés mais déportait mécaniquement les opposants vers les extrêmes. Le bon score du candidat socialiste aux européennes provient d’un espace électoral momentanément élargi par la déception des électeurs de gauche modérée qui avaient voté pour Emmanuel Macron et qui ont constaté que sa politique économique et sociale était de droite. A cela s’est ajoutée l’impéritie d’un parti écologiste incarné par de ternes dirigeants, dont certains(-es) sombrent dans le gaucho-wokisme. Ce relatif succès rend l’accord de premier tour avec LFI d’autant plus scandaleux.

Du côté droit de l’échiquier politique, la déroute des LR traduit la perte d’espace politique entre un gouvernement dont ils sont proches sur le plan économique et un Rassemblement National qui peut se targuer d’une ancienneté supérieure à tirer la sonnette d’alarme sécuritaire. La réaction d’Éric Ciotti témoigne de cette asphyxie d’un parti qui a été depuis plus de soixante ans, sous des noms divers, le pivot de la droite et du gaullisme. Nul ne peut dire aujourd’hui si sa décision historique de briser, contre l’avis de la majorité des cadres du parti, le cordon sanitaire autour du RN aura des incidences électorales, mais il est probable que beaucoup d’électeurs LR, les jeunes surtout, le suivront, malgré les grandes différences programmatiques entre le LR et le RN (on rappelle que Marine Le Pen se veut « ni-ni », ni droite-ni gauche).

Le contraste est cuisant entre ce parti LR en crise et le succès de la droite modérée qui va dominer le Parlement européen. C’est le résultat de la stratégie macronienne de tripolarisation électorale. Chacun y trouve une carte à jouer :  LFI redorant à bas prix son blason sous le slogan éculé du  Front populaire contre l’extrême droite, le RN se présentant comme le défenseur d’une France en insécurité et Emmanuel Macron comme le parti de la République de raison contre les extrêmes.

Mais cette initiative est lourde de risques car la dévalorisation actuelle de la parole présidentielle, qui a beaucoup perdu de son aura de 2017, risque d’amener les extrêmes au pouvoir et plus probablement encore de rendre l’Assemblée Nationale ingouvernable. Le succès du RN, en particulier, est possible mais son échec économique, probable, disent de plus compétents que moi dans ce domaine, donnerait un tremplin à l’extrême gauche. La pyromanie dissolutive, celle du 21 avril 1997 par Jacques Chirac, ou, il y a bien plus longtemps, celle du 25 juin 1877, par le Président Mac Mahon (Mac Macron, diront évidemment les humoristes), a parfois carbonisé ses auteurs.

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Dans cette élection législative, où ira le vote des Français juifs ? Très rarement, c’est certain, en faveur d’un candidat adoubé par Jean-Luc Mélenchon. En revanche, la possibilité d’un vote sanction en faveur du RN (je ne parle pas d’un Éric Zemmour en perdition électorale…) se pose pour un nombre significatif d’entre eux. Ils observent qu’on n’a jamais pu relever contre Marine Le Pen de paroles antisémites et que, depuis le début de la guerre de Gaza, son discours sur Israël a été d’une clarté parfaite. Traumatisés par les horreurs du 7 octobre, ils ne comprennent pas la complaisance au sujet du Hamas et des dangers de l’islamisme, les valses hésitations moralisatrices de la diplomatie française, le parti pris anti-israélien et les accusations pseudo-génocidaires d’une grande part de l’intelligentsia, des médias et des leaders d’opinion, l’euphémisation de l’antisémitisme qui provient de la gauche et, enfin, pour ceux qui y sont géographiquement exposés, l’impression d’être abandonnés dans des territoires perdus de la République, du nom de ce livre écrit il y a plus de vingt ans et soigneusement ignoré par tous les gouvernements de l’époque.

Le Président du Crif, soutenu par son exécutif, s’est exprimé clairement contre un vote pour les partis extrémistes. Comme on s’en doute, cela lui a valu des critiques. Je soutiens sa position.

L’indifférence à l’histoire est aujourd’hui à la mode, mais je ne peux pas voter pour un parti qui, tout en ayant changé son nom et son discours, et apparemment rejeté le parrainage de son fondateur, est l’héritier direct du Front National. Quoi qu’en dise Jordan Bardella, Jean Marie Le Pen, à sa grande époque, bien qu’il maniât avec brio l’imparfait du subjonctif, était une brute antisémite dont les multiples plaisanteries sur fond de Shoah et l’admiration pour les Waffen SS et leurs viriles chansons, révélait le fond de ses passions.

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Je me félicite, comme Serge Klarsfeld, de l’évolution du RN, je n’ai pas d’argument pour accuser Marine Le Pen d’arrière-pensées et je pense que l’antisémitisme est le cadet des soucis de la plupart de ses électeurs. Mais pas de tous ! De très anciens amis de la présidente du RN, tels Frédéric Chatillon et Axel Loustau, toujours actifs autour d’elle, ont un palmarès édifiant d’accointances avec le nazi Degrelle, Bachar el Assad, Soral, Dieudonné et consorts. En 2012 à Vienne, le 27 janvier (jour de la libération d’Auschwitz) Marine le Pen avait fait la fête avec ce qu’il y avait de pire dans l’extrême droite locale. Certes, elle a aussi organisé récemment l’exclusion du groupe européen « Identité et Démocratie » de l’AfD allemande, mais cela signifie qu’elle avait accepté jusque-là de coopérer avec ce parti rempli de néo-nazis. Ce qu’on dit de certaines soirées intimes du RN et des plaisanteries qui y ont lieu banalement sur le thème des races, des Juifs ou de la Shoah confirme que la prudence doit rester de mise.

En France, chacun exprime ses préférences dans son bulletin de vote. Certains Juifs voteront pour le RN parce qu’ils pensent que sur les sujets qui leur importent, pouvoir d’achat, sécurité, lutte contre l’islamisme ou défense d’Israël, il représente leur meilleur choix. Le Crif n’a pas pour vocation d’être un calque de ces options politiques, mais de défendre les valeurs pour lesquelles il a été créé, la lutte contre l’antisémitisme, à laquelle j’adjoins la lutte contre tous les racismes, la défense d’Israël et la mémoire de la Shoah. Ce n’est que dans la certitude que ces objectifs sont communs que des relations avec un parti politique peuvent être fructueuses. 

Compréhensible est l’exaspération de certains Français juifs face à la politique d’aller-retour de la France à l’égard d’Israël, ses ambiguïtés, ses silences et parfois ses hypocrisies (l’exclusion d’Israël lors du récent salon de la défense…) mais, sur un simple plan pragmatique et non pas moral, un vote sanction au profit du RN serait une mauvaise réponse à une véritable angoisse : c’est à l’ensemble des citoyens de notre pays qu’il faut faire comprendre que le combat d’Israël contre l’islamisme les  concerne tous. Ce combat ne doit pas être adossé à un seul parti, dont l’éventuelle victoire risquerait de toute façon d’être éphémère et dont le programme et les antécédents sont si problématiques. Une telle orientation par ailleurs ne rend pas justice aux nombreux Français non-juifs qui témoignent, souvent malgré les menaces et les insultes, de leur rejet du terrorisme islamique et de leur amitié envers Israël, mais qui ne se résolvent pas au compagnonnage de l’extrême droite. Nous ne devons pas en même temps fustiger les socialistes qui signent une alliance honteuse avec LFI pour le mirage de profits électoraux et faire fi de nos inquiétudes quant aux idiosyncrasies du RN : ce sont des valeurs qui font la fierté du judaïsme que nous risquerions pour le coup de brader pour un plat de lentilles…

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Les territoires perdus de la République

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