Accueil Site Page 18

Forum World In Progress Barcelone: l’Europe au défi de la mondialisation

0

À Barcelone, lors du forum World In Progress, les décideurs commentaient le brûlant rapport Draghi et s’inquiétaient tous de notre démographie déclinante et d’une innovation en berne sur le vieux continent.


Fondé en 1972 par José Ortega Sportono et Jesus de Polanco, le groupe de presse espagnol Prisa (El Pais, As, Cadena Ser) est actuellement présidé par l’homme d’affaires français Joseph Oughourlian. Prisa organisait le forum World In Progress à Barcelone les 14 et 15 octobre. L’objectif de ce sommet était de réunir des acteurs d’envergure du monde politique et des affaires autour des enjeux les plus périlleux que le monde contemporain et l’Europe affrontent aujourd’hui.

Parmi les questions à l’ordre du jour figuraient notamment celles portant sur le déclin démographique de l’Europe et l’immigration, le rejet des élites occidentales par leurs populations, le rapport Draghi et les différents conflits militaires en cours. Loin d’être déconnectées, ces problématiques sont liées les unes aux autres comme l’ont démontré les différents conférenciers prestigieux invités à se partager la scène du Caixa Forum.

Nous avons notamment pu échanger en privé avec Matteo Renzi et Enrico Letta. Si le premier est volubile et le second plus austère, tous deux tirent la sonnette d’alarme sur l’état de santé de l’Europe.

World in Progress Barcelona. De gauche à droite : Montserrat Domínguez, Carlos Nuñez, Pilar Gil, Salvador Illa, Pedro Sánchez, Joseph Oughourlian, Jaume Collboni, Pepa Bueno, Carlos Prieto y Fernando Carrillo.

Une Europe vieillissante confrontée à l’immigration de peuplement

Un constat pessimiste s’est imposé au cours de ces deux journées de conférences et d’entretiens privés : l’Europe est vieillissante. Pis encore, rien ne semble pouvoir enrayer la spirale de la dénatalité qui touche tous les pays du continent, singulièrement ceux du Sud tels que l’Espagne et l’Italie. Enrico Letta l’a d’ailleurs résumé en une formule lapidaire, confessant que l’Europe était devenue « un EPHAD ». Des propos en phase avec ceux de Matteo Renzi qui a affirmé que le continent n’était pas en « crise démocratique » mais « démographique ».

C’est particulièrement vrai pour l’Italie, mais aussi l’Espagne où nous nous trouvions. Comme les deux dirigeants transalpins l’ont rappelé, 1,1 million de bébés italiens naissaient chaque année dans les années 1970 contre moins de 400.000 dans les années 2010. Il ne s’agit pas d’un simple déclin, c’est un véritable effondrement. Les conséquences économiques sont colossales, empêchant la croissance européenne de se maintenir à des taux satisfaisants et provoquant la disparition de filières professionnelles entières. Le déclin démographique provoque aussi la désertification des zones rurales, désormais dépeuplées et à l’abandon.

A lire aussi: L’énergie éolienne au pays du Roi Ubu

Cette chute de la natalité constitue aussi l’une des raisons poussant le patronat à réclamer plus d’immigration de travail. Les systèmes sociaux de la plupart des pays européens sont, en outre, particulièrement attractifs. Reste que l’accueil des nouveaux entrants ne se fait pas sans heurts, une majorité d’entre eux provenant de pays aux cultures et mœurs fort éloignées des nôtres. Ajoutons aussi que l’immigration illégale a explosé lors des quinze dernières années, les conflits au Sahel, en Afghanistan et en Syrie provoquant un appel d’air vers un vieux continent insuffisamment protégé et préparé pour y faire face.

Nous sommes donc confrontés à une situation explosive qui fracture profondément nos sociétés. Une solution possible est celle empruntée par Giorgia Meloni en Italie. Cette dernière a décidé de lutter farouchement contre l’immigration illégale sans fermer la porte à l’immigration légale ciblée de travail. Une immigration de travail qui ne devrait par ailleurs pas toujours rimer avec immigration d’installation, ainsi que cela a été trop souvent le cas en France. Enrico Letta en a convenu : « La natalité française n’est pas aussi catastrophique qu’en Italie. Vous avez aussi une différence. Vous n’avez pas à gérer uniquement des flux d’immigration, mais aussi des stocks des dernières décennies ».

Le tour d’horizon de l’enjeu migratoire ne serait pas complet sans s’attarder sur l’émigration, c’est-à-dire la fuite des cerveaux les mieux formés. Ce sujet tient à cœur à Matteo Renzi : « Nos ingénieurs les plus qualifiés partent aux Etats-Unis et en Asie trouver des opportunités qu’ils ne trouvent pas en Europe ! C’est dramatique et nous devons solutionner cela en permettant aux jeunes diplômés des secteurs technologiques d’obtenir les rémunérations qu’ils recherchent et les missions professionnelles qu’ils désirent ».

Une Europe vieillissante qui peine à innover

« Les Etats-Unis innovent, la Chine copie et l’Europe régule », a déclaré Matteo Renzi en écho au rapport Draghi. Wolfgang Munchau, directeur d’Eurointelligence, a résumé ledit rapport en ces termes : « L’UE s’est dotée d’un régime de protection des données si restrictif qu’il constitue un obstacle au développement de l’intelligence artificielle. Elle a introduit une loi sur les services numériques qui traite les plateformes de réseaux sociaux comme hostiles à la culture européenne. […] L’UE est coincée dans un piège technologique digne de l’ingénierie mécanique du milieu du 20e siècle ».

A lire aussi: Elon Musk, le frappadingue de génie

Pour le dire plus simplement : l’Europe a un déficit de compétitivité manifeste par rapport à ses concurrents. Les parts de marché des grandes industries européennes ne cessent de reculer depuis le début des années 2000 – à l’exception notable de l’Allemagne qui subit néanmoins de plein fouet le conflit ukrainien -. Cette faillite collective trouve son origine dans ce qu’on a appelé « l’agenda de Lisbonne » décidé au Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, dont l’objectif affiché était de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». La stratégie a échoué puisque nous ne sommes pas « l’économie de la connaissance » la plus compétitive, bien au contraire. Dans des domaines aussi variés que le spatial, l’intelligence artificielle, la robotique ou les technologies de l’information, l’Europe se traîne. La bataille n’est toutefois pas perdue d’avance. Nos interlocuteurs ont tenu à se montrer optimistes. Mais il faut pour cela mettre en place des politiques efficaces et réduire le carcan administratif qui étouffe l’écosystème du continent. Surtout face à une concurrence américaine ambitieuse. L’Inflation Reduction Act (IRA) décidé par l’administration Biden fait peser une véritable épée de Damoclès sur notre économie. Il s’agit d’une politique offensive et particulièrement attractive. Les Etats-Unis ont investi des centaines de milliards de dollars pour attirer les entreprises du monde entier, notamment celles du secteur automobile. Le plan prévoit notamment des crédits d’impôts pour la production des véhicules électriques, l’éolien, le solaire, la séquestration du carbone, l’hydrogène vert, les biocarburants, les batteries, etc. En plus de ce volet fiscal, l’IRA accorde des aides financières directes aux particuliers américains pour l’achat… des produits vertueux fabriqués aux Etats-Unis. Cela pourrait entrainer des délocalisations massives d’entreprises qui ont investi en Europe.

Pour l’heure, nous ne nous sommes pas dotés des leviers politiques et des moyens financiers pour y répondre, alors même que nous allons passer notre parc au tout électrique dans les prochaines années. Enrico Letta propose trois axes : desserrer l’étau des régulations qui pèse sur les entreprises innovantes, protéger les secteurs de l’économie européenne qui affrontent des concurrences étrangères bénéficiant d’avantages compétitifs insurpassables et mettre en place des mesures incitatives pour relancer la natalité. Il croit que ces trois conditions sont indispensables pour maintenir la croissance de l’économie européenne.

Conclusion

Eviter la muséification du continent européen passe par la prise de conscience pleine et entière des défis du temps. C’est du moins ce qui est ressorti de ce forum World In Progress. Le danger que court l’Europe est celui de la sortie de l’Histoire : par le changement de population ou la disparition progressive de sa population d’origine, par le manque d’innovation de notre économie et par une mauvaise compréhension du champ de bataille économique de l’époque contemporaine. Cet arc de catastrophes ne sera pas vaincu sans faire montre d’une ambition commune en Europe.

Bruno Le Maire a alerté, et ce serait lui le coupable?

Budget. Les contempteurs de l’ancien ministre de l’Économie lui reprochent d’avoir fui en Suisse, voire d’avoir falsifié les comptes publics… De son côté, M. Le Maire avait menacé: «La vérité apparaîtra plus tard».


Bruno Le Maire est complexe : il est intelligent, il a été durant sept ans un ministre de l’Économie important, il a été discipliné mais aussi libre, il a écrit des livres dont certains sont remarquables, il connaît sa valeur et parfois ne l’a pas assez dissimulé. Le président de la République ne l’appréciait pas trop et au sein des gouvernements qui se sont succédé, il a été sans doute la proie de ce malaise désagréable face à des personnalités, voire des Premiers ministres, qui ne vous valent pas. Heureusement pour ses adversaires, il n’a pas toujours été confirmé par la réalité et en particulier l’économie russe n’a jamais été « mise à genoux ». Certaines de ses prévisions n’ont pas été couronnées de succès et on a pu se gausser de contritions insuffisantes, de quelques propos dont l’optimisme était surjoué.

C’est Emmanuel Macron, l’inventeur du « quoi qu’il en coûte »

Maintenant que Bruno Le Maire enseigne à Lausanne et que plus rien n’est susceptible de le retenir dans l’expression de sa vérité sur l’état des comptes publics et sur leur dérive en si peu de temps, je le crois sincère quand il se réjouit de la validation d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale. Notamment Éric Coquerel et Éric Ciotti le questionneront sur ce qui a relevé de ses attributions, de ses compétences et de son rôle d’animateur.

A lire aussi: Le pouvoir d’achat, ce paresseux mantra

Cet exercice à la fois technique et démocratique va se dérouler dans une période où, semble-t-il, on tourne moins autour du pot républicain et où la responsabilité fondamentale d’Emmanuel Macron dans cette calamiteuse dégradation des finances publiques ne fait plus aucun doute. Après le « quoi qu’il en coûte », il a inspiré une continuation de la facilité et de la démagogie dépensière, qui a abouti à la grave crise d’aujourd’hui. C’est à cause de cette perception que les explications de Bruno Le Maire vont être accueillies par la commission d’enquête dans une atmosphère qui ne lui sera pas forcément défavorable. Bruno Le Maire pourra ainsi tenir les promesses qu’il avait formulées sur un mode menaçant en laissant entendre que le moment venu il s’exprimerait : « la vérité apparaîtra plus tard ».

Une contre-offensive en préparation

L’essentiel de ce qui suit découle d’un excellent article de Marion Mourgue et de Ludwig Gallet, dans Le Parisien : « Dérapage budgétaire : comment Bruno Le Maire prépare sa contre-offensive »[1].
L’une de ses anciennes collègues du gouvernement a souligné que durant deux ans, en conseil des ministres, il n’avait cessé d’alerter sur l’état des finances publiques.

A lire aussi: Qui a cramé la caisse?

Bruno Le Maire rappellera également qu’il avait demandé avec insistance qu’on sortît du « quoi qu’il en coûte » et que ceux qui avaient prétendu lui donner des leçons en seraient pour leurs frais. À plusieurs reprises, à cause de ses avertissements qui tranchaient avec l’obligation d’une béatitude rassurante exigée par le président et le Premier ministre.
À quelques semaines des élections européennes, Bruno Le Maire estime souhaitable une loi de finances rectificatives de 15 milliards d’euros mais il est désavoué par Emmanuel Macron et Gabriel Attal, ce dernier préférant miser sur « les mesures réglementaires et les gels de crédits ».
Un soutien de l’ancien ministre va jusqu’à dire que la dissolution a été décidée parce que le président ne voulait pas assumer les économies projetées par Bruno Le Maire, car il craignait l’impopularité.
Dans ce même mouvement de libéralité contre la rigueur à mettre en œuvre, Emmanuel Macron « distribuait des chèques souvent dans le dos du ministre ».
Il y a dans ce qui se prépare le risque d’une perversion française, courante sur le plan politique. Celui qui a dénoncé le scandale deviendra le coupable. Un bouc émissaire rêvé. Je suis sûr qu’un Bruno Le Maire, en totale indépendance et heureux de n’avoir plus à mesurer ou à travestir son verbe, entre solidarité et esprit critique, se fera une joie de remettre les pendules à l’heure. Le président pourra compter sur son petit groupe d’inconditionnels mais les faits sont têtus et les témoins nombreux.


[1] https://www.leparisien.fr/politique/derapage-budgetaire-comment-bruno-le-maire-prepare-sa-contre-offensive-15-10-2024-ROE2NHGBZJBABHGNMH45DPFJEM.php

La vérité est têtue

Au tribunal, Marine Le Pen a de nouveau défendu avec assurance le travail réalisé par Mme Griset, Mme Bruna ou M. Légier, lors de l’audience du 15 octobre. Mais l’accusation continue de dire que les assistants parlementaires européens occupaient des emplois « fictifs ».


Elles sont arrivées ensemble au tribunal. L’une, brune au carré mi-long, en costume bleu, élancée sur de hauts talons. L’autre, blonde au carré court, altière sur ses escarpins talons aiguilles, vêtue d’un chemisier clair sous une veste vert fougère. Catherine Griset et Marine Le Pen se sont rencontrées quand Marine Le Pen, alors jeune avocate, cherchait une assistante. Catherine Griset arrivait d’Angoulême, et une connaissance commune du Front national jeunesse (FNJ) les a mises en relation. Après une période d’essai, Catherine Griset, encore étudiante, devient l’assistante de l’avocate Marine Le Pen. Depuis cette date, les deux femmes ont poursuivi leur collaboration jusqu’à l’élection de Catherine Griset à la députation européenne, en 2019.

« Je suis la porte d’entrée de Marine Le Pen ! »

Forte de cette fidélité professionnelle, Catherine Griset devient l’assistante parlementaire de l’eurodéputée Marine Le Pen entre 2010 et 2016. L’ancienne assistante énumère la longue liste de tâches qu’elle réalisait alors : gestion des nombreuses boîtes de Marine Le Pen (que celle-ci n’ouvre jamais), gestion de son agenda et de ses déplacements (réservation des billets de transports, hôtels, etc.), impression et correction des discours « dans un format très précis », préparation de ses interventions en plénière, en commission, gestion de son temps de parole au Parlement européen et de ses relations avec les eurodéputés d’autres délégations, gestion des appels et de toutes les demandes de contact, etc. L’ancienne assistante parlementaire, accusée d’avoir cumulé en même temps la fonction de chef de cabinet de Marine Le Pen, explique qu’elle gérait la réception de « plus de 500 mails par jour, de 300 lettres » ! L’ancienne assistante accréditée se définit ainsi comme une courroie de transmission entre Marine Le Pen et les autres députés et assistants parlementaires européens, et toute autre personne : « je suis la porte d’entrée de Marine Le Pen. Les gens qui veulent lui parler, la voir : ils s’adressent à moi ! » Mais, pourquoi est-il écrit dans les organigrammes du parti qu’elle est “assistante”, sans référence au Parlement européen, puis “chef de cabinet” de Marine Le Pen ? interroge le tribunal. Personne ne conteste son travail, mais travaillait-elle pour Marine Le Pen, présidente du FN, ou pour Marine Le Pen, eurodéputée ? « J’ai toujours travaillé pour Marine Le Pen ». Donc, « vous travailliez pour Marine Le Pen, présidente du parti ? », insiste la présidente du tribunal. « Non, j’ai toujours travaillé pour Marine Le Pen. Quand Marine Le Pen était avocate, j’étais assistante juridique. Quand elle est députée, je suis assistante parlementaire », rétorque l’ancienne assistante. Pour prouver le contenu de son travail d’assistante parlementaire, Catherine Griset a fourni des centaines de preuves à l’instruction, lesquelles démontrent que son travail d’assistante était incontestablement en lien avec le Parlement européen lorsque Marine Le Pen en était une élue. Mais la juge Bénédicte de Perthuis met en doute la pertinence des pièces fournies.

La défense demande alors l’affichage de mails datant de cette époque. Défilent aléatoirement sur le grand écran de la salle d’audience des messages de ou à destination de Catherine Griset, parfois signés Marine Le Pen par l’assistante elle-même. Mais pourquoi n’utilisait-elle pas la boîte mail du Parlement européen ? interroge l’accusation. Comme elle devait gérer plusieurs boîtes mails, il lui était plus pratique de basculer tous les mails sur sa boîte Gmail personnelle, explique Mme Griset. D’autant que le Parlement européen écrasait les mails au bout de 90 jours.

Pourquoi ne vivait-elle pas à Bruxelles, comme le stipule la réglementation européenne pour les assistants parlementaires accrédités (APA) ? interroge Me Maisonneuve, l’avocat du Parlement européen. Catherine Griset raconte sa vie sentimentale complexe faite de divorces et de séparations multiples. Elle reconnait en outre ne pas avoir compris qu’« être domiciliée voulait dire vivre à plein temps à Bruxelles ». Elle pensait, « en tout bonne foi », qu’il fallait être domicilié en Belgique, mais uniquement pour des raisons administratives et fiscales… Concernant sa présence partielle à Bruxelles, l’ancienne assistante accréditée déclare qu’elle suivait sa patronne, et n’avait pas compris à l’époque qu’elle devait « être au Parlement européen de 9h à 17h ». L’audience est suspendue. Catherine Griset part à toute vitesse. Direction ? Le Parlement européen, dont elle est maintenant une élue !

Mesdames Le Pen et Griset arrivent au tribunal, Paris, 30 septembre 2024 © Louise Delmotte/AP/SIPA

 « Nos assistants parlementaires ont fait le travail que l’on attendait d’eux »

À la reprise des débats, on a le sentiment que le procès tourne un peu en rond. La magistrate Bénédicte de Perthuis appelle de nouveau à la barre des prévenus déjà interrogés la semaine précédente avec Bruno Gollnisch. Concernant le contrat d’assistante parlementaire signé entre Marine Le Pen et Micheline Bruna, alors secrétaire de Jean–Marie Le Pen d’après l’organigramme du FN, l’ancienne eurodéputée répète au tribunal le fonctionnement en « pool » des assistants qui était en vigueur alors qu’ils n’étaient que trois eurodéputés FN, Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch et elle, durant la législature 2009/2014. « Nous avions mutualisé Mme Bruna car nous n’étions que trois », répète inlassablement Marine Le Pen. Elle en profite cette fois-ci pour « rendre un hommage à l’immense travail accompli » par tous les assistants des députés FN. « On n’a pas à rougir du travail de nos assistants parlementaires. Nos assistants parlementaires ont fait le travail que l’on attendait d’eux », complimente Marine Le Pen, qui souligne que les suffrages suivants en sont la preuve. Puis, c’est au tour de Thierry Légier d’être appelé une nouvelle fois à la barre. Bis repetita : l’accusation remet en cause le travail d’assistant parlementaire de celui qu’elle décrit comme un simple «garde du corps».

 « Assistant, c’est un statut »

« L’anticipation avant les déplacements, repérer les lieux, c’est le rôle d’un officier de sécurité, c’est plus que le rôle d’un [simple] garde du corps. D’autant qu’on avait peu de moyens, il n’y avait pas de directeur de cabinet qui nous suivait ». Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, le responsable sécurité de la délégation FN au Parlement européen livre d’une voix posée des confidences sur toutes ses activités d’assistant. Thierry Légier confie avoir eu « plusieurs casquettes ». En plus de ses missions de sécurisation connues de tous, l’ancien militaire révèle au tribunal s’être occupé d’organiser des rendez-vous confidentiels pour les leaders de la délégation FN au Parlement européen. Il évoque les noms de Charles Pasqua, Bernard Tapie, Valéry Giscard d’Estaing, Roland Dumas, « et bien d’autres encore » qu’il ne peut pas citer pour des raisons de confidentialité… C’est aussi par son entremise, raconte-t-il, que la délégation parlementaire FN pouvait se rendre aux salons de la défense Eurosatory ou Milipol. L’agent de sécurité a par exemple aussi organisé une interview de Marine Le Pen sur la radio 90 FM de son ami Jean-Marc Cohen. Thierry Légier énumère ainsi une longue liste d’activités démontrant qu’il n’était pas que « le garde du corps de Jean-Marie Le Pen », comme l’affirme l’accusation. Pendant cette législature, Thierry Légier assure en outre qu’il ne travaillait « pas 100 % de son temps pour Jean-Marie Le Pen », qu’il servait d’interface entre tous les députés au sein même du Parlement. « Je participais aux réunions de groupe au Parlement européen afin d’organiser l’agenda des déplacements de chacun. J’accompagnais le groupe afin de les sécuriser. J’étais en relation avec les huissiers du Parlement européen, avec les ambassades lors des déplacements à l’étranger. » Le militant explique qu’il faisait aussi des photocopies de dossiers, qu’il s’occupait des cartes d’embarquement au desk d’Air France, etc. Sa méthodique avocate, Me Doumic, s’élève contre les insinuations du tribunal restreignant les activités de Thierry Légier aux fonctions de garde du corps, d’autant plus que « le Parlement européen n’a jamais interdit qu’un responsable sécurité soit assistant parlementaire. Assistant, c’est un statut. On peut être assistant parlementaire photographe, concepteur de site internet, rédacteur de  discours, responsable de la sécurité », énumère-t-elle.

De son côté, Marine Le Pen réfute une nouvelle fois l’idée que le Parlement européen ignorait les fonctions de Thierry Légier. Sur ses bulletins de salaire, qui sont en possession du Parlement européen, il était bien écrit responsable sécurité : « J’ai l’impression que l’on est un peu à front renversé. S’il existe un doute, il doit profiter à ceux qui sont amenés à répondre de certaines accusations. Nous avons démontré que jamais nous n’avons caché quoi que ce soit. Il déposait son arme tous les jours dans un coffre, il n’y a pas cinquante députés qui risquent leur vie en faisant leur mandat ! » Enfin, l’actuelle chef de l’opposition à l’Assemblée nationale résume cette seconde journée d’auditions d’un cinglant : « La vérité est têtue ! »

SUV Assassin! SUV Assassin!

Vivre-ensemble. En garde à vue pour meurtre, l’automobiliste du Boulevard Malesherbes accuse le cycliste qu’il a écrasé mardi de l’avoir « terrorisé ».


Mardi, en fin d’après-midi, à Paris, Boulevard Malesherbes, alors que, à cette heure, la circulation est particulièrement dense et donc la cohabitation auto-vélo encore plus tendue qu’en heure creuse, un différend oppose Paul, cycliste de vingt-sept ans, et le conducteur d’une voiture. À dire de témoins et selon ce que montre la vidéo surveillance, ce dernier aurait délibérément écrasé le jeune homme, lui roulant dessus et le tuant. La bêtise dans toute son horreur. Or, que conduisait cet assassin sur roues ? Un SUV, la bête noire de Madame Hidalgo et de sa très fine équipe. La levée de boucliers ne se fait pas attendre. Le coupable, on le tient. Et il devra payer, passer en jugement, être condamné au bûcher en place de Grève, pratiquement sous les fenêtres de la mairie de Paris. Ah, le beau, le salutaire spectacle !

Le coupable, le SUV, bien sûr, l’engin diabolique, honni, contre quoi on mène une obsessionnelle croisade dans ces murs. Ian Brossat, ex-adjoint communiste à la mairie de Paris et actuellement sénateur, y va de son couplet bien-pensant : « En milieu urbain, la présence du SUV représente un danger pour les piétons, les cyclistes et même pour les autres conducteurs. » Et David Belliard, adjoint écologiste au transport de surenchérir, réaffirmant la sacro-sainte doctrine mise en œuvre ces dernières années : « Réduire encore, encore et encore la place de la voiture». Cela vaut pour Paris aujourd’hui, en attendant plus et mieux demain, bien sûr. Mme Hidalgo elle-même y est allée de son commentaire, livrant un de ces propos éclairés dont elle n’est pas avare: « C’est inacceptable de mourir aujourd’hui à Paris, à vingt-sept ans en faisant du vélo. Ces actes doivent être condamnés sévèrement. » On le constate, ça ne rigole pas ! Cependant, on voudra bien ne pas s’appesantir sur le fait que la formulation laisse quand même à désirer. À prendre le propos au pied de la lettre on serait fondé à se demander si ce ne serait pas l’acte de mourir à vingt-sept ans à Paris en faisant du vélo qui devrait être condamné sévèrement. On espère se tromper. Passons. Cela dit, la formulation de l’appel à la votation du 4 février dernier ne brillait pas non plus par sa clarté. « Plus ou moins de SUV à Paris ? » lisait-on sur les affiches. Poser la question en ces termes, c’était évidemment y répondre. D’ailleurs, la votation n’a soulevé qu’un enthousiasme des plus modérés. Sur un million trois cent mille inscrits, seuls soixante-dix huit mille Parisiens se sont déplacés. Les autres, sans doute, étaient-ils occupés à se délier le mollet au Bois. Ainsi, même ardemment soutenue par le lobby de la pince à vélo, l’affaire ne fit pas recette.

Le coupable, le SUV, disais-je, et non pas le fou furieux au volant, l’assassin motorisé ! Pas plus qu’une Kalachnikov ne flingue toute seule, ne lâche d’elle-même sa rafale, pas plus une auto, puissant SUV ou bringuebalante dodoche, n’écrase son monde sans personne au volant. Le réel est bien là. Mais voir et analyser le réel, pour les exaltés de l’idéologie, c’est quasiment mission impossible. On le voit une fois encore. Ainsi, dans la logique de Madame Hidalgo, et selon son souhait, nous devrions nous attendre à ce que le SUV assassin passe en justice et soit sévèrement châtié. Quinze ou vingt ans de fourrière, je présume ? Peine incompressible, espère-t-on. Quant à la préconisation de l’adjoint Belliard – réduire encore, encore et encore la place de la voiture – si elle devait aboutir et que seuls les cyclistes et piétons aient droit de cité à Paris, enfin purgée de ces enfoirés de banlieusards, de provinciaux à quatre roues, Madame Hidalgo aurait réussi à instaurer en France, en sa capitale, le plus formidable système d’apartheid qu’on puisse imaginer. Chapeau bas ! Applaudissements nourris, je vous prie !

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

1 used & new available from 14,77 €

La France invertébrée

0

Pendant que les médias progressistes exorcisent le réel, nos politiques continuent de cabrioler dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures…


España invertebrada, c’est un essai fameux sur les affres de la modernisation de l’Espagne des années 20. Les forces de « désintégration et dépeçage » – pour reprendre les mots d’Ortega y Gasset – sont puissamment à l’œuvre, en France, aujourd’hui. Sept ans de macronisme, 3250 milliards de dette publique (112% du PIB), une succession de déroutes électorales, un pays en pleine crise de nerfs, gangréné par le narcotrafic, ne pesant plus rien dans le monde… Bateau perdu jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, dans un monde parallèle, Gabriel Attal ne se laisse pas abattre : « Le dépassement c’est une audace : aller plus loin que la gauche ne l’a été sur l’écologie ou les services publics et aller plus loin que la droite ne l’a été sur l’ordre, la sécurité ou l’économie… J’ai une histoire à écrire avec les Français » (Le Point). Gabegie le Magnifisc ? Caius Iulius Caesar Birotteau ? La France en s’ébattant.

Les dépeceurs

Le patron de La Ferme des animaux du NFP, c’est le cochon. Protégé par une garde de silentiaires, grizzlis végétariens, hétaïres atterrantes, Jean-Luc Mélenchon se prend pour Napoléon. LFI souffle sur les braises de la traite négrière, la guerre d’Algérie et le conflit israélo-palestinien. Rima Hassan, Mathilde Panot, Manuel Bompard draguent les imams, les rappeurs racaille, défendent le Hamas, le Hezbollah et les traditions. En 1972, dans Rouge (LCR), Edwy Plenel (alias Joseph Krasny) appelait à « défendre inconditionnellement » le commando palestinien Septembre Noir qui venait d’assassiner onze athlètes israéliens.

L’agenda islamo-gauchiste insoumis est clair : agitprop dans les campus, immigrationisme, clientélisme, marginalisation des Français de souche, libanisation du pays, la haine à offrir en partage. Cette stratégie d’hystérie et chaos est assumée comme un préalable à la prise du pouvoir, avant les camps de déconstruction rousseauiste. Moins frontal, le wokisme libéral-libertaire, triomphe des fils déguisés en père, est aussi délétère. Ils ont aboli jusqu’au principe de raison. « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez » (Lacan aux étudiants de Vincennes, 1968).

Ce rien qui les dévore : Oui-Oui au pays des Marvels 

Comment rebondir après deux générations de naufrage éducatif, effondrement culturel, chaos migratoire, communautarisme, « self-service normatif » ? La crétinisation numérique et les rezzous sociaux parachèvent la débâcle. L’éditorial de Louis Pauwels sur « les écoliers de la vulgarité pédagogique nourris de soupe infra idéologique cuite au show-biz », n’a pas pris une ride. « Ils ont reçu une imprégnation morale qui leur fait prendre le bas pour le haut. Rien ne leur paraît meilleur que n’être rien, mais tous ensemble, pour n’aller nulle part. Leur rêve est un monde indifférencié où végéter tièdement. Ils sont ivres d’une générosité au degré zéro, qui ressemble à de l’amour mais se retourne contre tout exemple ou projet d’ordre (…) Nous nous demandons ce qui se passe dans leurs têtes. Rien, mais ce rien les dévore » (1986).

La cuisson est terminée, tout le monde est à point (et à poil) : Philippe Katerine, Patrick Boucheron, Télérama, l’Université, Aurélien Bellanger, Léa Salamé, Greta Thunberg, Ursula von der Leyen, l’Occident « pourtousiste ». Les zombis acéphales, encordés, indignés, narcissiques, sur LinkedIn, leurs applis, prêchent « l’en commun bienveillant ». Ils « like » les drag-queens gazaouis oppressées par Tsahal, un piquenique d’entreprise sans Nutella, un webinaire sur l’intelligence artificielle de confiance à Bratislava. Ils veulent changer de sexe, sauver la planète, la tortue luth, les femmes.

A lire aussi, Ivan Rioufol: L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire

Nos politiques cabriolent dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures. Senhor Oliveira da Figueira du progressisme, Raphaël Glucksmann pitche large : « la gauche sociale, européenne, humaniste, écologiste et féministe ». Après la grosse caisse prolétarienne, la musique de chambre citoyenne pour clarinette et Tamtam inclusif. Sur le manège enchanté du « réalisme de gauche », la soucoupe volante clignotante de Bernard Cazeneuve talonne le destrier de Raphaël. Carole Delga, à l’affut, pilote une voiture de pompier. Pour qui le pompon ?

Le drame du camp du bien, c’est Le Massacre des illusions, le fouet des événements. La guerre, les pogroms, les décapiteurs, le religieux, les déficits, le réel, sont de retour, à Lampedusa, Beyrouth, Bercy, dans les urnes. Longtemps, la gauche a snobé le passé (ringard, réac) et auto-absous ses aveuglements, lâchetés, crimes, au nom du progrès, du monde d’après. Demain on rose gratuit. Aujourd’hui, le futur n’est plus un alibi. Y’a la foi qui ne va pas, c’est la droite qui s’dilate, les sondages raplapla, le climat est en bas et l’IA fait débat… Où sont passés la recette du cake d’amour, les robes couleur du temps, de soleil, de lune, la peau d’âne, les pièces d’or, pierres précieuses ? Ça interroge.

Pour exorciser le réel, France Inter, Le Monde, des légions de chercheurs engagés, nous abreuvent de bourdieuseries, sophismes rassurants, contre-enquêtes pipeau, slogans éculés coulés dans le gaufrier du lieu commun sociologique : « faire société », « l’en commun », le « socialement construit ». Les hérauts du « toutlemondisme » dansent le rap sur des arcs, barrages, trajectoires bidon : la frugalité productive, le tchador laïque. Les sceptiques sont racistes et crypto-fascistoïdes.

Le dernier bluff de la Sainte Alliance progressiste c’est la manipulation des pleurs et des peurs. L’ultime joker, la ligne Maginot, qui abrite plus qu’elle ne hante le camp du bien, c’est le spectre de l’extrême-droite. Un seul Maistre vous manque, et tout est dépeuplé. « Le vrai se donne le faux pour ancêtre, pour cause, pour auteur, pour origine et pour fin, sans exception ni remède, – et le vrai engendre ce faux dont il exige d’être soi-même engendré. […] Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas ? » (Valéry).

L’oubli des enjeux anthropologiques

Oublieux de l’être, possédé par la technique et la volonté de puissance, l’Occident a refoulé les énigmes, les questions scabreuses méditées par Pierre Legendre, Gérard Guest et quelques autres : la reféodalisation du monde, la guerre des Textes, les transgressions généalogiques, le sujet possédé par l’institution, le grand Tiers inaugural rapportable à un texte idéal « qui nous parle » et « institue la vie », ce qui fait tenir une société debout.

Dans la seringue de l’IA, le bateau ivre de la « calculabilité intégrale », les juristes, économistes, scientifiques, politiques sont pris de vertige. Ils se raccrochent aux branches des saules pleureurs, directives européennes, miroirs aux alouettes à ailes rousses, usines à gaz hilarant : les audits de durabilité, la RSE, la vigilance des devoirs, l’huile de palme responsable, la moraline inclusive de l’éthique de la discussion.

« Il faut du théâtre, des rites des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée (…) On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies… sans préceptes et sans interdits » (Pierre Legendre).

L’assiette du voisin

0

« Rétropédalage » et « exemplarité ». Après avoir suscité un tollé, la hausse du budget de l’Élysée et des Assemblées, prévue par le projet de loi de finances, est annulée. C’est que l’augmentation des dotations initialement prévue était un « symbole » qui ne passait pas auprès des citoyens, explique-t-on.


C’est un des rares sujets qui fasse la quasi-unanimité des Français. Et j’assume de ne pas partager l’indignation de mes concitoyens. Le projet de Michel Barnier prévoyait une hausse de la dotation des Assemblées de 1,7% et de l’Élysée de 2,5 %. Bien sûr, c’est cette dernière qui a fait le plus scandale, tout le weekend dernier, prétendument parce qu’elle était supérieure à l’inflation. En réalité, parce que haïr Macron est un sport pratiqué par tout le monde, et que cela fait de vous un résistant (sans prendre le moindre risque).

« Pas audible »

Sur TF1, le 12 octobre, le ministre du Budget Laurent Saint-Martin renvoie la balle aux parlementaires, tout en essayant vaguement et prudemment de défendre la mesure : les Français ont besoin d’institutions fortes. Un argument balayé par la journaliste, saluée depuis en héroïne pour cela: Vous ne pouvez pas dire aux Français qu’ils doivent faire des efforts quand l’Élysée, l’Assemblée et le Sénat sont épargnés, ce n’est « pas audible ». Sur les réseaux sociaux, on assiste à un festival de criailleries un peu dégoutantes. C’est nous les victimes du méchant pouvoir qui s’en met plein les poches.

Le ressentiment, affect dominant de la société française ?

Mais il y a le symbole, assure-t-on… Symbole de quoi, sinon du ressentiment général ? Nous parlons d’une hausse de 3 millions d’euros pour l’Élysée, de 11 millions pour l’Assemblée nationale, et de 6 millions pour le Sénat. Soit 20 millions au total, alors que nous cherchons à faire 60 milliards d’économies ! Je m’épargne la règle de trois – il y aurait trop de zéros… – mais c’est donc assurément négligeable. Supprimer cette augmentation n’améliorera pas le sort d’un seul Français. Et on ne devrait pas regarder à la dépense pour recevoir des chefs d’État étrangers, ou pour les déplacements du président de la République. On est la France.

À lire aussi, un autre son de cloche: L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire

Dégoutants homards

Cette petite affaire est symptomatique des passions tristes qui empoisonnent la vie politique française depuis la Révolution. L’envie, la jalousie et la haine impuissante. Les salauds de puissants… C’est ce que j’appelle la théorie de l’assiette du voisin : l’important, ce n’est pas tant ce que j’ai, mais c’est que l’autre n’ait pas plus. Rappelez-vous du scandale des homards de François de Rugy, contraint de quitter son poste de président de l’Assemblée nationale en 2019 après la publication de photos d’un dîner par Mediapart.

Ces passions tristes accompagnent un autre mal français : l’irresponsabilité. C’est toujours la faute des autres. Selon Thierry Breton, invité de plusieurs médias cette semaine (après avoir démissionné de son poste de Commissaire européen), notre endettement s’explique largement par notre état social trop généreux, les 35 heures, etc. Mais, il ajoute que dès qu’on essaie de revenir sur une dépense en France, politiques et médias ne manquent pas de hurler immédiatement à la chasse aux pauvres (on se souvient par exemple de l’augmentation des APL de quelques euros) et tout le monde pense qu’on est revenu dans l’Angleterre du XIXe siècle… Si nous en sommes là, ce n’est pas seulement à cause d’Emmanuel Macron et des autres mais à cause de nous tous, qui nous comportons comme des créanciers à qui la collectivité doit toujours quelque chose et qui refusons obstinément de travailler une heure de plus. Quant à nos gouvernants soi-disant privilégiés, beaucoup, Macron en tête, gagneraient évidemment bien plus dans le privé et ne se feraient pas insulter toute la journée. Un jour, seuls des ignares et des imbéciles accepteront de faire de la politique.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin, dans la matinale

Un crime impuni: la maltraitance langagière

0

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Albert Camus nous a avertis. Désinvolte ou volontaire, la distorsion lexicale ajoute surtout à la violence de ce monde. Son origine ? Gérard Rabinovitch la dévoile dans son Philosophie clinique – Au chevet de l’animal parlant.


On sait avec quel aplomb au lendemain du pogrom du 7-Octobre une mélenchoniste, réélue au premier tour dans l’une de ces circonscriptions gentrifiées où s’ébat le bobo-land parisien, s’est autorisée à qualifier le Hamas de « mouvement de résistance ». À titre de justification. Au mépris du classement d’après les Nations-Unies parmi les organisations terroristes, du type Daech et Al-Qaida.

Antinomie

Cette permutation, saluer l’abattage terroriste comme s’il s’agissait d’un exploit de résistance, un homme avait eu toute raison de la redouter.

En effet, dès 2014, Gérard Rabinovitch dénonçait cet abus de langage. Dans Terrorisme/Résistance – D’une confusion lexicale à l’époque des sociétés de masse (Ed. Le Bord de l’Eau), le sociologue et philosophe rappelait à quel point terrorisme et résistance sont antinomiques. Ça ne peut être le recours aux armes qui les rapproche, d’autant que le résistant se fait violence d’entrer dans cette voie quand le terroriste se promet d’en jouir. Les amalgamer ruine le droit de résistance et par contrecoup, odieuse supercherie, sanctifie la violence terroriste.

« Le terrorisme distribue la mort, souligne Gérard Rabinovitch, et donne sa mort pour la mort. Alors que la résistance et son héroïsme font don de sa mort probable, et porte la mort sur l’ennemi, pour la vie. » La résistance est une guerre ciblée. Le terrorisme est une guerre totale, « de quelque drapeau qu’il se revendique, serait-ce celui des humiliés, ce nouveau lexème flou qui a remplacé aujourd’hui celui de prolétaires. » En s’adressant jour après jour à leurs compatriotes comme à autant d’humiliés, les nazis les ont enrôlés ou neutralisés contre la promesse de les venger de la défaite et du traité de Versailles. Les peuples n’ayant rien appris de l’Histoire, il se trouvera toujours quelque insoumis (côté rue) aspirant à la domination (côté cour) pour espérer se faire porter au pouvoir par les dominés de son choix, ceux-là même qu’il a enflammés.

Car les mots sont inflammables. L’abus de langage était en gestation ; dix ans après, nous y sommes ! C’est dans ce contexte que Gérard Rabinovitch publie aujourd’hui Philosophie clinique – Au chevet de l’animal parlant (éd. Hermann). En cent pages, il pointe dans quelle impasse nous enferme la conception moderne de l’homme, en dénonce le soubassement avant d’en désigner l’issue.

Le propre de l’homme

Attendu qu’on a fait son deuil d’une illusion : non, le progrès de l’humain dans l’homme et celui des sciences ne sont pas symétriques. D’un côté, le stop and go, au mieux la droiture, au pire la régression. De l’autre, savoir et techniques, des progrès aux effets heureux ou désarmants et des pauses. D’où le devoir de vigilance exigeant de discerner l’impensé qui, par réflexe et mimétisme, gouverne l’opinion commune.

À l’opposé d’un Pierre Bourdieu se flattant d’examiner la nature sociale de la langue, contre Saussure qui disait l’envisager « en elle-même et pour elle-même », c’est en anthropologue et historien sensible aux limites du sociologisme que Rabinovitch la considère. En convoquant les grands maîtres de l’Antiquité, d’Athènes et de Jérusalem, et leur définition concordante de l’homme : « animal parlant » chez Aristote et « vivant parlant » pour la tradition judaïque, le premier monothéisme.

Le langage est le propre de l’homme. Il n’aurait pas valeur souveraine s’il n’était qu’un instrument de communication, une gamme de signaux comme en font usage les animaux. L’homme pense, sent et s’exprime dans et par le langage. La parole interpelle, crée, infuse et transforme. La bouche est le foyer de la parole et celui de la manducation de la nourriture. Parole de salut à mémoriser et à transmettre. Ezéchiel 2,7 – 3,4 : « Tu leur porteras mes paroles, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas… Et toi, fils d’homme, écoute ce que je vais te dire… Ouvre la bouche et mange ce que je vais te donner. »

Il s’est trouvé un esprit moderne pour relayer et actualiser la sagesse des Anciens : Freud, avec la révélation de l’Inconscient, l’interaction de l’intime pulsionnel et de l’extérieur culturel, la dualité des pulsions de vie et de destruction, du sexuel et, pour le traitement psychique, la valeur des mots qui, au quotidien, « ne sont rien d’autre, dit-il, que de la magie qui a perdu de son éclat ».

Entretemps, quelque chose s’était perdu. Depuis qu’à partir du XIIIe siècle, une autre conception de l’homme a pris cours : non plus en tant qu’« être parlant », mais à la suite de St-Thomas d’Aquin – sur ce point lecteur borgne d’Aristote – en tant qu’« animal social ». Évacuées, l’essence spirituelle et politique, la valeur du secret. Verrouillée, l’assignation sociale. Voici l’homme animalisé. Le coût de cette substitution ? « La déliaison du politique et de l’éthique, tranche Rabinovitch à la suite de Hannah Arendt. Tant qu’il était enchaîné au langage, le politique restait condition de possibilité des montages et partages éthiques. »

Et c’est sur cette même pente, celle de la réduction à l’assignation sociale et de l’instrumentalisation du langage que s’engagera la fanatisation des masses. Klemperer, l’auteur de LTI, la langue du IIIe Reich, décrit magistralement la portée d’éléments de langage toxiques inlassablement ressassés : « Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptés de façon mécanique. » En quête de métaphores, de néologismes, d’euphémismes, de litotes ou de périphrases, pareille propagande exige une inventivité sans limite. Au point, note l’historien des sciences Robert Proctor, que « les nazis finirent par avoir autant de mots pour désigner le meurtre que les esquimaux en ont pour évoquer la neige. »

Hier la fanatisation, aujourd’hui la domestication, l’infantilisation. Par le jeu des simplifications clivantes entre « pro » et « anti » et des habillages indolores. Par exemple, non pas le droit à l’euthanasie, mais le secours de « l’aide active à mourir ».

La philosophie clinique, avertit Rabinovitch, ne cherche pas à « guérir » le monde. Au chevet de l’homme désorienté, c’est d’abord à réparer et à paver la voie du bien dire qu’elle peut concourir. En accord avec les finalités que Leo Strauss fixait à la philosophie politique : orienter vers une vie bonne, un bon agir en commun, une société bonne. Sans jamais prétendre épuiser la question du langage. À l’exemple de l’anthropologue Marcel Jousse (1886-1961), élève de Marcel Mauss, l’auteur de La manducation de la parole :

 « Celui qui sait parler, sent qu’il y a en lui quelque chose qui n’est pas lui et qui fait onduler la phrase selon le besoin, ou qui la rend abrupte, cassée, quand il est nécessaire de la casser, de la broyer, pour l’adapter. Vous croyez que l’être qui sait parler n’est pas en effroi de lui-même, parfois ? Qui donc fait les phrases de quelqu’un qui sait parler ? C’est cela qui est un mystère et ce sera toujours un mystère pour les hommes qui pensent. »

Philosophie clinique: Au chevet de l animal parlant

Price: 15,00 €

9 used & new available from 10,81 €

Sinwar, la plume et le keffieh

Le leader du Hamas, «cerveau» des attaques islamistes du 7-Octobre en Israël, a été tué à Gaza. L’AFP affirme que l’armée israélienne procède à «des analyses ADN sur le corps d’un combattant» pour confirmer la mort du chef politique palestinien. Il y a peu, on pouvait encore acheter son autobiographie sur le site de la Fnac!


Il y a peu, on pouvait encore acheter L’Épine et l’Œillet, un livre vanté pour ses qualités « touchantes ». Son auteur : Yahya Sinwar, le chef du Hamas. Cette autobiographie, sorte de Mein Kampf islamiste publiée en 2004, a été traduite en français en avril 2024, six mois après les atrocités qu’il a commanditées.

En menant des recherches bibliographiques sur le Hamas, je suis tombée sur une notice affichée par la FNAC qui promeut un roman « profondément touchant » offrant « un aperçu unique sur une histoire de résilience et l’esprit de résistance ». La FNAC incite les lecteurs à « plonger dans les profondeurs de la psyché de l’auteur à travers ses années d’emprisonnement, révélant un esprit inébranlable malgré les limites de sa cellule ». Cette œuvre littéraire est marquée par « la passion et la détermination de l’homme qui continue d’influencer le paysage politique ». Cet homme n’est autre que Yahya Sinwar, le chef du Hamas et le responsable des atrocités de 7 octobre.

Le boucher de Khan Younès 

Or, si ce livre est écrit en 2004 quand l’auteur purgeait une peine de prison, l’édition française paraît en avril 2024 en version ebook sous le titre L’Épine et l’Œillet, traduit de l’anglais « The Thorn and the Carnation » (la traduction anglaise est celle de la version arabe Al-Shawk wa’l Qurunful), c’est-à-dire six mois après l’attaque de 7 octobre.

Avant son emprisonnement, Sinwar était responsable du service de sécurité interne du Hamas, « Al-Majd ». Connu sous le nom de « Boucher de Khan Younès », il était responsable des opérations punitives contre les Palestiniens qui collaboraient avec Israël. Accusé d’avoir organisé l’enlèvement, la torture et l’assassinat de deux soldats israéliens et de quatre Palestiniens soupçonnés de collaboration avec Israël, Sinwar a été condamné à quatre peines de perpétuité. Il sort en 2011, avec d’autres prisonniers échangés contre le soldat Gilad Shalit, capturé par le Hamas.

En 2018, dans une interview accordée à la journaliste de la Reppublica, Francesca Borri[1], Sinwar explique que pour lui le seul moyen d’exister dans les médias est le sang : « No blood, no news. » Affirmation vérifiée le 7 octobre.

Le narrateur de Sinwar met en scène un militant du Hamas et du programme de destruction d’Israël qu’on lui connaît. Grâce aux exégèses du site propalestinien Chronique de Palestine, on apprend que pour Sinwar « le lien exceptionnel entre la religion et le nationalisme » s’exprime à travers « l’obligation du djihad, ou guerre sainte, qui imprègne la cause nationale de sainteté et l’enracine dans l’individu[2] ». Autrement dit, cette biographie romancée n’est qu’un appel au djihad, à la guerre sainte contre les juifs et ceux qui les soutiennent.

A lire aussi, Jean-Michel Blanquer: Penser le 7-Octobre en exorciste

On s’interroge sur la parution en français de cet appel au meurtre romancé en 2024, quelques mois après le massacre du 7 octobre, alors qu’il a été écrit en 2004. Pourquoi maintenant, alors que des otages israéliens sont tués et torturés à Gaza par les assassins du Hamas, alors que des millions d’islamistes et d’antisémites se réjouissent du déluge de sang qu’il a provoqué ?

Pourquoi les grandes enseignes françaises s’attendrissent-elles devant les écrits de l’homme responsable de la mort de tant de juifs, de tant de viols, de tant de massacres, commis selon les prescriptions précises et détaillées pensées par Sinwar ? Identification morbide ? Énorme clientèle qui n’attendait que le nouveau Mein Kampf islamique ? Présence des Frères musulmans au sein de ces enseignes ? J’émets cette hypothèse pour la raison suivante. La traduction anglaise, que j’ai consultée, commence par une dédicace : « Je dédie ce livre à tous ceux dont les cœurs battent pour la terre de Isra et Mir’aj, de l’océan jusqu’au golfe, vraiment, de l’océan jusqu’à l’océan[3]. » Isra et Mir’aj est le voyage nocturne, suivi de l’ascension du prophète Muhammad. Selon la légende, ces événements ont eu lieu sur le mont du Temple où le calife Abd al-Malik construit le dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa sur les ruines du Temple juif.

Sulfureux entre guillemets

Force est de constater que par suite des réactions sur les réseaux sociaux, le livre a été retiré des enseignes françaises qui vantaient ses qualités profondément « touchantes » : la FNAC et Decitre. Pour marquer le coup, le site Actualitté[4] a décidé de publier un article qui s’inspire en partie des contributeurs de Chronique de Palestinecitée ci-dessus. « Mais qu’y a-t-il dans l’ouvrage du très sulfureux [sic] Yahya Sinwar ? D’abord, il s’agit d’une autobiographie. Le chef du Hamas à Gaza y décrit son engagement dans la construction d’une infrastructure de résistance à Gaza. Publié initialement en 2004 et écrit en prison, il présente les réflexions et expériences tirées d’une vie marquée par la résistance armée. Il explore en outre les défis de la résistance face à l’occupation israélienne et la dynamique entre les différentes factions palestiniennes. Le livre offre notamment un aperçu des tensions internes et des aspirations palestiniennes. Il s’y décrit comme un homme de foi, dédié à la cause palestinienne, et qui évite tous les sentiments antisémites, se concentrant sur la lutte contre l’occupation. À chacun de juger si on doit le croire ou non, en fonction de ses actes… »

Sinwar qualifié de « sulfureux » entre guillemets quand, en revanche, le syntagme « résistance » est utilisé sans guillemets : pour l’auteur de l’article, il semble que l’organisation d’assassinats de juifs et de Palestiniens collaborant avec Israël relève de la résistance. Cependant, bon prince, il laisse pudiquement et démocratiquement le choix aux lecteurs : « à chacun de juger » si oui ou non Sinwar est antisémite. On s’émeut de tant d’impartialité.


[1] « It’s time for a change, end the siege », ynetnews.com, 10 mai 2018.

[2] « La philosophie de la résistance, par Yahya Sinwar », chroniquepalestine.com, 11 juillet 2024.

[3] “I dedicate this to those whose hearts cling to the land of Isra and Mir’aj, from the Ocean to the Gulf, indeed, from ocean to ocean.”

[4] « La Fnac vend l’autobiographie du chef du Hamas, avant de la retirer », actualitte.com, 21 août 2024.

Elon Musk, le frappadingue de génie

0

Tout semble réussir au patron futuriste de Tesla, Space X et Twitter! La nouvelle capacité à réutiliser des fusées super-lourdes, dont a fait preuve Starship le 13 octobre, a éberlué le monde entier. Au grand désespoir des contempteurs de Musk, le fan de science-fiction étant aussi un soutien inconditionnel de Donald Trump…


On pouvait croire être entré par effraction dans le rêve fou d’un enfant qui ne le serait pas moins. Ou embarqué dans la séquence hallucinée d’un jeu vidéo avant-gardiste. Un corps de fusée de soixante-dix mètres de haut s’en revenant de l’espace tout feu tout flamme, passant d’une vitesse de quelque six-mille kilomètres / heures au pas d’un piéton, corrigeant l’angle d’approche pour venir, telle une amoureuse transie, se lover dans les bras articulés du bon géant qui, patiemment, n’attend qu’elle sur le plancher des vaches. Tout cela réalisé à la seconde près.

L’enfant à l’imagination allumée en rêvait sans doute en feuilletant ses illustrés de science-fiction. Elon Musk, lui, l’a fait.

Sous nos yeux, nous assistions donc ce dimanche 13 octobre à une phase authentiquement historique de l’épopée spatiale. Un pas de géant qui a laissé sur place ses concurrents les plus en pointe, la Chine, la Russie. Mais aussi l’Europe qui, avec Ariane et ses récentes déconvenues, semble avoir quelque peu perdu de fil de cette odyssée quasi prométhéenne. En avril, pour la mise en orbite de Galileo, le système satellitaire censé garantir la souveraineté européenne des applications GPS, Ariane 6 étant portée pâle, il fallut se résigner à aller toquer à la porte de Musk et embarquer le bazar à bord de son engin. Souveraineté un brin écornée de ce fait, on en conviendra.

A lire aussi: Elon Musk: Mais pourquoi est-il si méchant?

Avec Starship, Musk invente donc la fusée qui devrait réjouir jusqu’aux écolos les plus sourcilleux, la fusée durable et solidaire. Durable puisque réutilisable, et solidaire, comme nous venons de le voir. En outre, elle présente l’atout remarquable entre tous d’être la plus puissante jamais construite. Tant qu’à faire, on fait, telle est la règle chez les Musk et frappadingues de cet acabit.

De toute évidence, il faut bien l’être quelque peu, frappadingue, pour oser se lancer dans de telles aventures, d’y consacrer sa vie entière. Des aventures à peine envisageables pour un État qui ne serait pas une superpuissance, et combien moins encore pour un simple individu. Nous sommes là dans le domaine réservé des têtes folles, celles dont l’impossible est le terrain de jeu privilégié et pour qui le déraisonnable est la raison ordinaire. La vieille Europe, la France à bout de souffle en manqueraient-elles ?

Musk lui-même revendique sa différence, ne faisant pas mystère d’être porteur du syndrome d’Asperger. « Je sais bien que je dis ou je poste des choses étranges, mais c’est la façon dont travaille mon cerveau », confesse-t-il. Non sans une certaine complaisance, une certaine ostentation, car l’homme aime le paraître, la mise en scène chic et choc. Il a cela en commun avec un autre frappadingue de génie, Nikola Tesla, sous le parrainage de qui il a placé sa marque d’automobiles, lui donnant son nom. Ce découvreur, ce visionnaire lui aussi des plus prolifiques en son temps – plus de trois cents brevets à son actif – donnait volontiers dans l’exubérance, voire la provoc’. Cela agaçait beaucoup. Tout comme Musk agace. Il exaspère d’autant plus que, figurez-vous, dans la présente campagne des élections présidentielles américaines il pousse le bouchon de l’inconvenance jusqu’à soutenir la mauvaise personne, le contempteur du système ronronnant, Donald Trump soi-même ! Un personnage qu’il n’est guère exagéré de ranger lui aussi dans la catégorie frappadingue. À un tout autre niveau, cependant.

A lire aussi: Qui a cramé la caisse?

Mme Kamala Harris se glorifie d’avoir à ses côtés la star Taylor Swift et le past president Barack Obama. L’un et l’autre n’ayant à ce jour jamais réussi – pour autant que je sache – à faire entrer le dentifrice dans le tube une fois qu’il en est sorti – la prouesse de Starship est bel et bien de cet ordre-là ! – Madame Harris, indéfectible sourire dents blanches 24H/24, doit trouver ces soutiens bien ternes ces derniers jours. Plus sérieusement, j’ignore si l’exploit de Musk peut bénéficier à son poulain Trump. Néanmoins, je sais pertinemment que des voix – y compris chez nous, suivez mon regard – n’auraient pas manqué, en cas d’échec de les associer l’un et l’autre dans un procès en incompétence et imposture. Cette contre-fusée incendiaire-là n’aura donc même pas eu à quitter son pas de tir. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas…

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

1 used & new available from 14,77 €

Une révocation politique?

0

Réflexion sur la lourde sentence du Conseil d’État qui s’est abattue sur le professeur Jean-Luc Coronel de Boissezon, à la suite de l’évacuation musclée d’étudiants gauchistes de la fac de Montpellier, en 2018.


Vendredi 27 septembre 2024, aux termes d’une décision très discutable, le Conseil d’État a révoqué définitivement de ses fonctions Monsieur Jean-Luc Coronel de Boissezon, professeur agrégé d’histoire du droit à l’université de Montpellier (CE, 27 septembre 2024, Université de Montpellier, req. n°488978).

Pour rappel, il est reproché à Monsieur Coronel de Boissezon d’avoir participé, dans la nuit du 22 au 23 mars 2018, à l’évacuation musclée d’un amphithéâtre de la faculté de droit, occupé par un « collectif » d’organisations d’extrême-gauche dans le cadre d’un mouvement d’opposition à la loi ORE.

Une peine sensiblement aggravée

Si l’on peut entendre que des poursuites judiciaires et disciplinaires aient été diligentées, on relèvera que la sanction de révocation – la plus grave – est l’aboutissement d’un acharnement certain à l’encontre du professeur, qui avait le défaut supplémentaire d’avoir un cœur penchant à droite.

Le déroulé de la procédure disciplinaire est significatif de cet acharnement. Après une première décision de révocation de la section disciplinaire de Sorbonne Université, le CNESER[1] – juridiction compétente à l’égard des enseignants-chercheurs – a sensiblement allégé la sanction en prononçant, le 23 mars 2022, une interdiction d’exercer toute fonction d’enseignement pour une durée de quatre ans avec privation de traitement. Le 30 décembre 2022, le Conseil d’État, saisi par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, juge la sanction prononcée par le CNESER trop clémente. Mais le 4 septembre 2023, sur renvoi du Conseil d’Etat, l’indocile CNESER a prononcé une sanction identique à celle du 23 mars 2022. Mauvais joueurs, le président de l’université de Montpellier et la ministre chargée de l’Enseignement supérieur se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État, qui a révoqué définitivement Jean-Luc Coronel de Boissezon.

Cette dernière décision soulève un certain nombre questions.

Tout d’abord, celle des pouvoirs du juge de cassation. En matière de révocation, le juge a de longue date introduit un critère de proportionnalité : la révocation doit être en adéquation avec la gravité des faits reprochés au fonctionnaire, condition dont l’appréciation appartient aux juges du fond (CE, 21 juin 2000, Ville de Paris, req. n°179218). Ainsi, lorsque le juge de cassation intervient, il peut certes annuler la décision prise par la juridiction d’appel s’il la juge disproportionnée par rapport à la gravité des faits, mais toujours pour prononcer une sanction moins sévère. Or, en prononçant la révocation définitive de Monsieur Coronel de Boissezon, le Conseil d’État a substitué son appréciation à celle, en principe souveraine, du CNESER, pour aggraver sensiblement la peine.

Ensuite, comme cela avait été souligné par Anne-Marie Le Pourhiet et François-Xavier Lucas à propos de la précédente décision du 30 décembre 2022 (cf. Le Figaro, 17 janvier 2023) ; la motivation du Conseil d’État est bâclée, car elle occulte la question de la responsabilité personnelle du professeur, qui n’était ni armé ni cagoulé, en retenant une forme de responsabilité collective. Le Conseil d’État se contente en effet de retenir que Monsieur Coronel de Boissezon a « participé, à la tête d’un groupe comprenant des personnes extérieures à l’université, pour certaines cagoulées et munies de planches de bois et d’un pistolet à impulsion électrique, et en portant lui-même des coups, à l’expulsion violente des occupants d’un amphithéâtre de l’UFR de droit et science politique de l’université de Montpellier ». Or, cette notion de « responsabilité collective » qui sous-tend le raisonnement, est en décalage avec la propre jurisprudence du Conseil d’État en matière de révocation. Il s’attache en effet habituellement à identifier de manière très circonstanciée la responsabilité personnelle de l’auteur des faits. Il en va ainsi, par exemple, d’un agent public ayant agressé sexuellement une mineure handicapée (CAA Douai, 6 octobre 2011, req. n°10DA01437) ; ou d’un médecin ayant porté des mentions mensongères, en termes de vaccination, sur le carnet de santé d’un enfant (CE, 22 décembre 2017, M.X, req. n°406360).

Phalange factieuse 

Enfin, le point le plus confondant vient des conclusions du rapporteur public. Pour justifier la révocation, il est indiqué que le professeur a « pris la tête d’une phalange factieuse » (cf. conclusions de Monsieur Jean-François de Montgolfier, p. 9). On reste interdit devant l’usage de ces termes, qui n’ont pas été choisis au hasard et qui travestissent la réalité. Si l’on se réfère à une définition simple donnée par le Trésor de la langue française, l’adjectif « factieux » s’entend d’un groupe « qui exerce ou tente d’exercer contre un gouvernement légalement établi une action violente visant à provoquer des troubles » (passons sur le terme « phalange », si ridiculement outrancier qu’il ne mérite pas que l’on s’y attarde).

Or, comme cela a été souligné par le rapport de l’IGAENR[2], l’occupation de l’amphithéâtre « par des étudiants » et « quelques personnes extérieures, qui n’ont pas le statut d’usager […] est illégale » (Rapport IGAENR n° 2018-036, mai 2018, page 9). Cette occupation illégale a en outre été émaillée de déprédations, violences, injures et brutalités. Quelques exemples, non exhaustifs :

  • « Un enseignant reçoit un coup de poing au visage, sa montre est arrachée. Un syndicaliste, postier, secrétaire départemental de l’union syndicale Solidaires a ses lunettes de vue cassées » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
  • « Vers 23 heures, des étudiantes accrochent des tampons et des serviettes hygiéniques souillées à la barrière qui ferme l’accès au sous-sol où se trouvent les toilettes, elles en brandissent sous le nez du doyen. Une jeune fille met une serviette hygiénique dans la poche de son veston. Un tampon est jeté à la tête d’un agent de sécurité, un autre à celle du doyen. » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
  • « Une personne présente une bouteille d’urine à la responsable administrative qui préfère la prendre de peur qu’elle ne la lui jette. La vice-doyenne et une enseignante sont également présentes et assistent à cette scène. » (Rapport IGAENR, p. 8).

Ainsi, pour le rapporteur public, il n’y a pas de factieux du côté de ceux qui occupent un amphithéâtre sans droit ni titre, qui insultent, méprisent, violentent et dégradent ; mais exclusivement du côté de ceux qui ont cherché à redonner à un amphithéâtre sa vocation naturelle. D’ailleurs, les premiers n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale, civile ou disciplinaire. On comprend que si Monsieur de Boissezon avait apporté son concours à l’occupation illégale, aux insultes et déprédations, il n’aurait pas été inquiété.

Il est donc difficile de voir autre chose, dans cette décision de révocation obtenue au forceps, qu’une volonté de juger Jean-Luc Coronel de Boissezon au pied du mur de l’exemple. Il n’est pas non plus certain que cette décision, adoptée sur pourvoi de la ministre de l’Enseignement supérieur et de l’université de Montpellier, eux-mêmes soumis à la pression de certains syndicats étudiants, soit de nature à tempérer le sentiment de partialité idéologique des juridictions françaises.

Penser la démocratie sociale

Price: 36,00 €

6 used & new available from 36,00 €


[1] Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche

[2] Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche

Forum World In Progress Barcelone: l’Europe au défi de la mondialisation

0
L'ancien Président du Conseil des ministres italien M. Renzi, Barcelone, Forum World In Progress, octobre 2024. DR.

À Barcelone, lors du forum World In Progress, les décideurs commentaient le brûlant rapport Draghi et s’inquiétaient tous de notre démographie déclinante et d’une innovation en berne sur le vieux continent.


Fondé en 1972 par José Ortega Sportono et Jesus de Polanco, le groupe de presse espagnol Prisa (El Pais, As, Cadena Ser) est actuellement présidé par l’homme d’affaires français Joseph Oughourlian. Prisa organisait le forum World In Progress à Barcelone les 14 et 15 octobre. L’objectif de ce sommet était de réunir des acteurs d’envergure du monde politique et des affaires autour des enjeux les plus périlleux que le monde contemporain et l’Europe affrontent aujourd’hui.

Parmi les questions à l’ordre du jour figuraient notamment celles portant sur le déclin démographique de l’Europe et l’immigration, le rejet des élites occidentales par leurs populations, le rapport Draghi et les différents conflits militaires en cours. Loin d’être déconnectées, ces problématiques sont liées les unes aux autres comme l’ont démontré les différents conférenciers prestigieux invités à se partager la scène du Caixa Forum.

Nous avons notamment pu échanger en privé avec Matteo Renzi et Enrico Letta. Si le premier est volubile et le second plus austère, tous deux tirent la sonnette d’alarme sur l’état de santé de l’Europe.

World in Progress Barcelona. De gauche à droite : Montserrat Domínguez, Carlos Nuñez, Pilar Gil, Salvador Illa, Pedro Sánchez, Joseph Oughourlian, Jaume Collboni, Pepa Bueno, Carlos Prieto y Fernando Carrillo.

Une Europe vieillissante confrontée à l’immigration de peuplement

Un constat pessimiste s’est imposé au cours de ces deux journées de conférences et d’entretiens privés : l’Europe est vieillissante. Pis encore, rien ne semble pouvoir enrayer la spirale de la dénatalité qui touche tous les pays du continent, singulièrement ceux du Sud tels que l’Espagne et l’Italie. Enrico Letta l’a d’ailleurs résumé en une formule lapidaire, confessant que l’Europe était devenue « un EPHAD ». Des propos en phase avec ceux de Matteo Renzi qui a affirmé que le continent n’était pas en « crise démocratique » mais « démographique ».

C’est particulièrement vrai pour l’Italie, mais aussi l’Espagne où nous nous trouvions. Comme les deux dirigeants transalpins l’ont rappelé, 1,1 million de bébés italiens naissaient chaque année dans les années 1970 contre moins de 400.000 dans les années 2010. Il ne s’agit pas d’un simple déclin, c’est un véritable effondrement. Les conséquences économiques sont colossales, empêchant la croissance européenne de se maintenir à des taux satisfaisants et provoquant la disparition de filières professionnelles entières. Le déclin démographique provoque aussi la désertification des zones rurales, désormais dépeuplées et à l’abandon.

A lire aussi: L’énergie éolienne au pays du Roi Ubu

Cette chute de la natalité constitue aussi l’une des raisons poussant le patronat à réclamer plus d’immigration de travail. Les systèmes sociaux de la plupart des pays européens sont, en outre, particulièrement attractifs. Reste que l’accueil des nouveaux entrants ne se fait pas sans heurts, une majorité d’entre eux provenant de pays aux cultures et mœurs fort éloignées des nôtres. Ajoutons aussi que l’immigration illégale a explosé lors des quinze dernières années, les conflits au Sahel, en Afghanistan et en Syrie provoquant un appel d’air vers un vieux continent insuffisamment protégé et préparé pour y faire face.

Nous sommes donc confrontés à une situation explosive qui fracture profondément nos sociétés. Une solution possible est celle empruntée par Giorgia Meloni en Italie. Cette dernière a décidé de lutter farouchement contre l’immigration illégale sans fermer la porte à l’immigration légale ciblée de travail. Une immigration de travail qui ne devrait par ailleurs pas toujours rimer avec immigration d’installation, ainsi que cela a été trop souvent le cas en France. Enrico Letta en a convenu : « La natalité française n’est pas aussi catastrophique qu’en Italie. Vous avez aussi une différence. Vous n’avez pas à gérer uniquement des flux d’immigration, mais aussi des stocks des dernières décennies ».

Le tour d’horizon de l’enjeu migratoire ne serait pas complet sans s’attarder sur l’émigration, c’est-à-dire la fuite des cerveaux les mieux formés. Ce sujet tient à cœur à Matteo Renzi : « Nos ingénieurs les plus qualifiés partent aux Etats-Unis et en Asie trouver des opportunités qu’ils ne trouvent pas en Europe ! C’est dramatique et nous devons solutionner cela en permettant aux jeunes diplômés des secteurs technologiques d’obtenir les rémunérations qu’ils recherchent et les missions professionnelles qu’ils désirent ».

Une Europe vieillissante qui peine à innover

« Les Etats-Unis innovent, la Chine copie et l’Europe régule », a déclaré Matteo Renzi en écho au rapport Draghi. Wolfgang Munchau, directeur d’Eurointelligence, a résumé ledit rapport en ces termes : « L’UE s’est dotée d’un régime de protection des données si restrictif qu’il constitue un obstacle au développement de l’intelligence artificielle. Elle a introduit une loi sur les services numériques qui traite les plateformes de réseaux sociaux comme hostiles à la culture européenne. […] L’UE est coincée dans un piège technologique digne de l’ingénierie mécanique du milieu du 20e siècle ».

A lire aussi: Elon Musk, le frappadingue de génie

Pour le dire plus simplement : l’Europe a un déficit de compétitivité manifeste par rapport à ses concurrents. Les parts de marché des grandes industries européennes ne cessent de reculer depuis le début des années 2000 – à l’exception notable de l’Allemagne qui subit néanmoins de plein fouet le conflit ukrainien -. Cette faillite collective trouve son origine dans ce qu’on a appelé « l’agenda de Lisbonne » décidé au Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, dont l’objectif affiché était de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». La stratégie a échoué puisque nous ne sommes pas « l’économie de la connaissance » la plus compétitive, bien au contraire. Dans des domaines aussi variés que le spatial, l’intelligence artificielle, la robotique ou les technologies de l’information, l’Europe se traîne. La bataille n’est toutefois pas perdue d’avance. Nos interlocuteurs ont tenu à se montrer optimistes. Mais il faut pour cela mettre en place des politiques efficaces et réduire le carcan administratif qui étouffe l’écosystème du continent. Surtout face à une concurrence américaine ambitieuse. L’Inflation Reduction Act (IRA) décidé par l’administration Biden fait peser une véritable épée de Damoclès sur notre économie. Il s’agit d’une politique offensive et particulièrement attractive. Les Etats-Unis ont investi des centaines de milliards de dollars pour attirer les entreprises du monde entier, notamment celles du secteur automobile. Le plan prévoit notamment des crédits d’impôts pour la production des véhicules électriques, l’éolien, le solaire, la séquestration du carbone, l’hydrogène vert, les biocarburants, les batteries, etc. En plus de ce volet fiscal, l’IRA accorde des aides financières directes aux particuliers américains pour l’achat… des produits vertueux fabriqués aux Etats-Unis. Cela pourrait entrainer des délocalisations massives d’entreprises qui ont investi en Europe.

Pour l’heure, nous ne nous sommes pas dotés des leviers politiques et des moyens financiers pour y répondre, alors même que nous allons passer notre parc au tout électrique dans les prochaines années. Enrico Letta propose trois axes : desserrer l’étau des régulations qui pèse sur les entreprises innovantes, protéger les secteurs de l’économie européenne qui affrontent des concurrences étrangères bénéficiant d’avantages compétitifs insurpassables et mettre en place des mesures incitatives pour relancer la natalité. Il croit que ces trois conditions sont indispensables pour maintenir la croissance de l’économie européenne.

Conclusion

Eviter la muséification du continent européen passe par la prise de conscience pleine et entière des défis du temps. C’est du moins ce qui est ressorti de ce forum World In Progress. Le danger que court l’Europe est celui de la sortie de l’Histoire : par le changement de population ou la disparition progressive de sa population d’origine, par le manque d’innovation de notre économie et par une mauvaise compréhension du champ de bataille économique de l’époque contemporaine. Cet arc de catastrophes ne sera pas vaincu sans faire montre d’une ambition commune en Europe.

Bruno Le Maire a alerté, et ce serait lui le coupable?

0
Bruno Le Maire et Emmanuel Macron, Paris, 15 mai 2023 © Blondet Eliot -pool/SIPA

Budget. Les contempteurs de l’ancien ministre de l’Économie lui reprochent d’avoir fui en Suisse, voire d’avoir falsifié les comptes publics… De son côté, M. Le Maire avait menacé: «La vérité apparaîtra plus tard».


Bruno Le Maire est complexe : il est intelligent, il a été durant sept ans un ministre de l’Économie important, il a été discipliné mais aussi libre, il a écrit des livres dont certains sont remarquables, il connaît sa valeur et parfois ne l’a pas assez dissimulé. Le président de la République ne l’appréciait pas trop et au sein des gouvernements qui se sont succédé, il a été sans doute la proie de ce malaise désagréable face à des personnalités, voire des Premiers ministres, qui ne vous valent pas. Heureusement pour ses adversaires, il n’a pas toujours été confirmé par la réalité et en particulier l’économie russe n’a jamais été « mise à genoux ». Certaines de ses prévisions n’ont pas été couronnées de succès et on a pu se gausser de contritions insuffisantes, de quelques propos dont l’optimisme était surjoué.

C’est Emmanuel Macron, l’inventeur du « quoi qu’il en coûte »

Maintenant que Bruno Le Maire enseigne à Lausanne et que plus rien n’est susceptible de le retenir dans l’expression de sa vérité sur l’état des comptes publics et sur leur dérive en si peu de temps, je le crois sincère quand il se réjouit de la validation d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale. Notamment Éric Coquerel et Éric Ciotti le questionneront sur ce qui a relevé de ses attributions, de ses compétences et de son rôle d’animateur.

A lire aussi: Le pouvoir d’achat, ce paresseux mantra

Cet exercice à la fois technique et démocratique va se dérouler dans une période où, semble-t-il, on tourne moins autour du pot républicain et où la responsabilité fondamentale d’Emmanuel Macron dans cette calamiteuse dégradation des finances publiques ne fait plus aucun doute. Après le « quoi qu’il en coûte », il a inspiré une continuation de la facilité et de la démagogie dépensière, qui a abouti à la grave crise d’aujourd’hui. C’est à cause de cette perception que les explications de Bruno Le Maire vont être accueillies par la commission d’enquête dans une atmosphère qui ne lui sera pas forcément défavorable. Bruno Le Maire pourra ainsi tenir les promesses qu’il avait formulées sur un mode menaçant en laissant entendre que le moment venu il s’exprimerait : « la vérité apparaîtra plus tard ».

Une contre-offensive en préparation

L’essentiel de ce qui suit découle d’un excellent article de Marion Mourgue et de Ludwig Gallet, dans Le Parisien : « Dérapage budgétaire : comment Bruno Le Maire prépare sa contre-offensive »[1].
L’une de ses anciennes collègues du gouvernement a souligné que durant deux ans, en conseil des ministres, il n’avait cessé d’alerter sur l’état des finances publiques.

A lire aussi: Qui a cramé la caisse?

Bruno Le Maire rappellera également qu’il avait demandé avec insistance qu’on sortît du « quoi qu’il en coûte » et que ceux qui avaient prétendu lui donner des leçons en seraient pour leurs frais. À plusieurs reprises, à cause de ses avertissements qui tranchaient avec l’obligation d’une béatitude rassurante exigée par le président et le Premier ministre.
À quelques semaines des élections européennes, Bruno Le Maire estime souhaitable une loi de finances rectificatives de 15 milliards d’euros mais il est désavoué par Emmanuel Macron et Gabriel Attal, ce dernier préférant miser sur « les mesures réglementaires et les gels de crédits ».
Un soutien de l’ancien ministre va jusqu’à dire que la dissolution a été décidée parce que le président ne voulait pas assumer les économies projetées par Bruno Le Maire, car il craignait l’impopularité.
Dans ce même mouvement de libéralité contre la rigueur à mettre en œuvre, Emmanuel Macron « distribuait des chèques souvent dans le dos du ministre ».
Il y a dans ce qui se prépare le risque d’une perversion française, courante sur le plan politique. Celui qui a dénoncé le scandale deviendra le coupable. Un bouc émissaire rêvé. Je suis sûr qu’un Bruno Le Maire, en totale indépendance et heureux de n’avoir plus à mesurer ou à travestir son verbe, entre solidarité et esprit critique, se fera une joie de remettre les pendules à l’heure. Le président pourra compter sur son petit groupe d’inconditionnels mais les faits sont têtus et les témoins nombreux.


[1] https://www.leparisien.fr/politique/derapage-budgetaire-comment-bruno-le-maire-prepare-sa-contre-offensive-15-10-2024-ROE2NHGBZJBABHGNMH45DPFJEM.php

La vérité est têtue

0
Marine Le Pen au tribunal, dessinée le 14 octobre 2024 © Valentin Pasquier/AP/SIPA

Au tribunal, Marine Le Pen a de nouveau défendu avec assurance le travail réalisé par Mme Griset, Mme Bruna ou M. Légier, lors de l’audience du 15 octobre. Mais l’accusation continue de dire que les assistants parlementaires européens occupaient des emplois « fictifs ».


Elles sont arrivées ensemble au tribunal. L’une, brune au carré mi-long, en costume bleu, élancée sur de hauts talons. L’autre, blonde au carré court, altière sur ses escarpins talons aiguilles, vêtue d’un chemisier clair sous une veste vert fougère. Catherine Griset et Marine Le Pen se sont rencontrées quand Marine Le Pen, alors jeune avocate, cherchait une assistante. Catherine Griset arrivait d’Angoulême, et une connaissance commune du Front national jeunesse (FNJ) les a mises en relation. Après une période d’essai, Catherine Griset, encore étudiante, devient l’assistante de l’avocate Marine Le Pen. Depuis cette date, les deux femmes ont poursuivi leur collaboration jusqu’à l’élection de Catherine Griset à la députation européenne, en 2019.

« Je suis la porte d’entrée de Marine Le Pen ! »

Forte de cette fidélité professionnelle, Catherine Griset devient l’assistante parlementaire de l’eurodéputée Marine Le Pen entre 2010 et 2016. L’ancienne assistante énumère la longue liste de tâches qu’elle réalisait alors : gestion des nombreuses boîtes de Marine Le Pen (que celle-ci n’ouvre jamais), gestion de son agenda et de ses déplacements (réservation des billets de transports, hôtels, etc.), impression et correction des discours « dans un format très précis », préparation de ses interventions en plénière, en commission, gestion de son temps de parole au Parlement européen et de ses relations avec les eurodéputés d’autres délégations, gestion des appels et de toutes les demandes de contact, etc. L’ancienne assistante parlementaire, accusée d’avoir cumulé en même temps la fonction de chef de cabinet de Marine Le Pen, explique qu’elle gérait la réception de « plus de 500 mails par jour, de 300 lettres » ! L’ancienne assistante accréditée se définit ainsi comme une courroie de transmission entre Marine Le Pen et les autres députés et assistants parlementaires européens, et toute autre personne : « je suis la porte d’entrée de Marine Le Pen. Les gens qui veulent lui parler, la voir : ils s’adressent à moi ! » Mais, pourquoi est-il écrit dans les organigrammes du parti qu’elle est “assistante”, sans référence au Parlement européen, puis “chef de cabinet” de Marine Le Pen ? interroge le tribunal. Personne ne conteste son travail, mais travaillait-elle pour Marine Le Pen, présidente du FN, ou pour Marine Le Pen, eurodéputée ? « J’ai toujours travaillé pour Marine Le Pen ». Donc, « vous travailliez pour Marine Le Pen, présidente du parti ? », insiste la présidente du tribunal. « Non, j’ai toujours travaillé pour Marine Le Pen. Quand Marine Le Pen était avocate, j’étais assistante juridique. Quand elle est députée, je suis assistante parlementaire », rétorque l’ancienne assistante. Pour prouver le contenu de son travail d’assistante parlementaire, Catherine Griset a fourni des centaines de preuves à l’instruction, lesquelles démontrent que son travail d’assistante était incontestablement en lien avec le Parlement européen lorsque Marine Le Pen en était une élue. Mais la juge Bénédicte de Perthuis met en doute la pertinence des pièces fournies.

La défense demande alors l’affichage de mails datant de cette époque. Défilent aléatoirement sur le grand écran de la salle d’audience des messages de ou à destination de Catherine Griset, parfois signés Marine Le Pen par l’assistante elle-même. Mais pourquoi n’utilisait-elle pas la boîte mail du Parlement européen ? interroge l’accusation. Comme elle devait gérer plusieurs boîtes mails, il lui était plus pratique de basculer tous les mails sur sa boîte Gmail personnelle, explique Mme Griset. D’autant que le Parlement européen écrasait les mails au bout de 90 jours.

Pourquoi ne vivait-elle pas à Bruxelles, comme le stipule la réglementation européenne pour les assistants parlementaires accrédités (APA) ? interroge Me Maisonneuve, l’avocat du Parlement européen. Catherine Griset raconte sa vie sentimentale complexe faite de divorces et de séparations multiples. Elle reconnait en outre ne pas avoir compris qu’« être domiciliée voulait dire vivre à plein temps à Bruxelles ». Elle pensait, « en tout bonne foi », qu’il fallait être domicilié en Belgique, mais uniquement pour des raisons administratives et fiscales… Concernant sa présence partielle à Bruxelles, l’ancienne assistante accréditée déclare qu’elle suivait sa patronne, et n’avait pas compris à l’époque qu’elle devait « être au Parlement européen de 9h à 17h ». L’audience est suspendue. Catherine Griset part à toute vitesse. Direction ? Le Parlement européen, dont elle est maintenant une élue !

Mesdames Le Pen et Griset arrivent au tribunal, Paris, 30 septembre 2024 © Louise Delmotte/AP/SIPA

 « Nos assistants parlementaires ont fait le travail que l’on attendait d’eux »

À la reprise des débats, on a le sentiment que le procès tourne un peu en rond. La magistrate Bénédicte de Perthuis appelle de nouveau à la barre des prévenus déjà interrogés la semaine précédente avec Bruno Gollnisch. Concernant le contrat d’assistante parlementaire signé entre Marine Le Pen et Micheline Bruna, alors secrétaire de Jean–Marie Le Pen d’après l’organigramme du FN, l’ancienne eurodéputée répète au tribunal le fonctionnement en « pool » des assistants qui était en vigueur alors qu’ils n’étaient que trois eurodéputés FN, Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch et elle, durant la législature 2009/2014. « Nous avions mutualisé Mme Bruna car nous n’étions que trois », répète inlassablement Marine Le Pen. Elle en profite cette fois-ci pour « rendre un hommage à l’immense travail accompli » par tous les assistants des députés FN. « On n’a pas à rougir du travail de nos assistants parlementaires. Nos assistants parlementaires ont fait le travail que l’on attendait d’eux », complimente Marine Le Pen, qui souligne que les suffrages suivants en sont la preuve. Puis, c’est au tour de Thierry Légier d’être appelé une nouvelle fois à la barre. Bis repetita : l’accusation remet en cause le travail d’assistant parlementaire de celui qu’elle décrit comme un simple «garde du corps».

 « Assistant, c’est un statut »

« L’anticipation avant les déplacements, repérer les lieux, c’est le rôle d’un officier de sécurité, c’est plus que le rôle d’un [simple] garde du corps. D’autant qu’on avait peu de moyens, il n’y avait pas de directeur de cabinet qui nous suivait ». Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, le responsable sécurité de la délégation FN au Parlement européen livre d’une voix posée des confidences sur toutes ses activités d’assistant. Thierry Légier confie avoir eu « plusieurs casquettes ». En plus de ses missions de sécurisation connues de tous, l’ancien militaire révèle au tribunal s’être occupé d’organiser des rendez-vous confidentiels pour les leaders de la délégation FN au Parlement européen. Il évoque les noms de Charles Pasqua, Bernard Tapie, Valéry Giscard d’Estaing, Roland Dumas, « et bien d’autres encore » qu’il ne peut pas citer pour des raisons de confidentialité… C’est aussi par son entremise, raconte-t-il, que la délégation parlementaire FN pouvait se rendre aux salons de la défense Eurosatory ou Milipol. L’agent de sécurité a par exemple aussi organisé une interview de Marine Le Pen sur la radio 90 FM de son ami Jean-Marc Cohen. Thierry Légier énumère ainsi une longue liste d’activités démontrant qu’il n’était pas que « le garde du corps de Jean-Marie Le Pen », comme l’affirme l’accusation. Pendant cette législature, Thierry Légier assure en outre qu’il ne travaillait « pas 100 % de son temps pour Jean-Marie Le Pen », qu’il servait d’interface entre tous les députés au sein même du Parlement. « Je participais aux réunions de groupe au Parlement européen afin d’organiser l’agenda des déplacements de chacun. J’accompagnais le groupe afin de les sécuriser. J’étais en relation avec les huissiers du Parlement européen, avec les ambassades lors des déplacements à l’étranger. » Le militant explique qu’il faisait aussi des photocopies de dossiers, qu’il s’occupait des cartes d’embarquement au desk d’Air France, etc. Sa méthodique avocate, Me Doumic, s’élève contre les insinuations du tribunal restreignant les activités de Thierry Légier aux fonctions de garde du corps, d’autant plus que « le Parlement européen n’a jamais interdit qu’un responsable sécurité soit assistant parlementaire. Assistant, c’est un statut. On peut être assistant parlementaire photographe, concepteur de site internet, rédacteur de  discours, responsable de la sécurité », énumère-t-elle.

De son côté, Marine Le Pen réfute une nouvelle fois l’idée que le Parlement européen ignorait les fonctions de Thierry Légier. Sur ses bulletins de salaire, qui sont en possession du Parlement européen, il était bien écrit responsable sécurité : « J’ai l’impression que l’on est un peu à front renversé. S’il existe un doute, il doit profiter à ceux qui sont amenés à répondre de certaines accusations. Nous avons démontré que jamais nous n’avons caché quoi que ce soit. Il déposait son arme tous les jours dans un coffre, il n’y a pas cinquante députés qui risquent leur vie en faisant leur mandat ! » Enfin, l’actuelle chef de l’opposition à l’Assemblée nationale résume cette seconde journée d’auditions d’un cinglant : « La vérité est têtue ! »

SUV Assassin! SUV Assassin!

0
Anne Hidalgo entourée d'électeurs, décembre 2017 © CHAMUSSY/SIPA

Vivre-ensemble. En garde à vue pour meurtre, l’automobiliste du Boulevard Malesherbes accuse le cycliste qu’il a écrasé mardi de l’avoir « terrorisé ».


Mardi, en fin d’après-midi, à Paris, Boulevard Malesherbes, alors que, à cette heure, la circulation est particulièrement dense et donc la cohabitation auto-vélo encore plus tendue qu’en heure creuse, un différend oppose Paul, cycliste de vingt-sept ans, et le conducteur d’une voiture. À dire de témoins et selon ce que montre la vidéo surveillance, ce dernier aurait délibérément écrasé le jeune homme, lui roulant dessus et le tuant. La bêtise dans toute son horreur. Or, que conduisait cet assassin sur roues ? Un SUV, la bête noire de Madame Hidalgo et de sa très fine équipe. La levée de boucliers ne se fait pas attendre. Le coupable, on le tient. Et il devra payer, passer en jugement, être condamné au bûcher en place de Grève, pratiquement sous les fenêtres de la mairie de Paris. Ah, le beau, le salutaire spectacle !

Le coupable, le SUV, bien sûr, l’engin diabolique, honni, contre quoi on mène une obsessionnelle croisade dans ces murs. Ian Brossat, ex-adjoint communiste à la mairie de Paris et actuellement sénateur, y va de son couplet bien-pensant : « En milieu urbain, la présence du SUV représente un danger pour les piétons, les cyclistes et même pour les autres conducteurs. » Et David Belliard, adjoint écologiste au transport de surenchérir, réaffirmant la sacro-sainte doctrine mise en œuvre ces dernières années : « Réduire encore, encore et encore la place de la voiture». Cela vaut pour Paris aujourd’hui, en attendant plus et mieux demain, bien sûr. Mme Hidalgo elle-même y est allée de son commentaire, livrant un de ces propos éclairés dont elle n’est pas avare: « C’est inacceptable de mourir aujourd’hui à Paris, à vingt-sept ans en faisant du vélo. Ces actes doivent être condamnés sévèrement. » On le constate, ça ne rigole pas ! Cependant, on voudra bien ne pas s’appesantir sur le fait que la formulation laisse quand même à désirer. À prendre le propos au pied de la lettre on serait fondé à se demander si ce ne serait pas l’acte de mourir à vingt-sept ans à Paris en faisant du vélo qui devrait être condamné sévèrement. On espère se tromper. Passons. Cela dit, la formulation de l’appel à la votation du 4 février dernier ne brillait pas non plus par sa clarté. « Plus ou moins de SUV à Paris ? » lisait-on sur les affiches. Poser la question en ces termes, c’était évidemment y répondre. D’ailleurs, la votation n’a soulevé qu’un enthousiasme des plus modérés. Sur un million trois cent mille inscrits, seuls soixante-dix huit mille Parisiens se sont déplacés. Les autres, sans doute, étaient-ils occupés à se délier le mollet au Bois. Ainsi, même ardemment soutenue par le lobby de la pince à vélo, l’affaire ne fit pas recette.

Le coupable, le SUV, disais-je, et non pas le fou furieux au volant, l’assassin motorisé ! Pas plus qu’une Kalachnikov ne flingue toute seule, ne lâche d’elle-même sa rafale, pas plus une auto, puissant SUV ou bringuebalante dodoche, n’écrase son monde sans personne au volant. Le réel est bien là. Mais voir et analyser le réel, pour les exaltés de l’idéologie, c’est quasiment mission impossible. On le voit une fois encore. Ainsi, dans la logique de Madame Hidalgo, et selon son souhait, nous devrions nous attendre à ce que le SUV assassin passe en justice et soit sévèrement châtié. Quinze ou vingt ans de fourrière, je présume ? Peine incompressible, espère-t-on. Quant à la préconisation de l’adjoint Belliard – réduire encore, encore et encore la place de la voiture – si elle devait aboutir et que seuls les cyclistes et piétons aient droit de cité à Paris, enfin purgée de ces enfoirés de banlieusards, de provinciaux à quatre roues, Madame Hidalgo aurait réussi à instaurer en France, en sa capitale, le plus formidable système d’apartheid qu’on puisse imaginer. Chapeau bas ! Applaudissements nourris, je vous prie !

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

1 used & new available from 14,77 €

La France invertébrée

0
L'eurodéputé Raphaël Glucksmann et la présidente de la Région Occitanie Carole Delga, la Réole (33), 5 octobre 2024 © Alain ROBERT/SIPA

Pendant que les médias progressistes exorcisent le réel, nos politiques continuent de cabrioler dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures…


España invertebrada, c’est un essai fameux sur les affres de la modernisation de l’Espagne des années 20. Les forces de « désintégration et dépeçage » – pour reprendre les mots d’Ortega y Gasset – sont puissamment à l’œuvre, en France, aujourd’hui. Sept ans de macronisme, 3250 milliards de dette publique (112% du PIB), une succession de déroutes électorales, un pays en pleine crise de nerfs, gangréné par le narcotrafic, ne pesant plus rien dans le monde… Bateau perdu jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau, dans un monde parallèle, Gabriel Attal ne se laisse pas abattre : « Le dépassement c’est une audace : aller plus loin que la gauche ne l’a été sur l’écologie ou les services publics et aller plus loin que la droite ne l’a été sur l’ordre, la sécurité ou l’économie… J’ai une histoire à écrire avec les Français » (Le Point). Gabegie le Magnifisc ? Caius Iulius Caesar Birotteau ? La France en s’ébattant.

Les dépeceurs

Le patron de La Ferme des animaux du NFP, c’est le cochon. Protégé par une garde de silentiaires, grizzlis végétariens, hétaïres atterrantes, Jean-Luc Mélenchon se prend pour Napoléon. LFI souffle sur les braises de la traite négrière, la guerre d’Algérie et le conflit israélo-palestinien. Rima Hassan, Mathilde Panot, Manuel Bompard draguent les imams, les rappeurs racaille, défendent le Hamas, le Hezbollah et les traditions. En 1972, dans Rouge (LCR), Edwy Plenel (alias Joseph Krasny) appelait à « défendre inconditionnellement » le commando palestinien Septembre Noir qui venait d’assassiner onze athlètes israéliens.

L’agenda islamo-gauchiste insoumis est clair : agitprop dans les campus, immigrationisme, clientélisme, marginalisation des Français de souche, libanisation du pays, la haine à offrir en partage. Cette stratégie d’hystérie et chaos est assumée comme un préalable à la prise du pouvoir, avant les camps de déconstruction rousseauiste. Moins frontal, le wokisme libéral-libertaire, triomphe des fils déguisés en père, est aussi délétère. Ils ont aboli jusqu’au principe de raison. « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez » (Lacan aux étudiants de Vincennes, 1968).

Ce rien qui les dévore : Oui-Oui au pays des Marvels 

Comment rebondir après deux générations de naufrage éducatif, effondrement culturel, chaos migratoire, communautarisme, « self-service normatif » ? La crétinisation numérique et les rezzous sociaux parachèvent la débâcle. L’éditorial de Louis Pauwels sur « les écoliers de la vulgarité pédagogique nourris de soupe infra idéologique cuite au show-biz », n’a pas pris une ride. « Ils ont reçu une imprégnation morale qui leur fait prendre le bas pour le haut. Rien ne leur paraît meilleur que n’être rien, mais tous ensemble, pour n’aller nulle part. Leur rêve est un monde indifférencié où végéter tièdement. Ils sont ivres d’une générosité au degré zéro, qui ressemble à de l’amour mais se retourne contre tout exemple ou projet d’ordre (…) Nous nous demandons ce qui se passe dans leurs têtes. Rien, mais ce rien les dévore » (1986).

La cuisson est terminée, tout le monde est à point (et à poil) : Philippe Katerine, Patrick Boucheron, Télérama, l’Université, Aurélien Bellanger, Léa Salamé, Greta Thunberg, Ursula von der Leyen, l’Occident « pourtousiste ». Les zombis acéphales, encordés, indignés, narcissiques, sur LinkedIn, leurs applis, prêchent « l’en commun bienveillant ». Ils « like » les drag-queens gazaouis oppressées par Tsahal, un piquenique d’entreprise sans Nutella, un webinaire sur l’intelligence artificielle de confiance à Bratislava. Ils veulent changer de sexe, sauver la planète, la tortue luth, les femmes.

A lire aussi, Ivan Rioufol: L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire

Nos politiques cabriolent dans l’égalitaire, le diversitaire, le multiculturel (100 % de multi, 0 % de culture), les postures et impostures. Senhor Oliveira da Figueira du progressisme, Raphaël Glucksmann pitche large : « la gauche sociale, européenne, humaniste, écologiste et féministe ». Après la grosse caisse prolétarienne, la musique de chambre citoyenne pour clarinette et Tamtam inclusif. Sur le manège enchanté du « réalisme de gauche », la soucoupe volante clignotante de Bernard Cazeneuve talonne le destrier de Raphaël. Carole Delga, à l’affut, pilote une voiture de pompier. Pour qui le pompon ?

Le drame du camp du bien, c’est Le Massacre des illusions, le fouet des événements. La guerre, les pogroms, les décapiteurs, le religieux, les déficits, le réel, sont de retour, à Lampedusa, Beyrouth, Bercy, dans les urnes. Longtemps, la gauche a snobé le passé (ringard, réac) et auto-absous ses aveuglements, lâchetés, crimes, au nom du progrès, du monde d’après. Demain on rose gratuit. Aujourd’hui, le futur n’est plus un alibi. Y’a la foi qui ne va pas, c’est la droite qui s’dilate, les sondages raplapla, le climat est en bas et l’IA fait débat… Où sont passés la recette du cake d’amour, les robes couleur du temps, de soleil, de lune, la peau d’âne, les pièces d’or, pierres précieuses ? Ça interroge.

Pour exorciser le réel, France Inter, Le Monde, des légions de chercheurs engagés, nous abreuvent de bourdieuseries, sophismes rassurants, contre-enquêtes pipeau, slogans éculés coulés dans le gaufrier du lieu commun sociologique : « faire société », « l’en commun », le « socialement construit ». Les hérauts du « toutlemondisme » dansent le rap sur des arcs, barrages, trajectoires bidon : la frugalité productive, le tchador laïque. Les sceptiques sont racistes et crypto-fascistoïdes.

Le dernier bluff de la Sainte Alliance progressiste c’est la manipulation des pleurs et des peurs. L’ultime joker, la ligne Maginot, qui abrite plus qu’elle ne hante le camp du bien, c’est le spectre de l’extrême-droite. Un seul Maistre vous manque, et tout est dépeuplé. « Le vrai se donne le faux pour ancêtre, pour cause, pour auteur, pour origine et pour fin, sans exception ni remède, – et le vrai engendre ce faux dont il exige d’être soi-même engendré. […] Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas ? » (Valéry).

L’oubli des enjeux anthropologiques

Oublieux de l’être, possédé par la technique et la volonté de puissance, l’Occident a refoulé les énigmes, les questions scabreuses méditées par Pierre Legendre, Gérard Guest et quelques autres : la reféodalisation du monde, la guerre des Textes, les transgressions généalogiques, le sujet possédé par l’institution, le grand Tiers inaugural rapportable à un texte idéal « qui nous parle » et « institue la vie », ce qui fait tenir une société debout.

Dans la seringue de l’IA, le bateau ivre de la « calculabilité intégrale », les juristes, économistes, scientifiques, politiques sont pris de vertige. Ils se raccrochent aux branches des saules pleureurs, directives européennes, miroirs aux alouettes à ailes rousses, usines à gaz hilarant : les audits de durabilité, la RSE, la vigilance des devoirs, l’huile de palme responsable, la moraline inclusive de l’éthique de la discussion.

« Il faut du théâtre, des rites des cérémonies d’écriture pour faire exister un État, lui donner forme, en faire une fiction animée (…) On n’a jamais vu, on ne verra jamais, une société vivre et se gouverner sans scénario fondateur, sans narrations totémiques, sans musiques, sans chorégraphies… sans préceptes et sans interdits » (Pierre Legendre).

L’assiette du voisin

0
Laurent Saint-Martin invité du journal de 13 heures de TF1, 12 octobre 2024. Image: Capture YouTube.

« Rétropédalage » et « exemplarité ». Après avoir suscité un tollé, la hausse du budget de l’Élysée et des Assemblées, prévue par le projet de loi de finances, est annulée. C’est que l’augmentation des dotations initialement prévue était un « symbole » qui ne passait pas auprès des citoyens, explique-t-on.


C’est un des rares sujets qui fasse la quasi-unanimité des Français. Et j’assume de ne pas partager l’indignation de mes concitoyens. Le projet de Michel Barnier prévoyait une hausse de la dotation des Assemblées de 1,7% et de l’Élysée de 2,5 %. Bien sûr, c’est cette dernière qui a fait le plus scandale, tout le weekend dernier, prétendument parce qu’elle était supérieure à l’inflation. En réalité, parce que haïr Macron est un sport pratiqué par tout le monde, et que cela fait de vous un résistant (sans prendre le moindre risque).

« Pas audible »

Sur TF1, le 12 octobre, le ministre du Budget Laurent Saint-Martin renvoie la balle aux parlementaires, tout en essayant vaguement et prudemment de défendre la mesure : les Français ont besoin d’institutions fortes. Un argument balayé par la journaliste, saluée depuis en héroïne pour cela: Vous ne pouvez pas dire aux Français qu’ils doivent faire des efforts quand l’Élysée, l’Assemblée et le Sénat sont épargnés, ce n’est « pas audible ». Sur les réseaux sociaux, on assiste à un festival de criailleries un peu dégoutantes. C’est nous les victimes du méchant pouvoir qui s’en met plein les poches.

Le ressentiment, affect dominant de la société française ?

Mais il y a le symbole, assure-t-on… Symbole de quoi, sinon du ressentiment général ? Nous parlons d’une hausse de 3 millions d’euros pour l’Élysée, de 11 millions pour l’Assemblée nationale, et de 6 millions pour le Sénat. Soit 20 millions au total, alors que nous cherchons à faire 60 milliards d’économies ! Je m’épargne la règle de trois – il y aurait trop de zéros… – mais c’est donc assurément négligeable. Supprimer cette augmentation n’améliorera pas le sort d’un seul Français. Et on ne devrait pas regarder à la dépense pour recevoir des chefs d’État étrangers, ou pour les déplacements du président de la République. On est la France.

À lire aussi, un autre son de cloche: L’irresponsabilité en politique mériterait la sanction judiciaire

Dégoutants homards

Cette petite affaire est symptomatique des passions tristes qui empoisonnent la vie politique française depuis la Révolution. L’envie, la jalousie et la haine impuissante. Les salauds de puissants… C’est ce que j’appelle la théorie de l’assiette du voisin : l’important, ce n’est pas tant ce que j’ai, mais c’est que l’autre n’ait pas plus. Rappelez-vous du scandale des homards de François de Rugy, contraint de quitter son poste de président de l’Assemblée nationale en 2019 après la publication de photos d’un dîner par Mediapart.

Ces passions tristes accompagnent un autre mal français : l’irresponsabilité. C’est toujours la faute des autres. Selon Thierry Breton, invité de plusieurs médias cette semaine (après avoir démissionné de son poste de Commissaire européen), notre endettement s’explique largement par notre état social trop généreux, les 35 heures, etc. Mais, il ajoute que dès qu’on essaie de revenir sur une dépense en France, politiques et médias ne manquent pas de hurler immédiatement à la chasse aux pauvres (on se souvient par exemple de l’augmentation des APL de quelques euros) et tout le monde pense qu’on est revenu dans l’Angleterre du XIXe siècle… Si nous en sommes là, ce n’est pas seulement à cause d’Emmanuel Macron et des autres mais à cause de nous tous, qui nous comportons comme des créanciers à qui la collectivité doit toujours quelque chose et qui refusons obstinément de travailler une heure de plus. Quant à nos gouvernants soi-disant privilégiés, beaucoup, Macron en tête, gagneraient évidemment bien plus dans le privé et ne se feraient pas insulter toute la journée. Un jour, seuls des ignares et des imbéciles accepteront de faire de la politique.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin, dans la matinale

Un crime impuni: la maltraitance langagière

0
Deux oiseaux donnent l'impression de se disputer. DR.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Albert Camus nous a avertis. Désinvolte ou volontaire, la distorsion lexicale ajoute surtout à la violence de ce monde. Son origine ? Gérard Rabinovitch la dévoile dans son Philosophie clinique – Au chevet de l’animal parlant.


On sait avec quel aplomb au lendemain du pogrom du 7-Octobre une mélenchoniste, réélue au premier tour dans l’une de ces circonscriptions gentrifiées où s’ébat le bobo-land parisien, s’est autorisée à qualifier le Hamas de « mouvement de résistance ». À titre de justification. Au mépris du classement d’après les Nations-Unies parmi les organisations terroristes, du type Daech et Al-Qaida.

Antinomie

Cette permutation, saluer l’abattage terroriste comme s’il s’agissait d’un exploit de résistance, un homme avait eu toute raison de la redouter.

En effet, dès 2014, Gérard Rabinovitch dénonçait cet abus de langage. Dans Terrorisme/Résistance – D’une confusion lexicale à l’époque des sociétés de masse (Ed. Le Bord de l’Eau), le sociologue et philosophe rappelait à quel point terrorisme et résistance sont antinomiques. Ça ne peut être le recours aux armes qui les rapproche, d’autant que le résistant se fait violence d’entrer dans cette voie quand le terroriste se promet d’en jouir. Les amalgamer ruine le droit de résistance et par contrecoup, odieuse supercherie, sanctifie la violence terroriste.

« Le terrorisme distribue la mort, souligne Gérard Rabinovitch, et donne sa mort pour la mort. Alors que la résistance et son héroïsme font don de sa mort probable, et porte la mort sur l’ennemi, pour la vie. » La résistance est une guerre ciblée. Le terrorisme est une guerre totale, « de quelque drapeau qu’il se revendique, serait-ce celui des humiliés, ce nouveau lexème flou qui a remplacé aujourd’hui celui de prolétaires. » En s’adressant jour après jour à leurs compatriotes comme à autant d’humiliés, les nazis les ont enrôlés ou neutralisés contre la promesse de les venger de la défaite et du traité de Versailles. Les peuples n’ayant rien appris de l’Histoire, il se trouvera toujours quelque insoumis (côté rue) aspirant à la domination (côté cour) pour espérer se faire porter au pouvoir par les dominés de son choix, ceux-là même qu’il a enflammés.

Car les mots sont inflammables. L’abus de langage était en gestation ; dix ans après, nous y sommes ! C’est dans ce contexte que Gérard Rabinovitch publie aujourd’hui Philosophie clinique – Au chevet de l’animal parlant (éd. Hermann). En cent pages, il pointe dans quelle impasse nous enferme la conception moderne de l’homme, en dénonce le soubassement avant d’en désigner l’issue.

Le propre de l’homme

Attendu qu’on a fait son deuil d’une illusion : non, le progrès de l’humain dans l’homme et celui des sciences ne sont pas symétriques. D’un côté, le stop and go, au mieux la droiture, au pire la régression. De l’autre, savoir et techniques, des progrès aux effets heureux ou désarmants et des pauses. D’où le devoir de vigilance exigeant de discerner l’impensé qui, par réflexe et mimétisme, gouverne l’opinion commune.

À l’opposé d’un Pierre Bourdieu se flattant d’examiner la nature sociale de la langue, contre Saussure qui disait l’envisager « en elle-même et pour elle-même », c’est en anthropologue et historien sensible aux limites du sociologisme que Rabinovitch la considère. En convoquant les grands maîtres de l’Antiquité, d’Athènes et de Jérusalem, et leur définition concordante de l’homme : « animal parlant » chez Aristote et « vivant parlant » pour la tradition judaïque, le premier monothéisme.

Le langage est le propre de l’homme. Il n’aurait pas valeur souveraine s’il n’était qu’un instrument de communication, une gamme de signaux comme en font usage les animaux. L’homme pense, sent et s’exprime dans et par le langage. La parole interpelle, crée, infuse et transforme. La bouche est le foyer de la parole et celui de la manducation de la nourriture. Parole de salut à mémoriser et à transmettre. Ezéchiel 2,7 – 3,4 : « Tu leur porteras mes paroles, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas… Et toi, fils d’homme, écoute ce que je vais te dire… Ouvre la bouche et mange ce que je vais te donner. »

Il s’est trouvé un esprit moderne pour relayer et actualiser la sagesse des Anciens : Freud, avec la révélation de l’Inconscient, l’interaction de l’intime pulsionnel et de l’extérieur culturel, la dualité des pulsions de vie et de destruction, du sexuel et, pour le traitement psychique, la valeur des mots qui, au quotidien, « ne sont rien d’autre, dit-il, que de la magie qui a perdu de son éclat ».

Entretemps, quelque chose s’était perdu. Depuis qu’à partir du XIIIe siècle, une autre conception de l’homme a pris cours : non plus en tant qu’« être parlant », mais à la suite de St-Thomas d’Aquin – sur ce point lecteur borgne d’Aristote – en tant qu’« animal social ». Évacuées, l’essence spirituelle et politique, la valeur du secret. Verrouillée, l’assignation sociale. Voici l’homme animalisé. Le coût de cette substitution ? « La déliaison du politique et de l’éthique, tranche Rabinovitch à la suite de Hannah Arendt. Tant qu’il était enchaîné au langage, le politique restait condition de possibilité des montages et partages éthiques. »

Et c’est sur cette même pente, celle de la réduction à l’assignation sociale et de l’instrumentalisation du langage que s’engagera la fanatisation des masses. Klemperer, l’auteur de LTI, la langue du IIIe Reich, décrit magistralement la portée d’éléments de langage toxiques inlassablement ressassés : « Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptés de façon mécanique. » En quête de métaphores, de néologismes, d’euphémismes, de litotes ou de périphrases, pareille propagande exige une inventivité sans limite. Au point, note l’historien des sciences Robert Proctor, que « les nazis finirent par avoir autant de mots pour désigner le meurtre que les esquimaux en ont pour évoquer la neige. »

Hier la fanatisation, aujourd’hui la domestication, l’infantilisation. Par le jeu des simplifications clivantes entre « pro » et « anti » et des habillages indolores. Par exemple, non pas le droit à l’euthanasie, mais le secours de « l’aide active à mourir ».

La philosophie clinique, avertit Rabinovitch, ne cherche pas à « guérir » le monde. Au chevet de l’homme désorienté, c’est d’abord à réparer et à paver la voie du bien dire qu’elle peut concourir. En accord avec les finalités que Leo Strauss fixait à la philosophie politique : orienter vers une vie bonne, un bon agir en commun, une société bonne. Sans jamais prétendre épuiser la question du langage. À l’exemple de l’anthropologue Marcel Jousse (1886-1961), élève de Marcel Mauss, l’auteur de La manducation de la parole :

 « Celui qui sait parler, sent qu’il y a en lui quelque chose qui n’est pas lui et qui fait onduler la phrase selon le besoin, ou qui la rend abrupte, cassée, quand il est nécessaire de la casser, de la broyer, pour l’adapter. Vous croyez que l’être qui sait parler n’est pas en effroi de lui-même, parfois ? Qui donc fait les phrases de quelqu’un qui sait parler ? C’est cela qui est un mystère et ce sera toujours un mystère pour les hommes qui pensent. »

Philosophie clinique: Au chevet de l animal parlant

Price: 15,00 €

9 used & new available from 10,81 €

Sinwar, la plume et le keffieh

0
Yahya Sinwar © AP Photo/John Minchillo

Le leader du Hamas, «cerveau» des attaques islamistes du 7-Octobre en Israël, a été tué à Gaza. L’AFP affirme que l’armée israélienne procède à «des analyses ADN sur le corps d’un combattant» pour confirmer la mort du chef politique palestinien. Il y a peu, on pouvait encore acheter son autobiographie sur le site de la Fnac!


Il y a peu, on pouvait encore acheter L’Épine et l’Œillet, un livre vanté pour ses qualités « touchantes ». Son auteur : Yahya Sinwar, le chef du Hamas. Cette autobiographie, sorte de Mein Kampf islamiste publiée en 2004, a été traduite en français en avril 2024, six mois après les atrocités qu’il a commanditées.

En menant des recherches bibliographiques sur le Hamas, je suis tombée sur une notice affichée par la FNAC qui promeut un roman « profondément touchant » offrant « un aperçu unique sur une histoire de résilience et l’esprit de résistance ». La FNAC incite les lecteurs à « plonger dans les profondeurs de la psyché de l’auteur à travers ses années d’emprisonnement, révélant un esprit inébranlable malgré les limites de sa cellule ». Cette œuvre littéraire est marquée par « la passion et la détermination de l’homme qui continue d’influencer le paysage politique ». Cet homme n’est autre que Yahya Sinwar, le chef du Hamas et le responsable des atrocités de 7 octobre.

Le boucher de Khan Younès 

Or, si ce livre est écrit en 2004 quand l’auteur purgeait une peine de prison, l’édition française paraît en avril 2024 en version ebook sous le titre L’Épine et l’Œillet, traduit de l’anglais « The Thorn and the Carnation » (la traduction anglaise est celle de la version arabe Al-Shawk wa’l Qurunful), c’est-à-dire six mois après l’attaque de 7 octobre.

Avant son emprisonnement, Sinwar était responsable du service de sécurité interne du Hamas, « Al-Majd ». Connu sous le nom de « Boucher de Khan Younès », il était responsable des opérations punitives contre les Palestiniens qui collaboraient avec Israël. Accusé d’avoir organisé l’enlèvement, la torture et l’assassinat de deux soldats israéliens et de quatre Palestiniens soupçonnés de collaboration avec Israël, Sinwar a été condamné à quatre peines de perpétuité. Il sort en 2011, avec d’autres prisonniers échangés contre le soldat Gilad Shalit, capturé par le Hamas.

En 2018, dans une interview accordée à la journaliste de la Reppublica, Francesca Borri[1], Sinwar explique que pour lui le seul moyen d’exister dans les médias est le sang : « No blood, no news. » Affirmation vérifiée le 7 octobre.

Le narrateur de Sinwar met en scène un militant du Hamas et du programme de destruction d’Israël qu’on lui connaît. Grâce aux exégèses du site propalestinien Chronique de Palestine, on apprend que pour Sinwar « le lien exceptionnel entre la religion et le nationalisme » s’exprime à travers « l’obligation du djihad, ou guerre sainte, qui imprègne la cause nationale de sainteté et l’enracine dans l’individu[2] ». Autrement dit, cette biographie romancée n’est qu’un appel au djihad, à la guerre sainte contre les juifs et ceux qui les soutiennent.

A lire aussi, Jean-Michel Blanquer: Penser le 7-Octobre en exorciste

On s’interroge sur la parution en français de cet appel au meurtre romancé en 2024, quelques mois après le massacre du 7 octobre, alors qu’il a été écrit en 2004. Pourquoi maintenant, alors que des otages israéliens sont tués et torturés à Gaza par les assassins du Hamas, alors que des millions d’islamistes et d’antisémites se réjouissent du déluge de sang qu’il a provoqué ?

Pourquoi les grandes enseignes françaises s’attendrissent-elles devant les écrits de l’homme responsable de la mort de tant de juifs, de tant de viols, de tant de massacres, commis selon les prescriptions précises et détaillées pensées par Sinwar ? Identification morbide ? Énorme clientèle qui n’attendait que le nouveau Mein Kampf islamique ? Présence des Frères musulmans au sein de ces enseignes ? J’émets cette hypothèse pour la raison suivante. La traduction anglaise, que j’ai consultée, commence par une dédicace : « Je dédie ce livre à tous ceux dont les cœurs battent pour la terre de Isra et Mir’aj, de l’océan jusqu’au golfe, vraiment, de l’océan jusqu’à l’océan[3]. » Isra et Mir’aj est le voyage nocturne, suivi de l’ascension du prophète Muhammad. Selon la légende, ces événements ont eu lieu sur le mont du Temple où le calife Abd al-Malik construit le dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa sur les ruines du Temple juif.

Sulfureux entre guillemets

Force est de constater que par suite des réactions sur les réseaux sociaux, le livre a été retiré des enseignes françaises qui vantaient ses qualités profondément « touchantes » : la FNAC et Decitre. Pour marquer le coup, le site Actualitté[4] a décidé de publier un article qui s’inspire en partie des contributeurs de Chronique de Palestinecitée ci-dessus. « Mais qu’y a-t-il dans l’ouvrage du très sulfureux [sic] Yahya Sinwar ? D’abord, il s’agit d’une autobiographie. Le chef du Hamas à Gaza y décrit son engagement dans la construction d’une infrastructure de résistance à Gaza. Publié initialement en 2004 et écrit en prison, il présente les réflexions et expériences tirées d’une vie marquée par la résistance armée. Il explore en outre les défis de la résistance face à l’occupation israélienne et la dynamique entre les différentes factions palestiniennes. Le livre offre notamment un aperçu des tensions internes et des aspirations palestiniennes. Il s’y décrit comme un homme de foi, dédié à la cause palestinienne, et qui évite tous les sentiments antisémites, se concentrant sur la lutte contre l’occupation. À chacun de juger si on doit le croire ou non, en fonction de ses actes… »

Sinwar qualifié de « sulfureux » entre guillemets quand, en revanche, le syntagme « résistance » est utilisé sans guillemets : pour l’auteur de l’article, il semble que l’organisation d’assassinats de juifs et de Palestiniens collaborant avec Israël relève de la résistance. Cependant, bon prince, il laisse pudiquement et démocratiquement le choix aux lecteurs : « à chacun de juger » si oui ou non Sinwar est antisémite. On s’émeut de tant d’impartialité.


[1] « It’s time for a change, end the siege », ynetnews.com, 10 mai 2018.

[2] « La philosophie de la résistance, par Yahya Sinwar », chroniquepalestine.com, 11 juillet 2024.

[3] “I dedicate this to those whose hearts cling to the land of Isra and Mir’aj, from the Ocean to the Gulf, indeed, from ocean to ocean.”

[4] « La Fnac vend l’autobiographie du chef du Hamas, avant de la retirer », actualitte.com, 21 août 2024.

Elon Musk, le frappadingue de génie

0
Elon Musk à Boca Chica, Texas, 29 mai 2023 © SpaceX/UPI/Shutterstock/SIPA

Tout semble réussir au patron futuriste de Tesla, Space X et Twitter! La nouvelle capacité à réutiliser des fusées super-lourdes, dont a fait preuve Starship le 13 octobre, a éberlué le monde entier. Au grand désespoir des contempteurs de Musk, le fan de science-fiction étant aussi un soutien inconditionnel de Donald Trump…


On pouvait croire être entré par effraction dans le rêve fou d’un enfant qui ne le serait pas moins. Ou embarqué dans la séquence hallucinée d’un jeu vidéo avant-gardiste. Un corps de fusée de soixante-dix mètres de haut s’en revenant de l’espace tout feu tout flamme, passant d’une vitesse de quelque six-mille kilomètres / heures au pas d’un piéton, corrigeant l’angle d’approche pour venir, telle une amoureuse transie, se lover dans les bras articulés du bon géant qui, patiemment, n’attend qu’elle sur le plancher des vaches. Tout cela réalisé à la seconde près.

L’enfant à l’imagination allumée en rêvait sans doute en feuilletant ses illustrés de science-fiction. Elon Musk, lui, l’a fait.

Sous nos yeux, nous assistions donc ce dimanche 13 octobre à une phase authentiquement historique de l’épopée spatiale. Un pas de géant qui a laissé sur place ses concurrents les plus en pointe, la Chine, la Russie. Mais aussi l’Europe qui, avec Ariane et ses récentes déconvenues, semble avoir quelque peu perdu de fil de cette odyssée quasi prométhéenne. En avril, pour la mise en orbite de Galileo, le système satellitaire censé garantir la souveraineté européenne des applications GPS, Ariane 6 étant portée pâle, il fallut se résigner à aller toquer à la porte de Musk et embarquer le bazar à bord de son engin. Souveraineté un brin écornée de ce fait, on en conviendra.

A lire aussi: Elon Musk: Mais pourquoi est-il si méchant?

Avec Starship, Musk invente donc la fusée qui devrait réjouir jusqu’aux écolos les plus sourcilleux, la fusée durable et solidaire. Durable puisque réutilisable, et solidaire, comme nous venons de le voir. En outre, elle présente l’atout remarquable entre tous d’être la plus puissante jamais construite. Tant qu’à faire, on fait, telle est la règle chez les Musk et frappadingues de cet acabit.

De toute évidence, il faut bien l’être quelque peu, frappadingue, pour oser se lancer dans de telles aventures, d’y consacrer sa vie entière. Des aventures à peine envisageables pour un État qui ne serait pas une superpuissance, et combien moins encore pour un simple individu. Nous sommes là dans le domaine réservé des têtes folles, celles dont l’impossible est le terrain de jeu privilégié et pour qui le déraisonnable est la raison ordinaire. La vieille Europe, la France à bout de souffle en manqueraient-elles ?

Musk lui-même revendique sa différence, ne faisant pas mystère d’être porteur du syndrome d’Asperger. « Je sais bien que je dis ou je poste des choses étranges, mais c’est la façon dont travaille mon cerveau », confesse-t-il. Non sans une certaine complaisance, une certaine ostentation, car l’homme aime le paraître, la mise en scène chic et choc. Il a cela en commun avec un autre frappadingue de génie, Nikola Tesla, sous le parrainage de qui il a placé sa marque d’automobiles, lui donnant son nom. Ce découvreur, ce visionnaire lui aussi des plus prolifiques en son temps – plus de trois cents brevets à son actif – donnait volontiers dans l’exubérance, voire la provoc’. Cela agaçait beaucoup. Tout comme Musk agace. Il exaspère d’autant plus que, figurez-vous, dans la présente campagne des élections présidentielles américaines il pousse le bouchon de l’inconvenance jusqu’à soutenir la mauvaise personne, le contempteur du système ronronnant, Donald Trump soi-même ! Un personnage qu’il n’est guère exagéré de ranger lui aussi dans la catégorie frappadingue. À un tout autre niveau, cependant.

A lire aussi: Qui a cramé la caisse?

Mme Kamala Harris se glorifie d’avoir à ses côtés la star Taylor Swift et le past president Barack Obama. L’un et l’autre n’ayant à ce jour jamais réussi – pour autant que je sache – à faire entrer le dentifrice dans le tube une fois qu’il en est sorti – la prouesse de Starship est bel et bien de cet ordre-là ! – Madame Harris, indéfectible sourire dents blanches 24H/24, doit trouver ces soutiens bien ternes ces derniers jours. Plus sérieusement, j’ignore si l’exploit de Musk peut bénéficier à son poulain Trump. Néanmoins, je sais pertinemment que des voix – y compris chez nous, suivez mon regard – n’auraient pas manqué, en cas d’échec de les associer l’un et l’autre dans un procès en incompétence et imposture. Cette contre-fusée incendiaire-là n’aura donc même pas eu à quitter son pas de tir. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas…

LES TÊTES MOLLES - HONTE ET RUINE DE LA FRANCE

Price: 14,77 €

1 used & new available from 14,77 €

Une révocation politique?

0
© JPDN/SIPA

Réflexion sur la lourde sentence du Conseil d’État qui s’est abattue sur le professeur Jean-Luc Coronel de Boissezon, à la suite de l’évacuation musclée d’étudiants gauchistes de la fac de Montpellier, en 2018.


Vendredi 27 septembre 2024, aux termes d’une décision très discutable, le Conseil d’État a révoqué définitivement de ses fonctions Monsieur Jean-Luc Coronel de Boissezon, professeur agrégé d’histoire du droit à l’université de Montpellier (CE, 27 septembre 2024, Université de Montpellier, req. n°488978).

Pour rappel, il est reproché à Monsieur Coronel de Boissezon d’avoir participé, dans la nuit du 22 au 23 mars 2018, à l’évacuation musclée d’un amphithéâtre de la faculté de droit, occupé par un « collectif » d’organisations d’extrême-gauche dans le cadre d’un mouvement d’opposition à la loi ORE.

Une peine sensiblement aggravée

Si l’on peut entendre que des poursuites judiciaires et disciplinaires aient été diligentées, on relèvera que la sanction de révocation – la plus grave – est l’aboutissement d’un acharnement certain à l’encontre du professeur, qui avait le défaut supplémentaire d’avoir un cœur penchant à droite.

Le déroulé de la procédure disciplinaire est significatif de cet acharnement. Après une première décision de révocation de la section disciplinaire de Sorbonne Université, le CNESER[1] – juridiction compétente à l’égard des enseignants-chercheurs – a sensiblement allégé la sanction en prononçant, le 23 mars 2022, une interdiction d’exercer toute fonction d’enseignement pour une durée de quatre ans avec privation de traitement. Le 30 décembre 2022, le Conseil d’État, saisi par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, juge la sanction prononcée par le CNESER trop clémente. Mais le 4 septembre 2023, sur renvoi du Conseil d’Etat, l’indocile CNESER a prononcé une sanction identique à celle du 23 mars 2022. Mauvais joueurs, le président de l’université de Montpellier et la ministre chargée de l’Enseignement supérieur se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État, qui a révoqué définitivement Jean-Luc Coronel de Boissezon.

Cette dernière décision soulève un certain nombre questions.

Tout d’abord, celle des pouvoirs du juge de cassation. En matière de révocation, le juge a de longue date introduit un critère de proportionnalité : la révocation doit être en adéquation avec la gravité des faits reprochés au fonctionnaire, condition dont l’appréciation appartient aux juges du fond (CE, 21 juin 2000, Ville de Paris, req. n°179218). Ainsi, lorsque le juge de cassation intervient, il peut certes annuler la décision prise par la juridiction d’appel s’il la juge disproportionnée par rapport à la gravité des faits, mais toujours pour prononcer une sanction moins sévère. Or, en prononçant la révocation définitive de Monsieur Coronel de Boissezon, le Conseil d’État a substitué son appréciation à celle, en principe souveraine, du CNESER, pour aggraver sensiblement la peine.

Ensuite, comme cela avait été souligné par Anne-Marie Le Pourhiet et François-Xavier Lucas à propos de la précédente décision du 30 décembre 2022 (cf. Le Figaro, 17 janvier 2023) ; la motivation du Conseil d’État est bâclée, car elle occulte la question de la responsabilité personnelle du professeur, qui n’était ni armé ni cagoulé, en retenant une forme de responsabilité collective. Le Conseil d’État se contente en effet de retenir que Monsieur Coronel de Boissezon a « participé, à la tête d’un groupe comprenant des personnes extérieures à l’université, pour certaines cagoulées et munies de planches de bois et d’un pistolet à impulsion électrique, et en portant lui-même des coups, à l’expulsion violente des occupants d’un amphithéâtre de l’UFR de droit et science politique de l’université de Montpellier ». Or, cette notion de « responsabilité collective » qui sous-tend le raisonnement, est en décalage avec la propre jurisprudence du Conseil d’État en matière de révocation. Il s’attache en effet habituellement à identifier de manière très circonstanciée la responsabilité personnelle de l’auteur des faits. Il en va ainsi, par exemple, d’un agent public ayant agressé sexuellement une mineure handicapée (CAA Douai, 6 octobre 2011, req. n°10DA01437) ; ou d’un médecin ayant porté des mentions mensongères, en termes de vaccination, sur le carnet de santé d’un enfant (CE, 22 décembre 2017, M.X, req. n°406360).

Phalange factieuse 

Enfin, le point le plus confondant vient des conclusions du rapporteur public. Pour justifier la révocation, il est indiqué que le professeur a « pris la tête d’une phalange factieuse » (cf. conclusions de Monsieur Jean-François de Montgolfier, p. 9). On reste interdit devant l’usage de ces termes, qui n’ont pas été choisis au hasard et qui travestissent la réalité. Si l’on se réfère à une définition simple donnée par le Trésor de la langue française, l’adjectif « factieux » s’entend d’un groupe « qui exerce ou tente d’exercer contre un gouvernement légalement établi une action violente visant à provoquer des troubles » (passons sur le terme « phalange », si ridiculement outrancier qu’il ne mérite pas que l’on s’y attarde).

Or, comme cela a été souligné par le rapport de l’IGAENR[2], l’occupation de l’amphithéâtre « par des étudiants » et « quelques personnes extérieures, qui n’ont pas le statut d’usager […] est illégale » (Rapport IGAENR n° 2018-036, mai 2018, page 9). Cette occupation illégale a en outre été émaillée de déprédations, violences, injures et brutalités. Quelques exemples, non exhaustifs :

  • « Un enseignant reçoit un coup de poing au visage, sa montre est arrachée. Un syndicaliste, postier, secrétaire départemental de l’union syndicale Solidaires a ses lunettes de vue cassées » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
  • « Vers 23 heures, des étudiantes accrochent des tampons et des serviettes hygiéniques souillées à la barrière qui ferme l’accès au sous-sol où se trouvent les toilettes, elles en brandissent sous le nez du doyen. Une jeune fille met une serviette hygiénique dans la poche de son veston. Un tampon est jeté à la tête d’un agent de sécurité, un autre à celle du doyen. » (Rapport IGAENR, p. 8) ;
  • « Une personne présente une bouteille d’urine à la responsable administrative qui préfère la prendre de peur qu’elle ne la lui jette. La vice-doyenne et une enseignante sont également présentes et assistent à cette scène. » (Rapport IGAENR, p. 8).

Ainsi, pour le rapporteur public, il n’y a pas de factieux du côté de ceux qui occupent un amphithéâtre sans droit ni titre, qui insultent, méprisent, violentent et dégradent ; mais exclusivement du côté de ceux qui ont cherché à redonner à un amphithéâtre sa vocation naturelle. D’ailleurs, les premiers n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale, civile ou disciplinaire. On comprend que si Monsieur de Boissezon avait apporté son concours à l’occupation illégale, aux insultes et déprédations, il n’aurait pas été inquiété.

Il est donc difficile de voir autre chose, dans cette décision de révocation obtenue au forceps, qu’une volonté de juger Jean-Luc Coronel de Boissezon au pied du mur de l’exemple. Il n’est pas non plus certain que cette décision, adoptée sur pourvoi de la ministre de l’Enseignement supérieur et de l’université de Montpellier, eux-mêmes soumis à la pression de certains syndicats étudiants, soit de nature à tempérer le sentiment de partialité idéologique des juridictions françaises.

Penser la démocratie sociale

Price: 36,00 €

6 used & new available from 36,00 €


[1] Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche

[2] Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche