Hier soir, alors qu’un orage s’abattait sur Paris, transformant les rues en torrents impétueux, des policiers ont surpris les passants en diffusant à plein volume une célèbre chanson de Céline Dion depuis leur voiture qui fendait les flots comme un navire en détresse. Pendant ce temps, à l’Assemblée nationale partiellement inondée, l’inquiétude montait… Mais heureusement, aucun député n’a été retrouvé noyé.
La police diffuse la musique de Titanic pendant les inondations qui ont touché Paris à cause d'un violent orage. pic.twitter.com/S1u1bbzPw1
— CLPRESS / Agence de presse (@CLPRESSFR) June 25, 2025
L’image est tout de même plaisante.
Des rues de Paris inondées. Un véhicule de Police (malheureusement non amphibie) se faufilant vaille que vaille en diffusant à fond la musique du film Titanic.
Cette patrouille malicieuse est-elle allée jusqu’à jouer de la même ironie aux abords de l’Assemblée nationale où Monsieur le Premier ministre, qu’on découvre tout soudain en capacité d’établir un constat de situation crédible, venait d’avoir la pertinence exceptionnelle de faire remarquer au président de séance qu’il pleuvait au sein même de l’hémicycle ? Les palmes et le tuba ne faisant pas partie de la mallette distribuée en début de mandature à tout parlementaire, on n’eut pas d’autre solution que l’évacuation.
Il faut dire que le Premier ministre et son homme des finances ne pouvaient être d’aucune utilité. Ils ne disposent en effet pour eux deux et l’ensemble de leurs services que d’une seule petite cuillère. Or celle-ci est ces temps-ci exclusivement réservée à l’opération d’écopage de la dette.
De ce côté-là aussi, l’eau monde à vitesse grand V. La noyade ne serait pas loin, se murmure-t-il. Je ne vais pas feindre avoir la capacité de m’y retrouver dans la montagne de milliards dont il s’agit – cela me dépasse de beaucoup, je le confesse – mais à ce que j’entends dire autour de moi : « Ça craint. » Et la musique du Titanic doit probablement tourner en boucle dans les oreilles et les tympans des autorités dites compétentes. Il aurait donc été malvenu que les policiers espiègles aillent en rajouter en traînant dans les parages.
À propos de noyade, à ma connaissance on n’en eut à déplorer aucune dans l’hémicycle ou dans l’enceinte du Palais Bourbon. On s’en réjouit. L’éducation que j’ai reçue me fait interdiction, il est vrai, de me réjouir du trépas de quiconque, et encore plus de souhaiter la mort d’un être humain, fût-il mon pire ennemi.
À voir. Car, en l’occurrence, il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que je jette sans façon ma fine éducation par-dessus les moulins, comme on dit. Non pas en m’autorisant à souhaiter le décès de quelqu’un, mais plus sobrement en déclarant que je n’aurais pas été plus chagrin que cela si la crue parlementaire avait – malencontreusement, bien sûr -, condamné à un silence de très, très longue durée un certain député. Ce député de rencontre – membre du groupe écologiste – qui, au sein même de l’Assemblée des représentants de la nation – et donc représentants de nous autres, peuple de France – a poussé l’ignominie, la haine, la bassesse, la bêtise, l’infamie jusqu’à attaquer un collègue – Éric Ciotti, pour ne pas le nommer -, faisant de l’invalidité de la maman de ce dernier – tétraplégique depuis des années – un prétendu argument de débat. Pour ma part, j’attends les sanctions, celles de l’Assemblée et celles du groupe écologiste. Voire plus si affinités…
Avouons-le, en quelques décennies d’observation de la vie politique du pays, je n’avais jamais assisté à une telle monstruosité. Ni non plus éprouvé une telle honte à l’idée qu’il se soit trouvé de mes concitoyens pour voter en faveur d’un type aussi immonde.
Le Titanic et sa musique, revenons-y.
Les policiers rigolards ne pouvaient pas mieux trouver. C’est probablement ce qui exprime avec le plus de rigueur et de précision l’état du pays en ce moment.
À peine les mots « cessez-le-feu » avaient-ils été prononcés. À peine les alertes s’étaient-elles tues après douze longues nuits. A peine l’adrénaline de la peur commençait-elle à retomber… que des messages affluaient sur nos téléphones. En quelques points, ces instructions, véritable mode d’emploi de vie courante, nous indiquaient quoi faire et ne pas faire. Après nous avoir ordonné de tout arrêter, de nous confiner, de courir dans les abris, de nous ravitailler, ils changeaient brutalement de ton : « retour à la normale ». Comme si nos corps et nos esprits meurtris pouvaient en l’espace de quelques heures passer de l’état de crise à la routine.
Nouveau plan
Le « retour à la normale » était presqu’une injonction d’Etat : il fallait reprendre nos vies là où nous les avions laissées. En d’autres mots, il fallait recommencer à vivre.
Dans mon quotidien, cette injonction ne tardait pas à se matérialiser : mardi, avant même que les mots de cessez le feu fassent la une des journaux internationaux, un premier message, timide, fut posté en hébreu sur mon groupe de vélo. Il venait de Zwicka, l’initiateur du groupe. Ce groupe de vélo pour moi, c’est la source auprès de laquelle je me ressource, là où je pédale sans réfléchir, où je me nettoie de l’intérieur. Rien que l’idée de quitter la maison à l’heure où tout le monde dort, de traverser la ville endormie pour regagner les champs à une heure encore fraiche, c’est déjà une victoire. Alors ce message, recueilli avant même que nous ayons compris que la vie allait pouvoir reprendre, était particulièrement audacieux. Zwicka annonçait qu’il se tiendrait sur son vélo, demain au petit matin, à notre endroit de rendez-vous habituel. Il ne forçait rien, n’imposait rien, se contentant de partager son plan pour le lendemain, que nous soyons là ou non. À ce message, personne ne répond sur le coup. Tout au plus, des frémissements, mais pas de réaction claire. C’est encore trop tôt. Trop tôt pour y croire tout à fait.
La nuit se passe. Une nuit sans alerte, sans l’adrénaline de la peur à laquelle nous avons fini par nous habituer, sans sursaut. Pour moi pourtant, elle ressemble aux douze nuits précédentes. Elle est agitée. Intranquille. La méfiance ne vous abandonne pas du jour au lendemain. La sensation d’être constamment sur le qui-vive, l’anticipation du danger potentiel, s’infiltrent en vous comme un virus tenace. Alors, cette nuit sans alerte, je la passe à tenter de donner du sens à des évènements un peu décousus. Et puis, sous les volets, les premières lueurs du jour. J’abandonne l’idée de me rendormir. Comme un robot, je me lève. J’ouvre les tiroirs, remplis ma gourde d’eau fraiche, je repousse les pensées, la peur, les questions et j’enfourche mon vélo.
De loin, je les aperçois. Zwicka n’est pas seul. Un, deux, trois, ils sont nombreux. Presque huit. Des hommes, des femmes. Je suis surprise sans l’être. Leurs visages sont marqués, épuisés, mais ils sont venus. Nous roulons. Un silence vaut mieux que des discussions engourdies par la fatigue. Nous roulons et la pesanteur dans laquelle nous avons baignée se dissipe peu à peu. « Hozerim ala shigra » disent-ils en hébreu. « Revenir à la vie normale ». Être venu ce matin au rendez-vous, c’est faire le pari de la vie qui doit reprendre. Entre nous, la guerre est présente, omniprésente même, elle nous a balayés, une immense vague, elle a déjoué tous nos plans, elle a bloqué au pays les enfants des uns, elle retient encore à l’étranger les maris des autres. Elle est là, mais à mesure que nous pédalons, que la nature majestueuse s’offre à nous, que des vols d’oiseaux nous cueillent, elle laisse peu à peu place à la vie normale. Et des conversations éphémères, en rapport avec l’été qui s’annonce, reprennent ici et là. Nouer de grands projets, soulever des montagnes, nous ne le pouvons pas encore.
L’épuisement est palpable. Moral, physique. Sans le dire, nous sommes encore tous occupés à encaisser un choc plus grand pour nous. Mais nous roulons. C’est déjà ça. Certains félicitent Zwicka de son initiative. D’autres sont eux-mêmes surpris d’avoir répondu si vite à l’appel. Ils le remercient car il est le premier à les avoir ramenés là où ils étaient il y a douze jours. Le premier à incarner de sa personne ce que le gouvernement nous a demandé à travers nos téléphones. Au milieu du trajet, nous faisons une pause dans un café. Je les observe. Est-ce parce que je ne suis pas née ici, ou simplement parce que, quoi que je fasse, je prends toujours des notes dans ma tête et j’écris en silence ? Je ne saurais le dire.
Ils discutent, prennent leur café, lisent la presse. Un touriste coupé de l’actualité verrait en nous une scène ordinaire et peinerait à croire qu’hier encore, nous étions réfugiés dans les abris. Il pourrait encore moins deviner que le pays vient de vivre l’une des guerres les plus décisives et intenses de son histoire. Mais moi, qui vis au sein de cette société depuis dix ans, je sais ce qui se cache derrière leur humour ou leur cynisme. Ils se battent. Ils sont fatigués mais conquérants. Ils tentent de transcender ce qu’ils vivent. Ils se forcent à reparler des projets échafaudés pour les vacances. Ils s’émerveillent de la vitesse avec laquelle les choses passent. Hier, ils étaient prostrés à la maison. Aujourd’hui, ils sont réunis.
Tensions
Ils me sourient, sans savoir que ce qui se forme là, sous mes yeux, porte un nom : la résilience israélienne. Celle qui a transformé un simple parking en hôpital pour enfants pendant ces douze jours. Ou qui a fait de moments d’angoisse des instants de chants et de danse pour sublimer l’horreur. Je repense au mois dernier. À l’enchaînement qui existe chez nous entre deux temps forts de l’année. Le jour du souvenir Yom Hazikaron qui commémore la mémoire de tous les soldats tombés depuis la création de l’Etat en 1948, une journée de deuil national extrêmement lourde. Et le lendemain, le jour de l’indépendance Yom Haatzmaout, une journée festive, où les drapeaux flottent à chaque balcon, à chaque carrefour. La mort et la vie qui s’enchainent en vingt-quatre heures. Une sorte d’allégorie grandeur nature du pire et du meilleur. C’est ça Israël : des émotions qui se bousculent, des tiroirs que l’on ouvre et que l’on ferme sans cesse, au gré des vents et des contextes, une sorte de partition émotionnelle que nous jouons à l’unisson. Pleurer le matin, rire le soir. J’avale mon café chaud et je pense à ça : nous sommes précisément à ce point de contact entre le macabre et une forme d’insouciance, dans cet espace liminal où l’envie de reprendre le cours de sa vie côtoie la sensation d’en être physiquement incapable. Zwicka se lève, nous devons rentrer. J’ouvre le cadenas de mon vélo, je visse mon casque sur ma tête et je réalise que notre pays accueille en permanence deux attitudes contradictoires : la sensation que tout est fragile et, en même temps, la certitude que tout ira bien. Ici, la mort et la vie se bagarrent en permanence. Une sorte de lutte sans fin, à laquelle nous participons tous, tant au niveau individuel que collectif, pour faire en sorte que la vie triomphe coûte que coûte.
« Retour à la normale », ont-ils décrété. Les enfants ont repris l’école ce matin. Les restaurants et les plages ont réouvert. Le décompte des jeunes soldats tombés à Gaza reprend, silencieux et implacable. Les mères de famille ne savent plus de quelle fatigue elles souffrent le plus. Et nous tous, englués dans ce paradoxe de vouloir intérioriser le choc tout en cherchant par tous les moyens à nous en extraire, nous sommes traversés par cette sensation déroutante de nous réveiller au milieu d’un rêve, sans savoir bien qui, de la guerre ou de la « paix », incarne le mieux notre réalité.
Peter de Caluwe évoque sa trajectoire à la tête de l’une de plus singulières scènes lyriques du monde.
Il a été nommé directeur général et artistique du Théâtre Royal de la Monnaie en juin 2005. Il quitte la grande scène lyrique belge à la fin de ce mois de juin 2025. En vingt années, Peter de Caluwe a maintenu haut et fier l’oriflamme d’une scène lyrique qui compte parmi les plus brillantes d’Europe et partant du monde, parmi les plus audacieuses aussi. Il est le dernier d’un brillant quatuor de directeurs remarquables, tous belges comme lui, et qui ont fait de La Monnaie ce qu’elle est aujourd’hui : un grande maison du répertoire lyrique, mais aussi un lieu singulier de création grâce à une politique soutenue de commandes passées à de multiples compositeurs contemporains, à des aventures scéniques entreprises avec des metteurs en scène parmi les plus représentatifs de leur temps (pour le meilleur souvent et parfois pour le pire), à de remarquables chefs d’orchestre. Ce quatuor : Maurice Huisman qui suscita la création du Sacre du Printemps de Maurice Béjart, promut l’opéra baroque comme les ouvrages et mises en scène modernes ; Gérard Mortier, directeur iconoclaste qui contribua résolument à bouleverser l’art de la mise en scène et poursuivit sa trajectoire au Festival de Salzbourg, à l’Opéra de Paris, puis au Teatro Real de Madrid ; Bernard Foccroule qui poursuivit cette quête de rénovation du répertoire et de la mise-en-scène, ouvrit la scène lyrique à des chorégraphes célèbres, avant de diriger les Festival d’Aix-en-Provence ; ce quatuor s’achève avec Peter de Caluwe sous la conduite duquel La Monnaie n’a cessé de briller.
Demain, signe des temps, leur succède une Allemande, Christina Scheppelmann, qui a tout au contraire fait carrière en passant d’un théâtre à l’autre sans faire de révolution, de Seattle à San Francisco et Washington, de l’Opéra de Mascate, à Oman, au Liceo de Barcelone.
Le dynamisme téméraire de Peter de Caluwe a permis au Théâtre Royal de la Monnaie d’être couronné de toutes sortes de prix d’excellence qui ont assis sa notoriété internationale et conforté son public dans l’idée que l’Opéra de Bruxelles était bien une scène dont on pouvait être fier.
Aujourd’hui, la majorité, sinon l’ensemble des spectacles s’y représentent toujours à guichets fermés, même si le théâtre doit faire des efforts soutenus pour renouveler le public, le rajeunir. Mais à Bruxelles où ce dernier est très international du fait du statut de capitale européenne dévolu à cette métropole francophone, on peut, comme ailleurs, plus qu’ailleurs peut-être, s’interroger quant à l’avenir du théâtre lyrique. L’opéra apparaît de plus en plus comme une étrangeté à des populations toujours plus incultes dans le domaine musical. En outre, la majorité des extra-européens, dont le nombre est considérable à Bruxelles, demeure totalement étrangère à l’univers lyrique. Dans trente ans, dans cinquante ans, qu’en sera-t-il si la plupart des habitants se désintéressent de ce fleuron de la culture européenne qu’est l’opéra, toujours perçu comme élitiste, bourgeois et délibérément occidental ? Qui voudra encore le soutenir par des subventions publiques ? • Raphaël de Gubernatis
Causeur. Quels auront été les grands axes suivis durant ces vingt ans de direction artistique ?
Peter de Caluwe. Dès que j’ai été désigné pour conduire la Monnaie qui est aussi l’Opéra de la capitale européenne, j’ai voulu rechercher des oeuvres, des histoires, des personnages qui parlent à la fois de l’Europe actuelle et de ce patrimoine qui est commun à nos cultures. Avec, pour les servir, des chefs d’orchestre aux fortes personnalités d’une part. Et d’autre part des metteurs en scène faisant tous figure de novateurs ou de chefs de file dans leurs pays : Romeo Castelucci pour l’Italie, Stefan Herheim pour la Norvège, la Fura del Baus pour l’Espagne, Krzysztof Warlikowski pour la Pologne, Deborah Warner pour la Grande-Bretagne ou Dimitri Tcherniakov pour la Russie… Pour les Français toutefois, cela aura été plus difficile. Je suis arrivé à une époque où la grande génération des metteurs en scène des années 1970-1980 vieillissait et où la suivante ne s’était pas suffisamment affirmée. Avec Laurent Pelly et Olivier Py, je crois cependant avoir engagé deux artistes qui représentent bien leur époque.
L’autre axe, c’était de souligner le caractère aventurier de la Monnaie par une politique soutenue de création d’ouvrages lyriques. De rechercher aussi dans la tradition du répertoire musical de quoi interroger notre présent aussi bien que notre passé. J’ai toujours aspiré à revenir aux intentions premières des compositeurs et de leurs librettistes, à savoir pourquoi ils avaient écrit ainsi leurs ouvrages et par là même à pouvoir comprendre ce que cela disait d’eux, de leur temps. Et du nôtre. A connaître les racines d’une œuvre et à partir de celles-ci à construire quelque chose en résonnance avec notre époque. Nous avons également recouru au scandalum, selon ce terme aux racines grecques nommant un piège destiné à faire trébucher le passant, mais sans le faire tomber. Donc à la provocation, afin de susciter des questionnements, des façons d’envisager les choses sous un angle renouvelé. De sortir des sillons tracés par nos lointains prédécesseurs afin de découvrir d’autres façons d’accéder à une oeuvre et de la faire entendre.
Et vos plus grandes joies durant votre mandat ?
Cela aura été assurément de travailler avec des équipes artistiques et techniques extrêmement motivées et de réaliser leur engagement passionné au moment où nous nous aventurions dans des entreprises particulièrement exigeantes comme la réalisation du Grand Macabre ou celle de Parsifal. Ou celles des deux premiers ouvrages de la Tétralogie avec Castellucci. Ou encore avec Les Huguenots de Meyerbeer. Ressentir chez vos collaborateurs cet engagement inconditionnel qui préside aux grandes réussites est quelque chose d’extrêmement émouvant.
Au fond, dans cette fonction d’intendant de théâtre qui m’a été donnée, j’ai aimé par dessus tout d’avoir à jouer ce rôle d’intermédiaire entre le public et les artistes, mais aussi entre les artistes eux-mêmes.
D’autant que j’ai toujours tenu à briser tout excès d’emprise hiérarchique. Cela provient sans doute de mes expériences passées aux Pays Bas comme dramaturge auprès de Pierre Audi. A Bruxelles, en vingt ans, je pense avoir réussi à instaurer un système de travail où chacun, à son niveau, assume ses responsabilités, sans tout attendre ou subir d’une hiérarchie omnipotente. Dans cette ébullition créative si complexe que requiert une mise en scène lyrique, la chaîne artistique a vraiment tout à gagner dans un rapport horizontal plutôt que vertical entre ses acteurs. Ce mode de travail me paraît infiniment plus bénéfique et gratifiant pour les collaborateurs. Il permet en outre plus d’initiative et de là plus d’engagement de la part de chacun. De quoi créer une synergie essentielle à l’accomplissement d’un énorme travail d’équipe.
Une fonction de stratège autant que d’animateur en somme…
Il y a des gens pour qui les conflits au sein d’une équipe de création apparaissent comme indispensables, voire bénéfiques. Moi, les conflits, je les déteste. Je crois tout au contraire que c’est le plus souvent quelque chose de stérile, dévorant des énergies qu’il serait bien plus utile d’investir au service de l’entreprise artistique.
Une grande partie de mon travail aura consisté à composer des équipes – chefs d’orchestre, metteurs en scène, interprètes, décorateurs, techniciens- destinées à travailler en bonne intelligence. En parfaite harmonie.
Un jour, après avoir déjà passé huit années à la Monnaie, je me suis enfin avisé d’observer attentivement les groupes sculptés ornant le fronton du théâtre. Ils illustrent L’Harmonie des passions humaines. Pour moi, ce fut comme un signe : j’y découvrais ce qui m’avait en fait animé durant mes premières années de direction. Et j’ose croire que cette harmonie dans le travail est aujourd’hui l’une des caractéristiques du Théâtre de la Monnaie, sa signature.
Comment en être arrivé là ?
Cet équilibre tient également sans doute à notre système de production, au mode de travail qui est le nôtre. Nous ne sommes pas un théâtre de répertoire où jour après jour se succèdent d’inlassables reprises de productions qui ont pu naître des années auparavant. La Monnaie obéit aux principes de la stagione, comme à Paris, comme à Genève par exemple : on y présente des productions nouvelles au cours d’une dizaine ou d’une quinzaine de représentations s’égrenant durant les semaines suivant la création. Cela garantit à la production un engagement, une fraîcheur, une vitalité qui bien souvent disparaissent à la longue sur les scènes de répertoire. Lesquelles peuvent apparaître comme des machines manquant d’âme.
Le système de la stagione permet bien davantage d’aller jusqu’au fond des choses quand on travaille à un opéra, que ce soit une pièce du répertoire ou une création.
A mes débuts pourtant, il aura fallu gérer une situation difficile avec l’orchestre. Aussi brillants qu’aient pu être les chefs d’orchestre invités, je n’avais pas de directeur musical. Avec l’arrivée bénéfique d’Alain Altinoglu pour assumer ce poste, l’orchestre, les chœurs ont été largement renouvelés. Une ère nouvelle s’est offerte à la Monnaie. Nous avons ainsi traversé les siècles, depuis l’Orfeo de Monteverdi, et en passant par presque tous les ouvrages de Mozart, les grandes oeuvres wagnériennes, les ouvrages essentiels de Janacek, des maîtres italiens, et jusqu’au Frankenstein de Marc Grey ou à la Penthesilea de Pascal Dusapin. Des créations contemporaines voulues une ou deux par saison, et si importantes pour la vie musicale comme pour l’identité de la Monnaie.
On n’ oubliera pas le répertoire baroque qui fut l’un de nos chevaux de bataille, mais qu’il a fallu malheureusement abandonner faute de moyens financiers, à l’exception toute récente d’I Grotteschi, combinant les trois opéras de Monteverdi en deux soirées avec une équipe de choc : le chef Leonardo Garcia Alarcon et le metteur en scène Rafael Villalobos.
Quelle place a-t-on réservé à la danse au sein de la Monnaie, alors qu’elle avait été prépondérante avec Maurice Huisman et Maurice Béjart ?
J’ai programmé un temps des créations avec Sasha Waltz, Sidi Larbi Cherkaoui ou Anne Teresa De Keersmaeker. Or il y a à la Monnaie un orchestre, un chœur, des ateliers de décors à employer. Par nécessité bien souvent, la danse contemporaine s’est la plupart du temps détournée de ces moyens qui lui sont généralement inaccessibles et qui, au fil du temps, lui sont devenus étrangers. C’était un vrai problème pour le théâtre. De toute façon, la diminution des subventions à un moment donné m’y a fait renoncer. Cependant par l’intermédiaire de la danse et de nos accords avec d’autres scènes de Bruxelles, nous sommes parvenus à attirer une part du public des chorégraphes vers l’opéra ainsi que Bernard Foccroule l’avait initié en choisissant Trisha Brown ou Lucinda Childs pour mettre en scène des ouvrages lyriques.
Le directeur du Théâtre royal de la Monnaie a-t-il dû supporter des pressions politiques ?
Non ! Jusqu’à maintenant, non. La Monnaie est une institution fédérale. Elle est épargnée par les tendances extrémistes qui se font jour dans le pays et par les intempestives interventions des pouvoirs politiques régionaux.
Mais ce n’est effectivement pas le cas de scènes comme l’Opéra d’Anvers qui dépend désormais d’un gouvernement régional aux mains d’une droite dure pour qui tout questionnement du système en place, du pouvoir politique ou de celui de l’argent devient suspect. Une scène qui était brillante et novatrice peut très vite basculer dans l’insignifiance sous les effets d’une coercition rampante ou même franchement revendiquée.
Jusque là, à la Monnaie, nous avons toujours bénéficié d’un conseil d’administration bienveillant qui nous a accompagné dans nos projets. Je pense à ce sujet à un homme comme le sénateur Roger Lallemand ou encore à son collègue du côté flamand, Luc Coenne. Ils m’ont beaucoup manqué depuis leur disparition. Actuellement, le risque le plus préoccupant pour la Monnaie, c’est la diminution des subventions. De quoi remettre sérieusement en question la place qu’on accorde à la culture dans nos sociétés. C’est un phénomène très inquiétant qui peut réduire considérablement la liberté de programmation en forçant un théâtre à n’afficher que des œuvres renommées dont le succès est assuré. Et à évacuer des créations ou des ouvrages d’un accès peut-être plus difficile, mais qui sont cependant essentiels dans le paysage culturel, indispensables aussi pour l’affinement des consciences. Et ces restrictions financières surviennent à un moment où la culture apparaît comme le plus efficace des remparts contre la barbarie, le sectarisme, le fanatisme ou l’ignorance.
Quel profil offre le public à la Monnaie ?
Longtemps notre public représentait avant tout la grande et la moyenne bourgeoisie. C’était un public de lettrés, assurément cultivé, mais assez rétif aux évolutions scéniques, et plus encore aux révolutions esthétiques. Or, avec la crise économique, les choses ont bien changé. On a perdu alors bien des spectateurs, d’autant plus que le théâtre a dû fermer pour restauration et qu’il lui a fallu camper à l’orée de Molenbeek (un quartier de Bruxelles à majorité musulmane NDLR), ce qui a contribué à une perte du public traditionnel. A notre retour dans les murs de la Monnaie, on a constaté que 30% des spectateurs étaient de nouveaux venus.
Ce renouvellement s’est révélé être la conséquence directe ou indirecte de plusieurs mesures. La troïka formée par la scène francophone qu’est le Théâtre national de Wallonie-Bruxelles, la scène néerlandophone qu’est le Théâtre Flamand, et le Théâtre royal de la Monnaie, cette troïka a engendré une synergie qui a favorisé une mixité des publics, une circulation des spectateurs passant plus aisément d’une scène à l’autre. Pour ce faire, nous avons multiplié entre nous des manifestations libérées des contraintes linguistiques comme les spectacles de danse ou les concerts. On a également mêlé diverses disciplines sur scène, chose qui a joué un rôle non négligeable dans le décloisonnement des publics.
C’est ainsi que notre auditoire a profondément changé. Toutefois, le monde de l’opéra étant désormais étranger à beaucoup, cela nous a conduit à mener une politique offensive vis à vis des moins de trente ans en offrant des places à 50 euros pour les attirer à nous. Pour la Monnaie, c’est un sacrifice financier, mais c’est aussi un pari sur l’avenir, un investissement pour le futur en quelque sorte. Ces nouveaux venus représentent aujourd’hui de 14% à 20% du public. Nous seront-ils fidèles ? Même si nous savons que beaucoup d’entre eux vont nous lâcher durant quelques années du fait de leurs contraintes professionnelles ou familiales, ils reviendront sans doute quand ils seront quadragénaires ou quinquagénaires.
Dans le contexte culturel ambiant où le monde de l’opéra n’est plus d’un accès aussi naturel pour le public, celui-ci nous fait cependant confiance quant à la programmation. Il ne connaît plus aussi bien ces ouvrages qui constituaient jadis un répertoire connu de tous, mais il vient par curiosité, rassuré par la notoriété de l’institution. Les nombreux prix nationaux ou internationaux décernés à la Monnaie au fil des ans jouent un rôle important en notre faveur. En nous distinguant, ils renforcent le prestige de la maison, la signale à l’attention et donnent confiance à ceux qui n’ont sans doute pas toutes les clés en main pour effectuer des choix strictement personnels. Dans un monde de plus en plus mercantile, les récompenses rassurent, soulignent la qualité des productions couronnées, saluent nos efforts dans plusieurs domaines comme cette éco-gestion instituée avec les Opéras de Paris et de Lyon, le Festival d’Aix-en-Provence ou le Théâtre du Châtelet, et qui tend à la production de spectacles de façon plus économique, plus attentive à la conservation de la nature, plus éco-responsable pour reprendre un terme actuel.
Maintenant que vous en quittez la direction, et même si la prochaine saison a été établie par vous-même, quel avenir voyez-vous pour La Monnaie ?
Difficile de répondre, tant les paramètres sont nombreux. J’aimerais avant tout que la Monnaie reste cette maison d’opéra au caractère bien spécifique, qu’elle conserve son identité si particulière, très latine d’une part, nordique de l’autre. Elle est le reflet du pays, de sa diversité, de ses antagonismes, de ses contradictions, et il faut bien connaître la Belgique et son peuple pour comprendre la Monnaie et son public. Jusque là d’ailleurs, Maurice Huisman, Gérard Mortier, Bernard Foccroule et moi même étions tous belges. Et par là-même nous connaissions bien les spécificités, le profil de nos concitoyens. C’est fondamental, même si aujourd’hui le public de la Monnaie, du fait de la situation de Bruxelles comme siège des institutions européennes, est très international.
La mort de l’opéra, c’est une antienne….
Je n’y crois pas du tout. Aujourd’hui en particulier où les excellents chanteurs abondent. Certes, et c’est tant mieux, le star system avec ses cachets faramineux s’évanouit peu à peu. En revanche, il existe une multitude d’artistes de valeur qui remplacent les divas de naguère, des artistes qu’on peut accompagner, voir évoluer et qui servent le théâtre lyrique dans un esprit évidemment nouveau, plus en phase avec notre époque. Et je ne dis rien des très bons chefs d’orchestre que nous recevons. Il y aura toujours un public, il y aura toujours des créateurs pour l’opéra.
La chanteuse et comédienne Caroline Loeb a été l’une des créatures peuplant les nuits du Palace dans les années 1970-1980. Dans la boîte mythique du Faubourg-Montmartre, le Tout-Paris se mêlait à des inconnus hauts en couleur dans un tourbillon de fêtes, de sexe, de drogue et de créativité.
Chanteuse, comédienne, metteuse en scène, auteure, Caroline Loeb a été l’une des nombreuses créatures de la nuit qui peuplaient le Palace. Plus qu’une boîte de nuit, cet endroit fut un monde, un esprit, un mode de vie, une grande famille. Dans ce lieu naissaient des amitiés, des bandes, des spectacles, des albums, des mannequins, mille projets. Un vent de folie et de liberté y soufflait. Des années folles dont elle se souvient pour nous.
Causeur. Comment avez-vous intégré la bande du Palace ?
Caroline Loeb. Je venais d’avoir mon bac et j’étais ouvreuse à l’Olympic, le cinéma de Frédéric Mitterrand qui avait été mon prof à l’École bilingue. Le Palace n’existait pas encore. Un soir, avec un ami, je décide d’aller pour la première fois au Sept, une boîte homo très à la mode rue Sainte-Anne, tenue par Fabrice Emaer, futur créateur du Palace. À l’époque, c’était la rue homosexuelle de Paris. Il y avait trois clubs gay : Le Sept, le Colony et le Club 18. Le soir, sur les trottoirs de la rue, des mecs faisaient le tapin. Avec mon copain, nous sommes entrés sans difficulté dans le club situé au numéro 7 de la rue. À l’intérieur, il y avait le Tout-Paris. Les gens étaient beaux et élégants. Ça respirait la fête et le chic. Nous sommes instantanément tombés amoureux de la musique de Guy Cuevas, qui était le DJ permanent là-bas, et qui deviendrait ensuite le DJ mythique du Palace. Il passait évidemment du disco, mais aussi des bruits d’explosions, des bruits d’oiseaux, la voix de la Callas, il mélangeait absolument tout. Cuevas a inventé le métier de DJ. Lorsqu’il était aux platines, non seulement nous dansions comme des fous, mais nous vivions un film sonore. Il a tout de suite été évident que cet endroit serait celui dans lequel nous passerions désormais toutes nos soirées.
Qui rencontrait-on au Sept ?
Dans le premier salon, à droite en entrant, on apercevait souvent Le Luron, Chazot et Sapritch qui se racontaient des histoires et dont les rires éclataient. À gauche il y avait la salle de restaurant où étaient attablés Noureev, Warhol, Saint Laurent, Kenzo, Michel Guy (alors ministre de la Culture, mais tous les soirs au Sept !). Fabrice Emaer – toujours très élégant – accueillait lui-même les clients, avec un mot adorable pour chacun, stars ou inconnus. On descendait les escaliers étroits pour arriver au sous-sol où il y avait la boîte. Il y avait des miroirs partout, et au plafond des néons de toutes les couleurs qui clignotaient jusqu’à l’aube. C’était un endroit hors du temps où régnait le chic, la drôlerie, la fête et la légèreté. L’esprit pédé de l’époque quoi : spirituel, décadent et glamour ! Dans cette ambiance, je me suis tout de suite sentie chez moi. J’y étais donc tous les soirs.
Mais vous gagniez assez d’argent pour sortir tous les soirs dans un endroit aussi chic ?
Non, je n’avais pas un rond. Mais comme nous avions vite sympathisé avec les habitués du lieu, il y avait toujours quelqu’un pour nous payer des coups ! Le rapport entre les gens connus et ceux qui ne l’étaient pas, entre les riches et les fauchés, était très simple. Nous, nous étions jeunes et inconnus, les gens riches trouvaient normal de payer pour nous. Fabrice Emaer lui-même nous offrait des verres. Il y avait trois cercles principaux qui régnaient au Sept : le cercle Saint Laurent, le cercle Kenzo et le cercle Lagerfeld. Mais il y avait aussi des gens comme moi, qui n’étais personne mais qui plaisais au patron. Et j’ai rapidement flirté avec les cercles Kenzo et Saint Laurent.
Oui, mais j’y ai aussi appris beaucoup de choses. C’était le lieu de l’intelligentsia gay. Les homos qui étaient là étaient tous extrêmement cultivés. On riait, on buvait, on se droguait, on dansait, mais les conversations étaient passionnantes, autour du cinéma par exemple. Tous ces gens ont fait une grande partie de ma culture. Nous avions notamment de grandes conversations sur les films de Mankiewicz ou de Cukor. Bette Davis, Marlene Dietrich et Tallulah Bankhead étaient nos idoles dont on citait les bons mots… Et puis, c’est en faisant la fête avec tous ces gens que j’ai été engagée au théâtre pour la première fois. J’y croisais tous les soirs Paloma Picasso flanquée de son mari Raphaël Lopez-Sanchez et Javier Arroyuelo, les Argentins du groupe TSE dont j’avais adoré les premiers spectacles. Je leur ai dit que j’adorerais travailler avec eux et ils m’ont écrit six rôles dans leur pièce Succès, dont Paloma signait costumes et décors. C’est aussi au Septque j’ai rencontré mon premier grand amour, Thadée Klossowski, le fils de Balthus, qui s’est ensuite marié avec Loulou de la Falaise, muse de Saint Laurent, et dont j’ai été le témoin de mariage ! C’est aussi là que Loulou m’a aidée à obtenir un job de vendeuse chez Kenzo qui venait d’ouvrir sa boutique place des Victoires. Le Sept, puis le Palace étaient des endroits où tout se passait. J’y ai aussi vu des concerts mémorables. Il faut savoir qu’avant d’être LA boîte de nuit à la mode, le Palace était depuis les années 1920 un music-hall où s’étaient produits de grands artistes tels que Polaire ou Maurice Chevalier. La scène ayant été conservée quand il a été transformé en boîte par Emaer, j’y ai vu des shows époustouflants de Grace Jones, Tom Waits et Tina Turner !
Y avait-il réellement un grand mélange au Sept ? Était-il facile d’y entrer sans être riche ou célèbre ?
Si votre personnalité plaisait au physio ou à Fabrice Emaer, on vous laissait entrer ! C’était un club select, mais la sélection ne se faisait pas sur l’argent. En revanche, comme l’endroit n’était pas immense, il y avait une sélection assez pointue. C’est vraiment au Palace que Fabrice Emaer a ensuite pu réaliser le grand mélange dont il rêvait.
Vous étiez à l’ouverture du Palace ?
Évidemment ! J’ai fait l’ouverture en 1978 ! J’y suis allée avec Thadée qui, avec Loulou de la Falaise, faisait partie de la bande Saint Laurent. J’étais donc dans leur sillon. Et à partir de ce jour, j’ai fait la fermeture de l’établissement tous les soirs pendant des années. Au bout de quelque temps, j’y ai même eu ma table, en haut des grandes marches.
Oui, pendant à peu près dix ans, j’étais tous les soirs en boîte de nuit, quasiment sans jour de relâche ! C’était notre vie. Le soir danser, boire, rire, baiser. Et les week-ends aller chiner aux puces des fringues marrantes pour sortir le soir. Tout ça sans vraiment gagner d’argent ! Aujourd’hui encore je me demande comment j’ai tenu et je n’arrive pas trop à me l’expliquer. Ça s’est fait comme ça. Tout roulait, c’était facile. On était insouciants, on se débrouillait toujours. Ça paraît fou aujourd’hui. Et puis, au Palace comme au Sept, je ne payais presque jamais. Fabrice Emaer, les barmans et les fêtards plus riches que nous étaient toujours là pour nous payer des tournées. J’appartenais à cette petite faune de personnages qui n’étaient pas des célébrités, mais qui faisaient l’esprit de l’endroit et que la direction rinçait à l’œil. Nous faisions partie du décor. Il y avait notamment Edwige Belmore, Paquita Paquin, Jenny Bel’Air, Christian Louboutin, Eva Ionesco, Farida Khelfa, Philippe Gautier qui a ensuite réalisé les clips des Rita Mitsouko et celui de ma chanson, C’est la ouate… Tous ces gens ont fait le Palace et le Palace les a faits. Et puis la chose inédite, c’était que dans cet endroit en vogue où tout se passait, la banlieue entrait ! Si des jeunes banlieusards se présentaient lookés, avec une personnalité forte et originale, ils avaient toutes les chances d’être admis. Fabrice Emaer était de gauche et voulait faire du Palace une utopie ! Et ça a fonctionné. Il y avait des Noirs, des Blancs, des Arabes, des pauvres, des riches, des homos, des hétéros, et tout ça, dans un grand délire et dans un style absolument éblouissant. C’est dingue de se dire qu’à cette époque, des petits jeunes de banlieue qui sortaient de nulle part et qui n’avaient pas une thune pouvaient le soir croiser Warhol, danser avec Paloma Picasso ou Saint Laurent et boire des coups avec Mick Jagger, Aragon ou Roland Barthes.
À vous entendre, le Palace était un ascenseur social !
Bien sûr. Vous n’étiez rien, vous arriviez au Palace, vous faisiez la fête avec des gens que vous ne connaissiez pas, et ces gens, parfois, vous engageaient pour être mannequin, chanteur ou acteur. C’était des années très faciles, franchement. Mon tube La Ouate s’est fait comme ça, avec mon copain Pierre Grillet qui était l’un de mes potes de boîte. Quelques paroles écrites sur un carnet, deux ou trois allers-retours sur le texte, une maquette réalisée par Philippe Chany que j’avais croisé dans le studio de Mondino à l’époque où je travaillais avec lui comme styliste photo, puis un coup de fil à mon ami Stephan (celui qui m’a emmenée au Sept la première fois) pour récupérer les 3 000 francs qui manquaient pour aller en studio, et c’était fait ! Au Palace, tous les milieux artistiques étaient réunis : la mode, le cinéma, le théâtre, la musique, la photographie, la peinture… C’était un immense bouillon de culture, gai et incroyablement créatif. Et puis il y avait de l’argent, et il circulait…
J’ai entendu dire qu’à l’époque, vous faisiez des strip-teases forains. Qu’est-ce que c’était exactement ?
Des strip-teases dans les fêtes foraines ! Une ancienne strip-teaseuse dénommée Zezette en était l’organisatrice. Elle avait un petit camion qu’elle trimballait d’une fête à l’autre, dans le Sud, et dans lequel elle faisait faire des strip-teases à des filles qu’elle engageait. Pour quelques week-ends, j’ai été de celles-là. Au cul du camion, elle avait installé une petite estrade sur laquelle nous nous trémoussions sur de la musique pour appâter le client. Pour nous voir nous désaper sous la tente attenante au camion, les types devaient payer dix francs. On gagnait un peu de sous pour nous acheter des fringues ou se payer des coups et le lendemain soir on se retrouvait sur la piste de danse du Palace avec le Tout-Paris ! Marie Beltrami, Paquita Paquin et même Sophie Calle l’on fait ! On était en roue libre et punks dans l’âme.
Et la drogue ?
Tout le monde en prenait. Ça faisait partie de notre mode de vie. Alors, évidemment qu’avec la drogue on se perd, je n’ai pas que des bons souvenirs de tout ça… Mais ces années-là auraient-elles été aussi festives sans ça ? Ce qui est sûr, c’est que je n’ai aucune nostalgie de la défonce. Je ne vais pas dire que c’était génial, mais ça faisait partie du truc. On sortait, on dansait, on se défonçait, on baisait. Ça, on baisait à l’époque ! Les pédés couchaient avec des filles, les mecs hétéros avec des pédés, les filles avec des filles… enfin, on faisait tout ! Ça circulait ! Le sida a sifflé la fin de la récré. Ça a été une sacrée gueule de bois !
Et vos parents ? Que disaient-ils de tout ça ?
Ils ne comprenaient pas très bien ce qu’on faisait et étaient eux-mêmes très occupés à jouir sans entraves… Il ne faut pas oublier que c’est peu de temps après Mai 68 et que tous les codes sociaux avaient explosé. Je me souviens qu’un lendemain de soirée, alors qu’on voyait bien que j’avais exagérément fait la fête toute la nuit, mon père avait eu pour unique question : « Et comment va Paloma ? » Le plus dur, ça a été pour les très jeunes comme Cyrille Puttman, le fils d’Andrée qui avait fait la déco du Palace, et Eva Ionesco qui en a d’ailleurs fait un très beau livre intitulé Les Enfants de la nuit. C’étaient des enfants lâchés dans ce monde nocturne décadent et sans limites. Ils l’ont payé cher.
Je sais que vous n’aimez pas le passéisme, mais si vous deviez choisir entre avoir 20 ans dans ces années-là et aujourd’hui, que choisiriez-vous ?
Caroline Loeb est en tournée avec « Françoise par Sagan », mis en scène par Alex Lutz, et avec « Les Caroline », spectacle-cabaret aux côtés de Caroline Montier.
C’est difficile de répondre. Mais je pense que c’était plus facile et plus fun à l’époque dans les années Palace. Malgré le côté un peu trash, il y avait aussi une légèreté qui s’est un peu perdue. Aujourd’hui la période est assez puritaine, une certaine morosité s’est installée. Les dernières fois où je suis allée dans une boîte de nuit, j’étais frappée par le conformisme qui y régnait ; tout le monde était habillé pareil, un modèle de fille et un modèle de garçon, point. Ken et Barbie. Il y a un véritable conformisme dans tous les milieux, que ça soit un conformisme rock, baba ou BCBG. Quand j’avais 20 ans, on était tous différents. Au Palace, on était des personnages, des pièces uniques. C’était d’ailleurs la condition pour y entrer. C’était notre théâtre !
Much ado about nothing. (En v.o.) – Beaucoup de bruit pour rien (En v.f.) Shakespeare.
N’importe quelle publicité est une bonne publicité. Andy Warhol.
Le fracas dans lequel se trouve engluée la population gazaouie n’est rien en comparaison de la dernière controverse entourant le dernier épisode de l’Eurovision.
Grâce aux révélations de deux éminents dignitaires de LFI, l’eurodéputée Rima Hassan et le député Aymeric Caron, on apprend, d’abord, qu’était inconvenante à elle seule la participation d’Israël à ce concours, qu’elle « perturbe ». Par ailleurs, plus sinistre, les résultats auraient été influencés vu qu’une société israélienne, Moroccanoil, en est un des grands commanditaires. Enfin, les votes auraient été carrément truqués.
À première vue, on constate un recyclage des poncifs millénaires concernant le contrôle juif des institutions ; on se souviendra notamment du chef d’œuvre historique en la matière : le protocole des sages de Sion, concocté dans la Russie tsariste par d’indéniables érudits cependant puisqu’il s’agissait d’un plagiat du pamphlet satirique de 1864 visant Napoléon III Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu de Maurice Joly. Plus récemment, aux États-Unis, en 2018, la pimpante élue à la chambre des représentantes, Marjorie Taylor-Greene, attribua même des incendies de forêts en Californie à des lasers spatiaux juifs.
Deux poids, deux mesures ?
Quant à la participation d’Israël à cette fête musicale, vu l’exclusion de la Sainte Russie, aux fins de l’argumentation, on admettra qu’il y a eu 2 poids 2 mesures, encore que l’on peut se demander si cette mesure a pu servir à quoi que ce soit. L’histoire enseigne que les boycotts, même économiques, a fortiori sportifs ou artistiques, sont trop souvent illusoires et n’ont qu’une valeur symbolique vide (cf. l’Afrique du Sud de l’apartheid, la Rhodésie, l’Union soviétique et les jeux olympiques de 1980, etc.).
Mais quid de la question la plus angoissante, la plus existentielle, la plus civilisationnelle : celle de la sincérité des votes ?
Vu les informations disponibles au grand public, il semble y avoir eu de préalables publicités bien ciblées au profit de la candidate israélienne. Doit-on parler de l’inobservation de l’esprit des règles ? Peut-être. Mais la lettre semble intacte. Et s’il s’agissait de donner à Israël une meilleure visibilité sur la scène internationale, on peut douter de l’efficacité de la tactique au regard de l’actualité. Quoiqu’il en soit, l’artiste israélienne a fini deuxième au palmarès et non pas première. À supposer même qu’il y a eu manipulations, il y a plus inquiétant sur le plan démocratique et du droit international humanitaire.
Une indignation contre-productive
On comprend mal la bruyante indignation cocardière de M. Caron et de Mme Hassan, qui sont tombés dans leur propre piège en assurant une notoriété accrue à la chanteuse honnie. Une faute typiquement franchouillarde.
Cependant, cette cocasse polémique a eu ceci de positif que les parties opposées ont trouvé un terrain d’entente en donnant une importance encore plus grande à un spectacle de variété que l’on peut charitablement qualifier de kitsch (Les téléspectateurs hors Hexagone comprendront peut-être mieux l’adjectif « tacky » ; en bon Québécois, on dit « quétaine »), animation du patelin et indéboulonnable Stéphane Bern oblige ; cela dit sans nier la qualité de la prestation de la candidate française malheureuse, dont l’émouvante chanson est digne d’éloges.
Que Louane, Aymeric Caron et Rima Hassan, et leurs compatriotes, se rassurent : il y a une vie après l’Eurovision. Au moins pour eux.
Andrew Norfolk est mort le 8 mai. Le grand reporter du Times avait révélé le scandale des grooming gangs, ces viols à grande échelle commis par des hommes d’origine pakistanaise dans le nord de l’Angleterre. Un travail d’enquête exemplaire qui aurait dû avoir l’effet d’une bombe
Le 8 mai, Andrew Norfolk, grand reporter du journal de référence britannique The Times, est décédé à l’âge de 60 ans. Il lui revient le mérite d’avoir fait plus que tout autre journaliste pour révéler le scandale des « grooming gangs ». Ces derniers pratiquaient dans différentes villes anglaises le « pédopiégeage de rue en bande », c’est-à-dire qu’ils ciblaient des jeunes filles blanches mineures qu’ils rendaient dépendantes de la drogue et qu’ensuite ils violaient, souvent en réunion, en les torturant physiquement et mentalement. Ces bandes, composées majoritairement d’hommes d’ascendance pakistanaise, ont pu opérer avec impunité pendant des années, parce qu’employés des services sociaux et élus locaux craignaient d’être accusés d’islamophobie, et que la police, par sexisme et mépris de classe, se désintéressait des cas de ces « petites prostituées ». Déjà en 2003, une élue parlementaire de la ville de Bradford a dénoncé des cas d’abus sexuel de jeunes filles, mais l’affaire a été étouffée. L’année suivante, un documentaire sur la question tourné par la chaîne de télévision Channel 4, a été déprogrammé de peur qu’il sape la « cohésion communautaire ».
Correspondant de son journal pour le nord-est de l’Angleterre, Norfolk a commencé à enquêter en 2010. Son point de départ a été la condamnation de cinq hommes pour l’abus sexuel de filles âgées entre 12 et 16 ans dans la ville de Rotherham. Il y a décelé une tendance plus générale impliquant des hommes issus de l’immigration. En janvier 2011, la une du Times titrait sur cette « conspiration du silence ». Son rédac’ chef lui demande alors de se consacrer à la question à plein temps. Il s’est mis à recueillir les témoignages de nombreuses victimes, expérience naturellement très éprouvante. À partir de 2012, une série de ses reportages détaille toute l’horreur des crimes, suscitant plusieurs commissions d’enquête officielles, notamment sur les gangs de Rotherham, où le nombre de victimes avoisinerait les 1 400. La première réaction du conseil municipal est de demander à la police d’enquêter sur la source de la fuite ! Enfin contraint d’ordonner une vraie enquête, le président du conseil la justifie ainsi : « Le Times ne voulait pas nous laisser en paix. »
Norfolk n’était pas de droite, mais cela ne l’a pas empêché de recevoir une avalanche de messages de haine, l’accusant d’être islamophobe, ainsi que des menaces de mort. Ses reportages ont changé la donne. Avant, c’était l’omerta générale ; après, presque plus obscène encore, politiques et journalistes progressistes ont tout fait pour nier l’évidence, minimiser les faits, et noyer les statistiques dans des calculs foireux. Mais personne ne pouvait nier la qualité du travail de Norfolk, à qui a été décerné le prix de « Journaliste de l’année » en 2014. Ancien fumeur à la chaîne, il est mort quelques mois seulement après avoir pris sa retraite. Le Premier ministre travailliste, sir Keir Starmer lui a rendu hommage, mais il refuse toujours une grande enquête sur le phénomène des grooming gangs parce que cela ne montrerait pas son parti sous la meilleure lumière. Pour notre part, remercions un confrère qui honore sa profession.
À la suite de l’opération militaire spectaculaire «Midnight Hammer» menée par les États-Unis, l’équilibre stratégique au Moyen-Orient a été profondément ébranlé. Bien que les dégâts infligés au programme nucléaire iranien soient jugés considérables, le régime, affaibli mais toujours en place, intensifie la répression intérieure, tandis que la menace d’une relance de ses activités nucléaires demeure intacte. Et on ne sait pas vraiment où se terre le « Guide Suprême » Khamenei…
C’était il y a une éternité, un peu moins d’une semaine. Dans la nuit du 20 au 21 juin, sept bombardiers B2 Spirit quittent leur base du Missouri. Alourdis par leurs 27 tonnes d’armement, deux bombes GBU 57 conçues pour pénétrer des bunkers profondément enfouis, les avions vont suivre, à vitesse de croisière réduite, un trajet de 18 heures avec deux ravitaillements en vol.
Une chorégraphie parfaite
Au-dessus du territoire iranien, accompagnés d’une flotte de protection, ils bombardent les sites d’enrichissement de Fordo et de Natanz et le centre de recherches d’Ispahan. Ce centre convertissait l’oxyde d’uranium en hexafluorure, la forme d’uranium qu’on insère dans les centrifugeuses pour l’enrichissement, mais il servait aussi aux recherches métallurgiques délicates pour le déclenchement adéquat de l’explosion nucléaire.
Une de l’hebdomadaire l’Express.
Mission accomplie. Déroulant une chorégraphie parfaite, les bombardiers américains sont rentrés à leur base sans un accroc, symboles d’une hyperpuissance américaine retrouvée, Bonnet rouge sur la tête, Make America Great Again, Donald Trump annonce que les sites nucléaires iraniens sont totalement anéantis. Le monde est soudain devenu plus léger. Trump salue Israël. De fait, en supprimant les possibilités de riposte, les Israéliens avaient assuré le succès du bombardement américain. Netanyahu avait diplomatiquement laissé Donald Trump s’attribuer la gloire de ce succès retentissant. Des affiches: « Merci Monsieur le président » couvraient les murs d’Israël.
Derniers feux
20 heures plus tard, Trump annonce sur son réseau social qu’un accord de cessez-le-feu entrerait en vigueur le lendemain à 6h. Dans l’intervalle, les Israéliens poursuivent les bombardements sur les installations militaires iraniennes. Les Iraniens envoient en représailles des missiles sur des installations civiles en Israël. L’un d’eux entraine cinq morts à Beersheva. La colère du président américain est tombée sur les Israéliens qui n’avaient pourtant pas violé la lettre de son horaire de cessez-le-feu. Quant à l’Iran, que Trump avait déjà remercié de ses bonnes manières, puisqu’il avait prévenu avant de bombarder la base américaine d’al-Udeid au Qatar, il a été encouragé à redevenir une grande nation commerciale. Changement d’alliances ? MIGA ? Make Iran grand again? Trump n’est pas suspect d’affinités avec les mollahs iraniens, il cherche à éviter le krach boursier résultant de la fermeture éventuelle du détroit d’Ormuzd, il a des relations de proximité avec le Qatar et avec Erdogan, mais ses liens avec Israël sont déterminants et on sait que beaucoup des mots qu’il prononce ne sont que des « paroles verbales »…
La réalité de l’anéantissement des centres de Fordow, de Natanz et Ispahan est mise en doute et le site construction au Sud de Natanz profondément enfoui dans une montagne du Zagros n’est même pas mentionné. Si les experts s’accordent à dire que les dommages sont massifs, les Iraniens prétendent qu’ils vont rapidement les réparer. Ils disent aussi d’ailleurs que le cessez-le-feu traduit leur victoire sur un ennemi israélien plongé dans la terreur, ce qui témoigne de l’exceptionnelle capacité au mensonge du régime de mollahs, que certains de nos hommes politiques considèrent comme un partenaire diplomatique comme un autre.
De fait, il est très vraisemblable que l’uranium enrichi au-dessus de 60% dont on rappelle qu’il n’a pas d’autre fonction que militaire, avait été retiré par précaution avant les bombardements. Suivant les experts, il y en aurait assez pour une dizaine de bombes atomiques. Le problème non encore résolu par les Iraniens serait celui de la réalisation technique d’une ogive à uranium qui puisse être lancée avec une fiabilité et une efficacité suffisantes à partir d’un missile balistique ou d’un missile de croisière. Plusieurs spécialistes en ce domaine ont été éliminés par les frappes israéliennes.
L’offensive israélienne, qui avait un caractère préventif, était indispensable. Elle a changé la donne au Moyen Orient et l’aide américaine, dont Donald Trump est le symbole, mais qui correspond aussi aux considérations stratégiques des experts militaires, a levé une très lourde hypothèque. A ce qui est publié aujourd’hui par les sources les plus fiables, en tenant compte des exagérations dont est coutumier le président américain, mais aussi de la volonté de certains organes d’information de minimiser, pour des raisons de positionnement idéologique, les succès «américano-sionistes», on peut raisonnablement conclure que le programme nucléaire iranien a subi des coups extrêmement durs et inespérés jusque-là. On peut en redouter aussi que des fragments importants de ce programme (préservation de matériel fissile, lanceurs non détruits, compétences scientifiques et techniques existantes) sont encore disponibles. Leur mise en œuvre éventuelle dépend en grande partie de l’efficacité des contrôles. Or le régime iranien, qui vient d’ailleurs de couper les relations avec l’IAEA, a joué efficacement au chat et à la souris avec cette organisation pendant de nombreuses années, continuant ses enrichissements, déplaçant ses activités et surtout en interdisant l’accès à certaines zones ou à certains centres. Les pays garants des accords se sont satisfaits à peu de frais des conclusions forcément incomplètes et ambiguës de l’AIEA, alors que les manœuvres du régime iranien pour masquer cette évidence qu’on ne construit pas des installations à 100 m sous une montagne pour y mettre une usine de fabrication d’isotopes radio-actifs à usage médical n’ont pas suscité, en dehors du départ des Etats-Unis du JCPOA en 2018, le mécanisme de « snap-back » (reprise des sanctions en cas de non-respect des accords) qu’il aurait dû légalement entrainer, mécanisme qui de toute façon va s’achever à la fin de l’année 2025 laissant alors toute liberté à l’Iran.
Prestige perdu
Le régime iranien, qui ne peut plus compter comme il l’a fait auparavant sur ses redoutables proxys, sort de cette « guerre des douze jours » affaibli et passablement ridiculisé, malgré les félicitations qu’il a reçues du Hezbollah, du Hamas et des Houthis pour ses « divines victoires ». Son prestige extérieur est atteint et la peur qu’il y suscite sera, on l’espère, très amoindrie. On doit admirer le professionnalisme extraordinaire des services de renseignement et de l’aviation israélienne et rendre hommage à la lucidité de Benjamin Netanyahu, qui toute sa vie politique durant, a considéré le régime des mollahs iraniens comme « le » danger existentiel pour Israël et qui a su tirer avantage d’une conjoncture favorable. N’oublions pas que, il y a 18 mois, Israël était face à sept fronts menaçants et qu’il a su les affaiblir considérablement les uns après les autres.
Il reste que le régime iranien ne s’est pas évaporé et que ses organes de répression n’ont pas été oblitérés. Ils ne le seraient d’ailleurs pas si le Guide Suprême Khamenei, un criminel dans tous les sens du terme, disparaissait. L’homme n’a jamais suscité la même dévotion que son prédécesseur et il est incapable de fomenter et d’incarner un mouvement de résistance populaire dépassant les limites des bénéficiaires du régime.
Il n’en reste pas moins que la violence de ce régime envers ceux qui le contestent (85% de la population, dit-on) risque d’augmenter encore, aussi bien contre les minorités que contre les très nombreux Iraniens désireux de vivre dans un pays démocratique. Un narratif de trahison se développe ; il sert d’explication commode aux innombrables défaillances militaires et permet de sévir encore plus et encore plus vite. Des milliers d’Iraniens auraient déjà été arrêtés sous ce motif depuis 12 jours et on peut s’attendre au pire.
Nous avons été abreuvés de doctes rappels sur les échecs de changement de régime imposés de l’extérieur. Il est vrai que les expériences en milieu musulman sont cinglantes. Encore faut-il analyser chaque situation dans sa diversité religieuse, ethnique, politique, culturelle et historique. En Iran il existe un peuple tout entier, avec des élites de haut niveau, qui aspire à ce dont nos peuples disposent avec une désinvolture négligente, la liberté.
Sans un changement de régime, il n’y aura pas de paix dans la région. Que l’Iran des mollahs tel qu’il est aujourd’hui, et en particulier ses Gardiens de la Révolution, ne soit pas mis depuis longtemps au ban des nations en dit long sur l’histoire de nos propres compromissions.
Rugby. Après une humiliation historique infligée par Toulouse à Bordeaux-Bègles en finale du Top 14 l’année dernière, les deux équipes se retrouvent à nouveau face à face samedi au Stade de France.
Samedi, il y aura tout juste un an, lors de la finale du championnat de France du Top-14, disputée à Marseille pour cause de JO et non au Stade de France comme le veut la tradition, L’Union Bordeaux-Bègles (UBB) avait encaissé face au Stade toulousain (ST) une monumentale déculottée (59-3), sans précédente à ce niveau de la compétition. Son adversaire lui avait passé pas moins de neuf essais dont quatre transformés et deux pénalités.
L’UBB favorite ?
Dix mois plus tard, en demi-finale de la Champion cup (coupe d’Europe), c’est Bordeaux-Bègles qui sortait à l’issue d’un match échevelé Toulouse par un 35 à 18, la frustrant d’un potentiel sixième sacre européen, après avoir franchi la ligne d’en-but à cinq reprises, réussi deux transformations, contre deux et une transformation pour la partie opposée, et deux pénalités de chaque côté.
En finale, à Dublin, en terre adverse, l’UBB s’est imposée par un 28 à 10, décrochant ainsi son premier titre, face au XV anglais de Northampton.
Du coup, la finale de ce samedi à Saint-Denis qui oppose pour la seconde fois consécutive les deux mêmes équipes, inaugurant peut-être un futur « clasico » du rugby, prend la tournure d’une double revanche, chacune voulant effacer l’affront subi. Mais les deux entraîneurs respectifs, Yannick Bru (UBB) et Hugo Mola (ST), ont implicitement réfuté qu’un esprit de revanche animent leurs joueurs, la culture du règlement de compte ne faisant pas partie du rugby. Même si Maxime Lucu, le capitaine de l’UBB, reconnaît que l’humiliation de Marseille « est toujours présente ». Mais ce n’est pas se venger que veut Bordeaux-Bègles mais se réhabiliter et Toulouse effacer un déboire de mauvais augure.
D’autant, singularité de ce match, que les joueurs des deux équipes ont l’habitude de jouer ensemble. Ils constituent l’ossature des Bleus et ont partagé la joie de remporter le Tournoi des Six nations, de vaincre les All Blacks. Toulouse fournit au XV français le gros des avants et Bordeaux-Bègles ses trois-quarts (dits la patrouille de France), et la charnière depuis la blessure d’Antoine Dupont. Disputer des matches sous le même maillot soude des fraternités et loyautés qui relativisent les rivalités de circonstance. Cette finale va donc opposer, en somme, deux moitiés de l’équipe de France, l’une à l’autre, deux conceptions du jeu, la puissance avec Toulouse, le mouvement avec Bordeaux-Bègles.
Sur le papier, l’UBB fait légèrement figure de favorite. En cette fin de saison, elle a le vent en poupe comme l’a démontré sa victoire en demi-finale contre Toulon par 39 à 14, grâce à quatre essais dont trois aplatis par son pilier, chevelure rousse et casqué, Maxime Lamothe. Réaliser un triplé en demi-finale est un exploit unique qui dément que la faiblesse de l’UBB soit désormais devant comme c’était sa réputation.
Depuis son élimination de la Champion cup, rappelons-le par Bordeaux-Bègles, Toulouse marque le pas malgré une saison exceptionnelle en dépit de l’absence du meilleur joueur du monde dont les fulgurances étaient souvent décisives, Antoine Dupont, victime d’une grave blessure qui risque d’hypothéquer le reste de sa carrière. En effet, le Stade toulousain a battu son record de points inscrits. Sur les 26 matches disputés, il en a marqué 891, soit une moyenne par rencontre de 34.
Réussite dans l’abnégation
Avant de rencontrer en demi-finale Bayonne et de s’imposer difficilement par un étriqué 32 à 25 et avoir cumulé 13 fautes, signe d’une fébrilité certaine, le Stade toulousain s’était incliné déjà contre Castres (28-23) et à domicile face au Racing (35-37), défaites mettant fin à une série de 38 succès consécutifs, un record. En outre, dans la phase des matches aller et retour du championnat, Bordeaux-Bègles a vaincu Toulouse les deux fois par 12-16 en visiteur et 32-24 à domicile.
« Le rugby, a dit Antoine Blondin, le chantre de l’Ovalie et du Tour de France, c’est l’art subtil de la réussite dans l’abnégation ». Devise qu’a su faire sienne Bordeaux-Bègles après l’électrochoc de Marseille.
Est-ce que l’UBB, détentrice d’un seul titre conquis cette année après 20 ans d’existence infructueux, confirmera son ascension en défaisant la plus titrée des équipes françaises, le Stade toulousain (23 championnats de France dont quatre des cinq dernières éditions, plus cinq coupes d’Europe) ? Le discret président bordelais-béglois, Laurent Marti, avait confié à Sud-Ouest, le quotidien de Bordeaux, après la victoire contre Northampton, que le bouclier de Brennus, qui récompense le titre de champion de France, avait pour lui plus de valeur que la coupe d’Europe.
Dans un entretien accordé à Sud-Ouest, l’ancien entraîneur de Toulouse, Guy Novès, qui a fait de ce club un des meilleurs d’Europe sinon le meilleur, a estimé que les jeunes joueurs de ce dernier « ont appris à connaître le goût de la défaite. Ils en avaient peut-être besoin pour se remettre en cause ».
Et, un fabuliste, au vu du parcours réciproques des deux finalistes, aurait pu, lui, conclure que c’est le goût de la défaite qui donne sa saveur à la victoire. En tout cas, le match de samedi s’annonce fabuleux. Il reste aux deux équipes à le confirmer.
Terrible désillusion pour l’Olympique lyonnais, qualifié pour la Ligue Europa dans les dernières minutes du championnat, mais relégué en Ligue 2 suite à la décision de la DNCG. Derrière cette descente aux enfers, c’est toute la logique des multipropriétés de John Textor dans le football qui est critiquée
23 février 2025. À l’occasion de la venue du Paris-Saint-Germain dans l’antre de l’Olympique lyonnais, John Textor apparaissait un chapeau de cowboy sur la tête, qu’il retira au moment de saluer les deux virages du Groupama Stadium. La facétie était en réalité une pique adressée au propriétaire du PSG qui l’avait renvoyé à ses origines américaines peu de temps auparavant. Ce jour-là, les fans de l’OL ont probablement pensé qu’il valait mieux avoir à la tête de leur club un magnat américain qu’un homme d’affaires qatari.
C’est pas de la bombe, bébé
Quelques mois plus tard, ils déchantent. Tandis que les Parisiens ont remporté la Ligue des champions, l’Olympique lyonnais vient d’être relégué en Ligue 2 par la Direction nationale de contrôle et de gestion (DNCG), gendarme du football français dont le sigle fait penser à une officine du renseignement. Faute de garantie financière, l’OL est donc rétrogradé et son propriétaire pris pour cible : les Bad Gones, principal groupe de supporters du club, animant le Virage nord du stade, n’ont pas manqué d’afficher des calicots hostiles sur les ponts de la capitale des Gaules. La guerre est déclarée : heureusement, Textor ne possède pas dans son arsenal de bombe GBU-571 pour anéantir les BG872.
Évidemment, c’est tout un système et même une vision du football qui sont une nouvelle fois interrogés. Lyon, autrefois entre les mains sûres de Jean-Michel Aulas, appartient désormais à une de ces galaxies de clubs détenus par le même propriétaire. Ces multipropriétés sont un des cancers du football moderne, car chaque entité n’est qu’une variable d’ajustement d’un projet global, faisant fi des particularités locales et des histoires propres à chaque blason. Ailleurs dans la noria textorienne, la colère gronde d’ailleurs aussi.
Molenbeek, Londres…
Dimanche dernier, plusieurs centaines de sympathisants du RWDM, club populaire bruxellois, effectuaient une marche pour dénoncer le changement de nom de leur club. Pour le mi-clown, mi-tycoon américain, le M du sigle, qui renvoie à Molenbeek où évolue le club, n’est pas vendeur en raison de la sulfureuse réputation de la commune. Pourtant, les supporters du RWDM sont majoritairement issus de la classe populaire blanche, parfois émigrée ailleurs dans la Région bruxelloise ou dans les Brabant flamand et wallon ; leurs ultras penchent quant à eux clairement à droite. Rien à voir avec des islamistes donc.
Dans la galaxie Textor, Crystal Palace est à peine mieux loti. Le club de la capitale londonienne, situé dans le quartier qui avait accueilli l’exposition universelle de 1851, végète dans le ventre mou de la Premier League, loin du prestige des clubs de Manchester, de Liverpool ou de Chelsea. Si le club a remporté la dernière Coupe d’Angleterre, il n’est pas certain qu’il puisse participer à la prochaine Coupe d’Europe en raison justement de la double casquette de son actionnaire principal. Pour se prémunir d’un nouvel affront, il vient de revendre ses parts dans le club londonien à… un autre Américain fortuné.
Dans leur malheur, les supporters lyonnais verront peut-être un espoir et un réconfort : un appel à la décision de relégation est possible et, si celui-ci devait ne pas aboutir, ils auront la possibilité de vivre un derby face à l’ennemi stéphanois la saison prochaine. Une rivalité dont John Textor ne comprend sans doute pas la portée…
GBU-57 : bombe anti-bunker américaine utilisée récemment en Iran ↩︎
Chaque année, à l’approche des examens, les syndicats de profs dénoncent la « surcharge » pesant sur les enseignants mobilisés pour le bac de français. Pourtant, entre exigences orthographiques et grammaticales revues à la baisse et consignes de correction assouplies, tout semble fait pour leur simplifier la tâche…
« Le ministère ne veut pas comprendre la charge de travail qui s’abat sur les collègues convoqué.es comme jury de bac. En français et philosophie, la pression est même insoutenable »1. C’est le SNES-FSU qui l’affirme, dans un communiqué de presse du 12 juin 2025, avec un appel à la grève en appendice. Comme tous les ans. Enfin, avec ce motif, puisque l’appel à la grève, dans l’Éducation nationale, c’est plutôt toutes les quatre à six semaines. Alors pourquoi cette participation aux examens, charge normale d’emploi et obligation de service, pèse-t-elle si lourdement sur les épaules et le « mental » des professeurs ? Cette revendication syndicale est-elle justifiée ?
C’est faire fi des efforts de l’Institution pour leur alléger la tâche. Tout d’abord, elle veille à ce qu’il n’y ait pas trop de contenu : quatre œuvres étudiées en français pendant l’année de première et des parcours de lecture associés qui n’en sont plus (des 24 textes prévus par la réforme Blanquer pour l’oral de français, on est arrivé à 16 textes en 2024). Ensuite, les commissions d’entente académiques enjoignent aux correcteurs de « relâcher la pression » : les corrigés nationaux des dissertations sont à considérer « comme une proposition de pistes et non la représentation de ce que l’on doit s’attendre à trouver dans les copies d’élèves » ; on n’exige (surtout) pas une « organisation canonique en trois parties elles-mêmes constituées de trois sous-parties » pour le commentaire et on ne sanctionnera pas « l’absence de paragraphes » ; pas de « pénalité supplémentaire comme cela pouvait se faire lors des sessions précédentes » quand l’orthographe et la syntaxe sont défaillantes. En d’autres termes, on souffle, on se détend, on libère les chakras.
Enfin, copies et correction sont dématérialisées via le logiciel Santorin2, gage d’un voyage mémorable. Comme l’île égéenne, il offre, cette année, des panoramas variés. Autant que de copies : un morceau de rap, des vœux de bonne correction, une déclaration suicidaire de huit pages, une recette de tiramisu pour 24 personnes… Parfois, l’Éducation nationale y appose un pictogramme : un bonhomme aux bras levés qui signale, depuis l’année dernière, les copies de certains « candidats en situation de handicap » et, par surcroît, édition 2025, des « élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) ». Il est alors exigé du correcteur qu’il ne prenne pas en compte « la qualité rédactionnelle dont l’orthographe » : cerise sur le tiramisu. Ainsi, pour briller au bac de français, mieux vaut ne pas le parler. Le baccalauréat de français sans français, ni Français.
Il faudrait songer à rebaptiser le programme Santorin. Cap sur Lampedusa, lège, voile au vent : de quoi se refaire une santé ! Et le SNES se plaint ?
Communiqué de presse du SNES-FSU, 12 juin 2025 https://www.snes.edu/article/communiques/alerte-sur-le-bac-2025/ ↩︎
Le « Systeme d’Aide Numérique à la noTatiOn et corRectIoN » nommé SANTORIN est un service intégré à CYCLADES se donnant pour mission de gérer la correction dématérialisée d’examens/concours. ↩︎
Hier soir, alors qu’un orage s’abattait sur Paris, transformant les rues en torrents impétueux, des policiers ont surpris les passants en diffusant à plein volume une célèbre chanson de Céline Dion depuis leur voiture qui fendait les flots comme un navire en détresse. Pendant ce temps, à l’Assemblée nationale partiellement inondée, l’inquiétude montait… Mais heureusement, aucun député n’a été retrouvé noyé.
La police diffuse la musique de Titanic pendant les inondations qui ont touché Paris à cause d'un violent orage. pic.twitter.com/S1u1bbzPw1
— CLPRESS / Agence de presse (@CLPRESSFR) June 25, 2025
L’image est tout de même plaisante.
Des rues de Paris inondées. Un véhicule de Police (malheureusement non amphibie) se faufilant vaille que vaille en diffusant à fond la musique du film Titanic.
Cette patrouille malicieuse est-elle allée jusqu’à jouer de la même ironie aux abords de l’Assemblée nationale où Monsieur le Premier ministre, qu’on découvre tout soudain en capacité d’établir un constat de situation crédible, venait d’avoir la pertinence exceptionnelle de faire remarquer au président de séance qu’il pleuvait au sein même de l’hémicycle ? Les palmes et le tuba ne faisant pas partie de la mallette distribuée en début de mandature à tout parlementaire, on n’eut pas d’autre solution que l’évacuation.
Il faut dire que le Premier ministre et son homme des finances ne pouvaient être d’aucune utilité. Ils ne disposent en effet pour eux deux et l’ensemble de leurs services que d’une seule petite cuillère. Or celle-ci est ces temps-ci exclusivement réservée à l’opération d’écopage de la dette.
De ce côté-là aussi, l’eau monde à vitesse grand V. La noyade ne serait pas loin, se murmure-t-il. Je ne vais pas feindre avoir la capacité de m’y retrouver dans la montagne de milliards dont il s’agit – cela me dépasse de beaucoup, je le confesse – mais à ce que j’entends dire autour de moi : « Ça craint. » Et la musique du Titanic doit probablement tourner en boucle dans les oreilles et les tympans des autorités dites compétentes. Il aurait donc été malvenu que les policiers espiègles aillent en rajouter en traînant dans les parages.
À propos de noyade, à ma connaissance on n’en eut à déplorer aucune dans l’hémicycle ou dans l’enceinte du Palais Bourbon. On s’en réjouit. L’éducation que j’ai reçue me fait interdiction, il est vrai, de me réjouir du trépas de quiconque, et encore plus de souhaiter la mort d’un être humain, fût-il mon pire ennemi.
À voir. Car, en l’occurrence, il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que je jette sans façon ma fine éducation par-dessus les moulins, comme on dit. Non pas en m’autorisant à souhaiter le décès de quelqu’un, mais plus sobrement en déclarant que je n’aurais pas été plus chagrin que cela si la crue parlementaire avait – malencontreusement, bien sûr -, condamné à un silence de très, très longue durée un certain député. Ce député de rencontre – membre du groupe écologiste – qui, au sein même de l’Assemblée des représentants de la nation – et donc représentants de nous autres, peuple de France – a poussé l’ignominie, la haine, la bassesse, la bêtise, l’infamie jusqu’à attaquer un collègue – Éric Ciotti, pour ne pas le nommer -, faisant de l’invalidité de la maman de ce dernier – tétraplégique depuis des années – un prétendu argument de débat. Pour ma part, j’attends les sanctions, celles de l’Assemblée et celles du groupe écologiste. Voire plus si affinités…
Avouons-le, en quelques décennies d’observation de la vie politique du pays, je n’avais jamais assisté à une telle monstruosité. Ni non plus éprouvé une telle honte à l’idée qu’il se soit trouvé de mes concitoyens pour voter en faveur d’un type aussi immonde.
Le Titanic et sa musique, revenons-y.
Les policiers rigolards ne pouvaient pas mieux trouver. C’est probablement ce qui exprime avec le plus de rigueur et de précision l’état du pays en ce moment.
À peine les mots « cessez-le-feu » avaient-ils été prononcés. À peine les alertes s’étaient-elles tues après douze longues nuits. A peine l’adrénaline de la peur commençait-elle à retomber… que des messages affluaient sur nos téléphones. En quelques points, ces instructions, véritable mode d’emploi de vie courante, nous indiquaient quoi faire et ne pas faire. Après nous avoir ordonné de tout arrêter, de nous confiner, de courir dans les abris, de nous ravitailler, ils changeaient brutalement de ton : « retour à la normale ». Comme si nos corps et nos esprits meurtris pouvaient en l’espace de quelques heures passer de l’état de crise à la routine.
Nouveau plan
Le « retour à la normale » était presqu’une injonction d’Etat : il fallait reprendre nos vies là où nous les avions laissées. En d’autres mots, il fallait recommencer à vivre.
Dans mon quotidien, cette injonction ne tardait pas à se matérialiser : mardi, avant même que les mots de cessez le feu fassent la une des journaux internationaux, un premier message, timide, fut posté en hébreu sur mon groupe de vélo. Il venait de Zwicka, l’initiateur du groupe. Ce groupe de vélo pour moi, c’est la source auprès de laquelle je me ressource, là où je pédale sans réfléchir, où je me nettoie de l’intérieur. Rien que l’idée de quitter la maison à l’heure où tout le monde dort, de traverser la ville endormie pour regagner les champs à une heure encore fraiche, c’est déjà une victoire. Alors ce message, recueilli avant même que nous ayons compris que la vie allait pouvoir reprendre, était particulièrement audacieux. Zwicka annonçait qu’il se tiendrait sur son vélo, demain au petit matin, à notre endroit de rendez-vous habituel. Il ne forçait rien, n’imposait rien, se contentant de partager son plan pour le lendemain, que nous soyons là ou non. À ce message, personne ne répond sur le coup. Tout au plus, des frémissements, mais pas de réaction claire. C’est encore trop tôt. Trop tôt pour y croire tout à fait.
La nuit se passe. Une nuit sans alerte, sans l’adrénaline de la peur à laquelle nous avons fini par nous habituer, sans sursaut. Pour moi pourtant, elle ressemble aux douze nuits précédentes. Elle est agitée. Intranquille. La méfiance ne vous abandonne pas du jour au lendemain. La sensation d’être constamment sur le qui-vive, l’anticipation du danger potentiel, s’infiltrent en vous comme un virus tenace. Alors, cette nuit sans alerte, je la passe à tenter de donner du sens à des évènements un peu décousus. Et puis, sous les volets, les premières lueurs du jour. J’abandonne l’idée de me rendormir. Comme un robot, je me lève. J’ouvre les tiroirs, remplis ma gourde d’eau fraiche, je repousse les pensées, la peur, les questions et j’enfourche mon vélo.
De loin, je les aperçois. Zwicka n’est pas seul. Un, deux, trois, ils sont nombreux. Presque huit. Des hommes, des femmes. Je suis surprise sans l’être. Leurs visages sont marqués, épuisés, mais ils sont venus. Nous roulons. Un silence vaut mieux que des discussions engourdies par la fatigue. Nous roulons et la pesanteur dans laquelle nous avons baignée se dissipe peu à peu. « Hozerim ala shigra » disent-ils en hébreu. « Revenir à la vie normale ». Être venu ce matin au rendez-vous, c’est faire le pari de la vie qui doit reprendre. Entre nous, la guerre est présente, omniprésente même, elle nous a balayés, une immense vague, elle a déjoué tous nos plans, elle a bloqué au pays les enfants des uns, elle retient encore à l’étranger les maris des autres. Elle est là, mais à mesure que nous pédalons, que la nature majestueuse s’offre à nous, que des vols d’oiseaux nous cueillent, elle laisse peu à peu place à la vie normale. Et des conversations éphémères, en rapport avec l’été qui s’annonce, reprennent ici et là. Nouer de grands projets, soulever des montagnes, nous ne le pouvons pas encore.
L’épuisement est palpable. Moral, physique. Sans le dire, nous sommes encore tous occupés à encaisser un choc plus grand pour nous. Mais nous roulons. C’est déjà ça. Certains félicitent Zwicka de son initiative. D’autres sont eux-mêmes surpris d’avoir répondu si vite à l’appel. Ils le remercient car il est le premier à les avoir ramenés là où ils étaient il y a douze jours. Le premier à incarner de sa personne ce que le gouvernement nous a demandé à travers nos téléphones. Au milieu du trajet, nous faisons une pause dans un café. Je les observe. Est-ce parce que je ne suis pas née ici, ou simplement parce que, quoi que je fasse, je prends toujours des notes dans ma tête et j’écris en silence ? Je ne saurais le dire.
Ils discutent, prennent leur café, lisent la presse. Un touriste coupé de l’actualité verrait en nous une scène ordinaire et peinerait à croire qu’hier encore, nous étions réfugiés dans les abris. Il pourrait encore moins deviner que le pays vient de vivre l’une des guerres les plus décisives et intenses de son histoire. Mais moi, qui vis au sein de cette société depuis dix ans, je sais ce qui se cache derrière leur humour ou leur cynisme. Ils se battent. Ils sont fatigués mais conquérants. Ils tentent de transcender ce qu’ils vivent. Ils se forcent à reparler des projets échafaudés pour les vacances. Ils s’émerveillent de la vitesse avec laquelle les choses passent. Hier, ils étaient prostrés à la maison. Aujourd’hui, ils sont réunis.
Tensions
Ils me sourient, sans savoir que ce qui se forme là, sous mes yeux, porte un nom : la résilience israélienne. Celle qui a transformé un simple parking en hôpital pour enfants pendant ces douze jours. Ou qui a fait de moments d’angoisse des instants de chants et de danse pour sublimer l’horreur. Je repense au mois dernier. À l’enchaînement qui existe chez nous entre deux temps forts de l’année. Le jour du souvenir Yom Hazikaron qui commémore la mémoire de tous les soldats tombés depuis la création de l’Etat en 1948, une journée de deuil national extrêmement lourde. Et le lendemain, le jour de l’indépendance Yom Haatzmaout, une journée festive, où les drapeaux flottent à chaque balcon, à chaque carrefour. La mort et la vie qui s’enchainent en vingt-quatre heures. Une sorte d’allégorie grandeur nature du pire et du meilleur. C’est ça Israël : des émotions qui se bousculent, des tiroirs que l’on ouvre et que l’on ferme sans cesse, au gré des vents et des contextes, une sorte de partition émotionnelle que nous jouons à l’unisson. Pleurer le matin, rire le soir. J’avale mon café chaud et je pense à ça : nous sommes précisément à ce point de contact entre le macabre et une forme d’insouciance, dans cet espace liminal où l’envie de reprendre le cours de sa vie côtoie la sensation d’en être physiquement incapable. Zwicka se lève, nous devons rentrer. J’ouvre le cadenas de mon vélo, je visse mon casque sur ma tête et je réalise que notre pays accueille en permanence deux attitudes contradictoires : la sensation que tout est fragile et, en même temps, la certitude que tout ira bien. Ici, la mort et la vie se bagarrent en permanence. Une sorte de lutte sans fin, à laquelle nous participons tous, tant au niveau individuel que collectif, pour faire en sorte que la vie triomphe coûte que coûte.
« Retour à la normale », ont-ils décrété. Les enfants ont repris l’école ce matin. Les restaurants et les plages ont réouvert. Le décompte des jeunes soldats tombés à Gaza reprend, silencieux et implacable. Les mères de famille ne savent plus de quelle fatigue elles souffrent le plus. Et nous tous, englués dans ce paradoxe de vouloir intérioriser le choc tout en cherchant par tous les moyens à nous en extraire, nous sommes traversés par cette sensation déroutante de nous réveiller au milieu d’un rêve, sans savoir bien qui, de la guerre ou de la « paix », incarne le mieux notre réalité.
Peter de Caluwe évoque sa trajectoire à la tête de l’une de plus singulières scènes lyriques du monde.
Il a été nommé directeur général et artistique du Théâtre Royal de la Monnaie en juin 2005. Il quitte la grande scène lyrique belge à la fin de ce mois de juin 2025. En vingt années, Peter de Caluwe a maintenu haut et fier l’oriflamme d’une scène lyrique qui compte parmi les plus brillantes d’Europe et partant du monde, parmi les plus audacieuses aussi. Il est le dernier d’un brillant quatuor de directeurs remarquables, tous belges comme lui, et qui ont fait de La Monnaie ce qu’elle est aujourd’hui : un grande maison du répertoire lyrique, mais aussi un lieu singulier de création grâce à une politique soutenue de commandes passées à de multiples compositeurs contemporains, à des aventures scéniques entreprises avec des metteurs en scène parmi les plus représentatifs de leur temps (pour le meilleur souvent et parfois pour le pire), à de remarquables chefs d’orchestre. Ce quatuor : Maurice Huisman qui suscita la création du Sacre du Printemps de Maurice Béjart, promut l’opéra baroque comme les ouvrages et mises en scène modernes ; Gérard Mortier, directeur iconoclaste qui contribua résolument à bouleverser l’art de la mise en scène et poursuivit sa trajectoire au Festival de Salzbourg, à l’Opéra de Paris, puis au Teatro Real de Madrid ; Bernard Foccroule qui poursuivit cette quête de rénovation du répertoire et de la mise-en-scène, ouvrit la scène lyrique à des chorégraphes célèbres, avant de diriger les Festival d’Aix-en-Provence ; ce quatuor s’achève avec Peter de Caluwe sous la conduite duquel La Monnaie n’a cessé de briller.
Demain, signe des temps, leur succède une Allemande, Christina Scheppelmann, qui a tout au contraire fait carrière en passant d’un théâtre à l’autre sans faire de révolution, de Seattle à San Francisco et Washington, de l’Opéra de Mascate, à Oman, au Liceo de Barcelone.
Le dynamisme téméraire de Peter de Caluwe a permis au Théâtre Royal de la Monnaie d’être couronné de toutes sortes de prix d’excellence qui ont assis sa notoriété internationale et conforté son public dans l’idée que l’Opéra de Bruxelles était bien une scène dont on pouvait être fier.
Aujourd’hui, la majorité, sinon l’ensemble des spectacles s’y représentent toujours à guichets fermés, même si le théâtre doit faire des efforts soutenus pour renouveler le public, le rajeunir. Mais à Bruxelles où ce dernier est très international du fait du statut de capitale européenne dévolu à cette métropole francophone, on peut, comme ailleurs, plus qu’ailleurs peut-être, s’interroger quant à l’avenir du théâtre lyrique. L’opéra apparaît de plus en plus comme une étrangeté à des populations toujours plus incultes dans le domaine musical. En outre, la majorité des extra-européens, dont le nombre est considérable à Bruxelles, demeure totalement étrangère à l’univers lyrique. Dans trente ans, dans cinquante ans, qu’en sera-t-il si la plupart des habitants se désintéressent de ce fleuron de la culture européenne qu’est l’opéra, toujours perçu comme élitiste, bourgeois et délibérément occidental ? Qui voudra encore le soutenir par des subventions publiques ? • Raphaël de Gubernatis
Causeur. Quels auront été les grands axes suivis durant ces vingt ans de direction artistique ?
Peter de Caluwe. Dès que j’ai été désigné pour conduire la Monnaie qui est aussi l’Opéra de la capitale européenne, j’ai voulu rechercher des oeuvres, des histoires, des personnages qui parlent à la fois de l’Europe actuelle et de ce patrimoine qui est commun à nos cultures. Avec, pour les servir, des chefs d’orchestre aux fortes personnalités d’une part. Et d’autre part des metteurs en scène faisant tous figure de novateurs ou de chefs de file dans leurs pays : Romeo Castelucci pour l’Italie, Stefan Herheim pour la Norvège, la Fura del Baus pour l’Espagne, Krzysztof Warlikowski pour la Pologne, Deborah Warner pour la Grande-Bretagne ou Dimitri Tcherniakov pour la Russie… Pour les Français toutefois, cela aura été plus difficile. Je suis arrivé à une époque où la grande génération des metteurs en scène des années 1970-1980 vieillissait et où la suivante ne s’était pas suffisamment affirmée. Avec Laurent Pelly et Olivier Py, je crois cependant avoir engagé deux artistes qui représentent bien leur époque.
L’autre axe, c’était de souligner le caractère aventurier de la Monnaie par une politique soutenue de création d’ouvrages lyriques. De rechercher aussi dans la tradition du répertoire musical de quoi interroger notre présent aussi bien que notre passé. J’ai toujours aspiré à revenir aux intentions premières des compositeurs et de leurs librettistes, à savoir pourquoi ils avaient écrit ainsi leurs ouvrages et par là même à pouvoir comprendre ce que cela disait d’eux, de leur temps. Et du nôtre. A connaître les racines d’une œuvre et à partir de celles-ci à construire quelque chose en résonnance avec notre époque. Nous avons également recouru au scandalum, selon ce terme aux racines grecques nommant un piège destiné à faire trébucher le passant, mais sans le faire tomber. Donc à la provocation, afin de susciter des questionnements, des façons d’envisager les choses sous un angle renouvelé. De sortir des sillons tracés par nos lointains prédécesseurs afin de découvrir d’autres façons d’accéder à une oeuvre et de la faire entendre.
Et vos plus grandes joies durant votre mandat ?
Cela aura été assurément de travailler avec des équipes artistiques et techniques extrêmement motivées et de réaliser leur engagement passionné au moment où nous nous aventurions dans des entreprises particulièrement exigeantes comme la réalisation du Grand Macabre ou celle de Parsifal. Ou celles des deux premiers ouvrages de la Tétralogie avec Castellucci. Ou encore avec Les Huguenots de Meyerbeer. Ressentir chez vos collaborateurs cet engagement inconditionnel qui préside aux grandes réussites est quelque chose d’extrêmement émouvant.
Au fond, dans cette fonction d’intendant de théâtre qui m’a été donnée, j’ai aimé par dessus tout d’avoir à jouer ce rôle d’intermédiaire entre le public et les artistes, mais aussi entre les artistes eux-mêmes.
D’autant que j’ai toujours tenu à briser tout excès d’emprise hiérarchique. Cela provient sans doute de mes expériences passées aux Pays Bas comme dramaturge auprès de Pierre Audi. A Bruxelles, en vingt ans, je pense avoir réussi à instaurer un système de travail où chacun, à son niveau, assume ses responsabilités, sans tout attendre ou subir d’une hiérarchie omnipotente. Dans cette ébullition créative si complexe que requiert une mise en scène lyrique, la chaîne artistique a vraiment tout à gagner dans un rapport horizontal plutôt que vertical entre ses acteurs. Ce mode de travail me paraît infiniment plus bénéfique et gratifiant pour les collaborateurs. Il permet en outre plus d’initiative et de là plus d’engagement de la part de chacun. De quoi créer une synergie essentielle à l’accomplissement d’un énorme travail d’équipe.
Une fonction de stratège autant que d’animateur en somme…
Il y a des gens pour qui les conflits au sein d’une équipe de création apparaissent comme indispensables, voire bénéfiques. Moi, les conflits, je les déteste. Je crois tout au contraire que c’est le plus souvent quelque chose de stérile, dévorant des énergies qu’il serait bien plus utile d’investir au service de l’entreprise artistique.
Une grande partie de mon travail aura consisté à composer des équipes – chefs d’orchestre, metteurs en scène, interprètes, décorateurs, techniciens- destinées à travailler en bonne intelligence. En parfaite harmonie.
Un jour, après avoir déjà passé huit années à la Monnaie, je me suis enfin avisé d’observer attentivement les groupes sculptés ornant le fronton du théâtre. Ils illustrent L’Harmonie des passions humaines. Pour moi, ce fut comme un signe : j’y découvrais ce qui m’avait en fait animé durant mes premières années de direction. Et j’ose croire que cette harmonie dans le travail est aujourd’hui l’une des caractéristiques du Théâtre de la Monnaie, sa signature.
Comment en être arrivé là ?
Cet équilibre tient également sans doute à notre système de production, au mode de travail qui est le nôtre. Nous ne sommes pas un théâtre de répertoire où jour après jour se succèdent d’inlassables reprises de productions qui ont pu naître des années auparavant. La Monnaie obéit aux principes de la stagione, comme à Paris, comme à Genève par exemple : on y présente des productions nouvelles au cours d’une dizaine ou d’une quinzaine de représentations s’égrenant durant les semaines suivant la création. Cela garantit à la production un engagement, une fraîcheur, une vitalité qui bien souvent disparaissent à la longue sur les scènes de répertoire. Lesquelles peuvent apparaître comme des machines manquant d’âme.
Le système de la stagione permet bien davantage d’aller jusqu’au fond des choses quand on travaille à un opéra, que ce soit une pièce du répertoire ou une création.
A mes débuts pourtant, il aura fallu gérer une situation difficile avec l’orchestre. Aussi brillants qu’aient pu être les chefs d’orchestre invités, je n’avais pas de directeur musical. Avec l’arrivée bénéfique d’Alain Altinoglu pour assumer ce poste, l’orchestre, les chœurs ont été largement renouvelés. Une ère nouvelle s’est offerte à la Monnaie. Nous avons ainsi traversé les siècles, depuis l’Orfeo de Monteverdi, et en passant par presque tous les ouvrages de Mozart, les grandes oeuvres wagnériennes, les ouvrages essentiels de Janacek, des maîtres italiens, et jusqu’au Frankenstein de Marc Grey ou à la Penthesilea de Pascal Dusapin. Des créations contemporaines voulues une ou deux par saison, et si importantes pour la vie musicale comme pour l’identité de la Monnaie.
On n’ oubliera pas le répertoire baroque qui fut l’un de nos chevaux de bataille, mais qu’il a fallu malheureusement abandonner faute de moyens financiers, à l’exception toute récente d’I Grotteschi, combinant les trois opéras de Monteverdi en deux soirées avec une équipe de choc : le chef Leonardo Garcia Alarcon et le metteur en scène Rafael Villalobos.
Quelle place a-t-on réservé à la danse au sein de la Monnaie, alors qu’elle avait été prépondérante avec Maurice Huisman et Maurice Béjart ?
J’ai programmé un temps des créations avec Sasha Waltz, Sidi Larbi Cherkaoui ou Anne Teresa De Keersmaeker. Or il y a à la Monnaie un orchestre, un chœur, des ateliers de décors à employer. Par nécessité bien souvent, la danse contemporaine s’est la plupart du temps détournée de ces moyens qui lui sont généralement inaccessibles et qui, au fil du temps, lui sont devenus étrangers. C’était un vrai problème pour le théâtre. De toute façon, la diminution des subventions à un moment donné m’y a fait renoncer. Cependant par l’intermédiaire de la danse et de nos accords avec d’autres scènes de Bruxelles, nous sommes parvenus à attirer une part du public des chorégraphes vers l’opéra ainsi que Bernard Foccroule l’avait initié en choisissant Trisha Brown ou Lucinda Childs pour mettre en scène des ouvrages lyriques.
Le directeur du Théâtre royal de la Monnaie a-t-il dû supporter des pressions politiques ?
Non ! Jusqu’à maintenant, non. La Monnaie est une institution fédérale. Elle est épargnée par les tendances extrémistes qui se font jour dans le pays et par les intempestives interventions des pouvoirs politiques régionaux.
Mais ce n’est effectivement pas le cas de scènes comme l’Opéra d’Anvers qui dépend désormais d’un gouvernement régional aux mains d’une droite dure pour qui tout questionnement du système en place, du pouvoir politique ou de celui de l’argent devient suspect. Une scène qui était brillante et novatrice peut très vite basculer dans l’insignifiance sous les effets d’une coercition rampante ou même franchement revendiquée.
Jusque là, à la Monnaie, nous avons toujours bénéficié d’un conseil d’administration bienveillant qui nous a accompagné dans nos projets. Je pense à ce sujet à un homme comme le sénateur Roger Lallemand ou encore à son collègue du côté flamand, Luc Coenne. Ils m’ont beaucoup manqué depuis leur disparition. Actuellement, le risque le plus préoccupant pour la Monnaie, c’est la diminution des subventions. De quoi remettre sérieusement en question la place qu’on accorde à la culture dans nos sociétés. C’est un phénomène très inquiétant qui peut réduire considérablement la liberté de programmation en forçant un théâtre à n’afficher que des œuvres renommées dont le succès est assuré. Et à évacuer des créations ou des ouvrages d’un accès peut-être plus difficile, mais qui sont cependant essentiels dans le paysage culturel, indispensables aussi pour l’affinement des consciences. Et ces restrictions financières surviennent à un moment où la culture apparaît comme le plus efficace des remparts contre la barbarie, le sectarisme, le fanatisme ou l’ignorance.
Quel profil offre le public à la Monnaie ?
Longtemps notre public représentait avant tout la grande et la moyenne bourgeoisie. C’était un public de lettrés, assurément cultivé, mais assez rétif aux évolutions scéniques, et plus encore aux révolutions esthétiques. Or, avec la crise économique, les choses ont bien changé. On a perdu alors bien des spectateurs, d’autant plus que le théâtre a dû fermer pour restauration et qu’il lui a fallu camper à l’orée de Molenbeek (un quartier de Bruxelles à majorité musulmane NDLR), ce qui a contribué à une perte du public traditionnel. A notre retour dans les murs de la Monnaie, on a constaté que 30% des spectateurs étaient de nouveaux venus.
Ce renouvellement s’est révélé être la conséquence directe ou indirecte de plusieurs mesures. La troïka formée par la scène francophone qu’est le Théâtre national de Wallonie-Bruxelles, la scène néerlandophone qu’est le Théâtre Flamand, et le Théâtre royal de la Monnaie, cette troïka a engendré une synergie qui a favorisé une mixité des publics, une circulation des spectateurs passant plus aisément d’une scène à l’autre. Pour ce faire, nous avons multiplié entre nous des manifestations libérées des contraintes linguistiques comme les spectacles de danse ou les concerts. On a également mêlé diverses disciplines sur scène, chose qui a joué un rôle non négligeable dans le décloisonnement des publics.
C’est ainsi que notre auditoire a profondément changé. Toutefois, le monde de l’opéra étant désormais étranger à beaucoup, cela nous a conduit à mener une politique offensive vis à vis des moins de trente ans en offrant des places à 50 euros pour les attirer à nous. Pour la Monnaie, c’est un sacrifice financier, mais c’est aussi un pari sur l’avenir, un investissement pour le futur en quelque sorte. Ces nouveaux venus représentent aujourd’hui de 14% à 20% du public. Nous seront-ils fidèles ? Même si nous savons que beaucoup d’entre eux vont nous lâcher durant quelques années du fait de leurs contraintes professionnelles ou familiales, ils reviendront sans doute quand ils seront quadragénaires ou quinquagénaires.
Dans le contexte culturel ambiant où le monde de l’opéra n’est plus d’un accès aussi naturel pour le public, celui-ci nous fait cependant confiance quant à la programmation. Il ne connaît plus aussi bien ces ouvrages qui constituaient jadis un répertoire connu de tous, mais il vient par curiosité, rassuré par la notoriété de l’institution. Les nombreux prix nationaux ou internationaux décernés à la Monnaie au fil des ans jouent un rôle important en notre faveur. En nous distinguant, ils renforcent le prestige de la maison, la signale à l’attention et donnent confiance à ceux qui n’ont sans doute pas toutes les clés en main pour effectuer des choix strictement personnels. Dans un monde de plus en plus mercantile, les récompenses rassurent, soulignent la qualité des productions couronnées, saluent nos efforts dans plusieurs domaines comme cette éco-gestion instituée avec les Opéras de Paris et de Lyon, le Festival d’Aix-en-Provence ou le Théâtre du Châtelet, et qui tend à la production de spectacles de façon plus économique, plus attentive à la conservation de la nature, plus éco-responsable pour reprendre un terme actuel.
Maintenant que vous en quittez la direction, et même si la prochaine saison a été établie par vous-même, quel avenir voyez-vous pour La Monnaie ?
Difficile de répondre, tant les paramètres sont nombreux. J’aimerais avant tout que la Monnaie reste cette maison d’opéra au caractère bien spécifique, qu’elle conserve son identité si particulière, très latine d’une part, nordique de l’autre. Elle est le reflet du pays, de sa diversité, de ses antagonismes, de ses contradictions, et il faut bien connaître la Belgique et son peuple pour comprendre la Monnaie et son public. Jusque là d’ailleurs, Maurice Huisman, Gérard Mortier, Bernard Foccroule et moi même étions tous belges. Et par là-même nous connaissions bien les spécificités, le profil de nos concitoyens. C’est fondamental, même si aujourd’hui le public de la Monnaie, du fait de la situation de Bruxelles comme siège des institutions européennes, est très international.
La mort de l’opéra, c’est une antienne….
Je n’y crois pas du tout. Aujourd’hui en particulier où les excellents chanteurs abondent. Certes, et c’est tant mieux, le star system avec ses cachets faramineux s’évanouit peu à peu. En revanche, il existe une multitude d’artistes de valeur qui remplacent les divas de naguère, des artistes qu’on peut accompagner, voir évoluer et qui servent le théâtre lyrique dans un esprit évidemment nouveau, plus en phase avec notre époque. Et je ne dis rien des très bons chefs d’orchestre que nous recevons. Il y aura toujours un public, il y aura toujours des créateurs pour l’opéra.
La chanteuse et comédienne Caroline Loeb a été l’une des créatures peuplant les nuits du Palace dans les années 1970-1980. Dans la boîte mythique du Faubourg-Montmartre, le Tout-Paris se mêlait à des inconnus hauts en couleur dans un tourbillon de fêtes, de sexe, de drogue et de créativité.
Chanteuse, comédienne, metteuse en scène, auteure, Caroline Loeb a été l’une des nombreuses créatures de la nuit qui peuplaient le Palace. Plus qu’une boîte de nuit, cet endroit fut un monde, un esprit, un mode de vie, une grande famille. Dans ce lieu naissaient des amitiés, des bandes, des spectacles, des albums, des mannequins, mille projets. Un vent de folie et de liberté y soufflait. Des années folles dont elle se souvient pour nous.
Causeur. Comment avez-vous intégré la bande du Palace ?
Caroline Loeb. Je venais d’avoir mon bac et j’étais ouvreuse à l’Olympic, le cinéma de Frédéric Mitterrand qui avait été mon prof à l’École bilingue. Le Palace n’existait pas encore. Un soir, avec un ami, je décide d’aller pour la première fois au Sept, une boîte homo très à la mode rue Sainte-Anne, tenue par Fabrice Emaer, futur créateur du Palace. À l’époque, c’était la rue homosexuelle de Paris. Il y avait trois clubs gay : Le Sept, le Colony et le Club 18. Le soir, sur les trottoirs de la rue, des mecs faisaient le tapin. Avec mon copain, nous sommes entrés sans difficulté dans le club situé au numéro 7 de la rue. À l’intérieur, il y avait le Tout-Paris. Les gens étaient beaux et élégants. Ça respirait la fête et le chic. Nous sommes instantanément tombés amoureux de la musique de Guy Cuevas, qui était le DJ permanent là-bas, et qui deviendrait ensuite le DJ mythique du Palace. Il passait évidemment du disco, mais aussi des bruits d’explosions, des bruits d’oiseaux, la voix de la Callas, il mélangeait absolument tout. Cuevas a inventé le métier de DJ. Lorsqu’il était aux platines, non seulement nous dansions comme des fous, mais nous vivions un film sonore. Il a tout de suite été évident que cet endroit serait celui dans lequel nous passerions désormais toutes nos soirées.
Qui rencontrait-on au Sept ?
Dans le premier salon, à droite en entrant, on apercevait souvent Le Luron, Chazot et Sapritch qui se racontaient des histoires et dont les rires éclataient. À gauche il y avait la salle de restaurant où étaient attablés Noureev, Warhol, Saint Laurent, Kenzo, Michel Guy (alors ministre de la Culture, mais tous les soirs au Sept !). Fabrice Emaer – toujours très élégant – accueillait lui-même les clients, avec un mot adorable pour chacun, stars ou inconnus. On descendait les escaliers étroits pour arriver au sous-sol où il y avait la boîte. Il y avait des miroirs partout, et au plafond des néons de toutes les couleurs qui clignotaient jusqu’à l’aube. C’était un endroit hors du temps où régnait le chic, la drôlerie, la fête et la légèreté. L’esprit pédé de l’époque quoi : spirituel, décadent et glamour ! Dans cette ambiance, je me suis tout de suite sentie chez moi. J’y étais donc tous les soirs.
Mais vous gagniez assez d’argent pour sortir tous les soirs dans un endroit aussi chic ?
Non, je n’avais pas un rond. Mais comme nous avions vite sympathisé avec les habitués du lieu, il y avait toujours quelqu’un pour nous payer des coups ! Le rapport entre les gens connus et ceux qui ne l’étaient pas, entre les riches et les fauchés, était très simple. Nous, nous étions jeunes et inconnus, les gens riches trouvaient normal de payer pour nous. Fabrice Emaer lui-même nous offrait des verres. Il y avait trois cercles principaux qui régnaient au Sept : le cercle Saint Laurent, le cercle Kenzo et le cercle Lagerfeld. Mais il y avait aussi des gens comme moi, qui n’étais personne mais qui plaisais au patron. Et j’ai rapidement flirté avec les cercles Kenzo et Saint Laurent.
Oui, mais j’y ai aussi appris beaucoup de choses. C’était le lieu de l’intelligentsia gay. Les homos qui étaient là étaient tous extrêmement cultivés. On riait, on buvait, on se droguait, on dansait, mais les conversations étaient passionnantes, autour du cinéma par exemple. Tous ces gens ont fait une grande partie de ma culture. Nous avions notamment de grandes conversations sur les films de Mankiewicz ou de Cukor. Bette Davis, Marlene Dietrich et Tallulah Bankhead étaient nos idoles dont on citait les bons mots… Et puis, c’est en faisant la fête avec tous ces gens que j’ai été engagée au théâtre pour la première fois. J’y croisais tous les soirs Paloma Picasso flanquée de son mari Raphaël Lopez-Sanchez et Javier Arroyuelo, les Argentins du groupe TSE dont j’avais adoré les premiers spectacles. Je leur ai dit que j’adorerais travailler avec eux et ils m’ont écrit six rôles dans leur pièce Succès, dont Paloma signait costumes et décors. C’est aussi au Septque j’ai rencontré mon premier grand amour, Thadée Klossowski, le fils de Balthus, qui s’est ensuite marié avec Loulou de la Falaise, muse de Saint Laurent, et dont j’ai été le témoin de mariage ! C’est aussi là que Loulou m’a aidée à obtenir un job de vendeuse chez Kenzo qui venait d’ouvrir sa boutique place des Victoires. Le Sept, puis le Palace étaient des endroits où tout se passait. J’y ai aussi vu des concerts mémorables. Il faut savoir qu’avant d’être LA boîte de nuit à la mode, le Palace était depuis les années 1920 un music-hall où s’étaient produits de grands artistes tels que Polaire ou Maurice Chevalier. La scène ayant été conservée quand il a été transformé en boîte par Emaer, j’y ai vu des shows époustouflants de Grace Jones, Tom Waits et Tina Turner !
Y avait-il réellement un grand mélange au Sept ? Était-il facile d’y entrer sans être riche ou célèbre ?
Si votre personnalité plaisait au physio ou à Fabrice Emaer, on vous laissait entrer ! C’était un club select, mais la sélection ne se faisait pas sur l’argent. En revanche, comme l’endroit n’était pas immense, il y avait une sélection assez pointue. C’est vraiment au Palace que Fabrice Emaer a ensuite pu réaliser le grand mélange dont il rêvait.
Vous étiez à l’ouverture du Palace ?
Évidemment ! J’ai fait l’ouverture en 1978 ! J’y suis allée avec Thadée qui, avec Loulou de la Falaise, faisait partie de la bande Saint Laurent. J’étais donc dans leur sillon. Et à partir de ce jour, j’ai fait la fermeture de l’établissement tous les soirs pendant des années. Au bout de quelque temps, j’y ai même eu ma table, en haut des grandes marches.
Oui, pendant à peu près dix ans, j’étais tous les soirs en boîte de nuit, quasiment sans jour de relâche ! C’était notre vie. Le soir danser, boire, rire, baiser. Et les week-ends aller chiner aux puces des fringues marrantes pour sortir le soir. Tout ça sans vraiment gagner d’argent ! Aujourd’hui encore je me demande comment j’ai tenu et je n’arrive pas trop à me l’expliquer. Ça s’est fait comme ça. Tout roulait, c’était facile. On était insouciants, on se débrouillait toujours. Ça paraît fou aujourd’hui. Et puis, au Palace comme au Sept, je ne payais presque jamais. Fabrice Emaer, les barmans et les fêtards plus riches que nous étaient toujours là pour nous payer des tournées. J’appartenais à cette petite faune de personnages qui n’étaient pas des célébrités, mais qui faisaient l’esprit de l’endroit et que la direction rinçait à l’œil. Nous faisions partie du décor. Il y avait notamment Edwige Belmore, Paquita Paquin, Jenny Bel’Air, Christian Louboutin, Eva Ionesco, Farida Khelfa, Philippe Gautier qui a ensuite réalisé les clips des Rita Mitsouko et celui de ma chanson, C’est la ouate… Tous ces gens ont fait le Palace et le Palace les a faits. Et puis la chose inédite, c’était que dans cet endroit en vogue où tout se passait, la banlieue entrait ! Si des jeunes banlieusards se présentaient lookés, avec une personnalité forte et originale, ils avaient toutes les chances d’être admis. Fabrice Emaer était de gauche et voulait faire du Palace une utopie ! Et ça a fonctionné. Il y avait des Noirs, des Blancs, des Arabes, des pauvres, des riches, des homos, des hétéros, et tout ça, dans un grand délire et dans un style absolument éblouissant. C’est dingue de se dire qu’à cette époque, des petits jeunes de banlieue qui sortaient de nulle part et qui n’avaient pas une thune pouvaient le soir croiser Warhol, danser avec Paloma Picasso ou Saint Laurent et boire des coups avec Mick Jagger, Aragon ou Roland Barthes.
À vous entendre, le Palace était un ascenseur social !
Bien sûr. Vous n’étiez rien, vous arriviez au Palace, vous faisiez la fête avec des gens que vous ne connaissiez pas, et ces gens, parfois, vous engageaient pour être mannequin, chanteur ou acteur. C’était des années très faciles, franchement. Mon tube La Ouate s’est fait comme ça, avec mon copain Pierre Grillet qui était l’un de mes potes de boîte. Quelques paroles écrites sur un carnet, deux ou trois allers-retours sur le texte, une maquette réalisée par Philippe Chany que j’avais croisé dans le studio de Mondino à l’époque où je travaillais avec lui comme styliste photo, puis un coup de fil à mon ami Stephan (celui qui m’a emmenée au Sept la première fois) pour récupérer les 3 000 francs qui manquaient pour aller en studio, et c’était fait ! Au Palace, tous les milieux artistiques étaient réunis : la mode, le cinéma, le théâtre, la musique, la photographie, la peinture… C’était un immense bouillon de culture, gai et incroyablement créatif. Et puis il y avait de l’argent, et il circulait…
J’ai entendu dire qu’à l’époque, vous faisiez des strip-teases forains. Qu’est-ce que c’était exactement ?
Des strip-teases dans les fêtes foraines ! Une ancienne strip-teaseuse dénommée Zezette en était l’organisatrice. Elle avait un petit camion qu’elle trimballait d’une fête à l’autre, dans le Sud, et dans lequel elle faisait faire des strip-teases à des filles qu’elle engageait. Pour quelques week-ends, j’ai été de celles-là. Au cul du camion, elle avait installé une petite estrade sur laquelle nous nous trémoussions sur de la musique pour appâter le client. Pour nous voir nous désaper sous la tente attenante au camion, les types devaient payer dix francs. On gagnait un peu de sous pour nous acheter des fringues ou se payer des coups et le lendemain soir on se retrouvait sur la piste de danse du Palace avec le Tout-Paris ! Marie Beltrami, Paquita Paquin et même Sophie Calle l’on fait ! On était en roue libre et punks dans l’âme.
Et la drogue ?
Tout le monde en prenait. Ça faisait partie de notre mode de vie. Alors, évidemment qu’avec la drogue on se perd, je n’ai pas que des bons souvenirs de tout ça… Mais ces années-là auraient-elles été aussi festives sans ça ? Ce qui est sûr, c’est que je n’ai aucune nostalgie de la défonce. Je ne vais pas dire que c’était génial, mais ça faisait partie du truc. On sortait, on dansait, on se défonçait, on baisait. Ça, on baisait à l’époque ! Les pédés couchaient avec des filles, les mecs hétéros avec des pédés, les filles avec des filles… enfin, on faisait tout ! Ça circulait ! Le sida a sifflé la fin de la récré. Ça a été une sacrée gueule de bois !
Et vos parents ? Que disaient-ils de tout ça ?
Ils ne comprenaient pas très bien ce qu’on faisait et étaient eux-mêmes très occupés à jouir sans entraves… Il ne faut pas oublier que c’est peu de temps après Mai 68 et que tous les codes sociaux avaient explosé. Je me souviens qu’un lendemain de soirée, alors qu’on voyait bien que j’avais exagérément fait la fête toute la nuit, mon père avait eu pour unique question : « Et comment va Paloma ? » Le plus dur, ça a été pour les très jeunes comme Cyrille Puttman, le fils d’Andrée qui avait fait la déco du Palace, et Eva Ionesco qui en a d’ailleurs fait un très beau livre intitulé Les Enfants de la nuit. C’étaient des enfants lâchés dans ce monde nocturne décadent et sans limites. Ils l’ont payé cher.
Je sais que vous n’aimez pas le passéisme, mais si vous deviez choisir entre avoir 20 ans dans ces années-là et aujourd’hui, que choisiriez-vous ?
Caroline Loeb est en tournée avec « Françoise par Sagan », mis en scène par Alex Lutz, et avec « Les Caroline », spectacle-cabaret aux côtés de Caroline Montier.
C’est difficile de répondre. Mais je pense que c’était plus facile et plus fun à l’époque dans les années Palace. Malgré le côté un peu trash, il y avait aussi une légèreté qui s’est un peu perdue. Aujourd’hui la période est assez puritaine, une certaine morosité s’est installée. Les dernières fois où je suis allée dans une boîte de nuit, j’étais frappée par le conformisme qui y régnait ; tout le monde était habillé pareil, un modèle de fille et un modèle de garçon, point. Ken et Barbie. Il y a un véritable conformisme dans tous les milieux, que ça soit un conformisme rock, baba ou BCBG. Quand j’avais 20 ans, on était tous différents. Au Palace, on était des personnages, des pièces uniques. C’était d’ailleurs la condition pour y entrer. C’était notre théâtre !
Much ado about nothing. (En v.o.) – Beaucoup de bruit pour rien (En v.f.) Shakespeare.
N’importe quelle publicité est une bonne publicité. Andy Warhol.
Le fracas dans lequel se trouve engluée la population gazaouie n’est rien en comparaison de la dernière controverse entourant le dernier épisode de l’Eurovision.
Grâce aux révélations de deux éminents dignitaires de LFI, l’eurodéputée Rima Hassan et le député Aymeric Caron, on apprend, d’abord, qu’était inconvenante à elle seule la participation d’Israël à ce concours, qu’elle « perturbe ». Par ailleurs, plus sinistre, les résultats auraient été influencés vu qu’une société israélienne, Moroccanoil, en est un des grands commanditaires. Enfin, les votes auraient été carrément truqués.
À première vue, on constate un recyclage des poncifs millénaires concernant le contrôle juif des institutions ; on se souviendra notamment du chef d’œuvre historique en la matière : le protocole des sages de Sion, concocté dans la Russie tsariste par d’indéniables érudits cependant puisqu’il s’agissait d’un plagiat du pamphlet satirique de 1864 visant Napoléon III Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu de Maurice Joly. Plus récemment, aux États-Unis, en 2018, la pimpante élue à la chambre des représentantes, Marjorie Taylor-Greene, attribua même des incendies de forêts en Californie à des lasers spatiaux juifs.
Deux poids, deux mesures ?
Quant à la participation d’Israël à cette fête musicale, vu l’exclusion de la Sainte Russie, aux fins de l’argumentation, on admettra qu’il y a eu 2 poids 2 mesures, encore que l’on peut se demander si cette mesure a pu servir à quoi que ce soit. L’histoire enseigne que les boycotts, même économiques, a fortiori sportifs ou artistiques, sont trop souvent illusoires et n’ont qu’une valeur symbolique vide (cf. l’Afrique du Sud de l’apartheid, la Rhodésie, l’Union soviétique et les jeux olympiques de 1980, etc.).
Mais quid de la question la plus angoissante, la plus existentielle, la plus civilisationnelle : celle de la sincérité des votes ?
Vu les informations disponibles au grand public, il semble y avoir eu de préalables publicités bien ciblées au profit de la candidate israélienne. Doit-on parler de l’inobservation de l’esprit des règles ? Peut-être. Mais la lettre semble intacte. Et s’il s’agissait de donner à Israël une meilleure visibilité sur la scène internationale, on peut douter de l’efficacité de la tactique au regard de l’actualité. Quoiqu’il en soit, l’artiste israélienne a fini deuxième au palmarès et non pas première. À supposer même qu’il y a eu manipulations, il y a plus inquiétant sur le plan démocratique et du droit international humanitaire.
Une indignation contre-productive
On comprend mal la bruyante indignation cocardière de M. Caron et de Mme Hassan, qui sont tombés dans leur propre piège en assurant une notoriété accrue à la chanteuse honnie. Une faute typiquement franchouillarde.
Cependant, cette cocasse polémique a eu ceci de positif que les parties opposées ont trouvé un terrain d’entente en donnant une importance encore plus grande à un spectacle de variété que l’on peut charitablement qualifier de kitsch (Les téléspectateurs hors Hexagone comprendront peut-être mieux l’adjectif « tacky » ; en bon Québécois, on dit « quétaine »), animation du patelin et indéboulonnable Stéphane Bern oblige ; cela dit sans nier la qualité de la prestation de la candidate française malheureuse, dont l’émouvante chanson est digne d’éloges.
Que Louane, Aymeric Caron et Rima Hassan, et leurs compatriotes, se rassurent : il y a une vie après l’Eurovision. Au moins pour eux.
Andrew Norfolk est mort le 8 mai. Le grand reporter du Times avait révélé le scandale des grooming gangs, ces viols à grande échelle commis par des hommes d’origine pakistanaise dans le nord de l’Angleterre. Un travail d’enquête exemplaire qui aurait dû avoir l’effet d’une bombe
Le 8 mai, Andrew Norfolk, grand reporter du journal de référence britannique The Times, est décédé à l’âge de 60 ans. Il lui revient le mérite d’avoir fait plus que tout autre journaliste pour révéler le scandale des « grooming gangs ». Ces derniers pratiquaient dans différentes villes anglaises le « pédopiégeage de rue en bande », c’est-à-dire qu’ils ciblaient des jeunes filles blanches mineures qu’ils rendaient dépendantes de la drogue et qu’ensuite ils violaient, souvent en réunion, en les torturant physiquement et mentalement. Ces bandes, composées majoritairement d’hommes d’ascendance pakistanaise, ont pu opérer avec impunité pendant des années, parce qu’employés des services sociaux et élus locaux craignaient d’être accusés d’islamophobie, et que la police, par sexisme et mépris de classe, se désintéressait des cas de ces « petites prostituées ». Déjà en 2003, une élue parlementaire de la ville de Bradford a dénoncé des cas d’abus sexuel de jeunes filles, mais l’affaire a été étouffée. L’année suivante, un documentaire sur la question tourné par la chaîne de télévision Channel 4, a été déprogrammé de peur qu’il sape la « cohésion communautaire ».
Correspondant de son journal pour le nord-est de l’Angleterre, Norfolk a commencé à enquêter en 2010. Son point de départ a été la condamnation de cinq hommes pour l’abus sexuel de filles âgées entre 12 et 16 ans dans la ville de Rotherham. Il y a décelé une tendance plus générale impliquant des hommes issus de l’immigration. En janvier 2011, la une du Times titrait sur cette « conspiration du silence ». Son rédac’ chef lui demande alors de se consacrer à la question à plein temps. Il s’est mis à recueillir les témoignages de nombreuses victimes, expérience naturellement très éprouvante. À partir de 2012, une série de ses reportages détaille toute l’horreur des crimes, suscitant plusieurs commissions d’enquête officielles, notamment sur les gangs de Rotherham, où le nombre de victimes avoisinerait les 1 400. La première réaction du conseil municipal est de demander à la police d’enquêter sur la source de la fuite ! Enfin contraint d’ordonner une vraie enquête, le président du conseil la justifie ainsi : « Le Times ne voulait pas nous laisser en paix. »
Norfolk n’était pas de droite, mais cela ne l’a pas empêché de recevoir une avalanche de messages de haine, l’accusant d’être islamophobe, ainsi que des menaces de mort. Ses reportages ont changé la donne. Avant, c’était l’omerta générale ; après, presque plus obscène encore, politiques et journalistes progressistes ont tout fait pour nier l’évidence, minimiser les faits, et noyer les statistiques dans des calculs foireux. Mais personne ne pouvait nier la qualité du travail de Norfolk, à qui a été décerné le prix de « Journaliste de l’année » en 2014. Ancien fumeur à la chaîne, il est mort quelques mois seulement après avoir pris sa retraite. Le Premier ministre travailliste, sir Keir Starmer lui a rendu hommage, mais il refuse toujours une grande enquête sur le phénomène des grooming gangs parce que cela ne montrerait pas son parti sous la meilleure lumière. Pour notre part, remercions un confrère qui honore sa profession.
À la suite de l’opération militaire spectaculaire «Midnight Hammer» menée par les États-Unis, l’équilibre stratégique au Moyen-Orient a été profondément ébranlé. Bien que les dégâts infligés au programme nucléaire iranien soient jugés considérables, le régime, affaibli mais toujours en place, intensifie la répression intérieure, tandis que la menace d’une relance de ses activités nucléaires demeure intacte. Et on ne sait pas vraiment où se terre le « Guide Suprême » Khamenei…
C’était il y a une éternité, un peu moins d’une semaine. Dans la nuit du 20 au 21 juin, sept bombardiers B2 Spirit quittent leur base du Missouri. Alourdis par leurs 27 tonnes d’armement, deux bombes GBU 57 conçues pour pénétrer des bunkers profondément enfouis, les avions vont suivre, à vitesse de croisière réduite, un trajet de 18 heures avec deux ravitaillements en vol.
Une chorégraphie parfaite
Au-dessus du territoire iranien, accompagnés d’une flotte de protection, ils bombardent les sites d’enrichissement de Fordo et de Natanz et le centre de recherches d’Ispahan. Ce centre convertissait l’oxyde d’uranium en hexafluorure, la forme d’uranium qu’on insère dans les centrifugeuses pour l’enrichissement, mais il servait aussi aux recherches métallurgiques délicates pour le déclenchement adéquat de l’explosion nucléaire.
Une de l’hebdomadaire l’Express.
Mission accomplie. Déroulant une chorégraphie parfaite, les bombardiers américains sont rentrés à leur base sans un accroc, symboles d’une hyperpuissance américaine retrouvée, Bonnet rouge sur la tête, Make America Great Again, Donald Trump annonce que les sites nucléaires iraniens sont totalement anéantis. Le monde est soudain devenu plus léger. Trump salue Israël. De fait, en supprimant les possibilités de riposte, les Israéliens avaient assuré le succès du bombardement américain. Netanyahu avait diplomatiquement laissé Donald Trump s’attribuer la gloire de ce succès retentissant. Des affiches: « Merci Monsieur le président » couvraient les murs d’Israël.
Derniers feux
20 heures plus tard, Trump annonce sur son réseau social qu’un accord de cessez-le-feu entrerait en vigueur le lendemain à 6h. Dans l’intervalle, les Israéliens poursuivent les bombardements sur les installations militaires iraniennes. Les Iraniens envoient en représailles des missiles sur des installations civiles en Israël. L’un d’eux entraine cinq morts à Beersheva. La colère du président américain est tombée sur les Israéliens qui n’avaient pourtant pas violé la lettre de son horaire de cessez-le-feu. Quant à l’Iran, que Trump avait déjà remercié de ses bonnes manières, puisqu’il avait prévenu avant de bombarder la base américaine d’al-Udeid au Qatar, il a été encouragé à redevenir une grande nation commerciale. Changement d’alliances ? MIGA ? Make Iran grand again? Trump n’est pas suspect d’affinités avec les mollahs iraniens, il cherche à éviter le krach boursier résultant de la fermeture éventuelle du détroit d’Ormuzd, il a des relations de proximité avec le Qatar et avec Erdogan, mais ses liens avec Israël sont déterminants et on sait que beaucoup des mots qu’il prononce ne sont que des « paroles verbales »…
La réalité de l’anéantissement des centres de Fordow, de Natanz et Ispahan est mise en doute et le site construction au Sud de Natanz profondément enfoui dans une montagne du Zagros n’est même pas mentionné. Si les experts s’accordent à dire que les dommages sont massifs, les Iraniens prétendent qu’ils vont rapidement les réparer. Ils disent aussi d’ailleurs que le cessez-le-feu traduit leur victoire sur un ennemi israélien plongé dans la terreur, ce qui témoigne de l’exceptionnelle capacité au mensonge du régime de mollahs, que certains de nos hommes politiques considèrent comme un partenaire diplomatique comme un autre.
De fait, il est très vraisemblable que l’uranium enrichi au-dessus de 60% dont on rappelle qu’il n’a pas d’autre fonction que militaire, avait été retiré par précaution avant les bombardements. Suivant les experts, il y en aurait assez pour une dizaine de bombes atomiques. Le problème non encore résolu par les Iraniens serait celui de la réalisation technique d’une ogive à uranium qui puisse être lancée avec une fiabilité et une efficacité suffisantes à partir d’un missile balistique ou d’un missile de croisière. Plusieurs spécialistes en ce domaine ont été éliminés par les frappes israéliennes.
L’offensive israélienne, qui avait un caractère préventif, était indispensable. Elle a changé la donne au Moyen Orient et l’aide américaine, dont Donald Trump est le symbole, mais qui correspond aussi aux considérations stratégiques des experts militaires, a levé une très lourde hypothèque. A ce qui est publié aujourd’hui par les sources les plus fiables, en tenant compte des exagérations dont est coutumier le président américain, mais aussi de la volonté de certains organes d’information de minimiser, pour des raisons de positionnement idéologique, les succès «américano-sionistes», on peut raisonnablement conclure que le programme nucléaire iranien a subi des coups extrêmement durs et inespérés jusque-là. On peut en redouter aussi que des fragments importants de ce programme (préservation de matériel fissile, lanceurs non détruits, compétences scientifiques et techniques existantes) sont encore disponibles. Leur mise en œuvre éventuelle dépend en grande partie de l’efficacité des contrôles. Or le régime iranien, qui vient d’ailleurs de couper les relations avec l’IAEA, a joué efficacement au chat et à la souris avec cette organisation pendant de nombreuses années, continuant ses enrichissements, déplaçant ses activités et surtout en interdisant l’accès à certaines zones ou à certains centres. Les pays garants des accords se sont satisfaits à peu de frais des conclusions forcément incomplètes et ambiguës de l’AIEA, alors que les manœuvres du régime iranien pour masquer cette évidence qu’on ne construit pas des installations à 100 m sous une montagne pour y mettre une usine de fabrication d’isotopes radio-actifs à usage médical n’ont pas suscité, en dehors du départ des Etats-Unis du JCPOA en 2018, le mécanisme de « snap-back » (reprise des sanctions en cas de non-respect des accords) qu’il aurait dû légalement entrainer, mécanisme qui de toute façon va s’achever à la fin de l’année 2025 laissant alors toute liberté à l’Iran.
Prestige perdu
Le régime iranien, qui ne peut plus compter comme il l’a fait auparavant sur ses redoutables proxys, sort de cette « guerre des douze jours » affaibli et passablement ridiculisé, malgré les félicitations qu’il a reçues du Hezbollah, du Hamas et des Houthis pour ses « divines victoires ». Son prestige extérieur est atteint et la peur qu’il y suscite sera, on l’espère, très amoindrie. On doit admirer le professionnalisme extraordinaire des services de renseignement et de l’aviation israélienne et rendre hommage à la lucidité de Benjamin Netanyahu, qui toute sa vie politique durant, a considéré le régime des mollahs iraniens comme « le » danger existentiel pour Israël et qui a su tirer avantage d’une conjoncture favorable. N’oublions pas que, il y a 18 mois, Israël était face à sept fronts menaçants et qu’il a su les affaiblir considérablement les uns après les autres.
Il reste que le régime iranien ne s’est pas évaporé et que ses organes de répression n’ont pas été oblitérés. Ils ne le seraient d’ailleurs pas si le Guide Suprême Khamenei, un criminel dans tous les sens du terme, disparaissait. L’homme n’a jamais suscité la même dévotion que son prédécesseur et il est incapable de fomenter et d’incarner un mouvement de résistance populaire dépassant les limites des bénéficiaires du régime.
Il n’en reste pas moins que la violence de ce régime envers ceux qui le contestent (85% de la population, dit-on) risque d’augmenter encore, aussi bien contre les minorités que contre les très nombreux Iraniens désireux de vivre dans un pays démocratique. Un narratif de trahison se développe ; il sert d’explication commode aux innombrables défaillances militaires et permet de sévir encore plus et encore plus vite. Des milliers d’Iraniens auraient déjà été arrêtés sous ce motif depuis 12 jours et on peut s’attendre au pire.
Nous avons été abreuvés de doctes rappels sur les échecs de changement de régime imposés de l’extérieur. Il est vrai que les expériences en milieu musulman sont cinglantes. Encore faut-il analyser chaque situation dans sa diversité religieuse, ethnique, politique, culturelle et historique. En Iran il existe un peuple tout entier, avec des élites de haut niveau, qui aspire à ce dont nos peuples disposent avec une désinvolture négligente, la liberté.
Sans un changement de régime, il n’y aura pas de paix dans la région. Que l’Iran des mollahs tel qu’il est aujourd’hui, et en particulier ses Gardiens de la Révolution, ne soit pas mis depuis longtemps au ban des nations en dit long sur l’histoire de nos propres compromissions.
Rugby. Après une humiliation historique infligée par Toulouse à Bordeaux-Bègles en finale du Top 14 l’année dernière, les deux équipes se retrouvent à nouveau face à face samedi au Stade de France.
Samedi, il y aura tout juste un an, lors de la finale du championnat de France du Top-14, disputée à Marseille pour cause de JO et non au Stade de France comme le veut la tradition, L’Union Bordeaux-Bègles (UBB) avait encaissé face au Stade toulousain (ST) une monumentale déculottée (59-3), sans précédente à ce niveau de la compétition. Son adversaire lui avait passé pas moins de neuf essais dont quatre transformés et deux pénalités.
L’UBB favorite ?
Dix mois plus tard, en demi-finale de la Champion cup (coupe d’Europe), c’est Bordeaux-Bègles qui sortait à l’issue d’un match échevelé Toulouse par un 35 à 18, la frustrant d’un potentiel sixième sacre européen, après avoir franchi la ligne d’en-but à cinq reprises, réussi deux transformations, contre deux et une transformation pour la partie opposée, et deux pénalités de chaque côté.
En finale, à Dublin, en terre adverse, l’UBB s’est imposée par un 28 à 10, décrochant ainsi son premier titre, face au XV anglais de Northampton.
Du coup, la finale de ce samedi à Saint-Denis qui oppose pour la seconde fois consécutive les deux mêmes équipes, inaugurant peut-être un futur « clasico » du rugby, prend la tournure d’une double revanche, chacune voulant effacer l’affront subi. Mais les deux entraîneurs respectifs, Yannick Bru (UBB) et Hugo Mola (ST), ont implicitement réfuté qu’un esprit de revanche animent leurs joueurs, la culture du règlement de compte ne faisant pas partie du rugby. Même si Maxime Lucu, le capitaine de l’UBB, reconnaît que l’humiliation de Marseille « est toujours présente ». Mais ce n’est pas se venger que veut Bordeaux-Bègles mais se réhabiliter et Toulouse effacer un déboire de mauvais augure.
D’autant, singularité de ce match, que les joueurs des deux équipes ont l’habitude de jouer ensemble. Ils constituent l’ossature des Bleus et ont partagé la joie de remporter le Tournoi des Six nations, de vaincre les All Blacks. Toulouse fournit au XV français le gros des avants et Bordeaux-Bègles ses trois-quarts (dits la patrouille de France), et la charnière depuis la blessure d’Antoine Dupont. Disputer des matches sous le même maillot soude des fraternités et loyautés qui relativisent les rivalités de circonstance. Cette finale va donc opposer, en somme, deux moitiés de l’équipe de France, l’une à l’autre, deux conceptions du jeu, la puissance avec Toulouse, le mouvement avec Bordeaux-Bègles.
Sur le papier, l’UBB fait légèrement figure de favorite. En cette fin de saison, elle a le vent en poupe comme l’a démontré sa victoire en demi-finale contre Toulon par 39 à 14, grâce à quatre essais dont trois aplatis par son pilier, chevelure rousse et casqué, Maxime Lamothe. Réaliser un triplé en demi-finale est un exploit unique qui dément que la faiblesse de l’UBB soit désormais devant comme c’était sa réputation.
Depuis son élimination de la Champion cup, rappelons-le par Bordeaux-Bègles, Toulouse marque le pas malgré une saison exceptionnelle en dépit de l’absence du meilleur joueur du monde dont les fulgurances étaient souvent décisives, Antoine Dupont, victime d’une grave blessure qui risque d’hypothéquer le reste de sa carrière. En effet, le Stade toulousain a battu son record de points inscrits. Sur les 26 matches disputés, il en a marqué 891, soit une moyenne par rencontre de 34.
Réussite dans l’abnégation
Avant de rencontrer en demi-finale Bayonne et de s’imposer difficilement par un étriqué 32 à 25 et avoir cumulé 13 fautes, signe d’une fébrilité certaine, le Stade toulousain s’était incliné déjà contre Castres (28-23) et à domicile face au Racing (35-37), défaites mettant fin à une série de 38 succès consécutifs, un record. En outre, dans la phase des matches aller et retour du championnat, Bordeaux-Bègles a vaincu Toulouse les deux fois par 12-16 en visiteur et 32-24 à domicile.
« Le rugby, a dit Antoine Blondin, le chantre de l’Ovalie et du Tour de France, c’est l’art subtil de la réussite dans l’abnégation ». Devise qu’a su faire sienne Bordeaux-Bègles après l’électrochoc de Marseille.
Est-ce que l’UBB, détentrice d’un seul titre conquis cette année après 20 ans d’existence infructueux, confirmera son ascension en défaisant la plus titrée des équipes françaises, le Stade toulousain (23 championnats de France dont quatre des cinq dernières éditions, plus cinq coupes d’Europe) ? Le discret président bordelais-béglois, Laurent Marti, avait confié à Sud-Ouest, le quotidien de Bordeaux, après la victoire contre Northampton, que le bouclier de Brennus, qui récompense le titre de champion de France, avait pour lui plus de valeur que la coupe d’Europe.
Dans un entretien accordé à Sud-Ouest, l’ancien entraîneur de Toulouse, Guy Novès, qui a fait de ce club un des meilleurs d’Europe sinon le meilleur, a estimé que les jeunes joueurs de ce dernier « ont appris à connaître le goût de la défaite. Ils en avaient peut-être besoin pour se remettre en cause ».
Et, un fabuliste, au vu du parcours réciproques des deux finalistes, aurait pu, lui, conclure que c’est le goût de la défaite qui donne sa saveur à la victoire. En tout cas, le match de samedi s’annonce fabuleux. Il reste aux deux équipes à le confirmer.
Terrible désillusion pour l’Olympique lyonnais, qualifié pour la Ligue Europa dans les dernières minutes du championnat, mais relégué en Ligue 2 suite à la décision de la DNCG. Derrière cette descente aux enfers, c’est toute la logique des multipropriétés de John Textor dans le football qui est critiquée
23 février 2025. À l’occasion de la venue du Paris-Saint-Germain dans l’antre de l’Olympique lyonnais, John Textor apparaissait un chapeau de cowboy sur la tête, qu’il retira au moment de saluer les deux virages du Groupama Stadium. La facétie était en réalité une pique adressée au propriétaire du PSG qui l’avait renvoyé à ses origines américaines peu de temps auparavant. Ce jour-là, les fans de l’OL ont probablement pensé qu’il valait mieux avoir à la tête de leur club un magnat américain qu’un homme d’affaires qatari.
C’est pas de la bombe, bébé
Quelques mois plus tard, ils déchantent. Tandis que les Parisiens ont remporté la Ligue des champions, l’Olympique lyonnais vient d’être relégué en Ligue 2 par la Direction nationale de contrôle et de gestion (DNCG), gendarme du football français dont le sigle fait penser à une officine du renseignement. Faute de garantie financière, l’OL est donc rétrogradé et son propriétaire pris pour cible : les Bad Gones, principal groupe de supporters du club, animant le Virage nord du stade, n’ont pas manqué d’afficher des calicots hostiles sur les ponts de la capitale des Gaules. La guerre est déclarée : heureusement, Textor ne possède pas dans son arsenal de bombe GBU-571 pour anéantir les BG872.
Évidemment, c’est tout un système et même une vision du football qui sont une nouvelle fois interrogés. Lyon, autrefois entre les mains sûres de Jean-Michel Aulas, appartient désormais à une de ces galaxies de clubs détenus par le même propriétaire. Ces multipropriétés sont un des cancers du football moderne, car chaque entité n’est qu’une variable d’ajustement d’un projet global, faisant fi des particularités locales et des histoires propres à chaque blason. Ailleurs dans la noria textorienne, la colère gronde d’ailleurs aussi.
Molenbeek, Londres…
Dimanche dernier, plusieurs centaines de sympathisants du RWDM, club populaire bruxellois, effectuaient une marche pour dénoncer le changement de nom de leur club. Pour le mi-clown, mi-tycoon américain, le M du sigle, qui renvoie à Molenbeek où évolue le club, n’est pas vendeur en raison de la sulfureuse réputation de la commune. Pourtant, les supporters du RWDM sont majoritairement issus de la classe populaire blanche, parfois émigrée ailleurs dans la Région bruxelloise ou dans les Brabant flamand et wallon ; leurs ultras penchent quant à eux clairement à droite. Rien à voir avec des islamistes donc.
Dans la galaxie Textor, Crystal Palace est à peine mieux loti. Le club de la capitale londonienne, situé dans le quartier qui avait accueilli l’exposition universelle de 1851, végète dans le ventre mou de la Premier League, loin du prestige des clubs de Manchester, de Liverpool ou de Chelsea. Si le club a remporté la dernière Coupe d’Angleterre, il n’est pas certain qu’il puisse participer à la prochaine Coupe d’Europe en raison justement de la double casquette de son actionnaire principal. Pour se prémunir d’un nouvel affront, il vient de revendre ses parts dans le club londonien à… un autre Américain fortuné.
Dans leur malheur, les supporters lyonnais verront peut-être un espoir et un réconfort : un appel à la décision de relégation est possible et, si celui-ci devait ne pas aboutir, ils auront la possibilité de vivre un derby face à l’ennemi stéphanois la saison prochaine. Une rivalité dont John Textor ne comprend sans doute pas la portée…
GBU-57 : bombe anti-bunker américaine utilisée récemment en Iran ↩︎
Chaque année, à l’approche des examens, les syndicats de profs dénoncent la « surcharge » pesant sur les enseignants mobilisés pour le bac de français. Pourtant, entre exigences orthographiques et grammaticales revues à la baisse et consignes de correction assouplies, tout semble fait pour leur simplifier la tâche…
« Le ministère ne veut pas comprendre la charge de travail qui s’abat sur les collègues convoqué.es comme jury de bac. En français et philosophie, la pression est même insoutenable »1. C’est le SNES-FSU qui l’affirme, dans un communiqué de presse du 12 juin 2025, avec un appel à la grève en appendice. Comme tous les ans. Enfin, avec ce motif, puisque l’appel à la grève, dans l’Éducation nationale, c’est plutôt toutes les quatre à six semaines. Alors pourquoi cette participation aux examens, charge normale d’emploi et obligation de service, pèse-t-elle si lourdement sur les épaules et le « mental » des professeurs ? Cette revendication syndicale est-elle justifiée ?
C’est faire fi des efforts de l’Institution pour leur alléger la tâche. Tout d’abord, elle veille à ce qu’il n’y ait pas trop de contenu : quatre œuvres étudiées en français pendant l’année de première et des parcours de lecture associés qui n’en sont plus (des 24 textes prévus par la réforme Blanquer pour l’oral de français, on est arrivé à 16 textes en 2024). Ensuite, les commissions d’entente académiques enjoignent aux correcteurs de « relâcher la pression » : les corrigés nationaux des dissertations sont à considérer « comme une proposition de pistes et non la représentation de ce que l’on doit s’attendre à trouver dans les copies d’élèves » ; on n’exige (surtout) pas une « organisation canonique en trois parties elles-mêmes constituées de trois sous-parties » pour le commentaire et on ne sanctionnera pas « l’absence de paragraphes » ; pas de « pénalité supplémentaire comme cela pouvait se faire lors des sessions précédentes » quand l’orthographe et la syntaxe sont défaillantes. En d’autres termes, on souffle, on se détend, on libère les chakras.
Enfin, copies et correction sont dématérialisées via le logiciel Santorin2, gage d’un voyage mémorable. Comme l’île égéenne, il offre, cette année, des panoramas variés. Autant que de copies : un morceau de rap, des vœux de bonne correction, une déclaration suicidaire de huit pages, une recette de tiramisu pour 24 personnes… Parfois, l’Éducation nationale y appose un pictogramme : un bonhomme aux bras levés qui signale, depuis l’année dernière, les copies de certains « candidats en situation de handicap » et, par surcroît, édition 2025, des « élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) ». Il est alors exigé du correcteur qu’il ne prenne pas en compte « la qualité rédactionnelle dont l’orthographe » : cerise sur le tiramisu. Ainsi, pour briller au bac de français, mieux vaut ne pas le parler. Le baccalauréat de français sans français, ni Français.
Il faudrait songer à rebaptiser le programme Santorin. Cap sur Lampedusa, lège, voile au vent : de quoi se refaire une santé ! Et le SNES se plaint ?
Communiqué de presse du SNES-FSU, 12 juin 2025 https://www.snes.edu/article/communiques/alerte-sur-le-bac-2025/ ↩︎
Le « Systeme d’Aide Numérique à la noTatiOn et corRectIoN » nommé SANTORIN est un service intégré à CYCLADES se donnant pour mission de gérer la correction dématérialisée d’examens/concours. ↩︎