Accueil Site Page 18

Les Hommes – et Femmes – du président

0

On savait que Donald Trump voulait que son retour à la Maison Blanche déclenche une véritable révolution gouvernementale. Qui sont les personnalités dont il s’entoure pour arriver à ses fins ? Gerald Olivier, grand spécialiste des États-Unis, passe en revue les différentes nominations du président. D’abord, le « cabinet », c’est-à-dire ceux à qui il confie les portefeuilles de son administration. Demain, un second article traitera du « bureau exécutif » de Trump, constitué de ses plus proches conseillers.


Donald Trump avait promis de se mettre au travail dès le 1er jour et d’agir vite et fort. Il a tenu promesse. Il est même allé au-delà. Depuis le 20 janvier Washington est pris dans un tourbillon d’activité que le pays n’a pas connu depuis les premiers jours de l’administration Roosevelt en 1933.

Le président Trump a signé plus de deux cents décrets. Il a effectué trois déplacements, deux dans des zones récemment touchées par des catastrophes naturelles et humaines, la Caroline du Nord et Los Angeles, une au Nevada pour remercier ses supporters qui lui ont offert une victoire historique en novembre. Il s’est adressé aux plus grands chefs d’entreprises du monde réunis à Davos, pour leur dire que l’ère de la récréation globaliste et wokiste était finie. Désormais les États-Unis seront guidés par le bon sens et il n’y aura pas de meilleur endroit dans le monde pour investir. Il a donné une demi-douzaine de conférences de presse, certaines impromptues, et répondu à des dizaines de questions dont aucune ne lui avait été communiqué à l’avance et sans avoir besoin de lire une fiche. Il est même venu lui-même dans la salle de presse de la Maison Blanche, accompagné du vice-président, du nouveau secrétaire à la Défense, et du nouveau secrétaire aux Transports pour faire le point après la tragique collision d’un avion de ligne et d’un hélicoptère militaire au-dessus de Washington.

De mémoire de journaliste, jamais une nouvelle administration américaine n’a paru aussi active, impliquée et motivée. En dehors des décrets que Trump continue de signer, les deux premières semaines de son administration ont été dominées par les audiences de confirmation des membres de son cabinet et de son administration. L’occasion de revenir sur qui est qui et qui fait quoi aujourd’hui autour de Donald Trump. 

Le « cabinet » et le « bureau exécutif »

Pour rappel, il n’existe pas de « Premier ministre » aux États-Unis. Le président est à la tête  de son administration et conduit la nation. C’est lui qui cible l’objectif, donne le cap, décrit le chemin et dirige la manœuvre. Il est entouré d’un cabinet et d’un bureau exécutif.

Le « cabinet » se compose de quinze secrétaires, nommés par le président. Equivalents de ministres ils ont en charge la Justice (Attorney General), la Défense, le Trésor, la Sécurité intérieure (Homeland Security), les Affaires étrangères (State Department), l’Agriculture, le Commerce, l’Éducation, l’Énergie, la Santé (Health and Human Services), le Logement (Housing and Urban Development), le Territoire (Interior), le Travail, les Transports, et les Anciens combattants (Veterans Affairs). Le bureau exécutif rassemble un nombre variable de conseillers en lien direct avec le président : il s’agit du Directeur du renseignement national, du Conseiller à la sécurité nationale, de l’Ambassadeur à l’ONU, du Représentant aux échanges commerciaux, du Directeur de l’Agence pour la protection de l’environnement, du bureau du Budget (OMB, Office of Management and Budget), et d’autres. 

Donald Trump s’est adjoint un conseiller exceptionnel très spécial, Elon Musk, qu’il a placé à la tête d’un tout nouveau département le DOGE, pour « Department of Government Efficiency ». Musk a pour tâche de tailler dans la bureaucratie pour rendre l’action du gouvernement plus efficace et moins coûteuse. Au départ il était secondé par Vivek Ramaswamy, milliardaire et ancien candidat présidentiel républicain. Mais Ramaswamy s’est retiré dès les premiers jours, tant il est difficile d’exister à côté de Musk…

Le président peut également révoquer les directeurs de plusieurs grandes agences gouvernementales pour les remplacer par des gens à lui. Ce que Trump ne s’est pas privé de faire à la CIA et au FBI. Enfin il a nommé un nouveau « tsar de la frontière ». Quelles sont donc les personnalités nommées par Trump aux postes-clés de son cabinet ? 

Dircab et porte-parole

Le directeur de cabinet du président (White House Chief of Staff) est la personne incontournable à la Maison Blanche. Elle gère l’agenda du président et son accessibilité. Le pronom « elle » est ici approprié car pour la première fois de l’histoire des États-Unis le directeur de cabinet du président est une femme. Elle s’appelle Susie Wiles. Elle a 67 ans, vient de Floride. C’est elle qui a dirigé la campagne présidentielle de Donald Trump en 2024. Wiles possède 45 ans d’expérience politique ayant commencé comme assistante dans la campagne de Ronald Reagan en 1980… 

A lire aussi: La Dame de glace: la botte secrète de Donald Trump

Le propre d’un bon directeur de cabinet est de travailler en coulisse et d’être invisible du grand public. Les Américains verront très peu Susie Wiles. Le visage de l’administration sera celui d’une jeune femme blonde de 27 ans, Karoline Leavitt. Elle a été désignée porte-parole de la Maison Blanche. Elle sera l’interlocutrice des journalistes et dirigera tous les points presse. Sa jeunesse, ses compétences et son dynamisme sont à l’image de la nouvelle administration Trump. Née en 1997, Leavitt est diplômée de Saint Anselm College, une institution privée catholique du New Hampshire. Elle a soutenu Trump dès sa première candidature présidentielle, en juin 2015, alors qu’elle n’avait pas encore l’âge de voter et elle a fait ses classes auprès d’Elise Stéfanik, représentante républicaine de New York, devenue ambassadrice à l’ONU. 

Chris LaCivita et Susie Wiles, Washington, août 2023 © Alex Brandon/AP/SIPA

Karoline Leavitt a déjà donné plusieurs « briefings » devant la presse où elle a démontré sa connaissance des dossiers – elle s’est présentée sans la moindre note écrite – et son aplomb face aux journalistes et leurs questions parfois pernicieuses. Importante nouveauté, les conférences de presse de la Maison Blanche sont désormais ouvertes aux médias sur internet et au « podcasters ». Au grand dam des médias traditionnels, comme le New York Times ou CNN, qui n’ont plus de monopole d’accès au président. Ces auditions permettent de constater combien Donald Trump a rassemblé autour de lui une équipe de collaborateurs dévoués et loyaux, avec pour mission de recentrer leur ministère sur sa tâche centrale et d’éliminer l’emprise idéologique et en particulier le venin du wokisme au sein de la bureaucratie. Bref, faire le ménage à Washington.

Les grands portefeuilles

Au département d’État, Trump a nommé Marco Rubio, 53 ans, sénateur de Floride, ancien candidat à la présidence chez les Républicains, Américain d’origine cubaine, anti-communiste pur jus et un partisan d’une Amérique forte. Il a déjà tourné son regard vers l’Amérique latine, effectuant son premier déplacement international à Panama le 31 janvier. Lors de son audience de confirmation Rubio a résumé les principes de la politique étrangère de Trump en trois notions simples :  si une politique rend les États-Unis plus forts, plus sûrs et plus prospères, elle sera adoptée. Dans le cas contraire, elle sera rejetée.

Au Pentagone, le département de la Défense, Trump a nommé Peter Hegseth, un ancien marine de 44 ans, dont la mission sera de faire le ménage à l’intérieur de l’armée pour en éliminer le venin « wokiste » que les administrations Obama et Biden ont laissé s’infiltrer. Hegseth arrive sans expérience à un tel poste ce qui indique que Donald Trump entend exercer tout seul le rôle de commandant en chef des armées, que la Constitution lui réserve. Les Démocrates ont dénoncé son manque d’expérience et ont attaqué son caractère lors de son audience de confirmation. Sans le déstabiliser. Ni faire dérailler sa nomination. Hegseth a prêté serment le 27 janvier.  

Au Trésor, Trump a désigné Scott Bessent, un manager de fonds d’investissement de 62 ans. Bessent, comme Trump, croit à la vertu des tarifs douaniers. Il y voit une source de revenus et une protection pour l’emploi. Bessent est homosexuel et sa nomination à un tel poste est également historique. Très à l’aise lors de ses audiences de confirmation, Bessent a insisté sur ses trois priorités : favoriser la croissance économique, lutter contre l’inflation, soutenir la réindustrialisation des États-Unis. 

Le département de la Justice sera dirigé par une autre femme, Pam Bondi, qui a occupé ce poste pendant huit ans en Floride. Initialement Trump avait désigné Matt Gaetz, un jeune élu conservateur de Floride. Mais Gaetz, très controversé et visé par une enquête interne du Congrès, a retiré sa candidature et Trump s’est tourné vers Bondi, qui a déjà travaillé au sein de la Maison Blanche lors du premier procès en destitution intenté contre Trump en 2020. C’est une jolie femme blonde aux cheveux raides qui a 59 ans mais en paraît 39 ! Sa tâche sera de recentrer le département de la Justice sur sa fonction originelle, la lutte contre la criminalité et d’assurer qu’il existe bien aux États-Unis une seule et même justice pour tous. Sous l’administration Biden et la direction de son Attorney General Merrick Garland, la justice américaine a été instrumentalisée et détournée pour nuire aux conservateurs, aux catholiques et aux supporters de Trump.

Éliminer le wokisme

Le Département de la Sécurité Intérieure (DHS) a été confié à Kristi Noem, gouverneur du Dakota du Sud depuis 2018. Noem est une femme de 53 ans qui s’est fait connaître sur le plan national en 2020 et 2021 lors de la pandémie du Covid-19 en s’opposant à la fois au confinement généralisé et à la vaccination obligatoire. Noem est une femme de caractère qui avait été un temps considérée pour le poste de vice-président. Le DHS est un énorme ministère, créé dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, chargé de la sécurité intérieure des États-Unis et de la lutte contre l’immigration clandestine.

A la santé Trump a désigné Robert Kennedy Jr, neveu de président John Kennedy, et un temps candidat présidentiel démocrate puis indépendant. Kennedy Jr est un inclassable trublion de 70 ans, qui a mené une carrière d’avocat au service de causes environnementales et qui s’est fait connaître comme un ardent défenseur de la liberté d’expression et des libertés individuelles à l’occasion de la pandémie de Covid. Ce n’est pas un Républicain, et encore moins un conservateur. Il est même plutôt à gauche. En revanche, c’est un antisystème qui s’est toujours battu contre l’establishment et les liens incestueux entre l’industrie et la politique. Il s’est rapproché de Donald Trump durant la campagne présidentielle et a fini par se retirer de la course en sa faveur.

Le département de l’Énergie sera confié à Chris Wright, un dirigeant d’entreprise du secteur pétrolier, dont la tâche sera de réaliser l’une des promesses les plus emblématiques de Donald Trump, redonner aux États-Unis une place dominante dans le secteur énergétique. Wright estime « qu’il n’existe pas d’énergie propre, ni d’énergie sale ». Il va développer « toutes les sources sures, peut coûteuses et fiables, pour sécuriser l’approvisionnement américain ».

A lire aussi, Elisabeth Lévy: La guerre des nerds

Le territoire (Interior) a été confié à Doug Burgum, gouverneur du Dakota du Nord et bref candidat présidentiel républicain en 2024. Burgum vient d’un État dont l’économie dépend largement de l’énergie et il sera l’un des artisans de la renaissance énergétique promise par Trump. Le département de l’Intérieur gère, entre autres, toutes les terres fédérales et délivre les permis d’exploration et d’exploitation. A ce titre Burgum sera aussi co-président du Conseil national de l’énergie que le président Trump entend mettre en place.

Trump a confié l’Éducation à Linda Mac Mahon, une femme chef d’entreprise de 76 ans qu’il connaît depuis des décennies et qui était en charge des petites et moyennes entreprises dans sa première administration. Sa tâche sera difficile et ingrate : un, éliminer toute l’idéologie « woke » qui ruine l’enseignement public ; deux, saborder son propre ministère que Trump estime trop couteux et inutile. Aux États-Unis l’éducation est l’affaire des États, pas du gouvernement fédéral. Ce ministère n’existait pas avant 1979 et les résultats des écoliers américains étaient alors bien meilleurs… 

A l’Agriculture, on trouve Brooke Rollins, une femme de 52 ans, déjà présente dans la première administration Trump et qui jusqu’à récemment dirigeait le America First Policy Institute, un club de pensée très influent auprès de Donald Trump. Originaire du Texas et fille d’agriculteurs, Rollins aura pour mission d’assainir le monde de l’agriculture aux États-Unis et d’assurer à la fois la prospérité des fermiers et une alimentation saine pour les Américains. Sa priorité sera de résoudre l’épidémie de grippe aviaire qui touche la volaille américaine et a entrainé l’abattage de dizaine de millions de poules pondeuses provoquant une hausse massive du prix des œufs.

Au Commerce, Trump a nommé Howard Lutnick, un millionnaire de la finance de 63 ans ans, PDG de Cantor Fitzgerald LP, une grande firme d’investissement de Wall Street. Comme Bessent, Lutnick est un partisan de tarifs douaniers élevés. 

Pour les autres portefeuilles, Trump a nommé au Logement (Housing and Urban Development), Scott Turner ; au département du Travail, Lori Chavez-DeRemer ; aux Transports, Sean Duffy ; et enfin aux Anciens combattants (Veterans Affairs), Doug Collins.

Découvrez la deuxième partie ici : Ceux qui murmurent à l’oreille de Trump


Sur la route de la Maison Blanche

Price: 18,00 €

18 used & new available from 10,43 €

Cover Up : Le clan Biden, l'Amérique et l'Etat profond

Price: 22,00 €

11 used & new available from 16,80 €

Cet article a tout d’abord été mis en ligne sur le blog de Gérald Olivier.

Emmanuel Macron et l’IA: 109 milliards d’euros pour une souveraineté numérique sous pavillon étranger

0

Intelligence artificielle. Le président Macron a annoncé dimanche un investissement de 109 milliards d’euros, « l’équivalent pour la France de ce que les États-Unis ont annoncé avec Stargate ». Mais quid de la souveraineté française, puisqu’il s’agit de capitaux majoritairement étrangers?


En réponse aux annonces de Donald Trump au sujet du plan « Stargate », un programme massif de 500 milliards de dollars destiné à asseoir la domination américaine sur l’intelligence artificielle, Emmanuel Macron a voulu donner le change en annonçant ce 9 février un investissement de 109 milliards d’euros pour faire de la France un leader européen du secteur.

Le montant est impressionnant, mais derrière la déclaration tapageuse, la réalité est tout autre. Quand « Stargate » est un projet pensé, financé et exécuté par des acteurs américains, au service exclusif des intérêts stratégiques des États-Unis, l’initiative annoncée par le président Macron repose sur des capitaux étrangers – notamment émiratis, canadiens et chinois, avec des participations indirectes de certains fonds américains.

À lire aussi: Causeur #131 Panique dans le camp du bien: la tech passe à droite

Parmi les investisseurs annoncés, on trouve le fonds canadien Brookfield qui injecte vingt milliards d’euros pour la construction d’un centre de données à Cambrai. Plus préoccupant, les Émirats arabes unis financeront un data center d’une capacité allant jusqu’à un gigawatt, qui fera partie d’un « campus » dédié à l’IA, présenté comme le plus grand d’Europe. Cet investissement, estimé entre trente et cinquante milliards d’euros, a été officialisé dans le cadre d’un accord signé en présence d’Emmanuel Macron et de Mohamed ben Zayed Al-Nahyane. Le président français a précisé que des investisseurs américains seraient également impliqués, tandis que des entreprises françaises comme Illiad, Orange et Thales n’interviendront que marginalement (pour moins de 10 %), loin derrière les financeurs étrangers.

Vulnérabilité

Qui contrôlera réellement ces infrastructures ? Quelles garanties existent pour que les données et technologies développées en France ne tombent pas sous influence étrangère ? Ces questions restent sans réponse, comme ce fut le cas lors de la création en 2019 du Health Data Hub, dans lequel les données de santé des Français furent confiées à Microsoft.

Les implications stratégiques de cette dépendance sont lourdes. En s’appuyant sur des capitaux étrangers, la France risque de perdre toute autonomie dans la gestion de ses infrastructures critiques. Le principal danger réside dans les vulnérabilités en matière de cybersécurité et d’espionnage industriel. En permettant à des investisseurs étrangers de financer et, potentiellement, de contrôler des infrastructures numériques stratégiques, la France s’expose à des risques accrus d’intrusions, de détournement de technologies et d’ingérences économiques. La dépendance technologique s’accompagne nécessairement d’une exposition accrue aux cyberattaques et à la perte de contrôle sur des innovations essentielles au futur de l’industrie et de la défense françaises.

Un exemple frappant de cette vulnérabilité est la cyberattaque subie par France Travail (anciennement Pôle emploi) en 2023, qui a compromis les données personnelles de millions de demandeurs d’emploi. Cet événement a mis en lumière les failles de la sécurité numérique de l’État et sa dépendance à des solutions étrangères puisqu’à la suite de cette attaque, France Travail a signé un contrat avec l’entreprise américaine Palantir (fondée et financée par la CIA) pour la gestion et l’hébergement de ses données. Si un tel schéma venait à se répéter dans le domaine de l’IA, les conséquences seraient encore plus lourdes pour l’économie et la souveraineté numérique française.

Cette dépendance, cette impuissance sous perfusion étrangère, naît du fait qu’au-delà des effets d’annonce, la France ne dispose d’aucune stratégie industrielle cohérente pour l’IA. Contrairement aux États-Unis qui, avec « Stargate », mettent en œuvre une approche intégrée mêlant financement public, soutien aux entreprises stratégiques et protection des infrastructures critiques, la France se contente d’attirer des investissements étrangers sans vision, ni ambition à long terme. Le plan « made in USA » est conçu comme un levier de puissance, combinant restrictions sur les exportations technologiques, sécurisation des chaînes d’approvisionnement et soutien massif à l’industrie numérique américaine. La France, elle, mise sur des capitaux étrangers sans en mesurer les conséquences stratégiques.

Rivalités mondiales

Cette démarche s’inscrit dans la droite ligne des errements européens, où l’incapacité à structurer un écosystème numérique viable est systématiquement masquée par des discours creux sur la « souveraineté européenne » et des annonces sans suivi. Emmanuel Macron privilégie la communication pour masquer l’impéritie de sa politique numérique depuis 2017, incapable d’inscrire la France dans une dynamique de puissance industrielle. Les règles européennes de la concurrence interdisent toute politique d’aide d’État ambitieuse, empêchant la constitution de géants technologiques européens et sont un repoussoir pour les entreprises technologiques étrangères dont nous aurions besoin, comme le démontre le refus de TSMC, leader mondial des microprocesseurs de s’installer en Europe, alors qu’il multiplie les investissements aux Etats-Unis.

À lire aussi, Elisabeth Lévy : La guerre des nerds

Pire, loin d’être une avancée vers la souveraineté numérique, l’annonce d’Emmanuel Macron acte une dépendance accrue aux capitaux étrangers. Comment parler d’indépendance quand les infrastructures essentielles du pays sont financées et potentiellement contrôlées par des acteurs extérieurs ? Ce qui aurait pu être l’acte fondateur d’une industrie française de l’IA se transforme en un exercice de dépendance orchestrée, dans lequel le mot « souveraineté » n’est qu’un artifice rhétorique.

Si la France voulait réellement peser dans le secteur numérique et l’IA, elle devrait commencer par préserver son indépendance numérique et bâtir une stratégie industrielle souveraine, articulée autour d’un fonds souverain dédié à l’IA, d’une politique d’aides d’État ambitieuse pour soutenir ses propres entreprises et d’un verrouillage strict des investissements étrangers dans les infrastructures critiques. Sans ces mesures essentielles, la France continuera d’être un simple marché ouvert aux puissances étrangères, incapable de rivaliser sur la scène mondiale et d’assurer son avenir technologique.

Dites-le avec des cœurs

0

Notre ami Pierre Berville publie Heart & Love, un beau livre qui retrace en images, et quelques textes, l’histoire du cœur, ce symbole de l’amour et de la vie…


Seul un génial publicitaire pouvait avoir cette idée : publier peu de temps avant la Saint-Valentin un beau livre retraçant l’histoire du cœur et de l’amour à travers les âges et les arts. Pierre Berville l’a fait et le résultat est brillant. Près de deux cents pages de magnifiques reproductions (marque de fabrique des éditions Assouline) de peintures anciennes, d’enluminures, de dessins, de planches anatomiques, de photos de couples mythiques, d’œuvres pop art, de défilés haute couture… Un flot d’images illustrant chacune à sa façon le cœur, l’évolution de sa symbolique et de sa représentation, et l’amour, vaste sujet qui s’incarne pourtant dans un regard, dans la posture d’un corps, dans un geste délicat immortalisé par la peinture, la photographie ou le cinéma.

Une place de choix dans les imaginaires

Berville souligne qu’au fil des cultures, des époques et des civilisations, le cœur a occupé une place de choix dans notre imaginaire et dans nos mythes. « Légendes et anecdotes abondent et sa présence est quasi constante dans de nombreuses croyances. De l’infinie grandeur de l’amour divin jusqu’à l’infiniment petit de la microbiologie, il n’a jamais cessé d’émerveiller les hommes. Il est l’accomplissement même. »
Et l’auteur de relever que cet organe, légèrement décalé vers la gauche de notre thorax, est cependant considéré comme le point central de notre humanité. « Au-delà de son rôle physique, on lui a toujours prêté la responsabilité de notre vie psychique et émotionnelle. Siège de la réflexion pour les Babyloniens, de nos émois pour Descartes, il fut considéré alternativement ou simultanément comme celui de l’amour, du courage, de l’intuition, de la digestion, de l’optimisme, de l’esprit de charité, de l’appétit (réel ou figuré), de l’opiniâtreté, de la sincérité etc. Dans sa rivalité historique contre le cerveau, le foie, l’intestin et les organes sexuels, le cœur l’a toujours emporté haut la main. À l’instar d’un dieu, il serait partout et pourrait tout. »

A lire aussi, Martin Pimentel: Dites-le avec des fleurs

L’ouvrage ne se contente pas de servir de ces douceurs qui ont fait les riches heures de la pop culture, des romans à l’eau de rose et de la publicité, jusqu’à voir muer la Saint-Valentin en un rendez-vous hautement marketing. Non. Le 14 février peut aussi marquer de tristes anniversaires. Ainsi apprend-on qu’a eu lieu, le 14 février 1349, à Strasbourg, alors cité-État du Saint Empire romain Germanique, le « massacre de la Saint-Valentin », soit l’un des pires pogroms menés en Europe. Ce jour-là, plus de deux mille juifs accusés de propager la peste noire furent arrêtés et brulés vifs par les habitants et les autorités locales.

Dans un autre registre, c’est aussi un 14 février, en 1929, à Chicago, qu’eut lieu un spectaculaire règlement de compte entre gangsters. En pleine prohibition, la guerre entre bandes rivales est intense pour s’approprier le monopole de la distribution d’alcool de contrebande. D’un côté le gang des Irlandais menés par Bugs Moran, et de l’autre, celui des Italiens conduits par Al Capone. Ces derniers auront la gâchette la plus rapide et élimeront les têtes pensantes du groupe adverse.

A lire aussi: Henri IV ne tient jamais la chandelle!

Mais au fait, pourquoi célébrer l’amour et les amoureux le 14 février ? Pierre Berville a son explication : « Comme beaucoup de célébrations chrétiennes, la Saint-Valentin puiserait son origine dans des traditions plus anciennes… Auparavant, à cette date, les Romains fêtaient les Lupercales, cérémonies païennes dans le genre dissipé, dédiées à la fertilité et qui se terminaient souvent en débauches. Les débordements étaient tels que les autorités avaient finalement décidé leur interdiction. Bien que cette hypothèse soit contestée par certains experts, beaucoup estiment qu’il existe une filiation entre les deux fêtes. »

Pierre Berville, Heart & Love (édition en anglais), Assouline, 2025. 192 pages

Heart & Love

Price: 75,00 €

3 used & new available from 75,00 €

Elon Musk: le Don Quichotte américain

0

L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. L’arrivée d’Elon Musk à la tête du nouveau Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) pour nettoyer les écuries d’Augias de l’administration américaine, et notamment du wokisme, est un miroir aux alouettes qui ne dit pas encore son nom. 


Le fondateur de SpaceX en a fait son cheval de bataille : il détruira la maladie woke qui infecte les États-Unis. Il assèchera l’hydre wokiste et ses associations. Il annihilera cette plaie des temps modernes. Il redonnera aux États-Unis une identité sexuelle différenciée. Il y aura de nouveau une femme, et de nouveau un homme. Du moins, le croit-il. Car Elon Musk ne voit pas qu’il est, en réalité, l’un des pères fondateurs de cette idéologie mortifère.

Idéologie globale

Le wokisme, comme mouvement idéologique global, n’est possible qu’à partir du moment où une masse de gens – notamment celle des jeunes générations – s’enfonce dans un monde où la virtualité s’est substituée à la réalité. C’est « le règne absolu de l’abstraction réelle » pour reprendre le mot du philosophe slovène Slavoj Žižek. En effet, le woksime n’est autre que la face émergée de la progression du capital algorithmique dans tous les pores de la société. Cette organisation technologique du vivant grave dans le marbre la distance sociale avec autrui, celle d’une vie intériorisée, d’une machination des êtres, de la marchandisation constante des liens, et de l’emprise d’une vie spectrale sur l’ensemble de l’existence. « C’est cette vision utopique de pures consciences qui pourrait se libérer totalement du poids du corps, et par là même de la différence sexuelle, qui fait pour une bonne part le succès de cette utopie du genre », explique le philosophe Jean-François Braunstein dans son livre La religion woke. Cette scission de l’âme et du corps est la conséquence de la forme sans cesse renouvelée de l’avancée du techno-libéralisme. Une conception déjà présente dans la théologie paulinienne du christianisme, et qui trouve dans cette théodicée numérique son apothéose car « ni le sang, ni la chair ne peuvent hériter du royaume de Dieu » (Epître aux Corinthiens)Or, le nouveau Dieu c’est la technologie, et son nouvel apôtre s’appelle Elon Musk.

A lire aussi: Causeur #131 Panique dans le camp du bien: la tech passe à droite

Désirs d’avenir

Dès lors, Elon Musk se bat contre des créations qu’il enfante. Le milliardaire américain est celui qui considère le programme Stargate comme une chance pour l’humanité sans saisir qu’« il ne sert de rien à l’homme de gagner la Lune s’il vient à perdre la Terre » (Mauriac) ; il est celui qui présente ses futurs robots Optimus comme des promesses d’avenir; il est celui également qui possède l’entreprise Neuralink capable d’implanter des puces dans le cerveau humain. Mais il est aussi celui qui alerte en permanence de la chute démographique sur son réseau X, de la maladie wokiste qui ravage les États-Unis, des délires idéologiques de gauche qui envahissent les programmes scolaires, ou de l’absence de liberté d’expression des médias traditionnels. Cette « double pensée » (Orwell) provient de son incompréhension à faire le lien entre wokisme et société technologique, d’envisager le tout comme « un fait social total» (Mauss). Le capital algorithmique en éliminant les rapports charnels – la sexualité des jeunes est en berne – efface du même coup les marqueurs de la différence sexuelle, et laisse proliférer la croyance entretenue d’une âme asexuée, flottante, indépendante de son corps. Bref, à un remodelage infini de soi. Ainsi plus l’homme se libéralise, plus il se machinise ; plus il se machinise, plus il supprime l’expérience sensible; plus il supprime sa sensibilité, plus il fait abstraction de son corps. En clair, plus la réalité devient technologique et plus le wokisme à encore de beaux jours devant lui.

Le laissez-faire technologique

Mais si le nouveau président américain, Donald Trump, a chargé le chevalier blanc Musk de faire le ménage dans l’appareil d’État, c’est aussi pour permettre au libéralisme de se défaire pleinement de ses fers étatiques. La croyance est forte de croire que le « solutionnisme technologique » (Morozov) permettra le délestage de l’État libéral de toutes ses normes inutiles.

A lire aussi: Poutine ou le transhumanisme russe

En réalité, c’est l’inverse qui se produira mais sous la forme, cette fois, d’une bureaucratie algorithmique. Karl Polanyi, grand économiste austro-hongrois, dans son ouvrage La Grande transformation (1944)soulignait «qu’entre 1830 et 1850, on ne voit pas seulement une explosion des lois abrogeant des règlements restrictifs, mais aussi un énorme accroissement des fonctions administratives de l’État ». Déjà, Honoré de Balzac, dans son roman Les employés décrivait l’État français du XIXème siècle comme infecté d’ « armées bureaucratiques » et qu’ « il se faisait en France un million de rapports écrits par année ; aussi la bureaucratie régnait-elle ! Les dossiers, les cartons, les paperasses à l’appui des pièces sans lesquelles la France serait perdue, la circulaire sans laquelle elle n’irait pas, fleurissaient ». Dès lors, le libéralisme économique – et Musk est libertarien – n’a jamais eu pour but de se défaire de l’État, ni même d’en supprimer l’intervention mais d’en faire une courroie de transmission. L’objectif de l’État a toujours été d’organiser et de planifier le laissez-faire. Toute nouvelle libération économique se paie toujours en retour d’un amoncellement supplémentaire de normes. «C’est ainsi que même ceux qui souhaitaient le plus ardemment libérer l’État de toute tâche inutile, et dont la philosophie tout entière exigeait la restriction des activités de l’État, n’ont pu qu’investir ce même État des pouvoirs, organes et instruments nouveaux nécessaires à l’établissement du laissez-faire» (Polanyi). Tant que le marché auto-régulé constitue l’alpha et l’oméga de la réalité ambiante, sous sa forme aujourd’hui techno-marchande, le contrôle normatif se poursuivra. Par conséquent, tous ceux qui croient à la disparition des gabegies d’État ou des suppressions en tout genre pour le rendre au peuple se fourrent le doigt dans l’œil. Musk, en effet, liquidera une partie de la bureaucratie humaine pour y adjoindre une bureaucratie, cette fois machinale, faite d’algorithmes, de robots conversationnels et d’IA génératives, qui sera tout autant gigantesque et surtout sans aucun retour possible. Il s’agira alors peut-être de constater « jusqu’à quel point les conditions du processus vital de la société sont elles-mêmes passées sous le contrôle du général intellect, et sont réorganisées conformément à lui » (Marx). Cela marquerait l’avènement du grand remplacement technologique.

La religion woke

Price: 9,50 €

8 used & new available from 9,50 €

La Grande Transformation: Aux origines politiques et économiques de notre temps

Price: 15,50 €

17 used & new available from 11,51 €

Les Employés

Price: 8,50 €

27 used & new available from 4,04 €

Vietnam, le tigre de demain

Notre chroniqueur, après s’être enthousiasmé pour le Japon, réitère — par personne interposée — avec le Vietnam : ça nous change de Raphaël Glucksmann qui n’est chez lui qu’à New-York. Les tigres du sud-est asiatique, à l’entendre, loin d’être des pays émergents, sont tout prêts à dévorer l’Occident…


Contrairement à… d’autres pays jadis colonisés, difficiles vainqueurs d’une guerre sans cesse remise sur le tapis de prière, le Vietnam ne cherche pas à développer chez les touristes qui viennent le visiter la moindre culpabilité, et ne manifeste pas la moindre agressivité.  Ces gens qui sont restés en guerre du début des années 1950 au milieu des années 1970 — deux générations formées dans le bruit des combats, les marches dans la jungle —, qui ont survécu aux bombes et à l’agent orange, ne passent pas leur temps à larmoyer sur leur tragique destin en salopant de leur mieux les bâtiments coloniaux laissés par leurs envahisseurs successifs.

L’hospitalité vietnamienne n’étant plus à vanter, nombre de touristes européens (malgré Dien-bien-Phu, 7 mai 1954) et américains (malgré Saïgon, 30 avril 1975) courent visiter le « pays du dragon ».

J’ai interviewé l’un d’entre eux, Thierry Kakouridis (il a posté sur Facebook les photos superbes de son périple), tout frais rentré de cet extrême-Orient fabuleux — et qui apparemment n’en est pas revenu.


Jean-Paul Brighelli. Thierry, quelle idée de s’imposer 11 heures de vol avec Vietnam Airlines — et autant au retour — pour jouer à Marguerite Duras dans L’Amant…

Thierry Kakouridis. Je rêvais d’Asie depuis de nombreuses années, mais pas de n’importe quelle Asie ; je ne rêvais pas de Chine, de Malaisie ou de Thaïlande. Non, mon imaginaire, nourri par mes lectures et des images, me dictait un rêve de Vietnam et de Cambodge. Certainement pas Duras — peut-être Malraux, qui en 1923 est parti dans ces contrées lointaines avec sa petite scie égoïne pour découper les bouddhas qu’il comptait revendre ici. On sait comment ça a fini…

La veille, Paris-Roissy sous la pluie. Au matin, Hanoï au soleil, moins une ville qu’une ruche où se bousculent piétons, marchands aux paniers en équilibre sur une branche de bambou, et des milliers, des dizaines de milliers de scooters, gaz d’échappement compris. On en compte 78 millions pour une population de quelque 100 millions. Traverser une rue, même sur un passage piétons est une aventure périlleuse jusqu’à ce vous compreniez qu’il faut lever haut la main pour vous signaler. Alors les scooters passent derrière vous sans la moindre considération pour le pauvre bipède désorienté que vous êtes.

Les scooters sont à eux seuls une découverte. Mais attention, ce ne sont pas des machines à frimer, comme ici. Ils disparaissent sous des charges improbables, réfrigérateurs, poteries, fleurs, fruits et légumes, viandes et poissons provisoirement surgelés (la chaîne du froid n’est pas de rigueur), sans parler de grappes de femmes, hommes et enfants accrochés les uns aux autres dans un équilibre improbable. Hanoï conjugue modernité — gratte-ciels et magasins occidentaux, Chanel, Vuitton, Prada, automobiles japonaises ou vietnamiennes dernier cri, et tradition —temples et pagodes, et ce train qui circule au beau milieu de la ville à quelques centimètres des gens attablés aux cafés, ses estaminets de rue où les étals offrent au regard huîtres, palourdes entrouvertes et calmars, tous d’une fraîcheur relative : le Vietnamien s’est bâti un système digestif qui tolère à peu près tout. Les guides tentent de vous dissuader de consommer ce qui se vend dans ces échoppes — mais qui ne ressentirait pas l’envie de s’attabler là, sur une chaise en plastique, avec cette population locale qui dévore ses pâtes au bouillon en parlant haut et fort ?

Tu me fais le guide du routard, là !

Non. C’est pour dire que ce qui domine, au Vietnam, c’est le travail, à n’importe quelle heure, l’affairement constant, la course à la survie d’abord, à la conquête ensuite. Ils travaillent, et ils travaillent bien. Pour eux, pour leur pays, pour le futur de leurs enfants.

Ça me rappelle… Dans les années 1970, j’ai eu en cours un certain nombre d’enfants de boat people, réfugiés du sud-est asiatique, qui avaient survécu aux bonnes intentions des Américains et du Viêt-Cong. Ils arrivaient avec quatre mots de français en poche — et huit mois plus tard, ils caracolaient en tête des classements. De surcroît, les parents avaient eu l’intelligence de donner à leur progéniture des prénoms occidentaux, qui facilitaient grandement leur assimilation.

Ce qui ne gâtait pas leur appartenance à une culture vietnamienne ! Parce que c’est un vrai pays, avec une histoire plurimillénaire. Et si l’ethnie viet est largement majoritaire, avec 86%, le pays fédère 54 groupes ethniques, des Hmongs noirs, rouges ou fleuris reconnaissables à leurs tenues traditionnelles, aux Thays et autres minorités. Et tous se sont battus pour leur pays.

Mais enfin ! Qu’est-ce qui a pris à un homme de droite comme toi de partir plusieurs semaines dans un pays communiste ?

Le Vietnam n’a de communiste que le nom — abstraction faite du parti unique, de l’interdiction des manifs et du culte d’Hô Chi Minh. Le père de l’indépendance avait demandé que ses cendres soient dispersées dans le nord, le centre et le sud du pays — pour qu’une fois disparu, il soit partout. Le Parti en a décidé autrement : le héros national est non seulement affiché partout, et sur tous les billets de banque, mais il a été momifié façon Lénine.

La France est à bien des égards plus communiste que le pays du dragon — qui n’a pas de Sécurité sociale sauf pour les personnes âgées de plus de 80 ans, les enfants de moins de six ans et les gens très pauvres, pas de gratuité de l’école à partir de six ans, presque pas d’assurance chômage, 12 jours de congés payés à peine… Les syndicats qui pleurent pour la retraite à 62 ans pourraient en prendre de la graine… La France a remplacé le parti unique par la pensée unique, et la presse d’Etat par Radio France, France Télévisions, Arte et Le Monde.

Le Vietnamien travaille toujours et encore pour s’assurer une vie décente. Le Vietnamien paresseux (et souvent alcoolique) n’a quant à lui droit à rien. Ne pas croire pour autant que des racailles rançonnent le touriste, comme à Marseille : il n’y a pas de délinquance, dans un pays où les voleurs disparaissent purement et simplement de la circulation, et finissent par enrichir l’humus des rizières.

Je ne vais pas te faire l’article sur le ravissement des villages de montagne, les mains bleues des femmes qui teignent leurs tissus à l’indigo, les rizières en terrasses à perte de vue (le Vietnam est le premier exportateur de riz avec la Thaïlande et le second producteur de café après le Brésil), les repas aux saveurs uniques, les gosses qui jouent à la toupie au lieu de fixer leur portable d’un regard torve — et les sourires, partout, toujours. Ça nous change de regards haineux des immigrés qui ici nous reprochent de trop bien les accueillir.

Il y a les étapes obligées du tourisme, la baie d’Ha Lan en jonque, Huê et sa ville impériale, Hoi An, la ville des lanternes, le delta du Mékong en sampan — sur un fleuve jonché de détritus, la conscience écologique ne perturbe guère le Vietnamien moyen. Et partout, toujours, un peuple de fourmis travaille à un futur meilleur que le présent et digne du passé — parce qu’ils ne risquent pas, vu les programmes scolaires, d’oublier leur histoire et leurs héros.

Ça fait envie ! Quand y repars-tu ?

Ne ris pas : je songe à m’y installer. Un repas de fête, c’est huit euros par personne. Avec ma retraite, je serai là-bas le roi du pétrole !

Et je conclurai en laissant la parole à notre guide au Vietnam, Hieu Hanu (Petit matin printanier) : « Cám ơn  bạn vì đã đến Việt Nam với một tình yêu đặc biệt dành cho đất nước và con người chúng tôi. »

Merci d’être venu au Vietnam avec un amour spécial pour notre pays et notre peuple.

Guide du Routard Vietnam 2025/26

Price: 17,95 €

17 used & new available from 13,96 €

La Voie royale

Price: 8,40 €

73 used & new available from 1,46 €

Quand la France court après son intelligence perdue

0

Déglaciation. Peut-on encore croire en ceux qui, comme M. Bayrou, découvrent la question identitaire, qu’ils avaient sous le nez depuis des années, et qui caricaturaient les pionniers qui abordaient le sujet ? se demande Ivan Rioufol.


La révolution ? C’est à droite qu’elle gagne les esprits. Ce week-end, à Madrid, Marine Le Pen s’est jointe aux leaders de la droite nationale européenne pour décliner le slogan trumpien du Maga (« Make America Great Again »). Le « Make Europe great again ! » a été avalisé par la fondatrice du RN, lors d’une réunion des Patriotes pour l’Europe. La conversion atlantiste, conservatrice et libérale de la candidate supposée à la prochaine présidentielle n’a pas été revendiquée pour autant. Il n’empêche : quand Le Pen reconnaît que la victoire de Donald Trump constitue un « véritable basculement mondial », elle met ses pas dans ceux du président américain et de sa « révolution du bon sens ». Ce retournement vient rompre avec le chauvinisme d’un mouvement jusqu’alors rétif au modèle nord-américain.

A lire aussi: Mélenchon se convertit au zemmourisme

Jeudi dernier, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a lancé pour sa part une autre audace idéologique à propos du tabou du droit du sol : « Le débat public doit s’ouvrir sur le droit du sol dans notre pays (…) Il faut un effort pour devenir français. Être Français, c’est une volonté. C’est le droit de la volonté ». Embrayant sur cette révélation tardive, François Bayrou a souhaité « entrer dans le débat » sur l’identité française et l’acquis de la nationalité. Le Premier ministre a invité à réfléchir à la question : « Qu’est-ce qu’être Français ? ». Ces déblocages mentaux, au RN comme au gouvernement, sont d’autant plus spectaculaires que la gauche s’accroche, en réaction, à son passé dépassé. Cependant cette déglaciation en cours, sous l’effet du changement de climat porté par Trump et son retour aux frontières, laisse voir l’état comateux du débat en France, tétanisé par trente ans et plus de pensées sous surveillance. D’où la question : faut-il croire en ceux qui découvrent la question identitaire, qu’ils avaient sous le nez sans oser l’aborder et qui caricaturaient les pionniers qui abordaient le sujet ?

La réflexion de Schopenhauer se vérifie une fois de plus : « Toute vérité franchit trois étapes. Tout d’abord, elle est ridiculisée. Ensuite elle subit une forte opposition. Puis elle est considérée comme ayant été toujours une évidence ». Ceux qui ont alerté sur la débandade des « élites » à propos de la nationalité, de son contenu et de ses protections ont d’abord été assimilés à « la France rance », avant d’être combattus pour leur « xénophobie », pour enfin être rejoints par leurs contempteurs. Pendant longtemps, se réclamer de la nation a été vu comme une régression pétainiste, y compris par la droite de gouvernement. En mai 2015, Laurent Wauquiez, confronté désormais à l’envolée prometteuse de Bruno Retailleau, déclarait : « Nous souhaitons nous appeler les Républicains car nous défendons avant tout l’identité républicaine ». Cette même année, Nicolas Sarkozy reconnaissait, abordant la critique de son débat sur l’identité nationale de 2009 : « Je n’aurais pas dû parler d’identité nationale, mais dire que je voulais défendre les valeurs de la République ». Cette honte à parler de la France charnelle, de son âme, de sa mémoire et de son peuple est au cœur de la crise intellectuelle, qui fait passer le président américain comme le libérateur des cerveaux cadenassés.

Ce lundi, à l’occasion d’un sommet mondial coorganisé à Paris avec l’Inde, Emmanuel Macron, à la recherche d’un rôle, va tenter de se mettre au centre de la promotion de l’intelligence artificielle européenne et de cette autre révolution mondialiste venue des États-Unis. Mais l’urgence est d’abord de retrouver l’intelligence collective perdue.

Journal d'un paria: Bloc-notes 2020-21

Price: 20,00 €

36 used & new available from 2,36 €

Annie Dillard, seule

0

Rencontre au sommet : quand le plus grand américaniste vivant – Pierre-Yves Pétillon – se déplace pour traduire une femme écrivain devenue culte – Annie Dillard.


« Un écrivain cherchant un sujet ne s’intéresse pas à ce qu’il aime le plus, mais à ce qu’il est le seul à aimer. (…) Pourquoi ne trouves-tu jamais aucun écrit sur cette pensée particulière dont tu parles, sur ta fascination pour une chose que personne d’autre ne comprend ? Parce que c’est à toi de jouer»

En vivant, en écrivant (1996)

L’Amour des Maytree est un roman où il est beaucoup question de la beauté, du sentiment de la nature (née en 1945, Dillard est l’auteur d’une thèse sur le Walden de H.D. Thoreau), des livres, de l’amour – de l’amour dans les livres, et de la vision qu’ils nous en donnent : « Des années de lecture n’avaient fait qu’étayer sa conjecture, à savoir qu’hommes et femmes ont en fait une perception identique de l’amour, à disons cinq pour cent près. »

L’Amour des Maytree est un livre où il est beaucoup question du temps qui passe, de la beauté qui persiste, et de ce à quoi permettent d’accéder les livres : l’émotion, la connaissance, la sagesse parfois – et ces sentiments que « seuls (ils) peuvent durablement fournir. »

L’Amour des Maytree est un livre crépusculaire et somptueux sur l’amour d’une vie, « l’amour longue durée comme acte de volonté » – et la « chute des jours » qui l’accompagne.

Argument d’autorité qui recommande de s’attarder : son traducteur qui se déplace peu ès qualités – Pierre-Yves Pétillon, le plus grand américaniste français vivant, auteur d’une Histoire de la littérature américaine – Notre demi-siècle 1939-1989 (1992 ; réédition augmentée en 2003, Fayard) – un de ces livres rares, sitôt parus, sitôt salués comme des classiques, qui justifient une vie de travail acharné… D’une intelligence incandescente. Donc Pétillon.

A lire aussi: Le plus parfait des amis

Argument de votre serviteur : avec quelques romans contemporains, parus dans le domaine anglo-saxon – Sur la plage de Chesyl de Ian McEwan, La Maison des rencontres de Martin Amis, Demain de Graham Swift ou Fugitives d’Alice Munro -, c’est un des romans qui auront marqué la première décennie des années 2000 (oui, on tient les comptes) : on les lit, on les relit, on en parle, on regarde leurs tranches dans nos piles de livres – on est ému, ils nous ont touché, enseigné.

C’est l’histoire de l’amour des Maytree (le titre, donc), de Toby, poète et charpentier, et de Lou, peintre à ses heures. De la naissance de leur passion, de la vie de leur passion, de ses métamorphoses.

C’est ensuite, après quatorze années de mariage avec Lou, l’histoire de la fuite de Toby avec une amie, Deary, de leur amour qui durera vingt ans, de la maladie et de la mort de Deary – et des retrouvailles de Toby et de Lou.

C’est, enfin, l’histoire de Toby qui choisit… l’amour, comme sujet d’étude. Vaste programme : « Dans toute son œuvre, il avait évité les sujets sentimentaux : l’amour, le chagrin. Mais, malgré tout, n’est-ce pas, ils vous rattrapaient. »

Toby lit (les scientifiques, les poètes et les écrivains : Stevenson, Henry Green, Borges, Baudelaire, Thomas Hardy), se demande comment il est possible que « l’amour apparemment absolu puisse se reproduire » (Lou, Deary), tente de comprendre.

Annie Dillard mêle Thoreau, Melville et Emily Dickinson. Du premier, elle a le regard  « transcendantaliste », pour lequel « chaque détail, intensément observé devient un macrocosme et une terre sainte, chaque micro-événement, une épiphanie » ; du deuxième, et de la religion presbytérienne de son enfance, elle a la « sensibilité à la violence tapie dans la Nature » ; enfin de la hiératique troisième, elle a l’intrépidité et le courage, dans sa volonté d’éveiller son lecteur et de le consoler du silence – « le silence du Seigneur, lointain, caché, mais planant, néanmoins, sur les eaux ».

L’univers qu’envisage et décrit la contemplative Annie Dillard est chargé de sens, de pensée. Son écriture intense, tantôt très concrète, descriptive (la nature, le quotidien, l’habitude), tantôt métaphysique, a le caractère élémentaire (sens strict) de son propos : elle bâtit un petit temple – elle, dirait « une cabane » – destiné à honorer le passage furtif et humble de nos pas sur l’immense et si « taiseuse » terre – voire à lui donner un sens. Finalement, plus que l’élémentaire, ce qui intéresse et requiert la solitaire Annie Dillard, c’est l’essentiel. Qui est peut-être la même chose, son autre nom.


L’Amour des Maytree, d’Annie Dillard. Traduit de l’anglais par Pierre-Yves Pétillon, Christian Bourgois, 280p.

L'amour des Maytree

Price: 2,36 €

24 used & new available from

Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.

Gang bang theory

Dans un immeuble chic du 15 arrondissement, un organisateur de soirées libertines envisage plus de participants. Mairie et voisins crient au scandale. La préfecture tente de freiner l’orgie, mais la loi n’interdit pas les plaisirs privés… La police du fantasme est dépêchée sur les lieux.


Des soirées libertines parisiennes sont dans le collimateur de la mairie et des voisins. Cela se passe à Paris XVe, dans une résidence ordinaire, plutôt cossue. Au sous-sol, on trouve des locaux commerciaux où un mystérieux Z organise des soirées gang-bangs ce qui signifie, explique pudiquement Le Parisien, qu’une femme est placée au centre des attentions de plusieurs hommes1. Les hommes payent 80 euros, et peuvent être 20 maximum. La femme, évidemment consentante, n’est pas rémunérée (il n’y a donc pas de prostitution ni de proxénétisme). Ce sont des jeux sexuels entre adultes. Il n’y a rien d’illégal. Et pourtant, tout le monde voudrait les voir décamper. Mairie, Préfecture, riverains… Z affirme être très attentif à ne pas troubler le voisinage. Il donne rendez-vous à un pâté de maisons. «Ne venez jamais rôder en avance, faire les 100 pas ou attendre devant l’immeuble».

Du reste, la Préfecture verbalise les « stagnations dans le hall » et mène des contrôles ciblés d’infractions sur les stupéfiants. «En cas d’infraction avérée, une fermeture de l’établissement sera demandée», déclare une source préfectorale. Bref, Z est attendu au tournant.

Ne peut-on pas comprendre les riverains, non ?

S’il s’agissait d’une salle de sport avec bien plus d’allées et venues, cela ne gênerait personne. Mais il s’agit de morale. « Préfecture et mairie sont désemparées face à cette activité malsaine », lit-on dans l’article.  Pareil pour les riverains, farouchement opposés à ces pratiques «dégradantes» et «moralement difficilement acceptables». Chacun semble se sentir autorisé à juger la sexualité de ses contemporains. «Maintenant quand ils nous croisent, ils baissent les yeux. Mais ça reste dérangeant. Les hommes qui participent à ces gang bangs ont le fantasme du viol collectif », déclare un couple de riverains. Nous y sommes. Le fantasme du viol (partagé par pas mal d’adultes selon nombre d’enquêtes, y compris chez les femmes) est un crime contre la morale.

À lire aussi: Haut Conseil à l’Égalité: un rapport biaisé sur le sexisme

Le maire LR du XVe Philippe Goujon, qui promet de tout faire pour faire cesser ces cochonneries, déclare: « Après le procès de Mazan, on ne peut plus voir des choses comme ça ». Adorno disait qu’après Auschwitz on ne peut plus faire de poésie et le maire du XV nous apprend qu’après Mazan, finie la gaudriole ! Désormais, les seuls rapports sexuels autorisés, c’est papa dans maman le samedi soir. Et dans une position convenable svp.

Je rigole, mais j’enrage qu’on instrumentalise en permanence les femmes violentées, agressées ou violées pour réprimer une sexualité peut-être non-conventionnelle mais parfaitement légale et qui ne fait de mal à personne.

Ce puritanisme – cette pudibonderie même – n’ont rien à voir avec l’égalité ni avec la protection des femmes. Derrière ce cirque de dames patronnesses, il y a une haine de la liberté et surtout de la sexualité. Not in my name ! 


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin dans la matinale

  1. https://www.leparisien.fr/paris-75/paris-les-soirees-gang-bangs-du-xve-pourraient-bientot-accueillir-plus-de-monde-au-grand-dam-des-riverains-08-02-2025-OIKTDUKXLBDZBP42NIDEUBBTW4.php ↩︎

TVA et micro-entrepreneurs: jamais travailler plus ne devrait signifier gagner moins

0

Quand le gouvernement décide de faire payer la TVA aux micro-entrepreneurs dès qu’ils dépassent 25 000 € de chiffre d’affaires, cela grince des dents plus fort qu’un rideau de fer rouillé… Devant la levée de boucliers, Éric Lombard a finalement suspendu sa mesure, unanimement considérée comme pénalisante pour des travailleurs considérés comme précaires. Analyse.


Depuis quelques jours, la nouvelle mesure fiscale passée en force par le gouvernement de François Bayrou suscite une massive levée de boucliers et moults réactions indignées émanant de politiques, d’organisations professionnelles mais également de journalistes ou simples particuliers. La grande majorité s’offusque et se dit choquée que le gouvernement s’en prenne aux petites, voire aux très petites entreprises, celles que l’on appelle les micro-entreprises depuis la disparition du statut d’auto-entrepreneur en 2016. Le gouvernement prévoit en effet dans le budget 2025 d’assujettir à la TVA ces micro-entreprises dès lors que leur chiffre d’affaires annuel dépasse 25 000 euros, alors que le seuil était auparavant fixé à 37 500€ pour une activité de prestation de service et à 85 000€ pour le négoce (achat/vente de biens).

Revenus modestes

Comment imaginer sans honte renflouer les caisses de l’État en taxant l’activité des petits travailleurs indépendants dont le statut est souvent considéré, à juste titre, comme précaire ? Une fois n’est pas coutume, le discours du Rassemblement national à ce sujet s’accorde avec celui de La France Insoumise. Même l’édito de Pascal Praud du 6 février sur CNews rejoint sur le fond l’article de Mediapart du même jour, l’un prenant l’exemple d’un petit jardinier tandis que l’autre donne la parole à une secrétaire médicale et une gérante de friperie. Cependant, cette mesure est-elle si scandaleuse et injuste qu’elle en a l’air ? L’assujettissement à la TVA de ces micro-entreprises signera-t-il vraiment la mort de celles-ci ? Entraînera-t-elle forcément une baisse des revenus déjà modestes des travailleurs indépendants concernés ?

A lire aussi: Sous tutelle, vite!

J’ai le souvenir très net d’un échange téléphonique que j’ai eu avec un chef d’entreprise expérimenté alors que j’étais jeune entrepreneure. Je m’étais plainte auprès de lui de payer chaque mois bien trop de TVA. À ma grande surprise, loin d’abonder dans mon sens, celui-ci m’avait alors répondu : « Pour une entreprise, payer de la TVA c’est une bonne maladie ». En effet, plus on réalise de chiffre d’affaires, plus on paye de TVA. Payer beaucoup, c’est gagner beaucoup. Dans le négoce, hors achats intracommunautaires et activités saisonnières, se retrouver avec un crédit de TVA est même souvent synonyme d’une mauvaise période durant laquelle les dépenses ont été plus importantes que les encaissements. Aussi, le seuil d’assujettissement de TVA déjà existant, supposé être un coup de pouce fiscal pour les micro-entrepreneurs, se révèle souvent être un plafond de verre que beaucoup d’entre eux craignent de dépasser au point de freiner délibérément la croissance de leur activité, voire de l’arrêter complètement jusqu’au prochain exercice fiscal. Jamais travailler plus ne devrait signifier gagner moins.

Cap difficile

Plutôt que de propager l’idée que l’assujettissement à la TVA signerait forcément l’arrêt de mort des micro-entreprises, pourquoi ne pas les accompagner dans ce changement et leur développement ? Il s’agirait d’encourager les micro-entrepreneurs, les former à facturer et à établir des déclarations de TVA. Une fois passé ce cap, ce serait un frein de moins au développement de leur activité. Je ne dis pas que toute micro-entreprise a vocation à devenir une PME ou multinationale mais, économiquement, nous avons tout à gagner à tirer les entreprises françaises vers le haut.

A lire aussi: Bernard Arnault mène la charge pour l’industrie française

Si l’on parle de justice, cela fait plusieurs années que certains dirigeants de TPE et PME assujettis à la TVA dénoncent la concurrence déloyale des micro-entrepreneurs. Ceux-ci, pour un même service (ou vente de biens), dans un même secteur d’activité, peuvent afficher des tarifs potentiellement plus concurrentiels (la TVA représentant jusqu’à 20% du prix de vente) alors que quelques centaines ou milliers d’euros seulement séparent les chiffres d’affaires des deux entreprises concurrentes. Les clients eux-mêmes sont parfois perdus dans ces différences de facturation.

C’est le consommateur qui paie !

Rappelons également que la TVA n’est pas un impôt pour les entreprises mais bien une taxe dont le consommateur s’acquitte. On pourrait même dire que c’est un impôt « juste » puisque tout le monde le paye à hauteur de sa consommation. L’entreprise, elle, n’est que collectrice de la TVA, obligée certes de la reverser mais autorisée également à la récupérer sur ses achats ! Même lorsque l’activité est une prestation de service, le non-paiement de TVA sur les achats peut s’avérer très intéressante, que ce soit pour de la communication, du matériel ou même simplement les fournitures administratives indispensables à toute activité aussi modeste soit-elle. Dans le cas d’une activité de négoce avec une TVA à 20% par exemple, l’entrepreneur devra certes augmenter un peu ses tarifs mais cette inflation ne sera pas d’un pourcentage équivalent puisqu’une grande partie sera compensée par la récupération de la TVA sur ses achats.  

Si le contenu de cette mesure fiscale ne me choque pas, sa mise en place me laisse en revanche   dubitative. Faire cette annonce début février pour une application la même année, c’est méconnaître complètement les réalités du terrain et nier le bouleversement qu’un changement fiscal représente pour les micro-entrepreneurs, obligés, dans l’urgence et le stress, de revoir leur tarification, leur comptabilité et parfois toute leur organisation. En outre, cette mesure aurait été mieux accueillie si elle n’avait pas été isolée mais intégrée à un projet plus global visant par exemple à simplifier la fiscalité des entreprises, quelle que soit leur taille.

Lyrique: un opéra-oratorio de Haendel sacrifié à la transposition scénographique

0

À l’origine, Semele a la forme d’un oratorio profane – car on ne donnait pas d’opéra pendant le Carême. Œuvre tardive du compositeur saxon naturalisé anglais Georg Friedrich Haendel (1685-1757), elle n’eut alors qu’un succès très relatif – quatre représentations à peine.  Créée en 1744 à Covent Garden (soit trois ans après le célèbre Messie), Semele fut écrite en un temps record, par un compositeur à la santé très délabrée, en ce mois de juillet 1743, sur un livret de William Congreve tiré des Métamorphoses d’Ovide.

De cet opéra durablement éclipsé du répertoire lyrique, le Théâtre des Champs-Elysées avait donné une version scénique en 2004, reprise en 1010, –  au pupitre, Marc Minkowski puis Christophe Rousset. Au XXIème siècle, il n’est pas facile d’illustrer les trois actes de cet argument mythologique où s’entrecroisent dieux et mortels dans des jeux d’amour et de pouvoir fort compliqués: Jupiter est secrètement aimé de la princesse thébaine Semele, fille de Cadmus, promise en mariage à Athamas, prince de Béotie, dont Ino, la sœur de Semele, est elle-même éprise. Junon, épouse de Jupiter, est folle de jalousie. Jupiter prend l’apparence d’un aigle pour enlever Semele. Junon, aidé de sa servante Iris, en appelle à Somnus, dieu du sommeil, pour se venger. Elle se débrouille pour apparaître à Semele sous les traits de sa sœur Ino, et conseille à Semele (qui, rappelons-le, est mortelle) de se refuser à Jupiter tant qu’il ne lui promet pas l’immortalité. Pris au piège du serment qui lui est arraché, le dieu du tonnerre voue Semele aux flammes. Et Jupiter de décider qu’Ino épousera Athamas. Mais « des cendres de Semele surgira un phénix (…) Il témoignera d’un dieu plus grand que l’Amour et empêchera pour toujours les soupirs et les chagrins », assure Apollon, avant que le chœur des prêtres n’invite Bacchus à « crown the joys of love ». Bref, la vertu du foyer est sauve.

A lire aussi: Jeu de massacre

Sous la houlette d’Olivier Mears, l’actuel directeur du Royal Ballet londonien, cette fable hédoniste, flamboyante, peuplée d’Amours et de Zéphirs, ne revêt plus la forme que d’un marivaudage bourgeois. Sur un décor signé Annemarie Woods passablement anachronique, celui d’un palace post-art déco flottant entre les années 1940, 1950 et 1960, qui aurait été meublé avec froideur par quelque capitaliste parvenu, de mœurs légères : éclairé d’appliques murales en verre dépoli,  fermé en fond de plateau par une large baie totalement aveugle, un espace grisâtre au milieu duquel trône un vaste sommier circulaire dans le goût propre aux maisons closes, plumard drapé et molletonné d’un vert hideux, près duquel flambe une imposante colonne – cheminée habillée de carreaux de porcelaine (où se consumera Semele, of course). A main gauche, un meuble bas supporte une platine stéréo où, à l’occasion, entre deux clopes – car on fume beaucoup chez Haendel –  Semele fera crépiter un vinyle sorti de son étui, d’un chromatisme furieusement sixties. Le troisième acte nous transporte dans la repoussante bathroom envahie de tessons où un Somnus en caleçon et fixe-chaussettes prend les eaux du Léthé au fond de sa baignoire fangeuse. Puis retour dans la suite XXL de l’hôtel, siège, au passage, d’une bataille de polochons entre les deux frangines. Accoutrés de tenues pied-de-poule et de falzars amarante, les chœurs figurent les femmes de chambre et autres larbins de l’entreprise dont Jupiter est le grand patron… Junon, blonde marâtre atrabilaire, troquera au dernier acte son austère tenue noire pour une robe éclatant du rouge de la vengeance.

Aucune transposition contemporaine du répertoire lyrique baroque n’est, en soi, irrecevable. Sinon que toute la satire, à la fois capiteuse, leste et fantasmagorique où, extraites la fable antique, s’ébattent ces êtres surnaturels, voués aux plus improbables prodiges (Jupiter métamorphosé en rapace, Semele en beauté céleste sous l’effet d’un miroir magique…), se banalise ici jusqu’à la trivialité, sous les espèces d’une confrontation socioéconomique attisée par la frustration et la jalousie.

SEMELE – Au Theatre des Champs Elysees – Vincent PONTET

Ce parti pris élude l’enchantement, la fantaisie, le faste qui rutilent dans l’écriture baroque.  C’est d’autant plus navrant que sous les traits de la grande mezzo Alice Coote, Junon développe une musicalité cuivrée, d’une amplitude souveraine ; que la célèbre soprano sud-africaine Pretty Yende se risque pour la première fois hors du bel canto, son territoire de prédilection, pour exécuter les trilles et les ornements virtuoses du rôle-titre sans faillir ; que le contre-ténor Carlo Vistoli incarne Athamas impeccablement ; que le ténor Ben Bliss, surtout, campe un Jupiter  absolument superbe ; tandis que la jeune Irlandaise Niamh O’Sullivan se projette avec aisance dans le rôle d’Ino, tout comme la soprano arménienne Marianna Hovanisyan, qu’on découvre dans celui d’Iris… Quant aux chœurs du Concert d’Astrée, ils sont d’une solidité à toute épreuve. Et si Emmanuelle Haïm, comme toujours à la baguette de sa formation maison, dirige la fosse avec plus de nerf que de rondeur, Semele pourrait parfaitement se passer de mise en scène pour renaître de ses cendres.              


Semele. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Pretty Yende, Ben Bliss, Alice Coote… Direction : Emmanuelle Haïm. Mise en scène : Olivier Maers. Orchestre et chœur Le Concert d’Astrée.
Durée : 3h
Théâtre des Champs-Elysées, les 11, 13, 15 février à 19h30. Le 9 février à 17h.

Les Hommes – et Femmes – du président

0
Marco Rubio, secrétaire d'État des États-Unis, prête serment à la Maison Blanche, le 21 janvier 2025 © CNP/AdMedia/SIPA

On savait que Donald Trump voulait que son retour à la Maison Blanche déclenche une véritable révolution gouvernementale. Qui sont les personnalités dont il s’entoure pour arriver à ses fins ? Gerald Olivier, grand spécialiste des États-Unis, passe en revue les différentes nominations du président. D’abord, le « cabinet », c’est-à-dire ceux à qui il confie les portefeuilles de son administration. Demain, un second article traitera du « bureau exécutif » de Trump, constitué de ses plus proches conseillers.


Donald Trump avait promis de se mettre au travail dès le 1er jour et d’agir vite et fort. Il a tenu promesse. Il est même allé au-delà. Depuis le 20 janvier Washington est pris dans un tourbillon d’activité que le pays n’a pas connu depuis les premiers jours de l’administration Roosevelt en 1933.

Le président Trump a signé plus de deux cents décrets. Il a effectué trois déplacements, deux dans des zones récemment touchées par des catastrophes naturelles et humaines, la Caroline du Nord et Los Angeles, une au Nevada pour remercier ses supporters qui lui ont offert une victoire historique en novembre. Il s’est adressé aux plus grands chefs d’entreprises du monde réunis à Davos, pour leur dire que l’ère de la récréation globaliste et wokiste était finie. Désormais les États-Unis seront guidés par le bon sens et il n’y aura pas de meilleur endroit dans le monde pour investir. Il a donné une demi-douzaine de conférences de presse, certaines impromptues, et répondu à des dizaines de questions dont aucune ne lui avait été communiqué à l’avance et sans avoir besoin de lire une fiche. Il est même venu lui-même dans la salle de presse de la Maison Blanche, accompagné du vice-président, du nouveau secrétaire à la Défense, et du nouveau secrétaire aux Transports pour faire le point après la tragique collision d’un avion de ligne et d’un hélicoptère militaire au-dessus de Washington.

De mémoire de journaliste, jamais une nouvelle administration américaine n’a paru aussi active, impliquée et motivée. En dehors des décrets que Trump continue de signer, les deux premières semaines de son administration ont été dominées par les audiences de confirmation des membres de son cabinet et de son administration. L’occasion de revenir sur qui est qui et qui fait quoi aujourd’hui autour de Donald Trump. 

Le « cabinet » et le « bureau exécutif »

Pour rappel, il n’existe pas de « Premier ministre » aux États-Unis. Le président est à la tête  de son administration et conduit la nation. C’est lui qui cible l’objectif, donne le cap, décrit le chemin et dirige la manœuvre. Il est entouré d’un cabinet et d’un bureau exécutif.

Le « cabinet » se compose de quinze secrétaires, nommés par le président. Equivalents de ministres ils ont en charge la Justice (Attorney General), la Défense, le Trésor, la Sécurité intérieure (Homeland Security), les Affaires étrangères (State Department), l’Agriculture, le Commerce, l’Éducation, l’Énergie, la Santé (Health and Human Services), le Logement (Housing and Urban Development), le Territoire (Interior), le Travail, les Transports, et les Anciens combattants (Veterans Affairs). Le bureau exécutif rassemble un nombre variable de conseillers en lien direct avec le président : il s’agit du Directeur du renseignement national, du Conseiller à la sécurité nationale, de l’Ambassadeur à l’ONU, du Représentant aux échanges commerciaux, du Directeur de l’Agence pour la protection de l’environnement, du bureau du Budget (OMB, Office of Management and Budget), et d’autres. 

Donald Trump s’est adjoint un conseiller exceptionnel très spécial, Elon Musk, qu’il a placé à la tête d’un tout nouveau département le DOGE, pour « Department of Government Efficiency ». Musk a pour tâche de tailler dans la bureaucratie pour rendre l’action du gouvernement plus efficace et moins coûteuse. Au départ il était secondé par Vivek Ramaswamy, milliardaire et ancien candidat présidentiel républicain. Mais Ramaswamy s’est retiré dès les premiers jours, tant il est difficile d’exister à côté de Musk…

Le président peut également révoquer les directeurs de plusieurs grandes agences gouvernementales pour les remplacer par des gens à lui. Ce que Trump ne s’est pas privé de faire à la CIA et au FBI. Enfin il a nommé un nouveau « tsar de la frontière ». Quelles sont donc les personnalités nommées par Trump aux postes-clés de son cabinet ? 

Dircab et porte-parole

Le directeur de cabinet du président (White House Chief of Staff) est la personne incontournable à la Maison Blanche. Elle gère l’agenda du président et son accessibilité. Le pronom « elle » est ici approprié car pour la première fois de l’histoire des États-Unis le directeur de cabinet du président est une femme. Elle s’appelle Susie Wiles. Elle a 67 ans, vient de Floride. C’est elle qui a dirigé la campagne présidentielle de Donald Trump en 2024. Wiles possède 45 ans d’expérience politique ayant commencé comme assistante dans la campagne de Ronald Reagan en 1980… 

A lire aussi: La Dame de glace: la botte secrète de Donald Trump

Le propre d’un bon directeur de cabinet est de travailler en coulisse et d’être invisible du grand public. Les Américains verront très peu Susie Wiles. Le visage de l’administration sera celui d’une jeune femme blonde de 27 ans, Karoline Leavitt. Elle a été désignée porte-parole de la Maison Blanche. Elle sera l’interlocutrice des journalistes et dirigera tous les points presse. Sa jeunesse, ses compétences et son dynamisme sont à l’image de la nouvelle administration Trump. Née en 1997, Leavitt est diplômée de Saint Anselm College, une institution privée catholique du New Hampshire. Elle a soutenu Trump dès sa première candidature présidentielle, en juin 2015, alors qu’elle n’avait pas encore l’âge de voter et elle a fait ses classes auprès d’Elise Stéfanik, représentante républicaine de New York, devenue ambassadrice à l’ONU. 

Chris LaCivita et Susie Wiles, Washington, août 2023 © Alex Brandon/AP/SIPA

Karoline Leavitt a déjà donné plusieurs « briefings » devant la presse où elle a démontré sa connaissance des dossiers – elle s’est présentée sans la moindre note écrite – et son aplomb face aux journalistes et leurs questions parfois pernicieuses. Importante nouveauté, les conférences de presse de la Maison Blanche sont désormais ouvertes aux médias sur internet et au « podcasters ». Au grand dam des médias traditionnels, comme le New York Times ou CNN, qui n’ont plus de monopole d’accès au président. Ces auditions permettent de constater combien Donald Trump a rassemblé autour de lui une équipe de collaborateurs dévoués et loyaux, avec pour mission de recentrer leur ministère sur sa tâche centrale et d’éliminer l’emprise idéologique et en particulier le venin du wokisme au sein de la bureaucratie. Bref, faire le ménage à Washington.

Les grands portefeuilles

Au département d’État, Trump a nommé Marco Rubio, 53 ans, sénateur de Floride, ancien candidat à la présidence chez les Républicains, Américain d’origine cubaine, anti-communiste pur jus et un partisan d’une Amérique forte. Il a déjà tourné son regard vers l’Amérique latine, effectuant son premier déplacement international à Panama le 31 janvier. Lors de son audience de confirmation Rubio a résumé les principes de la politique étrangère de Trump en trois notions simples :  si une politique rend les États-Unis plus forts, plus sûrs et plus prospères, elle sera adoptée. Dans le cas contraire, elle sera rejetée.

Au Pentagone, le département de la Défense, Trump a nommé Peter Hegseth, un ancien marine de 44 ans, dont la mission sera de faire le ménage à l’intérieur de l’armée pour en éliminer le venin « wokiste » que les administrations Obama et Biden ont laissé s’infiltrer. Hegseth arrive sans expérience à un tel poste ce qui indique que Donald Trump entend exercer tout seul le rôle de commandant en chef des armées, que la Constitution lui réserve. Les Démocrates ont dénoncé son manque d’expérience et ont attaqué son caractère lors de son audience de confirmation. Sans le déstabiliser. Ni faire dérailler sa nomination. Hegseth a prêté serment le 27 janvier.  

Au Trésor, Trump a désigné Scott Bessent, un manager de fonds d’investissement de 62 ans. Bessent, comme Trump, croit à la vertu des tarifs douaniers. Il y voit une source de revenus et une protection pour l’emploi. Bessent est homosexuel et sa nomination à un tel poste est également historique. Très à l’aise lors de ses audiences de confirmation, Bessent a insisté sur ses trois priorités : favoriser la croissance économique, lutter contre l’inflation, soutenir la réindustrialisation des États-Unis. 

Le département de la Justice sera dirigé par une autre femme, Pam Bondi, qui a occupé ce poste pendant huit ans en Floride. Initialement Trump avait désigné Matt Gaetz, un jeune élu conservateur de Floride. Mais Gaetz, très controversé et visé par une enquête interne du Congrès, a retiré sa candidature et Trump s’est tourné vers Bondi, qui a déjà travaillé au sein de la Maison Blanche lors du premier procès en destitution intenté contre Trump en 2020. C’est une jolie femme blonde aux cheveux raides qui a 59 ans mais en paraît 39 ! Sa tâche sera de recentrer le département de la Justice sur sa fonction originelle, la lutte contre la criminalité et d’assurer qu’il existe bien aux États-Unis une seule et même justice pour tous. Sous l’administration Biden et la direction de son Attorney General Merrick Garland, la justice américaine a été instrumentalisée et détournée pour nuire aux conservateurs, aux catholiques et aux supporters de Trump.

Éliminer le wokisme

Le Département de la Sécurité Intérieure (DHS) a été confié à Kristi Noem, gouverneur du Dakota du Sud depuis 2018. Noem est une femme de 53 ans qui s’est fait connaître sur le plan national en 2020 et 2021 lors de la pandémie du Covid-19 en s’opposant à la fois au confinement généralisé et à la vaccination obligatoire. Noem est une femme de caractère qui avait été un temps considérée pour le poste de vice-président. Le DHS est un énorme ministère, créé dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, chargé de la sécurité intérieure des États-Unis et de la lutte contre l’immigration clandestine.

A la santé Trump a désigné Robert Kennedy Jr, neveu de président John Kennedy, et un temps candidat présidentiel démocrate puis indépendant. Kennedy Jr est un inclassable trublion de 70 ans, qui a mené une carrière d’avocat au service de causes environnementales et qui s’est fait connaître comme un ardent défenseur de la liberté d’expression et des libertés individuelles à l’occasion de la pandémie de Covid. Ce n’est pas un Républicain, et encore moins un conservateur. Il est même plutôt à gauche. En revanche, c’est un antisystème qui s’est toujours battu contre l’establishment et les liens incestueux entre l’industrie et la politique. Il s’est rapproché de Donald Trump durant la campagne présidentielle et a fini par se retirer de la course en sa faveur.

Le département de l’Énergie sera confié à Chris Wright, un dirigeant d’entreprise du secteur pétrolier, dont la tâche sera de réaliser l’une des promesses les plus emblématiques de Donald Trump, redonner aux États-Unis une place dominante dans le secteur énergétique. Wright estime « qu’il n’existe pas d’énergie propre, ni d’énergie sale ». Il va développer « toutes les sources sures, peut coûteuses et fiables, pour sécuriser l’approvisionnement américain ».

A lire aussi, Elisabeth Lévy: La guerre des nerds

Le territoire (Interior) a été confié à Doug Burgum, gouverneur du Dakota du Nord et bref candidat présidentiel républicain en 2024. Burgum vient d’un État dont l’économie dépend largement de l’énergie et il sera l’un des artisans de la renaissance énergétique promise par Trump. Le département de l’Intérieur gère, entre autres, toutes les terres fédérales et délivre les permis d’exploration et d’exploitation. A ce titre Burgum sera aussi co-président du Conseil national de l’énergie que le président Trump entend mettre en place.

Trump a confié l’Éducation à Linda Mac Mahon, une femme chef d’entreprise de 76 ans qu’il connaît depuis des décennies et qui était en charge des petites et moyennes entreprises dans sa première administration. Sa tâche sera difficile et ingrate : un, éliminer toute l’idéologie « woke » qui ruine l’enseignement public ; deux, saborder son propre ministère que Trump estime trop couteux et inutile. Aux États-Unis l’éducation est l’affaire des États, pas du gouvernement fédéral. Ce ministère n’existait pas avant 1979 et les résultats des écoliers américains étaient alors bien meilleurs… 

A l’Agriculture, on trouve Brooke Rollins, une femme de 52 ans, déjà présente dans la première administration Trump et qui jusqu’à récemment dirigeait le America First Policy Institute, un club de pensée très influent auprès de Donald Trump. Originaire du Texas et fille d’agriculteurs, Rollins aura pour mission d’assainir le monde de l’agriculture aux États-Unis et d’assurer à la fois la prospérité des fermiers et une alimentation saine pour les Américains. Sa priorité sera de résoudre l’épidémie de grippe aviaire qui touche la volaille américaine et a entrainé l’abattage de dizaine de millions de poules pondeuses provoquant une hausse massive du prix des œufs.

Au Commerce, Trump a nommé Howard Lutnick, un millionnaire de la finance de 63 ans ans, PDG de Cantor Fitzgerald LP, une grande firme d’investissement de Wall Street. Comme Bessent, Lutnick est un partisan de tarifs douaniers élevés. 

Pour les autres portefeuilles, Trump a nommé au Logement (Housing and Urban Development), Scott Turner ; au département du Travail, Lori Chavez-DeRemer ; aux Transports, Sean Duffy ; et enfin aux Anciens combattants (Veterans Affairs), Doug Collins.

Découvrez la deuxième partie ici : Ceux qui murmurent à l’oreille de Trump


Sur la route de la Maison Blanche

Price: 18,00 €

18 used & new available from 10,43 €

Cover Up : Le clan Biden, l'Amérique et l'Etat profond

Price: 22,00 €

11 used & new available from 16,80 €

Cet article a tout d’abord été mis en ligne sur le blog de Gérald Olivier.

Emmanuel Macron et l’IA: 109 milliards d’euros pour une souveraineté numérique sous pavillon étranger

0
Emmanuel Macron présente le sommet pour l'IA sur France 2 le 9 février 2025 © Jacques Witt/SIPA

Intelligence artificielle. Le président Macron a annoncé dimanche un investissement de 109 milliards d’euros, « l’équivalent pour la France de ce que les États-Unis ont annoncé avec Stargate ». Mais quid de la souveraineté française, puisqu’il s’agit de capitaux majoritairement étrangers?


En réponse aux annonces de Donald Trump au sujet du plan « Stargate », un programme massif de 500 milliards de dollars destiné à asseoir la domination américaine sur l’intelligence artificielle, Emmanuel Macron a voulu donner le change en annonçant ce 9 février un investissement de 109 milliards d’euros pour faire de la France un leader européen du secteur.

Le montant est impressionnant, mais derrière la déclaration tapageuse, la réalité est tout autre. Quand « Stargate » est un projet pensé, financé et exécuté par des acteurs américains, au service exclusif des intérêts stratégiques des États-Unis, l’initiative annoncée par le président Macron repose sur des capitaux étrangers – notamment émiratis, canadiens et chinois, avec des participations indirectes de certains fonds américains.

À lire aussi: Causeur #131 Panique dans le camp du bien: la tech passe à droite

Parmi les investisseurs annoncés, on trouve le fonds canadien Brookfield qui injecte vingt milliards d’euros pour la construction d’un centre de données à Cambrai. Plus préoccupant, les Émirats arabes unis financeront un data center d’une capacité allant jusqu’à un gigawatt, qui fera partie d’un « campus » dédié à l’IA, présenté comme le plus grand d’Europe. Cet investissement, estimé entre trente et cinquante milliards d’euros, a été officialisé dans le cadre d’un accord signé en présence d’Emmanuel Macron et de Mohamed ben Zayed Al-Nahyane. Le président français a précisé que des investisseurs américains seraient également impliqués, tandis que des entreprises françaises comme Illiad, Orange et Thales n’interviendront que marginalement (pour moins de 10 %), loin derrière les financeurs étrangers.

Vulnérabilité

Qui contrôlera réellement ces infrastructures ? Quelles garanties existent pour que les données et technologies développées en France ne tombent pas sous influence étrangère ? Ces questions restent sans réponse, comme ce fut le cas lors de la création en 2019 du Health Data Hub, dans lequel les données de santé des Français furent confiées à Microsoft.

Les implications stratégiques de cette dépendance sont lourdes. En s’appuyant sur des capitaux étrangers, la France risque de perdre toute autonomie dans la gestion de ses infrastructures critiques. Le principal danger réside dans les vulnérabilités en matière de cybersécurité et d’espionnage industriel. En permettant à des investisseurs étrangers de financer et, potentiellement, de contrôler des infrastructures numériques stratégiques, la France s’expose à des risques accrus d’intrusions, de détournement de technologies et d’ingérences économiques. La dépendance technologique s’accompagne nécessairement d’une exposition accrue aux cyberattaques et à la perte de contrôle sur des innovations essentielles au futur de l’industrie et de la défense françaises.

Un exemple frappant de cette vulnérabilité est la cyberattaque subie par France Travail (anciennement Pôle emploi) en 2023, qui a compromis les données personnelles de millions de demandeurs d’emploi. Cet événement a mis en lumière les failles de la sécurité numérique de l’État et sa dépendance à des solutions étrangères puisqu’à la suite de cette attaque, France Travail a signé un contrat avec l’entreprise américaine Palantir (fondée et financée par la CIA) pour la gestion et l’hébergement de ses données. Si un tel schéma venait à se répéter dans le domaine de l’IA, les conséquences seraient encore plus lourdes pour l’économie et la souveraineté numérique française.

Cette dépendance, cette impuissance sous perfusion étrangère, naît du fait qu’au-delà des effets d’annonce, la France ne dispose d’aucune stratégie industrielle cohérente pour l’IA. Contrairement aux États-Unis qui, avec « Stargate », mettent en œuvre une approche intégrée mêlant financement public, soutien aux entreprises stratégiques et protection des infrastructures critiques, la France se contente d’attirer des investissements étrangers sans vision, ni ambition à long terme. Le plan « made in USA » est conçu comme un levier de puissance, combinant restrictions sur les exportations technologiques, sécurisation des chaînes d’approvisionnement et soutien massif à l’industrie numérique américaine. La France, elle, mise sur des capitaux étrangers sans en mesurer les conséquences stratégiques.

Rivalités mondiales

Cette démarche s’inscrit dans la droite ligne des errements européens, où l’incapacité à structurer un écosystème numérique viable est systématiquement masquée par des discours creux sur la « souveraineté européenne » et des annonces sans suivi. Emmanuel Macron privilégie la communication pour masquer l’impéritie de sa politique numérique depuis 2017, incapable d’inscrire la France dans une dynamique de puissance industrielle. Les règles européennes de la concurrence interdisent toute politique d’aide d’État ambitieuse, empêchant la constitution de géants technologiques européens et sont un repoussoir pour les entreprises technologiques étrangères dont nous aurions besoin, comme le démontre le refus de TSMC, leader mondial des microprocesseurs de s’installer en Europe, alors qu’il multiplie les investissements aux Etats-Unis.

À lire aussi, Elisabeth Lévy : La guerre des nerds

Pire, loin d’être une avancée vers la souveraineté numérique, l’annonce d’Emmanuel Macron acte une dépendance accrue aux capitaux étrangers. Comment parler d’indépendance quand les infrastructures essentielles du pays sont financées et potentiellement contrôlées par des acteurs extérieurs ? Ce qui aurait pu être l’acte fondateur d’une industrie française de l’IA se transforme en un exercice de dépendance orchestrée, dans lequel le mot « souveraineté » n’est qu’un artifice rhétorique.

Si la France voulait réellement peser dans le secteur numérique et l’IA, elle devrait commencer par préserver son indépendance numérique et bâtir une stratégie industrielle souveraine, articulée autour d’un fonds souverain dédié à l’IA, d’une politique d’aides d’État ambitieuse pour soutenir ses propres entreprises et d’un verrouillage strict des investissements étrangers dans les infrastructures critiques. Sans ces mesures essentielles, la France continuera d’être un simple marché ouvert aux puissances étrangères, incapable de rivaliser sur la scène mondiale et d’assurer son avenir technologique.

Dites-le avec des cœurs

0
© Assouline.com Justin Shin Getty Images

Notre ami Pierre Berville publie Heart & Love, un beau livre qui retrace en images, et quelques textes, l’histoire du cœur, ce symbole de l’amour et de la vie…


Seul un génial publicitaire pouvait avoir cette idée : publier peu de temps avant la Saint-Valentin un beau livre retraçant l’histoire du cœur et de l’amour à travers les âges et les arts. Pierre Berville l’a fait et le résultat est brillant. Près de deux cents pages de magnifiques reproductions (marque de fabrique des éditions Assouline) de peintures anciennes, d’enluminures, de dessins, de planches anatomiques, de photos de couples mythiques, d’œuvres pop art, de défilés haute couture… Un flot d’images illustrant chacune à sa façon le cœur, l’évolution de sa symbolique et de sa représentation, et l’amour, vaste sujet qui s’incarne pourtant dans un regard, dans la posture d’un corps, dans un geste délicat immortalisé par la peinture, la photographie ou le cinéma.

Une place de choix dans les imaginaires

Berville souligne qu’au fil des cultures, des époques et des civilisations, le cœur a occupé une place de choix dans notre imaginaire et dans nos mythes. « Légendes et anecdotes abondent et sa présence est quasi constante dans de nombreuses croyances. De l’infinie grandeur de l’amour divin jusqu’à l’infiniment petit de la microbiologie, il n’a jamais cessé d’émerveiller les hommes. Il est l’accomplissement même. »
Et l’auteur de relever que cet organe, légèrement décalé vers la gauche de notre thorax, est cependant considéré comme le point central de notre humanité. « Au-delà de son rôle physique, on lui a toujours prêté la responsabilité de notre vie psychique et émotionnelle. Siège de la réflexion pour les Babyloniens, de nos émois pour Descartes, il fut considéré alternativement ou simultanément comme celui de l’amour, du courage, de l’intuition, de la digestion, de l’optimisme, de l’esprit de charité, de l’appétit (réel ou figuré), de l’opiniâtreté, de la sincérité etc. Dans sa rivalité historique contre le cerveau, le foie, l’intestin et les organes sexuels, le cœur l’a toujours emporté haut la main. À l’instar d’un dieu, il serait partout et pourrait tout. »

A lire aussi, Martin Pimentel: Dites-le avec des fleurs

L’ouvrage ne se contente pas de servir de ces douceurs qui ont fait les riches heures de la pop culture, des romans à l’eau de rose et de la publicité, jusqu’à voir muer la Saint-Valentin en un rendez-vous hautement marketing. Non. Le 14 février peut aussi marquer de tristes anniversaires. Ainsi apprend-on qu’a eu lieu, le 14 février 1349, à Strasbourg, alors cité-État du Saint Empire romain Germanique, le « massacre de la Saint-Valentin », soit l’un des pires pogroms menés en Europe. Ce jour-là, plus de deux mille juifs accusés de propager la peste noire furent arrêtés et brulés vifs par les habitants et les autorités locales.

Dans un autre registre, c’est aussi un 14 février, en 1929, à Chicago, qu’eut lieu un spectaculaire règlement de compte entre gangsters. En pleine prohibition, la guerre entre bandes rivales est intense pour s’approprier le monopole de la distribution d’alcool de contrebande. D’un côté le gang des Irlandais menés par Bugs Moran, et de l’autre, celui des Italiens conduits par Al Capone. Ces derniers auront la gâchette la plus rapide et élimeront les têtes pensantes du groupe adverse.

A lire aussi: Henri IV ne tient jamais la chandelle!

Mais au fait, pourquoi célébrer l’amour et les amoureux le 14 février ? Pierre Berville a son explication : « Comme beaucoup de célébrations chrétiennes, la Saint-Valentin puiserait son origine dans des traditions plus anciennes… Auparavant, à cette date, les Romains fêtaient les Lupercales, cérémonies païennes dans le genre dissipé, dédiées à la fertilité et qui se terminaient souvent en débauches. Les débordements étaient tels que les autorités avaient finalement décidé leur interdiction. Bien que cette hypothèse soit contestée par certains experts, beaucoup estiment qu’il existe une filiation entre les deux fêtes. »

Pierre Berville, Heart & Love (édition en anglais), Assouline, 2025. 192 pages

Heart & Love

Price: 75,00 €

3 used & new available from 75,00 €

Elon Musk: le Don Quichotte américain

0
Rome, 20 janvier 2025 © Mauro Scrobogna/LaPresse/Shutter/SIPA

L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. L’arrivée d’Elon Musk à la tête du nouveau Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) pour nettoyer les écuries d’Augias de l’administration américaine, et notamment du wokisme, est un miroir aux alouettes qui ne dit pas encore son nom. 


Le fondateur de SpaceX en a fait son cheval de bataille : il détruira la maladie woke qui infecte les États-Unis. Il assèchera l’hydre wokiste et ses associations. Il annihilera cette plaie des temps modernes. Il redonnera aux États-Unis une identité sexuelle différenciée. Il y aura de nouveau une femme, et de nouveau un homme. Du moins, le croit-il. Car Elon Musk ne voit pas qu’il est, en réalité, l’un des pères fondateurs de cette idéologie mortifère.

Idéologie globale

Le wokisme, comme mouvement idéologique global, n’est possible qu’à partir du moment où une masse de gens – notamment celle des jeunes générations – s’enfonce dans un monde où la virtualité s’est substituée à la réalité. C’est « le règne absolu de l’abstraction réelle » pour reprendre le mot du philosophe slovène Slavoj Žižek. En effet, le woksime n’est autre que la face émergée de la progression du capital algorithmique dans tous les pores de la société. Cette organisation technologique du vivant grave dans le marbre la distance sociale avec autrui, celle d’une vie intériorisée, d’une machination des êtres, de la marchandisation constante des liens, et de l’emprise d’une vie spectrale sur l’ensemble de l’existence. « C’est cette vision utopique de pures consciences qui pourrait se libérer totalement du poids du corps, et par là même de la différence sexuelle, qui fait pour une bonne part le succès de cette utopie du genre », explique le philosophe Jean-François Braunstein dans son livre La religion woke. Cette scission de l’âme et du corps est la conséquence de la forme sans cesse renouvelée de l’avancée du techno-libéralisme. Une conception déjà présente dans la théologie paulinienne du christianisme, et qui trouve dans cette théodicée numérique son apothéose car « ni le sang, ni la chair ne peuvent hériter du royaume de Dieu » (Epître aux Corinthiens)Or, le nouveau Dieu c’est la technologie, et son nouvel apôtre s’appelle Elon Musk.

A lire aussi: Causeur #131 Panique dans le camp du bien: la tech passe à droite

Désirs d’avenir

Dès lors, Elon Musk se bat contre des créations qu’il enfante. Le milliardaire américain est celui qui considère le programme Stargate comme une chance pour l’humanité sans saisir qu’« il ne sert de rien à l’homme de gagner la Lune s’il vient à perdre la Terre » (Mauriac) ; il est celui qui présente ses futurs robots Optimus comme des promesses d’avenir; il est celui également qui possède l’entreprise Neuralink capable d’implanter des puces dans le cerveau humain. Mais il est aussi celui qui alerte en permanence de la chute démographique sur son réseau X, de la maladie wokiste qui ravage les États-Unis, des délires idéologiques de gauche qui envahissent les programmes scolaires, ou de l’absence de liberté d’expression des médias traditionnels. Cette « double pensée » (Orwell) provient de son incompréhension à faire le lien entre wokisme et société technologique, d’envisager le tout comme « un fait social total» (Mauss). Le capital algorithmique en éliminant les rapports charnels – la sexualité des jeunes est en berne – efface du même coup les marqueurs de la différence sexuelle, et laisse proliférer la croyance entretenue d’une âme asexuée, flottante, indépendante de son corps. Bref, à un remodelage infini de soi. Ainsi plus l’homme se libéralise, plus il se machinise ; plus il se machinise, plus il supprime l’expérience sensible; plus il supprime sa sensibilité, plus il fait abstraction de son corps. En clair, plus la réalité devient technologique et plus le wokisme à encore de beaux jours devant lui.

Le laissez-faire technologique

Mais si le nouveau président américain, Donald Trump, a chargé le chevalier blanc Musk de faire le ménage dans l’appareil d’État, c’est aussi pour permettre au libéralisme de se défaire pleinement de ses fers étatiques. La croyance est forte de croire que le « solutionnisme technologique » (Morozov) permettra le délestage de l’État libéral de toutes ses normes inutiles.

A lire aussi: Poutine ou le transhumanisme russe

En réalité, c’est l’inverse qui se produira mais sous la forme, cette fois, d’une bureaucratie algorithmique. Karl Polanyi, grand économiste austro-hongrois, dans son ouvrage La Grande transformation (1944)soulignait «qu’entre 1830 et 1850, on ne voit pas seulement une explosion des lois abrogeant des règlements restrictifs, mais aussi un énorme accroissement des fonctions administratives de l’État ». Déjà, Honoré de Balzac, dans son roman Les employés décrivait l’État français du XIXème siècle comme infecté d’ « armées bureaucratiques » et qu’ « il se faisait en France un million de rapports écrits par année ; aussi la bureaucratie régnait-elle ! Les dossiers, les cartons, les paperasses à l’appui des pièces sans lesquelles la France serait perdue, la circulaire sans laquelle elle n’irait pas, fleurissaient ». Dès lors, le libéralisme économique – et Musk est libertarien – n’a jamais eu pour but de se défaire de l’État, ni même d’en supprimer l’intervention mais d’en faire une courroie de transmission. L’objectif de l’État a toujours été d’organiser et de planifier le laissez-faire. Toute nouvelle libération économique se paie toujours en retour d’un amoncellement supplémentaire de normes. «C’est ainsi que même ceux qui souhaitaient le plus ardemment libérer l’État de toute tâche inutile, et dont la philosophie tout entière exigeait la restriction des activités de l’État, n’ont pu qu’investir ce même État des pouvoirs, organes et instruments nouveaux nécessaires à l’établissement du laissez-faire» (Polanyi). Tant que le marché auto-régulé constitue l’alpha et l’oméga de la réalité ambiante, sous sa forme aujourd’hui techno-marchande, le contrôle normatif se poursuivra. Par conséquent, tous ceux qui croient à la disparition des gabegies d’État ou des suppressions en tout genre pour le rendre au peuple se fourrent le doigt dans l’œil. Musk, en effet, liquidera une partie de la bureaucratie humaine pour y adjoindre une bureaucratie, cette fois machinale, faite d’algorithmes, de robots conversationnels et d’IA génératives, qui sera tout autant gigantesque et surtout sans aucun retour possible. Il s’agira alors peut-être de constater « jusqu’à quel point les conditions du processus vital de la société sont elles-mêmes passées sous le contrôle du général intellect, et sont réorganisées conformément à lui » (Marx). Cela marquerait l’avènement du grand remplacement technologique.

La religion woke

Price: 9,50 €

8 used & new available from 9,50 €

La Grande Transformation: Aux origines politiques et économiques de notre temps

Price: 15,50 €

17 used & new available from 11,51 €

Les Employés

Price: 8,50 €

27 used & new available from 4,04 €

Vietnam, le tigre de demain

0
DR.

Notre chroniqueur, après s’être enthousiasmé pour le Japon, réitère — par personne interposée — avec le Vietnam : ça nous change de Raphaël Glucksmann qui n’est chez lui qu’à New-York. Les tigres du sud-est asiatique, à l’entendre, loin d’être des pays émergents, sont tout prêts à dévorer l’Occident…


Contrairement à… d’autres pays jadis colonisés, difficiles vainqueurs d’une guerre sans cesse remise sur le tapis de prière, le Vietnam ne cherche pas à développer chez les touristes qui viennent le visiter la moindre culpabilité, et ne manifeste pas la moindre agressivité.  Ces gens qui sont restés en guerre du début des années 1950 au milieu des années 1970 — deux générations formées dans le bruit des combats, les marches dans la jungle —, qui ont survécu aux bombes et à l’agent orange, ne passent pas leur temps à larmoyer sur leur tragique destin en salopant de leur mieux les bâtiments coloniaux laissés par leurs envahisseurs successifs.

L’hospitalité vietnamienne n’étant plus à vanter, nombre de touristes européens (malgré Dien-bien-Phu, 7 mai 1954) et américains (malgré Saïgon, 30 avril 1975) courent visiter le « pays du dragon ».

J’ai interviewé l’un d’entre eux, Thierry Kakouridis (il a posté sur Facebook les photos superbes de son périple), tout frais rentré de cet extrême-Orient fabuleux — et qui apparemment n’en est pas revenu.


Jean-Paul Brighelli. Thierry, quelle idée de s’imposer 11 heures de vol avec Vietnam Airlines — et autant au retour — pour jouer à Marguerite Duras dans L’Amant…

Thierry Kakouridis. Je rêvais d’Asie depuis de nombreuses années, mais pas de n’importe quelle Asie ; je ne rêvais pas de Chine, de Malaisie ou de Thaïlande. Non, mon imaginaire, nourri par mes lectures et des images, me dictait un rêve de Vietnam et de Cambodge. Certainement pas Duras — peut-être Malraux, qui en 1923 est parti dans ces contrées lointaines avec sa petite scie égoïne pour découper les bouddhas qu’il comptait revendre ici. On sait comment ça a fini…

La veille, Paris-Roissy sous la pluie. Au matin, Hanoï au soleil, moins une ville qu’une ruche où se bousculent piétons, marchands aux paniers en équilibre sur une branche de bambou, et des milliers, des dizaines de milliers de scooters, gaz d’échappement compris. On en compte 78 millions pour une population de quelque 100 millions. Traverser une rue, même sur un passage piétons est une aventure périlleuse jusqu’à ce vous compreniez qu’il faut lever haut la main pour vous signaler. Alors les scooters passent derrière vous sans la moindre considération pour le pauvre bipède désorienté que vous êtes.

Les scooters sont à eux seuls une découverte. Mais attention, ce ne sont pas des machines à frimer, comme ici. Ils disparaissent sous des charges improbables, réfrigérateurs, poteries, fleurs, fruits et légumes, viandes et poissons provisoirement surgelés (la chaîne du froid n’est pas de rigueur), sans parler de grappes de femmes, hommes et enfants accrochés les uns aux autres dans un équilibre improbable. Hanoï conjugue modernité — gratte-ciels et magasins occidentaux, Chanel, Vuitton, Prada, automobiles japonaises ou vietnamiennes dernier cri, et tradition —temples et pagodes, et ce train qui circule au beau milieu de la ville à quelques centimètres des gens attablés aux cafés, ses estaminets de rue où les étals offrent au regard huîtres, palourdes entrouvertes et calmars, tous d’une fraîcheur relative : le Vietnamien s’est bâti un système digestif qui tolère à peu près tout. Les guides tentent de vous dissuader de consommer ce qui se vend dans ces échoppes — mais qui ne ressentirait pas l’envie de s’attabler là, sur une chaise en plastique, avec cette population locale qui dévore ses pâtes au bouillon en parlant haut et fort ?

Tu me fais le guide du routard, là !

Non. C’est pour dire que ce qui domine, au Vietnam, c’est le travail, à n’importe quelle heure, l’affairement constant, la course à la survie d’abord, à la conquête ensuite. Ils travaillent, et ils travaillent bien. Pour eux, pour leur pays, pour le futur de leurs enfants.

Ça me rappelle… Dans les années 1970, j’ai eu en cours un certain nombre d’enfants de boat people, réfugiés du sud-est asiatique, qui avaient survécu aux bonnes intentions des Américains et du Viêt-Cong. Ils arrivaient avec quatre mots de français en poche — et huit mois plus tard, ils caracolaient en tête des classements. De surcroît, les parents avaient eu l’intelligence de donner à leur progéniture des prénoms occidentaux, qui facilitaient grandement leur assimilation.

Ce qui ne gâtait pas leur appartenance à une culture vietnamienne ! Parce que c’est un vrai pays, avec une histoire plurimillénaire. Et si l’ethnie viet est largement majoritaire, avec 86%, le pays fédère 54 groupes ethniques, des Hmongs noirs, rouges ou fleuris reconnaissables à leurs tenues traditionnelles, aux Thays et autres minorités. Et tous se sont battus pour leur pays.

Mais enfin ! Qu’est-ce qui a pris à un homme de droite comme toi de partir plusieurs semaines dans un pays communiste ?

Le Vietnam n’a de communiste que le nom — abstraction faite du parti unique, de l’interdiction des manifs et du culte d’Hô Chi Minh. Le père de l’indépendance avait demandé que ses cendres soient dispersées dans le nord, le centre et le sud du pays — pour qu’une fois disparu, il soit partout. Le Parti en a décidé autrement : le héros national est non seulement affiché partout, et sur tous les billets de banque, mais il a été momifié façon Lénine.

La France est à bien des égards plus communiste que le pays du dragon — qui n’a pas de Sécurité sociale sauf pour les personnes âgées de plus de 80 ans, les enfants de moins de six ans et les gens très pauvres, pas de gratuité de l’école à partir de six ans, presque pas d’assurance chômage, 12 jours de congés payés à peine… Les syndicats qui pleurent pour la retraite à 62 ans pourraient en prendre de la graine… La France a remplacé le parti unique par la pensée unique, et la presse d’Etat par Radio France, France Télévisions, Arte et Le Monde.

Le Vietnamien travaille toujours et encore pour s’assurer une vie décente. Le Vietnamien paresseux (et souvent alcoolique) n’a quant à lui droit à rien. Ne pas croire pour autant que des racailles rançonnent le touriste, comme à Marseille : il n’y a pas de délinquance, dans un pays où les voleurs disparaissent purement et simplement de la circulation, et finissent par enrichir l’humus des rizières.

Je ne vais pas te faire l’article sur le ravissement des villages de montagne, les mains bleues des femmes qui teignent leurs tissus à l’indigo, les rizières en terrasses à perte de vue (le Vietnam est le premier exportateur de riz avec la Thaïlande et le second producteur de café après le Brésil), les repas aux saveurs uniques, les gosses qui jouent à la toupie au lieu de fixer leur portable d’un regard torve — et les sourires, partout, toujours. Ça nous change de regards haineux des immigrés qui ici nous reprochent de trop bien les accueillir.

Il y a les étapes obligées du tourisme, la baie d’Ha Lan en jonque, Huê et sa ville impériale, Hoi An, la ville des lanternes, le delta du Mékong en sampan — sur un fleuve jonché de détritus, la conscience écologique ne perturbe guère le Vietnamien moyen. Et partout, toujours, un peuple de fourmis travaille à un futur meilleur que le présent et digne du passé — parce qu’ils ne risquent pas, vu les programmes scolaires, d’oublier leur histoire et leurs héros.

Ça fait envie ! Quand y repars-tu ?

Ne ris pas : je songe à m’y installer. Un repas de fête, c’est huit euros par personne. Avec ma retraite, je serai là-bas le roi du pétrole !

Et je conclurai en laissant la parole à notre guide au Vietnam, Hieu Hanu (Petit matin printanier) : « Cám ơn  bạn vì đã đến Việt Nam với một tình yêu đặc biệt dành cho đất nước và con người chúng tôi. »

Merci d’être venu au Vietnam avec un amour spécial pour notre pays et notre peuple.

Guide du Routard Vietnam 2025/26

Price: 17,95 €

17 used & new available from 13,96 €

La Voie royale

Price: 8,40 €

73 used & new available from 1,46 €

Quand la France court après son intelligence perdue

0
Marine Le Pen prononce un discours lors du sommet des Patriotes pour l'Europe à Madrid, le 8 février 2025 © Paul White/AP/SIPA

Déglaciation. Peut-on encore croire en ceux qui, comme M. Bayrou, découvrent la question identitaire, qu’ils avaient sous le nez depuis des années, et qui caricaturaient les pionniers qui abordaient le sujet ? se demande Ivan Rioufol.


La révolution ? C’est à droite qu’elle gagne les esprits. Ce week-end, à Madrid, Marine Le Pen s’est jointe aux leaders de la droite nationale européenne pour décliner le slogan trumpien du Maga (« Make America Great Again »). Le « Make Europe great again ! » a été avalisé par la fondatrice du RN, lors d’une réunion des Patriotes pour l’Europe. La conversion atlantiste, conservatrice et libérale de la candidate supposée à la prochaine présidentielle n’a pas été revendiquée pour autant. Il n’empêche : quand Le Pen reconnaît que la victoire de Donald Trump constitue un « véritable basculement mondial », elle met ses pas dans ceux du président américain et de sa « révolution du bon sens ». Ce retournement vient rompre avec le chauvinisme d’un mouvement jusqu’alors rétif au modèle nord-américain.

A lire aussi: Mélenchon se convertit au zemmourisme

Jeudi dernier, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a lancé pour sa part une autre audace idéologique à propos du tabou du droit du sol : « Le débat public doit s’ouvrir sur le droit du sol dans notre pays (…) Il faut un effort pour devenir français. Être Français, c’est une volonté. C’est le droit de la volonté ». Embrayant sur cette révélation tardive, François Bayrou a souhaité « entrer dans le débat » sur l’identité française et l’acquis de la nationalité. Le Premier ministre a invité à réfléchir à la question : « Qu’est-ce qu’être Français ? ». Ces déblocages mentaux, au RN comme au gouvernement, sont d’autant plus spectaculaires que la gauche s’accroche, en réaction, à son passé dépassé. Cependant cette déglaciation en cours, sous l’effet du changement de climat porté par Trump et son retour aux frontières, laisse voir l’état comateux du débat en France, tétanisé par trente ans et plus de pensées sous surveillance. D’où la question : faut-il croire en ceux qui découvrent la question identitaire, qu’ils avaient sous le nez sans oser l’aborder et qui caricaturaient les pionniers qui abordaient le sujet ?

La réflexion de Schopenhauer se vérifie une fois de plus : « Toute vérité franchit trois étapes. Tout d’abord, elle est ridiculisée. Ensuite elle subit une forte opposition. Puis elle est considérée comme ayant été toujours une évidence ». Ceux qui ont alerté sur la débandade des « élites » à propos de la nationalité, de son contenu et de ses protections ont d’abord été assimilés à « la France rance », avant d’être combattus pour leur « xénophobie », pour enfin être rejoints par leurs contempteurs. Pendant longtemps, se réclamer de la nation a été vu comme une régression pétainiste, y compris par la droite de gouvernement. En mai 2015, Laurent Wauquiez, confronté désormais à l’envolée prometteuse de Bruno Retailleau, déclarait : « Nous souhaitons nous appeler les Républicains car nous défendons avant tout l’identité républicaine ». Cette même année, Nicolas Sarkozy reconnaissait, abordant la critique de son débat sur l’identité nationale de 2009 : « Je n’aurais pas dû parler d’identité nationale, mais dire que je voulais défendre les valeurs de la République ». Cette honte à parler de la France charnelle, de son âme, de sa mémoire et de son peuple est au cœur de la crise intellectuelle, qui fait passer le président américain comme le libérateur des cerveaux cadenassés.

Ce lundi, à l’occasion d’un sommet mondial coorganisé à Paris avec l’Inde, Emmanuel Macron, à la recherche d’un rôle, va tenter de se mettre au centre de la promotion de l’intelligence artificielle européenne et de cette autre révolution mondialiste venue des États-Unis. Mais l’urgence est d’abord de retrouver l’intelligence collective perdue.

Journal d'un paria: Bloc-notes 2020-21

Price: 20,00 €

36 used & new available from 2,36 €

Annie Dillard, seule

0
Le président Barack Obama décerne la Médaille nationale des sciences humaines à la romancière Annie Dillard, à la Maison Blanche, le 10 septembre 2015 © Andrew Harnik/AP/SIPA

Rencontre au sommet : quand le plus grand américaniste vivant – Pierre-Yves Pétillon – se déplace pour traduire une femme écrivain devenue culte – Annie Dillard.


« Un écrivain cherchant un sujet ne s’intéresse pas à ce qu’il aime le plus, mais à ce qu’il est le seul à aimer. (…) Pourquoi ne trouves-tu jamais aucun écrit sur cette pensée particulière dont tu parles, sur ta fascination pour une chose que personne d’autre ne comprend ? Parce que c’est à toi de jouer»

En vivant, en écrivant (1996)

L’Amour des Maytree est un roman où il est beaucoup question de la beauté, du sentiment de la nature (née en 1945, Dillard est l’auteur d’une thèse sur le Walden de H.D. Thoreau), des livres, de l’amour – de l’amour dans les livres, et de la vision qu’ils nous en donnent : « Des années de lecture n’avaient fait qu’étayer sa conjecture, à savoir qu’hommes et femmes ont en fait une perception identique de l’amour, à disons cinq pour cent près. »

L’Amour des Maytree est un livre où il est beaucoup question du temps qui passe, de la beauté qui persiste, et de ce à quoi permettent d’accéder les livres : l’émotion, la connaissance, la sagesse parfois – et ces sentiments que « seuls (ils) peuvent durablement fournir. »

L’Amour des Maytree est un livre crépusculaire et somptueux sur l’amour d’une vie, « l’amour longue durée comme acte de volonté » – et la « chute des jours » qui l’accompagne.

Argument d’autorité qui recommande de s’attarder : son traducteur qui se déplace peu ès qualités – Pierre-Yves Pétillon, le plus grand américaniste français vivant, auteur d’une Histoire de la littérature américaine – Notre demi-siècle 1939-1989 (1992 ; réédition augmentée en 2003, Fayard) – un de ces livres rares, sitôt parus, sitôt salués comme des classiques, qui justifient une vie de travail acharné… D’une intelligence incandescente. Donc Pétillon.

A lire aussi: Le plus parfait des amis

Argument de votre serviteur : avec quelques romans contemporains, parus dans le domaine anglo-saxon – Sur la plage de Chesyl de Ian McEwan, La Maison des rencontres de Martin Amis, Demain de Graham Swift ou Fugitives d’Alice Munro -, c’est un des romans qui auront marqué la première décennie des années 2000 (oui, on tient les comptes) : on les lit, on les relit, on en parle, on regarde leurs tranches dans nos piles de livres – on est ému, ils nous ont touché, enseigné.

C’est l’histoire de l’amour des Maytree (le titre, donc), de Toby, poète et charpentier, et de Lou, peintre à ses heures. De la naissance de leur passion, de la vie de leur passion, de ses métamorphoses.

C’est ensuite, après quatorze années de mariage avec Lou, l’histoire de la fuite de Toby avec une amie, Deary, de leur amour qui durera vingt ans, de la maladie et de la mort de Deary – et des retrouvailles de Toby et de Lou.

C’est, enfin, l’histoire de Toby qui choisit… l’amour, comme sujet d’étude. Vaste programme : « Dans toute son œuvre, il avait évité les sujets sentimentaux : l’amour, le chagrin. Mais, malgré tout, n’est-ce pas, ils vous rattrapaient. »

Toby lit (les scientifiques, les poètes et les écrivains : Stevenson, Henry Green, Borges, Baudelaire, Thomas Hardy), se demande comment il est possible que « l’amour apparemment absolu puisse se reproduire » (Lou, Deary), tente de comprendre.

Annie Dillard mêle Thoreau, Melville et Emily Dickinson. Du premier, elle a le regard  « transcendantaliste », pour lequel « chaque détail, intensément observé devient un macrocosme et une terre sainte, chaque micro-événement, une épiphanie » ; du deuxième, et de la religion presbytérienne de son enfance, elle a la « sensibilité à la violence tapie dans la Nature » ; enfin de la hiératique troisième, elle a l’intrépidité et le courage, dans sa volonté d’éveiller son lecteur et de le consoler du silence – « le silence du Seigneur, lointain, caché, mais planant, néanmoins, sur les eaux ».

L’univers qu’envisage et décrit la contemplative Annie Dillard est chargé de sens, de pensée. Son écriture intense, tantôt très concrète, descriptive (la nature, le quotidien, l’habitude), tantôt métaphysique, a le caractère élémentaire (sens strict) de son propos : elle bâtit un petit temple – elle, dirait « une cabane » – destiné à honorer le passage furtif et humble de nos pas sur l’immense et si « taiseuse » terre – voire à lui donner un sens. Finalement, plus que l’élémentaire, ce qui intéresse et requiert la solitaire Annie Dillard, c’est l’essentiel. Qui est peut-être la même chose, son autre nom.


L’Amour des Maytree, d’Annie Dillard. Traduit de l’anglais par Pierre-Yves Pétillon, Christian Bourgois, 280p.

L'amour des Maytree

Price: 2,36 €

24 used & new available from

Et toujours : Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi, Éditions de Paris-Max Chaleil, 2018 – à propos de 600 écrivains, femmes et hommes, de France ou d’ailleurs.

Gang bang theory

0
DR.

Dans un immeuble chic du 15 arrondissement, un organisateur de soirées libertines envisage plus de participants. Mairie et voisins crient au scandale. La préfecture tente de freiner l’orgie, mais la loi n’interdit pas les plaisirs privés… La police du fantasme est dépêchée sur les lieux.


Des soirées libertines parisiennes sont dans le collimateur de la mairie et des voisins. Cela se passe à Paris XVe, dans une résidence ordinaire, plutôt cossue. Au sous-sol, on trouve des locaux commerciaux où un mystérieux Z organise des soirées gang-bangs ce qui signifie, explique pudiquement Le Parisien, qu’une femme est placée au centre des attentions de plusieurs hommes1. Les hommes payent 80 euros, et peuvent être 20 maximum. La femme, évidemment consentante, n’est pas rémunérée (il n’y a donc pas de prostitution ni de proxénétisme). Ce sont des jeux sexuels entre adultes. Il n’y a rien d’illégal. Et pourtant, tout le monde voudrait les voir décamper. Mairie, Préfecture, riverains… Z affirme être très attentif à ne pas troubler le voisinage. Il donne rendez-vous à un pâté de maisons. «Ne venez jamais rôder en avance, faire les 100 pas ou attendre devant l’immeuble».

Du reste, la Préfecture verbalise les « stagnations dans le hall » et mène des contrôles ciblés d’infractions sur les stupéfiants. «En cas d’infraction avérée, une fermeture de l’établissement sera demandée», déclare une source préfectorale. Bref, Z est attendu au tournant.

Ne peut-on pas comprendre les riverains, non ?

S’il s’agissait d’une salle de sport avec bien plus d’allées et venues, cela ne gênerait personne. Mais il s’agit de morale. « Préfecture et mairie sont désemparées face à cette activité malsaine », lit-on dans l’article.  Pareil pour les riverains, farouchement opposés à ces pratiques «dégradantes» et «moralement difficilement acceptables». Chacun semble se sentir autorisé à juger la sexualité de ses contemporains. «Maintenant quand ils nous croisent, ils baissent les yeux. Mais ça reste dérangeant. Les hommes qui participent à ces gang bangs ont le fantasme du viol collectif », déclare un couple de riverains. Nous y sommes. Le fantasme du viol (partagé par pas mal d’adultes selon nombre d’enquêtes, y compris chez les femmes) est un crime contre la morale.

À lire aussi: Haut Conseil à l’Égalité: un rapport biaisé sur le sexisme

Le maire LR du XVe Philippe Goujon, qui promet de tout faire pour faire cesser ces cochonneries, déclare: « Après le procès de Mazan, on ne peut plus voir des choses comme ça ». Adorno disait qu’après Auschwitz on ne peut plus faire de poésie et le maire du XV nous apprend qu’après Mazan, finie la gaudriole ! Désormais, les seuls rapports sexuels autorisés, c’est papa dans maman le samedi soir. Et dans une position convenable svp.

Je rigole, mais j’enrage qu’on instrumentalise en permanence les femmes violentées, agressées ou violées pour réprimer une sexualité peut-être non-conventionnelle mais parfaitement légale et qui ne fait de mal à personne.

Ce puritanisme – cette pudibonderie même – n’ont rien à voir avec l’égalité ni avec la protection des femmes. Derrière ce cirque de dames patronnesses, il y a une haine de la liberté et surtout de la sexualité. Not in my name ! 


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy au micro de Jean-Jacques Bourdin dans la matinale

  1. https://www.leparisien.fr/paris-75/paris-les-soirees-gang-bangs-du-xve-pourraient-bientot-accueillir-plus-de-monde-au-grand-dam-des-riverains-08-02-2025-OIKTDUKXLBDZBP42NIDEUBBTW4.php ↩︎

TVA et micro-entrepreneurs: jamais travailler plus ne devrait signifier gagner moins

0
Le ministre de l'Economie Eric Lombard invité de RTL, 9 février 2025. DR.

Quand le gouvernement décide de faire payer la TVA aux micro-entrepreneurs dès qu’ils dépassent 25 000 € de chiffre d’affaires, cela grince des dents plus fort qu’un rideau de fer rouillé… Devant la levée de boucliers, Éric Lombard a finalement suspendu sa mesure, unanimement considérée comme pénalisante pour des travailleurs considérés comme précaires. Analyse.


Depuis quelques jours, la nouvelle mesure fiscale passée en force par le gouvernement de François Bayrou suscite une massive levée de boucliers et moults réactions indignées émanant de politiques, d’organisations professionnelles mais également de journalistes ou simples particuliers. La grande majorité s’offusque et se dit choquée que le gouvernement s’en prenne aux petites, voire aux très petites entreprises, celles que l’on appelle les micro-entreprises depuis la disparition du statut d’auto-entrepreneur en 2016. Le gouvernement prévoit en effet dans le budget 2025 d’assujettir à la TVA ces micro-entreprises dès lors que leur chiffre d’affaires annuel dépasse 25 000 euros, alors que le seuil était auparavant fixé à 37 500€ pour une activité de prestation de service et à 85 000€ pour le négoce (achat/vente de biens).

Revenus modestes

Comment imaginer sans honte renflouer les caisses de l’État en taxant l’activité des petits travailleurs indépendants dont le statut est souvent considéré, à juste titre, comme précaire ? Une fois n’est pas coutume, le discours du Rassemblement national à ce sujet s’accorde avec celui de La France Insoumise. Même l’édito de Pascal Praud du 6 février sur CNews rejoint sur le fond l’article de Mediapart du même jour, l’un prenant l’exemple d’un petit jardinier tandis que l’autre donne la parole à une secrétaire médicale et une gérante de friperie. Cependant, cette mesure est-elle si scandaleuse et injuste qu’elle en a l’air ? L’assujettissement à la TVA de ces micro-entreprises signera-t-il vraiment la mort de celles-ci ? Entraînera-t-elle forcément une baisse des revenus déjà modestes des travailleurs indépendants concernés ?

A lire aussi: Sous tutelle, vite!

J’ai le souvenir très net d’un échange téléphonique que j’ai eu avec un chef d’entreprise expérimenté alors que j’étais jeune entrepreneure. Je m’étais plainte auprès de lui de payer chaque mois bien trop de TVA. À ma grande surprise, loin d’abonder dans mon sens, celui-ci m’avait alors répondu : « Pour une entreprise, payer de la TVA c’est une bonne maladie ». En effet, plus on réalise de chiffre d’affaires, plus on paye de TVA. Payer beaucoup, c’est gagner beaucoup. Dans le négoce, hors achats intracommunautaires et activités saisonnières, se retrouver avec un crédit de TVA est même souvent synonyme d’une mauvaise période durant laquelle les dépenses ont été plus importantes que les encaissements. Aussi, le seuil d’assujettissement de TVA déjà existant, supposé être un coup de pouce fiscal pour les micro-entrepreneurs, se révèle souvent être un plafond de verre que beaucoup d’entre eux craignent de dépasser au point de freiner délibérément la croissance de leur activité, voire de l’arrêter complètement jusqu’au prochain exercice fiscal. Jamais travailler plus ne devrait signifier gagner moins.

Cap difficile

Plutôt que de propager l’idée que l’assujettissement à la TVA signerait forcément l’arrêt de mort des micro-entreprises, pourquoi ne pas les accompagner dans ce changement et leur développement ? Il s’agirait d’encourager les micro-entrepreneurs, les former à facturer et à établir des déclarations de TVA. Une fois passé ce cap, ce serait un frein de moins au développement de leur activité. Je ne dis pas que toute micro-entreprise a vocation à devenir une PME ou multinationale mais, économiquement, nous avons tout à gagner à tirer les entreprises françaises vers le haut.

A lire aussi: Bernard Arnault mène la charge pour l’industrie française

Si l’on parle de justice, cela fait plusieurs années que certains dirigeants de TPE et PME assujettis à la TVA dénoncent la concurrence déloyale des micro-entrepreneurs. Ceux-ci, pour un même service (ou vente de biens), dans un même secteur d’activité, peuvent afficher des tarifs potentiellement plus concurrentiels (la TVA représentant jusqu’à 20% du prix de vente) alors que quelques centaines ou milliers d’euros seulement séparent les chiffres d’affaires des deux entreprises concurrentes. Les clients eux-mêmes sont parfois perdus dans ces différences de facturation.

C’est le consommateur qui paie !

Rappelons également que la TVA n’est pas un impôt pour les entreprises mais bien une taxe dont le consommateur s’acquitte. On pourrait même dire que c’est un impôt « juste » puisque tout le monde le paye à hauteur de sa consommation. L’entreprise, elle, n’est que collectrice de la TVA, obligée certes de la reverser mais autorisée également à la récupérer sur ses achats ! Même lorsque l’activité est une prestation de service, le non-paiement de TVA sur les achats peut s’avérer très intéressante, que ce soit pour de la communication, du matériel ou même simplement les fournitures administratives indispensables à toute activité aussi modeste soit-elle. Dans le cas d’une activité de négoce avec une TVA à 20% par exemple, l’entrepreneur devra certes augmenter un peu ses tarifs mais cette inflation ne sera pas d’un pourcentage équivalent puisqu’une grande partie sera compensée par la récupération de la TVA sur ses achats.  

Si le contenu de cette mesure fiscale ne me choque pas, sa mise en place me laisse en revanche   dubitative. Faire cette annonce début février pour une application la même année, c’est méconnaître complètement les réalités du terrain et nier le bouleversement qu’un changement fiscal représente pour les micro-entrepreneurs, obligés, dans l’urgence et le stress, de revoir leur tarification, leur comptabilité et parfois toute leur organisation. En outre, cette mesure aurait été mieux accueillie si elle n’avait pas été isolée mais intégrée à un projet plus global visant par exemple à simplifier la fiscalité des entreprises, quelle que soit leur taille.

Lyrique: un opéra-oratorio de Haendel sacrifié à la transposition scénographique

0
© Vincent Pontet

À l’origine, Semele a la forme d’un oratorio profane – car on ne donnait pas d’opéra pendant le Carême. Œuvre tardive du compositeur saxon naturalisé anglais Georg Friedrich Haendel (1685-1757), elle n’eut alors qu’un succès très relatif – quatre représentations à peine.  Créée en 1744 à Covent Garden (soit trois ans après le célèbre Messie), Semele fut écrite en un temps record, par un compositeur à la santé très délabrée, en ce mois de juillet 1743, sur un livret de William Congreve tiré des Métamorphoses d’Ovide.

De cet opéra durablement éclipsé du répertoire lyrique, le Théâtre des Champs-Elysées avait donné une version scénique en 2004, reprise en 1010, –  au pupitre, Marc Minkowski puis Christophe Rousset. Au XXIème siècle, il n’est pas facile d’illustrer les trois actes de cet argument mythologique où s’entrecroisent dieux et mortels dans des jeux d’amour et de pouvoir fort compliqués: Jupiter est secrètement aimé de la princesse thébaine Semele, fille de Cadmus, promise en mariage à Athamas, prince de Béotie, dont Ino, la sœur de Semele, est elle-même éprise. Junon, épouse de Jupiter, est folle de jalousie. Jupiter prend l’apparence d’un aigle pour enlever Semele. Junon, aidé de sa servante Iris, en appelle à Somnus, dieu du sommeil, pour se venger. Elle se débrouille pour apparaître à Semele sous les traits de sa sœur Ino, et conseille à Semele (qui, rappelons-le, est mortelle) de se refuser à Jupiter tant qu’il ne lui promet pas l’immortalité. Pris au piège du serment qui lui est arraché, le dieu du tonnerre voue Semele aux flammes. Et Jupiter de décider qu’Ino épousera Athamas. Mais « des cendres de Semele surgira un phénix (…) Il témoignera d’un dieu plus grand que l’Amour et empêchera pour toujours les soupirs et les chagrins », assure Apollon, avant que le chœur des prêtres n’invite Bacchus à « crown the joys of love ». Bref, la vertu du foyer est sauve.

A lire aussi: Jeu de massacre

Sous la houlette d’Olivier Mears, l’actuel directeur du Royal Ballet londonien, cette fable hédoniste, flamboyante, peuplée d’Amours et de Zéphirs, ne revêt plus la forme que d’un marivaudage bourgeois. Sur un décor signé Annemarie Woods passablement anachronique, celui d’un palace post-art déco flottant entre les années 1940, 1950 et 1960, qui aurait été meublé avec froideur par quelque capitaliste parvenu, de mœurs légères : éclairé d’appliques murales en verre dépoli,  fermé en fond de plateau par une large baie totalement aveugle, un espace grisâtre au milieu duquel trône un vaste sommier circulaire dans le goût propre aux maisons closes, plumard drapé et molletonné d’un vert hideux, près duquel flambe une imposante colonne – cheminée habillée de carreaux de porcelaine (où se consumera Semele, of course). A main gauche, un meuble bas supporte une platine stéréo où, à l’occasion, entre deux clopes – car on fume beaucoup chez Haendel –  Semele fera crépiter un vinyle sorti de son étui, d’un chromatisme furieusement sixties. Le troisième acte nous transporte dans la repoussante bathroom envahie de tessons où un Somnus en caleçon et fixe-chaussettes prend les eaux du Léthé au fond de sa baignoire fangeuse. Puis retour dans la suite XXL de l’hôtel, siège, au passage, d’une bataille de polochons entre les deux frangines. Accoutrés de tenues pied-de-poule et de falzars amarante, les chœurs figurent les femmes de chambre et autres larbins de l’entreprise dont Jupiter est le grand patron… Junon, blonde marâtre atrabilaire, troquera au dernier acte son austère tenue noire pour une robe éclatant du rouge de la vengeance.

Aucune transposition contemporaine du répertoire lyrique baroque n’est, en soi, irrecevable. Sinon que toute la satire, à la fois capiteuse, leste et fantasmagorique où, extraites la fable antique, s’ébattent ces êtres surnaturels, voués aux plus improbables prodiges (Jupiter métamorphosé en rapace, Semele en beauté céleste sous l’effet d’un miroir magique…), se banalise ici jusqu’à la trivialité, sous les espèces d’une confrontation socioéconomique attisée par la frustration et la jalousie.

SEMELE – Au Theatre des Champs Elysees – Vincent PONTET

Ce parti pris élude l’enchantement, la fantaisie, le faste qui rutilent dans l’écriture baroque.  C’est d’autant plus navrant que sous les traits de la grande mezzo Alice Coote, Junon développe une musicalité cuivrée, d’une amplitude souveraine ; que la célèbre soprano sud-africaine Pretty Yende se risque pour la première fois hors du bel canto, son territoire de prédilection, pour exécuter les trilles et les ornements virtuoses du rôle-titre sans faillir ; que le contre-ténor Carlo Vistoli incarne Athamas impeccablement ; que le ténor Ben Bliss, surtout, campe un Jupiter  absolument superbe ; tandis que la jeune Irlandaise Niamh O’Sullivan se projette avec aisance dans le rôle d’Ino, tout comme la soprano arménienne Marianna Hovanisyan, qu’on découvre dans celui d’Iris… Quant aux chœurs du Concert d’Astrée, ils sont d’une solidité à toute épreuve. Et si Emmanuelle Haïm, comme toujours à la baguette de sa formation maison, dirige la fosse avec plus de nerf que de rondeur, Semele pourrait parfaitement se passer de mise en scène pour renaître de ses cendres.              


Semele. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Pretty Yende, Ben Bliss, Alice Coote… Direction : Emmanuelle Haïm. Mise en scène : Olivier Maers. Orchestre et chœur Le Concert d’Astrée.
Durée : 3h
Théâtre des Champs-Elysées, les 11, 13, 15 février à 19h30. Le 9 février à 17h.