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La Bretagne au soleil-levant

À la mi-mars, avant la saison des cerisiers en fleurs au Japon, Monsieur Nostalgie a soif de nature et nous parle d’Henri Rivière (1864-1951), l’empereur de l’estampe, le Montmartrois du Chat noir qui capta la lumière de Bretagne, du Paris ouvrier mais aussi du pourtour méditerranéen dans des lithographies devenues célèbres…


L’art d’Henri Rivière n’est pas hautain. Il ne surplombe pas celui qui observe son travail avec prétention. Il n’est pas idéologique, dans le sens où il imposerait une pensée dirigiste et voudrait, coûte que coûte, que l’on adhère à un quelconque message. Il ne nous prive pas de notre libre-arbitre. Et, en même temps, il est faussement décoratif, c’est-à-dire qu’il saisit la nature en rendant hommage à sa plénitude. Il se délecte d’une beauté qui serait un peu trop précise, un peu trop soignée, un peu trop élaborée et susciterait cependant une vague de nostalgie. Les lithographies de l’artiste sont des joyaux qui agissent en contraste, comme un double foyer, d’abord l’étendue, la quiétude, l’enracinement, le labeur de ces paysages vus mille fois, et quelque chose de plus intime, de personnel qui vient se nicher dans le regard, quelque chose qui est son propre rapport à la géographie des lieux et des hommes, quelque chose qui absorbe et évade. De l’ordre d’une imagerie populaire rassurante, de la carte postale reproduite à l’infini qui ne serait pas seulement jolie ou folklorique, patrimoniale ou maritime, mais bien nourriture de l’esprit, une sorte d’échappatoire au monde des vivants. Il y a chez Rivière de l’extrêmement vivant, ornementé, parcheminé, et aussi la trace d’un songe, une profonde rêverie sur notre passé. Depuis plusieurs années, deux experts, Olivier Levasseur et Yann Le Bohec, à l’initiative du catalogue raisonné paru en deux volumes et d’ouvrages aux éditions Locus Solus, sont d’indispensables passeurs. Ils font référence. Ils nous montrent évidemment ce talent qui aurait pu être négligé face aux démiurges des musées et des sachants, l’évolution de ses techniques, de l’eau-forte, à la gravure sur bois, pour arriver à la lithographie et à l’aquarelle à la fin de sa vie. Ce cheminement est le parcours d’un esthète doublé d’un graveur de haute volée, capable de « superposer » 8 à 12 couleurs, pour obtenir le mirage d’un décor. Son miroitement flottant. Son onde féérique. Rivière a été imprégné de Japonisme. Il fut l’un des plus grands collectionneurs d’art japonais de son temps, il possédait plus de 800 œuvres alors que Monet, lui aussi admiratif de ce mouvement n’en avait « que » 250.

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Rivière, entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, va créer des lithographies remarquables grâce à « la collaboration active de l’imprimeur et lithographe Eugène Verneau ». Des séries qui ont fixé un imaginaire plein d’arabesques et de saisissement du réel. Car, Rivière est au plus près de son sujet, de ses personnages bien ancrés dans la vie quotidienne. Sa série sur le beau pays de Bretagne est magistrale. Il se fait même construire dans ce bout de la terre une maison, dans le lieu-dit la lande de Mélus (Côtes d’Armor). Rivière est un reporter élégant des activités d’alors, il nous conte le lent écoulement du temps présent : le départ des bateaux à Tréboul, une paysanne le soir à Loguivy, des sardiniers, un lavoir ou un vieux moulin, la vie de nos aïeux dans leur simplicité, leur rusticité et leur béatitude, l’histoire des nôtres se met alors en marche du côté de Bréhat ou du port de Ploumanac’h. Une forme de sagesse respectueuse nous étreint. Des signes d’éternité à l’horizon. Rivière, pur Parisien de la Butte, a également laissé son empreinte sur la capitale avec ses trente-six vues de la Tour Eiffel. Sous la neige, vue du Trocadéro, on voit la construction de la tour boulonnée s’édifier, le premier étage vient d’être atteint. Rivière a le culte des travailleurs et d’un Paris en transformation, les mariniers du quai d’Austerlitz cohabitent avec les fortifications et les maraîchers de Grenelle. Du quai de Passy aux gargouilles de Notre-Dame, un Paris gris fumeux et perlé nous appelle. Rivière a su quitter la grisaille du pavé pour s’abreuver de Méditerranée. Jusqu’au 2 novembre, le Musée d’Histoire et d’Art de Bormes dans le Var lui consacre une exposition intitulée « Artisan de la lumière – Du chat noir aux paysages du Sud » recueillant une centaine d’œuvres. Et si, à l’arrivée des beaux jours, vous effectuiez la diagonale entre Douarnenez et Bormes-les-Mimosas.

Henri Rivière, Artisan de la lumière, Du Chat noir aux paysages du Sud. Informations pratiques ici.

Hymne à la joie

Après Dernier royaume, cycle de douze livres publiés de 2002 à 2023, Pascal Quignard renoue avec la forme romanesque pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.


L’on se souvient de Tous les matins du monde ou de Villa Amalia, tous deux adaptés au cinéma. Le premier par Alain Corneau, le second par Benoît Jacquot. Trésor caché, dernier roman de Pascal Quignard, est de cette veine-là. Tout commence comme dans un conte. Une femme, Louise, obligée de faire piquer Peer son chat adoré, décide de l’enterrer dans son jardin. Là, tandis que ses mains fouissent la terre, elle découvre un trésor. Une vieille boîte détrempée contenant bagues, bracelets et louis d’or. Correctrice free-lance pour différentes maisons d’édition, rien n’oblige Louise à rester travailler dans sa maison qui, comme celle de Pascal Quignard, se trouve sur la rive de l’Yonne. La quinquagénaire décide alors de mettre à profit son butin pour voyager. Direction Naples puis les îles Phlégréennes. Nisica, Procida, Ischia et Vivara. Un périple enchanteur au cours duquel elle va rencontrer Luigi, un homme plus âgé qu’elle. Entre promenades et baignades, le couple va vivre des heures bénies. Hélas la Dolce Vita ne durera pas. Luigi souffre d’un mal incurable et bientôt sa vie va en être transformée. « Quand le destin plonge un homme dans le terrible esseulement de la mort, il ne lui reste plus qu’à chérir sa solitude. Qu’à lui faire la cour, qu’à la couvrir de présents. C’est la future compagne. Elle mérite les plus grands égards ». A la mort de sa mère, le mal de Luigi va empirer et Louise n’aura d’autres choix que de l’accompagner dans ses derniers instants. Dans le même temps, du côté de Dinard, son père qui a perdu la mémoire se meurt dans un EHPAD. En l’espace d’un été, Louise va perdre son mari, son père et son amant. Heureusement il y a les chats qui ont ce pouvoir enchanteur d’atténuer le désespoir, de guérir toutes les douleurs. Il y a Peer, donc, le chat qui partageait la vie de Louise depuis dix sept ans mais aussi Bee la petite chatte de l’enfance ou encore Bach et Petit Ruisseau. L’on sait l’amour de l’auteur pour les félidés qui lui inspirent parmi les plus belles pages de ce livre. Il y a aussi celui de la musique. Celui de la nature. S’il est bel et bien un trésor dans ce roman c’est moins celui que découvre l’héroïne dans ses premières pages que celui de toutes les splendeurs du monde. La neige de l’enfance qui tombait en silence. La chaleur des îles qui obligeait les passants à sauter d’ombre en ombre, comme au jeu de marelle. Les petites pommes muries longtemps sous le soleil. Les bains de mer aux premières lueurs de l’aube. Louise va s’en repaître et apprendre à vivre avec les morts qui l’entourent. Ces morts qui reviennent hanter les vivants, auxquels elle a fini par s’habituer depuis que sa mère l’a abandonnée quand elle avait sept ans. Nulle frontière chez Pascal Quignard entre morts et vivants, rêve et réalité, passé et présent. Tout communique et s’enrichit mutuellement. « Le bonheur est farouche -nous dit-il- : il faut savoir l’accueillir ». C’est ce que fait Trésor caché avec infiniment de grâce et de poésie dans une langue de toute beauté.

304 pages

Trésor caché

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Emmanuel Godefroy peint son intérieur

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Le peintre et dessinateur Emmanuel Godefroy  – qui peint depuis quarante ans – expose actuellement au magasin Cavavin, 8, rue des Vergeaux, à Amiens (et jusqu’au 2 avril), quatorze œuvres, toiles et portraits sur papier. « Des portraits intérieurs pour des images extérieures », explique-t-il lorsqu’on l’interroge sur le thème proposé. Le vernissage de l’exposition s’est déroulé le vendredi 7 mars en fin d’après-midi ; je m’y suis rendu d’un pas vif et assuré en compagnie de ma Sauvageonne, rayonnante et intéressée elle qui, non seulement joue la comédie, mais peint aussi comme elle respire. (Et elle respire bien.)

Nous arrivâmes avec un quart d’heure de retard ; il y avait du monde et de l’ambiance. Le caviste, François Lefèvre, maître des lieux, avait bien fait les choses. Le vin blanc qu’on nous a servi bien frais, était un mélange de sauvignon et de chardonnay si mes souvenirs sont bons. (Ils doivent être bons car j’ai bien plus de mémoire pour le sang du Christ que pour mes cours de mathématiques de 3ème D au collège Joliot-Curie de Tergnier, dans l’Aisne). François Lefèvre ne propose pas seulement d’excellentes bouteilles ; il aime aussi l’art. Ainsi, régulièrement, il invite les artistes d’Amiens et des alentours à venir exposer dans son magasin ; c’est tout à son honneur. Il y a peu, c’était donc le tour d’Emmanuel Godefroy.

Rollin and Tumbin

C’est euphémisme de dire que sa peinture interpelle. On y voit des êtres au regard inquiet, voire angoissé ; on les dirait rongés par la désespérance de la vie, par son absurdité totale, par l’inéluctabilité de la chute. Si Cioran avait peint, il eût pu le faire à la manière d’Emmanuel Godefroy. Ce dernier avoue qu’il ne fait que reproduire le ressenti de ses états intérieurs, « le reflet de mes états d’âme. » Comment a-t-il choisi ces quatorze toiles ? « Il y en a de récentes mais aussi des anciennes, à l’image de ce tableau du fond de mon atelier, réalisé en 2005 sur lequel je nettoyais mes pinceaux. J’ai finalement décidé d’en faire une création. » Les visages qu’il nous donne à voir détiennent souvent quelque chose de christique. Volonté ou simple impression ? « C’est vrai mais pourtant, je ne le souhaite pas. Nous sommes tous imprégnés de culture religieuse », dit-il. « Mais je ne veux pas être taxé de peintre religieux ; ce n’est pas mon propos ; cependant, il m’arrive de pleurer devant l’ange de la cathédrale d’Amiens. » Deux heures plus tard, alors que nous baguenaudions dans l’obscurité naissante, nous nous rendîmes au Charleston où se produisait le groupe Rollin’and Tumbin’. C’était plein à craquer et sacrément bien. Le combo s’adonne à des reprises de grands standards du rock et du blues anglo-américain, des morceaux de Creedence Clearwater Revival, Lynyrd Skynyrd, Led Zeppelin, Eric Clapton, Chuck Berry, Elvis Presley, The Beatles, The Rolling Stones, The Kinks… ça dépotait ! Pierre, le guitariste-chanteur, assure ; il en est de même pour les trois membres des Rabeats à ses côtés : Marcel (guitare), Flamm (batterie) et François (basse). Le bouillonnant Laurent Goulet y est allé que quelques solos d’harmonica très bluesy. Puis, ma Sauvageonne et moi, nous fondîmes dans la nuit amiénoise, la tête dans les étoiles.

Fini la romance

Les statistiques montrent que les films romantiques sont inexorablement sur le déclin.


Le romantisme est-il en train de disparaître au cinéma ? C’est ce que suggèrent les analyses du Britannique Stephen Follows, blogueur spécialiste du grand écran1. En compilant les données du site IMDb pour la Saint-Valentin, il a constaté que les films romantiques n’avaient en effet plus du tout la cote.

Si en 2000, 34,8 % des films réalisés étaient encore classés comme « Romance » sur IMDb, ce chiffre a chuté continuellement pour tomber à moins de 10 % aujourd’hui.

Ensuite, travaillant à partir d’une base de données répertoriant 17 430 films sortis depuis les années 1930, Follows a mis en évidence un déclin global qui s’est accentué au cours des vingt-cinq dernières années. Courbes détaillées à l’appui, il démontre que les intrigues romantiques deviennent moins centrales dans la production de films depuis le début du siècle, mais qu’elles restent parfois présentes sous forme de sous-intrigues. Certains sous-genres romantiques ont quasiment disparu, notamment les films montrant des clichés sur l’« amour interdit » ou des héros passant d’« ennemis » à amoureux. Adieu Roméo et Juliette ! En revanche, les bluettes dans lesquelles les amours prennent du temps à se concrétiser ou les héros se donnent une seconde chance résistent un peu. Cette évolution générale des goûts du public interpelle. Si le genre romantique reste présent dans la production des services de streaming ou dans la fiction « New Romance » que plébiscitent beaucoup de jeunes femmes, on dirait que la consommation de ce type d’histoire a quitté les salles de cinéma pour se réfugier dans l’espace intime de la maison ou de la lecture. La société est-elle devenue plus pudique ? En 2024, Follows a découvert que la présence du sexe dans les films a chuté de 40 % depuis 2000. Pouvons-nous compter sur le dernier Bridget Jones dans les salles pour sauver l’amour ? Malheureusement, il est reconnu assez unanimement comme médiocre… même si IMDb lui donne tout de même une note généreuse de 6,8 sur 10.

  1. https://stephenfollows.com/p/is-romance-in-movies-dying ↩︎

Action !

Thierry Frémaux met en lumière les films des premiers temps du cinématographe, témoins fascinants de l’incroyable précocité du septième art.


Thierry Frémaux, le patron des festivals du film de Cannes et de Lyon, poursuit sa fabuleuse mise en valeur des premiers films tournés par les frères Lumière et leurs opérateurs envoyés à travers le monde.

Inventé en 1895, le cinématographe n’en finit pas de nous émerveiller comme un nouveau-né dont on connaît la magnifique postérité mais dont on redécouvre l’incroyable précocité. Tout y était déjà ou presque : la fiction, le documentaire, le travelling, le comique, le burlesque et cette fenêtre ouverte sur le monde. On est sidéré par ces petits films de moins d’une minute qui racontent une histoire, décrivent un décor, font ressentir une ambiance. On a beau se dire que nous ne voyons là que des fantômes, des vivants bientôt morts… plus d’un siècle après, ils sont au contraire la jeunesse du cinéma, sa vitalité, son allant, sa croyance en une vie éternelle qui serait à l’intérieur même des images.

Certains se gargarisent de la mort du cinéma. Qu’ils aillent voir ces films pour comprendre que le cadavre n’a pas fini de bouger !

Weber: la clarinette élégante d’Arthur Stockel

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Un disque met à l’honneur trois chefs-d’œuvre de Weber pour clarinette, sublimés par l’interprétation épurée et virtuose d’Arthur Stockel, accompagné du Quatuor Hanson et de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg.


Le compositeur du Freischütz (1820), œuvre fondatrice du lyrisme romantique allemand, entretenait pour la clarinette une passion qui n’a rien d’anecdotique : il suffit pour s’en convaincre de réécouter la sublime ouverture du célébrissime opéra.  Dès 1811, Carl Maria von Weber, alors âgé de 25 ans, composait ses deux concertos pour clarinette, ainsi que le fameux quintette pour clarinette, achevé, celui-ci, en 1815. Trois chef-d’œuvres absolus du répertoire, tous trois écrits pour son ami munichois et instrumentiste virtuose Joseph Baermann (1784-1847). Rappelons que la tuberculose emportera Weber en 1826, à l’âge de 39 ans à peine !

Ces trois morceaux majeurs étaient donnés en concert dans la petite salle Cortot, à Paris, le 7 mars dernier, dans une version chambriste, par le Quatuor Hanson, complice de longue date du jeune clarinettiste français Arthur Stockel, formé au Gustav Mahler JungenOrchester et à la Mahler Chamber Orchestra Academy, et qui, à l’âge de 21 ans, a été nommé clarinettiste solo de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg. Ce récital célébrait la sortie concomitante d’un premier album réunissant ces trois pièces majeures du compositeur, enregistrées en 2023 avec un Orchestre Philharmonique du Luxembourg dirigé par le chef britannique Leo McFall et, pour le quintette, le Quatuor Hanson susnommé.

Il faut saluer comme il se doit la parution de ce CD, et pas seulement pour l’excellente qualité de la prise de son : elle privilégie, sur la mise en avant parfois un peu artificielle de la partie solo, son immersion dans l’étoffe polyphonique. Mais surtout, Arthur Stockel, à distance des tentations ornementales véhiculées par ces trois partitions d’extrême virtuosité, prend le parti d’épurer au maximum la merveilleuse ligne mélodique de la clarinette, instrument qui, par excellence, allie les plus bouleversantes sonorités élégiaques et l’expression éclatante d’une précaire allégresse. Le résultat ? Captivant de bout en bout.


Carl Maria von Weber, concertos pour clarinette 1 et 2, quintette pour clarinette. Arthur Stockel, clarinette, Orchestre Philharmonique du Luxembourg, direction Leo Mcfall, Quatuor Hanson

1CD Aparté.

Weber Concertos, Clarinet Quintet

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L’affaire de la rue du Bac

Dans une série d’articles un peu sordide et sur une « Une » publiées en juin 2024, le journal Libération avançait que l’Académicien Jean-François Revel (1924-2006) aurait fait partie d’une bande de pédocriminels. Mais aucune preuve solide n’est venue confirmer cette allégation depuis.


On dirait un titre à la Simenon. À ceci près qu’ici le sordide est encore plus oppressant, plus étouffant qu’il peut l’être dans les intrigues les plus noires, les plus glauques du père de Maigret. Nous sommes devant une de ces affaires de pédocriminalité qui soulèvent le cœur et révoltent l’esprit. Une de plus, direz-vous. Cette fois elle a pour décor les beaux quartiers et pour protagonistes de beaux esprits.

En juin dernier, le journal Libération sort une enquête fleuve en six volets, Les hommes de la rue du Bac[1]. L’existence d’un ancien réseau de pédocriminels ayant sévi à Paris, rive gauche, donc, notamment entre les années 1977 et 1980 y est révélée. Des personnalités connues de l’époque, appartenant à ce qu’on peut appeler l’intelligentsia, se seraient constituées en bande pour infliger à des enfants d’abominables sévices sexuels. Parmi ces enfants, Inès Chatin, la fille adoptive du docteur Jean-François Lemaire, médecin, chroniqueur de presse, au domicile duquel – 97 rue du Bac – ces prédateurs se retrouvaient. Des noms sont publiés. Celui du docteur Lemaire, bien sûr, qui apparaît comme l’organisateur, celui de l’écrivain Gabriel Maztneff, mais, beaucoup plus inattendus, ceux de Claude Imbert, fondateur et directeur du Point, et de Jean-François Revel, directeur de l’Express, philosophe, essayiste de renom et membre de l’Académie française. Figure également le nom d’un avocat, François Gibault, qui encore en vie aujourd’hui (92 ans) – contrairement à Revel et Imbert, tous deux décédés – a démenti toute implication dans ces horreurs et porté plainte pour diffamation et dénonciation calomnieuse à la suite de la publication des articles de Libération. Ce point est à souligner.

C’est sur la base du dossier qu’Ines Chatin a déposé auprès de l’OFMIN (Office mineurs), avec copie au journal, que celui-ci déroule son enquête.

Aujourd’hui âgée de cinquante ans, elle y révèle que dans son enfance, entre quatre et sept ans, de 1977 à 1980, elle subit de ces hommes des agressions sadiques et qu’elle a été régulièrement violée jusqu’en 1987. Elle a alors quatorze ans.

À l’appui de son témoignage, des documents : agendas, courriers, livres d’or du docteur Lemaire, le père adoptif, et surtout des enregistrements dans lesquels, à la fin de sa vie, celui-ci reconnaît les faits et, précise Libération, « mouille certains de ses amis à des degrés différents, surtout Gabriel Maztneff (…) et Claude Imbert. » Et dans une moindre mesure, l’avocat Gibault. Jean-François Revel quant à lui n’est nullement évoqué dans ces confessions. De plus, il n’apparaît pas dans le paysage Lemaire avant les années 1980, c’est-à-dire qu’on n’y trouve sa trace qu’après la période où les faits criminels ont été commis. Et encore, n’y figure-t-il, dans ce paysage, qu’à la manière d’une vague relation, en aucun cas comme un proche ou un intime. C’est ce que montre fort bien la contre-enquête de Martin Bernier publiée par le Figaro[2] le 11 mars.

À la lecture de ce rigoureux travail d’investigation on se demande ce que ce pauvre Revel vient faire dans cette galère. Ou plus exactement comment se fait-il qu’il se retrouve – et à une telle place ! – dans ces articles de Libération. La source en est une des affirmations de la plaignante, Ines Chatin. C’est donc la mémoire de cette petite fille de sept ans, mémoire différée de quelque quarante-trois années, qui seule fait référence, puisque, en réalité, aucun élément probant ne vient étayer l’accusation.

Les enfants de Jean-François Revel le déclarent eux-mêmes, avec une retenue et une bienveillance qui, d’ailleurs, les honorent : il n’est aucunement question de mettre en doute, si peu que ce soit, la sincérité du témoignage de la fille adoptive de Lemaire, non plus – bien évidemment – de nier sa douleur de victime. Dont acte.

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Nous savons bien, tous autant que nous sommes, que la mémoire se plaît à nous jouer des tours, que la confusion est un des plus fréquents. Confusion de lieux, de personnes, de dates, etc. De Revel, elle dit qu’il pesait lourd, qu’il « sentait mauvais et que même sous quarante masques et quarante capes (les monstres se déguisaient ainsi), elle le reconnaîtrait ». Alors, on en vient à aller chercher des témoignages de proches, par exemple de telle collaboratrice au quotidien et au long cours, pour savoir si l’intéressé sentait bon ou pas. « Il était propre comme un sou neuf » témoigne la collaboratrice… Être réduit à en appeler à l’odeur de sainteté, comme au temps des procédures obscurantistes de la chasse aux sorcières, pour tenter d’innocenter celui qui se retrouve cloué au pilori ! On se pince.

Il semble fort que Libération soit allé un peu vite en besogne sur le cas Revel dans cette affaire. Un peu vite et surtout un peu trop loin. Parmi d’autres rapprochements d’une pathétique indigence, la rédaction n’est-elle pas allée chercher dans la relative proximité de la tombe de ce dernier avec celle de la femme qui aurait facilité l’adoption d’Ines Chatin, un indice à charge ? Là aussi, on se pince. Cette ineptie a depuis été supprimée.

Et puis, il y a le nom Revel en une du journal, en bonnes grosses lettres rouges. Du propre aveu de l’un des auteurs des articles auprès de Nicolas Revel, le fils de Jean-François, ces auteurs eux-mêmes y étaient plutôt opposés. Mais « l’exercice de la une est collégial à Libé (…), s’est défendu le journaliste. Le nombre a parlé (…) L’idée qu’une « une » doit parler immédiatement à un lecteur passant devant un kiosque ou une gare l’a emporté. » Édifiant.

Affaire à suivre, cela dit, puisque la famille se déclare prête à saisir la justice sur le chef d’atteinte à la mémoire. En fait, Libération, qui adore donner des leçons de méthode journalistique et de déontologie à la profession entière, vient, avec ces articles, de nous en administrer une qui doit porter bien au-delà de la sphère médiatique : pour parer à toute éventualité, on doit s’efforcer autant qu’on peut de sentir bon et se montrer vigilant quant au voisinage qui sera le sien au cimetière.

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[1] https://www.liberation.fr/dossier/hommes-rue-du-bac/

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/affaire-pedocriminelle-de-la-rue-du-bac-contre-enquete-sur-l-accusation-visant-jean-francois-revel-20250311

Lyrique: «Amour tyrannique, cesse ta cruauté!»


Terrée dans les sous-sols peu avenants de l’Opéra-Bastille, la petite salle en rotonde de l’Amphithéâtre Olivier Messiaen est en placement libre. Au seuil de la représentation, les spectateurs demeurent rivés à leurs smartphones, la plupart d’entre eux curieusement indifférents au beau danseur brun (Nicolas Fayol, formé au breakdance) qui, sa flexible nudité enveloppée d’un simple caleçon couleur chair, le chef coiffé de petites cornes animales, bondit telle la biche sur le massif rocher central, ou arpente à quatre pattes le sol charbonneux du plateau, sur fond de pépiements d’oiseaux.

Opéra en format poche

Prélude à L’isola disabitata (L’île déserte), « azione teatrale » chantée en italien, comme il se doit, courte partition (moins d’une heure et demi) composée en 1779 par Joseph Haydn, sur un livret de Métastase, déjà maintes fois exploité alors par le genre lyrique. Un opéra en format de poche, en quelque sorte. À main gauche de la salle s’installe, en gradins, la petite formation de l’orchestre Ostinato, dirigé par le maestro hispano-américain François Lopez-Ferrer (lauréat du prix Sir Georg Solti en 2024). Pour les parties chantées alternent, selon les représentations, plusieurs artistes en résidence à l’Académie maison. Pas de chœur dans cette œuvre qui ne mobilise que deux mezzo ou soprano pour les voix de femmes, un ténor et un baryton pour les rôles masculins.

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L’intrigue se résume à presque rien. Constanza et sa petite sœur Silvia, pris dans une tempête, échouent sur une île déserte. Capturé par des pirates, Gernando, l’époux de Constanza, a pu s’échapper avec son ami Enrico. Treize ans ont passé. Les deux garçons débarquent sur l’île où Constanza, se croyant trompée et abandonnée, a transmis à la virginale Silvia sa défiance vis-à-vis de la gent masculine. Mais les sens de la candide Silvia s’éveillent irrésistiblement au contact d’Enrico. Par chance, tous ces fâcheux malentendus finiront par se voir levés et, dans un réjouissant quatuor final, les deux couples hissent les voiles pour convoler en justes noces.

Intelligent et raffiné

Au départ danseur du Corps de ballet de l’Opéra de Paris, puis metteur en scène en résidence à l’Opéra de Paris, Simon Valastro signe ici une nouvelle production : intelligente, discrète et raffinée. Selon sa position dans l’espace scénique, le rocher pivotant se transforme en refuge voire, au dénouement, en proue du navire où, sur fond d’écume figurée par une fumée blanchâtre à ras de sol, une voile bleue victorieusement levée, embarqueront Costanza et Gernando, Silvia et Enrico, rescapés voguant désormais vers le bonheur conjugal.

La même sobriété allusive s’attache aux costumes imaginés par Angelina Uliashova pour ces quatre rôles : ils se déplacent, pieds nus, dans la lumière changeante du huis-clos insulaire, vêtus d’étoffes blanches ou beiges qui les caractérisent chacun – nuisette immaculée pour la candide adolescente Silvia, robe à traîne pour l’âpre Costanza, par exemple… Laquelle finira par avouer à sa cadette :  « Les hommes ne sont pas, comme je te le disais, inhumains et infidèles ». Par les temps qui courent, en 2025, la leçon est bonne à prendre.

Au soir de la première, une ovation nourrie s’adressait tout autant à la remarquable performance de l’orchestre qu’aux quatre interprètes en piste ce 11 mars –  mezzo Amandine Portelli (Costanza), ténor Liang Wei (Gernando), baryton Clemens Frank (Enrico), soprano américaine Isobel Anthony (Silvia). A cette dernière, surtout, vont mes suffrages personnels, si je puis me permettre : vibrato serré d’une grande expressivité, subtilité, douceur de l’émission vocale, articulation parfaite dans les vocalises, jeu d’une vitalité, d’une sincérité touchantes.  


L’isola disabitata, de Joseph Haydn. Direction : François Lopez-Ferrer. Mise en scène : Simon Valastro. Orchestre Ostinato. Artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris.
Durée : 1h30
Opéra Bastille, amphithéâtre Olivier Messiaen, les 14, 15, 18 et 21 mars à 20h.

Dernières leçons de maintien en date de tous ces cultureux qui me fatiguent…

L’élection de Donald Trump aux États-Unis glace le sang de François Cluzet, Yann Barthès, Omar Sy et Emmanuelle Béart. De son côté, Daniel Craig, alias « 007 », redoute un retour en force de la masculinité toxique. Tilda Swinton tremble face au retour des frontières, tandis que Nagui sermonne les candidats qui n’aiment pas Gaïa et les vachettes autant que lui. Une chronique signée Didier Desrimais, qui passe sans doute un peu trop de temps devant la télé !


Le panurgisme des artistes n’a d’égal que celui des journalistes. Ça bêle à qui mieux-mieux dans les milieux cultureux. Les moutons défendent identiquement certaines valeurs, dénoncent pareillement certains fascistes, préconisent semblablement de sauver la planète et d’abolir les frontières. Naturellement de gauche, ils ne peuvent s’empêcher de donner des leçons de morale et de politique au monde entier. Sur LCI, à Darius Rochebin lui demandant ce qu’il pense de l’arrivée de Trump au pouvoir, l’acteur François Cluzet balbutie : « Dabord, ce qui est incroyable cest quil ait pu être réélu. Ça a été vraiment la surprise du chef. Comment ce type qui est dune obscénité incroyable, dune vulgarité sans nom, qui propose des trucs dont il change davis (sic) la semaine daprès ou en tout cas qui ne se réalisent pas… » La phrase, inachevée, reste en suspens au-dessus du vide cérébral.

La France a peur…

L’acteur égrène ensuite de confuses et craintives considérations qui semblent enchanter M. Rochebin. M. Cluzet confie en effet avoir peur pour l’Amérique et pour l’Europe. Il récite l’évangile européiste selon Sainte Ursula en invoquant Victor Hugo et son désir de voir naître un jour les États-Unis d’Europe. Adepte de formules creuses, usées jusqu’à la corde par Jack Lang et par ses congénères, il dit être persuadé que, grâce à une UE forte et « ouverte », nous allons « surtout nous enrichir culturellement ». L’enrichissement culturel auquel songe l’acteur s’affiche d’ores et déjà dans l’espace monotone et uniforme d’une Europe wokisée, macdonaldisée, jeffkoonsisée, netflixisée – et donc culturellement appauvrie. Ce monde « ouvert et inclusif » accueille en outre en son sein un nouvel enrichissement culturel issu d’une immigration extra-européenne imposant petit à petit de nouvelles mœurs, une religion qui a fait ses preuves en termes de paix et de tolérance, un jeûne du mois de ramadan d’ores et déjà plus souvent cité et honoré dans nos médias et dans certaines de nos villes que celui qui accompagne le Carême, des commerces halals de plus en plus nombreux, des modes vestimentaires inédites sous nos latitudes. À ce propos, la dernière vidéo publicitaire de la marque de vêtements islamiques Merrachi annonce explicitement le projet d’enrichissement culturel des Frères musulmans et des islamo-gauchistes : la Tour Eiffel y est en effet recouverte d’une abaya et d’un hijab…

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Le 10 février, l’insipide Yann Barthès recevait sur le plateau de Quotidien les protagonistes du dernier film d’Anne Le Ny, Dis-moi juste que tu m’aimes. Omar Sy, à propos de l’élection de Donald Trump : « C’est tragique ». Court, sobre, efficace, sans doute la meilleure prestation de l’acteur. Elodie Bouchez, elle, confie avoir beaucoup aimé vivre à Los Angeles, « mais ce qui se passe aux États-Unis est dramatique….  avec le retour de Trump. Ça fait froid dans le dos. » Nous étions au début d’une nouvelle ère glaciaire dans les médias…

24 février. La matinée est fraîche. Un vent polaire balaie la matinale de France Inter. Bien qu’emmitouflée dans un épais pull en laine, l’actrice Emmanuelle Béart frissonne : « L’élection de Trump me glace le sang. Et puis nous, nous lEurope, on ne réalise pas à quel point à partir daujourdhui nous sommes en danger. » Nous n’en saurons pas plus. Un silence hivernal étreint cet avertissement impénétrable. Brr !

Hollywood et le Fouquet’s ne dorment plus…

Sur France Inter, toujours. Daniel Craig est reçu pour son dernier rôle dans le film de Luca Guadagnino, Queer. Il est horrifié, dit-il, par le « retour violent de la masculinité », en particulier en politique, « avec les extrêmes », suivez mon regard. Le discours woke de M. Craig est aussi ennuyeux et convenu que le film dont il fait actuellement la promotion, si je veux en croire Éric Neuhoff qui, dans Le Figaro, conseille d’écluser une bonne rasade de mescal pour « se remettre de ce pensum prétentieux ». Je ne suis pas allé voir le pensum en question ; j’ai préféré déguster un excellent whisky écossais en regardant Skyfall, un des meilleurs James Bond avec Daniel Craig du temps où la masculinité ne lui faisait pas peur.

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50ème Cérémonie des César. Le cinéma français subventionné et subclaquant se regarde mourir. Durant cette longue soirée mortuaire, chacun cache son ennui du mieux qu’il peut. Signe des temps, le film woke de Jacques Audiard rafle logiquement la mise. Les discours édifiants sont aux petits oignons : un coup sur Trump, un coup sur « l’extrême droite fasciste », un coup sur Israël, un coup sur la Russie, un coup sur Bolloré – ah ! non, pas sur Bolloré, en tout cas pas ce soir : la cérémonie est, comme tous les ans, retransmise sur Canal + et Vincent Bolloré est le premier financeur du cinéma français. Bohèmes, oui, mais bourgeois, avant tout… et tout ce petit monde de finir la soirée au Fouquet’s, aux frais de la princesse.

Lors d’une autre veillée funèbre, celle du dernier Festival du film de Berlin, l’actrice Tilda Swinton a tenu à mettre ses pas dans ceux de tous ces merveilleux artistes qui ne rêvent que d’inclusivité, de diversité et de solidarité. Cette prêtresse théâtrale a prêché pour un monde meilleur « intrinsèquement inclusif » dans lequel seront en outre punis les méchants qui « fraternisent avec ceux qui détruisent la planète », un monde ouvert, « sans politique d’exclusion, de persécution ou de déportation », sans visas, sans contrôles migratoires, sans frontières. La voix sépulcrale et la pâleur spectrale de l’actrice renforcèrent une pénible impression, celle d’entendre la Mort elle-même augurer les phénomènes mortifères menant à notre anéantissement. Dans la salle, des ombres macabres applaudirent la lugubre pythie. Dehors, dans le monde réel, les Allemands apprenaient le même jour l’attentat, à Munich, d’un Afghan ayant foncé dans la foule avec sa voiture, faisant près de 40 blessés et tuant une jeune femme et sa fille de deux ans.

Sur le plateau de BFMTV, la comédienne Macha Méril s’est enthousiasmée pour la « menace militaire » qui planerait sur la France et qui laisse présager, selon elle, une nouvelle « cohésion nationale » : « Regardez ces témoignages de jeunes qui sont au fond disposés à s’engager. C’est formidable, c’est nouveau. On pensait qu’aux loisirs, aux vacances et à aller à l’étranger, se dorer la pilule aux Bermudes. Maintenant il y a un autre objectif qui va nous réunir et ça veut dire qu’on s’achètera moins de pantalons et qu’on va dépenser l’argent autrement. » Je préfère n’ajouter aucun commentaire à cette logorrhée sénile.

https://twitter.com/DestinationTele/status/1899403512171094282

Conclusion menant à un réjouissant exercice de gymnastique jambière. Nagui, l’animateur de “N’oubliez pas les paroles”, se prétend écolo. Quand Fanny, une participante à son émission, lui apprend qu’elle a l’intention d’acheter un fourgon pour l’aménager et pouvoir se déplacer et surtout travailler, il la sermonne sévèrement : « Non mais, attendez, vous dites aimer la planète, vouloir sauver la planète, vous occuper de la culture… Et le problème d’un fourgon, c’est que d’un coup, là, il y a des odeurs de diesel qui arrivent à mon nez. » La pauvre Fanny, humiliée, n’a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive que l’animateur l’apostrophe à nouveau avec condescendance : « Vous connaissez le principe de sauver la nature et la planète ? » Si Fanny avait eu autant de rouerie pontifiante que son tourmenteur, elle aurait pu lui répondre qu’elle n’a pas les moyens, elle, de se payer des vacances sur un yacht luxueux, de faire de nombreux allers-retours en avion pour aller simplement voir des matchs de foot à l’étranger, de se détendre dans une somptueuse villa avec piscine à Saint Tropez ou de s’offrir une voiture de sport de collection. « Ah ! oui, mais attention, aurait alors sûrement rétorqué le tartuffe, j’ai aussi une voiture électrique. » C’est vrai : une Tesla Model X de 125 000 euros conduite par un chauffeur privé ! M. Nagui mérite incontestablement un coup de pied au derrière. Pas de demi-mesure : le coup de pied en question doit être foudroyant, décisif, suffisamment puissant pour envoyer définitivement cette baudruche sur orbite. Voilà un geste, je crois, qu’il serait aisé de citer en exemple, puisqu’il participerait tout à la fois au sauvetage de la culture et de la planète…

https://twitter.com/NewsTVReal/status/1897006851843322261

Les Gobeurs ne se reposent jamais

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Pierre Lellouche/Ukraine: une guerre pour rien?

Pierre Lellouche ne s’attendait pas à la brutalité de Donald Trump à l’égard de Kiev ni à ce qu’il refonde la puissance américaine sur le modèle de la Chine ou de la Russie. L’ancien ministre de François Fillon, excellent connaisseur des questions stratégiques, appelle les Européens, jusqu’ici grands cocus de cette affaire, au réarmement.


Causeur. La Russie et les États-Unis ont entamé des négociations bilatérales visant à mettre fin à la guerre en Ukraine… sans les Ukrainiens ! Les Américains sont-ils en train de les lâcher ?

Pierre Lellouche. Malheureusement, tout cela était parfaitement prévisible. Donald Trump avait annoncé son intention de mettre fin rapidement à ce conflit, qu’il jugeait « ridicule ». Je persiste pour ma part à penser que cette guerre, qui a fait un million de tués et de blessés des deux côtés, aurait pu être évitée, voire stoppée depuis avril 2022, comme je le démontre en détail dans mon dernier livre Engrenages1. Les Russes souhaitent également y mettre fin rapidement, car elle représente non seulement de lourdes pertes humaines, mais elle pèse fortement, à long terme, sur l’économie. En revanche, ce que je n’avais pas prévu, c’est la brutalité du nouveau président des États-Unis à l’égard des Européens, de l’Ukraine et de Volodymyr Zelensky en particulier. Trump inaugure une Amérique révisionniste, nationaliste et même impérialiste, à l’instar des autres grandes puissances, la Chine et la Russie. Avec lui, les États-Unis rompent avec ce qu’ils étaient depuis 1945 : le leader de l’Occident et le promoteur d’un ordre mondial fondé sur le droit. Cela s’accompagne d’un profond bouleversement à l’intérieur de l’État fédéral et de ses institutions, dans le but de retrouver ce qu’il qualifie de « vraies valeurs de l’Amérique ». Mais cette brutalité fait partie d’une stratégie, dont le but est de convaincre les Ukrainiens que la poursuite du conflit est une voie sans issue.

En somme, nous devons nous adapter à un monde où seuls comptent la force et les intérêts ?

Exactement. Nous vivons tout simplement le retour aux relations internationales d’avant 1918 et les illusions du wilsonisme. Mon vieux maître Henry Kissinger aurait adoré. C’est le retour au congrès de Vienne et au jeu d’équilibre des grandes puissances…

Revenons à l’Ukraine. N’y avait-il vraiment pas une autre issue, plus conforme au droit et à la morale ?

Il n’y en a jamais eu. La vérité est que les Ukrainiens ne pouvaient pas gagner cette guerre ni reprendre militairement les territoires perdus. Aujourd’hui, sans les livraisons d’armes américaines, l’Ukraine ne pourra pas simplement continuer cette guerre. Zelensky lui-même l’a reconnu publiquement.

Les Européens ne peuvent-ils pas remplacer le soutien américain ?

Non ! Les Européens ne disposent pas d’armements équivalents aux lance-roquettes HIMARS, aux systèmes de défenses sol-air NASAMS et Patriot ou au système de communication par satellite Starlink. Surtout, leurs arsenaux sont vides et leurs usines tournent insuffisamment, faute de commandes. Le Vieux Continent se révèle être le grand cocu de l’opération. Comme l’avait dit le journaliste américain David Ignatius, bon connaisseur de ces affaires, « les États-Unis ont saigné l’armée russe en laissant la note du boucher aux Ukrainiens ». Les Européens, eux, n’avaient aucun objectif stratégique réfléchi dans cette guerre par procuration commencée par Joe Biden en avril 2022. La véritable grande surprise stratégique de ce conflit, en dehors de l’utilisation massive de drones qui est venue plus tard, c’est la résistance des Ukrainiens et la débâcle de l’armée russe au cours des premières semaines de combat. A Moscou et à Washington, on pensait que la guerre serait pliée en trois jours. C’est cet échec russe qui a encouragé Biden, dès avril, à réarmer l’Ukraine de manière significative afin d’infliger une leçon à Vladimir Poutine et, comme l’avait déclaré le ministre américain de la Défense de l’époque Lloyd Austin, « lui ôter l’envie de recommencer ». Les Européens, quant à eux, se sont contentés de suivre Biden, espérant qu’il remporte cette guerre. Ils se sont comportés dans cette affaire comme des supporteurs enthousiastes d’une équipe de football qui ont payé leur ticket sans participer au match, en partie parce qu’après trente années de désarmement budgétaire, ils n’en avaient pas les moyens.

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Si les Américains ont fait la guerre par procuration pour bouter les Russes hors d’Ukraine, pourquoi ne dit-on pas qu’ils l’ont perdue, cette guerre ?

Ce serait reconnaître qu’on s’est trompé depuis le début. Biden, à Varsovie, avait présenté cette guerre comme celle « du bien contre le mal ». Qu’on ne pouvait donc pas perdre. Quant à Poutine, qu’il appelait « le tueur », il devait « partir ». Or Poutine est toujours là. Quant à Macron, il désigne la Russie comme « une menace existentielle pour l’Europe ». Alors pourquoi ne pas l’avoir combattue directement ? Et comment accepter la défaite de l’Ukraine aujourd’hui, sans accepter qu’elle est aussi la défaite de l’Europe elle-même ? En nous engageant à moitié dans cette guerre par procuration derrières les Américains, nous avons pris le risque que la défaite soit aussi celle de l’Europe, ce que naturellement nos dirigeants somnambules ne peuvent pas admettre.

Si l’état des arsenaux des pays européens était aussi déplorable, de quoi Poutine avait-il peur ? Pourquoi lancer une guerre contre un tigre de papier ?

C’est une longue histoire qui remonte à la chute de l’URSS il y a trente-quatre ans. À la fin de la guerre froide, les Russes espéraient que la dissolution du pacte de Varsovie serait suivie par celle de l’OTAN et que l’Ukraine resterait dans leur zone d’influence et certainement pas dans l’Alliance atlantique. Bill Clinton était de cet avis lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche en janvier 1993. Mais sous la pression des Polonais, des Hongrois et d’autres pays de l’Est, qui refusaient de rester « en suspens » après la chute du mur de Berlin, la politique de Washington a évolué. Il ne faut pas oublier non plus la pression exercée par l’appareil militaro-industriel et technocratique de l’OTAN à Bruxelles, en quête d’une nouvelle raison d’être. Cela explique notamment l’engagement de l’OTAN en Afghanistan, où son rôle n’était pourtant nullement défini. Ce changement de politique américaine s’est opéré contre l’avis des meilleurs stratèges américains, de Henry Kissinger à Zbigniew Brzezinski, en passant par George Kennan, le père de la stratégie du containment (endiguement ). Quant aux Russes, ils n’ont pas cessé de protester contre les élargissements successifs de l’OTAN, mais personne ne les écoutait. Puis, lorsque Poutine est parvenu au pouvoir en 1999-2000, les Ukrainiens ont commencé progressivement à exprimer le souhait d’adhérer à l’OTAN (le président ukrainien Iouchtchenko lui-même me l’a confirmé en 2004 lors de ma visite à Kiev en tant que président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN). Or c’était insupportable pour les Russes. En 2007, Poutine prononce son célèbre discours, dans lequel il accuse les États-Unis de chercher à dominer un monde unipolaire contre la Russie mais personne, là encore n’écoute.Pour le sénateur John McCain, la Russie n’était rien d’autre qu’une « grosse station d’essence avec des bombes atomiques ». L’année suivante, lors du sommet de Bucarest, en mars 2008, George W. Bush annonce, comme point d’orgue de la fin de son deuxième mandat, l’élargissement de l’OTAN à la Géorgie et l’Ukraine, donc jusqu’aux frontières de la Russie. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel lui demandent alors de renoncer à cette politique, sous peine de déclencher une guerre. Cependant, le compromis trouvé à l’issue du sommet ne fera qu’aggraver la crise. Le texte stipulait que l’Ukraine et la Géorgie « avaient vocation à intégrer l’OTAN », mais sans pour autant fixer de date. Résultat, ils se sont retrouvés sans défense face à des Russes, désormais convaincus que, s’ils ne faisaient rien, Kiev intégrerait l’Alliance atlantique. Cet été-là, les Russes ont envahi la Géorgie.

Le point de départ, c’est que la Russie refuse d’avoir des États pleinement souverains à ses frontières. Cette exigence (qui piétine celle des peuples à décider des moyens de leur sécurité) est-elle légitime ?

C’est le sort des États qui ont la malchance d’être frontaliers des très grandes puissances. Voyez comment Trump traite des pays amis comme le Canada, le Mexique ou Panama ! À Cuba, les Américains n’ont pas accepté le déploiement de missiles nucléaires russes à portée de leur territoire. Poutine ne dit pas autre chose s’agissant de l’Ukraine. Et il me l’a dit en face en septembre 2013, juste avant Euromaïdan2 et la crise de Crimée. C’est sans doute contestable au niveau de la morale et des grands principes du droit international. Mais qu’est-ce que le droit international sinon le résultat du rapport de force entre les nations ?

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Aujourd’hui, quels sont les objectifs russes ? Quel est le prix minimum que Poutine acceptera pour signer une paix avec l’Ukraine ?

Contrairement aux Occidentaux, qui n’ont jamais, depuis trente ans, articulé une politique cohérente vis-à-vis de l’Ukraine, les Russes, eux, sont constants en politique étrangère. Ils ont quatre objectifs principaux, annoncés dès avant la guerre. Ils exigent tout d’abord la neutralité de l’Ukraine, c’est-à-dire la garantie de l’Occident qu’elle ne rejoindra pas l’OTAN. La triste ironie de cette affaire, c’est que, tout en prétendant le contraire, ni Obama ni Biden ne souhaitaient voir l’Ukraine entrer dans l’OTAN. Et Trump encore moins bien sûr. Une guerre pour rien, donc ! Leur deuxième condition est, bien entendu, de conserver la Crimée et le Donbass, là aussi une position russe constante depuis 1991. C’est pourquoi leur effort militaire se concentre aujourd’hui sur la reconquête totale des quatre oblasts du Donbass. Le troisième objectif est la levée des sanctions et le rétablissement de relations commerciales normales, en priorité avec les États-Unis et, accessoirement, avec l’Europe. L’économie russe a besoin de la technologie occidentale et souhaite éviter une dépendance totale vis-à-vis de la Chine. Enfin, leur dernier objectif, qu’ils poursuivent depuis longtemps, est de reconfigurer l’architecture de sécurité en Europe.

C’est-à-dire ?

Repousser le plus loin possible les forces de missiles et de défense antimissile que l’OTAN et les États-Unis ont déployées près de la Russie. Ils souhaitent également un accord sur les armes nucléaires intermédiaires, qui, rappelons-le, faisaient l’objet du traité de 1987, dit « INF », abandonné depuis.

Quelle position la France devrait-elle adopter ?

Notre problème est d’éviter que la négociation se fasse au-dessus de notre tête et qu’ensuite un accord bâclé conduise à une nouvelle guerre. Sauf que, après avoir longuement hésité et même alerté sur le danger d’ « humilier » la Russie, Emmanuel Macron est désormais en rupture totale avec Poutine. Pour ne rien arranger, la situation politique et économique de la France fait qu’elle ne compte plus guère aux yeux des États-Unis. Résultat, je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement qu’acquiescer à ce que décideront les Russes et les Américains. Ce qu’a fait Macron à Washington le 24 février dernier.

Rencontre triatérale entre Donald Trump, Emmanuel Macron et Volodomyr Zelensky au palais de l’Élysée, en marge de la cérémonie de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 7 décembre 2024 © Ukrainian Presidency/SIPA

Mais la France et le Royaume-Uni ne disposent-ils pas de moyens militaires suffisants pour se déployer en Ukraine et y garantir la paix ?

Le scénario le plus probable, c’est celui de la neutralité de l’Ukraine, reconnue par la communauté internationale, c’est-à-dire par le Conseil de sécurité des Nations unies, et garantie par des puissances extérieures. C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition des Français et des Britanniques d’engager leurs forces en Ukraine pour « garantir la paix ». Mais, pour ce faire, ils souhaitent l’appui logistique et aérien au minimum des États-Unis. Or les Américains ont déjà précisé qu’ils n’avaient ni l’intention d’intervenir en Ukraine, ni de donner la moindre garantie de sécurité, y compris au titre de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord, aux troupes européennes qui s’engageraient en Ukraine. C’est la raison pour laquelle les Allemands, les Italiens et les Polonais ne souhaitent pas participer à une telle force.

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Pourtant, Zelensky, après avoir perdu le soutien américain, avait demandé à l’Europe 200 000 soldats…

Sauf que cette armée n’existe pas ! L’Angleterre et la France peuvent engager 30 000 à 40 000 hommes sur une ligne de front de mille kilomètres. Pour donner un ordre de grandeur, environ un million de soldats, de part et d’autre, sont déployés le long de ce front.

Qui vous garantit que, si Poutine obtient satisfaction sur ses quatre points, il s’arrêtera là ? Ne sera-t-il pas tenté de pousser l’avantage, comme après 2014, et de déstabiliser les pays baltes et la Moldavie ?

Je pense que les objectifs de la Russie consistent fondamentalement à arrêter l’expansion de l’OTAN et à neutraliser une Ukraine dont elle contrôlera la partie orientale. Poutine n’a pas pour plan de conquérir l’Europe, il n’en a pas les moyens. En trois ans, la Russie n’a même pas été capable de conquérir l’Ukraine, un pays qui compte aujourd’hui moins de 30 millions d’habitants.

Admettons que Poutine se borne à cette ambition « mesurée ». En quoi cela nous prémunit-il contre l’appétit de ses successeurs ?

La meilleure façon d’éviter les tentations bellicistes russes dans cinq ou dix ans est de faire en sorte que les principales nations européennes soient capables de se défendre, plutôt que de rester désarmées. Je ne prétends pas prédire les décisions des dirigeants russes à l’avenir, car cela dépendra en grande partie de l’évolution des relations entre la Russie et l’Occident. S’il y a une reprise des échanges économiques, nous pourrions nous retrouver dans un monde complètement différent. En tout cas, les grands États européens doivent redécouvrir qu’ils étaient jadis des puissances souveraines et qu’ils doivent le redevenir. Jean-Jacques Rousseau disait que « la servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer ». Les Européens ont adoré l’OTAN. Il va leur falloir apprendre à s’en passer.

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Si vous étiez au pouvoir, quelle armée française construiriez-vous pour 2030-2035 ?

Vous avez raison de vous projeter à cette échéance, car il faudra au moins cinq à dix ans pour remettre en route l’industrie de l’armement à un niveau sérieux. L’impératif, dans l’immédiat, est d’abord de conserver, ne serait-ce qu’à minima, l’Alliance atlantique et une présence américaine. Parallèlement, il faut que les Européens se chargent de leur propre sécurité à commencer par la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. La réponse en tout cas ne viendra pas de Bruxelles. Il faut s’arrêter, comme le disait le général de Gaulle, de sautiller en criant « Europe de la défense » ou « souveraineté européenne ». De son côté, Bruxelles ferait mieux de mettre fin à sa taxonomie qui interdit aux entreprises européennes pétrolières, gazières et militaires l’accès aux crédits, et qui empêche les banques européennes de financer l’industrie de l’armement. Il faut donner au contraire une priorité communautaire à l’achat d’armement européen, seule condition d’un ruissellement économique sur le reste de notre économie. Enfin il conviendra sans doute de remobiliser nos pays en réintroduisant le service militaire obligatoire. Si chacun des grands pays entreprend ce réarmement, quantitatif et qualitatif, il sera possible de construire une force européenne coordonnée, appuyée sur la dissuasion du Royaume-Uni et de la France, qui sera crédible aux yeux des Russes. Cela est tout à fait à la portée de l’Europe actuelle. Mais l’alternative, comme je le crains et le dis dans mon livre, c’est que rien de tout cela ne se passe et que, après avoir perdu son socle sécuritaire américain, l’Europe finisse par imploser. On verrait alors se reposer la question allemande, avec le risque d’une nucléarisation de l’Allemagne au moment même où la jeunesse du pays menace d’être tentée par l’AFD.


  1. Engrenages : la guerre d’Ukraine et le basculement du monde, Odile Jacob, 2024. ↩︎
  2. Les manifestations survenues en Ukraine suite au refus du gouvernement de signer un accord d’association avec l’Union européenne ↩︎

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La Bretagne au soleil-levant

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Soir d’été, 1897, Henri Rivière.

À la mi-mars, avant la saison des cerisiers en fleurs au Japon, Monsieur Nostalgie a soif de nature et nous parle d’Henri Rivière (1864-1951), l’empereur de l’estampe, le Montmartrois du Chat noir qui capta la lumière de Bretagne, du Paris ouvrier mais aussi du pourtour méditerranéen dans des lithographies devenues célèbres…


L’art d’Henri Rivière n’est pas hautain. Il ne surplombe pas celui qui observe son travail avec prétention. Il n’est pas idéologique, dans le sens où il imposerait une pensée dirigiste et voudrait, coûte que coûte, que l’on adhère à un quelconque message. Il ne nous prive pas de notre libre-arbitre. Et, en même temps, il est faussement décoratif, c’est-à-dire qu’il saisit la nature en rendant hommage à sa plénitude. Il se délecte d’une beauté qui serait un peu trop précise, un peu trop soignée, un peu trop élaborée et susciterait cependant une vague de nostalgie. Les lithographies de l’artiste sont des joyaux qui agissent en contraste, comme un double foyer, d’abord l’étendue, la quiétude, l’enracinement, le labeur de ces paysages vus mille fois, et quelque chose de plus intime, de personnel qui vient se nicher dans le regard, quelque chose qui est son propre rapport à la géographie des lieux et des hommes, quelque chose qui absorbe et évade. De l’ordre d’une imagerie populaire rassurante, de la carte postale reproduite à l’infini qui ne serait pas seulement jolie ou folklorique, patrimoniale ou maritime, mais bien nourriture de l’esprit, une sorte d’échappatoire au monde des vivants. Il y a chez Rivière de l’extrêmement vivant, ornementé, parcheminé, et aussi la trace d’un songe, une profonde rêverie sur notre passé. Depuis plusieurs années, deux experts, Olivier Levasseur et Yann Le Bohec, à l’initiative du catalogue raisonné paru en deux volumes et d’ouvrages aux éditions Locus Solus, sont d’indispensables passeurs. Ils font référence. Ils nous montrent évidemment ce talent qui aurait pu être négligé face aux démiurges des musées et des sachants, l’évolution de ses techniques, de l’eau-forte, à la gravure sur bois, pour arriver à la lithographie et à l’aquarelle à la fin de sa vie. Ce cheminement est le parcours d’un esthète doublé d’un graveur de haute volée, capable de « superposer » 8 à 12 couleurs, pour obtenir le mirage d’un décor. Son miroitement flottant. Son onde féérique. Rivière a été imprégné de Japonisme. Il fut l’un des plus grands collectionneurs d’art japonais de son temps, il possédait plus de 800 œuvres alors que Monet, lui aussi admiratif de ce mouvement n’en avait « que » 250.

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Rivière, entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, va créer des lithographies remarquables grâce à « la collaboration active de l’imprimeur et lithographe Eugène Verneau ». Des séries qui ont fixé un imaginaire plein d’arabesques et de saisissement du réel. Car, Rivière est au plus près de son sujet, de ses personnages bien ancrés dans la vie quotidienne. Sa série sur le beau pays de Bretagne est magistrale. Il se fait même construire dans ce bout de la terre une maison, dans le lieu-dit la lande de Mélus (Côtes d’Armor). Rivière est un reporter élégant des activités d’alors, il nous conte le lent écoulement du temps présent : le départ des bateaux à Tréboul, une paysanne le soir à Loguivy, des sardiniers, un lavoir ou un vieux moulin, la vie de nos aïeux dans leur simplicité, leur rusticité et leur béatitude, l’histoire des nôtres se met alors en marche du côté de Bréhat ou du port de Ploumanac’h. Une forme de sagesse respectueuse nous étreint. Des signes d’éternité à l’horizon. Rivière, pur Parisien de la Butte, a également laissé son empreinte sur la capitale avec ses trente-six vues de la Tour Eiffel. Sous la neige, vue du Trocadéro, on voit la construction de la tour boulonnée s’édifier, le premier étage vient d’être atteint. Rivière a le culte des travailleurs et d’un Paris en transformation, les mariniers du quai d’Austerlitz cohabitent avec les fortifications et les maraîchers de Grenelle. Du quai de Passy aux gargouilles de Notre-Dame, un Paris gris fumeux et perlé nous appelle. Rivière a su quitter la grisaille du pavé pour s’abreuver de Méditerranée. Jusqu’au 2 novembre, le Musée d’Histoire et d’Art de Bormes dans le Var lui consacre une exposition intitulée « Artisan de la lumière – Du chat noir aux paysages du Sud » recueillant une centaine d’œuvres. Et si, à l’arrivée des beaux jours, vous effectuiez la diagonale entre Douarnenez et Bormes-les-Mimosas.

Henri Rivière, Artisan de la lumière, Du Chat noir aux paysages du Sud. Informations pratiques ici.

Hymne à la joie

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L'écrivain Pascal Quignard © ERIC BAUDET/JDD/SIPA

Après Dernier royaume, cycle de douze livres publiés de 2002 à 2023, Pascal Quignard renoue avec la forme romanesque pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.


L’on se souvient de Tous les matins du monde ou de Villa Amalia, tous deux adaptés au cinéma. Le premier par Alain Corneau, le second par Benoît Jacquot. Trésor caché, dernier roman de Pascal Quignard, est de cette veine-là. Tout commence comme dans un conte. Une femme, Louise, obligée de faire piquer Peer son chat adoré, décide de l’enterrer dans son jardin. Là, tandis que ses mains fouissent la terre, elle découvre un trésor. Une vieille boîte détrempée contenant bagues, bracelets et louis d’or. Correctrice free-lance pour différentes maisons d’édition, rien n’oblige Louise à rester travailler dans sa maison qui, comme celle de Pascal Quignard, se trouve sur la rive de l’Yonne. La quinquagénaire décide alors de mettre à profit son butin pour voyager. Direction Naples puis les îles Phlégréennes. Nisica, Procida, Ischia et Vivara. Un périple enchanteur au cours duquel elle va rencontrer Luigi, un homme plus âgé qu’elle. Entre promenades et baignades, le couple va vivre des heures bénies. Hélas la Dolce Vita ne durera pas. Luigi souffre d’un mal incurable et bientôt sa vie va en être transformée. « Quand le destin plonge un homme dans le terrible esseulement de la mort, il ne lui reste plus qu’à chérir sa solitude. Qu’à lui faire la cour, qu’à la couvrir de présents. C’est la future compagne. Elle mérite les plus grands égards ». A la mort de sa mère, le mal de Luigi va empirer et Louise n’aura d’autres choix que de l’accompagner dans ses derniers instants. Dans le même temps, du côté de Dinard, son père qui a perdu la mémoire se meurt dans un EHPAD. En l’espace d’un été, Louise va perdre son mari, son père et son amant. Heureusement il y a les chats qui ont ce pouvoir enchanteur d’atténuer le désespoir, de guérir toutes les douleurs. Il y a Peer, donc, le chat qui partageait la vie de Louise depuis dix sept ans mais aussi Bee la petite chatte de l’enfance ou encore Bach et Petit Ruisseau. L’on sait l’amour de l’auteur pour les félidés qui lui inspirent parmi les plus belles pages de ce livre. Il y a aussi celui de la musique. Celui de la nature. S’il est bel et bien un trésor dans ce roman c’est moins celui que découvre l’héroïne dans ses premières pages que celui de toutes les splendeurs du monde. La neige de l’enfance qui tombait en silence. La chaleur des îles qui obligeait les passants à sauter d’ombre en ombre, comme au jeu de marelle. Les petites pommes muries longtemps sous le soleil. Les bains de mer aux premières lueurs de l’aube. Louise va s’en repaître et apprendre à vivre avec les morts qui l’entourent. Ces morts qui reviennent hanter les vivants, auxquels elle a fini par s’habituer depuis que sa mère l’a abandonnée quand elle avait sept ans. Nulle frontière chez Pascal Quignard entre morts et vivants, rêve et réalité, passé et présent. Tout communique et s’enrichit mutuellement. « Le bonheur est farouche -nous dit-il- : il faut savoir l’accueillir ». C’est ce que fait Trésor caché avec infiniment de grâce et de poésie dans une langue de toute beauté.

304 pages

Trésor caché

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Emmanuel Godefroy peint son intérieur

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Le peintre Emmanuel Godefroy en mars 2025 © Philippe Lacoche

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Le peintre et dessinateur Emmanuel Godefroy  – qui peint depuis quarante ans – expose actuellement au magasin Cavavin, 8, rue des Vergeaux, à Amiens (et jusqu’au 2 avril), quatorze œuvres, toiles et portraits sur papier. « Des portraits intérieurs pour des images extérieures », explique-t-il lorsqu’on l’interroge sur le thème proposé. Le vernissage de l’exposition s’est déroulé le vendredi 7 mars en fin d’après-midi ; je m’y suis rendu d’un pas vif et assuré en compagnie de ma Sauvageonne, rayonnante et intéressée elle qui, non seulement joue la comédie, mais peint aussi comme elle respire. (Et elle respire bien.)

Nous arrivâmes avec un quart d’heure de retard ; il y avait du monde et de l’ambiance. Le caviste, François Lefèvre, maître des lieux, avait bien fait les choses. Le vin blanc qu’on nous a servi bien frais, était un mélange de sauvignon et de chardonnay si mes souvenirs sont bons. (Ils doivent être bons car j’ai bien plus de mémoire pour le sang du Christ que pour mes cours de mathématiques de 3ème D au collège Joliot-Curie de Tergnier, dans l’Aisne). François Lefèvre ne propose pas seulement d’excellentes bouteilles ; il aime aussi l’art. Ainsi, régulièrement, il invite les artistes d’Amiens et des alentours à venir exposer dans son magasin ; c’est tout à son honneur. Il y a peu, c’était donc le tour d’Emmanuel Godefroy.

Rollin and Tumbin

C’est euphémisme de dire que sa peinture interpelle. On y voit des êtres au regard inquiet, voire angoissé ; on les dirait rongés par la désespérance de la vie, par son absurdité totale, par l’inéluctabilité de la chute. Si Cioran avait peint, il eût pu le faire à la manière d’Emmanuel Godefroy. Ce dernier avoue qu’il ne fait que reproduire le ressenti de ses états intérieurs, « le reflet de mes états d’âme. » Comment a-t-il choisi ces quatorze toiles ? « Il y en a de récentes mais aussi des anciennes, à l’image de ce tableau du fond de mon atelier, réalisé en 2005 sur lequel je nettoyais mes pinceaux. J’ai finalement décidé d’en faire une création. » Les visages qu’il nous donne à voir détiennent souvent quelque chose de christique. Volonté ou simple impression ? « C’est vrai mais pourtant, je ne le souhaite pas. Nous sommes tous imprégnés de culture religieuse », dit-il. « Mais je ne veux pas être taxé de peintre religieux ; ce n’est pas mon propos ; cependant, il m’arrive de pleurer devant l’ange de la cathédrale d’Amiens. » Deux heures plus tard, alors que nous baguenaudions dans l’obscurité naissante, nous nous rendîmes au Charleston où se produisait le groupe Rollin’and Tumbin’. C’était plein à craquer et sacrément bien. Le combo s’adonne à des reprises de grands standards du rock et du blues anglo-américain, des morceaux de Creedence Clearwater Revival, Lynyrd Skynyrd, Led Zeppelin, Eric Clapton, Chuck Berry, Elvis Presley, The Beatles, The Rolling Stones, The Kinks… ça dépotait ! Pierre, le guitariste-chanteur, assure ; il en est de même pour les trois membres des Rabeats à ses côtés : Marcel (guitare), Flamm (batterie) et François (basse). Le bouillonnant Laurent Goulet y est allé que quelques solos d’harmonica très bluesy. Puis, ma Sauvageonne et moi, nous fondîmes dans la nuit amiénoise, la tête dans les étoiles.

Fini la romance

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© Studio Canal

Les statistiques montrent que les films romantiques sont inexorablement sur le déclin.


Le romantisme est-il en train de disparaître au cinéma ? C’est ce que suggèrent les analyses du Britannique Stephen Follows, blogueur spécialiste du grand écran1. En compilant les données du site IMDb pour la Saint-Valentin, il a constaté que les films romantiques n’avaient en effet plus du tout la cote.

Si en 2000, 34,8 % des films réalisés étaient encore classés comme « Romance » sur IMDb, ce chiffre a chuté continuellement pour tomber à moins de 10 % aujourd’hui.

Ensuite, travaillant à partir d’une base de données répertoriant 17 430 films sortis depuis les années 1930, Follows a mis en évidence un déclin global qui s’est accentué au cours des vingt-cinq dernières années. Courbes détaillées à l’appui, il démontre que les intrigues romantiques deviennent moins centrales dans la production de films depuis le début du siècle, mais qu’elles restent parfois présentes sous forme de sous-intrigues. Certains sous-genres romantiques ont quasiment disparu, notamment les films montrant des clichés sur l’« amour interdit » ou des héros passant d’« ennemis » à amoureux. Adieu Roméo et Juliette ! En revanche, les bluettes dans lesquelles les amours prennent du temps à se concrétiser ou les héros se donnent une seconde chance résistent un peu. Cette évolution générale des goûts du public interpelle. Si le genre romantique reste présent dans la production des services de streaming ou dans la fiction « New Romance » que plébiscitent beaucoup de jeunes femmes, on dirait que la consommation de ce type d’histoire a quitté les salles de cinéma pour se réfugier dans l’espace intime de la maison ou de la lecture. La société est-elle devenue plus pudique ? En 2024, Follows a découvert que la présence du sexe dans les films a chuté de 40 % depuis 2000. Pouvons-nous compter sur le dernier Bridget Jones dans les salles pour sauver l’amour ? Malheureusement, il est reconnu assez unanimement comme médiocre… même si IMDb lui donne tout de même une note généreuse de 6,8 sur 10.

  1. https://stephenfollows.com/p/is-romance-in-movies-dying ↩︎

Action !

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© Institut Lumière

Thierry Frémaux met en lumière les films des premiers temps du cinématographe, témoins fascinants de l’incroyable précocité du septième art.


Thierry Frémaux, le patron des festivals du film de Cannes et de Lyon, poursuit sa fabuleuse mise en valeur des premiers films tournés par les frères Lumière et leurs opérateurs envoyés à travers le monde.

Inventé en 1895, le cinématographe n’en finit pas de nous émerveiller comme un nouveau-né dont on connaît la magnifique postérité mais dont on redécouvre l’incroyable précocité. Tout y était déjà ou presque : la fiction, le documentaire, le travelling, le comique, le burlesque et cette fenêtre ouverte sur le monde. On est sidéré par ces petits films de moins d’une minute qui racontent une histoire, décrivent un décor, font ressentir une ambiance. On a beau se dire que nous ne voyons là que des fantômes, des vivants bientôt morts… plus d’un siècle après, ils sont au contraire la jeunesse du cinéma, sa vitalité, son allant, sa croyance en une vie éternelle qui serait à l’intérieur même des images.

Certains se gargarisent de la mort du cinéma. Qu’ils aillent voir ces films pour comprendre que le cadavre n’a pas fini de bouger !

Weber: la clarinette élégante d’Arthur Stockel

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Le musicien Arthur Stockel, salle Cortot, à Paris © Clara Evens

Un disque met à l’honneur trois chefs-d’œuvre de Weber pour clarinette, sublimés par l’interprétation épurée et virtuose d’Arthur Stockel, accompagné du Quatuor Hanson et de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg.


Le compositeur du Freischütz (1820), œuvre fondatrice du lyrisme romantique allemand, entretenait pour la clarinette une passion qui n’a rien d’anecdotique : il suffit pour s’en convaincre de réécouter la sublime ouverture du célébrissime opéra.  Dès 1811, Carl Maria von Weber, alors âgé de 25 ans, composait ses deux concertos pour clarinette, ainsi que le fameux quintette pour clarinette, achevé, celui-ci, en 1815. Trois chef-d’œuvres absolus du répertoire, tous trois écrits pour son ami munichois et instrumentiste virtuose Joseph Baermann (1784-1847). Rappelons que la tuberculose emportera Weber en 1826, à l’âge de 39 ans à peine !

Ces trois morceaux majeurs étaient donnés en concert dans la petite salle Cortot, à Paris, le 7 mars dernier, dans une version chambriste, par le Quatuor Hanson, complice de longue date du jeune clarinettiste français Arthur Stockel, formé au Gustav Mahler JungenOrchester et à la Mahler Chamber Orchestra Academy, et qui, à l’âge de 21 ans, a été nommé clarinettiste solo de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg. Ce récital célébrait la sortie concomitante d’un premier album réunissant ces trois pièces majeures du compositeur, enregistrées en 2023 avec un Orchestre Philharmonique du Luxembourg dirigé par le chef britannique Leo McFall et, pour le quintette, le Quatuor Hanson susnommé.

Il faut saluer comme il se doit la parution de ce CD, et pas seulement pour l’excellente qualité de la prise de son : elle privilégie, sur la mise en avant parfois un peu artificielle de la partie solo, son immersion dans l’étoffe polyphonique. Mais surtout, Arthur Stockel, à distance des tentations ornementales véhiculées par ces trois partitions d’extrême virtuosité, prend le parti d’épurer au maximum la merveilleuse ligne mélodique de la clarinette, instrument qui, par excellence, allie les plus bouleversantes sonorités élégiaques et l’expression éclatante d’une précaire allégresse. Le résultat ? Captivant de bout en bout.


Carl Maria von Weber, concertos pour clarinette 1 et 2, quintette pour clarinette. Arthur Stockel, clarinette, Orchestre Philharmonique du Luxembourg, direction Leo Mcfall, Quatuor Hanson

1CD Aparté.

Weber Concertos, Clarinet Quintet

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L’affaire de la rue du Bac

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Le journaliste et essayiste français Jean-François Revel, date inconnue © ANDANSON/SIPA

Dans une série d’articles un peu sordide et sur une « Une » publiées en juin 2024, le journal Libération avançait que l’Académicien Jean-François Revel (1924-2006) aurait fait partie d’une bande de pédocriminels. Mais aucune preuve solide n’est venue confirmer cette allégation depuis.


On dirait un titre à la Simenon. À ceci près qu’ici le sordide est encore plus oppressant, plus étouffant qu’il peut l’être dans les intrigues les plus noires, les plus glauques du père de Maigret. Nous sommes devant une de ces affaires de pédocriminalité qui soulèvent le cœur et révoltent l’esprit. Une de plus, direz-vous. Cette fois elle a pour décor les beaux quartiers et pour protagonistes de beaux esprits.

En juin dernier, le journal Libération sort une enquête fleuve en six volets, Les hommes de la rue du Bac[1]. L’existence d’un ancien réseau de pédocriminels ayant sévi à Paris, rive gauche, donc, notamment entre les années 1977 et 1980 y est révélée. Des personnalités connues de l’époque, appartenant à ce qu’on peut appeler l’intelligentsia, se seraient constituées en bande pour infliger à des enfants d’abominables sévices sexuels. Parmi ces enfants, Inès Chatin, la fille adoptive du docteur Jean-François Lemaire, médecin, chroniqueur de presse, au domicile duquel – 97 rue du Bac – ces prédateurs se retrouvaient. Des noms sont publiés. Celui du docteur Lemaire, bien sûr, qui apparaît comme l’organisateur, celui de l’écrivain Gabriel Maztneff, mais, beaucoup plus inattendus, ceux de Claude Imbert, fondateur et directeur du Point, et de Jean-François Revel, directeur de l’Express, philosophe, essayiste de renom et membre de l’Académie française. Figure également le nom d’un avocat, François Gibault, qui encore en vie aujourd’hui (92 ans) – contrairement à Revel et Imbert, tous deux décédés – a démenti toute implication dans ces horreurs et porté plainte pour diffamation et dénonciation calomnieuse à la suite de la publication des articles de Libération. Ce point est à souligner.

C’est sur la base du dossier qu’Ines Chatin a déposé auprès de l’OFMIN (Office mineurs), avec copie au journal, que celui-ci déroule son enquête.

Aujourd’hui âgée de cinquante ans, elle y révèle que dans son enfance, entre quatre et sept ans, de 1977 à 1980, elle subit de ces hommes des agressions sadiques et qu’elle a été régulièrement violée jusqu’en 1987. Elle a alors quatorze ans.

À l’appui de son témoignage, des documents : agendas, courriers, livres d’or du docteur Lemaire, le père adoptif, et surtout des enregistrements dans lesquels, à la fin de sa vie, celui-ci reconnaît les faits et, précise Libération, « mouille certains de ses amis à des degrés différents, surtout Gabriel Maztneff (…) et Claude Imbert. » Et dans une moindre mesure, l’avocat Gibault. Jean-François Revel quant à lui n’est nullement évoqué dans ces confessions. De plus, il n’apparaît pas dans le paysage Lemaire avant les années 1980, c’est-à-dire qu’on n’y trouve sa trace qu’après la période où les faits criminels ont été commis. Et encore, n’y figure-t-il, dans ce paysage, qu’à la manière d’une vague relation, en aucun cas comme un proche ou un intime. C’est ce que montre fort bien la contre-enquête de Martin Bernier publiée par le Figaro[2] le 11 mars.

À la lecture de ce rigoureux travail d’investigation on se demande ce que ce pauvre Revel vient faire dans cette galère. Ou plus exactement comment se fait-il qu’il se retrouve – et à une telle place ! – dans ces articles de Libération. La source en est une des affirmations de la plaignante, Ines Chatin. C’est donc la mémoire de cette petite fille de sept ans, mémoire différée de quelque quarante-trois années, qui seule fait référence, puisque, en réalité, aucun élément probant ne vient étayer l’accusation.

Les enfants de Jean-François Revel le déclarent eux-mêmes, avec une retenue et une bienveillance qui, d’ailleurs, les honorent : il n’est aucunement question de mettre en doute, si peu que ce soit, la sincérité du témoignage de la fille adoptive de Lemaire, non plus – bien évidemment – de nier sa douleur de victime. Dont acte.

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Nous savons bien, tous autant que nous sommes, que la mémoire se plaît à nous jouer des tours, que la confusion est un des plus fréquents. Confusion de lieux, de personnes, de dates, etc. De Revel, elle dit qu’il pesait lourd, qu’il « sentait mauvais et que même sous quarante masques et quarante capes (les monstres se déguisaient ainsi), elle le reconnaîtrait ». Alors, on en vient à aller chercher des témoignages de proches, par exemple de telle collaboratrice au quotidien et au long cours, pour savoir si l’intéressé sentait bon ou pas. « Il était propre comme un sou neuf » témoigne la collaboratrice… Être réduit à en appeler à l’odeur de sainteté, comme au temps des procédures obscurantistes de la chasse aux sorcières, pour tenter d’innocenter celui qui se retrouve cloué au pilori ! On se pince.

Il semble fort que Libération soit allé un peu vite en besogne sur le cas Revel dans cette affaire. Un peu vite et surtout un peu trop loin. Parmi d’autres rapprochements d’une pathétique indigence, la rédaction n’est-elle pas allée chercher dans la relative proximité de la tombe de ce dernier avec celle de la femme qui aurait facilité l’adoption d’Ines Chatin, un indice à charge ? Là aussi, on se pince. Cette ineptie a depuis été supprimée.

Et puis, il y a le nom Revel en une du journal, en bonnes grosses lettres rouges. Du propre aveu de l’un des auteurs des articles auprès de Nicolas Revel, le fils de Jean-François, ces auteurs eux-mêmes y étaient plutôt opposés. Mais « l’exercice de la une est collégial à Libé (…), s’est défendu le journaliste. Le nombre a parlé (…) L’idée qu’une « une » doit parler immédiatement à un lecteur passant devant un kiosque ou une gare l’a emporté. » Édifiant.

Affaire à suivre, cela dit, puisque la famille se déclare prête à saisir la justice sur le chef d’atteinte à la mémoire. En fait, Libération, qui adore donner des leçons de méthode journalistique et de déontologie à la profession entière, vient, avec ces articles, de nous en administrer une qui doit porter bien au-delà de la sphère médiatique : pour parer à toute éventualité, on doit s’efforcer autant qu’on peut de sentir bon et se montrer vigilant quant au voisinage qui sera le sien au cimetière.

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[1] https://www.liberation.fr/dossier/hommes-rue-du-bac/

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/affaire-pedocriminelle-de-la-rue-du-bac-contre-enquete-sur-l-accusation-visant-jean-francois-revel-20250311

Lyrique: «Amour tyrannique, cesse ta cruauté!»

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"L'Isola disabitata", de Haydn, Opéra-Bastille © Vincent Lappartient / Studio j'adore ce que vous faites / Opéra national de Paris

Terrée dans les sous-sols peu avenants de l’Opéra-Bastille, la petite salle en rotonde de l’Amphithéâtre Olivier Messiaen est en placement libre. Au seuil de la représentation, les spectateurs demeurent rivés à leurs smartphones, la plupart d’entre eux curieusement indifférents au beau danseur brun (Nicolas Fayol, formé au breakdance) qui, sa flexible nudité enveloppée d’un simple caleçon couleur chair, le chef coiffé de petites cornes animales, bondit telle la biche sur le massif rocher central, ou arpente à quatre pattes le sol charbonneux du plateau, sur fond de pépiements d’oiseaux.

Opéra en format poche

Prélude à L’isola disabitata (L’île déserte), « azione teatrale » chantée en italien, comme il se doit, courte partition (moins d’une heure et demi) composée en 1779 par Joseph Haydn, sur un livret de Métastase, déjà maintes fois exploité alors par le genre lyrique. Un opéra en format de poche, en quelque sorte. À main gauche de la salle s’installe, en gradins, la petite formation de l’orchestre Ostinato, dirigé par le maestro hispano-américain François Lopez-Ferrer (lauréat du prix Sir Georg Solti en 2024). Pour les parties chantées alternent, selon les représentations, plusieurs artistes en résidence à l’Académie maison. Pas de chœur dans cette œuvre qui ne mobilise que deux mezzo ou soprano pour les voix de femmes, un ténor et un baryton pour les rôles masculins.

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L’intrigue se résume à presque rien. Constanza et sa petite sœur Silvia, pris dans une tempête, échouent sur une île déserte. Capturé par des pirates, Gernando, l’époux de Constanza, a pu s’échapper avec son ami Enrico. Treize ans ont passé. Les deux garçons débarquent sur l’île où Constanza, se croyant trompée et abandonnée, a transmis à la virginale Silvia sa défiance vis-à-vis de la gent masculine. Mais les sens de la candide Silvia s’éveillent irrésistiblement au contact d’Enrico. Par chance, tous ces fâcheux malentendus finiront par se voir levés et, dans un réjouissant quatuor final, les deux couples hissent les voiles pour convoler en justes noces.

Intelligent et raffiné

Au départ danseur du Corps de ballet de l’Opéra de Paris, puis metteur en scène en résidence à l’Opéra de Paris, Simon Valastro signe ici une nouvelle production : intelligente, discrète et raffinée. Selon sa position dans l’espace scénique, le rocher pivotant se transforme en refuge voire, au dénouement, en proue du navire où, sur fond d’écume figurée par une fumée blanchâtre à ras de sol, une voile bleue victorieusement levée, embarqueront Costanza et Gernando, Silvia et Enrico, rescapés voguant désormais vers le bonheur conjugal.

La même sobriété allusive s’attache aux costumes imaginés par Angelina Uliashova pour ces quatre rôles : ils se déplacent, pieds nus, dans la lumière changeante du huis-clos insulaire, vêtus d’étoffes blanches ou beiges qui les caractérisent chacun – nuisette immaculée pour la candide adolescente Silvia, robe à traîne pour l’âpre Costanza, par exemple… Laquelle finira par avouer à sa cadette :  « Les hommes ne sont pas, comme je te le disais, inhumains et infidèles ». Par les temps qui courent, en 2025, la leçon est bonne à prendre.

Au soir de la première, une ovation nourrie s’adressait tout autant à la remarquable performance de l’orchestre qu’aux quatre interprètes en piste ce 11 mars –  mezzo Amandine Portelli (Costanza), ténor Liang Wei (Gernando), baryton Clemens Frank (Enrico), soprano américaine Isobel Anthony (Silvia). A cette dernière, surtout, vont mes suffrages personnels, si je puis me permettre : vibrato serré d’une grande expressivité, subtilité, douceur de l’émission vocale, articulation parfaite dans les vocalises, jeu d’une vitalité, d’une sincérité touchantes.  


L’isola disabitata, de Joseph Haydn. Direction : François Lopez-Ferrer. Mise en scène : Simon Valastro. Orchestre Ostinato. Artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris.
Durée : 1h30
Opéra Bastille, amphithéâtre Olivier Messiaen, les 14, 15, 18 et 21 mars à 20h.

Dernières leçons de maintien en date de tous ces cultureux qui me fatiguent…

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L'actrice britannique Tilda Swinton, cérémonie d'ouverture du festival du film de Berlin, 13 février 2025. Capture Youtube.

L’élection de Donald Trump aux États-Unis glace le sang de François Cluzet, Yann Barthès, Omar Sy et Emmanuelle Béart. De son côté, Daniel Craig, alias « 007 », redoute un retour en force de la masculinité toxique. Tilda Swinton tremble face au retour des frontières, tandis que Nagui sermonne les candidats qui n’aiment pas Gaïa et les vachettes autant que lui. Une chronique signée Didier Desrimais, qui passe sans doute un peu trop de temps devant la télé !


Le panurgisme des artistes n’a d’égal que celui des journalistes. Ça bêle à qui mieux-mieux dans les milieux cultureux. Les moutons défendent identiquement certaines valeurs, dénoncent pareillement certains fascistes, préconisent semblablement de sauver la planète et d’abolir les frontières. Naturellement de gauche, ils ne peuvent s’empêcher de donner des leçons de morale et de politique au monde entier. Sur LCI, à Darius Rochebin lui demandant ce qu’il pense de l’arrivée de Trump au pouvoir, l’acteur François Cluzet balbutie : « Dabord, ce qui est incroyable cest quil ait pu être réélu. Ça a été vraiment la surprise du chef. Comment ce type qui est dune obscénité incroyable, dune vulgarité sans nom, qui propose des trucs dont il change davis (sic) la semaine daprès ou en tout cas qui ne se réalisent pas… » La phrase, inachevée, reste en suspens au-dessus du vide cérébral.

La France a peur…

L’acteur égrène ensuite de confuses et craintives considérations qui semblent enchanter M. Rochebin. M. Cluzet confie en effet avoir peur pour l’Amérique et pour l’Europe. Il récite l’évangile européiste selon Sainte Ursula en invoquant Victor Hugo et son désir de voir naître un jour les États-Unis d’Europe. Adepte de formules creuses, usées jusqu’à la corde par Jack Lang et par ses congénères, il dit être persuadé que, grâce à une UE forte et « ouverte », nous allons « surtout nous enrichir culturellement ». L’enrichissement culturel auquel songe l’acteur s’affiche d’ores et déjà dans l’espace monotone et uniforme d’une Europe wokisée, macdonaldisée, jeffkoonsisée, netflixisée – et donc culturellement appauvrie. Ce monde « ouvert et inclusif » accueille en outre en son sein un nouvel enrichissement culturel issu d’une immigration extra-européenne imposant petit à petit de nouvelles mœurs, une religion qui a fait ses preuves en termes de paix et de tolérance, un jeûne du mois de ramadan d’ores et déjà plus souvent cité et honoré dans nos médias et dans certaines de nos villes que celui qui accompagne le Carême, des commerces halals de plus en plus nombreux, des modes vestimentaires inédites sous nos latitudes. À ce propos, la dernière vidéo publicitaire de la marque de vêtements islamiques Merrachi annonce explicitement le projet d’enrichissement culturel des Frères musulmans et des islamo-gauchistes : la Tour Eiffel y est en effet recouverte d’une abaya et d’un hijab…

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Le 10 février, l’insipide Yann Barthès recevait sur le plateau de Quotidien les protagonistes du dernier film d’Anne Le Ny, Dis-moi juste que tu m’aimes. Omar Sy, à propos de l’élection de Donald Trump : « C’est tragique ». Court, sobre, efficace, sans doute la meilleure prestation de l’acteur. Elodie Bouchez, elle, confie avoir beaucoup aimé vivre à Los Angeles, « mais ce qui se passe aux États-Unis est dramatique….  avec le retour de Trump. Ça fait froid dans le dos. » Nous étions au début d’une nouvelle ère glaciaire dans les médias…

24 février. La matinée est fraîche. Un vent polaire balaie la matinale de France Inter. Bien qu’emmitouflée dans un épais pull en laine, l’actrice Emmanuelle Béart frissonne : « L’élection de Trump me glace le sang. Et puis nous, nous lEurope, on ne réalise pas à quel point à partir daujourdhui nous sommes en danger. » Nous n’en saurons pas plus. Un silence hivernal étreint cet avertissement impénétrable. Brr !

Hollywood et le Fouquet’s ne dorment plus…

Sur France Inter, toujours. Daniel Craig est reçu pour son dernier rôle dans le film de Luca Guadagnino, Queer. Il est horrifié, dit-il, par le « retour violent de la masculinité », en particulier en politique, « avec les extrêmes », suivez mon regard. Le discours woke de M. Craig est aussi ennuyeux et convenu que le film dont il fait actuellement la promotion, si je veux en croire Éric Neuhoff qui, dans Le Figaro, conseille d’écluser une bonne rasade de mescal pour « se remettre de ce pensum prétentieux ». Je ne suis pas allé voir le pensum en question ; j’ai préféré déguster un excellent whisky écossais en regardant Skyfall, un des meilleurs James Bond avec Daniel Craig du temps où la masculinité ne lui faisait pas peur.

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50ème Cérémonie des César. Le cinéma français subventionné et subclaquant se regarde mourir. Durant cette longue soirée mortuaire, chacun cache son ennui du mieux qu’il peut. Signe des temps, le film woke de Jacques Audiard rafle logiquement la mise. Les discours édifiants sont aux petits oignons : un coup sur Trump, un coup sur « l’extrême droite fasciste », un coup sur Israël, un coup sur la Russie, un coup sur Bolloré – ah ! non, pas sur Bolloré, en tout cas pas ce soir : la cérémonie est, comme tous les ans, retransmise sur Canal + et Vincent Bolloré est le premier financeur du cinéma français. Bohèmes, oui, mais bourgeois, avant tout… et tout ce petit monde de finir la soirée au Fouquet’s, aux frais de la princesse.

Lors d’une autre veillée funèbre, celle du dernier Festival du film de Berlin, l’actrice Tilda Swinton a tenu à mettre ses pas dans ceux de tous ces merveilleux artistes qui ne rêvent que d’inclusivité, de diversité et de solidarité. Cette prêtresse théâtrale a prêché pour un monde meilleur « intrinsèquement inclusif » dans lequel seront en outre punis les méchants qui « fraternisent avec ceux qui détruisent la planète », un monde ouvert, « sans politique d’exclusion, de persécution ou de déportation », sans visas, sans contrôles migratoires, sans frontières. La voix sépulcrale et la pâleur spectrale de l’actrice renforcèrent une pénible impression, celle d’entendre la Mort elle-même augurer les phénomènes mortifères menant à notre anéantissement. Dans la salle, des ombres macabres applaudirent la lugubre pythie. Dehors, dans le monde réel, les Allemands apprenaient le même jour l’attentat, à Munich, d’un Afghan ayant foncé dans la foule avec sa voiture, faisant près de 40 blessés et tuant une jeune femme et sa fille de deux ans.

Sur le plateau de BFMTV, la comédienne Macha Méril s’est enthousiasmée pour la « menace militaire » qui planerait sur la France et qui laisse présager, selon elle, une nouvelle « cohésion nationale » : « Regardez ces témoignages de jeunes qui sont au fond disposés à s’engager. C’est formidable, c’est nouveau. On pensait qu’aux loisirs, aux vacances et à aller à l’étranger, se dorer la pilule aux Bermudes. Maintenant il y a un autre objectif qui va nous réunir et ça veut dire qu’on s’achètera moins de pantalons et qu’on va dépenser l’argent autrement. » Je préfère n’ajouter aucun commentaire à cette logorrhée sénile.

https://twitter.com/DestinationTele/status/1899403512171094282

Conclusion menant à un réjouissant exercice de gymnastique jambière. Nagui, l’animateur de “N’oubliez pas les paroles”, se prétend écolo. Quand Fanny, une participante à son émission, lui apprend qu’elle a l’intention d’acheter un fourgon pour l’aménager et pouvoir se déplacer et surtout travailler, il la sermonne sévèrement : « Non mais, attendez, vous dites aimer la planète, vouloir sauver la planète, vous occuper de la culture… Et le problème d’un fourgon, c’est que d’un coup, là, il y a des odeurs de diesel qui arrivent à mon nez. » La pauvre Fanny, humiliée, n’a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive que l’animateur l’apostrophe à nouveau avec condescendance : « Vous connaissez le principe de sauver la nature et la planète ? » Si Fanny avait eu autant de rouerie pontifiante que son tourmenteur, elle aurait pu lui répondre qu’elle n’a pas les moyens, elle, de se payer des vacances sur un yacht luxueux, de faire de nombreux allers-retours en avion pour aller simplement voir des matchs de foot à l’étranger, de se détendre dans une somptueuse villa avec piscine à Saint Tropez ou de s’offrir une voiture de sport de collection. « Ah ! oui, mais attention, aurait alors sûrement rétorqué le tartuffe, j’ai aussi une voiture électrique. » C’est vrai : une Tesla Model X de 125 000 euros conduite par un chauffeur privé ! M. Nagui mérite incontestablement un coup de pied au derrière. Pas de demi-mesure : le coup de pied en question doit être foudroyant, décisif, suffisamment puissant pour envoyer définitivement cette baudruche sur orbite. Voilà un geste, je crois, qu’il serait aisé de citer en exemple, puisqu’il participerait tout à la fois au sauvetage de la culture et de la planète…

https://twitter.com/NewsTVReal/status/1897006851843322261

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Pierre Lellouche/Ukraine: une guerre pour rien?

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Pierre Lellouche © Pierre Villard/SIPA

Pierre Lellouche ne s’attendait pas à la brutalité de Donald Trump à l’égard de Kiev ni à ce qu’il refonde la puissance américaine sur le modèle de la Chine ou de la Russie. L’ancien ministre de François Fillon, excellent connaisseur des questions stratégiques, appelle les Européens, jusqu’ici grands cocus de cette affaire, au réarmement.


Causeur. La Russie et les États-Unis ont entamé des négociations bilatérales visant à mettre fin à la guerre en Ukraine… sans les Ukrainiens ! Les Américains sont-ils en train de les lâcher ?

Pierre Lellouche. Malheureusement, tout cela était parfaitement prévisible. Donald Trump avait annoncé son intention de mettre fin rapidement à ce conflit, qu’il jugeait « ridicule ». Je persiste pour ma part à penser que cette guerre, qui a fait un million de tués et de blessés des deux côtés, aurait pu être évitée, voire stoppée depuis avril 2022, comme je le démontre en détail dans mon dernier livre Engrenages1. Les Russes souhaitent également y mettre fin rapidement, car elle représente non seulement de lourdes pertes humaines, mais elle pèse fortement, à long terme, sur l’économie. En revanche, ce que je n’avais pas prévu, c’est la brutalité du nouveau président des États-Unis à l’égard des Européens, de l’Ukraine et de Volodymyr Zelensky en particulier. Trump inaugure une Amérique révisionniste, nationaliste et même impérialiste, à l’instar des autres grandes puissances, la Chine et la Russie. Avec lui, les États-Unis rompent avec ce qu’ils étaient depuis 1945 : le leader de l’Occident et le promoteur d’un ordre mondial fondé sur le droit. Cela s’accompagne d’un profond bouleversement à l’intérieur de l’État fédéral et de ses institutions, dans le but de retrouver ce qu’il qualifie de « vraies valeurs de l’Amérique ». Mais cette brutalité fait partie d’une stratégie, dont le but est de convaincre les Ukrainiens que la poursuite du conflit est une voie sans issue.

En somme, nous devons nous adapter à un monde où seuls comptent la force et les intérêts ?

Exactement. Nous vivons tout simplement le retour aux relations internationales d’avant 1918 et les illusions du wilsonisme. Mon vieux maître Henry Kissinger aurait adoré. C’est le retour au congrès de Vienne et au jeu d’équilibre des grandes puissances…

Revenons à l’Ukraine. N’y avait-il vraiment pas une autre issue, plus conforme au droit et à la morale ?

Il n’y en a jamais eu. La vérité est que les Ukrainiens ne pouvaient pas gagner cette guerre ni reprendre militairement les territoires perdus. Aujourd’hui, sans les livraisons d’armes américaines, l’Ukraine ne pourra pas simplement continuer cette guerre. Zelensky lui-même l’a reconnu publiquement.

Les Européens ne peuvent-ils pas remplacer le soutien américain ?

Non ! Les Européens ne disposent pas d’armements équivalents aux lance-roquettes HIMARS, aux systèmes de défenses sol-air NASAMS et Patriot ou au système de communication par satellite Starlink. Surtout, leurs arsenaux sont vides et leurs usines tournent insuffisamment, faute de commandes. Le Vieux Continent se révèle être le grand cocu de l’opération. Comme l’avait dit le journaliste américain David Ignatius, bon connaisseur de ces affaires, « les États-Unis ont saigné l’armée russe en laissant la note du boucher aux Ukrainiens ». Les Européens, eux, n’avaient aucun objectif stratégique réfléchi dans cette guerre par procuration commencée par Joe Biden en avril 2022. La véritable grande surprise stratégique de ce conflit, en dehors de l’utilisation massive de drones qui est venue plus tard, c’est la résistance des Ukrainiens et la débâcle de l’armée russe au cours des premières semaines de combat. A Moscou et à Washington, on pensait que la guerre serait pliée en trois jours. C’est cet échec russe qui a encouragé Biden, dès avril, à réarmer l’Ukraine de manière significative afin d’infliger une leçon à Vladimir Poutine et, comme l’avait déclaré le ministre américain de la Défense de l’époque Lloyd Austin, « lui ôter l’envie de recommencer ». Les Européens, quant à eux, se sont contentés de suivre Biden, espérant qu’il remporte cette guerre. Ils se sont comportés dans cette affaire comme des supporteurs enthousiastes d’une équipe de football qui ont payé leur ticket sans participer au match, en partie parce qu’après trente années de désarmement budgétaire, ils n’en avaient pas les moyens.

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Si les Américains ont fait la guerre par procuration pour bouter les Russes hors d’Ukraine, pourquoi ne dit-on pas qu’ils l’ont perdue, cette guerre ?

Ce serait reconnaître qu’on s’est trompé depuis le début. Biden, à Varsovie, avait présenté cette guerre comme celle « du bien contre le mal ». Qu’on ne pouvait donc pas perdre. Quant à Poutine, qu’il appelait « le tueur », il devait « partir ». Or Poutine est toujours là. Quant à Macron, il désigne la Russie comme « une menace existentielle pour l’Europe ». Alors pourquoi ne pas l’avoir combattue directement ? Et comment accepter la défaite de l’Ukraine aujourd’hui, sans accepter qu’elle est aussi la défaite de l’Europe elle-même ? En nous engageant à moitié dans cette guerre par procuration derrières les Américains, nous avons pris le risque que la défaite soit aussi celle de l’Europe, ce que naturellement nos dirigeants somnambules ne peuvent pas admettre.

Si l’état des arsenaux des pays européens était aussi déplorable, de quoi Poutine avait-il peur ? Pourquoi lancer une guerre contre un tigre de papier ?

C’est une longue histoire qui remonte à la chute de l’URSS il y a trente-quatre ans. À la fin de la guerre froide, les Russes espéraient que la dissolution du pacte de Varsovie serait suivie par celle de l’OTAN et que l’Ukraine resterait dans leur zone d’influence et certainement pas dans l’Alliance atlantique. Bill Clinton était de cet avis lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche en janvier 1993. Mais sous la pression des Polonais, des Hongrois et d’autres pays de l’Est, qui refusaient de rester « en suspens » après la chute du mur de Berlin, la politique de Washington a évolué. Il ne faut pas oublier non plus la pression exercée par l’appareil militaro-industriel et technocratique de l’OTAN à Bruxelles, en quête d’une nouvelle raison d’être. Cela explique notamment l’engagement de l’OTAN en Afghanistan, où son rôle n’était pourtant nullement défini. Ce changement de politique américaine s’est opéré contre l’avis des meilleurs stratèges américains, de Henry Kissinger à Zbigniew Brzezinski, en passant par George Kennan, le père de la stratégie du containment (endiguement ). Quant aux Russes, ils n’ont pas cessé de protester contre les élargissements successifs de l’OTAN, mais personne ne les écoutait. Puis, lorsque Poutine est parvenu au pouvoir en 1999-2000, les Ukrainiens ont commencé progressivement à exprimer le souhait d’adhérer à l’OTAN (le président ukrainien Iouchtchenko lui-même me l’a confirmé en 2004 lors de ma visite à Kiev en tant que président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN). Or c’était insupportable pour les Russes. En 2007, Poutine prononce son célèbre discours, dans lequel il accuse les États-Unis de chercher à dominer un monde unipolaire contre la Russie mais personne, là encore n’écoute.Pour le sénateur John McCain, la Russie n’était rien d’autre qu’une « grosse station d’essence avec des bombes atomiques ». L’année suivante, lors du sommet de Bucarest, en mars 2008, George W. Bush annonce, comme point d’orgue de la fin de son deuxième mandat, l’élargissement de l’OTAN à la Géorgie et l’Ukraine, donc jusqu’aux frontières de la Russie. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel lui demandent alors de renoncer à cette politique, sous peine de déclencher une guerre. Cependant, le compromis trouvé à l’issue du sommet ne fera qu’aggraver la crise. Le texte stipulait que l’Ukraine et la Géorgie « avaient vocation à intégrer l’OTAN », mais sans pour autant fixer de date. Résultat, ils se sont retrouvés sans défense face à des Russes, désormais convaincus que, s’ils ne faisaient rien, Kiev intégrerait l’Alliance atlantique. Cet été-là, les Russes ont envahi la Géorgie.

Le point de départ, c’est que la Russie refuse d’avoir des États pleinement souverains à ses frontières. Cette exigence (qui piétine celle des peuples à décider des moyens de leur sécurité) est-elle légitime ?

C’est le sort des États qui ont la malchance d’être frontaliers des très grandes puissances. Voyez comment Trump traite des pays amis comme le Canada, le Mexique ou Panama ! À Cuba, les Américains n’ont pas accepté le déploiement de missiles nucléaires russes à portée de leur territoire. Poutine ne dit pas autre chose s’agissant de l’Ukraine. Et il me l’a dit en face en septembre 2013, juste avant Euromaïdan2 et la crise de Crimée. C’est sans doute contestable au niveau de la morale et des grands principes du droit international. Mais qu’est-ce que le droit international sinon le résultat du rapport de force entre les nations ?

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Aujourd’hui, quels sont les objectifs russes ? Quel est le prix minimum que Poutine acceptera pour signer une paix avec l’Ukraine ?

Contrairement aux Occidentaux, qui n’ont jamais, depuis trente ans, articulé une politique cohérente vis-à-vis de l’Ukraine, les Russes, eux, sont constants en politique étrangère. Ils ont quatre objectifs principaux, annoncés dès avant la guerre. Ils exigent tout d’abord la neutralité de l’Ukraine, c’est-à-dire la garantie de l’Occident qu’elle ne rejoindra pas l’OTAN. La triste ironie de cette affaire, c’est que, tout en prétendant le contraire, ni Obama ni Biden ne souhaitaient voir l’Ukraine entrer dans l’OTAN. Et Trump encore moins bien sûr. Une guerre pour rien, donc ! Leur deuxième condition est, bien entendu, de conserver la Crimée et le Donbass, là aussi une position russe constante depuis 1991. C’est pourquoi leur effort militaire se concentre aujourd’hui sur la reconquête totale des quatre oblasts du Donbass. Le troisième objectif est la levée des sanctions et le rétablissement de relations commerciales normales, en priorité avec les États-Unis et, accessoirement, avec l’Europe. L’économie russe a besoin de la technologie occidentale et souhaite éviter une dépendance totale vis-à-vis de la Chine. Enfin, leur dernier objectif, qu’ils poursuivent depuis longtemps, est de reconfigurer l’architecture de sécurité en Europe.

C’est-à-dire ?

Repousser le plus loin possible les forces de missiles et de défense antimissile que l’OTAN et les États-Unis ont déployées près de la Russie. Ils souhaitent également un accord sur les armes nucléaires intermédiaires, qui, rappelons-le, faisaient l’objet du traité de 1987, dit « INF », abandonné depuis.

Quelle position la France devrait-elle adopter ?

Notre problème est d’éviter que la négociation se fasse au-dessus de notre tête et qu’ensuite un accord bâclé conduise à une nouvelle guerre. Sauf que, après avoir longuement hésité et même alerté sur le danger d’ « humilier » la Russie, Emmanuel Macron est désormais en rupture totale avec Poutine. Pour ne rien arranger, la situation politique et économique de la France fait qu’elle ne compte plus guère aux yeux des États-Unis. Résultat, je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement qu’acquiescer à ce que décideront les Russes et les Américains. Ce qu’a fait Macron à Washington le 24 février dernier.

Rencontre triatérale entre Donald Trump, Emmanuel Macron et Volodomyr Zelensky au palais de l’Élysée, en marge de la cérémonie de réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, 7 décembre 2024 © Ukrainian Presidency/SIPA

Mais la France et le Royaume-Uni ne disposent-ils pas de moyens militaires suffisants pour se déployer en Ukraine et y garantir la paix ?

Le scénario le plus probable, c’est celui de la neutralité de l’Ukraine, reconnue par la communauté internationale, c’est-à-dire par le Conseil de sécurité des Nations unies, et garantie par des puissances extérieures. C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition des Français et des Britanniques d’engager leurs forces en Ukraine pour « garantir la paix ». Mais, pour ce faire, ils souhaitent l’appui logistique et aérien au minimum des États-Unis. Or les Américains ont déjà précisé qu’ils n’avaient ni l’intention d’intervenir en Ukraine, ni de donner la moindre garantie de sécurité, y compris au titre de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord, aux troupes européennes qui s’engageraient en Ukraine. C’est la raison pour laquelle les Allemands, les Italiens et les Polonais ne souhaitent pas participer à une telle force.

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Pourtant, Zelensky, après avoir perdu le soutien américain, avait demandé à l’Europe 200 000 soldats…

Sauf que cette armée n’existe pas ! L’Angleterre et la France peuvent engager 30 000 à 40 000 hommes sur une ligne de front de mille kilomètres. Pour donner un ordre de grandeur, environ un million de soldats, de part et d’autre, sont déployés le long de ce front.

Qui vous garantit que, si Poutine obtient satisfaction sur ses quatre points, il s’arrêtera là ? Ne sera-t-il pas tenté de pousser l’avantage, comme après 2014, et de déstabiliser les pays baltes et la Moldavie ?

Je pense que les objectifs de la Russie consistent fondamentalement à arrêter l’expansion de l’OTAN et à neutraliser une Ukraine dont elle contrôlera la partie orientale. Poutine n’a pas pour plan de conquérir l’Europe, il n’en a pas les moyens. En trois ans, la Russie n’a même pas été capable de conquérir l’Ukraine, un pays qui compte aujourd’hui moins de 30 millions d’habitants.

Admettons que Poutine se borne à cette ambition « mesurée ». En quoi cela nous prémunit-il contre l’appétit de ses successeurs ?

La meilleure façon d’éviter les tentations bellicistes russes dans cinq ou dix ans est de faire en sorte que les principales nations européennes soient capables de se défendre, plutôt que de rester désarmées. Je ne prétends pas prédire les décisions des dirigeants russes à l’avenir, car cela dépendra en grande partie de l’évolution des relations entre la Russie et l’Occident. S’il y a une reprise des échanges économiques, nous pourrions nous retrouver dans un monde complètement différent. En tout cas, les grands États européens doivent redécouvrir qu’ils étaient jadis des puissances souveraines et qu’ils doivent le redevenir. Jean-Jacques Rousseau disait que « la servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer ». Les Européens ont adoré l’OTAN. Il va leur falloir apprendre à s’en passer.

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Si vous étiez au pouvoir, quelle armée française construiriez-vous pour 2030-2035 ?

Vous avez raison de vous projeter à cette échéance, car il faudra au moins cinq à dix ans pour remettre en route l’industrie de l’armement à un niveau sérieux. L’impératif, dans l’immédiat, est d’abord de conserver, ne serait-ce qu’à minima, l’Alliance atlantique et une présence américaine. Parallèlement, il faut que les Européens se chargent de leur propre sécurité à commencer par la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. La réponse en tout cas ne viendra pas de Bruxelles. Il faut s’arrêter, comme le disait le général de Gaulle, de sautiller en criant « Europe de la défense » ou « souveraineté européenne ». De son côté, Bruxelles ferait mieux de mettre fin à sa taxonomie qui interdit aux entreprises européennes pétrolières, gazières et militaires l’accès aux crédits, et qui empêche les banques européennes de financer l’industrie de l’armement. Il faut donner au contraire une priorité communautaire à l’achat d’armement européen, seule condition d’un ruissellement économique sur le reste de notre économie. Enfin il conviendra sans doute de remobiliser nos pays en réintroduisant le service militaire obligatoire. Si chacun des grands pays entreprend ce réarmement, quantitatif et qualitatif, il sera possible de construire une force européenne coordonnée, appuyée sur la dissuasion du Royaume-Uni et de la France, qui sera crédible aux yeux des Russes. Cela est tout à fait à la portée de l’Europe actuelle. Mais l’alternative, comme je le crains et le dis dans mon livre, c’est que rien de tout cela ne se passe et que, après avoir perdu son socle sécuritaire américain, l’Europe finisse par imploser. On verrait alors se reposer la question allemande, avec le risque d’une nucléarisation de l’Allemagne au moment même où la jeunesse du pays menace d’être tentée par l’AFD.


  1. Engrenages : la guerre d’Ukraine et le basculement du monde, Odile Jacob, 2024. ↩︎
  2. Les manifestations survenues en Ukraine suite au refus du gouvernement de signer un accord d’association avec l’Union européenne ↩︎

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