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Charlotte Lewis: portrait d’une égérie MeToo

Roman Polanski vient de remporter une belle victoire. Le tribunal correctionnel lui a reconnu le droit de dire que Charlotte Lewis avait proféré un « odieux mensonge » à son sujet. Une décision qui ne paraît pas surprenante si l’on se penche sur la vie de la comédienne, jalonnée de frasques et d’outrances de langage, comme l’indiquent divers témoignages que nous avons recueillis.


Pour comprendre cette histoire, un petit récapitulatif des faits s’impose. L’affaire débute en 2010. Cette année-là, Charlotte Lewis, qui jouait le premier rôle féminin dans Pirates de Roman Polanski, en 1986, tient une singulière conférence de presse pendant le Festival de Cannes. Devant un parterre de journalistes, elle affirme avoir été abusée sexuellement par le réalisateur polonais trois ans avant la sortie du film, alors qu’elle était encore mineure. Des faits graves, qui n’ont pourtant jamais fait l’objet d’aucune plainte de sa part…

Neuf ans plus tard, en décembre 2019, l’histoire rebondit quand, interrogé dans Paris Match au sujet de ces allégations, Roman Polanski taxe les propos de la comédienne d’» odieux mensonge ». Quoique plutôt anodine, la déclaration sert de point de départ à l’unique développement judiciaire de l’affaire connu à ce jour. On apprend en effet en juillet 2021 que Charlotte Lewis a engagé devant la justice française des poursuites en diffamation : le réalisateur est mis en examen pour ses propos tenus dans Paris Match.

Dernier épisode en date, le 14 mai 2024 : après trois ans d’enquête, et une audience qui s’est tenue en mars, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris innocente Roman Polanski, qui n’a donc selon elle pas enfreint la loi en déclarant que Charlotte Lewis mentait. Mais le dossier n’est pas clos. L’avocat de la comédienne a annoncé qu’elle ferait appel.

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Reste qu’à ce stade Charlotte Lewis n’a pas convaincu les magistrats. Il faut dire que la personnalité de la comédienne permet de douter de sa crédibilité. Pour pouvoir affirmer cela, nous avons croisé des documents présentés lors du procès, et que la plaignante n’a pas contestés, avec les souvenirs de deux de ses anciens proches, habitant comme elle le quartier londonien de Hampstead. Nous les avons interrogés longuement et conservons les enregistrements vidéo.

Qui sont nos deux sources ? Tout d’abord Lulu Mitchell, fleuriste de profession et ancienne maire du borough de Camden (dont Hampstead fait partie), qui a bien connu l’actrice à partir de 2009, avant que leur relation finisse par tourner au cauchemar. Ensuite, un homme, Patsy Muldoon, qui fut pendant quelques mois le voisin et l’ami intime de la comédienne, avant qu’elle se retourne contre lui.

Pour eux deux, une chose est sûre. Charlotte Lewis n’est pas la femme tranquille et sans histoire, la mère célibataire dévouée à son fils unique qu’elle prétend être. Ne serait-ce que parce qu’elle a perdu la garde de son enfant quand celui-ci était très jeune. On le sait grâce au témoignage sous serment d’une dénommée Karen Smith, connue pour avoir présenté l’actrice à Roman Polanski. Selon Lulu Mitchell, c’est la mère de Charlotte Lewis qui s’est vue en son temps confier par la justice britannique la garde de l’enfant, en raison de la vie pour le moins désordonnée de la comédienne.

Une martyre réellement digne de confiance ?

Charlotte Lewis aurait en effet connu des problèmes d’addiction à la drogue, comme le laissent entendre d’ailleurs plusieurs entretiens qu’elle a donnés aux médias durant sa période hollywoodienne, dans les années 1990, où elle évoque sa difficulté à décrocher de la cocaïne. Lulu Mitchell se souvient du reste que, des années après, du temps où elle fréquentait l’actrice, celle-ci « avait toujours l’air défoncée ». Patsy Muldoon affirme de son côté : « Je l’ai vue se fournir en crack auprès d’un dealer. » Selon nos deux témoins, Charlotte Lewis a fait plusieurs cures de désintoxication en Thaïlande.

Un tel train de vie coûte cher, surtout pour quelqu’un qui – Lulu Mitchell l’assure – « vit en partie d’allocations ». D’après nos deux sources à Hampstead, Charlotte Lewis aurait fait appel à la générosité de plusieurs hommes fortunés pour payer ses séjours en Thaïlande, dont l’un lui aurait été offert par son parrain, ancien producteur de musique réputé, et un autre par un richissime Canadien, qui est aussi le parrain de son fils et qui aurait aussi assuré les frais de scolarité de ce dernier, inscrit dans un internat.

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Selon Patsy Muldoon, le Canadien a toutefois fini par couper les vivres après avoir découvert que l’actrice lui mentait sur les tarifs de la pension privée afin d’obtenir des rallonges d’argent. Depuis, affirme Lulu Mitchell, la relève financière serait assurée par « un certain Andy, un timide d’environ 70 ans », qui a fait fortune dans le secteur de la tech. Nos deux témoins soutiennent que ce Londonien a ensuite payé les séjours en clinique de Charlotte Lewis ainsi que les frais de scolarité de l’enfant.

Sachant cela, que penser de la réputation de prostitution occasionnelle dont est créditée Charlotte Lewis ? Parmi ceux qui l’ont relayée, il y a le journaliste Stuart White, auteur en 1999 d’un article dans le tabloïd britannique News of the World, selon lequel l’actrice a monnayé ses charmes au cours de l’été 1981, alors qu’elle avait seulement 14 ans. « Je n’étais pas dans les boîtes de nuit, je n’étais pas une enfant sauvage », a, depuis, démenti la comédienne.

Pourtant, en 1988, le même journal a publié les confidences d’un jeune homme, aujourd’hui propriétaire d’un sex-shop, mentionnant avoir rencontré Charlotte Lewis en 1981 dans un night-club huppé de la ville et avoir eu alors une liaison avec elle. Le même article donne aussi la parole à un mannequin, selon qui la comédienne a dérobé, la même année, 5 000 livres sterling à un riche Arabe à qui elle avait promis ses faveurs. Les habitudes à cette époque de la jeune femme dans le night-club en question, le Stringfellows, sont confirmées par l’artiste et éditeur David Litchfield dans les colonnes de sa revue Ritz en 1985. Précisons qu’évidemment, Lewis fait ce qu’elle veut. Ces épisodes laissent penser que le sexe est parfois pour elle un moyen. 

Charlotte Lewis en couverture de Ritz Newspapers (1987). D.R.

Pour nos deux sources à Hampstead, de tels récits ne sont pas étonnants. Lulu Mitchell se souvient ainsi qu’une des clientes de son commerce de fleurs, avocate de profession, lui aurait confié que son ex-mari, également avocat, « couchait avec Charlotte, car celle-ci avait besoin d’argent ». Des propos à prendre toutefois avec des pincettes, car nous n’avons – hélas ! – pas pu échanger directement avec cette avocate.

Une victime éternelle

Selon nos deux sources à Hampstead, Charlotte Lewis serait également coutumière des accusations gratuites. Patsy Muldoon raconte ainsi un pénible souvenir. À l’en croire, l’actrice l’a un jour désigné aux passants dans la rue en criant : « C’est lui qui m’a tapé dessus ! » Peu de temps après, sous ses fenêtres, la voilà qui prétend, à tue-tête, avoir été agressée sexuellement par lui. Poussé à bout, ce dernier lui envoie alors des SMS agressifs pour l’enjoindre de quitter les lieux. Charlotte Lewis préfère appeler la police, qui se rend sur place et arrête Patsy Muldoon, avant de le libérer le lendemain, sans inculpation, grâce à l’intervention… du propre avocat de l’actrice. Depuis, cette dernière a demandé une injonction d’éloignement, qui a été acceptée par le tribunal au motif des SMS violents du mis en cause.

L’actrice Charlotte Lewis en couverture de Playboy (1993). D.R.

Lulu Mitchell mentionne elle aussi un épisode troublant. Il concerne son ancien assistant, avec lequel elle tenait son commerce de fleurs, dans une camionnette à Hampstead. Un dénommé Dave, accusé il y a quelques années par Charlotte Lewis de l’avoir épiée à travers les fenêtres de son appartement. Problème, quand les enquêteurs arrivent sur place, ils découvrent qu’on ne peut pas voir lesdites fenêtres depuis l’emplacement où se trouve le véhicule !

Échaudée par cette histoire, Lulu Mitchell décide alors de rompre ses relations avec l’actrice. Au grand dam de celle-ci, qui se serait « vengée » à sa manière. Un jour, raconte la fleuriste, Charlotte Lewis se serait présentée devant elle, puis aurait composé avec son téléphone le numéro des secours avant de s’écrier, une fois en ligne avec la police : « Ma vie est menacée ! » Encore abasourdie par l’épisode, la fleuriste se souvient : « Elle avait un grand sourire sur son visage, et elle me faisait un doigt d’honneur. »

Plus tard, quand, dans le cadre de l’affaire « Paris Match/Polanski », la fleuriste rédigera un témoignage à charge contre Charlotte Lewis, et que le document sera transmis, en application des règles, à la partie adverse, donc à l’actrice, celle-ci déambulera, selon nos informations, dans les pubs et commerces du quartier en brandissant le document et en accusant à haute voix son auteur de ne pas soutenir la cause des femmes. « Elle a essayé de me faire taire, estime Lulu Mitchell. Elle est même allée voir une de mes copines pour lui dire qu’elle arrêterait si je me rétractais. »

Blessure narcissique

Certains objecteront que la vie déréglée de Charlotte Lewis résulte du prétendu traumatisme provoqué par Polanski. Mais ce traumatisme est-il réel ? Quand Charlotte Lewis préparait son accusation contre le cinéaste vers 2009, elle a, semble-t-il, raconté une autre histoire à Lulu Mitchell, qui venait de faire sa connaissance : « Je vais lui soutirer un demi-million de livres, lui aurait-elle confié. Je vais dire qu’il m’a violée. C’était mon petit ami, mais il m’a laissé tomber et j’étais amoureuse de lui. » Lorsque, dix ans plus tard, la fleuriste apprendra que cette affaire donne lieu à un procès, elle décidera de témoigner. « Les femmes ont vraiment besoin d’être entendues, justifie-t-elle. Et c’est très mal de faire cela juste pour avoir de l’argent. »

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En 2019, c’est auprès de Patsy Muldoon que Charlotte Lewis se serait également vantée de son machiavélisme. « Je vais détruire Polanski, et ce sera mon retour à Hollywood, affirme-t-il l’avoir entendue dire. […] Au procès, je jouerai un rôle, comme dans un film, je suis une grande actrice et le plus grand regret de cet homme, ce sera de m’avoir larguée. » Selon Patsy Muldoon, la vraie motivation de l’actrice est de relancer sa carrière. « Elle pense que la raison pour laquelle elle ne travaille plus, c’est que, depuis qu’elle a accusé Polanski de viol, Hollywood a dû lui fermer ses portes, présume-t-il. […] Dans sa tête, il y a des contrats de films valant 25, 30 millions de dollars. »

On le voit, Charlotte Lewis n’est pas un ange. Elle n’en demeure pas moins une victime. Non pas de Polanski, mais du compagnon de sa mère, qui aurait abusé d’elle vers l’âge de huit ans. C’est là la seule histoire qu’elle raconte sans jamais varier, et à laquelle on est tenté de croire.

L’actrice est sans doute aussi victime de son difficile retour à l’anonymat. Car voilà des années qu’elle ne tourne plus. Pourtant nos deux sources à Hampstead témoignent qu’il n’est pas rare de la voir encore saluer les automobilistes dans la rue, comme s’ils l’avaient reconnue, comme si elle était encore une vedette. Selon Patsy Muldoon, le même déni de réalité se produit quand elle regarde des séries télévisées récentes et qu’elle commente l’action en prétendant, contre toute évidence, avoir participé au tournage.

Et si le seul tort de Polanski était de lui avoir donné le premier rôle féminin dans Pirates en 1986 ? De l’avoir propulsée au sommet de la gloire, mais de ne pas l’y avoir maintenue ? Osons une hypothèse : pour Charlotte Lewis, le cinéaste est un écran sur lequel elle projette tantôt sa rage contre les hommes qu’elle ne peut pas contrôler, tantôt et surtout son regret infini de ne plus être une star.


La réaction de Charlotte Lewis : Pour les besoins de la présente enquête, nous avons sollicité l’actrice pour lui demander si elle confirme ou infirme les faits que nous rapportons. Voici ce que son avocat à Paris, Benjamin Chouai, nous a répondu : « Mme Lewis vous fait savoir qu’elle n’entend pas répondre aux rumeurs de caniveau répandues à son sujet. Elle maintient que M. Polanski est un violeur, n’en déplaise à son fan-club réactionnaire. J’ajoute que les “allégations” que vous évoquez sont typiques, jusqu’à la caricature, de ce que les auteurs avancent pour disqualifier leurs victimes. »

Gabriel Attal ne veut plus être le «petit frère» d’Emmanuel Macron

Le Premier ministre, qui n’était pas dans la confidence du projet de dissolution de l’Assemblée nationale d’Emmanuel Macron et a été mis devant le fait accompli (alors que le ministre de l’Intérieur, lui, savait), semble vouloir voler de ses propres ailes. Dans son sillage, MM. Philippe et Le Maire ne sont pas en reste pour critiquer ouvertement la présidence, donnant l’impression d’un délitement à tous les niveaux.


Le président : génial ou insensé ? Nulle marque d’irrespect dans l’attaque de mon article, mais une alternative que ces derniers jours présentent à l’esprit des citoyens. On me pardonnera d’écrire encore un billet sur ce thème mais il me semble que la situation politique est suffisamment incertaine dans le présent et angoissante pour le futur, pour justifier cette insistance de ma part. Depuis cette décision de dissoudre, on a l’impression qu’un délitement s’opère à tous les niveaux, comme si la perte de confiance en la lucidité et en la maîtrise d’Emmanuel Macron avait ouvert des vannes, libéré des audaces, extériorisé des ambitions et surtout autorisé une parole dénuée de toute inconditionnalité.

Dans Le Parisien, Gabriel Attal répète à deux reprises « ne pas regarder dans le rétroviseur »

Même si dans l’Histoire de la Ve République, je concède volontiers qu’il y a eu des présidents victimes d’une désaffection et dont l’image n’était pas souhaitée sur les affiches lors des élections, même si l’hostilité politique de leurs soutiens et de leurs partisans, selon la conjoncture, avait pu survenir, il me semble toutefois que rien n’est comparable au climat actuel. Les candidats de Renaissance, entre méfiance et révolte, ne veulent surtout pas que le président parle, ils ont peur de ses possibles embardées. Le signe le plus éclatant de cette atmosphère lourde et suspicieuse est le fait qu’on ne tolère plus de sa part les charges même les plus pertinentes contre le Nouveau Front Populaire, LFI et Jean-Luc Mélenchon, comme récemment à l’île de Sein. L’aspiration générale est qu’il s’efface.

On se retrouve comme au temps des gilets jaunes où l’exaspération politique s’était dégradée en haine à l’encontre du couple Macron appréhendé telle une résurgence de la royauté honnie. Un indice tristement révélateur de ce retour a été le fait que Brigitte Macron, se rendant à l’enterrement de Françoise Hardy, a été huée contre toute décence.

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Depuis le saisissement de la dissolution, le Premier ministre Gabriel Attal ne se cache plus pour assumer des responsabilités qui se caractérisent aujourd’hui par le besoin que son camp a de lui et par l’assurance toute neuve avec laquelle il se campe presque comme un recours. Il a conscience que ce qu’un citoyen lui a demandé vulgairement au sujet du président dans le Val-de-Marne est un impératif pour lui : sa parole doit remplacer celle d’Emmanuel Macron.

Édouard Philippe: ne partez pas sans moi!

Le Premier ministre dont la jeunesse faisait peur malgré son talent, s’est mué en un personnage beaucoup plus dense et solide : les épreuves façonnent celui qui, sans elles, ne se serait pas métamorphosé aussi rapidement. Sa candidature pour 2027 n’est plus une absurdité. Il prend un peu d’avance sur ses rivaux déclarés ou plausibles. C’est à cause de cela que, de manière étrange avant le premier tour du 30 juin, Édouard Philippe rue dans les brancards et s’en prend au président qu’il accuse d’avoir « tué la majorité présidentielle ». Il affirme qu’entre les extrêmes, il y a un autre choix : l’adhésion à sa propre cause. Il a encore du travail à faire pour nous persuader que sur le plan régalien nous n’aurions pas avec lui un Juppé bis ! Bruno Le Maire se lâche de plus en plus, pourfend le caractère « solitaire » de la dissolution, vitupère les « cloportes », ces conseillers irresponsables du président, et, sur ce plan, il est approuvé par Édouard Philippe. C’est bien plus qu’anecdotique : une manière de présider est mise en cause à mots couverts ou transparents.

Le crépuscule du monde nouveau?

Le mélange d’un mandat profondément bousculé, d’un président à la personnalité décriée, en tout cas questionnée, d’un entourage sans allure, d’une Assemblée nationale peut-être ingouvernable, d’un État dans l’angoisse de ce qui l’attend, de sondages qui, tous, placent la majorité présidentielle derrière le NFP et surtout le RN associé à Éric Ciotti, crée un crépuscule républicain, une démocratie délétère, morose, un paysage présidentiel informe et inédit. Espérance paradoxale : les procurations explosent. On aura une forte participation. Face à ce désastre annoncé, Emmanuel Macron nous affirme pourtant que « la majorité absolue est à portée de main ». S’il a raison, après de longs flottements il redevient un génie de la politique. S’il cherche à se donner du courage en sachant qu’il se ment et nous égare, il est insensé. Il conviendra que 2027 nous permette d’élire un président enfin normal, mais pas comme au sens où l’entendait François Hollande. Avec en même temps de la simplicité, de l’allure… Et de la vérité…

Ces liens qui rapprochent Macron du Front de la honte

De Philippe Poutou à Raphaël Glucksmann en passant par François Hollande, le Nouveau Front Populaire (en réalité, la Nupes «deuxième saison») est une alliance de gauche peu reluisante que fustigent Emmanuel Macron et Gabriel Attal. Mais qui partage en réalité une bonne partie de la sociologie urbaine de la macronie…


Le Nouveau Front populaire (NFP), qui va de Philippe Poutou (NPA) à Raphaël Glucksmann (PS) en passant par François Hollande, empeste. Si une alliance est « nauséabonde », ce mot des tartuffes, c’est bien cette soupe infecte. 

C’est à Trèbes (Aude), là où le colonel Arnaud Beltrame donna sa vie le 23 mars 2018 pour libérer une otage des mains d’un terroriste de l’Etat islamiste, que le leader du Nouveau parti anticapitaliste a été parachuté. Or Poutou, outre qu’il martèle : « la police tue », est sous le coup d’une enquête pour apologie du terrorisme. Le 7 octobre 2023, il avait refusé de condamner l’attaque du Hamas contre Israël, et de qualifier de « terroriste » l’organisation islamiste. « Dès qu’on est en révolte contre un pouvoir, celui-ci nous traite de terroristes », s’était-il justifié. 

A Avignon, c’est un triple fiché S (DGSI, Renseignement territorial, Préfecture de police de Paris), Raphaël Arnault, qui a été investi par LFI. Arnault, fondateur de la Jeune garde antifasciste, est un activiste qui pratique la violence en politique. Une pétition circule pour dénoncer ce nervi « antifa ». Mais c’est le GUD que Gérald Darmanin veut interdire. En Seine-et-Marne, la candidate LFI Amal Bentounsi, fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, a publié en 2015, au nom de son association : « On ne peut pas reprocher à un croyant d’être homophobe si sa religion le lui commande ». De fait, un homosexuel risque la pendaison à Gaza, en dépit du fait que des groupes LGBT manifestent en Europe derrière le drapeau de la Palestine. Ce raisonnement de Bentounsi permet à l’extrême gauche de passer également outre la judéophobie musulmane, portée par le Coran. LFI n’avait toujours pas réagi, mercredi 19 juin, au viol sordide d’une jeune fille juive de 12 ans, à Courbevoie, par trois jeunes bourreaux de 12 et 13 ans lui reprochant son origine1.

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C’est cette gauche répulsive, violente et antisémite, qui a été rejointe par des « sociaux-démocrates » en perdition. Seuls Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et, semble-t-il, Jérôme Guedj ont refusé cette obscénité. Or ce Front de la honte peut se retrouver, le 8 juillet, comme force de gouvernement, en lien avec Renaissance (le parti présidentiel) avec qui il partage en réalité la vision « progressiste » d’une société ouverte, diversitaire, multiculturelle et le rejet de « l’extrême droite », alibi des unions d’opportunité. Jordan Bardella (RN) l’a annoncé : si son mouvement, rejoint par les Républicains pro-Ciotti, ne devait pas décrocher le 7 juillet la majorité absolue au parlement (289 députés sur 577), il refuserait dès lors le poste de Premier ministre, en estimant ne pouvoir mener librement sa politique dans un contexte de crise économique majeure léguée par Emmanuel Macron. Or les sondages actuels promettent plutôt au RN-LR une majorité relative, avec un taux de participation de plus de 60%. Le chef de l’Etat a beau feindre la distance indignée avec l’extrême gauche, en lui reprochant un programme « totalement immigrationniste » et des mesures « complètement ubuesques », des liens existent entre ces deux courants urbains (NFP, Renaissance), si proches sociologiquement qu’ils se partagent souvent les grandes agglomérations, comme à Paris par exemple. Le « sursaut », faussement espéré par Macron, va le conduire soit à nommer Bardella à Matignon soit à confier la France à ses destructeurs. Le président assure qu’il n’a pas pris sa décision « à la légère ». C’est pourtant sous son siège que sa grenade dégoupillée va le plus surement exploser.


  1. Jean-Luc Mélenchon a réagi par la suite en dénonçant un « racisme antisémite » ↩︎

Kébabs d’État

La gauche allemande propose un plafonnement pour le prix des kebabs, plat désormais quasi traditionnel Outre-Rhin.


L’inflation fait des ravages ces dernières années, et n’épargne pas la restauration rapide. Mais pour contrer ce phénomène, la gauche allemande a une idée toute trouvée : plafonner le prix des kebabs. Le parti Die Linke (équivalent de LFI) n’est jamais à court d’idées farfelues et démagogiques pour tenter d’exister sur la scène politique nationale, et semble vouloir faire de ce sandwich turc, devenu une icône nationale outre-Rhin, une grande cause politique. Il faut dire que le prix de ce mets est aujourd’hui en moyenne de 7,90 euros, et parfois au-delà des 10 euros dans certaines grandes villes allemandes – soit le double d’il y a seulement trois ans. Une « Dönerflation » en partie provoquée par l’augmentation des coûts de main-d’œuvre, mais surtout des prix de l’énergie, l’Allemagne s’étant sabordée en la matière en fermant son parc nucléaire et en organisant méthodiquement, pour le gaz, une dépendance envers la Russie, dont on connaît désormais les conséquences fâcheuses. Pour Kathi Gebel, porte-parole de la politique de jeunesse du parti de gauche radicale, le prix des kebabs devrait être plafonné précisément à 4,90 euros, et même 2,90 euros pour les jeunes, le reste devant être à la charge de l’État, pour un coût de 4 milliards annuels. Mieux : le parti propose de distribuer des « bons kebabs » à certains foyers, sur critères de revenus.

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Un sujet qui est décidément d’actualité puisque fin avril, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, en voyage officiel en Turquie, s’était fait prendre en photo en train de savourer un délicieux döner kebab, s’attirant les foudres de la communauté turque en Allemagne, lui reprochant une forme de reductio ad kebabum. S’il est vrai que les clichés ont la vie dure, il est permis de douter que la proposition de la gauche de la gauche sera approuvée au Bundestag, au demeurant quasi paralysé par une triple coalition bancale dont il ne sort rien de bien efficace depuis son élection fin 2021.

Transphobie scientifique

Si les associations s’alarment de l’explosion de la transphobie, c’est aussi parce qu’elles souhaitent que tout propos critique sur les bloqueurs de puberté soit considéré « transphobe ».


Publiée le 15 mai, la 28ᵉ édition du rapport de SOS Homophobie sur les discriminations et la violence envers les personnes LGBTI (lesbiennes, gays, bi, trans et intersexes) fait froid dans le dos. Du fait de leurs préférences sexuelles, trop de gens, en France, sont encore insultés, chassés de leur famille, agressés, piégés dans des guets-apens. De nombreux témoignages sont mis en exergue au fil des pages, qui révulsent. Ainsi Gino, un homme trans, qui « marchait dans la rue, quand trois hommes l’ont passé à tabac car il n’avait pas répondu à la question : “Est-ce que t’es une fille ou un garçon ?” » Plus loin, on tombe hélas sur un passage nettement plus politique, dénonçant une « vague de transphobie » qui serait, selon les auteurs, liée à « un repli conservateur » du pays. Dans leur viseur : une proposition de loi LR, actuellement en discussion du Sénat, visant à interdire les transitions de genre aux mineurs. « Ce débat ne devrait pas avoir lieu, estime la présidente de l’association, Julia Torlet. La transphobie n’est plus seulement dite, elle est mise au vote. » Une charge non seulement antidémocratique, mais aussi antiscientifique. Car le texte n’arrive pas au Parlement par hasard.

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Plusieurs études récentes battent en brèche les certitudes des militants queer sur le traitement de la dysphorie de genre chez les adolescents. Ainsi le 17 février, le British Medical Journal a publié un article sur de jeunes Finnois souffrant de ce trouble, d’où il ressort qu’il n’y a pas moins de suicides parmi ceux qui ont eu recours à une chirurgie de réassignation sexuelle. Le 27 février, une étude néerlandaise a montré que, dans la plupart des cas, le trouble disparaît avec l’âge. Le 23 mars, la Mayo Clinic, un des hôpitaux les plus prestigieux des États-Unis, émettait une alerte contre les effets secondaires des bloqueurs de puberté, traitements auxquels certains médecins ont recours pour faciliter les transitions de genre. Enfin, le 9 avril, la détonante « enquête Cass » était publiée au Royaume-Uni. Menée par l’ancienne présidente du Collège royal de pédiatrie et fruit de quatre ans de recherche, sa recommandation la plus importante est que l’on cesse de soigner la dysphorie de genre chez l’adolescent avec des protocoles médicaux, et qu’on les remplace par de la psychothérapie. Sur les réseaux sociaux, la romancière J. K. Rowling, qui plaide depuis longtemps pour un encadrement des bloqueurs de puberté, a applaudi ces conclusions. Et si la mère de Harry Potter finissait par gagner contre le pot de fer ?

Histoire enchaînée

La commémoration de l’abolition de l’esclavage s’est déroulée à la Rochelle, en présence du Premier ministre Gabriel Attal, le 10 mai.


Braves gens du beau pays de France, vous reprendrez bien une gorgée de repentance ? Cette fois, c’est Gabriel Attal, Premier ministre, qui y va de sa tournée. Le 10 mai, il se trouvait à La Rochelle où il présidait la « Journée des mémoires de l’esclavage et de leurs abolitions ». Dans son discours, prononcé allée Aimé-Césaire devant la statue de l’artiste haïtien Filipo représentant Clarisse, une « nourrice esclave » achetée à Saint-Domingue et libérée en 1793 par le Conseil général de la ville, il a notamment déclaré : « Trop longtemps, un voile a été jeté sur ce passé. […] Parce que nous regardons l’histoire en face, parce que nous voulons faire savoir, nous continuerons à mener la bataille de l’éducation. » De l’éducation, ou de la culpabilisation, voilà la question ?

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Dans cet esprit, il a tenu à annoncer la création d’un label spécifique « lieux de mémoire de l’esclavage ». Ainsi, « chacun saura, chacun verra, en arpentant nos rues, nos villes, les lieux où l’histoire de l’esclavage s’est écrite. Chacun pourra mieux se souvenir, mieux comprendre ». Et, je suppose, battre sa coulpe. Il a également annoncé l’organisation pour 2026 – le 25e anniversaire de la loi Taubira sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité – d’une « grande exposition nationale » sur ce thème.  Pour ce rendez-vous mémoriel, je me permettrai une suggestion : qu’on place la manifestation sous la présidence d’honneur de l’Institut du monde arabe, avec en vedette, bien évidemment, son président à vie, Jack Lang. Juste pour rétablir les faits dans leur vérité et bien montrer au pays – au pays dans sa diversité – que, en matière de traite des êtres humains, le monde arabo-musulman fut un précurseur impitoyable et d’une efficacité terrifiante. Étrangement, de ce côté-là, la repentance se fait attendre. Le rendez-vous de 2026 ne serait-il pas le moment idéal pour regarder aussi cette histoire-là en face ?

Le Paris que vous ne reverrez plus jamais !

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En ce mois préolympique, les éditions Parigramme font paraître un livre de photographies prises par des anonymes entre 1950 et 1970. La collection Robé exhume les trésors d’un Paris saisi sur Kodachrome, le film majoritairement utilisé par les familles et les touristes en goguette.


Le voyageur moderne, l’esprit imbibé d’un Paris canaille, d’un Paris romantique ou d’un gai Paris risque de déchanter, dès son arrivée, à l’aérogare de Roissy. Avec ou sans JO, la capitale s’embourbe dans les travaux permanents et pratique un délit de faciès. Tout ce qui, de près ou de loin, ressemblait à un Paname fantasmé et onirique a été lessivé. La typicité de Paris a disparu sous le coup du marteau-piqueur et d’une dépendance idéologique à un même décorum. Partout, les mêmes vitrines, les mêmes enseignes, les mêmes pistes cyclables, les mêmes voitures électriques, le patrimonial commun est l’avenir du citadin qu’il habite Bangkok ou San Francisco. Il mangera, il boira, il pédalera, il pensera dans le même sens de l’Histoire, c’est-à-dire la soumission à un imaginaire aseptisé, expurgé de toute nostalgie, ravi de communier sur des cendres. Mais alors, c’était quoi Paris ? Des barrières, des cônes, des sens interdits, des voies de bus vampirisées, des rongeurs décomplexés, des réveils au buldo, des portes faméliques, des nuits sauvages, des loyers ascensionnels, des garçons de café vindicatifs ou des cuisines lyophilisées ?

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Afin que votre prochaine visite ne soit pas déceptive comme disent les technocrates des novlangues, je vous conseille de plonger dans un passé très récent, un demi-siècle tout au plus qui nous paraît millénaire tant la ville a profondément changé. Le Paris des photographes anonymes est coloré, gamin, pétroleur, rieur, désuet, donc essentiel. Il baguenaude sur les bords de la Seine, il picore la vie de jadis. Il n’instrumentalise pas. Son folklore est notre folklore. Il nous montre une communauté humaine qui semble heureuse de vivre ensemble, qui n’a pas l’aigreur en porte-étendard et la victimisation en bandoulière. Et cependant, si l’époque est économiquement vigoureuse, elle est cruelle par bien des aspects, les tickets de rationnement sont encore un vif souvenir et les guerres coloniales vont percuter la quiétude des familles. Ce Paris est poulbot et aristo, il oscille entre Prévert et Medrano, entre Luna Park et Maxim’s ; les marchandes de quatre saisons et les longues américaines garées devant les restaurants de luxe partagent un même territoire. Ces anonymes en vacances ont flashé sur les devantures des cabarets et l’uniforme des agents de Police. En ce temps-là, on prenait en photo un gardien de la paix lors de son séjour dans la capitale, on ne lui lançait pas une cannette à la figure. Dans ce recueil, on en prend plein les mirettes. Ces amateurs ont du génie. On visite la Tour Eiffel entre collègues, galurin sur la tête et cigare au bec. On met sa plus belle robe turquoise pour naviguer sur les Bateaux-Mouches. On se fait arnaquer place du Tertre dans la plus pure tradition montmartroise. On déjeune, rue Jacob, « Aux assassins » ou au « Le bœuf à table ». On s’installe aux terrasses du Fouquet’s ou du Café de la Paix. On traverse la rue de Rivoli sans se faire percuter par une mobilité douce. On peut se faire une toile sur les Champs-Élysées au Gaumont-Colisée et on peut voir la dernière Citroën dans son show-room art déco. On ne reconnaît pas la place des Vosges dans son habit de sépulcre, fenêtres et arcades tristes, dans un gris souris terriblement littéraire. On remonte la rue Mouffetard pour trinquer avec Bob Giraud et Robert Doisneau. Le parfum du monde d’avant nous réchauffe le cœur. Devant l’église Saint-Eustache, des montagnes de cagettes s’amoncellent. Il y a encore des boucheries chevalines, des triperies et des rémouleurs dans la rue. Fernand Raynaud triomphe à l’Alhambra, il sourit sur les colonnes Morris. L’ambassade américaine, avenue Gabriel, semble presque ouverte au public. Du côté de la rue de Rome, miracle, on aperçoit un bus Cityrama entièrement vitré (La Fondation du Patrimoine en restaure un actuellement). En résumé, que demande le peuple ? Des bouquinistes et des vespasiennes.

André Robé, Le Paris des photographes anonymes. Anonymous vintage slides, 1950-1970 (Parigramme, 2024), 144 pages

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Aller voir, ça nous regarde !

Déjouant toutes les prédictions, les visiteurs se pressent toujours plus nombreux au musée. Que viennent ils chercher ? Peut-être une consolation à l’instabilité du monde, admirer des œuvres à leur guise, leurs formes et couleurs qui sont source de plaisir. On aurait tort de s’en priver, d’autant que les expos de ce mois de juin méritent le déplacement.


Les expositions de ce printemps sont belles : la forêt au Petit Palais, la mer à Giverny, Hockney et Whistler à Rouen, Van Eyck au Louvre, l’impressionnisme ici et là, un peu partout en France. Certains choisiront de se promener parmi les arbres de Théodore Rousseau (1812-1876), avec leurs troncs frappés de la lumière d’un ciel s’aventurant dans le vert des houppiers, leur écorce ajourée de lichens et de mousses. D’autres iront, avec les peintres impressionnistes, saisir le miroitement polychrome de la mer, le reflet des voiles et des nuages à la surface irisée de l’eau ou l’écume des conversations de pêcheurs et de bourgeois sur les plages. Les mêmes, ou d’autres encore, iront admirer La Vierge du chancelier Rolin de Van Eyck (1390-1441) dans l’éclat de ses couleurs recouvrées, se perdront dans les délicats arrangements sensoriels de James Abbott McNeill Whistler (1834-1903) ou bien s’étonneront de sentir la douce fraîcheur du printemps éclore dans les fleurs de pommier peintes sur iPad par David Hockney (né en 1937), dans sa Normandie d’adoption.

À l’heure où Le Petit Larousse s’enorgueillit de faire entrer « écogeste », « empouvoirement », « visibiliser », « désanonymiser », « permittent » ou encore « polluant éternel » dans son édition de 2025, la peinture nous ramène avec bonheur à un monde où le geste est créateur, où les artistes ont des noms que l’on retient et où le regard qu’ils ont posé sur les choses continue à attirer le nôtre dans un rapport au temps qui n’a pas de prétention à l’éternité, mais s’enrichit de conjuguer notre présent et le leur. On pensait la peinture inaccessible ; on croyait ne rien y voir. On se rend compte qu’elle parle le langage clair des formes, des couleurs, celui des sensations, des impressions et des sentiments que notre langue commune se voit sommée de contourner pour lui préférer tout un fatras de mots-valises imprononçables frappés au coin de l’impérieuse bienveillance. Investie de la mission politique de pallier en vingt-six lettres les insuffisances de la nature, les injustices de la vie, mais aussi de contredire les faits incontestables de nos débâcles collectives quotidiennes, notre langue a cessé de dire les nuances du cœur et de la pensée.

Ce n’est donc pas sans raison que les files d’attente s’allongent aux portes des musées pour aller voir les œuvres des grands maîtres. Certains diront que les visiteurs font indifféremment la queue pour acquérir le dernier smartphone et pour voir La Joconde, qu’ils sont là à déambuler en grappes entre le vestiaire et la boutique sans trop savoir ce qu’ils sont venus chercher dans les galeries et sur les cimaises. Bref, qu’ils auraient tout aussi bien pu passer la journée dans un parc à thème. D’autres – les mêmes qui parlaient hier encore de l’urgence à démocratiser l’art et la culture – se mettent aujourd’hui à fustiger le surtourisme au nom de la confrontation avec les œuvres. Naguère pourfendeurs de l’élitisme et du privilège culturel, les voilà en proie à une crise mystique à tendance monacale ; après avoir traqué, en bonnes sentinelles foucaldiennes, l’imposition de règles de conduite et nourri le fantasme de l’indocilité des corps, ils se demandent à présent pourquoi tous ces gens prennent toutes ces photos avec tous ces téléphones portables. Une autre lecture de l’engouement pour les musées consiste à dire que les visiteurs viennent y chercher, de façon plus ou moins consciente, une forme de consolation à l’instabilité du monde et aux bouleversements rapides des sociétés. Marcher au milieu d’œuvres qui demeurent là en dépit des changements, pouvoir s’arrêter pour les regarder à sa guise, passer vite ou non, choisir celles que l’on regarde de près ou de loin est effectivement une source de plaisir. On aurait tort de s’en priver.

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Mis à part les extravagantes performances de quelque artiste contemporain en manque de reconnaissance, prêt à gribouiller un « MeToo » geignard sur L’Origine du monde pour que l’on parle un peu de lui, et devenir, ne serait-ce qu’une demi-heure, l’ennemi public d’une société aux tares systémiques, et hormis les saynètes d’activistes partis en croisade sous les feux de leurs propres projecteurs pour défendre un monde où tous les gens pourraient manger gratuitement sous des températures clémentes, les visiteurs goûtent leur plaisir d’être là et sont donc à leur place dans les musées. Qu’importe, au fond, ce que nous venons y chercher (le calme, le passé, la beauté, la notoriété des œuvres, un flirt avec le sacré, une émotion), cela nous regarde. Au terme de notre visite, nous aurons, dans tous les cas, passé un certain temps à regarder droit devant nous – les nuques brisées par les téléphones se redressent dans les musées. Nous aurons vu des formes, des couleurs, des corps, des objets, des paysages, des expressions, des gestes qui nous disent encore quelque chose, de nous, des autres et du monde. Nous nous serons posé des questions : comment nommer les bleus et les verts de L’Évasion de Rochefort (1881) d’Édouard Manet ? De quelle couleur est la mer derrière la Jeune Femme sur la plage (1888) de Philip Wilson Steer ? Roland Barthes, qui n’a pas écrit que des choses parfaitement ennuyeuses et masturbatoires, raconte qu’il allait chez Sennelier, quai Voltaire, lire les noms donnés aux pastels et au nombre infini de leurs nuances de couleurs. Passons chez Sennelier, si nous allons au Louvre, et lisons le très bel ouvrage d’Anne Varichon intitulé Nuanciers : éloge du subtil, une histoire de la nomenclature de la couleur, entre science, art, poésie et industrie, selon les goûts et l’imaginaire des époques.

Nous vivons dans un monde d’images, de reproductions gratuites immédiatement accessibles, et nous faisons la queue pour voir des tableaux. C’est une très bonne nouvelle. Nous vivons aussi dans la société du « pas d’souci » – formule fourre-tout que l’on entend à longueur de journée et qui peut vouloir dire, selon les circonstances « oui », « au revoir », « merci », « de rien ». « Pas d’souci » : plus rien n’a vraiment d’importance ni ne sort du lot. Dans ce contexte un peu lamentable, voir des gens s’approcher au plus près des toiles ou prendre en photo le détail d’une œuvre – un détail qui compte pour eux à ce moment de leur existence – a quelque chose de très réconfortant. Troisième bonne nouvelle : le titre que le Louvre donne à la présentation au public, après restauration, de La Vierge du chancelier Rolin : « Revoir Van Eyck ». Revoir, c’est bien sûr voir à nouveau, après l’absence, mais c’est aussi (le préfixe « re » a ce double sens) voir avec plus d’attention, y mettre l’insistance d’un regard appuyé. On ne revoit pas grand-chose de nos jours : on « scrolle », on fait défiler, on tourne la page. Revoir Van Eyck est une heureuse formulation et offre, au-delà de l’œuvre allégée des couches successives de vernis qui avaient fini par l’assombrir, de bien belles perspectives d’approfondissement du regard.

Les visiteurs des musées sont en effet là pour voir et revoir. Ils ont peut-être déjà vu Coucher de soleil près de Villerville (1876) de Charles-François Daubigny, mais seront heureux de l’admirer exposé au milieu de pans de mur de différentes nuances de bleu, à Giverny. Ils connaissent Impression, soleil levant (1872) de Claude Monet, mais verront désormais l’œuvre d’un autre œil s’ils ont participé à l’expérience immersive en réalité virtuelle intitulée « Un soir avec les impressionnistes » au musée d’Orsay : la fenêtre du balcon au-dessus du port, le chevalet du peintre à gauche, l’activité portuaire au petit matin, la vue du Havre, cette même impression de soleil levant, de mer naissante, Monet et autre chose à la fois. Ils connaissent le style de David Hockney, mais s’intéresseront sans doute à la peinture numérique qu’expérimente avec passion l’artiste britannique depuis le début de la pandémie de Covid à travers l’application Brushes de son iPad. Floraison d’arbres fruitiers, maisons à colombages du pays d’Auge où il réside, parterres de fleurs, iris et jonquilles, averses soudaines et paysages nocturnes. Cette fois, c’est Hockney lui-même qui les emmène voir un autre Hockney. Non sans préciser, toutefois, qu’il faut toujours imprimer les œuvres numériques, car « quand vous les imprimez, elles deviennent des choses réelles, des choses de ce monde. »

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Les expositions de peinture de ce mois de juin méritent qu’on se déplace. Alors, que l’on soit amateur d’art ou « visiteur ahuri » se laissant « engourdir et migrainer par des vagues de couleurs » (Marcel Proust), fin connaisseur ou un peu Consuela Castillo sur les bords, ce personnage de La Bête qui meurt de Philip Roth, qui « s’extasie sur les impressionnistes », et s’use les yeux devant le reste « en cherchant désespérément où l’artiste veut en venir », allons au musée voir les belles choses de ce monde !

À voir

« Revoir Van Eyck : rencontre avec un chef-d’œuvre », musée du Louvre, jusqu’au 17 juin.

« L’impressionnisme et la mer », Musée des impressionnismes Giverny, jusqu’au 30 juin.

« Théodore Rousseau : la voix de la forêt », Petit Palais, jusqu’au 7 juillet.

« Un soir avec les impressionnistes : Paris 1874 », musée d’Orsay, jusqu’au 11 août.

« Whistler : l’effet papillon », musée des Beaux-Arts de Rouen, jusqu’au 22 septembre.

« David Hockney Normandism », musée de Beaux-Arts de Rouen, jusqu’au 22 septembre.

À lire

Anne Varichon, Nuanciers : éloge du subtil, Seuil, 2023.

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Philip Roth, La bête qui meurt (2001), Gallimard, 2004.

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Éric Karpeles, Le Musée imaginaire de Marcel Proust, Thames and Hudson, 2009.

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Thomas Jolly, « mi-homme mi-coffre fort »

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Le directeur artistique de Paris 2024 vient de lever un bout du voile recouvrant la mystérieuse cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques du 26 juillet… Au journaliste du Monde venu espionner son travail, le metteur en scène chouchou du public assure que chaque défi surmonté enrichira le spectacle. On a tellement hâte d’y être !


A la faveur d’un reportage publié dans le quotidien Le Monde, de réjouissantes nouvelles nous parviennent enfin. Alors que le pays est un peu crispé, notamment par la situation politique, cela fait un bien fou.

Le journal des bonnes nouvelles

Le grand quotidien du soir nous dévoile tout ce qu’il sait de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Si les organisateurs sont toujours à la recherche d’agents de sécurité pour cet évènement estival décrit depuis des mois comme hautement grandiose mais aussi hautement risqué, les préparatifs artistiques vont bon train de leur côté. « Je voulais construire une tour Eiffel inversée, ça, ce n’était pas possible », confie d’emblée le metteur en scène Thomas Jolly aux journalistes chargés de nous raconter ces bonnes nouvelles. Il n’est malheureusement plus question non plus de voir les têtes de nos rois sortir de la Seine depuis un moment.

Dans un hangar de Saint-Denis (93), où les répétitions se tiennent actuellement dans le plus grand secret, cet artiste woke en vogue regrette également d’avoir dû revoir à la baisse une autre de ses ambitions : « Sur l’un des ponts [il n’a pas le droit de dire lequel], on voulait faire un grand ballet de deux cents danseurs. Les experts ont calculé qu’avec la résonance et les vibrations du poids des danseurs, le pont ne résisterait pas. On a dû transformer le tableau », déplore le créateur. Mais, soyons rassurés : car ailleurs, 3000 danseurs « d’ici et de partout », 400 « performeurs » et une centaine de bateaux seront bien dispatchés pour le plus grand plaisir des yeux. Autour de la Seine, quatre scènes et pas moins de dix ou douze tableaux sur les berges sont prévus pour accueillir le monde entier, croit savoir le journal.

Une cérémonie hors d’un stade, une grande première

Le protocole habituel est complètement bousculé ; les délégations des différentes nations défileront en même temps que sera donné le somptueux show artistique et musical. Un spectacle qui doit durer près de quatre heures.

L’idée initiale de cette cérémonie en dehors d’un stade revient à Thierry Reboul, spécialiste de l’événementiel de 56 ans, originaire de Marseille, qui occupe le poste prestigieux de directeur exécutif des cérémonies et de la « marque » Paris 2024. Le Parisien brosse le portrait suivant de cet homme au grand cœur et au goût du risque prononcé, dont le talent n’a pas échappé à Thierry Estanguet : « Mégalo pour les uns, génie pour les autres, Thierry Reboul bouscule les codes ».

Thomas Jolly, dont bousculer les codes fait aussi probablement partie de l’ADN, s’enthousiasme : « Le show, la parade, les éléments du protocole, j’ai décidé de tout entremêler. Faire que toute la cité danse, se synchronise. Jamais il n’y a eu de cérémonie qui ne soit pas dans un stade. Du coup, il n’y a pas de modèle. Il faut tout remettre en question en permanence ». Du coup, à l’approche de l’évènement, le chorégraphe-star de 42 ans est aussi excité qu’angoissé ! « Je ne vous cache pas que je passe des nuits où j’angoisse un peu… Et aussi des jours ». Il peut compter sur le soutien de Maud Le Pladec dans cette épreuve, chorégraphe avec laquelle il a déjà collaboré, et dont le travail se caractériserait par une énergie et une synchronisation marquantes. « Pour les JO, la danse, c’est moi. C’est mon ADN [comprendre : cette énergie, cette foule compacte de danseurs, précise Le Monde] Pas un pont, pas une berge qui ne sera habitée par un événement artistique » nous assure-t-elle. Voilà qui promet d’être grandiose. « Maud a une culture large de la danse […] On a commencé à travailler sur les JO en décembre 2022. La structure de la cérémonie a été posée en juin 2023. Et, depuis mars, cela devient concret. Les costumes sortent des ateliers, et l’on voit ici, pour la première fois, la danse de Maud épouser la musique composée par Victor Le Masne » explique Thomas Jolly, ravi.

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Thomas Jolly est surtout connu pour avoir ressuscité la comédie musicale « Starmania ». Dans son reportage, Le Monde le décrit comme « gourmand » et soucieux d’« appâter sans rien dévoiler, de façon à maintenir le suspense et à garder la surprise ». On en saliverait presque… « Chaque spectacle que j’ai imaginé dans ma tête n’est jamais arrivé semblable à ce que j’imaginais. Non, ça ne crée pas de frustration : si une idée ne va pas jusqu’au bout, c’est qu’elle n’est pas bonne ». Si l’on comprend bien, le metteur en scène semble donc assez sûr de ne pas se tromper. Ouf ! « Je suis un coffre-fort. En ce moment, je suis mi-homme, mi-coffre fort. Entendre les fantasmes des gens, moi qui sais ce qui va se passer, ça me fait souvent sourire » explique le facétieux artiste qui n’en dira pas plus sur la mise en scène tant attendue et pour laquelle il bénéficie d’une coquette enveloppe (on parle de plus de 150 millions d’euros pour 300 000 spectateurs).

Un enthousiasme grandissant attendu de la part des Parisiens

Même s’il aurait préféré les Daft Punk, la musique est donc confiée à Victor Le Masne, déjà à ses côtés sur « Starmania », déjà à l’initiative de la nouvelle version de « La Marseillaise » avec l’astronaute Thomas Pesquet au saxophone, mais également coqueluche des plus grands talents de la variété française (il a collaboré avec les chanteurs farfelus Philippe Katerine et Eddy de Pretto, ainsi qu’avec la chanteuse Juliette Armanet) ; mais on ne sait pas encore très bien qui viendra effectuer un tour de chant sur la Seine le 26 juillet. Après les rappeurs crétins Soprano et Alonzo, et le cauchemar Jul lors de l’arrivée de la flamme olympique à Marseille, que nous réserve la Ville Lumière ? Céline Dion, un peu rétablie de sa maladie ? Aya Nakamura, si et seulement si elle chante du Piaf et évite les poses lascives ? Beaucoup a déjà été dit… Marc Cerrone et son tube « Supernature » semblent à peu près sûrs, la Britannico-Albanaise Dua Lipa aurait été approchée… Le député RN Jean-Philippe Tanguy rêverait de son côté de voir Mylène Farmer. Il faudrait au moins adjoindre à cette dernière un Etienne Daho pour qu’on entende quelque chose… Quant à Michel Sardou, le nom du chanteur non-déconstruit et à la voix puissante n’est malheureusement jamais mentionné, bien sûr ! « La cérémonie promet des surprises bien plus radicales que la présence ou pas d’Aya Nakamura » assurait Thomas Jolly, au mois d’avril, dans Télérama. Au micro de France Inter, en octobre, il annonçait que tout ce qu’il faisait était « politique », et que Britney Spears valait bien Shakespeare… Alors n’en déplaise aux grincheux, cette cérémonie d’ouverture pourrait être une réussite fantastique, pense Anne Hidalgo dans son Hôtel de Ville, où se prépare pour la mi-juillet une baignade dans le fleuve coulant sous les fenêtres. « Ras-le-bol de tous ces peines-à-jouir qui n’ont pas du tout envie qu’on puisse célébrer quelque chose ensemble. De toute façon, on est là, et on le fait », s’énervait l’édile au Conseil de Paris le 22 mai. 

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Décidément, comme l’observait justement Elisabeth Lévy dès l’automne dernier lorsque Thomas Jolly s’est fait connaitre au-delà du petit monde du théâtre public subventionné, alors que la guerre des civilisations redémarre, Festivus1 continue ses saccages… Et c’est tant mieux : car sans lui et sans nos médias progressistes qui se font un devoir de le célébrer bruyamment, on n’aurait pas beaucoup d’occasions de rire. Reste deux inconnues : tout d’abord, il est évidemment impossible de savoir si le soleil sera présent au-dessus de Paris pour éclairer tous nos merveilleux danseurs et funambules le 26 juillet. Ensuite, surtout, on ne sait pas encore quel Premier ministre sera aux côtés d’Emmanuel Macron lors de cette cérémonie magique.


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CADA exquis du Berry 

Bélâbre, une petite commune du Berry où s’affrontent partisans et adversaires d’un centre pour demandeurs d’asile. Nous avions pu assister à une manifestation opposant les deux cortèges début mai. Le député du coin vient de laisser entendre que le projet pourrait être modifié. Retour sur une guerre des boutons villageoise. 


Sur son site, la municipalité de Bélâbre vante « le charme discret du Berry ». Discret, puisqu’avec 940 habitants perdus au cœur de l’Indre et Loire, le village n’a rien pour attirer le chaland ou le visiteur. Depuis un an, un projet municipal vise pourtant à y installer l’étranger. Le 9 février 2023, le conseil municipal vote une motion favorable à l’ouverture d’un CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) répondant à un projet de l’association Viltaïs. La structure permettrait d’accueillir en permanence 38 demandeurs d’asile, lesquels resteraient sur place pour le délai qu’exige le traitement de leur demande. A cet effet, les locaux d’une ancienne chemiserie, coincés dans une impasse et appartenant à la mairie ont été vendus à l’association.  

Qu’en pensent les administrés bélabrais ? Au bar du coin où nous entrons, on feint l’ignorance : « Il y a cette affaire oui. On préfère parler du soleil et des loisirs de l’été » nous assure un habitué accoudé au comptoir. Droit de réserve commerçant du côté de la tenancière qui « n’a pas le droit de donner son avis ». Samedi 11 mai, il était difficile pourtant d’ignorer les six camions de gendarmerie qui bloquent l’artère principale de la ville ou les deux manifestations, une pro CADA et une anti, avec des effectifs plutôt garnis pour un si petit village. Côté contre, 200 personnes réunies par l’Union Bélabraise avec un cortège essentiellement composé de retraités du petit commerce ou de la paysannerie, de quelques anciens combattants en uniforme et de nombreux jeunes actifs. Côté pour, ils sont 150 réunis aux abords de la mairie pour manifester leur soutien au CADA. Nombreux dans le groupe se disent enseignants, souvent retraités ou militants associatifs. Un trentenaire parisien, ingénieur son pour la télévision, qui réside « souvent dans la région en week end » a fait cinquante kilomètres pour manifester à l’initiative du maire « un soutien moral ». Fonctionnaires ménopausées et bobos d’un côté ; badauds et enfants du pays de l’autre. Nez rouges contre vierges rouges.

Méthode autoritaire et crainte sécuritaire 

Ce n’était pas la première fois que partisans et adversaires ont pu s’affronter ou échanger des noms d’oiseaux. Depuis février 2023, les opposants ont manifesté sept fois contre ledit projet et se sont organisés dans un collectif, l’Union Bélabraise. Initialement, l’association dénonçait les méthodes du maire, jugées autoritaires. Ludivine Fassiaux, présidente de l’association, parle d’« un déni de démocratie locale ». Elle dit avoir appris initialement la décision par voie de presse. Le collectif avait aussi proposé un référendum municipal ; Mme Fassiaux assure qu’elle « se serait inclinée devant la volonté de la majorité ». Alors qu’une nouvelle manifestation est prévue le samedi 11 mai, le meurtre de Mathis à Châteauroux, 50km de Bélabre, par un mineur afghan est dans tous les esprits : « Ce ne sont pas forcément de mauvais gens mais il n’en suffit que d’un seul… » La présidente affiche désormais des craintes sécuritaires : « Le CADA est mal positionné. Ce sont des chambres de 7m2 pour des familles. Et puis qu’est-ce qu’ils vont faire ici ? » Alors on redoute de voir des migrants désœuvrés zoner le soir : « On regarde ce qui se passe en France… Voyez Nantes. Voyez Châteauroux ». 

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Insensible aux critiques, le maire, Laurent Laroche, défend avec énergie son projet : « Les CADA n’ont rien à voir avec le terrible drame de Châteauroux ». Quid des craintes d’une partie de la population ? « Elles sont entretenues par l’extrême droite… » assure le maire. Dans chaque camp, on a pris l’habitude de se renvoyer le mistigri de la récupération politique, de l’aveuglement idéologique et du renfort de manifestants étrangers au village à chaque manifestation. 

La politique reprend ses droits 

Si le discours du maire se veut consensuel et rassurant, le propos de certains manifestants du 11 mai était plus politique. Au mégaphone, la représentante de la Ligue des Droits de l’Homme dénonce la politique répressive du gouvernement, parle des « frontières murées » de Schengen… Un badaud nous dit vouloir fonder un collectif contre l’extrême droite à Bélâbre. Certains parlent même de la présence de militants de la vieille Action française de Charles Maurras. 

De son côté l’Union Belâbraise ne cache pas l’étendard du pays réel dans sa poche. L’avocat médiatique Pierre Gentillet, désormais candidat pour le Rassemblement National dans le département voisin du Cher, et originaire du département, surtout connu des téléspectateurs de Cnews et de Cyril Hanouna, a pris l’habitude de prendre la parole à chaque manifestation. Elle ne s’en cache pas, Ludivine Fassiaux cherche des relais politiques : « Nous avons écrit à François-Xavier Bellamy et Eric Ciotti, sans réponse pour l’instant […] La raison de l’installation des CADA un peu partout, c’est bien la politique migratoire de la France ». Les pouvoirs publics ne semblent pas indifférents à cette initiative. On trouve sur le site de la préfecture d’Indre et Loire un projet de la Croix-Rouge, lequel dresse un état des lieux qui regrette la « faiblesse du taux CADA » : « Le taux de places CADA est le plus faible de la région : 1 place pour 2 350 habitants pour l’Indre-et-Loire, contre une moyenne régionale d’une place pour 1 175 habitants. » 

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Dans chaque camp, on ne cherche en tout cas plus à rassurer ni à s’abriter derrière des problèmes de méthode ou des appels au calme et à la concertation. Au fil des mois, alors que les positions se radicalisaient, le discours est devenu résolument politique. Les méthodes aussi, et pas forcément pour le meilleur. Patricia Fassiaux, qui en plus d’être cofondatrice avec sa fille de l’Union Belâbraise et gérante du Casino, a fait l’objet de pressions : « Le collectif Oui au CADA a envoyé une lettre au Casino pour dire que l’on faisait de la politique avec l’enseigne » assure-t-elle en brandissant pour nous convaincre la copie de la lettre à laquelle elle a pu avoir accès. Des tracts pro et anti sont distribués dans les boites le dimanche. Certains badauds regrettent « une omerta sur le sujet » comme de voir certaines familles du village se déchirer à table sur l’opportunité du projet, à l’heure de la traditionnelle engueulade politique du dimanche midi. 

Opportunisme politique et contexte électoral ? Ainsi que le relate France Bleu Berry, le député sortant Horizons de l’Indre, François Jolivet, en campagne, a laissé entendre que le projet pourrait être modifié  « Je pense que ce projet, pour des raisons sans doute d’ailleurs financières, ne verra pas le jour […] S’il se fait, il se fera à taille moindre à Bélâbre » affirme-t-il, citant une association dans une commune du département qui dispose déjà d’une structure d’accueil accolée à une résidence de retraite. Comme il ne s’agit pour le député que d’une piste de travail, les opposants ne désarment pas. Le 11 mai, devant l’auditoire, la présidente de l’union bélabraise avait prévenu : « Nous on se bat, eux ils perdent ». Dont acte. 

Charlotte Lewis: portrait d’une égérie MeToo

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L'actrice britannique Charlotte Lewis réagit après le verdict acquittant le cinéaste Roman Polanski des accusations de diffamation, Paris, 14 mai 2024. © AP Photo/Thibault Camus/Sipa

Roman Polanski vient de remporter une belle victoire. Le tribunal correctionnel lui a reconnu le droit de dire que Charlotte Lewis avait proféré un « odieux mensonge » à son sujet. Une décision qui ne paraît pas surprenante si l’on se penche sur la vie de la comédienne, jalonnée de frasques et d’outrances de langage, comme l’indiquent divers témoignages que nous avons recueillis.


Pour comprendre cette histoire, un petit récapitulatif des faits s’impose. L’affaire débute en 2010. Cette année-là, Charlotte Lewis, qui jouait le premier rôle féminin dans Pirates de Roman Polanski, en 1986, tient une singulière conférence de presse pendant le Festival de Cannes. Devant un parterre de journalistes, elle affirme avoir été abusée sexuellement par le réalisateur polonais trois ans avant la sortie du film, alors qu’elle était encore mineure. Des faits graves, qui n’ont pourtant jamais fait l’objet d’aucune plainte de sa part…

Neuf ans plus tard, en décembre 2019, l’histoire rebondit quand, interrogé dans Paris Match au sujet de ces allégations, Roman Polanski taxe les propos de la comédienne d’» odieux mensonge ». Quoique plutôt anodine, la déclaration sert de point de départ à l’unique développement judiciaire de l’affaire connu à ce jour. On apprend en effet en juillet 2021 que Charlotte Lewis a engagé devant la justice française des poursuites en diffamation : le réalisateur est mis en examen pour ses propos tenus dans Paris Match.

Dernier épisode en date, le 14 mai 2024 : après trois ans d’enquête, et une audience qui s’est tenue en mars, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris innocente Roman Polanski, qui n’a donc selon elle pas enfreint la loi en déclarant que Charlotte Lewis mentait. Mais le dossier n’est pas clos. L’avocat de la comédienne a annoncé qu’elle ferait appel.

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Reste qu’à ce stade Charlotte Lewis n’a pas convaincu les magistrats. Il faut dire que la personnalité de la comédienne permet de douter de sa crédibilité. Pour pouvoir affirmer cela, nous avons croisé des documents présentés lors du procès, et que la plaignante n’a pas contestés, avec les souvenirs de deux de ses anciens proches, habitant comme elle le quartier londonien de Hampstead. Nous les avons interrogés longuement et conservons les enregistrements vidéo.

Qui sont nos deux sources ? Tout d’abord Lulu Mitchell, fleuriste de profession et ancienne maire du borough de Camden (dont Hampstead fait partie), qui a bien connu l’actrice à partir de 2009, avant que leur relation finisse par tourner au cauchemar. Ensuite, un homme, Patsy Muldoon, qui fut pendant quelques mois le voisin et l’ami intime de la comédienne, avant qu’elle se retourne contre lui.

Pour eux deux, une chose est sûre. Charlotte Lewis n’est pas la femme tranquille et sans histoire, la mère célibataire dévouée à son fils unique qu’elle prétend être. Ne serait-ce que parce qu’elle a perdu la garde de son enfant quand celui-ci était très jeune. On le sait grâce au témoignage sous serment d’une dénommée Karen Smith, connue pour avoir présenté l’actrice à Roman Polanski. Selon Lulu Mitchell, c’est la mère de Charlotte Lewis qui s’est vue en son temps confier par la justice britannique la garde de l’enfant, en raison de la vie pour le moins désordonnée de la comédienne.

Une martyre réellement digne de confiance ?

Charlotte Lewis aurait en effet connu des problèmes d’addiction à la drogue, comme le laissent entendre d’ailleurs plusieurs entretiens qu’elle a donnés aux médias durant sa période hollywoodienne, dans les années 1990, où elle évoque sa difficulté à décrocher de la cocaïne. Lulu Mitchell se souvient du reste que, des années après, du temps où elle fréquentait l’actrice, celle-ci « avait toujours l’air défoncée ». Patsy Muldoon affirme de son côté : « Je l’ai vue se fournir en crack auprès d’un dealer. » Selon nos deux témoins, Charlotte Lewis a fait plusieurs cures de désintoxication en Thaïlande.

Un tel train de vie coûte cher, surtout pour quelqu’un qui – Lulu Mitchell l’assure – « vit en partie d’allocations ». D’après nos deux sources à Hampstead, Charlotte Lewis aurait fait appel à la générosité de plusieurs hommes fortunés pour payer ses séjours en Thaïlande, dont l’un lui aurait été offert par son parrain, ancien producteur de musique réputé, et un autre par un richissime Canadien, qui est aussi le parrain de son fils et qui aurait aussi assuré les frais de scolarité de ce dernier, inscrit dans un internat.

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Selon Patsy Muldoon, le Canadien a toutefois fini par couper les vivres après avoir découvert que l’actrice lui mentait sur les tarifs de la pension privée afin d’obtenir des rallonges d’argent. Depuis, affirme Lulu Mitchell, la relève financière serait assurée par « un certain Andy, un timide d’environ 70 ans », qui a fait fortune dans le secteur de la tech. Nos deux témoins soutiennent que ce Londonien a ensuite payé les séjours en clinique de Charlotte Lewis ainsi que les frais de scolarité de l’enfant.

Sachant cela, que penser de la réputation de prostitution occasionnelle dont est créditée Charlotte Lewis ? Parmi ceux qui l’ont relayée, il y a le journaliste Stuart White, auteur en 1999 d’un article dans le tabloïd britannique News of the World, selon lequel l’actrice a monnayé ses charmes au cours de l’été 1981, alors qu’elle avait seulement 14 ans. « Je n’étais pas dans les boîtes de nuit, je n’étais pas une enfant sauvage », a, depuis, démenti la comédienne.

Pourtant, en 1988, le même journal a publié les confidences d’un jeune homme, aujourd’hui propriétaire d’un sex-shop, mentionnant avoir rencontré Charlotte Lewis en 1981 dans un night-club huppé de la ville et avoir eu alors une liaison avec elle. Le même article donne aussi la parole à un mannequin, selon qui la comédienne a dérobé, la même année, 5 000 livres sterling à un riche Arabe à qui elle avait promis ses faveurs. Les habitudes à cette époque de la jeune femme dans le night-club en question, le Stringfellows, sont confirmées par l’artiste et éditeur David Litchfield dans les colonnes de sa revue Ritz en 1985. Précisons qu’évidemment, Lewis fait ce qu’elle veut. Ces épisodes laissent penser que le sexe est parfois pour elle un moyen. 

Charlotte Lewis en couverture de Ritz Newspapers (1987). D.R.

Pour nos deux sources à Hampstead, de tels récits ne sont pas étonnants. Lulu Mitchell se souvient ainsi qu’une des clientes de son commerce de fleurs, avocate de profession, lui aurait confié que son ex-mari, également avocat, « couchait avec Charlotte, car celle-ci avait besoin d’argent ». Des propos à prendre toutefois avec des pincettes, car nous n’avons – hélas ! – pas pu échanger directement avec cette avocate.

Une victime éternelle

Selon nos deux sources à Hampstead, Charlotte Lewis serait également coutumière des accusations gratuites. Patsy Muldoon raconte ainsi un pénible souvenir. À l’en croire, l’actrice l’a un jour désigné aux passants dans la rue en criant : « C’est lui qui m’a tapé dessus ! » Peu de temps après, sous ses fenêtres, la voilà qui prétend, à tue-tête, avoir été agressée sexuellement par lui. Poussé à bout, ce dernier lui envoie alors des SMS agressifs pour l’enjoindre de quitter les lieux. Charlotte Lewis préfère appeler la police, qui se rend sur place et arrête Patsy Muldoon, avant de le libérer le lendemain, sans inculpation, grâce à l’intervention… du propre avocat de l’actrice. Depuis, cette dernière a demandé une injonction d’éloignement, qui a été acceptée par le tribunal au motif des SMS violents du mis en cause.

L’actrice Charlotte Lewis en couverture de Playboy (1993). D.R.

Lulu Mitchell mentionne elle aussi un épisode troublant. Il concerne son ancien assistant, avec lequel elle tenait son commerce de fleurs, dans une camionnette à Hampstead. Un dénommé Dave, accusé il y a quelques années par Charlotte Lewis de l’avoir épiée à travers les fenêtres de son appartement. Problème, quand les enquêteurs arrivent sur place, ils découvrent qu’on ne peut pas voir lesdites fenêtres depuis l’emplacement où se trouve le véhicule !

Échaudée par cette histoire, Lulu Mitchell décide alors de rompre ses relations avec l’actrice. Au grand dam de celle-ci, qui se serait « vengée » à sa manière. Un jour, raconte la fleuriste, Charlotte Lewis se serait présentée devant elle, puis aurait composé avec son téléphone le numéro des secours avant de s’écrier, une fois en ligne avec la police : « Ma vie est menacée ! » Encore abasourdie par l’épisode, la fleuriste se souvient : « Elle avait un grand sourire sur son visage, et elle me faisait un doigt d’honneur. »

Plus tard, quand, dans le cadre de l’affaire « Paris Match/Polanski », la fleuriste rédigera un témoignage à charge contre Charlotte Lewis, et que le document sera transmis, en application des règles, à la partie adverse, donc à l’actrice, celle-ci déambulera, selon nos informations, dans les pubs et commerces du quartier en brandissant le document et en accusant à haute voix son auteur de ne pas soutenir la cause des femmes. « Elle a essayé de me faire taire, estime Lulu Mitchell. Elle est même allée voir une de mes copines pour lui dire qu’elle arrêterait si je me rétractais. »

Blessure narcissique

Certains objecteront que la vie déréglée de Charlotte Lewis résulte du prétendu traumatisme provoqué par Polanski. Mais ce traumatisme est-il réel ? Quand Charlotte Lewis préparait son accusation contre le cinéaste vers 2009, elle a, semble-t-il, raconté une autre histoire à Lulu Mitchell, qui venait de faire sa connaissance : « Je vais lui soutirer un demi-million de livres, lui aurait-elle confié. Je vais dire qu’il m’a violée. C’était mon petit ami, mais il m’a laissé tomber et j’étais amoureuse de lui. » Lorsque, dix ans plus tard, la fleuriste apprendra que cette affaire donne lieu à un procès, elle décidera de témoigner. « Les femmes ont vraiment besoin d’être entendues, justifie-t-elle. Et c’est très mal de faire cela juste pour avoir de l’argent. »

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En 2019, c’est auprès de Patsy Muldoon que Charlotte Lewis se serait également vantée de son machiavélisme. « Je vais détruire Polanski, et ce sera mon retour à Hollywood, affirme-t-il l’avoir entendue dire. […] Au procès, je jouerai un rôle, comme dans un film, je suis une grande actrice et le plus grand regret de cet homme, ce sera de m’avoir larguée. » Selon Patsy Muldoon, la vraie motivation de l’actrice est de relancer sa carrière. « Elle pense que la raison pour laquelle elle ne travaille plus, c’est que, depuis qu’elle a accusé Polanski de viol, Hollywood a dû lui fermer ses portes, présume-t-il. […] Dans sa tête, il y a des contrats de films valant 25, 30 millions de dollars. »

On le voit, Charlotte Lewis n’est pas un ange. Elle n’en demeure pas moins une victime. Non pas de Polanski, mais du compagnon de sa mère, qui aurait abusé d’elle vers l’âge de huit ans. C’est là la seule histoire qu’elle raconte sans jamais varier, et à laquelle on est tenté de croire.

L’actrice est sans doute aussi victime de son difficile retour à l’anonymat. Car voilà des années qu’elle ne tourne plus. Pourtant nos deux sources à Hampstead témoignent qu’il n’est pas rare de la voir encore saluer les automobilistes dans la rue, comme s’ils l’avaient reconnue, comme si elle était encore une vedette. Selon Patsy Muldoon, le même déni de réalité se produit quand elle regarde des séries télévisées récentes et qu’elle commente l’action en prétendant, contre toute évidence, avoir participé au tournage.

Et si le seul tort de Polanski était de lui avoir donné le premier rôle féminin dans Pirates en 1986 ? De l’avoir propulsée au sommet de la gloire, mais de ne pas l’y avoir maintenue ? Osons une hypothèse : pour Charlotte Lewis, le cinéaste est un écran sur lequel elle projette tantôt sa rage contre les hommes qu’elle ne peut pas contrôler, tantôt et surtout son regret infini de ne plus être une star.


La réaction de Charlotte Lewis : Pour les besoins de la présente enquête, nous avons sollicité l’actrice pour lui demander si elle confirme ou infirme les faits que nous rapportons. Voici ce que son avocat à Paris, Benjamin Chouai, nous a répondu : « Mme Lewis vous fait savoir qu’elle n’entend pas répondre aux rumeurs de caniveau répandues à son sujet. Elle maintient que M. Polanski est un violeur, n’en déplaise à son fan-club réactionnaire. J’ajoute que les “allégations” que vous évoquez sont typiques, jusqu’à la caricature, de ce que les auteurs avancent pour disqualifier leurs victimes. »

Gabriel Attal ne veut plus être le «petit frère» d’Emmanuel Macron

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Emmanuel Macron et Gabriel Attal lors d'une visite au Mont Valérien, le 18 juin 2024. © Jacques Witt/SIPA

Le Premier ministre, qui n’était pas dans la confidence du projet de dissolution de l’Assemblée nationale d’Emmanuel Macron et a été mis devant le fait accompli (alors que le ministre de l’Intérieur, lui, savait), semble vouloir voler de ses propres ailes. Dans son sillage, MM. Philippe et Le Maire ne sont pas en reste pour critiquer ouvertement la présidence, donnant l’impression d’un délitement à tous les niveaux.


Le président : génial ou insensé ? Nulle marque d’irrespect dans l’attaque de mon article, mais une alternative que ces derniers jours présentent à l’esprit des citoyens. On me pardonnera d’écrire encore un billet sur ce thème mais il me semble que la situation politique est suffisamment incertaine dans le présent et angoissante pour le futur, pour justifier cette insistance de ma part. Depuis cette décision de dissoudre, on a l’impression qu’un délitement s’opère à tous les niveaux, comme si la perte de confiance en la lucidité et en la maîtrise d’Emmanuel Macron avait ouvert des vannes, libéré des audaces, extériorisé des ambitions et surtout autorisé une parole dénuée de toute inconditionnalité.

Dans Le Parisien, Gabriel Attal répète à deux reprises « ne pas regarder dans le rétroviseur »

Même si dans l’Histoire de la Ve République, je concède volontiers qu’il y a eu des présidents victimes d’une désaffection et dont l’image n’était pas souhaitée sur les affiches lors des élections, même si l’hostilité politique de leurs soutiens et de leurs partisans, selon la conjoncture, avait pu survenir, il me semble toutefois que rien n’est comparable au climat actuel. Les candidats de Renaissance, entre méfiance et révolte, ne veulent surtout pas que le président parle, ils ont peur de ses possibles embardées. Le signe le plus éclatant de cette atmosphère lourde et suspicieuse est le fait qu’on ne tolère plus de sa part les charges même les plus pertinentes contre le Nouveau Front Populaire, LFI et Jean-Luc Mélenchon, comme récemment à l’île de Sein. L’aspiration générale est qu’il s’efface.

On se retrouve comme au temps des gilets jaunes où l’exaspération politique s’était dégradée en haine à l’encontre du couple Macron appréhendé telle une résurgence de la royauté honnie. Un indice tristement révélateur de ce retour a été le fait que Brigitte Macron, se rendant à l’enterrement de Françoise Hardy, a été huée contre toute décence.

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Depuis le saisissement de la dissolution, le Premier ministre Gabriel Attal ne se cache plus pour assumer des responsabilités qui se caractérisent aujourd’hui par le besoin que son camp a de lui et par l’assurance toute neuve avec laquelle il se campe presque comme un recours. Il a conscience que ce qu’un citoyen lui a demandé vulgairement au sujet du président dans le Val-de-Marne est un impératif pour lui : sa parole doit remplacer celle d’Emmanuel Macron.

Édouard Philippe: ne partez pas sans moi!

Le Premier ministre dont la jeunesse faisait peur malgré son talent, s’est mué en un personnage beaucoup plus dense et solide : les épreuves façonnent celui qui, sans elles, ne se serait pas métamorphosé aussi rapidement. Sa candidature pour 2027 n’est plus une absurdité. Il prend un peu d’avance sur ses rivaux déclarés ou plausibles. C’est à cause de cela que, de manière étrange avant le premier tour du 30 juin, Édouard Philippe rue dans les brancards et s’en prend au président qu’il accuse d’avoir « tué la majorité présidentielle ». Il affirme qu’entre les extrêmes, il y a un autre choix : l’adhésion à sa propre cause. Il a encore du travail à faire pour nous persuader que sur le plan régalien nous n’aurions pas avec lui un Juppé bis ! Bruno Le Maire se lâche de plus en plus, pourfend le caractère « solitaire » de la dissolution, vitupère les « cloportes », ces conseillers irresponsables du président, et, sur ce plan, il est approuvé par Édouard Philippe. C’est bien plus qu’anecdotique : une manière de présider est mise en cause à mots couverts ou transparents.

Le crépuscule du monde nouveau?

Le mélange d’un mandat profondément bousculé, d’un président à la personnalité décriée, en tout cas questionnée, d’un entourage sans allure, d’une Assemblée nationale peut-être ingouvernable, d’un État dans l’angoisse de ce qui l’attend, de sondages qui, tous, placent la majorité présidentielle derrière le NFP et surtout le RN associé à Éric Ciotti, crée un crépuscule républicain, une démocratie délétère, morose, un paysage présidentiel informe et inédit. Espérance paradoxale : les procurations explosent. On aura une forte participation. Face à ce désastre annoncé, Emmanuel Macron nous affirme pourtant que « la majorité absolue est à portée de main ». S’il a raison, après de longs flottements il redevient un génie de la politique. S’il cherche à se donner du courage en sachant qu’il se ment et nous égare, il est insensé. Il conviendra que 2027 nous permette d’élire un président enfin normal, mais pas comme au sens où l’entendait François Hollande. Avec en même temps de la simplicité, de l’allure… Et de la vérité…

Ces liens qui rapprochent Macron du Front de la honte

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Raphaël Arnault; Raphaël Glucksmann; Gabriel Attal. © UGO AMEZ/SIPA; © Alain ROBERT/SIPA; © Gabrielle CEZARD/SIPA

De Philippe Poutou à Raphaël Glucksmann en passant par François Hollande, le Nouveau Front Populaire (en réalité, la Nupes «deuxième saison») est une alliance de gauche peu reluisante que fustigent Emmanuel Macron et Gabriel Attal. Mais qui partage en réalité une bonne partie de la sociologie urbaine de la macronie…


Le Nouveau Front populaire (NFP), qui va de Philippe Poutou (NPA) à Raphaël Glucksmann (PS) en passant par François Hollande, empeste. Si une alliance est « nauséabonde », ce mot des tartuffes, c’est bien cette soupe infecte. 

C’est à Trèbes (Aude), là où le colonel Arnaud Beltrame donna sa vie le 23 mars 2018 pour libérer une otage des mains d’un terroriste de l’Etat islamiste, que le leader du Nouveau parti anticapitaliste a été parachuté. Or Poutou, outre qu’il martèle : « la police tue », est sous le coup d’une enquête pour apologie du terrorisme. Le 7 octobre 2023, il avait refusé de condamner l’attaque du Hamas contre Israël, et de qualifier de « terroriste » l’organisation islamiste. « Dès qu’on est en révolte contre un pouvoir, celui-ci nous traite de terroristes », s’était-il justifié. 

A Avignon, c’est un triple fiché S (DGSI, Renseignement territorial, Préfecture de police de Paris), Raphaël Arnault, qui a été investi par LFI. Arnault, fondateur de la Jeune garde antifasciste, est un activiste qui pratique la violence en politique. Une pétition circule pour dénoncer ce nervi « antifa ». Mais c’est le GUD que Gérald Darmanin veut interdire. En Seine-et-Marne, la candidate LFI Amal Bentounsi, fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, a publié en 2015, au nom de son association : « On ne peut pas reprocher à un croyant d’être homophobe si sa religion le lui commande ». De fait, un homosexuel risque la pendaison à Gaza, en dépit du fait que des groupes LGBT manifestent en Europe derrière le drapeau de la Palestine. Ce raisonnement de Bentounsi permet à l’extrême gauche de passer également outre la judéophobie musulmane, portée par le Coran. LFI n’avait toujours pas réagi, mercredi 19 juin, au viol sordide d’une jeune fille juive de 12 ans, à Courbevoie, par trois jeunes bourreaux de 12 et 13 ans lui reprochant son origine1.

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C’est cette gauche répulsive, violente et antisémite, qui a été rejointe par des « sociaux-démocrates » en perdition. Seuls Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et, semble-t-il, Jérôme Guedj ont refusé cette obscénité. Or ce Front de la honte peut se retrouver, le 8 juillet, comme force de gouvernement, en lien avec Renaissance (le parti présidentiel) avec qui il partage en réalité la vision « progressiste » d’une société ouverte, diversitaire, multiculturelle et le rejet de « l’extrême droite », alibi des unions d’opportunité. Jordan Bardella (RN) l’a annoncé : si son mouvement, rejoint par les Républicains pro-Ciotti, ne devait pas décrocher le 7 juillet la majorité absolue au parlement (289 députés sur 577), il refuserait dès lors le poste de Premier ministre, en estimant ne pouvoir mener librement sa politique dans un contexte de crise économique majeure léguée par Emmanuel Macron. Or les sondages actuels promettent plutôt au RN-LR une majorité relative, avec un taux de participation de plus de 60%. Le chef de l’Etat a beau feindre la distance indignée avec l’extrême gauche, en lui reprochant un programme « totalement immigrationniste » et des mesures « complètement ubuesques », des liens existent entre ces deux courants urbains (NFP, Renaissance), si proches sociologiquement qu’ils se partagent souvent les grandes agglomérations, comme à Paris par exemple. Le « sursaut », faussement espéré par Macron, va le conduire soit à nommer Bardella à Matignon soit à confier la France à ses destructeurs. Le président assure qu’il n’a pas pris sa décision « à la légère ». C’est pourtant sous son siège que sa grenade dégoupillée va le plus surement exploser.


  1. Jean-Luc Mélenchon a réagi par la suite en dénonçant un « racisme antisémite » ↩︎

Kébabs d’État

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© BERND VON JUTRCZENKA/DPA/AFP

La gauche allemande propose un plafonnement pour le prix des kebabs, plat désormais quasi traditionnel Outre-Rhin.


L’inflation fait des ravages ces dernières années, et n’épargne pas la restauration rapide. Mais pour contrer ce phénomène, la gauche allemande a une idée toute trouvée : plafonner le prix des kebabs. Le parti Die Linke (équivalent de LFI) n’est jamais à court d’idées farfelues et démagogiques pour tenter d’exister sur la scène politique nationale, et semble vouloir faire de ce sandwich turc, devenu une icône nationale outre-Rhin, une grande cause politique. Il faut dire que le prix de ce mets est aujourd’hui en moyenne de 7,90 euros, et parfois au-delà des 10 euros dans certaines grandes villes allemandes – soit le double d’il y a seulement trois ans. Une « Dönerflation » en partie provoquée par l’augmentation des coûts de main-d’œuvre, mais surtout des prix de l’énergie, l’Allemagne s’étant sabordée en la matière en fermant son parc nucléaire et en organisant méthodiquement, pour le gaz, une dépendance envers la Russie, dont on connaît désormais les conséquences fâcheuses. Pour Kathi Gebel, porte-parole de la politique de jeunesse du parti de gauche radicale, le prix des kebabs devrait être plafonné précisément à 4,90 euros, et même 2,90 euros pour les jeunes, le reste devant être à la charge de l’État, pour un coût de 4 milliards annuels. Mieux : le parti propose de distribuer des « bons kebabs » à certains foyers, sur critères de revenus.

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Un sujet qui est décidément d’actualité puisque fin avril, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, en voyage officiel en Turquie, s’était fait prendre en photo en train de savourer un délicieux döner kebab, s’attirant les foudres de la communauté turque en Allemagne, lui reprochant une forme de reductio ad kebabum. S’il est vrai que les clichés ont la vie dure, il est permis de douter que la proposition de la gauche de la gauche sera approuvée au Bundestag, au demeurant quasi paralysé par une triple coalition bancale dont il ne sort rien de bien efficace depuis son élection fin 2021.

Transphobie scientifique

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© Tom Nicholson/Shutterstock/SIPA

Si les associations s’alarment de l’explosion de la transphobie, c’est aussi parce qu’elles souhaitent que tout propos critique sur les bloqueurs de puberté soit considéré « transphobe ».


Publiée le 15 mai, la 28ᵉ édition du rapport de SOS Homophobie sur les discriminations et la violence envers les personnes LGBTI (lesbiennes, gays, bi, trans et intersexes) fait froid dans le dos. Du fait de leurs préférences sexuelles, trop de gens, en France, sont encore insultés, chassés de leur famille, agressés, piégés dans des guets-apens. De nombreux témoignages sont mis en exergue au fil des pages, qui révulsent. Ainsi Gino, un homme trans, qui « marchait dans la rue, quand trois hommes l’ont passé à tabac car il n’avait pas répondu à la question : “Est-ce que t’es une fille ou un garçon ?” » Plus loin, on tombe hélas sur un passage nettement plus politique, dénonçant une « vague de transphobie » qui serait, selon les auteurs, liée à « un repli conservateur » du pays. Dans leur viseur : une proposition de loi LR, actuellement en discussion du Sénat, visant à interdire les transitions de genre aux mineurs. « Ce débat ne devrait pas avoir lieu, estime la présidente de l’association, Julia Torlet. La transphobie n’est plus seulement dite, elle est mise au vote. » Une charge non seulement antidémocratique, mais aussi antiscientifique. Car le texte n’arrive pas au Parlement par hasard.

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Plusieurs études récentes battent en brèche les certitudes des militants queer sur le traitement de la dysphorie de genre chez les adolescents. Ainsi le 17 février, le British Medical Journal a publié un article sur de jeunes Finnois souffrant de ce trouble, d’où il ressort qu’il n’y a pas moins de suicides parmi ceux qui ont eu recours à une chirurgie de réassignation sexuelle. Le 27 février, une étude néerlandaise a montré que, dans la plupart des cas, le trouble disparaît avec l’âge. Le 23 mars, la Mayo Clinic, un des hôpitaux les plus prestigieux des États-Unis, émettait une alerte contre les effets secondaires des bloqueurs de puberté, traitements auxquels certains médecins ont recours pour faciliter les transitions de genre. Enfin, le 9 avril, la détonante « enquête Cass » était publiée au Royaume-Uni. Menée par l’ancienne présidente du Collège royal de pédiatrie et fruit de quatre ans de recherche, sa recommandation la plus importante est que l’on cesse de soigner la dysphorie de genre chez l’adolescent avec des protocoles médicaux, et qu’on les remplace par de la psychothérapie. Sur les réseaux sociaux, la romancière J. K. Rowling, qui plaide depuis longtemps pour un encadrement des bloqueurs de puberté, a applaudi ces conclusions. Et si la mère de Harry Potter finissait par gagner contre le pot de fer ?

Histoire enchaînée

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© Christophe ARCHAMBAULT/AFP

La commémoration de l’abolition de l’esclavage s’est déroulée à la Rochelle, en présence du Premier ministre Gabriel Attal, le 10 mai.


Braves gens du beau pays de France, vous reprendrez bien une gorgée de repentance ? Cette fois, c’est Gabriel Attal, Premier ministre, qui y va de sa tournée. Le 10 mai, il se trouvait à La Rochelle où il présidait la « Journée des mémoires de l’esclavage et de leurs abolitions ». Dans son discours, prononcé allée Aimé-Césaire devant la statue de l’artiste haïtien Filipo représentant Clarisse, une « nourrice esclave » achetée à Saint-Domingue et libérée en 1793 par le Conseil général de la ville, il a notamment déclaré : « Trop longtemps, un voile a été jeté sur ce passé. […] Parce que nous regardons l’histoire en face, parce que nous voulons faire savoir, nous continuerons à mener la bataille de l’éducation. » De l’éducation, ou de la culpabilisation, voilà la question ?

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Dans cet esprit, il a tenu à annoncer la création d’un label spécifique « lieux de mémoire de l’esclavage ». Ainsi, « chacun saura, chacun verra, en arpentant nos rues, nos villes, les lieux où l’histoire de l’esclavage s’est écrite. Chacun pourra mieux se souvenir, mieux comprendre ». Et, je suppose, battre sa coulpe. Il a également annoncé l’organisation pour 2026 – le 25e anniversaire de la loi Taubira sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité – d’une « grande exposition nationale » sur ce thème.  Pour ce rendez-vous mémoriel, je me permettrai une suggestion : qu’on place la manifestation sous la présidence d’honneur de l’Institut du monde arabe, avec en vedette, bien évidemment, son président à vie, Jack Lang. Juste pour rétablir les faits dans leur vérité et bien montrer au pays – au pays dans sa diversité – que, en matière de traite des êtres humains, le monde arabo-musulman fut un précurseur impitoyable et d’une efficacité terrifiante. Étrangement, de ce côté-là, la repentance se fait attendre. Le rendez-vous de 2026 ne serait-il pas le moment idéal pour regarder aussi cette histoire-là en face ?

Le Paris que vous ne reverrez plus jamais !

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Café devant de la tour eiffel. © JULIEN DE FONTENAY/JDD/SIPA

En ce mois préolympique, les éditions Parigramme font paraître un livre de photographies prises par des anonymes entre 1950 et 1970. La collection Robé exhume les trésors d’un Paris saisi sur Kodachrome, le film majoritairement utilisé par les familles et les touristes en goguette.


Le voyageur moderne, l’esprit imbibé d’un Paris canaille, d’un Paris romantique ou d’un gai Paris risque de déchanter, dès son arrivée, à l’aérogare de Roissy. Avec ou sans JO, la capitale s’embourbe dans les travaux permanents et pratique un délit de faciès. Tout ce qui, de près ou de loin, ressemblait à un Paname fantasmé et onirique a été lessivé. La typicité de Paris a disparu sous le coup du marteau-piqueur et d’une dépendance idéologique à un même décorum. Partout, les mêmes vitrines, les mêmes enseignes, les mêmes pistes cyclables, les mêmes voitures électriques, le patrimonial commun est l’avenir du citadin qu’il habite Bangkok ou San Francisco. Il mangera, il boira, il pédalera, il pensera dans le même sens de l’Histoire, c’est-à-dire la soumission à un imaginaire aseptisé, expurgé de toute nostalgie, ravi de communier sur des cendres. Mais alors, c’était quoi Paris ? Des barrières, des cônes, des sens interdits, des voies de bus vampirisées, des rongeurs décomplexés, des réveils au buldo, des portes faméliques, des nuits sauvages, des loyers ascensionnels, des garçons de café vindicatifs ou des cuisines lyophilisées ?

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Afin que votre prochaine visite ne soit pas déceptive comme disent les technocrates des novlangues, je vous conseille de plonger dans un passé très récent, un demi-siècle tout au plus qui nous paraît millénaire tant la ville a profondément changé. Le Paris des photographes anonymes est coloré, gamin, pétroleur, rieur, désuet, donc essentiel. Il baguenaude sur les bords de la Seine, il picore la vie de jadis. Il n’instrumentalise pas. Son folklore est notre folklore. Il nous montre une communauté humaine qui semble heureuse de vivre ensemble, qui n’a pas l’aigreur en porte-étendard et la victimisation en bandoulière. Et cependant, si l’époque est économiquement vigoureuse, elle est cruelle par bien des aspects, les tickets de rationnement sont encore un vif souvenir et les guerres coloniales vont percuter la quiétude des familles. Ce Paris est poulbot et aristo, il oscille entre Prévert et Medrano, entre Luna Park et Maxim’s ; les marchandes de quatre saisons et les longues américaines garées devant les restaurants de luxe partagent un même territoire. Ces anonymes en vacances ont flashé sur les devantures des cabarets et l’uniforme des agents de Police. En ce temps-là, on prenait en photo un gardien de la paix lors de son séjour dans la capitale, on ne lui lançait pas une cannette à la figure. Dans ce recueil, on en prend plein les mirettes. Ces amateurs ont du génie. On visite la Tour Eiffel entre collègues, galurin sur la tête et cigare au bec. On met sa plus belle robe turquoise pour naviguer sur les Bateaux-Mouches. On se fait arnaquer place du Tertre dans la plus pure tradition montmartroise. On déjeune, rue Jacob, « Aux assassins » ou au « Le bœuf à table ». On s’installe aux terrasses du Fouquet’s ou du Café de la Paix. On traverse la rue de Rivoli sans se faire percuter par une mobilité douce. On peut se faire une toile sur les Champs-Élysées au Gaumont-Colisée et on peut voir la dernière Citroën dans son show-room art déco. On ne reconnaît pas la place des Vosges dans son habit de sépulcre, fenêtres et arcades tristes, dans un gris souris terriblement littéraire. On remonte la rue Mouffetard pour trinquer avec Bob Giraud et Robert Doisneau. Le parfum du monde d’avant nous réchauffe le cœur. Devant l’église Saint-Eustache, des montagnes de cagettes s’amoncellent. Il y a encore des boucheries chevalines, des triperies et des rémouleurs dans la rue. Fernand Raynaud triomphe à l’Alhambra, il sourit sur les colonnes Morris. L’ambassade américaine, avenue Gabriel, semble presque ouverte au public. Du côté de la rue de Rome, miracle, on aperçoit un bus Cityrama entièrement vitré (La Fondation du Patrimoine en restaure un actuellement). En résumé, que demande le peuple ? Des bouquinistes et des vespasiennes.

André Robé, Le Paris des photographes anonymes. Anonymous vintage slides, 1950-1970 (Parigramme, 2024), 144 pages

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Aller voir, ça nous regarde !

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Du Louvre au musée des Beaux-Arts de Rouen, à chacun sa façon d'admirer les œuvres. © Georgia Ray - D.R.

Déjouant toutes les prédictions, les visiteurs se pressent toujours plus nombreux au musée. Que viennent ils chercher ? Peut-être une consolation à l’instabilité du monde, admirer des œuvres à leur guise, leurs formes et couleurs qui sont source de plaisir. On aurait tort de s’en priver, d’autant que les expos de ce mois de juin méritent le déplacement.


Les expositions de ce printemps sont belles : la forêt au Petit Palais, la mer à Giverny, Hockney et Whistler à Rouen, Van Eyck au Louvre, l’impressionnisme ici et là, un peu partout en France. Certains choisiront de se promener parmi les arbres de Théodore Rousseau (1812-1876), avec leurs troncs frappés de la lumière d’un ciel s’aventurant dans le vert des houppiers, leur écorce ajourée de lichens et de mousses. D’autres iront, avec les peintres impressionnistes, saisir le miroitement polychrome de la mer, le reflet des voiles et des nuages à la surface irisée de l’eau ou l’écume des conversations de pêcheurs et de bourgeois sur les plages. Les mêmes, ou d’autres encore, iront admirer La Vierge du chancelier Rolin de Van Eyck (1390-1441) dans l’éclat de ses couleurs recouvrées, se perdront dans les délicats arrangements sensoriels de James Abbott McNeill Whistler (1834-1903) ou bien s’étonneront de sentir la douce fraîcheur du printemps éclore dans les fleurs de pommier peintes sur iPad par David Hockney (né en 1937), dans sa Normandie d’adoption.

À l’heure où Le Petit Larousse s’enorgueillit de faire entrer « écogeste », « empouvoirement », « visibiliser », « désanonymiser », « permittent » ou encore « polluant éternel » dans son édition de 2025, la peinture nous ramène avec bonheur à un monde où le geste est créateur, où les artistes ont des noms que l’on retient et où le regard qu’ils ont posé sur les choses continue à attirer le nôtre dans un rapport au temps qui n’a pas de prétention à l’éternité, mais s’enrichit de conjuguer notre présent et le leur. On pensait la peinture inaccessible ; on croyait ne rien y voir. On se rend compte qu’elle parle le langage clair des formes, des couleurs, celui des sensations, des impressions et des sentiments que notre langue commune se voit sommée de contourner pour lui préférer tout un fatras de mots-valises imprononçables frappés au coin de l’impérieuse bienveillance. Investie de la mission politique de pallier en vingt-six lettres les insuffisances de la nature, les injustices de la vie, mais aussi de contredire les faits incontestables de nos débâcles collectives quotidiennes, notre langue a cessé de dire les nuances du cœur et de la pensée.

Ce n’est donc pas sans raison que les files d’attente s’allongent aux portes des musées pour aller voir les œuvres des grands maîtres. Certains diront que les visiteurs font indifféremment la queue pour acquérir le dernier smartphone et pour voir La Joconde, qu’ils sont là à déambuler en grappes entre le vestiaire et la boutique sans trop savoir ce qu’ils sont venus chercher dans les galeries et sur les cimaises. Bref, qu’ils auraient tout aussi bien pu passer la journée dans un parc à thème. D’autres – les mêmes qui parlaient hier encore de l’urgence à démocratiser l’art et la culture – se mettent aujourd’hui à fustiger le surtourisme au nom de la confrontation avec les œuvres. Naguère pourfendeurs de l’élitisme et du privilège culturel, les voilà en proie à une crise mystique à tendance monacale ; après avoir traqué, en bonnes sentinelles foucaldiennes, l’imposition de règles de conduite et nourri le fantasme de l’indocilité des corps, ils se demandent à présent pourquoi tous ces gens prennent toutes ces photos avec tous ces téléphones portables. Une autre lecture de l’engouement pour les musées consiste à dire que les visiteurs viennent y chercher, de façon plus ou moins consciente, une forme de consolation à l’instabilité du monde et aux bouleversements rapides des sociétés. Marcher au milieu d’œuvres qui demeurent là en dépit des changements, pouvoir s’arrêter pour les regarder à sa guise, passer vite ou non, choisir celles que l’on regarde de près ou de loin est effectivement une source de plaisir. On aurait tort de s’en priver.

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Mis à part les extravagantes performances de quelque artiste contemporain en manque de reconnaissance, prêt à gribouiller un « MeToo » geignard sur L’Origine du monde pour que l’on parle un peu de lui, et devenir, ne serait-ce qu’une demi-heure, l’ennemi public d’une société aux tares systémiques, et hormis les saynètes d’activistes partis en croisade sous les feux de leurs propres projecteurs pour défendre un monde où tous les gens pourraient manger gratuitement sous des températures clémentes, les visiteurs goûtent leur plaisir d’être là et sont donc à leur place dans les musées. Qu’importe, au fond, ce que nous venons y chercher (le calme, le passé, la beauté, la notoriété des œuvres, un flirt avec le sacré, une émotion), cela nous regarde. Au terme de notre visite, nous aurons, dans tous les cas, passé un certain temps à regarder droit devant nous – les nuques brisées par les téléphones se redressent dans les musées. Nous aurons vu des formes, des couleurs, des corps, des objets, des paysages, des expressions, des gestes qui nous disent encore quelque chose, de nous, des autres et du monde. Nous nous serons posé des questions : comment nommer les bleus et les verts de L’Évasion de Rochefort (1881) d’Édouard Manet ? De quelle couleur est la mer derrière la Jeune Femme sur la plage (1888) de Philip Wilson Steer ? Roland Barthes, qui n’a pas écrit que des choses parfaitement ennuyeuses et masturbatoires, raconte qu’il allait chez Sennelier, quai Voltaire, lire les noms donnés aux pastels et au nombre infini de leurs nuances de couleurs. Passons chez Sennelier, si nous allons au Louvre, et lisons le très bel ouvrage d’Anne Varichon intitulé Nuanciers : éloge du subtil, une histoire de la nomenclature de la couleur, entre science, art, poésie et industrie, selon les goûts et l’imaginaire des époques.

Nous vivons dans un monde d’images, de reproductions gratuites immédiatement accessibles, et nous faisons la queue pour voir des tableaux. C’est une très bonne nouvelle. Nous vivons aussi dans la société du « pas d’souci » – formule fourre-tout que l’on entend à longueur de journée et qui peut vouloir dire, selon les circonstances « oui », « au revoir », « merci », « de rien ». « Pas d’souci » : plus rien n’a vraiment d’importance ni ne sort du lot. Dans ce contexte un peu lamentable, voir des gens s’approcher au plus près des toiles ou prendre en photo le détail d’une œuvre – un détail qui compte pour eux à ce moment de leur existence – a quelque chose de très réconfortant. Troisième bonne nouvelle : le titre que le Louvre donne à la présentation au public, après restauration, de La Vierge du chancelier Rolin : « Revoir Van Eyck ». Revoir, c’est bien sûr voir à nouveau, après l’absence, mais c’est aussi (le préfixe « re » a ce double sens) voir avec plus d’attention, y mettre l’insistance d’un regard appuyé. On ne revoit pas grand-chose de nos jours : on « scrolle », on fait défiler, on tourne la page. Revoir Van Eyck est une heureuse formulation et offre, au-delà de l’œuvre allégée des couches successives de vernis qui avaient fini par l’assombrir, de bien belles perspectives d’approfondissement du regard.

Les visiteurs des musées sont en effet là pour voir et revoir. Ils ont peut-être déjà vu Coucher de soleil près de Villerville (1876) de Charles-François Daubigny, mais seront heureux de l’admirer exposé au milieu de pans de mur de différentes nuances de bleu, à Giverny. Ils connaissent Impression, soleil levant (1872) de Claude Monet, mais verront désormais l’œuvre d’un autre œil s’ils ont participé à l’expérience immersive en réalité virtuelle intitulée « Un soir avec les impressionnistes » au musée d’Orsay : la fenêtre du balcon au-dessus du port, le chevalet du peintre à gauche, l’activité portuaire au petit matin, la vue du Havre, cette même impression de soleil levant, de mer naissante, Monet et autre chose à la fois. Ils connaissent le style de David Hockney, mais s’intéresseront sans doute à la peinture numérique qu’expérimente avec passion l’artiste britannique depuis le début de la pandémie de Covid à travers l’application Brushes de son iPad. Floraison d’arbres fruitiers, maisons à colombages du pays d’Auge où il réside, parterres de fleurs, iris et jonquilles, averses soudaines et paysages nocturnes. Cette fois, c’est Hockney lui-même qui les emmène voir un autre Hockney. Non sans préciser, toutefois, qu’il faut toujours imprimer les œuvres numériques, car « quand vous les imprimez, elles deviennent des choses réelles, des choses de ce monde. »

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Les expositions de peinture de ce mois de juin méritent qu’on se déplace. Alors, que l’on soit amateur d’art ou « visiteur ahuri » se laissant « engourdir et migrainer par des vagues de couleurs » (Marcel Proust), fin connaisseur ou un peu Consuela Castillo sur les bords, ce personnage de La Bête qui meurt de Philip Roth, qui « s’extasie sur les impressionnistes », et s’use les yeux devant le reste « en cherchant désespérément où l’artiste veut en venir », allons au musée voir les belles choses de ce monde !

À voir

« Revoir Van Eyck : rencontre avec un chef-d’œuvre », musée du Louvre, jusqu’au 17 juin.

« L’impressionnisme et la mer », Musée des impressionnismes Giverny, jusqu’au 30 juin.

« Théodore Rousseau : la voix de la forêt », Petit Palais, jusqu’au 7 juillet.

« Un soir avec les impressionnistes : Paris 1874 », musée d’Orsay, jusqu’au 11 août.

« Whistler : l’effet papillon », musée des Beaux-Arts de Rouen, jusqu’au 22 septembre.

« David Hockney Normandism », musée de Beaux-Arts de Rouen, jusqu’au 22 septembre.

À lire

Anne Varichon, Nuanciers : éloge du subtil, Seuil, 2023.

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Philip Roth, La bête qui meurt (2001), Gallimard, 2004.

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Éric Karpeles, Le Musée imaginaire de Marcel Proust, Thames and Hudson, 2009.

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Thomas Jolly, « mi-homme mi-coffre fort »

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Organisation de l'ouverture des JO à Paris le 25 juillet 2023. © ANTON KARLINER/SIPA

Le directeur artistique de Paris 2024 vient de lever un bout du voile recouvrant la mystérieuse cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques du 26 juillet… Au journaliste du Monde venu espionner son travail, le metteur en scène chouchou du public assure que chaque défi surmonté enrichira le spectacle. On a tellement hâte d’y être !


A la faveur d’un reportage publié dans le quotidien Le Monde, de réjouissantes nouvelles nous parviennent enfin. Alors que le pays est un peu crispé, notamment par la situation politique, cela fait un bien fou.

Le journal des bonnes nouvelles

Le grand quotidien du soir nous dévoile tout ce qu’il sait de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Si les organisateurs sont toujours à la recherche d’agents de sécurité pour cet évènement estival décrit depuis des mois comme hautement grandiose mais aussi hautement risqué, les préparatifs artistiques vont bon train de leur côté. « Je voulais construire une tour Eiffel inversée, ça, ce n’était pas possible », confie d’emblée le metteur en scène Thomas Jolly aux journalistes chargés de nous raconter ces bonnes nouvelles. Il n’est malheureusement plus question non plus de voir les têtes de nos rois sortir de la Seine depuis un moment.

Dans un hangar de Saint-Denis (93), où les répétitions se tiennent actuellement dans le plus grand secret, cet artiste woke en vogue regrette également d’avoir dû revoir à la baisse une autre de ses ambitions : « Sur l’un des ponts [il n’a pas le droit de dire lequel], on voulait faire un grand ballet de deux cents danseurs. Les experts ont calculé qu’avec la résonance et les vibrations du poids des danseurs, le pont ne résisterait pas. On a dû transformer le tableau », déplore le créateur. Mais, soyons rassurés : car ailleurs, 3000 danseurs « d’ici et de partout », 400 « performeurs » et une centaine de bateaux seront bien dispatchés pour le plus grand plaisir des yeux. Autour de la Seine, quatre scènes et pas moins de dix ou douze tableaux sur les berges sont prévus pour accueillir le monde entier, croit savoir le journal.

Une cérémonie hors d’un stade, une grande première

Le protocole habituel est complètement bousculé ; les délégations des différentes nations défileront en même temps que sera donné le somptueux show artistique et musical. Un spectacle qui doit durer près de quatre heures.

L’idée initiale de cette cérémonie en dehors d’un stade revient à Thierry Reboul, spécialiste de l’événementiel de 56 ans, originaire de Marseille, qui occupe le poste prestigieux de directeur exécutif des cérémonies et de la « marque » Paris 2024. Le Parisien brosse le portrait suivant de cet homme au grand cœur et au goût du risque prononcé, dont le talent n’a pas échappé à Thierry Estanguet : « Mégalo pour les uns, génie pour les autres, Thierry Reboul bouscule les codes ».

Thomas Jolly, dont bousculer les codes fait aussi probablement partie de l’ADN, s’enthousiasme : « Le show, la parade, les éléments du protocole, j’ai décidé de tout entremêler. Faire que toute la cité danse, se synchronise. Jamais il n’y a eu de cérémonie qui ne soit pas dans un stade. Du coup, il n’y a pas de modèle. Il faut tout remettre en question en permanence ». Du coup, à l’approche de l’évènement, le chorégraphe-star de 42 ans est aussi excité qu’angoissé ! « Je ne vous cache pas que je passe des nuits où j’angoisse un peu… Et aussi des jours ». Il peut compter sur le soutien de Maud Le Pladec dans cette épreuve, chorégraphe avec laquelle il a déjà collaboré, et dont le travail se caractériserait par une énergie et une synchronisation marquantes. « Pour les JO, la danse, c’est moi. C’est mon ADN [comprendre : cette énergie, cette foule compacte de danseurs, précise Le Monde] Pas un pont, pas une berge qui ne sera habitée par un événement artistique » nous assure-t-elle. Voilà qui promet d’être grandiose. « Maud a une culture large de la danse […] On a commencé à travailler sur les JO en décembre 2022. La structure de la cérémonie a été posée en juin 2023. Et, depuis mars, cela devient concret. Les costumes sortent des ateliers, et l’on voit ici, pour la première fois, la danse de Maud épouser la musique composée par Victor Le Masne » explique Thomas Jolly, ravi.

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Thomas Jolly est surtout connu pour avoir ressuscité la comédie musicale « Starmania ». Dans son reportage, Le Monde le décrit comme « gourmand » et soucieux d’« appâter sans rien dévoiler, de façon à maintenir le suspense et à garder la surprise ». On en saliverait presque… « Chaque spectacle que j’ai imaginé dans ma tête n’est jamais arrivé semblable à ce que j’imaginais. Non, ça ne crée pas de frustration : si une idée ne va pas jusqu’au bout, c’est qu’elle n’est pas bonne ». Si l’on comprend bien, le metteur en scène semble donc assez sûr de ne pas se tromper. Ouf ! « Je suis un coffre-fort. En ce moment, je suis mi-homme, mi-coffre fort. Entendre les fantasmes des gens, moi qui sais ce qui va se passer, ça me fait souvent sourire » explique le facétieux artiste qui n’en dira pas plus sur la mise en scène tant attendue et pour laquelle il bénéficie d’une coquette enveloppe (on parle de plus de 150 millions d’euros pour 300 000 spectateurs).

Un enthousiasme grandissant attendu de la part des Parisiens

Même s’il aurait préféré les Daft Punk, la musique est donc confiée à Victor Le Masne, déjà à ses côtés sur « Starmania », déjà à l’initiative de la nouvelle version de « La Marseillaise » avec l’astronaute Thomas Pesquet au saxophone, mais également coqueluche des plus grands talents de la variété française (il a collaboré avec les chanteurs farfelus Philippe Katerine et Eddy de Pretto, ainsi qu’avec la chanteuse Juliette Armanet) ; mais on ne sait pas encore très bien qui viendra effectuer un tour de chant sur la Seine le 26 juillet. Après les rappeurs crétins Soprano et Alonzo, et le cauchemar Jul lors de l’arrivée de la flamme olympique à Marseille, que nous réserve la Ville Lumière ? Céline Dion, un peu rétablie de sa maladie ? Aya Nakamura, si et seulement si elle chante du Piaf et évite les poses lascives ? Beaucoup a déjà été dit… Marc Cerrone et son tube « Supernature » semblent à peu près sûrs, la Britannico-Albanaise Dua Lipa aurait été approchée… Le député RN Jean-Philippe Tanguy rêverait de son côté de voir Mylène Farmer. Il faudrait au moins adjoindre à cette dernière un Etienne Daho pour qu’on entende quelque chose… Quant à Michel Sardou, le nom du chanteur non-déconstruit et à la voix puissante n’est malheureusement jamais mentionné, bien sûr ! « La cérémonie promet des surprises bien plus radicales que la présence ou pas d’Aya Nakamura » assurait Thomas Jolly, au mois d’avril, dans Télérama. Au micro de France Inter, en octobre, il annonçait que tout ce qu’il faisait était « politique », et que Britney Spears valait bien Shakespeare… Alors n’en déplaise aux grincheux, cette cérémonie d’ouverture pourrait être une réussite fantastique, pense Anne Hidalgo dans son Hôtel de Ville, où se prépare pour la mi-juillet une baignade dans le fleuve coulant sous les fenêtres. « Ras-le-bol de tous ces peines-à-jouir qui n’ont pas du tout envie qu’on puisse célébrer quelque chose ensemble. De toute façon, on est là, et on le fait », s’énervait l’édile au Conseil de Paris le 22 mai. 

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Décidément, comme l’observait justement Elisabeth Lévy dès l’automne dernier lorsque Thomas Jolly s’est fait connaitre au-delà du petit monde du théâtre public subventionné, alors que la guerre des civilisations redémarre, Festivus1 continue ses saccages… Et c’est tant mieux : car sans lui et sans nos médias progressistes qui se font un devoir de le célébrer bruyamment, on n’aurait pas beaucoup d’occasions de rire. Reste deux inconnues : tout d’abord, il est évidemment impossible de savoir si le soleil sera présent au-dessus de Paris pour éclairer tous nos merveilleux danseurs et funambules le 26 juillet. Ensuite, surtout, on ne sait pas encore quel Premier ministre sera aux côtés d’Emmanuel Macron lors de cette cérémonie magique.


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CADA exquis du Berry 

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Campagne contre l'installation d'un CADA, à Béziers, le 12 octobre 2016. © Franck LODI/SIPA

Bélâbre, une petite commune du Berry où s’affrontent partisans et adversaires d’un centre pour demandeurs d’asile. Nous avions pu assister à une manifestation opposant les deux cortèges début mai. Le député du coin vient de laisser entendre que le projet pourrait être modifié. Retour sur une guerre des boutons villageoise. 


Sur son site, la municipalité de Bélâbre vante « le charme discret du Berry ». Discret, puisqu’avec 940 habitants perdus au cœur de l’Indre et Loire, le village n’a rien pour attirer le chaland ou le visiteur. Depuis un an, un projet municipal vise pourtant à y installer l’étranger. Le 9 février 2023, le conseil municipal vote une motion favorable à l’ouverture d’un CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) répondant à un projet de l’association Viltaïs. La structure permettrait d’accueillir en permanence 38 demandeurs d’asile, lesquels resteraient sur place pour le délai qu’exige le traitement de leur demande. A cet effet, les locaux d’une ancienne chemiserie, coincés dans une impasse et appartenant à la mairie ont été vendus à l’association.  

Qu’en pensent les administrés bélabrais ? Au bar du coin où nous entrons, on feint l’ignorance : « Il y a cette affaire oui. On préfère parler du soleil et des loisirs de l’été » nous assure un habitué accoudé au comptoir. Droit de réserve commerçant du côté de la tenancière qui « n’a pas le droit de donner son avis ». Samedi 11 mai, il était difficile pourtant d’ignorer les six camions de gendarmerie qui bloquent l’artère principale de la ville ou les deux manifestations, une pro CADA et une anti, avec des effectifs plutôt garnis pour un si petit village. Côté contre, 200 personnes réunies par l’Union Bélabraise avec un cortège essentiellement composé de retraités du petit commerce ou de la paysannerie, de quelques anciens combattants en uniforme et de nombreux jeunes actifs. Côté pour, ils sont 150 réunis aux abords de la mairie pour manifester leur soutien au CADA. Nombreux dans le groupe se disent enseignants, souvent retraités ou militants associatifs. Un trentenaire parisien, ingénieur son pour la télévision, qui réside « souvent dans la région en week end » a fait cinquante kilomètres pour manifester à l’initiative du maire « un soutien moral ». Fonctionnaires ménopausées et bobos d’un côté ; badauds et enfants du pays de l’autre. Nez rouges contre vierges rouges.

Méthode autoritaire et crainte sécuritaire 

Ce n’était pas la première fois que partisans et adversaires ont pu s’affronter ou échanger des noms d’oiseaux. Depuis février 2023, les opposants ont manifesté sept fois contre ledit projet et se sont organisés dans un collectif, l’Union Bélabraise. Initialement, l’association dénonçait les méthodes du maire, jugées autoritaires. Ludivine Fassiaux, présidente de l’association, parle d’« un déni de démocratie locale ». Elle dit avoir appris initialement la décision par voie de presse. Le collectif avait aussi proposé un référendum municipal ; Mme Fassiaux assure qu’elle « se serait inclinée devant la volonté de la majorité ». Alors qu’une nouvelle manifestation est prévue le samedi 11 mai, le meurtre de Mathis à Châteauroux, 50km de Bélabre, par un mineur afghan est dans tous les esprits : « Ce ne sont pas forcément de mauvais gens mais il n’en suffit que d’un seul… » La présidente affiche désormais des craintes sécuritaires : « Le CADA est mal positionné. Ce sont des chambres de 7m2 pour des familles. Et puis qu’est-ce qu’ils vont faire ici ? » Alors on redoute de voir des migrants désœuvrés zoner le soir : « On regarde ce qui se passe en France… Voyez Nantes. Voyez Châteauroux ». 

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Insensible aux critiques, le maire, Laurent Laroche, défend avec énergie son projet : « Les CADA n’ont rien à voir avec le terrible drame de Châteauroux ». Quid des craintes d’une partie de la population ? « Elles sont entretenues par l’extrême droite… » assure le maire. Dans chaque camp, on a pris l’habitude de se renvoyer le mistigri de la récupération politique, de l’aveuglement idéologique et du renfort de manifestants étrangers au village à chaque manifestation. 

La politique reprend ses droits 

Si le discours du maire se veut consensuel et rassurant, le propos de certains manifestants du 11 mai était plus politique. Au mégaphone, la représentante de la Ligue des Droits de l’Homme dénonce la politique répressive du gouvernement, parle des « frontières murées » de Schengen… Un badaud nous dit vouloir fonder un collectif contre l’extrême droite à Bélâbre. Certains parlent même de la présence de militants de la vieille Action française de Charles Maurras. 

De son côté l’Union Belâbraise ne cache pas l’étendard du pays réel dans sa poche. L’avocat médiatique Pierre Gentillet, désormais candidat pour le Rassemblement National dans le département voisin du Cher, et originaire du département, surtout connu des téléspectateurs de Cnews et de Cyril Hanouna, a pris l’habitude de prendre la parole à chaque manifestation. Elle ne s’en cache pas, Ludivine Fassiaux cherche des relais politiques : « Nous avons écrit à François-Xavier Bellamy et Eric Ciotti, sans réponse pour l’instant […] La raison de l’installation des CADA un peu partout, c’est bien la politique migratoire de la France ». Les pouvoirs publics ne semblent pas indifférents à cette initiative. On trouve sur le site de la préfecture d’Indre et Loire un projet de la Croix-Rouge, lequel dresse un état des lieux qui regrette la « faiblesse du taux CADA » : « Le taux de places CADA est le plus faible de la région : 1 place pour 2 350 habitants pour l’Indre-et-Loire, contre une moyenne régionale d’une place pour 1 175 habitants. » 

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Dans chaque camp, on ne cherche en tout cas plus à rassurer ni à s’abriter derrière des problèmes de méthode ou des appels au calme et à la concertation. Au fil des mois, alors que les positions se radicalisaient, le discours est devenu résolument politique. Les méthodes aussi, et pas forcément pour le meilleur. Patricia Fassiaux, qui en plus d’être cofondatrice avec sa fille de l’Union Belâbraise et gérante du Casino, a fait l’objet de pressions : « Le collectif Oui au CADA a envoyé une lettre au Casino pour dire que l’on faisait de la politique avec l’enseigne » assure-t-elle en brandissant pour nous convaincre la copie de la lettre à laquelle elle a pu avoir accès. Des tracts pro et anti sont distribués dans les boites le dimanche. Certains badauds regrettent « une omerta sur le sujet » comme de voir certaines familles du village se déchirer à table sur l’opportunité du projet, à l’heure de la traditionnelle engueulade politique du dimanche midi. 

Opportunisme politique et contexte électoral ? Ainsi que le relate France Bleu Berry, le député sortant Horizons de l’Indre, François Jolivet, en campagne, a laissé entendre que le projet pourrait être modifié  « Je pense que ce projet, pour des raisons sans doute d’ailleurs financières, ne verra pas le jour […] S’il se fait, il se fera à taille moindre à Bélâbre » affirme-t-il, citant une association dans une commune du département qui dispose déjà d’une structure d’accueil accolée à une résidence de retraite. Comme il ne s’agit pour le député que d’une piste de travail, les opposants ne désarment pas. Le 11 mai, devant l’auditoire, la présidente de l’union bélabraise avait prévenu : « Nous on se bat, eux ils perdent ». Dont acte.