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Gaza après 600 jours: guerre ou génocide? Laissons les chiffres parler

Alors que le conflit à Gaza dure depuis plus d’un an et demi, l’accusation de « génocide » à l’encontre d’Israël gagne du terrain dans le débat public. Pourtant, ce terme lourd de sens en droit international ne saurait être employé à la légère. À travers une analyse fondée sur les données disponibles (pertes humaines, répartition des victimes, dynamique démographique) nos contributeurs examinent si les faits observables soutiennent ou contredisent l’existence d’une intention génocidaire.


Alors que la guerre à Gaza entre dans son 20e mois, le débat autour de sa qualification prend une tournure de plus en plus radicale. Le mot « génocide » est aujourd’hui employé par certains acteurs politiques, médiatiques et associatifs pour désigner l’action militaire israélienne. Mais ce terme, le plus grave du droit pénal international, suppose des critères stricts, à commencer par la démonstration d’une intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe humain ciblé comme tel. Or, cette intention ne peut être présumée ni décrétée : elle doit être établie par les faits.

À l’heure où le droit et l’émotion se confondent trop souvent dans les prises de position, nous proposons une lecture fondée exclusivement sur les chiffres disponibles, en adoptant une méthode d’analyse rationnelle : Que disent réellement les données sur les pertes humaines ? La population gazaouie est-elle visée en tant que telle ? Comment situer ce conflit par rapport aux génocides reconnus du XXe siècle ?

Notre objectif n’est pas de minimiser la souffrance civile, mais d’examiner, avec rigueur, si les accusations de génocide résistent à l’épreuve des faits.

Si l’ONG Amnesty accuse Israël de génocide à Gaza, les instances juridiques internationales, Cour pénale internationale (CPI), Cour internationale de justice (CIJ), n’ont, à ce jour, pas retenu cette qualification. Des études indépendantes, telle celle de la Henry Jackson Society (think tank britannique fondé en 2005, basé à Londres), ont mis en évidence des manipulations du Hamas, tandis que le président Macron en appelle au jugement de l’histoire.

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Dans ce débat passionné, nous sommes confrontés à l’absence d’indicateurs objectifs. Cet article, fondé sur des données chiffrées, propose d’évaluer la prétendue « intention de génocide », condition sine qua non pour qualifier ce crime selon le droit international.

La notion de génocide suppose une intention démontrable de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. En l’absence de cette intention spécifique, le crime n’est pas constitué. Les statistiques sur vingt mois de conflit s’avèrent plus éclairantes que des événements isolés rapportés par les médias.

Notre analyse repose sur les données cumulées des 600 jours écoulés, considérées ici comme des indicateurs mathématiques objectifs.

Bilan humain : distinguer combattants et civils

Examinons les pertes palestiniennes. En décembre 2024, Israël estimait à 20 000 le nombre de combattants éliminés, tandis que le Hamas évoquait un total de 45 000 morts. Une étude de la Henry Jackson Society, datée du même mois, évoquait 17 000 combattants parmi 39 000 tués. Ces deux sources concordent sur un fait essentiel : environ 44 % des morts sont des combattants.

Le 23 mars 2025, le ministère de la Santé du Hamas publiait une répartition par âge et par sexe, révélant un net ciblage des hommes en âge de combattre. En mai 2025, après environ 600 jours de conflit, le Hamas annonçait un total de 54 000 tués, ce qui correspond à une estimation réelle située entre 48 000 et 54 000 morts.

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Pour notre analyse, nous retiendrons une estimation médiane de 51 000 morts : 23 000 combattants et 28 000 civils, sur une population de 2,3 millions d’habitants. Nous posons ici l’hypothèse la plus défavorable à notre démonstration, à savoir que la totalité de ces pertes est imputable aux opérations israéliennes – sans tenir compte de la part causée par les roquettes défectueuses du Hamas (25 %), les affrontements internes ou l’utilisation de boucliers humains.

Sur cette base, nous examinerons la prétendue intention génocidaire d’Israël à travers plusieurs indicateurs objectifs.

Nombre de morts par rapport à la capacité à tuer

La meilleure façon d’évaluer une intention génocidaire est d’observer l’écart entre la capacité de destruction et les pertes réelles. Un belligérant qui n’utilise qu’une fraction infime de sa capacité de destruction ne manifeste pas une intention d’extermination.

Les grands génocides du XXe siècle et les bombardements massifs de la Seconde Guerre mondiale ont causé entre 2 000 et 10 000 morts par jour. Les pogroms du Hamas, le 7 octobre 2023, ont causé 1 200 morts en six heures.

En comparaison, les opérations israéliennes à Gaza ont entraîné en moyenne 47 morts civils par jour, soit environ 100 fois moins que les événements susmentionnés, alors que Tsahal dispose d’une puissance de feu bien supérieure.

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Si Israël avait réellement l’intention d’exterminer la population de Gaza, ces 28 000 civils auraient pu être tués en quelques jours seulement. Le bilan élevé des pertes civiles s’explique par la durée d’une guerre urbaine intense, non par une volonté de viser la population.

Notons par ailleurs que les « machettes palestiniennes » du 7 octobre se sont révélées cent fois plus létales que les F-35 israéliens, ce qui souligne, à rebours, une intention génocidaire du Hamas et non d’Israël.

Absence de massacres indiscriminés

Un génocide implique des massacres indiscriminés frappant toutes les catégories de population. Une nette différenciation entre civils et combattants contredit cette logique.

Examinons les ratios :

  • Civils : 28 000 tués sur 2,3 millions = 1,2 %
  • Combattants : 23 000 tués sur 40 000 = 57 %

Être combattant à Gaza est donc 46 fois plus dangereux qu’être civil.

Le rapport du Hamas de mars 2025 le confirme : 72 % des tués sont des hommes en âge de combattre, avec 2,6 fois plus d’hommes que de femmes parmi les morts. Ces chiffres attestent clairement d’un ciblage des combattants, et non d’un massacre aveugle.

Un « génocide » où la population augmente

Les génocides du XXe siècle (arménien, juif, rwandais) ont anéanti entre 60 % et 75 % des populations visées. Les victimes n’avaient aucun levier d’action pour y mettre fin. À Gaza, après 600 jours de conflit, on déplore 2,2 % de morts (1 % de combattants, 1,2 % de civils).

Selon des déclarations de responsables du Hamas (Sami Abu Zuhri, Osama Abu Rabee), on recenserait entre 55 000 (2,4 %) et 86 000 (3,7 %) naissances durant la même période.

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La guerre à Gaza serait donc le seul « génocide » de l’histoire où la population visée… augmente. À titre de comparaison, la France affiche une croissance annuelle de 0,3 %.

Échouer à 98,8 % malgré 20 mois de guerre ?

Certains médias décrivent l’offensive israélienne comme visant l’ensemble de la population gazaouie, dans une zone densément peuplée, à l’aide de bombardements d’une intensité équivalente à plusieurs bombes atomiques, accompagnés d’une destruction des infrastructures, d’une famine organisée, d’épidémies et de déplacements forcés. Mais ce tableau apocalyptique se heurte à la réalité chiffrée :

  • Après 20 mois de guerre, Israël n’aurait atteint que 1,2 % de la population ?
  • Si les destructions matérielles sont massives (92 % des bâtiments touchés selon Amnesty), comment expliquer un bilan humain aussi limité, sinon par le fait que Tsahal tient compte des zones civiles et humanitaires ?
  • La bombe d’Hiroshima tua 140 000 des 350 000 habitants de la ville. Comment expliquer qu’un tonnage équivalent de bombes sur une population six fois plus nombreuse ait causé cinq fois moins de victimes civiles, si ce n’est par un ciblage délibérément éloigné des zones habitées ?

Ce décalage entre les accusations et les données du terrain invalide l’hypothèse d’une intention génocidaire.

Cette analyse chiffrée démontre que l’accusation de génocide portée contre Israël ne résiste pas à l’examen des faits. Les données révèlent une stratégie militaire visant les infrastructures et les combattants du Hamas, non la population palestinienne en tant que telle.

Il s’agit probablement de la guerre urbaine la plus complexe de l’histoire contemporaine, dans laquelle le Hamas utilise sa propre population comme levier de pression internationale, tandis qu’Israël tente, autant que possible, de limiter les pertes civiles.

L'indifférence et autres horreurs

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Apartheid: les plaies béantes d’une réconciliation inachevée

Plus de trente ans après la fin de l’apartheid, des familles de victimes continuent de porter plainte contre l’État sud-africain. Beaucoup dénoncent l’échec d’une justice promise mais jamais rendue, et remettent en cause l’héritage de la Commission vérité et réconciliation, accusée d’avoir scellé un pacte du silence au nom de la paix nationale.


Quarante ans après l’assassinat des Quatre de Cradock, figures de la lutte anti-apartheid, leurs familles attaquent l’État sud-africain. Une plainte qui ravive les plaies non refermées d’un pays où la promesse de justice, portée jadis par la Commission vérité et réconciliation, semble n’avoir été qu’un mirage.

C’est une ville modeste, située en plein cœur du Cap-Oriental, connue pour son commerce de plumes d’autruche.  Aujourd’hui rebaptisée Nxuba, anciennement Cradock, cette bourgade sud-africaine a été marquée par une violente affaire de meurtre dont les responsabilités n’ont jamais été clairement établies.

Dans la nuit du 27 juin 1985, quatre militants du Front démocratique uni (FDU) quittent tardivement leur réunion. En dépit des avertissements, ils décident de prendre la voiture afin de repartir chez eux. Quelques kilomètres plus tard, ils sont arrêtés à un barrage routier par la police qui avait repéré leur véhicule quelques heures auparavant. Ce qui se passe par la suite demeure un profond mystère.  Ce n’est que quelques jours plus tard que les restes des corps de Matthew Goniwe, Fort Calata, Sparrow Mkhonto et Sicelo Mhlauli seront retrouvés, brûlés, portant des traces de torture apparente.  

Une justice promise… jamais rendue

C’est un procès tardif, mais lourd de sens. Des décennies plus tard, leurs proches, aux côtés d’autres familles de victimes de l’apartheid, ont finalement décidé d’assigner l’État en justice pour « manquement constitutionnel », réclamant 9 millions de dollars de réparation.

La plainte, déposée devant la Haute Cour de Pretoria, vise nommément l’actuel président Cyril Ramaphosa, plusieurs ministres, la direction de la police nationale et l’Autorité nationale des poursuites. En ligne de mire : l’échec persistant de l’État sud-africain à juger les criminels de l’apartheid, en dépit des engagements solennels pris à la fin du régime raciste en 1994.

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« Cela fait trente ans que nous attendons la vérité, et la vérité meurt avec ceux qui nous l’ont volée », souffle Thoko Goniwe, veuve de Matthew Goniwe. Ses mots résonnent comme une condamnation morale de l’African National Congress (ANC), le parti de Nelson Mandela, héros de la libération noire. Un mouvement de plus en plus contesté par ses électeurs qui accusent les leaders de l’ANC de compromission avec les anciens caciques du régime d’apartheid.

La CVR, ou la réconciliation inachevée

En 1996, deux ans après les premières élections multiraciales, le gouvernement sud-africain a mis en place la Commission vérité et réconciliation (CVR). Présidée par l’archevêque Desmond Tutu, haute autorité ecclésiastique, elle avait pour ambition de guérir les blessures du passé par un compromis inédit : l’amnistie était offerte aux bourreaux qui confessaient l’entière vérité de leurs crimes. L’espoir était immense, salué dans le monde entier comme un modèle de justice restaurative d’autant qu’elle concernait autant les responsables et affidés du régime de ségrégation raciale que les cadres de l’ANC.

Mais pour les familles des victimes, l’espérance a vite laissé place à la désillusion. Ainsi, la CVR n’a pas hésité à amnistier l’ancien président Thabo Mbeki comme 36 autres personnalités de premier plan de l’ANC. « La CVR a demandé aux meurtriers de parler, ils ont menti. Elle leur a refusé l’amnistie, et l’État n’a rien fait ensuite », résume même Maître Odette Geldenhuys, avocate du cabinet Webber Wentzel, qui représente les plaignants des Quatre de Cradock. Dans ce cas précis, six policiers avaient été identifiés. Aucun n’a été jugé. Tous sont désormais morts.

Lorsqu’elle cesse ses activités, la CVR affiche un bilan assez maigre : 21 000 témoignages de victimes recueillis, 7 112 demandes d’amnistie déposées, 849 amnisties accordées, 300 dossiers transmis au parquet national (NPA) et moins de 30 poursuites judiciaires menées à terme.

Le soupçon d’un pacte du silence

Au fil des ans, les révélations se sont accumulées, troublantes. En 2021, un ancien haut responsable de l’Autorité nationale des poursuites a témoigné qu’au moins 400 dossiers criminels transmis par la CVR avaient été « supprimés » sous la présidence de Thabo Mbeki (1999-2008). Les pressions politiques, dit-il, auraient freiné ou empêché des poursuites pour éviter de compromettre la fragile unité nationale et pour conserver à l’international une image d’un pays réconcilié avec son passé. Des accusations que le compagnon de lutte de Nelson Mandela réfute farouchement, mais qui persistent. « Comment expliquer que tant d’affaires aient été enterrées, sinon par calcul ? », interroge l’historienne Nomsa Dlamini, spécialiste de la transition sud-africaine. « L’ANC a préféré la paix à la justice. Mais une paix sans justice devient un mensonge », ajoute t-elle.

À lire aussi, du même auteur: Bienvenue aux visages pâles

Outre les Quatre de Cradock, la plainte regroupe également près de trente autres familles. On y retrouve des survivants de massacres oubliés, comme ceux de l’hôtel Highgate en 1993, ou la ministre actuelle du Logement, Thembi Nkadimeng, dont la sœur a été enlevée et torturée par les services de sécurité en 1983. Aucun responsable n’a jamais été jugé. Ce n’est que l’année dernière que certaines enquêtes ont timidement été rouvertes.

Le parti d’opposition EFF (Combattants pour la liberté économique), dirigé par Julius Malema n’a pas manqué de réagir : « L’ANC a protégé les bourreaux. Il est inacceptable qu’en 2025, nous n’ayons toujours pas de réponses sur les crimes de l’apartheid », a dénoncé son porte-parole dans un communiqué. Un parti qui a fait de l’anti-boer, un credo politique et qui ne manque pas d’exemples pour justifier ses diatribes anti-gouvernementales.  La libération conditionnelle, en 2015, de l’ancien colonel Eugene de Kock – surnommé « le boucher de Vlakplaas ou le Fléau de Dieu » – reste dans toutes les mémoires. L’ancien officier de la police secrète de 76 ans, réputé extrêmement brutal avec les opposants à l’apartheid n’a jamais renié son passé. Lâché par ses protecteurs, il s’est empressé de pointer du doigt la responsabilité du président Frederik de Klerk dans les violences raciales orchestrées durant les négociations de transition entre 1992 et 1994. Condamné à 212 ans de prison, il a été finalement libéré « dans l’intérêt de la réconciliation nationale ».

Une nation hantée par ses morts

Le procès qui se joue à Pretoria est donc plus qu’une affaire juridique : c’est un acte de mémoire, une revendication de justice intergénérationnelle. « Un cadavre ne peut être poursuivi. Mais l’État, lui, peut répondre de son silence », rappelle Me Geldenhuys. Les familles ne demandent pas seulement de l’argent. Elles réclament l’ouverture d’une commission d’enquête indépendante sur les sabotages judiciaires, ainsi que la création d’un fonds pour la mémoire, destiné à honorer les victimes, financer des recherches, organiser des commémorations, et enseigner la véritable histoire de la transition sud-africaine.

Car derrière la « nation arc-en-ciel » que le monde admirait, il y a peu encore, c’est la photo d’un pays fracturé qui ressurgit, où l’ombre des années de plomb plane encore sur la conscience collective. Là où l’on avait rêvé de réconciliation, ce sont les larmes, la colère, et la lutte pour la vérité qui reprennent le dessus, achevant de confirmer qu’elle n’aura été qu’un mirage créé de toutes pièces.

Podcast: Trump, maître de l’OTAN; le match France-Algérie; Villepin « humaniste »

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Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Au Moyen Orient, nous assistons au grand retour de l’action sur la scène internationale, à la place des pourparlers sans fin. Les Européens ont de quoi être furieux contre Donald Trump : il vient de mettre à nu à la fois leur impuissance et leur dépendance totale à l’égard des États-Unis. Certes, le mode de communication du président américain met mal à l’aise, et il est difficile de savoir où exactement se trouve la vérité: les capacités nucléaires de l’Iran ont-elles été « oblitérées » ou seulement endommagées ? En tout cas, le développement de la bombe iranienne a été retardé, et gagner du temps dans ce contexte reste précieux.

A relire, Gil Mihaely: Iran / Israël: à la recherche de l’imam casher

Aujourd’hui à l’Assemblée, Éric Ciotti a retiré son texte en faveur de l’abrogation des accords entre la France et l’Algérie, accords qui permettent aux Algériens d’obtenir facilement un titre de séjour en France (en 2023, presque 650.000 titres ont été ainsi délivrés). Le président de Union des droites pour la République a retiré son texte par prudence au moment où le sort de Boualem Sansal est en train d’être décidé par les autorités algériennes. Le chef de l’État ne sera pas mécontent, qui semble vouloir éviter que le cordon ombilical entre les deux pays soit coupé. Pourquoi la France reste-t-elle incapable de prendre une action décisive dans ce domaine comme dans tant d’autres?

Dominique de Villepin lance un nouveau parti politique. Pourquoi? Cherche-t-il à jouer le jeu de Jean-Luc Mélenchon avec qui il partage une forme d’antisémitisme? S’il appelle son parti – pas du tout pompeusement – La France humaniste, des internautes spirituels l’ont déjà rebaptisé La France oummaniste.

Awassir: la cinquième colonne d’Alger

Awassir est une association parrainée par le président Tebboune et hébergée par la Grande Mosquée de Paris. Cette nouvelle version de la Fédération de France, alliée du FLN pendant la guerre d’indépendance, ne cache pas son objectif: transformer la diaspora en une force politique au service du régime d’Alger.


En général, les révélations liées aux manœuvres des ingérences étrangères s’accompagnent d’une multitude de détails croustillants et sulfureux dignes d’un roman policier. Ici, pas d’histoire de corruption, de témoignage de repenti, d’excavation de réseaux souterrains ou de fuite de document compromettant. Mais pendant que les services de l’État et les journalistes d’enquête pourchassent (parfois la main dans la main) les groupes qui travaillent la société française dans l’ombre pour le compte de gouvernements hostiles, il existe des organisations qui agissent en pleine lumière sans que leur progression fasse l’objet d’une quelconque prise de conscience. C’est le cas d’Awassir.

De son adresse, à ses parrains, à son projet politique pour la communauté algérienne de France, la nouvelle pièce maîtresse de la stratégie d’ingérence du régime algérien en France ne cherche rien à dissimuler. Comment expliquer que son action n’ait, jusqu’à présent, pas encore alerté les si bien informés locataires du Quai d’Orsay et de l’hôtel de Beauvau, en particulier dans un moment d’escalade des tensions entre la France et l’Algérie ? Mystère. Il est pourtant peu vraisemblable qu’ils n’en aient jamais entendu parler.

Bonnes fées

Sans être habilitées à recevoir les « notes blanches » qu’adressent les services de renseignement aux plus hauts responsables des administrations de l’État, les sources qui m’ont mis sur la piste d’Awassir sont elles-mêmes issues du ministère de l’Intérieur, du ministère des Affaires étrangères et de cercles d’affaires qui fréquentent régulièrement les réseaux diplomatiques : « Tu devrais t’intéresser à Awassir », « Tebboune veut se mettre les Algériens de France dans la poche, avec Awassir il cherche à ressusciter l’Amicale des Algériens », « Awassir, tu connais ? Une cinquième colonne, sans la clandestinité ! »

A lire aussi: Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

Fondée en 1962 sur le modèle de la « Fédération de France » qui joua un rôle politique majeur dans l’Hexagone au profit du FLN pendant la guerre d’Algérie, l’« Amicale des Algériens » avait pour but de cultiver la fidélité des Algériens émigrés en France à l’égard de leur mère patrie. Noyée sous les divisions, elle a cessé d’exister quelques années avant la décennie noire des années 1990.

Awassir est sa nouvelle mouture, créée alors que le régime algérien redouble dans l’autoritarisme et que la communauté (franco-)algérienne de France représente un poids démographique et électoral significatif (2,6 millions d’individus selon la direction nationale du renseignement territorial, 6 millions selon le président Tebboune, qui inclut probablement dans ce chiffre les générations de Français issus de l’immigration algérienne).

Sise dans les locaux de la Grande Mosquée de Paris, Awassir est née sous les auspices de deux fées incontournables du « système » algérien : Chems-Eddine Mohamed Hafiz, actuel recteur de la Grande Mosquée, président du comité de soutien du président Abdelaziz Bouteflika en France en 2014, soutien inconditionnel du président Tebboune, il fut l’avocat qui traîna en justice Michel Houellebecq pour ses propos sur l’islam et Charlie Hebdo après la publication des caricatures de Mahomet en 2006.

La seconde fée est Abdelmadjid Tebboune himself. Ce double parrainage n’est ni une supposition, ni une interprétation, ni un secret. Le président d’Awassir, Antar Boudiaf, un binational enseignant en génie mécanique de proche banlieue parisienne, fervent zélateur du régime et de tous ses avatars, l’exprimait clairement le 11 août dernier, à l’occasion d’un passage sur AL24, la première chaîne d’information internationale algérienne, huit mois après la création d’Awassir : « Cette association était une volonté du recteur de la Grande Mosquée de Paris […], il faut rappeler, quand même, que c’est une initiative aussi du président Abdelmadjid Tebboune, qui nous a tendu la main, nous la communauté algérienne de l’étranger qui est une partie intégrante de la communauté nationale. Pour nous il était important de fédérer, de mobiliser cette communauté. »

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Si le nom d’« Awassir » (le « pont ») et son objet administratif (« susciter, promouvoir, consolider, approfondir toute forme de rencontres et de coopérations […] dans tous les domaines touchant les sociétés civiles française et algérienne ») peuvent jeter le trouble sur la nature de l’association, les discours et les actions qu’elle porte publiquement suffisent à comprendre son véritable but : façonner la communauté algérienne de France dans le sens des intérêts d’Alger. Le « pont » ne va que dans un seul sens, celui de l’Algérie.

Tebboune, le « candidat libre »

Aidée par les ressources et les réseaux de la Grande Mosquée de Paris, Awassir « travaille » la diaspora algérienne de France sur trois axes. Elle cherche à cultiver le sentiment d’appartenance à l’Algérie en organisant des camps de vacances et des circuits de découverte du patrimoine algérien (pris en charge par le ministère algérien de la Jeunesse) à destination des jeunes et en structurant des réseaux professionnels. 

Derrière la façade binationale, Awassir ne développe pas seulement un creuset culturel communautaire, mais agit comme un véritable organe de propagande électorale à la solde d’Alger. À mi-chemin entre un parti politique et un département chargé des élections du ministère de l’Intérieur, Awassir incitait il y a un an les Algériens de « citoyenneté française » à s’inscrire sur les listes électorales aux élections européennes pour « peser » sur la politique hexagonale. Deux jours avant le scrutin, le président d’Awassir cosignait un appel[1] pour faire de cette élection un référendum contre le RN et les « excès » de Reconquête. En août dernier, l’association a battu campagne pour la réélection du président Tebboune (« le candidat libre ») organisant tous ses meetings en France, à Stains, Lyon, Marseille, Paris… avant d’être invitée à sa cérémonie d’investiture.

Passée entre les mailles du filet de la loi sur les ingérences étrangères adoptée l’été dernier, Awassir continue son travail politique au service du président Tebboune, à l’ombre du minaret de la mosquée de Paris. Les prochaines échéances électorales françaises auront lieu dans huit mois, puis viendra l’élection présidentielle. D’ici là, Awassir a le temps et les moyens d’atteindre son but : transformer la diaspora algérienne en une force politique au service du régime algérien.

Après la paix: Défis français

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[1] https://www.la-croix.com/a-vif/face-a-la-montee-du-rn-et-ses-discours-de-division-un-appel-signe-par-80-personnalites-musulmanes-20240705

Une Pléiade pour entrer dans l’atelier d’Aragon

Avec un nouveau volume de la Pléiade consacré à ses essais littéraires, Gallimard met en lumière une autre facette de Louis Aragon: celle d’un critique inspiré, passionné de style et de lecture, dont l’œuvre réflexive se mêle intimement à sa création romanesque.


La collection de la Pléiade chez Gallimard avait déjà offert au lecteur de beaux volumes, bien épais, consacrés à Louis Aragon, le poète et le romancier. J’en avais apprécié le tome V, consacré aux derniers romans, et où figurait par exemple Théâtre/Roman (1974), l’un des plus beaux livres de l’écrivain, selon moi.


Car Aragon le surdoué a traversé les avant-gardes et la modernité avec la plus grande aisance, et n’a jamais bifurqué de son projet littéraire d’origine sur le fil du rasoir, depuis l’aventure surréaliste avec André Breton. Le nouveau tome de la Pléiade, qui paraît cette année, est consacré aux « essais littéraires », et rassemble un choix hétéroclite d’ouvrages et de textes : précisément, douze livres, parmi lesquels maints chefs-d’œuvre, et vingt-deux articles ou préfaces. C’est l’essentiel du travail critique d’Aragon de 1922 à 1977, qui est ainsi mis à notre disposition.

La critique : un genre majeur

La critique chez Aragon est un genre majeur. Elle donne lieu à des livres à part entière, qui sont à mettre dans le même panier que ses romans. Les titres les plus fameux, même si on ne les a pas tous lus, nous sont presque familiers : J’abats mon jeu (1959), écrit en miroir de La Semaine sainte (1958), ou encore cette petite merveille archi-connue, au titre magnifique : Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit (1969), « un des sommets de la réflexion d’Aragon sur l’écriture romanesque », lit-on dans l’appareil critique de cette Pléiade. Ce dernier est à mettre en relation avec le Traité du style (1928), présent également dans ce volume, et qui est, comme le dit la notice, une « exploration par un écrivain de ce qui fait la singularité de son rapport au langage ». Et puis, il y a les textes consacrés aux auteurs qu’Aragon lisait et relisait, comme évidemment Lautréamont, « une référence majeure », Hugo aussi, « un autre modèle », et sans doute Rimbaud, mais « pour en dénoncer le mythe ». On trouve également un texte essentiel sur Stendhal, intitulé La Lumière de Stendhal (1954), écrivain « dont il apprécie la liberté d’allure, une désinvolture, plus souvent que chez Balzac ou Zola ». Aragon a la louange généreuse : il « fait très souvent de la critique une pratique de l’admiration ». De sa rencontre avec Pablo Neruda, il tire la belle conclusion suivante : « ce diable d’homme m’a obligé à réfléchir ».

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Le décousu du texte

À travers ses confrères écrivains et leurs livres, Aragon s’étudie aussi lui-même. Cette introspection, avec lui, atteint une pleine expression. Conclusion intéressante sur cet aspect des choses par le préfacier Olivier Barbarant : « La réflexion d’un écrivain sur les livres qu’il a lus, sur ceux qu’il écrit ou qu’il va écrire, fait donc pleinement partie d’une œuvre qu’elle peut aider à mieux comprendre. » Aragon cherche à intégrer toutes les écritures, pour nourrir la sienne. Le même Olivier Barbarant souligne joliment, à propos des Incipit « l’essai butine, et fait son miel de toute lecture, dans une composition délibérément désultoire  [c’est-à-dire « décousue »], qui vient étayer l’apparent paradoxe de sa thèse, affichée dès le titre ». Un décousu du texte qui n’est pas incohérent, mais plutôt indicateur de modernité, et qu’on retrouvera dans Henri Matisse, roman (1971). C’est dire au fond la richesse de tous ces textes, au fil des 2000 pages de cette excellente Pléiade, qui possède, cerise sur le gâteau, un index final très utile. Ainsi, j’ai pu repérer, dans J’abats mon jeu, la page où Aragon donne son avis sur l’ouvrage de Bernard Frank consacré à Drieu la Rochelle, La Panoplie littéraire (1958)Aragon, on le sait, fut l’ami de Drieu. Or, Aragon écrit, quasi désolé : « On est en train de bâtir une légende Drieu… » Il précise :« C’est que décidément Aurélien n’est pas Drieu. » Il ajoute : « Un vrai personnage de roman ne peut se permettre ce schématisme de pensée qu’on ne songe pas à reprocher à l’homme de chair et de sang. »

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La question politique mise de côté

On lit probablement plus aujourd’hui les romans d’Aragon que ses essais. Le lecteur peut craindre souvent de tomber sur de la propagande politique. Les choix de ce volume ont gommé ce risque : on y parle seulement de littérature. L’éditeur avertit : « l’œuvre journalistique et militante constitue un tout autre chantier ». Il est nécessaire de le préciser, avec Aragon, car son engagement communiste pur et dur a toujours posé problème, même s’il en a manifesté certains regrets, à vrai dire trop timidement.

Dans cette Pléiade, cependant, il y a une intéressante chronologie, où l’on apprend par exemple que le 16 février 1966, « Aragon proteste dans L’Humanité contre la condamnation à Moscou […] des écrivains Siniavski et Daniel. » À la phrase suivante, nous trouvons ceci : « Le 28 février paraît L’Élégie à Pablo Neruda », dont une phrase est citée : « Pablo mon ami qu’avons-nous permis. » C’est déjà un aveu poignant, qui fait penser à la phrase de La Valse aux adieux (court et superbe texte qui figure dans le volume V de la Pléiade) : « de cette vie gâchée qui fut la mienne, je garde pourtant un sujet d’orgueil : j’ai appris quand j’ai mal à ne pas crier ». À l’époque, cette phrase sur la « vie gâchée » avait beaucoup choqué les admirateurs.

Alors, Aragon serait-il, malgré tout, récupérable ? J’ai toujours pensé que oui, grâce à ses œuvres littéraires, et à son amour profond et sincère de la littérature. Cette Pléiade vient confirmer cette impression, presque une certitude. Pour vous faire une idée, n’hésitez pas à plonger, si ce n’est déjà fait, dans cette Pléiade, comme dans un océan tout entier voué à la plus belle littérature. C’est là où Aragon a excellé.


Louis Aragon, Essais littéraires. Édition publiée sous la direction d’Olivier Barbarant. Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade ». 2011 pages.

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Mal du pays

Le gouvernement français lance une campagne contre l’excision.


« Les vacances c’est fait pour s’amuser, pas pour être mutilée. » « L’excision ne doit pas faire partie du voyage. » Voilà les slogans figurant sur l’affiche du ministère de l’égalité Hommes/Femmes. Un dessin nous montre une petite fille au regard effrayé, les mains sur son ventre traversé par une balafre rouge. « Grâce à de nombreux parents, cette pratique dangereuse et traumatisante recule ».

Dans le kit de communication fourni par le ministère[1], une vidéo présente une mère racontant qu’elle a été excisée lors d’une grande fête au pays alors qu’elle était jeune fille, et qu’elle et son mari ont refusé que leur fille subisse la même chose. 

Le problème est tout à fait réel : chaque année, des fillettes partent en vacances au village ou au bled où leurs familles les font exciser. Le premier département touché par le phénomène est la Seine-Saint-Denis. L’excision consiste en l’ablation d’une partie du clitoris, c’est un acte de torture qui empêche tout plaisir sexuel – c’est le but. C’est l’acte le plus dur et le plus barbare de contrôle du corps des femmes. Sa pratique est massive à Djibouti, en Égypte, en Somalie et au Soudan. Dans certains de ces pays, cela concernerait jusqu’à près de 80% des femmes. Ce fléau touche surtout des musulmans mais pas que. Les minorités chrétiennes peuvent le pratiquer également. Et ce n’est pas une priorité dans l’agenda islamiste (les islamistes ont déjà beaucoup d’autres turpitudes à leur agenda…) C’est donc plutôt une culture traditionnelle de contrôle du corps des femmes. C’est un fléau condamné par l’OMS et les religions officielles. 

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Que penser de cette campagne ? Son efficacité est probablement nulle, car je ne suis pas sûre qu’elle s’adresse aux personnes qu’elle devrait toucher. Le problème, ce n’est pas vraiment les parents contraints d’exciser leurs filles par leur famille au pays quand ils s’y rendent en vacances, mais ceux qui le font volontairement. Ces derniers, on ne les convaincra pas avec des dessins neu-neu mais avec des peines sévères et la déchéance de leurs droits parentaux.

Sur X, les critiques sont acerbes. Les uns parce qu’on parle des conséquences et pas des causes (immigration incontrôlée et inintégrée), les autres parce que leurs impôts payent une campagne sur une pratique qui n’est pas française, d’autres encore parce que la petite fille de l’affiche est trop pâle. En réalité, les communicants ont contourné l’obstacle de la couleur de peau avec des dessins en couleurs (bonhommes violets, jaunes, blancs…) mais les cheveux de la petite sont crépus. Ce n’est pas une blonde à couettes. Il y a quelques années, un film de Julie Gayet contre  le mariage forcé montrait des bourgeois de Molière donnant leur fille à un barbon. Comme si les mariages forcés sévissaient à Neuilly. Là, le gouvernement ne nous fait pas le coup, on désigne le problème plus clairement puisqu’on nous parle bien de voyages à l’étranger.

DR.

L’ennui, c’est que cette campagne est en totale contradiction avec l’antiracisme imbécile et dominant qui ne voit les différences que pour les exalter. D’un côté, on chante le vivre-ensemble, on psalmodie que l’immigration est une chance et la diversité une richesse, on adore toutes les identités pourvu qu’elles viennent d’ailleurs et de l’autre, on découvre que certaines pratiques culturelles sont contraires à nos mœurs. Certes, on pourrait toujours faire mieux. Mais après tout, ouvrir un œil c’est mieux que de garder les deux grands fermés. 


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] Lutte contre les mutilations sexuelles : nouvelle campagne de sensibilisation « Les vacances, c’est fait pour s’amuser, pas pour être mutilée. »

Dolly Parton, toujours la reine de la country

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Dolly Parton, reine de la country et du bon sens, a dit « non merci » à une statue à Nashville, préférant laisser les piédestaux aux autres tant que le monde tournera de travers… Avec son humour légendaire, elle semble demander à ses admirateurs et aux politiques américains d’attendre encore un peu – au moins le temps qu’elle soit passée de la scène à l’éternité!


La Dolly à laquelle je consacre ce billet n’est pas celle de la célèbre comédie musicale1 mais Dolly Parton, la reine incontestée du country, une idole américaine adulée par tout le pays. Âgée de 79 ans, son parcours, ses succès, son immense réussite, sa personnalité à la fois talentueuse, rassembleuse et singulière, l’ont rendue consensuelle. Comme un mythe auquel chacun adhère. Pourtant ce qu’on aurait pu craindre ne s’est pas produit. Elle a échappé au vertige de la gloire, à la folie des grandeurs.

Une authentique modeste

Si j’ai eu envie d’écrire ce post, ce n’est pas seulement pour la vanter comme elle le mériterait. Mais parce qu’elle a eu récemment une attitude et tenu des propos qui, dépassant son cas personnel, font réfléchir et pourraient constituer un exemple pour ces femmes ou ces hommes projetés dans une lumière éclatante, qui en deviennent grisés et en perdent tout sens commun.

Quand on est couvert d’encens et que l’hyperbole vous est médiatiquement ou politiquement adressée, chaque jour, il est extrêmement difficile de résister à la vanité. Il y a certes plusieurs manières de sembler ne pas y succomber, notamment avec la fausse modestie, mais on s’y trompe peu. Le vrai vaniteux est démasqué ; tandis que l’authentique modeste est perçu comme tel.

Républicains et Démocrates de l’État du Tennessee s’étaient accordés sur une proposition de loi pour faire ériger une statue de Dolly Parton sur un piédestal à Nashville. Elle a refusé cet honneur tout en remerciant pour cet hommage qu’on désirait lui rendre. Elle a déclaré que « compte tenu de tout ce qui se passe dans le monde, je ne pense pas qu’il soit convenable de me poser sur un piédestal en ce moment2 ».

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Ce n’est tout de se dérober à une initiative destinée à manifester l’affection publique qu’on vous porte, encore faut-il le faire avec cette simplicité et cette grâce tranquille, avec ce bon sens qui, conscients de l’état du monde et de l’Amérique, savent hiérarchiser ce qui est essentiel aujourd’hui, et ce qui ne le serait pas.

Cette délicatesse dans le refus n’est pas pour elle un acte extraordinaire puisqu’elle a déjà, à deux reprises, décliné la médaille de la Liberté, la plus haute distinction américaine, que Donald Trump désirait lui remettre. Parce qu’apolitique et qu’elle s’y tient.

Hello, Dolly…

Dolly Parton se veut la représentante du peuple américain, des gens simples et modestes, et elle demeure fidèle, par une éthique chevillée au cœur, à sa volonté d’être des leurs. Sans ostentation ni idéologie. Cela ne l’empêche pas de faire preuve d’une immense générosité pour des œuvres caritatives et en aidant des programmes de recherche, notamment pour le coronavirus.

J’avoue mon admiration, au-delà de la chanteuse dont je connaissais certains tubes, à l’égard de cette femme dont la modestie et la classe représentent tout ce que j’aime. Et qui devrait être un modèle pour beaucoup de nos « people », artistes et politiques. Hello, Dolly…

  1. https://www.lefigaro.fr/musique/la-chanteuse-dolly-parton-refuse-qu-une-statue-lui-soit-dediee-a-nashville-20210219 ↩︎

Itinéraire d’un érotomane

Si vous n’aimez pas l’univers psychédélique du chanteur Nick Cave, ne lisez pas son roman Mort de Bunny Munro, réédité à la Table Ronde.


Son histoire est parfaite pour une lecture d’été, loin du brouhaha du monde aussi déjanté que celui de Nick Cave. Aussi déjanté mais plus coloré, avec des nuits narcotiques peuplées de femmes à la sensualité affolante ; plus troublant car la mort peut être recouverte du manteau de la poésie même si le mourant expire dans les bras de son fils, le corps écrabouillé dans une Punto, en prononçant cette ultime phrase digne d’une morale de La Fontaine : « C’est juste que j’ai trouvé ça dur d’être bon, en ce monde. »

Suicide en nuisette

Nick Cave a du talent. Il est chanteur, sa silhouette mince et noire, sa voix rauque envoûtent. Il oscille entre Artaud et Marilyn Manson, le grand écart métaphysique improbable. Il déchire l’âme, comme un motel abandonné sur le bord de la route 66, le cœur désaffecté, la tête pleine de fantasmes. Il sculpte aussi de la céramique et compose des musiques de film. Il tient la mort en respect de cette manière, en créant. Mais elle le hante comme le prouve le titre du roman, avec cette fin hallucinée, précédée d’une scène shakespearienne où toutes les femmes séduites par Munro sont rassemblées devant lui.

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Ça commence par le suicide de son épouse, Libby, en nuisette orange, complètement détruite par les frasques sexuelles de son mari, vendeur de cosmétiques. Nous sommes dans le Sud de l’Angleterre, du côté de Brighton. C’est qu’il plait, Bunny Monro, surtout « au creux de la nuit, vers les quatre du matin ». « Ce n’est pas le tombeur standard musclé à la mâchoire carrée, ni l’homme à femmes avec la ceinture du smoking, écrit Nick Cave, mais il dégage quelque chose, même avec la trombine fracassée par l’alcool, il exerce un charme magnétique qui passe par les plis d’humanité qui se forment aux coins de ses yeux quand il sourit, l’arcade sourcilière qui se fronce avec malice et ses joues qui se creusent de fossettes à vous faire péter l’hymen lorsqu’il rit. » Le contraire de l’homme déconstruit.

Descente aux enfers

Bunny Monro se décide à prendre la route, il se tire, pas dans une Cadillac, mais une minuscule Fiat, avec son fils de neuf ans, Bunny Junior. Ça prend une tournure de descente aux enfers, avec mélancolie noire en bandoulière, on comprend que c’est sans retour possible. C’est de l’ordre de la tragédie, avec les revenants tintinnabulants qui collent au train. Son fils tente de trouver un sens à tout ce désordre. Alors il consulte son encyclopédie qui ne le quitte pas. « Words, words, words. » Le père de Bunny Munro est atteint d’un cancer. Lui aussi, il va mourir. Le style de Nick Cave est précis, surtout quand il s’agit de décrire l’abjecte réalité de Bunny Munro Premier : « Une pauvre poignée de cheveux ternes dégouline comme de la sauce de poulet à l’arrière de son crâne d’œuf. Il dégage une puanteur oppressante d’urine rance et de pommade médicale. » Bunny, c’est l’anti-héros, qui a droit pourtant à son rachat. Il passe par la reconnaissance de l’amour qu’il finit par porter à son fils. Il y a toujours quelque chose à sauver en l’homme, même quand il se nomme Bunny Munro et qu’il ressemble à un personnage d’Hubert Selby Jr.

Nick Cave, Mort de Bunny Munro, Édition de la Table Ronde 352 pages.

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«La Chute de la maison Sciences-Po», de Caroline Beyer: la fabrique des élites auto-proclamées

Peut-être votre rejeton envisage-t-il, dans un proche avenir, d’entrer à Sciences-Po, la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume. Autant savoir ce qui l’attend : trente ans de dérives politiques et financières, des extrémistes pro-palestiniens, et des frais exorbitants pour une école largement subventionnée par l’État et par des fonds privés. Le nouveau directeur de ce bateau ivre, Luis Vassy, a du pain sur la planche, explique Caroline Beyer, journaliste-Éducation du Figaro.


A priori, Sciences-Po est une nursery de présidents de la République, de ministres premiers ou secondaires et de hauts fonctionnaires qui dans le secret de l’Inspection des Finances concoctent le destin de la France. Jolie carte de visite.

Mais c’est aussi, explique Caroline Beyer, une pépinière d’islamo-gauchistes et d’extrémistes de tout poil. Il faut bien que jeunesse passe.
C’est enfin la matrice préférée de la Caste qui dirige le pays depuis quelques décennies et se soucie avant tout, en fait d’éducation, du nid douillet où ses enfants grandiront en attendant de remplacer leurs parents, quelles que soient leurs compétences réelles.

Richard Descoings

À toute institution il faut un héros fondateur. Richard Descoings joue ce rôle. Lui-même issu de l’IEP de Paris, énarque comme il se doit (la hiérarchie implicite trace une frontière nette entre les ex-élèves qui ont accédé à l’ENA et les autres — mettons entre un Boris Vallaud et une Najat Belkacem), titulaire de plusieurs postes dans divers gouvernements, membre du club Le Siècle, rouage essentiel de la Caste, où il est parrainé par Olivier Duhamel, enseignant à Sciences-Po et violeur de son beau-fils, il est nommé à la tête de l’institution de la rue Saint-Guillaume en 1996.

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Il nomme tout aussitôt Duhamel conseiller spécial, et décide de créer un « Harvard à la française ». Il étend le domaine immobilier de l’École, crée de nouveaux masters — en particulier de journalisme, afin que les maîtres futurs de l’Information sortent du même giron que les parrains à venir de la France —, et, homme de gauche (nous verrons ce que signifie dans le réel une telle étiquette), lance en 2001 une initiative qui fit du bruit : il importe à Sciences-Po la discrimination positive inventée aux États-Unis en ouvrant l’École aux lycéens des Zones d’Éducation Prioritaire, et aux sociologues, ces discoureurs de l’inutile dont la surface d’occupation est inversement proportionnelle à leur talent réel. C’est ainsi que Finkielkraut, qui y enseignait, fut rapidement mis à distance — et de surcroît, il était juif, ce qui indisposait la meute islamo-gauchiste qui aujourd’hui agite là-bas le drapeau du Hamas.

Toute générosité ayant son revers, Descoings augmente les frais de scolarité, et, tout en ouvrant l’École à l’international — son obsession majeure —, fait sur-payer les étrangers tentés par son management flamboyant. Sciences-Po gère désormais plus de 15 000 élèves, avec des droits d’entrée annuels qui dépassent les 15 000 € pour certains. Bien davantage qu’une grande école à la française, un peu moins qu’une université américaine.

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Le bon roi Richard ne s’oublie pas au passage, ainsi fonctionnent les belles âmes de gauche, et s’octroie un salaire de 25 000 € par mois — plus divers avantages et superbonus, pour lui et tout le directoire de l’École — dont son épouse fait partie.

Aucune difficulté pour s’offrir les rails de coke, les poppers et les alcools fins qui usent son organisme prématurément : il meurt d’une crise cardiaque dans un hôtel de Manhattan où il venait de s’offrir deux escort boys.

Une fin épique, comme on le voit. Particularité héroïque, il possède deux tombes, à Pernes-les-Fontaines (Vaucluse) et au Père-Lachaise. Il est aussi envahissant mort que vivant.

Une école élitiste ?

Sciences-Po, fleuron de l’élitisme républicain ? Pas exactement. En 2011, la composition sociale de l’École est proche de celle des classes prépas, haut lieu de l’entre-soi. La bourgeoisie de banlieue a repéré les lycées partenaires de l’opération Descoings, et a inséré ses enfants dans le dispositif — avec le même taux de boursiers. Vous ne pensiez tout de même pas qu’on ouvrirait l’École aux racailles ? Pierre Mathiot, ex-boursier entré à ce titre (mais par concours lui aussi) et ex-directeur de l’IEP de Lille, note : « Nous étions regardés comme des Mohicans par nos camarades bourgeois ! » J’ai fait un débat avec Descoings vers 2006, il m’avait confié, en vrai gauchiste qu’il était, que le dispositif CEP (Conventions d’Éducation Prioritaire) permettrait au moins aux futurs dirigeants d’observer de près le comportement de leurs coreligionnaires moins nantis. Un peu de lutte des classes, mais pas trop. Additionnés aux étudiants étrangers, ces vrais-faux héritiers offrent aux futurs dirigeants internationalisés un zoo fascinant pour apprendre à connaître leurs futures cibles.

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C’est tout cela, et bien davantage, que raconte par le menu Caroline Beyer, dans un style enlevé et entraînant. Elle conclut cependant sur une note optimiste : Luis Vassy, le nouveau directeur (la saga des nominations à la tête de l’institut est en soi une épopée dérisoire, pimentée d’épisodes cocasses ou pervers), a fort à faire. Mais ses premières décisions vont dans le bon sens, par exemple le rétablissement du concours d’entrée, supprimé sous prétexte de non-sélection, en fait porte ouverte à la cooptation oligarchique.

Quant à l’activisme pro-palestinien de l’établissement, gageons qu’il ne résistera pas aux grandes vacances, comme en 1968 les clans trotskystes ou maoïstes avaient fondu après la pause de juillet-août : il y a des valeurs plus importantes que la défense des terroristes et autres damnés de la terre, et la ruée vers les résidences secondaires du Luberon, de Deauville ou de l’île de Ré l’emportera toujours sur le soutien à la croisière où est allée s’amuser Rima Hassan.

Caroline Beyer, La Chute de la maison Sciences-Po, Cerf, juin 2025, 258 pages.

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Titanic sur Seine

Hier soir, alors qu’un orage s’abattait sur Paris, transformant les rues en torrents impétueux, des policiers ont surpris les passants en diffusant à plein volume une célèbre chanson de Céline Dion depuis leur voiture qui fendait les flots comme un navire en détresse. Pendant ce temps, à l’Assemblée nationale partiellement inondée, l’inquiétude montait… Mais heureusement, aucun député n’a été retrouvé noyé.


L’image est tout de même plaisante.

Des rues de Paris inondées. Un véhicule de Police (malheureusement non amphibie) se faufilant vaille que vaille en diffusant à fond la musique du film Titanic.

Cette patrouille malicieuse est-elle allée jusqu’à jouer de la même ironie aux abords de l’Assemblée nationale où Monsieur le Premier ministre, qu’on découvre tout soudain en capacité d’établir un constat de situation crédible, venait d’avoir la pertinence exceptionnelle de faire remarquer au président de séance qu’il pleuvait au sein même de l’hémicycle ? Les palmes et le tuba ne faisant pas partie de la mallette distribuée en début de mandature à tout parlementaire, on n’eut pas d’autre solution que l’évacuation.

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Il faut dire que le Premier ministre et son homme des finances ne pouvaient être d’aucune utilité. Ils ne disposent en effet pour eux deux et l’ensemble de leurs services que d’une seule petite cuillère. Or celle-ci est ces temps-ci exclusivement réservée à l’opération d’écopage de la dette.

De ce côté-là aussi, l’eau monde à vitesse grand V. La noyade ne serait pas loin, se murmure-t-il. Je ne vais pas feindre avoir la capacité de m’y retrouver dans la montagne de milliards dont il s’agit – cela me dépasse de beaucoup, je le confesse – mais à ce que j’entends dire autour de moi : « Ça craint. » Et la musique du Titanic doit probablement tourner en boucle dans les oreilles et les tympans des autorités dites compétentes. Il aurait donc été malvenu que les policiers espiègles aillent en rajouter en traînant dans les parages.

À propos de noyade, à ma connaissance on n’en eut à déplorer aucune dans l’hémicycle ou dans l’enceinte du Palais Bourbon. On s’en réjouit. L’éducation que j’ai reçue me fait interdiction, il est vrai, de me réjouir du trépas de quiconque, et encore plus de souhaiter la mort d’un être humain, fût-il mon pire ennemi.

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À voir. Car, en l’occurrence, il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que je jette sans façon ma fine éducation par-dessus les moulins, comme on dit. Non pas en m’autorisant à souhaiter le décès de quelqu’un, mais plus sobrement en déclarant que je n’aurais pas été plus chagrin que cela si la crue parlementaire avait – malencontreusement, bien sûr -, condamné à un silence de très, très longue durée un certain député. Ce député de rencontre – membre du groupe écologiste – qui, au sein même de l’Assemblée des représentants de la nation – et donc représentants de nous autres, peuple de France – a poussé l’ignominie, la haine, la bassesse,  la bêtise, l’infamie jusqu’à attaquer un collègue – Éric Ciotti, pour ne pas le nommer -, faisant de l’invalidité de la maman de ce dernier  – tétraplégique depuis des années – un prétendu argument de débat. Pour ma part, j’attends les sanctions, celles de l’Assemblée et celles du groupe écologiste. Voire plus si affinités…

Avouons-le, en quelques décennies d’observation de la vie politique du pays, je n’avais jamais assisté à une telle monstruosité. Ni non plus éprouvé une telle honte à l’idée qu’il se soit trouvé de mes concitoyens pour voter en faveur d’un type aussi immonde.

Le Titanic et sa musique, revenons-y.

Les policiers rigolards ne pouvaient pas mieux trouver. C’est probablement ce qui exprime avec le plus de rigueur et de précision l’état du pays en ce moment.

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Gaza après 600 jours: guerre ou génocide? Laissons les chiffres parler

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À Gaza, des Palestiniens déplacent un corps dans le quartier de Sheikh Radwan pour le ramener à l'hôpital Al-Shifa pour les procédures funéraires, Gaza, le 20 juin 2025 © Omar Ashtawy apaimages/SIPA

Alors que le conflit à Gaza dure depuis plus d’un an et demi, l’accusation de « génocide » à l’encontre d’Israël gagne du terrain dans le débat public. Pourtant, ce terme lourd de sens en droit international ne saurait être employé à la légère. À travers une analyse fondée sur les données disponibles (pertes humaines, répartition des victimes, dynamique démographique) nos contributeurs examinent si les faits observables soutiennent ou contredisent l’existence d’une intention génocidaire.


Alors que la guerre à Gaza entre dans son 20e mois, le débat autour de sa qualification prend une tournure de plus en plus radicale. Le mot « génocide » est aujourd’hui employé par certains acteurs politiques, médiatiques et associatifs pour désigner l’action militaire israélienne. Mais ce terme, le plus grave du droit pénal international, suppose des critères stricts, à commencer par la démonstration d’une intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe humain ciblé comme tel. Or, cette intention ne peut être présumée ni décrétée : elle doit être établie par les faits.

À l’heure où le droit et l’émotion se confondent trop souvent dans les prises de position, nous proposons une lecture fondée exclusivement sur les chiffres disponibles, en adoptant une méthode d’analyse rationnelle : Que disent réellement les données sur les pertes humaines ? La population gazaouie est-elle visée en tant que telle ? Comment situer ce conflit par rapport aux génocides reconnus du XXe siècle ?

Notre objectif n’est pas de minimiser la souffrance civile, mais d’examiner, avec rigueur, si les accusations de génocide résistent à l’épreuve des faits.

Si l’ONG Amnesty accuse Israël de génocide à Gaza, les instances juridiques internationales, Cour pénale internationale (CPI), Cour internationale de justice (CIJ), n’ont, à ce jour, pas retenu cette qualification. Des études indépendantes, telle celle de la Henry Jackson Society (think tank britannique fondé en 2005, basé à Londres), ont mis en évidence des manipulations du Hamas, tandis que le président Macron en appelle au jugement de l’histoire.

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Dans ce débat passionné, nous sommes confrontés à l’absence d’indicateurs objectifs. Cet article, fondé sur des données chiffrées, propose d’évaluer la prétendue « intention de génocide », condition sine qua non pour qualifier ce crime selon le droit international.

La notion de génocide suppose une intention démontrable de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. En l’absence de cette intention spécifique, le crime n’est pas constitué. Les statistiques sur vingt mois de conflit s’avèrent plus éclairantes que des événements isolés rapportés par les médias.

Notre analyse repose sur les données cumulées des 600 jours écoulés, considérées ici comme des indicateurs mathématiques objectifs.

Bilan humain : distinguer combattants et civils

Examinons les pertes palestiniennes. En décembre 2024, Israël estimait à 20 000 le nombre de combattants éliminés, tandis que le Hamas évoquait un total de 45 000 morts. Une étude de la Henry Jackson Society, datée du même mois, évoquait 17 000 combattants parmi 39 000 tués. Ces deux sources concordent sur un fait essentiel : environ 44 % des morts sont des combattants.

Le 23 mars 2025, le ministère de la Santé du Hamas publiait une répartition par âge et par sexe, révélant un net ciblage des hommes en âge de combattre. En mai 2025, après environ 600 jours de conflit, le Hamas annonçait un total de 54 000 tués, ce qui correspond à une estimation réelle située entre 48 000 et 54 000 morts.

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Pour notre analyse, nous retiendrons une estimation médiane de 51 000 morts : 23 000 combattants et 28 000 civils, sur une population de 2,3 millions d’habitants. Nous posons ici l’hypothèse la plus défavorable à notre démonstration, à savoir que la totalité de ces pertes est imputable aux opérations israéliennes – sans tenir compte de la part causée par les roquettes défectueuses du Hamas (25 %), les affrontements internes ou l’utilisation de boucliers humains.

Sur cette base, nous examinerons la prétendue intention génocidaire d’Israël à travers plusieurs indicateurs objectifs.

Nombre de morts par rapport à la capacité à tuer

La meilleure façon d’évaluer une intention génocidaire est d’observer l’écart entre la capacité de destruction et les pertes réelles. Un belligérant qui n’utilise qu’une fraction infime de sa capacité de destruction ne manifeste pas une intention d’extermination.

Les grands génocides du XXe siècle et les bombardements massifs de la Seconde Guerre mondiale ont causé entre 2 000 et 10 000 morts par jour. Les pogroms du Hamas, le 7 octobre 2023, ont causé 1 200 morts en six heures.

En comparaison, les opérations israéliennes à Gaza ont entraîné en moyenne 47 morts civils par jour, soit environ 100 fois moins que les événements susmentionnés, alors que Tsahal dispose d’une puissance de feu bien supérieure.

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Si Israël avait réellement l’intention d’exterminer la population de Gaza, ces 28 000 civils auraient pu être tués en quelques jours seulement. Le bilan élevé des pertes civiles s’explique par la durée d’une guerre urbaine intense, non par une volonté de viser la population.

Notons par ailleurs que les « machettes palestiniennes » du 7 octobre se sont révélées cent fois plus létales que les F-35 israéliens, ce qui souligne, à rebours, une intention génocidaire du Hamas et non d’Israël.

Absence de massacres indiscriminés

Un génocide implique des massacres indiscriminés frappant toutes les catégories de population. Une nette différenciation entre civils et combattants contredit cette logique.

Examinons les ratios :

  • Civils : 28 000 tués sur 2,3 millions = 1,2 %
  • Combattants : 23 000 tués sur 40 000 = 57 %

Être combattant à Gaza est donc 46 fois plus dangereux qu’être civil.

Le rapport du Hamas de mars 2025 le confirme : 72 % des tués sont des hommes en âge de combattre, avec 2,6 fois plus d’hommes que de femmes parmi les morts. Ces chiffres attestent clairement d’un ciblage des combattants, et non d’un massacre aveugle.

Un « génocide » où la population augmente

Les génocides du XXe siècle (arménien, juif, rwandais) ont anéanti entre 60 % et 75 % des populations visées. Les victimes n’avaient aucun levier d’action pour y mettre fin. À Gaza, après 600 jours de conflit, on déplore 2,2 % de morts (1 % de combattants, 1,2 % de civils).

Selon des déclarations de responsables du Hamas (Sami Abu Zuhri, Osama Abu Rabee), on recenserait entre 55 000 (2,4 %) et 86 000 (3,7 %) naissances durant la même période.

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La guerre à Gaza serait donc le seul « génocide » de l’histoire où la population visée… augmente. À titre de comparaison, la France affiche une croissance annuelle de 0,3 %.

Échouer à 98,8 % malgré 20 mois de guerre ?

Certains médias décrivent l’offensive israélienne comme visant l’ensemble de la population gazaouie, dans une zone densément peuplée, à l’aide de bombardements d’une intensité équivalente à plusieurs bombes atomiques, accompagnés d’une destruction des infrastructures, d’une famine organisée, d’épidémies et de déplacements forcés. Mais ce tableau apocalyptique se heurte à la réalité chiffrée :

  • Après 20 mois de guerre, Israël n’aurait atteint que 1,2 % de la population ?
  • Si les destructions matérielles sont massives (92 % des bâtiments touchés selon Amnesty), comment expliquer un bilan humain aussi limité, sinon par le fait que Tsahal tient compte des zones civiles et humanitaires ?
  • La bombe d’Hiroshima tua 140 000 des 350 000 habitants de la ville. Comment expliquer qu’un tonnage équivalent de bombes sur une population six fois plus nombreuse ait causé cinq fois moins de victimes civiles, si ce n’est par un ciblage délibérément éloigné des zones habitées ?

Ce décalage entre les accusations et les données du terrain invalide l’hypothèse d’une intention génocidaire.

Cette analyse chiffrée démontre que l’accusation de génocide portée contre Israël ne résiste pas à l’examen des faits. Les données révèlent une stratégie militaire visant les infrastructures et les combattants du Hamas, non la population palestinienne en tant que telle.

Il s’agit probablement de la guerre urbaine la plus complexe de l’histoire contemporaine, dans laquelle le Hamas utilise sa propre population comme levier de pression internationale, tandis qu’Israël tente, autant que possible, de limiter les pertes civiles.

L'indifférence et autres horreurs

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Apartheid: les plaies béantes d’une réconciliation inachevée

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L'archevêque Desmond Tutu serre la main de l'ancien président sud-africain F.W. de Klerk, Le Cap, 21 août 1996 © KUUS/SIPA

Plus de trente ans après la fin de l’apartheid, des familles de victimes continuent de porter plainte contre l’État sud-africain. Beaucoup dénoncent l’échec d’une justice promise mais jamais rendue, et remettent en cause l’héritage de la Commission vérité et réconciliation, accusée d’avoir scellé un pacte du silence au nom de la paix nationale.


Quarante ans après l’assassinat des Quatre de Cradock, figures de la lutte anti-apartheid, leurs familles attaquent l’État sud-africain. Une plainte qui ravive les plaies non refermées d’un pays où la promesse de justice, portée jadis par la Commission vérité et réconciliation, semble n’avoir été qu’un mirage.

C’est une ville modeste, située en plein cœur du Cap-Oriental, connue pour son commerce de plumes d’autruche.  Aujourd’hui rebaptisée Nxuba, anciennement Cradock, cette bourgade sud-africaine a été marquée par une violente affaire de meurtre dont les responsabilités n’ont jamais été clairement établies.

Dans la nuit du 27 juin 1985, quatre militants du Front démocratique uni (FDU) quittent tardivement leur réunion. En dépit des avertissements, ils décident de prendre la voiture afin de repartir chez eux. Quelques kilomètres plus tard, ils sont arrêtés à un barrage routier par la police qui avait repéré leur véhicule quelques heures auparavant. Ce qui se passe par la suite demeure un profond mystère.  Ce n’est que quelques jours plus tard que les restes des corps de Matthew Goniwe, Fort Calata, Sparrow Mkhonto et Sicelo Mhlauli seront retrouvés, brûlés, portant des traces de torture apparente.  

Une justice promise… jamais rendue

C’est un procès tardif, mais lourd de sens. Des décennies plus tard, leurs proches, aux côtés d’autres familles de victimes de l’apartheid, ont finalement décidé d’assigner l’État en justice pour « manquement constitutionnel », réclamant 9 millions de dollars de réparation.

La plainte, déposée devant la Haute Cour de Pretoria, vise nommément l’actuel président Cyril Ramaphosa, plusieurs ministres, la direction de la police nationale et l’Autorité nationale des poursuites. En ligne de mire : l’échec persistant de l’État sud-africain à juger les criminels de l’apartheid, en dépit des engagements solennels pris à la fin du régime raciste en 1994.

À lire aussi, Frederic de Natal: Afrique du Sud: le meurtrier de l’ «imam gay» court toujours…

« Cela fait trente ans que nous attendons la vérité, et la vérité meurt avec ceux qui nous l’ont volée », souffle Thoko Goniwe, veuve de Matthew Goniwe. Ses mots résonnent comme une condamnation morale de l’African National Congress (ANC), le parti de Nelson Mandela, héros de la libération noire. Un mouvement de plus en plus contesté par ses électeurs qui accusent les leaders de l’ANC de compromission avec les anciens caciques du régime d’apartheid.

La CVR, ou la réconciliation inachevée

En 1996, deux ans après les premières élections multiraciales, le gouvernement sud-africain a mis en place la Commission vérité et réconciliation (CVR). Présidée par l’archevêque Desmond Tutu, haute autorité ecclésiastique, elle avait pour ambition de guérir les blessures du passé par un compromis inédit : l’amnistie était offerte aux bourreaux qui confessaient l’entière vérité de leurs crimes. L’espoir était immense, salué dans le monde entier comme un modèle de justice restaurative d’autant qu’elle concernait autant les responsables et affidés du régime de ségrégation raciale que les cadres de l’ANC.

Mais pour les familles des victimes, l’espérance a vite laissé place à la désillusion. Ainsi, la CVR n’a pas hésité à amnistier l’ancien président Thabo Mbeki comme 36 autres personnalités de premier plan de l’ANC. « La CVR a demandé aux meurtriers de parler, ils ont menti. Elle leur a refusé l’amnistie, et l’État n’a rien fait ensuite », résume même Maître Odette Geldenhuys, avocate du cabinet Webber Wentzel, qui représente les plaignants des Quatre de Cradock. Dans ce cas précis, six policiers avaient été identifiés. Aucun n’a été jugé. Tous sont désormais morts.

Lorsqu’elle cesse ses activités, la CVR affiche un bilan assez maigre : 21 000 témoignages de victimes recueillis, 7 112 demandes d’amnistie déposées, 849 amnisties accordées, 300 dossiers transmis au parquet national (NPA) et moins de 30 poursuites judiciaires menées à terme.

Le soupçon d’un pacte du silence

Au fil des ans, les révélations se sont accumulées, troublantes. En 2021, un ancien haut responsable de l’Autorité nationale des poursuites a témoigné qu’au moins 400 dossiers criminels transmis par la CVR avaient été « supprimés » sous la présidence de Thabo Mbeki (1999-2008). Les pressions politiques, dit-il, auraient freiné ou empêché des poursuites pour éviter de compromettre la fragile unité nationale et pour conserver à l’international une image d’un pays réconcilié avec son passé. Des accusations que le compagnon de lutte de Nelson Mandela réfute farouchement, mais qui persistent. « Comment expliquer que tant d’affaires aient été enterrées, sinon par calcul ? », interroge l’historienne Nomsa Dlamini, spécialiste de la transition sud-africaine. « L’ANC a préféré la paix à la justice. Mais une paix sans justice devient un mensonge », ajoute t-elle.

À lire aussi, du même auteur: Bienvenue aux visages pâles

Outre les Quatre de Cradock, la plainte regroupe également près de trente autres familles. On y retrouve des survivants de massacres oubliés, comme ceux de l’hôtel Highgate en 1993, ou la ministre actuelle du Logement, Thembi Nkadimeng, dont la sœur a été enlevée et torturée par les services de sécurité en 1983. Aucun responsable n’a jamais été jugé. Ce n’est que l’année dernière que certaines enquêtes ont timidement été rouvertes.

Le parti d’opposition EFF (Combattants pour la liberté économique), dirigé par Julius Malema n’a pas manqué de réagir : « L’ANC a protégé les bourreaux. Il est inacceptable qu’en 2025, nous n’ayons toujours pas de réponses sur les crimes de l’apartheid », a dénoncé son porte-parole dans un communiqué. Un parti qui a fait de l’anti-boer, un credo politique et qui ne manque pas d’exemples pour justifier ses diatribes anti-gouvernementales.  La libération conditionnelle, en 2015, de l’ancien colonel Eugene de Kock – surnommé « le boucher de Vlakplaas ou le Fléau de Dieu » – reste dans toutes les mémoires. L’ancien officier de la police secrète de 76 ans, réputé extrêmement brutal avec les opposants à l’apartheid n’a jamais renié son passé. Lâché par ses protecteurs, il s’est empressé de pointer du doigt la responsabilité du président Frederik de Klerk dans les violences raciales orchestrées durant les négociations de transition entre 1992 et 1994. Condamné à 212 ans de prison, il a été finalement libéré « dans l’intérêt de la réconciliation nationale ».

Une nation hantée par ses morts

Le procès qui se joue à Pretoria est donc plus qu’une affaire juridique : c’est un acte de mémoire, une revendication de justice intergénérationnelle. « Un cadavre ne peut être poursuivi. Mais l’État, lui, peut répondre de son silence », rappelle Me Geldenhuys. Les familles ne demandent pas seulement de l’argent. Elles réclament l’ouverture d’une commission d’enquête indépendante sur les sabotages judiciaires, ainsi que la création d’un fonds pour la mémoire, destiné à honorer les victimes, financer des recherches, organiser des commémorations, et enseigner la véritable histoire de la transition sud-africaine.

Car derrière la « nation arc-en-ciel » que le monde admirait, il y a peu encore, c’est la photo d’un pays fracturé qui ressurgit, où l’ombre des années de plomb plane encore sur la conscience collective. Là où l’on avait rêvé de réconciliation, ce sont les larmes, la colère, et la lutte pour la vérité qui reprennent le dessus, achevant de confirmer qu’elle n’aura été qu’un mirage créé de toutes pièces.

Podcast: Trump, maître de l’OTAN; le match France-Algérie; Villepin « humaniste »

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Chefs d'Etat durant le sommet de l'OTAN 2025 © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Au Moyen Orient, nous assistons au grand retour de l’action sur la scène internationale, à la place des pourparlers sans fin. Les Européens ont de quoi être furieux contre Donald Trump : il vient de mettre à nu à la fois leur impuissance et leur dépendance totale à l’égard des États-Unis. Certes, le mode de communication du président américain met mal à l’aise, et il est difficile de savoir où exactement se trouve la vérité: les capacités nucléaires de l’Iran ont-elles été « oblitérées » ou seulement endommagées ? En tout cas, le développement de la bombe iranienne a été retardé, et gagner du temps dans ce contexte reste précieux.

A relire, Gil Mihaely: Iran / Israël: à la recherche de l’imam casher

Aujourd’hui à l’Assemblée, Éric Ciotti a retiré son texte en faveur de l’abrogation des accords entre la France et l’Algérie, accords qui permettent aux Algériens d’obtenir facilement un titre de séjour en France (en 2023, presque 650.000 titres ont été ainsi délivrés). Le président de Union des droites pour la République a retiré son texte par prudence au moment où le sort de Boualem Sansal est en train d’être décidé par les autorités algériennes. Le chef de l’État ne sera pas mécontent, qui semble vouloir éviter que le cordon ombilical entre les deux pays soit coupé. Pourquoi la France reste-t-elle incapable de prendre une action décisive dans ce domaine comme dans tant d’autres?

Dominique de Villepin lance un nouveau parti politique. Pourquoi? Cherche-t-il à jouer le jeu de Jean-Luc Mélenchon avec qui il partage une forme d’antisémitisme? S’il appelle son parti – pas du tout pompeusement – La France humaniste, des internautes spirituels l’ont déjà rebaptisé La France oummaniste.

Awassir: la cinquième colonne d’Alger

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Soirée de lancement de l'association Awassir à la Grande Mosquée de Paris, 5 mars 2024 © Omar BOULKROUMA/Awassir

Awassir est une association parrainée par le président Tebboune et hébergée par la Grande Mosquée de Paris. Cette nouvelle version de la Fédération de France, alliée du FLN pendant la guerre d’indépendance, ne cache pas son objectif: transformer la diaspora en une force politique au service du régime d’Alger.


En général, les révélations liées aux manœuvres des ingérences étrangères s’accompagnent d’une multitude de détails croustillants et sulfureux dignes d’un roman policier. Ici, pas d’histoire de corruption, de témoignage de repenti, d’excavation de réseaux souterrains ou de fuite de document compromettant. Mais pendant que les services de l’État et les journalistes d’enquête pourchassent (parfois la main dans la main) les groupes qui travaillent la société française dans l’ombre pour le compte de gouvernements hostiles, il existe des organisations qui agissent en pleine lumière sans que leur progression fasse l’objet d’une quelconque prise de conscience. C’est le cas d’Awassir.

De son adresse, à ses parrains, à son projet politique pour la communauté algérienne de France, la nouvelle pièce maîtresse de la stratégie d’ingérence du régime algérien en France ne cherche rien à dissimuler. Comment expliquer que son action n’ait, jusqu’à présent, pas encore alerté les si bien informés locataires du Quai d’Orsay et de l’hôtel de Beauvau, en particulier dans un moment d’escalade des tensions entre la France et l’Algérie ? Mystère. Il est pourtant peu vraisemblable qu’ils n’en aient jamais entendu parler.

Bonnes fées

Sans être habilitées à recevoir les « notes blanches » qu’adressent les services de renseignement aux plus hauts responsables des administrations de l’État, les sources qui m’ont mis sur la piste d’Awassir sont elles-mêmes issues du ministère de l’Intérieur, du ministère des Affaires étrangères et de cercles d’affaires qui fréquentent régulièrement les réseaux diplomatiques : « Tu devrais t’intéresser à Awassir », « Tebboune veut se mettre les Algériens de France dans la poche, avec Awassir il cherche à ressusciter l’Amicale des Algériens », « Awassir, tu connais ? Une cinquième colonne, sans la clandestinité ! »

A lire aussi: Coupons le cordon! Pour l’indépendance de l’Algérie

Fondée en 1962 sur le modèle de la « Fédération de France » qui joua un rôle politique majeur dans l’Hexagone au profit du FLN pendant la guerre d’Algérie, l’« Amicale des Algériens » avait pour but de cultiver la fidélité des Algériens émigrés en France à l’égard de leur mère patrie. Noyée sous les divisions, elle a cessé d’exister quelques années avant la décennie noire des années 1990.

Awassir est sa nouvelle mouture, créée alors que le régime algérien redouble dans l’autoritarisme et que la communauté (franco-)algérienne de France représente un poids démographique et électoral significatif (2,6 millions d’individus selon la direction nationale du renseignement territorial, 6 millions selon le président Tebboune, qui inclut probablement dans ce chiffre les générations de Français issus de l’immigration algérienne).

Sise dans les locaux de la Grande Mosquée de Paris, Awassir est née sous les auspices de deux fées incontournables du « système » algérien : Chems-Eddine Mohamed Hafiz, actuel recteur de la Grande Mosquée, président du comité de soutien du président Abdelaziz Bouteflika en France en 2014, soutien inconditionnel du président Tebboune, il fut l’avocat qui traîna en justice Michel Houellebecq pour ses propos sur l’islam et Charlie Hebdo après la publication des caricatures de Mahomet en 2006.

La seconde fée est Abdelmadjid Tebboune himself. Ce double parrainage n’est ni une supposition, ni une interprétation, ni un secret. Le président d’Awassir, Antar Boudiaf, un binational enseignant en génie mécanique de proche banlieue parisienne, fervent zélateur du régime et de tous ses avatars, l’exprimait clairement le 11 août dernier, à l’occasion d’un passage sur AL24, la première chaîne d’information internationale algérienne, huit mois après la création d’Awassir : « Cette association était une volonté du recteur de la Grande Mosquée de Paris […], il faut rappeler, quand même, que c’est une initiative aussi du président Abdelmadjid Tebboune, qui nous a tendu la main, nous la communauté algérienne de l’étranger qui est une partie intégrante de la communauté nationale. Pour nous il était important de fédérer, de mobiliser cette communauté. »

A lire aussi, Gil Mihaely: Bombe iranienne: divergences entre militaires et renseignement aux États-Unis

Si le nom d’« Awassir » (le « pont ») et son objet administratif (« susciter, promouvoir, consolider, approfondir toute forme de rencontres et de coopérations […] dans tous les domaines touchant les sociétés civiles française et algérienne ») peuvent jeter le trouble sur la nature de l’association, les discours et les actions qu’elle porte publiquement suffisent à comprendre son véritable but : façonner la communauté algérienne de France dans le sens des intérêts d’Alger. Le « pont » ne va que dans un seul sens, celui de l’Algérie.

Tebboune, le « candidat libre »

Aidée par les ressources et les réseaux de la Grande Mosquée de Paris, Awassir « travaille » la diaspora algérienne de France sur trois axes. Elle cherche à cultiver le sentiment d’appartenance à l’Algérie en organisant des camps de vacances et des circuits de découverte du patrimoine algérien (pris en charge par le ministère algérien de la Jeunesse) à destination des jeunes et en structurant des réseaux professionnels. 

Derrière la façade binationale, Awassir ne développe pas seulement un creuset culturel communautaire, mais agit comme un véritable organe de propagande électorale à la solde d’Alger. À mi-chemin entre un parti politique et un département chargé des élections du ministère de l’Intérieur, Awassir incitait il y a un an les Algériens de « citoyenneté française » à s’inscrire sur les listes électorales aux élections européennes pour « peser » sur la politique hexagonale. Deux jours avant le scrutin, le président d’Awassir cosignait un appel[1] pour faire de cette élection un référendum contre le RN et les « excès » de Reconquête. En août dernier, l’association a battu campagne pour la réélection du président Tebboune (« le candidat libre ») organisant tous ses meetings en France, à Stains, Lyon, Marseille, Paris… avant d’être invitée à sa cérémonie d’investiture.

Passée entre les mailles du filet de la loi sur les ingérences étrangères adoptée l’été dernier, Awassir continue son travail politique au service du président Tebboune, à l’ombre du minaret de la mosquée de Paris. Les prochaines échéances électorales françaises auront lieu dans huit mois, puis viendra l’élection présidentielle. D’ici là, Awassir a le temps et les moyens d’atteindre son but : transformer la diaspora algérienne en une force politique au service du régime algérien.

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[1] https://www.la-croix.com/a-vif/face-a-la-montee-du-rn-et-ses-discours-de-division-un-appel-signe-par-80-personnalites-musulmanes-20240705

Une Pléiade pour entrer dans l’atelier d’Aragon

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Portrait de Louis Aragon (1897-1982) vers 1950 © Wikipedia Commons

Avec un nouveau volume de la Pléiade consacré à ses essais littéraires, Gallimard met en lumière une autre facette de Louis Aragon: celle d’un critique inspiré, passionné de style et de lecture, dont l’œuvre réflexive se mêle intimement à sa création romanesque.


La collection de la Pléiade chez Gallimard avait déjà offert au lecteur de beaux volumes, bien épais, consacrés à Louis Aragon, le poète et le romancier. J’en avais apprécié le tome V, consacré aux derniers romans, et où figurait par exemple Théâtre/Roman (1974), l’un des plus beaux livres de l’écrivain, selon moi.


Car Aragon le surdoué a traversé les avant-gardes et la modernité avec la plus grande aisance, et n’a jamais bifurqué de son projet littéraire d’origine sur le fil du rasoir, depuis l’aventure surréaliste avec André Breton. Le nouveau tome de la Pléiade, qui paraît cette année, est consacré aux « essais littéraires », et rassemble un choix hétéroclite d’ouvrages et de textes : précisément, douze livres, parmi lesquels maints chefs-d’œuvre, et vingt-deux articles ou préfaces. C’est l’essentiel du travail critique d’Aragon de 1922 à 1977, qui est ainsi mis à notre disposition.

La critique : un genre majeur

La critique chez Aragon est un genre majeur. Elle donne lieu à des livres à part entière, qui sont à mettre dans le même panier que ses romans. Les titres les plus fameux, même si on ne les a pas tous lus, nous sont presque familiers : J’abats mon jeu (1959), écrit en miroir de La Semaine sainte (1958), ou encore cette petite merveille archi-connue, au titre magnifique : Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit (1969), « un des sommets de la réflexion d’Aragon sur l’écriture romanesque », lit-on dans l’appareil critique de cette Pléiade. Ce dernier est à mettre en relation avec le Traité du style (1928), présent également dans ce volume, et qui est, comme le dit la notice, une « exploration par un écrivain de ce qui fait la singularité de son rapport au langage ». Et puis, il y a les textes consacrés aux auteurs qu’Aragon lisait et relisait, comme évidemment Lautréamont, « une référence majeure », Hugo aussi, « un autre modèle », et sans doute Rimbaud, mais « pour en dénoncer le mythe ». On trouve également un texte essentiel sur Stendhal, intitulé La Lumière de Stendhal (1954), écrivain « dont il apprécie la liberté d’allure, une désinvolture, plus souvent que chez Balzac ou Zola ». Aragon a la louange généreuse : il « fait très souvent de la critique une pratique de l’admiration ». De sa rencontre avec Pablo Neruda, il tire la belle conclusion suivante : « ce diable d’homme m’a obligé à réfléchir ».

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Le décousu du texte

À travers ses confrères écrivains et leurs livres, Aragon s’étudie aussi lui-même. Cette introspection, avec lui, atteint une pleine expression. Conclusion intéressante sur cet aspect des choses par le préfacier Olivier Barbarant : « La réflexion d’un écrivain sur les livres qu’il a lus, sur ceux qu’il écrit ou qu’il va écrire, fait donc pleinement partie d’une œuvre qu’elle peut aider à mieux comprendre. » Aragon cherche à intégrer toutes les écritures, pour nourrir la sienne. Le même Olivier Barbarant souligne joliment, à propos des Incipit « l’essai butine, et fait son miel de toute lecture, dans une composition délibérément désultoire  [c’est-à-dire « décousue »], qui vient étayer l’apparent paradoxe de sa thèse, affichée dès le titre ». Un décousu du texte qui n’est pas incohérent, mais plutôt indicateur de modernité, et qu’on retrouvera dans Henri Matisse, roman (1971). C’est dire au fond la richesse de tous ces textes, au fil des 2000 pages de cette excellente Pléiade, qui possède, cerise sur le gâteau, un index final très utile. Ainsi, j’ai pu repérer, dans J’abats mon jeu, la page où Aragon donne son avis sur l’ouvrage de Bernard Frank consacré à Drieu la Rochelle, La Panoplie littéraire (1958)Aragon, on le sait, fut l’ami de Drieu. Or, Aragon écrit, quasi désolé : « On est en train de bâtir une légende Drieu… » Il précise :« C’est que décidément Aurélien n’est pas Drieu. » Il ajoute : « Un vrai personnage de roman ne peut se permettre ce schématisme de pensée qu’on ne songe pas à reprocher à l’homme de chair et de sang. »

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La question politique mise de côté

On lit probablement plus aujourd’hui les romans d’Aragon que ses essais. Le lecteur peut craindre souvent de tomber sur de la propagande politique. Les choix de ce volume ont gommé ce risque : on y parle seulement de littérature. L’éditeur avertit : « l’œuvre journalistique et militante constitue un tout autre chantier ». Il est nécessaire de le préciser, avec Aragon, car son engagement communiste pur et dur a toujours posé problème, même s’il en a manifesté certains regrets, à vrai dire trop timidement.

Dans cette Pléiade, cependant, il y a une intéressante chronologie, où l’on apprend par exemple que le 16 février 1966, « Aragon proteste dans L’Humanité contre la condamnation à Moscou […] des écrivains Siniavski et Daniel. » À la phrase suivante, nous trouvons ceci : « Le 28 février paraît L’Élégie à Pablo Neruda », dont une phrase est citée : « Pablo mon ami qu’avons-nous permis. » C’est déjà un aveu poignant, qui fait penser à la phrase de La Valse aux adieux (court et superbe texte qui figure dans le volume V de la Pléiade) : « de cette vie gâchée qui fut la mienne, je garde pourtant un sujet d’orgueil : j’ai appris quand j’ai mal à ne pas crier ». À l’époque, cette phrase sur la « vie gâchée » avait beaucoup choqué les admirateurs.

Alors, Aragon serait-il, malgré tout, récupérable ? J’ai toujours pensé que oui, grâce à ses œuvres littéraires, et à son amour profond et sincère de la littérature. Cette Pléiade vient confirmer cette impression, presque une certitude. Pour vous faire une idée, n’hésitez pas à plonger, si ce n’est déjà fait, dans cette Pléiade, comme dans un océan tout entier voué à la plus belle littérature. C’est là où Aragon a excellé.


Louis Aragon, Essais littéraires. Édition publiée sous la direction d’Olivier Barbarant. Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade ». 2011 pages.

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Mal du pays

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Affiche gouvernementale de la nouvelle campagne de sensibilisation à la lutte contre les mutilations sexuelles © Ministère chargé de l'égalité entre les Femmes et les Hommes et de la lutte contre les discriminations

Le gouvernement français lance une campagne contre l’excision.


« Les vacances c’est fait pour s’amuser, pas pour être mutilée. » « L’excision ne doit pas faire partie du voyage. » Voilà les slogans figurant sur l’affiche du ministère de l’égalité Hommes/Femmes. Un dessin nous montre une petite fille au regard effrayé, les mains sur son ventre traversé par une balafre rouge. « Grâce à de nombreux parents, cette pratique dangereuse et traumatisante recule ».

Dans le kit de communication fourni par le ministère[1], une vidéo présente une mère racontant qu’elle a été excisée lors d’une grande fête au pays alors qu’elle était jeune fille, et qu’elle et son mari ont refusé que leur fille subisse la même chose. 

Le problème est tout à fait réel : chaque année, des fillettes partent en vacances au village ou au bled où leurs familles les font exciser. Le premier département touché par le phénomène est la Seine-Saint-Denis. L’excision consiste en l’ablation d’une partie du clitoris, c’est un acte de torture qui empêche tout plaisir sexuel – c’est le but. C’est l’acte le plus dur et le plus barbare de contrôle du corps des femmes. Sa pratique est massive à Djibouti, en Égypte, en Somalie et au Soudan. Dans certains de ces pays, cela concernerait jusqu’à près de 80% des femmes. Ce fléau touche surtout des musulmans mais pas que. Les minorités chrétiennes peuvent le pratiquer également. Et ce n’est pas une priorité dans l’agenda islamiste (les islamistes ont déjà beaucoup d’autres turpitudes à leur agenda…) C’est donc plutôt une culture traditionnelle de contrôle du corps des femmes. C’est un fléau condamné par l’OMS et les religions officielles. 

A lire aussi, Martin Pimentel : L’origine du « Monde »

Que penser de cette campagne ? Son efficacité est probablement nulle, car je ne suis pas sûre qu’elle s’adresse aux personnes qu’elle devrait toucher. Le problème, ce n’est pas vraiment les parents contraints d’exciser leurs filles par leur famille au pays quand ils s’y rendent en vacances, mais ceux qui le font volontairement. Ces derniers, on ne les convaincra pas avec des dessins neu-neu mais avec des peines sévères et la déchéance de leurs droits parentaux.

Sur X, les critiques sont acerbes. Les uns parce qu’on parle des conséquences et pas des causes (immigration incontrôlée et inintégrée), les autres parce que leurs impôts payent une campagne sur une pratique qui n’est pas française, d’autres encore parce que la petite fille de l’affiche est trop pâle. En réalité, les communicants ont contourné l’obstacle de la couleur de peau avec des dessins en couleurs (bonhommes violets, jaunes, blancs…) mais les cheveux de la petite sont crépus. Ce n’est pas une blonde à couettes. Il y a quelques années, un film de Julie Gayet contre  le mariage forcé montrait des bourgeois de Molière donnant leur fille à un barbon. Comme si les mariages forcés sévissaient à Neuilly. Là, le gouvernement ne nous fait pas le coup, on désigne le problème plus clairement puisqu’on nous parle bien de voyages à l’étranger.

DR.

L’ennui, c’est que cette campagne est en totale contradiction avec l’antiracisme imbécile et dominant qui ne voit les différences que pour les exalter. D’un côté, on chante le vivre-ensemble, on psalmodie que l’immigration est une chance et la diversité une richesse, on adore toutes les identités pourvu qu’elles viennent d’ailleurs et de l’autre, on découvre que certaines pratiques culturelles sont contraires à nos mœurs. Certes, on pourrait toujours faire mieux. Mais après tout, ouvrir un œil c’est mieux que de garder les deux grands fermés. 


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] Lutte contre les mutilations sexuelles : nouvelle campagne de sensibilisation « Les vacances, c’est fait pour s’amuser, pas pour être mutilée. »

Dolly Parton, toujours la reine de la country

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Dolly Parton en concert à Nashville, le 20 mars 2025 © AFF-USA/Shutterstock/SIPA

Dolly Parton, reine de la country et du bon sens, a dit « non merci » à une statue à Nashville, préférant laisser les piédestaux aux autres tant que le monde tournera de travers… Avec son humour légendaire, elle semble demander à ses admirateurs et aux politiques américains d’attendre encore un peu – au moins le temps qu’elle soit passée de la scène à l’éternité!


La Dolly à laquelle je consacre ce billet n’est pas celle de la célèbre comédie musicale1 mais Dolly Parton, la reine incontestée du country, une idole américaine adulée par tout le pays. Âgée de 79 ans, son parcours, ses succès, son immense réussite, sa personnalité à la fois talentueuse, rassembleuse et singulière, l’ont rendue consensuelle. Comme un mythe auquel chacun adhère. Pourtant ce qu’on aurait pu craindre ne s’est pas produit. Elle a échappé au vertige de la gloire, à la folie des grandeurs.

Une authentique modeste

Si j’ai eu envie d’écrire ce post, ce n’est pas seulement pour la vanter comme elle le mériterait. Mais parce qu’elle a eu récemment une attitude et tenu des propos qui, dépassant son cas personnel, font réfléchir et pourraient constituer un exemple pour ces femmes ou ces hommes projetés dans une lumière éclatante, qui en deviennent grisés et en perdent tout sens commun.

Quand on est couvert d’encens et que l’hyperbole vous est médiatiquement ou politiquement adressée, chaque jour, il est extrêmement difficile de résister à la vanité. Il y a certes plusieurs manières de sembler ne pas y succomber, notamment avec la fausse modestie, mais on s’y trompe peu. Le vrai vaniteux est démasqué ; tandis que l’authentique modeste est perçu comme tel.

Républicains et Démocrates de l’État du Tennessee s’étaient accordés sur une proposition de loi pour faire ériger une statue de Dolly Parton sur un piédestal à Nashville. Elle a refusé cet honneur tout en remerciant pour cet hommage qu’on désirait lui rendre. Elle a déclaré que « compte tenu de tout ce qui se passe dans le monde, je ne pense pas qu’il soit convenable de me poser sur un piédestal en ce moment2 ».

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Ce n’est tout de se dérober à une initiative destinée à manifester l’affection publique qu’on vous porte, encore faut-il le faire avec cette simplicité et cette grâce tranquille, avec ce bon sens qui, conscients de l’état du monde et de l’Amérique, savent hiérarchiser ce qui est essentiel aujourd’hui, et ce qui ne le serait pas.

Cette délicatesse dans le refus n’est pas pour elle un acte extraordinaire puisqu’elle a déjà, à deux reprises, décliné la médaille de la Liberté, la plus haute distinction américaine, que Donald Trump désirait lui remettre. Parce qu’apolitique et qu’elle s’y tient.

Hello, Dolly…

Dolly Parton se veut la représentante du peuple américain, des gens simples et modestes, et elle demeure fidèle, par une éthique chevillée au cœur, à sa volonté d’être des leurs. Sans ostentation ni idéologie. Cela ne l’empêche pas de faire preuve d’une immense générosité pour des œuvres caritatives et en aidant des programmes de recherche, notamment pour le coronavirus.

J’avoue mon admiration, au-delà de la chanteuse dont je connaissais certains tubes, à l’égard de cette femme dont la modestie et la classe représentent tout ce que j’aime. Et qui devrait être un modèle pour beaucoup de nos « people », artistes et politiques. Hello, Dolly…

  1. https://www.lefigaro.fr/musique/la-chanteuse-dolly-parton-refuse-qu-une-statue-lui-soit-dediee-a-nashville-20210219 ↩︎

Itinéraire d’un érotomane

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Nick Cave sur scène lors de son concert à la Manchester Arena en 2017 © SH5/WENN.COM/SIPA

Si vous n’aimez pas l’univers psychédélique du chanteur Nick Cave, ne lisez pas son roman Mort de Bunny Munro, réédité à la Table Ronde.


Son histoire est parfaite pour une lecture d’été, loin du brouhaha du monde aussi déjanté que celui de Nick Cave. Aussi déjanté mais plus coloré, avec des nuits narcotiques peuplées de femmes à la sensualité affolante ; plus troublant car la mort peut être recouverte du manteau de la poésie même si le mourant expire dans les bras de son fils, le corps écrabouillé dans une Punto, en prononçant cette ultime phrase digne d’une morale de La Fontaine : « C’est juste que j’ai trouvé ça dur d’être bon, en ce monde. »

Suicide en nuisette

Nick Cave a du talent. Il est chanteur, sa silhouette mince et noire, sa voix rauque envoûtent. Il oscille entre Artaud et Marilyn Manson, le grand écart métaphysique improbable. Il déchire l’âme, comme un motel abandonné sur le bord de la route 66, le cœur désaffecté, la tête pleine de fantasmes. Il sculpte aussi de la céramique et compose des musiques de film. Il tient la mort en respect de cette manière, en créant. Mais elle le hante comme le prouve le titre du roman, avec cette fin hallucinée, précédée d’une scène shakespearienne où toutes les femmes séduites par Munro sont rassemblées devant lui.

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Ça commence par le suicide de son épouse, Libby, en nuisette orange, complètement détruite par les frasques sexuelles de son mari, vendeur de cosmétiques. Nous sommes dans le Sud de l’Angleterre, du côté de Brighton. C’est qu’il plait, Bunny Monro, surtout « au creux de la nuit, vers les quatre du matin ». « Ce n’est pas le tombeur standard musclé à la mâchoire carrée, ni l’homme à femmes avec la ceinture du smoking, écrit Nick Cave, mais il dégage quelque chose, même avec la trombine fracassée par l’alcool, il exerce un charme magnétique qui passe par les plis d’humanité qui se forment aux coins de ses yeux quand il sourit, l’arcade sourcilière qui se fronce avec malice et ses joues qui se creusent de fossettes à vous faire péter l’hymen lorsqu’il rit. » Le contraire de l’homme déconstruit.

Descente aux enfers

Bunny Monro se décide à prendre la route, il se tire, pas dans une Cadillac, mais une minuscule Fiat, avec son fils de neuf ans, Bunny Junior. Ça prend une tournure de descente aux enfers, avec mélancolie noire en bandoulière, on comprend que c’est sans retour possible. C’est de l’ordre de la tragédie, avec les revenants tintinnabulants qui collent au train. Son fils tente de trouver un sens à tout ce désordre. Alors il consulte son encyclopédie qui ne le quitte pas. « Words, words, words. » Le père de Bunny Munro est atteint d’un cancer. Lui aussi, il va mourir. Le style de Nick Cave est précis, surtout quand il s’agit de décrire l’abjecte réalité de Bunny Munro Premier : « Une pauvre poignée de cheveux ternes dégouline comme de la sauce de poulet à l’arrière de son crâne d’œuf. Il dégage une puanteur oppressante d’urine rance et de pommade médicale. » Bunny, c’est l’anti-héros, qui a droit pourtant à son rachat. Il passe par la reconnaissance de l’amour qu’il finit par porter à son fils. Il y a toujours quelque chose à sauver en l’homme, même quand il se nomme Bunny Munro et qu’il ressemble à un personnage d’Hubert Selby Jr.

Nick Cave, Mort de Bunny Munro, Édition de la Table Ronde 352 pages.

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«La Chute de la maison Sciences-Po», de Caroline Beyer: la fabrique des élites auto-proclamées

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Des drapeaux palestiniens et libanais sont déployés devant Sciences Po, 8 octobre 2024 © HOUPLINE-RENARD/SIPA

Peut-être votre rejeton envisage-t-il, dans un proche avenir, d’entrer à Sciences-Po, la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume. Autant savoir ce qui l’attend : trente ans de dérives politiques et financières, des extrémistes pro-palestiniens, et des frais exorbitants pour une école largement subventionnée par l’État et par des fonds privés. Le nouveau directeur de ce bateau ivre, Luis Vassy, a du pain sur la planche, explique Caroline Beyer, journaliste-Éducation du Figaro.


A priori, Sciences-Po est une nursery de présidents de la République, de ministres premiers ou secondaires et de hauts fonctionnaires qui dans le secret de l’Inspection des Finances concoctent le destin de la France. Jolie carte de visite.

Mais c’est aussi, explique Caroline Beyer, une pépinière d’islamo-gauchistes et d’extrémistes de tout poil. Il faut bien que jeunesse passe.
C’est enfin la matrice préférée de la Caste qui dirige le pays depuis quelques décennies et se soucie avant tout, en fait d’éducation, du nid douillet où ses enfants grandiront en attendant de remplacer leurs parents, quelles que soient leurs compétences réelles.

Richard Descoings

À toute institution il faut un héros fondateur. Richard Descoings joue ce rôle. Lui-même issu de l’IEP de Paris, énarque comme il se doit (la hiérarchie implicite trace une frontière nette entre les ex-élèves qui ont accédé à l’ENA et les autres — mettons entre un Boris Vallaud et une Najat Belkacem), titulaire de plusieurs postes dans divers gouvernements, membre du club Le Siècle, rouage essentiel de la Caste, où il est parrainé par Olivier Duhamel, enseignant à Sciences-Po et violeur de son beau-fils, il est nommé à la tête de l’institution de la rue Saint-Guillaume en 1996.

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Il nomme tout aussitôt Duhamel conseiller spécial, et décide de créer un « Harvard à la française ». Il étend le domaine immobilier de l’École, crée de nouveaux masters — en particulier de journalisme, afin que les maîtres futurs de l’Information sortent du même giron que les parrains à venir de la France —, et, homme de gauche (nous verrons ce que signifie dans le réel une telle étiquette), lance en 2001 une initiative qui fit du bruit : il importe à Sciences-Po la discrimination positive inventée aux États-Unis en ouvrant l’École aux lycéens des Zones d’Éducation Prioritaire, et aux sociologues, ces discoureurs de l’inutile dont la surface d’occupation est inversement proportionnelle à leur talent réel. C’est ainsi que Finkielkraut, qui y enseignait, fut rapidement mis à distance — et de surcroît, il était juif, ce qui indisposait la meute islamo-gauchiste qui aujourd’hui agite là-bas le drapeau du Hamas.

Toute générosité ayant son revers, Descoings augmente les frais de scolarité, et, tout en ouvrant l’École à l’international — son obsession majeure —, fait sur-payer les étrangers tentés par son management flamboyant. Sciences-Po gère désormais plus de 15 000 élèves, avec des droits d’entrée annuels qui dépassent les 15 000 € pour certains. Bien davantage qu’une grande école à la française, un peu moins qu’une université américaine.

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Le bon roi Richard ne s’oublie pas au passage, ainsi fonctionnent les belles âmes de gauche, et s’octroie un salaire de 25 000 € par mois — plus divers avantages et superbonus, pour lui et tout le directoire de l’École — dont son épouse fait partie.

Aucune difficulté pour s’offrir les rails de coke, les poppers et les alcools fins qui usent son organisme prématurément : il meurt d’une crise cardiaque dans un hôtel de Manhattan où il venait de s’offrir deux escort boys.

Une fin épique, comme on le voit. Particularité héroïque, il possède deux tombes, à Pernes-les-Fontaines (Vaucluse) et au Père-Lachaise. Il est aussi envahissant mort que vivant.

Une école élitiste ?

Sciences-Po, fleuron de l’élitisme républicain ? Pas exactement. En 2011, la composition sociale de l’École est proche de celle des classes prépas, haut lieu de l’entre-soi. La bourgeoisie de banlieue a repéré les lycées partenaires de l’opération Descoings, et a inséré ses enfants dans le dispositif — avec le même taux de boursiers. Vous ne pensiez tout de même pas qu’on ouvrirait l’École aux racailles ? Pierre Mathiot, ex-boursier entré à ce titre (mais par concours lui aussi) et ex-directeur de l’IEP de Lille, note : « Nous étions regardés comme des Mohicans par nos camarades bourgeois ! » J’ai fait un débat avec Descoings vers 2006, il m’avait confié, en vrai gauchiste qu’il était, que le dispositif CEP (Conventions d’Éducation Prioritaire) permettrait au moins aux futurs dirigeants d’observer de près le comportement de leurs coreligionnaires moins nantis. Un peu de lutte des classes, mais pas trop. Additionnés aux étudiants étrangers, ces vrais-faux héritiers offrent aux futurs dirigeants internationalisés un zoo fascinant pour apprendre à connaître leurs futures cibles.

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C’est tout cela, et bien davantage, que raconte par le menu Caroline Beyer, dans un style enlevé et entraînant. Elle conclut cependant sur une note optimiste : Luis Vassy, le nouveau directeur (la saga des nominations à la tête de l’institut est en soi une épopée dérisoire, pimentée d’épisodes cocasses ou pervers), a fort à faire. Mais ses premières décisions vont dans le bon sens, par exemple le rétablissement du concours d’entrée, supprimé sous prétexte de non-sélection, en fait porte ouverte à la cooptation oligarchique.

Quant à l’activisme pro-palestinien de l’établissement, gageons qu’il ne résistera pas aux grandes vacances, comme en 1968 les clans trotskystes ou maoïstes avaient fondu après la pause de juillet-août : il y a des valeurs plus importantes que la défense des terroristes et autres damnés de la terre, et la ruée vers les résidences secondaires du Luberon, de Deauville ou de l’île de Ré l’emportera toujours sur le soutien à la croisière où est allée s’amuser Rima Hassan.

Caroline Beyer, La Chute de la maison Sciences-Po, Cerf, juin 2025, 258 pages.

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Titanic sur Seine

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Paris, 25 juin 2025. DR.

Hier soir, alors qu’un orage s’abattait sur Paris, transformant les rues en torrents impétueux, des policiers ont surpris les passants en diffusant à plein volume une célèbre chanson de Céline Dion depuis leur voiture qui fendait les flots comme un navire en détresse. Pendant ce temps, à l’Assemblée nationale partiellement inondée, l’inquiétude montait… Mais heureusement, aucun député n’a été retrouvé noyé.


L’image est tout de même plaisante.

Des rues de Paris inondées. Un véhicule de Police (malheureusement non amphibie) se faufilant vaille que vaille en diffusant à fond la musique du film Titanic.

Cette patrouille malicieuse est-elle allée jusqu’à jouer de la même ironie aux abords de l’Assemblée nationale où Monsieur le Premier ministre, qu’on découvre tout soudain en capacité d’établir un constat de situation crédible, venait d’avoir la pertinence exceptionnelle de faire remarquer au président de séance qu’il pleuvait au sein même de l’hémicycle ? Les palmes et le tuba ne faisant pas partie de la mallette distribuée en début de mandature à tout parlementaire, on n’eut pas d’autre solution que l’évacuation.

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Il faut dire que le Premier ministre et son homme des finances ne pouvaient être d’aucune utilité. Ils ne disposent en effet pour eux deux et l’ensemble de leurs services que d’une seule petite cuillère. Or celle-ci est ces temps-ci exclusivement réservée à l’opération d’écopage de la dette.

De ce côté-là aussi, l’eau monde à vitesse grand V. La noyade ne serait pas loin, se murmure-t-il. Je ne vais pas feindre avoir la capacité de m’y retrouver dans la montagne de milliards dont il s’agit – cela me dépasse de beaucoup, je le confesse – mais à ce que j’entends dire autour de moi : « Ça craint. » Et la musique du Titanic doit probablement tourner en boucle dans les oreilles et les tympans des autorités dites compétentes. Il aurait donc été malvenu que les policiers espiègles aillent en rajouter en traînant dans les parages.

À propos de noyade, à ma connaissance on n’en eut à déplorer aucune dans l’hémicycle ou dans l’enceinte du Palais Bourbon. On s’en réjouit. L’éducation que j’ai reçue me fait interdiction, il est vrai, de me réjouir du trépas de quiconque, et encore plus de souhaiter la mort d’un être humain, fût-il mon pire ennemi.

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À voir. Car, en l’occurrence, il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que je jette sans façon ma fine éducation par-dessus les moulins, comme on dit. Non pas en m’autorisant à souhaiter le décès de quelqu’un, mais plus sobrement en déclarant que je n’aurais pas été plus chagrin que cela si la crue parlementaire avait – malencontreusement, bien sûr -, condamné à un silence de très, très longue durée un certain député. Ce député de rencontre – membre du groupe écologiste – qui, au sein même de l’Assemblée des représentants de la nation – et donc représentants de nous autres, peuple de France – a poussé l’ignominie, la haine, la bassesse,  la bêtise, l’infamie jusqu’à attaquer un collègue – Éric Ciotti, pour ne pas le nommer -, faisant de l’invalidité de la maman de ce dernier  – tétraplégique depuis des années – un prétendu argument de débat. Pour ma part, j’attends les sanctions, celles de l’Assemblée et celles du groupe écologiste. Voire plus si affinités…

Avouons-le, en quelques décennies d’observation de la vie politique du pays, je n’avais jamais assisté à une telle monstruosité. Ni non plus éprouvé une telle honte à l’idée qu’il se soit trouvé de mes concitoyens pour voter en faveur d’un type aussi immonde.

Le Titanic et sa musique, revenons-y.

Les policiers rigolards ne pouvaient pas mieux trouver. C’est probablement ce qui exprime avec le plus de rigueur et de précision l’état du pays en ce moment.

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