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La Lettre aux Français de Macron: comme une bouteille à la mer…

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Toute une France humiliée est actuellement portée par le vent de l’histoire, estime notre chroniqueur, qui prévoit qu’elle n’a pas fini de se faire entendre…


Bis repetita : la colère française, que j’annonçais sans grand risque de me tromper dans les européennes du 9 juin, mettra à nouveau les points sur les i, ce dimanche. Et encore le 7 juillet, pour le second tour des législatives. La raison en est simple : les Français excédés ont de la suite dans les idées. 

Le président et les « cloportes »

Les intimidations morales des médias ne fonctionnent plus. D’autant que la « gauche divine » des années 80 a muté en un Front de la honte mêlant des courants sectaires, violents, antisémites, anti-Français. Le parti présidentiel risque de laisser d’autres plumes, singulièrement face au bloc national RN-Ciotti. « Je ne suis pas aveugle », assure Emmanuel Macron dans une Lettre aux Français diffusée dimanche. En réalité, son narcissisme le détourne des réalités. Il se persuade encore de pouvoir susciter le « sursaut » autour de sa personne. Les historiens auront d’ailleurs à se pencher sur son cercle si médiocre (« des cloportes », a dit Bruno le Maire) qui, dit-on, l’a encouragé à dissoudre l’Assemblée dès l’échec du 9 juin pour son camp. 

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Le chef de l’Etat va, très probablement, perdre dimanche de n’avoir su admettre, depuis la révolte des gilets jaunes, que le pays fâché lui échappe et que la démocratie n’est pas la tyrannie des minorités mais l’expression du plus grand nombre. Cette déconnexion, souvent dénoncée ici, explique la crise politique que Macron a accélérée par dépit, à la veille de l’ouverture des Jeux Olympiques de Paris. Le pire qui pourrait advenir serait, en cas de large victoire de Jordan Bardella, de voir la gauche insurrectionnelle, soutenue par des sociaux-démocrates à la ramasse, contester la démocratie dans une guerre des rues.

Face à une hégémonie perdue, chacun joue sa petite musique

Le vent de l’histoire a quitté le camp du Bien. Il paie d’avoir trop longtemps méprisé les gens ordinaires au nom de ses utopies. Gérald Darmanin, ce lundi sur RTL, a rappelé sa sympathie pour « le bon peuple ». Mais, pour la macronie, il est trop tard pour s’amender auprès de lui. La dynamique porte la droite pragmatique et ses anciens parias. « Une vogue philosophique s’impose comme une vogue gastronomique : on ne réfute pas plus une idée qu’une sauce », remarquait Cioran. De fait, les alertes du système unanime sur le retour d’une « extrême droite » qui porterait la moustache d’Hitler sont pathétiques. Ces peurs agitées ne sont plus comprises, majoritairement, que comme un procédé de la gauche paniquée pour tenter de sauver un peu de son hégémonie perdue.

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Le doute s’est d’ailleurs installé dans les rangs des plus lucides des « progressistes ». Samedi, sur LCI, l’acteur-réalisateur de gauche Mathieu Kassovitz a dérogé à l’esprit moutonnier de son camp en déclarant que le RN avait « peut-être sa place en France » et que « c’est peut-être une expérience à essayer ». Le 15 juin, dans Libération, Ariane Mnouchkine, créatrice du Théâtre du Soleil, a notamment reconnu, au nom de la gauche culturelle : « On a lâché le peuple (…) Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient (…) Puis comme ils insistaient on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis (…) on les a traités de salauds. On a insulté un gros tiers de la France par manque d’imagination (…) »

C’est cette France humiliée, que la gauche persiste à traiter de fasciste alors qu’elle-même s’abîme dans l’intolérance, qui va encore faire parler d’elle dimanche. Ce n’est pas fini.

Journal d'un paria: Bloc-notes 2020-21

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Les clés d’un scrutin historique: vers une majorité absolue du RN?

Si les sondeurs se refusent à considérer la victoire avec une majorité absolue du bloc de droite dirigé par Jordan Bardella comme la plus probable, le scénario n’est plus écarté. Mais où sont passés les électeurs d’Emmanuel Macron ? L’abstention différentielle: voilà la principale clé des élections législatives anticipées.


Le Rassemblement national caracole désormais plus que jamais en tête des sondages. Il n’a jamais été aussi fort dans la vie politique française que ces dernières semaines. Tous les jours, les « rollings » IFOP, Harris ou Odoxa font montre d’une progression légère mais bien réelle du bloc de la droite, qui, après une première semaine post-dissolution de recomposition politique des droites au forceps, avance derrière le rouleau-compresseur Bardella. Un demi-point par-ci, un demi-point par-là, et voilà l’union des droites menée par le Rassemblement national à 37 % au premier tour1. L’arrivée de Marion Maréchal et des principaux cadres Reconquête aura mécaniquement accordé quelques centaines de milliers de précieuses voix à cette Union des droites, ainsi que celle de l’aile ciottiste des Républicains. De quoi d’ailleurs rappeler la fameuse « vague bleue » de 1993 qui avait conduit Edouard Balladur à Matignon et provoqué la seconde cohabitation de François Mitterrand.

Pour autant, la victoire avec une majorité absolue de plus de 289 députés est-elle d’ores et déjà assurée ? Les élections législatives ne sont pas un scrutin à la proportionnelle mais l’addition de 577 scrutins majoritaires présentant de plus ou moins forts particularismes locaux. Elles sont donc extrêmement difficiles à pronostiquer. Nous pouvons néanmoins dès maintenant observer des tendances lourdes. Analyse et hypothèses.

Le score aux européennes du Rassemblement national est une anomalie sous la Vème République

L’ampleur de la victoire du Rassemblement national aux élections européennes fait figure d’anomalie dans l’histoire des élections sous la Vème République. Un petit exemple permettra de l’illustrer. A l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen a recueilli 8.133.828 voix pour 23,15% des suffrages exprimés… soit à peine un peu plus que le score de la liste dirigée par Jordan Bardella en juin qui a enregistré 7.765.936 voix pour 31,37% des suffrages exprimés. Le résultat est colossal, historique. En effet, les deux élections présentaient des enjeux fort différents et une baisse d’un million de voix aurait été parfaitement logique. La capacité du Rassemblement national à mobiliser son électorat d’une élection sur l’autre s’explique par un dicton populaire : l’appétit vient en mangeant.

De fait, les élections législatives de 2022 ont montré aux électeurs de Marine Le Pen de la présidentielle qu’ils pouvaient gagner des scrutins majoritaires à deux tours dans un contexte hostile et avec alors peu de réserves de voix. Après plusieurs décennies de frustration et une domination peu payante sur la vie politique française depuis 2012 – malgré la prise de mairies sous le quinquennat Hollande et des résultats impressionnants aux européennes, aux régionales et aux cantonales de 2014-2015 -, les électeurs du Rassemblement national ont saisi l’opportunité offerte par un pouvoir de plus en plus impopulaire qui avait pris soin de les exclure de la prise de décision. C’est ainsi qu’il faut interpréter leur civisme nouveau. Autre raison : cet électorat a vieilli, s’est transformé sociologiquement. Il pèse désormais presque autant que la majorité présidentielle dans les segments âgés et chez les femmes, deux catégories civiques qui vont voter et subissent pleinement l’insécurité physique comme matérielle propre à notre société actuelle.

En outre, le parti Reconquête a perdu des électeurs entre 2022 et 2024. En 2022, Zemmour réunissait sous son nom 2.485.226 Français alors que la liste conduite par Marion Maréchal en 2024 n’a compté que sur 1.353.127 électeurs. Il est probable que ces 1.132.099 électeurs de Reconquête perdus se soient reportés en grand nombre sur Jordan Bardella, renforçant un peu plus cette domination qui a conduit à la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron. Songeons que le Rassemblement national n’a perdu aux européennes que 3,8% de ses voix du premier tour de la présidentielle, c’est en réalité à analyser comme un gain2. Il y a néanmoins de fortes disparités régionales, parfois étonnantes du reste. Ainsi, la plus grosse hausse a été enregistrée à Paris, avec +19% de voix. Ce ne sont pas des circonscriptions gagnables. Dans le Nord-Pas-de-Calais, la formation de Marine Le Pen a perdu 15% de ses électeurs. Contre-intuitif ? Pas vraiment si l’on considère que l’électorat comme la répartition territoriale du Rassemblement national sont en train de s’homogénéiser, transformant un parti autrefois placé en marge et sectorisé en mouvement de masse.

En dehors des îlots urbains, le Rassemblement national arrive en tête dans tous les départements métropolitains. Il progresse et s’installe peut-être pour longtemps dans des endroits qui lui furent longtemps hostiles : le Centre, la Bourgogne, l’axe garonnais, le nord-est jusqu’à la Lorraine,  une partie de l’ancienne région Rhône-Alpes, la grande couronne parisienne ou encore la Haute-Normandie. Au deuxième tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen avait devancé Emmanuel Macron dans 158 circonscriptions. Ses candidats n’avaient finalement réussi à garder cet avantage « que » dans 88 d’entre elles. Il est fort à parier qu’hors exceptions, à l’image de la Corse qui envoie des régionalistes à l’Assemblée, le Rassemblement national puisse déjà compter sur cette base pour le 7 juillet prochain. Quid du reliquat d’environ 130 circonscriptions manquantes pour entrer à Matignon ?

Le centre a-t-il disparu ?

La question mériterait presque d’être reformulée : le macronisme a-t-il disparu ? Les électeurs de Macron forment le bloc central mais ils ne sont pas uniquement des centristes « historiques » ou chimiquement purs. Il y  a parmi eux un fort électorat des Républicains traditionnels et du Parti socialiste « strauss-khanien » et vallsiste disparu. En 2022, au premier tour de la présidentielle, 9.783.058 électeurs votaient pour Emmanuel Macron, soit 1.649.230 Français de plus que ceux qui s’étaient prononcés pour Marine Le Pen. Une différence non négligeable. En ajoutant à Emmanuel Macron les électeurs de Valérie Pécresse et Anne Hidalgo et à Marine Le Pen ceux d’Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, les choses se rééquilibraient un peu mais l’avantage restait au président de la République. Au second tour, la chose était encore plus saillante avec 18.738.639 voix pour Emmanuel Macron contre 13.288.686 voix pour Marine Le Pen. 

D’où la question qui sera la clé du scrutin des législatives : où sont passés les électeurs d’Emmanuel Macron ? Valérie Hayer a enregistré 3.614.646 voix aux européennes, soit 6.168.646 voix de moins qu’Emmanuel Macron ! Raphaël Glucksmann a lui fait 3.424.216 voix, mais ses électeurs étaient loin d’avoir tous voté pour Emmanuel Macron en 2022, quelques-uns avaient choisi Hidalgo et d’autres étaient sûrement des déçus de Jean-Luc Mélenchon. Il est aussi possible qu’une petite proportion des électeurs macronistes ait voté pour Bellamy et que d’autres se soient reportés sur Jordan Bardella. Reste néanmoins un constat inévitable : lors des élections européennes, l’abstention différentielle a été extrêmement défavorable au camp présidentiel et très favorable au Rassemblement national.

Pourquoi ? Parce que le « macronisme » est grippé et a fini par lasser ses soutiens. Ses électeurs ont tout simplement trouvé les deux premières années de mandat confuses, voire chaotiques. Réforme des retraites, loi immigration ou émeutes ont perturbé un « centre » qui n’a plus su où donner de la tête. Le virage à gauche du début de quinquennat a déçu les plus droitiers, la tentative d’évolution à droite avec la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre a été perçue comme trop timorée à droite et presque « facho » par une gauche largement portée aux extrêmes.

Les élections législatives ne sont toutefois pas des élections européennes. L’enjeu y est différent. Il est toujours possible que ces millions d’électeurs disparus comme par magie reviennent aux urnes par « peur » du Front Populaire ou du Rassemblement national. Faute de quoi, le macronisme disparaitra de facto.

Le tsunami bleu marine ou le barrage multicolore ?

En 2021, j’écrivais dans Le Figaro Vox la chose suivante : « Il n’est pas dit que nous redeviendrons ce que nous fûmes sans un aggiornamento radical de nos pratiques politiques. La classe politique est à l’image de ses institutions ; déphasée. Le résultat est là sous nos yeux. La population est défiante, menaçant de se scinder en micro-communautés. En perdant des libertés, nous ne préservons pas la liberté: nous maintenons collectivement la résilience d’un Etat qui se perd et qui nous perd. L’état d’urgence démocratique implique de profonds bouleversements. Les lois d’exception ne peuvent plus être la norme. Le président ne doit pas pouvoir faire ce qu’il veut sans en référer à la représentation nationale. La représentation nationale doit nécessairement être pluraliste, ce qui s’accompagne d’une modification du mode de scrutin. Les députés à l’Assemblée nationale doivent donc être élus à la proportionnelle pour tenir compte de la diversité politique du pays. »

Faute d’avoir compris dès 2017, comme le lui suggérait François Bayrou, que la dissolution du PS et de LR demandait l’instauration de la proportionnelle, et faute d’avoir pris sérieusement en considération les thèmes portés par le Rassemblement national et des thèmes transversaux – tels que les libertés publiques ou la justice sociale entre les territoires -, Emmanuel Macron risque de plonger la France dans l’instabilité gouvernementale. Il aura eu tous les effets en pire des mesures politiques qu’il se refusait à prendre par peur des vieux marquisats de la politique locale et du peuple. Il est assez incroyable de l’entendre aujourd’hui agiter le risque d’une guerre civile alors qu’il a lui-même voulu la dissolution et que rien ne l’obligeait. Si on suit son raisonnement, Emmanuel Macron a mis sciemment les Français en danger. Il est aussi ahurissant de voir ces ministres battre la campagne … sur les pavés parisiens ou par visio-conférence auprès des Français de l’étranger, négligeant totalement la France de l’intérieur qui leur a envoyé de multiples messages au fil des ans.

Est-ce que les sortants Renaissance sont capables de se maintenir au second tour dans plus de 250 ou 300 circonscriptions pour bricoler une majorité à la sortie ? Rien n’est moins sûr tant ils sont peu aidés par leurs meneurs, bien que la chose soit encore réalisable. S’ils n’y parviennent pas, le Rassemblement national pourrait être porté et emprunter une autoroute vers la majorité absolue. La réponse à l’énigme posée par la dissolution se trouve entre les mains des disparus du macronisme de 2022. Elle se trouve aussi dans l’attitude respective des appareils et des électeurs de gauche et du centre. La droite fera bloc de son côté. Réponse définitive le 7 juillet.


  1. Dans son enquête réalisée en ligne du 19 au 20 juin 2024, Harris Interactive, Challenges, M6 et RTL donnent 33% d’intentions de vote aux candidats soutenus par le RN et 4% aux candidats soutenus par Eric Ciotti ↩︎
  2. 3,8 % de pertes de voix entre un premier tout de présidentielle et une européenne (le score de Bardella aux européennes a été soustrait à celui de Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2022, puis une règle de trois a été appliquée) est à analyser comme un gain de voix puisque la présidentielle T1 est toujours le potentiel maximal d’une formation politique compte tenu de l’enjeu et de la participation. En outre, le nombre total de suffrages exprimés aux européennes était évidemment plus bas qu’au premier tour de la dernière élection présidentielle. ↩︎

Interdiction des portables en classe: Jordan Bardella et Emmanuel Macron sur la même ligne

Jordan Bardella comme Emmanuel Macron veulent interdire le portable à l’école. Estimant qu’on ne pouvait plus « minimiser leur impact » négatif sur les cerveaux, le président de Rassemblement national veut le bannir complètement dans les établissements « dont les lycées ».


Tout est politique, le portable aussi. En entendant le président de la République et Jordan Bardella défendre de concert cette mesure simple et de bon sens, beaucoup de gens ont pensé : c’est dingue que ce ne soit pas encore fait ! Sauf que c’est fait. C’était d’ailleurs à la une du Figaro, hier, avec un grand article de Caroline Beyer expliquant la laborieuse interdiction des smartphones dans les classes[1]. Une loi de 2018 interdit en effet « l’utilisation du téléphone portable et de tout terminal de communications électroniques » à l’école et au collège. Une autre loi de 2023 proscrit l’usage des réseaux sociaux avant 15 ans.

Une interdiction qu’on n’arrive déjà pas à faire respecter dans les prisons

Seulement, on dirait qu’il s’agit d’un « acquis social » caché, un droit sacré de l’enfant et de l’adolescent à aller en classe avec son smartphone de la maternelle à l’université. À la fac, le téléphone est ouvertement posé sur les tables. Quel prof oserait s’y opposer ? Au lycée, sans surprise, les tentatives d’interdiction se heurtent évidemment aux syndicats et fédérations de parents d’élèves. Pire : pendant des années, des élus ravis de la crèche numérique ont prétendu réduire la fracture scolaire en mettant des écrans partout. Ne citons pas de noms…

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Beaucoup de collèges renoncent à interdire, ceux qui récoltent les précieux appendices ont des difficultés de gestion (dépôt et restitution, casiers…). Le proviseur du lycée privé sous contrat Bossuet Notre-Dame (Paris 10e) raconte carrément que quand il en confisque un, il arrive parfois que les parents en donnent un autre à leur enfant. Et quand l’interdit existe, il y a malheureusement des trous dans la raquette: comme le dit un autre principal, si on n’y arrive pas en prison, alors au collège….

Mais pourquoi l’interdire ?

Etrange question. Auriez-vous sorti une BD ou votre Walkman en classe, ou commencé à parler avec votre copain à l’autre bout de la classe ? Non. Marcel Gauchet m’a confié récemment que tous les profs avec lesquels il échange lui racontent que quand ils font cours, la moitié de la classe n’est pas là.

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L’absorption par l’écran est bien plus nocive que toutes les sottises que nous pouvions inventer à notre époque en classe. Les études et la simple observation convergent. Chez les tout-petits, le portable à haute dose produit des dégâts cognitifs irréversibles ; il entrave la formation de l’imaginaire, et favorise la passivité. Dans toutes les classes d’âge, un accroissement massif des troubles de l’attention et des consultations afférentes est constaté. Et le problème n’est pas limité à l’école : une étude de 2023 révèle que 80% des 11-12 ans ont déjà un smartphone en France, et que 71% possèdent déjà un compte sur un réseau social. La responsabilité des parents est immense. Combien d’entre eux utilisent leur portable à table? Les vrais enfants privilégiés deviennent ceux à qui on interdit ou rationne les écrans.

L’addiction de masse au portable est un poison anthropologique qui concerne toutes les sociétés humaines. Le portable n’est pas un objet mais un prolongement identitaire, l’apanage de l’individu-roi. Il promet à chacun son propre monde. Et contribue ainsi à l’effacement du monde commun.

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Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio


[1] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/pause-numerique-casiers-la-laborieuse-interdiction-du-portable-a-l-ecole-20240623

Petit tour d’horizon des inquiétudes du «monde de la Culture»

Les actrices Ariane Ascaride, Corinne Masiero ou Marion Cotillard, l’acteur Mathieu Kassovitz, le dernier lauréat du prix Goncourt Jean-Baptiste Andrea… Avec plus ou moins d’élégance, tous expriment le profond dégoût que leur inspire le vote RN. De leur côté, les Soulèvements de la Terre, un temps menacés de dissolution, envisagent des «blocages ciblés» après le second tour des élections législatives.


Sur BFMTV, la comédienne Ariane Ascaride a confié être très inquiète. Elle pense que, si le RN gagne les élections législatives, « une certaine parole va se libérer » et que nous assisterons à un « effacement de la culture ». Or « moi, dit-elle avec la modestie qui caractérise les artistes de gauche, je fais un métier, c’est la culture »[1]. Si le RN parvient au pouvoir, les subventions publiques seront drastiquement rationnées et le régime particulier des intermittents du spectacle – dont le déficit chronique est évalué à plus d’un milliard d’euros par an par la Cour des comptes, faut-il rappeler – sera supprimé, se lamente-t-elle. Si seulement. Mais rassurons tout de suite Mme Ascaride : Marine Le Pen, tout à son désir de ne pas brusquer le petit monde de la Culture, affirme régulièrement ne pas vouloir toucher au système avantageux élaboré de longue date par la culturocratie étatique. Premier ministre, Jordan Bardella ne cherchera vraisemblablement aucun pou dans la tête des bénéficiaires de cette petite mafia cultureuse bien établie. Celle-ci pourra donc continuer de pondre des œuvres, pour la plupart ennuyeuses ou abrutissantes, en tendant sa grosse sébile devant le généreux ministère de la rue de Valois.

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Corinne Masiero et les bâtards

En 2021, lors de la cérémonie des César, la toujours gracieuse Corinne Masiero était apparue dans le plus simple appareil avec des tampons hygiéniques usagés en guise de boucles d’oreille pour soutenir les intermittents du spectacle. Sur le plateau de Mediapart, la Capitaine Marleau de la télévision publique (donc rémunérée par tous les Français) vient d’appeler à voter pour le Nouveau Front Populaire afin d’éviter « la peste noire » et d’empêcher « les bâtards » du RN de s’en prendre aux « meufs » et aux homosexuels. Quelque chose a dû échapper à Mme Masiero : les « meufs » et les homosexuels ont de toute évidence beaucoup plus à craindre d’un mouvement cornaqué par un parti islamo-gauchiste promouvant le voile islamique et infiltré par des individus ne portant pas les homosexuels dans leurs cœurs que d’un parti qui compte dans ses rangs et à sa tête de plus en plus de femmes et d’homosexuels. Plutôt que de répéter des banalités mensongères, Corinne Masiero devrait se renseigner un peu sur les sources de l’inquiétante transformation mélenchoniste : en février 2013, sur le blog du Parti des Indigènes de la République, Houria Bouteldja, ancienne porte-parole de ce mouvement, « camarade » de Danièle Obono et inspiratrice du tournant décolonialiste et indigéniste des Insoumis, justifiait l’homophobie de ses coreligionnaires en expliquant qu’elle était « une résistance farouche à l’impérialisme occidental et blanc. » Quant au féminisme, il n’est, selon Houria Bouteldja, qu’une ruse de l’Occident pour arracher les femmes musulmanes aux magnifiques préceptes de la charia. « Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches », écrit-elle dans son essai au titre éloquent, Les Blancs, les Juifs et Nous. Houria Bouteldja, qui n’aime ni les Blancs, ni les homosexuels, ni les féministes, ni les Juifs, considérait il y a un an que Jean-Luc Mélenchon était un « butin de guerre » inestimable, un extraordinaire cheval de Troie pour l’islamisme, l’antisionisme antisémite, la déconstruction des valeurs occidentales. Elle ne s’est pas trompée. Le résultat va peut-être même au-delà de ses espérances. Si elle a entendu les âneries de Corinne Masiero, elle a dû bien se marrer. 

Corinne Masiero et Marina Foïs, Paris, Salle de l’Olympia, 12 mars 2021 © Bertrand Guay/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22548132_000001

Marion Cotillard emmerde le Front national

Marion Cotillard, l’actrice rebelle de la côte ouest des États-Unis, a posté sur Instagram une photo d’elle portant une veste en jean émaillé d’un portrait d’Angela Davis, d’un cœur rose et d’un badge datant un peu : « La jeunesse emmerde le Front Nazional ». Ô magie du cinéma : Mme Cotillard, bientôt cinquantenaire, se nippe et s’affiche comme une étudiante attardée de Sciences Po Paris et partage avec cette dernière les mêmes frayeurs vis-à-vis de la « peste brune » et les mêmes préoccupations écologiques. Ainsi, pour soutenir le collectif Les Soulèvements de la Terre menacé de dissolution, l’actrice postait, il y a à peine un an, sur son compte Instagram, un texte consternant dans lequel elle dénonçait les « violences policières » contre les gentils écolos et la « dérive sécuritaire du gouvernement couplée à son incapacité à nous protéger des conséquences du changement climatique ». « Ces intimidations, écrivait-elle sur le yacht où elle passait ses vacances après avoir sillonné le ciel en long, en large et en travers à bord de son jet privé, n’arriveront pas à nous faire taire. » En parlant de violences et d’intimidations : le sympathique mouvement écologiste Les Soulèvements de la Terre propose actuellement sur son site « d’envisager dès à présent des blocages ciblés et des prises des ronds-points partout en France dès le 8 juillet »[2] en cas de victoire électorale du RN, de « monter des barrages physiques à l’exercice du pouvoir et des espaces d’auto-organisation dans la rue si le barrage électoral n’a pas été suffisant », de « construire une campagne d’actions contre le groupe Bolloré ». C’est dire en quelle estime ces cucurbitacées portent la démocratie dont elles se réclament : si le peuple vote mal, il faut châtier le peuple et le contraindre par la force à l’écologisme et à ses multiples ramifications totalitaires, de l’islamo-gauchisme au wokisme. Voilà ce qu’ils appellent un « soulèvement anti-fasciste ».

Les ânes de l’industrie du livre

Et puis il y a les « actrices et acteurs du monde du Livre » qui encouragent « chacune et chacun » à faire barrage au RN. « Nous sommes porté.es, gribouillent-ils dans une pétition[3], par des valeurs de partage, de transmission, de médiation. » Ces gens, qui revendiquent un amour éperdu pour « le livre » et la culture, sont en réalité des ânes. Leur braiment inclusif est le sabir des aliborons. Le dernier lauréat du prix Goncourt, une ancienne ministre de la Culture, des écrivains, des éditeurs et des libraires signent ce brouet en osant parler de littérature.

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Ils défendent, barbouillent-ils, « la nuance face à l’outrance, ce qui rassemble plutôt que ce qui divise, ce qui ouvre l’avenir plutôt que ce qui l’obscurcit » – les livres qu’ils écrivent ou lisent s’appuient sur ce fondement, dans tous les sens du terme. « Toute la vitalité négative des arts s’abîme dans l’océan joyeux de la Positivité », écrivait Philippe Muray. Ces aimables nuancés sont en vérité les matons littéraires du camp du Bien. L’art du roman leur est inaccessible – il faut, pour l’atteindre ou le savourer, affectionner une liberté spirituelle qui se fait rare. Remettre en cause l’orthodoxie du moment, révéler les tartufferies qui la soutiennent, décrire les cuistres de cette époque nimbée d’éthique cauteleuse, d’indignation revancharde et de bonne conscience sélective sans craindre de déplaire au plus grand nombre tout en doutant de soi – cela n’est pas à la portée de tout le monde. La tendance littéraire actuelle serait plutôt au larmoiement autobiographique, à la fausse révolte sociale, à la résistance de théâtre, aux pleurnicheries sociétales et progressistes – bref, à l’acceptation du reformatage totalitaire de la société, de la langue et des arts. Ces « actrices et acteurs du livre » n’ont par conséquent pas hésité quand il s’est agi de signer une pétition écrite avec les pieds en faveur de la continuation de la destruction d’un pays et d’une langue qu’ils n’aiment pas et auxquels ils préfèrent la fantastique contrée de la diversité heureuse, du wokisme radieux, de l’écriture inclusive et de la littérature de bazar.

Mathieu Kassovitz ne manque jamais à l’appel

Pour conclure, une cerise sur le gâteau indigeste des déclarations azimutées de nos artistes de gauche, forcément de gauche : sur LCI, après avoir ironiquement affirmé que le RN avait « peut-être sa place en France » et que c’était « une expérience à essayer », Mathieu Kassovitz a plus sérieusement déclaré avoir des difficultés, comme tant d’autres Français, à joindre les deux bouts en fin de mois : « La France va mal, moi je gagne beaucoup d’argent et je n’arrive pas à m’en sortir. » Face au supposé danger fasciste que court la France, M. Kassovitz avait prévu d’exhiber à la télé une tristesse de circonstance et un visage ravagé par la peur du retour de la bête immonde. Une phrase, une seule, d’une obscénité totale, aura suffi à l’émergence de la vérité : une caste médiatico-culturelle privilégiée et déconnectée des réalités de la vie ordinaire de la majorité des Français donne des leçons de maintien politique à ces derniers au nom d’une éthique et d’une décence qui lui font totalement défaut.

Nombriliste, rapace, intrigante, elle craint surtout de perdre, en plus de son rentable magistère moral, ses prébendes. Tout le reste n’est que comédie.


[1] https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/les-inquietudes-de-la-comedienne-ariane-ascaride-en-cas-de-victoire-du-rn-aux-elections-legislatives_VN-202406190955.html

[2] https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/pour-un-soulevement-antifasciste

[3] https://www.change.org/p/appel-les-actrices-et-acteurs-du-monde-du-livre-se-mobilisent-84c8c20d-3cbe-49f9-b080-87dd4730d6d3

Emmanuel Macron paie la note…

Le soir du résultat des élections européennes, le président de la République a sévèrement reçu la monnaie de sa pièce. Avec la décision de dissoudre l’Assemblée nationale, il plonge le pays dans l’inconnu, et somme désormais les Français d’avoir peur…


Depuis la déroute des élections européennes et la décision de dissoudre qu’a prise le président de la République, j’éprouve un double sentiment contrasté. Que je pourrais résumer de la manière suivante : c’est à la fois bien fait – familièrement dit – et triste !

Bien fait. Tout ce qui s’est accumulé depuis sa réélection à la fois légitime mais si mal acquise, avec une implication présidentielle minimaliste qui a frustré beaucoup de citoyens, semble avoir fait mousse, danger et délitement. Ses phrases provocatrices, des attitudes frôlant l’arrogance, sa politique catastrophique du « en même temps » interdisant toute véritable action, ses insupportables fluctuations, son omniprésence avec une parole tellement offerte qu’elle s’est démonétisée, sa manière de prendre toute la place de son Premier ministre et de lui reprocher ensuite ses faiblesses ou ses abstentions, sa médiocre capacité à choisir les meilleurs pour ses conseillers comme pour ses ministres, cette étrange atmosphère de cour à l’Élysée où une solitude impérieuse dissimule ses desseins et ne se penche jamais sur elle pour se questionner, cette hostilité dont, quoi qu’il en ait, il n’arrive pas à se défaire parce qu’elle tient plus à ce qu’il est qu’à ce qu’il accomplit ou non.

Le résultat des élections européennes, après la majorité relative qui déjà avait entraîné un court fléchissement du président, selon des proches, a soldé toutes ces blessures, ces déceptions, ces rancœurs citoyennes, ce malaise d’une France qu’il regardait de haut parce que ses peurs, ses misères et ses attentes n’étaient pas les siennes qui étaient infiniment plus élevées !

C’est bien fait. Il a reçu sévèrement la monnaie de sa pièce.

Mais je ne peux m’empêcher aussi d’être troublé par cette atmosphère d’apocalypse depuis le soir du 9 juin, par ce climat shakespearien où, d’un coup, un vent de désastre soufflait, où Jupiter égaré, incertain, disposé à la politique du pire, au pire de la politique, avait perdu de sa superbe, devenait, en tout cas à mes yeux, presque pitoyable. Comme une sorte de roi Lear sur sa lande élyséenne. Comme s’il avait fallu ces intenses et dramatiques péripéties politiques pour que, enfin, il se dégonflât de lui-même, étonné de n’être plus qu’un président ordinaire, conscient d’un futur qui allait rétrécir encore davantage son champ d’action.

A relire: Qui est réellement Raphaël Glucksmann?

Quand Raphaël Glucksmann déclare que « nous sommes présidés par un adolescent qui s’amuse à faire craquer des allumettes dans une station à essence sous les vivats énamourés de trois conseillers obscurs » (Le Point), je trouve que son appréciation caustique traite à la légère ce qu’a dû être le tourment présidentiel. Même si Emmanuel Macron a cherché à théoriser politiquement l’absolue nécessité de la dissolution en une période pourtant si peu propice, elle a représenté pour lui un saut dans l’inconnu et ce serait le moquer que de croire à une fantaisie de gamin. Faut-il ajouter foi au fait qu’il serait absolument « ravi » par la dissolution qu’il aurait eue dans la tête depuis plusieurs mois ?

Les réactions très négatives de son propre camp, manifestant une défiance à son égard et une préférence électorale pour l’implication de son Premier ministre, ne l’ont pas empêché de continuer à espérer pour le 30 juin et le 7 juillet en accablant le Nouveau Front Populaire sous le reproche d’être « totalement immigrationniste » et de permettre le changement de sexe en mairie, ce qui lui a valu le grief « de se vautrer dans une transphobie crasse ». La conséquence saumâtre de son désaveu au sein de son propre camp est qu’on ne veut plus l’entendre parler même lorsqu’il dit des choses justes et cinglantes !

Derrière cette lutte politique qu’il doit mener, je ne doute pas que dans son for intérieur il s’interroge sur ce qu’il adviendra de lui si le RN a la majorité absolue – ce qui est peu probable – ou si l’Assemblée nationale se retrouve éclatée en trois groupes, donc ingouvernable.

Cette personnalité qui avait tant de dons, à qui tout souriait, commence un début de la fin sous d’autres auspices.

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Les résistantes résistaient-elles autrement que les résistants?

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Le combat des femmes… Quand notre regard contemporain contemple l’histoire passée.


Bandeau « Amis des juifs » porté par Lucienne Artige en juillet 1942 © Mémorial de la Shoah/coll. Steg

L’exposition Résistantes ! s’ouvre sur une constatation : 1944, c’est l’année où les femmes obtiennent le droit de vote (à la grande crainte des communistes, rappelons-le, qui craignaient qu’elles ne votent “comme leurs maris ou leurs curés”): « Il y a 80 ans, les Françaises devenaient électrices et éligibles « dans les mêmes conditions que les hommes ». Cette entrée de plain-pied dans la citoyenneté par une ordonnance signée du général de Gaulle était alors présentée comme une reconnaissance officielle du rôle majeur joué par les femmes dans la Résistance. » 80 ans après la Libération, l’occasion était trop belle de confondre toutes les luttes dans une approche intersectionnelle et de chercher dans l’esprit de résistance de Françaises patriotes une volonté parallèle d’émancipation du patriarcat (« Pour les femmes, l’engagement résistant représente une double transgression : contre l’ordre allemand et celui de Vichy mais aussi contre l’ordre social des sexes. Résister au féminin c’est donc, au propre comme au figuré, franchir des lignes »), l’occupation allemande et les mœurs sociales françaises étant nanties d’un même coefficient d’oppression, notamment parce que les autorités françaises comme allemandes renâclaient à traiter les femmes comme les hommes, signe évident de l’infériorisation sociale des femmes, la frontière des genres ne s’abolissant que pour les communistes (on se situe après la fin du pacte germano-soviétique, n’est-ce pas), précurseur donc des luttes féministes à venir.

Code imprimé sur un mouchoir de soie de Brigitte Friang. Ces codes sont utilisés pour crypter les communications radio entre la centrale de transmission en Grande-Bretagne (Home Station) et les opérateurs radio sur le terrain (Outstations). Ces suites de chiffres imprimées sur un mouchoir de soie sont autant de clés détruites après utilisation (c’est pourquoi le bas du document est déchiré). © Coll. Musée de la Résistance Nationale à Champigny-sur-Marne (AAMRN) – Fonds Élizabeth Friang, dite Brigitte Friang

A lire aussi, Elisabeth Lévy : Juifs de France: pour vivre, vivons cachés

Comment dire ? Ce n’est pas totalement convaincant, même si, bien sûr, constater qu’il n’y a que six femmes parmi plus de mille Compagnons de la Libération interroge, de même que la relative difficulté à se faire reconnaître comme résistante après la guerre : « l’affirmation de femmes-individus affranchies est minorée à l’identique par la répression et la reconnaissance tant elle heurte encore les représentations dominantes du féminin », a écrit dans sa thèse Catherine Lacour-Astol, commissaire de l’exposition. C’est d’autant moins convaincant qu’on sent un parti-pris “progressiste” dans le choix des profils mis en avant. Pourquoi, par exemple, ne pas faire la part très belle à Marie-Madeleine Fourcade, qui dirigea le réseau Alliance – qui avait le tort de ne pas être gaulliste ni communiste, c’est vrai ? Pourquoi ne pas voir que nombre de résistantes le furent pour des raisons patriotiques, conciliant sans troubles de genre le ménage et l’acheminement des messages, la préparation du fricot et la manipulation de la radio ?

Mais ces réserves ne suffisent pas à amoindrir l’intérêt de l’exposition qui décrit avec des documents nombreux et émouvants par leur banalité même une résistance en effet féminine, sans éclat mais non pas sans danger, celle de la vie quotidienne, de la lutte contre la faim, de la rébellion contre le rationnement, avec ses manifestations encourageant le vol (qui valut à « la mégère de la rue Daguerre », Lise London, militante communiste appliquant saint Thomas1, d’être déportée) ; celle aussi de l’hospitalité, puisque les foyers qui accueillent des aviateurs anglais ne peuvent le faire qu’à condition que les femmes les prennent en charge, dans l’esprit (patriarcal) des autorités d’occupation, ou parce que les communautés religieuses catholiques sont mobilisés, comme celles des sœurs du Très Saint Sauveur de Niederbronn (Bas-Rhin) ou de Notre-Dame de Sion (Isère), les religieuses en cornette (ou non) cachant et transportant enfants juifs, aviateurs alliés, mitraillettes et grenades.

Pistolet cal. 6.35 et son étui ayant appartenu à Anne-Marie Mingat-Lerme, alias « Mimi Mingat » lorsqu’elle était agent de liaison dans le Grésivaudan. © Cliché Denis Vinçon. Coll. Musée de la Résistance et de la Déportation – Département de l’Isère, inv. 2015.02.01

L’exposition nous plonge dans ce quotidien, avec les placards allemands, les tracts clandestins, les armes de poing glissés dans des étuis féminins, le sac à main à double-paroi de Lise London, justement, sac confectionné par l’agent de liaison Nelly Schweig et dont le secret ne fut pas détecté lors des huit jours d’interrogatoire que subit Lise London en août 1942. Tout est anodin, fragile, dérisoire – et prenant, jusqu’aux poupées que les résistantes emprisonnées s’offrent, avec cet appétit de normalité que connaissent tous les embastillés : la résistance s’incarne dans le fait de reconquérir une vie qui ignore les murs et leurs interdits. Entre beaux portraits, documents émouvants et réalité minutieusement décrite, Résistantes ! fait vivre une Résistance modeste, reléguée et pourtant aussi décisive. Elle n’a pas besoin d’être badigeonnée de féminisme pour mériter notre respect.

Résistantes ! jusqu’au 13 octobre 2024. Musée de l’Ordre de la Libération, Hôtel des Invalides. 15€.


  1. « En cas de nécessité, toutes les choses sont communes » (In necessitate sunt omnia communia : IIa-IIae, q.66, a.7) ↩︎

Aux armes, citoyennes!

Des rassemblements féministes contre le RN ont eu lieu ce week-end. Un antifascisme d’opérette. Sans vraiment croire à ce qu’elles racontaient, les militantes ont défilé contre le parti de Marine Le Pen, laquelle serait une réincarnation sournoise du patriarcat. C’est que cela fait toujours plaisir aux militantes de se retrouver pour se répéter à quel point on est meilleur que les autres.


Après les artistes, les sportifs, les pêcheurs à la ligne ou les abonnés au gaz, sans oublier, ce qui est plus problématique, des diplomates pétitionnaires, c’était hier aux féministes de se produire dans le grand cirque antifasciste.

La politique « nataliste » du RN dénoncée

Ulcérés que Jordan Bardella s’adresse aux femmes, propriété privée de la gauche, 200 syndicats et associations biberonnées à l’argent public ont rassemblé quelques milliers de manifestants en France : c’est assez révélateur de leur capacité de mobilisation et de leur représentativité.

La liturgie est rodée depuis des années. Si les forces du mal l’emportent, de multiples plaies s’abattront sur nous. Notamment, un recul du droit des femmes et des LGBT (bien que le rapport ne soit pas forcément évident).

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Marine Le Pen renverra les femmes à la maison, elle reviendra sur l’IVG. Son projet, selon Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, c’est « Travail-Famille-Patrie ». Rien que ça ! De son côté, la présidente du Planning familial Sarah Durocher est également très remontée. Elle craint de voir baisser la subvention publique, et se demande si la promotion du transgenrisme ou de l’homme enceint qui fait partie des missions que lui délègue l’État, est un crime de lèse-féminisme. Le pire pour les militantes, c’est que Bardella parle de politique nataliste : « On a pu entendre qu’il fallait faire des enfants. Donc évidemment qu’on est très inquiètes », peste Mme Durocher. Faire des enfants, vous rendez-vous bien compte ? Aux armes, citoyennes!

On blague, mais n’y a-t-il pas quelque inquiétude à avoir ?

Il est vrai qu’il y a dix ans, Marine Le Pen voulait dérembourser les avortements dits de confort. Elle y a renoncé. Certes, il y a au RN des croyants qui ne sont pas des fanatiques de l’IVG (et il y en a d’ailleurs dans les autres partis politiques, aussi). Mais ils ne réclament pas qu’on revienne sur ce droit.

En tout cas, les femmes sont maso ou ingrates avec cette gauche qui veut leur bien. Car il y a une exception française. Partout en Europe, nous apprend Frédéric Dabi de l’IFOP, le vote féminin se porte plus à gauche et moins envers les partis populistes ou de droite nationale. Mais en France, les femmes sont légèrement plus nombreuses que les hommes à avoir voté Bardella (32 contre 31 %) ! Pour expliquer cette exception française, on nous parle du pouvoir d’achat.

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Moi, j’ai le sentiment qu’alors que la gauche unie s’entête dans le déni, fustigeant éternellement le mâle blanc et récusant tout rapport entre insécurité et immigration, les femmes savent par qui elles se font harceler dans la rue ou les transports ; elles savent aussi que c’est dans certaines mosquées salafistes et pas dans les réunions RN qu’on peut entendre qu’un homme a le droit de battre sa femme. Elles savent enfin que les femmes souffrent plus en Iran qu’en Hongrie, quelles que soient les critiques que l’on peut formuler à l’endroit de Viktor Orban.

Alors beaucoup préfèrent le prétendu patriarcat que représenterait le RN aux compromissions islamo-gauchistes. Et il reste amusant de noter que ce parti si patriarcal pourrait en réalité être le premier à envoyer une femme à l’Élysée !


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

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Toute oraison funèbre en cache une autre

Notre chroniqueur vieillirait-il? Le voici apparemment obsédé par le sentiment de sa finitude, et si, comme il le dit, une oraison funèbre est en même temps celle de celui qui la prononce, son étude de la superbe évocation, par Pierre Mari, de l’ami disparu auquel il n’a pas sauvé la vie est quelque part l’amorce du discours que nous prononcerons un de ces jours à ses obsèques.


Au fur et à mesure que l’on vieillit, les amis qui vous jouent le vilain tour de disparaître avant vous vous chargent, explicitement ou non, de dire quelques mots sur leur cercueil. De ces mots qui en théorie permettent de visser définitivement le couvercle.

Exercice bien difficile que de dire, sous le coup de l’émotion, tout le bien (ou le mal) que l’on pense du cher disparu. Quand de surcroît il s’agit d’un ami de trente ou quarante ans, avec lequel vous avez vécu le meilleur (la jeunesse) et une partie du pire (la lente glissade vers la chute), l’opération est bien délicate.

Pierre Mari, qui a parfois travaillé pour Causeur et que je connais depuis quarante ans, a donc perdu son plus proche copain — et j’emploie intentionnellement ce mot au sens que lui donnait Jules Romains dans son roman éponyme, ces « copains » de fin d’adolescence, rencontrés juste après le Bac sur les bancs de la fac ou l’enfer (supposé) d’une classe prépa.

Bref contournement autobiographique. C’est une expérience que j’ai vécu au début des années 1990, quand un condisciple que je traînais depuis l’hypokhâgne a cru bon de céder aux instances d’un virus à la mode. Nous avions tout partagé en binôme, la même thurne à l’ENS et les créatures qui y passaient. Nous avions passé la même agrégation, conçu ensemble des livres qui firent date, nous nous étions fait, au-dessus d’innombrables bouteilles de crus estimables, ces confidences dérisoires qui cimentent une vraie amitié. Comment résumer en dix minutes trente ans d’orgies et de franches lippées, comme dit La Fontaine ?

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On comprend bien que le grand genre de l’oraison funèbre classique, celle que Bossuet par exemple concocta pour le Prince de Condé, ne peut servir d’inspiration. Nous sommes ici dans l’intime, l’impalpable — l’indicible qu’il faut bien formuler. Il en est de l’amitié comme de l’amour : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », dit très bien Montaigne de sa relation avec Etienne de la Boétie, parti lui aussi bien trop tôt.

L’écrivain Pierre Mari, lors d’une conférence en juin 2019. Université Réelle (Montpellier) Capture Youtube

Pierre Mari adopte donc le ton de la lettre intimiste, adressée à un « tu » rattrapé par un crabe qui courait plus vite que lui, bien qu’il marchât de travers. Vieillir, ce n’est pas seulement décatir, radoter et perdre de l’acuité visuelle, c’est aussi être convoqué, de plus en plus souvent, au dernier terminus des copains — auxquels on en veut un peu confusément, et qui se seraient sans doute dispensés de nous imposer une balade au crématoire du cimetière Saint-Pierre ou au funérarium du Père Lachaise.

Et d’évoquer, par exemple, les rituels de bizutage de l’hypokhâgne : « La tradition voulait qu’avant le rituel collectif, qui aurait lieu le lendemain matin, les nouveaux internes reçoivent l’un après l’autre la visite des anciens. En quelques phrases condescendantes, l’évidence du néant où ils pataugeaient leur était assénée : néant où ils resteraient jusqu’à la cérémonie du baptême — néant où ils redeviendraient s’il leur prenait l’envie, à l’issue de l’hypokhâgne, d’abandonner les lettres pour le droit ou tout autre filière d’infamie ». Une jolie tradition interdite par Ségolène Royal, et c’est bien dommage.

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Classes d’aspirants à l’ENS, majoritairement féminines, où Pierre Mari, qui pense mal (voir son évocation de Pierre-Guillaume de Roux, éditeur corsaire qui venait de sortir En pays défait juste avant de mourir) croit se souvenir que « la ligne de partage entre insolence et conformisme recoupait celle des sexes ». Ciel ! Supposer — ce que nous savons tous — que les filles sont plus scolaires que les garçons ! Lançons vite un signalement #MeToo !

Le titre de ce court texte, Guerroyant, est en soi un programme. Comme l’a très bien vu Samuel Piquet dans Marianne, le participe présent fait l’économie du passé — étant entendu que le passé, c’est justement ce qui ne passe pas, et qui reste en travers de la gorge. L’ami disparu continue, d’outre-tombe, à distribuer les gnons et les coups de pied au cul — à Mari lui-même, à qui il arrive, comme à tous les vrais écrivains, de douter et de récuser les mots qui se refusent à lui.

Second contournement autobiographique. Avec le même copain trop tôt disparu, nous collectionnâmes les jolies hypokhâgneuses, nous envoyant en cours le lendemain des petits mots où étaient relatés le comment et dans quelles positions, avec notation des diverses acrobaties ou maîtrise du réflexe buccal, au grand dam des intéressées. L’une de ces missives, interceptée par le prof de Lettres, le fit rougir jusqu’aux oreilles. Ce n’était pas très élégant, mais bon, j’avais 16 ans, et la performance stylistique (comment dire élégamment de telles incongruités) l’emportait sur toute autre considération.

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Évidemment, le panégyrique de l’ami est une façon de « le garder encore un peu ». Tant qu’on en parle, il n’est pas tout à fait mort. Une façon aussi de se colleter à ce scandale : « Je l’ai tellement cru indestructible… » C’est enfin une façon de se préparer à son propre néant. « Je hume ici ma future fumée », dit très bien le poète.

Troisième contournement : pour ne pas mettre les amis (s’il m’en reste) dans le souci de trouver les phrases adéquates, j’ai récemment écrit l’intégralité de mon adieu à ce monde et aux gens qui seront là — peut-être. À charge à eux de trouver un diseur qui ne soit pas tributaire de ses émotions. Un acteur professionnel m’ira très bien : moins on est impliqué, et mieux on le dit.


Pierre Mari, Guerroyant, les éditions Sans Escale, avril 2024, 111 p.

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Charlotte Lewis: portrait d’une égérie MeToo

Roman Polanski vient de remporter une belle victoire. Le tribunal correctionnel lui a reconnu le droit de dire que Charlotte Lewis avait proféré un « odieux mensonge » à son sujet. Une décision qui ne paraît pas surprenante si l’on se penche sur la vie de la comédienne, jalonnée de frasques et d’outrances de langage, comme l’indiquent divers témoignages que nous avons recueillis.


Pour comprendre cette histoire, un petit récapitulatif des faits s’impose. L’affaire débute en 2010. Cette année-là, Charlotte Lewis, qui jouait le premier rôle féminin dans Pirates de Roman Polanski, en 1986, tient une singulière conférence de presse pendant le Festival de Cannes. Devant un parterre de journalistes, elle affirme avoir été abusée sexuellement par le réalisateur polonais trois ans avant la sortie du film, alors qu’elle était encore mineure. Des faits graves, qui n’ont pourtant jamais fait l’objet d’aucune plainte de sa part…

Neuf ans plus tard, en décembre 2019, l’histoire rebondit quand, interrogé dans Paris Match au sujet de ces allégations, Roman Polanski taxe les propos de la comédienne d’» odieux mensonge ». Quoique plutôt anodine, la déclaration sert de point de départ à l’unique développement judiciaire de l’affaire connu à ce jour. On apprend en effet en juillet 2021 que Charlotte Lewis a engagé devant la justice française des poursuites en diffamation : le réalisateur est mis en examen pour ses propos tenus dans Paris Match.

Dernier épisode en date, le 14 mai 2024 : après trois ans d’enquête, et une audience qui s’est tenue en mars, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris innocente Roman Polanski, qui n’a donc selon elle pas enfreint la loi en déclarant que Charlotte Lewis mentait. Mais le dossier n’est pas clos. L’avocat de la comédienne a annoncé qu’elle ferait appel.

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Reste qu’à ce stade Charlotte Lewis n’a pas convaincu les magistrats. Il faut dire que la personnalité de la comédienne permet de douter de sa crédibilité. Pour pouvoir affirmer cela, nous avons croisé des documents présentés lors du procès, et que la plaignante n’a pas contestés, avec les souvenirs de deux de ses anciens proches, habitant comme elle le quartier londonien de Hampstead. Nous les avons interrogés longuement et conservons les enregistrements vidéo.

Qui sont nos deux sources ? Tout d’abord Lulu Mitchell, fleuriste de profession et ancienne maire du borough de Camden (dont Hampstead fait partie), qui a bien connu l’actrice à partir de 2009, avant que leur relation finisse par tourner au cauchemar. Ensuite, un homme, Patsy Muldoon, qui fut pendant quelques mois le voisin et l’ami intime de la comédienne, avant qu’elle se retourne contre lui.

Pour eux deux, une chose est sûre. Charlotte Lewis n’est pas la femme tranquille et sans histoire, la mère célibataire dévouée à son fils unique qu’elle prétend être. Ne serait-ce que parce qu’elle a perdu la garde de son enfant quand celui-ci était très jeune. On le sait grâce au témoignage sous serment d’une dénommée Karen Smith, connue pour avoir présenté l’actrice à Roman Polanski. Selon Lulu Mitchell, c’est la mère de Charlotte Lewis qui s’est vue en son temps confier par la justice britannique la garde de l’enfant, en raison de la vie pour le moins désordonnée de la comédienne.

Une martyre réellement digne de confiance ?

Charlotte Lewis aurait en effet connu des problèmes d’addiction à la drogue, comme le laissent entendre d’ailleurs plusieurs entretiens qu’elle a donnés aux médias durant sa période hollywoodienne, dans les années 1990, où elle évoque sa difficulté à décrocher de la cocaïne. Lulu Mitchell se souvient du reste que, des années après, du temps où elle fréquentait l’actrice, celle-ci « avait toujours l’air défoncée ». Patsy Muldoon affirme de son côté : « Je l’ai vue se fournir en crack auprès d’un dealer. » Selon nos deux témoins, Charlotte Lewis a fait plusieurs cures de désintoxication en Thaïlande.

Un tel train de vie coûte cher, surtout pour quelqu’un qui – Lulu Mitchell l’assure – « vit en partie d’allocations ». D’après nos deux sources à Hampstead, Charlotte Lewis aurait fait appel à la générosité de plusieurs hommes fortunés pour payer ses séjours en Thaïlande, dont l’un lui aurait été offert par son parrain, ancien producteur de musique réputé, et un autre par un richissime Canadien, qui est aussi le parrain de son fils et qui aurait aussi assuré les frais de scolarité de ce dernier, inscrit dans un internat.

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Selon Patsy Muldoon, le Canadien a toutefois fini par couper les vivres après avoir découvert que l’actrice lui mentait sur les tarifs de la pension privée afin d’obtenir des rallonges d’argent. Depuis, affirme Lulu Mitchell, la relève financière serait assurée par « un certain Andy, un timide d’environ 70 ans », qui a fait fortune dans le secteur de la tech. Nos deux témoins soutiennent que ce Londonien a ensuite payé les séjours en clinique de Charlotte Lewis ainsi que les frais de scolarité de l’enfant.

Sachant cela, que penser de la réputation de prostitution occasionnelle dont est créditée Charlotte Lewis ? Parmi ceux qui l’ont relayée, il y a le journaliste Stuart White, auteur en 1999 d’un article dans le tabloïd britannique News of the World, selon lequel l’actrice a monnayé ses charmes au cours de l’été 1981, alors qu’elle avait seulement 14 ans. « Je n’étais pas dans les boîtes de nuit, je n’étais pas une enfant sauvage », a, depuis, démenti la comédienne.

Pourtant, en 1988, le même journal a publié les confidences d’un jeune homme, aujourd’hui propriétaire d’un sex-shop, mentionnant avoir rencontré Charlotte Lewis en 1981 dans un night-club huppé de la ville et avoir eu alors une liaison avec elle. Le même article donne aussi la parole à un mannequin, selon qui la comédienne a dérobé, la même année, 5 000 livres sterling à un riche Arabe à qui elle avait promis ses faveurs. Les habitudes à cette époque de la jeune femme dans le night-club en question, le Stringfellows, sont confirmées par l’artiste et éditeur David Litchfield dans les colonnes de sa revue Ritz en 1985. Précisons qu’évidemment, Lewis fait ce qu’elle veut. Ces épisodes laissent penser que le sexe est parfois pour elle un moyen. 

Charlotte Lewis en couverture de Ritz Newspapers (1987). D.R.

Pour nos deux sources à Hampstead, de tels récits ne sont pas étonnants. Lulu Mitchell se souvient ainsi qu’une des clientes de son commerce de fleurs, avocate de profession, lui aurait confié que son ex-mari, également avocat, « couchait avec Charlotte, car celle-ci avait besoin d’argent ». Des propos à prendre toutefois avec des pincettes, car nous n’avons – hélas ! – pas pu échanger directement avec cette avocate.

Une victime éternelle

Selon nos deux sources à Hampstead, Charlotte Lewis serait également coutumière des accusations gratuites. Patsy Muldoon raconte ainsi un pénible souvenir. À l’en croire, l’actrice l’a un jour désigné aux passants dans la rue en criant : « C’est lui qui m’a tapé dessus ! » Peu de temps après, sous ses fenêtres, la voilà qui prétend, à tue-tête, avoir été agressée sexuellement par lui. Poussé à bout, ce dernier lui envoie alors des SMS agressifs pour l’enjoindre de quitter les lieux. Charlotte Lewis préfère appeler la police, qui se rend sur place et arrête Patsy Muldoon, avant de le libérer le lendemain, sans inculpation, grâce à l’intervention… du propre avocat de l’actrice. Depuis, cette dernière a demandé une injonction d’éloignement, qui a été acceptée par le tribunal au motif des SMS violents du mis en cause.

L’actrice Charlotte Lewis en couverture de Playboy (1993). D.R.

Lulu Mitchell mentionne elle aussi un épisode troublant. Il concerne son ancien assistant, avec lequel elle tenait son commerce de fleurs, dans une camionnette à Hampstead. Un dénommé Dave, accusé il y a quelques années par Charlotte Lewis de l’avoir épiée à travers les fenêtres de son appartement. Problème, quand les enquêteurs arrivent sur place, ils découvrent qu’on ne peut pas voir lesdites fenêtres depuis l’emplacement où se trouve le véhicule !

Échaudée par cette histoire, Lulu Mitchell décide alors de rompre ses relations avec l’actrice. Au grand dam de celle-ci, qui se serait « vengée » à sa manière. Un jour, raconte la fleuriste, Charlotte Lewis se serait présentée devant elle, puis aurait composé avec son téléphone le numéro des secours avant de s’écrier, une fois en ligne avec la police : « Ma vie est menacée ! » Encore abasourdie par l’épisode, la fleuriste se souvient : « Elle avait un grand sourire sur son visage, et elle me faisait un doigt d’honneur. »

Plus tard, quand, dans le cadre de l’affaire « Paris Match/Polanski », la fleuriste rédigera un témoignage à charge contre Charlotte Lewis, et que le document sera transmis, en application des règles, à la partie adverse, donc à l’actrice, celle-ci déambulera, selon nos informations, dans les pubs et commerces du quartier en brandissant le document et en accusant à haute voix son auteur de ne pas soutenir la cause des femmes. « Elle a essayé de me faire taire, estime Lulu Mitchell. Elle est même allée voir une de mes copines pour lui dire qu’elle arrêterait si je me rétractais. »

Blessure narcissique

Certains objecteront que la vie déréglée de Charlotte Lewis résulte du prétendu traumatisme provoqué par Polanski. Mais ce traumatisme est-il réel ? Quand Charlotte Lewis préparait son accusation contre le cinéaste vers 2009, elle a, semble-t-il, raconté une autre histoire à Lulu Mitchell, qui venait de faire sa connaissance : « Je vais lui soutirer un demi-million de livres, lui aurait-elle confié. Je vais dire qu’il m’a violée. C’était mon petit ami, mais il m’a laissé tomber et j’étais amoureuse de lui. » Lorsque, dix ans plus tard, la fleuriste apprendra que cette affaire donne lieu à un procès, elle décidera de témoigner. « Les femmes ont vraiment besoin d’être entendues, justifie-t-elle. Et c’est très mal de faire cela juste pour avoir de l’argent. »

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En 2019, c’est auprès de Patsy Muldoon que Charlotte Lewis se serait également vantée de son machiavélisme. « Je vais détruire Polanski, et ce sera mon retour à Hollywood, affirme-t-il l’avoir entendue dire. […] Au procès, je jouerai un rôle, comme dans un film, je suis une grande actrice et le plus grand regret de cet homme, ce sera de m’avoir larguée. » Selon Patsy Muldoon, la vraie motivation de l’actrice est de relancer sa carrière. « Elle pense que la raison pour laquelle elle ne travaille plus, c’est que, depuis qu’elle a accusé Polanski de viol, Hollywood a dû lui fermer ses portes, présume-t-il. […] Dans sa tête, il y a des contrats de films valant 25, 30 millions de dollars. »

On le voit, Charlotte Lewis n’est pas un ange. Elle n’en demeure pas moins une victime. Non pas de Polanski, mais du compagnon de sa mère, qui aurait abusé d’elle vers l’âge de huit ans. C’est là la seule histoire qu’elle raconte sans jamais varier, et à laquelle on est tenté de croire.

L’actrice est sans doute aussi victime de son difficile retour à l’anonymat. Car voilà des années qu’elle ne tourne plus. Pourtant nos deux sources à Hampstead témoignent qu’il n’est pas rare de la voir encore saluer les automobilistes dans la rue, comme s’ils l’avaient reconnue, comme si elle était encore une vedette. Selon Patsy Muldoon, le même déni de réalité se produit quand elle regarde des séries télévisées récentes et qu’elle commente l’action en prétendant, contre toute évidence, avoir participé au tournage.

Et si le seul tort de Polanski était de lui avoir donné le premier rôle féminin dans Pirates en 1986 ? De l’avoir propulsée au sommet de la gloire, mais de ne pas l’y avoir maintenue ? Osons une hypothèse : pour Charlotte Lewis, le cinéaste est un écran sur lequel elle projette tantôt sa rage contre les hommes qu’elle ne peut pas contrôler, tantôt et surtout son regret infini de ne plus être une star.


La réaction de Charlotte Lewis : Pour les besoins de la présente enquête, nous avons sollicité l’actrice pour lui demander si elle confirme ou infirme les faits que nous rapportons. Voici ce que son avocat à Paris, Benjamin Chouai, nous a répondu : « Mme Lewis vous fait savoir qu’elle n’entend pas répondre aux rumeurs de caniveau répandues à son sujet. Elle maintient que M. Polanski est un violeur, n’en déplaise à son fan-club réactionnaire. J’ajoute que les “allégations” que vous évoquez sont typiques, jusqu’à la caricature, de ce que les auteurs avancent pour disqualifier leurs victimes. »

Gabriel Attal ne veut plus être le «petit frère» d’Emmanuel Macron

Le Premier ministre, qui n’était pas dans la confidence du projet de dissolution de l’Assemblée nationale d’Emmanuel Macron et a été mis devant le fait accompli (alors que le ministre de l’Intérieur, lui, savait), semble vouloir voler de ses propres ailes. Dans son sillage, MM. Philippe et Le Maire ne sont pas en reste pour critiquer ouvertement la présidence, donnant l’impression d’un délitement à tous les niveaux.


Le président : génial ou insensé ? Nulle marque d’irrespect dans l’attaque de mon article, mais une alternative que ces derniers jours présentent à l’esprit des citoyens. On me pardonnera d’écrire encore un billet sur ce thème mais il me semble que la situation politique est suffisamment incertaine dans le présent et angoissante pour le futur, pour justifier cette insistance de ma part. Depuis cette décision de dissoudre, on a l’impression qu’un délitement s’opère à tous les niveaux, comme si la perte de confiance en la lucidité et en la maîtrise d’Emmanuel Macron avait ouvert des vannes, libéré des audaces, extériorisé des ambitions et surtout autorisé une parole dénuée de toute inconditionnalité.

Dans Le Parisien, Gabriel Attal répète à deux reprises « ne pas regarder dans le rétroviseur »

Même si dans l’Histoire de la Ve République, je concède volontiers qu’il y a eu des présidents victimes d’une désaffection et dont l’image n’était pas souhaitée sur les affiches lors des élections, même si l’hostilité politique de leurs soutiens et de leurs partisans, selon la conjoncture, avait pu survenir, il me semble toutefois que rien n’est comparable au climat actuel. Les candidats de Renaissance, entre méfiance et révolte, ne veulent surtout pas que le président parle, ils ont peur de ses possibles embardées. Le signe le plus éclatant de cette atmosphère lourde et suspicieuse est le fait qu’on ne tolère plus de sa part les charges même les plus pertinentes contre le Nouveau Front Populaire, LFI et Jean-Luc Mélenchon, comme récemment à l’île de Sein. L’aspiration générale est qu’il s’efface.

On se retrouve comme au temps des gilets jaunes où l’exaspération politique s’était dégradée en haine à l’encontre du couple Macron appréhendé telle une résurgence de la royauté honnie. Un indice tristement révélateur de ce retour a été le fait que Brigitte Macron, se rendant à l’enterrement de Françoise Hardy, a été huée contre toute décence.

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Depuis le saisissement de la dissolution, le Premier ministre Gabriel Attal ne se cache plus pour assumer des responsabilités qui se caractérisent aujourd’hui par le besoin que son camp a de lui et par l’assurance toute neuve avec laquelle il se campe presque comme un recours. Il a conscience que ce qu’un citoyen lui a demandé vulgairement au sujet du président dans le Val-de-Marne est un impératif pour lui : sa parole doit remplacer celle d’Emmanuel Macron.

Édouard Philippe: ne partez pas sans moi!

Le Premier ministre dont la jeunesse faisait peur malgré son talent, s’est mué en un personnage beaucoup plus dense et solide : les épreuves façonnent celui qui, sans elles, ne se serait pas métamorphosé aussi rapidement. Sa candidature pour 2027 n’est plus une absurdité. Il prend un peu d’avance sur ses rivaux déclarés ou plausibles. C’est à cause de cela que, de manière étrange avant le premier tour du 30 juin, Édouard Philippe rue dans les brancards et s’en prend au président qu’il accuse d’avoir « tué la majorité présidentielle ». Il affirme qu’entre les extrêmes, il y a un autre choix : l’adhésion à sa propre cause. Il a encore du travail à faire pour nous persuader que sur le plan régalien nous n’aurions pas avec lui un Juppé bis ! Bruno Le Maire se lâche de plus en plus, pourfend le caractère « solitaire » de la dissolution, vitupère les « cloportes », ces conseillers irresponsables du président, et, sur ce plan, il est approuvé par Édouard Philippe. C’est bien plus qu’anecdotique : une manière de présider est mise en cause à mots couverts ou transparents.

Le crépuscule du monde nouveau?

Le mélange d’un mandat profondément bousculé, d’un président à la personnalité décriée, en tout cas questionnée, d’un entourage sans allure, d’une Assemblée nationale peut-être ingouvernable, d’un État dans l’angoisse de ce qui l’attend, de sondages qui, tous, placent la majorité présidentielle derrière le NFP et surtout le RN associé à Éric Ciotti, crée un crépuscule républicain, une démocratie délétère, morose, un paysage présidentiel informe et inédit. Espérance paradoxale : les procurations explosent. On aura une forte participation. Face à ce désastre annoncé, Emmanuel Macron nous affirme pourtant que « la majorité absolue est à portée de main ». S’il a raison, après de longs flottements il redevient un génie de la politique. S’il cherche à se donner du courage en sachant qu’il se ment et nous égare, il est insensé. Il conviendra que 2027 nous permette d’élire un président enfin normal, mais pas comme au sens où l’entendait François Hollande. Avec en même temps de la simplicité, de l’allure… Et de la vérité…

La Lettre aux Français de Macron: comme une bouteille à la mer…

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La députée RN sortante Caroline Parmentier en campagne pour les prochaines élections législatives à Neuve-Chapelle (62), le 22 juin 2024. DR.

Toute une France humiliée est actuellement portée par le vent de l’histoire, estime notre chroniqueur, qui prévoit qu’elle n’a pas fini de se faire entendre…


Bis repetita : la colère française, que j’annonçais sans grand risque de me tromper dans les européennes du 9 juin, mettra à nouveau les points sur les i, ce dimanche. Et encore le 7 juillet, pour le second tour des législatives. La raison en est simple : les Français excédés ont de la suite dans les idées. 

Le président et les « cloportes »

Les intimidations morales des médias ne fonctionnent plus. D’autant que la « gauche divine » des années 80 a muté en un Front de la honte mêlant des courants sectaires, violents, antisémites, anti-Français. Le parti présidentiel risque de laisser d’autres plumes, singulièrement face au bloc national RN-Ciotti. « Je ne suis pas aveugle », assure Emmanuel Macron dans une Lettre aux Français diffusée dimanche. En réalité, son narcissisme le détourne des réalités. Il se persuade encore de pouvoir susciter le « sursaut » autour de sa personne. Les historiens auront d’ailleurs à se pencher sur son cercle si médiocre (« des cloportes », a dit Bruno le Maire) qui, dit-on, l’a encouragé à dissoudre l’Assemblée dès l’échec du 9 juin pour son camp. 

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Le chef de l’Etat va, très probablement, perdre dimanche de n’avoir su admettre, depuis la révolte des gilets jaunes, que le pays fâché lui échappe et que la démocratie n’est pas la tyrannie des minorités mais l’expression du plus grand nombre. Cette déconnexion, souvent dénoncée ici, explique la crise politique que Macron a accélérée par dépit, à la veille de l’ouverture des Jeux Olympiques de Paris. Le pire qui pourrait advenir serait, en cas de large victoire de Jordan Bardella, de voir la gauche insurrectionnelle, soutenue par des sociaux-démocrates à la ramasse, contester la démocratie dans une guerre des rues.

Face à une hégémonie perdue, chacun joue sa petite musique

Le vent de l’histoire a quitté le camp du Bien. Il paie d’avoir trop longtemps méprisé les gens ordinaires au nom de ses utopies. Gérald Darmanin, ce lundi sur RTL, a rappelé sa sympathie pour « le bon peuple ». Mais, pour la macronie, il est trop tard pour s’amender auprès de lui. La dynamique porte la droite pragmatique et ses anciens parias. « Une vogue philosophique s’impose comme une vogue gastronomique : on ne réfute pas plus une idée qu’une sauce », remarquait Cioran. De fait, les alertes du système unanime sur le retour d’une « extrême droite » qui porterait la moustache d’Hitler sont pathétiques. Ces peurs agitées ne sont plus comprises, majoritairement, que comme un procédé de la gauche paniquée pour tenter de sauver un peu de son hégémonie perdue.

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Le doute s’est d’ailleurs installé dans les rangs des plus lucides des « progressistes ». Samedi, sur LCI, l’acteur-réalisateur de gauche Mathieu Kassovitz a dérogé à l’esprit moutonnier de son camp en déclarant que le RN avait « peut-être sa place en France » et que « c’est peut-être une expérience à essayer ». Le 15 juin, dans Libération, Ariane Mnouchkine, créatrice du Théâtre du Soleil, a notamment reconnu, au nom de la gauche culturelle : « On a lâché le peuple (…) Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient (…) Puis comme ils insistaient on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis (…) on les a traités de salauds. On a insulté un gros tiers de la France par manque d’imagination (…) »

C’est cette France humiliée, que la gauche persiste à traiter de fasciste alors qu’elle-même s’abîme dans l’intolérance, qui va encore faire parler d’elle dimanche. Ce n’est pas fini.

Journal d'un paria: Bloc-notes 2020-21

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Les clés d’un scrutin historique: vers une majorité absolue du RN?

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Eric Ciotti (LR) et Marine Le Pen (RN), hier, à Paris © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Si les sondeurs se refusent à considérer la victoire avec une majorité absolue du bloc de droite dirigé par Jordan Bardella comme la plus probable, le scénario n’est plus écarté. Mais où sont passés les électeurs d’Emmanuel Macron ? L’abstention différentielle: voilà la principale clé des élections législatives anticipées.


Le Rassemblement national caracole désormais plus que jamais en tête des sondages. Il n’a jamais été aussi fort dans la vie politique française que ces dernières semaines. Tous les jours, les « rollings » IFOP, Harris ou Odoxa font montre d’une progression légère mais bien réelle du bloc de la droite, qui, après une première semaine post-dissolution de recomposition politique des droites au forceps, avance derrière le rouleau-compresseur Bardella. Un demi-point par-ci, un demi-point par-là, et voilà l’union des droites menée par le Rassemblement national à 37 % au premier tour1. L’arrivée de Marion Maréchal et des principaux cadres Reconquête aura mécaniquement accordé quelques centaines de milliers de précieuses voix à cette Union des droites, ainsi que celle de l’aile ciottiste des Républicains. De quoi d’ailleurs rappeler la fameuse « vague bleue » de 1993 qui avait conduit Edouard Balladur à Matignon et provoqué la seconde cohabitation de François Mitterrand.

Pour autant, la victoire avec une majorité absolue de plus de 289 députés est-elle d’ores et déjà assurée ? Les élections législatives ne sont pas un scrutin à la proportionnelle mais l’addition de 577 scrutins majoritaires présentant de plus ou moins forts particularismes locaux. Elles sont donc extrêmement difficiles à pronostiquer. Nous pouvons néanmoins dès maintenant observer des tendances lourdes. Analyse et hypothèses.

Le score aux européennes du Rassemblement national est une anomalie sous la Vème République

L’ampleur de la victoire du Rassemblement national aux élections européennes fait figure d’anomalie dans l’histoire des élections sous la Vème République. Un petit exemple permettra de l’illustrer. A l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen a recueilli 8.133.828 voix pour 23,15% des suffrages exprimés… soit à peine un peu plus que le score de la liste dirigée par Jordan Bardella en juin qui a enregistré 7.765.936 voix pour 31,37% des suffrages exprimés. Le résultat est colossal, historique. En effet, les deux élections présentaient des enjeux fort différents et une baisse d’un million de voix aurait été parfaitement logique. La capacité du Rassemblement national à mobiliser son électorat d’une élection sur l’autre s’explique par un dicton populaire : l’appétit vient en mangeant.

De fait, les élections législatives de 2022 ont montré aux électeurs de Marine Le Pen de la présidentielle qu’ils pouvaient gagner des scrutins majoritaires à deux tours dans un contexte hostile et avec alors peu de réserves de voix. Après plusieurs décennies de frustration et une domination peu payante sur la vie politique française depuis 2012 – malgré la prise de mairies sous le quinquennat Hollande et des résultats impressionnants aux européennes, aux régionales et aux cantonales de 2014-2015 -, les électeurs du Rassemblement national ont saisi l’opportunité offerte par un pouvoir de plus en plus impopulaire qui avait pris soin de les exclure de la prise de décision. C’est ainsi qu’il faut interpréter leur civisme nouveau. Autre raison : cet électorat a vieilli, s’est transformé sociologiquement. Il pèse désormais presque autant que la majorité présidentielle dans les segments âgés et chez les femmes, deux catégories civiques qui vont voter et subissent pleinement l’insécurité physique comme matérielle propre à notre société actuelle.

En outre, le parti Reconquête a perdu des électeurs entre 2022 et 2024. En 2022, Zemmour réunissait sous son nom 2.485.226 Français alors que la liste conduite par Marion Maréchal en 2024 n’a compté que sur 1.353.127 électeurs. Il est probable que ces 1.132.099 électeurs de Reconquête perdus se soient reportés en grand nombre sur Jordan Bardella, renforçant un peu plus cette domination qui a conduit à la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron. Songeons que le Rassemblement national n’a perdu aux européennes que 3,8% de ses voix du premier tour de la présidentielle, c’est en réalité à analyser comme un gain2. Il y a néanmoins de fortes disparités régionales, parfois étonnantes du reste. Ainsi, la plus grosse hausse a été enregistrée à Paris, avec +19% de voix. Ce ne sont pas des circonscriptions gagnables. Dans le Nord-Pas-de-Calais, la formation de Marine Le Pen a perdu 15% de ses électeurs. Contre-intuitif ? Pas vraiment si l’on considère que l’électorat comme la répartition territoriale du Rassemblement national sont en train de s’homogénéiser, transformant un parti autrefois placé en marge et sectorisé en mouvement de masse.

En dehors des îlots urbains, le Rassemblement national arrive en tête dans tous les départements métropolitains. Il progresse et s’installe peut-être pour longtemps dans des endroits qui lui furent longtemps hostiles : le Centre, la Bourgogne, l’axe garonnais, le nord-est jusqu’à la Lorraine,  une partie de l’ancienne région Rhône-Alpes, la grande couronne parisienne ou encore la Haute-Normandie. Au deuxième tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen avait devancé Emmanuel Macron dans 158 circonscriptions. Ses candidats n’avaient finalement réussi à garder cet avantage « que » dans 88 d’entre elles. Il est fort à parier qu’hors exceptions, à l’image de la Corse qui envoie des régionalistes à l’Assemblée, le Rassemblement national puisse déjà compter sur cette base pour le 7 juillet prochain. Quid du reliquat d’environ 130 circonscriptions manquantes pour entrer à Matignon ?

Le centre a-t-il disparu ?

La question mériterait presque d’être reformulée : le macronisme a-t-il disparu ? Les électeurs de Macron forment le bloc central mais ils ne sont pas uniquement des centristes « historiques » ou chimiquement purs. Il y  a parmi eux un fort électorat des Républicains traditionnels et du Parti socialiste « strauss-khanien » et vallsiste disparu. En 2022, au premier tour de la présidentielle, 9.783.058 électeurs votaient pour Emmanuel Macron, soit 1.649.230 Français de plus que ceux qui s’étaient prononcés pour Marine Le Pen. Une différence non négligeable. En ajoutant à Emmanuel Macron les électeurs de Valérie Pécresse et Anne Hidalgo et à Marine Le Pen ceux d’Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, les choses se rééquilibraient un peu mais l’avantage restait au président de la République. Au second tour, la chose était encore plus saillante avec 18.738.639 voix pour Emmanuel Macron contre 13.288.686 voix pour Marine Le Pen. 

D’où la question qui sera la clé du scrutin des législatives : où sont passés les électeurs d’Emmanuel Macron ? Valérie Hayer a enregistré 3.614.646 voix aux européennes, soit 6.168.646 voix de moins qu’Emmanuel Macron ! Raphaël Glucksmann a lui fait 3.424.216 voix, mais ses électeurs étaient loin d’avoir tous voté pour Emmanuel Macron en 2022, quelques-uns avaient choisi Hidalgo et d’autres étaient sûrement des déçus de Jean-Luc Mélenchon. Il est aussi possible qu’une petite proportion des électeurs macronistes ait voté pour Bellamy et que d’autres se soient reportés sur Jordan Bardella. Reste néanmoins un constat inévitable : lors des élections européennes, l’abstention différentielle a été extrêmement défavorable au camp présidentiel et très favorable au Rassemblement national.

Pourquoi ? Parce que le « macronisme » est grippé et a fini par lasser ses soutiens. Ses électeurs ont tout simplement trouvé les deux premières années de mandat confuses, voire chaotiques. Réforme des retraites, loi immigration ou émeutes ont perturbé un « centre » qui n’a plus su où donner de la tête. Le virage à gauche du début de quinquennat a déçu les plus droitiers, la tentative d’évolution à droite avec la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre a été perçue comme trop timorée à droite et presque « facho » par une gauche largement portée aux extrêmes.

Les élections législatives ne sont toutefois pas des élections européennes. L’enjeu y est différent. Il est toujours possible que ces millions d’électeurs disparus comme par magie reviennent aux urnes par « peur » du Front Populaire ou du Rassemblement national. Faute de quoi, le macronisme disparaitra de facto.

Le tsunami bleu marine ou le barrage multicolore ?

En 2021, j’écrivais dans Le Figaro Vox la chose suivante : « Il n’est pas dit que nous redeviendrons ce que nous fûmes sans un aggiornamento radical de nos pratiques politiques. La classe politique est à l’image de ses institutions ; déphasée. Le résultat est là sous nos yeux. La population est défiante, menaçant de se scinder en micro-communautés. En perdant des libertés, nous ne préservons pas la liberté: nous maintenons collectivement la résilience d’un Etat qui se perd et qui nous perd. L’état d’urgence démocratique implique de profonds bouleversements. Les lois d’exception ne peuvent plus être la norme. Le président ne doit pas pouvoir faire ce qu’il veut sans en référer à la représentation nationale. La représentation nationale doit nécessairement être pluraliste, ce qui s’accompagne d’une modification du mode de scrutin. Les députés à l’Assemblée nationale doivent donc être élus à la proportionnelle pour tenir compte de la diversité politique du pays. »

Faute d’avoir compris dès 2017, comme le lui suggérait François Bayrou, que la dissolution du PS et de LR demandait l’instauration de la proportionnelle, et faute d’avoir pris sérieusement en considération les thèmes portés par le Rassemblement national et des thèmes transversaux – tels que les libertés publiques ou la justice sociale entre les territoires -, Emmanuel Macron risque de plonger la France dans l’instabilité gouvernementale. Il aura eu tous les effets en pire des mesures politiques qu’il se refusait à prendre par peur des vieux marquisats de la politique locale et du peuple. Il est assez incroyable de l’entendre aujourd’hui agiter le risque d’une guerre civile alors qu’il a lui-même voulu la dissolution et que rien ne l’obligeait. Si on suit son raisonnement, Emmanuel Macron a mis sciemment les Français en danger. Il est aussi ahurissant de voir ces ministres battre la campagne … sur les pavés parisiens ou par visio-conférence auprès des Français de l’étranger, négligeant totalement la France de l’intérieur qui leur a envoyé de multiples messages au fil des ans.

Est-ce que les sortants Renaissance sont capables de se maintenir au second tour dans plus de 250 ou 300 circonscriptions pour bricoler une majorité à la sortie ? Rien n’est moins sûr tant ils sont peu aidés par leurs meneurs, bien que la chose soit encore réalisable. S’ils n’y parviennent pas, le Rassemblement national pourrait être porté et emprunter une autoroute vers la majorité absolue. La réponse à l’énigme posée par la dissolution se trouve entre les mains des disparus du macronisme de 2022. Elle se trouve aussi dans l’attitude respective des appareils et des électeurs de gauche et du centre. La droite fera bloc de son côté. Réponse définitive le 7 juillet.


  1. Dans son enquête réalisée en ligne du 19 au 20 juin 2024, Harris Interactive, Challenges, M6 et RTL donnent 33% d’intentions de vote aux candidats soutenus par le RN et 4% aux candidats soutenus par Eric Ciotti ↩︎
  2. 3,8 % de pertes de voix entre un premier tout de présidentielle et une européenne (le score de Bardella aux européennes a été soustrait à celui de Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2022, puis une règle de trois a été appliquée) est à analyser comme un gain de voix puisque la présidentielle T1 est toujours le potentiel maximal d’une formation politique compte tenu de l’enjeu et de la participation. En outre, le nombre total de suffrages exprimés aux européennes était évidemment plus bas qu’au premier tour de la dernière élection présidentielle. ↩︎

Interdiction des portables en classe: Jordan Bardella et Emmanuel Macron sur la même ligne

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Jordan Bardella présente son programme en vue des élections législatives, Paris, 24 juin 2024 © Christophe Ena/AP/SIPA

Jordan Bardella comme Emmanuel Macron veulent interdire le portable à l’école. Estimant qu’on ne pouvait plus « minimiser leur impact » négatif sur les cerveaux, le président de Rassemblement national veut le bannir complètement dans les établissements « dont les lycées ».


Tout est politique, le portable aussi. En entendant le président de la République et Jordan Bardella défendre de concert cette mesure simple et de bon sens, beaucoup de gens ont pensé : c’est dingue que ce ne soit pas encore fait ! Sauf que c’est fait. C’était d’ailleurs à la une du Figaro, hier, avec un grand article de Caroline Beyer expliquant la laborieuse interdiction des smartphones dans les classes[1]. Une loi de 2018 interdit en effet « l’utilisation du téléphone portable et de tout terminal de communications électroniques » à l’école et au collège. Une autre loi de 2023 proscrit l’usage des réseaux sociaux avant 15 ans.

Une interdiction qu’on n’arrive déjà pas à faire respecter dans les prisons

Seulement, on dirait qu’il s’agit d’un « acquis social » caché, un droit sacré de l’enfant et de l’adolescent à aller en classe avec son smartphone de la maternelle à l’université. À la fac, le téléphone est ouvertement posé sur les tables. Quel prof oserait s’y opposer ? Au lycée, sans surprise, les tentatives d’interdiction se heurtent évidemment aux syndicats et fédérations de parents d’élèves. Pire : pendant des années, des élus ravis de la crèche numérique ont prétendu réduire la fracture scolaire en mettant des écrans partout. Ne citons pas de noms…

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Beaucoup de collèges renoncent à interdire, ceux qui récoltent les précieux appendices ont des difficultés de gestion (dépôt et restitution, casiers…). Le proviseur du lycée privé sous contrat Bossuet Notre-Dame (Paris 10e) raconte carrément que quand il en confisque un, il arrive parfois que les parents en donnent un autre à leur enfant. Et quand l’interdit existe, il y a malheureusement des trous dans la raquette: comme le dit un autre principal, si on n’y arrive pas en prison, alors au collège….

Mais pourquoi l’interdire ?

Etrange question. Auriez-vous sorti une BD ou votre Walkman en classe, ou commencé à parler avec votre copain à l’autre bout de la classe ? Non. Marcel Gauchet m’a confié récemment que tous les profs avec lesquels il échange lui racontent que quand ils font cours, la moitié de la classe n’est pas là.

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L’absorption par l’écran est bien plus nocive que toutes les sottises que nous pouvions inventer à notre époque en classe. Les études et la simple observation convergent. Chez les tout-petits, le portable à haute dose produit des dégâts cognitifs irréversibles ; il entrave la formation de l’imaginaire, et favorise la passivité. Dans toutes les classes d’âge, un accroissement massif des troubles de l’attention et des consultations afférentes est constaté. Et le problème n’est pas limité à l’école : une étude de 2023 révèle que 80% des 11-12 ans ont déjà un smartphone en France, et que 71% possèdent déjà un compte sur un réseau social. La responsabilité des parents est immense. Combien d’entre eux utilisent leur portable à table? Les vrais enfants privilégiés deviennent ceux à qui on interdit ou rationne les écrans.

L’addiction de masse au portable est un poison anthropologique qui concerne toutes les sociétés humaines. Le portable n’est pas un objet mais un prolongement identitaire, l’apanage de l’individu-roi. Il promet à chacun son propre monde. Et contribue ainsi à l’effacement du monde commun.

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Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio


[1] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/pause-numerique-casiers-la-laborieuse-interdiction-du-portable-a-l-ecole-20240623

Petit tour d’horizon des inquiétudes du «monde de la Culture»

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L’actrice Corinne Masiero appelle à voter contre les « bâtards » du RN sur Mediapart © VICTOR AUBRY/SIPA

Les actrices Ariane Ascaride, Corinne Masiero ou Marion Cotillard, l’acteur Mathieu Kassovitz, le dernier lauréat du prix Goncourt Jean-Baptiste Andrea… Avec plus ou moins d’élégance, tous expriment le profond dégoût que leur inspire le vote RN. De leur côté, les Soulèvements de la Terre, un temps menacés de dissolution, envisagent des «blocages ciblés» après le second tour des élections législatives.


Sur BFMTV, la comédienne Ariane Ascaride a confié être très inquiète. Elle pense que, si le RN gagne les élections législatives, « une certaine parole va se libérer » et que nous assisterons à un « effacement de la culture ». Or « moi, dit-elle avec la modestie qui caractérise les artistes de gauche, je fais un métier, c’est la culture »[1]. Si le RN parvient au pouvoir, les subventions publiques seront drastiquement rationnées et le régime particulier des intermittents du spectacle – dont le déficit chronique est évalué à plus d’un milliard d’euros par an par la Cour des comptes, faut-il rappeler – sera supprimé, se lamente-t-elle. Si seulement. Mais rassurons tout de suite Mme Ascaride : Marine Le Pen, tout à son désir de ne pas brusquer le petit monde de la Culture, affirme régulièrement ne pas vouloir toucher au système avantageux élaboré de longue date par la culturocratie étatique. Premier ministre, Jordan Bardella ne cherchera vraisemblablement aucun pou dans la tête des bénéficiaires de cette petite mafia cultureuse bien établie. Celle-ci pourra donc continuer de pondre des œuvres, pour la plupart ennuyeuses ou abrutissantes, en tendant sa grosse sébile devant le généreux ministère de la rue de Valois.

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Corinne Masiero et les bâtards

En 2021, lors de la cérémonie des César, la toujours gracieuse Corinne Masiero était apparue dans le plus simple appareil avec des tampons hygiéniques usagés en guise de boucles d’oreille pour soutenir les intermittents du spectacle. Sur le plateau de Mediapart, la Capitaine Marleau de la télévision publique (donc rémunérée par tous les Français) vient d’appeler à voter pour le Nouveau Front Populaire afin d’éviter « la peste noire » et d’empêcher « les bâtards » du RN de s’en prendre aux « meufs » et aux homosexuels. Quelque chose a dû échapper à Mme Masiero : les « meufs » et les homosexuels ont de toute évidence beaucoup plus à craindre d’un mouvement cornaqué par un parti islamo-gauchiste promouvant le voile islamique et infiltré par des individus ne portant pas les homosexuels dans leurs cœurs que d’un parti qui compte dans ses rangs et à sa tête de plus en plus de femmes et d’homosexuels. Plutôt que de répéter des banalités mensongères, Corinne Masiero devrait se renseigner un peu sur les sources de l’inquiétante transformation mélenchoniste : en février 2013, sur le blog du Parti des Indigènes de la République, Houria Bouteldja, ancienne porte-parole de ce mouvement, « camarade » de Danièle Obono et inspiratrice du tournant décolonialiste et indigéniste des Insoumis, justifiait l’homophobie de ses coreligionnaires en expliquant qu’elle était « une résistance farouche à l’impérialisme occidental et blanc. » Quant au féminisme, il n’est, selon Houria Bouteldja, qu’une ruse de l’Occident pour arracher les femmes musulmanes aux magnifiques préceptes de la charia. « Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches », écrit-elle dans son essai au titre éloquent, Les Blancs, les Juifs et Nous. Houria Bouteldja, qui n’aime ni les Blancs, ni les homosexuels, ni les féministes, ni les Juifs, considérait il y a un an que Jean-Luc Mélenchon était un « butin de guerre » inestimable, un extraordinaire cheval de Troie pour l’islamisme, l’antisionisme antisémite, la déconstruction des valeurs occidentales. Elle ne s’est pas trompée. Le résultat va peut-être même au-delà de ses espérances. Si elle a entendu les âneries de Corinne Masiero, elle a dû bien se marrer. 

Corinne Masiero et Marina Foïs, Paris, Salle de l’Olympia, 12 mars 2021 © Bertrand Guay/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22548132_000001

Marion Cotillard emmerde le Front national

Marion Cotillard, l’actrice rebelle de la côte ouest des États-Unis, a posté sur Instagram une photo d’elle portant une veste en jean émaillé d’un portrait d’Angela Davis, d’un cœur rose et d’un badge datant un peu : « La jeunesse emmerde le Front Nazional ». Ô magie du cinéma : Mme Cotillard, bientôt cinquantenaire, se nippe et s’affiche comme une étudiante attardée de Sciences Po Paris et partage avec cette dernière les mêmes frayeurs vis-à-vis de la « peste brune » et les mêmes préoccupations écologiques. Ainsi, pour soutenir le collectif Les Soulèvements de la Terre menacé de dissolution, l’actrice postait, il y a à peine un an, sur son compte Instagram, un texte consternant dans lequel elle dénonçait les « violences policières » contre les gentils écolos et la « dérive sécuritaire du gouvernement couplée à son incapacité à nous protéger des conséquences du changement climatique ». « Ces intimidations, écrivait-elle sur le yacht où elle passait ses vacances après avoir sillonné le ciel en long, en large et en travers à bord de son jet privé, n’arriveront pas à nous faire taire. » En parlant de violences et d’intimidations : le sympathique mouvement écologiste Les Soulèvements de la Terre propose actuellement sur son site « d’envisager dès à présent des blocages ciblés et des prises des ronds-points partout en France dès le 8 juillet »[2] en cas de victoire électorale du RN, de « monter des barrages physiques à l’exercice du pouvoir et des espaces d’auto-organisation dans la rue si le barrage électoral n’a pas été suffisant », de « construire une campagne d’actions contre le groupe Bolloré ». C’est dire en quelle estime ces cucurbitacées portent la démocratie dont elles se réclament : si le peuple vote mal, il faut châtier le peuple et le contraindre par la force à l’écologisme et à ses multiples ramifications totalitaires, de l’islamo-gauchisme au wokisme. Voilà ce qu’ils appellent un « soulèvement anti-fasciste ».

Les ânes de l’industrie du livre

Et puis il y a les « actrices et acteurs du monde du Livre » qui encouragent « chacune et chacun » à faire barrage au RN. « Nous sommes porté.es, gribouillent-ils dans une pétition[3], par des valeurs de partage, de transmission, de médiation. » Ces gens, qui revendiquent un amour éperdu pour « le livre » et la culture, sont en réalité des ânes. Leur braiment inclusif est le sabir des aliborons. Le dernier lauréat du prix Goncourt, une ancienne ministre de la Culture, des écrivains, des éditeurs et des libraires signent ce brouet en osant parler de littérature.

A lire aussi, Martin Pimentel: Thomas Jolly, « mi-homme mi-coffre fort »

Ils défendent, barbouillent-ils, « la nuance face à l’outrance, ce qui rassemble plutôt que ce qui divise, ce qui ouvre l’avenir plutôt que ce qui l’obscurcit » – les livres qu’ils écrivent ou lisent s’appuient sur ce fondement, dans tous les sens du terme. « Toute la vitalité négative des arts s’abîme dans l’océan joyeux de la Positivité », écrivait Philippe Muray. Ces aimables nuancés sont en vérité les matons littéraires du camp du Bien. L’art du roman leur est inaccessible – il faut, pour l’atteindre ou le savourer, affectionner une liberté spirituelle qui se fait rare. Remettre en cause l’orthodoxie du moment, révéler les tartufferies qui la soutiennent, décrire les cuistres de cette époque nimbée d’éthique cauteleuse, d’indignation revancharde et de bonne conscience sélective sans craindre de déplaire au plus grand nombre tout en doutant de soi – cela n’est pas à la portée de tout le monde. La tendance littéraire actuelle serait plutôt au larmoiement autobiographique, à la fausse révolte sociale, à la résistance de théâtre, aux pleurnicheries sociétales et progressistes – bref, à l’acceptation du reformatage totalitaire de la société, de la langue et des arts. Ces « actrices et acteurs du livre » n’ont par conséquent pas hésité quand il s’est agi de signer une pétition écrite avec les pieds en faveur de la continuation de la destruction d’un pays et d’une langue qu’ils n’aiment pas et auxquels ils préfèrent la fantastique contrée de la diversité heureuse, du wokisme radieux, de l’écriture inclusive et de la littérature de bazar.

Mathieu Kassovitz ne manque jamais à l’appel

Pour conclure, une cerise sur le gâteau indigeste des déclarations azimutées de nos artistes de gauche, forcément de gauche : sur LCI, après avoir ironiquement affirmé que le RN avait « peut-être sa place en France » et que c’était « une expérience à essayer », Mathieu Kassovitz a plus sérieusement déclaré avoir des difficultés, comme tant d’autres Français, à joindre les deux bouts en fin de mois : « La France va mal, moi je gagne beaucoup d’argent et je n’arrive pas à m’en sortir. » Face au supposé danger fasciste que court la France, M. Kassovitz avait prévu d’exhiber à la télé une tristesse de circonstance et un visage ravagé par la peur du retour de la bête immonde. Une phrase, une seule, d’une obscénité totale, aura suffi à l’émergence de la vérité : une caste médiatico-culturelle privilégiée et déconnectée des réalités de la vie ordinaire de la majorité des Français donne des leçons de maintien politique à ces derniers au nom d’une éthique et d’une décence qui lui font totalement défaut.

Nombriliste, rapace, intrigante, elle craint surtout de perdre, en plus de son rentable magistère moral, ses prébendes. Tout le reste n’est que comédie.


[1] https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/les-inquietudes-de-la-comedienne-ariane-ascaride-en-cas-de-victoire-du-rn-aux-elections-legislatives_VN-202406190955.html

[2] https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/pour-un-soulevement-antifasciste

[3] https://www.change.org/p/appel-les-actrices-et-acteurs-du-monde-du-livre-se-mobilisent-84c8c20d-3cbe-49f9-b080-87dd4730d6d3

Emmanuel Macron paie la note…

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Valérie Hayer et Emmanuel Macron, Bruxelles, 17 avril 2024 © Arnaud Andrieu/SIPA

Le soir du résultat des élections européennes, le président de la République a sévèrement reçu la monnaie de sa pièce. Avec la décision de dissoudre l’Assemblée nationale, il plonge le pays dans l’inconnu, et somme désormais les Français d’avoir peur…


Depuis la déroute des élections européennes et la décision de dissoudre qu’a prise le président de la République, j’éprouve un double sentiment contrasté. Que je pourrais résumer de la manière suivante : c’est à la fois bien fait – familièrement dit – et triste !

Bien fait. Tout ce qui s’est accumulé depuis sa réélection à la fois légitime mais si mal acquise, avec une implication présidentielle minimaliste qui a frustré beaucoup de citoyens, semble avoir fait mousse, danger et délitement. Ses phrases provocatrices, des attitudes frôlant l’arrogance, sa politique catastrophique du « en même temps » interdisant toute véritable action, ses insupportables fluctuations, son omniprésence avec une parole tellement offerte qu’elle s’est démonétisée, sa manière de prendre toute la place de son Premier ministre et de lui reprocher ensuite ses faiblesses ou ses abstentions, sa médiocre capacité à choisir les meilleurs pour ses conseillers comme pour ses ministres, cette étrange atmosphère de cour à l’Élysée où une solitude impérieuse dissimule ses desseins et ne se penche jamais sur elle pour se questionner, cette hostilité dont, quoi qu’il en ait, il n’arrive pas à se défaire parce qu’elle tient plus à ce qu’il est qu’à ce qu’il accomplit ou non.

Le résultat des élections européennes, après la majorité relative qui déjà avait entraîné un court fléchissement du président, selon des proches, a soldé toutes ces blessures, ces déceptions, ces rancœurs citoyennes, ce malaise d’une France qu’il regardait de haut parce que ses peurs, ses misères et ses attentes n’étaient pas les siennes qui étaient infiniment plus élevées !

C’est bien fait. Il a reçu sévèrement la monnaie de sa pièce.

Mais je ne peux m’empêcher aussi d’être troublé par cette atmosphère d’apocalypse depuis le soir du 9 juin, par ce climat shakespearien où, d’un coup, un vent de désastre soufflait, où Jupiter égaré, incertain, disposé à la politique du pire, au pire de la politique, avait perdu de sa superbe, devenait, en tout cas à mes yeux, presque pitoyable. Comme une sorte de roi Lear sur sa lande élyséenne. Comme s’il avait fallu ces intenses et dramatiques péripéties politiques pour que, enfin, il se dégonflât de lui-même, étonné de n’être plus qu’un président ordinaire, conscient d’un futur qui allait rétrécir encore davantage son champ d’action.

A relire: Qui est réellement Raphaël Glucksmann?

Quand Raphaël Glucksmann déclare que « nous sommes présidés par un adolescent qui s’amuse à faire craquer des allumettes dans une station à essence sous les vivats énamourés de trois conseillers obscurs » (Le Point), je trouve que son appréciation caustique traite à la légère ce qu’a dû être le tourment présidentiel. Même si Emmanuel Macron a cherché à théoriser politiquement l’absolue nécessité de la dissolution en une période pourtant si peu propice, elle a représenté pour lui un saut dans l’inconnu et ce serait le moquer que de croire à une fantaisie de gamin. Faut-il ajouter foi au fait qu’il serait absolument « ravi » par la dissolution qu’il aurait eue dans la tête depuis plusieurs mois ?

Les réactions très négatives de son propre camp, manifestant une défiance à son égard et une préférence électorale pour l’implication de son Premier ministre, ne l’ont pas empêché de continuer à espérer pour le 30 juin et le 7 juillet en accablant le Nouveau Front Populaire sous le reproche d’être « totalement immigrationniste » et de permettre le changement de sexe en mairie, ce qui lui a valu le grief « de se vautrer dans une transphobie crasse ». La conséquence saumâtre de son désaveu au sein de son propre camp est qu’on ne veut plus l’entendre parler même lorsqu’il dit des choses justes et cinglantes !

Derrière cette lutte politique qu’il doit mener, je ne doute pas que dans son for intérieur il s’interroge sur ce qu’il adviendra de lui si le RN a la majorité absolue – ce qui est peu probable – ou si l’Assemblée nationale se retrouve éclatée en trois groupes, donc ingouvernable.

Cette personnalité qui avait tant de dons, à qui tout souriait, commence un début de la fin sous d’autres auspices.

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Les résistantes résistaient-elles autrement que les résistants?

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Sac à main à double-paroi de Lise London. © Coll. Musée de la Résistance Nationale à Champigny-sur-Marne (AAMRN) - Fonds Lise Ricol-London

Le combat des femmes… Quand notre regard contemporain contemple l’histoire passée.


Bandeau « Amis des juifs » porté par Lucienne Artige en juillet 1942 © Mémorial de la Shoah/coll. Steg

L’exposition Résistantes ! s’ouvre sur une constatation : 1944, c’est l’année où les femmes obtiennent le droit de vote (à la grande crainte des communistes, rappelons-le, qui craignaient qu’elles ne votent “comme leurs maris ou leurs curés”): « Il y a 80 ans, les Françaises devenaient électrices et éligibles « dans les mêmes conditions que les hommes ». Cette entrée de plain-pied dans la citoyenneté par une ordonnance signée du général de Gaulle était alors présentée comme une reconnaissance officielle du rôle majeur joué par les femmes dans la Résistance. » 80 ans après la Libération, l’occasion était trop belle de confondre toutes les luttes dans une approche intersectionnelle et de chercher dans l’esprit de résistance de Françaises patriotes une volonté parallèle d’émancipation du patriarcat (« Pour les femmes, l’engagement résistant représente une double transgression : contre l’ordre allemand et celui de Vichy mais aussi contre l’ordre social des sexes. Résister au féminin c’est donc, au propre comme au figuré, franchir des lignes »), l’occupation allemande et les mœurs sociales françaises étant nanties d’un même coefficient d’oppression, notamment parce que les autorités françaises comme allemandes renâclaient à traiter les femmes comme les hommes, signe évident de l’infériorisation sociale des femmes, la frontière des genres ne s’abolissant que pour les communistes (on se situe après la fin du pacte germano-soviétique, n’est-ce pas), précurseur donc des luttes féministes à venir.

Code imprimé sur un mouchoir de soie de Brigitte Friang. Ces codes sont utilisés pour crypter les communications radio entre la centrale de transmission en Grande-Bretagne (Home Station) et les opérateurs radio sur le terrain (Outstations). Ces suites de chiffres imprimées sur un mouchoir de soie sont autant de clés détruites après utilisation (c’est pourquoi le bas du document est déchiré). © Coll. Musée de la Résistance Nationale à Champigny-sur-Marne (AAMRN) – Fonds Élizabeth Friang, dite Brigitte Friang

A lire aussi, Elisabeth Lévy : Juifs de France: pour vivre, vivons cachés

Comment dire ? Ce n’est pas totalement convaincant, même si, bien sûr, constater qu’il n’y a que six femmes parmi plus de mille Compagnons de la Libération interroge, de même que la relative difficulté à se faire reconnaître comme résistante après la guerre : « l’affirmation de femmes-individus affranchies est minorée à l’identique par la répression et la reconnaissance tant elle heurte encore les représentations dominantes du féminin », a écrit dans sa thèse Catherine Lacour-Astol, commissaire de l’exposition. C’est d’autant moins convaincant qu’on sent un parti-pris “progressiste” dans le choix des profils mis en avant. Pourquoi, par exemple, ne pas faire la part très belle à Marie-Madeleine Fourcade, qui dirigea le réseau Alliance – qui avait le tort de ne pas être gaulliste ni communiste, c’est vrai ? Pourquoi ne pas voir que nombre de résistantes le furent pour des raisons patriotiques, conciliant sans troubles de genre le ménage et l’acheminement des messages, la préparation du fricot et la manipulation de la radio ?

Mais ces réserves ne suffisent pas à amoindrir l’intérêt de l’exposition qui décrit avec des documents nombreux et émouvants par leur banalité même une résistance en effet féminine, sans éclat mais non pas sans danger, celle de la vie quotidienne, de la lutte contre la faim, de la rébellion contre le rationnement, avec ses manifestations encourageant le vol (qui valut à « la mégère de la rue Daguerre », Lise London, militante communiste appliquant saint Thomas1, d’être déportée) ; celle aussi de l’hospitalité, puisque les foyers qui accueillent des aviateurs anglais ne peuvent le faire qu’à condition que les femmes les prennent en charge, dans l’esprit (patriarcal) des autorités d’occupation, ou parce que les communautés religieuses catholiques sont mobilisés, comme celles des sœurs du Très Saint Sauveur de Niederbronn (Bas-Rhin) ou de Notre-Dame de Sion (Isère), les religieuses en cornette (ou non) cachant et transportant enfants juifs, aviateurs alliés, mitraillettes et grenades.

Pistolet cal. 6.35 et son étui ayant appartenu à Anne-Marie Mingat-Lerme, alias « Mimi Mingat » lorsqu’elle était agent de liaison dans le Grésivaudan. © Cliché Denis Vinçon. Coll. Musée de la Résistance et de la Déportation – Département de l’Isère, inv. 2015.02.01

L’exposition nous plonge dans ce quotidien, avec les placards allemands, les tracts clandestins, les armes de poing glissés dans des étuis féminins, le sac à main à double-paroi de Lise London, justement, sac confectionné par l’agent de liaison Nelly Schweig et dont le secret ne fut pas détecté lors des huit jours d’interrogatoire que subit Lise London en août 1942. Tout est anodin, fragile, dérisoire – et prenant, jusqu’aux poupées que les résistantes emprisonnées s’offrent, avec cet appétit de normalité que connaissent tous les embastillés : la résistance s’incarne dans le fait de reconquérir une vie qui ignore les murs et leurs interdits. Entre beaux portraits, documents émouvants et réalité minutieusement décrite, Résistantes ! fait vivre une Résistance modeste, reléguée et pourtant aussi décisive. Elle n’a pas besoin d’être badigeonnée de féminisme pour mériter notre respect.

Résistantes ! jusqu’au 13 octobre 2024. Musée de l’Ordre de la Libération, Hôtel des Invalides. 15€.


  1. « En cas de nécessité, toutes les choses sont communes » (In necessitate sunt omnia communia : IIa-IIae, q.66, a.7) ↩︎

Aux armes, citoyennes!

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Manifestation féministe contre le RN, Paris, 23 juin 2024 © SABRINA DOLIDZE/SIPA

Des rassemblements féministes contre le RN ont eu lieu ce week-end. Un antifascisme d’opérette. Sans vraiment croire à ce qu’elles racontaient, les militantes ont défilé contre le parti de Marine Le Pen, laquelle serait une réincarnation sournoise du patriarcat. C’est que cela fait toujours plaisir aux militantes de se retrouver pour se répéter à quel point on est meilleur que les autres.


Après les artistes, les sportifs, les pêcheurs à la ligne ou les abonnés au gaz, sans oublier, ce qui est plus problématique, des diplomates pétitionnaires, c’était hier aux féministes de se produire dans le grand cirque antifasciste.

La politique « nataliste » du RN dénoncée

Ulcérés que Jordan Bardella s’adresse aux femmes, propriété privée de la gauche, 200 syndicats et associations biberonnées à l’argent public ont rassemblé quelques milliers de manifestants en France : c’est assez révélateur de leur capacité de mobilisation et de leur représentativité.

La liturgie est rodée depuis des années. Si les forces du mal l’emportent, de multiples plaies s’abattront sur nous. Notamment, un recul du droit des femmes et des LGBT (bien que le rapport ne soit pas forcément évident).

A lire aussi: Jordan Bardella: «Je suis l’enfant de la génération 2005-2015»

Marine Le Pen renverra les femmes à la maison, elle reviendra sur l’IVG. Son projet, selon Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, c’est « Travail-Famille-Patrie ». Rien que ça ! De son côté, la présidente du Planning familial Sarah Durocher est également très remontée. Elle craint de voir baisser la subvention publique, et se demande si la promotion du transgenrisme ou de l’homme enceint qui fait partie des missions que lui délègue l’État, est un crime de lèse-féminisme. Le pire pour les militantes, c’est que Bardella parle de politique nataliste : « On a pu entendre qu’il fallait faire des enfants. Donc évidemment qu’on est très inquiètes », peste Mme Durocher. Faire des enfants, vous rendez-vous bien compte ? Aux armes, citoyennes!

On blague, mais n’y a-t-il pas quelque inquiétude à avoir ?

Il est vrai qu’il y a dix ans, Marine Le Pen voulait dérembourser les avortements dits de confort. Elle y a renoncé. Certes, il y a au RN des croyants qui ne sont pas des fanatiques de l’IVG (et il y en a d’ailleurs dans les autres partis politiques, aussi). Mais ils ne réclament pas qu’on revienne sur ce droit.

En tout cas, les femmes sont maso ou ingrates avec cette gauche qui veut leur bien. Car il y a une exception française. Partout en Europe, nous apprend Frédéric Dabi de l’IFOP, le vote féminin se porte plus à gauche et moins envers les partis populistes ou de droite nationale. Mais en France, les femmes sont légèrement plus nombreuses que les hommes à avoir voté Bardella (32 contre 31 %) ! Pour expliquer cette exception française, on nous parle du pouvoir d’achat.

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Moi, j’ai le sentiment qu’alors que la gauche unie s’entête dans le déni, fustigeant éternellement le mâle blanc et récusant tout rapport entre insécurité et immigration, les femmes savent par qui elles se font harceler dans la rue ou les transports ; elles savent aussi que c’est dans certaines mosquées salafistes et pas dans les réunions RN qu’on peut entendre qu’un homme a le droit de battre sa femme. Elles savent enfin que les femmes souffrent plus en Iran qu’en Hongrie, quelles que soient les critiques que l’on peut formuler à l’endroit de Viktor Orban.

Alors beaucoup préfèrent le prétendu patriarcat que représenterait le RN aux compromissions islamo-gauchistes. Et il reste amusant de noter que ce parti si patriarcal pourrait en réalité être le premier à envoyer une femme à l’Élysée !


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi dans la matinale de Patrick Roger

Toute oraison funèbre en cache une autre

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Image d'illustration Unsplash.

Notre chroniqueur vieillirait-il? Le voici apparemment obsédé par le sentiment de sa finitude, et si, comme il le dit, une oraison funèbre est en même temps celle de celui qui la prononce, son étude de la superbe évocation, par Pierre Mari, de l’ami disparu auquel il n’a pas sauvé la vie est quelque part l’amorce du discours que nous prononcerons un de ces jours à ses obsèques.


Au fur et à mesure que l’on vieillit, les amis qui vous jouent le vilain tour de disparaître avant vous vous chargent, explicitement ou non, de dire quelques mots sur leur cercueil. De ces mots qui en théorie permettent de visser définitivement le couvercle.

Exercice bien difficile que de dire, sous le coup de l’émotion, tout le bien (ou le mal) que l’on pense du cher disparu. Quand de surcroît il s’agit d’un ami de trente ou quarante ans, avec lequel vous avez vécu le meilleur (la jeunesse) et une partie du pire (la lente glissade vers la chute), l’opération est bien délicate.

Pierre Mari, qui a parfois travaillé pour Causeur et que je connais depuis quarante ans, a donc perdu son plus proche copain — et j’emploie intentionnellement ce mot au sens que lui donnait Jules Romains dans son roman éponyme, ces « copains » de fin d’adolescence, rencontrés juste après le Bac sur les bancs de la fac ou l’enfer (supposé) d’une classe prépa.

Bref contournement autobiographique. C’est une expérience que j’ai vécu au début des années 1990, quand un condisciple que je traînais depuis l’hypokhâgne a cru bon de céder aux instances d’un virus à la mode. Nous avions tout partagé en binôme, la même thurne à l’ENS et les créatures qui y passaient. Nous avions passé la même agrégation, conçu ensemble des livres qui firent date, nous nous étions fait, au-dessus d’innombrables bouteilles de crus estimables, ces confidences dérisoires qui cimentent une vraie amitié. Comment résumer en dix minutes trente ans d’orgies et de franches lippées, comme dit La Fontaine ?

A lire aussi, Pierre Mari: Nous devenons étrangers à notre propre langue

On comprend bien que le grand genre de l’oraison funèbre classique, celle que Bossuet par exemple concocta pour le Prince de Condé, ne peut servir d’inspiration. Nous sommes ici dans l’intime, l’impalpable — l’indicible qu’il faut bien formuler. Il en est de l’amitié comme de l’amour : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », dit très bien Montaigne de sa relation avec Etienne de la Boétie, parti lui aussi bien trop tôt.

L’écrivain Pierre Mari, lors d’une conférence en juin 2019. Université Réelle (Montpellier) Capture Youtube

Pierre Mari adopte donc le ton de la lettre intimiste, adressée à un « tu » rattrapé par un crabe qui courait plus vite que lui, bien qu’il marchât de travers. Vieillir, ce n’est pas seulement décatir, radoter et perdre de l’acuité visuelle, c’est aussi être convoqué, de plus en plus souvent, au dernier terminus des copains — auxquels on en veut un peu confusément, et qui se seraient sans doute dispensés de nous imposer une balade au crématoire du cimetière Saint-Pierre ou au funérarium du Père Lachaise.

Et d’évoquer, par exemple, les rituels de bizutage de l’hypokhâgne : « La tradition voulait qu’avant le rituel collectif, qui aurait lieu le lendemain matin, les nouveaux internes reçoivent l’un après l’autre la visite des anciens. En quelques phrases condescendantes, l’évidence du néant où ils pataugeaient leur était assénée : néant où ils resteraient jusqu’à la cérémonie du baptême — néant où ils redeviendraient s’il leur prenait l’envie, à l’issue de l’hypokhâgne, d’abandonner les lettres pour le droit ou tout autre filière d’infamie ». Une jolie tradition interdite par Ségolène Royal, et c’est bien dommage.

A lire aussi, Pierre Mari: La France n’a pas attendu la tragédie de Notre-Dame pour tomber en ruines

Classes d’aspirants à l’ENS, majoritairement féminines, où Pierre Mari, qui pense mal (voir son évocation de Pierre-Guillaume de Roux, éditeur corsaire qui venait de sortir En pays défait juste avant de mourir) croit se souvenir que « la ligne de partage entre insolence et conformisme recoupait celle des sexes ». Ciel ! Supposer — ce que nous savons tous — que les filles sont plus scolaires que les garçons ! Lançons vite un signalement #MeToo !

Le titre de ce court texte, Guerroyant, est en soi un programme. Comme l’a très bien vu Samuel Piquet dans Marianne, le participe présent fait l’économie du passé — étant entendu que le passé, c’est justement ce qui ne passe pas, et qui reste en travers de la gorge. L’ami disparu continue, d’outre-tombe, à distribuer les gnons et les coups de pied au cul — à Mari lui-même, à qui il arrive, comme à tous les vrais écrivains, de douter et de récuser les mots qui se refusent à lui.

Second contournement autobiographique. Avec le même copain trop tôt disparu, nous collectionnâmes les jolies hypokhâgneuses, nous envoyant en cours le lendemain des petits mots où étaient relatés le comment et dans quelles positions, avec notation des diverses acrobaties ou maîtrise du réflexe buccal, au grand dam des intéressées. L’une de ces missives, interceptée par le prof de Lettres, le fit rougir jusqu’aux oreilles. Ce n’était pas très élégant, mais bon, j’avais 16 ans, et la performance stylistique (comment dire élégamment de telles incongruités) l’emportait sur toute autre considération.

A lire aussi, du même auteur: L’antisémitisme, est-ce normal? Non, c’est Normalien!

Évidemment, le panégyrique de l’ami est une façon de « le garder encore un peu ». Tant qu’on en parle, il n’est pas tout à fait mort. Une façon aussi de se colleter à ce scandale : « Je l’ai tellement cru indestructible… » C’est enfin une façon de se préparer à son propre néant. « Je hume ici ma future fumée », dit très bien le poète.

Troisième contournement : pour ne pas mettre les amis (s’il m’en reste) dans le souci de trouver les phrases adéquates, j’ai récemment écrit l’intégralité de mon adieu à ce monde et aux gens qui seront là — peut-être. À charge à eux de trouver un diseur qui ne soit pas tributaire de ses émotions. Un acteur professionnel m’ira très bien : moins on est impliqué, et mieux on le dit.


Pierre Mari, Guerroyant, les éditions Sans Escale, avril 2024, 111 p.

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Charlotte Lewis: portrait d’une égérie MeToo

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L'actrice britannique Charlotte Lewis réagit après le verdict acquittant le cinéaste Roman Polanski des accusations de diffamation, Paris, 14 mai 2024. © AP Photo/Thibault Camus/Sipa

Roman Polanski vient de remporter une belle victoire. Le tribunal correctionnel lui a reconnu le droit de dire que Charlotte Lewis avait proféré un « odieux mensonge » à son sujet. Une décision qui ne paraît pas surprenante si l’on se penche sur la vie de la comédienne, jalonnée de frasques et d’outrances de langage, comme l’indiquent divers témoignages que nous avons recueillis.


Pour comprendre cette histoire, un petit récapitulatif des faits s’impose. L’affaire débute en 2010. Cette année-là, Charlotte Lewis, qui jouait le premier rôle féminin dans Pirates de Roman Polanski, en 1986, tient une singulière conférence de presse pendant le Festival de Cannes. Devant un parterre de journalistes, elle affirme avoir été abusée sexuellement par le réalisateur polonais trois ans avant la sortie du film, alors qu’elle était encore mineure. Des faits graves, qui n’ont pourtant jamais fait l’objet d’aucune plainte de sa part…

Neuf ans plus tard, en décembre 2019, l’histoire rebondit quand, interrogé dans Paris Match au sujet de ces allégations, Roman Polanski taxe les propos de la comédienne d’» odieux mensonge ». Quoique plutôt anodine, la déclaration sert de point de départ à l’unique développement judiciaire de l’affaire connu à ce jour. On apprend en effet en juillet 2021 que Charlotte Lewis a engagé devant la justice française des poursuites en diffamation : le réalisateur est mis en examen pour ses propos tenus dans Paris Match.

Dernier épisode en date, le 14 mai 2024 : après trois ans d’enquête, et une audience qui s’est tenue en mars, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris innocente Roman Polanski, qui n’a donc selon elle pas enfreint la loi en déclarant que Charlotte Lewis mentait. Mais le dossier n’est pas clos. L’avocat de la comédienne a annoncé qu’elle ferait appel.

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Reste qu’à ce stade Charlotte Lewis n’a pas convaincu les magistrats. Il faut dire que la personnalité de la comédienne permet de douter de sa crédibilité. Pour pouvoir affirmer cela, nous avons croisé des documents présentés lors du procès, et que la plaignante n’a pas contestés, avec les souvenirs de deux de ses anciens proches, habitant comme elle le quartier londonien de Hampstead. Nous les avons interrogés longuement et conservons les enregistrements vidéo.

Qui sont nos deux sources ? Tout d’abord Lulu Mitchell, fleuriste de profession et ancienne maire du borough de Camden (dont Hampstead fait partie), qui a bien connu l’actrice à partir de 2009, avant que leur relation finisse par tourner au cauchemar. Ensuite, un homme, Patsy Muldoon, qui fut pendant quelques mois le voisin et l’ami intime de la comédienne, avant qu’elle se retourne contre lui.

Pour eux deux, une chose est sûre. Charlotte Lewis n’est pas la femme tranquille et sans histoire, la mère célibataire dévouée à son fils unique qu’elle prétend être. Ne serait-ce que parce qu’elle a perdu la garde de son enfant quand celui-ci était très jeune. On le sait grâce au témoignage sous serment d’une dénommée Karen Smith, connue pour avoir présenté l’actrice à Roman Polanski. Selon Lulu Mitchell, c’est la mère de Charlotte Lewis qui s’est vue en son temps confier par la justice britannique la garde de l’enfant, en raison de la vie pour le moins désordonnée de la comédienne.

Une martyre réellement digne de confiance ?

Charlotte Lewis aurait en effet connu des problèmes d’addiction à la drogue, comme le laissent entendre d’ailleurs plusieurs entretiens qu’elle a donnés aux médias durant sa période hollywoodienne, dans les années 1990, où elle évoque sa difficulté à décrocher de la cocaïne. Lulu Mitchell se souvient du reste que, des années après, du temps où elle fréquentait l’actrice, celle-ci « avait toujours l’air défoncée ». Patsy Muldoon affirme de son côté : « Je l’ai vue se fournir en crack auprès d’un dealer. » Selon nos deux témoins, Charlotte Lewis a fait plusieurs cures de désintoxication en Thaïlande.

Un tel train de vie coûte cher, surtout pour quelqu’un qui – Lulu Mitchell l’assure – « vit en partie d’allocations ». D’après nos deux sources à Hampstead, Charlotte Lewis aurait fait appel à la générosité de plusieurs hommes fortunés pour payer ses séjours en Thaïlande, dont l’un lui aurait été offert par son parrain, ancien producteur de musique réputé, et un autre par un richissime Canadien, qui est aussi le parrain de son fils et qui aurait aussi assuré les frais de scolarité de ce dernier, inscrit dans un internat.

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Selon Patsy Muldoon, le Canadien a toutefois fini par couper les vivres après avoir découvert que l’actrice lui mentait sur les tarifs de la pension privée afin d’obtenir des rallonges d’argent. Depuis, affirme Lulu Mitchell, la relève financière serait assurée par « un certain Andy, un timide d’environ 70 ans », qui a fait fortune dans le secteur de la tech. Nos deux témoins soutiennent que ce Londonien a ensuite payé les séjours en clinique de Charlotte Lewis ainsi que les frais de scolarité de l’enfant.

Sachant cela, que penser de la réputation de prostitution occasionnelle dont est créditée Charlotte Lewis ? Parmi ceux qui l’ont relayée, il y a le journaliste Stuart White, auteur en 1999 d’un article dans le tabloïd britannique News of the World, selon lequel l’actrice a monnayé ses charmes au cours de l’été 1981, alors qu’elle avait seulement 14 ans. « Je n’étais pas dans les boîtes de nuit, je n’étais pas une enfant sauvage », a, depuis, démenti la comédienne.

Pourtant, en 1988, le même journal a publié les confidences d’un jeune homme, aujourd’hui propriétaire d’un sex-shop, mentionnant avoir rencontré Charlotte Lewis en 1981 dans un night-club huppé de la ville et avoir eu alors une liaison avec elle. Le même article donne aussi la parole à un mannequin, selon qui la comédienne a dérobé, la même année, 5 000 livres sterling à un riche Arabe à qui elle avait promis ses faveurs. Les habitudes à cette époque de la jeune femme dans le night-club en question, le Stringfellows, sont confirmées par l’artiste et éditeur David Litchfield dans les colonnes de sa revue Ritz en 1985. Précisons qu’évidemment, Lewis fait ce qu’elle veut. Ces épisodes laissent penser que le sexe est parfois pour elle un moyen. 

Charlotte Lewis en couverture de Ritz Newspapers (1987). D.R.

Pour nos deux sources à Hampstead, de tels récits ne sont pas étonnants. Lulu Mitchell se souvient ainsi qu’une des clientes de son commerce de fleurs, avocate de profession, lui aurait confié que son ex-mari, également avocat, « couchait avec Charlotte, car celle-ci avait besoin d’argent ». Des propos à prendre toutefois avec des pincettes, car nous n’avons – hélas ! – pas pu échanger directement avec cette avocate.

Une victime éternelle

Selon nos deux sources à Hampstead, Charlotte Lewis serait également coutumière des accusations gratuites. Patsy Muldoon raconte ainsi un pénible souvenir. À l’en croire, l’actrice l’a un jour désigné aux passants dans la rue en criant : « C’est lui qui m’a tapé dessus ! » Peu de temps après, sous ses fenêtres, la voilà qui prétend, à tue-tête, avoir été agressée sexuellement par lui. Poussé à bout, ce dernier lui envoie alors des SMS agressifs pour l’enjoindre de quitter les lieux. Charlotte Lewis préfère appeler la police, qui se rend sur place et arrête Patsy Muldoon, avant de le libérer le lendemain, sans inculpation, grâce à l’intervention… du propre avocat de l’actrice. Depuis, cette dernière a demandé une injonction d’éloignement, qui a été acceptée par le tribunal au motif des SMS violents du mis en cause.

L’actrice Charlotte Lewis en couverture de Playboy (1993). D.R.

Lulu Mitchell mentionne elle aussi un épisode troublant. Il concerne son ancien assistant, avec lequel elle tenait son commerce de fleurs, dans une camionnette à Hampstead. Un dénommé Dave, accusé il y a quelques années par Charlotte Lewis de l’avoir épiée à travers les fenêtres de son appartement. Problème, quand les enquêteurs arrivent sur place, ils découvrent qu’on ne peut pas voir lesdites fenêtres depuis l’emplacement où se trouve le véhicule !

Échaudée par cette histoire, Lulu Mitchell décide alors de rompre ses relations avec l’actrice. Au grand dam de celle-ci, qui se serait « vengée » à sa manière. Un jour, raconte la fleuriste, Charlotte Lewis se serait présentée devant elle, puis aurait composé avec son téléphone le numéro des secours avant de s’écrier, une fois en ligne avec la police : « Ma vie est menacée ! » Encore abasourdie par l’épisode, la fleuriste se souvient : « Elle avait un grand sourire sur son visage, et elle me faisait un doigt d’honneur. »

Plus tard, quand, dans le cadre de l’affaire « Paris Match/Polanski », la fleuriste rédigera un témoignage à charge contre Charlotte Lewis, et que le document sera transmis, en application des règles, à la partie adverse, donc à l’actrice, celle-ci déambulera, selon nos informations, dans les pubs et commerces du quartier en brandissant le document et en accusant à haute voix son auteur de ne pas soutenir la cause des femmes. « Elle a essayé de me faire taire, estime Lulu Mitchell. Elle est même allée voir une de mes copines pour lui dire qu’elle arrêterait si je me rétractais. »

Blessure narcissique

Certains objecteront que la vie déréglée de Charlotte Lewis résulte du prétendu traumatisme provoqué par Polanski. Mais ce traumatisme est-il réel ? Quand Charlotte Lewis préparait son accusation contre le cinéaste vers 2009, elle a, semble-t-il, raconté une autre histoire à Lulu Mitchell, qui venait de faire sa connaissance : « Je vais lui soutirer un demi-million de livres, lui aurait-elle confié. Je vais dire qu’il m’a violée. C’était mon petit ami, mais il m’a laissé tomber et j’étais amoureuse de lui. » Lorsque, dix ans plus tard, la fleuriste apprendra que cette affaire donne lieu à un procès, elle décidera de témoigner. « Les femmes ont vraiment besoin d’être entendues, justifie-t-elle. Et c’est très mal de faire cela juste pour avoir de l’argent. »

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En 2019, c’est auprès de Patsy Muldoon que Charlotte Lewis se serait également vantée de son machiavélisme. « Je vais détruire Polanski, et ce sera mon retour à Hollywood, affirme-t-il l’avoir entendue dire. […] Au procès, je jouerai un rôle, comme dans un film, je suis une grande actrice et le plus grand regret de cet homme, ce sera de m’avoir larguée. » Selon Patsy Muldoon, la vraie motivation de l’actrice est de relancer sa carrière. « Elle pense que la raison pour laquelle elle ne travaille plus, c’est que, depuis qu’elle a accusé Polanski de viol, Hollywood a dû lui fermer ses portes, présume-t-il. […] Dans sa tête, il y a des contrats de films valant 25, 30 millions de dollars. »

On le voit, Charlotte Lewis n’est pas un ange. Elle n’en demeure pas moins une victime. Non pas de Polanski, mais du compagnon de sa mère, qui aurait abusé d’elle vers l’âge de huit ans. C’est là la seule histoire qu’elle raconte sans jamais varier, et à laquelle on est tenté de croire.

L’actrice est sans doute aussi victime de son difficile retour à l’anonymat. Car voilà des années qu’elle ne tourne plus. Pourtant nos deux sources à Hampstead témoignent qu’il n’est pas rare de la voir encore saluer les automobilistes dans la rue, comme s’ils l’avaient reconnue, comme si elle était encore une vedette. Selon Patsy Muldoon, le même déni de réalité se produit quand elle regarde des séries télévisées récentes et qu’elle commente l’action en prétendant, contre toute évidence, avoir participé au tournage.

Et si le seul tort de Polanski était de lui avoir donné le premier rôle féminin dans Pirates en 1986 ? De l’avoir propulsée au sommet de la gloire, mais de ne pas l’y avoir maintenue ? Osons une hypothèse : pour Charlotte Lewis, le cinéaste est un écran sur lequel elle projette tantôt sa rage contre les hommes qu’elle ne peut pas contrôler, tantôt et surtout son regret infini de ne plus être une star.


La réaction de Charlotte Lewis : Pour les besoins de la présente enquête, nous avons sollicité l’actrice pour lui demander si elle confirme ou infirme les faits que nous rapportons. Voici ce que son avocat à Paris, Benjamin Chouai, nous a répondu : « Mme Lewis vous fait savoir qu’elle n’entend pas répondre aux rumeurs de caniveau répandues à son sujet. Elle maintient que M. Polanski est un violeur, n’en déplaise à son fan-club réactionnaire. J’ajoute que les “allégations” que vous évoquez sont typiques, jusqu’à la caricature, de ce que les auteurs avancent pour disqualifier leurs victimes. »

Gabriel Attal ne veut plus être le «petit frère» d’Emmanuel Macron

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Emmanuel Macron et Gabriel Attal lors d'une visite au Mont Valérien, le 18 juin 2024. © Jacques Witt/SIPA

Le Premier ministre, qui n’était pas dans la confidence du projet de dissolution de l’Assemblée nationale d’Emmanuel Macron et a été mis devant le fait accompli (alors que le ministre de l’Intérieur, lui, savait), semble vouloir voler de ses propres ailes. Dans son sillage, MM. Philippe et Le Maire ne sont pas en reste pour critiquer ouvertement la présidence, donnant l’impression d’un délitement à tous les niveaux.


Le président : génial ou insensé ? Nulle marque d’irrespect dans l’attaque de mon article, mais une alternative que ces derniers jours présentent à l’esprit des citoyens. On me pardonnera d’écrire encore un billet sur ce thème mais il me semble que la situation politique est suffisamment incertaine dans le présent et angoissante pour le futur, pour justifier cette insistance de ma part. Depuis cette décision de dissoudre, on a l’impression qu’un délitement s’opère à tous les niveaux, comme si la perte de confiance en la lucidité et en la maîtrise d’Emmanuel Macron avait ouvert des vannes, libéré des audaces, extériorisé des ambitions et surtout autorisé une parole dénuée de toute inconditionnalité.

Dans Le Parisien, Gabriel Attal répète à deux reprises « ne pas regarder dans le rétroviseur »

Même si dans l’Histoire de la Ve République, je concède volontiers qu’il y a eu des présidents victimes d’une désaffection et dont l’image n’était pas souhaitée sur les affiches lors des élections, même si l’hostilité politique de leurs soutiens et de leurs partisans, selon la conjoncture, avait pu survenir, il me semble toutefois que rien n’est comparable au climat actuel. Les candidats de Renaissance, entre méfiance et révolte, ne veulent surtout pas que le président parle, ils ont peur de ses possibles embardées. Le signe le plus éclatant de cette atmosphère lourde et suspicieuse est le fait qu’on ne tolère plus de sa part les charges même les plus pertinentes contre le Nouveau Front Populaire, LFI et Jean-Luc Mélenchon, comme récemment à l’île de Sein. L’aspiration générale est qu’il s’efface.

On se retrouve comme au temps des gilets jaunes où l’exaspération politique s’était dégradée en haine à l’encontre du couple Macron appréhendé telle une résurgence de la royauté honnie. Un indice tristement révélateur de ce retour a été le fait que Brigitte Macron, se rendant à l’enterrement de Françoise Hardy, a été huée contre toute décence.

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Depuis le saisissement de la dissolution, le Premier ministre Gabriel Attal ne se cache plus pour assumer des responsabilités qui se caractérisent aujourd’hui par le besoin que son camp a de lui et par l’assurance toute neuve avec laquelle il se campe presque comme un recours. Il a conscience que ce qu’un citoyen lui a demandé vulgairement au sujet du président dans le Val-de-Marne est un impératif pour lui : sa parole doit remplacer celle d’Emmanuel Macron.

Édouard Philippe: ne partez pas sans moi!

Le Premier ministre dont la jeunesse faisait peur malgré son talent, s’est mué en un personnage beaucoup plus dense et solide : les épreuves façonnent celui qui, sans elles, ne se serait pas métamorphosé aussi rapidement. Sa candidature pour 2027 n’est plus une absurdité. Il prend un peu d’avance sur ses rivaux déclarés ou plausibles. C’est à cause de cela que, de manière étrange avant le premier tour du 30 juin, Édouard Philippe rue dans les brancards et s’en prend au président qu’il accuse d’avoir « tué la majorité présidentielle ». Il affirme qu’entre les extrêmes, il y a un autre choix : l’adhésion à sa propre cause. Il a encore du travail à faire pour nous persuader que sur le plan régalien nous n’aurions pas avec lui un Juppé bis ! Bruno Le Maire se lâche de plus en plus, pourfend le caractère « solitaire » de la dissolution, vitupère les « cloportes », ces conseillers irresponsables du président, et, sur ce plan, il est approuvé par Édouard Philippe. C’est bien plus qu’anecdotique : une manière de présider est mise en cause à mots couverts ou transparents.

Le crépuscule du monde nouveau?

Le mélange d’un mandat profondément bousculé, d’un président à la personnalité décriée, en tout cas questionnée, d’un entourage sans allure, d’une Assemblée nationale peut-être ingouvernable, d’un État dans l’angoisse de ce qui l’attend, de sondages qui, tous, placent la majorité présidentielle derrière le NFP et surtout le RN associé à Éric Ciotti, crée un crépuscule républicain, une démocratie délétère, morose, un paysage présidentiel informe et inédit. Espérance paradoxale : les procurations explosent. On aura une forte participation. Face à ce désastre annoncé, Emmanuel Macron nous affirme pourtant que « la majorité absolue est à portée de main ». S’il a raison, après de longs flottements il redevient un génie de la politique. S’il cherche à se donner du courage en sachant qu’il se ment et nous égare, il est insensé. Il conviendra que 2027 nous permette d’élire un président enfin normal, mais pas comme au sens où l’entendait François Hollande. Avec en même temps de la simplicité, de l’allure… Et de la vérité…