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Le psy, un ami de la famille ?

Pyschologie Alain Valterio "Brèves de psy" Sigmund Freud "psyrose"
Sigmund Freud et les membres de son "comité secret", 1922

Une adolescente de 14 ans se voit administrer une gifle par son père qu’elle a traité de « gros con ». Une scène de genre qui sous Giscard d’Estaing se serait terminée banalement par une bouderie muette vire inéluctablement au psychodrame quatre décennies plus tard. Dans une France soumise à l’omniprésence de la « culture thérapeutique », un pays où les « bigots cathos » ont été remplacés par les « bigots psycho », selon la formule consacrée du psychanalyste suisse Alain Valterio, le père « maltraitant » n’a eu d’autre choix que de faire son mea-culpa devant sa fille, en présence d’un aréopage officiel de spécialistes des conflits familiaux. Faute de quoi, divorcé, il aurait perdu son droit de visite. L’exorcisme n’aurait tout de même pas été accompli pleinement si le tyrannique géniteur n’avait été contraint d’entamer une psychothérapie pour « régler son problème de violence ».

Le dernier ouvrage de Valterio, Brèves de psy, fait suite à son édifiante Névrose psy. On peut observer de multiples « effets de la psychologisation sur les mentalités ». Véhiculée par le fantasme d’une vie sans chagrins dont nous aurions le droit de « profiter », comme on profite de ses vacances, la verbeuse mentalité thérapeutique désignée par l’auteur sous le néologisme de « psyrose », « entretient ses propres mythes, ses propres interdits et donc ses propres abus, derrière les discours compassés qui se sont imposés dans toutes les sphères de la société ». Nier l’emprise du « psychologiquement correct » reviendrait certes à refuser la réalité.

L’anti-tragédie

Valterio est loin d’être le seul spécialiste à le reconnaître, bien qu’il soit un des rares à la dénoncer, comme le souligne Éric Vartzbed, qui pratique la psychothérapie psychanalytique en cabinet privé : « La culture thérapeutique exprime la société qui a renoncé au rayonnement, à la grandeur, à la conquête, au salut ou à la révolution politique. Elle met l’accent sur le soin, le bien-être, l’éradication de la maladie et de la souffrance. À ce titre, elle est une utopie anti-tragique. Car l’humain est incurable. Ce qui n’empêche pas de connaître des petits soulagements provisoires. » Que celui qui n’a jamais « consulté », qui n’a jamais ressenti « un coup de déprime » ou autre « anxiété » jette la première pierre !

Difficile de ne pas voir le combat d’Alain Valterio comme celui d’une arrière-garde, tant les mentalités individuelles semblent imbibées de la sensibilité thérapeutique orientée vers l’« estime de soi » et la traque des traumas refoulés.[access capability= »lire_inedits »] Sans en faire reproche à l’auteur, le docteur Jacques Thuile, psychiatre, note néanmoins le caractère définitivement révolu d’un modèle social où les problèmes éducatifs des enfants se réglaient au sein d’une famille nucléaire à la seule force de l’autorité parentale. « Le seuil de tolérance a diminué considérablement. Le président de la République se déplace quand il y a un accident de car dans les Landes avec des petits vieux à l’intérieur. On assiste à une hystérisation permanente de tout drame, de toute difficulté de la vie. Or élever les enfants c’est difficile ! » Si le nombre des parents qui ont du mal à y parvenir accuse une constante inflation, les « psys » n’en sont pas les uniques responsables. Et le docteur Thuile de préciser : « Il faut prendre en compte le contexte économique dans lequel nous vivons. Dans une société de plein emploi on pouvait plus facilement minimiser les dérapages des enfants, sachant qu’ils s’en sortiraient d’une manière ou d’une autre et finiraient par trouver un travail. À présent, ces incidents de parcours nous font peur et moins pour ce qu’ils sont que par rapport à ce qu’ils prédisent de l’avenir de l’enfant. »

Tous détraqués ?

Alain Valterio a certainement raison d’affirmer que l’éducation est le domaine le plus exposé aux dégâts de la « psyrose », avec des conséquences catastrophiques chez l’enfant. Mais, encore une fois, reste à déterminer à qui la faute. S., mère d’un adolescent de 17 ans scolarisé dans une annexe du lycée Lakanal à Sceaux, destinée à accueillir des jeunes entre 16 et 25 ans souffrant de troubles de l’humeur, de la personnalité, alimentaires et névrotiques, renvoie la responsabilité en premier lieu à l’école : « Personne ne vous laisse libre d’éduquer votre enfant ! Suite au décrochage scolaire de mon fils, l’établissement qu’il fréquente m’a obligée à l’envoyer voir un psy. Et là, grande surprise, il ne va pas mieux mais la question de savoir s’il est fait pour les études ou si, peut-être, il serait plus heureux en travaillant, n’a pas encore été formulée. En clair, les psys paraissent tout aussi perdus que les parents ! » Valterio le constate de manière formelle : « Croire qu’un thérapeute va réussir là où les parents ont échoué est une illusion. » De son côté, le docteur Thuile éprouve de la méfiance face à des propos trop péremptoires : « On passe sous silence un élément fondamental, à savoir qu’on ne maîtrise pas grand-chose de l’évolution psychologique de son enfant et, surtout, que celle-ci dépend pour une part non négligeable de son patrimoine génétique. Étrangement, Alain Valterio en fait l’économie dans son livre alors que nous savons désormais, grâce à la recherche, que la capacité de quelqu’un à supporter l’angoisse, à réagir face à un événement, est sous-tendue par les gènes. » Un tabou à la fois religieux et républicain que le vaillant psychanalyste suisse n’ose malheureusement pas lever.

Éric Vartzbed tente d’adoucir le tableau : « La bonne nouvelle est que les parents font toujours nécessairement un peu faux. Cela les déculpabilise et laisse à l’enfant un lieu imparfait où trouver une place. Pour l’enfant, une mère trop parfaite ne vaudrait pas mieux qu’une hallucination, disait Winnicott. » Il arrive même qu’au sein de la nouvelle cellule familiale, à sa façon « reconstituée » car complétée par un psy, les parents se révoltent. Tel a été le cas de ce père de famille qui a refusé de continuer à payer les honoraires du psychothérapeute de sa fille mineure, faute d’être tenu au courant de la progression du travail. « Soit vous acceptez de me voir et de me parler, soit vous demandez à ma fille de signer les chèques ! » a bravement lâché l’homme, obtenant finalement gain de cause. Loin d’être sans risque, le recours à l’aide d’un spécialiste semble néanmoins promu à un bel avenir. Comme a eu le chic de le soutenir la psychanalyste Claude Halmos, une consultation, si elle n’est pas forcément justifiée par un problème réel de l’enfant, l’est toujours par l’angoisse de ses parents. Bref, chaque bien-portant serait un malade qui s’ignore, surtout à l’ère de la menace terroriste, où les individus les moins affectés psychologiquement par la violence auraient, nous disent les professionnels, le plus besoin d’être entendus ! Autant retenir le propos d’Éric Vartzbed avant de franchir le seuil d’un cabinet thérapeutique : « Le bon psy ne dicte pas une vérité, il aide les parents à découvrir la leur et à inventer des solutions. Le thérapeute n’est pas un parent de substitution, mais un appui pour des parents souvent complètement dépassés. » Cependant, la première piste pour aller mieux est encore de lire Alain Valterio.

Brèves de psy, Alain Valterio, éditions Favre.

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Exclusif: le brouillon des derniers vœux de François Hollande!

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François Hollande adresse ses derniers voeux aux Français, décembre 2016. SIPA. 00786840_000002

Françaises, Français, mes chers compatriotes,

C’est la dernière fois que je vous présente mes vœux. Je pourrais peut-être m’offrir, pour une fois, le luxe d’être sincère, vous dire la vérité.  Après tout, on ne se reverra pas. Ca ne va pas me briser le cœur et à vous non plus. On ne s’est jamais aimés. Moi, pas du tout en tout cas, je vous rêvais comme on rêve les Français chez Terra Nova, jeunes, modernes, connectés et pas trop syndiqués. Ou alors comme dans un village sous le président Fallières avec l’instituteur socialiste, le curé monarchiste et le pharmacien franc-maçon autour du billard, au Café des Amis, le genre d’établissement que ne penseraient jamais à attaquer les dingues de Daech.

La première chose que j’aimerais vous faire comprendre, c’est qu’il est inutile de chercher une explication quelconque à mes échecs répétés. Pour vous parler franchement, je crois tout simplement que je n’étais pas à la hauteur. Le costume était trop grand pour moi. C’est sans doute pour ça que j’en ai porté des trop petits tout le long de mon quinquennat.  En fait, j’ai été le premier surpris par ma victoire à la primaire en 2012. Moi, mon plan, c’était de faire ministre de DSK. Ca m’aurait suffi. Peut-être Matignon, pour couronner ma carrière, mais pas plus, vraiment. De toute façon, je ne suis pas dupe. Encore une fois, je sais que j’ai été élu parce que vous détestiez Sarkozy, pas parce que vous m’aimiez. Je sais très bien que vous m’avez élu par défaut, sans enthousiasme.

Mon bilan est objectivement catastrophique. La situation économique est désastreuse et les quelques chiffres qui montrent une amélioration de l’emploi sont plus maquillés qu’une voiture volée. En fait, quand par hasard vous trouvez du boulot, mes chers concitoyens, c’est tellement précaire que vous acceptez un salaire de misère, des temps partiels et que vous n’osez plus protester. Vous allez tous finir comme des chauffeurs de chez Uber ou des employés de chez Amazon. Tenez, je ne crois pas que Dickens ou Zola auraient osé imaginer un chapitre de roman avec une femme qui fait une fausse couche sur son lieu de travail, comme c’est arrivé à Auchan-Tourcoing parce qu’on l’a empêchée de quitter son poste.

Mais il faudrait que je sois plus précis. Mon bilan est objectivement catastrophique pour vous, les salariés, les chômeurs, les précaires mais moi, finalement, j’ai rempli en cinq ans une mission historique qui laissera mon nom dans les manuels comme un des meilleurs serviteurs du capitalisme triomphant.

Premièrement, j’ai liquidé le socialisme. Enfin ce qu’on appelle encore le socialisme chez les journalistes paresseux et chez les moins paresseux, ce qu’on appelle la social-démocratie, voire le social-libéralisme.  Grâce à moi, le PS, en menant une politique vraiment de droite va disparaître au profit de la droite. Vous avez beau faire pendant cinq ans des mamours aux patrons, à la fin, ils préfèreront quand même l’original à la copie.

Deuxièmement,  je laisse la place à la droite mais pas n’importe quelle droite : une droite dure, catho, ultra-libérale et violemment antisociale qui saura parfaitement protéger les intérêts des dominants. D’autant plus que grâce à moi,  toujours, qui ai fait disparaître le socialisme, il ne restera comme opposition aux ultra-libéraux réacs genre Fillon et aux ultra-libéraux pseudo-progressistes genre Macron que le FN qui fera semblant de tenir un discours social pour achever de brouiller les cartes.

Il y a bien le risque que la vraie gauche s’organise, mais j’ai l’impression que pour l’instant, c’est plutôt la division qui règne.

Voilà, je ne me représente pas, non parce que j’aurais fait 7 ou 8% à la présidentielle, je ne me représente pas parce que, malgré les apparences, j’ai fait le boulot. Finalement, je vous aurais bien eus.

Allez vive ce qu’il reste de la République, vive la France d’après (d’après quoi, je ne sais pas trop) et bonne chance à tous pour cette année 2017 où vous allez prendre cher, à mon avis.

[Ceci est, bien sûr, une parodie]

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Trump: éloge d’un « gros con »

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Donald Trump, sa femme Melania et son fils Barron dans leur penthouse familiale. Photo: D.R.

Je veux bien croire Alain Finkielkraut quand il nous dit que « Donald Trump est un gros con ». Il y a des détails qui ne trompent pas, comme les robinets en or, qui rapprochent le magnat américain du mafieux russe et de l’émir arabe. Mais je ne suis pas convaincu quand il ajoute que ses électeurs ont eu tort de voter pour lui. Je comprends que l’on puisse hésiter à élire un vulgaire gros con chef du monde libre, mais faut-il renoncer à donner sa voix au seul candidat qui dit, même mal, ce que l’on pense si fort ? Qui choisir entre un amateur agressif qui pose grossièrement les questions identitaires et migratoires qui inquiètent l’Amérique, et ses concurrents expérimentés, compétents, rassurants et polis qui les évitent soigneusement ? Est-ce la faute des gens si aujourd’hui la vérité sort de la bouche des gros cons ? Comment alors reprocher aux électeurs de faire le mauvais choix plutôt que la fine bouche ?

Dans l’un de ses romans, Jackie Berroyer retrouve un ami d’enfance, nettement plus con que lui. Il réalise que dans sa vision simpliste et son approche primaire des choses et de leur ordre, son vieux copain ne vit pas moins que lui dans le réel, qu’il se débrouille plutôt mieux dans la vie et qu’il emballe davantage. Les chapitres se terminent par : « Mais à quoi ça me sert d’être moins con que lui ? » On comprend le désarroi d’une élite politique, médiatique, intellectuelle, et de tant de maîtres à penser qui voient les peuples leur préférer des maîtres à ne pas trop penser, mais on comprend aussi les gens quand ils se choisissent des dirigeants qui pensent à eux d’abord, parce que l’époque est moins aux concours d’élégance de la pensée qu’aux combats des chefs. En Amérique comme en Europe, les gens qui portent les candidats populistes semblent se soucier assez peu du QI ou de la bonne tenue de leur porte-parole, pourvu que leur parole soit enfin portée. Au pays des aveugles, les gros cons peuvent devenir présidents, qu’ils soient opportunistes ou fascistes-friendly, s’ils restent trop longtemps seuls dans la meute politique à entendre ces majorités qui veulent des frontières pour rester des peuples.

Alain Finkielkraut trouve le président Trump impulsif, imprévisible et brutal. On peut comme lui s’en inquiéter, on peut aussi s’en réjouir car ceux qui ont de sérieuses raisons de craindre ses brutalités imprévisibles, ce sont surtout ces ennemis de l’Amérique qui sont aussi les nôtres. À un moment de sa campagne, Trump a vu ses meetings envahis par des opposants qui lui jetaient des tomates. Il s’est un jour adressé à la salle en ces termes : « Si vous en voyez qui jettent des tomates, cassez-leur la gueule, je couvre les frais de justice. » La réaction du gros con impulsif qui incite à la violence est contestable, mais l’attitude d’un responsable qui couvre les siens, qui ose une défense légitime et en paye les frais, celle simplement d’un vrai chef, l’a emporté pour la moitié des Américains. Ont-ils eu tort ? Je n’en suis pas sûr. Si les détails ne trompent pas, ses électeurs y ont peut-être vu la marque d’un véritable responsable politique, capable de défendre les intérêts de ses concitoyens, de son peuple, de sa civilisation à la limite de la décence, des habitudes, des conventions ou de la loi, et même de la justice.

Subirions-nous encore les burkinis si un Donald français avait siégé au Conseil d’Etat ?

Cette façon de repousser les limites du possible pourrait faire envie chez nous où ce ne sont pas les « gros cons » façon Trump qui règnent, mais les sages planqués dans leurs conseils, les meilleurs d’entre nous dans les ministères, les plus hauts juristes dans les hautes cours, les plus grands avocats chez le président et les élus les plus expérimentés aux commandes. Et on peut parfois le regretter. Aurions-nous encore des burkinis si un Donald français avait siégé au Conseil d’État ? Et s’il y avait eu un peu plus de « Trumps » dans nos hémicycles, avec leur gros bon sens de gros cons, nous aurions sans doute à présent une bonne loi de déchéance massive de nationalité pour nos ennemis intérieurs et islamistes. Si Trump était à l’Intérieur, laisserait-il la police se faire tirer dessus à balles réelles sans riposter (comme récemment à Beaumont-sur-Oise dont l’actualité, ou plutôt les actualités, n’ont retenu que la mort du malheureux Adama) ?[access capability= »lire_inedits »] Les policiers brûleraient-ils dans leurs voitures sans tirer sur leurs agresseurs, s’il y avait un peu plus de trumpattitude dans leur hiérarchie, jusqu’à leur ministre qui ne manque ni d’élégance, ni d’éloquence, ni d’intelligence. Notre police, notre justice, notre État ne gagneraient-ils pas à devenir, à l’image de Trump, un tout petit peu plus « impulsifs, imprévisibles et brutaux », pour réprimer et dissuader les délinquants, les criminels et les terroristes ? Mais plus largement, on peut espérer du gros con ce qu’on n’attendait plus des responsables sérieux et fréquentables : qu’il ouvre le champ du possible à tout ce qui était soi-disant impossible, en rétablissant des frontières quitte à élever des murs ou à pratiquer de salutaires discriminations à l’entrée du territoire. Vu du pays du droitdel’hommisme désarmant, le trumpisme peut même faire rêver.

Mais il y a une autre raison d’approuver les électeurs de Donald : Il est plus drôle de défier la doxa et d’effaroucher les bien-pensants avec un de ces gros cons qui n’ont pas les moyens de se perdre dans les nuances qu’avec n’importe quel modéré, tempéré ou pondéré. Je crains que certains Américains l’aient élu non pas malgré son côté « gros con », mais bien à cause de lui.

Quand Trump nie la réalité du réchauffement climatique mais redoute une islamisation de l’Occident, il y a brutalement dans cette inversion des priorités de quoi réjouir celui qui préférerait finir sa vie les pieds dans l’eau plutôt que barbu avec plusieurs bonnes femmes sous clés, sous cloches et soumises, même s’il n’est pas dupe de l’ignorance dangereuse du candidat. Le vote Trump peut devenir alors l’aubaine d’une riposte proportionnée à ceux qui ne croient pas à la réalité du grand remplacement. Ignorance dangereuse toi-même ! répond ainsi l’Amérique des campagnes à celle des campus.

Quand Trump parle des femmes comme un fanfaron macho, même le farmer le moins gentleman ne le trouve ni très malin ni très digne, mais comment résister à la tentation pour le mâle américain de laver dans les urnes les humiliations subies par ces piteuses repentances venues d’hommes publics censés le représenter, de Hugh Grant qui s’excusa publiquement pour être allé aux putes à Bill Clinton obligé de demander pardon pour avoir sauté une stagiaire consentante. Comme dit Clint Eastwood, grand maître à ne pas trop penser, « Trump, c’est le candidat antimauviettes ».

Je ne suivrai donc pas Alain Finkielkraut dans sa réprobation des électeurs de Trump. Après tout, que risquaient les Américains à voter comme au bowling ? Une partie de réjouissante rigolade au début de son mandat, et à la fin, si tout se passe bien, moins d’immigrés clandestins, moins de musulmans terroristes, moins de produits chinois, moins de pétrole arabe. Les élections françaises m’inquiètent davantage car après un quinquennat de Juppé ou de Fillon, qui sont tous deux assez éloignés du gros con, nous n’aurons peut-être pas eu les insultes et le mépris du Monde ou du New York Times, mais nous aurons un million d’immigrés supplémentaires, sans compter les clandestins et sans parler des terroristes musulmans.

Alors on ne peut pas aimer lire et écouter Alain Finkielkraut, et tenter d’affirmer la suprématie des gros cons sur les esprits fins. Mais il faut reconnaître, quand ils sont les derniers à défendre les derniers bastions du bon sens, que pour gouverner, l’intelligence ne suffit pas. Trump n’est pas Einstein, nous sommes tous d’accord, mais le grand savant n’a-t-il pas renoncé à être président, peut-être conscient de ses limites, car dans l’exercice du pouvoir une dose mesurée de connerie peut être utile ou, plus précisément, un peu de candeur dans la volonté, du courage dans le verbe comme dans l’action, pas mal de bon sens et beaucoup d’audace. Comment nommer alors ce plus ou moins savant mélange d’intellect et d’instinct ? Intelligence politique ? Les élus remplacés en ont peut-être manqué en oubliant d’être primaires. « Les cons, ça ose tout », disait Audiard, alors on se met à en élire. Il disait aussi qu’« un con en marche va toujours plus loin que deux intellectuels assis ».[/access]

Jacqueline Sauvage: responsabilité, ma soeur

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Manifestation place de la Bastille à Paris pour demander la grace de Jacqueline Sauvage, janvier 2016. SIPA. 00739153_000001

Jacqueline Sauvage est certes victime, mais aussi responsable. La justice l’a condamnée, le prince l’a graciée. Mais cette grâce ne l’exonère pas de sa responsabilité. Du statut de paria, la femme battue accèderait ainsi à une quasi sainteté. Je ne partage pas la liesse de tout un secteur de l’opinion qui célèbre sa grâce. Et pourtant, je fais partie de ces féministes « historiques » qui ont fondé le premier refuge pour femmes battues en 1978 en France, le centre Flora Tristan, situé en ces années à Clichy-sous-Bois. Notre propos était double : désigner une violence impunie, et offrir une alternative aux femmes  et enfants battus. Notre slogan était « S’en sortir ». Dix ans plus tard, j’ai participé à la création de l’association SOS Hommes et Violences en Privé, qui allait ouvrir le premier lieu d’accueil des hommes qui battent leurs femmes. Il fallait boucler la boucle: on ne traite pas les victimes en ignorant les agresseurs. Mes collègues féministes, le nez sur le guidon victimaire, ont alors crié au scandale. Comment osais-je m’occuper des «bourreaux» ?

Or, il y avait une logique dans ma démarche: la violence est une partition qui se joue à plusieurs. Au-delà des deux solistes, il y a tout l’orchestre qui joue le tempo ancestral du «bats ta femme…». Alors, désigner la victime est déjà un pas considérable que nous avons franchi dans les années 1970. Mais impossible de camper ad vitam aeternam là-dessus. Il fallait continuer sur cette lancée d’interpellation de la violence domestique en braquant le projecteur sur l’homme. Considérer les deux partis est une démarche véritablement féministe, s’en tenir à l’une d’elle relève de la seule victimisation.

Le féminisme, en stagnation

Jacqueline Sauvage nous y renvoie. Tout se passe comme si sa responsabilité  était à nouveau évacuée. Les juges  avaient  tenu compte de cette responsabilité en la condamnant, fut-ce excessivement.  N’est-elle pas en effet responsable d’avoir supporté tant d’années ces violences atroces, et surtout de les avoir laissé subir à ses enfants ? Peu importe les raisons qu’elle ait eu de rester. Il y en avait encore plus pour partir. Il y a en France désormais, des dizaines de refuges pour femmes et enfants victimes de violence.

Le cas de Jacqueline Sauvage nous met face au basculement qui doit maintenant s’opérer. Après avoir utilement désigné les femmes comme victimes, le féminisme doit les inviter à la responsabilité. Si j’accepte d’être  pour quelque chose dans ce qui m’arrive,  je peux avoir une prise dessus. Les féministes en place continuent à maintenir les femmes dans leur statut de victimes, tout comme la gauche dédouane les immigrés de toute « faute ». Au maternalisme des unes, répond le néo-colonialisme des autres. Les néo-féministes cumulant les deux.

Le féminisme est aujourd’hui en phase de stagnation. Enfant frileux et anémique  des années 1970,  il est bloqué sur le ressassement des slogans de ce temps-là. Assaisonnée de l’incontournable sauce antiraciste qui  dénature  la saveur si forte et originale du festin de Babette, concocté par des générations d’amazones.  Les néo féministes nous servent un brouet insipide qui désole nos papilles nostalgiques. Quel est donc ce mal qui tel un phylloxéra ravageur, ronge l’arbre tout entier ? Quel est ce mal qui a coupé le sifflet créateur du féminisme ? Sans doute l’air du temps qui n’est pas à l’invention. Mais surtout le bel envol des années 1970 s’est écrasé sur le mur des réalités. Et nos féministes de se réfugier dans le giron paternaliste des politiques labellisées. Gauche ou droite, il faut choisir son camp. Et les poncifs qui vont avec…

L’égalité oui, mais quoi faire ?

Gare aux chevauchements suspects. On a vite fait de vous expédier au goulag de la pensée incorrecte. Alors ça donne à peu près ce qui suit. A gauche, pour ces dames, la priorité c’est l’étranger. L’homme étranger, pas la femme qui va avec.  En effet, chez lui, là-bas, l’homme immigré exploite, marie de force, excise… Mais ces dames ferment les yeux là-dessus. Par contre pas touche à mon migrant, à l’occasion violeur ou agresseur, ça fait le jeu du Front national. Et puis ce n’est pas sa faute, il est en manque sexuel. Cela me rappelle les petits gars de la Gauche prolétarienne qui recommandaient à leurs copines en 1970 de soulager la misère sexuelle des immigrés. Elles se sont retrouvées au MLF. Pour nos féministes de gauche, le mal absolu, c’est le mâle blanc.

A droite, à l’inverse, tout le mal viendrait de l’islam qui nous tire en arrière tous voiles dehors. Nous aurions ici conquis tous les droits. Reste à les appliquer. De ce côté, on plaint beaucoup le mâle blanc, le pauvre,  malmené par 50 ans de féminisme.

Pour nous résumer, à droite comme à gauche,  on materne. Le vent est à la déresponsabilisation.  Selon le camp, ce seront les femmes toujours victimes. Ou les hommes, suivant le côté de la Méditerranée  où on se place.

Le féminisme doit revisiter les thèmes anti-sexistes et les replacer dans une vision d’ensemble. L’égalité oui, mais quoi faire ? Pour en rester là ? Ou bien pour, femmes et hommes mis à niveau, s’engager ensemble dans la refondation d’un monde où la domination ne ferait plus loi. « Ce qui libère la femme libère aussi l’homme », écrivait Simone de Beauvoir.

Cela implique que les hommes aussi se responsabilisent, et réfléchissent au rôle qui leur est imparti. Ni Superman ni lavette. Tout simplement compagnons des femmes  sur le chemin de la rude condition humaine.

Pacifisme et autres fariboles

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Jaccard Carnets Pacifisme1. Des raisons de croire à la paix

Un amical lecteur m’adresse, depuis la Suisse, une série de questions qui le taraudent concernant la paix. D’après lui, malgré toutes les raisons que nous donnent chaque jour les journaux d’aggraver de plusieurs crans notre pessimisme, il est de notre devoir de croire à la paix, au rétablissement – ou à l’établissement – d’un monde meilleur (c’est-à-dire juste, équi-table, ouvrant la voie au bonheur universel et à la disparition des conflits). Il veut savoir jusqu’où me mène mon cynisme.

Je me montre sceptique.

Il n’y a, à mes yeux, et au risque de décevoir, aucune raison de croire à la paix. La guerre est la forme la plus naturelle et la plus conforme à ce qu’il est convenu d’appeler l’humain. Il n’est pas particulièrement glorieux de s’en réclamer ! Qu’y a-t-il de plus obscène qu’une femme portant fièrement dans son ventre un futur cadavre ? Observez-les, dans les jardins d’enfants, ces tortionnaires en culottes courtes, ces laissés-pour-compte au regard hagard, ces vamps en jupette… Le manège tourne, les types humains se répètent, les situations se ressemblent : le crime, individuel ou de masse, s’organise. Bientôt, on le fustigera. Bientôt, les pleureurs professionnels nous enjoindront à plus d’humanité. Quelques bourreaux seront condamnés… et le même mensonge sera repris par tous : il faut avoir à nouveau confiance en l’homme, en la vie… on passera ainsi d’un imaginaire de la catastrophe à un imaginaire du progrès.

Dieu me préserve donc d’une fonction de pacificateur, qui me transformerait en une solennelle nullité. Je préfère laisser chacun aller à sa perte selon ses moyens. Quant à l’humanité, elle n’est douée ni pour le meilleur ni pour le pire. Je ne lui trouve qu’un charme médiocre et, finalement, je serais favorable à son éradication. Il me répugnerait de devenir un symbole – fût-ce de la paix.

J’ai bien un ami qui est un véritable ambassadeur de la paix. Cela lui permet de vendre ses livres, de voyager de palace en palace, de devenir citoyen d’honneur de plusieurs villes et, comme il est musulman, modéré bien sûr, de prôner une poli-tique pacifique qui joue en faveur de ses croyances. Il a trouvé un excellent créneau et je l’en félicite. Le cynisme n’est pas à la portée de tout le monde.

 2. La guerre civile n’aura pas lieu

Chaque pays suit ses intérêts, et ils coïncident rarement. Si vous voulez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage… éternellement. Et puis, sans la guerre – des nations, des classes sociales, des sexes et des races –, l’humanité périrait d’ennui, ce que je me garderai bien de déplorer. L’être humain ne se suffit pas à lui-même. Il lui faut des drogues dures. La guerre en est une.[access capability= »lire_inedits »] Rien de tel quand on s’ennuie que de créer des ennuis à ses voisins. Il y a d’ailleurs un bon usage des catastrophes : Hiroshima vaut bien Shakespeare. La vraie modernité, après Auschwitz et Hiroshima, c’est l’idée que nous ne méritons pas de survivre, qu’il faut en finir…

Il n’est pire crime – ou offense à l’intelligence – que ces appels renouvelés et par ailleurs totalement vains à croire en une humanité pacifiée.

L’Occident est nu. Il ne prépare plus rien. Il est devenu une proie idéale, constituée de bobos décérébrés, incapables de se défendre, hantés par des culpabilités liées au colonialisme. Il se trouve que le colonialisme est la chose la mieux partagée du monde, mais que par un tour du destin incompréhensible nous en serions les seuls responsables. Ce qui nous assure au moins que nous en serons les victimes et qu’ils sont bien optimistes, ceux qui croient en une guerre civile ou en une capacité de nous ressaisir. Le pacifisme, les droits de l’homme et tant d’autres fariboles nous conduisent tout droit à une soumission consentie. Dans l’existence, soit on terrorise, soit on est terrorisés. Nous ne faisons plus peur à personne. C’est un mauvais signe : celui de la fermeture définitive des jardins de l’Occident. Mais tant d’autres civilisations ont connu cela, qu’on se gardera bien de pleurnicher sur notre gloire passée. Soyons stoïques jusqu’au bout !

3. D’abord la potence, ensuite le pardon

La vengeance, même si elle est souvent justifiée, est une pas-sion triste. Même Jésus ne lui a pas trouvé d’antidote, car le pardon ne fait qu’aviver le désir de se venger. Je dirai avec Freud qui en savait long sur le sujet qu’il faut pardonner à ses ennemis… mais pas avant de les avoir vus pendus.

N’ayant pas de message positif à vous transmettre et sachant que deux messages négatifs ne vous agréeraient pas, je conclurai sur cette anecdote : Dieu arpente son bureau lorsqu’il aperçoit de sa baie vitrée le diable traînant derrière lui une vieille caisse. Intrigué, Dieu appelle son majordome et lui demande : « Qu’y a-t-il dans cette caisse ? » Ce dernier lui répond : « Un homme et une femme. » Dieu, désemparé, consulte ses dossiers et, soudain, se sou-vient : « Ah oui… cette expérience ratée. Est-ce qu’ils vivent toujours ? » [/access]

Trump, un petit blanc avec des milliards

Donald Trump et sa femme Melania à la convention nationale du parti républicain, 18 juillet 2016.

Un chœur de prédictions apocalyptiques, dont leurs auteurs semblaient parfois souhaiter qu’elles se réalisent, a accompagné l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Jamais, depuis l’élection fin 1980 de Ronald Reagan, on n’avait vu le camp défait pousser de tels hurlements. Et même s’il a été réélu facilement quatre ans plus tard, Reagan a mis longtemps à convaincre ses détracteurs qu’il n’était pas « trop bête pour être président ». Quant à Donald Trump, son problème est plus sérieux encore. Il doit son élection à un slogan explicitement nostalgique : « Make America Great Again » (« Rendre à l’Amérique sa grandeur d’antan »). Or aucun homme politique ne peut remonter le temps. Son échec semble donc inévitable, mais quelles conséquences aura-t-il ?

Ce n’est pas la bonne question. Trump dispose d’une base populaire plus solide qu’il n’y paraît. Comme dans le cas du Brexit, la machine médiatique, publicitaire et gouvernementale s’est mobilisée pour convaincre que voter Trump n’avait tout simplement aucun sens. Mais puisque Trump vient de démontrer sa capacité à conquérir le pouvoir, beaucoup de ses « soutiens silencieux » vont maintenant sortir du bois, renforçant ainsi ses perspectives de succès politique. Or ses faiblesses – un programme impossible à réaliser, un manque d’expérience et un tempérament incompatible avec un mandat présidentiel – pourraient se révéler moins embarrassantes que ce qu’on croyait.

Son programme. Trump veut faire revenir les emplois industriels aux États-Unis. La presse ricane. « La réalité est plus compliquée », déclare le Los Angeles Times. Sans blague ! Sauf que les travailleurs (ceux dont le salaire avoisine le revenu médian) n’attendent ni ne souhaitent un retour à l’économie des années 1950 ! En revanche, ils attendent des actes concrets leur garantissant que, lorsque Trump devra prendre des décisions importantes, il œuvrera dans le sens de leurs intérêts. Trump travaillera pour eux et pour leurs intérêts.

La divulgation par WikiLeaks des discours d’Hillary Clinton – notamment celui où la candidate démocrate a affirmé devant un parterre de banquiers d’investissements qu’elle avait deux positions concernant le libre-échange : une pour les électeurs, l’autre qu’elle appliquerait une fois aux affaires – laissaient présager que sa politique en la matière aurait fortement ressemblé à celle de son mari. Autrement dit, Hillary aurait fait voter les deux accords de libre-échange très impopulaires, le Ttip et le TPP (Trans-Pacific Partnership), exactement comme Bill avait fait passer l’accord du Nafta en 1993 : dans un premier temps, elle aurait juré ses grands dieux que l’accord avait été profondément remanié pour protéger les intérêts des travailleurs américains, puis elle aurait mobilisé les syndicats de la fonction publique pour qu’ils cautionnent ce mensonge.

Trump, au contraire, a annoncé dans une vidéo rendue publique fin novembre que, après l’envoi d’un préavis aux partenaires, il se retirerait du TPP. Cette prise de position est de nature à rassurer ses électeurs sur ses intentions au moins pendant quelques mois.

Son expérience. Aux États-Unis, il existe ce que les Romains appelaient le « cursus honorum » : une série de mandats publics dont l’exercice vous prépare à la présidence. Or Trump sera le premier président des États-Unis à emménager dans le bureau ovale sans avoir la moindre expérience politique ou militaire. Cette situation le place dans la situation inconfortable de l’outsider pur qui est, pour cette raison même, obligé de faire appel à des « insiders ». Et pourtant, grâce à sa carrière dans l’immobilier, il est aussi qualifié pour exercer le mandat présidentiel qu’on peut l’être au xxie siècle. Ses activités l’ont habitué à détecter des tendances, à naviguer parmi les administrations et à influencer les bureaucraties, sans parler de la nécessité pour un grand dirigeant d’entreprise de « penser grand ».

Quand le New York Times a révélé que, selon ses déclarations d’impôts, les entreprises de Trump avaient perdu presque un milliard de dollars en 1995, cela ne lui a pas été préjudiciable. Pour quelqu’un aspirant à diriger un exécutif qui fonctionne depuis des années avec des déficits astronomiques, cela a même paru être un atout. Autre corde à son arc : Trump est un pro du divertissement, ce qui est un plus énorme pour une campagne présidentielle. Contrairement aux meetings de son adversaire, les siens ont attiré une foule de gens qui s’y amusaient aussi joyeusement que bruyamment. C’est pourquoi le nombre des électeurs républicains aux primaires a augmenté de 60 % par rapport à 2012. Aucun autre des politicards qui se sont disputé l’investiture républicaine n’avait la moindre chance de battre Clinton.

Son tempérament. Dans un article du New York Magazine, le journaliste anglo-américain Andrew Sullivan a soutenu que l’élection de Trump annonçait la fin de la République américaine, décrivant le président élu comme un homme « incapable de maîtriser ses pulsions, ses haines et ses rancunes ». Ces défauts vont peut-être se manifester à l’avenir mais pour le moment on ne peut que constater des signes indiquant le contraire. Il suffit de voir comment Trump traite les républicains qui ont non seulement soutenu ses adversaires mais ont activement œuvré à saboter sa candidature en critiquant sa personnalité. En novembre dernier, Nikki Haley, la gouverneur d’origine indienne de la Caroline du Sud, a exhorté les électeurs républicains de son État à ne pas voter pour les candidats tenant des « discours enragés » sur l’immigration. Une fois vainqueur, Trump l’a nommée ambassadrice des États-Unis à l’ONU. Quant à Mitt Romney,[access capability= »lire_inedits »] le candidat malheureux à la présidentielle de 2012 qui avait sillonné le pays au printemps dernier en taxant Trump de « charlatan » et de « faux jeton », le président élu envisage de le nommer secrétaire d’État. Paul Ryan, président de la Chambre des représentants et chef de file des républicains sous l’ère Obama, a annoncé début octobre, lors de la publication du fameux enregistrement sexiste, qu’il n’allait pas soutenir Trump. Ce dernier aurait pu se venger en empêchant sa réélection. Il a choisi de ne pas le faire. Toutes ces décisions, politiquement opportunes pour Trump, démontrent que le prochain président arrive très bien à maîtriser ses pulsions.

La popularité de Trump repose sur une base très solide: ce n’est pas une affaire de politique ou de caractère mais de sociologie

La popularité de Trump repose sur une base plus solide que celle de la plupart des hommes politiques car son élection n’est pas une affaire de politique ou de caractère mais de sociologie. Quand les caciques du parti républicain qu’il voulait rejoindre étaient en train de séduire les immigrés, Trump a eu une bien meilleure idée. Il a repéré le gouffre entre les donateurs du parti, généralement de grands gagnants de la mondialisation, et les électeurs de base dont beaucoup s’en sentent les victimes. Avec audace, le candidat Trump a pris le parti des électeurs. Il a attaqué le libre-échange, l’immigration de masse et l’interventionnisme militaire à tout-va. Jusque-là, très peu d’Américains ont pris au sérieux ce genre d’option politique – qui se popularise en Europe depuis une décennie –, tout simplement parce qu’ils croyaient que la puissance militaire et la planche à billets protégeaient leur pays contre les tempêtes de la mondialisation. Trump s’est adressé à la classe ouvrière blanche dont il a obtenu 70 % des suffrages. Quant à savoir si cette conversion du parti républicain au communautarisme politique a été cynique ou pas, on en débattra plus tard. Le fait est que la stratégie consistant à faire appel au vote des Blancs n’a pas eu d’incidence majeure sur le soutien dont bénéficiaient les républicains parmi les minorités et les femmes. Chez les Noirs et les Hispaniques, Trump a mieux réussi que Mitt Romney en 2012. Ceux qui pensaient que les Noirs allaient être offusqués par les litanies de Trump sur le crime et l’insécurité se sont trompés. À l’évidence, un certain nombre de Noirs lui ont été reconnaissants de parler de leurs problèmes comme peu l’avaient fait auparavant. Finalement, leur hostilité vis-à-vis de la mondialisation et leur défiance à l’égard du système politique ne différent guère du (res)sentiment des Blancs…

Trump, avec ses défauts et ses qualités, ressemble plus à ses électeurs qu’on ne l’imaginait. Alors que les médias, durant la campagne, en ont fait l’archétype du milliardaire membre de l’élite, pour les New-Yorkais parmi lesquels il a fait fortune, Trump a toujours été un rustre, un parvenu à mauvais goût, le bâtisseur d’immeubles en aluminium ou en plastique dans une ville aux édifices de marbre et de granit. Personne ne voulait l’écouter et beaucoup se sont moqués de lui. Il s’avère que de nombreux Américains ont la conviction, eux aussi, d’être des « outsiders » méprisés par le beau monde. Il semble que ce soit aujourd’hui un atout.

Pourtant, cette infériorité sociale a failli lui jouer des tours. Si Trump a excellé dans les débats de la primaire, face à Hillary Clinton, pendant le premier débat présidentiel, il a montré son manque de maîtrise des codes. Il est difficile d’expliquer son degré d’impréparation et la série ininterrompue d’erreurs d’appréciation qui caractérisent sa prestation pendant ce premier duel. Trump n’a pas su comment contre-attaquer. Il a traité son adversaire avec déférence, donnant l’impression d’être en présence d’un être socialement supérieur. Même face aux attaques d’Hillary, il a répété au moins une demi-douzaine de fois qu’il était d’accord avec elle. Hillary s’est bien gardée de faire la même chose. Elle l’a dompté. Quand elle a sifflé, Trump a sauté. Pour celui qui venait de passer une année à promettre d’être dur et de négocier de bons « deals », ce débat était l’étalage de son incompétence. Mais cela n’a eu aucune importance.

Les Américains n’ont pas voté Trump par colère ou par racisme. Ils l’ont élu les yeux grands ouverts. Selon les sondages de sorties des urnes réalisés par la NBC, les électeurs qui ont permis la victoire de Trump avaient des préjugés défavorables sur les deux candidats. Or Trump a bénéficié de 49 % de leurs voix, beaucoup plus que les 29 % d’Hillary. Parmi ceux qui considéraient que les deux candidats étaient malhonnêtes, Trump a battu Clinton à 45 % contre 40 %. Ces chiffres sont stupéfiants. Nous savons depuis longtemps que beaucoup de ceux qui se disent « neutres » ont en réalité un penchant. La majorité des électeurs américains qui se définissent comme « indépendants » votent pour les républicains et ceux qui se disent « modérés » penchent pour les démocrates. Mais cette fois, nous constatons une nette préférence pour Trump parmi ceux qui le condamnent dans les termes les plus durs ! À l’évidence, le spectre d’une présidence d’Hillary Clinton a dû leur apparaître encore plus alarmant.

Il est trop tôt pour dire si les Américains ont eu raison d’élire Trump. En revanche, les raisons pour lesquelles ils l’ont fait sont à la fois indéniables et compréhensibles. Pendant la soirée électorale, pour la première fois depuis sa fondation il y a plus de cent cinquante ans, le parti républicain s’est transformé en parti des « outsiders ». Un nombre suffisant d’électeurs a considéré Trump comme « un des leurs » pour assurer sa victoire. C’est pourquoi, au moins pendant les quelques mois à venir, il y a peu de chance que Trump déçoive ses soutiens.[/access]

 

Cristina Kirchner, l’Argentine et les juges

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Cristina Kirchner s'adresse aux médias après une audition devant les juges, octobre 2016. SIPA. 00779164_000002

L’Argentine est une grande nation. Étendue comme quatre fois la France, elle regorge de vignobles fertiles et produit des viandes rouges parmi les plus savoureuses au monde. Elle a engendré Diego Maradona, Lionel Messi, des prodiges du football qu’on ne présente plus, mais aussi des écrivains: Jorge Luis Borges ou Julio Cortázar, sans oublier Ernesto Sábato et son très bon roman Le tunnel. Du génie donc, et des hommes politiques. Qui sont parfois des femmes. Et qui, au moins, on le mérite de faire parler. Pas toujours de façon très cordiale, certes, et en y venant même parfois aux mains… Dans un pays où le jeu politique passionne autant que celui du ballon rond et où voter est obligatoire, il est une personnalité qui laisse encore moins indifférent que les autres : Cristina Kirchner. Au-delà du nouveau scandale de corruption qui la vise, l’ancienne présidente reste une femme qui divise.

Un Kirchner peut en cacher une autre

Retour en décembre 2001. En réaction au septième plan d’austérité imposé au pays qui refuse de payer sa lourde dette, les Argentins descendent dans la rue. Émeutes, pillages, balles en caoutchouc puis… balles réelles : trente-six morts en deux jours. La situation est chaotique. Le président Fernando de la Rua est obligé de fuir le palais présidentiel en hélicoptère. Puis ce ne sont pas moins de cinq présidents qui se succèdent en deux semaines. En mai 2003, un homme sorti de nulle part prend la tête du pays qu’il promet de « sortir de l’enfer ». Il s’appelle Nestor Kirchner. Tandis que la dette atteint les 160 % du PIB, le chômage avoisine, lui, les 20 %. Nestor fait alors tout le contraire de ce que préconise le FMI. Il favorise un accroissement des aides sociales et des dépenses publiques et met en place un redressement économique aux accents keynésiens. Couplé au développement du soja transgénique,  les résultats ne se font pas attendre : la croissance du pays remonte en flèche, et sera de 9 % par an jusqu’à sa mort en 2007. Du haut de son 1m88, le grand Nestor peut reposer en paix : il a tenu parole. Son épouse Cristina, séduisante quinquagénaire – qui n’a pas encore abusé du Botox – prend  les rênes du pouvoir, qu’elle conduit dans la lignée de son défunt mari.

C’est l’époque où se dresse l’étendard d’un espoir, celui d’une alternative au modèle néolibéral sud-américain. Si le kirchnérisme est plus réformateur que révolutionnaire, il s’inscrit dans la lignée des changements de cap que connaît alors l’Amérique latine. Cristina va donc faire des mamours à Chavez pour soutenir sa candidature. Se laisse étreindre paternellement par Lula – l’ancien président du Brésil. Rencontre chaleureusement Evo Morales, le président de gauche de la Bolivie. Sans oublier d’embrasser Michelle Bachelet, présidente de gauche du Chili de 2006 à 2010 et à nouveau depuis 2014. En 2011, Cristina est même réélue haut la main avec 53 % des suffrages exprimés au premier tour.

La fin d’un cycle 

La même année cependant, l’alternative sud-américaine au modèle néolibéral commence à avoir un peu moins le vent en poupe. Lula doit quitter la tête du Brésil, laissant sa place à une Dilma Rousseff moins charismatique. Deux ans après, c’est Chavez – à qui l’Argentine doit notamment un fort soutien financier lorsqu’elle était sans le sou – qui s’éteint – Cristina ne manquera pas de se placer au premier rang lors de ses obsèques. Et la même année, des critiques viennent même d’Uruguay: « Pepe » Mujica, le président le plus simple au monde attaque la belle : « cette bonne femme est pire que le borgne », lance-t-il – le borgne étant Nestor Kirchner, qui souffrait d’un strabisme. Survient alors une mini-crise diplomatique entre les deux voisins « amis ».

Pendant ce temps-là en Argentine, la croissance devient fragile. A quoi s’ajoute une inflation très sous-estimée par les taux officiels. Les fins de mois des Argentins sont de plus en plus longues. Et un bureaucratisme kirchnériste s’est confortablement substitué à celui des années Carlos Menem – président de droite de 1989 à 1999. De plus, le style de plus en plus autocratique de Doña Kirchner agace les Argentins : outre occuper l’espace télévisuel lors de sermons interminables, cette excellente oratrice rend gratuite – par pure démagogie – la retransmission du saint football à la télé, moyennant quoi les Argentins sont forcés de se coltiner les slogans de propagande du gouvernement au bas de  leur écran au beau milieu des exploits de leurs protégés de Boca Juniors ou River Plate. Bien installée, la prêtresse cherchera à faire modifier la constitution pour briguer un troisième mandat. Mais ça ne marchera pas : en décembre 2015, elle doit laisser son trône. Malgré une popularité oscillant entre 40 et 50 %. Car si certains Argentins l’adorent, beaucoup d’autres la détestent.

La Patagonie, terre du bout du monde et des magouilles en famille

Si Cristina aime le pouvoir, elle aime aussi l’argent. Propriétaire d’une grande maison  à El Calafate, charmant village de Patagonie, contrée légendaire qui fascina Jules Verne, elle y gère des hôtels de luxe avec son fiston Maximo. Projets fictifs de travaux publics, falsifications de documents, butins présumés cachés aux quatre coins de l’immense province, les dessous des affaires immobilières de la famille Kirchner sont loin d’être transparents. C’est l’objet de sa nouvelle inculpation : l’ancienne chef d’Etat aurait favorisé l’un de ses proches pour un marché de travaux publics dans sa province patagonienne. Mais les soupçons de corruption ne se cantonnent pas qu’à l’immobilier. L’ancienne souveraine est aussi accusée d’avoir spéculé sur les taux de change, et son nom apparaît dans l’affaire des « Panama papers ». Sans compter la sordide affaire Nisman, ce procureur étrangement retrouvé mort par balle alors qu’il s’apprêtait à accuser la dame d’avoir couvert les responsables iraniens de l’attentat antisémite de 1994 qui fit 84 victimes à Buenos Aires. L’enquête a été rouverte par la justice il y a 4 jours, Madame Kirchner est accusée d’avoir empêché de faire la lumière sur ce sanglant attentat pour préserver les intérêts commerciaux de l’Argentine avec l’Iran.

La politique est un sport de combat

Pour les affaires de spéculation et d’immobilier dont elle fait actuellement l’objet – et ceci depuis la fin de son immunité cette année – l’ancienne impératrice troque volontiers ses petits gants de soie pour des gants de boxe. Elle récuse fermement les accusations dont elle et sa famille font l’objet et… contre-attaque : elle accuse à son tour l’actuel président Mauricio Macri d’orchestrer une machination pour occulter les « vrais problèmes de la société argentine », agite le spectre d’un retour de la dictature argentine, ironise volontiers sur le fait d’être taxée de populiste par ses adversaires. Elle sait parer les coups, en rendre aussi, se protéger du KO. Mais pour combien de temps encore ? Car si elle dispose de soutiens encore entièrement acquis à sa personne, sa popularité a chuté : elle est maintenant de 30 %. Cela ne semble guère importer à Cristina. Têtue comme une mule, elle envisage même de se présenter au Sénat.

Dans le même temps, Mauricio Macri ne traîne pour l’heure aucune casserole – même si son nom est cité, au milieu de nombreux autres, dans l’affaire des « Panamas papers » – et peut encore se targuer de 45 % d’opinions positives. Mais est-ce suffisant pour rassembler le pays ? A peine six mois après son investiture, des manifestations ont eu lieu cet été contre sa politique d’austérité. Il faut dire qu’il a fait fort : trois mois seulement après son arrivée, 100 000 argentins de plus étaient au chômage et  1,4 millions d’autres basculaient sous le seuil de pauvreté. Sur l’inflation également, Macri fait encore mieux que Doña Kirchner: 40% en 2016 ! Quant à la croissance elle n’est plus : le pays est à nouveau en récession. De quoi concéder qu’avec Cristina, ça ne marchait pas si mal ? Pas du tout, bien au contraire : pour Macri, tout est de la faute des Kirchner : à l’instar des autres ruptures symboliques incarnées par Chavez au Venezuela, Lula au Brésil ou Morales en Bolivie, les années Cristina Kirchner pâtissent d’une mauvaise image de gestion économique du pays. Les Argentins prennent donc leur mal en patience. En attendant des lendemains qui chantent, ils pourront suivre avec passion la suite du match entre la dame et les juges. Si l’accusée n’est pas dans une posture des plus favorables, elle peut encore compter sur les encouragements de ses supporters. En Argentine et en Amérique latine mais aussi… chez nous en France, où elle jouit d’un soutien de poids (!) : celui de François Hollande, qui semble lui aussi avoir succombé à son charme…

Le Tunnel

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Hippie fait de la résistance

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simon du fleuve claude auclair
Editions Le Lombard.

Si les années 1970 gardent aujourd’hui un parfum de paradis perdu, d’utopie « flower power » où toute une jeunesse a pu croire à un futur apaisé et harmonieux, c’est peut-être qu’elles sont vues à travers le prisme d’une illusion rétrospective, puisqu’on ne cesse de les comparer à notre présent si peu aimable. Pourtant, les années 1970 furent aussi des années inquiètes, qui posèrent pour la première fois la question écologique face une planète déjà esquintée. On se souviendra par exemple de la candidature de René Dumont en 1974, mais aussi, de manière plus surprenante, de l’émission télévisée La France défigurée présentée par le très gaulliste Michel Péricard entre 1971 et 1977.

C’est aussi l’époque où la science-fiction commence à oublier les histoires d’extraterrestres pour devenir la chambre de résonance de cette angoisse d’un monde possiblement dévasté par la pollution, la surpopulation, la guerre et, in fine, l’apocalypse nucléaire. Ces thèmes apparaissent dans le roman avec des auteurs comme Ballard, Spinrad ou Brunner chez les Anglo-Saxons, mais aussi Andrevon, Walther ou Curval en France. Le cinéma est également touché avec des films comme Soleil vert, The Omega Man, L’Âge de cristal, pour ne citer que ceux-là. Il n’y avait pas de raison que la bande dessinée, ce neuvième art que l’on disait encore réservé aux enfants, échappe au phénomène et, en changeant de sujet, change aussi de public.

Simon du Fleuve, créé par Claude Auclair, mort en 1990, est emblématique de cette évolution. Ses dix albums réalisés entre 1973 et 1988 sont aujourd’hui réédités par Le Lombard dans une somptueuse intégrale en trois volumes, accompagnée de substantiels dossiers. Les plus anciens d’entre nous revivront le choc provoqué par la découverte en feuilleton dans Le Journal de Tintin du premier volume de la saga, La Ballade de Cheveu-Rouge. Il a d’ailleurs failli signer la fin prématurée du héros.[access capability= »lire_inedits »] Auclair, à la fois dessinateur et scénariste, fou de lecture, avait rendu dans cette histoire en noir et blanc un hommage à Giono, en s’inspirant de manière pourtant distanciée du Chant du monde. Gallimard prit l’hommage pour un plagiat, obtint des dommages et intérêts, et La Ballade de Cheveu-Rouge ne fut éditée en album que bien plus tard et de manière confidentielle. On pourra retrouver ici l’histoire dans toute sa fraîcheur lustrale. Un vieil homme vient demander à Simon de retrouver son fils disparu. La nature règne en maîtresse partout. Les villes, rares, sont autant de lieux mortifères. L’époque est difficile à préciser, les personnages vivent comme dans l’Antiquité, mais à l’occasion on voit en fond les restes d’un pylône électrique ou d’un barrage, et il arrive qu’on se batte avec des fusils d’assaut. D’une certaine manière, Auclair avait parfaitement saisi l’esprit du Chant du monde qui joue aussi sur cet aspect atemporel et cette souveraineté de la nature.

C’est seulement avec Le Clan des centaures, l’année suivante, qu’Auclair pose les premières pierres d’un univers qui lui est propre. Le sous-titre générique des aventures de Simon sera « Chroniques des temps à venir ». On en apprend un peu plus sur le personnage, fils d’un scientifique ayant œuvré dans une mystérieuse « Cité 3 », qui se révélera dans un album ultérieur être construite sur les ruines de Paris en proie à des bandes de pillards. On y apprend aussi comment on en est arrivé là. En quelques décennies, le monde s’est effondré, des mégalopoles se sont repliées sur elles-mêmes, protégées par des savants qu’elles mettent au service d’un ordre le plus souvent totalitaire. Le père de Simon a été assassiné car il refusait de livrer ses recherches sur un projet sensible. Il ne faut pas oublier qu’Auclair dessine à une époque où Mai 68 n’est pas loin, le premier choc pétrolier encore moins, les tensions entre l’Est et l’Ouest toujours présentes.

Sur cette trame, les albums suivants vont décliner, tantôt de manière lyrique, tantôt de manière épique, l’affrontement entre les cités esclavagistes et les tribus babas cool. Le cœur d’Auclair, pétri de culture libertaire, va évidemment du côté des rebelles et de Simon qui inventent de nouveaux modes de vie. Leur allure est plus ou moins celle des participants à Woodstock et ne déparerait pas dans les ZAD des années 2010. Les thèmes de la saga évoluent cependant au rythme de l’âge des lecteurs. Les préoccupations postapocalyptiques s’éloignent ainsi au profit de récits plus initiatiques, empreints de mythologie celtique et de New Age.

Bien sûr, il y a une certaine naïveté didactique dans les aventures de Simon, un idéalisme que les années 1980, date de parution des derniers albums, auront rendu caduc pour certains. Il s’est même trouvé, à une époque, des auteurs de SF brillants mais au gauchisme pointilleux comme Jean-Pierre Andrevon pour voir dans Simon du Fleuve une exaltation du retour à la terre susceptible de lectures réactionnaires.

Il n’empêche, dans les temps qui sont les nôtres Simon du Fleuve plaira aussi bien aux décroissants de la revue Limite d’Eugénie Bastié qu’aux disciples de Tarnac et de l’Encyclopédie des nuisances. Ou tout simplement à votre serviteur qui retrouve le plaisir, comme lorsqu’il avait 12 ans, d’une nuit sous un serpent d’étoiles, avec la silhouette d’Estelle, la compagne de Simon, qui se découpe sur un feu de camp alors qu’on a laissé derrière nous, enfin, les ruines du monde ancien.[/access]

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Alep reprise, libérée ou tombée?

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alep armee syrie medias
Des soldats syriens patrouillent dans la cour de la Mosquée des Omeyyades, Alep. Sipa. Numéro de reportage : AP21988854_000011.

« A Alep, les rebelles se servent des civils comme boucliers humains » ; « Les forces pro-gouvernementales autorisent les rebelles à quitter Alep-est avec des armes légères pour rejoindre d’autres bastions de la contestation » ; « Les rebelles menacent d’exécuter les civils qui tenteraient de quitter la ville en passant par les couloirs humanitaires. »

C’est sur des chaînes d’information continue que j’ai entendu ces informations, et d’autres de la même veine.

La fin d’une autocensure ?

Jusqu’alors, les commentaires qui s’éloignaient un peu de trop de la thèse officielle ne bénéficiaient pas d’un très bon accueil.

Le documentaire de Samah Soula intitulé « Syrie, le grand aveuglement » et diffusé sur France 2 le 18 février 2016 avait été salué comme un travail courageux et intéressant par la chroniqueuse médias de Franceinfo-la-radio mais le point de vue offert par le documentaire, différent de la version habituelle des faits, n’avait pas pesé du tout sur le traitement des événements par cette chaîne ni par les autres. Encensé par l’Obs, le travail de Samah Soula avait été étrillé par l’Express et par le Monde.

Que le documentaire présentât des défauts, c’est probable. Mais les reproches formulés à son encontre, peut-être légitimes (vision partisane des choses, tendance à la simplification sur certains aspects, minoration de faits, interviews tronquées au montage, etc.), pointant des pratiques très courantes dans les médias, ne se font toutefois jamais entendre lorsque le contenu d’un documentaire va dans le « bon » sens, le sens autorisé. On ne conteste la méthode que si le contenu déplaît, c’est bien connu.

Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux.

Jacqueline Sauvage: paysage après la bataille

Rassemblement sur le Parvis du Trocadéro à Paris pour réclamer la libération de Jacqueline Sauvage, décembre 2016. SIPA. 00784814_000018

L’affaire Jacqueline Sauvage qui occupe les médias mainstream depuis plus d’un an est finalement un étonnant révélateur des contradictions qui travaillent actuellement la société française. Qui en dit long sur la déliquescence d’un système politique et médiatique qui n’en finit pas de partir en lambeaux.

Nous avions déjà l’antiracisme petit-bourgeois, élevé au rang de valeur cardinale par des gens pourtant apôtres d’une société communautaire racisée, et brandi comme un signe extérieur de richesse par les bénéficiaires de la globalisation. Voilà que s’affirme désormais l’hégémonie du féminisme victimaire des groupuscules parisiens. Il obéit à la même logique en mettant en avant l’image d’une femme mineure et éternelle victime soumise sans pouvoir s’en émanciper un patriarcat oppresseur. Et exactement comme pour le racisme, que l’on va le plus souvent chercher là où il n’est pas, on n’hésite pas à enfourcher de mauvaises causes au risque de dévoyer les vrais et les justes combats. Mais qu’importe le réel, la vérité, ou la morale puisqu’il ne s’agit en fait, en congédiant le réel, que de se donner bonne conscience à peu de frais et de prendre la pose. L’idéal étant quand, à l’aide du relativisme culturel comme Benoît Hamon ou Clémentine Autain, on peut faire fusionner antiracisme et féminisme en célébrant par exemple, le droit des intégristes musulmans à enfermer et bâcher leurs épouses au nom de la tradition et de la liberté de celles-ci d’accepter ce qui leur est imposé. Féministe et  anti-islamophobe, coup double.

Un enchaînement de réactions lamentables

Le combat pour l’élargissement de Jacqueline Sauvage au nom de la lutte contre les violences faites aux femmes est une mauvaise cause. Simplement parce que l’histoire que nous assène jour après jour la propagande médiatique, est fausse. Jacqueline Sauvage n’a pas été la victime pendant 47 ans d’un mari violent, qu’elle n’a pas abattu froidement de trois balles dans le dos pour se protéger. Le dossier, et tous ceux qui ont eu à en connaître racontent une autre histoire, celle d’une femme de caractère qui dominait sa famille et n’a pas supporté de la voir en échec. Et c’est à partir de cette réalité-là que les juridictions ont statué. C’est la raison pour laquelle lorsque François Hollande, dans une grande première dans la vieille histoire de l’usage de ce droit régalien, a décidé après une première grâce partielle, une deuxième totale un an après, a commis une mauvaise action. Provoquant un enchaînement de réactions lamentables symptôme du délitement des institutions et du désarroi de l’opinion.

À tout seigneur tout honneur, François Hollande a brusquement cédé, aux petites coteries médiatiques, mondaines et parisiennes qui le fascinent manifestement. Ce faisant, qu’il le veuille ou non, il a validé le mensonge, consacré un permis de tuer, et last but not least insulté magistrats et jurés. Personne ne doit pouvoir contester le principe du pouvoir qui lui est donné par la constitution, et le fait de s’en servir. Mais François Hollande fait de la politique, il a été élu pour ça, et utiliser une prérogative juridique ne le dispense pas de le faire dans des formes dignes et en fonction du contexte. De ce point de vue, c’est une catastrophe.

L’apogée du féminisme victimaire

Le féminisme victimaire devenu hystérique ensuite. Tous ces petits groupes qui portent leur androphobie et leurs frustrations en bandoulière sont désormais inaccessibles à toute approche rationnelle. Foin de la réalité, chaque argument qui tente d’y ramener, est immédiatement contré par des raisonnements qui n’ont rien à envier au complotisme le plus obtus. L’ensemble de la planète est dominé par un complot patriarcal et tout ce qui s’y passe doit être lu à la lumière de ce prérequis. Jacqueline Sauvage n’a rien dit pendant 47 ans, personne n’a remarqué chez les gens qui la fréquentaient la moindre trace de coup, on vous répond : emprise, femme soumise, amnésie traumatique, mémoire retrouvée, et toutes les imbécillités issues du commerce des psychologues charlatans. 35 magistrats et jurés ont eu à connaître de son dossier et l’ont cependant condamnée : des « masculinistes » pour les uns, des marionnettes manipulées pour les autres. Débat impossible, et c’est cependant à ces gens-là que le président de la République a donné raison.

Il y a aussi la classe politique, qui s’est vautrée toutes tendances confondues, dans une démagogie compassionnelle assez écœurante. C’est qu’il y a bientôt des élections, et avant des primaires. Alors, plutôt que de parler au peuple on va s’adresser à des petites coteries, des groupuscules que l’on espère prescripteurs d’opinion. Le plus désolant étant pour moi, Jean-Luc Mélenchon, après avoir intronisé Jérôme Kerviel en Robin des bois de pacotille, il a pris la défense de Clémentine Autain qui tirait dans le dos de la brigade des mères du 93 luttant contre l’intégrisme musulman. Pour faire bonne mesure, il vient de faire de Jacqueline Sauvage, coupable d’un crime, l’emblème de la lutte pour l’émancipation des femmes. Bravo camarade ! Qu’importe qu’il s’agisse d’un mensonge, si on s’encombre de la vérité, on ne va pas s’en sortir. Ce qui compte c’est s’adresser aux couches moyennes urbaines, les couches populaires on s’en fout, laissons-les au Front National.

La responsabilité des médias est écrasante

N’oublions pas les syndicats de magistrats qui n’en ratent pas une. Drôle d’institution que ces syndicats sollicités à tout propos pour s’exprimer « au nom » de l’institution judiciaire, qui n’ont une activité syndicale que théorique, mais une activité politique permanente. Les magistrats du siège sont soumis à un devoir de réserve strict, garant de la confiance que les citoyens doivent avoir dans leur impartialité. Qu’à cela ne tienne, il y a les syndicats. Le « mur des cons » a montré la conception que le Syndicat de la Magistrature avait de cette impartialité. Et surtout, il est devenu habituel que ces organisations se moquent du principe de la séparation des pouvoirs dans la mesure où elles ne l’invoquent qu’à leur profit. Et nous sommes bombardés de déclarations politiques critiquant le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Là encore, pour relever le camouflet indiscutable infligé à la Justice par François Hollande, les syndicats de magistrats, n’y voyant aucune contradiction, n’hésitent pas à contester au chef de l’État l’utilisation des prérogatives que lui donne la Constitution ! Dites-moi, amis magistrats, vous êtes les derniers à pouvoir critiquer la décision du Président. Il serait peut-être temps de redevenir cohérents.

On finira enfin par les journalistes qui, par facilité et commodité, ont véhiculé la fable de Jacqueline Sauvage victime pendant 47 ans d’un mari violent. Tous les débats, toutes les interventions tous les éditoriaux en ont fait un postulat. Dire d’abord que « cet homme était une ordure », discuter ensuite. La responsabilité des médias, dans la pérennisation du mensonge et le discrédit jeté sur les décisions de justice rendue après des procédures régulières par plusieurs juridictions, est de ce point de vue écrasante.

Je disais en commençant que ce nouvel épisode du feuilleton Sauvage était révélateur des contradictions qui travaillent la société française. Une promenade attentive sur les réseaux, la lecture des commentaires sous les articles de la presse mainstream démontrent qu’une grande partie de l’opinion française n’est pas dupe. Et supporte mal la façon à la fois arrogante et désinvolte dont elle est traitée.

Ceux qui entendent briguer ses suffrages au printemps prochain seraient avisés d’en tenir compte.

Le psy, un ami de la famille ?

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Pyschologie Alain Valterio
Sigmund Freud et les membres de son "comité secret", 1922
Pyschologie Alain Valterio "Brèves de psy" Sigmund Freud "psyrose"
Sigmund Freud et les membres de son "comité secret", 1922

Une adolescente de 14 ans se voit administrer une gifle par son père qu’elle a traité de « gros con ». Une scène de genre qui sous Giscard d’Estaing se serait terminée banalement par une bouderie muette vire inéluctablement au psychodrame quatre décennies plus tard. Dans une France soumise à l’omniprésence de la « culture thérapeutique », un pays où les « bigots cathos » ont été remplacés par les « bigots psycho », selon la formule consacrée du psychanalyste suisse Alain Valterio, le père « maltraitant » n’a eu d’autre choix que de faire son mea-culpa devant sa fille, en présence d’un aréopage officiel de spécialistes des conflits familiaux. Faute de quoi, divorcé, il aurait perdu son droit de visite. L’exorcisme n’aurait tout de même pas été accompli pleinement si le tyrannique géniteur n’avait été contraint d’entamer une psychothérapie pour « régler son problème de violence ».

Le dernier ouvrage de Valterio, Brèves de psy, fait suite à son édifiante Névrose psy. On peut observer de multiples « effets de la psychologisation sur les mentalités ». Véhiculée par le fantasme d’une vie sans chagrins dont nous aurions le droit de « profiter », comme on profite de ses vacances, la verbeuse mentalité thérapeutique désignée par l’auteur sous le néologisme de « psyrose », « entretient ses propres mythes, ses propres interdits et donc ses propres abus, derrière les discours compassés qui se sont imposés dans toutes les sphères de la société ». Nier l’emprise du « psychologiquement correct » reviendrait certes à refuser la réalité.

L’anti-tragédie

Valterio est loin d’être le seul spécialiste à le reconnaître, bien qu’il soit un des rares à la dénoncer, comme le souligne Éric Vartzbed, qui pratique la psychothérapie psychanalytique en cabinet privé : « La culture thérapeutique exprime la société qui a renoncé au rayonnement, à la grandeur, à la conquête, au salut ou à la révolution politique. Elle met l’accent sur le soin, le bien-être, l’éradication de la maladie et de la souffrance. À ce titre, elle est une utopie anti-tragique. Car l’humain est incurable. Ce qui n’empêche pas de connaître des petits soulagements provisoires. » Que celui qui n’a jamais « consulté », qui n’a jamais ressenti « un coup de déprime » ou autre « anxiété » jette la première pierre !

Difficile de ne pas voir le combat d’Alain Valterio comme celui d’une arrière-garde, tant les mentalités individuelles semblent imbibées de la sensibilité thérapeutique orientée vers l’« estime de soi » et la traque des traumas refoulés.[access capability= »lire_inedits »] Sans en faire reproche à l’auteur, le docteur Jacques Thuile, psychiatre, note néanmoins le caractère définitivement révolu d’un modèle social où les problèmes éducatifs des enfants se réglaient au sein d’une famille nucléaire à la seule force de l’autorité parentale. « Le seuil de tolérance a diminué considérablement. Le président de la République se déplace quand il y a un accident de car dans les Landes avec des petits vieux à l’intérieur. On assiste à une hystérisation permanente de tout drame, de toute difficulté de la vie. Or élever les enfants c’est difficile ! » Si le nombre des parents qui ont du mal à y parvenir accuse une constante inflation, les « psys » n’en sont pas les uniques responsables. Et le docteur Thuile de préciser : « Il faut prendre en compte le contexte économique dans lequel nous vivons. Dans une société de plein emploi on pouvait plus facilement minimiser les dérapages des enfants, sachant qu’ils s’en sortiraient d’une manière ou d’une autre et finiraient par trouver un travail. À présent, ces incidents de parcours nous font peur et moins pour ce qu’ils sont que par rapport à ce qu’ils prédisent de l’avenir de l’enfant. »

Tous détraqués ?

Alain Valterio a certainement raison d’affirmer que l’éducation est le domaine le plus exposé aux dégâts de la « psyrose », avec des conséquences catastrophiques chez l’enfant. Mais, encore une fois, reste à déterminer à qui la faute. S., mère d’un adolescent de 17 ans scolarisé dans une annexe du lycée Lakanal à Sceaux, destinée à accueillir des jeunes entre 16 et 25 ans souffrant de troubles de l’humeur, de la personnalité, alimentaires et névrotiques, renvoie la responsabilité en premier lieu à l’école : « Personne ne vous laisse libre d’éduquer votre enfant ! Suite au décrochage scolaire de mon fils, l’établissement qu’il fréquente m’a obligée à l’envoyer voir un psy. Et là, grande surprise, il ne va pas mieux mais la question de savoir s’il est fait pour les études ou si, peut-être, il serait plus heureux en travaillant, n’a pas encore été formulée. En clair, les psys paraissent tout aussi perdus que les parents ! » Valterio le constate de manière formelle : « Croire qu’un thérapeute va réussir là où les parents ont échoué est une illusion. » De son côté, le docteur Thuile éprouve de la méfiance face à des propos trop péremptoires : « On passe sous silence un élément fondamental, à savoir qu’on ne maîtrise pas grand-chose de l’évolution psychologique de son enfant et, surtout, que celle-ci dépend pour une part non négligeable de son patrimoine génétique. Étrangement, Alain Valterio en fait l’économie dans son livre alors que nous savons désormais, grâce à la recherche, que la capacité de quelqu’un à supporter l’angoisse, à réagir face à un événement, est sous-tendue par les gènes. » Un tabou à la fois religieux et républicain que le vaillant psychanalyste suisse n’ose malheureusement pas lever.

Éric Vartzbed tente d’adoucir le tableau : « La bonne nouvelle est que les parents font toujours nécessairement un peu faux. Cela les déculpabilise et laisse à l’enfant un lieu imparfait où trouver une place. Pour l’enfant, une mère trop parfaite ne vaudrait pas mieux qu’une hallucination, disait Winnicott. » Il arrive même qu’au sein de la nouvelle cellule familiale, à sa façon « reconstituée » car complétée par un psy, les parents se révoltent. Tel a été le cas de ce père de famille qui a refusé de continuer à payer les honoraires du psychothérapeute de sa fille mineure, faute d’être tenu au courant de la progression du travail. « Soit vous acceptez de me voir et de me parler, soit vous demandez à ma fille de signer les chèques ! » a bravement lâché l’homme, obtenant finalement gain de cause. Loin d’être sans risque, le recours à l’aide d’un spécialiste semble néanmoins promu à un bel avenir. Comme a eu le chic de le soutenir la psychanalyste Claude Halmos, une consultation, si elle n’est pas forcément justifiée par un problème réel de l’enfant, l’est toujours par l’angoisse de ses parents. Bref, chaque bien-portant serait un malade qui s’ignore, surtout à l’ère de la menace terroriste, où les individus les moins affectés psychologiquement par la violence auraient, nous disent les professionnels, le plus besoin d’être entendus ! Autant retenir le propos d’Éric Vartzbed avant de franchir le seuil d’un cabinet thérapeutique : « Le bon psy ne dicte pas une vérité, il aide les parents à découvrir la leur et à inventer des solutions. Le thérapeute n’est pas un parent de substitution, mais un appui pour des parents souvent complètement dépassés. » Cependant, la première piste pour aller mieux est encore de lire Alain Valterio.

Brèves de psy, Alain Valterio, éditions Favre.

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Exclusif: le brouillon des derniers vœux de François Hollande!

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François Hollande adresse ses derniers voeux aux Français, décembre 2016. SIPA. 00786840_000002
François Hollande adresse ses derniers voeux aux Français, décembre 2016. SIPA. 00786840_000002

Françaises, Français, mes chers compatriotes,

C’est la dernière fois que je vous présente mes vœux. Je pourrais peut-être m’offrir, pour une fois, le luxe d’être sincère, vous dire la vérité.  Après tout, on ne se reverra pas. Ca ne va pas me briser le cœur et à vous non plus. On ne s’est jamais aimés. Moi, pas du tout en tout cas, je vous rêvais comme on rêve les Français chez Terra Nova, jeunes, modernes, connectés et pas trop syndiqués. Ou alors comme dans un village sous le président Fallières avec l’instituteur socialiste, le curé monarchiste et le pharmacien franc-maçon autour du billard, au Café des Amis, le genre d’établissement que ne penseraient jamais à attaquer les dingues de Daech.

La première chose que j’aimerais vous faire comprendre, c’est qu’il est inutile de chercher une explication quelconque à mes échecs répétés. Pour vous parler franchement, je crois tout simplement que je n’étais pas à la hauteur. Le costume était trop grand pour moi. C’est sans doute pour ça que j’en ai porté des trop petits tout le long de mon quinquennat.  En fait, j’ai été le premier surpris par ma victoire à la primaire en 2012. Moi, mon plan, c’était de faire ministre de DSK. Ca m’aurait suffi. Peut-être Matignon, pour couronner ma carrière, mais pas plus, vraiment. De toute façon, je ne suis pas dupe. Encore une fois, je sais que j’ai été élu parce que vous détestiez Sarkozy, pas parce que vous m’aimiez. Je sais très bien que vous m’avez élu par défaut, sans enthousiasme.

Mon bilan est objectivement catastrophique. La situation économique est désastreuse et les quelques chiffres qui montrent une amélioration de l’emploi sont plus maquillés qu’une voiture volée. En fait, quand par hasard vous trouvez du boulot, mes chers concitoyens, c’est tellement précaire que vous acceptez un salaire de misère, des temps partiels et que vous n’osez plus protester. Vous allez tous finir comme des chauffeurs de chez Uber ou des employés de chez Amazon. Tenez, je ne crois pas que Dickens ou Zola auraient osé imaginer un chapitre de roman avec une femme qui fait une fausse couche sur son lieu de travail, comme c’est arrivé à Auchan-Tourcoing parce qu’on l’a empêchée de quitter son poste.

Mais il faudrait que je sois plus précis. Mon bilan est objectivement catastrophique pour vous, les salariés, les chômeurs, les précaires mais moi, finalement, j’ai rempli en cinq ans une mission historique qui laissera mon nom dans les manuels comme un des meilleurs serviteurs du capitalisme triomphant.

Premièrement, j’ai liquidé le socialisme. Enfin ce qu’on appelle encore le socialisme chez les journalistes paresseux et chez les moins paresseux, ce qu’on appelle la social-démocratie, voire le social-libéralisme.  Grâce à moi, le PS, en menant une politique vraiment de droite va disparaître au profit de la droite. Vous avez beau faire pendant cinq ans des mamours aux patrons, à la fin, ils préfèreront quand même l’original à la copie.

Deuxièmement,  je laisse la place à la droite mais pas n’importe quelle droite : une droite dure, catho, ultra-libérale et violemment antisociale qui saura parfaitement protéger les intérêts des dominants. D’autant plus que grâce à moi,  toujours, qui ai fait disparaître le socialisme, il ne restera comme opposition aux ultra-libéraux réacs genre Fillon et aux ultra-libéraux pseudo-progressistes genre Macron que le FN qui fera semblant de tenir un discours social pour achever de brouiller les cartes.

Il y a bien le risque que la vraie gauche s’organise, mais j’ai l’impression que pour l’instant, c’est plutôt la division qui règne.

Voilà, je ne me représente pas, non parce que j’aurais fait 7 ou 8% à la présidentielle, je ne me représente pas parce que, malgré les apparences, j’ai fait le boulot. Finalement, je vous aurais bien eus.

Allez vive ce qu’il reste de la République, vive la France d’après (d’après quoi, je ne sais pas trop) et bonne chance à tous pour cette année 2017 où vous allez prendre cher, à mon avis.

[Ceci est, bien sûr, une parodie]

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Trump: éloge d’un « gros con »

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Donald Trump, sa femme Melania et son fils Barron dans leur penthouse familiale. Photo: D.R.
Donald Trump, sa femme Melania et son fils Barron dans leur penthouse familiale. Photo: D.R.

Je veux bien croire Alain Finkielkraut quand il nous dit que « Donald Trump est un gros con ». Il y a des détails qui ne trompent pas, comme les robinets en or, qui rapprochent le magnat américain du mafieux russe et de l’émir arabe. Mais je ne suis pas convaincu quand il ajoute que ses électeurs ont eu tort de voter pour lui. Je comprends que l’on puisse hésiter à élire un vulgaire gros con chef du monde libre, mais faut-il renoncer à donner sa voix au seul candidat qui dit, même mal, ce que l’on pense si fort ? Qui choisir entre un amateur agressif qui pose grossièrement les questions identitaires et migratoires qui inquiètent l’Amérique, et ses concurrents expérimentés, compétents, rassurants et polis qui les évitent soigneusement ? Est-ce la faute des gens si aujourd’hui la vérité sort de la bouche des gros cons ? Comment alors reprocher aux électeurs de faire le mauvais choix plutôt que la fine bouche ?

Dans l’un de ses romans, Jackie Berroyer retrouve un ami d’enfance, nettement plus con que lui. Il réalise que dans sa vision simpliste et son approche primaire des choses et de leur ordre, son vieux copain ne vit pas moins que lui dans le réel, qu’il se débrouille plutôt mieux dans la vie et qu’il emballe davantage. Les chapitres se terminent par : « Mais à quoi ça me sert d’être moins con que lui ? » On comprend le désarroi d’une élite politique, médiatique, intellectuelle, et de tant de maîtres à penser qui voient les peuples leur préférer des maîtres à ne pas trop penser, mais on comprend aussi les gens quand ils se choisissent des dirigeants qui pensent à eux d’abord, parce que l’époque est moins aux concours d’élégance de la pensée qu’aux combats des chefs. En Amérique comme en Europe, les gens qui portent les candidats populistes semblent se soucier assez peu du QI ou de la bonne tenue de leur porte-parole, pourvu que leur parole soit enfin portée. Au pays des aveugles, les gros cons peuvent devenir présidents, qu’ils soient opportunistes ou fascistes-friendly, s’ils restent trop longtemps seuls dans la meute politique à entendre ces majorités qui veulent des frontières pour rester des peuples.

Alain Finkielkraut trouve le président Trump impulsif, imprévisible et brutal. On peut comme lui s’en inquiéter, on peut aussi s’en réjouir car ceux qui ont de sérieuses raisons de craindre ses brutalités imprévisibles, ce sont surtout ces ennemis de l’Amérique qui sont aussi les nôtres. À un moment de sa campagne, Trump a vu ses meetings envahis par des opposants qui lui jetaient des tomates. Il s’est un jour adressé à la salle en ces termes : « Si vous en voyez qui jettent des tomates, cassez-leur la gueule, je couvre les frais de justice. » La réaction du gros con impulsif qui incite à la violence est contestable, mais l’attitude d’un responsable qui couvre les siens, qui ose une défense légitime et en paye les frais, celle simplement d’un vrai chef, l’a emporté pour la moitié des Américains. Ont-ils eu tort ? Je n’en suis pas sûr. Si les détails ne trompent pas, ses électeurs y ont peut-être vu la marque d’un véritable responsable politique, capable de défendre les intérêts de ses concitoyens, de son peuple, de sa civilisation à la limite de la décence, des habitudes, des conventions ou de la loi, et même de la justice.

Subirions-nous encore les burkinis si un Donald français avait siégé au Conseil d’Etat ?

Cette façon de repousser les limites du possible pourrait faire envie chez nous où ce ne sont pas les « gros cons » façon Trump qui règnent, mais les sages planqués dans leurs conseils, les meilleurs d’entre nous dans les ministères, les plus hauts juristes dans les hautes cours, les plus grands avocats chez le président et les élus les plus expérimentés aux commandes. Et on peut parfois le regretter. Aurions-nous encore des burkinis si un Donald français avait siégé au Conseil d’État ? Et s’il y avait eu un peu plus de « Trumps » dans nos hémicycles, avec leur gros bon sens de gros cons, nous aurions sans doute à présent une bonne loi de déchéance massive de nationalité pour nos ennemis intérieurs et islamistes. Si Trump était à l’Intérieur, laisserait-il la police se faire tirer dessus à balles réelles sans riposter (comme récemment à Beaumont-sur-Oise dont l’actualité, ou plutôt les actualités, n’ont retenu que la mort du malheureux Adama) ?[access capability= »lire_inedits »] Les policiers brûleraient-ils dans leurs voitures sans tirer sur leurs agresseurs, s’il y avait un peu plus de trumpattitude dans leur hiérarchie, jusqu’à leur ministre qui ne manque ni d’élégance, ni d’éloquence, ni d’intelligence. Notre police, notre justice, notre État ne gagneraient-ils pas à devenir, à l’image de Trump, un tout petit peu plus « impulsifs, imprévisibles et brutaux », pour réprimer et dissuader les délinquants, les criminels et les terroristes ? Mais plus largement, on peut espérer du gros con ce qu’on n’attendait plus des responsables sérieux et fréquentables : qu’il ouvre le champ du possible à tout ce qui était soi-disant impossible, en rétablissant des frontières quitte à élever des murs ou à pratiquer de salutaires discriminations à l’entrée du territoire. Vu du pays du droitdel’hommisme désarmant, le trumpisme peut même faire rêver.

Mais il y a une autre raison d’approuver les électeurs de Donald : Il est plus drôle de défier la doxa et d’effaroucher les bien-pensants avec un de ces gros cons qui n’ont pas les moyens de se perdre dans les nuances qu’avec n’importe quel modéré, tempéré ou pondéré. Je crains que certains Américains l’aient élu non pas malgré son côté « gros con », mais bien à cause de lui.

Quand Trump nie la réalité du réchauffement climatique mais redoute une islamisation de l’Occident, il y a brutalement dans cette inversion des priorités de quoi réjouir celui qui préférerait finir sa vie les pieds dans l’eau plutôt que barbu avec plusieurs bonnes femmes sous clés, sous cloches et soumises, même s’il n’est pas dupe de l’ignorance dangereuse du candidat. Le vote Trump peut devenir alors l’aubaine d’une riposte proportionnée à ceux qui ne croient pas à la réalité du grand remplacement. Ignorance dangereuse toi-même ! répond ainsi l’Amérique des campagnes à celle des campus.

Quand Trump parle des femmes comme un fanfaron macho, même le farmer le moins gentleman ne le trouve ni très malin ni très digne, mais comment résister à la tentation pour le mâle américain de laver dans les urnes les humiliations subies par ces piteuses repentances venues d’hommes publics censés le représenter, de Hugh Grant qui s’excusa publiquement pour être allé aux putes à Bill Clinton obligé de demander pardon pour avoir sauté une stagiaire consentante. Comme dit Clint Eastwood, grand maître à ne pas trop penser, « Trump, c’est le candidat antimauviettes ».

Je ne suivrai donc pas Alain Finkielkraut dans sa réprobation des électeurs de Trump. Après tout, que risquaient les Américains à voter comme au bowling ? Une partie de réjouissante rigolade au début de son mandat, et à la fin, si tout se passe bien, moins d’immigrés clandestins, moins de musulmans terroristes, moins de produits chinois, moins de pétrole arabe. Les élections françaises m’inquiètent davantage car après un quinquennat de Juppé ou de Fillon, qui sont tous deux assez éloignés du gros con, nous n’aurons peut-être pas eu les insultes et le mépris du Monde ou du New York Times, mais nous aurons un million d’immigrés supplémentaires, sans compter les clandestins et sans parler des terroristes musulmans.

Alors on ne peut pas aimer lire et écouter Alain Finkielkraut, et tenter d’affirmer la suprématie des gros cons sur les esprits fins. Mais il faut reconnaître, quand ils sont les derniers à défendre les derniers bastions du bon sens, que pour gouverner, l’intelligence ne suffit pas. Trump n’est pas Einstein, nous sommes tous d’accord, mais le grand savant n’a-t-il pas renoncé à être président, peut-être conscient de ses limites, car dans l’exercice du pouvoir une dose mesurée de connerie peut être utile ou, plus précisément, un peu de candeur dans la volonté, du courage dans le verbe comme dans l’action, pas mal de bon sens et beaucoup d’audace. Comment nommer alors ce plus ou moins savant mélange d’intellect et d’instinct ? Intelligence politique ? Les élus remplacés en ont peut-être manqué en oubliant d’être primaires. « Les cons, ça ose tout », disait Audiard, alors on se met à en élire. Il disait aussi qu’« un con en marche va toujours plus loin que deux intellectuels assis ».[/access]

Jacqueline Sauvage: responsabilité, ma soeur

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Manifestation place de la Bastille à Paris pour demander la grace de Jacqueline Sauvage, janvier 2016. SIPA. 00739153_000001
Manifestation place de la Bastille à Paris pour demander la grace de Jacqueline Sauvage, janvier 2016. SIPA. 00739153_000001

Jacqueline Sauvage est certes victime, mais aussi responsable. La justice l’a condamnée, le prince l’a graciée. Mais cette grâce ne l’exonère pas de sa responsabilité. Du statut de paria, la femme battue accèderait ainsi à une quasi sainteté. Je ne partage pas la liesse de tout un secteur de l’opinion qui célèbre sa grâce. Et pourtant, je fais partie de ces féministes « historiques » qui ont fondé le premier refuge pour femmes battues en 1978 en France, le centre Flora Tristan, situé en ces années à Clichy-sous-Bois. Notre propos était double : désigner une violence impunie, et offrir une alternative aux femmes  et enfants battus. Notre slogan était « S’en sortir ». Dix ans plus tard, j’ai participé à la création de l’association SOS Hommes et Violences en Privé, qui allait ouvrir le premier lieu d’accueil des hommes qui battent leurs femmes. Il fallait boucler la boucle: on ne traite pas les victimes en ignorant les agresseurs. Mes collègues féministes, le nez sur le guidon victimaire, ont alors crié au scandale. Comment osais-je m’occuper des «bourreaux» ?

Or, il y avait une logique dans ma démarche: la violence est une partition qui se joue à plusieurs. Au-delà des deux solistes, il y a tout l’orchestre qui joue le tempo ancestral du «bats ta femme…». Alors, désigner la victime est déjà un pas considérable que nous avons franchi dans les années 1970. Mais impossible de camper ad vitam aeternam là-dessus. Il fallait continuer sur cette lancée d’interpellation de la violence domestique en braquant le projecteur sur l’homme. Considérer les deux partis est une démarche véritablement féministe, s’en tenir à l’une d’elle relève de la seule victimisation.

Le féminisme, en stagnation

Jacqueline Sauvage nous y renvoie. Tout se passe comme si sa responsabilité  était à nouveau évacuée. Les juges  avaient  tenu compte de cette responsabilité en la condamnant, fut-ce excessivement.  N’est-elle pas en effet responsable d’avoir supporté tant d’années ces violences atroces, et surtout de les avoir laissé subir à ses enfants ? Peu importe les raisons qu’elle ait eu de rester. Il y en avait encore plus pour partir. Il y a en France désormais, des dizaines de refuges pour femmes et enfants victimes de violence.

Le cas de Jacqueline Sauvage nous met face au basculement qui doit maintenant s’opérer. Après avoir utilement désigné les femmes comme victimes, le féminisme doit les inviter à la responsabilité. Si j’accepte d’être  pour quelque chose dans ce qui m’arrive,  je peux avoir une prise dessus. Les féministes en place continuent à maintenir les femmes dans leur statut de victimes, tout comme la gauche dédouane les immigrés de toute « faute ». Au maternalisme des unes, répond le néo-colonialisme des autres. Les néo-féministes cumulant les deux.

Le féminisme est aujourd’hui en phase de stagnation. Enfant frileux et anémique  des années 1970,  il est bloqué sur le ressassement des slogans de ce temps-là. Assaisonnée de l’incontournable sauce antiraciste qui  dénature  la saveur si forte et originale du festin de Babette, concocté par des générations d’amazones.  Les néo féministes nous servent un brouet insipide qui désole nos papilles nostalgiques. Quel est donc ce mal qui tel un phylloxéra ravageur, ronge l’arbre tout entier ? Quel est ce mal qui a coupé le sifflet créateur du féminisme ? Sans doute l’air du temps qui n’est pas à l’invention. Mais surtout le bel envol des années 1970 s’est écrasé sur le mur des réalités. Et nos féministes de se réfugier dans le giron paternaliste des politiques labellisées. Gauche ou droite, il faut choisir son camp. Et les poncifs qui vont avec…

L’égalité oui, mais quoi faire ?

Gare aux chevauchements suspects. On a vite fait de vous expédier au goulag de la pensée incorrecte. Alors ça donne à peu près ce qui suit. A gauche, pour ces dames, la priorité c’est l’étranger. L’homme étranger, pas la femme qui va avec.  En effet, chez lui, là-bas, l’homme immigré exploite, marie de force, excise… Mais ces dames ferment les yeux là-dessus. Par contre pas touche à mon migrant, à l’occasion violeur ou agresseur, ça fait le jeu du Front national. Et puis ce n’est pas sa faute, il est en manque sexuel. Cela me rappelle les petits gars de la Gauche prolétarienne qui recommandaient à leurs copines en 1970 de soulager la misère sexuelle des immigrés. Elles se sont retrouvées au MLF. Pour nos féministes de gauche, le mal absolu, c’est le mâle blanc.

A droite, à l’inverse, tout le mal viendrait de l’islam qui nous tire en arrière tous voiles dehors. Nous aurions ici conquis tous les droits. Reste à les appliquer. De ce côté, on plaint beaucoup le mâle blanc, le pauvre,  malmené par 50 ans de féminisme.

Pour nous résumer, à droite comme à gauche,  on materne. Le vent est à la déresponsabilisation.  Selon le camp, ce seront les femmes toujours victimes. Ou les hommes, suivant le côté de la Méditerranée  où on se place.

Le féminisme doit revisiter les thèmes anti-sexistes et les replacer dans une vision d’ensemble. L’égalité oui, mais quoi faire ? Pour en rester là ? Ou bien pour, femmes et hommes mis à niveau, s’engager ensemble dans la refondation d’un monde où la domination ne ferait plus loi. « Ce qui libère la femme libère aussi l’homme », écrivait Simone de Beauvoir.

Cela implique que les hommes aussi se responsabilisent, et réfléchissent au rôle qui leur est imparti. Ni Superman ni lavette. Tout simplement compagnons des femmes  sur le chemin de la rude condition humaine.

Pacifisme et autres fariboles

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Jaccard Carnets Pacifisme

Jaccard Carnets Pacifisme1. Des raisons de croire à la paix

Un amical lecteur m’adresse, depuis la Suisse, une série de questions qui le taraudent concernant la paix. D’après lui, malgré toutes les raisons que nous donnent chaque jour les journaux d’aggraver de plusieurs crans notre pessimisme, il est de notre devoir de croire à la paix, au rétablissement – ou à l’établissement – d’un monde meilleur (c’est-à-dire juste, équi-table, ouvrant la voie au bonheur universel et à la disparition des conflits). Il veut savoir jusqu’où me mène mon cynisme.

Je me montre sceptique.

Il n’y a, à mes yeux, et au risque de décevoir, aucune raison de croire à la paix. La guerre est la forme la plus naturelle et la plus conforme à ce qu’il est convenu d’appeler l’humain. Il n’est pas particulièrement glorieux de s’en réclamer ! Qu’y a-t-il de plus obscène qu’une femme portant fièrement dans son ventre un futur cadavre ? Observez-les, dans les jardins d’enfants, ces tortionnaires en culottes courtes, ces laissés-pour-compte au regard hagard, ces vamps en jupette… Le manège tourne, les types humains se répètent, les situations se ressemblent : le crime, individuel ou de masse, s’organise. Bientôt, on le fustigera. Bientôt, les pleureurs professionnels nous enjoindront à plus d’humanité. Quelques bourreaux seront condamnés… et le même mensonge sera repris par tous : il faut avoir à nouveau confiance en l’homme, en la vie… on passera ainsi d’un imaginaire de la catastrophe à un imaginaire du progrès.

Dieu me préserve donc d’une fonction de pacificateur, qui me transformerait en une solennelle nullité. Je préfère laisser chacun aller à sa perte selon ses moyens. Quant à l’humanité, elle n’est douée ni pour le meilleur ni pour le pire. Je ne lui trouve qu’un charme médiocre et, finalement, je serais favorable à son éradication. Il me répugnerait de devenir un symbole – fût-ce de la paix.

J’ai bien un ami qui est un véritable ambassadeur de la paix. Cela lui permet de vendre ses livres, de voyager de palace en palace, de devenir citoyen d’honneur de plusieurs villes et, comme il est musulman, modéré bien sûr, de prôner une poli-tique pacifique qui joue en faveur de ses croyances. Il a trouvé un excellent créneau et je l’en félicite. Le cynisme n’est pas à la portée de tout le monde.

 2. La guerre civile n’aura pas lieu

Chaque pays suit ses intérêts, et ils coïncident rarement. Si vous voulez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage… éternellement. Et puis, sans la guerre – des nations, des classes sociales, des sexes et des races –, l’humanité périrait d’ennui, ce que je me garderai bien de déplorer. L’être humain ne se suffit pas à lui-même. Il lui faut des drogues dures. La guerre en est une.[access capability= »lire_inedits »] Rien de tel quand on s’ennuie que de créer des ennuis à ses voisins. Il y a d’ailleurs un bon usage des catastrophes : Hiroshima vaut bien Shakespeare. La vraie modernité, après Auschwitz et Hiroshima, c’est l’idée que nous ne méritons pas de survivre, qu’il faut en finir…

Il n’est pire crime – ou offense à l’intelligence – que ces appels renouvelés et par ailleurs totalement vains à croire en une humanité pacifiée.

L’Occident est nu. Il ne prépare plus rien. Il est devenu une proie idéale, constituée de bobos décérébrés, incapables de se défendre, hantés par des culpabilités liées au colonialisme. Il se trouve que le colonialisme est la chose la mieux partagée du monde, mais que par un tour du destin incompréhensible nous en serions les seuls responsables. Ce qui nous assure au moins que nous en serons les victimes et qu’ils sont bien optimistes, ceux qui croient en une guerre civile ou en une capacité de nous ressaisir. Le pacifisme, les droits de l’homme et tant d’autres fariboles nous conduisent tout droit à une soumission consentie. Dans l’existence, soit on terrorise, soit on est terrorisés. Nous ne faisons plus peur à personne. C’est un mauvais signe : celui de la fermeture définitive des jardins de l’Occident. Mais tant d’autres civilisations ont connu cela, qu’on se gardera bien de pleurnicher sur notre gloire passée. Soyons stoïques jusqu’au bout !

3. D’abord la potence, ensuite le pardon

La vengeance, même si elle est souvent justifiée, est une pas-sion triste. Même Jésus ne lui a pas trouvé d’antidote, car le pardon ne fait qu’aviver le désir de se venger. Je dirai avec Freud qui en savait long sur le sujet qu’il faut pardonner à ses ennemis… mais pas avant de les avoir vus pendus.

N’ayant pas de message positif à vous transmettre et sachant que deux messages négatifs ne vous agréeraient pas, je conclurai sur cette anecdote : Dieu arpente son bureau lorsqu’il aperçoit de sa baie vitrée le diable traînant derrière lui une vieille caisse. Intrigué, Dieu appelle son majordome et lui demande : « Qu’y a-t-il dans cette caisse ? » Ce dernier lui répond : « Un homme et une femme. » Dieu, désemparé, consulte ses dossiers et, soudain, se sou-vient : « Ah oui… cette expérience ratée. Est-ce qu’ils vivent toujours ? » [/access]

Trump, un petit blanc avec des milliards

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Donald Trump et sa femme Melania à la convention nationale du parti républicain, 18 juillet 2016.
Donald Trump et sa femme Melania à la convention nationale du parti républicain, 18 juillet 2016.

Un chœur de prédictions apocalyptiques, dont leurs auteurs semblaient parfois souhaiter qu’elles se réalisent, a accompagné l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Jamais, depuis l’élection fin 1980 de Ronald Reagan, on n’avait vu le camp défait pousser de tels hurlements. Et même s’il a été réélu facilement quatre ans plus tard, Reagan a mis longtemps à convaincre ses détracteurs qu’il n’était pas « trop bête pour être président ». Quant à Donald Trump, son problème est plus sérieux encore. Il doit son élection à un slogan explicitement nostalgique : « Make America Great Again » (« Rendre à l’Amérique sa grandeur d’antan »). Or aucun homme politique ne peut remonter le temps. Son échec semble donc inévitable, mais quelles conséquences aura-t-il ?

Ce n’est pas la bonne question. Trump dispose d’une base populaire plus solide qu’il n’y paraît. Comme dans le cas du Brexit, la machine médiatique, publicitaire et gouvernementale s’est mobilisée pour convaincre que voter Trump n’avait tout simplement aucun sens. Mais puisque Trump vient de démontrer sa capacité à conquérir le pouvoir, beaucoup de ses « soutiens silencieux » vont maintenant sortir du bois, renforçant ainsi ses perspectives de succès politique. Or ses faiblesses – un programme impossible à réaliser, un manque d’expérience et un tempérament incompatible avec un mandat présidentiel – pourraient se révéler moins embarrassantes que ce qu’on croyait.

Son programme. Trump veut faire revenir les emplois industriels aux États-Unis. La presse ricane. « La réalité est plus compliquée », déclare le Los Angeles Times. Sans blague ! Sauf que les travailleurs (ceux dont le salaire avoisine le revenu médian) n’attendent ni ne souhaitent un retour à l’économie des années 1950 ! En revanche, ils attendent des actes concrets leur garantissant que, lorsque Trump devra prendre des décisions importantes, il œuvrera dans le sens de leurs intérêts. Trump travaillera pour eux et pour leurs intérêts.

La divulgation par WikiLeaks des discours d’Hillary Clinton – notamment celui où la candidate démocrate a affirmé devant un parterre de banquiers d’investissements qu’elle avait deux positions concernant le libre-échange : une pour les électeurs, l’autre qu’elle appliquerait une fois aux affaires – laissaient présager que sa politique en la matière aurait fortement ressemblé à celle de son mari. Autrement dit, Hillary aurait fait voter les deux accords de libre-échange très impopulaires, le Ttip et le TPP (Trans-Pacific Partnership), exactement comme Bill avait fait passer l’accord du Nafta en 1993 : dans un premier temps, elle aurait juré ses grands dieux que l’accord avait été profondément remanié pour protéger les intérêts des travailleurs américains, puis elle aurait mobilisé les syndicats de la fonction publique pour qu’ils cautionnent ce mensonge.

Trump, au contraire, a annoncé dans une vidéo rendue publique fin novembre que, après l’envoi d’un préavis aux partenaires, il se retirerait du TPP. Cette prise de position est de nature à rassurer ses électeurs sur ses intentions au moins pendant quelques mois.

Son expérience. Aux États-Unis, il existe ce que les Romains appelaient le « cursus honorum » : une série de mandats publics dont l’exercice vous prépare à la présidence. Or Trump sera le premier président des États-Unis à emménager dans le bureau ovale sans avoir la moindre expérience politique ou militaire. Cette situation le place dans la situation inconfortable de l’outsider pur qui est, pour cette raison même, obligé de faire appel à des « insiders ». Et pourtant, grâce à sa carrière dans l’immobilier, il est aussi qualifié pour exercer le mandat présidentiel qu’on peut l’être au xxie siècle. Ses activités l’ont habitué à détecter des tendances, à naviguer parmi les administrations et à influencer les bureaucraties, sans parler de la nécessité pour un grand dirigeant d’entreprise de « penser grand ».

Quand le New York Times a révélé que, selon ses déclarations d’impôts, les entreprises de Trump avaient perdu presque un milliard de dollars en 1995, cela ne lui a pas été préjudiciable. Pour quelqu’un aspirant à diriger un exécutif qui fonctionne depuis des années avec des déficits astronomiques, cela a même paru être un atout. Autre corde à son arc : Trump est un pro du divertissement, ce qui est un plus énorme pour une campagne présidentielle. Contrairement aux meetings de son adversaire, les siens ont attiré une foule de gens qui s’y amusaient aussi joyeusement que bruyamment. C’est pourquoi le nombre des électeurs républicains aux primaires a augmenté de 60 % par rapport à 2012. Aucun autre des politicards qui se sont disputé l’investiture républicaine n’avait la moindre chance de battre Clinton.

Son tempérament. Dans un article du New York Magazine, le journaliste anglo-américain Andrew Sullivan a soutenu que l’élection de Trump annonçait la fin de la République américaine, décrivant le président élu comme un homme « incapable de maîtriser ses pulsions, ses haines et ses rancunes ». Ces défauts vont peut-être se manifester à l’avenir mais pour le moment on ne peut que constater des signes indiquant le contraire. Il suffit de voir comment Trump traite les républicains qui ont non seulement soutenu ses adversaires mais ont activement œuvré à saboter sa candidature en critiquant sa personnalité. En novembre dernier, Nikki Haley, la gouverneur d’origine indienne de la Caroline du Sud, a exhorté les électeurs républicains de son État à ne pas voter pour les candidats tenant des « discours enragés » sur l’immigration. Une fois vainqueur, Trump l’a nommée ambassadrice des États-Unis à l’ONU. Quant à Mitt Romney,[access capability= »lire_inedits »] le candidat malheureux à la présidentielle de 2012 qui avait sillonné le pays au printemps dernier en taxant Trump de « charlatan » et de « faux jeton », le président élu envisage de le nommer secrétaire d’État. Paul Ryan, président de la Chambre des représentants et chef de file des républicains sous l’ère Obama, a annoncé début octobre, lors de la publication du fameux enregistrement sexiste, qu’il n’allait pas soutenir Trump. Ce dernier aurait pu se venger en empêchant sa réélection. Il a choisi de ne pas le faire. Toutes ces décisions, politiquement opportunes pour Trump, démontrent que le prochain président arrive très bien à maîtriser ses pulsions.

La popularité de Trump repose sur une base très solide: ce n’est pas une affaire de politique ou de caractère mais de sociologie

La popularité de Trump repose sur une base plus solide que celle de la plupart des hommes politiques car son élection n’est pas une affaire de politique ou de caractère mais de sociologie. Quand les caciques du parti républicain qu’il voulait rejoindre étaient en train de séduire les immigrés, Trump a eu une bien meilleure idée. Il a repéré le gouffre entre les donateurs du parti, généralement de grands gagnants de la mondialisation, et les électeurs de base dont beaucoup s’en sentent les victimes. Avec audace, le candidat Trump a pris le parti des électeurs. Il a attaqué le libre-échange, l’immigration de masse et l’interventionnisme militaire à tout-va. Jusque-là, très peu d’Américains ont pris au sérieux ce genre d’option politique – qui se popularise en Europe depuis une décennie –, tout simplement parce qu’ils croyaient que la puissance militaire et la planche à billets protégeaient leur pays contre les tempêtes de la mondialisation. Trump s’est adressé à la classe ouvrière blanche dont il a obtenu 70 % des suffrages. Quant à savoir si cette conversion du parti républicain au communautarisme politique a été cynique ou pas, on en débattra plus tard. Le fait est que la stratégie consistant à faire appel au vote des Blancs n’a pas eu d’incidence majeure sur le soutien dont bénéficiaient les républicains parmi les minorités et les femmes. Chez les Noirs et les Hispaniques, Trump a mieux réussi que Mitt Romney en 2012. Ceux qui pensaient que les Noirs allaient être offusqués par les litanies de Trump sur le crime et l’insécurité se sont trompés. À l’évidence, un certain nombre de Noirs lui ont été reconnaissants de parler de leurs problèmes comme peu l’avaient fait auparavant. Finalement, leur hostilité vis-à-vis de la mondialisation et leur défiance à l’égard du système politique ne différent guère du (res)sentiment des Blancs…

Trump, avec ses défauts et ses qualités, ressemble plus à ses électeurs qu’on ne l’imaginait. Alors que les médias, durant la campagne, en ont fait l’archétype du milliardaire membre de l’élite, pour les New-Yorkais parmi lesquels il a fait fortune, Trump a toujours été un rustre, un parvenu à mauvais goût, le bâtisseur d’immeubles en aluminium ou en plastique dans une ville aux édifices de marbre et de granit. Personne ne voulait l’écouter et beaucoup se sont moqués de lui. Il s’avère que de nombreux Américains ont la conviction, eux aussi, d’être des « outsiders » méprisés par le beau monde. Il semble que ce soit aujourd’hui un atout.

Pourtant, cette infériorité sociale a failli lui jouer des tours. Si Trump a excellé dans les débats de la primaire, face à Hillary Clinton, pendant le premier débat présidentiel, il a montré son manque de maîtrise des codes. Il est difficile d’expliquer son degré d’impréparation et la série ininterrompue d’erreurs d’appréciation qui caractérisent sa prestation pendant ce premier duel. Trump n’a pas su comment contre-attaquer. Il a traité son adversaire avec déférence, donnant l’impression d’être en présence d’un être socialement supérieur. Même face aux attaques d’Hillary, il a répété au moins une demi-douzaine de fois qu’il était d’accord avec elle. Hillary s’est bien gardée de faire la même chose. Elle l’a dompté. Quand elle a sifflé, Trump a sauté. Pour celui qui venait de passer une année à promettre d’être dur et de négocier de bons « deals », ce débat était l’étalage de son incompétence. Mais cela n’a eu aucune importance.

Les Américains n’ont pas voté Trump par colère ou par racisme. Ils l’ont élu les yeux grands ouverts. Selon les sondages de sorties des urnes réalisés par la NBC, les électeurs qui ont permis la victoire de Trump avaient des préjugés défavorables sur les deux candidats. Or Trump a bénéficié de 49 % de leurs voix, beaucoup plus que les 29 % d’Hillary. Parmi ceux qui considéraient que les deux candidats étaient malhonnêtes, Trump a battu Clinton à 45 % contre 40 %. Ces chiffres sont stupéfiants. Nous savons depuis longtemps que beaucoup de ceux qui se disent « neutres » ont en réalité un penchant. La majorité des électeurs américains qui se définissent comme « indépendants » votent pour les républicains et ceux qui se disent « modérés » penchent pour les démocrates. Mais cette fois, nous constatons une nette préférence pour Trump parmi ceux qui le condamnent dans les termes les plus durs ! À l’évidence, le spectre d’une présidence d’Hillary Clinton a dû leur apparaître encore plus alarmant.

Il est trop tôt pour dire si les Américains ont eu raison d’élire Trump. En revanche, les raisons pour lesquelles ils l’ont fait sont à la fois indéniables et compréhensibles. Pendant la soirée électorale, pour la première fois depuis sa fondation il y a plus de cent cinquante ans, le parti républicain s’est transformé en parti des « outsiders ». Un nombre suffisant d’électeurs a considéré Trump comme « un des leurs » pour assurer sa victoire. C’est pourquoi, au moins pendant les quelques mois à venir, il y a peu de chance que Trump déçoive ses soutiens.[/access]

 

Cristina Kirchner, l’Argentine et les juges

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Cristina Kirchner s'adresse aux médias après une audition devant les juges, octobre 2016. SIPA. 00779164_000002
Cristina Kirchner s'adresse aux médias après une audition devant les juges, octobre 2016. SIPA. 00779164_000002

L’Argentine est une grande nation. Étendue comme quatre fois la France, elle regorge de vignobles fertiles et produit des viandes rouges parmi les plus savoureuses au monde. Elle a engendré Diego Maradona, Lionel Messi, des prodiges du football qu’on ne présente plus, mais aussi des écrivains: Jorge Luis Borges ou Julio Cortázar, sans oublier Ernesto Sábato et son très bon roman Le tunnel. Du génie donc, et des hommes politiques. Qui sont parfois des femmes. Et qui, au moins, on le mérite de faire parler. Pas toujours de façon très cordiale, certes, et en y venant même parfois aux mains… Dans un pays où le jeu politique passionne autant que celui du ballon rond et où voter est obligatoire, il est une personnalité qui laisse encore moins indifférent que les autres : Cristina Kirchner. Au-delà du nouveau scandale de corruption qui la vise, l’ancienne présidente reste une femme qui divise.

Un Kirchner peut en cacher une autre

Retour en décembre 2001. En réaction au septième plan d’austérité imposé au pays qui refuse de payer sa lourde dette, les Argentins descendent dans la rue. Émeutes, pillages, balles en caoutchouc puis… balles réelles : trente-six morts en deux jours. La situation est chaotique. Le président Fernando de la Rua est obligé de fuir le palais présidentiel en hélicoptère. Puis ce ne sont pas moins de cinq présidents qui se succèdent en deux semaines. En mai 2003, un homme sorti de nulle part prend la tête du pays qu’il promet de « sortir de l’enfer ». Il s’appelle Nestor Kirchner. Tandis que la dette atteint les 160 % du PIB, le chômage avoisine, lui, les 20 %. Nestor fait alors tout le contraire de ce que préconise le FMI. Il favorise un accroissement des aides sociales et des dépenses publiques et met en place un redressement économique aux accents keynésiens. Couplé au développement du soja transgénique,  les résultats ne se font pas attendre : la croissance du pays remonte en flèche, et sera de 9 % par an jusqu’à sa mort en 2007. Du haut de son 1m88, le grand Nestor peut reposer en paix : il a tenu parole. Son épouse Cristina, séduisante quinquagénaire – qui n’a pas encore abusé du Botox – prend  les rênes du pouvoir, qu’elle conduit dans la lignée de son défunt mari.

C’est l’époque où se dresse l’étendard d’un espoir, celui d’une alternative au modèle néolibéral sud-américain. Si le kirchnérisme est plus réformateur que révolutionnaire, il s’inscrit dans la lignée des changements de cap que connaît alors l’Amérique latine. Cristina va donc faire des mamours à Chavez pour soutenir sa candidature. Se laisse étreindre paternellement par Lula – l’ancien président du Brésil. Rencontre chaleureusement Evo Morales, le président de gauche de la Bolivie. Sans oublier d’embrasser Michelle Bachelet, présidente de gauche du Chili de 2006 à 2010 et à nouveau depuis 2014. En 2011, Cristina est même réélue haut la main avec 53 % des suffrages exprimés au premier tour.

La fin d’un cycle 

La même année cependant, l’alternative sud-américaine au modèle néolibéral commence à avoir un peu moins le vent en poupe. Lula doit quitter la tête du Brésil, laissant sa place à une Dilma Rousseff moins charismatique. Deux ans après, c’est Chavez – à qui l’Argentine doit notamment un fort soutien financier lorsqu’elle était sans le sou – qui s’éteint – Cristina ne manquera pas de se placer au premier rang lors de ses obsèques. Et la même année, des critiques viennent même d’Uruguay: « Pepe » Mujica, le président le plus simple au monde attaque la belle : « cette bonne femme est pire que le borgne », lance-t-il – le borgne étant Nestor Kirchner, qui souffrait d’un strabisme. Survient alors une mini-crise diplomatique entre les deux voisins « amis ».

Pendant ce temps-là en Argentine, la croissance devient fragile. A quoi s’ajoute une inflation très sous-estimée par les taux officiels. Les fins de mois des Argentins sont de plus en plus longues. Et un bureaucratisme kirchnériste s’est confortablement substitué à celui des années Carlos Menem – président de droite de 1989 à 1999. De plus, le style de plus en plus autocratique de Doña Kirchner agace les Argentins : outre occuper l’espace télévisuel lors de sermons interminables, cette excellente oratrice rend gratuite – par pure démagogie – la retransmission du saint football à la télé, moyennant quoi les Argentins sont forcés de se coltiner les slogans de propagande du gouvernement au bas de  leur écran au beau milieu des exploits de leurs protégés de Boca Juniors ou River Plate. Bien installée, la prêtresse cherchera à faire modifier la constitution pour briguer un troisième mandat. Mais ça ne marchera pas : en décembre 2015, elle doit laisser son trône. Malgré une popularité oscillant entre 40 et 50 %. Car si certains Argentins l’adorent, beaucoup d’autres la détestent.

La Patagonie, terre du bout du monde et des magouilles en famille

Si Cristina aime le pouvoir, elle aime aussi l’argent. Propriétaire d’une grande maison  à El Calafate, charmant village de Patagonie, contrée légendaire qui fascina Jules Verne, elle y gère des hôtels de luxe avec son fiston Maximo. Projets fictifs de travaux publics, falsifications de documents, butins présumés cachés aux quatre coins de l’immense province, les dessous des affaires immobilières de la famille Kirchner sont loin d’être transparents. C’est l’objet de sa nouvelle inculpation : l’ancienne chef d’Etat aurait favorisé l’un de ses proches pour un marché de travaux publics dans sa province patagonienne. Mais les soupçons de corruption ne se cantonnent pas qu’à l’immobilier. L’ancienne souveraine est aussi accusée d’avoir spéculé sur les taux de change, et son nom apparaît dans l’affaire des « Panama papers ». Sans compter la sordide affaire Nisman, ce procureur étrangement retrouvé mort par balle alors qu’il s’apprêtait à accuser la dame d’avoir couvert les responsables iraniens de l’attentat antisémite de 1994 qui fit 84 victimes à Buenos Aires. L’enquête a été rouverte par la justice il y a 4 jours, Madame Kirchner est accusée d’avoir empêché de faire la lumière sur ce sanglant attentat pour préserver les intérêts commerciaux de l’Argentine avec l’Iran.

La politique est un sport de combat

Pour les affaires de spéculation et d’immobilier dont elle fait actuellement l’objet – et ceci depuis la fin de son immunité cette année – l’ancienne impératrice troque volontiers ses petits gants de soie pour des gants de boxe. Elle récuse fermement les accusations dont elle et sa famille font l’objet et… contre-attaque : elle accuse à son tour l’actuel président Mauricio Macri d’orchestrer une machination pour occulter les « vrais problèmes de la société argentine », agite le spectre d’un retour de la dictature argentine, ironise volontiers sur le fait d’être taxée de populiste par ses adversaires. Elle sait parer les coups, en rendre aussi, se protéger du KO. Mais pour combien de temps encore ? Car si elle dispose de soutiens encore entièrement acquis à sa personne, sa popularité a chuté : elle est maintenant de 30 %. Cela ne semble guère importer à Cristina. Têtue comme une mule, elle envisage même de se présenter au Sénat.

Dans le même temps, Mauricio Macri ne traîne pour l’heure aucune casserole – même si son nom est cité, au milieu de nombreux autres, dans l’affaire des « Panamas papers » – et peut encore se targuer de 45 % d’opinions positives. Mais est-ce suffisant pour rassembler le pays ? A peine six mois après son investiture, des manifestations ont eu lieu cet été contre sa politique d’austérité. Il faut dire qu’il a fait fort : trois mois seulement après son arrivée, 100 000 argentins de plus étaient au chômage et  1,4 millions d’autres basculaient sous le seuil de pauvreté. Sur l’inflation également, Macri fait encore mieux que Doña Kirchner: 40% en 2016 ! Quant à la croissance elle n’est plus : le pays est à nouveau en récession. De quoi concéder qu’avec Cristina, ça ne marchait pas si mal ? Pas du tout, bien au contraire : pour Macri, tout est de la faute des Kirchner : à l’instar des autres ruptures symboliques incarnées par Chavez au Venezuela, Lula au Brésil ou Morales en Bolivie, les années Cristina Kirchner pâtissent d’une mauvaise image de gestion économique du pays. Les Argentins prennent donc leur mal en patience. En attendant des lendemains qui chantent, ils pourront suivre avec passion la suite du match entre la dame et les juges. Si l’accusée n’est pas dans une posture des plus favorables, elle peut encore compter sur les encouragements de ses supporters. En Argentine et en Amérique latine mais aussi… chez nous en France, où elle jouit d’un soutien de poids (!) : celui de François Hollande, qui semble lui aussi avoir succombé à son charme…

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Hippie fait de la résistance

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simon du fleuve claude auclair
Editions Le Lombard.
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Si les années 1970 gardent aujourd’hui un parfum de paradis perdu, d’utopie « flower power » où toute une jeunesse a pu croire à un futur apaisé et harmonieux, c’est peut-être qu’elles sont vues à travers le prisme d’une illusion rétrospective, puisqu’on ne cesse de les comparer à notre présent si peu aimable. Pourtant, les années 1970 furent aussi des années inquiètes, qui posèrent pour la première fois la question écologique face une planète déjà esquintée. On se souviendra par exemple de la candidature de René Dumont en 1974, mais aussi, de manière plus surprenante, de l’émission télévisée La France défigurée présentée par le très gaulliste Michel Péricard entre 1971 et 1977.

C’est aussi l’époque où la science-fiction commence à oublier les histoires d’extraterrestres pour devenir la chambre de résonance de cette angoisse d’un monde possiblement dévasté par la pollution, la surpopulation, la guerre et, in fine, l’apocalypse nucléaire. Ces thèmes apparaissent dans le roman avec des auteurs comme Ballard, Spinrad ou Brunner chez les Anglo-Saxons, mais aussi Andrevon, Walther ou Curval en France. Le cinéma est également touché avec des films comme Soleil vert, The Omega Man, L’Âge de cristal, pour ne citer que ceux-là. Il n’y avait pas de raison que la bande dessinée, ce neuvième art que l’on disait encore réservé aux enfants, échappe au phénomène et, en changeant de sujet, change aussi de public.

Simon du Fleuve, créé par Claude Auclair, mort en 1990, est emblématique de cette évolution. Ses dix albums réalisés entre 1973 et 1988 sont aujourd’hui réédités par Le Lombard dans une somptueuse intégrale en trois volumes, accompagnée de substantiels dossiers. Les plus anciens d’entre nous revivront le choc provoqué par la découverte en feuilleton dans Le Journal de Tintin du premier volume de la saga, La Ballade de Cheveu-Rouge. Il a d’ailleurs failli signer la fin prématurée du héros.[access capability= »lire_inedits »] Auclair, à la fois dessinateur et scénariste, fou de lecture, avait rendu dans cette histoire en noir et blanc un hommage à Giono, en s’inspirant de manière pourtant distanciée du Chant du monde. Gallimard prit l’hommage pour un plagiat, obtint des dommages et intérêts, et La Ballade de Cheveu-Rouge ne fut éditée en album que bien plus tard et de manière confidentielle. On pourra retrouver ici l’histoire dans toute sa fraîcheur lustrale. Un vieil homme vient demander à Simon de retrouver son fils disparu. La nature règne en maîtresse partout. Les villes, rares, sont autant de lieux mortifères. L’époque est difficile à préciser, les personnages vivent comme dans l’Antiquité, mais à l’occasion on voit en fond les restes d’un pylône électrique ou d’un barrage, et il arrive qu’on se batte avec des fusils d’assaut. D’une certaine manière, Auclair avait parfaitement saisi l’esprit du Chant du monde qui joue aussi sur cet aspect atemporel et cette souveraineté de la nature.

C’est seulement avec Le Clan des centaures, l’année suivante, qu’Auclair pose les premières pierres d’un univers qui lui est propre. Le sous-titre générique des aventures de Simon sera « Chroniques des temps à venir ». On en apprend un peu plus sur le personnage, fils d’un scientifique ayant œuvré dans une mystérieuse « Cité 3 », qui se révélera dans un album ultérieur être construite sur les ruines de Paris en proie à des bandes de pillards. On y apprend aussi comment on en est arrivé là. En quelques décennies, le monde s’est effondré, des mégalopoles se sont repliées sur elles-mêmes, protégées par des savants qu’elles mettent au service d’un ordre le plus souvent totalitaire. Le père de Simon a été assassiné car il refusait de livrer ses recherches sur un projet sensible. Il ne faut pas oublier qu’Auclair dessine à une époque où Mai 68 n’est pas loin, le premier choc pétrolier encore moins, les tensions entre l’Est et l’Ouest toujours présentes.

Sur cette trame, les albums suivants vont décliner, tantôt de manière lyrique, tantôt de manière épique, l’affrontement entre les cités esclavagistes et les tribus babas cool. Le cœur d’Auclair, pétri de culture libertaire, va évidemment du côté des rebelles et de Simon qui inventent de nouveaux modes de vie. Leur allure est plus ou moins celle des participants à Woodstock et ne déparerait pas dans les ZAD des années 2010. Les thèmes de la saga évoluent cependant au rythme de l’âge des lecteurs. Les préoccupations postapocalyptiques s’éloignent ainsi au profit de récits plus initiatiques, empreints de mythologie celtique et de New Age.

Bien sûr, il y a une certaine naïveté didactique dans les aventures de Simon, un idéalisme que les années 1980, date de parution des derniers albums, auront rendu caduc pour certains. Il s’est même trouvé, à une époque, des auteurs de SF brillants mais au gauchisme pointilleux comme Jean-Pierre Andrevon pour voir dans Simon du Fleuve une exaltation du retour à la terre susceptible de lectures réactionnaires.

Il n’empêche, dans les temps qui sont les nôtres Simon du Fleuve plaira aussi bien aux décroissants de la revue Limite d’Eugénie Bastié qu’aux disciples de Tarnac et de l’Encyclopédie des nuisances. Ou tout simplement à votre serviteur qui retrouve le plaisir, comme lorsqu’il avait 12 ans, d’une nuit sous un serpent d’étoiles, avec la silhouette d’Estelle, la compagne de Simon, qui se découpe sur un feu de camp alors qu’on a laissé derrière nous, enfin, les ruines du monde ancien.[/access]

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Alep reprise, libérée ou tombée?

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Des soldats syriens patrouillent dans la cour de la Mosquée des Omeyyades, Alep. Sipa. Numéro de reportage : AP21988854_000011.
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Des soldats syriens patrouillent dans la cour de la Mosquée des Omeyyades, Alep. Sipa. Numéro de reportage : AP21988854_000011.

« A Alep, les rebelles se servent des civils comme boucliers humains » ; « Les forces pro-gouvernementales autorisent les rebelles à quitter Alep-est avec des armes légères pour rejoindre d’autres bastions de la contestation » ; « Les rebelles menacent d’exécuter les civils qui tenteraient de quitter la ville en passant par les couloirs humanitaires. »

C’est sur des chaînes d’information continue que j’ai entendu ces informations, et d’autres de la même veine.

La fin d’une autocensure ?

Jusqu’alors, les commentaires qui s’éloignaient un peu de trop de la thèse officielle ne bénéficiaient pas d’un très bon accueil.

Le documentaire de Samah Soula intitulé « Syrie, le grand aveuglement » et diffusé sur France 2 le 18 février 2016 avait été salué comme un travail courageux et intéressant par la chroniqueuse médias de Franceinfo-la-radio mais le point de vue offert par le documentaire, différent de la version habituelle des faits, n’avait pas pesé du tout sur le traitement des événements par cette chaîne ni par les autres. Encensé par l’Obs, le travail de Samah Soula avait été étrillé par l’Express et par le Monde.

Que le documentaire présentât des défauts, c’est probable. Mais les reproches formulés à son encontre, peut-être légitimes (vision partisane des choses, tendance à la simplification sur certains aspects, minoration de faits, interviews tronquées au montage, etc.), pointant des pratiques très courantes dans les médias, ne se font toutefois jamais entendre lorsque le contenu d’un documentaire va dans le « bon » sens, le sens autorisé. On ne conteste la méthode que si le contenu déplaît, c’est bien connu.

Lisez la suite de l’article sur le blog d’Ingrid Riocreux.

Jacqueline Sauvage: paysage après la bataille

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Rassemblement sur le Parvis du Trocadéro à Paris pour réclamer la libération de Jacqueline Sauvage, décembre 2016. SIPA. 00784814_000018
Rassemblement sur le Parvis du Trocadéro à Paris pour réclamer la libération de Jacqueline Sauvage, décembre 2016. SIPA. 00784814_000018

L’affaire Jacqueline Sauvage qui occupe les médias mainstream depuis plus d’un an est finalement un étonnant révélateur des contradictions qui travaillent actuellement la société française. Qui en dit long sur la déliquescence d’un système politique et médiatique qui n’en finit pas de partir en lambeaux.

Nous avions déjà l’antiracisme petit-bourgeois, élevé au rang de valeur cardinale par des gens pourtant apôtres d’une société communautaire racisée, et brandi comme un signe extérieur de richesse par les bénéficiaires de la globalisation. Voilà que s’affirme désormais l’hégémonie du féminisme victimaire des groupuscules parisiens. Il obéit à la même logique en mettant en avant l’image d’une femme mineure et éternelle victime soumise sans pouvoir s’en émanciper un patriarcat oppresseur. Et exactement comme pour le racisme, que l’on va le plus souvent chercher là où il n’est pas, on n’hésite pas à enfourcher de mauvaises causes au risque de dévoyer les vrais et les justes combats. Mais qu’importe le réel, la vérité, ou la morale puisqu’il ne s’agit en fait, en congédiant le réel, que de se donner bonne conscience à peu de frais et de prendre la pose. L’idéal étant quand, à l’aide du relativisme culturel comme Benoît Hamon ou Clémentine Autain, on peut faire fusionner antiracisme et féminisme en célébrant par exemple, le droit des intégristes musulmans à enfermer et bâcher leurs épouses au nom de la tradition et de la liberté de celles-ci d’accepter ce qui leur est imposé. Féministe et  anti-islamophobe, coup double.

Un enchaînement de réactions lamentables

Le combat pour l’élargissement de Jacqueline Sauvage au nom de la lutte contre les violences faites aux femmes est une mauvaise cause. Simplement parce que l’histoire que nous assène jour après jour la propagande médiatique, est fausse. Jacqueline Sauvage n’a pas été la victime pendant 47 ans d’un mari violent, qu’elle n’a pas abattu froidement de trois balles dans le dos pour se protéger. Le dossier, et tous ceux qui ont eu à en connaître racontent une autre histoire, celle d’une femme de caractère qui dominait sa famille et n’a pas supporté de la voir en échec. Et c’est à partir de cette réalité-là que les juridictions ont statué. C’est la raison pour laquelle lorsque François Hollande, dans une grande première dans la vieille histoire de l’usage de ce droit régalien, a décidé après une première grâce partielle, une deuxième totale un an après, a commis une mauvaise action. Provoquant un enchaînement de réactions lamentables symptôme du délitement des institutions et du désarroi de l’opinion.

À tout seigneur tout honneur, François Hollande a brusquement cédé, aux petites coteries médiatiques, mondaines et parisiennes qui le fascinent manifestement. Ce faisant, qu’il le veuille ou non, il a validé le mensonge, consacré un permis de tuer, et last but not least insulté magistrats et jurés. Personne ne doit pouvoir contester le principe du pouvoir qui lui est donné par la constitution, et le fait de s’en servir. Mais François Hollande fait de la politique, il a été élu pour ça, et utiliser une prérogative juridique ne le dispense pas de le faire dans des formes dignes et en fonction du contexte. De ce point de vue, c’est une catastrophe.

L’apogée du féminisme victimaire

Le féminisme victimaire devenu hystérique ensuite. Tous ces petits groupes qui portent leur androphobie et leurs frustrations en bandoulière sont désormais inaccessibles à toute approche rationnelle. Foin de la réalité, chaque argument qui tente d’y ramener, est immédiatement contré par des raisonnements qui n’ont rien à envier au complotisme le plus obtus. L’ensemble de la planète est dominé par un complot patriarcal et tout ce qui s’y passe doit être lu à la lumière de ce prérequis. Jacqueline Sauvage n’a rien dit pendant 47 ans, personne n’a remarqué chez les gens qui la fréquentaient la moindre trace de coup, on vous répond : emprise, femme soumise, amnésie traumatique, mémoire retrouvée, et toutes les imbécillités issues du commerce des psychologues charlatans. 35 magistrats et jurés ont eu à connaître de son dossier et l’ont cependant condamnée : des « masculinistes » pour les uns, des marionnettes manipulées pour les autres. Débat impossible, et c’est cependant à ces gens-là que le président de la République a donné raison.

Il y a aussi la classe politique, qui s’est vautrée toutes tendances confondues, dans une démagogie compassionnelle assez écœurante. C’est qu’il y a bientôt des élections, et avant des primaires. Alors, plutôt que de parler au peuple on va s’adresser à des petites coteries, des groupuscules que l’on espère prescripteurs d’opinion. Le plus désolant étant pour moi, Jean-Luc Mélenchon, après avoir intronisé Jérôme Kerviel en Robin des bois de pacotille, il a pris la défense de Clémentine Autain qui tirait dans le dos de la brigade des mères du 93 luttant contre l’intégrisme musulman. Pour faire bonne mesure, il vient de faire de Jacqueline Sauvage, coupable d’un crime, l’emblème de la lutte pour l’émancipation des femmes. Bravo camarade ! Qu’importe qu’il s’agisse d’un mensonge, si on s’encombre de la vérité, on ne va pas s’en sortir. Ce qui compte c’est s’adresser aux couches moyennes urbaines, les couches populaires on s’en fout, laissons-les au Front National.

La responsabilité des médias est écrasante

N’oublions pas les syndicats de magistrats qui n’en ratent pas une. Drôle d’institution que ces syndicats sollicités à tout propos pour s’exprimer « au nom » de l’institution judiciaire, qui n’ont une activité syndicale que théorique, mais une activité politique permanente. Les magistrats du siège sont soumis à un devoir de réserve strict, garant de la confiance que les citoyens doivent avoir dans leur impartialité. Qu’à cela ne tienne, il y a les syndicats. Le « mur des cons » a montré la conception que le Syndicat de la Magistrature avait de cette impartialité. Et surtout, il est devenu habituel que ces organisations se moquent du principe de la séparation des pouvoirs dans la mesure où elles ne l’invoquent qu’à leur profit. Et nous sommes bombardés de déclarations politiques critiquant le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Là encore, pour relever le camouflet indiscutable infligé à la Justice par François Hollande, les syndicats de magistrats, n’y voyant aucune contradiction, n’hésitent pas à contester au chef de l’État l’utilisation des prérogatives que lui donne la Constitution ! Dites-moi, amis magistrats, vous êtes les derniers à pouvoir critiquer la décision du Président. Il serait peut-être temps de redevenir cohérents.

On finira enfin par les journalistes qui, par facilité et commodité, ont véhiculé la fable de Jacqueline Sauvage victime pendant 47 ans d’un mari violent. Tous les débats, toutes les interventions tous les éditoriaux en ont fait un postulat. Dire d’abord que « cet homme était une ordure », discuter ensuite. La responsabilité des médias, dans la pérennisation du mensonge et le discrédit jeté sur les décisions de justice rendue après des procédures régulières par plusieurs juridictions, est de ce point de vue écrasante.

Je disais en commençant que ce nouvel épisode du feuilleton Sauvage était révélateur des contradictions qui travaillent la société française. Une promenade attentive sur les réseaux, la lecture des commentaires sous les articles de la presse mainstream démontrent qu’une grande partie de l’opinion française n’est pas dupe. Et supporte mal la façon à la fois arrogante et désinvolte dont elle est traitée.

Ceux qui entendent briguer ses suffrages au printemps prochain seraient avisés d’en tenir compte.