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Ni chagrin ni pitié

Dès le 8 octobre, les Français juifs ont été confrontés à la violence. Intimidations, harcèlements et agressions ont bouleversé le quotidien de nombre d’entre eux, dans la rue, à l’école ou jusqu’à leur domicile. Cela a suscité peu de condamnations politiques et aucune inter-religieuse. Comment vivre dans une telle indifférence?


Le 7 octobre a marqué une césure dans la vie des Juifs. Il y a un avant et un après. Le terme de « Juifs » ne doit pas être ici envisagé dans sa définition strictement religieuse. Quelques groupes ultra-orthodoxes non sionistes ont dû considérer ces massacres comme un épiphénomène dans le cheminement de l’attente messianique, voire même comme une punition de gens éloignés de la halakha. Peut-être même y avait-il des Juifs parmi les fanatiques qui se sont réjouis des massacres du 7 octobre : cela n’a pas d’autre intérêt que d’alimenter un musée des horreurs. D’autres en revanche, qui avaient gardé un sentiment de leur judéité « entre autres choses » ou même avaient enfoui, ou oublié ce sentiment, se sont sentis visés par les massacres du 7 octobre. Répliques de pogroms des anciens temps et des images de la Shoah, c’est l’allégorie du Juif persécuté parce que faible, refoulée dans le tréfonds de l’être et dont l’État d’Israël était censé éviter la sinistre réapparition qui a soudain giclé.

Autour d’eux, les Juifs font le compte de leurs connaissances et sont surpris. Certaines, parfois éloignés, leur envoient des messages de soutien. D’autres, plus proches, ne se manifestent pas. N’ont-ils pas fait le lien entre l’ami juif d’ici et l’Israélien inconnu de là-bas, car ils manquent d’imagination ou parce que la catégorie religieuse leur est étrangère ? Beaucoup rapportent avoir trouvé dès le 8 octobre, notamment en milieu scolaire ou hospitalier, des regards fermés et des conversations indifférentes. Pour ma part, j’ai été surpris par ces témoignages, peut-être parce que mon âge a raréfié mes relations professionnelles et que mon sionisme connu avait écrémé mes relations sociales. Mon expérience positive était biaisée.

Des chercheurs alertent sur l’idéologie des Frères musulmans depuis des années

Des relations se rompent et un sentiment d’étrangeté, dans tous les sens du terme, s’installe : comment vivre désormais avec des gens dont l’indifférence au sort des Juifs s’expose ainsi ? Pour ceux qui connaissaient des responsables musulmans et rêvaient de solidarité interreligieuse, les déceptions furent pénibles. Alors qu’ils espéraient que tel partisan fervent du dialogue exprimerait publiquement son dégoût, ils l’entendent disserter de généralités. Le 7 octobre, le recteur de la mosquée de Paris rencontrait des Frères musulmans, dont les collègues de Gaza se distinguaient alors de la façon que l’on sait. Son silence sur les massacres a été retentissant.

Dès le 8 octobre se multipliaient des actes antisémites commis par de jeunes musulmans. On manifeste pour protester ou pour fêter. Certains de ceux qui ont défilé contre le soi-disant génocide commis par les Israéliens à Gaza avaient fêté le massacre de Juifs par des habitants de Gaza.

Il y a des années que la lutte contre Israël a muté en haine contre les Juifs et que le slogan de libération de la Palestine est devenu le cache-sexe d’un islamisme dont même des musulmans marxistes ont repris le discours. Le FPLP, organisation au palmarès terroriste inégalé au nom de la lutte des peuples contre l’oppression américano-sioniste, dont Salah Hamouri est la figure la plus connue en France, est devenu à Gaza un supplétif de l’islamisme. Le président de l’OLP termine par des appels au djihad une carrière inaugurée par une thèse négationniste soutenue dans la très marxiste université de Moscou. Le sort réservé aux Juifs dans l’eschatologie islamiste est remis au goût du jour dans la charte du Hamas, dont l’article 7 retranscrit des déclarations attribuées à Mahomet par les plus respectés des auteurs de hadiths.

Il y a des années que des chercheurs alertent sur l’idéologie des Frères musulmans qui ont su, par leur stratégie des petits pas, leur patience et leur double langage bien rodé, évoluer dans tous les milieux et, avec l’aide de leurs parrains qatari et turc, prendre l’ascendant sur les autres expressions de l’islam. Le Hamas du cheikh Yacine, dont Yahia Sinwar est le proche disciple, c’est l’idéologie frériste qui a eu pignon sur rue dans notre pays, a gangrené la Belgique et a su se faire passer, pendant les années de Daech, comme une alternative modérée au djihadisme, au point que les autorités politiques et diplomatiques de l’Occident laïque l’ont soutenue discrètement. Sans « MeToo », Tariq Ramadan serait aujourd’hui le plus brillant des « contextualisateurs » du Hamas, ces négationnistes du 7 octobre.

Beaucoup de Français juifs envisagent dès lors le départ du pays où ils sont nés, le plus souvent pour Israël, un pays en guerre. L’antisémitisme des banlieues n’explique pas tout. Les Juifs ont eu à affronter l’antisémitisme des négationnistes et ils n’ont pas quitté la France pour autant. C’est que les responsables politiques, en dehors de Jean-Marie Le Pen, étaient sans équivoque, que la législation est devenue particulièrement protectrice et que de grands espoirs étaient mis dans l’enseignement de l’histoire de la Shoah. C’est aussi parce que le danger négationniste résidait dans la contamination idéologique, pas dans la violence. Des enfants juifs pouvaient entendre à l’école des remarques antisémites, ils n’y allaient pas la peur au ventre à cause du risque d’agression physique.

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La violence est devenue un mode d’expression idéologique. Ce changement a été amplifié par les réseaux sociaux et leurs capacités de harcèlement, et par la décomposition de territoires abandonnés à la loi des bandes. On ne tient pas assez compte du rôle de la peur. Les Juifs ont peur de se faire agresser à cause d’un signe de judéité, parfois seulement un nom. Cette peur de la violence islamiste envahit le monde intellectuel. On n’aime pas avouer qu’on a peur. Certains lui font la morale à cette peur, pour éviter le stigmate de l’islamophobie. La rhinocérite de Ionesco frappe une partie de l‘intelligentsia. Soljenitsyne n’aurait pas eu de Nobel si l’URSS avait encore été dirigée par Staline. Rushdie ne l’a pas reçu – la peur de représailles n’y est pas étrangère.

C’est par peur que les Juifs qui le pouvaient ont enlevé leurs enfants de l’école publique dans les quartiers « difficiles ». Cette réalité a été longtemps occultée et le silence qui a entouré la publication des Territoires perdus de la République et des rapports qui l’ont suivi, la cabale montée contre Georges Bensoussan quelques années plus tard jalonnent cette démission des élites intellectuelles. L’enseignement de l’histoire de la Shoah se heurte à des difficultés quotidiennes. La sous-notation des élèves de Yabné au grand oral du baccalauréat, niée par une rapide et peu crédible enquête administrative, a porté un dernier coup à ce qui restait de confiance des Juifs dans une Éducation nationale que leurs parents admiraient et où leurs enfants n’apparaissent pas les bienvenus…

Depuis vingt ans, l’engagement verbal des gouvernements contre l’antisémitisme est indiscutable. Mais rien n’est fait pour nommer ses causes et pallier les carences de notre système judiciaire et psychiatrique (procès de l’assassin de Sarah Halimi), pénitentiaire (les prisons, vivier de l’islamisme), éducatif. Beaucoup de Juifs ont été émus en entendant nos gouvernants proclamer que sans les Juifs la France ne serait plus la France, mais consternés quand les mêmes, après un attentat islamiste, prétendaient que « tout cela n’a rien à voir avec l’islam ». Pendant ce temps, le concept falsifié d’islamophobie se forgeait une place proéminente dans le discours, aussi incompatible fût-il avec une laïcité qui autorise par définition la critique des religions. Et le duo Dieudonné-Soral, en teintant d’humour l’antisémitisme, le rendait, quenelle aidant, tendance dans la génération Z.

Canari dans la mine

Les dénis, les paroles martiales sans suite et les accommodements pratiques ont ainsi lézardé la confiance dans la capacité de l’État à contrer les appels à la haine des Juifs. Cependant, alors que même l’extrême droite condamnait fermement l’antisémitisme, les appels du pied de la LFI aux islamistes pouvaient passer pour des initiatives irresponsables, mais sans influence.

Et puis est arrivé le 7 octobre. LFI a tué les victimes une seconde fois en refusant de qualifier de terroristes les actes du Hamas. Comment partager quoi que ce soit avec des hommes et des femmes capables de pareilles crapuleries verbales ? Le plus grave n’est pas que la secte mélenchoniste, son gourou et ses députés, dont certains font preuve d’une irréparable ignorance historique, aient assuré le service après-vente du Hamas auprès de leur électorat communautaire, c’est que leurs partenaires de la Nupes, puis du NFP n’aient pas trouvé là un motif de rupture suffisant.

Rassemblement hebdomadaire au Trocadéro pour demander la libération des otages retenus par le Hamas à Gaza, 5 avril 2024.Laurent CARON/ZEPPELIN/SIPA

Peu à peu, les images du 7 octobre ont été effacées par celles des destructions de Gaza. Une machine de propagande efficace a gravé dans l’imaginaire collectif des images de bombardements d’écoles et d’hôpitaux, agité le spectre d’une famine et imposé l’idée, dont on ne dira jamais assez combien elle est scandaleuse, d’un génocide perpétré par l’État juif. On ne peut pas parler sereinement avec un interlocuteur qui vous croit indifférent aux souffrances des civils, pense que vous approuvez un génocide et conclut qu’il suffirait d’un peu d’humanité de la part des Israéliens pour que la paix s’installe définitivement. Notre pays, dans ses profondeurs, a assez bien résisté à la déferlante anti-israélienne qui traverse les opinions publiques occidentales. La compréhension pour la cause israélienne perdure dans une grande partie du public. Cependant, l’aberrante OPA des lieux d’enseignement prestigieux par des activistes anti-israéliens, sans avoir atteint le même niveau qu’aux États-Unis, ne laisse pas d’inquiéter sur la sensibilité des futures élites. D’autant que le poids électoral de la minorité musulmane est appelé à augmenter.

La grande majorité des Juifs de France n’avaient jamais été victimes d’agression ou même de propos haineux. À la différence de leurs grands-parents, ils se disaient juifs sans complexes. Aujourd’hui, ils demandent à leurs enfants de se cacher. On pourrait se dire qu’après tout, les Français ont bien d’autres problèmes. Mais les Juifs sont le canari dans la mine, dont les gesticulations précèdent le coup de grisou. Si le processus en cours se poursuit, un jour les hommes et les femmes de toutes origines, de toutes croyances et de toutes sexualités subiront le totalitarisme islamiste. Certains pensent qu’il est déjà trop tard. Je veux croire pour ma part que la France, mon pays, peut encore être sauvée.

Retailleau contre l’immigration, ou la fin de règne des déracinés

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Emmanuel Macron recevait le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à l’Élysée, ce matin à 10 heures. Le gouvernement entend proposer une nouvelle loi Immigration début 2025. Partout en Europe, on souhaite accélérer les « retours » des migrants indésirables.


Quand un enraciné parle d’immigration à un déraciné, le dialogue ne peut que tourner court. Tous deux ne vivent pas dans le même monde. Ce lundi matin, Bruno Retailleau a néanmoins rendez-vous avec Emmanuel Macron. L’homme des champs devrait tenter de convaincre l’homme des villes de la nécessité d’une nouvelle loi sur le sujet. La dernière avait été largement censurée le 25 janvier, à l’invitation tacite du président, par le Conseil constitutionnel.

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Le ministre de l’Intérieur plaidera probablement pour l’allongement des délais de rétention des expulsables, des restrictions au regroupement familial et au droit du sol, une remise en question de l’Aide médicale d’État (soins gratuits pour les clandestins), le rétablissement du délit de séjour irrégulier, etc. Le Vendéen, qui se sait porté par une opinion exaspérée par le conformisme bien-pensant, pourrait faire valoir un retour à la supériorité des lois françaises face à un « État de droit » dévoyé par l’Europe supranationale et ses juges non élus. Il pourrait réitérer sa demande de référendum sur « un des phénomènes qui a le plus bouleversé la société française depuis 50 ans sans que jamais les Français n’aient eu à se prononcer », comme il l’avait expliqué fin septembre, jugeant que « l’immigration n’est pas une chance ». Face à ce que la religion antiraciste voit comme un blasphème, Macron avait estimé que ces propos étaient « résolument en contradiction (…) avec la réalité ». « On peut décider qu’on aurait beaucoup mieux fait de la physique nucléaire sans la Polonaise Marie Curie (…), que l’on aurait pu danser beaucoup mieux sans Charles Aznavour, etc. », avait-il grincé. Pour lui, « Les binationaux sont des millions dans notre pays. Les Français issus de l’immigration au moins autant (..) Et c’est notre richesse. Et c’est une force ».

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Retailleau n’ébranlera pas le puéril angélisme présidentiel. Derrière la posture d’ouverture à l’autre, moralement avantageuse, le poids de l’aveuglement dogmatique reste un carcan intellectuel. Le refus de voir est à la source du pharisaïsme de Macron : il déplore l’insécurité généralisée, sans explorer ses causes. Simplet est l’argument qui avance les aspects positifs de l’immigration européenne (Curie et Aznavour en l’occurrence), que personne ne conteste, pour banaliser la submersion musulmane qui, d’évidence, ne s’intègre plus sous l’effet du nombre. Macron demeure le produit, élitiste et foutraque, d’un mondialisme déraciné qui a échoué dans ses utopies multiculturelles. Le chef de l’État ne se résout pas à admettre sa fin de règne. Elle est celle des apprentis-fossoyeurs des nations et des peuples indigènes. Ce sont ces derniers qui refusent à leur tour d’être colonisés et dépossédés de leur passé, par des envahisseurs, de plus en plus hostiles quand ils prônent la décolonisation occidentale des pays qu’ils ont quittés. Le rejet du monde universaliste et postnational se lit dans la réhabilitation de « populistes ». L’Italienne Giorgia Meloni, que Michel Barnier devrait rencontrer à Rome après s’être rendu vendredi à la frontière de Menton avec Retailleau et des ministres italiens, est citée en exemple pour sa politique migratoire. Le Hongrois Viktor Orban, épouvantail des belles âmes, est désigné par Israël comme un ami des juifs. Donald Trump, paria number one, pourrait sortir vainqueur des élections américaines du 5 novembre. En France, la gauche hurle à la « lepénisation des esprits ». Elle n’est que l’expression de la révolution en cours. Retailleau en est l’arme adamantine. Macron osera-t-il avouer qu’il s’est trompé ?


Elisabeth Lévy sur Sud Radio: « L’État de droit prétend désormais dicter aux peuples ce qui est bon pour eux… »

#Je Suis Paul: Anne Hidalgo à la récupération?

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La maire socialiste de Paris a décidé de renommer un lieu de la capitale en hommage à Paul Varry, tué par un automobiliste mardi.


Le meurtre du cycliste Paul Varry par un automobiliste à Paris continue de susciter beaucoup d’émotion. Un meurtre présumé, car l’enquête devra établir s’il y a bien eu intention homicide. L’émotion est légitime : une vie est fauchée, une famille est endeuillée, une autre détruite. Une mort si absurde. Faut-il pour autant donner son nom à un lieu parisien, comme veut le faire Anne Hidalgo, qui sait mettre du kitsch dans toutes les tragédies ? Cela signifierait que Paul Varry n’est pas la victime d’un crime odieux, mais le héros d’une cause plus grande que lui.

Un fait divers ?

Question inévitable : sommes-nous en présence d’un fait divers ou d’un fait de société ? Il y a des tragédies de droite et des tragédies de gauche. Mme Hidalgo ne proposerait évidemment pas de baptiser une rue Philippine. Pour la gauche, la mort de Paul Varry, quoiqu’exceptionnelle, n’est pas un événement isolé. D’où les rassemblements et revendications du week-end – que font les pouvoirs publics ? Le Monde dénonce le déni de la violence routière[1]. Pour tous ces gens, c’est une nouvelle occasion de prêcher la bonne parole: la voiture c’est mal, et le vélo c’est bien. La voiture tue ! Surtout les SUV… Il faut interdire les grosses voitures, clame le conseiller municipal communiste Ian Brossat. En plus, c’est macho. Ceux qui veulent que Mazan soit le procès de la masculinité sont les mêmes que ceux qui nous disent que la voiture tue et que ce sont évidemment les hommes qui les conduisent. En somme, interdisons les hommes et les voitures et tout ira bien.

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Je ne plaisante pas sur la mort d’un jeune homme. J’ai même beaucoup de compassion pour sa famille. Mais je me moque de ces raisonnements suscités par sa mort. Ce n’est pas un camion qui a tué à Nice le 14 juillet 2016. Ce n’est pas un SUV qui a tué Paul Varry. Ni une idéologie. C’est un homme. Cependant, je ne crois pas non plus que ce soit complètement un fait divers. Cela nous dit quelque chose sur notre société, et raconte une autre histoire que celle des gentils vélos contre les méchantes autos.

Cohabitation des « mobilités »

L’intolérance à la frustration semble manifeste dans cette affaire. Tout m’est dû, l’autre n’existe pas. Cela n’est pas propre à la voiture. Je frappe mon prof, j’insulte la police. Certes, ce phénomène est aggravé par le fait que chez certains, la voiture est un prolongement érotique. Si ça se trouve, le vélo aussi… La violence existe chez l’homme, même en vélo. La question qui se pose est celle de la répression des instincts, c’est-à-dire celle de la civilisation qui ne se porte pas très bien.

La cohabitation des «mobilités» (comme on dit dans la novlangue parisienne) est de plus en plus tendue. Parlez à un taxi ou à cycliste: vous entendrez des récits irréconciliables. La terreur des taxis ou des chauffeurs de bus, c’est de renverser un cycliste. Les vélos ne respectent pas les règles du Code de la route même si, à Paris, ça s’améliore un peu. Ce n’est pas leur faute. Le problème n’est pas qu’on demande aux automobilistes de partager la ville avec les vélos, mais qu’on a expliqué aux cyclistes qu’ils étaient moralement supérieurs. Et ces nigauds ont fini par le croire.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/19/sortir-du-deni-de-la-violence-routiere_6355650_3232.html

Du côté des toubabs

Notre chroniqueur parle décidément une étrange langue — à moins qu’elle ne soit la langue de ces banlieues qu’il aime dénigrer, pour y avoir enseigné si longtemps — un sentiment que bien sûr personne ne partage à Causeur.


Loin de se limiter à la propagation du mysticisme païen et à la diffusion des éditoriaux de notre ami Alain de Benoist, la revue Eléments publie des enquêtes de fond. Par exemple ce mois-ci sur « le racisme antiblanc à l’école », « vérité interdite », s’il faut en croire François Bousquet qui a fouillé au corps ce non-dit de l’antiracisme.

« C’est un racisme qui n’existe pas, une légende urbaine colportée par l’extrême-droite et les suprémacistes blancs » — et pourtant, « s’il y a aujourd’hui un racisme aussi systémique que systématiquement nié, c’est celui-là ».

Tout part de la définition courante de la « race ». Voir l’usage extensif de la notion de « racisé », telle qu’on la trouve dans les organisations qui font de l’antiracisme leur fonds de commerce. Le racisé est celui qui porte sur sa peau la preuve d’une autre origine que la blanchitude — qui n’est pas une race, elle, plutôt le degré zéro à partir duquel les vrais êtres humains se catégorisent. Bronzé, très bronzé, noir. On croirait une réclame pour crème solaire.

Apartheid 2.0

De fait, nos croisés de l’antiracisme ont repris les critères de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, qui définissait une catégorie supérieure — les Blancs —, une catégorie intermédiaire, les métis, et un conglomérat de races noires inférieures, mêlant indistinctement des ethnies qui se détestaient franchement, et non admises à voter ni, a fortiori, à avoir des représentants au Parlement. On prend les mêmes, et on inverse : le Blanc est désormais tout en bas de l’échelle. L’antiracisme est parfois devenu un racisme à l’envers.

Nous retrouvons là la caractéristique centrale de notre monde orwellien, tel que j’ai eu maintes occasions de le décrire. L’ignorance, c’est la force, les professeurs non régénérés par le pédagogisme font encore l’apologie des « white dead males », comme on dit chez nos maîtres anglo-saxons, et seuls les hommes blancs doivent aspirer à se déconstruire, étant entendu que par destination sociale ils sont appelés à violer les femmes et à agresser les vieilles, ce qui n’arrive jamais aux racisés de toutes les couleurs.

Toutes ? N’exagérons pas. Les Asiatiques penchent du côté des Blancs, c’est bien connu, d’ailleurs eux aussi cultivent l’excellence scolaire, un piège blanc auquel nos racisés de frais ne se laissent pas prendre, ou rarement. Tout comme les Arabes, Palestiniens, Algériens ou autres, refusent de se laisser séduire par les sirènes du comité Nobel, une institution manifestement enjuivée puisqu’elle couronne un nombre infini d’enfants d’Abraham, en ignorant délibérément les enfants d’Ibrahim.

(« Mais ce sont les mêmes ! Tous sémites ! » « Eh bien, c’est la preuve qu’on ne naît pas crétin : on le devient ! » — comme aurait dit Simone de Beauvoir, féministe suspecte qui fréquentait des intellectuels blancs).

Syndrome de Stockholm

Le long article, très fouillé, de François Bousquet analyse en profondeur la façon dont, dans des écoles, collèges ou lycées où ils sont minoritaires, les jeunes Blancs sont sommés par leurs condisciples « racisés » de s’humilier, sous peine de passer pour racistes et islamophobes. De faire le ramadan même s’ils sont chrétiens. D’agiter des drapeaux palestiniens même s’ils sont juifs. De s’habiller comme la racaille dominante, dans un processus que Bousquet assimile avec justesse à un véritable syndrome de Stockholm.

Ce sont les mêmes que vous trouvez à Sciences-Po, stigmatisant les étudiants juifs et soupçonnant de sionisme rampant tous ceux qui qualifient les événements du 7 octobre 2023 de génocide, LFI de rassemblement pro-islamiste, et la mort des leaders meurtriers du Hamas — sur lui reconnaissance et bénédiction — de grande nouvelle, de nature à bien commencer l’année juive qui justement débute…

(Au passage, je suggère à Jean-Luc Mélenchon et à ses sbires de prendre un abonnement chez Interflora : au rythme auquel leurs amis se font éparpiller façon puzzle à Gaza ou au sud Liban, il sera plus économique de mensualiser ses envois de couronnes mortuaires).

Le Blanc est celui qui s’habille différemment, qui a de bons résultats scolaires (avez-vous réfléchi à ce que signifiait l’usage péjoratif en classe du mot « intellectuel ?), qui ne prie pas le même dieu. La Blanche est cette chair offerte aux frustrations des racisés auxquels on interdit de toucher leurs coreligionnaires hors mariage — allez voir sur le site porno blacksonblondes la façon dont ces charmants garçons traitent les jeunes « Gauloises ». Elle a d’ailleurs peu à peu intégré l’idée qu’elle doit s’offrir pour racheter les fautes de ses ancêtres esclavagistes — étant entendu que jamais Arabes ni Africains n’ont mis qui que ce soit en esclavage : ils ne risquent pas de le savoir, les enseignants hésitant fort à exposer des faits, et préférant propager des légendes.

Le comble, c’est que l’adolescent blanc est dominé dans les faits, quand il n’est pas tout simplement éliminé, alors qu’il est traité comme dominant dans les représentations médiatiques, souligne justement Bousquet. Inversion orwellienne, vous dis-je. Si je n’avais pas renoncé à écrire des essais, cela ferait un vrai sujet de livre : le monde occidental fonctionne désormais sur une boussole qui indique le sud.

À noter que les bobos — enseignants ou journalistes au premier chef — plaident pour une vraie mixité sociale à l’école, mais se gardent bien d’inscrire leurs enfants dans les établissements ghettoïsés et racisés auxquels la carte scolaire semblait les condamner. « Tu comprends, moi, c’est pas pareil », clament-ils. Libé en avait fait jadis le constat affligé. Le « Fais ce que je te dis » n’est pas à usage interne. Comme dit Bousquet, « le choix de l’établissement scolaire est un révélateur chimique des stratégies sociales. »

Il faudrait avoir le courage — mais j’ai expliqué dans mon dernier livre, l’Ecole sous emprise, que c’est ce qui manque le plus, avec la connaissance, aux enseignants d’aujourd’hui — de dire la vérité, sur l’esclavage, sur le racisme, sur Israël, et sur les manipulations auxquelles se livre la confrérie des Frères musulmans (à propos, où en est l’enquête diligentée par Darmanin pour établir la dangerosité de ces fondamentalistes exclus de la plupart des pays… musulmans ?). Mais cela suppose de sortir par le haut de ce monde orwellien, au lieu de s’humilier à baiser les pieds des racailles.

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Destroyer 666, le groupe de la discorde

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À La Mézière (35), le festival de métal Samaïn Fest annule la venue du groupe Deströyer 666


Le 12ème festival de musique « Samain Fest » se déroulera du 24 au 26 octobre dans le nord de Rennes devant cinq cent passionnés de rock et de musique métal. Ce festival soutient un réseau d’écoles privées bretonnantes, qui scolarise 4 000 élèves de Rennes à Quimper. Une langue bretonne défendue pendant le festival lui-même, puisque des cours sont proposés dans la programmation. 

Porté par son succès, le festival réalise l’exploit d’inviter des groupes plutôt habitués à la démesure du gigantesque Hellfest voisin ; cet automne, il a dû toutefois faire face à la première grosse polémique de son existence. Neuf jours avant l’évènement, Mediapart a déploré la venue du groupe Destroyer 666, qualifié de « raciste et misogyne » par le média d’Edwy Plenel. Aussitôt, le festival a annoncé la déprogrammation du groupe australien, qui devait être la tête d’affiche du 26 octobre. Destroyer 666 est un groupe de black-metal, un style où la violence, le satanisme et le paganisme cohabitent allègrement. Si l’œuvre du groupe (auteur de sept albums depuis 1997) se montre typique du folklore black-metal sans écueil notoire – ce qui lui permet de jouir d’une certaine notoriété – son chanteur (parfois bien chauffé par les molécules éthyliques dégustées en tournée) a montré à maintes reprises un comportement outrancier à l’encontre de l’extrême-gauche, de l’islam ou encore du mouvement #MeToo. À travers les propos de celui-ci, se pose ici la question de la distinction entre une œuvre et la personnalité de son artiste. L’émotion suscitée par la programmation de Destroyer 666 n’est-elle pas hypocrite, quelques semaines après l’omniprésence sur les écrans de Snoop Dogg, adepte de white face et de fumette, lors des derniers Jeux Olympiques ?

Une question qui divise la communauté métal : les uns accusent Mediapart de mener une chasse aux sorcières ; d’autres souhaitent carrément boycotter le festival, l’accusant de céder aux pressions de l’extrême-gauche et d’autres encore – plus inhabituel dans l’univers de la musique métal – ont applaudi cette déprogrammation. Cette ambiance délétère a poussé le festival à créer en toute urgence un stand de prévention où la dénonciation de tout comportement déplacé sera encouragée. Une polémique qui pourrait menacer l’avenir du festival, pour le plus grand malheur des écoles bretonnes.

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La fille de son père

Isabelle Pandazopoulos signe un premier roman mettant en scène une psychanalyste méconnue: Anna Freud.


Le célèbre psychanalyste Sigmund Freud eut, avec sa femme Martha, six enfants. Anna fut la petite dernière. Celle qui donna le plus de fil à retordre à son père. Celle, aussi, avec laquelle il noua une relation éminemment complexe. C’est à elle, vilain petit canard de la portée, que l’écrivaine Isabelle Pandazopoulos consacre son premier roman. Un personnage fascinant qui aurait pu faire sienne la phrase de Marie Darrieussecq : « Les femmes n’ont pas de nom. Elles ont un prénom. (…) Elles s’inventent dans un monde d’hommes, par effraction. »

Le principe du cordonnier mal chaussé

Pour Anna tout fut difficile et ce dès la naissance. Enfant non désirée, elle sera mal aimée par sa mère. Son enfance sera jalonnée de différents maux psychosomatiques, dont la dépression et l’anorexie. Elle nourrira une jalousie morbide pour ses frères et sœurs, n’ayant qu’un seul rêve : être la préférée de son père. Durant trois années, Freud la prendra en analyse, à raison de trois séances par semaine. Même si analyser ses proches était déjà largement déconseillé, nombreux furent ceux, à l’époque, qui passèrent outre cette recommandation. Anna, contrairement aux femmes de sa famille, émit très tôt le souhait de travailler mais ses parents s’y opposèrent. Opiniâtre, elle parviendra pourtant à ses fins et deviendra institutrice. Métier auquel elle finira par renoncer du fait de sa santé fragile. Le roman s’ouvre en 1946. Anna est entre la vie et la mort. Pour prendre soin d’elle sa mère a fait appel à une garde malade à laquelle Anna va conter l’histoire de sa vie. Les chapitres alternent harmonieusement entre passé et présent. 1946 à Londres, où la famille Freud est venue se réfugier à la veille de la guerre. 1920, à Vienne, où Anna fit ses premiers pas en tant que psychanalyste pour enfants. C’est la formidable ascension de cette jeune femme fragile que retrace l’écrivaine avec une empathie communicative.

Émancipation impossible

Tout au long de son parcours Anna sera soutenue par l’écrivaine Lou Andréas Salomé et, malgré leur différence d’âge, les deux femmes resteront soudées à vie. Le chemin d’Anna Freud croisera aussi celui de l’Américaine Dorothy Burlingham. L’attirance entre les deux femmes est immédiate. Mais le terme d’homosexualité jamais prononcé. Celle-ci était alors considérée comme une déviance et empêchait d’exercer en tant que psychanalyste. Anna Freud avait donc toutes les raisons d’être discrète. « Ne jamais rien en dire. A personne. Jamais. A personne. A lui non plus. Elle s’en ferait une règle absolue ». On peut cependant arguer qu’il ne fut pas dupe. Au fil des pages, Isabelle Pandazopoulos explore avec infiniment de subtilité la relation d’Anna et Sigmund Freud. Une relation ô combien ambiguë. Sa vie durant Anna cherchera à s’émanciper de la figure du père et y restera pourtant maladivement attachée. Après sa mort en 1939, elle écrira « je l’emporterai avec moi. C’est avec lui que je veux être enterrée. C’est ça que je veux, m’enrouler dans son odeur et disparaître, comme sa bien-aimée, sa seule aimée, son unique enfant ». Avec Les Sept maisons d’Anna, Isabelle Pandazopoulos signe une remarquable biographie romancée qui a le mérite de mettre en lumière une fille, mais aussi son célèbre père au soir de sa vie. Passionnant.

368 pages.

Les Sept maisons d'Anna Freud

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Le premier Labro est enfin arrivé!

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Les éditions Montparnasse éditent « Tout peut arriver » dans une version haute définition, le premier film du parolier, écrivain, journaliste et homme des médias, dernier représentant de la grande presse.


Tout peut arriver ! Mais il aura fallu être sacrément patient durant ces longues années, plus d’un demi-siècle. Nous sommes enfin récompensés. Car il nous tardait de voir dans son intégralité et avec une bonne qualité d’image, ce témoignage visuel et sonore d’après mai 1968, ses tâtonnements esthétiques et sa féroce fraîcheur, le phénomène Luchini dans sa juvénile exubérance et un Paris déjà en voie de transformation architecturale.

Claude Mauriac n’a-t-il pas écrit dans le Figaro Littéraire à propos de cette constellation d’images : « c’est sublime mais du plus familier et du plus quotidien. Ce que dans ces belles et sobres images l’éphémère implique d’éternité ». Je ne suis pas très objectif, je tiens à l’avouer tout de suite, j’aime le cinéma de Philippe Labro, son manichéisme classieux et son romantisme arriviste, son goût appuyé pour les puissants et les femmes au regard absent, sa vénération pour l’actualité à chaud et son américanisme de campus à la sauce preppy. Je n’ai pas peur de le dire, j’aime L’Héritier, L’Alpagueur ou encore Rive droite, rive gauche. Il est l’un des rares cinéastes à avoir su filmer la froideur des hôtels particuliers, les diplomates levantins à Rolls-Royce et à mocassins à pampilles et les call-girls faussement affranchies, tout un fumet vaporeux délicieux. J’aime ce folklore-là. Nous étions nombreux à attendre dans une version restaurée en HD la ressortie de son premier film. Il était bien passé, un jour, à la télévision sur une chaîne de la TNT. Puis, plus aucune trace. Quelques captures d’écran circulaient sur le net mais à mesure qu’on allait l’oublier, les cinéphiles de la bande du Drugstore en firent un objet d’adoration. Le culte naît de la contingence. Parce qu’on peut tout reprocher à Labro sauf son sens de l’observation, son œil capture tout.

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Quand Labro film l’année 1969, il encapsule l’air de son époque comme nul autre réalisateur. Tout est authentique et certifié, les bagnoles, les costumes, les coupes de cheveux, les menus des restaurants, les comptoirs de banque et les addictions. Ce long (court) métrage de 1 h 19 mn, encore assez artisanal dans la forme n’en possède pas moins la grâce des jouets patinés. Malgré quelques imperfections techniques mineures, on suit avec plaisir la déambulation de Philippe Marlot (Jean-Claude Bouillon), grand reporter et double de fiction de Labro dans une France qu’il ne reconnaît plus. Il arrive des États-Unis, il a couvert des conflits sanglants. Instable et tempétueux, cherchant maladroitement son chemin dans l’existence, Marlot est imprégné de toute une mythologie du journaliste à succès. Sombre et bagarreur. Jouisseur et mélancolique. Il est une caricature de détective privé, il est imbibé de cinéma US, il porte des santiags et le trench-coat clair, il séduit ses rédacteurs en chef et les étudiantes étrangères de l’université de Dijon. Il est le représentant d’un monde en décomposition. Il est naïf et poseur, et cependant on ne peut pas lui reprocher d’être insincère avec les autres.

Éditions Montparnasse

Sous le prétexte de rechercher Laura, son épouse disparue, il voyage en auto-stop et rumine des thèmes chers à Labro que sont les icônes des yéyés en phase terminale de vedettariat, les parties fines dans les légations des beaux quartiers, la drogue qui s’empare de la jeunesse, les idéologies boursouflées, le souvenir de la guerre d’Algérie, l’apparition d’un héros pré-houellebecquien, le cadre en rupture familiale et pris par le dégoût de son existence vaine, un dandysme du samedi soir, des boîtes de nuit à la Régine et les petits matins patibulaires. Sur une partition musicale signée Eddy Vartan, « Tout peut arriver » a le charme des premières fois, il sonne juste même dans son égocentrisme fleur bleue. Labro dit dans le très instructif bonus qui dure 35 minutes que le casting est primordial dans la réussite d’un film. Et Labro sait choisir ses acteurs, même pour une apparition fugace, le name-dropping et l’entre-soi ne lui font pas peur. On croise Chantal Goya dans une aérogare, Catherine Deneuve au chignon structuré et à la merveilleuse diction fracassante, l’excellent André Falcon, la jeune débutante Catherine Allégret, l’oublié Jacques Lanzmann, la sublissime Prudence Harrington et puis Fabrice, l’apprenti-coiffeur kierkegaardien en blazer et Solex. De toute façon, un film où les hommes ont le souci de cirer leurs semelles en cuir comme Vittorio de Sica demeure un film de référence.

Tout peut arriver – DVD – Éditions Montparnasse

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Le dernier roi des Halles

À la tête du Bistrot des Halles, Vincent Limouzin entretient la tradition bistrotière qui a fait la réputation du ventre de Paris. Dans un décor inchangé depuis les années 1950, il sert une cuisine canaille savoureuse et les vins de vignerons qu’il connaît. Ses clients deviennent vite des habitués et, surtout, des amis.


Le Bistrot des Halles, quand on le connaît et qu’on l’aime, c’est comme une deuxième maison. On y retrouve souvent les mêmes têtes. Et avec le personnel, on finit par avoir l’impression d’être en famille. Quand on y est, on n’a plus vraiment envie d’en sortir. On a toujours envie d’un dernier verre, d’un dernier rire. C’est un bistrot comme on en trouve de moins en moins, surtout à Paris !

Tout cela tient à son patron, Vincent Limouzin. Un sacré gaillard. Un gars à l’ancienne. Rien qu’à voir le colosse, on comprend vite que l’établissement n’est pas végan. Ici, à peine avez-vous commandé un verre, même au comptoir, qu’on vous apporte une petite assiette d’une délicieuse saucisse sèche finement tranchée sans vous demander votre avis. Le comptoir… il est beau ici, il brille ! On adore s’y attarder. On y entend souvent parler de rugby ou de chasse, les deux passions du patron. Les casse-croûtes qu’on y sert à midi font l’âme de l’endroit. Casse-croûte oui, le mot « sandwich » est banni de la maison. La charcuterie et les fromages au lait cru (servis à température !) glissés dans une baguette croustillante constituent un morceau de haute volée. À table défilent les classiques de la cuisine canaille : œufs mayo, escargots, céleri rémoulade aux écrevisses, harengs pomme à l’huile, andouillette et filet de rumsteck-frites… Il n’est pas rare non plus de tomber sur de savoureux ris d’agneau à la grenobloise ou sur une belle tête de veau. Une cuisine sans chichis, généreuse, parfaitement réalisée et soigneusement présentée. Pas de doutes, nous sommes aux Halles ! Ou plutôt dans l’un de ses vestiges dont Vincent est le gardien, le sauveur. Son bistrot – resté dans son jus des années cinquante avec ardoises, néons, nappes et serviettes à carreaux – est un petit îlot de résistance au cœur de ce quartier dont l’âme a disparu. On y rit, on y mange, on y boit parfois à grosse lampée, c’est une douce fête. Même au déjeuner, la clientèle (toujours plutôt bien habillée) n’hésite pas à festoyer au champagne avant de retourner bosser. La vie quoi ! « Le champagne, c’est un peu moi qui l’ai imposé ici. Comme j’en bois souvent, les clients et les amis me suivent ! » explique le patron. D’ailleurs, on y croise souvent Arnaud Jacquinet, grand personnage de la maison Moët et Chandon. Vincent est un bon vivant et sa gourmandise, sa générosité soufflent dans ce bel établissement. « Je suis Vendéen. Fils de charcutier. Depuis petit, j’ai toujours aimé le commerce. Le fait que le client se régale, qu’il passe un bon moment, c’est un plaisir que je partage avec lui. » La restauration, c’est sa vie. D’abord chef de partie, puis sous-chef de cuisine dans plusieurs établissements renommés, il devient finalement chef de cuisine à la Maison de l’Amérique latine, où il officie pendant quatre ans. Mais son truc, c’est le bistrot. Après plusieurs affaires prises en gérance, il se tourne il y a neuf ans vers un petit troquet de l’ancien ventre de Paris : Le Bistrot des Halles. Et c’est là qu’il donne toute sa dimension. « Ici j’ai trouvé ce qui me ressemblait. Un petit bistrot familial dans lequel je pouvais faire vivre ma vision de la restauration : les bons produits, la simplicité, le réconfort, le partage, la joie, les rires. » Et c’est un pari réussi ! C’est un refuge. Le clafoutis qui, toujours, repose derrière le comptoir nous rassure. Tout comme la savoureuse terrine maison, dont le père de Vincent n’aurait pas été peu fier. Et puis la gentillesse du personnel ! Leurs sourires ! Leur diplomatie, leur sérieux et leur efficacité sont dignes des grandes tables parisiennes. La clientèle forme elle aussi une joyeuse troupe. Ici, on retrouve le monde du vin, du rugby, de la chasse, des courses hippiques et de Rungis. Hommes d’affaires et avocats côtoient ouvriers et gourmets. Le matin, dès l’ouverture à sept heures, les éboueurs sont là pour le petit déjeuner. Quelle que soit l’heure à laquelle on passe, on ressort avec un peu plus de joie au cœur. Le Bistrot affiche souvent complet mais le patron essaie toujours de vous trouver une petite table. « Ça peut paraître naïf, mais j’aime les gens. Avec mon équipe, on donne tout pour que le passage au Bistrot soit pour chacun une parenthèse dans leur journée. Un petit moment de bonheur. »

Fondant de boeuf braisé aux carottes

Il serait malhonnête de dire que le vin ne participe pas de ce bonheur. Vincent Limouzin travaille majoritairement en direct avec les vignerons. La bouteille emblématique de la maison est le Saint-Amour de chez Bataillard. Et le Chitry rouge du domaine Colbois n’est pas mal non plus… En 2019, le Bistrot reçoit le prix de la Bouteille d’or décerné par l’association Tradition du vin. « J’ai la chance d’avoir une clientèle de bons vivants. Ici, on voit assez peu d’eau sur les tables. Mes clients sont un peu à mon image. Et d’ailleurs, ils participent de l’âme de ce bistrot. » Vous l’aurez compris, Le Bistrot des Halles et son patron, ogre au grand cœur, sont indissociables. On vient autant pour l’un que pour l’autre. Et c’est pour ça que ça fonctionne ! « Pour que ça tourne, il faut que le taulier soit toujours présent. C’est ce qui fait ma force ici. Et ça, c’est de plus en plus rare. Enfant, j’ai vu mon père vivre pour les clients, uniquement pour eux. Eh bien je crois pouvoir dire qu’aujourd’hui, dans mon domaine à moi, je fais perdurer l’esprit de mon père. » Pour ma part, quand je franchis la porte de cette maison, je pense à cette phrase que prononce une amie à chaque moment de joie intense : « La vie, ça devrait toujours être comme ça ! »

Le Bistrot des Halles

15, rue des Halles
75001 Paris
Tél. : 01 42 36 91 69

Les cartons de Robbe-Grillet

Dans son nouveau roman, Emmanuelle Lambert dissèque habilement la personnalité de l’écrivain Alain Robbe-Grillet.


On pourrait croire que le titre retenu pour cet article est celui d’un roman d’Alain Robbe-Grillet ; comme en écho au titre Les Gommes, son premier succès qui révolutionne la littérature en 1953 car, dit-il, on ne peut plus écrire de la même façon depuis la découverte des camps d’extermination nazis.

Mais il faut que je parle d’elle, de cette jeune femme de 20 ans, provinciale un peu naïve, qui cherche un job alimentaire tout en poursuivant ses études. Elle est recrutée par l’Institut, à Paris, qui accueille les archives des grands écrivains. Il s’agit de l’Imec – Institut Mémoires de l’édition contemporaine – qui, plus tard, s’installera dans l’abbaye d’Ardenne en Normandie. Elle côtoie trois personnes : Joseph, le Chef, l’Adjointe ; microcosme pas franchement sympathique. Elle, c’est Emmanuelle Lambert, auteure de Aucun respect, roman original, nerveux, un brin ironique. C’est autobiographique, donc. Mais c’est aussi une biographie subjective et fragmentée du « pape du Nouveau Roman », Alain Robbe-Grillet (1922-2008). Un jour, elle le voit débouler à l’Institut. Presque 80 ans, regard malicieux, barbe shakespearienne, voix grave avec un zest de préciosité. C’est le début d’une relation complexe dont Emmanuelle Lambert avait déjà rendu-compte dans Mon grand écrivain (2009), publié par Benoît Peeters, lui-même auteur d’une remarquable biographie de Robbe-Grillet (Flammarion, 2022*), qui apparait sous les traits d’un certain Éloi dans Aucun respect. La jeune femme, qui connaît mal l’œuvre de l’écrivain, est chargée de classer ses archives léguées à l’Imec. Cela représente des dizaines de cartons. Robbe-Grillet, en effet, conservait tout, notamment les articles de presse depuis ses débuts tonitruants au début des années 1950. C’est ce que l’auteure appelle un « accumulateur ». Extrait : « Les femmes de sa famille étaient des expertes en accumulation. En apparence bien plus raisonnable, ordonné, scientifique, dur à la réflexion et au travail, Robbe-Grillet l’était aussi. Peut-être en souvenir de ses parents, père revenu demi-fou de la guerre de 14-18, mère fantasque, intelligente ; et surtout du petit garçon bizarre qu’il avait été et qui, souvent, voyait son double. » Nous entrons de plain-pied dans l’univers fantasmagorique de l’écrivain, de celui dont on a dit qu’il aurait dû être à l’asile, pas dans les librairies. C’est que l’homme, ingénieur de formation, adorant les arbres et collectionnant les cactées, avait de puissants fantasmes qu’il n’hésitait pas à coucher sur le papier ou à mettre en scène dans des films érotiques expérimentaux. Robbe-Grillet n’a pas seulement explosé la narration, en réponse à l’absurdité du monde, il a aussi dynamité la morale. Ce qui l’a rendu célèbre dans le monde entier, en particulier aux États-Unis où bon nombre d’étudiants ont appris le français en lisant La Jalousie (1957), le chef-d’œuvre de Robbe-Grillet, selon Emmanuelle Lambert.

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La personnalité de l’écrivain est habilement disséquée. Extrait : « À force de lecture, elle avait commencé à comprendre une chose : quel que soit son interlocuteur, Robbe-Grillet, dans ses entretiens, mettait en place le même dispositif. On lui posait une question, il y répondait avec beaucoup de soin. Tellement de soin qu’il finissait par répondre à tout autre chose. À une question intérieure. » Tout l’enjeu est là. Intelligent, habile, ayant beaucoup d’humour, parfois féroce, Robbe-Grillet brouille les pistes, c’est jouissif. Enfin quelqu’un qui pourfend l’esprit de sérieux ! Invitée dans son château du Mesnil-au-Grain, près de Caen, elle fait la connaissance de Catherine Robbe-Grillet, la femme de l’écrivain, experte en soirées sado-maso, qu’elle nomme « cérémonies », évoquées dans l’un de ses livres, Cérémonies de femmes, publié pour la première fois chez Grasset, en 1985, sous le pseudonyme de Jeanne de Berg. La jeune femme est troublée par le charisme de celle qui ne fut jamais pénétrée par son mari. À propos de la spécialiste de la jouissance dans les supplices, Emmanuelle Lambert note : « Madame Robbe-Grillet, elle, aurait pu être le résultat d’une expérience scientifique visant à réduire un organisme à son expression la plus concentrée, par le tressage de la pulsation vitale des êtres de chair avec la condensation extrême des minéraux. »

Emmanuelle Lambert doit également préparer une exposition sur Robbe-Grillet. L’écrivain n’est pas vraiment séduit par le projet, il préfère garder son énergie pour terminer un livre, pas nommé. Les connaisseurs reconnaîtront La Reprise, son dernier roman. Mais cela permet d’approfondir la relation nouée entre la jeune femme et Robbe-Grillet, et de mettre davantage en lumière la psyché d’un homme fort secret. Il est tantôt aimable, tantôt grincheux, toujours caustique. C’est jubilatoire, même si les longs passages sur la vie privée d’Emmanuelle Lambert ne manquent pas non plus d’intérêt. On est intrigué par Axel, son petit ami dont la peau a « l’odeur de sucre roux ».

L’auteur du Voyeur, vertigineux roman, qui a toujours aimé le scandale – il a été élu à l’Académie française mais a refusé d’y siéger – commet un ultime ouvrage peu recommandable, un « conte pour adultes », dont il aurait pu faire l’économie – publié chez Fayard et non aux Éditions de Minuit, son éditeur historique. Les critiques l’assassinent. L’un deux, transformé en Fouquier-Tinville germanopratin, lui lance : « C’est pas une bonne action, votre livre ». Rire de l’écrivain qui le traite de con. Décrire ses fantasmes, ce n’est pas les réaliser. Ou alors il faut interdire le théâtre antique grec, et rayer le mot catharsis du vocabulaire. Robbe-Grillet réaffirme que la littérature doit ignorer la morale. Elle est du côté du mal, pour paraphraser Georges Bataille. Mais nous sommes au début de l’ère #MeToo… Emmanuelle Lambert rappelle que les femmes désormais « l’ouvrent » et n’acceptent plus d’être objectivées. Robbe-Grillet, guère lu aujourd’hui, comme tant d’autres, risque donc d’être passé au tamis du wokisme. En attendant, lisons, relisons, l’œuvre de cet écrivain majeur qui a su donner à l’acte créateur l’indispensable et trop rare originalité sismique. Le livre de cette jeune fille « très normale », d’après Catherine Robbe-Grillet, devenue romancière, nous y invite.

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* Lire à ce propos, l’article de Pascal Louvrier, Robbe-Grillet portrait du joueur, mis en ligne sur le site de Causeur, 22 octobre 2022.

Staraselski, un réac de gauche ?

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Le romancier et essayiste Valère Staraselski publie un recueil de chroniques qui défend une pensée de gauche non inféodée à LFI. Cette vision, honnête et intelligente, lui a fait perdre quelques camarades…


Il n’est pas courant que l’on puisse lire une prose de gauche qui possède les mêmes repères intellectuels – voire les mêmes fondements civilisationnels – que la majorité des habitants de France. Non infecté par le wokisme ambiant, l’écrivain Valère Staraselski, communiste de longue date, parle le langage de tout le monde. Il se situe dans la lignée idéologique d’un Pasolini qui rappelait que « le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu’il s’appelle anti-fascisme » (Lettres luthériennes, 1976).
Ce romancier vient de publier un choix de chroniques qui tranchent avec « la dangereuse logorrhée délirante des intellectuels aux petits pieds et aux grandes gueules de la gauche mélenchoniste », écrit-il.
S’il n’y est nulle part question du chef de LFI, c’est que précisément l’auteur entend indiquer qu’existe une politique, mieux, une pensée de gauche non inféodée aux choix politiques de Mélenchon et de ses affidés. De l’antisémitisme de gauche en passant par la reconnaissance du sentiment national comme du christianisme jusqu’au communisme revu par l’Italien Losurdo, Staraselski argumente ; c’est honnête et ça tient la route.
Ne cherchez pas dans L’Humanité une quelconque recension ou critique de son livre. Cet écrivain est désormais banni après qu’un article du Figaro l’a présenté comme un intellectuel « proche du secrétaire national du PCF » et « féru d’une histoire de France qui ne commence pas à la Révolution ». Impardonnable, n’est-ce pas ? Que disait Pasolini déjà…

Loin, très loin de Jean-Luc Mélenchon. Du pape François à Domenico Losurdo, penseur du communisme, Valère Staraselski, préface d’Arlette Vidal-Naquet, L’Harmattan, 2024. 158 pages.

Ni chagrin ni pitié

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Libération de deux femmes israéliennes prises en otage lors des attaques du 7-Octobre, grâce à une médiation égyptienne et qatarie, 24 octobre 2023. DR.

Dès le 8 octobre, les Français juifs ont été confrontés à la violence. Intimidations, harcèlements et agressions ont bouleversé le quotidien de nombre d’entre eux, dans la rue, à l’école ou jusqu’à leur domicile. Cela a suscité peu de condamnations politiques et aucune inter-religieuse. Comment vivre dans une telle indifférence?


Le 7 octobre a marqué une césure dans la vie des Juifs. Il y a un avant et un après. Le terme de « Juifs » ne doit pas être ici envisagé dans sa définition strictement religieuse. Quelques groupes ultra-orthodoxes non sionistes ont dû considérer ces massacres comme un épiphénomène dans le cheminement de l’attente messianique, voire même comme une punition de gens éloignés de la halakha. Peut-être même y avait-il des Juifs parmi les fanatiques qui se sont réjouis des massacres du 7 octobre : cela n’a pas d’autre intérêt que d’alimenter un musée des horreurs. D’autres en revanche, qui avaient gardé un sentiment de leur judéité « entre autres choses » ou même avaient enfoui, ou oublié ce sentiment, se sont sentis visés par les massacres du 7 octobre. Répliques de pogroms des anciens temps et des images de la Shoah, c’est l’allégorie du Juif persécuté parce que faible, refoulée dans le tréfonds de l’être et dont l’État d’Israël était censé éviter la sinistre réapparition qui a soudain giclé.

Autour d’eux, les Juifs font le compte de leurs connaissances et sont surpris. Certaines, parfois éloignés, leur envoient des messages de soutien. D’autres, plus proches, ne se manifestent pas. N’ont-ils pas fait le lien entre l’ami juif d’ici et l’Israélien inconnu de là-bas, car ils manquent d’imagination ou parce que la catégorie religieuse leur est étrangère ? Beaucoup rapportent avoir trouvé dès le 8 octobre, notamment en milieu scolaire ou hospitalier, des regards fermés et des conversations indifférentes. Pour ma part, j’ai été surpris par ces témoignages, peut-être parce que mon âge a raréfié mes relations professionnelles et que mon sionisme connu avait écrémé mes relations sociales. Mon expérience positive était biaisée.

Des chercheurs alertent sur l’idéologie des Frères musulmans depuis des années

Des relations se rompent et un sentiment d’étrangeté, dans tous les sens du terme, s’installe : comment vivre désormais avec des gens dont l’indifférence au sort des Juifs s’expose ainsi ? Pour ceux qui connaissaient des responsables musulmans et rêvaient de solidarité interreligieuse, les déceptions furent pénibles. Alors qu’ils espéraient que tel partisan fervent du dialogue exprimerait publiquement son dégoût, ils l’entendent disserter de généralités. Le 7 octobre, le recteur de la mosquée de Paris rencontrait des Frères musulmans, dont les collègues de Gaza se distinguaient alors de la façon que l’on sait. Son silence sur les massacres a été retentissant.

Dès le 8 octobre se multipliaient des actes antisémites commis par de jeunes musulmans. On manifeste pour protester ou pour fêter. Certains de ceux qui ont défilé contre le soi-disant génocide commis par les Israéliens à Gaza avaient fêté le massacre de Juifs par des habitants de Gaza.

Il y a des années que la lutte contre Israël a muté en haine contre les Juifs et que le slogan de libération de la Palestine est devenu le cache-sexe d’un islamisme dont même des musulmans marxistes ont repris le discours. Le FPLP, organisation au palmarès terroriste inégalé au nom de la lutte des peuples contre l’oppression américano-sioniste, dont Salah Hamouri est la figure la plus connue en France, est devenu à Gaza un supplétif de l’islamisme. Le président de l’OLP termine par des appels au djihad une carrière inaugurée par une thèse négationniste soutenue dans la très marxiste université de Moscou. Le sort réservé aux Juifs dans l’eschatologie islamiste est remis au goût du jour dans la charte du Hamas, dont l’article 7 retranscrit des déclarations attribuées à Mahomet par les plus respectés des auteurs de hadiths.

Il y a des années que des chercheurs alertent sur l’idéologie des Frères musulmans qui ont su, par leur stratégie des petits pas, leur patience et leur double langage bien rodé, évoluer dans tous les milieux et, avec l’aide de leurs parrains qatari et turc, prendre l’ascendant sur les autres expressions de l’islam. Le Hamas du cheikh Yacine, dont Yahia Sinwar est le proche disciple, c’est l’idéologie frériste qui a eu pignon sur rue dans notre pays, a gangrené la Belgique et a su se faire passer, pendant les années de Daech, comme une alternative modérée au djihadisme, au point que les autorités politiques et diplomatiques de l’Occident laïque l’ont soutenue discrètement. Sans « MeToo », Tariq Ramadan serait aujourd’hui le plus brillant des « contextualisateurs » du Hamas, ces négationnistes du 7 octobre.

Beaucoup de Français juifs envisagent dès lors le départ du pays où ils sont nés, le plus souvent pour Israël, un pays en guerre. L’antisémitisme des banlieues n’explique pas tout. Les Juifs ont eu à affronter l’antisémitisme des négationnistes et ils n’ont pas quitté la France pour autant. C’est que les responsables politiques, en dehors de Jean-Marie Le Pen, étaient sans équivoque, que la législation est devenue particulièrement protectrice et que de grands espoirs étaient mis dans l’enseignement de l’histoire de la Shoah. C’est aussi parce que le danger négationniste résidait dans la contamination idéologique, pas dans la violence. Des enfants juifs pouvaient entendre à l’école des remarques antisémites, ils n’y allaient pas la peur au ventre à cause du risque d’agression physique.

A lire aussi, Alain Finkielkraut: «On n’a pas le droit de s’installer dans la tragédie»

La violence est devenue un mode d’expression idéologique. Ce changement a été amplifié par les réseaux sociaux et leurs capacités de harcèlement, et par la décomposition de territoires abandonnés à la loi des bandes. On ne tient pas assez compte du rôle de la peur. Les Juifs ont peur de se faire agresser à cause d’un signe de judéité, parfois seulement un nom. Cette peur de la violence islamiste envahit le monde intellectuel. On n’aime pas avouer qu’on a peur. Certains lui font la morale à cette peur, pour éviter le stigmate de l’islamophobie. La rhinocérite de Ionesco frappe une partie de l‘intelligentsia. Soljenitsyne n’aurait pas eu de Nobel si l’URSS avait encore été dirigée par Staline. Rushdie ne l’a pas reçu – la peur de représailles n’y est pas étrangère.

C’est par peur que les Juifs qui le pouvaient ont enlevé leurs enfants de l’école publique dans les quartiers « difficiles ». Cette réalité a été longtemps occultée et le silence qui a entouré la publication des Territoires perdus de la République et des rapports qui l’ont suivi, la cabale montée contre Georges Bensoussan quelques années plus tard jalonnent cette démission des élites intellectuelles. L’enseignement de l’histoire de la Shoah se heurte à des difficultés quotidiennes. La sous-notation des élèves de Yabné au grand oral du baccalauréat, niée par une rapide et peu crédible enquête administrative, a porté un dernier coup à ce qui restait de confiance des Juifs dans une Éducation nationale que leurs parents admiraient et où leurs enfants n’apparaissent pas les bienvenus…

Depuis vingt ans, l’engagement verbal des gouvernements contre l’antisémitisme est indiscutable. Mais rien n’est fait pour nommer ses causes et pallier les carences de notre système judiciaire et psychiatrique (procès de l’assassin de Sarah Halimi), pénitentiaire (les prisons, vivier de l’islamisme), éducatif. Beaucoup de Juifs ont été émus en entendant nos gouvernants proclamer que sans les Juifs la France ne serait plus la France, mais consternés quand les mêmes, après un attentat islamiste, prétendaient que « tout cela n’a rien à voir avec l’islam ». Pendant ce temps, le concept falsifié d’islamophobie se forgeait une place proéminente dans le discours, aussi incompatible fût-il avec une laïcité qui autorise par définition la critique des religions. Et le duo Dieudonné-Soral, en teintant d’humour l’antisémitisme, le rendait, quenelle aidant, tendance dans la génération Z.

Canari dans la mine

Les dénis, les paroles martiales sans suite et les accommodements pratiques ont ainsi lézardé la confiance dans la capacité de l’État à contrer les appels à la haine des Juifs. Cependant, alors que même l’extrême droite condamnait fermement l’antisémitisme, les appels du pied de la LFI aux islamistes pouvaient passer pour des initiatives irresponsables, mais sans influence.

Et puis est arrivé le 7 octobre. LFI a tué les victimes une seconde fois en refusant de qualifier de terroristes les actes du Hamas. Comment partager quoi que ce soit avec des hommes et des femmes capables de pareilles crapuleries verbales ? Le plus grave n’est pas que la secte mélenchoniste, son gourou et ses députés, dont certains font preuve d’une irréparable ignorance historique, aient assuré le service après-vente du Hamas auprès de leur électorat communautaire, c’est que leurs partenaires de la Nupes, puis du NFP n’aient pas trouvé là un motif de rupture suffisant.

Rassemblement hebdomadaire au Trocadéro pour demander la libération des otages retenus par le Hamas à Gaza, 5 avril 2024.Laurent CARON/ZEPPELIN/SIPA

Peu à peu, les images du 7 octobre ont été effacées par celles des destructions de Gaza. Une machine de propagande efficace a gravé dans l’imaginaire collectif des images de bombardements d’écoles et d’hôpitaux, agité le spectre d’une famine et imposé l’idée, dont on ne dira jamais assez combien elle est scandaleuse, d’un génocide perpétré par l’État juif. On ne peut pas parler sereinement avec un interlocuteur qui vous croit indifférent aux souffrances des civils, pense que vous approuvez un génocide et conclut qu’il suffirait d’un peu d’humanité de la part des Israéliens pour que la paix s’installe définitivement. Notre pays, dans ses profondeurs, a assez bien résisté à la déferlante anti-israélienne qui traverse les opinions publiques occidentales. La compréhension pour la cause israélienne perdure dans une grande partie du public. Cependant, l’aberrante OPA des lieux d’enseignement prestigieux par des activistes anti-israéliens, sans avoir atteint le même niveau qu’aux États-Unis, ne laisse pas d’inquiéter sur la sensibilité des futures élites. D’autant que le poids électoral de la minorité musulmane est appelé à augmenter.

La grande majorité des Juifs de France n’avaient jamais été victimes d’agression ou même de propos haineux. À la différence de leurs grands-parents, ils se disaient juifs sans complexes. Aujourd’hui, ils demandent à leurs enfants de se cacher. On pourrait se dire qu’après tout, les Français ont bien d’autres problèmes. Mais les Juifs sont le canari dans la mine, dont les gesticulations précèdent le coup de grisou. Si le processus en cours se poursuit, un jour les hommes et les femmes de toutes origines, de toutes croyances et de toutes sexualités subiront le totalitarisme islamiste. Certains pensent qu’il est déjà trop tard. Je veux croire pour ma part que la France, mon pays, peut encore être sauvée.

Retailleau contre l’immigration, ou la fin de règne des déracinés

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Le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur visitent le poste-frontière de Menthon (06), 18 août 2024 © SYSPEO/SIPA

Emmanuel Macron recevait le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à l’Élysée, ce matin à 10 heures. Le gouvernement entend proposer une nouvelle loi Immigration début 2025. Partout en Europe, on souhaite accélérer les « retours » des migrants indésirables.


Quand un enraciné parle d’immigration à un déraciné, le dialogue ne peut que tourner court. Tous deux ne vivent pas dans le même monde. Ce lundi matin, Bruno Retailleau a néanmoins rendez-vous avec Emmanuel Macron. L’homme des champs devrait tenter de convaincre l’homme des villes de la nécessité d’une nouvelle loi sur le sujet. La dernière avait été largement censurée le 25 janvier, à l’invitation tacite du président, par le Conseil constitutionnel.

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Le ministre de l’Intérieur plaidera probablement pour l’allongement des délais de rétention des expulsables, des restrictions au regroupement familial et au droit du sol, une remise en question de l’Aide médicale d’État (soins gratuits pour les clandestins), le rétablissement du délit de séjour irrégulier, etc. Le Vendéen, qui se sait porté par une opinion exaspérée par le conformisme bien-pensant, pourrait faire valoir un retour à la supériorité des lois françaises face à un « État de droit » dévoyé par l’Europe supranationale et ses juges non élus. Il pourrait réitérer sa demande de référendum sur « un des phénomènes qui a le plus bouleversé la société française depuis 50 ans sans que jamais les Français n’aient eu à se prononcer », comme il l’avait expliqué fin septembre, jugeant que « l’immigration n’est pas une chance ». Face à ce que la religion antiraciste voit comme un blasphème, Macron avait estimé que ces propos étaient « résolument en contradiction (…) avec la réalité ». « On peut décider qu’on aurait beaucoup mieux fait de la physique nucléaire sans la Polonaise Marie Curie (…), que l’on aurait pu danser beaucoup mieux sans Charles Aznavour, etc. », avait-il grincé. Pour lui, « Les binationaux sont des millions dans notre pays. Les Français issus de l’immigration au moins autant (..) Et c’est notre richesse. Et c’est une force ».

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Retailleau n’ébranlera pas le puéril angélisme présidentiel. Derrière la posture d’ouverture à l’autre, moralement avantageuse, le poids de l’aveuglement dogmatique reste un carcan intellectuel. Le refus de voir est à la source du pharisaïsme de Macron : il déplore l’insécurité généralisée, sans explorer ses causes. Simplet est l’argument qui avance les aspects positifs de l’immigration européenne (Curie et Aznavour en l’occurrence), que personne ne conteste, pour banaliser la submersion musulmane qui, d’évidence, ne s’intègre plus sous l’effet du nombre. Macron demeure le produit, élitiste et foutraque, d’un mondialisme déraciné qui a échoué dans ses utopies multiculturelles. Le chef de l’État ne se résout pas à admettre sa fin de règne. Elle est celle des apprentis-fossoyeurs des nations et des peuples indigènes. Ce sont ces derniers qui refusent à leur tour d’être colonisés et dépossédés de leur passé, par des envahisseurs, de plus en plus hostiles quand ils prônent la décolonisation occidentale des pays qu’ils ont quittés. Le rejet du monde universaliste et postnational se lit dans la réhabilitation de « populistes ». L’Italienne Giorgia Meloni, que Michel Barnier devrait rencontrer à Rome après s’être rendu vendredi à la frontière de Menton avec Retailleau et des ministres italiens, est citée en exemple pour sa politique migratoire. Le Hongrois Viktor Orban, épouvantail des belles âmes, est désigné par Israël comme un ami des juifs. Donald Trump, paria number one, pourrait sortir vainqueur des élections américaines du 5 novembre. En France, la gauche hurle à la « lepénisation des esprits ». Elle n’est que l’expression de la révolution en cours. Retailleau en est l’arme adamantine. Macron osera-t-il avouer qu’il s’est trompé ?


Elisabeth Lévy sur Sud Radio: « L’État de droit prétend désormais dicter aux peuples ce qui est bon pour eux… »

#Je Suis Paul: Anne Hidalgo à la récupération?

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Rassemblement en hommage au cycliste tué Paul Varry, Paris, 19 octobre 2024 © Alfonso Jimenez/Shutterstock/SIPA

La maire socialiste de Paris a décidé de renommer un lieu de la capitale en hommage à Paul Varry, tué par un automobiliste mardi.


Le meurtre du cycliste Paul Varry par un automobiliste à Paris continue de susciter beaucoup d’émotion. Un meurtre présumé, car l’enquête devra établir s’il y a bien eu intention homicide. L’émotion est légitime : une vie est fauchée, une famille est endeuillée, une autre détruite. Une mort si absurde. Faut-il pour autant donner son nom à un lieu parisien, comme veut le faire Anne Hidalgo, qui sait mettre du kitsch dans toutes les tragédies ? Cela signifierait que Paul Varry n’est pas la victime d’un crime odieux, mais le héros d’une cause plus grande que lui.

Un fait divers ?

Question inévitable : sommes-nous en présence d’un fait divers ou d’un fait de société ? Il y a des tragédies de droite et des tragédies de gauche. Mme Hidalgo ne proposerait évidemment pas de baptiser une rue Philippine. Pour la gauche, la mort de Paul Varry, quoiqu’exceptionnelle, n’est pas un événement isolé. D’où les rassemblements et revendications du week-end – que font les pouvoirs publics ? Le Monde dénonce le déni de la violence routière[1]. Pour tous ces gens, c’est une nouvelle occasion de prêcher la bonne parole: la voiture c’est mal, et le vélo c’est bien. La voiture tue ! Surtout les SUV… Il faut interdire les grosses voitures, clame le conseiller municipal communiste Ian Brossat. En plus, c’est macho. Ceux qui veulent que Mazan soit le procès de la masculinité sont les mêmes que ceux qui nous disent que la voiture tue et que ce sont évidemment les hommes qui les conduisent. En somme, interdisons les hommes et les voitures et tout ira bien.

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Je ne plaisante pas sur la mort d’un jeune homme. J’ai même beaucoup de compassion pour sa famille. Mais je me moque de ces raisonnements suscités par sa mort. Ce n’est pas un camion qui a tué à Nice le 14 juillet 2016. Ce n’est pas un SUV qui a tué Paul Varry. Ni une idéologie. C’est un homme. Cependant, je ne crois pas non plus que ce soit complètement un fait divers. Cela nous dit quelque chose sur notre société, et raconte une autre histoire que celle des gentils vélos contre les méchantes autos.

Cohabitation des « mobilités »

L’intolérance à la frustration semble manifeste dans cette affaire. Tout m’est dû, l’autre n’existe pas. Cela n’est pas propre à la voiture. Je frappe mon prof, j’insulte la police. Certes, ce phénomène est aggravé par le fait que chez certains, la voiture est un prolongement érotique. Si ça se trouve, le vélo aussi… La violence existe chez l’homme, même en vélo. La question qui se pose est celle de la répression des instincts, c’est-à-dire celle de la civilisation qui ne se porte pas très bien.

La cohabitation des «mobilités» (comme on dit dans la novlangue parisienne) est de plus en plus tendue. Parlez à un taxi ou à cycliste: vous entendrez des récits irréconciliables. La terreur des taxis ou des chauffeurs de bus, c’est de renverser un cycliste. Les vélos ne respectent pas les règles du Code de la route même si, à Paris, ça s’améliore un peu. Ce n’est pas leur faute. Le problème n’est pas qu’on demande aux automobilistes de partager la ville avec les vélos, mais qu’on a expliqué aux cyclistes qu’ils étaient moralement supérieurs. Et ces nigauds ont fini par le croire.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/19/sortir-du-deni-de-la-violence-routiere_6355650_3232.html

Du côté des toubabs

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Deux personnes prennent la pose entre deux feux à Bordeaux, émeutes après la mort de Nahel, 29 juin 2023 © Stephane Duprat/SIPA

Notre chroniqueur parle décidément une étrange langue — à moins qu’elle ne soit la langue de ces banlieues qu’il aime dénigrer, pour y avoir enseigné si longtemps — un sentiment que bien sûr personne ne partage à Causeur.


Loin de se limiter à la propagation du mysticisme païen et à la diffusion des éditoriaux de notre ami Alain de Benoist, la revue Eléments publie des enquêtes de fond. Par exemple ce mois-ci sur « le racisme antiblanc à l’école », « vérité interdite », s’il faut en croire François Bousquet qui a fouillé au corps ce non-dit de l’antiracisme.

« C’est un racisme qui n’existe pas, une légende urbaine colportée par l’extrême-droite et les suprémacistes blancs » — et pourtant, « s’il y a aujourd’hui un racisme aussi systémique que systématiquement nié, c’est celui-là ».

Tout part de la définition courante de la « race ». Voir l’usage extensif de la notion de « racisé », telle qu’on la trouve dans les organisations qui font de l’antiracisme leur fonds de commerce. Le racisé est celui qui porte sur sa peau la preuve d’une autre origine que la blanchitude — qui n’est pas une race, elle, plutôt le degré zéro à partir duquel les vrais êtres humains se catégorisent. Bronzé, très bronzé, noir. On croirait une réclame pour crème solaire.

Apartheid 2.0

De fait, nos croisés de l’antiracisme ont repris les critères de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, qui définissait une catégorie supérieure — les Blancs —, une catégorie intermédiaire, les métis, et un conglomérat de races noires inférieures, mêlant indistinctement des ethnies qui se détestaient franchement, et non admises à voter ni, a fortiori, à avoir des représentants au Parlement. On prend les mêmes, et on inverse : le Blanc est désormais tout en bas de l’échelle. L’antiracisme est parfois devenu un racisme à l’envers.

Nous retrouvons là la caractéristique centrale de notre monde orwellien, tel que j’ai eu maintes occasions de le décrire. L’ignorance, c’est la force, les professeurs non régénérés par le pédagogisme font encore l’apologie des « white dead males », comme on dit chez nos maîtres anglo-saxons, et seuls les hommes blancs doivent aspirer à se déconstruire, étant entendu que par destination sociale ils sont appelés à violer les femmes et à agresser les vieilles, ce qui n’arrive jamais aux racisés de toutes les couleurs.

Toutes ? N’exagérons pas. Les Asiatiques penchent du côté des Blancs, c’est bien connu, d’ailleurs eux aussi cultivent l’excellence scolaire, un piège blanc auquel nos racisés de frais ne se laissent pas prendre, ou rarement. Tout comme les Arabes, Palestiniens, Algériens ou autres, refusent de se laisser séduire par les sirènes du comité Nobel, une institution manifestement enjuivée puisqu’elle couronne un nombre infini d’enfants d’Abraham, en ignorant délibérément les enfants d’Ibrahim.

(« Mais ce sont les mêmes ! Tous sémites ! » « Eh bien, c’est la preuve qu’on ne naît pas crétin : on le devient ! » — comme aurait dit Simone de Beauvoir, féministe suspecte qui fréquentait des intellectuels blancs).

Syndrome de Stockholm

Le long article, très fouillé, de François Bousquet analyse en profondeur la façon dont, dans des écoles, collèges ou lycées où ils sont minoritaires, les jeunes Blancs sont sommés par leurs condisciples « racisés » de s’humilier, sous peine de passer pour racistes et islamophobes. De faire le ramadan même s’ils sont chrétiens. D’agiter des drapeaux palestiniens même s’ils sont juifs. De s’habiller comme la racaille dominante, dans un processus que Bousquet assimile avec justesse à un véritable syndrome de Stockholm.

Ce sont les mêmes que vous trouvez à Sciences-Po, stigmatisant les étudiants juifs et soupçonnant de sionisme rampant tous ceux qui qualifient les événements du 7 octobre 2023 de génocide, LFI de rassemblement pro-islamiste, et la mort des leaders meurtriers du Hamas — sur lui reconnaissance et bénédiction — de grande nouvelle, de nature à bien commencer l’année juive qui justement débute…

(Au passage, je suggère à Jean-Luc Mélenchon et à ses sbires de prendre un abonnement chez Interflora : au rythme auquel leurs amis se font éparpiller façon puzzle à Gaza ou au sud Liban, il sera plus économique de mensualiser ses envois de couronnes mortuaires).

Le Blanc est celui qui s’habille différemment, qui a de bons résultats scolaires (avez-vous réfléchi à ce que signifiait l’usage péjoratif en classe du mot « intellectuel ?), qui ne prie pas le même dieu. La Blanche est cette chair offerte aux frustrations des racisés auxquels on interdit de toucher leurs coreligionnaires hors mariage — allez voir sur le site porno blacksonblondes la façon dont ces charmants garçons traitent les jeunes « Gauloises ». Elle a d’ailleurs peu à peu intégré l’idée qu’elle doit s’offrir pour racheter les fautes de ses ancêtres esclavagistes — étant entendu que jamais Arabes ni Africains n’ont mis qui que ce soit en esclavage : ils ne risquent pas de le savoir, les enseignants hésitant fort à exposer des faits, et préférant propager des légendes.

Le comble, c’est que l’adolescent blanc est dominé dans les faits, quand il n’est pas tout simplement éliminé, alors qu’il est traité comme dominant dans les représentations médiatiques, souligne justement Bousquet. Inversion orwellienne, vous dis-je. Si je n’avais pas renoncé à écrire des essais, cela ferait un vrai sujet de livre : le monde occidental fonctionne désormais sur une boussole qui indique le sud.

À noter que les bobos — enseignants ou journalistes au premier chef — plaident pour une vraie mixité sociale à l’école, mais se gardent bien d’inscrire leurs enfants dans les établissements ghettoïsés et racisés auxquels la carte scolaire semblait les condamner. « Tu comprends, moi, c’est pas pareil », clament-ils. Libé en avait fait jadis le constat affligé. Le « Fais ce que je te dis » n’est pas à usage interne. Comme dit Bousquet, « le choix de l’établissement scolaire est un révélateur chimique des stratégies sociales. »

Il faudrait avoir le courage — mais j’ai expliqué dans mon dernier livre, l’Ecole sous emprise, que c’est ce qui manque le plus, avec la connaissance, aux enseignants d’aujourd’hui — de dire la vérité, sur l’esclavage, sur le racisme, sur Israël, et sur les manipulations auxquelles se livre la confrérie des Frères musulmans (à propos, où en est l’enquête diligentée par Darmanin pour établir la dangerosité de ces fondamentalistes exclus de la plupart des pays… musulmans ?). Mais cela suppose de sortir par le haut de ce monde orwellien, au lieu de s’humilier à baiser les pieds des racailles.

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Destroyer 666, le groupe de la discorde

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Le groupe australien de metal Destroyer 666. DR.

À La Mézière (35), le festival de métal Samaïn Fest annule la venue du groupe Deströyer 666


Le 12ème festival de musique « Samain Fest » se déroulera du 24 au 26 octobre dans le nord de Rennes devant cinq cent passionnés de rock et de musique métal. Ce festival soutient un réseau d’écoles privées bretonnantes, qui scolarise 4 000 élèves de Rennes à Quimper. Une langue bretonne défendue pendant le festival lui-même, puisque des cours sont proposés dans la programmation. 

Porté par son succès, le festival réalise l’exploit d’inviter des groupes plutôt habitués à la démesure du gigantesque Hellfest voisin ; cet automne, il a dû toutefois faire face à la première grosse polémique de son existence. Neuf jours avant l’évènement, Mediapart a déploré la venue du groupe Destroyer 666, qualifié de « raciste et misogyne » par le média d’Edwy Plenel. Aussitôt, le festival a annoncé la déprogrammation du groupe australien, qui devait être la tête d’affiche du 26 octobre. Destroyer 666 est un groupe de black-metal, un style où la violence, le satanisme et le paganisme cohabitent allègrement. Si l’œuvre du groupe (auteur de sept albums depuis 1997) se montre typique du folklore black-metal sans écueil notoire – ce qui lui permet de jouir d’une certaine notoriété – son chanteur (parfois bien chauffé par les molécules éthyliques dégustées en tournée) a montré à maintes reprises un comportement outrancier à l’encontre de l’extrême-gauche, de l’islam ou encore du mouvement #MeToo. À travers les propos de celui-ci, se pose ici la question de la distinction entre une œuvre et la personnalité de son artiste. L’émotion suscitée par la programmation de Destroyer 666 n’est-elle pas hypocrite, quelques semaines après l’omniprésence sur les écrans de Snoop Dogg, adepte de white face et de fumette, lors des derniers Jeux Olympiques ?

Une question qui divise la communauté métal : les uns accusent Mediapart de mener une chasse aux sorcières ; d’autres souhaitent carrément boycotter le festival, l’accusant de céder aux pressions de l’extrême-gauche et d’autres encore – plus inhabituel dans l’univers de la musique métal – ont applaudi cette déprogrammation. Cette ambiance délétère a poussé le festival à créer en toute urgence un stand de prévention où la dénonciation de tout comportement déplacé sera encouragée. Une polémique qui pourrait menacer l’avenir du festival, pour le plus grand malheur des écoles bretonnes.

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La fille de son père

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Isabelle Pandazopoulos © @arthurlacomblez

Isabelle Pandazopoulos signe un premier roman mettant en scène une psychanalyste méconnue: Anna Freud.


Le célèbre psychanalyste Sigmund Freud eut, avec sa femme Martha, six enfants. Anna fut la petite dernière. Celle qui donna le plus de fil à retordre à son père. Celle, aussi, avec laquelle il noua une relation éminemment complexe. C’est à elle, vilain petit canard de la portée, que l’écrivaine Isabelle Pandazopoulos consacre son premier roman. Un personnage fascinant qui aurait pu faire sienne la phrase de Marie Darrieussecq : « Les femmes n’ont pas de nom. Elles ont un prénom. (…) Elles s’inventent dans un monde d’hommes, par effraction. »

Le principe du cordonnier mal chaussé

Pour Anna tout fut difficile et ce dès la naissance. Enfant non désirée, elle sera mal aimée par sa mère. Son enfance sera jalonnée de différents maux psychosomatiques, dont la dépression et l’anorexie. Elle nourrira une jalousie morbide pour ses frères et sœurs, n’ayant qu’un seul rêve : être la préférée de son père. Durant trois années, Freud la prendra en analyse, à raison de trois séances par semaine. Même si analyser ses proches était déjà largement déconseillé, nombreux furent ceux, à l’époque, qui passèrent outre cette recommandation. Anna, contrairement aux femmes de sa famille, émit très tôt le souhait de travailler mais ses parents s’y opposèrent. Opiniâtre, elle parviendra pourtant à ses fins et deviendra institutrice. Métier auquel elle finira par renoncer du fait de sa santé fragile. Le roman s’ouvre en 1946. Anna est entre la vie et la mort. Pour prendre soin d’elle sa mère a fait appel à une garde malade à laquelle Anna va conter l’histoire de sa vie. Les chapitres alternent harmonieusement entre passé et présent. 1946 à Londres, où la famille Freud est venue se réfugier à la veille de la guerre. 1920, à Vienne, où Anna fit ses premiers pas en tant que psychanalyste pour enfants. C’est la formidable ascension de cette jeune femme fragile que retrace l’écrivaine avec une empathie communicative.

Émancipation impossible

Tout au long de son parcours Anna sera soutenue par l’écrivaine Lou Andréas Salomé et, malgré leur différence d’âge, les deux femmes resteront soudées à vie. Le chemin d’Anna Freud croisera aussi celui de l’Américaine Dorothy Burlingham. L’attirance entre les deux femmes est immédiate. Mais le terme d’homosexualité jamais prononcé. Celle-ci était alors considérée comme une déviance et empêchait d’exercer en tant que psychanalyste. Anna Freud avait donc toutes les raisons d’être discrète. « Ne jamais rien en dire. A personne. Jamais. A personne. A lui non plus. Elle s’en ferait une règle absolue ». On peut cependant arguer qu’il ne fut pas dupe. Au fil des pages, Isabelle Pandazopoulos explore avec infiniment de subtilité la relation d’Anna et Sigmund Freud. Une relation ô combien ambiguë. Sa vie durant Anna cherchera à s’émanciper de la figure du père et y restera pourtant maladivement attachée. Après sa mort en 1939, elle écrira « je l’emporterai avec moi. C’est avec lui que je veux être enterrée. C’est ça que je veux, m’enrouler dans son odeur et disparaître, comme sa bien-aimée, sa seule aimée, son unique enfant ». Avec Les Sept maisons d’Anna, Isabelle Pandazopoulos signe une remarquable biographie romancée qui a le mérite de mettre en lumière une fille, mais aussi son célèbre père au soir de sa vie. Passionnant.

368 pages.

Les Sept maisons d'Anna Freud

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Le premier Labro est enfin arrivé!

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Jean-Claude Bouillon dans "Tout peut arriver" (1969) de Philippe Labro © Editions Montparnasse

Les éditions Montparnasse éditent « Tout peut arriver » dans une version haute définition, le premier film du parolier, écrivain, journaliste et homme des médias, dernier représentant de la grande presse.


Tout peut arriver ! Mais il aura fallu être sacrément patient durant ces longues années, plus d’un demi-siècle. Nous sommes enfin récompensés. Car il nous tardait de voir dans son intégralité et avec une bonne qualité d’image, ce témoignage visuel et sonore d’après mai 1968, ses tâtonnements esthétiques et sa féroce fraîcheur, le phénomène Luchini dans sa juvénile exubérance et un Paris déjà en voie de transformation architecturale.

Claude Mauriac n’a-t-il pas écrit dans le Figaro Littéraire à propos de cette constellation d’images : « c’est sublime mais du plus familier et du plus quotidien. Ce que dans ces belles et sobres images l’éphémère implique d’éternité ». Je ne suis pas très objectif, je tiens à l’avouer tout de suite, j’aime le cinéma de Philippe Labro, son manichéisme classieux et son romantisme arriviste, son goût appuyé pour les puissants et les femmes au regard absent, sa vénération pour l’actualité à chaud et son américanisme de campus à la sauce preppy. Je n’ai pas peur de le dire, j’aime L’Héritier, L’Alpagueur ou encore Rive droite, rive gauche. Il est l’un des rares cinéastes à avoir su filmer la froideur des hôtels particuliers, les diplomates levantins à Rolls-Royce et à mocassins à pampilles et les call-girls faussement affranchies, tout un fumet vaporeux délicieux. J’aime ce folklore-là. Nous étions nombreux à attendre dans une version restaurée en HD la ressortie de son premier film. Il était bien passé, un jour, à la télévision sur une chaîne de la TNT. Puis, plus aucune trace. Quelques captures d’écran circulaient sur le net mais à mesure qu’on allait l’oublier, les cinéphiles de la bande du Drugstore en firent un objet d’adoration. Le culte naît de la contingence. Parce qu’on peut tout reprocher à Labro sauf son sens de l’observation, son œil capture tout.

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Quand Labro film l’année 1969, il encapsule l’air de son époque comme nul autre réalisateur. Tout est authentique et certifié, les bagnoles, les costumes, les coupes de cheveux, les menus des restaurants, les comptoirs de banque et les addictions. Ce long (court) métrage de 1 h 19 mn, encore assez artisanal dans la forme n’en possède pas moins la grâce des jouets patinés. Malgré quelques imperfections techniques mineures, on suit avec plaisir la déambulation de Philippe Marlot (Jean-Claude Bouillon), grand reporter et double de fiction de Labro dans une France qu’il ne reconnaît plus. Il arrive des États-Unis, il a couvert des conflits sanglants. Instable et tempétueux, cherchant maladroitement son chemin dans l’existence, Marlot est imprégné de toute une mythologie du journaliste à succès. Sombre et bagarreur. Jouisseur et mélancolique. Il est une caricature de détective privé, il est imbibé de cinéma US, il porte des santiags et le trench-coat clair, il séduit ses rédacteurs en chef et les étudiantes étrangères de l’université de Dijon. Il est le représentant d’un monde en décomposition. Il est naïf et poseur, et cependant on ne peut pas lui reprocher d’être insincère avec les autres.

Éditions Montparnasse

Sous le prétexte de rechercher Laura, son épouse disparue, il voyage en auto-stop et rumine des thèmes chers à Labro que sont les icônes des yéyés en phase terminale de vedettariat, les parties fines dans les légations des beaux quartiers, la drogue qui s’empare de la jeunesse, les idéologies boursouflées, le souvenir de la guerre d’Algérie, l’apparition d’un héros pré-houellebecquien, le cadre en rupture familiale et pris par le dégoût de son existence vaine, un dandysme du samedi soir, des boîtes de nuit à la Régine et les petits matins patibulaires. Sur une partition musicale signée Eddy Vartan, « Tout peut arriver » a le charme des premières fois, il sonne juste même dans son égocentrisme fleur bleue. Labro dit dans le très instructif bonus qui dure 35 minutes que le casting est primordial dans la réussite d’un film. Et Labro sait choisir ses acteurs, même pour une apparition fugace, le name-dropping et l’entre-soi ne lui font pas peur. On croise Chantal Goya dans une aérogare, Catherine Deneuve au chignon structuré et à la merveilleuse diction fracassante, l’excellent André Falcon, la jeune débutante Catherine Allégret, l’oublié Jacques Lanzmann, la sublissime Prudence Harrington et puis Fabrice, l’apprenti-coiffeur kierkegaardien en blazer et Solex. De toute façon, un film où les hommes ont le souci de cirer leurs semelles en cuir comme Vittorio de Sica demeure un film de référence.

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Le dernier roi des Halles

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Vincent Limouzin, patron du Bistrot des Halles © Hannah Assouline

À la tête du Bistrot des Halles, Vincent Limouzin entretient la tradition bistrotière qui a fait la réputation du ventre de Paris. Dans un décor inchangé depuis les années 1950, il sert une cuisine canaille savoureuse et les vins de vignerons qu’il connaît. Ses clients deviennent vite des habitués et, surtout, des amis.


Le Bistrot des Halles, quand on le connaît et qu’on l’aime, c’est comme une deuxième maison. On y retrouve souvent les mêmes têtes. Et avec le personnel, on finit par avoir l’impression d’être en famille. Quand on y est, on n’a plus vraiment envie d’en sortir. On a toujours envie d’un dernier verre, d’un dernier rire. C’est un bistrot comme on en trouve de moins en moins, surtout à Paris !

Tout cela tient à son patron, Vincent Limouzin. Un sacré gaillard. Un gars à l’ancienne. Rien qu’à voir le colosse, on comprend vite que l’établissement n’est pas végan. Ici, à peine avez-vous commandé un verre, même au comptoir, qu’on vous apporte une petite assiette d’une délicieuse saucisse sèche finement tranchée sans vous demander votre avis. Le comptoir… il est beau ici, il brille ! On adore s’y attarder. On y entend souvent parler de rugby ou de chasse, les deux passions du patron. Les casse-croûtes qu’on y sert à midi font l’âme de l’endroit. Casse-croûte oui, le mot « sandwich » est banni de la maison. La charcuterie et les fromages au lait cru (servis à température !) glissés dans une baguette croustillante constituent un morceau de haute volée. À table défilent les classiques de la cuisine canaille : œufs mayo, escargots, céleri rémoulade aux écrevisses, harengs pomme à l’huile, andouillette et filet de rumsteck-frites… Il n’est pas rare non plus de tomber sur de savoureux ris d’agneau à la grenobloise ou sur une belle tête de veau. Une cuisine sans chichis, généreuse, parfaitement réalisée et soigneusement présentée. Pas de doutes, nous sommes aux Halles ! Ou plutôt dans l’un de ses vestiges dont Vincent est le gardien, le sauveur. Son bistrot – resté dans son jus des années cinquante avec ardoises, néons, nappes et serviettes à carreaux – est un petit îlot de résistance au cœur de ce quartier dont l’âme a disparu. On y rit, on y mange, on y boit parfois à grosse lampée, c’est une douce fête. Même au déjeuner, la clientèle (toujours plutôt bien habillée) n’hésite pas à festoyer au champagne avant de retourner bosser. La vie quoi ! « Le champagne, c’est un peu moi qui l’ai imposé ici. Comme j’en bois souvent, les clients et les amis me suivent ! » explique le patron. D’ailleurs, on y croise souvent Arnaud Jacquinet, grand personnage de la maison Moët et Chandon. Vincent est un bon vivant et sa gourmandise, sa générosité soufflent dans ce bel établissement. « Je suis Vendéen. Fils de charcutier. Depuis petit, j’ai toujours aimé le commerce. Le fait que le client se régale, qu’il passe un bon moment, c’est un plaisir que je partage avec lui. » La restauration, c’est sa vie. D’abord chef de partie, puis sous-chef de cuisine dans plusieurs établissements renommés, il devient finalement chef de cuisine à la Maison de l’Amérique latine, où il officie pendant quatre ans. Mais son truc, c’est le bistrot. Après plusieurs affaires prises en gérance, il se tourne il y a neuf ans vers un petit troquet de l’ancien ventre de Paris : Le Bistrot des Halles. Et c’est là qu’il donne toute sa dimension. « Ici j’ai trouvé ce qui me ressemblait. Un petit bistrot familial dans lequel je pouvais faire vivre ma vision de la restauration : les bons produits, la simplicité, le réconfort, le partage, la joie, les rires. » Et c’est un pari réussi ! C’est un refuge. Le clafoutis qui, toujours, repose derrière le comptoir nous rassure. Tout comme la savoureuse terrine maison, dont le père de Vincent n’aurait pas été peu fier. Et puis la gentillesse du personnel ! Leurs sourires ! Leur diplomatie, leur sérieux et leur efficacité sont dignes des grandes tables parisiennes. La clientèle forme elle aussi une joyeuse troupe. Ici, on retrouve le monde du vin, du rugby, de la chasse, des courses hippiques et de Rungis. Hommes d’affaires et avocats côtoient ouvriers et gourmets. Le matin, dès l’ouverture à sept heures, les éboueurs sont là pour le petit déjeuner. Quelle que soit l’heure à laquelle on passe, on ressort avec un peu plus de joie au cœur. Le Bistrot affiche souvent complet mais le patron essaie toujours de vous trouver une petite table. « Ça peut paraître naïf, mais j’aime les gens. Avec mon équipe, on donne tout pour que le passage au Bistrot soit pour chacun une parenthèse dans leur journée. Un petit moment de bonheur. »

Fondant de boeuf braisé aux carottes

Il serait malhonnête de dire que le vin ne participe pas de ce bonheur. Vincent Limouzin travaille majoritairement en direct avec les vignerons. La bouteille emblématique de la maison est le Saint-Amour de chez Bataillard. Et le Chitry rouge du domaine Colbois n’est pas mal non plus… En 2019, le Bistrot reçoit le prix de la Bouteille d’or décerné par l’association Tradition du vin. « J’ai la chance d’avoir une clientèle de bons vivants. Ici, on voit assez peu d’eau sur les tables. Mes clients sont un peu à mon image. Et d’ailleurs, ils participent de l’âme de ce bistrot. » Vous l’aurez compris, Le Bistrot des Halles et son patron, ogre au grand cœur, sont indissociables. On vient autant pour l’un que pour l’autre. Et c’est pour ça que ça fonctionne ! « Pour que ça tourne, il faut que le taulier soit toujours présent. C’est ce qui fait ma force ici. Et ça, c’est de plus en plus rare. Enfant, j’ai vu mon père vivre pour les clients, uniquement pour eux. Eh bien je crois pouvoir dire qu’aujourd’hui, dans mon domaine à moi, je fais perdurer l’esprit de mon père. » Pour ma part, quand je franchis la porte de cette maison, je pense à cette phrase que prononce une amie à chaque moment de joie intense : « La vie, ça devrait toujours être comme ça ! »

Le Bistrot des Halles

15, rue des Halles
75001 Paris
Tél. : 01 42 36 91 69

Les cartons de Robbe-Grillet

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Emmanuelle Lambert © Dorian Prost

Dans son nouveau roman, Emmanuelle Lambert dissèque habilement la personnalité de l’écrivain Alain Robbe-Grillet.


On pourrait croire que le titre retenu pour cet article est celui d’un roman d’Alain Robbe-Grillet ; comme en écho au titre Les Gommes, son premier succès qui révolutionne la littérature en 1953 car, dit-il, on ne peut plus écrire de la même façon depuis la découverte des camps d’extermination nazis.

Mais il faut que je parle d’elle, de cette jeune femme de 20 ans, provinciale un peu naïve, qui cherche un job alimentaire tout en poursuivant ses études. Elle est recrutée par l’Institut, à Paris, qui accueille les archives des grands écrivains. Il s’agit de l’Imec – Institut Mémoires de l’édition contemporaine – qui, plus tard, s’installera dans l’abbaye d’Ardenne en Normandie. Elle côtoie trois personnes : Joseph, le Chef, l’Adjointe ; microcosme pas franchement sympathique. Elle, c’est Emmanuelle Lambert, auteure de Aucun respect, roman original, nerveux, un brin ironique. C’est autobiographique, donc. Mais c’est aussi une biographie subjective et fragmentée du « pape du Nouveau Roman », Alain Robbe-Grillet (1922-2008). Un jour, elle le voit débouler à l’Institut. Presque 80 ans, regard malicieux, barbe shakespearienne, voix grave avec un zest de préciosité. C’est le début d’une relation complexe dont Emmanuelle Lambert avait déjà rendu-compte dans Mon grand écrivain (2009), publié par Benoît Peeters, lui-même auteur d’une remarquable biographie de Robbe-Grillet (Flammarion, 2022*), qui apparait sous les traits d’un certain Éloi dans Aucun respect. La jeune femme, qui connaît mal l’œuvre de l’écrivain, est chargée de classer ses archives léguées à l’Imec. Cela représente des dizaines de cartons. Robbe-Grillet, en effet, conservait tout, notamment les articles de presse depuis ses débuts tonitruants au début des années 1950. C’est ce que l’auteure appelle un « accumulateur ». Extrait : « Les femmes de sa famille étaient des expertes en accumulation. En apparence bien plus raisonnable, ordonné, scientifique, dur à la réflexion et au travail, Robbe-Grillet l’était aussi. Peut-être en souvenir de ses parents, père revenu demi-fou de la guerre de 14-18, mère fantasque, intelligente ; et surtout du petit garçon bizarre qu’il avait été et qui, souvent, voyait son double. » Nous entrons de plain-pied dans l’univers fantasmagorique de l’écrivain, de celui dont on a dit qu’il aurait dû être à l’asile, pas dans les librairies. C’est que l’homme, ingénieur de formation, adorant les arbres et collectionnant les cactées, avait de puissants fantasmes qu’il n’hésitait pas à coucher sur le papier ou à mettre en scène dans des films érotiques expérimentaux. Robbe-Grillet n’a pas seulement explosé la narration, en réponse à l’absurdité du monde, il a aussi dynamité la morale. Ce qui l’a rendu célèbre dans le monde entier, en particulier aux États-Unis où bon nombre d’étudiants ont appris le français en lisant La Jalousie (1957), le chef-d’œuvre de Robbe-Grillet, selon Emmanuelle Lambert.

A lire aussi: Le juste prix du vin

La personnalité de l’écrivain est habilement disséquée. Extrait : « À force de lecture, elle avait commencé à comprendre une chose : quel que soit son interlocuteur, Robbe-Grillet, dans ses entretiens, mettait en place le même dispositif. On lui posait une question, il y répondait avec beaucoup de soin. Tellement de soin qu’il finissait par répondre à tout autre chose. À une question intérieure. » Tout l’enjeu est là. Intelligent, habile, ayant beaucoup d’humour, parfois féroce, Robbe-Grillet brouille les pistes, c’est jouissif. Enfin quelqu’un qui pourfend l’esprit de sérieux ! Invitée dans son château du Mesnil-au-Grain, près de Caen, elle fait la connaissance de Catherine Robbe-Grillet, la femme de l’écrivain, experte en soirées sado-maso, qu’elle nomme « cérémonies », évoquées dans l’un de ses livres, Cérémonies de femmes, publié pour la première fois chez Grasset, en 1985, sous le pseudonyme de Jeanne de Berg. La jeune femme est troublée par le charisme de celle qui ne fut jamais pénétrée par son mari. À propos de la spécialiste de la jouissance dans les supplices, Emmanuelle Lambert note : « Madame Robbe-Grillet, elle, aurait pu être le résultat d’une expérience scientifique visant à réduire un organisme à son expression la plus concentrée, par le tressage de la pulsation vitale des êtres de chair avec la condensation extrême des minéraux. »

Emmanuelle Lambert doit également préparer une exposition sur Robbe-Grillet. L’écrivain n’est pas vraiment séduit par le projet, il préfère garder son énergie pour terminer un livre, pas nommé. Les connaisseurs reconnaîtront La Reprise, son dernier roman. Mais cela permet d’approfondir la relation nouée entre la jeune femme et Robbe-Grillet, et de mettre davantage en lumière la psyché d’un homme fort secret. Il est tantôt aimable, tantôt grincheux, toujours caustique. C’est jubilatoire, même si les longs passages sur la vie privée d’Emmanuelle Lambert ne manquent pas non plus d’intérêt. On est intrigué par Axel, son petit ami dont la peau a « l’odeur de sucre roux ».

L’auteur du Voyeur, vertigineux roman, qui a toujours aimé le scandale – il a été élu à l’Académie française mais a refusé d’y siéger – commet un ultime ouvrage peu recommandable, un « conte pour adultes », dont il aurait pu faire l’économie – publié chez Fayard et non aux Éditions de Minuit, son éditeur historique. Les critiques l’assassinent. L’un deux, transformé en Fouquier-Tinville germanopratin, lui lance : « C’est pas une bonne action, votre livre ». Rire de l’écrivain qui le traite de con. Décrire ses fantasmes, ce n’est pas les réaliser. Ou alors il faut interdire le théâtre antique grec, et rayer le mot catharsis du vocabulaire. Robbe-Grillet réaffirme que la littérature doit ignorer la morale. Elle est du côté du mal, pour paraphraser Georges Bataille. Mais nous sommes au début de l’ère #MeToo… Emmanuelle Lambert rappelle que les femmes désormais « l’ouvrent » et n’acceptent plus d’être objectivées. Robbe-Grillet, guère lu aujourd’hui, comme tant d’autres, risque donc d’être passé au tamis du wokisme. En attendant, lisons, relisons, l’œuvre de cet écrivain majeur qui a su donner à l’acte créateur l’indispensable et trop rare originalité sismique. Le livre de cette jeune fille « très normale », d’après Catherine Robbe-Grillet, devenue romancière, nous y invite.

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* Lire à ce propos, l’article de Pascal Louvrier, Robbe-Grillet portrait du joueur, mis en ligne sur le site de Causeur, 22 octobre 2022.

Staraselski, un réac de gauche ?

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Valère Staraselski. DR.

Le romancier et essayiste Valère Staraselski publie un recueil de chroniques qui défend une pensée de gauche non inféodée à LFI. Cette vision, honnête et intelligente, lui a fait perdre quelques camarades…


Il n’est pas courant que l’on puisse lire une prose de gauche qui possède les mêmes repères intellectuels – voire les mêmes fondements civilisationnels – que la majorité des habitants de France. Non infecté par le wokisme ambiant, l’écrivain Valère Staraselski, communiste de longue date, parle le langage de tout le monde. Il se situe dans la lignée idéologique d’un Pasolini qui rappelait que « le fascisme peut revenir sur la scène à condition qu’il s’appelle anti-fascisme » (Lettres luthériennes, 1976).
Ce romancier vient de publier un choix de chroniques qui tranchent avec « la dangereuse logorrhée délirante des intellectuels aux petits pieds et aux grandes gueules de la gauche mélenchoniste », écrit-il.
S’il n’y est nulle part question du chef de LFI, c’est que précisément l’auteur entend indiquer qu’existe une politique, mieux, une pensée de gauche non inféodée aux choix politiques de Mélenchon et de ses affidés. De l’antisémitisme de gauche en passant par la reconnaissance du sentiment national comme du christianisme jusqu’au communisme revu par l’Italien Losurdo, Staraselski argumente ; c’est honnête et ça tient la route.
Ne cherchez pas dans L’Humanité une quelconque recension ou critique de son livre. Cet écrivain est désormais banni après qu’un article du Figaro l’a présenté comme un intellectuel « proche du secrétaire national du PCF » et « féru d’une histoire de France qui ne commence pas à la Révolution ». Impardonnable, n’est-ce pas ? Que disait Pasolini déjà…

Loin, très loin de Jean-Luc Mélenchon. Du pape François à Domenico Losurdo, penseur du communisme, Valère Staraselski, préface d’Arlette Vidal-Naquet, L’Harmattan, 2024. 158 pages.