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Ultraorthodoxes en Israël – du noir au kaki?

A Jérusalem, le 25 juin, la Cour suprême a levé l’exemption de service militaire pour les étudiants ultra-orthodoxes. Une décision qui ne fait pas les affaires de la coalition du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Mais, alors qu’Israël est de nouveau en guerre depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, le pays ne peut plus fermer les yeux sur cette exemption, véritable serpent de mer de la vie politique israélienne, qui pose en creux la question suivante: qu’est qu’un «Etat juif»?


Le 25 juin, la Cour suprême israélienne a rendu une décision qui pourrait mener à la conscription des étudiants des écoles talmudiques. Jusqu’à présent, ces jeunes hommes ultraorthodoxes étaient exemptés du service militaire obligatoire s’ils se consacraient à l’étude des textes sacrés du judaïsme. Cependant, les juges ont estimé que le nombre croissant de ces exemptions constitue une rupture du principe d’égalité, et qu’une telle dérogation ne peut être légitimée que par une loi votée par le Parlement. « L’exécutif n’a pas l’autorité pour ordonner de ne pas appliquer la loi sur le service militaire aux étudiants de yeshiva [école talmudique] en l’absence d’un cadre légal adéquat », a déclaré la Cour. « Sans ancrer cette exemption dans un cadre légal, l’État doit agir pour imposer la loi. »

Jusqu’à présent, ces exemptions étaient accordées par l’armée (en tant que représentante de l’État concernant la conscription) dans le cadre d’un arrangement basé sur un accord de 1947 entre David Ben Gourion et les leaders des communautés ultraorthodoxes. Connu sous le nom de « la lettre du statu quo », cet accord visait à obtenir le soutien des ultraorthodoxes pour la création d’un État-nation juif en Palestine, devant la commission de l’ONU. Pour montrer à la communauté internationale une position unie des Juifs de Palestine sous mandat britannique, Ben Gourion et la majorité sioniste laïque ont pris des engagements significatifs envers ce groupe minoritaire mais symboliquement important : les ultraorthodoxes, Juifs des villes, bourgs et villages du Yiddishland, l’espace entre la mer Baltique et la mer Noire, étaient les parents, oncles et frères de Ben Gourion et de ses camarades, qui avaient souvent eux-mêmes fréquenté les mondes des Yeshiva et des Cheder (petites écoles juives où l’on apprend l’hébreu en lisant la Bible).

Des communautés en marge, qui manipulent le reste de la société israélienne

Cette génération de leaders et d’intellectuels sionistes, née dans le dernier tiers du XIXe siècle, a vécu les conséquences de l’émancipation des Juifs, un processus qui s’est déroulé à l’est et au centre de l’Europe plusieurs décennies après celui des Juifs en France. Les ultraorthodoxes, comme les sionistes, représentent deux réactions parmi d’autres à cette soudaine ouverture et aux nouvelles opportunités – notamment la possibilité d’intégrer lycées et universités – qu’elle a permises. Les ultraorthodoxes ont développé un système fondé sur deux piliers : le quasi-rejet de tout ce qui est nouveau et la création de « lycées » et « universités » juifs, les Yeshiva. Ces deux éléments ont doté ces nouveaux courants du judaïsme d’une structure solide, notamment un uniforme inspiré de la mode de l’époque (symbole du rejet du neuf) et des institutions qui occupent et disciplinent la jeunesse masculine.

En quelques décennies, l’ultraorthodoxie a forgé une identité commune malgré de multiples divisions idéologiques et personnelles. Dans une sorte de ruse de l’Histoire, les frères ennemis sionisme/ultraorthodoxie, qui se disputaient âprement la jeunesse juive du Yiddishland entre 1900 et 1940, ont fini par établir des relations symbiotiques au moment même où le sionisme semblait avoir remporté une victoire sans appel, sur le site de cette victoire : l’État d’Israël. Vivant en marge de la société israélienne, les communautés ultraorthodoxes ont appris à manipuler la cité israélienne et son système politique. Elles ont transformé leurs atouts – communautés organisées et disciplinées – en une force politique mobilisée pour obtenir un maximum d’aide matérielle en échange d’un minimum de participation.

La montée de l’État-providence israélien dans les années 1970 a accéléré leur dynamique démographique et l’arrivée de la droite au pouvoir en 1977 avec Menahem Begin a instauré une alliance politique solide. Les effets conjugués de ces deux phénomènes ont transformé un phénomène d’abord marginal puis supportable en un fardeau que les autres Israéliens peinent de plus en plus à porter.

Ainsi, cette décision de la Cour et la crise politique qu’elle a déclenchée – le gouvernement de Netanyahou dépendant du soutien des partis ultraorthodoxes, pour lesquels la fin de cette exception est un casus belli – sont les dernières expressions en date de la plus vieille et certainement la plus fondamentale question qui divise et secoue la société israélienne : qui est juif ? Qu’est-ce qu’un « État juif » ?

Désaccord fondamental

Le 20 octobre 1952, plus de cinq ans après avoir sollicité le soutien des ultraorthodoxes devant l’ONU, Ben Gourion, désormais Premier ministre d’Israël, cherchait à renouer le dialogue. Il était obligé de le faire : depuis presque un mois, son gouvernement n’avait plus la majorité à la Knesset, car les élus ultraorthodoxes ne le soutenaient plus à cause d’un projet de loi visant à élargir le service militaire obligatoire aux femmes, jusqu’alors sollicitées à se porter volontaires. Pour les ultraorthodoxes, c’était une rupture du statu quo selon lequel l’armée devait être une institution juive, c’est-à-dire un espace où la nourriture est kasher et où le repos sabbatique est strictement respecté. Par conséquent et par définition, cette institution ne pouvait être mixte. Ben Gourion s’est donc rendu chez Avraham Kerlitz, le leader de ces communautés, considéré comme le plus grand érudit talmudique de son temps, dont l’autorité découlait de son statut et non d’un poste électif. Ben Gourion voulait discuter avec lui d’une question très pragmatique : comment des Juifs religieux et non religieux pourraient-ils vivre ensemble dans le nouvel État d’Israël ? La réponse d’Avraham Kerlitz, en forme de parabole, est entrée dans la légende. Si un wagon chargé croise le chemin d’un wagon vide, c’est le wagon vide qui doit céder le passage. Le sens était clair : le wagon chargé, c’est le judaïsme talmudique représenté par Kerlitz. Le vide, c’est la nouvelle manière d’être juif par le sionisme, c’est-à-dire en tant qu’existence politique nationale, républicaine et laïque, incarnée par Ben Gourion.

Le désaccord est profond, car les uns – les ultraorthodoxes – n’ont pas besoin de l’État d’Israël, ni d’un État quelconque même dirigé par eux, pour exister. On peut être juif sur une île déserte en mer du Sud à condition de construire deux synagogues : une pour prier et étudier, l’autre pour ne plus jamais y mettre les pieds ! En revanche, un Israélien – peu importe où il habite – ne peut pas exister sans l’État d’Israël et il est peu probable qu’une communauté israélienne en dehors d’Israël puisse survivre autant de générations qu’une communauté juive.

Ce désaccord fondamental est la raison pour laquelle Israël ne s’est toujours pas doté d’une constitution écrite. Il existe un ensemble de lois, d’institutions et de précédents qui forment un édifice constitutionnel. Les libertés occidentales se heurtent à l’identité juive de l’État d’Israël tout comme elles se heurtent à tout contenu positif quel qu’il soit. Dans leur essence, les libertés dressent un cadre, souvent au niveau de l’individu, mais ne peuvent pas le remplir. Dans le cadre d’une république laïque à la française, il est quasiment impossible d’imposer un cadre identitaire. Or, Ben Gourion et les sionistes laïcs et libéraux étaient nourris des mêmes idées et valeurs que les républicains français tout en voulant construire un tel cadre identitaire.

Une situation plus tenable

Ben Gourion, ses contemporains, ses successeurs ainsi que les leaders de l’orthodoxie n’ont pas trouvé une solution à la question des deux wagons. En revanche, des arrangements pragmatiques et provisoires – comme l’exemption – ont été élaborés. En octobre 1948, en pleine guerre, Ben Gourion a accordé à titre exceptionnel une exemption à 400 étudiants de Yeshiva considérés comme la crème de la crème, avec comme argument principal une volonté de reconstruire les Yeshiva de l’Europe de l’Est dispersés et détruits par les Nazis. 76 ans plus tard, le nombre de bénéficiaires avoisine les 60 000. La goutte qui aurait fait déborder le vase est sans doute la guerre qui fait rage depuis le 7 octobre. Cette guerre est non seulement longue mais elle exige l’emploi prolongé des nombreuses unités de l’armée de terre. L’armée des conscrits n’est pas suffisante et le fardeau tombe sur les réservistes, ceux-là mêmes qui, en tant que civils, sont supposés faire tourner l’État et l’économie. La situation risque de s’aggraver si un deuxième front s’ouvre dans le nord.

Pour faire face à l’urgence, le service obligatoire a déjà été allongé de 30 à 36 mois et une proposition de loi prévoit de prolonger d’un an l’âge de l’obligation de service de réserve pour tout le monde.

Dans ces circonstances, l’alliance politique soutenant l’exemption des ultraorthodoxes commence à céder. Ainsi, il n’y a pas, pour l’instant, de majorité en faveur d’une loi qui doterait Israël d’un cadre légal permettant de concilier l’égalité devant l’obligation de servir sous les drapeaux et la spécificité de la communauté ultraorthodoxe. Dans le contexte politique actuel, la question du service militaire fragilise les trois piliers (ultraorthodoxes, religieux nationaux, Likoud) de la coalition de Netanyahou, une coalition fondée sur leur intérêt commun de retirer à la cour constitutionnelle le droit d’invalider des lois (la « réforme constitutionnelle » lancée en janvier 2023 et mise de côté depuis la guerre). Or, après huit mois de conflit, certains religieux nationaux et membres du Likoud ne veulent plus fermer les yeux sur l’exemption des ultraorthodoxes.

Ainsi, la crise constitutionnelle rejoint la crise sécuritaire, imposant à l’ordre du jour israélien cette double question des frontières : les frontières physiques de l’État juif vers l’extérieur, et la définition et donc les frontières de l’identité juive, à l’intérieur, deux interrogations profondes et plus que jamais liées au cœur même de la Cité israélienne.

Soldes: Y’a plus d’saisons!

Les soldes ont démarré mercredi, mais plus personne ne semble vraiment s’en préoccuper.


Dans le grand tumulte de l’actualité marquée par les élections législatives, le Tour de France, le parcours de la flamme olympique ou encore les préparatifs des JO, les soldes d’été 2024 ont démarré ce mercredi 26 juin, en toute discrétion. Aux journaux télévisés, quelques minutes leur sont tout de même consacrées avec, au programme, les sempiternelles plaintes de commerçants quant au manque de fréquentation des magasins et l’indifférence des passants pour cet événement. On en viendrait presque à plaindre le pauvre journaliste qui a dû faire preuve de persévérance avant de recueillir le témoignage d’un client, souriant, les bras chargés de sacs, se félicitant des bonnes affaires de sa journée. Le moral des Français n’étant pas au beau fixe, il convient de finir le reportage sur une note positive et de nuancer un constat pourtant flagrant : les soldes ne font plus rêver personne, ni les commerçants, ni les clients !

Un désintérêt croissant

D’après l’enquête 2024[1] de l’Observatoire du Commerce Indépendant, huit Français sur dix affirment pourtant avoir changé leur manière de consommer, du fait de l’inflation et de l’augmentation des prix.  Ils sont ainsi plus de 50% à  attendre les périodes de promotion pour faire leurs achats et 36% à rechercher essentiellement des prix bas. Ce serait donc naturel, dans un tel état d’esprit, que les Français plébiscitent de nouveau les périodes de soldes et que celles-ci retrouvent leur gloire d’antan, mais il n’en est rien. Pire, leur désintérêt, qui ne date pas d’hier, semble s’accentuer chaque année ou plutôt chaque saison.

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Car, ne l’oublions pas, les soldes sont intrinsèquement liés aux saisons. Il s’agit pour les enseignes et marques de brader la collection d’été à la fin de l’été et la collection d’hiver à la fin de l’hiver. La logique est simple et paraît pleine de bon sens mais, dans la pratique, tout a changé. Les enseignes de fast-fashion ont rebattu les cartes en proposant non pas deux collections par an mais deux par mois en moyenne. À peine arrivée en rayon, chaque collection est déjà démodée et bradée pour laisser la place à une nouvelle. Ne parlons même pas des géants de l’ultrafast-fashion qui proposent plusieurs milliers de nouvelles références chaque jour ! Ces entreprises se justifient et se défendent en arguant qu’elles ne font que répondre à la demande des consommateurs, de plus en plus avides de nouveautés. Ceux-là mêmes qui s’offusquent de voir des chocolats de Pâques dans les rayons dès le mois de février se font capricieux quand il s’agit d’exiger des soldes avant même le démarrage de la saison. Les marques tentent de suivre l’infernale cadence et s’engagent désormais à livrer aux boutiques des maillots de bain dès le mois de janvier et des manteaux en laine en plein mois de juin. En début d’année, les agriculteurs retournaient les panneaux d’entrée des villes comme un message d’alerte. Les enseignes des magasins devraient subir le même sort car le constat est le même : on marche sur la tête.

Petites et grandes enseignes en désaccord sur l’évolution de la législation

Alors que M. Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt-à-porter, accuse, sur France Info, la météo capricieuse de ces dernières semaines et le climat anxiogène des élections, peu propice à la consommation, M. Pierre Talamon, président de la FNH (Fédération Française de l’Habillement) intervient sur les chaînes nationales pour rappeler sa proposition visant à décaler les dates des soldes pour les reconnecter avec les saisons réelles. Si tous les acteurs du secteur s’accordent sur le fait que le concept de soldes doit être repensé, la législation à son sujet donne lieu à une éternelle confrontation entre les commerçants indépendants et les grandes enseignes dont les intérêts divergent. Est-il encore pertinent de se prétendre tous dans le même bateau lorsque certains voyagent en paquebot tandis que d’autres rament dans une barque ? Chaque année, le gouvernement profite de cette absence de consensus dans la profession pour s’abstenir de toute prise de décision[2].

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L’État français a certes le pouvoir de modifier les dates et la durée des périodes de soldes sur le territoire mais il serait naïf d’imaginer que la modification de ces paramètres soit suffisante pour inverser la tendance. Il est en effet impossible de légiférer sur les soldes sans réglementer, dans le même temps, les périodes de promotions intempestives qui ont lieu tout au long de l’année et dans lesquelles les soldes sont littéralement noyées. Au milieu de ces ventes privées, promotions de mi-saison, soldes flottants ou encore Black Friday, le commerçant se lamente et le client se perd, en plus d’en sortir souvent perdant. Il existe pourtant une directive européenne intitulée « Omnibus »[3], en vigueur depuis 2020 qui détermine des règles pour lutter contre la multiplication des promotions et celles injustement ainsi nommées, mais elle est, hélas, loin d’être appliquée en France de manière stricte. Comme dans bien d’autres domaines en France, la légifération se révèle toujours plus facile que l’application des lois déjà en vigueur.

Nous voilà donc partis pour quatre semaines de grande valse des étiquettes et, alors que la campagne électorale bat son plein pour les législatives, il est fort cocasse de constater que quand certains hésitent à s’acheter une nouvelle veste, d’autres se contentent, avec plus ou moins de discrétion, de retourner la leur.


[1] https://my.ankorstore.com/observatoireducommerceindependant

[2] https://fashionunited.fr/actualite/retail/olivia-gregoire-s-exprime-sur-le-debat-que-provoque-le-choix-des-dates-des-soldes-d-hiver-2024/2024011033941

[3] Directive (UE) 2019/2161 du parlement européen et du conseil du 27 Novembre 2019 – https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32019L2161

Alliance LR / RN: le pionnier Cédric Delapierre

Cédric Delapierre (RN-LR) se présente de nouveau dimanche dans la très disputée 8e circonscription de l’Hérault, entre Frontignan et Montpellier. Il avait rallié avec fracas le Rassemblement national lors des élections régionales de 2021.


Qui s’attendait à une dissolution de l’Assemblée nationale ? Pas grand monde en dehors d’Emmanuel Macron qui l’avait sûrement étudiée en amont. Les droites comme les gauches ont donc dû s’adapter à la nouvelle donne politique née du coup de poker tenté par l’Élysée. Le président des Républicains Éric Ciotti n’a pas tergiversé longtemps. Conscient de la faiblesse des Républicains, il a proposé au Rassemblement national une coalition électorale qui a été acceptée par Marine Le Pen et Jordan Bardella.

Reste qu’ils ont été nombreux au fil des ans à quitter le bateau des Républicains en perdition, tant pour aller chez Emmanuel Macron que chez Marine Le Pen, avalisant le fait que ce parti était empêtré dans des contradictions idéologiques difficilement supportables. Un sarkozyste historique tel que Jean-Paul Garraud avait ainsi fait le grand saut en 2019 au moment des précédentes élections européennes. Avant lui, des personnalités comme Philippe Martel, ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac, depuis décédé, ou encore Sébastien Chenu qui s’est si bien fondu dans le marinisme qu’on en oublierait presque son parcours politique initial.

Mais il y a aussi d’autres profils plus discrets qui ne sont pas arrivés sous les ors de la victoire mais ont débuté leur carrière au Rassemblement national par des défaites difficiles. C’est ainsi le cas de Cédric Delapierre, rallié non sans bruit au Rassemblement National lors des élections régionales de 2021 en Occitanie. Il avait pour l’occasion lancé une tribune d’une grande prescience avec le recul :

 « Il est temps de sortir du piège dans lequel François Mitterrand a enfermé la droite, temps de ne plus se laisser dicter notre conduite par ceux qui ont précipité notre pays dans les crises. Cette union régionale autour de Jean-Paul Garraud est un signe des temps. Face aux défis majeurs que nous affrontons, il est nécessaire de faire preuve de pragmatisme, ou nous resterons toujours aux marches du pouvoir. Nous avons assisté de l’intérieur à l’effondrement de nos partis respectifs, incapables de se réinventer et traversés par des luttes intestines irréconciliables. De la même manière que le Parti socialiste du congrès d’Epinay est mort de ses contradictions, la synthèse de l’UMP ne résiste plus aux réalités. Nous ne voulons pas nous placer, nous voulons gagner. »

Conseiller régional RN après avoir été secrétaire général du groupe des élus LR et UDI au conseil régional d’Occitanie, Cédric Delapierre a été candidat aux élections législatives de 2022 sur la huitième circonscription de l’Hérault, battu sur le fil de quelques centaines de voix face à un candidat LFI. Il va tenter dimanche prochain de l’emporter et s’affirme confiant : « Ce qui se passe me rappelle la vague bleue de 1993. La droite est de retour parce que les Français veulent enfin restaurer l’ordre dans leur pays ! »

Pierre Gentillet en campagne: de CNews aux routes du Cher

Nous avons suivi l’avocat Pierre Gentillet (RN) en campagne, dans le Cher. Dans sa circonscription, on lui réserve un bon accueil. Il faut dire que Marine Le Pen y a fait 50,8% à la présidentielle. Mais, certains lui reprochent d’être parachuté.


Il est comme ça, Pierre Gentillet. Un peu brut de décoffrage, même quand il s’agit d’attirer le chaland. Quand il donne des tracts aux badauds et assure qu’il a « besoin d’eux pour gagner », il ponctue l’échange d’assez sévères injonctions. « Vous croyez peut-être que je vais y arriver tout seul, hein ? ».

Ses amis diraient qu’il manque un peu d’urbanité… Tant mieux : l’avocat parisien fait campagne dans la ruralité. 

Faibles densités de population obligent, les échanges de ce type ne sont pas si fréquents : il faut ici chercher l’électeur, avec la même persévérance qu’un taxidermiste qui attend le client. Les 41 habitants au km2 font du Cher un département très rural. La 3e circonscription, où se présente Monsieur Gentillet, fait partie de ce que les géographes appellent l’hyper ruralité, à l’exception d’un morceau de la ville de Bourges qui lui est rattachée. C’est un territoire qui décroche un peu, où la population vieillit, où l’on se plaint du difficile accès aux services publics, et où déclinent l’activité agricole et… l’envie d’y vieillir. 

Nos cafés, derniers lieux de sociabilisation de la France périphérique

Autant dire qu’en dehors des jours de marché, on se sent un peu seuls. Lors du boitage, l’équipe de campagne bute en outre souvent sur des mansardes abandonnées ou des résidences secondaires. Sur la départementale, on parle d’embouteillage si jamais l’on croise une voiture toutes les 20 minutes ! Dans les ruelles des villages, à moitié vides, on finit par chatouiller les chats quand on a terminé de faire coucou aux mamies aux fenêtres. En quête de sociabilité, le candidat s’est fixé un objectif : « visiter tous les cafés de la circonscription ». Cafés dont il entend d’ailleurs favoriser la prolifération, car « car ce sont des lieux de vie ».

Toujours à rebours des recommandations sanitaires qui déconseillent l’abus d’alcool et ne voient jamais d’un mauvais œil la fermeture des débits de boisson, Maitre Gentillet s’était déjà fait connaître des téléspectateurs de CNews ou de Cyril Hanouna pendant la crise du Covid en devenant une des figures de l’opposition au confinement et aux mesures sanitaires du gouvernement. Ce n’est pas un novice en politique. Ami de longue date de Jordan Bardella, son mentor Thierry Mariani l’emportait pour ses safaris diplomatiques jusqu’en Crimée et en Syrie où il a notamment rencontré Bachar Al-Assad. 

Sur le terrain, il peut tester sa notoriété et sa popularité. Une voiture s’arrête et une vitre se baisse. Un bon Berrichon lui envoie du « On les aura ! » A Saint-Amand-Montrond, un habitué du bar louche un peu, en regardant le candidat entrer dans l’établissement où il est installé. C’est qu’ici la TV est tout le temps branchée sur la 16, sur laquelle Maitre Gentillet officiait encore il y a peu. La réalité dépasse la fiction ! 

Sur les marchés, Pierre Gentillet se présente en enfant du pays. Pourtant ses adversaires sont unanimes à dénoncer un « parachutage ». DR.

Les parachutés partent pour l’aventure 

Présenté comme un parachuté, Pierre Gentillet n’est pourtant pas étranger à cette province, du moins dans ses frontières d’Ancien Régime. Berrichon de l’Indre et non du Cher, il s’est notamment illustré dans son opposition à l’installation du CADA de Bélâbre, à 80 km d’ici.  

« Ah le pâté de Pâques de ma grand-mère », « Excellent, le Chateaumeillant »… s’enflamme, en connaisseur du terroir, ce jeune homme de province monté à Paris. Le côté tout feu tout flamme du candidat oblige ses adversaires à se positionner en élus de terrain. La candidate de la LFI, Emma Moreira, jeune étudiante de 21 ans, plutôt avenante, dénonce ce venu-d’ailleurs et dit le pays « gangréné » par les maisons de campagne des « Parisiens », lesquels ne seraient « pas très appréciés » dans son bon Berry. Rencontré sur le marché, le député sortant Loïc Kervran (Horizons) assure lui que la manœuvre partisane ne passera pas : « Je connais des électeurs de Jordan Bardella. Ils refusent ce parachutage et sont dégoûtés par ces manœuvres. Beaucoup d’électeurs reconnaissent le travail que nous avons mené pour le maintien du service public en zone rurale. » Elu d’un territoire ultra périphérique, Monsieur Kervran s’est effectivement illustré par une proposition de loi sur le maintien des écoles en zone rurale.

La candidate LFI Emma Moreira dénonce les « résidences secondaires des parisiens » dont son adversaire du RN, « parachuté », serait le représentant. DR.

Quel accueil réserve le terrain au « parachuté » ? Ajouté aux 50.8% de Marine Le Pen dans la circonscription et à la dynamique de campagne, le côté vu à la TV du candidat joue ici à plein, et l’accueil est excellent. Le chroniqueur a vite appris le métier de candidat : il a l’enthousiasme facile, s’étonne de la hauteur des arbres, de l’épaisseur des récoltes, de la générosité du service au bar quand le tavernier remplit les verres à ras bord… Il y a bien sûr quelques résistances : « Je vote RN à la présidentielle, mais vous, je ne vous connais pas, alors que Loïc Kervran, lui, a été présent », raisonne un élu municipal venu porter la contradiction sur le comptoir du zinc. Pour le reste, les autochtones applaudissent ses flots d’éloquence comme ses diatribes sur l’impuissance de l’Etat et autres prophéties sur le retour de l’autorité en politique. La candidate LR, Bénédicte de Choulot, si elle fait valoir son travail d’élue locale et dénonce le centralisme parisien, reconnait qu’aucun électeur ne se plaint auprès d’elle de ce parachutage en réalité.

Pierre Gentillet visite les foires du pays avec son équipe. Il écoute poliment l’électeur et l’abreuve parfois d’emphase politique autour du programme de l’Union nationale. DR.

Lyrisme berrichon 

Rarement concret, pas toujours flatteur et mielleux auprès des électeurs, M. Gentillet est plutôt lyrique. Naturel jusque dans ses artifices, si l’on veut, il se présente finalement tel qu’il est : un avocat bouillonnant, féru d’abstractions, avec un cerveau qui émet 10 idées à la minute et qui avale toutes les fiches qu’on lui adresse avant chaque rendez-vous ou prise de parole. Son ambition, certes non dissimulée, repose sur de solides références idéologiques qui déjà le distinguent. Pierre Gentillet doit d’ailleurs sa notoriété télévisuelle à cette faculté d’assertion, et à une identité politique moins lisse que de nombreux cadres et candidats du RN. 

La campagne a aussi ses pauses. À midi, le programme s’arrête pour bavarder avec un notable du département sur la popote politique pendant qu’on sert celle de la brasserie du coin. On parle de tout : des médecins qui manquent, des commerçants qui râlent, des jeunes qui s’en vont, du patois qu’on ne parle plus depuis la guerre… On fait aussi le tour de la faune journalistique de la PQR, ou de la flore politique municipale, au sein desquels le jeune candidat aurait beaucoup d’ennemis mais aussi quelques soutiens discrets. « L’argument du parachutage ne tient pas du tout, la question que tout le monde se pose, c’est : est-ce que je me battrai pour vous ou pas ? » On peut bien lui reprocher d’être né à l’autre bout du Berry, mais Pierre Gentillet arrive au moins à convaincre qu’il est un candidat combatif.

Giulia Foïs s’exhibe sur une affiche du Nouveau Front Populaire? La direction de France Inter ne voit apparemment pas où est le problème…

Il paraît que Jean-François Achilli s’inquiète beaucoup pour la chroniqueuse… Bénéficie-t-elle d’un statut à part ?


Giulia Foïs est journaliste, productrice et autrice. Elle officie entre autres sur la radio publique. Le féminisme bas de gamme et les théories délirantes sur le genre étant à la portée de tout le monde, cette animatrice woke a décidé d’en faire ses sujets de prédilection. Les féministes les plus averties ont nourri ses réflexions sur le « systémisme du patriarcat », confie-t-elle sur Louie Media. Elle faisait partie du jury de feu le magazine Causette lorsque celui-ci a décerné son prix du meilleur essai féministe à… Alice Coffin. Sur France Inter, elle a animé Pas son genre, émission grâce à laquelle les auditeurs apprirent, entre autres choses stupéfiantes, que « le féminisme c’est la théorie, le lesbianisme, la pratique », que les femmes doivent « s’autoriser à se passer des hommes, dans leurs têtes comme dans leurs lits », que « les hommes ne sont plus qu’une option, parmi d’autres. » Elle admire Judith Butler et Virginie Despentes. Caroline De Haas l’inspire. Depuis deux ans, elle anime, toujours sur France Inter, un programme hebdomadaire intitulé En marge.

Amine El Khatmi ne sera pas invité tout de suite dans son émission

Le 22 juin, lors de la dernière émission de la saison – émission consacrée à… « un pays imaginaire, la Matriarcate » – Giulia Foïs a reçu une autre autrice, Typhaine D[1], une penseuse de sa trempe qui a inventé une langue supposément émancipatrice, un charabia – en gros, elle ajoute des « e » un peu partout pour « féminiser la langue » – avec lequel elle a écrit Contes à rebours, une pièce qu’elle jouera cet été au Festival (de plus en plus woke) d’Avignon : « C’est une réécriture féministe des contes de fées », commence àexpliquer la penseuse en question avant de se mettre à planer complètement : « J’ai voulu commencer par la première phrase qui est… Il était une fois. Et là, je me suis dit, mais qui est ce “il”, ce mec qui veut commencer mon livre et qui veut parader en tête ? Et je me suis dit : mais comment puis-je faire un livre qui m’émancipe avec une grammaire qui m’opprime, qui me rappelle à chaque phrase que les femmes sont quantité négligeable ou sont invisibles. » Giulia Foïs n’a pas cru bon de faire remarquer à son invitée que le « il » de « il était une fois » ne désigne en aucun cas un « mec » mais forme avec le verbe être ce qu’on appelle une locution impersonnelle – en clair, dans le cas présent, le pronom « il » ne représente rien ni personne. Deux possibilités : 1) L’empathique Giulia Foïs n’a pas voulu mettre dans l’embarras son hôte inculte. 2) Elle-même ignore l’existence de ces formes impersonnelles et croit, comme Typhaine D, que « il pleut » est une expression masculiniste et patriarcale. Vu le niveau intellectuel de la dame, je crains malheureusement que…

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On l’aura compris, Giulia Foïs est une journaliste qui a su se plier à toutes les orthodoxies progressistes du moment, le néo-féminisme, le LGBTisme, le wokisme en général. Attirée depuis toujours par l’extrême gauche, elle a signé en 2022 un appel à voter Jean-Luc Mélenchon. Il y a quelques jours, une affiche du Nouveau Front Populaire annonçait sa venue à un meeting devant se tenir à Lyon. La même photo que celle illustrant son émission radiophonique sur le site de France Inter était reprise sur l’affiche politique. Étant donné la tendance gauchiste et la propagande sans limite contre « l’extrême droite » dans les médias publics, Giulia Foïs a vraisemblablement pensé que cela allait passer crème. Mais certaines personnalités, dont le fondateur du Printemps républicain, Amine El Khatmi, ont immédiatement fait le rapprochement avec le cas du journaliste Jean-François Achilli. La direction de France Info a en effet récemment licencié ce dernier pour une « faute grave », une rencontre avec Jordan Bardella dans le cadre d’une potentielle participation à l’écriture d’une autobiographie de l’homme politique, participation que le journaliste avait déclinée. Évoquant le code de déontologie des journalistes de Radio France, Jean-Philippe Baille, directeur de ladite radio, a expliqué : « Nous étions dans l’obligation de réagir. Ces règles sont là pour protéger l’éthique de notre profession, garantir l’indépendance de nos journalistes et conserver la confiance des Français dans leur service public. » Giulia Foïs jouit apparemment d’un statut à part.

Encore un coup de la fachosphère !

De plus, il semblerait bien qu’elle ait été surtout victime de la fachosphère. Les plus fins limiers de Libération en matière de « vérification de l’information » (ou CheckNews) ont diligenté une enquête afin de sauver le soldat Foïs. Le pot aux roses est enfin dévoilé : la journaliste aurait fait « l’objet d’attaques en ligne, en grande partie venue de l’extrême droite ». « Les médias de la bollosphère, agissant comme de coutume de concert, se [seraient] jetés sur “l’affaire”, dénonçant la collusion entre l’audiovisuel public et la gauche » – collusion qui relève de l’imaginaire, comme chacun sait. Les vigilants enquêteurs de Libé ont contacté Giulia Foïs qui avait prévu, leur a-t-elle expliqué, d’intervenir lors de ce meeting pour « défendre les droits des femmes et des enfants » en mettant en exergue son expérience personnelle et celle de son fils « en situation de handicap ». Car Giulia Foïs a peur : « On sait ce que fait l’extrême droite au handicap et aux handicapés et à tout ce qui sort de la norme. On sait ce que le RN promet pour les femmes aussi, donc quand l’heure est si grave, j’y vais avec mon cœur, j’y vais avec mes tripes. »

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Giulia Foïs a finalement renoncé à sa venue au meeting du NFP. Toutefois, Libé a eu connaissance du texte que la journaliste comptait lire lors de cette réunion. Une critique de la détérioration du débat public et de l’ascension de l’extrême droite en constituait, parait-il, l’essentiel. Mais, affirme la journaliste, cela ne relevait d’aucun militantisme. Elle voulait seulement  « souligner la nécessité d’un monde plus inclusif » et déplorer qu’on ait « réussi à faire croire que le RN est un parti comme les autres ». Mélange désolant d’arrogance et de naïveté.

Elle espère maintenant « voir la presse tout entière vent debout contre cette menace que représente l’extrême droite ». Il a visiblement échappé à Giulia Foïs que la « presse tout entière » (ou presque) n’a pas attendu son injonction pour pilonner la propagande des castors. France Inter, la radio qui l’emploie, n’est pas la dernière à promouvoir, plus ou moins subtilement, le fameux « barrage républicain » contre le RN. Raison pour laquelle, au contraire de Jean-François Achilli, Giulia Foïs n’a rien à craindre. D’ailleurs, dit-elle à Libé, elle a eu avec la direction de la radio des échanges « assez doux » qui ne laissent présager aucune sanction, même minime.

Giulia Foïs attend maintenant les résultats des élections la peur au ventre. Les heures sombres vont-elles s’abattre définitivement sur la France ? La bête immonde est-elle de retour, prête à dévorer les handicapés et les femmes ? Et, surtout, le contrat de Mme Foïs avec France Inter sera-t-il renouvelé à la rentrée ? Questions effrayantes. Réponses dans un peu plus de dix jours.

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[1] J’ai consacré à cette créature étrange un papier paru le 20 mai 2020 dans ces colonnes.

Des élections sous le prisme de l’antisémitisme

A trois jours du premier tour des élections législatives, trois grands blocs se distinguent, et le RN fait la course en tête. Alors que l’extrême gauche avait bataillé aux européennes en parlant beaucoup de Gaza, la courte campagne de ce nouveau scrutin a été dominée par des débats houleux sur l’antisémitisme supposé des uns et des autres. L’analyse politique de Richard Prasquier.


Ces journées d’avant le vote ont été marquées par le viol, le 15 juin, par des garçons de son âge, d’une petite fille juive de 12 ans à Courbevoie. Il suffit de lire le témoignage des parents de l’enfant pour comprendre l’antisémitisme en France. Elle se sentait tellement mise à l’écart du fait de son judaïsme qu’elle avait prétendu qu’elle était musulmane, la découverte du mensonge aurait été la cause du viol. On sait l’augmentation de la violence chez les très jeunes et les carences de notre système judiciaire et éducatif à cet égard. Mais il n’est pas sûr qu’on pose une autre question: ces garçons ont-ils déjà été imprégnés par le discours islamiste, tel qu’il a été mis en pratique par le Hamas le 7 octobre, suivant lequel une femme koufar, autrement dit non-musulmane, et considérée comme ennemie, est un objet de viol parfaitement légitime? Rappelons-nous le calvaire des femmes yezidies aux mains de Daech.

Résidus d’antisémitisme

Dans un communiqué une semaine après, les dirigeants du nouveau Front populaire décrivent ce viol comme une abomination, et ne manquent pas de dénoncer « une odieuse campagne de diffamation menée par une macronie en déroute ». Mais, LFI  n’a pas voulu signer la charte contre l’antisémitisme proposée par Raphaël Glucksmann ! Deux de ses membres avaient donné leur avis sur le viol de Courbevoie. Aymeric Caron trouvait qu’on en parlait trop alors qu’en février on n’avait pas réagi à l’assassinat d’une jeune femme Rom. Il oublie que lui-même n’avait rien dit à l’époque. Sans commentaires… Mais Jean-Luc Mélenchon aussi s’est exprimé. Lui qui avait prétendu que l’antisémitisme était « résiduel » en France se dit « horrifié » et dénonce même l’antisémitisme. Donc tout va bien… Mais lisons mieux, car chez Mélenchon chaque mot compte. D’abord, il fustige le « conditionnement des comportements masculins criminels dès le jeune âge », clin d’œil assez ridicule pour le féminisme woke. Ensuite au lieu d’antisémitisme, il écrit « racisme antisémite ». Or l’antisémitisme des violeurs n’est pas un antisémitisme raciste. Les convertis d’origine européenne, comme semble l’être au moins un des garçons, sont bien acceptés dans l’islam radical et sont souvent au premier rang en matière d’extrémisme. Pourquoi alors le mot « racisme » accolé à antisémite? Pour prétendre que l’antisémitisme n’est qu’une forme de racisme. Or le racisme a toujours été d’extrême droite. Mais il n’en est pas de même de l’antisémitisme. Olivier Faure qui le déclarait a reçu un zéro pointé de la part du grand historien Michel Winock. De Toussenel et Proudhon à Maurice Thorez qui parlait des doigts crochus de Léon Blum, l’antisémitisme de gauche a en France une longue histoire.

Quant au communiqué commun du Nouveau Front Populaire il reprend la triade devenue classique: racisme, antisémitisme, islamophobie. Autre escroquerie intellectuelle, car l’islam est une religion et la critique des religions est une liberté garantie dans la loi de séparation de l’Église et de l’État.

Une tribune hallucinante dans Le Monde

Il faut mesurer les conséquences de cette démission de la laïcité. Lorsqu’une candidate LFI prétend qu’on ne doit pas critiquer un musulman qui s’en prend aux homosexuels par obéissance à une injonction religieuse, on voit les conclusions à en tirer pour les Juifs. Comme le caillou antisémite ne sort pas de la chaussure du Nouveau Front Populaire même s’il y a dans ses rangs une majorité de militants irréprochables, un récent article distingue deux types d’antisémitisme. L’un est ontologique, celui de l’extrême droite. L’autre, celui de gauche, n’est que contextuel, donc moins grave. En suivant ce raisonnement hallucinant, il faudrait excuser René Bousquet qui, préfet radical socialiste, n’avait prononcé avant-guerre aucune parole antisémite et a eu à Vichy le comportement « contextuel » que l’on sait, mais blâmer la Juste polonaise Sofia Kossak Szucka, écrivain antisémite d’extrême droite, qui a fondé Zegota, une organisation dédiée au sauvetage des Juifs. Sans commentaires non plus…

Le RN drague le vote communautaire juif

Des électeurs juifs veulent voter dès le premier tour pour le Rassemblement national. Ils sont exaspérés par les injonctions condescendantes et hostiles envers Israël. Ils constatent l’impuissance face à l’antisémitisme et la résignation face à l’islamisme et écoutent les promesses du Rassemblement national. Je comprends ces électeurs, mais je pense qu’ils ont tort. On est loin des plaisanteries abjectes du père, mais toutes les études montrent que le racisme et l’antisémitisme restent élevés chez les militants du RN. Or le sionisme fondateur de Herzl, issu des Lumières et dont je me revendique, est consubstantiellement attaché à la notion d’égalité intrinsèque entre les êtres humains. C’est le cadre des partis de l’arc républicain classique. Ils ont toujours défendu ces valeurs qui m’importent. Quelles que soient nos déceptions et nos colères devant les complaisances et l’aveuglement que nous constatons parfois, nous ne devons pas nous mettre à la remorque d’un parti d’où les relents xénophobes et antisémites ne sont pas encore extirpés. Ce qui n’empêche pas de saluer son évolution, dont témoigne l’impeccable tribune de Marine Le Pen dans Le Figaro, où elle prend des engagements forts sur l’antisémitisme et la mémoire de la Shoah.

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Des sondages montrent que le RN pourrait obtenir la majorité absolue. Outre mon scepticisme sur le programme économique du Rassemblement national, je tire une raison supplémentaire de ne pas voter pour lui d’une hypothèse sur les objectifs réels de Mélenchon. Il sait qu’il ne deviendra pas chef du gouvernement à l’issue du scrutin. De fait, la seule place qui l’intéresse vraiment, c’est la première mais il sait aussi qu’il n’y arrivera pas par une procédure régulière tant il a généré d’hostilité à son encontre. Son meilleur allié, c’est le chaos. Pour cela, il tirerait bénéfice d’une majorité absolue du Rassemblement national.

Un gouvernement mis en place dans une atmosphère exceptionnellement tendue, l’inexpérience des dirigeants, l’échec économique prévisible, les mesures impopulaires prises en réaction, tout serait en place pour une explosion sociale. Dans cette situation, Mélenchon pense que son parti, parce qu’il compte des militants déterminés et qu’il peut mieux mobiliser des masses humaines que les autres, prendrait le pouvoir. Il reste au fond un lambertiste, admirateur de Lénine, qui a mis en pratique le concept du groupe d’avant-garde de révolutionnaires professionnels. Les institutions de la Ve république seraient abolies et il pourrait enfin enfiler le costume de Chavez, son héros. La meilleure façon d’éviter cette évolution dramatique et d’éviter un face-à-face destructeur, c’est de renforcer les partis modérés. Ce doit être notre objectif dimanche prochain.

Judéophobie mondialisée

Théorisée aux États-Unis, alimentée par le « Sud global » et massivement soutenue en Grande-Bretagne, la haine d’Israël, et par extension celle des juifs, ne cesse de croître. Le système universitaire anglo-saxon facilite ces manifestations, et le poids du vote musulman étouffe les oppositions politiques.


On connaissait le « nouvel antisémitisme ». On découvre aujourd’hui le « nouveau nouvel antisémitisme ». La plus vieille haine a toujours su se réinventer, en puisant dans sa riche histoire, et notre époque ne fait pas exception. Aujourd’hui, l’antisémitisme a pris une forme plus que jamais planétaire, dans la mesure où il irrigue un réseau mondial qui possède sa propre conscience collective et réunit des groupes extrêmement divers. Plus que par le passé, la haine est focalisée sur l’État d’Israël. Auparavant, la logique des antisémites de gauche et de droite, motivés par une haine anticapitaliste ou raciale, était la suivante : on déteste les juifs, donc on déteste Israël. Cette logique vient de s’inverser : on abomine Israël, donc on abhorre les juifs. Cet État ne devrait pas exister, par conséquent tous ceux ayant un lien quelconque avec lui sont punissables. L’antisionisme est devenu le nom de code de cette inversion. Israël est entouré non seulement par des puissances et des organisations ennemies au Proche-Orient, mais par une hostilité généralisée au niveau mondial. Le « Sud global », l’Afrique du Sud à sa tête, mène campagne contre l’État juif, transformé en un symbole de l’arrogance occidentale et du colonialisme. Les régimes autoritaires, russe et chinois, qui courtisent les pays émergents, sont loin de lui offrir leur soutien. Restent les démocraties occidentales, mais elles sont divisées, moins entre elles qu’à l’intérieur d’elles-mêmes. Dans ces pays, ce sont les militants progressistes et les musulmans radicaux qui, ensemble, sont le véritable moteur de la mondialisation de la haine, fidèles à leur slogan : « Globalisons l’intifada ! »

Une insensibilité grandissante face à de tragiques évènements

Ici, le monde anglophone est à la pointe. Les États-Unis fournissent les dogmes identitaires qui inspirent les manifestations anti-israéliennes, tandis que c’est au Royaume-Uni que le militantisme électoral des radicaux musulmans est le plus développé. Les Français, forts en théorie, ont inventé le terme « islamo-gauchisme » ; les Anglo-Saxons, plus pratiques, l’ont fait ! Les universités américaines, traditionnellement bien dotées, et britanniques, qui nagent dans l’argent des étudiants étrangers, sont plus riches que les établissements européens, et leurs campus offrent un cadre idéal où les enfants gâtés des classes moyennes peuvent jouer aux révolutionnaires. Comme les frais de scolarité sont élevés, les étudiants sont pour les autorités universitaires des clients à bichonner plutôt qu’à discipliner. La vie associative des étudiants est ouverte à l’ingérence des associations propalestiniennes, tandis que l’argent qui les subventionne provient de mécènes américains progressistes.

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Dans une démocratie, l’étude et l’enseignement de l’histoire devraient suivre les principes du libre examen, mais comme chacun le sait, les humanités ont été prises en otage par des idéologies identitaires et victimaires dont les thuriféraires conspirent à effacer l’histoire en la réécrivant. Cela explique en partie l’insensibilité grandissante par rapport à la mémoire de la Shoah, insensibilité dont la version contemporaine est l’indifférence aux souffrances des victimes du 7 octobre. C’est ainsi que, d’Harvard à Oxford, les manifestants pro-Gaza ne supportent pas qu’on manifeste pour Israël et arrachent toute affiche montrant les otages pris par le Hamas. La divergence d’opinions, vitale dans une démocratie, n’est pas tolérée. On scande parfois dans les défilés : « We do not engage ! » (« On ne discute pas ! »). Certains commentateurs ont comparé les actions sur les campus à celles de 1968, mais à tort. À cette époque, on manifestait contre la guerre ; aujourd’hui, on est pour la violence – contre Israël et ses soutiens, réels ou supposés. L’anticolonialisme du passé se justifiait par le besoin de mettre fin à l’ère coloniale, dont les vestiges étaient encore nombreux et géographiquement localisables. En revanche, la décolonisation d’aujourd’hui est une lutte contre une influence néfaste censée être omniprésente et diffuse, mais qui a une seule incarnation concrète : Israël. L’anéantissement de ce dernier est donc le Graal à poursuivre. Si la revendication principale des pro-Gaza est un boycott économique de cet État, ils sont aussi de l’avis que tout juif, où qu’il soit, est une émanation d’Israël et doit donc disparaître de la vue générale, s’invisibiliser – ou se racheter en dénonçant Israël.

Un soutien à Gaza qui va souvent de pair avec un antisémitisme affirmé…

Ces militants occidentaux idéalisent les musulmans, à commencer par ceux qui sont leurs concitoyens. C’est ainsi qu’au Royaume-Uni, depuis octobre, les deux groupes se sont réunis 14 fois à Londres, dans ce que l’ancienne ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, a nommé « les marches de la haine », des manifestations de milliers de personnes dont la plus grande, le 11 novembre, a rassemblé plus de 800 000 participants. Selon un sondage de février, 70 % des musulmans britanniques considèrent que le conflit à Gaza est un facteur important de leur vote. Historiquement, le vote musulman, sans être monolithique, est acquis aux travaillistes. Or, lors des élections locales du 2 mai, le soutien à ce parti a baissé, et a même chuté de 33 % dans les circonscriptions à majorité musulmane. Dans la foulée, un groupe de pression, The Muslim Vote, a envoyé au leader travailliste 18 revendications dont il doit tenir compte s’il veut regagner le soutien des musulmans. Parmi elles, des sanctions économiques, la fin des relations militaires avec Israël et la reconnaissance d’un État palestinien. Certes, le soutien musulman à Gaza n’est pas nécessairement antisémite mais dans les faits, il nourrit le terreau où la haine peut croître. Dans le nord de l’Angleterre, un rabbin, aumônier pour plusieurs universités et réserviste dans Tsahal, a dû être placé sous protection policière après des menaces de mort, tandis que deux hommes aux noms musulmans ont été inculpés pour avoir préparé un attentat à l’arme automatique contre les juifs de la région de Manchester. Comment expliquer que les musulmans britanniques s’investissent autant dans la cause palestinienne ? La réponse réside peut-être dans le fait qu’ils sont d’héritage pakistanais, et le Pakistan est depuis longtemps un soutien inconditionnel de la cause palestinienne. Les Britanniques issus de cette immigration ont aussi une conscience plus aiguë de leur identité musulmane, qui a dû être affirmée – et le doit encore – contre les hindous d’Inde. Et ça n’arrange pas les choses que le Premier ministre conservateur, Rishi Sunak, et son ex-ministre Suella Braverman, soient hindous.

Jean-Pierre Winter: les Français et leurs angoisses politiques sur le divan

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Entretien avec Jean-Pierre Winter, psychanalyste, auteur entre autres de Les hommes politiques sur le divan (1995), Les images, les mots, le corps (entretien avec Françoise Dolto), Peut-on croire à l’amour (2019), L’avenir du père (2019)  


Causeur. Il semble que le séisme politique, engendré par l’annonce de la dissolution, bouscule beaucoup d’entre nous. Le constatez-vous ? Qu’entendez-vous sur le divan ? 

Jean-Pierre Winter. Bien des gens sont désemparés, sidérés, comme interdits de penser. Des journalistes disent que cette dissolution est historique, commentent les enjeux, anticipent les scénarios. Sur le divan, je n’entends rien de tout ça, la dissolution a créé un état psychique désarçonnant, à la limite de la dépression. Les gens, à l’exception de ceux qui sont bardés (!) de certitudes, n’ont plus envie de ne rien faire ; tout leur semble dérisoire, ils se disent : à quoi bon ? Ce qui me frappe, c’est la décrédibilisation de la parole publique, déjà en germe mais considérablement accentuée par le coup de tonnerre de la dit-solution, ce sentiment répandu que tous les politiques sont des affabulateurs. On entend ça ces jours-ci, malheureusement : puisqu’ils nous ont tous trompés, pourquoi, au fond, est-ce qu’on n’essaierait pas Bardella qui n’a pas encore eu l’occasion de nous la faire à l’envers ? Je me souviens de Lacan à Vincennes après mai 68 lançant aux étudiants : « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez ». N’est-ce pas ce qui se dessine aux deux extrémités du spectre politique ? L’homme, inconsciemment, est toujours tenté par la « servitude volontaire », comme manière de se désencombrer de la tâche de décider.

N’y a-t-il pas aussi, chez certains, l’effet inverse : non pas de l’abattement, mais de l’énergie pour faire  « bouger le système », de nouvelles envies de mobilisation ?

L’envie « que ça bouge », si elle n’est fondée que sur la bougeotte, si elle est seulement musculaire, reconduit in fine à du même. C’est la leçon du Guépard : tout change afin que rien ne change… Les généreuses révoltes adolescentes, on l’a vu après mai 68, peuvent fabriquer d’excellents futurs ministres ou fonctionnaires, qui reproduisent le système. Evidemment, le séisme actuel peut, et devrait permettre à chacun de penser et d’agir collectivement et rationnellement, sans promettre la Lune, ni de tout raser gratis.

Pourquoi notre président de la République actuel concentre aujourd’hui une telle haine ?

Les politiques m’ont toujours intrigué, Emmanuel Macron particulièrement depuis son éclosion. J’avais écrit, il y a quelques années, un article dans Le Point disant combien son intelligence lui nuirait. Evitons à son propos de le traiter de Narcisse, mais, chez lui, l’intelligence est à mes yeux un affect, un moyen puissant de se faire aimer et reconnaitre. Il me faudrait du temps pour allonger Emmanuel Macron, et seulement à sa demande, sur le divan, pour pouvoir décrypter les méandres de sa psyché. Bien évidemment, dans cette hypothèse, je ne vous dirais rien ! Mais je peux tenter un diagnostic, fidèle à ma méthode, de ce qu’il dit, de ce qu’il fait, et de ce que cela produit en nous. Il a d’abord suscité tellement d’admiration. Emmanuel Macron parle beaucoup, souvent merveilleusement bien, regardez encore son discours du 18 juin ; il utilise pour séduire toutes les figures rhétoriques possibles. Mais souvent les actes ne suivent pas. Il me rappelle Dom Juan, l’homme qui a tant séduit, qu’il en devient la proie de la haine de tous ceux qu’il a rencontrés (à part peut-être son valet). Ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy ou François Hollande, ont suscité du rejet eux aussi, mais pas à ce point.

Comment l’expliquez-vous ?

Son concept « ni de droite ni de gauche, en même temps » rend le président insaisissable. J’ai lu, çà et là, des chroniqueurs s’autorisant à traiter Emmanuel Macron de « pervers narcissique ». Soyons prudents, les mots ont un sens : la perversion en psychanalyse est une structure clinique et non une catégorie morale. C’est un mode de défense contre l’angoisse, un masque qu’empruntent quelquefois d’autres structures psychiques, telles que l’hystérie. Ce qui est certain, c’est que sa fougue a suscité en nous un immense élan, vite retombé quand ses promesses n’ont pas été suivies d’actes, qu’il a pris immédiatement des mesures de droite (comme l’APL ou l’ISF), pas immédiatement compensées par des mesures sociales (suppression de la taxe d’habitation, ou de la redevance télé). Il parle une langue de bourgeois technocrate, parfois truffée de tournures rares, qu’on ne comprend pas, et qui sont ressenties comme du mépris. S’y ajoute des équivoques, des maladresses, c’est-à-dire des mal-adresses quand subitement il change de registre et se met à parler « peuple », ou quand il évoque des « gens qui ne sont rien », inconscient de l’effet que ça peut produire. Il dit tout et son contraire, en diplomatie comme sur les questions sociétales (je pense aux questions sur le genre). Il endosse tout, ramène tout à lui, il dit « venez me chercher » – souvenez-vous de son discours bravache à l’Assemblée en pleine affaire Benalla. Aussi, les Français, des gilets jaunes à aujourd’hui, répondent : « on va venir puisque tu nous provoques ».

Alexandre Benalla et Emmanuel Macron à bicyclette au Touquet, juin 2017. SIPA. 00811449_000030

Il est par ailleurs plus facile de haïr un dirigeant jeune et ambitieux, parce qu’on n’a pas la retenue, et le respect a priori qu’on peut avoir envers un dirigeant blanchi sous le harnais.  Avec le temps, beaucoup de gens se sont dit : on a affaire à un jeune arbrisseau gorgé de sève, qui n’a quasiment aucune expérience de la politique, pas de cicatrices, pas d’expérience de la vie, pas d’enfant.

Selon vous, le fait qu’il n’en ait pas, est un sujet politique ?

Question bien périlleuse, voire taboue. Le fait qu’on n’en parle pas ne l’empêche pas d’exister dans les conversations. On entend, pas seulement à l’extrême droite, des gens, des parents dire : ce président n’a pas d’expérience de la paternité, donc pas de soucis de pérennité, il ne se préoccupe que de lui, de son avenir et de sa place dans l’Histoire. Quand on l’écoute parler de sa famille, évoquer les enfants de sa femme en disant « ce sont mes enfants », quelque chose, pour certains, sonne étrangement. Ces enfants-là ont un père dont on n’a jamais entendu parler, pourquoi Emmanuel Macron ne dit-il pas : « ce sont mes beaux enfants» ? Ce qui est en jeu n’est évidemment pas ce qu’il fait de sa vie, mais le mésusage des mots. Il y a là une distorsion qui peut être interprétée comme un mensonge et cela nourrit malheureusement les rumeurs sur sa duplicité, ses ambiguïtés, son côté « surgit de nulle part ». Car, en effet, quelle est au fond, la profondeur historique de Macron ? Il n’a pas de réelle filiation politique, ni à droite, ni à gauche, même s’il se réclame de Paul Ricoeur et Michel Rocard avec lequel j’avais débattu, il y a plus de vingt ans, sur la formule de Freud disant qu’ « il y a trois métiers impossibles : gouverner, éduquer, psychanalyser », ces seuls métiers qui se confrontent vraiment au Réel. Macron a-t-il écouté son mentor ? C’est un homme qui semble déconnecté, un politique sans racine qui produit sur nous un effet de déracinement. Et c’est tragique, car ceux qui s’apprêtent à signer pour Bardella, disent : « attention, ce Macron est en train déraciner le pays ».

Mais au départ, des Français ont aimé sa fraicheur, sa liberté vis-à-vis des vieux partis, son couple aussi avec une femme plus âgée, qui bousculait les schémas traditionnels….

C’est vrai, dans un premier temps, on s’est dit « voilà un homme qui ose » et puisqu’il ose dans sa vie privée, il va oser dans la vie politique des choses que les autres n’ont pas eu le courage de faire. Il y a eu cet effet « waouh » transgressif, qui affecte l’imaginaire.

C’est presque indicible là encore, mais son alliance avec Brigitte Macron travaille la psyché collective des Français. Cette femme, aussi fringante, discrète et élégante soit-elle, suscite des fantasmes insensés, au point que des complotistes affirment qu’elle serait un homme. Les stéréotypes les plus toxiques ont conduit des gens à se dire : ce couple n’est pas crédible, comme s’il en existait de crédibles…

N’est-ce pas une vision d’homme ?

En tout cas, ce couple atypique a pu séduire nombre de femmes en faisant éclater certaines normes machistes.

Emmanuel Macron aurait donc perturbé les Français, en jouant sans cesse la carte de la jeunesse ?  

Les chefs d’Etat ont toujours cherché à séduire la jeunesse, souvenez de Valéry Giscard d’Estaing, ou de Mitterrand discutant avec Yves Mourousi de « chébran et branché ». Mais Emmanuel Macron, lui, en a fait des caisses ! Il a désigné le plus jeune Premier ministre de France, Gabriel Attal. Il n’a cessé de se mettre en scène sur les réseaux sociaux, avec des rappeurs, des influenceurs, en tenue de foot, en train de faire de la boxe… Et pourtant, les jeunes sont les premiers à le rejeter. Parce qu’on ne force pas une identification. Les parents qui se mettent à imiter leurs enfants, à parler, ou à s’habiller comme eux, ça ne marche pas. Les jeunes veulent que l’ordre des générations soit respecté, que chacun soit à sa place. Tous ces mots, ces images ont in fine porté atteinte à ce qu’on attend d’un chef d’Etat, à la solennité que Macron avait décrétée au départ, qu’il met en scène, mais qu’il fait tout, en même temps, pour saboter. Les plus âgés, eux, se sont sentis ringardisés, périmés. Ce que j’entends dans mon cabinet c’est que le conflit générationnel s’est considérablement amplifié.

Vous le chargez de tous les maux, mais ce dirigeant a à affronter aussi, comme aucun autre de ses prédécesseurs, une série des crises sans précédent et de changements politiques qui dépassent largement le cadre français.

Évidemment, et il l’a d’ailleurs justement rappelé lors de sa conférence de presse, un vent mauvais est en marche dans toute l’Europe et son bilan est loin d’être nul. Mais, Macron a joué avec, il a introduit la confusion dans nos têtes quand, par exemple, il a proposé un débat avec Marine Le Pen durant la campagne des européennes. Que fait-il d’autre sinon renforcer la crédibilité de celle qu’il veut combattre ?

Aujourd’hui, tout se passe comme si beaucoup de Français s’en voulaient de l’avoir trop vite cru. Quand on a été emporté par un séducteur, on a perdu l’estime de soi, on a l’impression d’avoir été atteint dans son intégrité en ayant consenti. Et là, l’espèce d’élan amoureux qu’on a pu avoir au début se retourne violemment. Chacun le sait, le sentiment le plus proche de l’amour, c’est la haine.

Comment un psychanalyste interprète-t-il alors la dissolution ?

C’est une sorte de passage à l’acte. Quand on a été pendant sept ans, l’objet d’une telle haine, qu’on brûle votre effigie, on est forcément affecté, il a fini par le reconnaître. Moi je n’entends pas : c’est moi ou le chaos, j’entends « je suis KO, mais debout ». Ce que Macron cherche à nous dire à travers cette dissolution c’est : « me haïssez-vous vraiment ou est-ce que m’aimez ? »

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Plus que jamais, Cannes a été leur festival, leur scène et leur tribune, jusque sur les marches du palais. En robes longues et décolletées, des actrices oppressées ont donné libre cours à leurs envies d’épuration, de purge et de castration. #MeToo Cinéma est aussi une grande famille…


Ce n’est clairement pas une édition féministe […], mais au moins on a laissé la place à Judith Godrèche pour présenter son court-métrage », explique l’actrice Ariane Labed, présidente de l’association des acteur.ices – on est prié de ne pas rire. « Acteur.ices »… Radieuse ère nouvelle !

Elle poursuit : « C’est sûr qu’on n’a quand même pas des personnes comme Johnny Depp [qui ouvrait l’année dernière le Festival de Cannes dans le film de Maïwenn ; très féministe, ça, citer l’acteur et non la réalisatrice, merci et bravo, madame la présidente !], on ne met pas à l’honneur cette année des gens comme Polanski, on peut s’en réjouir. Donc oui, je pense que ça avance. » Ben dame, mais c’est bien sûr ! Réjouissons-nous ! Moi aussi, de Judith Godrèche, c’est autre chose tout de même que Le Pianiste, Palme d’or en 2002, à l’époque enfin révolue du « système de prédation du cinéma français », selon la formule consacrée. Place à #MeToo cinéma, et à ses (basses) œuvres. Moi aussi : « un des moments forts de cette soixantième édition », selon un journaliste qui commente pieusement la présentation de ce « court-métrage très artistique [sic] et en même temps poignant ». Vous avez compris ? « À mon commandement : Pleurez ! Snif, snif ! Une, deux ! Plus fort ! Encore ! Pleurez en chœur, et en canon, on applaudit bien fort les divas des larmes ! » (Judith Godrèche, Juliette Binoche…) Cannes, c’est fait pour ça, non ?

#MeToo cinéma, navire amiral du mouvement

La victimitude glamour dans tous ses états, donc, forte de l’onction décoloniale – aux côtés de Judith Godrèche, Rokhaya Diallo : précaution indispensable, depuis un petit souci au sein du collectif 50/50, lorsqu’une actrice « racisée » accusa une productrice qui ne l’était pas d’un genre de viol capillaire – raciste, forcément raciste.

Cannes, donc, où subsistent, ose-t-on espérer, quelques films de cinéma (quoique aucun, sûrement, ne puisse rivaliser, quant à son importance « historique », avec Moi aussi).

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Paru dans Le Monde sous le titre « #metoo, on persiste et on signe » le jour de l’ouverture du festival, avec un texte exigeant une « loi intégrale » (bigre !) contre les « violences sexuelles et sexistes », le manifeste photographique initié par Anna Mouglalis (#MeToo cinéma), Anne-Cécile Mailfert (présidente de la Fondation des femmes) et Muriel Reus (#MeToo médias) décline les différentes sections (à ce jour) de #MeToo – un inventaire à la Prévert. Mais incontestablement, depuis les accusations qui entraînèrent la chute du magnat du cinéma Harvey Weinstein en 2017, #MeToo cinéma est le navire amiral du mouvement.

En France, c’est en 2019 que la déflagration se produit, avec le show d’Adèle Haenel sur Mediapart, où l’actrice accusait le réalisateur Christophe Ruggia d’assez vagues abus (« pédocriminels ») commis à son encontre quelques années auparavant. Cela au nom du « peuple intersectionnel » (ah, oui ?) et de la promotion des « nouveaux récits féministes » (en même temps que du pesant film à thèse de Céline Sciamma sur le patriarcat et, paraît-il, mais ce n’était guère convaincant, l’amour lesbien).

Plus c’est gros, plus ça passe

En réalité, c’est Polanski, dont sortait au même moment J’accuse, qui se trouvait visé, par des « révélations » de la photographe Valentine Monnier. La laide au bois dormant avait été, quarante-cinq ans plus tôt (« amnésie traumatique », voilà pour le timing), sauvagement violée figurez-vous, et tabassée (ne mégotons pas, du gore pour exciter le lecteur) par un Polanski-vampire à qui, paraît-il, « elle rappelait quelqu’un » (comprendre : son épouse assassinée). Plus c’est gros, plus ça passe. Plus c’est ignoble et sot, plus retentit « #MeToo, nous voilà ! » (« Victimes, on vous croit ! »)

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Comme toute dictature, #MeToo déteste l’art, sa liberté irréductible ; hait la vérité ; abhorre – et craint – l’humour.

Polanski, c’est tout cela – et de plus, « c’est un juif ! Arrêtez-le ! » (la harpie, dans Le Pianiste) ; « celui qui doit être gazé, c’est Polanski ! » (la rue, Césars 2020).

Revenons à Cannes 2024, démonstration de l’expansion (prévisible) du logiciel #MeToo.

Sainte Godrèche, reine des purges !

Des listes ont circulé, sorties d’on ne sait quels bas-fonds. Rumeurs démenties le jour J par Mediapart. Les officines patentées de l’inquisition #MeToo se parent de vertu. Des listes ! Nous ? Jamais ! ose-t-on soutenir, la main sur le cœur.

En même temps sort dans Elle une « enquête ». Pas du menu fretin. Neuf femmes accusent Alain Sarde (ça tombe bien, on peut aussitôt l’associer à Polanski, ce que ne manquent pas de faire les relais empressés des accusations). De l’information, rien que de l’information, hein ! Des articles « sérieux » (copié-collé les uns des autres, dans Mediapart ou ses sous-traitants, interchangeables désormais). Qui légitiment (et que légitime) l’accusation en bande organisée, orchestrée par les soins d’une milice journalistique remarquablement zélée. Quelques jours plus tard (après un pétard mouillé contre Francis Ford Coppola), c’est au tour d’Édouard Baer – qui ne craint pas le ridicule de s’excuser de faits… qu’il ne reconnaît pas. Un « prédateur » après l’autre, le mal (le mâle) est donc systémique. D’ailleurs les députés, les sénateurs et le gouvernement l’ont compris, au garde-à-vous devant Judith Godrèche, comme saisis d’une pressante diarrhée de mesures, exigées par le Diafoirus femelle (et autres Purgon) de #MeToo : sainte Godrèche, reine des purges. C’est désormais le régime ordinaire. Délation-accusation-purgation jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Ils y passeront tous.

#MeToo cinéma – forcément, le « cinéma », ça vous en met plein la vue – montre le chemin.

Le cinéma, jadis, vous fit rêver ? Penser, imaginer ? A ouvert vos yeux et agrandi votre âme ? Son cadavre engendre à présent des dévots rabougris, des justiciers navrants qui applaudissent mécaniquement aux exécutions publiques. Et bientôt – c’est déjà là –, la mise à mort sera celle, moins sexy, de votre père, de votre frère, de votre fils, de votre amant renié. La vôtre, un jour.

Vous réveillerez-vous alors de ce sinistre, stupide, et trop réel cauchemar ?

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Perles de culture

Une nouvelle de Jacques Aboucaya


Depuis quelque temps, le bruit courait sous le manteau. La rumeur enflait dans les milieux bien informés et dans les officines proches du pouvoir, accoutumées à tester les réactions du public avant même que ne soit prise en haut lieu la moindre décision. En l’occurrence, la question n’était pas dénuée d’importance : le néo-parti antifa (NPA) venait de rejoindre à son tour la grande coalition de la haine recuite (CHR). Ce ralliement devait, à l’évidence, être récompensé maintenant que, contre toute attente, la CHR venait d’arracher la victoire aux législatives. Ce n’était que justice et les cent-quatorze adhérents composant le NPA n’eussent pas compris que leur chef, Pierre Bizou, soit exclu de la grande recomposition annoncée par les augures.
Oui, mais voilà : Pierre Bizou était peu connu du grand public, hormis des habitués du Café du Commerce où il avait l’habitude de siroter son pastis vespéral en jouant à la belote. Qu’il ne fasse point partie du gouvernement dont la composition tardait à être dévoilée, tant les rivalités, les ambitions, les rancœurs, les espoirs et les promesses exigeaient un dosage minutieux, eût été incongru.
Alors, Bizou Premier ministre ? L’hypothèse avait été d’emblée écartée, d’un haussement d’épaule, par le grand Manitou, instigateur de ce rassemblement hétéroclite :
« Bizou ? Vous plaisantez ! Il a déjà fait ses preuves ! Souvenez-vous de ses pitoyables prestations lors d’une campagne présidentielle. Nul n’a oublié la piètre image donnée alors par son parti, l’indigence de son programme. Sans compter la pauvreté du langage contrastant avec l’aisance dialectique de son prédécesseur ».

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Plusieurs hypothèses furent ainsi successivement évoquées et aussitôt écartées. L’économie ? Incompétent, de même que les Affaires étrangères, la Justice, la Santé, l’Éducation ou les Armées. Quant aux relations avec le Parlement, cette seule perspective suscita l’hilarité générale.
Soudain, une voix s’éleva :
« Et pourquoi pas la Culture ? C’est un poste inoffensif. Examinez la liste de ceux et celles qui s’y sont succédé : inodores et sans saveur. Voilà qui résoudrait le problème ».
Blandine Roseau, rouge de colère, explosa :
« Impossible ! Inacceptable ! D’abord, ce n’est pas une femme et je ne sache pas qu’il appartienne à la communauté LGBTQ, ce qui le disqualifie d’emblée. Ensuite, j’ai moi-même brigué ce poste en proposant de le rebaptiser Ministère de la Culture woke, voire de la  Déconstruction, terme plus exact que celui de culture, ringard à souhait, et qui évoque sournoisement la tradition. J’ai même proposé ‘Ministère de la Contre-culture’. Vous avez refusé mon offre sous divers prétextes : on déconstruit mieux dans l’ombre, et autres arguments fallacieux. Je suis vexée. Plus encore, outrée ».
Elle tourna les talons, claqua la porte, en proie à cette indignation dont elle était coutumière. Sans doute courut-elle se consoler dans les bras de son mari, lui-même déconstruit, ainsi qu’elle l’avait confié, à la télévision, un jour où elle était en veine de confidences.
Vint enfin le moment où fut dévoilée, sur le perron de l’Élysée, la composition du nouveau gouvernement devant une foule de journalistes venus de tous les horizons. Peu de surprises. Un dosage minutieux entre les sexes, les tendances politiques, fussent-elles antagonistes. Qu’importe : le but était atteint, empêcher la bête immonde, pourtant plébiscitée, d’accéder au pouvoir.
« Ministre de la Culture, Monsieur Pierre Bizou. » Stupéfaction générale. Rires étouffés. Murmures réprobateurs. Le bruit courut que Bizou en personne allait donner, dans l’arrière-salle d’un bistrot voisin, une conférence de presse. Journalistes et photographes d’accourir aussitôt.
« Je suis fier, commença Bizou, de la confiance dont à la quelle vous m’avez fait preuve et que je me montrerai digne. La culture, je connais. Je suis né dedans. Elle a baigné mon enfance. Mon arrière-grand-père cultivait les topinambours pendant l’Occupation allemande. Dans leur jardin, mes parents faisaient la culture du basilic et du persil que ma mère assaisonnait les plats avec. C’est dire que ce sujet, je le connais bien. Du reste, ma première priorité sera de relancer la culture des navets dont les producteurs périclitent. »
Le lendemain, ces propos firent la une des quotidiens du matin, les uns, mal-pensants impénitents, pour se gausser de la bévue du nouveau ministre. Les autres, plus rares, pour louer son sens de l’humour et de l’à-propos. La palme revient, toutefois, au journal L’Univers, réputé pour son sérieux. Son rédacteur-en-chef crut bon, pour sauver les meubles ou noyer le poisson, de titrer : « Le programme ambitieux de Pierre Bizou : priorité au septième art ». Et, en sous-titre : « Le nouveau ministre de la culture souhaite promouvoir la production de navets ».
L’honneur était sauf. 

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Ultraorthodoxes en Israël – du noir au kaki?

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Des ultra-orthodoxes bloquent la route, à Bnei Brak, Israël, 27 juin 2024 © Oded Balilty/AP/SIPA

A Jérusalem, le 25 juin, la Cour suprême a levé l’exemption de service militaire pour les étudiants ultra-orthodoxes. Une décision qui ne fait pas les affaires de la coalition du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Mais, alors qu’Israël est de nouveau en guerre depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, le pays ne peut plus fermer les yeux sur cette exemption, véritable serpent de mer de la vie politique israélienne, qui pose en creux la question suivante: qu’est qu’un «Etat juif»?


Le 25 juin, la Cour suprême israélienne a rendu une décision qui pourrait mener à la conscription des étudiants des écoles talmudiques. Jusqu’à présent, ces jeunes hommes ultraorthodoxes étaient exemptés du service militaire obligatoire s’ils se consacraient à l’étude des textes sacrés du judaïsme. Cependant, les juges ont estimé que le nombre croissant de ces exemptions constitue une rupture du principe d’égalité, et qu’une telle dérogation ne peut être légitimée que par une loi votée par le Parlement. « L’exécutif n’a pas l’autorité pour ordonner de ne pas appliquer la loi sur le service militaire aux étudiants de yeshiva [école talmudique] en l’absence d’un cadre légal adéquat », a déclaré la Cour. « Sans ancrer cette exemption dans un cadre légal, l’État doit agir pour imposer la loi. »

Jusqu’à présent, ces exemptions étaient accordées par l’armée (en tant que représentante de l’État concernant la conscription) dans le cadre d’un arrangement basé sur un accord de 1947 entre David Ben Gourion et les leaders des communautés ultraorthodoxes. Connu sous le nom de « la lettre du statu quo », cet accord visait à obtenir le soutien des ultraorthodoxes pour la création d’un État-nation juif en Palestine, devant la commission de l’ONU. Pour montrer à la communauté internationale une position unie des Juifs de Palestine sous mandat britannique, Ben Gourion et la majorité sioniste laïque ont pris des engagements significatifs envers ce groupe minoritaire mais symboliquement important : les ultraorthodoxes, Juifs des villes, bourgs et villages du Yiddishland, l’espace entre la mer Baltique et la mer Noire, étaient les parents, oncles et frères de Ben Gourion et de ses camarades, qui avaient souvent eux-mêmes fréquenté les mondes des Yeshiva et des Cheder (petites écoles juives où l’on apprend l’hébreu en lisant la Bible).

Des communautés en marge, qui manipulent le reste de la société israélienne

Cette génération de leaders et d’intellectuels sionistes, née dans le dernier tiers du XIXe siècle, a vécu les conséquences de l’émancipation des Juifs, un processus qui s’est déroulé à l’est et au centre de l’Europe plusieurs décennies après celui des Juifs en France. Les ultraorthodoxes, comme les sionistes, représentent deux réactions parmi d’autres à cette soudaine ouverture et aux nouvelles opportunités – notamment la possibilité d’intégrer lycées et universités – qu’elle a permises. Les ultraorthodoxes ont développé un système fondé sur deux piliers : le quasi-rejet de tout ce qui est nouveau et la création de « lycées » et « universités » juifs, les Yeshiva. Ces deux éléments ont doté ces nouveaux courants du judaïsme d’une structure solide, notamment un uniforme inspiré de la mode de l’époque (symbole du rejet du neuf) et des institutions qui occupent et disciplinent la jeunesse masculine.

En quelques décennies, l’ultraorthodoxie a forgé une identité commune malgré de multiples divisions idéologiques et personnelles. Dans une sorte de ruse de l’Histoire, les frères ennemis sionisme/ultraorthodoxie, qui se disputaient âprement la jeunesse juive du Yiddishland entre 1900 et 1940, ont fini par établir des relations symbiotiques au moment même où le sionisme semblait avoir remporté une victoire sans appel, sur le site de cette victoire : l’État d’Israël. Vivant en marge de la société israélienne, les communautés ultraorthodoxes ont appris à manipuler la cité israélienne et son système politique. Elles ont transformé leurs atouts – communautés organisées et disciplinées – en une force politique mobilisée pour obtenir un maximum d’aide matérielle en échange d’un minimum de participation.

La montée de l’État-providence israélien dans les années 1970 a accéléré leur dynamique démographique et l’arrivée de la droite au pouvoir en 1977 avec Menahem Begin a instauré une alliance politique solide. Les effets conjugués de ces deux phénomènes ont transformé un phénomène d’abord marginal puis supportable en un fardeau que les autres Israéliens peinent de plus en plus à porter.

Ainsi, cette décision de la Cour et la crise politique qu’elle a déclenchée – le gouvernement de Netanyahou dépendant du soutien des partis ultraorthodoxes, pour lesquels la fin de cette exception est un casus belli – sont les dernières expressions en date de la plus vieille et certainement la plus fondamentale question qui divise et secoue la société israélienne : qui est juif ? Qu’est-ce qu’un « État juif » ?

Désaccord fondamental

Le 20 octobre 1952, plus de cinq ans après avoir sollicité le soutien des ultraorthodoxes devant l’ONU, Ben Gourion, désormais Premier ministre d’Israël, cherchait à renouer le dialogue. Il était obligé de le faire : depuis presque un mois, son gouvernement n’avait plus la majorité à la Knesset, car les élus ultraorthodoxes ne le soutenaient plus à cause d’un projet de loi visant à élargir le service militaire obligatoire aux femmes, jusqu’alors sollicitées à se porter volontaires. Pour les ultraorthodoxes, c’était une rupture du statu quo selon lequel l’armée devait être une institution juive, c’est-à-dire un espace où la nourriture est kasher et où le repos sabbatique est strictement respecté. Par conséquent et par définition, cette institution ne pouvait être mixte. Ben Gourion s’est donc rendu chez Avraham Kerlitz, le leader de ces communautés, considéré comme le plus grand érudit talmudique de son temps, dont l’autorité découlait de son statut et non d’un poste électif. Ben Gourion voulait discuter avec lui d’une question très pragmatique : comment des Juifs religieux et non religieux pourraient-ils vivre ensemble dans le nouvel État d’Israël ? La réponse d’Avraham Kerlitz, en forme de parabole, est entrée dans la légende. Si un wagon chargé croise le chemin d’un wagon vide, c’est le wagon vide qui doit céder le passage. Le sens était clair : le wagon chargé, c’est le judaïsme talmudique représenté par Kerlitz. Le vide, c’est la nouvelle manière d’être juif par le sionisme, c’est-à-dire en tant qu’existence politique nationale, républicaine et laïque, incarnée par Ben Gourion.

Le désaccord est profond, car les uns – les ultraorthodoxes – n’ont pas besoin de l’État d’Israël, ni d’un État quelconque même dirigé par eux, pour exister. On peut être juif sur une île déserte en mer du Sud à condition de construire deux synagogues : une pour prier et étudier, l’autre pour ne plus jamais y mettre les pieds ! En revanche, un Israélien – peu importe où il habite – ne peut pas exister sans l’État d’Israël et il est peu probable qu’une communauté israélienne en dehors d’Israël puisse survivre autant de générations qu’une communauté juive.

Ce désaccord fondamental est la raison pour laquelle Israël ne s’est toujours pas doté d’une constitution écrite. Il existe un ensemble de lois, d’institutions et de précédents qui forment un édifice constitutionnel. Les libertés occidentales se heurtent à l’identité juive de l’État d’Israël tout comme elles se heurtent à tout contenu positif quel qu’il soit. Dans leur essence, les libertés dressent un cadre, souvent au niveau de l’individu, mais ne peuvent pas le remplir. Dans le cadre d’une république laïque à la française, il est quasiment impossible d’imposer un cadre identitaire. Or, Ben Gourion et les sionistes laïcs et libéraux étaient nourris des mêmes idées et valeurs que les républicains français tout en voulant construire un tel cadre identitaire.

Une situation plus tenable

Ben Gourion, ses contemporains, ses successeurs ainsi que les leaders de l’orthodoxie n’ont pas trouvé une solution à la question des deux wagons. En revanche, des arrangements pragmatiques et provisoires – comme l’exemption – ont été élaborés. En octobre 1948, en pleine guerre, Ben Gourion a accordé à titre exceptionnel une exemption à 400 étudiants de Yeshiva considérés comme la crème de la crème, avec comme argument principal une volonté de reconstruire les Yeshiva de l’Europe de l’Est dispersés et détruits par les Nazis. 76 ans plus tard, le nombre de bénéficiaires avoisine les 60 000. La goutte qui aurait fait déborder le vase est sans doute la guerre qui fait rage depuis le 7 octobre. Cette guerre est non seulement longue mais elle exige l’emploi prolongé des nombreuses unités de l’armée de terre. L’armée des conscrits n’est pas suffisante et le fardeau tombe sur les réservistes, ceux-là mêmes qui, en tant que civils, sont supposés faire tourner l’État et l’économie. La situation risque de s’aggraver si un deuxième front s’ouvre dans le nord.

Pour faire face à l’urgence, le service obligatoire a déjà été allongé de 30 à 36 mois et une proposition de loi prévoit de prolonger d’un an l’âge de l’obligation de service de réserve pour tout le monde.

Dans ces circonstances, l’alliance politique soutenant l’exemption des ultraorthodoxes commence à céder. Ainsi, il n’y a pas, pour l’instant, de majorité en faveur d’une loi qui doterait Israël d’un cadre légal permettant de concilier l’égalité devant l’obligation de servir sous les drapeaux et la spécificité de la communauté ultraorthodoxe. Dans le contexte politique actuel, la question du service militaire fragilise les trois piliers (ultraorthodoxes, religieux nationaux, Likoud) de la coalition de Netanyahou, une coalition fondée sur leur intérêt commun de retirer à la cour constitutionnelle le droit d’invalider des lois (la « réforme constitutionnelle » lancée en janvier 2023 et mise de côté depuis la guerre). Or, après huit mois de conflit, certains religieux nationaux et membres du Likoud ne veulent plus fermer les yeux sur l’exemption des ultraorthodoxes.

Ainsi, la crise constitutionnelle rejoint la crise sécuritaire, imposant à l’ordre du jour israélien cette double question des frontières : les frontières physiques de l’État juif vers l’extérieur, et la définition et donc les frontières de l’identité juive, à l’intérieur, deux interrogations profondes et plus que jamais liées au cœur même de la Cité israélienne.

Soldes: Y’a plus d’saisons!

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Nice, le 26 juin 2024. Les soldes d'été ont lieu du 26 juin au 23 juillet 2024 © SYSPEO/SIPA

Les soldes ont démarré mercredi, mais plus personne ne semble vraiment s’en préoccuper.


Dans le grand tumulte de l’actualité marquée par les élections législatives, le Tour de France, le parcours de la flamme olympique ou encore les préparatifs des JO, les soldes d’été 2024 ont démarré ce mercredi 26 juin, en toute discrétion. Aux journaux télévisés, quelques minutes leur sont tout de même consacrées avec, au programme, les sempiternelles plaintes de commerçants quant au manque de fréquentation des magasins et l’indifférence des passants pour cet événement. On en viendrait presque à plaindre le pauvre journaliste qui a dû faire preuve de persévérance avant de recueillir le témoignage d’un client, souriant, les bras chargés de sacs, se félicitant des bonnes affaires de sa journée. Le moral des Français n’étant pas au beau fixe, il convient de finir le reportage sur une note positive et de nuancer un constat pourtant flagrant : les soldes ne font plus rêver personne, ni les commerçants, ni les clients !

Un désintérêt croissant

D’après l’enquête 2024[1] de l’Observatoire du Commerce Indépendant, huit Français sur dix affirment pourtant avoir changé leur manière de consommer, du fait de l’inflation et de l’augmentation des prix.  Ils sont ainsi plus de 50% à  attendre les périodes de promotion pour faire leurs achats et 36% à rechercher essentiellement des prix bas. Ce serait donc naturel, dans un tel état d’esprit, que les Français plébiscitent de nouveau les périodes de soldes et que celles-ci retrouvent leur gloire d’antan, mais il n’en est rien. Pire, leur désintérêt, qui ne date pas d’hier, semble s’accentuer chaque année ou plutôt chaque saison.

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Car, ne l’oublions pas, les soldes sont intrinsèquement liés aux saisons. Il s’agit pour les enseignes et marques de brader la collection d’été à la fin de l’été et la collection d’hiver à la fin de l’hiver. La logique est simple et paraît pleine de bon sens mais, dans la pratique, tout a changé. Les enseignes de fast-fashion ont rebattu les cartes en proposant non pas deux collections par an mais deux par mois en moyenne. À peine arrivée en rayon, chaque collection est déjà démodée et bradée pour laisser la place à une nouvelle. Ne parlons même pas des géants de l’ultrafast-fashion qui proposent plusieurs milliers de nouvelles références chaque jour ! Ces entreprises se justifient et se défendent en arguant qu’elles ne font que répondre à la demande des consommateurs, de plus en plus avides de nouveautés. Ceux-là mêmes qui s’offusquent de voir des chocolats de Pâques dans les rayons dès le mois de février se font capricieux quand il s’agit d’exiger des soldes avant même le démarrage de la saison. Les marques tentent de suivre l’infernale cadence et s’engagent désormais à livrer aux boutiques des maillots de bain dès le mois de janvier et des manteaux en laine en plein mois de juin. En début d’année, les agriculteurs retournaient les panneaux d’entrée des villes comme un message d’alerte. Les enseignes des magasins devraient subir le même sort car le constat est le même : on marche sur la tête.

Petites et grandes enseignes en désaccord sur l’évolution de la législation

Alors que M. Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt-à-porter, accuse, sur France Info, la météo capricieuse de ces dernières semaines et le climat anxiogène des élections, peu propice à la consommation, M. Pierre Talamon, président de la FNH (Fédération Française de l’Habillement) intervient sur les chaînes nationales pour rappeler sa proposition visant à décaler les dates des soldes pour les reconnecter avec les saisons réelles. Si tous les acteurs du secteur s’accordent sur le fait que le concept de soldes doit être repensé, la législation à son sujet donne lieu à une éternelle confrontation entre les commerçants indépendants et les grandes enseignes dont les intérêts divergent. Est-il encore pertinent de se prétendre tous dans le même bateau lorsque certains voyagent en paquebot tandis que d’autres rament dans une barque ? Chaque année, le gouvernement profite de cette absence de consensus dans la profession pour s’abstenir de toute prise de décision[2].

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L’État français a certes le pouvoir de modifier les dates et la durée des périodes de soldes sur le territoire mais il serait naïf d’imaginer que la modification de ces paramètres soit suffisante pour inverser la tendance. Il est en effet impossible de légiférer sur les soldes sans réglementer, dans le même temps, les périodes de promotions intempestives qui ont lieu tout au long de l’année et dans lesquelles les soldes sont littéralement noyées. Au milieu de ces ventes privées, promotions de mi-saison, soldes flottants ou encore Black Friday, le commerçant se lamente et le client se perd, en plus d’en sortir souvent perdant. Il existe pourtant une directive européenne intitulée « Omnibus »[3], en vigueur depuis 2020 qui détermine des règles pour lutter contre la multiplication des promotions et celles injustement ainsi nommées, mais elle est, hélas, loin d’être appliquée en France de manière stricte. Comme dans bien d’autres domaines en France, la légifération se révèle toujours plus facile que l’application des lois déjà en vigueur.

Nous voilà donc partis pour quatre semaines de grande valse des étiquettes et, alors que la campagne électorale bat son plein pour les législatives, il est fort cocasse de constater que quand certains hésitent à s’acheter une nouvelle veste, d’autres se contentent, avec plus ou moins de discrétion, de retourner la leur.


[1] https://my.ankorstore.com/observatoireducommerceindependant

[2] https://fashionunited.fr/actualite/retail/olivia-gregoire-s-exprime-sur-le-debat-que-provoque-le-choix-des-dates-des-soldes-d-hiver-2024/2024011033941

[3] Directive (UE) 2019/2161 du parlement européen et du conseil du 27 Novembre 2019 – https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32019L2161

Alliance LR / RN: le pionnier Cédric Delapierre

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M. Delapierre en campagne, juin 2024. DR.

Cédric Delapierre (RN-LR) se présente de nouveau dimanche dans la très disputée 8e circonscription de l’Hérault, entre Frontignan et Montpellier. Il avait rallié avec fracas le Rassemblement national lors des élections régionales de 2021.


Qui s’attendait à une dissolution de l’Assemblée nationale ? Pas grand monde en dehors d’Emmanuel Macron qui l’avait sûrement étudiée en amont. Les droites comme les gauches ont donc dû s’adapter à la nouvelle donne politique née du coup de poker tenté par l’Élysée. Le président des Républicains Éric Ciotti n’a pas tergiversé longtemps. Conscient de la faiblesse des Républicains, il a proposé au Rassemblement national une coalition électorale qui a été acceptée par Marine Le Pen et Jordan Bardella.

Reste qu’ils ont été nombreux au fil des ans à quitter le bateau des Républicains en perdition, tant pour aller chez Emmanuel Macron que chez Marine Le Pen, avalisant le fait que ce parti était empêtré dans des contradictions idéologiques difficilement supportables. Un sarkozyste historique tel que Jean-Paul Garraud avait ainsi fait le grand saut en 2019 au moment des précédentes élections européennes. Avant lui, des personnalités comme Philippe Martel, ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac, depuis décédé, ou encore Sébastien Chenu qui s’est si bien fondu dans le marinisme qu’on en oublierait presque son parcours politique initial.

Mais il y a aussi d’autres profils plus discrets qui ne sont pas arrivés sous les ors de la victoire mais ont débuté leur carrière au Rassemblement national par des défaites difficiles. C’est ainsi le cas de Cédric Delapierre, rallié non sans bruit au Rassemblement National lors des élections régionales de 2021 en Occitanie. Il avait pour l’occasion lancé une tribune d’une grande prescience avec le recul :

 « Il est temps de sortir du piège dans lequel François Mitterrand a enfermé la droite, temps de ne plus se laisser dicter notre conduite par ceux qui ont précipité notre pays dans les crises. Cette union régionale autour de Jean-Paul Garraud est un signe des temps. Face aux défis majeurs que nous affrontons, il est nécessaire de faire preuve de pragmatisme, ou nous resterons toujours aux marches du pouvoir. Nous avons assisté de l’intérieur à l’effondrement de nos partis respectifs, incapables de se réinventer et traversés par des luttes intestines irréconciliables. De la même manière que le Parti socialiste du congrès d’Epinay est mort de ses contradictions, la synthèse de l’UMP ne résiste plus aux réalités. Nous ne voulons pas nous placer, nous voulons gagner. »

Conseiller régional RN après avoir été secrétaire général du groupe des élus LR et UDI au conseil régional d’Occitanie, Cédric Delapierre a été candidat aux élections législatives de 2022 sur la huitième circonscription de l’Hérault, battu sur le fil de quelques centaines de voix face à un candidat LFI. Il va tenter dimanche prochain de l’emporter et s’affirme confiant : « Ce qui se passe me rappelle la vague bleue de 1993. La droite est de retour parce que les Français veulent enfin restaurer l’ordre dans leur pays ! »

Pierre Gentillet en campagne: de CNews aux routes du Cher

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À Bélâbre (Indre), Pierre Gentillet prend la parole contre l'installation d'un centre d'accueil de demandeurs d'asile, 10 juin 2024. DR.

Nous avons suivi l’avocat Pierre Gentillet (RN) en campagne, dans le Cher. Dans sa circonscription, on lui réserve un bon accueil. Il faut dire que Marine Le Pen y a fait 50,8% à la présidentielle. Mais, certains lui reprochent d’être parachuté.


Il est comme ça, Pierre Gentillet. Un peu brut de décoffrage, même quand il s’agit d’attirer le chaland. Quand il donne des tracts aux badauds et assure qu’il a « besoin d’eux pour gagner », il ponctue l’échange d’assez sévères injonctions. « Vous croyez peut-être que je vais y arriver tout seul, hein ? ».

Ses amis diraient qu’il manque un peu d’urbanité… Tant mieux : l’avocat parisien fait campagne dans la ruralité. 

Faibles densités de population obligent, les échanges de ce type ne sont pas si fréquents : il faut ici chercher l’électeur, avec la même persévérance qu’un taxidermiste qui attend le client. Les 41 habitants au km2 font du Cher un département très rural. La 3e circonscription, où se présente Monsieur Gentillet, fait partie de ce que les géographes appellent l’hyper ruralité, à l’exception d’un morceau de la ville de Bourges qui lui est rattachée. C’est un territoire qui décroche un peu, où la population vieillit, où l’on se plaint du difficile accès aux services publics, et où déclinent l’activité agricole et… l’envie d’y vieillir. 

Nos cafés, derniers lieux de sociabilisation de la France périphérique

Autant dire qu’en dehors des jours de marché, on se sent un peu seuls. Lors du boitage, l’équipe de campagne bute en outre souvent sur des mansardes abandonnées ou des résidences secondaires. Sur la départementale, on parle d’embouteillage si jamais l’on croise une voiture toutes les 20 minutes ! Dans les ruelles des villages, à moitié vides, on finit par chatouiller les chats quand on a terminé de faire coucou aux mamies aux fenêtres. En quête de sociabilité, le candidat s’est fixé un objectif : « visiter tous les cafés de la circonscription ». Cafés dont il entend d’ailleurs favoriser la prolifération, car « car ce sont des lieux de vie ».

Toujours à rebours des recommandations sanitaires qui déconseillent l’abus d’alcool et ne voient jamais d’un mauvais œil la fermeture des débits de boisson, Maitre Gentillet s’était déjà fait connaître des téléspectateurs de CNews ou de Cyril Hanouna pendant la crise du Covid en devenant une des figures de l’opposition au confinement et aux mesures sanitaires du gouvernement. Ce n’est pas un novice en politique. Ami de longue date de Jordan Bardella, son mentor Thierry Mariani l’emportait pour ses safaris diplomatiques jusqu’en Crimée et en Syrie où il a notamment rencontré Bachar Al-Assad. 

Sur le terrain, il peut tester sa notoriété et sa popularité. Une voiture s’arrête et une vitre se baisse. Un bon Berrichon lui envoie du « On les aura ! » A Saint-Amand-Montrond, un habitué du bar louche un peu, en regardant le candidat entrer dans l’établissement où il est installé. C’est qu’ici la TV est tout le temps branchée sur la 16, sur laquelle Maitre Gentillet officiait encore il y a peu. La réalité dépasse la fiction ! 

Sur les marchés, Pierre Gentillet se présente en enfant du pays. Pourtant ses adversaires sont unanimes à dénoncer un « parachutage ». DR.

Les parachutés partent pour l’aventure 

Présenté comme un parachuté, Pierre Gentillet n’est pourtant pas étranger à cette province, du moins dans ses frontières d’Ancien Régime. Berrichon de l’Indre et non du Cher, il s’est notamment illustré dans son opposition à l’installation du CADA de Bélâbre, à 80 km d’ici.  

« Ah le pâté de Pâques de ma grand-mère », « Excellent, le Chateaumeillant »… s’enflamme, en connaisseur du terroir, ce jeune homme de province monté à Paris. Le côté tout feu tout flamme du candidat oblige ses adversaires à se positionner en élus de terrain. La candidate de la LFI, Emma Moreira, jeune étudiante de 21 ans, plutôt avenante, dénonce ce venu-d’ailleurs et dit le pays « gangréné » par les maisons de campagne des « Parisiens », lesquels ne seraient « pas très appréciés » dans son bon Berry. Rencontré sur le marché, le député sortant Loïc Kervran (Horizons) assure lui que la manœuvre partisane ne passera pas : « Je connais des électeurs de Jordan Bardella. Ils refusent ce parachutage et sont dégoûtés par ces manœuvres. Beaucoup d’électeurs reconnaissent le travail que nous avons mené pour le maintien du service public en zone rurale. » Elu d’un territoire ultra périphérique, Monsieur Kervran s’est effectivement illustré par une proposition de loi sur le maintien des écoles en zone rurale.

La candidate LFI Emma Moreira dénonce les « résidences secondaires des parisiens » dont son adversaire du RN, « parachuté », serait le représentant. DR.

Quel accueil réserve le terrain au « parachuté » ? Ajouté aux 50.8% de Marine Le Pen dans la circonscription et à la dynamique de campagne, le côté vu à la TV du candidat joue ici à plein, et l’accueil est excellent. Le chroniqueur a vite appris le métier de candidat : il a l’enthousiasme facile, s’étonne de la hauteur des arbres, de l’épaisseur des récoltes, de la générosité du service au bar quand le tavernier remplit les verres à ras bord… Il y a bien sûr quelques résistances : « Je vote RN à la présidentielle, mais vous, je ne vous connais pas, alors que Loïc Kervran, lui, a été présent », raisonne un élu municipal venu porter la contradiction sur le comptoir du zinc. Pour le reste, les autochtones applaudissent ses flots d’éloquence comme ses diatribes sur l’impuissance de l’Etat et autres prophéties sur le retour de l’autorité en politique. La candidate LR, Bénédicte de Choulot, si elle fait valoir son travail d’élue locale et dénonce le centralisme parisien, reconnait qu’aucun électeur ne se plaint auprès d’elle de ce parachutage en réalité.

Pierre Gentillet visite les foires du pays avec son équipe. Il écoute poliment l’électeur et l’abreuve parfois d’emphase politique autour du programme de l’Union nationale. DR.

Lyrisme berrichon 

Rarement concret, pas toujours flatteur et mielleux auprès des électeurs, M. Gentillet est plutôt lyrique. Naturel jusque dans ses artifices, si l’on veut, il se présente finalement tel qu’il est : un avocat bouillonnant, féru d’abstractions, avec un cerveau qui émet 10 idées à la minute et qui avale toutes les fiches qu’on lui adresse avant chaque rendez-vous ou prise de parole. Son ambition, certes non dissimulée, repose sur de solides références idéologiques qui déjà le distinguent. Pierre Gentillet doit d’ailleurs sa notoriété télévisuelle à cette faculté d’assertion, et à une identité politique moins lisse que de nombreux cadres et candidats du RN. 

La campagne a aussi ses pauses. À midi, le programme s’arrête pour bavarder avec un notable du département sur la popote politique pendant qu’on sert celle de la brasserie du coin. On parle de tout : des médecins qui manquent, des commerçants qui râlent, des jeunes qui s’en vont, du patois qu’on ne parle plus depuis la guerre… On fait aussi le tour de la faune journalistique de la PQR, ou de la flore politique municipale, au sein desquels le jeune candidat aurait beaucoup d’ennemis mais aussi quelques soutiens discrets. « L’argument du parachutage ne tient pas du tout, la question que tout le monde se pose, c’est : est-ce que je me battrai pour vous ou pas ? » On peut bien lui reprocher d’être né à l’autre bout du Berry, mais Pierre Gentillet arrive au moins à convaincre qu’il est un candidat combatif.

Giulia Foïs s’exhibe sur une affiche du Nouveau Front Populaire? La direction de France Inter ne voit apparemment pas où est le problème…

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Il paraît que Jean-François Achilli s’inquiète beaucoup pour la chroniqueuse… Bénéficie-t-elle d’un statut à part ?


Giulia Foïs est journaliste, productrice et autrice. Elle officie entre autres sur la radio publique. Le féminisme bas de gamme et les théories délirantes sur le genre étant à la portée de tout le monde, cette animatrice woke a décidé d’en faire ses sujets de prédilection. Les féministes les plus averties ont nourri ses réflexions sur le « systémisme du patriarcat », confie-t-elle sur Louie Media. Elle faisait partie du jury de feu le magazine Causette lorsque celui-ci a décerné son prix du meilleur essai féministe à… Alice Coffin. Sur France Inter, elle a animé Pas son genre, émission grâce à laquelle les auditeurs apprirent, entre autres choses stupéfiantes, que « le féminisme c’est la théorie, le lesbianisme, la pratique », que les femmes doivent « s’autoriser à se passer des hommes, dans leurs têtes comme dans leurs lits », que « les hommes ne sont plus qu’une option, parmi d’autres. » Elle admire Judith Butler et Virginie Despentes. Caroline De Haas l’inspire. Depuis deux ans, elle anime, toujours sur France Inter, un programme hebdomadaire intitulé En marge.

Amine El Khatmi ne sera pas invité tout de suite dans son émission

Le 22 juin, lors de la dernière émission de la saison – émission consacrée à… « un pays imaginaire, la Matriarcate » – Giulia Foïs a reçu une autre autrice, Typhaine D[1], une penseuse de sa trempe qui a inventé une langue supposément émancipatrice, un charabia – en gros, elle ajoute des « e » un peu partout pour « féminiser la langue » – avec lequel elle a écrit Contes à rebours, une pièce qu’elle jouera cet été au Festival (de plus en plus woke) d’Avignon : « C’est une réécriture féministe des contes de fées », commence àexpliquer la penseuse en question avant de se mettre à planer complètement : « J’ai voulu commencer par la première phrase qui est… Il était une fois. Et là, je me suis dit, mais qui est ce “il”, ce mec qui veut commencer mon livre et qui veut parader en tête ? Et je me suis dit : mais comment puis-je faire un livre qui m’émancipe avec une grammaire qui m’opprime, qui me rappelle à chaque phrase que les femmes sont quantité négligeable ou sont invisibles. » Giulia Foïs n’a pas cru bon de faire remarquer à son invitée que le « il » de « il était une fois » ne désigne en aucun cas un « mec » mais forme avec le verbe être ce qu’on appelle une locution impersonnelle – en clair, dans le cas présent, le pronom « il » ne représente rien ni personne. Deux possibilités : 1) L’empathique Giulia Foïs n’a pas voulu mettre dans l’embarras son hôte inculte. 2) Elle-même ignore l’existence de ces formes impersonnelles et croit, comme Typhaine D, que « il pleut » est une expression masculiniste et patriarcale. Vu le niveau intellectuel de la dame, je crains malheureusement que…

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On l’aura compris, Giulia Foïs est une journaliste qui a su se plier à toutes les orthodoxies progressistes du moment, le néo-féminisme, le LGBTisme, le wokisme en général. Attirée depuis toujours par l’extrême gauche, elle a signé en 2022 un appel à voter Jean-Luc Mélenchon. Il y a quelques jours, une affiche du Nouveau Front Populaire annonçait sa venue à un meeting devant se tenir à Lyon. La même photo que celle illustrant son émission radiophonique sur le site de France Inter était reprise sur l’affiche politique. Étant donné la tendance gauchiste et la propagande sans limite contre « l’extrême droite » dans les médias publics, Giulia Foïs a vraisemblablement pensé que cela allait passer crème. Mais certaines personnalités, dont le fondateur du Printemps républicain, Amine El Khatmi, ont immédiatement fait le rapprochement avec le cas du journaliste Jean-François Achilli. La direction de France Info a en effet récemment licencié ce dernier pour une « faute grave », une rencontre avec Jordan Bardella dans le cadre d’une potentielle participation à l’écriture d’une autobiographie de l’homme politique, participation que le journaliste avait déclinée. Évoquant le code de déontologie des journalistes de Radio France, Jean-Philippe Baille, directeur de ladite radio, a expliqué : « Nous étions dans l’obligation de réagir. Ces règles sont là pour protéger l’éthique de notre profession, garantir l’indépendance de nos journalistes et conserver la confiance des Français dans leur service public. » Giulia Foïs jouit apparemment d’un statut à part.

Encore un coup de la fachosphère !

De plus, il semblerait bien qu’elle ait été surtout victime de la fachosphère. Les plus fins limiers de Libération en matière de « vérification de l’information » (ou CheckNews) ont diligenté une enquête afin de sauver le soldat Foïs. Le pot aux roses est enfin dévoilé : la journaliste aurait fait « l’objet d’attaques en ligne, en grande partie venue de l’extrême droite ». « Les médias de la bollosphère, agissant comme de coutume de concert, se [seraient] jetés sur “l’affaire”, dénonçant la collusion entre l’audiovisuel public et la gauche » – collusion qui relève de l’imaginaire, comme chacun sait. Les vigilants enquêteurs de Libé ont contacté Giulia Foïs qui avait prévu, leur a-t-elle expliqué, d’intervenir lors de ce meeting pour « défendre les droits des femmes et des enfants » en mettant en exergue son expérience personnelle et celle de son fils « en situation de handicap ». Car Giulia Foïs a peur : « On sait ce que fait l’extrême droite au handicap et aux handicapés et à tout ce qui sort de la norme. On sait ce que le RN promet pour les femmes aussi, donc quand l’heure est si grave, j’y vais avec mon cœur, j’y vais avec mes tripes. »

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Giulia Foïs a finalement renoncé à sa venue au meeting du NFP. Toutefois, Libé a eu connaissance du texte que la journaliste comptait lire lors de cette réunion. Une critique de la détérioration du débat public et de l’ascension de l’extrême droite en constituait, parait-il, l’essentiel. Mais, affirme la journaliste, cela ne relevait d’aucun militantisme. Elle voulait seulement  « souligner la nécessité d’un monde plus inclusif » et déplorer qu’on ait « réussi à faire croire que le RN est un parti comme les autres ». Mélange désolant d’arrogance et de naïveté.

Elle espère maintenant « voir la presse tout entière vent debout contre cette menace que représente l’extrême droite ». Il a visiblement échappé à Giulia Foïs que la « presse tout entière » (ou presque) n’a pas attendu son injonction pour pilonner la propagande des castors. France Inter, la radio qui l’emploie, n’est pas la dernière à promouvoir, plus ou moins subtilement, le fameux « barrage républicain » contre le RN. Raison pour laquelle, au contraire de Jean-François Achilli, Giulia Foïs n’a rien à craindre. D’ailleurs, dit-elle à Libé, elle a eu avec la direction de la radio des échanges « assez doux » qui ne laissent présager aucune sanction, même minime.

Giulia Foïs attend maintenant les résultats des élections la peur au ventre. Les heures sombres vont-elles s’abattre définitivement sur la France ? La bête immonde est-elle de retour, prête à dévorer les handicapés et les femmes ? Et, surtout, le contrat de Mme Foïs avec France Inter sera-t-il renouvelé à la rentrée ? Questions effrayantes. Réponses dans un peu plus de dix jours.

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[1] J’ai consacré à cette créature étrange un papier paru le 20 mai 2020 dans ces colonnes.

Des élections sous le prisme de l’antisémitisme

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Marche contre l'antisémitisme après le viol à caractère antisémite d'une fillette de 12 ans, le 19 juin 2024, à Paris. © JEANNE ACCORSINI/SIPA

A trois jours du premier tour des élections législatives, trois grands blocs se distinguent, et le RN fait la course en tête. Alors que l’extrême gauche avait bataillé aux européennes en parlant beaucoup de Gaza, la courte campagne de ce nouveau scrutin a été dominée par des débats houleux sur l’antisémitisme supposé des uns et des autres. L’analyse politique de Richard Prasquier.


Ces journées d’avant le vote ont été marquées par le viol, le 15 juin, par des garçons de son âge, d’une petite fille juive de 12 ans à Courbevoie. Il suffit de lire le témoignage des parents de l’enfant pour comprendre l’antisémitisme en France. Elle se sentait tellement mise à l’écart du fait de son judaïsme qu’elle avait prétendu qu’elle était musulmane, la découverte du mensonge aurait été la cause du viol. On sait l’augmentation de la violence chez les très jeunes et les carences de notre système judiciaire et éducatif à cet égard. Mais il n’est pas sûr qu’on pose une autre question: ces garçons ont-ils déjà été imprégnés par le discours islamiste, tel qu’il a été mis en pratique par le Hamas le 7 octobre, suivant lequel une femme koufar, autrement dit non-musulmane, et considérée comme ennemie, est un objet de viol parfaitement légitime? Rappelons-nous le calvaire des femmes yezidies aux mains de Daech.

Résidus d’antisémitisme

Dans un communiqué une semaine après, les dirigeants du nouveau Front populaire décrivent ce viol comme une abomination, et ne manquent pas de dénoncer « une odieuse campagne de diffamation menée par une macronie en déroute ». Mais, LFI  n’a pas voulu signer la charte contre l’antisémitisme proposée par Raphaël Glucksmann ! Deux de ses membres avaient donné leur avis sur le viol de Courbevoie. Aymeric Caron trouvait qu’on en parlait trop alors qu’en février on n’avait pas réagi à l’assassinat d’une jeune femme Rom. Il oublie que lui-même n’avait rien dit à l’époque. Sans commentaires… Mais Jean-Luc Mélenchon aussi s’est exprimé. Lui qui avait prétendu que l’antisémitisme était « résiduel » en France se dit « horrifié » et dénonce même l’antisémitisme. Donc tout va bien… Mais lisons mieux, car chez Mélenchon chaque mot compte. D’abord, il fustige le « conditionnement des comportements masculins criminels dès le jeune âge », clin d’œil assez ridicule pour le féminisme woke. Ensuite au lieu d’antisémitisme, il écrit « racisme antisémite ». Or l’antisémitisme des violeurs n’est pas un antisémitisme raciste. Les convertis d’origine européenne, comme semble l’être au moins un des garçons, sont bien acceptés dans l’islam radical et sont souvent au premier rang en matière d’extrémisme. Pourquoi alors le mot « racisme » accolé à antisémite? Pour prétendre que l’antisémitisme n’est qu’une forme de racisme. Or le racisme a toujours été d’extrême droite. Mais il n’en est pas de même de l’antisémitisme. Olivier Faure qui le déclarait a reçu un zéro pointé de la part du grand historien Michel Winock. De Toussenel et Proudhon à Maurice Thorez qui parlait des doigts crochus de Léon Blum, l’antisémitisme de gauche a en France une longue histoire.

Quant au communiqué commun du Nouveau Front Populaire il reprend la triade devenue classique: racisme, antisémitisme, islamophobie. Autre escroquerie intellectuelle, car l’islam est une religion et la critique des religions est une liberté garantie dans la loi de séparation de l’Église et de l’État.

Une tribune hallucinante dans Le Monde

Il faut mesurer les conséquences de cette démission de la laïcité. Lorsqu’une candidate LFI prétend qu’on ne doit pas critiquer un musulman qui s’en prend aux homosexuels par obéissance à une injonction religieuse, on voit les conclusions à en tirer pour les Juifs. Comme le caillou antisémite ne sort pas de la chaussure du Nouveau Front Populaire même s’il y a dans ses rangs une majorité de militants irréprochables, un récent article distingue deux types d’antisémitisme. L’un est ontologique, celui de l’extrême droite. L’autre, celui de gauche, n’est que contextuel, donc moins grave. En suivant ce raisonnement hallucinant, il faudrait excuser René Bousquet qui, préfet radical socialiste, n’avait prononcé avant-guerre aucune parole antisémite et a eu à Vichy le comportement « contextuel » que l’on sait, mais blâmer la Juste polonaise Sofia Kossak Szucka, écrivain antisémite d’extrême droite, qui a fondé Zegota, une organisation dédiée au sauvetage des Juifs. Sans commentaires non plus…

Le RN drague le vote communautaire juif

Des électeurs juifs veulent voter dès le premier tour pour le Rassemblement national. Ils sont exaspérés par les injonctions condescendantes et hostiles envers Israël. Ils constatent l’impuissance face à l’antisémitisme et la résignation face à l’islamisme et écoutent les promesses du Rassemblement national. Je comprends ces électeurs, mais je pense qu’ils ont tort. On est loin des plaisanteries abjectes du père, mais toutes les études montrent que le racisme et l’antisémitisme restent élevés chez les militants du RN. Or le sionisme fondateur de Herzl, issu des Lumières et dont je me revendique, est consubstantiellement attaché à la notion d’égalité intrinsèque entre les êtres humains. C’est le cadre des partis de l’arc républicain classique. Ils ont toujours défendu ces valeurs qui m’importent. Quelles que soient nos déceptions et nos colères devant les complaisances et l’aveuglement que nous constatons parfois, nous ne devons pas nous mettre à la remorque d’un parti d’où les relents xénophobes et antisémites ne sont pas encore extirpés. Ce qui n’empêche pas de saluer son évolution, dont témoigne l’impeccable tribune de Marine Le Pen dans Le Figaro, où elle prend des engagements forts sur l’antisémitisme et la mémoire de la Shoah.

À lire aussi : Mélenchon et la Terreur

Des sondages montrent que le RN pourrait obtenir la majorité absolue. Outre mon scepticisme sur le programme économique du Rassemblement national, je tire une raison supplémentaire de ne pas voter pour lui d’une hypothèse sur les objectifs réels de Mélenchon. Il sait qu’il ne deviendra pas chef du gouvernement à l’issue du scrutin. De fait, la seule place qui l’intéresse vraiment, c’est la première mais il sait aussi qu’il n’y arrivera pas par une procédure régulière tant il a généré d’hostilité à son encontre. Son meilleur allié, c’est le chaos. Pour cela, il tirerait bénéfice d’une majorité absolue du Rassemblement national.

Un gouvernement mis en place dans une atmosphère exceptionnellement tendue, l’inexpérience des dirigeants, l’échec économique prévisible, les mesures impopulaires prises en réaction, tout serait en place pour une explosion sociale. Dans cette situation, Mélenchon pense que son parti, parce qu’il compte des militants déterminés et qu’il peut mieux mobiliser des masses humaines que les autres, prendrait le pouvoir. Il reste au fond un lambertiste, admirateur de Lénine, qui a mis en pratique le concept du groupe d’avant-garde de révolutionnaires professionnels. Les institutions de la Ve république seraient abolies et il pourrait enfin enfiler le costume de Chavez, son héros. La meilleure façon d’éviter cette évolution dramatique et d’éviter un face-à-face destructeur, c’est de renforcer les partis modérés. Ce doit être notre objectif dimanche prochain.

Judéophobie mondialisée

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Des étudiants d'Harvard affichent leur soutien à la Palestine lors de la cérémonie de remise des diplômes, Cambridge (Massachusetts), 23 mai 2024.

Théorisée aux États-Unis, alimentée par le « Sud global » et massivement soutenue en Grande-Bretagne, la haine d’Israël, et par extension celle des juifs, ne cesse de croître. Le système universitaire anglo-saxon facilite ces manifestations, et le poids du vote musulman étouffe les oppositions politiques.


On connaissait le « nouvel antisémitisme ». On découvre aujourd’hui le « nouveau nouvel antisémitisme ». La plus vieille haine a toujours su se réinventer, en puisant dans sa riche histoire, et notre époque ne fait pas exception. Aujourd’hui, l’antisémitisme a pris une forme plus que jamais planétaire, dans la mesure où il irrigue un réseau mondial qui possède sa propre conscience collective et réunit des groupes extrêmement divers. Plus que par le passé, la haine est focalisée sur l’État d’Israël. Auparavant, la logique des antisémites de gauche et de droite, motivés par une haine anticapitaliste ou raciale, était la suivante : on déteste les juifs, donc on déteste Israël. Cette logique vient de s’inverser : on abomine Israël, donc on abhorre les juifs. Cet État ne devrait pas exister, par conséquent tous ceux ayant un lien quelconque avec lui sont punissables. L’antisionisme est devenu le nom de code de cette inversion. Israël est entouré non seulement par des puissances et des organisations ennemies au Proche-Orient, mais par une hostilité généralisée au niveau mondial. Le « Sud global », l’Afrique du Sud à sa tête, mène campagne contre l’État juif, transformé en un symbole de l’arrogance occidentale et du colonialisme. Les régimes autoritaires, russe et chinois, qui courtisent les pays émergents, sont loin de lui offrir leur soutien. Restent les démocraties occidentales, mais elles sont divisées, moins entre elles qu’à l’intérieur d’elles-mêmes. Dans ces pays, ce sont les militants progressistes et les musulmans radicaux qui, ensemble, sont le véritable moteur de la mondialisation de la haine, fidèles à leur slogan : « Globalisons l’intifada ! »

Une insensibilité grandissante face à de tragiques évènements

Ici, le monde anglophone est à la pointe. Les États-Unis fournissent les dogmes identitaires qui inspirent les manifestations anti-israéliennes, tandis que c’est au Royaume-Uni que le militantisme électoral des radicaux musulmans est le plus développé. Les Français, forts en théorie, ont inventé le terme « islamo-gauchisme » ; les Anglo-Saxons, plus pratiques, l’ont fait ! Les universités américaines, traditionnellement bien dotées, et britanniques, qui nagent dans l’argent des étudiants étrangers, sont plus riches que les établissements européens, et leurs campus offrent un cadre idéal où les enfants gâtés des classes moyennes peuvent jouer aux révolutionnaires. Comme les frais de scolarité sont élevés, les étudiants sont pour les autorités universitaires des clients à bichonner plutôt qu’à discipliner. La vie associative des étudiants est ouverte à l’ingérence des associations propalestiniennes, tandis que l’argent qui les subventionne provient de mécènes américains progressistes.

A lire aussi : Face à l’Iran : ne plus tendre l’autre joue

Dans une démocratie, l’étude et l’enseignement de l’histoire devraient suivre les principes du libre examen, mais comme chacun le sait, les humanités ont été prises en otage par des idéologies identitaires et victimaires dont les thuriféraires conspirent à effacer l’histoire en la réécrivant. Cela explique en partie l’insensibilité grandissante par rapport à la mémoire de la Shoah, insensibilité dont la version contemporaine est l’indifférence aux souffrances des victimes du 7 octobre. C’est ainsi que, d’Harvard à Oxford, les manifestants pro-Gaza ne supportent pas qu’on manifeste pour Israël et arrachent toute affiche montrant les otages pris par le Hamas. La divergence d’opinions, vitale dans une démocratie, n’est pas tolérée. On scande parfois dans les défilés : « We do not engage ! » (« On ne discute pas ! »). Certains commentateurs ont comparé les actions sur les campus à celles de 1968, mais à tort. À cette époque, on manifestait contre la guerre ; aujourd’hui, on est pour la violence – contre Israël et ses soutiens, réels ou supposés. L’anticolonialisme du passé se justifiait par le besoin de mettre fin à l’ère coloniale, dont les vestiges étaient encore nombreux et géographiquement localisables. En revanche, la décolonisation d’aujourd’hui est une lutte contre une influence néfaste censée être omniprésente et diffuse, mais qui a une seule incarnation concrète : Israël. L’anéantissement de ce dernier est donc le Graal à poursuivre. Si la revendication principale des pro-Gaza est un boycott économique de cet État, ils sont aussi de l’avis que tout juif, où qu’il soit, est une émanation d’Israël et doit donc disparaître de la vue générale, s’invisibiliser – ou se racheter en dénonçant Israël.

Un soutien à Gaza qui va souvent de pair avec un antisémitisme affirmé…

Ces militants occidentaux idéalisent les musulmans, à commencer par ceux qui sont leurs concitoyens. C’est ainsi qu’au Royaume-Uni, depuis octobre, les deux groupes se sont réunis 14 fois à Londres, dans ce que l’ancienne ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, a nommé « les marches de la haine », des manifestations de milliers de personnes dont la plus grande, le 11 novembre, a rassemblé plus de 800 000 participants. Selon un sondage de février, 70 % des musulmans britanniques considèrent que le conflit à Gaza est un facteur important de leur vote. Historiquement, le vote musulman, sans être monolithique, est acquis aux travaillistes. Or, lors des élections locales du 2 mai, le soutien à ce parti a baissé, et a même chuté de 33 % dans les circonscriptions à majorité musulmane. Dans la foulée, un groupe de pression, The Muslim Vote, a envoyé au leader travailliste 18 revendications dont il doit tenir compte s’il veut regagner le soutien des musulmans. Parmi elles, des sanctions économiques, la fin des relations militaires avec Israël et la reconnaissance d’un État palestinien. Certes, le soutien musulman à Gaza n’est pas nécessairement antisémite mais dans les faits, il nourrit le terreau où la haine peut croître. Dans le nord de l’Angleterre, un rabbin, aumônier pour plusieurs universités et réserviste dans Tsahal, a dû être placé sous protection policière après des menaces de mort, tandis que deux hommes aux noms musulmans ont été inculpés pour avoir préparé un attentat à l’arme automatique contre les juifs de la région de Manchester. Comment expliquer que les musulmans britanniques s’investissent autant dans la cause palestinienne ? La réponse réside peut-être dans le fait qu’ils sont d’héritage pakistanais, et le Pakistan est depuis longtemps un soutien inconditionnel de la cause palestinienne. Les Britanniques issus de cette immigration ont aussi une conscience plus aiguë de leur identité musulmane, qui a dû être affirmée – et le doit encore – contre les hindous d’Inde. Et ça n’arrange pas les choses que le Premier ministre conservateur, Rishi Sunak, et son ex-ministre Suella Braverman, soient hindous.

Jean-Pierre Winter: les Français et leurs angoisses politiques sur le divan

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Le psychanalyste Jean-Pierre Winter © Hannah Assouline

Entretien avec Jean-Pierre Winter, psychanalyste, auteur entre autres de Les hommes politiques sur le divan (1995), Les images, les mots, le corps (entretien avec Françoise Dolto), Peut-on croire à l’amour (2019), L’avenir du père (2019)  


Causeur. Il semble que le séisme politique, engendré par l’annonce de la dissolution, bouscule beaucoup d’entre nous. Le constatez-vous ? Qu’entendez-vous sur le divan ? 

Jean-Pierre Winter. Bien des gens sont désemparés, sidérés, comme interdits de penser. Des journalistes disent que cette dissolution est historique, commentent les enjeux, anticipent les scénarios. Sur le divan, je n’entends rien de tout ça, la dissolution a créé un état psychique désarçonnant, à la limite de la dépression. Les gens, à l’exception de ceux qui sont bardés (!) de certitudes, n’ont plus envie de ne rien faire ; tout leur semble dérisoire, ils se disent : à quoi bon ? Ce qui me frappe, c’est la décrédibilisation de la parole publique, déjà en germe mais considérablement accentuée par le coup de tonnerre de la dit-solution, ce sentiment répandu que tous les politiques sont des affabulateurs. On entend ça ces jours-ci, malheureusement : puisqu’ils nous ont tous trompés, pourquoi, au fond, est-ce qu’on n’essaierait pas Bardella qui n’a pas encore eu l’occasion de nous la faire à l’envers ? Je me souviens de Lacan à Vincennes après mai 68 lançant aux étudiants : « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez ». N’est-ce pas ce qui se dessine aux deux extrémités du spectre politique ? L’homme, inconsciemment, est toujours tenté par la « servitude volontaire », comme manière de se désencombrer de la tâche de décider.

N’y a-t-il pas aussi, chez certains, l’effet inverse : non pas de l’abattement, mais de l’énergie pour faire  « bouger le système », de nouvelles envies de mobilisation ?

L’envie « que ça bouge », si elle n’est fondée que sur la bougeotte, si elle est seulement musculaire, reconduit in fine à du même. C’est la leçon du Guépard : tout change afin que rien ne change… Les généreuses révoltes adolescentes, on l’a vu après mai 68, peuvent fabriquer d’excellents futurs ministres ou fonctionnaires, qui reproduisent le système. Evidemment, le séisme actuel peut, et devrait permettre à chacun de penser et d’agir collectivement et rationnellement, sans promettre la Lune, ni de tout raser gratis.

Pourquoi notre président de la République actuel concentre aujourd’hui une telle haine ?

Les politiques m’ont toujours intrigué, Emmanuel Macron particulièrement depuis son éclosion. J’avais écrit, il y a quelques années, un article dans Le Point disant combien son intelligence lui nuirait. Evitons à son propos de le traiter de Narcisse, mais, chez lui, l’intelligence est à mes yeux un affect, un moyen puissant de se faire aimer et reconnaitre. Il me faudrait du temps pour allonger Emmanuel Macron, et seulement à sa demande, sur le divan, pour pouvoir décrypter les méandres de sa psyché. Bien évidemment, dans cette hypothèse, je ne vous dirais rien ! Mais je peux tenter un diagnostic, fidèle à ma méthode, de ce qu’il dit, de ce qu’il fait, et de ce que cela produit en nous. Il a d’abord suscité tellement d’admiration. Emmanuel Macron parle beaucoup, souvent merveilleusement bien, regardez encore son discours du 18 juin ; il utilise pour séduire toutes les figures rhétoriques possibles. Mais souvent les actes ne suivent pas. Il me rappelle Dom Juan, l’homme qui a tant séduit, qu’il en devient la proie de la haine de tous ceux qu’il a rencontrés (à part peut-être son valet). Ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy ou François Hollande, ont suscité du rejet eux aussi, mais pas à ce point.

Comment l’expliquez-vous ?

Son concept « ni de droite ni de gauche, en même temps » rend le président insaisissable. J’ai lu, çà et là, des chroniqueurs s’autorisant à traiter Emmanuel Macron de « pervers narcissique ». Soyons prudents, les mots ont un sens : la perversion en psychanalyse est une structure clinique et non une catégorie morale. C’est un mode de défense contre l’angoisse, un masque qu’empruntent quelquefois d’autres structures psychiques, telles que l’hystérie. Ce qui est certain, c’est que sa fougue a suscité en nous un immense élan, vite retombé quand ses promesses n’ont pas été suivies d’actes, qu’il a pris immédiatement des mesures de droite (comme l’APL ou l’ISF), pas immédiatement compensées par des mesures sociales (suppression de la taxe d’habitation, ou de la redevance télé). Il parle une langue de bourgeois technocrate, parfois truffée de tournures rares, qu’on ne comprend pas, et qui sont ressenties comme du mépris. S’y ajoute des équivoques, des maladresses, c’est-à-dire des mal-adresses quand subitement il change de registre et se met à parler « peuple », ou quand il évoque des « gens qui ne sont rien », inconscient de l’effet que ça peut produire. Il dit tout et son contraire, en diplomatie comme sur les questions sociétales (je pense aux questions sur le genre). Il endosse tout, ramène tout à lui, il dit « venez me chercher » – souvenez-vous de son discours bravache à l’Assemblée en pleine affaire Benalla. Aussi, les Français, des gilets jaunes à aujourd’hui, répondent : « on va venir puisque tu nous provoques ».

Alexandre Benalla et Emmanuel Macron à bicyclette au Touquet, juin 2017. SIPA. 00811449_000030

Il est par ailleurs plus facile de haïr un dirigeant jeune et ambitieux, parce qu’on n’a pas la retenue, et le respect a priori qu’on peut avoir envers un dirigeant blanchi sous le harnais.  Avec le temps, beaucoup de gens se sont dit : on a affaire à un jeune arbrisseau gorgé de sève, qui n’a quasiment aucune expérience de la politique, pas de cicatrices, pas d’expérience de la vie, pas d’enfant.

Selon vous, le fait qu’il n’en ait pas, est un sujet politique ?

Question bien périlleuse, voire taboue. Le fait qu’on n’en parle pas ne l’empêche pas d’exister dans les conversations. On entend, pas seulement à l’extrême droite, des gens, des parents dire : ce président n’a pas d’expérience de la paternité, donc pas de soucis de pérennité, il ne se préoccupe que de lui, de son avenir et de sa place dans l’Histoire. Quand on l’écoute parler de sa famille, évoquer les enfants de sa femme en disant « ce sont mes enfants », quelque chose, pour certains, sonne étrangement. Ces enfants-là ont un père dont on n’a jamais entendu parler, pourquoi Emmanuel Macron ne dit-il pas : « ce sont mes beaux enfants» ? Ce qui est en jeu n’est évidemment pas ce qu’il fait de sa vie, mais le mésusage des mots. Il y a là une distorsion qui peut être interprétée comme un mensonge et cela nourrit malheureusement les rumeurs sur sa duplicité, ses ambiguïtés, son côté « surgit de nulle part ». Car, en effet, quelle est au fond, la profondeur historique de Macron ? Il n’a pas de réelle filiation politique, ni à droite, ni à gauche, même s’il se réclame de Paul Ricoeur et Michel Rocard avec lequel j’avais débattu, il y a plus de vingt ans, sur la formule de Freud disant qu’ « il y a trois métiers impossibles : gouverner, éduquer, psychanalyser », ces seuls métiers qui se confrontent vraiment au Réel. Macron a-t-il écouté son mentor ? C’est un homme qui semble déconnecté, un politique sans racine qui produit sur nous un effet de déracinement. Et c’est tragique, car ceux qui s’apprêtent à signer pour Bardella, disent : « attention, ce Macron est en train déraciner le pays ».

Mais au départ, des Français ont aimé sa fraicheur, sa liberté vis-à-vis des vieux partis, son couple aussi avec une femme plus âgée, qui bousculait les schémas traditionnels….

C’est vrai, dans un premier temps, on s’est dit « voilà un homme qui ose » et puisqu’il ose dans sa vie privée, il va oser dans la vie politique des choses que les autres n’ont pas eu le courage de faire. Il y a eu cet effet « waouh » transgressif, qui affecte l’imaginaire.

C’est presque indicible là encore, mais son alliance avec Brigitte Macron travaille la psyché collective des Français. Cette femme, aussi fringante, discrète et élégante soit-elle, suscite des fantasmes insensés, au point que des complotistes affirment qu’elle serait un homme. Les stéréotypes les plus toxiques ont conduit des gens à se dire : ce couple n’est pas crédible, comme s’il en existait de crédibles…

N’est-ce pas une vision d’homme ?

En tout cas, ce couple atypique a pu séduire nombre de femmes en faisant éclater certaines normes machistes.

Emmanuel Macron aurait donc perturbé les Français, en jouant sans cesse la carte de la jeunesse ?  

Les chefs d’Etat ont toujours cherché à séduire la jeunesse, souvenez de Valéry Giscard d’Estaing, ou de Mitterrand discutant avec Yves Mourousi de « chébran et branché ». Mais Emmanuel Macron, lui, en a fait des caisses ! Il a désigné le plus jeune Premier ministre de France, Gabriel Attal. Il n’a cessé de se mettre en scène sur les réseaux sociaux, avec des rappeurs, des influenceurs, en tenue de foot, en train de faire de la boxe… Et pourtant, les jeunes sont les premiers à le rejeter. Parce qu’on ne force pas une identification. Les parents qui se mettent à imiter leurs enfants, à parler, ou à s’habiller comme eux, ça ne marche pas. Les jeunes veulent que l’ordre des générations soit respecté, que chacun soit à sa place. Tous ces mots, ces images ont in fine porté atteinte à ce qu’on attend d’un chef d’Etat, à la solennité que Macron avait décrétée au départ, qu’il met en scène, mais qu’il fait tout, en même temps, pour saboter. Les plus âgés, eux, se sont sentis ringardisés, périmés. Ce que j’entends dans mon cabinet c’est que le conflit générationnel s’est considérablement amplifié.

Vous le chargez de tous les maux, mais ce dirigeant a à affronter aussi, comme aucun autre de ses prédécesseurs, une série des crises sans précédent et de changements politiques qui dépassent largement le cadre français.

Évidemment, et il l’a d’ailleurs justement rappelé lors de sa conférence de presse, un vent mauvais est en marche dans toute l’Europe et son bilan est loin d’être nul. Mais, Macron a joué avec, il a introduit la confusion dans nos têtes quand, par exemple, il a proposé un débat avec Marine Le Pen durant la campagne des européennes. Que fait-il d’autre sinon renforcer la crédibilité de celle qu’il veut combattre ?

Aujourd’hui, tout se passe comme si beaucoup de Français s’en voulaient de l’avoir trop vite cru. Quand on a été emporté par un séducteur, on a perdu l’estime de soi, on a l’impression d’avoir été atteint dans son intégrité en ayant consenti. Et là, l’espèce d’élan amoureux qu’on a pu avoir au début se retourne violemment. Chacun le sait, le sentiment le plus proche de l’amour, c’est la haine.

Comment un psychanalyste interprète-t-il alors la dissolution ?

C’est une sorte de passage à l’acte. Quand on a été pendant sept ans, l’objet d’une telle haine, qu’on brûle votre effigie, on est forcément affecté, il a fini par le reconnaître. Moi je n’entends pas : c’est moi ou le chaos, j’entends « je suis KO, mais debout ». Ce que Macron cherche à nous dire à travers cette dissolution c’est : « me haïssez-vous vraiment ou est-ce que m’aimez ? »

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Le festival de Connes

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Sabine Prokhoris © Hannah Assouline

Plus que jamais, Cannes a été leur festival, leur scène et leur tribune, jusque sur les marches du palais. En robes longues et décolletées, des actrices oppressées ont donné libre cours à leurs envies d’épuration, de purge et de castration. #MeToo Cinéma est aussi une grande famille…


Ce n’est clairement pas une édition féministe […], mais au moins on a laissé la place à Judith Godrèche pour présenter son court-métrage », explique l’actrice Ariane Labed, présidente de l’association des acteur.ices – on est prié de ne pas rire. « Acteur.ices »… Radieuse ère nouvelle !

Elle poursuit : « C’est sûr qu’on n’a quand même pas des personnes comme Johnny Depp [qui ouvrait l’année dernière le Festival de Cannes dans le film de Maïwenn ; très féministe, ça, citer l’acteur et non la réalisatrice, merci et bravo, madame la présidente !], on ne met pas à l’honneur cette année des gens comme Polanski, on peut s’en réjouir. Donc oui, je pense que ça avance. » Ben dame, mais c’est bien sûr ! Réjouissons-nous ! Moi aussi, de Judith Godrèche, c’est autre chose tout de même que Le Pianiste, Palme d’or en 2002, à l’époque enfin révolue du « système de prédation du cinéma français », selon la formule consacrée. Place à #MeToo cinéma, et à ses (basses) œuvres. Moi aussi : « un des moments forts de cette soixantième édition », selon un journaliste qui commente pieusement la présentation de ce « court-métrage très artistique [sic] et en même temps poignant ». Vous avez compris ? « À mon commandement : Pleurez ! Snif, snif ! Une, deux ! Plus fort ! Encore ! Pleurez en chœur, et en canon, on applaudit bien fort les divas des larmes ! » (Judith Godrèche, Juliette Binoche…) Cannes, c’est fait pour ça, non ?

#MeToo cinéma, navire amiral du mouvement

La victimitude glamour dans tous ses états, donc, forte de l’onction décoloniale – aux côtés de Judith Godrèche, Rokhaya Diallo : précaution indispensable, depuis un petit souci au sein du collectif 50/50, lorsqu’une actrice « racisée » accusa une productrice qui ne l’était pas d’un genre de viol capillaire – raciste, forcément raciste.

Cannes, donc, où subsistent, ose-t-on espérer, quelques films de cinéma (quoique aucun, sûrement, ne puisse rivaliser, quant à son importance « historique », avec Moi aussi).

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Paru dans Le Monde sous le titre « #metoo, on persiste et on signe » le jour de l’ouverture du festival, avec un texte exigeant une « loi intégrale » (bigre !) contre les « violences sexuelles et sexistes », le manifeste photographique initié par Anna Mouglalis (#MeToo cinéma), Anne-Cécile Mailfert (présidente de la Fondation des femmes) et Muriel Reus (#MeToo médias) décline les différentes sections (à ce jour) de #MeToo – un inventaire à la Prévert. Mais incontestablement, depuis les accusations qui entraînèrent la chute du magnat du cinéma Harvey Weinstein en 2017, #MeToo cinéma est le navire amiral du mouvement.

En France, c’est en 2019 que la déflagration se produit, avec le show d’Adèle Haenel sur Mediapart, où l’actrice accusait le réalisateur Christophe Ruggia d’assez vagues abus (« pédocriminels ») commis à son encontre quelques années auparavant. Cela au nom du « peuple intersectionnel » (ah, oui ?) et de la promotion des « nouveaux récits féministes » (en même temps que du pesant film à thèse de Céline Sciamma sur le patriarcat et, paraît-il, mais ce n’était guère convaincant, l’amour lesbien).

Plus c’est gros, plus ça passe

En réalité, c’est Polanski, dont sortait au même moment J’accuse, qui se trouvait visé, par des « révélations » de la photographe Valentine Monnier. La laide au bois dormant avait été, quarante-cinq ans plus tôt (« amnésie traumatique », voilà pour le timing), sauvagement violée figurez-vous, et tabassée (ne mégotons pas, du gore pour exciter le lecteur) par un Polanski-vampire à qui, paraît-il, « elle rappelait quelqu’un » (comprendre : son épouse assassinée). Plus c’est gros, plus ça passe. Plus c’est ignoble et sot, plus retentit « #MeToo, nous voilà ! » (« Victimes, on vous croit ! »)

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Comme toute dictature, #MeToo déteste l’art, sa liberté irréductible ; hait la vérité ; abhorre – et craint – l’humour.

Polanski, c’est tout cela – et de plus, « c’est un juif ! Arrêtez-le ! » (la harpie, dans Le Pianiste) ; « celui qui doit être gazé, c’est Polanski ! » (la rue, Césars 2020).

Revenons à Cannes 2024, démonstration de l’expansion (prévisible) du logiciel #MeToo.

Sainte Godrèche, reine des purges !

Des listes ont circulé, sorties d’on ne sait quels bas-fonds. Rumeurs démenties le jour J par Mediapart. Les officines patentées de l’inquisition #MeToo se parent de vertu. Des listes ! Nous ? Jamais ! ose-t-on soutenir, la main sur le cœur.

En même temps sort dans Elle une « enquête ». Pas du menu fretin. Neuf femmes accusent Alain Sarde (ça tombe bien, on peut aussitôt l’associer à Polanski, ce que ne manquent pas de faire les relais empressés des accusations). De l’information, rien que de l’information, hein ! Des articles « sérieux » (copié-collé les uns des autres, dans Mediapart ou ses sous-traitants, interchangeables désormais). Qui légitiment (et que légitime) l’accusation en bande organisée, orchestrée par les soins d’une milice journalistique remarquablement zélée. Quelques jours plus tard (après un pétard mouillé contre Francis Ford Coppola), c’est au tour d’Édouard Baer – qui ne craint pas le ridicule de s’excuser de faits… qu’il ne reconnaît pas. Un « prédateur » après l’autre, le mal (le mâle) est donc systémique. D’ailleurs les députés, les sénateurs et le gouvernement l’ont compris, au garde-à-vous devant Judith Godrèche, comme saisis d’une pressante diarrhée de mesures, exigées par le Diafoirus femelle (et autres Purgon) de #MeToo : sainte Godrèche, reine des purges. C’est désormais le régime ordinaire. Délation-accusation-purgation jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Ils y passeront tous.

#MeToo cinéma – forcément, le « cinéma », ça vous en met plein la vue – montre le chemin.

Le cinéma, jadis, vous fit rêver ? Penser, imaginer ? A ouvert vos yeux et agrandi votre âme ? Son cadavre engendre à présent des dévots rabougris, des justiciers navrants qui applaudissent mécaniquement aux exécutions publiques. Et bientôt – c’est déjà là –, la mise à mort sera celle, moins sexy, de votre père, de votre frère, de votre fils, de votre amant renié. La vôtre, un jour.

Vous réveillerez-vous alors de ce sinistre, stupide, et trop réel cauchemar ?

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Perles de culture

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© Jacques Witt/SIPA

Une nouvelle de Jacques Aboucaya


Depuis quelque temps, le bruit courait sous le manteau. La rumeur enflait dans les milieux bien informés et dans les officines proches du pouvoir, accoutumées à tester les réactions du public avant même que ne soit prise en haut lieu la moindre décision. En l’occurrence, la question n’était pas dénuée d’importance : le néo-parti antifa (NPA) venait de rejoindre à son tour la grande coalition de la haine recuite (CHR). Ce ralliement devait, à l’évidence, être récompensé maintenant que, contre toute attente, la CHR venait d’arracher la victoire aux législatives. Ce n’était que justice et les cent-quatorze adhérents composant le NPA n’eussent pas compris que leur chef, Pierre Bizou, soit exclu de la grande recomposition annoncée par les augures.
Oui, mais voilà : Pierre Bizou était peu connu du grand public, hormis des habitués du Café du Commerce où il avait l’habitude de siroter son pastis vespéral en jouant à la belote. Qu’il ne fasse point partie du gouvernement dont la composition tardait à être dévoilée, tant les rivalités, les ambitions, les rancœurs, les espoirs et les promesses exigeaient un dosage minutieux, eût été incongru.
Alors, Bizou Premier ministre ? L’hypothèse avait été d’emblée écartée, d’un haussement d’épaule, par le grand Manitou, instigateur de ce rassemblement hétéroclite :
« Bizou ? Vous plaisantez ! Il a déjà fait ses preuves ! Souvenez-vous de ses pitoyables prestations lors d’une campagne présidentielle. Nul n’a oublié la piètre image donnée alors par son parti, l’indigence de son programme. Sans compter la pauvreté du langage contrastant avec l’aisance dialectique de son prédécesseur ».

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Plusieurs hypothèses furent ainsi successivement évoquées et aussitôt écartées. L’économie ? Incompétent, de même que les Affaires étrangères, la Justice, la Santé, l’Éducation ou les Armées. Quant aux relations avec le Parlement, cette seule perspective suscita l’hilarité générale.
Soudain, une voix s’éleva :
« Et pourquoi pas la Culture ? C’est un poste inoffensif. Examinez la liste de ceux et celles qui s’y sont succédé : inodores et sans saveur. Voilà qui résoudrait le problème ».
Blandine Roseau, rouge de colère, explosa :
« Impossible ! Inacceptable ! D’abord, ce n’est pas une femme et je ne sache pas qu’il appartienne à la communauté LGBTQ, ce qui le disqualifie d’emblée. Ensuite, j’ai moi-même brigué ce poste en proposant de le rebaptiser Ministère de la Culture woke, voire de la  Déconstruction, terme plus exact que celui de culture, ringard à souhait, et qui évoque sournoisement la tradition. J’ai même proposé ‘Ministère de la Contre-culture’. Vous avez refusé mon offre sous divers prétextes : on déconstruit mieux dans l’ombre, et autres arguments fallacieux. Je suis vexée. Plus encore, outrée ».
Elle tourna les talons, claqua la porte, en proie à cette indignation dont elle était coutumière. Sans doute courut-elle se consoler dans les bras de son mari, lui-même déconstruit, ainsi qu’elle l’avait confié, à la télévision, un jour où elle était en veine de confidences.
Vint enfin le moment où fut dévoilée, sur le perron de l’Élysée, la composition du nouveau gouvernement devant une foule de journalistes venus de tous les horizons. Peu de surprises. Un dosage minutieux entre les sexes, les tendances politiques, fussent-elles antagonistes. Qu’importe : le but était atteint, empêcher la bête immonde, pourtant plébiscitée, d’accéder au pouvoir.
« Ministre de la Culture, Monsieur Pierre Bizou. » Stupéfaction générale. Rires étouffés. Murmures réprobateurs. Le bruit courut que Bizou en personne allait donner, dans l’arrière-salle d’un bistrot voisin, une conférence de presse. Journalistes et photographes d’accourir aussitôt.
« Je suis fier, commença Bizou, de la confiance dont à la quelle vous m’avez fait preuve et que je me montrerai digne. La culture, je connais. Je suis né dedans. Elle a baigné mon enfance. Mon arrière-grand-père cultivait les topinambours pendant l’Occupation allemande. Dans leur jardin, mes parents faisaient la culture du basilic et du persil que ma mère assaisonnait les plats avec. C’est dire que ce sujet, je le connais bien. Du reste, ma première priorité sera de relancer la culture des navets dont les producteurs périclitent. »
Le lendemain, ces propos firent la une des quotidiens du matin, les uns, mal-pensants impénitents, pour se gausser de la bévue du nouveau ministre. Les autres, plus rares, pour louer son sens de l’humour et de l’à-propos. La palme revient, toutefois, au journal L’Univers, réputé pour son sérieux. Son rédacteur-en-chef crut bon, pour sauver les meubles ou noyer le poisson, de titrer : « Le programme ambitieux de Pierre Bizou : priorité au septième art ». Et, en sous-titre : « Le nouveau ministre de la culture souhaite promouvoir la production de navets ».
L’honneur était sauf. 

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