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La librairie Filigranes ou l’anatomie d’une chute

Si tout le monde veut croire qu’il est encore possible de trouver un repreneur, l’institution bruxelloise risque en réalité de fermer dans les prochains jours. Tout un symbole. En Belgique, au-delà d’une conjoncture économique défavorable au livre, notre correspondant déplore le grand remplacement de Victor Hugo par TikTok…


L’époque a souvent bon dos lorsqu’il s’agit de trouver des explications : c’est néanmoins elle, et son cortège de phénomènes allant de la baisse du niveau à la numérisation, qui fragilise nombre de librairies. Parmi celles-ci, Filigranes, institution nichée à deux pas du cœur historique de Bruxelles, est le lieu où tout le milieu du livre s’est pendant longtemps rué : auteurs à succès venus dédicacer leur dernier ouvrage, passionnés de lecture, badauds et stars du showbiz, y compris celles dont on doutait qu’elles eussent un jour ouvert un bouquin.

Longtemps la plus vaste librairie en Europe

Depuis quelques années néanmoins, les comptes n’ont cessé de plonger et il fallut réduire la voilure, en diminuant le personnel, les stocks et une surface commerciale qui fut la plus grande de plain-pied pour une librairie en Europe. La situation est aujourd’hui catastrophique et il reste trois semaines pour trouver un repreneur. C’est en amoureux du livre et client régulier, sans autre intérêt que ceux-là, que je soutiens donc l’appel lancé par Marc Filipson, son patron historique, pour sauver l’enseigne.  

On ne pourrait être naïfs pour autant. Tenir une librairie à l’heure où la consultation compulsive des réseaux sociaux a remplacé la lecture des classiques de la littérature, soit le grand remplacement de Victor Hugo par TikTok, relève de la gageure. Et quand les chroniqueurs de Cyril Hanouna donnent le la de la pensée, il devient moins évident d’acheter le pourtant passionnant dernier ouvrage de Peter Frankopan sur l’histoire du monde à l’aune des changements climatiques ou Nexus de Yuval Noah Harari sur l’histoire des réseaux humains d’information.

La fin de la grande librairie populaire

Aux confins des considérations touchant à nos habitudes de consommation et à la complexe économie du livre, d’autres questions affleurent quant à l’avenir des librairies indépendantes. Que faire quand l’exaspérant droit à la paresse, dont se prévaut une part grandissante de la population, incite à acheter sur Amazon plutôt qu’en rayon ? Comment lutter contre les conséquences de l’inflation et la baisse des marges à l’heure du prix unique du livre ? Est-il possible, à la façon de Bernard Pivot, de ressusciter une authentique émission culturelle et populaire, plutôt qu’élitiste et bien-pensante, afin de doper les ventes ?

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Forcément, la fermeture des commerces durant le Covid et leur nécessaire adaptation a aggravé la situation ; le temps de se demander si le livre est un « bien de première nécessité », les dégâts furent presque irréversibles. Ajoutez-y le contexte bruxellois de l’insécurité, allant de la petite délinquance au terrorisme, et de la mobilité entravée par la folie des écologistes – rendant Filigranes plus difficilement accessible en voiture – et l’équation devient complexe.

De surcroît, le patron de la librairie bruxelloise fut accusé de harcèlement moral par une cinquantaine de collaborateurs. Lui-même ne balaie pas les soupçons portés sur son caractère exigeant, voire irascible, connu du tout-Bruxelles. Mais après tout, on pourra également cibler les quelques employés qui, ayant pour certains la dégaine de fêtards semblant tout droit sortis des boîtes de nuit de la capitale et pour d’autres tenant de façon audible des propos woke, n’auront pas contribué à restaurer le lien indéfectible entre un libraire et un lecteur. Il reste heureusement de vrais passionnés qui font vivre le livre, et rien que le livre, chez Filigranes.

Auteurs de droite blacklistés

Il est une cause finalement trop peu entendue : la qualité des ouvrages elle-même. Entrer dans une librairie, c’est aujourd’hui être confronté prioritairement à des romans présentant des carences en style ou des essais vantant toutes les lubies de l’époque. En revanche, il est plus difficile de trouver les auteurs à succès que l’on qualifiera pudiquement d’incorrects, phénomène accentué en Belgique où la gauche exerce une terreur morale et intellectuelle plus forte encore qu’en France. Je dus ainsi profiter d’un passage dans l’Hexagone pour trouver le dernier opus de Laurent Obertone ; chez Filigranes, aucune trace de Transmania de Dora Moutot et de Marguerite Stern non plus ; aucun de ces auteurs n’y a évidemment été invité pour une séance de dédicace.

Espérons une issue favorable pour la librairie bruxelloise et toutes celles qui sont en période de souffrance. Elles ne doivent pas ignorer que cela passera aussi par une refonte de leur modèle et une meilleure compréhension des attentes des lecteurs.

Non mais c’est quoi ce travail ?

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On sait depuis longtemps qu’il ne faut plus parler de «travail d’Arabe». Désormais, on veut proscrire l’expression «travail au noir». Le député Frédéric Maillot a en effet demandé à l’Assemblée nationale de ne plus utiliser la formule, qu’il estime négative. Le problème avec les racisé(e)s, c’est qu’ils croient que le monde est centré autour de leur petite personne et de leur couleur de peau!


L’élu de La Réunion Frédéric Maillot oublie que l’expression « travail au noir » est née au Moyen-Âge. À cette époque, la réglementation en vigueur interdisait le travail après la tombée de la nuit. Malgré tout, certaines personnes détournaient cette interdiction et faisaient travailler leurs employés à la lueur des bougies. Comme ils travaillaient alors qu’il faisait noir, de là nous vient l’expression «travailler au noir». Si l’expression est péjorative, ce n’est donc pas du tout en relation avec une quelconque couleur de peau, mais parce que cela s’apparente à du travail dissimulé.

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Quand la police des mots, ignorante de l’histoire du vocabulaire et de la richesse de la langue française, veut tout régenter, aura-t-on encore le droit d’utiliser nos expressions de la vie courante ?

« Un p’tit noir» ou «un p’tit blanc» ?

Aura-t-on encore le droit d’aller boire dès potron-minet «un p’tit noir» au zinc du bistrot au coin de la rue ? Remarquez, certains lui préféreront « un p’tit blanc », histoire d’être complètement noir même en plein jour. Ou alors un demi « bien blanc » ? Pourra-t-on encore choisir de prendre les blancs ? D’ailleurs, pourquoi sont-ce les blancs qui commencent ? Ces blancs, qui ne sont pas toujours des trous de mémoire, pourra-t-on encore les monter en neige à défaut d’être blanc comme neige ? Et à la nuit tombée, aura-t-on encore le droit de se faire du cinéma sur l’écran noir de nos nuits blanches ? Pourquoi l’écran serait noir et la nuit serait blanche ? Que donnerait une nuit noire sur un écran blanc ? Et ces lunettes noires qui cachent les yeux, n’est-ce pas suspect ? Ou serait-ce qu’elles cachent un œil au beurre noir ? Encore un coup des blousons noirs, qui n’ont pas apprécié leur sole au beurre blanc ? Ou ont-ils préféré une galette au blé noir à la crèpe au froment ? On peut continuer longtemps comme ça…

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Pourra-t-on demain toujours retirer ses points noirs ? Marcher dans la nuit noire ? Donner de l’argent à la caisse noire du syndicat, ou blanchir quelque argent ? Jeter un regard noir ? Lire une série noire pour chasser ses idées noires ? S’essayer à l’humour noir ? Et pourquoi les nuages chargés de pluie sont dits bien noirs quand il y a tant de nuances de gris ?

«Noir ou blanc de peau, on n’est que des os»

Il y a donc des députés de gauche payés des milliers d’euros qui pensent que le mot « noir » se réfère à la couleur de peau. N’est-ce pas là de l’appropriation verbale ? À force de vouloir tout passer au tamis de la racialisation, les auto-proclamés «racisés», avec leur lecture autocentrée, sont en train de diviser la communauté française, pourtant une et indivisible au regard de la Constitution… Fort heureusement, la nuit, tous les chats sont gris, paraît-il, cela nous évitera de broyer du noir en entendant autant d’inepties. On préférera réécouter Claude Nougaro en sirotant… un p’tit blanc bien frais :

La vie, quelle histoire?
C’est pas très marrant
Qu’on l’écrive blanc sur noir
Ou bien noir sur blanc
On voit surtout du rouge, du rouge
Sang, sang, sans trêve ni repos
Qu’on soit, ma foi
Noir ou blanc de peau
Armstrong, un jour, tôt ou tard
On n’est que des os
Est-ce que les tiens seront noirs?
Ce serait rigolo
Allez Louis, alléluia
Au-delà de nos oripeaux
Noir et blanc sont ressemblants
Comme deux gouttes d’eau.

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Féfé: loin, si loin du gangsta rap

Le célèbre rappeur de Seine-Saint-Denis vient de sortir un nouvel album, Hélicoptère, et effectue actuellement une grande tournée. Rencontre avec ce chanteur très attachant, agréablement éloigné du gangsta rap.


De son vrai nom Samuël Adebiyi, le rappeur, producteur et compositeur Féfé, né en 1976 à Clichy-la-Garenne, dans le 9-3, vient de sortir un album épatant intitulé Hélicoptère, et il est en tournée en France jusqu’à l’été prochain. Quand on lui demande de qualifier sa musique, il explique qu’en dehors du rap, il adore la chanson en général : « Je n’ai aucun problème à l’admettre ; j’ai eu l’occasion de découvrir de très belles chansons françaises », confie-t-il. « J’ai été élevé avec de la soul américaine, de la musique nigériane. J’essaie de mettre tout ça dans ma musique. » Il apprécie aussi le blues, le reggae et la pop : « Ces musiques représentent pour moi beaucoup de madeleines de Proust. Mon père était mélomane ; il possédait beaucoup de vinyles et était très éclectique dans ses goûts, il aimait jusqu’à la country ! Ces musiques représentent tout ça pour moi. C’est en quelque sorte l’héritage de mon père. »

Le gangsta rap, ce n’est pas mon délire !

Son dernier album, Hélicoptère, connaît un beau succès. Il explique qu’il l’a écrit pour sortir de la grave dépression qui le minait : « C’est dans ce contexte que sont nés les premiers textes. Beaucoup des chansons de ce disque ont été réalisées chez moi, à la maison. J’ai l’ai produit avec un ordinateur, ma guitare ; en home-studio en quelque sorte. On a rejoué et arrangé ces morceaux avec Bastien Dorémus, (Clara Luciani, Christine & The Queen), Lazy Flow (Meryl) et Felipe Saldivia (Idir, Orelsan) ; chacun d’eux a sa touche ; chacun a apporté sa touche à la musique que j’essaie de faire. » Pourquoi a-t-il choisi d’intituler son album Hélicoptère ? « À cause de la dépression, encore. L’hélicoptère permet de redécoller. Tout simplement. Dans le morceau éponyme, il y a cette phrase : « Si le game est une course, j’arrive en hélicoptère. » Le game ? C’est-à-dire le jeu du hip-hop, du rap ; c’est comme si je regardais le peloton de tous ces gens en train de se battre ; moi je suis dans mon hélico. Je regarde le paysage ; je suis dans une autre course en fait, en tout cas pas dans la même course que toutes ces personnes-là. »

Les raisons de cette dépression étaient à la fois conjoncturelles, familiales, affectives et professionnelles : « Tout cela à la fois ; tout ce que j’avais enfoui en moi notamment depuis l’enfance ; au bout d’un moment tout ça ressort. Oui, c’était à la fois affectif, familial, conjoncturel ; le Covid aussi. Cette dépression a produit beaucoup de dégâts sur moi. Elle a duré plusieurs mois. Lorsqu’on souffre de grave dépression, on souffre d’apathie ; on ne peut plus rien faire. On ne peut même pas se lever. Donc, juste le fait de pouvoir reprendre un stylo, même si l’objet est léger, c’est du lourd. (Rires.) »   

Féfé, c’est 25 ans de carrière. Des succès magnifiques et surtout une démarche singulière dans le monde du hip-hop puisqu’il a joué et/ou enregistré avec Orelsan, Tété, Matthieu Chédid ; il a également joué pour le trentième anniversaire de la mort de Daniel Balavoine. On le comprend, il se situe bien loin d’un certain gangsta rap… : « Je n’ai jamais été dans la mouvance gangsta rap. Je ne suis pas connu pour ça ; ça ne m’a jamais intéressé. J’ai vécu dans une cité ; je n’avais pas les moyens ; c’était compliqué. Il y a énormément de gens comme moi dans les cités, mais ce n’est pas ce qui intéresse le plus les médias. Ce n’est pas assez piquant. Je souffre beaucoup que cette majorité silencieuse ne soit pas assez représentée. Je tente de la représenter du mieux que je le peux. La plupart des gens qui vivent dans les cités, sont des personnes qui vont au travail, se débrouillent le mieux qu’elles le peuvent, dans la légalité. Or, on ne parle jamais de cette majorité-là. Dans ma jeunesse, j’ai vécu avec des dealers. Je n’étais pourtant pas un bandit mais je connais ces gens-là qui, parfois, se sont retrouvés là malgré eux car ils ont fait de mauvais choix. Il y a effectivement des types dégueulasses que je n’aime pas. D’autres sont des chics types qui ont fait de mauvais choix… En cela, j’aurais toujours une tendresse pour ces derniers, car, comme je le disais, j’ai vécu auprès d’eux dans les cités. Donc, ce n’est pas mon délire de promouvoir une vie que je n’ai pas eue. J’ai toujours milité pour que les gens qui vivent là s’élèvent. Je ne juge pas car je n’ai pas l’avis des gens qui racontent ça, le gangsta rap, mais ce n’est pas mon délire. »

L’abbé Pierre

Autre élément singulier de sa carrière : en 2014, il a joué lors de la première édition de l’Abbé Road, concert caritatif de la fondation Abbé-Pierre : « Je n’ai jamais rencontré le célèbre abbé », avoue-t-il. « Concernant la polémique actuelle, c’est compliqué. A l’école, j’ai eu l’occasion de lire l’écrivain Louis-Ferdinand Céline qui n’était pas le meilleur des types ! Il avait quelques casseroles, c’est le moins qu’on puisse dire. Si son œuvre est magnifique, lui ne l’était pas du tout. Il peut y avoir des types odieux qui font de belles œuvres. Cela ne veut pas dire que j’adoube l’abbé Pierre, ou R. Kelly, ou P. Diddy… mais il peut y avoir des types odieux qui font de belles créations ; il faut qu’on comprenne ça ; il est temps qu’on grandisse. Il n’y a pas d’anges sur terre ; il n’y a pas de démons sur terre. Il n’y a que des hommes. »

Plus logique, Akhenaton a participé à l’enregistrement de son album : « J’avais fait la première partie de IAM il y a une dizaine d’années. Pour moi, Akhenaton est un grand frère ; il était là avant moi. Quand j’étais jeune, il me faisait rêver ; il a toujours été très ouvert pour collaborer musicalement. Je l’ai contacté car le texte « Baladeur » correspond à son univers. Nous partageons bon nombre de valeurs. Il n’a jamais été dans le gangsta rap et, pourtant, je suis certain qu’il a connu des gangsters. »

C’est indéniable : Féfé figure une manière d’Ovni dans le milieu du rap français. Pas étonnant quand on l’interroge sur les auteurs qui l’ont influencé, il cite tout de go Gainsbourg, Marley et Dylan qu’il a découvert sur le tard. Un Ovni nourri devaleurs fraternelles et d’intégration. On est en droit de l’en féliciter.


Cycliste écrasé à Paris: et si c’était Anne Hidalgo, la vraie responsable?


Un 4×4 Mercedes ML d’un côté, un cycliste militant de l’autre, le deuxième finissant écrasé sous les roues du premier, après une altercation. En plein 8e arrondissement, boulevard Malesherbes, à deux pas de la Madeleine. Le chauffeur du 4×4 aurait roulé pendant plusieurs centaines de mètres sur la piste cyclable, provoquant la colère de Paul Varry, le cycliste, qui s’est rebellé d’un coup de poing sur le capot du chauffard. Désormais meurtrier présumé. On dit que les pompiers, qui n’ont pas pu réanimer le pauvre malheureux, ont été choqués par l’état de la victime, ses blessures. Le tronc coincé entre le vélo, la chaussée, et les pneus du gros 4×4, ses chances d’en réchapper étaient limitées. Et le chauffard, Ariel M. aux nombreux antécédents judiciaires, le savait certainement. Il plaide pourtant l’accident. Les juges comme le procureur n’ont pas retenu sa version des faits, et ordonné son incarcération en préventive pour meurtre. Voilà pour les faits. Manque cependant dans l’intégralité des articles et reportages qui ont relaté ce drame, pardon, ce fait divers, des éléments de contexte qui me semblent pourtant essentiels à sa bonne compréhension. Il se trouve que j’étais mardi 15 octobre, une fois de plus, une fois de trop, piégé dans les embarras de Paris. Après un rendez-vous boulevard des Capucines, je devais me rendre à l’Assemblée nationale. J’étais donc à moins de 200 mètres de l’endroit où s’est joué le drame. Banlieusard, je confesse ma très grande faute de privilégier encore le plus souvent la voiture pour sillonner Paris, et rentrer ensuite chez moi sans subir les aléas quotidiens des transports en commun, quand on n’y croise pas un forcené avec un couteau à la main. Qui sort plus vite de garde-à-vue et du commissariat que ses victimes, choquées à vie. Ce jour-là, le centre de Paris n’était plus qu’un immense embouteillage. Automobiliste depuis 35 ans, Parisien de toujours, je pense disposer des référentiels pour dire que nous avions crevé tous les plafonds. J’ai mis 1h45 pour aller du boulevard des Capucines jusqu’à l’Assemblée, en faisant un énorme détour, allant jusqu’à passer par… la place Beauvau et les Champs-Elysées pour enfin parvenir à traverser la Seine et aller à l’Assemblée. Sur l’écran de mon GPS, c’est bien simple, tout était rouge vif, avec en prime, de jolis panneaux « sens interdit », alertant des interdictions de circuler provisoires et de plus en plus permanentes. En arrivant à l’Assemblée, tentant de justifier mon retard, j’ai partagé avec le parlementaire qui me recevait et avait réorganisé son emploi du temps pour moi ce que j’avais vu. Jamais, de ma vie, je n’avais constaté de mes propres yeux autant d’infractions au Code de la Route ! C’est bien simple : ce mardi 15 octobre, je n’ai pas croisé un seul policier, sauf aux abords immédiats de Beauvau (ministère de l’Intérieur) et de l’Élysée. En revanche, j’ai vu des cyclistes (oui, je commence par eux), des trottinettistes, des piétons par centaines, faire strictement absolument tout et n’importe quoi sur la chaussée, à tous les carrefours, sans se préoccuper aucunement ni des marquages au sol, ni des feux de circulation, non plus bien entendu des sens de circulation, le tout au milieu de milliers de voitures, utilitaires, bus, pris au piège dans un embouteillage sans queue ni tête ! Entendons-nous bien : je ne pointe pas du doigt ici une quelconque responsabilité des piétons, cyclistes et autres chauffeurs de trottinettes. Je constate simplement que ce jour-là, dans le triangle formé par la Madeleine, l’Opéra, et Saint Augustin, point à partir duquel j’ai pu m’échapper et rouler relativement correctement, tout était parfaitement bloqué, figé, sans que rien n’y personne, du côté des autorités, ne tente d’y remédier ! Nous étions tous pris au piège, un piège sciemment tendu par Anne Hidalgo et ses nervis écologistes, déterminés à chasser pour de bon les voitures de Paris. Comment ? En fermant en catimini des voies de circulation, provoquant ces immenses bouchons censés dégouter les automobilistes, fussent-ils plombiers ou livreurs de sang, mais aussi les usagers des bus de la RATP, de circuler dans Paris. La veille, je découvrais ainsi que la place du Trocadéro était en partie interdite à la circulation, le rond-point étant transformé en U à double-sens. Bouchons à la clef. Ce dramatique mardi 15 octobre, moi, comme des milliers d’autres automobilistes, découvrions qu’il était impossible désormais de faire le tour de la place de la Madeleine en provenance de l’Opéra, par le boulevard des Capucines, obligés de se faufiler dans la rue de Sèze, à voie et à sens unique, pour tenter de rallier… le boulevard Malesherbes. Ou Paul Varry est mort écrasé par un 4×4 mardi 15 octobre. Le piège n’est signalé que par un petit panneau incompréhensible au bout du boulevard des Capucines, obligeant des dizaines d’automobilistes à faire demi-tour, non sans franchir allégrement une ligne blanche, pour repartir dans l’autre direction, et se faufiler dans la rue de Sèze totalement bloquée, provoquant un bouchon de plusieurs centaines de mètres dans le boulevard des Capucines, ou tenter de contourner en passant derrière l’Opéra. Mon choix. Une heure ½ pour en sortir, et parcourir 800 mètres. Pour sa défense, Ariel M. a expliqué qu’il emmenait sa fille de 17 ans chez l’ophtalmologiste. Que le rendez-vous était pris depuis des mois. Banlieusard, il voulait la déposer devant le cabinet médical. Quand on sait qu’il faut parfois deux ans d’attente pour voir un ophtalmo dans certains coins du pays… Il aurait mieux fait de prendre le RER. Mais peut-être que sa ligne était en travaux, ou en panne. Le lot quotidien des Franciliens. Ce jour-là, Ariel M. a tué un cycliste. « Involontairement » plaide son avocat. C’est un « récidiviste dangereux » dixit le procureur, qui a obtenu gain de cause et son placement en détention provisoire. Mais à la barre, ni Anne Hidalgo, ni David Belliard, son adjoint à la circulation, n’étaient cités à comparaître. Pourtant, en organisant la prise en otage des automobilistes dans Paris pour les en chasser, ils sont co-responsables des dizaines de milliers d’infractions au Code de la Route que les caméras de surveillance et les opérateurs qui les pilotent ont pu constater ce jour-là. Ce jour où Paul Vary est mort écrasé par un 4×4, que David Belliard veut désormais interdire, en réaction. Et si on interdisait plutôt les oukazes comme l’abaissement de la vitesse de circulation sur le Périph à 50 km/h, contre l’avis du ministre des Transports, contre le préfet de Police ? Contre Valérie Pécresse, présidente de Région ? Si l’on interdisait aussi les chantiers qui bloquent les voies de circulation pendant des mois sans un seul ouvrier pour y travailler ? Et les voies de circulation fermées en douce, les plans de circulation tellement absurdes que parfois, on se retrouve pris au piège, face à des carrefours où toutes les voies sont interdites (Le Parisien, 7 octobre 2024) ? Ce qui a tué Paul Varry le 15 octobre, c’est aussi l’idéologie, l’automobile bashing permanent, qui rend les automobilistes fous (Le Figaro, 10 octobre 2024), et en particulier Ariel M., un père de quatre enfants, qui a transformé son véhicule (4×4 ou pas), en arme, parce qu’il n’en pouvait plus d’être à l’arrêt depuis des heures alors qu’il emmenait sa fille chez l’ophtalmo. Seulement, il y a gros à parier que le jour de son procès, il sera seul sur le banc des accusés pour assumer les conséquences des faits gravissimes qui lui sont reprochés. Quand bien même le fait générateur initial est connu, et les responsables, parfaitement identifiés.

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Boniface: géopolitologue d’apparence?

Le géopolitologue a suscité un tollé en traitant sur Twitter le maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, de « muslim d’apparence ». S’il a depuis retiré ces propos, il a en revanche maintenu sa critique des médias français qui organiseraient selon lui une « grosse promo » pour les élus faisant silence sur Netanyahou.


« Muslim d’apparence » est le nouvel « arabe de service ». C’est en tout cas comme cela qu’a été compris, dans le microcosme politique, l’expression que Pascal Boniface, fondateur de l’IRIS, a employée pour qualifier le maire de Saint-Ouen (93), Karim Bouamrane.

Cette insulte, énoncée tranquillement sur Twitter par un ancien du PS, montre à quel point l’idéologie dite racialiste réveille et révèle le racisme le plus crasse à gauche. Ainsi, selon Pascal Boniface, les musulmans pensent tous pareil et un musulman qui aurait une pensée personnelle, originale, serait traître à son identité. Le problème, c’est que traiter quelqu’un de « muslim d’apparence » en dit beaucoup plus sur celui qui insulte que sur celui qui est visé.

Parce que, que signifie ce terme ? Que lorsqu’on ressemble à un arabe, on est forcément musulman, donc que l’on hérite d’une identité communautaire à laquelle on doit se conformer ? Sous peine de quoi ? D’être traître à sa race, à sa famille, à sa tribu ? Et d’ailleurs, quel est le comportement que devrait adopter un musulman pour ne pas être un « muslim d’apparence » ? Comment donc doit-il se réislamiser ? Et dans quel but ? Pour répondre à une partie de ces questions, il faut regarder précisément ce qui a valu à Karim Bouamrane une telle volée de bois vert. C’est là que l’histoire prend toute sa dimension.

Rétropédalage raté

En effet, le problème, avec l’inconscient, c’est que lorsqu’il s’exprime et vous fait dire une énorme bêtise, si vous la pensez profondément, il y a des chances qu’en essayant de vous désembourber, vous vous enfonciez encore plus. C’est justement ce qui est arrivé à Pascal Boniface. L’expression « muslim d’apparence » a déclenché un tollé, sa dimension raciste et méprisante ne pouvant être ignorée. L’homme a donc tenté un rétropédalage en direct. Mais quand on se prend les pieds dans le tapis, mieux vaut ne pas tenter le rétablissement en s’agrippant à la nappe. Sauf si on n’aime pas le plat du jour.

C’est ainsi que Pascal Boniface a voulu s’excuser, reconnaissant une maladresse dans l’usage de l’expression « muslim d’apparence ». On apprend au passage qu’une insulte à connotation raciste a été rétrogradée au rang d’indélicatesse. On a connu M. Boniface plus sourcilleux ! Mais, on ne sait pas encore si la jurisprudence fonctionnera demain si la personne « maladroite » est de droite… Le tweet a donc été retiré, mais l’homme a trop d’ego pour admettre véritablement son erreur, alors il faut un dernier baroud d’honneur. Il termine donc ses fausses excuses en renfonçant le clou. Pourquoi selon lui Karim Bouamrane est un « muslim d’apparence » ? Parce qu’il n’est pas assez critique à l’égard d’Israël et ne place pas de fausses accusations de génocide et d’apartheid contre l’État hébreu dès qu’il en a l’occasion. Le chercheur miserait-il sur une détestation culturelle des juifs et d’Israël, détestation qui ferait partie d’une identité musulmane ? On n’ose le penser, mais la piste pourrait-être la bonne.

Un sacré historique

D’autant que l’homme a rompu avec le PS avec pertes et fracas au début des années 2000. En cause ? Son positionnement à l’égard d’Israël et des juifs, déjà. Dans une note datée de 2001, il se positionnait sur le registre de l’efficacité électorale pour enjoindre les socialistes à quitter des positions jugées trop favorables à Israël alors que l’électorat à cibler serait plutôt, au vu du nombre, l’électorat musulman. C’était cynique, froid et arithmétiquement exact. Pourtant, aimer nager « dans les eaux glacées du calcul égoïste », c’est censé être de droite ça aussi… Visiblement, à gauche, on pratique fort bien la natation aussi. Mais ce qui est intéressant, c’était déjà l’argumentation de l’époque de M. Boniface: « Peut-on diaboliser Haider, et traiter normalement Sharon ? », écrivait-il. À l’époque, M. Haider était le dirigeant de l’extrême-droite autrichienne et ses sympathies pour le nazisme n’étaient pas ignorées. Un chercheur, censé donc avoir du recul sur ces questions, mettait sur le même plan le leader israélien et un Autrichien connu pour ses ambiguïtés envers le national-socialisme.

Une position que diffusent aujourd’hui les éléments de langage de LFI ou des islamistes, prompts à traiter de nazis les juifs, pour leur contester la création de l’État d’Israël. Pascal Boniface, de son côté, proposait même, dans le journal suisse Le Temps en 2002, d’inscrire Israël dans la liste des pays de « l’axe du Mal ». Le ton était alors ironique, mais visiblement l’obsession déjà là. Et 22 ans après, elle est toujours là. Au point que pour n’être pas assez agressif envers Israël, le maire de Saint-Ouen est accusé par Pascal Boniface d’être un mauvais musulman. Le fondateur de l’IRIS donne ainsi raison en creux à tous ceux qui notent que la recrudescence des actes et des paroles antisémites n’est pas liée à l’extrême-droite, mais à l’expression décomplexée d’un antisémitisme culturel arabo-musulman. Visiblement, il déplore même qu’il ne s’exprime pas plus.

Le prof fait de la résistance

Lors de sa prise de fonctions, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale a invité les hussards de la République à se retrousser les manches. Mais, on dénonce actuellement dans les rangs le « pacte enseignant », cette loi « scélérate » qui vise à lutter contre l’absentéisme des profs.


Allons « hussardes de la République » [1]! Convoquant, à l’occasion de la passation de pouvoir rue de Grenelle, le 23 septembre, un lignage radieusement matriarcal – mamie, belle-maman, tata, frangine, toutes « AESH, institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège » -, Anne Genetet entendait, dans un exorde martial, rallier les profs à la cause. Mais laquelle?

Ce n’est pas le discours qui le dirait, encombré d’éléments de langage contradictoires : promouvoir l’« école inclusive » mais remonter « le niveau de nos élèves » ; remonter « le niveau de nos élèves » mais lutter « contre le harcèlement » ; travailler sur l’« attractivité du métier d’enseignant » mais promouvoir l’« école inclusive ». Le tout saupoudré de maternage : promesse d’« écoute », de « bien-être », d’« enthousiasme », de « bonheur ». Peut-être l’évocation finale, solennelle, de Samuel Paty et de Dominique Bernard, « deux enseignants passionnés […] morts d’avoir enseigné », était-elle plus éloquente, quoique légèrement inexacte. Ou bien la nécessité, rappelée dans la péroraison, d’inscrire la rénovation de l’école dans « le temps long »[2].

Alors du temps, ça tombe bien, on en a dans mon lycée de province. Et on le gère, dans un esprit méthodique et combatif.

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D’abord, une minute (de silence), par an, pour Samuel Paty et Dominique Bernard, soit 30 secondes pour chacun. Quelques nanosecondes si, sur un malentendu, on inclut dans cette commémoration les victimes du 7 octobre[3]. Ensuite, des heures d’information syndicale : neuf heures annuelles prises sur le temps de travail, primo parce qu’on y a droit, deuxio parce que se syndiquer c’est se défendre, s’informer, lutter. Enfin des jours et des jours, des nuits pour les plus militants, passés à organiser la résistance. Il faut dire qu’en cette rentrée 2024, l’institution veut nous imposer le Pacte (de la honte) afin de pourvoir aux remplacements de courte durée. Il consiste à contractualiser, sur la base du volontariat, des missions supplémentaires d’enseignement : en plus de son traitement de fonctionnaire, le professeur est rémunéré à hauteur des heures effectuées, et perçoit une somme… plutôt coquette. Loi scélérate ! « Un coup d’essai dans l’entreprise de destruction du statut par son découpage en petits morceaux contractualisés » disent les tracts amphigouriques glissés dans les casiers des professeurs potentiellement collabo par leurs vigilants collègues. Il « faut traiter ce problème collectivement » et « nous sommes largement déterminés à cesser de réaliser ces heures ponctuelles de remplacement ». Que les élèves aillent donc se faire remonter le niveau ailleurs ! L’heure est à la Résistance!

Et Dominique Bernard ? Samuel Paty ? La contre-enquête menée par Mickaëlle Paty et diffusée par C8 le 16 octobre fait la lumière sur la mort de son frère et révèle les dangers qui menacent l’école.

Mais le film dure 1h30 et la réaction qui s’impose s’inscrit dans le temps long. Ça ne rentre pas dans le timing. Nous ne pouvons pas être sur tous les fronts.


[1] « En entrant dans ce ministère, je pense à mon arrière-grand-mère, à ma grand-mère, à ma belle-mère, à ma tante, à ma soeur qui furent toutes AESH, institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège ; je pense à cette lignée de hussardes de la République », Anne Genetet, allocution prononcée lors de la passation de pouvoir.

[2] Anne Genetet, allocution prononcée lors de la passation de pouvoir.

[3] Primo-bourde ministérielle.

Madame Pelicot et la société

Hier, à la moitié du procès des viols de Mazan, Gisèle Pelicot a été entendue. La victime a affirmé n’avoir « ni colère ni haine » mais être « déterminée à changer cette société ».


Le témoignage de Gisèle Pelicot a beaucoup ému le tribunal – et le public.  À raison.
Un procès, c’est une histoire humaine qui se rejoue en direct. Souvent, c’est une histoire ordinaire ; là, il s’agit d’un drame exceptionnel et hors-norme. L’émotion est maximale, sans doute parce qu’il est question de la sexualité humaine, qui avec l’argent est un des plus puissants ressorts du crime. Au point que Libé fait précéder ses articles concernant l’affaire des viols de Mazan d’un trigger-warning[1] ! Un  « traumavertissement », en bon français. « Ces articles relatent la description de violences sexuelles et peuvent choquer ».

Effroi et compassion

Tout être humain doué d’empathie ressent de l’effroi et de la compassion pour Gisèle Pelicot qui dit être « une femme totalement détruite ». Mais aussi de l’admiration pour « l’invaincue » (titre du papier de Pascale Robert-Diard, dans Le Monde). Mme Pelicot est détruite mais debout.
Pour la première fois, elle s’adressait hier à son ex-mari, en l’appelant par son prénom. Elle a évoqué leur vie commune, leurs trois enfants et sept petits-enfants. Mais, la phrase la plus relevée est la suivante : « Je n’exprime ni ma colère ni ma haine, mais ma volonté et ma détermination pour qu’on change cette société. » Deux heures après, parmi d’autres journaux, Le Courrier international titrait : « le témoignage de Gisele Pelicot va-t-il changer la société ? »

Culture du viol

En quoi cette question me choque-t-elle ? La question ne me choque pas vraiment, mais elle m’interpelle. Surtout, la réponse est non. Et cela pour deux raisons :
L’objet d’un procès est de juger des criminels ou des délinquants particuliers. On ne juge pas le viol. On ne juge jamais le crime, l’assassinat ou la délinquance. Les tribunaux jugent des cas spécifiques et les juges apprécient des responsabilités individuelles. Certes, cela peut être un peu différent pour les crimes de masse. Le procès de Nuremberg ou le procès d’Eichmann à Jérusalem ont, sinon été des procès du nazisme, permis de comprendre ses ressorts. Mais jamais d’empêcher les résurgences néo-nazies, en réalité. Croyez-vous vraiment que les procès de Charlie ou du Bataclan ont changé la société ? Ils ont peut-être un peu amélioré notre compréhension de l’islamisme, mais ils n’ont pas dissuadé les candidats-djihadistes ni stimulé notre combativité.
Par ailleurs, ce qu’on voit au tribunal d’Avignon, ce n’est pas la société, mais des gens qui ne respectent pas ses règles élémentaires. On en revient à ce que je répète depuis le début de ce procès : on ne juge pas la « culture du viol ». Nous ne sommes pas entourés d’hommes qui font violer leur femme. Et il n’y a pas de culture du viol en France, à mon avis: le viol était déjà condamné socialement et judiciairement bien avant MeToo. Certes, peut-être pas assez, peut-être pas toujours dans les meilleures conditions – on peut toujours faire mieux. Mais si les femmes ont honte d’aller déposer plainte, ce n’est pas forcément à cause du fonctionnement de la justice et de la police, mais tout simplement parce qu’il est très difficile d’accuser quelqu’un qui est le plus souvent un proche et que cela charrie des choses très intimes.
Peut-être Mme Pelicot peut donner du courage aux victimes, mais arrêtons de dire que ce procès changera la société. Au mieux, il donnera des bribes de réponse à la question vertigineuse de Gisèle Pelicot: comment l’homme qu’elle aimait a-t-il pu lui faire ça ? Désolée, ce n’est pas la faute de la société.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Trigger_warning_(psychologie)

Sologne: la chasse aux «gros» est ouverte

Les gros, les riches, naturellement. Ou plutôt les ultra-riches, pour reprendre les termes du bandeau du dernier livre enquête de Jean-Baptiste Forray. 


Les Nouveaux Seigneurs, tel est son titre. Quant au bandeau racoleur comme il se doit – c’est là sa fonction – il dit l’essentiel du contenu : « Comment les ultra-riches ont colonisé la Sologne et dénaturé la chasse »[1]. Rien que cela.

C’est donc en ma qualité de colonisé – puisque Solognot je suis – que je m’autorise ces quelques lignes. Je suis né à Gien (45), la sublime porte d’entrée en Sologne, j’ai grandi et vécu à Veilleins, mégalopole de cent cinquante neuf âmes située entre Romorantin et Chambord. J’y ai même été élu maire-adjoint, conséquence sans doute regrettable d’un moment d’égarement des habitants sus-évoqués. Et puis, j’ai aussi été journaliste de ce pays. Après une parenthèse, je suis revenu vivre à l’année, et pour toujours, dans ce coin-là, qui est de loin celui de France où je me sens le plus chez moi. J’ajoute que, bien que n’étant plus chasseur moi-même depuis fort longtemps, je descends d’une longue lignée de passionnés. Tout cela juste pour dire que je ne me considère pas totalement illégitime à commenter le sujet.

Colonisation

Pour commencer, je ne sens pas peser sur moi, sur mes proches, sur les nombreux Solognots que je fréquente, le poids d’une virulente, d’une étouffante oppression coloniale. Il est vrai que, selon l’auteur qui, un rien condescendant, le suggérait dans une récente interview, nous autres, ici, n’aurions pas encore atteint un niveau de conscience politique qui nous rendrait perceptible la lutte des classes et ses effets. Trop attardés, trop cons, pour tout dire. Sauf que, si je peux me permettre, pour en appeler dans le cas d’espèce à ce concept analytique de lutte des classes, il faut quand même avoir très mal lu le père Marx.

En fait, là où l’inspiration marxisante est à l’œuvre dans cette approche est que le gibier traqué est bien évidemment le riche. L’horrible, le monstrueux riche. Le riche coupable d’un crime inexpiable et entaché d’une tare immonde : avoir l’argent. Il a de l’argent et il s’en sert, le monstre ! C’est ignoble. (À quand, je vous le demande, l’émergence d’une nouvelle « race » de riche, le riche pauvre ! On en rêve. Certains y travaillent actuellement, me rapporte-t-on) Il s’en sert disais-je. Il acquiert des hectares, beaucoup d’hectares. Une rumeur persistante prétend qu’il les paie leur prix et que ce n’est pas en dépêchant des escadrons de mercenaires dans la campagne ni en mettant à flots des canonnières sur la Sauldre ou le Beuvron qu’il s’en rend propriétaire. Colonisation fort tempérée, donc. Mais peut-être n’est-ce là qu’une intox. Le livre-enquête ne dit rien là-dessus. On a tous nos lacunes, il est vrai.

L’engrillagement, un truc de parvenus

Bref, une fois propriétaire de ce vaste domaine, l’ultra-blindé s’empresse de l’engrillager, nous informe l’auteur. Il dit vrai. Or cet engrillagement constitue – en cela il a également raison – une hérésie, une connerie abyssale. Cette pratique est radicalement contraire à la loi naturelle, fondée sur la libre circulation de tout ce qui est gibier. Sans quoi, d’ailleurs, tant conceptuellement que juridiquement l’animal cesse de l’être, gibier, précisément. En effet, pour être qualifiable de gibier, nous enseigne le droit romain, il faut qu’il soit res nullius. Il ne peut avoir aucun propriétaire, aucun maître identifiable. Ainsi, enfermé dans son enclos, l’animal, quel qu’il soit, perd donc cette spécificité fondamentale. Il devient peu ou prou, que cela plaise ou non, une espèce de bête de basse-cour.

A lire ensuite: Le dernier roi des Halles

En réalité, cette folie d’engrillagement est bien davantage la marque d’un réflexe bourgeois qu’aristocratique. Bourgeois parvenu, ajouterais-je. Réflexe d’appropriation. Là où le bourgeois dit « je possède, c’est à moi », le noble, l’authentique, dit « j’appartiens à… » Son patronyme même illustre cette inversion du rapport : il s’appelle Monsieur, Madame « de » tel lieu, ou de tel autre lieu, parce qu’il en est. Parce que, au plus profond de lui, il lui appartient. Le caprice d’engrillagement si exagérément possessif lui est, de ce fait, à peu près étranger. 

Si la cible véritable du livre était cette perversion du milieu, on pourrait applaudir. Et sans doute serais-je le premier. Or, je suis bien certain que si on prenait le temps d’exposer à ces propriétaires – et à tous ceux qui moins riches et sur moins d’hectares sévissent pareillement – que lorsqu’ils rameutent à la chasse leurs relations politiques, people, business, médias, ils se rendent coupables de tromperie sur la marchandise, de grossière arnaque en leur faisant croire que ce sur quoi ils vont tirer mérite bien le label gibier, ils se feraient une obligation – ne serait-ce que par orgueil – de corriger le tir, si je puis ainsi m’exprimer.

Mais on a bien compris que, comme toujours dans ce genre de réquisitoire, le cœur de cible est ailleurs que dans la pratique dénoncée. Ce cœur de cible, répétons-le, c’est le riche. Le riche coupable d’être riche.

Un peu d’histoire et de bon sens

L’auteur explique que le dévoiement remonte à Napoléon III qui a mis à la mode la Sologne, la chasse, au sein des bons et beaux milieux de la capitale. De nouveau, il a raison.

C’est alors qu’est apparu ce que, au début du vingtième siècle, avec une saine ironie, un d’Espinay Saint-Luc – lignée noble et ancienne de Sologne – se prit à baptiser, par opposition au chasseur véritable, « le tireur sportif ». Bonne pâte, nous concèderons à l’auteur du livre que les personnes qu’il vise peuvent apparaître comme le prolongement de ce tireur sportif… À ceci près que, à l’instar de leurs prédécesseurs, les propriétaires d’aujourd’hui eux aussi reboisent, eux aussi curent les fossés, eux aussi entretiennent les étangs, les levées, les berges, les bondes, le réseau astucieux et ancestral de canaux les reliant les uns aux autres, permettant ainsi la perpétuation de l’exploitation patrimoniale de cette forme spécifique de pisciculture… Cela ne devrait pas compter pour rien. Les Solognots le savent bien qui, pour ces choses-là, n’en déplaise à l’auteur, cultivent, de préférence à la lutte des classes, cette forme d’intelligence, assez rude il est vrai, qu’on appelle le bon sens.

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Enfin, il faut aller à l’essentiel. La présentation du livre se clôt par cette formule : « Les Nouveaux Seigneurs lève le voile sur le séparatisme des ultra riches sur fond de souffrance animale. » Les mots révèlent très clairement le projet. Ultra riches, colonisé, séparatisme, souffrance animale. Nous avons là le fin du fin en matière de convergence des crimes : l’argent, la colonisation, l’apartheid, la maltraitance animale. Convergence des crimes à inscrire dans la perspective d’une autre convergence, celle des luttes. Et c’est bien là que se niche le travers idéologique de l’entreprise !

Alors, bonne âme, moi le colonisé solognot pas si mécontent de son sort, je vais ici apporter ma (modeste) contribution à la convergence évoquée. Pour autant que je puisse le savoir, ces gens-là sont blancs. Oui, vous m’avez bien lu, ils sont de race blanche. Mâles, au moins pour une bonne part d’entre eux. Il se peut même que chez eux l’hétérosexualité domine (Là, je m’avance)… Bref, que de tares, que de crimes accumulés ! Vite, vite des hectares engrillagés de barbelés pour qu’on les y lâche et les y flingue ! Taïaut ! Taïaut ! Et voilà bien que, soudain, je me prends à regretter qu’un autre empereur que Napoléon III, attaché lui aussi à la Sologne, Bokassa 1er, l’impayable Jean-Bedel Bokassa, qui fut en son temps un de nos fastueux châtelains, ne soit plus de ce monde. Histoire de raciser un peu ce bal des nantis.

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[1] Èditions les Arènes, octobre 2024.

Nicolas Bedos, le beau bouc émissaire

L’acteur a été condamné hier à six mois sous bracelet électronique pour agressions sexuelles. Une sanction étonnamment lourde qui interroge, contre laquelle le comédien a fait appel.


Un beau gosse hâbleur, un fils de, un bobo, une tête à claques… tous ses détracteurs se réjouiront de la condamnation en première instance du réalisateur, acteur et humoriste Nicolas Bedos, condamné à un an de prison, dont six mois avec sursis, pour des agressions sexuelles.

Mais qu’est-ce qu’une agression sexuelle ? Une tentative de viol ? Détrousser violemment les vêtements de sa victime ? Forcer une personne à accomplir des gestes sexuels sous la contrainte ? Alors, dans ce cas, ce n’est pas cher payé.

En l’occurrence, Nicolas Bedos est accusé par une de ses plaignantes de s’être dirigé vers elle tête baissée, avant de tendre la main au niveau de ses parties génitales, lors d’une soirée en boîte de nuit ; et la seconde femme, serveuse, accusait l’artiste de l’avoir attrapée par la taille et de l’avoir embrassée dans le cou.  Certes, ce n’est pas une façon très élégante de se tenir et une femme choquée par ce comportement est en droit de gifler l’importun. Mais, un baiser volé dans le cou justifie-t-il une plainte ?

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N’oublions pas que les faits se sont produits dans une boîte de nuit branchée de la capitale où hommes et femmes passent leur temps à danser de façon lascive, plus ou moins rapprochée, avec consentement réitéré selon les ondulations corporelles d’une chorégraphie improvisée. Que les hommes qui n’ont jamais essayé d’embrasser une fille à vingt ans, jettent la première pierre à Nicolas Bedos ! Ce qui est gênant dans cette lourde condamnation, c’est la criminalisation d’attitudes qui n’ont causé aucune blessure physique ni dégât matériel. J’entends les saintes-nitouches et les pharisiens hurler qu’il y a sûrement des séquelles psychologiques. Et se prendre une veste, ça ne laisse pas de séquelles psychologiques ? Toute la vie n’est que séquelles psychologiques ! Mes congénères masculins devraient se rassurer : même Nicolas Bedos peut se prendre un râteau ! Ce qui est gênant dans cette condamnation, c’est le manque de proportionnalité pénale entre le geste déplacé et la véritable agression violente. Ce manque de nuance relativise les délits. Il y a une hiérarchie dans la gravité des faits comme il y a une hiérarchie pénale. Nicolas Bedos paye-t-il sa notoriété ? Est-il la victime expiatoire des chiennes de garde et du mouvement « Balance ton porc » ? La sanction est lourde, étonnamment lourde. Ce genre de chose relève de la bienséance et ne devrait pas encombrer les tribunaux.

Aucune sanction ne doit être prise pour l’exemple, car finalement, l’exemple n’est souvent que le cache-sexe du bouc émissaire, et en matière de justice, faire un exemple est une injustice. Cette justice-là ne sort pas grandie.


Doliprane: un symbole cher payé

Mi-octobre, les Français ont appris que l’entreprise Opella, filiale de Sanofi en charge notamment du célèbre médicament Doliprane, allait être vendue à un fonds d’investissement américain. Ce genre d’actualité n’est d’habitude relayée que par la presse économique spécialisée, et il est très rare que le grand public s’y intéresse ou s’en émeuve outre mesure…


Pourtant, cela n’a pas été le cas ! Et, pour une fois, ce n’est pas tellement du fait des syndicats, bien que cette décision risque d’affecter deux sites de production en France et 1700 emplois.

D’un côté, il y a le Doliprane, ce médicament largement utilisé et apprécié dans les foyers français et, de l’autre, un fonds d’investissement étranger, ce que le grand public considère, probablement à juste titre, comme le paroxysme de la capitalisation au détriment de l’humain.

Un médicament érigé en symbole lors de la crise sanitaire

Nul besoin d’être féru d’économie pour comprendre ce qui se joue réellement ici : la désindustrialisation de la France et la perte d’une souveraineté nationale. Déjà, en 2014, dans un autre secteur qu’est celui de l’énergie, les Français s’étaient émus de la cession d’Alstom à l’américain General Electric. Un des points communs entre ces deux affaires reste sans nul doute le rôle de l’État qui subit en plus les conséquences, dans le cas du Doliprane, d’un très mauvais timing. En effet, depuis la crise du Covid, certains médicaments sont en rupture ou en flux tendus et le gouvernement avait, à l’époque, érigé le fameux Doliprane en symbole d’une nécessaire réindustrialisation française en vue de préserver une souveraineté nationale, notamment sur le plan sanitaire. Inutile de dire que le symbole se retourne aujourd’hui contre nos gouvernants et met en lumière l’écart manifeste entre les promesses politiques et leurs réalisations concrètes. D’autant que l’heure est au bilan pour les Français ! Les révélations du nouveau gouvernement quant au déficit actuel de l’État ont ouvert la voie à la vindicte populaire. Les politiques sont sommés de s’expliquer, de se justifier et de rendre des comptes. Il faut bien trouver des coupables !

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La décision de Sanofi de se séparer de sa filiale de santé grand public pour se consacrer à la recherche et au développement de médicaments innovants n’a pourtant rien de choquant. C’est un choix stratégique comme un autre émanant d’une entreprise privée. En revanche, depuis un an que le projet est sur la table, comment expliquer qu’aucun fonds d’investissement français ou européen n’ait pu se montrer acquéreur ? C’est dans ce genre de situation que l’on constate avec désarroi le manque de compétitivité et de poids des entreprises françaises actuellement dans une économie mondialisée.

Aveu de faiblesse

Cependant, c’est sur l’issue de cette affaire que se concentrent mes critiques. Le 21 octobre, la banque publique d’investissement Bpifrance annonce investir entre 100 et 150 millions d’euros pour entrer au capital d’Opella et prétend ainsi influencer Sanofi et le fonds d’investissement américain CD&R dans le but de préserver les sites de production en France et les emplois associés, mais également de garantir l’approvisionnement de la France en médicaments concernés.

Qu’on se le dise : cette somme, aussi impressionnante soit-elle pour le commun des mortels, ne représente que 1 à 2% du capital d’Opella et ce fonds d’investissement américain, désormais majoritaire à plus de 50%, se passera aisément de l’avis de l’État français le jour où il souhaitera délocaliser les sites de production du Doliprane. Ses pieuses promesses seront probablement tenues quelques mois, voire quelques années mais n’offrent aucune garantie à long terme sur le maintien de la production en France ou la sauvegarde des emplois.

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Cette décision sonne comme l’aveu de faiblesse d’un État impuissant, davantage par manque d’autorité et de vision à long terme que par manque de moyens. En effet, ce n’est pas au moment de la cession qu’il aurait fallu agir en tentant mollement de s’imposer dans les négociations mais, quelques années plus tôt, lorsque Sanofi bénéficiait très largement du crédit d’impôt recherche (notamment pour ce vaccin contre le Covid qui n’a jamais réellement abouti ou trop tardivement). C’est à ce moment-là qu’il aurait fallu exiger des contreparties avec des engagements sur le maintien de l’industrie pharmaceutique française autant que faire se peut. On ne peut pas prétendre diriger en subissant une actualité, somme toute assez prévisible au vu des antécédents de désindustrialisation de la France de ces vingt dernières années.

À l’inverse il aurait été courageux de prendre une vraie décision : celle de ne pas du tout ingérer dans cette transaction d’ordre privé ou celle de préempter la cession, c’est à dire de faire capoter la vente et ce, « quoi qu’il en coûte », au risque de froisser les investisseurs étrangers qu’Emmanuel Macro s’efforce de séduire depuis de nombreuses années. Bref, tout aurait été préférable à cette décision molle, en demi-teinte, qui n’apporte aucune garantie à long terme pour l’économie française et qui, à court terme, vient de coûter à la France entre 100 et 150 millions d’euros ! Pour un coup de communication, un effet d’annonce visant à rassurer l’opinion publique, c’est cher payé, surtout quand l’heure est aux économies…

La librairie Filigranes ou l’anatomie d’une chute

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© Shutterstock/SIPA

Si tout le monde veut croire qu’il est encore possible de trouver un repreneur, l’institution bruxelloise risque en réalité de fermer dans les prochains jours. Tout un symbole. En Belgique, au-delà d’une conjoncture économique défavorable au livre, notre correspondant déplore le grand remplacement de Victor Hugo par TikTok…


L’époque a souvent bon dos lorsqu’il s’agit de trouver des explications : c’est néanmoins elle, et son cortège de phénomènes allant de la baisse du niveau à la numérisation, qui fragilise nombre de librairies. Parmi celles-ci, Filigranes, institution nichée à deux pas du cœur historique de Bruxelles, est le lieu où tout le milieu du livre s’est pendant longtemps rué : auteurs à succès venus dédicacer leur dernier ouvrage, passionnés de lecture, badauds et stars du showbiz, y compris celles dont on doutait qu’elles eussent un jour ouvert un bouquin.

Longtemps la plus vaste librairie en Europe

Depuis quelques années néanmoins, les comptes n’ont cessé de plonger et il fallut réduire la voilure, en diminuant le personnel, les stocks et une surface commerciale qui fut la plus grande de plain-pied pour une librairie en Europe. La situation est aujourd’hui catastrophique et il reste trois semaines pour trouver un repreneur. C’est en amoureux du livre et client régulier, sans autre intérêt que ceux-là, que je soutiens donc l’appel lancé par Marc Filipson, son patron historique, pour sauver l’enseigne.  

On ne pourrait être naïfs pour autant. Tenir une librairie à l’heure où la consultation compulsive des réseaux sociaux a remplacé la lecture des classiques de la littérature, soit le grand remplacement de Victor Hugo par TikTok, relève de la gageure. Et quand les chroniqueurs de Cyril Hanouna donnent le la de la pensée, il devient moins évident d’acheter le pourtant passionnant dernier ouvrage de Peter Frankopan sur l’histoire du monde à l’aune des changements climatiques ou Nexus de Yuval Noah Harari sur l’histoire des réseaux humains d’information.

La fin de la grande librairie populaire

Aux confins des considérations touchant à nos habitudes de consommation et à la complexe économie du livre, d’autres questions affleurent quant à l’avenir des librairies indépendantes. Que faire quand l’exaspérant droit à la paresse, dont se prévaut une part grandissante de la population, incite à acheter sur Amazon plutôt qu’en rayon ? Comment lutter contre les conséquences de l’inflation et la baisse des marges à l’heure du prix unique du livre ? Est-il possible, à la façon de Bernard Pivot, de ressusciter une authentique émission culturelle et populaire, plutôt qu’élitiste et bien-pensante, afin de doper les ventes ?

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Forcément, la fermeture des commerces durant le Covid et leur nécessaire adaptation a aggravé la situation ; le temps de se demander si le livre est un « bien de première nécessité », les dégâts furent presque irréversibles. Ajoutez-y le contexte bruxellois de l’insécurité, allant de la petite délinquance au terrorisme, et de la mobilité entravée par la folie des écologistes – rendant Filigranes plus difficilement accessible en voiture – et l’équation devient complexe.

De surcroît, le patron de la librairie bruxelloise fut accusé de harcèlement moral par une cinquantaine de collaborateurs. Lui-même ne balaie pas les soupçons portés sur son caractère exigeant, voire irascible, connu du tout-Bruxelles. Mais après tout, on pourra également cibler les quelques employés qui, ayant pour certains la dégaine de fêtards semblant tout droit sortis des boîtes de nuit de la capitale et pour d’autres tenant de façon audible des propos woke, n’auront pas contribué à restaurer le lien indéfectible entre un libraire et un lecteur. Il reste heureusement de vrais passionnés qui font vivre le livre, et rien que le livre, chez Filigranes.

Auteurs de droite blacklistés

Il est une cause finalement trop peu entendue : la qualité des ouvrages elle-même. Entrer dans une librairie, c’est aujourd’hui être confronté prioritairement à des romans présentant des carences en style ou des essais vantant toutes les lubies de l’époque. En revanche, il est plus difficile de trouver les auteurs à succès que l’on qualifiera pudiquement d’incorrects, phénomène accentué en Belgique où la gauche exerce une terreur morale et intellectuelle plus forte encore qu’en France. Je dus ainsi profiter d’un passage dans l’Hexagone pour trouver le dernier opus de Laurent Obertone ; chez Filigranes, aucune trace de Transmania de Dora Moutot et de Marguerite Stern non plus ; aucun de ces auteurs n’y a évidemment été invité pour une séance de dédicace.

Espérons une issue favorable pour la librairie bruxelloise et toutes celles qui sont en période de souffrance. Elles ne doivent pas ignorer que cela passera aussi par une refonte de leur modèle et une meilleure compréhension des attentes des lecteurs.

Non mais c’est quoi ce travail ?

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La députée Nadège Abomangoli présidant les débats à l'Assemblée nationale, 23 octobre 2024 © ISA HARSIN/SIPA

On sait depuis longtemps qu’il ne faut plus parler de «travail d’Arabe». Désormais, on veut proscrire l’expression «travail au noir». Le député Frédéric Maillot a en effet demandé à l’Assemblée nationale de ne plus utiliser la formule, qu’il estime négative. Le problème avec les racisé(e)s, c’est qu’ils croient que le monde est centré autour de leur petite personne et de leur couleur de peau!


L’élu de La Réunion Frédéric Maillot oublie que l’expression « travail au noir » est née au Moyen-Âge. À cette époque, la réglementation en vigueur interdisait le travail après la tombée de la nuit. Malgré tout, certaines personnes détournaient cette interdiction et faisaient travailler leurs employés à la lueur des bougies. Comme ils travaillaient alors qu’il faisait noir, de là nous vient l’expression «travailler au noir». Si l’expression est péjorative, ce n’est donc pas du tout en relation avec une quelconque couleur de peau, mais parce que cela s’apparente à du travail dissimulé.

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Quand la police des mots, ignorante de l’histoire du vocabulaire et de la richesse de la langue française, veut tout régenter, aura-t-on encore le droit d’utiliser nos expressions de la vie courante ?

« Un p’tit noir» ou «un p’tit blanc» ?

Aura-t-on encore le droit d’aller boire dès potron-minet «un p’tit noir» au zinc du bistrot au coin de la rue ? Remarquez, certains lui préféreront « un p’tit blanc », histoire d’être complètement noir même en plein jour. Ou alors un demi « bien blanc » ? Pourra-t-on encore choisir de prendre les blancs ? D’ailleurs, pourquoi sont-ce les blancs qui commencent ? Ces blancs, qui ne sont pas toujours des trous de mémoire, pourra-t-on encore les monter en neige à défaut d’être blanc comme neige ? Et à la nuit tombée, aura-t-on encore le droit de se faire du cinéma sur l’écran noir de nos nuits blanches ? Pourquoi l’écran serait noir et la nuit serait blanche ? Que donnerait une nuit noire sur un écran blanc ? Et ces lunettes noires qui cachent les yeux, n’est-ce pas suspect ? Ou serait-ce qu’elles cachent un œil au beurre noir ? Encore un coup des blousons noirs, qui n’ont pas apprécié leur sole au beurre blanc ? Ou ont-ils préféré une galette au blé noir à la crèpe au froment ? On peut continuer longtemps comme ça…

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Pourra-t-on demain toujours retirer ses points noirs ? Marcher dans la nuit noire ? Donner de l’argent à la caisse noire du syndicat, ou blanchir quelque argent ? Jeter un regard noir ? Lire une série noire pour chasser ses idées noires ? S’essayer à l’humour noir ? Et pourquoi les nuages chargés de pluie sont dits bien noirs quand il y a tant de nuances de gris ?

«Noir ou blanc de peau, on n’est que des os»

Il y a donc des députés de gauche payés des milliers d’euros qui pensent que le mot « noir » se réfère à la couleur de peau. N’est-ce pas là de l’appropriation verbale ? À force de vouloir tout passer au tamis de la racialisation, les auto-proclamés «racisés», avec leur lecture autocentrée, sont en train de diviser la communauté française, pourtant une et indivisible au regard de la Constitution… Fort heureusement, la nuit, tous les chats sont gris, paraît-il, cela nous évitera de broyer du noir en entendant autant d’inepties. On préférera réécouter Claude Nougaro en sirotant… un p’tit blanc bien frais :

La vie, quelle histoire?
C’est pas très marrant
Qu’on l’écrive blanc sur noir
Ou bien noir sur blanc
On voit surtout du rouge, du rouge
Sang, sang, sans trêve ni repos
Qu’on soit, ma foi
Noir ou blanc de peau
Armstrong, un jour, tôt ou tard
On n’est que des os
Est-ce que les tiens seront noirs?
Ce serait rigolo
Allez Louis, alléluia
Au-delà de nos oripeaux
Noir et blanc sont ressemblants
Comme deux gouttes d’eau.

La Révolution racialiste: et autres virus idéologiques

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Féfé: loin, si loin du gangsta rap

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DR.

Le célèbre rappeur de Seine-Saint-Denis vient de sortir un nouvel album, Hélicoptère, et effectue actuellement une grande tournée. Rencontre avec ce chanteur très attachant, agréablement éloigné du gangsta rap.


De son vrai nom Samuël Adebiyi, le rappeur, producteur et compositeur Féfé, né en 1976 à Clichy-la-Garenne, dans le 9-3, vient de sortir un album épatant intitulé Hélicoptère, et il est en tournée en France jusqu’à l’été prochain. Quand on lui demande de qualifier sa musique, il explique qu’en dehors du rap, il adore la chanson en général : « Je n’ai aucun problème à l’admettre ; j’ai eu l’occasion de découvrir de très belles chansons françaises », confie-t-il. « J’ai été élevé avec de la soul américaine, de la musique nigériane. J’essaie de mettre tout ça dans ma musique. » Il apprécie aussi le blues, le reggae et la pop : « Ces musiques représentent pour moi beaucoup de madeleines de Proust. Mon père était mélomane ; il possédait beaucoup de vinyles et était très éclectique dans ses goûts, il aimait jusqu’à la country ! Ces musiques représentent tout ça pour moi. C’est en quelque sorte l’héritage de mon père. »

Le gangsta rap, ce n’est pas mon délire !

Son dernier album, Hélicoptère, connaît un beau succès. Il explique qu’il l’a écrit pour sortir de la grave dépression qui le minait : « C’est dans ce contexte que sont nés les premiers textes. Beaucoup des chansons de ce disque ont été réalisées chez moi, à la maison. J’ai l’ai produit avec un ordinateur, ma guitare ; en home-studio en quelque sorte. On a rejoué et arrangé ces morceaux avec Bastien Dorémus, (Clara Luciani, Christine & The Queen), Lazy Flow (Meryl) et Felipe Saldivia (Idir, Orelsan) ; chacun d’eux a sa touche ; chacun a apporté sa touche à la musique que j’essaie de faire. » Pourquoi a-t-il choisi d’intituler son album Hélicoptère ? « À cause de la dépression, encore. L’hélicoptère permet de redécoller. Tout simplement. Dans le morceau éponyme, il y a cette phrase : « Si le game est une course, j’arrive en hélicoptère. » Le game ? C’est-à-dire le jeu du hip-hop, du rap ; c’est comme si je regardais le peloton de tous ces gens en train de se battre ; moi je suis dans mon hélico. Je regarde le paysage ; je suis dans une autre course en fait, en tout cas pas dans la même course que toutes ces personnes-là. »

Les raisons de cette dépression étaient à la fois conjoncturelles, familiales, affectives et professionnelles : « Tout cela à la fois ; tout ce que j’avais enfoui en moi notamment depuis l’enfance ; au bout d’un moment tout ça ressort. Oui, c’était à la fois affectif, familial, conjoncturel ; le Covid aussi. Cette dépression a produit beaucoup de dégâts sur moi. Elle a duré plusieurs mois. Lorsqu’on souffre de grave dépression, on souffre d’apathie ; on ne peut plus rien faire. On ne peut même pas se lever. Donc, juste le fait de pouvoir reprendre un stylo, même si l’objet est léger, c’est du lourd. (Rires.) »   

Féfé, c’est 25 ans de carrière. Des succès magnifiques et surtout une démarche singulière dans le monde du hip-hop puisqu’il a joué et/ou enregistré avec Orelsan, Tété, Matthieu Chédid ; il a également joué pour le trentième anniversaire de la mort de Daniel Balavoine. On le comprend, il se situe bien loin d’un certain gangsta rap… : « Je n’ai jamais été dans la mouvance gangsta rap. Je ne suis pas connu pour ça ; ça ne m’a jamais intéressé. J’ai vécu dans une cité ; je n’avais pas les moyens ; c’était compliqué. Il y a énormément de gens comme moi dans les cités, mais ce n’est pas ce qui intéresse le plus les médias. Ce n’est pas assez piquant. Je souffre beaucoup que cette majorité silencieuse ne soit pas assez représentée. Je tente de la représenter du mieux que je le peux. La plupart des gens qui vivent dans les cités, sont des personnes qui vont au travail, se débrouillent le mieux qu’elles le peuvent, dans la légalité. Or, on ne parle jamais de cette majorité-là. Dans ma jeunesse, j’ai vécu avec des dealers. Je n’étais pourtant pas un bandit mais je connais ces gens-là qui, parfois, se sont retrouvés là malgré eux car ils ont fait de mauvais choix. Il y a effectivement des types dégueulasses que je n’aime pas. D’autres sont des chics types qui ont fait de mauvais choix… En cela, j’aurais toujours une tendresse pour ces derniers, car, comme je le disais, j’ai vécu auprès d’eux dans les cités. Donc, ce n’est pas mon délire de promouvoir une vie que je n’ai pas eue. J’ai toujours milité pour que les gens qui vivent là s’élèvent. Je ne juge pas car je n’ai pas l’avis des gens qui racontent ça, le gangsta rap, mais ce n’est pas mon délire. »

L’abbé Pierre

Autre élément singulier de sa carrière : en 2014, il a joué lors de la première édition de l’Abbé Road, concert caritatif de la fondation Abbé-Pierre : « Je n’ai jamais rencontré le célèbre abbé », avoue-t-il. « Concernant la polémique actuelle, c’est compliqué. A l’école, j’ai eu l’occasion de lire l’écrivain Louis-Ferdinand Céline qui n’était pas le meilleur des types ! Il avait quelques casseroles, c’est le moins qu’on puisse dire. Si son œuvre est magnifique, lui ne l’était pas du tout. Il peut y avoir des types odieux qui font de belles œuvres. Cela ne veut pas dire que j’adoube l’abbé Pierre, ou R. Kelly, ou P. Diddy… mais il peut y avoir des types odieux qui font de belles créations ; il faut qu’on comprenne ça ; il est temps qu’on grandisse. Il n’y a pas d’anges sur terre ; il n’y a pas de démons sur terre. Il n’y a que des hommes. »

Plus logique, Akhenaton a participé à l’enregistrement de son album : « J’avais fait la première partie de IAM il y a une dizaine d’années. Pour moi, Akhenaton est un grand frère ; il était là avant moi. Quand j’étais jeune, il me faisait rêver ; il a toujours été très ouvert pour collaborer musicalement. Je l’ai contacté car le texte « Baladeur » correspond à son univers. Nous partageons bon nombre de valeurs. Il n’a jamais été dans le gangsta rap et, pourtant, je suis certain qu’il a connu des gangsters. »

C’est indéniable : Féfé figure une manière d’Ovni dans le milieu du rap français. Pas étonnant quand on l’interroge sur les auteurs qui l’ont influencé, il cite tout de go Gainsbourg, Marley et Dylan qu’il a découvert sur le tard. Un Ovni nourri devaleurs fraternelles et d’intégration. On est en droit de l’en féliciter.


Cycliste écrasé à Paris: et si c’était Anne Hidalgo, la vraie responsable?

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Image d'illustration

Un 4×4 Mercedes ML d’un côté, un cycliste militant de l’autre, le deuxième finissant écrasé sous les roues du premier, après une altercation. En plein 8e arrondissement, boulevard Malesherbes, à deux pas de la Madeleine. Le chauffeur du 4×4 aurait roulé pendant plusieurs centaines de mètres sur la piste cyclable, provoquant la colère de Paul Varry, le cycliste, qui s’est rebellé d’un coup de poing sur le capot du chauffard. Désormais meurtrier présumé. On dit que les pompiers, qui n’ont pas pu réanimer le pauvre malheureux, ont été choqués par l’état de la victime, ses blessures. Le tronc coincé entre le vélo, la chaussée, et les pneus du gros 4×4, ses chances d’en réchapper étaient limitées. Et le chauffard, Ariel M. aux nombreux antécédents judiciaires, le savait certainement. Il plaide pourtant l’accident. Les juges comme le procureur n’ont pas retenu sa version des faits, et ordonné son incarcération en préventive pour meurtre. Voilà pour les faits. Manque cependant dans l’intégralité des articles et reportages qui ont relaté ce drame, pardon, ce fait divers, des éléments de contexte qui me semblent pourtant essentiels à sa bonne compréhension. Il se trouve que j’étais mardi 15 octobre, une fois de plus, une fois de trop, piégé dans les embarras de Paris. Après un rendez-vous boulevard des Capucines, je devais me rendre à l’Assemblée nationale. J’étais donc à moins de 200 mètres de l’endroit où s’est joué le drame. Banlieusard, je confesse ma très grande faute de privilégier encore le plus souvent la voiture pour sillonner Paris, et rentrer ensuite chez moi sans subir les aléas quotidiens des transports en commun, quand on n’y croise pas un forcené avec un couteau à la main. Qui sort plus vite de garde-à-vue et du commissariat que ses victimes, choquées à vie. Ce jour-là, le centre de Paris n’était plus qu’un immense embouteillage. Automobiliste depuis 35 ans, Parisien de toujours, je pense disposer des référentiels pour dire que nous avions crevé tous les plafonds. J’ai mis 1h45 pour aller du boulevard des Capucines jusqu’à l’Assemblée, en faisant un énorme détour, allant jusqu’à passer par… la place Beauvau et les Champs-Elysées pour enfin parvenir à traverser la Seine et aller à l’Assemblée. Sur l’écran de mon GPS, c’est bien simple, tout était rouge vif, avec en prime, de jolis panneaux « sens interdit », alertant des interdictions de circuler provisoires et de plus en plus permanentes. En arrivant à l’Assemblée, tentant de justifier mon retard, j’ai partagé avec le parlementaire qui me recevait et avait réorganisé son emploi du temps pour moi ce que j’avais vu. Jamais, de ma vie, je n’avais constaté de mes propres yeux autant d’infractions au Code de la Route ! C’est bien simple : ce mardi 15 octobre, je n’ai pas croisé un seul policier, sauf aux abords immédiats de Beauvau (ministère de l’Intérieur) et de l’Élysée. En revanche, j’ai vu des cyclistes (oui, je commence par eux), des trottinettistes, des piétons par centaines, faire strictement absolument tout et n’importe quoi sur la chaussée, à tous les carrefours, sans se préoccuper aucunement ni des marquages au sol, ni des feux de circulation, non plus bien entendu des sens de circulation, le tout au milieu de milliers de voitures, utilitaires, bus, pris au piège dans un embouteillage sans queue ni tête ! Entendons-nous bien : je ne pointe pas du doigt ici une quelconque responsabilité des piétons, cyclistes et autres chauffeurs de trottinettes. Je constate simplement que ce jour-là, dans le triangle formé par la Madeleine, l’Opéra, et Saint Augustin, point à partir duquel j’ai pu m’échapper et rouler relativement correctement, tout était parfaitement bloqué, figé, sans que rien n’y personne, du côté des autorités, ne tente d’y remédier ! Nous étions tous pris au piège, un piège sciemment tendu par Anne Hidalgo et ses nervis écologistes, déterminés à chasser pour de bon les voitures de Paris. Comment ? En fermant en catimini des voies de circulation, provoquant ces immenses bouchons censés dégouter les automobilistes, fussent-ils plombiers ou livreurs de sang, mais aussi les usagers des bus de la RATP, de circuler dans Paris. La veille, je découvrais ainsi que la place du Trocadéro était en partie interdite à la circulation, le rond-point étant transformé en U à double-sens. Bouchons à la clef. Ce dramatique mardi 15 octobre, moi, comme des milliers d’autres automobilistes, découvrions qu’il était impossible désormais de faire le tour de la place de la Madeleine en provenance de l’Opéra, par le boulevard des Capucines, obligés de se faufiler dans la rue de Sèze, à voie et à sens unique, pour tenter de rallier… le boulevard Malesherbes. Ou Paul Varry est mort écrasé par un 4×4 mardi 15 octobre. Le piège n’est signalé que par un petit panneau incompréhensible au bout du boulevard des Capucines, obligeant des dizaines d’automobilistes à faire demi-tour, non sans franchir allégrement une ligne blanche, pour repartir dans l’autre direction, et se faufiler dans la rue de Sèze totalement bloquée, provoquant un bouchon de plusieurs centaines de mètres dans le boulevard des Capucines, ou tenter de contourner en passant derrière l’Opéra. Mon choix. Une heure ½ pour en sortir, et parcourir 800 mètres. Pour sa défense, Ariel M. a expliqué qu’il emmenait sa fille de 17 ans chez l’ophtalmologiste. Que le rendez-vous était pris depuis des mois. Banlieusard, il voulait la déposer devant le cabinet médical. Quand on sait qu’il faut parfois deux ans d’attente pour voir un ophtalmo dans certains coins du pays… Il aurait mieux fait de prendre le RER. Mais peut-être que sa ligne était en travaux, ou en panne. Le lot quotidien des Franciliens. Ce jour-là, Ariel M. a tué un cycliste. « Involontairement » plaide son avocat. C’est un « récidiviste dangereux » dixit le procureur, qui a obtenu gain de cause et son placement en détention provisoire. Mais à la barre, ni Anne Hidalgo, ni David Belliard, son adjoint à la circulation, n’étaient cités à comparaître. Pourtant, en organisant la prise en otage des automobilistes dans Paris pour les en chasser, ils sont co-responsables des dizaines de milliers d’infractions au Code de la Route que les caméras de surveillance et les opérateurs qui les pilotent ont pu constater ce jour-là. Ce jour où Paul Vary est mort écrasé par un 4×4, que David Belliard veut désormais interdire, en réaction. Et si on interdisait plutôt les oukazes comme l’abaissement de la vitesse de circulation sur le Périph à 50 km/h, contre l’avis du ministre des Transports, contre le préfet de Police ? Contre Valérie Pécresse, présidente de Région ? Si l’on interdisait aussi les chantiers qui bloquent les voies de circulation pendant des mois sans un seul ouvrier pour y travailler ? Et les voies de circulation fermées en douce, les plans de circulation tellement absurdes que parfois, on se retrouve pris au piège, face à des carrefours où toutes les voies sont interdites (Le Parisien, 7 octobre 2024) ? Ce qui a tué Paul Varry le 15 octobre, c’est aussi l’idéologie, l’automobile bashing permanent, qui rend les automobilistes fous (Le Figaro, 10 octobre 2024), et en particulier Ariel M., un père de quatre enfants, qui a transformé son véhicule (4×4 ou pas), en arme, parce qu’il n’en pouvait plus d’être à l’arrêt depuis des heures alors qu’il emmenait sa fille chez l’ophtalmo. Seulement, il y a gros à parier que le jour de son procès, il sera seul sur le banc des accusés pour assumer les conséquences des faits gravissimes qui lui sont reprochés. Quand bien même le fait générateur initial est connu, et les responsables, parfaitement identifiés.

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Boniface: géopolitologue d’apparence?

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© BALTEL/SIPA

Le géopolitologue a suscité un tollé en traitant sur Twitter le maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, de « muslim d’apparence ». S’il a depuis retiré ces propos, il a en revanche maintenu sa critique des médias français qui organiseraient selon lui une « grosse promo » pour les élus faisant silence sur Netanyahou.


« Muslim d’apparence » est le nouvel « arabe de service ». C’est en tout cas comme cela qu’a été compris, dans le microcosme politique, l’expression que Pascal Boniface, fondateur de l’IRIS, a employée pour qualifier le maire de Saint-Ouen (93), Karim Bouamrane.

Cette insulte, énoncée tranquillement sur Twitter par un ancien du PS, montre à quel point l’idéologie dite racialiste réveille et révèle le racisme le plus crasse à gauche. Ainsi, selon Pascal Boniface, les musulmans pensent tous pareil et un musulman qui aurait une pensée personnelle, originale, serait traître à son identité. Le problème, c’est que traiter quelqu’un de « muslim d’apparence » en dit beaucoup plus sur celui qui insulte que sur celui qui est visé.

Parce que, que signifie ce terme ? Que lorsqu’on ressemble à un arabe, on est forcément musulman, donc que l’on hérite d’une identité communautaire à laquelle on doit se conformer ? Sous peine de quoi ? D’être traître à sa race, à sa famille, à sa tribu ? Et d’ailleurs, quel est le comportement que devrait adopter un musulman pour ne pas être un « muslim d’apparence » ? Comment donc doit-il se réislamiser ? Et dans quel but ? Pour répondre à une partie de ces questions, il faut regarder précisément ce qui a valu à Karim Bouamrane une telle volée de bois vert. C’est là que l’histoire prend toute sa dimension.

Rétropédalage raté

En effet, le problème, avec l’inconscient, c’est que lorsqu’il s’exprime et vous fait dire une énorme bêtise, si vous la pensez profondément, il y a des chances qu’en essayant de vous désembourber, vous vous enfonciez encore plus. C’est justement ce qui est arrivé à Pascal Boniface. L’expression « muslim d’apparence » a déclenché un tollé, sa dimension raciste et méprisante ne pouvant être ignorée. L’homme a donc tenté un rétropédalage en direct. Mais quand on se prend les pieds dans le tapis, mieux vaut ne pas tenter le rétablissement en s’agrippant à la nappe. Sauf si on n’aime pas le plat du jour.

C’est ainsi que Pascal Boniface a voulu s’excuser, reconnaissant une maladresse dans l’usage de l’expression « muslim d’apparence ». On apprend au passage qu’une insulte à connotation raciste a été rétrogradée au rang d’indélicatesse. On a connu M. Boniface plus sourcilleux ! Mais, on ne sait pas encore si la jurisprudence fonctionnera demain si la personne « maladroite » est de droite… Le tweet a donc été retiré, mais l’homme a trop d’ego pour admettre véritablement son erreur, alors il faut un dernier baroud d’honneur. Il termine donc ses fausses excuses en renfonçant le clou. Pourquoi selon lui Karim Bouamrane est un « muslim d’apparence » ? Parce qu’il n’est pas assez critique à l’égard d’Israël et ne place pas de fausses accusations de génocide et d’apartheid contre l’État hébreu dès qu’il en a l’occasion. Le chercheur miserait-il sur une détestation culturelle des juifs et d’Israël, détestation qui ferait partie d’une identité musulmane ? On n’ose le penser, mais la piste pourrait-être la bonne.

Un sacré historique

D’autant que l’homme a rompu avec le PS avec pertes et fracas au début des années 2000. En cause ? Son positionnement à l’égard d’Israël et des juifs, déjà. Dans une note datée de 2001, il se positionnait sur le registre de l’efficacité électorale pour enjoindre les socialistes à quitter des positions jugées trop favorables à Israël alors que l’électorat à cibler serait plutôt, au vu du nombre, l’électorat musulman. C’était cynique, froid et arithmétiquement exact. Pourtant, aimer nager « dans les eaux glacées du calcul égoïste », c’est censé être de droite ça aussi… Visiblement, à gauche, on pratique fort bien la natation aussi. Mais ce qui est intéressant, c’était déjà l’argumentation de l’époque de M. Boniface: « Peut-on diaboliser Haider, et traiter normalement Sharon ? », écrivait-il. À l’époque, M. Haider était le dirigeant de l’extrême-droite autrichienne et ses sympathies pour le nazisme n’étaient pas ignorées. Un chercheur, censé donc avoir du recul sur ces questions, mettait sur le même plan le leader israélien et un Autrichien connu pour ses ambiguïtés envers le national-socialisme.

Une position que diffusent aujourd’hui les éléments de langage de LFI ou des islamistes, prompts à traiter de nazis les juifs, pour leur contester la création de l’État d’Israël. Pascal Boniface, de son côté, proposait même, dans le journal suisse Le Temps en 2002, d’inscrire Israël dans la liste des pays de « l’axe du Mal ». Le ton était alors ironique, mais visiblement l’obsession déjà là. Et 22 ans après, elle est toujours là. Au point que pour n’être pas assez agressif envers Israël, le maire de Saint-Ouen est accusé par Pascal Boniface d’être un mauvais musulman. Le fondateur de l’IRIS donne ainsi raison en creux à tous ceux qui notent que la recrudescence des actes et des paroles antisémites n’est pas liée à l’extrême-droite, mais à l’expression décomplexée d’un antisémitisme culturel arabo-musulman. Visiblement, il déplore même qu’il ne s’exprime pas plus.

Le prof fait de la résistance

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La ministre de l'Education nationale, Anne Genetet, 28 septembre 2024 © ISA HARSIN/SIPA

Lors de sa prise de fonctions, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale a invité les hussards de la République à se retrousser les manches. Mais, on dénonce actuellement dans les rangs le « pacte enseignant », cette loi « scélérate » qui vise à lutter contre l’absentéisme des profs.


Allons « hussardes de la République » [1]! Convoquant, à l’occasion de la passation de pouvoir rue de Grenelle, le 23 septembre, un lignage radieusement matriarcal – mamie, belle-maman, tata, frangine, toutes « AESH, institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège » -, Anne Genetet entendait, dans un exorde martial, rallier les profs à la cause. Mais laquelle?

Ce n’est pas le discours qui le dirait, encombré d’éléments de langage contradictoires : promouvoir l’« école inclusive » mais remonter « le niveau de nos élèves » ; remonter « le niveau de nos élèves » mais lutter « contre le harcèlement » ; travailler sur l’« attractivité du métier d’enseignant » mais promouvoir l’« école inclusive ». Le tout saupoudré de maternage : promesse d’« écoute », de « bien-être », d’« enthousiasme », de « bonheur ». Peut-être l’évocation finale, solennelle, de Samuel Paty et de Dominique Bernard, « deux enseignants passionnés […] morts d’avoir enseigné », était-elle plus éloquente, quoique légèrement inexacte. Ou bien la nécessité, rappelée dans la péroraison, d’inscrire la rénovation de l’école dans « le temps long »[2].

Alors du temps, ça tombe bien, on en a dans mon lycée de province. Et on le gère, dans un esprit méthodique et combatif.

A lire aussi: Oui, Mme Anne Genetet, élevez le niveau!

D’abord, une minute (de silence), par an, pour Samuel Paty et Dominique Bernard, soit 30 secondes pour chacun. Quelques nanosecondes si, sur un malentendu, on inclut dans cette commémoration les victimes du 7 octobre[3]. Ensuite, des heures d’information syndicale : neuf heures annuelles prises sur le temps de travail, primo parce qu’on y a droit, deuxio parce que se syndiquer c’est se défendre, s’informer, lutter. Enfin des jours et des jours, des nuits pour les plus militants, passés à organiser la résistance. Il faut dire qu’en cette rentrée 2024, l’institution veut nous imposer le Pacte (de la honte) afin de pourvoir aux remplacements de courte durée. Il consiste à contractualiser, sur la base du volontariat, des missions supplémentaires d’enseignement : en plus de son traitement de fonctionnaire, le professeur est rémunéré à hauteur des heures effectuées, et perçoit une somme… plutôt coquette. Loi scélérate ! « Un coup d’essai dans l’entreprise de destruction du statut par son découpage en petits morceaux contractualisés » disent les tracts amphigouriques glissés dans les casiers des professeurs potentiellement collabo par leurs vigilants collègues. Il « faut traiter ce problème collectivement » et « nous sommes largement déterminés à cesser de réaliser ces heures ponctuelles de remplacement ». Que les élèves aillent donc se faire remonter le niveau ailleurs ! L’heure est à la Résistance!

Et Dominique Bernard ? Samuel Paty ? La contre-enquête menée par Mickaëlle Paty et diffusée par C8 le 16 octobre fait la lumière sur la mort de son frère et révèle les dangers qui menacent l’école.

Mais le film dure 1h30 et la réaction qui s’impose s’inscrit dans le temps long. Ça ne rentre pas dans le timing. Nous ne pouvons pas être sur tous les fronts.


[1] « En entrant dans ce ministère, je pense à mon arrière-grand-mère, à ma grand-mère, à ma belle-mère, à ma tante, à ma soeur qui furent toutes AESH, institutrice, professeure, directrice d’école, principale de collège ; je pense à cette lignée de hussardes de la République », Anne Genetet, allocution prononcée lors de la passation de pouvoir.

[2] Anne Genetet, allocution prononcée lors de la passation de pouvoir.

[3] Primo-bourde ministérielle.

Madame Pelicot et la société

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Gisèle Pelicot à Avignon, 23 octobre 2024 © Frederic Munsch/SIPA

Hier, à la moitié du procès des viols de Mazan, Gisèle Pelicot a été entendue. La victime a affirmé n’avoir « ni colère ni haine » mais être « déterminée à changer cette société ».


Le témoignage de Gisèle Pelicot a beaucoup ému le tribunal – et le public.  À raison.
Un procès, c’est une histoire humaine qui se rejoue en direct. Souvent, c’est une histoire ordinaire ; là, il s’agit d’un drame exceptionnel et hors-norme. L’émotion est maximale, sans doute parce qu’il est question de la sexualité humaine, qui avec l’argent est un des plus puissants ressorts du crime. Au point que Libé fait précéder ses articles concernant l’affaire des viols de Mazan d’un trigger-warning[1] ! Un  « traumavertissement », en bon français. « Ces articles relatent la description de violences sexuelles et peuvent choquer ».

Effroi et compassion

Tout être humain doué d’empathie ressent de l’effroi et de la compassion pour Gisèle Pelicot qui dit être « une femme totalement détruite ». Mais aussi de l’admiration pour « l’invaincue » (titre du papier de Pascale Robert-Diard, dans Le Monde). Mme Pelicot est détruite mais debout.
Pour la première fois, elle s’adressait hier à son ex-mari, en l’appelant par son prénom. Elle a évoqué leur vie commune, leurs trois enfants et sept petits-enfants. Mais, la phrase la plus relevée est la suivante : « Je n’exprime ni ma colère ni ma haine, mais ma volonté et ma détermination pour qu’on change cette société. » Deux heures après, parmi d’autres journaux, Le Courrier international titrait : « le témoignage de Gisele Pelicot va-t-il changer la société ? »

Culture du viol

En quoi cette question me choque-t-elle ? La question ne me choque pas vraiment, mais elle m’interpelle. Surtout, la réponse est non. Et cela pour deux raisons :
L’objet d’un procès est de juger des criminels ou des délinquants particuliers. On ne juge pas le viol. On ne juge jamais le crime, l’assassinat ou la délinquance. Les tribunaux jugent des cas spécifiques et les juges apprécient des responsabilités individuelles. Certes, cela peut être un peu différent pour les crimes de masse. Le procès de Nuremberg ou le procès d’Eichmann à Jérusalem ont, sinon été des procès du nazisme, permis de comprendre ses ressorts. Mais jamais d’empêcher les résurgences néo-nazies, en réalité. Croyez-vous vraiment que les procès de Charlie ou du Bataclan ont changé la société ? Ils ont peut-être un peu amélioré notre compréhension de l’islamisme, mais ils n’ont pas dissuadé les candidats-djihadistes ni stimulé notre combativité.
Par ailleurs, ce qu’on voit au tribunal d’Avignon, ce n’est pas la société, mais des gens qui ne respectent pas ses règles élémentaires. On en revient à ce que je répète depuis le début de ce procès : on ne juge pas la « culture du viol ». Nous ne sommes pas entourés d’hommes qui font violer leur femme. Et il n’y a pas de culture du viol en France, à mon avis: le viol était déjà condamné socialement et judiciairement bien avant MeToo. Certes, peut-être pas assez, peut-être pas toujours dans les meilleures conditions – on peut toujours faire mieux. Mais si les femmes ont honte d’aller déposer plainte, ce n’est pas forcément à cause du fonctionnement de la justice et de la police, mais tout simplement parce qu’il est très difficile d’accuser quelqu’un qui est le plus souvent un proche et que cela charrie des choses très intimes.
Peut-être Mme Pelicot peut donner du courage aux victimes, mais arrêtons de dire que ce procès changera la société. Au mieux, il donnera des bribes de réponse à la question vertigineuse de Gisèle Pelicot: comment l’homme qu’elle aimait a-t-il pu lui faire ça ? Désolée, ce n’est pas la faute de la société.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Trigger_warning_(psychologie)

Sologne: la chasse aux «gros» est ouverte

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Image d'illustration.

Les gros, les riches, naturellement. Ou plutôt les ultra-riches, pour reprendre les termes du bandeau du dernier livre enquête de Jean-Baptiste Forray. 


Les Nouveaux Seigneurs, tel est son titre. Quant au bandeau racoleur comme il se doit – c’est là sa fonction – il dit l’essentiel du contenu : « Comment les ultra-riches ont colonisé la Sologne et dénaturé la chasse »[1]. Rien que cela.

C’est donc en ma qualité de colonisé – puisque Solognot je suis – que je m’autorise ces quelques lignes. Je suis né à Gien (45), la sublime porte d’entrée en Sologne, j’ai grandi et vécu à Veilleins, mégalopole de cent cinquante neuf âmes située entre Romorantin et Chambord. J’y ai même été élu maire-adjoint, conséquence sans doute regrettable d’un moment d’égarement des habitants sus-évoqués. Et puis, j’ai aussi été journaliste de ce pays. Après une parenthèse, je suis revenu vivre à l’année, et pour toujours, dans ce coin-là, qui est de loin celui de France où je me sens le plus chez moi. J’ajoute que, bien que n’étant plus chasseur moi-même depuis fort longtemps, je descends d’une longue lignée de passionnés. Tout cela juste pour dire que je ne me considère pas totalement illégitime à commenter le sujet.

Colonisation

Pour commencer, je ne sens pas peser sur moi, sur mes proches, sur les nombreux Solognots que je fréquente, le poids d’une virulente, d’une étouffante oppression coloniale. Il est vrai que, selon l’auteur qui, un rien condescendant, le suggérait dans une récente interview, nous autres, ici, n’aurions pas encore atteint un niveau de conscience politique qui nous rendrait perceptible la lutte des classes et ses effets. Trop attardés, trop cons, pour tout dire. Sauf que, si je peux me permettre, pour en appeler dans le cas d’espèce à ce concept analytique de lutte des classes, il faut quand même avoir très mal lu le père Marx.

En fait, là où l’inspiration marxisante est à l’œuvre dans cette approche est que le gibier traqué est bien évidemment le riche. L’horrible, le monstrueux riche. Le riche coupable d’un crime inexpiable et entaché d’une tare immonde : avoir l’argent. Il a de l’argent et il s’en sert, le monstre ! C’est ignoble. (À quand, je vous le demande, l’émergence d’une nouvelle « race » de riche, le riche pauvre ! On en rêve. Certains y travaillent actuellement, me rapporte-t-on) Il s’en sert disais-je. Il acquiert des hectares, beaucoup d’hectares. Une rumeur persistante prétend qu’il les paie leur prix et que ce n’est pas en dépêchant des escadrons de mercenaires dans la campagne ni en mettant à flots des canonnières sur la Sauldre ou le Beuvron qu’il s’en rend propriétaire. Colonisation fort tempérée, donc. Mais peut-être n’est-ce là qu’une intox. Le livre-enquête ne dit rien là-dessus. On a tous nos lacunes, il est vrai.

L’engrillagement, un truc de parvenus

Bref, une fois propriétaire de ce vaste domaine, l’ultra-blindé s’empresse de l’engrillager, nous informe l’auteur. Il dit vrai. Or cet engrillagement constitue – en cela il a également raison – une hérésie, une connerie abyssale. Cette pratique est radicalement contraire à la loi naturelle, fondée sur la libre circulation de tout ce qui est gibier. Sans quoi, d’ailleurs, tant conceptuellement que juridiquement l’animal cesse de l’être, gibier, précisément. En effet, pour être qualifiable de gibier, nous enseigne le droit romain, il faut qu’il soit res nullius. Il ne peut avoir aucun propriétaire, aucun maître identifiable. Ainsi, enfermé dans son enclos, l’animal, quel qu’il soit, perd donc cette spécificité fondamentale. Il devient peu ou prou, que cela plaise ou non, une espèce de bête de basse-cour.

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En réalité, cette folie d’engrillagement est bien davantage la marque d’un réflexe bourgeois qu’aristocratique. Bourgeois parvenu, ajouterais-je. Réflexe d’appropriation. Là où le bourgeois dit « je possède, c’est à moi », le noble, l’authentique, dit « j’appartiens à… » Son patronyme même illustre cette inversion du rapport : il s’appelle Monsieur, Madame « de » tel lieu, ou de tel autre lieu, parce qu’il en est. Parce que, au plus profond de lui, il lui appartient. Le caprice d’engrillagement si exagérément possessif lui est, de ce fait, à peu près étranger. 

Si la cible véritable du livre était cette perversion du milieu, on pourrait applaudir. Et sans doute serais-je le premier. Or, je suis bien certain que si on prenait le temps d’exposer à ces propriétaires – et à tous ceux qui moins riches et sur moins d’hectares sévissent pareillement – que lorsqu’ils rameutent à la chasse leurs relations politiques, people, business, médias, ils se rendent coupables de tromperie sur la marchandise, de grossière arnaque en leur faisant croire que ce sur quoi ils vont tirer mérite bien le label gibier, ils se feraient une obligation – ne serait-ce que par orgueil – de corriger le tir, si je puis ainsi m’exprimer.

Mais on a bien compris que, comme toujours dans ce genre de réquisitoire, le cœur de cible est ailleurs que dans la pratique dénoncée. Ce cœur de cible, répétons-le, c’est le riche. Le riche coupable d’être riche.

Un peu d’histoire et de bon sens

L’auteur explique que le dévoiement remonte à Napoléon III qui a mis à la mode la Sologne, la chasse, au sein des bons et beaux milieux de la capitale. De nouveau, il a raison.

C’est alors qu’est apparu ce que, au début du vingtième siècle, avec une saine ironie, un d’Espinay Saint-Luc – lignée noble et ancienne de Sologne – se prit à baptiser, par opposition au chasseur véritable, « le tireur sportif ». Bonne pâte, nous concèderons à l’auteur du livre que les personnes qu’il vise peuvent apparaître comme le prolongement de ce tireur sportif… À ceci près que, à l’instar de leurs prédécesseurs, les propriétaires d’aujourd’hui eux aussi reboisent, eux aussi curent les fossés, eux aussi entretiennent les étangs, les levées, les berges, les bondes, le réseau astucieux et ancestral de canaux les reliant les uns aux autres, permettant ainsi la perpétuation de l’exploitation patrimoniale de cette forme spécifique de pisciculture… Cela ne devrait pas compter pour rien. Les Solognots le savent bien qui, pour ces choses-là, n’en déplaise à l’auteur, cultivent, de préférence à la lutte des classes, cette forme d’intelligence, assez rude il est vrai, qu’on appelle le bon sens.

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Enfin, il faut aller à l’essentiel. La présentation du livre se clôt par cette formule : « Les Nouveaux Seigneurs lève le voile sur le séparatisme des ultra riches sur fond de souffrance animale. » Les mots révèlent très clairement le projet. Ultra riches, colonisé, séparatisme, souffrance animale. Nous avons là le fin du fin en matière de convergence des crimes : l’argent, la colonisation, l’apartheid, la maltraitance animale. Convergence des crimes à inscrire dans la perspective d’une autre convergence, celle des luttes. Et c’est bien là que se niche le travers idéologique de l’entreprise !

Alors, bonne âme, moi le colonisé solognot pas si mécontent de son sort, je vais ici apporter ma (modeste) contribution à la convergence évoquée. Pour autant que je puisse le savoir, ces gens-là sont blancs. Oui, vous m’avez bien lu, ils sont de race blanche. Mâles, au moins pour une bonne part d’entre eux. Il se peut même que chez eux l’hétérosexualité domine (Là, je m’avance)… Bref, que de tares, que de crimes accumulés ! Vite, vite des hectares engrillagés de barbelés pour qu’on les y lâche et les y flingue ! Taïaut ! Taïaut ! Et voilà bien que, soudain, je me prends à regretter qu’un autre empereur que Napoléon III, attaché lui aussi à la Sologne, Bokassa 1er, l’impayable Jean-Bedel Bokassa, qui fut en son temps un de nos fastueux châtelains, ne soit plus de ce monde. Histoire de raciser un peu ce bal des nantis.

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[1] Èditions les Arènes, octobre 2024.

Nicolas Bedos, le beau bouc émissaire

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Nicolas Bedos arrive au tribunal de Paris avec sa compagne Pauline, 26 septembre 2024 © CYRIL PECQUENARD/SIPA

L’acteur a été condamné hier à six mois sous bracelet électronique pour agressions sexuelles. Une sanction étonnamment lourde qui interroge, contre laquelle le comédien a fait appel.


Un beau gosse hâbleur, un fils de, un bobo, une tête à claques… tous ses détracteurs se réjouiront de la condamnation en première instance du réalisateur, acteur et humoriste Nicolas Bedos, condamné à un an de prison, dont six mois avec sursis, pour des agressions sexuelles.

Mais qu’est-ce qu’une agression sexuelle ? Une tentative de viol ? Détrousser violemment les vêtements de sa victime ? Forcer une personne à accomplir des gestes sexuels sous la contrainte ? Alors, dans ce cas, ce n’est pas cher payé.

En l’occurrence, Nicolas Bedos est accusé par une de ses plaignantes de s’être dirigé vers elle tête baissée, avant de tendre la main au niveau de ses parties génitales, lors d’une soirée en boîte de nuit ; et la seconde femme, serveuse, accusait l’artiste de l’avoir attrapée par la taille et de l’avoir embrassée dans le cou.  Certes, ce n’est pas une façon très élégante de se tenir et une femme choquée par ce comportement est en droit de gifler l’importun. Mais, un baiser volé dans le cou justifie-t-il une plainte ?

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N’oublions pas que les faits se sont produits dans une boîte de nuit branchée de la capitale où hommes et femmes passent leur temps à danser de façon lascive, plus ou moins rapprochée, avec consentement réitéré selon les ondulations corporelles d’une chorégraphie improvisée. Que les hommes qui n’ont jamais essayé d’embrasser une fille à vingt ans, jettent la première pierre à Nicolas Bedos ! Ce qui est gênant dans cette lourde condamnation, c’est la criminalisation d’attitudes qui n’ont causé aucune blessure physique ni dégât matériel. J’entends les saintes-nitouches et les pharisiens hurler qu’il y a sûrement des séquelles psychologiques. Et se prendre une veste, ça ne laisse pas de séquelles psychologiques ? Toute la vie n’est que séquelles psychologiques ! Mes congénères masculins devraient se rassurer : même Nicolas Bedos peut se prendre un râteau ! Ce qui est gênant dans cette condamnation, c’est le manque de proportionnalité pénale entre le geste déplacé et la véritable agression violente. Ce manque de nuance relativise les délits. Il y a une hiérarchie dans la gravité des faits comme il y a une hiérarchie pénale. Nicolas Bedos paye-t-il sa notoriété ? Est-il la victime expiatoire des chiennes de garde et du mouvement « Balance ton porc » ? La sanction est lourde, étonnamment lourde. Ce genre de chose relève de la bienséance et ne devrait pas encombrer les tribunaux.

Aucune sanction ne doit être prise pour l’exemple, car finalement, l’exemple n’est souvent que le cache-sexe du bouc émissaire, et en matière de justice, faire un exemple est une injustice. Cette justice-là ne sort pas grandie.


Doliprane: un symbole cher payé

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Audrey Derveloy et Rafik Amrane, dirigeants de Sanofi, sur le site de Lisieux, lieu de production du Doliprane, octobre 2023 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Mi-octobre, les Français ont appris que l’entreprise Opella, filiale de Sanofi en charge notamment du célèbre médicament Doliprane, allait être vendue à un fonds d’investissement américain. Ce genre d’actualité n’est d’habitude relayée que par la presse économique spécialisée, et il est très rare que le grand public s’y intéresse ou s’en émeuve outre mesure…


Pourtant, cela n’a pas été le cas ! Et, pour une fois, ce n’est pas tellement du fait des syndicats, bien que cette décision risque d’affecter deux sites de production en France et 1700 emplois.

D’un côté, il y a le Doliprane, ce médicament largement utilisé et apprécié dans les foyers français et, de l’autre, un fonds d’investissement étranger, ce que le grand public considère, probablement à juste titre, comme le paroxysme de la capitalisation au détriment de l’humain.

Un médicament érigé en symbole lors de la crise sanitaire

Nul besoin d’être féru d’économie pour comprendre ce qui se joue réellement ici : la désindustrialisation de la France et la perte d’une souveraineté nationale. Déjà, en 2014, dans un autre secteur qu’est celui de l’énergie, les Français s’étaient émus de la cession d’Alstom à l’américain General Electric. Un des points communs entre ces deux affaires reste sans nul doute le rôle de l’État qui subit en plus les conséquences, dans le cas du Doliprane, d’un très mauvais timing. En effet, depuis la crise du Covid, certains médicaments sont en rupture ou en flux tendus et le gouvernement avait, à l’époque, érigé le fameux Doliprane en symbole d’une nécessaire réindustrialisation française en vue de préserver une souveraineté nationale, notamment sur le plan sanitaire. Inutile de dire que le symbole se retourne aujourd’hui contre nos gouvernants et met en lumière l’écart manifeste entre les promesses politiques et leurs réalisations concrètes. D’autant que l’heure est au bilan pour les Français ! Les révélations du nouveau gouvernement quant au déficit actuel de l’État ont ouvert la voie à la vindicte populaire. Les politiques sont sommés de s’expliquer, de se justifier et de rendre des comptes. Il faut bien trouver des coupables !

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La décision de Sanofi de se séparer de sa filiale de santé grand public pour se consacrer à la recherche et au développement de médicaments innovants n’a pourtant rien de choquant. C’est un choix stratégique comme un autre émanant d’une entreprise privée. En revanche, depuis un an que le projet est sur la table, comment expliquer qu’aucun fonds d’investissement français ou européen n’ait pu se montrer acquéreur ? C’est dans ce genre de situation que l’on constate avec désarroi le manque de compétitivité et de poids des entreprises françaises actuellement dans une économie mondialisée.

Aveu de faiblesse

Cependant, c’est sur l’issue de cette affaire que se concentrent mes critiques. Le 21 octobre, la banque publique d’investissement Bpifrance annonce investir entre 100 et 150 millions d’euros pour entrer au capital d’Opella et prétend ainsi influencer Sanofi et le fonds d’investissement américain CD&R dans le but de préserver les sites de production en France et les emplois associés, mais également de garantir l’approvisionnement de la France en médicaments concernés.

Qu’on se le dise : cette somme, aussi impressionnante soit-elle pour le commun des mortels, ne représente que 1 à 2% du capital d’Opella et ce fonds d’investissement américain, désormais majoritaire à plus de 50%, se passera aisément de l’avis de l’État français le jour où il souhaitera délocaliser les sites de production du Doliprane. Ses pieuses promesses seront probablement tenues quelques mois, voire quelques années mais n’offrent aucune garantie à long terme sur le maintien de la production en France ou la sauvegarde des emplois.

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Cette décision sonne comme l’aveu de faiblesse d’un État impuissant, davantage par manque d’autorité et de vision à long terme que par manque de moyens. En effet, ce n’est pas au moment de la cession qu’il aurait fallu agir en tentant mollement de s’imposer dans les négociations mais, quelques années plus tôt, lorsque Sanofi bénéficiait très largement du crédit d’impôt recherche (notamment pour ce vaccin contre le Covid qui n’a jamais réellement abouti ou trop tardivement). C’est à ce moment-là qu’il aurait fallu exiger des contreparties avec des engagements sur le maintien de l’industrie pharmaceutique française autant que faire se peut. On ne peut pas prétendre diriger en subissant une actualité, somme toute assez prévisible au vu des antécédents de désindustrialisation de la France de ces vingt dernières années.

À l’inverse il aurait été courageux de prendre une vraie décision : celle de ne pas du tout ingérer dans cette transaction d’ordre privé ou celle de préempter la cession, c’est à dire de faire capoter la vente et ce, « quoi qu’il en coûte », au risque de froisser les investisseurs étrangers qu’Emmanuel Macro s’efforce de séduire depuis de nombreuses années. Bref, tout aurait été préférable à cette décision molle, en demi-teinte, qui n’apporte aucune garantie à long terme pour l’économie française et qui, à court terme, vient de coûter à la France entre 100 et 150 millions d’euros ! Pour un coup de communication, un effet d’annonce visant à rassurer l’opinion publique, c’est cher payé, surtout quand l’heure est aux économies…