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Salut à Jacques Laurent! À propos de « l’Esprit des Lettres »

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Dites « Jacques Laurent », et immédiatement s’ensuivent quelques attributs: intelligence, insolence, liberté, humeur, humour, loyauté, naturel, panache – et style.


On passera assez vite sur « Hussard » et Stendhal (trop connus), sur Les Temps Modernes et L’Express, ses têtes de Turc, sur sa passion grammairienne du «malgré que».
Quoi d’autres ? De grands livres : Les Corps Tranquilles, Les Bêtises, Le Petit Canard, Stendhal comme Stendhal, Histoire égoïste. Et des revues. Essentiellement La Table Ronde, La Parisienne et Arts.
Le premier volume de L’Esprit des Lettres recueillait les articles que Laurent a donnés, entre janvier 1948 et avril 1957, aux deux premières. Le second volume rassemble ceux écrits pour Arts – dont il assure la direction à partir de juillet 1954 (jusqu’en 1958).

A lire aussi : Petit tour d’horizon des inquiétudes du «monde de la Culture»

On y retrouve le Mousquetaire connu, qui bataille avec Sartre, moque Beauvoir, taquine plus ou moins vertement Mauriac et ses palinodies à L’Express, guerroie contre Les Temps Modernes, l’engagement – et l’ennui.

L’époque est présente à chaque page : Minou Drouet, Sagan, Camus, Jules Romains, Auteuil de Freustié (un régal), les prix littéraires (rien ne change), Grace Kelly, un défilé Dior, Nourissier et Les Chiens à fouetter («un grand écrivain»), le dandysme («recherche d’une élégance qui veut de la rectitude» – on croise Cocteau, Fontenelle, Talleyrand, Jarry), le «traduidu» (très drôle), Labiche est relu (à la hausse, du côté de Jarry, Flaubert, Monnier).

Un article sur «Les Droites» nous évoque Berl : même goût du paradoxe, de la complexité, voire de la contradiction féconde, même incapacité à «l’esprit partisan», même dégoût de l’idéologie. Esprits inaliénables, inassignables : libres.

A lire aussi, Richard de Seze: Les résistantes résistaient-elles autrement que les résistants?

Laurent défend quelques écrivains, ses amis souvent, ses collaborateurs à Arts parfois : Barrès, Giraudoux, Maurice Leblanc (Arsène Lupin plutôt), Montherlant, Fraigneau, Cocteau, Audiberti, Jouhandeau, Aymé, Anouilh, Morand, Perret. Autres collaborateurs de l’hebdomadaire ? Déon, Blondin, Nimier, Huguenin, Matignon, Godard, Chabrol, Truffaut, Rohmer. Vous imaginez ? Continuez. Rêvez plutôt. Si Laurent évoque Sartre, c’est que Bourget n’est pas loin. Gide est démonté « façon puzzle ». La mauvaise foi a sa part – royale. A (re)lire certains de ces articles, on sourit. « Comme d’autres sous-entendent » disait Paulhan. « Pour en dire plus. » 

D’autres textes surprennent plus, car moins connus, répertoriés. À la mort de Bernard Grasset, hommage à un condottiere (sic) dont il cite les Propos : « Quelle tragique impuissance que celle d’un homme que trop d’amours appellent. » Sur Valéry : «Valéry ne s’exprimait sans réserve que sur des futilités. Sur l’essentiel, il badinait. J’entends par là un libertinage qui le jetait avec beaucoup de vivacité parmi les idées générales et lui interdisait d’en aimer aucune passionnément. Valéry a séduit trop d’idées pour ne pas choquer une époque où il est devenu à la mode de ne se dévouer qu’à une seule.»

A lire aussi, Thomas Morales : Le Paris que vous ne reverrez plus jamais !

Le dernier texte publié dans ce recueil date de janvier 1965. Laurent n’est plus directeur d’Arts. Il vient de publier Mauriac sous De Gaulle. Ce texte est un chef-d’œuvre. Dur, très dur – mais un chef-d’œuvre : «La nouveauté, c’est que vous ayez cette fois perdu votre talent, donc l’éternelle circonstance atténuante qui vous escortait depuis cinquante ans. (…) Mes vœux de nouvelle année (…) Je vous souhaite de retrouver pendant les mois qui viennent ce qui vous est essentiel, ce par quoi votre œuvre peut courir sa chance après votre mort. Vous m’avez obligé à vous juger sur le contenu littéral de votre dernier écrit parce que ce dernier écrit n’avait qu’un contenu littéral. (…) Je ne vous demande pas de cesser d’être un courtisan, vous le fûtes toute votre vie, mais je vous souhaite de redevenir écrivain – vous le fûtes presque toute votre vie.» Laurent sera entendu, exaucé – voire récompensé : Un adolescent d’autrefois, le Vie de Rancé de Mauriac, date de 1969. C’est un chef-d’œuvre.


Jacques Laurent – L’Esprit des Lettres (Vol. 2 – Arts) – Préface de Christophe Mercier – Fallois, 394p.

NB: Laurent est évidemment présent dans mon Bréviaire capricieux de littérature contemporaine etc. (Éditions de Paris-Max Chaleil). Il l’est aussi dans mon anthologie de la revue culte des « Mac-Mahoniens » (littérature, cinéma, théâtre, art) : MATULU (même éditeur).

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«Kinds of Kindness» de Yórgos Lánthimos, un périple dans l’Amérique déjantée

Ce nouveau film du réalisateur grec Yórgos Lánthimos est son troisième avec l’actrice oscarisée Emma Stone, tête d’affiche incontournable du cinéma hollywoodien et objet de fascination profonde, comme seul le 7e art sait en faire naître…


Après La Favorite en 2018 et, plus récemment, Pauvres Créatures, en 2023, voici que sort en majesté sur les écrans Kinds of Kindness, qui a raté la Palme d’or au dernier Festival de Cannes.

À vrai dire, Pauvres Créatures m’avait laissé perplexe, du fait d’un imaginaire baroque trop appuyé et d’une complaisance systématique pour le grotesque. Emma Stone portait sur ses épaules ce film hybride et décadent.

Dans Kinds of Kindness, elle demeure toujours au premier plan de l’action, véritable centre de convergence dramatique, comme si mûrissait en elle une puissance compacte, qu’elle ne libérait vraiment qu’à l’image. Résultat, le spectateur n’a d’yeux que pour elle, même si les autres acteurs ne déméritent pas, notamment Jesse Plemons, qui propose ici des compositions grandioses.

Les corps conducteurs

Kinds of Kindness se composent de trois histoires, jouées par les mêmes acteurs qui passent d’un personnage à l’autre avec une facilité déconcertante. Ce dispositif permettait, comme l’a déclaré Yórgos Lánthimos, d’« exploiter les différentes facettes de jeu des comédiens », et aussi de conserver la même intensité dramatique d’un bout à l’autre du film. En français, Kinds of Kindness se traduirait par « sortes de bonté », ou de « bienveillance ». Nous sommes proches des mots anglais « friendly » et « considerate », et donc on pourrait traduire également « kindness » par « sympathie ». Ce qui donnerait : « sortes de sympathie », ou, avec un peu d’audace : « sortes de corps conducteurs », pour faire référence au romancier français Claude Simon. C’est en tout cas un titre plutôt ironique, et choisi pour étourdir le spectateur.

Les trois histoires, concoctées avec soin par Yórgos Lánthimos et son coscénariste Efthimis Filipou, se veulent un portrait de l’Amérique actuelle. La première met en scène un homme à qui un autre vole sa vie, en le manipulant d’une manière sadique. La deuxième, celle qui m’a le plus captivé, montre un policier qui ne reconnaît plus sa femme rescapée d’un naufrage. La troisième narre le destin de la responsable d’une secte qui part à la recherche d’une femme censée avoir le pouvoir de ressusciter les morts. Yórgos Lánthimos a l’art de créer une trouble atmosphère de folie, dans chaque épisode. On n’est pas loin d’Edgar Poe, me semble-t-il, mais comme revu et corrigé par les années 70. Les êtres humains deviennent facilement des monstres. Surtout, ils plongent dans la psychose avec une sorte de naturel qui effraie. Nous avons par exemple le policier convaincu jusqu’à la démence que sa femme est un double, et qui lui demande de lui cuisiner son pouce. Certes, le cinéaste montre cette scène d’horreur d’une manière assez peu crédible et presque grand-guignolesque, mais néanmoins on perçoit dans ces images inconcevables un fond de réalisme inquiétant. On a l’impression d’être vraiment chez les fous.

L’aliénation du moi

Malgré ses aspects excessifs, je crois qu’il faut prendre ce film très au sérieux.

Yórgos Lánthimos décrit des personnages qui existent autour de nous. Excédés par l’aliénation que la société exerce sur eux, ils plongent dans des comportements irrationnels, tentant de se révolter pour conserver leur moi intime. Le premier épisode montre bien cette dépossession de soi, si courante aujourd’hui, comme l’admettent les spécialistes, à l’heure où l’identité des êtres humains est remise en question. Pour bien apprécier Kinds of Kindness, je pense qu’il faudrait le mettre en relation avec la pensée d’un Jean Baudrillard (cf. Amérique, 1986, où le sociologue s’attarde sur tous les délires contemporains qui nous viennent d’outre-Atlantique). Sous des aspects de divertissement glauque, le film de Yórgos Lánthimos nous propose en réalité une réflexion parfaitement légitime à propos du monde que nous habitons. C’est le privilège de la fiction, souvent, d’en dire autant, sinon plus, que la philosophie ou la psychiatrie sur les questions graves qui nous obsèdent.

Dans le dernier épisode, situé au cœur d’une secte new age, le corps anorexique mais désirable de la femme qu’interprète Emma Stone est l’objet de diverses agressions physiques, jusqu’au viol. La brutalité subie devient maximale, alors que c’est la « purification » qui était recherchée. Comme si Dieu, en quelque sorte, devait rester nécessairement absent, et abandonner les hommes à leur misère profonde. Kinds of Kindness réfléchit sur le mal endémique. Au-delà d’un nihilisme très contemporain, auquel succombe avec peut-être trop d’empressement le réalisateur, perce cependant l’idée d’une rédemption improbable, et par conséquent toujours à venir. Le miracle aura-t-il lieu ? C’est sans doute cette aspiration morale, placée en arrière-plan par Yórgos Lánthimos, qui permet à son film d’être vu avec autant de délectation (mais une délectation morose). Avant tout, Kinds of Kindness, c’est de l’art ; et cet art ambigu est désormais la marque de fabrique d’un grand metteur en scène, qui a encore beaucoup à nous offrir.

Kinds of Kindness de Yórgos Lánthimos. Avec Emma Stone, Jesse Plemons, Willem Dafoe. En salle depuis le 26 juin.

Amérique, de Jean Baudrillard. Éd. Grasset, 1986. Réédité récemment au Livre de Poche.

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Dissolution: l’étrange président Macron

À deux jours du scrutin, le peuple français semble déterminé à poursuivre la phase dégagiste entamée par le président en place lui-même… mais sans lui.


Emmanuel Macron suscite un rejet populaire comme rarement observé dans la Vème République. Ses deux prédécesseurs ont aussi connu des périodes prolongées de disgrâce, sans toutefois n’avoir jamais cristallisé sur leurs personnes une détestation aussi universelle. On peut même se demander si la dernière chose qui puisse réunir un peuple aussi divisé que le nôtre ne serait pas de communier dans le rejet de « Jupiter ».

Rendez-vous manqués

Réunissez un sympathisant de gauche, du Rassemblement national, un jeune, un vieux, un bourgeois et un ouvrier dans un café. Après s’être battus, ils arriveront finalement à la conclusion que leurs maux sont exclusivement dus au jeune monarque qui occupe présentement l’Élysée. La chose est pour eux entendue, Emmanuel Macron est responsable et coupable. Du reste, les ministres de la majorité présidentielle rivalisent eux-mêmes de défiance, refusent de faire apparaitre le président sur leurs affiches, allant jusqu’à lui sommer de se taire durant cette campagne des législatives ! La chose est entendue et a une part d’irrationnalité. Emmanuel Macron n’est plus écouté et pas plus entendu.

A lire aussi, Richard Prasquier: Des élections sous le prisme de l’antisémitisme

Emmanuel Macron aurait toutefois tort de voir dans le phénomène une simple frénésie collective face à son génie ou un mouvement de foule hystérique qu’il n’aurait pas pu contrôler. Il a, de fait, raté énormément d’occasions et de rendez-vous avec son peuple. Concentrant tous les pouvoirs entre 2017 et 2022, il n’en a absolument pas profité pour démarrer cette « révolution » qu’il appelait de ses vœux lorsqu’il n’était encore qu’un prétendant. Premièrement, il n’a pas écouté François Bayrou qui lui demandait de réformer le mode de scrutin des élections législatives pour passer à la proportionnelle afin que dès 2017 la réalité de la sociologie électorale se retrouve au Parlement national. Une erreur qui a frustré une partie de l’électorat qui compte bien désormais poursuivre la phase dégagiste entamée par le président… sans lui.

On va dans le mur, tu viens ?

Ensuite, il n’a pas non plus tenu de référendum après la crise dite des gilets jaunes et les consultations populaires qu’il avait pourtant commandées. Il a pensé pouvoir « acheter » les Français à plusieurs reprises en saupoudrant aides et subventions directes, accroissant par la même occasion le mur de la dette dans lequel est en train de foncer le pays au risque d’une aggravation dramatique du « spread » avec l’Allemagne. Sur les sujets d’immigration et de sécurité, d’identité aussi, il a péniblement joué le symbolique face à la réalité, n’allant jamais au bout d’intentions qui sur le papier semblaient intéressantes, tant en 2018 avec la loi Collomb que plus récemment avec la « loi Immigration » qu’il a volontairement laissée censurer par le Conseil constitutionnel.
En 2022, élu malgré une importante progression de Marine Le Pen qu’il espérait pourtant réduire, il n’a pas provoqué de dissolution dès après le deuxième tour de la présidentielle ainsi que l’y invitaient ses proches conseillers. Résultat, il a perdu sa majorité absolue. Depuis lors, il n’a eu de cesse de pratiquer un pouvoir autoritaire qui a achevé de dégoûter un peu plus les Français, multipliant les 49.3 et les interventions télévisées…

A lire aussi, Stéphane Rozès: «Le RN devenu bonapartiste s’est installé au cœur de l’imaginaire français en tenant ensemble les questions nationale, sociale et européenne»

Dernièrement, Emmanuel Macron n’a pas su mesurer la montée du Rassemblement national et de la droite, traitant avec légèreté les sujets qui font le succès de ses opposants.
Alors que rien ne l’y obligeait, il a décidé une dissolution au pire moment, sur un temps très contraint, comme s’il avait souhaité punir les Français et son propre camp. Sa « grenade dégoupillée » a été lancée avant ces fameux Jeux qu’on nous présente pourtant quotidiennement comme engageant l’honneur et l’image de la France dans le monde. Bref, Emmanuel Macron a raté maintes occasions de se faciliter la tâche. Son centrisme est devenu une chape de plomb, lui interdisant de choisir entre les aspirations de la gauche et celles de la droite, lui aliénant en conséquence les deux bords. Il n’a pas été le chef que le quinquennat demande, mais un arbitre des élégances distribuant bons et mauvais points à une population infantilisée. Omniprésident jupitérien arrivé au pouvoir sur la promesse de la déconcentration des pouvoirs, il récolte le prix que tout monarque dépeint en tyran a dû affronter dans l’histoire française.
Injuste ? Sûrement partiellement, mais la faute lui en revient.

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Des élections post-démocratiques?


Avec la campagne des législatives anticipées, nous avons vu l’adaptation accélérée du paysage politique à une France multiculturalisée, communautarisée, libanisée.

Les élections qui viennent ne seront pas démocratiques mais post-démocratiques, notre société ne disposant plus de la cohésion ni du socle minimal de convictions communes nécessaires à la démocratie d’opinion. La question posée n’est plus de savoir ce que le demos choisit souverainement, mais de savoir si le demos doit ou non être souverain, et même : s’il doit ou non être libre.

A cette question, la droite (dite « droite patriote », structurée par l’alliance entre le RN et Éric Ciotti) répond « oui » – j’en profite pour rappeler que contrairement à ce que prétendent ses ennemis, cette droite a du demos la même vision que jadis Isocrate, vision culturelle et non raciale : c’est la droite de Malika Sorel, de Hanane Mansouri et de Jean Messiha. Elle ne nie pas l’existence du peuple français historique, mais ne nie pas non plus que des individus de toutes origines peuvent s’y assimiler et dès lors en devenir membres à part entière.

Nouveau Front Populaire, centre macroniste et droite patriote

À l’inverse, à cette même question le centre (l’autoproclamé « cercle de la Raison » ou « arc républicain ») et la gauche (le « Nouveau Front Populaire », alliance de tous les partis de gauche avec le NPA – qui le soir du 7 octobre déclarait son « soutien » aux « moyens de lutte » choisis par la « résistance » palestinienne) répondent « non ».

Le centre veut perpétuer la captation de la souveraineté par une oligarchie affranchie de tout contrôle démocratique – la collusion entre Emmanuel Macron et Laurent Fabius pour tromper et humilier le Sénat (tout en bafouant sciemment la volonté générale) au sujet de la « loi immigration » en est une parfaite illustration. La gauche veut transférer la souveraineté à une coalition de « minorités » aux visions du monde souvent contradictoires (l’alliance improbable des « hijabeuses » et des « femmes à pénis ») mais pour l’instant unies par une commune détestation du demos français (y compris lorsque ces « minorités » en sont issues) et de la civilisation à laquelle il appartient – l’hostilité envers Israël n’étant que la part actuellement la plus médiatisée d’une hostilité plus générale envers tout l’Occident, réduit à un « système de domination bourgeois / blanc / patriarcal / colonial / cis-hétéro-normé » – simple prétexte pour l’abattre et danser sur ses ruines.

Nouveau Front Populaire, centre macroniste, droite patriote. Philippe de Villiers parle d’une France de la créolisation, d’une France de l’ubérisation, et d’une France de la tradition. Michel Onfray souligne que ces trois camps brandissent des drapeaux bien différents : drapeau palestinien, drapeau de l’UE, drapeau français (j’ajoute à ce dernier le drapeau israélien). Ibn Khaldoun y aurait sans doute vu le parti de ceux qu’il appelait les « bédouins » (le NFP veut relâcher des milliers de délinquants, son programme migratoire est une invasion, son programme fiscal est un pillage), le parti des « élites » décadentes de « l’empire » mourant, et le parti des « sédentaires » désarmés par « l’empire » mais aspirant à renouer avec leur asabbiya (leur cohésion en tant que peuple et leur combativité collective). On peut aussi caractériser ces trois pôles par certaines icônes qu’ils invoquent pour mobiliser leurs membres : il y a ainsi le camp de Nahel et des Traoré ; le camp de Zelensky ; et le camp de Thomas et de Shani Louk.

Villepin et Bertrand sont-ils des hommes de droite ?

Au second tour, et pour reprendre l’image de Michel Onfray, le drapeau palestinien et le drapeau de l’UE feront évidemment alliance contre le drapeau français. De Villepin a déjà annoncé préférer Philippe Poutou à Charles Prats, Xavier Bertrand préfère les communistes aux identitaires (il doit juger les goulags et l’holodomor moins graves que les apéros saucisson-pinard), en 2022 Mélenchon avait immédiatement appelé à voter Macron au second tour. Conformément à l’analyse khaldounienne, « l’empire » décadent et les « bédouins » ont en commun de ne prospérer qu’au détriment des « sédentaires », et craignent plus que tout que ces derniers relèvent la tête. Le centre feint aujourd’hui de renvoyer dos-à-dos « les extrêmes » : c’est évidemment une posture, personne ne pouvant sérieusement mettre sur le même plan le parti de Malika Sorel et celui du « butin de guerre » d’Houria Bouteldja.

L’exclusion d’Israël du salon Eurosatory à la demande du gouvernement confirme que la macronie a choisi son camp (« Victoire ! » avait tweeté Rima Hassan, qui ne s’y était pas trompée). Sa priorité absolue est la poursuite de l’immigration massive : l’oligarchie décadente veut vivre comme des despotes du tiers-monde, et veut donc à tout prix la tiers-mondisation du pays. Elle veut le dumping social, et elle veut le multiculturalisme pour effacer la décence commune qui, dans la civilisation occidentale, reconnaît des droits aux plus faibles face aux caprices des puissants. En outre, le centre crée sciemment les conditions de l’ensauvagement, parce qu’il a besoin des racailles pour dresser les honnêtes gens à avoir peur, à raser les murs, à baisser la tête. Racailles de toutes origines : la surdélinquance parfaitement documentée de certaines immigrations ne doit pas masquer la violence par exemple des Black Blocs « de souche », envers lesquels le gouvernement actuel est notoirement bien moins sévère qu’envers le moindre « bar identitaire ». On sait que « l’émotion dépasse les règles juridiques », pour citer Christophe Castaner alors ministre de l’Intérieur, mais seulement en faveur de ceux qui crient « justice pour Adama » et surtout pas de ceux qui réclament « justice pour Thomas. »

Droite patriote : les raisons d’un succès

À cette heure, seule la droite patriote veut rendre au demos français la conscience de sa dignité. Seule la droite offre au pays une chance d’échapper à la mécanique infernale de l’effondrement explicitée par Ibn Khaldoun. Seule la droite propose à terme une autre option que le règne des seigneurs de la guerre – que cette guerre soit économique ou armée – ou la soumission à un régime tyrannique – qu’il s’agisse d’un crédit social à la chinoise ou de la charia.

Un gouvernement RN/LR ne résoudrait pas en trois ans tous les problèmes du pays, sa victoire ne ferait pas disparaître d’un trait de plume les nombreux réseaux de la gauche qui tenteront inévitablement de saboter son action, ni ne résoudrait instantanément la situation économique calamiteuse dans laquelle nous a plongés le centre, ni n’effacerait 50 ans de politique migratoire suicidaire. Mais une victoire de la droite accomplirait trois choses absolument fondamentales. D’abord, elle arracherait le pouvoir aux ennemis du demos, à ceux qui vendent le pays à la découpe (rappelons que le gouvernement actuel refuse obstinément de révéler qui détient aujourd’hui la dette de la France) ou veulent le livrer au « Sud global ». Ensuite, elle serait un coup de poing sur la table disant clairement aux ennemis du pays qu’ils ne sont plus en terrain conquis. Enfin et surtout, elle signifierait pour tous les Français qui aiment la France et respectent sa culture et ses mœurs (qu’importe alors qu’ils soient « Français de souche » ou « Français de branche », selon la belle formule de Driss Ghali) qu’ils ont le droit de tenir tête aux racailles, aux censeurs et aux instances non-élues qui piétinent la démocratie, et qu’ils peuvent à nouveau marcher la tête haute.

Et rien n’est plus important que ça.

Flash-back sur une dissolution désinvolte…

Les architectes de la Constitution de la Ve ont confié le pouvoir de dissoudre aux mains du président de la République, pour lui permettre de résoudre une crise politique, pas pour en provoquer ! La dissolution de l’Assemblée nationale sera-t-elle la dernière décision « disruptive » d’un président épris de transgression ?


Sur BFMTV, François Hollande reproche à Emmanuel Macron de « n’avoir pas tenu sa place ». Je ne suis pas sûr que lui-même l’ait fait en s’acoquinant avec un Nouveau Front Populaire (NFP) dominé par La France Insoumise, elle-même largement sous la coupe de Jean-Luc Mélenchon dont il avait sans cesse dénoncé la nuisance. Nous avons perdu nos dernières illusions sur l’ancien président. Interrogeons-nous sur la décision de l’actuel de dissoudre l’Assemblée nationale et sur les raisons profondes qui l’ont inspiré.

Le président et les pantins désarticulés

J’ai déjà évoqué le caractère ludique de la complicité unissant un petit cercle ne prenant pas la politique au tragique. Surtout quand elle l’est ou risque de l’être. Le psychanalyste Jean-Pierre Winter nous fournit une autre clé de ce comportement, qui relève de la seule personnalité et responsabilité du président de la République. L’homme public comme l’individu privé seraient, dans l’ensemble de leur histoire, aussi bien dans les choix intimes que dans les options politiques, épris de transgression. Cette volonté permanente de surprendre est facilement vérifiable et a conduit Emmanuel Macron d’une part à fuir l’ordinaire au bénéfice de l’inattendu, jusqu’à l’incongru, et d’autre part à considérer que ce qui surgit de son esprit et de ses desseins les plus secrets est forcément frappé du sceau de l’exceptionnel. Tout ce qui est normal, comme l’expression d’une opinion et d’un bon sens partagés par beaucoup, lui est radicalement étranger. J’étonne et je déroute donc je suis.

A lire aussi, Vincent Coussedière: «Le RN a des candidats qui ne correspondent pas à la caricature qu’on en fait depuis des années»

Ainsi cette dissolution survenant comme un bouleversement absolu sur tous les plans et tétanisant même ses soutiens les plus inconditionnels, a-t-elle procuré à Emmanuel Macron ce dont il raffole le plus : stupéfier son entourage, reprendre la main fût-ce par une absurdité tactique. En jouissant de la volupté de son décret solitaire, impérieux et évidemment transgressif.

Larcher et Attal dépassés par les évènements

Il est en effet choquant que la décision de dissoudre, qui imposait au président, pour être prise valablement, une consultation du Premier ministre, du président du Sénat et de la présidente de l’Assemblée nationale, ait été édictée par Emmanuel Macron, Gabriel Attal ayant été laissé de côté, après une information précipitée et de pure forme sans que la moindre contradiction ait pu lui être proposée. La suite a démontré que ces hautes autorités ont très mal vécu cet épisode de totale désinvolture. Gérard Larcher a reproché au président de « ratatiner la démocratie ». Le Conseil constitutionnel a été saisi d’un recours visant cette entorse à l’article 12 de la Constitution. Il a considéré qu’il n’avait pas compétence pour l’apprécier. 

Ces dispositions psychologiques et cette légèreté constitutionnelle sont l’une des explications du climat actuel. Avec ce président mal aimé, peut-être comme aucun avant lui.

Binationalité, un débat politique légitime

La France n’a pas que des amis, rappelle Céline Pina


En France, la proposition d’interdire la binationalité pour l’occupation des postes de représentation politique ou certains postes stratégiques fait scandale. Pourtant cette proposition est tout à fait cohérente et est loin d’être un marqueur de xénophobie. Elle est au contraire liée à une haute idée des exigences de la démocratie et du devoir du citoyen.

D’ailleurs, nombre de démocraties proches de nous interdisent ou limitent la double nationalité. C’est le cas de l’Ukraine, des Pays-Bas, de l’Autriche, de l’Estonie, de la Bulgarie, de l’Espagne, de la Norvège, de la Lettonie et la Lituanie, ou encore de l’Allemagne…

Ces interdictions ou limitations ne sont pas la marque de la xénophobie mais une exigence de clarté dans l’engagement citoyen. Etre français, ce n’est pas une créance permettant de tirer des avantages financiers et sociaux de sa nationalité. La citoyenneté est, en Occident, un engagement civilisationnel.

Nos appartenances ne sont pas basées sur la religion ou l’ethnie mais sur le partage de principes et idéaux qui se traduisent en droit. Ces principes et idéaux sont l’armature de notre société et ils se traduisent très concrètement : c’est l’affirmation de l’égalité en droit au-delà des différences de sexe, race, religion ou philosophie, c’est la défense des libertés publiques, c’est la laïcité. Etre citoyen c’est adhérer à ces principes et travailler à leur effectivité et à leur garantie.

Double fidélité

Le peut-on quand la double nationalité vous amène à appartenir à des sphères politiques dont les valeurs sont frontalement opposées ?

Autre point, que se passe-t-il en cas de guerre quand vous appartenez à deux univers qui s’affrontent. Où va votre loyauté ? À qui et à quoi êtes-vous fidèles ? Quels principes et idéaux allez-vous servir? Qui allez-vous protéger, pour qui irez-vous combattre ?

Dans le premier cas, que défend quelqu’un qui est binational et appartient à un pays européen et à un pays musulman par exemple ? Dans ces pays, l’égalité en droit n’existe pas, elle est refusée à raison du sexe (infériorisation des femmes) et de la religion (statut de sous-citoyen via la dhimmisation). Cette personne croit-elle en l’égalité entre les êtres humains ou est-elle favorable à la domination d’un sexe sur l’autre ? Portera-t-elle haut les libertés publiques ou les sapera-t-elle pour faire prévaloir son dogme religieux ? Que défendra-t-elle si elle arrive au pouvoir ?

La question n’est pas absurde. En Belgique, où les islamistes ont infiltré les partis politiques de gauche, des coups sont portés contre l’État de droit pour favoriser la logique de la charia, ces nouveaux élus n’ayant aucun lien avec la culture démocratique et servant l’idéologie islamiste. Là, l’entrisme est manifeste, mais il n’en reste pas moins qu’une personne ayant fait allégeance à des systèmes contradictoires et opposés ne puisse incarner l’intérêt général : elle n’est pas claire dans son système de valeurs, ambiguë dans ses engagements, en contradiction flagrante dans ses allégeances, elle ne peut donc représenter personne. Dans le cas d’un ministre ou d’un député par exemple, cet aspect de la problématique est déterminant.

A lire aussi, du même auteur: Les castors, Macron et l’amour du risque

Regardons ce qui se passe concrètement avec le cas Rima Hassan. Cette femme ne représente pas les Français mais est là pour porter la voix de la Palestine, version Hamas. Elle le dit très clairement et se présente elle-même comme l’incarnation d’un lobby étranger. Elle est de surcroit en lien avec des représentants du terrorisme islamiste. En quoi est-elle légitime pour représenter notre pays? Et en cas de tensions avec le Hezbollah, la Syrie, le Hamas, de quel pays, territoire ou idéal défendrait-elle les intérêts ? Certes, tous les élus ne sont pas comme cette personne, mais le doute que cette double fidélité implique et les tensions qu’elles génèrent sont problématiques.

Lorsque les systèmes convergent et que les principes et idéaux organisant les sociétés se rapprochent, la double appartenance est possible. Mais l’évolution du monde va dans le sens inverse: la logique impérialiste se réveille et la conquête territoriale revient. Le totalitarisme islamiste remet au goût du jour les massacres de masse et les tentatives de déstabilisation des démocraties. Guerre, totalitarisme et terrorisme reviennent en Europe. Les démocraties sont attaquées et une partie de la menace est liée à la puissance des islamistes au cœur des pays européens. Cette menace est endogène, comme l’ont montré la nationalité des auteurs d’attentats. L’impossibilité d’appartenir à deux mondes et à deux espaces de références antagonistes a éclaté au grand jour et a été révélée dans le violent rejet que manifestent les jihadistes et partisans du séparatisme pour le pays dont ils ne considèrent pas comme « d’origine ».

La France n’a pas que des amis

Dans ce cadre, on ne voit guère comment continuer à faire semblant de croire que la double nationalité n’est pas un problème. Surtout quand les tensions s’accroissent tandis que les antagonismes montent.

algerie pierre vermeren bouteflika
Supporters de l’équipe d’Algérie de football, Paris, juillet 2019. Auteurs : Bastien Louvet/SIPA.

Prenons un cas très concret : l’Algérie. Le pays cultive la haine de la France chez ses ressortissants. C’est même un mode de gestion de sa vie politique intérieure. La France est accusée de tous les maux afin de faire oublier la corruption et l’incapacité des élites algériennes comme leur échec à développer un pays pourtant plein d’atouts. Le ressentiment à l’égard de la France devient une caractéristique de cette population. Dans le même temps, chez beaucoup de ressortissants maghrébins, la France est dénigrée et « Français » est même devenu une insulte dans les quartiers islamisés ! En parallèle, l’appartenance aux origines est exaltée. À qui ira dans ce cadre la fidélité d’un Franco-algérien en cas de crise ou d’affrontement ? Comment donner un pouvoir de représentation à des personnes qui pourraient très vite se retrouver en conflit de loyauté au mieux, incapables d’incarner les fondamentaux de ce que nous sommes en tant que peuple au pire ?

Ces questions ne sont pas anecdotiques, elles sont au cœur de nos sociétés politiques. Les traiter par le sentimentalisme, en mode « on me demande de choisir, donc je me sens rejetée dans mon être intime » relève de la victimisation simplette. Les évacuer car elles seraient « amorales » ou « racistes » relève de la manipulation pure. Le débat sur la limitation de la double nationalité est un débat de fond, légitime et il mérite d’être posé.


Elisabeth Lévy : « Devenir français est un privilège. Il n’est pas scandaleux qu’il ait un prix »

«Le RN a des candidats qui ne correspondent pas à la caricature qu’on en fait depuis des années»

On a connu Vincent Coussedière comme penseur ou philosophe nous parlant des thèmes du populisme, de la nation ou de l’assimilation dans des essais ou dans les colonnes des journaux. Le voilà candidat à la députation en Alsace. Entretien.


Causeur. Dans une tribune publiée récemment par Valeurs actuelles, vous estimez qu’en prononçant la dissolution de l’Assemblée, Emmanuel Macron a fait voler en éclat une opposition artificielle entre les questions nationales et les questions européennes. En somme, observant les résultats le 9 juin, le président aurait constaté que les citoyens français voulaient que l’on cesse de parler de cette Europe un peu abstraite, et qu’on en revienne aux questions plus strictement nationales ? A-t-il bien fait de redonner la parole au peuple, selon vous?

Vincent Coussedière. Concernant la situation du président, je ne suis pas sûr que redonner la parole au peuple aboutisse à ce qu’il aurait voulu…

La macronie s’est embourbée dans des contradictions terribles. Cette séparation entre les questions nationales et européennes durant la campagne n’avait aucun sens. L’Europe est faite par des nations, par des traités, et donc parler des questions européennes, c’est parler des questions nationales, et inversement, non ? En faisant cette dissolution, Macron se contredit complètement, il dramatise le sens national du scrutin alors qu’il nous disait qu’il ne fallait surtout pas le faire !

La logique institutionnelle ne le forçait pas du tout à dissoudre. Emmanuel Macron aurait pu le faire éventuellement à l’automne, il n’y avait rien qui l’obligeait à le faire maintenant.

De son côté, en réclamant la dissolution, le RN était dans sa propre logique d’opposition, d’alternative véritable. Emmanuel Macron a voulu renverser la table. Il a voulu piéger le RN, en  disant : vous avez fait monter la pression, vous allez voir, vous n’êtes pas prêts, vous ne serez pas capables de gouverner et de vous organiser à temps, et donc je vais vous prendre au mot, etc. Du Macron tout craché !

Il y a aussi des observateurs qui disent qu’il en avait surtout assez d’avoir une majorité relative, et qu’il tente un coup de poker. « La France à quitte ou double » titrait Le Point.

Certes, mais c’est bien cela qui est très inquiétant. C’est la politique de la terre brûlée ! Après moi, le déluge ! Nos journaux sont pleins de rumeurs sur les gens qui travaillent autour du président. Et je pense qu’effectivement, ça se passe vraiment très mal, que c’est très difficile pour eux. Il y a des tensions énormes dans le camp présidentiel, Emmanuel Macron a pris tout le monde au dépourvu autour de lui. Bardella, de son côté, semble beaucoup plus cohérent. Il dit qu’il acceptera d’être Premier ministre, mais seulement avec une majorité absolue…

Pour aller dans votre sens, d’éminents membres de la majorité, comme l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne, estiment qu’en effet, le président pouvait très bien gouverner. La preuve, c’est qu’il y a des textes importants qui ont pu être votés, comme la réforme des retraites, la loi immigration, le budget…

Absolument.

Est-ce qu’il n’y aurait pas alors une explication plus psychologique, irrationnelle, dans le choix de dissoudre ? Un affolement ? Une « fuite en avant » comme disent les psys ou la presse féminine?

Je dirais qu’il y a une explication à la fois psychologique et idéologique.

Psychologique, d’abord, parce que chez Emmanuel Macron, il y a toujours eu ce côté « poker », joueur, recherche de la limite. Mais il y a aussi le côté idéologique, c’est-à-dire que le président entend pousser jusqu’au bout la logique de la montée aux extrêmes, quitte à mettre le pays dans une forme de chaos.

Quoi qu’il en soit, après vous avoir connu comme penseur, comme philosophe parlant des thèmes du populisme, de la nation ou de l’assimilation dans vos essais ou dans les colonnes des journaux, vous voilà candidat ! Qu’est ce qui a motivé votre choix de vous engager politiquement ?

C’est une évolution qui remonte à quelques années. Le Rassemblement national m’invite depuis longtemps à des conférences. Je fais partie par ailleurs de Campus Héméra, l’école de formation des cadres et militants dirigée par Jérôme Sainte-Marie, où j’ai donné cours et conférences sur l’assimilation. Je suis également intervenu au Parlement européen devant le groupe Identité et Démocratie, ou lors d’un colloque à Paris sur le wokisme. On ne m’a jamais  imposé quoi que ce soit à l’avance, j’ai toujours eu une totale liberté d’expression.

Ce sont des gens curieux, qui s’intéressent à vos analyses et qui m’ont tendu la main, très loin de la vision fantasmatique qu’ont encore beaucoup de gens du RN. De mon côté je me rends à l’invitation de n’importe quel parti pour faire des colloques, pour faire des conférences, notez bien… Mais il se trouve que c’est le RN qui m’a invité.

Comment avez-vous obtenu votre investiture auprès de Jordan Bardella?

J’avais déjà manifesté ma disponibilité pour les élections européennes, mais il y avait très peu de places. Est-ce que vous seriez intéressé en cas de dissolution ? m’avait-on demandé. Je n’y croyais pas. Et je ne pensais pas que Macron ferait cette erreur.

Lors d’une campagne pour les législatives, vous êtes beaucoup plus exposé que pour les européennes. Cela suppose vraiment de mouiller la chemise, d’être sur le terrain, de rendre public tout ce que vous faites. Mais, le mandat de député, représentant de la nation, est finalement à mes yeux plus prestigieux encore que celui de député européen ! J’en serai beaucoup plus fier si je suis élu.

Mais vos électeurs potentiels vous connaissent peut-être encore mal…

J’enseigne dans le secondaire, la philosophie, aux lycéens. J’ai enseigné aussi la culture générale aux étudiants qui préparent l’ENA. En politique, j’ai été 12 ans conseiller municipal et délégué à l’intercommunalité, dans un village, Geishouse, une petite commune de 500 habitants dans le sud de l’Alsace, dans le Haut-Rhin. J’aime bien les choses concrètes et j’aime bien l’échelon de la commune qui est vraiment un échelon de démocratie directe, sans qu’on se préoccupe d’étiquette politique.

Ma position actuelle n’est pas forcément très confortable, parce que c’est ce qu’on appelle un « parachutage »… J’habite en Alsace, mais pas dans la circonscription. M. Steinbach, le candidat de 2022, m’a donné tout de suite les contacts locaux pour travailler sur le terrain, et je l’en remercie.

J’observe une certaine confusion, lors de mes réunions, concernant les compétences du député, du conseiller régional, des conseillers départementaux, du maire, etc. Et les élus sortants jouent beaucoup là-dessus. Ils jouent beaucoup sur « je suis proche de vous », « je vais faire ça pour vous avec ma baguette magique » alors qu’ils n’ont pas les compétences de ce qu’ils promettent ! Beaucoup de choses relèvent de la région, ou relèvent du département. En Alsace, en plus, il y a le contexte particulier de la collectivité européenne alsacienne qui a fusionné les deux départements… Donc j’explique aux électeurs que je rencontre qu’il s’agit avant tout dimanche d’une élection nationale.

Et justement, quelle est votre position sur l’évolution de l’Alsace?

Le RN est le plus crédible là-dessus. Nous avons en Alsace une identité régionale forte. Mais, la nation jacobine qui menacerait les régions, les identités régionales, ce n’est plus vraiment d’actualité. La nation peut, au contraire, être protectrice de la diversité des régions. Protectrice d’une mondialisation et d’un européisme qui est beaucoup plus destructeur, notamment par le biais de l’immigration de masse.

Oui, il faut sortir l’Alsace du Grand Est. Mais, le RN remet en cause le découpage des régions depuis 2015. LR n’a pas toujours dit ça, même si c’est devenu un mot d’ordre important pour eux aussi. Macron, de son côté, a louvoyé sur la question. Il est venu à Strasbourg en avril, affirmant que la collectivité européenne d’Alsace, cela suffisait et qu’on allait en rester là… Éric Woerth lui a rendu fin mai un rapport sur la décentralisation qui va dans le même sens. Et voilà qu’après la dissolution, Macron nous fait un discours où il rouvre la porte. Ah mais les régions, quand même, elles sont peut-être trop grandes, et il faudrait peut-être quand même fusionner les compétences du département et de la région, etc…. Comme d’habitude, il dit tout et son contraire.

Votre pari de rejoindre le Palais Bourbon n’est pas gagné. La dernière fois, votre adversaire, la députée sortante macroniste Louise Morel, a été élue avec 56% de voix. Elle rêve d’une parité intergénérationnelle (comme pour la parité hommes/femmes). Avez-vous lu son livre?

Absolument, ce n’est pas gagné mais c’est gagnable !

Je vous avoue que je n’ai pas lu son livre, les délais sont très courts lors de cette campagne. Vous n’imaginez pas ce que c’est qu’une campagne législative anticipée, tout ce qu’il faut fait en 15 jours au niveau administratif, juridique, financier. J’ai eu la tête sous l’eau pendant 10 jours, et pas pour des questions philosophiques ! Mais, Louise Morel est typique de la macronie avec ce genre de problématiques un peu dérisoires, parité intergénérationnelle, patati patata… Et politiquement, elle n’a pas vraiment de colonne vertébrale, à l’image de ses mentors, Macron et Bayrou, on est dans le « et en même temps », en réalité dans la confusion. Sa position sur la sortie de l’Alsace du Grand Est ne fait que refléter les louvoiements de ses patrons.

J’imagine que vous voyez l’arrivée d’un gouvernement Bardella aux responsabilités comme une solution à la décomposition en cours de la France que vous déplorez dans vos articles. Mais, vos adversaires voient eux l’arrivée du RN au pouvoir comme susceptible de susciter de nouveaux troubles (troubles sociaux, troubles dans les banlieues peut-être). Qu’est-ce que vous répondez aux citoyens qui ont ces inquiétudes ?

Je leur réponds qu’on n’a pas le choix. Je comprends que des gens aient peur. Mais ils devraient avoir encore plus peur de continuer dans une fuite en avant qui nous pousse vers l’abîme. Dans bien des domaines, que ce soit l’immigration, l’insécurité, l’éducation, on est dans une situation très compliquée. Et il est évident qu’il va être très difficile d’inverser la vapeur et l’inertie de processus historiques qui est immense. C’est vraiment un moment historique que l’on vit. C’est comme 1958. Je commence d’ailleurs mes réunions publiques en disant qu’il y a une gravité dans le pays qui est de l’ordre de 58. Le RN, à mon avis, est la seule force qui peut canaliser ce moment révolutionnaire dans des voies réformistes. Et sans violence. Il est là l’enjeu.

Dernière question. Aujourd’hui, c’est votre dernier jour de campagne, qu’est-ce que vous allez faire?

Ce soir, je fais ma dernière réunion publique. A Marlenheim, sur des terres un peu plus favorables à Macron, pour me faire connaître et montrer que le RN a des candidats qui ne correspondent pas la caricature qu’on en fait. Pas sulfureux. Pas « nauséabonds » ! Des gens normaux, mais inquiets et effrayés par la situation du pays.

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Le Grand Soir?

Notre chroniqueur, jadis gauchiste soixante-huitard, rêveur invétéré, quêteur de bouleversements, voit dans la situation qui pourrait émerger de ces élections voulues par le Grand Semeur de Désordre (i.e. Macron, visiblement) l’occasion d’une révolution qui bouleversera en profondeur la France moisie d’aujourd’hui. Bien entendu, Causeur, qui s’arrange confortablement d’un balancement gauche / droite — comme on dit en boxe — n’en souhaite pas autant.


Jean-Paul Brighelli vient de publier Soleil noir, un roman de 300 pages chez L’Archipel NDLR •

Vous vous souvenez sans doute que dans Le Désert des Tartares (Dino Buzzati, 1940 — une année fertile en événements), le héros, Giovanni Drogo, jeune et fringant lieutenant, a été muté dans un poste avancé de l’empire, à la limite des terres inconnues où habitent les barbares.
Et il va les attendre, trente ans, jusqu’à ce que, vieux et malade, il se résigne à partir — au moment où l’ennemi enfin attaque. Il ne connaîtra jamais la gloire des combats.

Depuis cinquante ans, nous attendons le Grand Soir qui bouleversera nos habitudes, et redonnera un souffle de vie au cadavre frémissant de ce cher vieux pays suicidé par des gouvernements successifs irresponsables.
Et nous avons vu nos espoirs s’amenuiser : le libéralisme a su inventer tous les gadgets susceptibles d’amuser les foules. 

Les membres des élites mondialisées n’avaient pas prévu le confinement, ni les gilets jaunes. Ils ont cru au rétablissement du business as usual, et parce qu’ils ne sortent pas de cette capitale qui n’est plus qu’une bulle factice, ils n’ont pas senti monter l’émeute. Les médias ont glosé l’année dernière sur les exactions des racailles, sans voir que ce déchaînement très limité de violence — limité par les chefs de gang pour qui toute révolte est un manque à gagner — traduisait une exaspération puissante. Ce ne seront plus de jeunes exaltés qui seront prochainement à la manœuvre, mais le peuple, que l’on peut tromper un temps, mais pas tout le temps.

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Les élections voulues par le mirliflore de l’Elysée pour sauver sa fonction et sa place dans l’Histoire accoucheront dans quelques jours d’une Assemblée impuissante à surmonter ses divisions : jamais la haine n’a été à un si haut étiage. C’est dans la rue que l’ultra-gauche, les Frères musulmans (qui ont fait voter massivement LFI dans les « quartiers », regardez les chiffres) et le peuple de droite (qui n’est de droite que parce que les intellectuels fourbes et fourbus, les élites parisiennes (oxymore !) et autres agents infiltrés de la CIA et de la CEE, main dans la main, ne lui ont pas laissé le choix, après lui avoir confisqué son vote en 2005) règleront finalement le sort de la nation. Ce sera violent, injuste si l’on veut, mais il se passera enfin quelque chose.
Pas pour tous ceux qui l’ont tellement aimée, la révolution. Ils n’en verront pas grand-chose, du fond de leur lit d’hôpital ou de leur cabane de retraités. Mais l’Histoire s’en fiche : ce qui va se passer entre le 8 juillet et surtout la rentrée sera l’une de ces pages splendides, rouge sang, auxquelles notre destin français nous a habitués — et que l’on a prétendu nous interdire à jamais. Ce sera la revanche posthume de Giovanni Drogo.

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Ultraorthodoxes en Israël – du noir au kaki?

A Jérusalem, le 25 juin, la Cour suprême a levé l’exemption de service militaire pour les étudiants ultra-orthodoxes. Une décision qui ne fait pas les affaires de la coalition du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Mais, alors qu’Israël est de nouveau en guerre depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, le pays ne peut plus fermer les yeux sur cette exemption, véritable serpent de mer de la vie politique israélienne, qui pose en creux la question suivante: qu’est qu’un «Etat juif»?


Le 25 juin, la Cour suprême israélienne a rendu une décision qui pourrait mener à la conscription des étudiants des écoles talmudiques. Jusqu’à présent, ces jeunes hommes ultraorthodoxes étaient exemptés du service militaire obligatoire s’ils se consacraient à l’étude des textes sacrés du judaïsme. Cependant, les juges ont estimé que le nombre croissant de ces exemptions constitue une rupture du principe d’égalité, et qu’une telle dérogation ne peut être légitimée que par une loi votée par le Parlement. « L’exécutif n’a pas l’autorité pour ordonner de ne pas appliquer la loi sur le service militaire aux étudiants de yeshiva [école talmudique] en l’absence d’un cadre légal adéquat », a déclaré la Cour. « Sans ancrer cette exemption dans un cadre légal, l’État doit agir pour imposer la loi. »

Jusqu’à présent, ces exemptions étaient accordées par l’armée (en tant que représentante de l’État concernant la conscription) dans le cadre d’un arrangement basé sur un accord de 1947 entre David Ben Gourion et les leaders des communautés ultraorthodoxes. Connu sous le nom de « la lettre du statu quo », cet accord visait à obtenir le soutien des ultraorthodoxes pour la création d’un État-nation juif en Palestine, devant la commission de l’ONU. Pour montrer à la communauté internationale une position unie des Juifs de Palestine sous mandat britannique, Ben Gourion et la majorité sioniste laïque ont pris des engagements significatifs envers ce groupe minoritaire mais symboliquement important : les ultraorthodoxes, Juifs des villes, bourgs et villages du Yiddishland, l’espace entre la mer Baltique et la mer Noire, étaient les parents, oncles et frères de Ben Gourion et de ses camarades, qui avaient souvent eux-mêmes fréquenté les mondes des Yeshiva et des Cheder (petites écoles juives où l’on apprend l’hébreu en lisant la Bible).

Des communautés en marge, qui manipulent le reste de la société israélienne

Cette génération de leaders et d’intellectuels sionistes, née dans le dernier tiers du XIXe siècle, a vécu les conséquences de l’émancipation des Juifs, un processus qui s’est déroulé à l’est et au centre de l’Europe plusieurs décennies après celui des Juifs en France. Les ultraorthodoxes, comme les sionistes, représentent deux réactions parmi d’autres à cette soudaine ouverture et aux nouvelles opportunités – notamment la possibilité d’intégrer lycées et universités – qu’elle a permises. Les ultraorthodoxes ont développé un système fondé sur deux piliers : le quasi-rejet de tout ce qui est nouveau et la création de « lycées » et « universités » juifs, les Yeshiva. Ces deux éléments ont doté ces nouveaux courants du judaïsme d’une structure solide, notamment un uniforme inspiré de la mode de l’époque (symbole du rejet du neuf) et des institutions qui occupent et disciplinent la jeunesse masculine.

En quelques décennies, l’ultraorthodoxie a forgé une identité commune malgré de multiples divisions idéologiques et personnelles. Dans une sorte de ruse de l’Histoire, les frères ennemis sionisme/ultraorthodoxie, qui se disputaient âprement la jeunesse juive du Yiddishland entre 1900 et 1940, ont fini par établir des relations symbiotiques au moment même où le sionisme semblait avoir remporté une victoire sans appel, sur le site de cette victoire : l’État d’Israël. Vivant en marge de la société israélienne, les communautés ultraorthodoxes ont appris à manipuler la cité israélienne et son système politique. Elles ont transformé leurs atouts – communautés organisées et disciplinées – en une force politique mobilisée pour obtenir un maximum d’aide matérielle en échange d’un minimum de participation.

La montée de l’État-providence israélien dans les années 1970 a accéléré leur dynamique démographique et l’arrivée de la droite au pouvoir en 1977 avec Menahem Begin a instauré une alliance politique solide. Les effets conjugués de ces deux phénomènes ont transformé un phénomène d’abord marginal puis supportable en un fardeau que les autres Israéliens peinent de plus en plus à porter.

Ainsi, cette décision de la Cour et la crise politique qu’elle a déclenchée – le gouvernement de Netanyahou dépendant du soutien des partis ultraorthodoxes, pour lesquels la fin de cette exception est un casus belli – sont les dernières expressions en date de la plus vieille et certainement la plus fondamentale question qui divise et secoue la société israélienne : qui est juif ? Qu’est-ce qu’un « État juif » ?

Désaccord fondamental

Le 20 octobre 1952, plus de cinq ans après avoir sollicité le soutien des ultraorthodoxes devant l’ONU, Ben Gourion, désormais Premier ministre d’Israël, cherchait à renouer le dialogue. Il était obligé de le faire : depuis presque un mois, son gouvernement n’avait plus la majorité à la Knesset, car les élus ultraorthodoxes ne le soutenaient plus à cause d’un projet de loi visant à élargir le service militaire obligatoire aux femmes, jusqu’alors sollicitées à se porter volontaires. Pour les ultraorthodoxes, c’était une rupture du statu quo selon lequel l’armée devait être une institution juive, c’est-à-dire un espace où la nourriture est kasher et où le repos sabbatique est strictement respecté. Par conséquent et par définition, cette institution ne pouvait être mixte. Ben Gourion s’est donc rendu chez Avraham Kerlitz, le leader de ces communautés, considéré comme le plus grand érudit talmudique de son temps, dont l’autorité découlait de son statut et non d’un poste électif. Ben Gourion voulait discuter avec lui d’une question très pragmatique : comment des Juifs religieux et non religieux pourraient-ils vivre ensemble dans le nouvel État d’Israël ? La réponse d’Avraham Kerlitz, en forme de parabole, est entrée dans la légende. Si un wagon chargé croise le chemin d’un wagon vide, c’est le wagon vide qui doit céder le passage. Le sens était clair : le wagon chargé, c’est le judaïsme talmudique représenté par Kerlitz. Le vide, c’est la nouvelle manière d’être juif par le sionisme, c’est-à-dire en tant qu’existence politique nationale, républicaine et laïque, incarnée par Ben Gourion.

Le désaccord est profond, car les uns – les ultraorthodoxes – n’ont pas besoin de l’État d’Israël, ni d’un État quelconque même dirigé par eux, pour exister. On peut être juif sur une île déserte en mer du Sud à condition de construire deux synagogues : une pour prier et étudier, l’autre pour ne plus jamais y mettre les pieds ! En revanche, un Israélien – peu importe où il habite – ne peut pas exister sans l’État d’Israël et il est peu probable qu’une communauté israélienne en dehors d’Israël puisse survivre autant de générations qu’une communauté juive.

Ce désaccord fondamental est la raison pour laquelle Israël ne s’est toujours pas doté d’une constitution écrite. Il existe un ensemble de lois, d’institutions et de précédents qui forment un édifice constitutionnel. Les libertés occidentales se heurtent à l’identité juive de l’État d’Israël tout comme elles se heurtent à tout contenu positif quel qu’il soit. Dans leur essence, les libertés dressent un cadre, souvent au niveau de l’individu, mais ne peuvent pas le remplir. Dans le cadre d’une république laïque à la française, il est quasiment impossible d’imposer un cadre identitaire. Or, Ben Gourion et les sionistes laïcs et libéraux étaient nourris des mêmes idées et valeurs que les républicains français tout en voulant construire un tel cadre identitaire.

Une situation plus tenable

Ben Gourion, ses contemporains, ses successeurs ainsi que les leaders de l’orthodoxie n’ont pas trouvé une solution à la question des deux wagons. En revanche, des arrangements pragmatiques et provisoires – comme l’exemption – ont été élaborés. En octobre 1948, en pleine guerre, Ben Gourion a accordé à titre exceptionnel une exemption à 400 étudiants de Yeshiva considérés comme la crème de la crème, avec comme argument principal une volonté de reconstruire les Yeshiva de l’Europe de l’Est dispersés et détruits par les Nazis. 76 ans plus tard, le nombre de bénéficiaires avoisine les 60 000. La goutte qui aurait fait déborder le vase est sans doute la guerre qui fait rage depuis le 7 octobre. Cette guerre est non seulement longue mais elle exige l’emploi prolongé des nombreuses unités de l’armée de terre. L’armée des conscrits n’est pas suffisante et le fardeau tombe sur les réservistes, ceux-là mêmes qui, en tant que civils, sont supposés faire tourner l’État et l’économie. La situation risque de s’aggraver si un deuxième front s’ouvre dans le nord.

Pour faire face à l’urgence, le service obligatoire a déjà été allongé de 30 à 36 mois et une proposition de loi prévoit de prolonger d’un an l’âge de l’obligation de service de réserve pour tout le monde.

Dans ces circonstances, l’alliance politique soutenant l’exemption des ultraorthodoxes commence à céder. Ainsi, il n’y a pas, pour l’instant, de majorité en faveur d’une loi qui doterait Israël d’un cadre légal permettant de concilier l’égalité devant l’obligation de servir sous les drapeaux et la spécificité de la communauté ultraorthodoxe. Dans le contexte politique actuel, la question du service militaire fragilise les trois piliers (ultraorthodoxes, religieux nationaux, Likoud) de la coalition de Netanyahou, une coalition fondée sur leur intérêt commun de retirer à la cour constitutionnelle le droit d’invalider des lois (la « réforme constitutionnelle » lancée en janvier 2023 et mise de côté depuis la guerre). Or, après huit mois de conflit, certains religieux nationaux et membres du Likoud ne veulent plus fermer les yeux sur l’exemption des ultraorthodoxes.

Ainsi, la crise constitutionnelle rejoint la crise sécuritaire, imposant à l’ordre du jour israélien cette double question des frontières : les frontières physiques de l’État juif vers l’extérieur, et la définition et donc les frontières de l’identité juive, à l’intérieur, deux interrogations profondes et plus que jamais liées au cœur même de la Cité israélienne.

Soldes: Y’a plus d’saisons!

Les soldes ont démarré mercredi, mais plus personne ne semble vraiment s’en préoccuper.


Dans le grand tumulte de l’actualité marquée par les élections législatives, le Tour de France, le parcours de la flamme olympique ou encore les préparatifs des JO, les soldes d’été 2024 ont démarré ce mercredi 26 juin, en toute discrétion. Aux journaux télévisés, quelques minutes leur sont tout de même consacrées avec, au programme, les sempiternelles plaintes de commerçants quant au manque de fréquentation des magasins et l’indifférence des passants pour cet événement. On en viendrait presque à plaindre le pauvre journaliste qui a dû faire preuve de persévérance avant de recueillir le témoignage d’un client, souriant, les bras chargés de sacs, se félicitant des bonnes affaires de sa journée. Le moral des Français n’étant pas au beau fixe, il convient de finir le reportage sur une note positive et de nuancer un constat pourtant flagrant : les soldes ne font plus rêver personne, ni les commerçants, ni les clients !

Un désintérêt croissant

D’après l’enquête 2024[1] de l’Observatoire du Commerce Indépendant, huit Français sur dix affirment pourtant avoir changé leur manière de consommer, du fait de l’inflation et de l’augmentation des prix.  Ils sont ainsi plus de 50% à  attendre les périodes de promotion pour faire leurs achats et 36% à rechercher essentiellement des prix bas. Ce serait donc naturel, dans un tel état d’esprit, que les Français plébiscitent de nouveau les périodes de soldes et que celles-ci retrouvent leur gloire d’antan, mais il n’en est rien. Pire, leur désintérêt, qui ne date pas d’hier, semble s’accentuer chaque année ou plutôt chaque saison.

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Car, ne l’oublions pas, les soldes sont intrinsèquement liés aux saisons. Il s’agit pour les enseignes et marques de brader la collection d’été à la fin de l’été et la collection d’hiver à la fin de l’hiver. La logique est simple et paraît pleine de bon sens mais, dans la pratique, tout a changé. Les enseignes de fast-fashion ont rebattu les cartes en proposant non pas deux collections par an mais deux par mois en moyenne. À peine arrivée en rayon, chaque collection est déjà démodée et bradée pour laisser la place à une nouvelle. Ne parlons même pas des géants de l’ultrafast-fashion qui proposent plusieurs milliers de nouvelles références chaque jour ! Ces entreprises se justifient et se défendent en arguant qu’elles ne font que répondre à la demande des consommateurs, de plus en plus avides de nouveautés. Ceux-là mêmes qui s’offusquent de voir des chocolats de Pâques dans les rayons dès le mois de février se font capricieux quand il s’agit d’exiger des soldes avant même le démarrage de la saison. Les marques tentent de suivre l’infernale cadence et s’engagent désormais à livrer aux boutiques des maillots de bain dès le mois de janvier et des manteaux en laine en plein mois de juin. En début d’année, les agriculteurs retournaient les panneaux d’entrée des villes comme un message d’alerte. Les enseignes des magasins devraient subir le même sort car le constat est le même : on marche sur la tête.

Petites et grandes enseignes en désaccord sur l’évolution de la législation

Alors que M. Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt-à-porter, accuse, sur France Info, la météo capricieuse de ces dernières semaines et le climat anxiogène des élections, peu propice à la consommation, M. Pierre Talamon, président de la FNH (Fédération Française de l’Habillement) intervient sur les chaînes nationales pour rappeler sa proposition visant à décaler les dates des soldes pour les reconnecter avec les saisons réelles. Si tous les acteurs du secteur s’accordent sur le fait que le concept de soldes doit être repensé, la législation à son sujet donne lieu à une éternelle confrontation entre les commerçants indépendants et les grandes enseignes dont les intérêts divergent. Est-il encore pertinent de se prétendre tous dans le même bateau lorsque certains voyagent en paquebot tandis que d’autres rament dans une barque ? Chaque année, le gouvernement profite de cette absence de consensus dans la profession pour s’abstenir de toute prise de décision[2].

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L’État français a certes le pouvoir de modifier les dates et la durée des périodes de soldes sur le territoire mais il serait naïf d’imaginer que la modification de ces paramètres soit suffisante pour inverser la tendance. Il est en effet impossible de légiférer sur les soldes sans réglementer, dans le même temps, les périodes de promotions intempestives qui ont lieu tout au long de l’année et dans lesquelles les soldes sont littéralement noyées. Au milieu de ces ventes privées, promotions de mi-saison, soldes flottants ou encore Black Friday, le commerçant se lamente et le client se perd, en plus d’en sortir souvent perdant. Il existe pourtant une directive européenne intitulée « Omnibus »[3], en vigueur depuis 2020 qui détermine des règles pour lutter contre la multiplication des promotions et celles injustement ainsi nommées, mais elle est, hélas, loin d’être appliquée en France de manière stricte. Comme dans bien d’autres domaines en France, la légifération se révèle toujours plus facile que l’application des lois déjà en vigueur.

Nous voilà donc partis pour quatre semaines de grande valse des étiquettes et, alors que la campagne électorale bat son plein pour les législatives, il est fort cocasse de constater que quand certains hésitent à s’acheter une nouvelle veste, d’autres se contentent, avec plus ou moins de discrétion, de retourner la leur.


[1] https://my.ankorstore.com/observatoireducommerceindependant

[2] https://fashionunited.fr/actualite/retail/olivia-gregoire-s-exprime-sur-le-debat-que-provoque-le-choix-des-dates-des-soldes-d-hiver-2024/2024011033941

[3] Directive (UE) 2019/2161 du parlement européen et du conseil du 27 Novembre 2019 – https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32019L2161

Salut à Jacques Laurent! À propos de « l’Esprit des Lettres »

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jacques laurent bêtises morand
Jacques Laurent, 1971 © Sipa.

Dites « Jacques Laurent », et immédiatement s’ensuivent quelques attributs: intelligence, insolence, liberté, humeur, humour, loyauté, naturel, panache – et style.


On passera assez vite sur « Hussard » et Stendhal (trop connus), sur Les Temps Modernes et L’Express, ses têtes de Turc, sur sa passion grammairienne du «malgré que».
Quoi d’autres ? De grands livres : Les Corps Tranquilles, Les Bêtises, Le Petit Canard, Stendhal comme Stendhal, Histoire égoïste. Et des revues. Essentiellement La Table Ronde, La Parisienne et Arts.
Le premier volume de L’Esprit des Lettres recueillait les articles que Laurent a donnés, entre janvier 1948 et avril 1957, aux deux premières. Le second volume rassemble ceux écrits pour Arts – dont il assure la direction à partir de juillet 1954 (jusqu’en 1958).

A lire aussi : Petit tour d’horizon des inquiétudes du «monde de la Culture»

On y retrouve le Mousquetaire connu, qui bataille avec Sartre, moque Beauvoir, taquine plus ou moins vertement Mauriac et ses palinodies à L’Express, guerroie contre Les Temps Modernes, l’engagement – et l’ennui.

L’époque est présente à chaque page : Minou Drouet, Sagan, Camus, Jules Romains, Auteuil de Freustié (un régal), les prix littéraires (rien ne change), Grace Kelly, un défilé Dior, Nourissier et Les Chiens à fouetter («un grand écrivain»), le dandysme («recherche d’une élégance qui veut de la rectitude» – on croise Cocteau, Fontenelle, Talleyrand, Jarry), le «traduidu» (très drôle), Labiche est relu (à la hausse, du côté de Jarry, Flaubert, Monnier).

Un article sur «Les Droites» nous évoque Berl : même goût du paradoxe, de la complexité, voire de la contradiction féconde, même incapacité à «l’esprit partisan», même dégoût de l’idéologie. Esprits inaliénables, inassignables : libres.

A lire aussi, Richard de Seze: Les résistantes résistaient-elles autrement que les résistants?

Laurent défend quelques écrivains, ses amis souvent, ses collaborateurs à Arts parfois : Barrès, Giraudoux, Maurice Leblanc (Arsène Lupin plutôt), Montherlant, Fraigneau, Cocteau, Audiberti, Jouhandeau, Aymé, Anouilh, Morand, Perret. Autres collaborateurs de l’hebdomadaire ? Déon, Blondin, Nimier, Huguenin, Matignon, Godard, Chabrol, Truffaut, Rohmer. Vous imaginez ? Continuez. Rêvez plutôt. Si Laurent évoque Sartre, c’est que Bourget n’est pas loin. Gide est démonté « façon puzzle ». La mauvaise foi a sa part – royale. A (re)lire certains de ces articles, on sourit. « Comme d’autres sous-entendent » disait Paulhan. « Pour en dire plus. » 

D’autres textes surprennent plus, car moins connus, répertoriés. À la mort de Bernard Grasset, hommage à un condottiere (sic) dont il cite les Propos : « Quelle tragique impuissance que celle d’un homme que trop d’amours appellent. » Sur Valéry : «Valéry ne s’exprimait sans réserve que sur des futilités. Sur l’essentiel, il badinait. J’entends par là un libertinage qui le jetait avec beaucoup de vivacité parmi les idées générales et lui interdisait d’en aimer aucune passionnément. Valéry a séduit trop d’idées pour ne pas choquer une époque où il est devenu à la mode de ne se dévouer qu’à une seule.»

A lire aussi, Thomas Morales : Le Paris que vous ne reverrez plus jamais !

Le dernier texte publié dans ce recueil date de janvier 1965. Laurent n’est plus directeur d’Arts. Il vient de publier Mauriac sous De Gaulle. Ce texte est un chef-d’œuvre. Dur, très dur – mais un chef-d’œuvre : «La nouveauté, c’est que vous ayez cette fois perdu votre talent, donc l’éternelle circonstance atténuante qui vous escortait depuis cinquante ans. (…) Mes vœux de nouvelle année (…) Je vous souhaite de retrouver pendant les mois qui viennent ce qui vous est essentiel, ce par quoi votre œuvre peut courir sa chance après votre mort. Vous m’avez obligé à vous juger sur le contenu littéral de votre dernier écrit parce que ce dernier écrit n’avait qu’un contenu littéral. (…) Je ne vous demande pas de cesser d’être un courtisan, vous le fûtes toute votre vie, mais je vous souhaite de redevenir écrivain – vous le fûtes presque toute votre vie.» Laurent sera entendu, exaucé – voire récompensé : Un adolescent d’autrefois, le Vie de Rancé de Mauriac, date de 1969. C’est un chef-d’œuvre.


Jacques Laurent – L’Esprit des Lettres (Vol. 2 – Arts) – Préface de Christophe Mercier – Fallois, 394p.

NB: Laurent est évidemment présent dans mon Bréviaire capricieux de littérature contemporaine etc. (Éditions de Paris-Max Chaleil). Il l’est aussi dans mon anthologie de la revue culte des « Mac-Mahoniens » (littérature, cinéma, théâtre, art) : MATULU (même éditeur).

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«Kinds of Kindness» de Yórgos Lánthimos, un périple dans l’Amérique déjantée

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Kinds of Kindness, un drame de Yórgos Lánthimos, actuellement en salles © Element pictures

Ce nouveau film du réalisateur grec Yórgos Lánthimos est son troisième avec l’actrice oscarisée Emma Stone, tête d’affiche incontournable du cinéma hollywoodien et objet de fascination profonde, comme seul le 7e art sait en faire naître…


Après La Favorite en 2018 et, plus récemment, Pauvres Créatures, en 2023, voici que sort en majesté sur les écrans Kinds of Kindness, qui a raté la Palme d’or au dernier Festival de Cannes.

À vrai dire, Pauvres Créatures m’avait laissé perplexe, du fait d’un imaginaire baroque trop appuyé et d’une complaisance systématique pour le grotesque. Emma Stone portait sur ses épaules ce film hybride et décadent.

Dans Kinds of Kindness, elle demeure toujours au premier plan de l’action, véritable centre de convergence dramatique, comme si mûrissait en elle une puissance compacte, qu’elle ne libérait vraiment qu’à l’image. Résultat, le spectateur n’a d’yeux que pour elle, même si les autres acteurs ne déméritent pas, notamment Jesse Plemons, qui propose ici des compositions grandioses.

Les corps conducteurs

Kinds of Kindness se composent de trois histoires, jouées par les mêmes acteurs qui passent d’un personnage à l’autre avec une facilité déconcertante. Ce dispositif permettait, comme l’a déclaré Yórgos Lánthimos, d’« exploiter les différentes facettes de jeu des comédiens », et aussi de conserver la même intensité dramatique d’un bout à l’autre du film. En français, Kinds of Kindness se traduirait par « sortes de bonté », ou de « bienveillance ». Nous sommes proches des mots anglais « friendly » et « considerate », et donc on pourrait traduire également « kindness » par « sympathie ». Ce qui donnerait : « sortes de sympathie », ou, avec un peu d’audace : « sortes de corps conducteurs », pour faire référence au romancier français Claude Simon. C’est en tout cas un titre plutôt ironique, et choisi pour étourdir le spectateur.

Les trois histoires, concoctées avec soin par Yórgos Lánthimos et son coscénariste Efthimis Filipou, se veulent un portrait de l’Amérique actuelle. La première met en scène un homme à qui un autre vole sa vie, en le manipulant d’une manière sadique. La deuxième, celle qui m’a le plus captivé, montre un policier qui ne reconnaît plus sa femme rescapée d’un naufrage. La troisième narre le destin de la responsable d’une secte qui part à la recherche d’une femme censée avoir le pouvoir de ressusciter les morts. Yórgos Lánthimos a l’art de créer une trouble atmosphère de folie, dans chaque épisode. On n’est pas loin d’Edgar Poe, me semble-t-il, mais comme revu et corrigé par les années 70. Les êtres humains deviennent facilement des monstres. Surtout, ils plongent dans la psychose avec une sorte de naturel qui effraie. Nous avons par exemple le policier convaincu jusqu’à la démence que sa femme est un double, et qui lui demande de lui cuisiner son pouce. Certes, le cinéaste montre cette scène d’horreur d’une manière assez peu crédible et presque grand-guignolesque, mais néanmoins on perçoit dans ces images inconcevables un fond de réalisme inquiétant. On a l’impression d’être vraiment chez les fous.

L’aliénation du moi

Malgré ses aspects excessifs, je crois qu’il faut prendre ce film très au sérieux.

Yórgos Lánthimos décrit des personnages qui existent autour de nous. Excédés par l’aliénation que la société exerce sur eux, ils plongent dans des comportements irrationnels, tentant de se révolter pour conserver leur moi intime. Le premier épisode montre bien cette dépossession de soi, si courante aujourd’hui, comme l’admettent les spécialistes, à l’heure où l’identité des êtres humains est remise en question. Pour bien apprécier Kinds of Kindness, je pense qu’il faudrait le mettre en relation avec la pensée d’un Jean Baudrillard (cf. Amérique, 1986, où le sociologue s’attarde sur tous les délires contemporains qui nous viennent d’outre-Atlantique). Sous des aspects de divertissement glauque, le film de Yórgos Lánthimos nous propose en réalité une réflexion parfaitement légitime à propos du monde que nous habitons. C’est le privilège de la fiction, souvent, d’en dire autant, sinon plus, que la philosophie ou la psychiatrie sur les questions graves qui nous obsèdent.

Dans le dernier épisode, situé au cœur d’une secte new age, le corps anorexique mais désirable de la femme qu’interprète Emma Stone est l’objet de diverses agressions physiques, jusqu’au viol. La brutalité subie devient maximale, alors que c’est la « purification » qui était recherchée. Comme si Dieu, en quelque sorte, devait rester nécessairement absent, et abandonner les hommes à leur misère profonde. Kinds of Kindness réfléchit sur le mal endémique. Au-delà d’un nihilisme très contemporain, auquel succombe avec peut-être trop d’empressement le réalisateur, perce cependant l’idée d’une rédemption improbable, et par conséquent toujours à venir. Le miracle aura-t-il lieu ? C’est sans doute cette aspiration morale, placée en arrière-plan par Yórgos Lánthimos, qui permet à son film d’être vu avec autant de délectation (mais une délectation morose). Avant tout, Kinds of Kindness, c’est de l’art ; et cet art ambigu est désormais la marque de fabrique d’un grand metteur en scène, qui a encore beaucoup à nous offrir.

Kinds of Kindness de Yórgos Lánthimos. Avec Emma Stone, Jesse Plemons, Willem Dafoe. En salle depuis le 26 juin.

Amérique, de Jean Baudrillard. Éd. Grasset, 1986. Réédité récemment au Livre de Poche.

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Dissolution: l’étrange président Macron

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Le président Macron inaugure le prolongement de la ligne 14 du métro parisien, 24 juin 2024 © Blondet / POOL/SIPA

À deux jours du scrutin, le peuple français semble déterminé à poursuivre la phase dégagiste entamée par le président en place lui-même… mais sans lui.


Emmanuel Macron suscite un rejet populaire comme rarement observé dans la Vème République. Ses deux prédécesseurs ont aussi connu des périodes prolongées de disgrâce, sans toutefois n’avoir jamais cristallisé sur leurs personnes une détestation aussi universelle. On peut même se demander si la dernière chose qui puisse réunir un peuple aussi divisé que le nôtre ne serait pas de communier dans le rejet de « Jupiter ».

Rendez-vous manqués

Réunissez un sympathisant de gauche, du Rassemblement national, un jeune, un vieux, un bourgeois et un ouvrier dans un café. Après s’être battus, ils arriveront finalement à la conclusion que leurs maux sont exclusivement dus au jeune monarque qui occupe présentement l’Élysée. La chose est pour eux entendue, Emmanuel Macron est responsable et coupable. Du reste, les ministres de la majorité présidentielle rivalisent eux-mêmes de défiance, refusent de faire apparaitre le président sur leurs affiches, allant jusqu’à lui sommer de se taire durant cette campagne des législatives ! La chose est entendue et a une part d’irrationnalité. Emmanuel Macron n’est plus écouté et pas plus entendu.

A lire aussi, Richard Prasquier: Des élections sous le prisme de l’antisémitisme

Emmanuel Macron aurait toutefois tort de voir dans le phénomène une simple frénésie collective face à son génie ou un mouvement de foule hystérique qu’il n’aurait pas pu contrôler. Il a, de fait, raté énormément d’occasions et de rendez-vous avec son peuple. Concentrant tous les pouvoirs entre 2017 et 2022, il n’en a absolument pas profité pour démarrer cette « révolution » qu’il appelait de ses vœux lorsqu’il n’était encore qu’un prétendant. Premièrement, il n’a pas écouté François Bayrou qui lui demandait de réformer le mode de scrutin des élections législatives pour passer à la proportionnelle afin que dès 2017 la réalité de la sociologie électorale se retrouve au Parlement national. Une erreur qui a frustré une partie de l’électorat qui compte bien désormais poursuivre la phase dégagiste entamée par le président… sans lui.

On va dans le mur, tu viens ?

Ensuite, il n’a pas non plus tenu de référendum après la crise dite des gilets jaunes et les consultations populaires qu’il avait pourtant commandées. Il a pensé pouvoir « acheter » les Français à plusieurs reprises en saupoudrant aides et subventions directes, accroissant par la même occasion le mur de la dette dans lequel est en train de foncer le pays au risque d’une aggravation dramatique du « spread » avec l’Allemagne. Sur les sujets d’immigration et de sécurité, d’identité aussi, il a péniblement joué le symbolique face à la réalité, n’allant jamais au bout d’intentions qui sur le papier semblaient intéressantes, tant en 2018 avec la loi Collomb que plus récemment avec la « loi Immigration » qu’il a volontairement laissée censurer par le Conseil constitutionnel.
En 2022, élu malgré une importante progression de Marine Le Pen qu’il espérait pourtant réduire, il n’a pas provoqué de dissolution dès après le deuxième tour de la présidentielle ainsi que l’y invitaient ses proches conseillers. Résultat, il a perdu sa majorité absolue. Depuis lors, il n’a eu de cesse de pratiquer un pouvoir autoritaire qui a achevé de dégoûter un peu plus les Français, multipliant les 49.3 et les interventions télévisées…

A lire aussi, Stéphane Rozès: «Le RN devenu bonapartiste s’est installé au cœur de l’imaginaire français en tenant ensemble les questions nationale, sociale et européenne»

Dernièrement, Emmanuel Macron n’a pas su mesurer la montée du Rassemblement national et de la droite, traitant avec légèreté les sujets qui font le succès de ses opposants.
Alors que rien ne l’y obligeait, il a décidé une dissolution au pire moment, sur un temps très contraint, comme s’il avait souhaité punir les Français et son propre camp. Sa « grenade dégoupillée » a été lancée avant ces fameux Jeux qu’on nous présente pourtant quotidiennement comme engageant l’honneur et l’image de la France dans le monde. Bref, Emmanuel Macron a raté maintes occasions de se faciliter la tâche. Son centrisme est devenu une chape de plomb, lui interdisant de choisir entre les aspirations de la gauche et celles de la droite, lui aliénant en conséquence les deux bords. Il n’a pas été le chef que le quinquennat demande, mais un arbitre des élégances distribuant bons et mauvais points à une population infantilisée. Omniprésident jupitérien arrivé au pouvoir sur la promesse de la déconcentration des pouvoirs, il récolte le prix que tout monarque dépeint en tyran a dû affronter dans l’histoire française.
Injuste ? Sûrement partiellement, mais la faute lui en revient.

Le non du peuple

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Des élections post-démocratiques?

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La candidate de la majorité présidentielle Shannon Seban en campagne à Ivry sur Seine (94), 25 juin 2024 © John Leicester/AP/SIPA

Avec la campagne des législatives anticipées, nous avons vu l’adaptation accélérée du paysage politique à une France multiculturalisée, communautarisée, libanisée.

Les élections qui viennent ne seront pas démocratiques mais post-démocratiques, notre société ne disposant plus de la cohésion ni du socle minimal de convictions communes nécessaires à la démocratie d’opinion. La question posée n’est plus de savoir ce que le demos choisit souverainement, mais de savoir si le demos doit ou non être souverain, et même : s’il doit ou non être libre.

A cette question, la droite (dite « droite patriote », structurée par l’alliance entre le RN et Éric Ciotti) répond « oui » – j’en profite pour rappeler que contrairement à ce que prétendent ses ennemis, cette droite a du demos la même vision que jadis Isocrate, vision culturelle et non raciale : c’est la droite de Malika Sorel, de Hanane Mansouri et de Jean Messiha. Elle ne nie pas l’existence du peuple français historique, mais ne nie pas non plus que des individus de toutes origines peuvent s’y assimiler et dès lors en devenir membres à part entière.

Nouveau Front Populaire, centre macroniste et droite patriote

À l’inverse, à cette même question le centre (l’autoproclamé « cercle de la Raison » ou « arc républicain ») et la gauche (le « Nouveau Front Populaire », alliance de tous les partis de gauche avec le NPA – qui le soir du 7 octobre déclarait son « soutien » aux « moyens de lutte » choisis par la « résistance » palestinienne) répondent « non ».

Le centre veut perpétuer la captation de la souveraineté par une oligarchie affranchie de tout contrôle démocratique – la collusion entre Emmanuel Macron et Laurent Fabius pour tromper et humilier le Sénat (tout en bafouant sciemment la volonté générale) au sujet de la « loi immigration » en est une parfaite illustration. La gauche veut transférer la souveraineté à une coalition de « minorités » aux visions du monde souvent contradictoires (l’alliance improbable des « hijabeuses » et des « femmes à pénis ») mais pour l’instant unies par une commune détestation du demos français (y compris lorsque ces « minorités » en sont issues) et de la civilisation à laquelle il appartient – l’hostilité envers Israël n’étant que la part actuellement la plus médiatisée d’une hostilité plus générale envers tout l’Occident, réduit à un « système de domination bourgeois / blanc / patriarcal / colonial / cis-hétéro-normé » – simple prétexte pour l’abattre et danser sur ses ruines.

Nouveau Front Populaire, centre macroniste, droite patriote. Philippe de Villiers parle d’une France de la créolisation, d’une France de l’ubérisation, et d’une France de la tradition. Michel Onfray souligne que ces trois camps brandissent des drapeaux bien différents : drapeau palestinien, drapeau de l’UE, drapeau français (j’ajoute à ce dernier le drapeau israélien). Ibn Khaldoun y aurait sans doute vu le parti de ceux qu’il appelait les « bédouins » (le NFP veut relâcher des milliers de délinquants, son programme migratoire est une invasion, son programme fiscal est un pillage), le parti des « élites » décadentes de « l’empire » mourant, et le parti des « sédentaires » désarmés par « l’empire » mais aspirant à renouer avec leur asabbiya (leur cohésion en tant que peuple et leur combativité collective). On peut aussi caractériser ces trois pôles par certaines icônes qu’ils invoquent pour mobiliser leurs membres : il y a ainsi le camp de Nahel et des Traoré ; le camp de Zelensky ; et le camp de Thomas et de Shani Louk.

Villepin et Bertrand sont-ils des hommes de droite ?

Au second tour, et pour reprendre l’image de Michel Onfray, le drapeau palestinien et le drapeau de l’UE feront évidemment alliance contre le drapeau français. De Villepin a déjà annoncé préférer Philippe Poutou à Charles Prats, Xavier Bertrand préfère les communistes aux identitaires (il doit juger les goulags et l’holodomor moins graves que les apéros saucisson-pinard), en 2022 Mélenchon avait immédiatement appelé à voter Macron au second tour. Conformément à l’analyse khaldounienne, « l’empire » décadent et les « bédouins » ont en commun de ne prospérer qu’au détriment des « sédentaires », et craignent plus que tout que ces derniers relèvent la tête. Le centre feint aujourd’hui de renvoyer dos-à-dos « les extrêmes » : c’est évidemment une posture, personne ne pouvant sérieusement mettre sur le même plan le parti de Malika Sorel et celui du « butin de guerre » d’Houria Bouteldja.

L’exclusion d’Israël du salon Eurosatory à la demande du gouvernement confirme que la macronie a choisi son camp (« Victoire ! » avait tweeté Rima Hassan, qui ne s’y était pas trompée). Sa priorité absolue est la poursuite de l’immigration massive : l’oligarchie décadente veut vivre comme des despotes du tiers-monde, et veut donc à tout prix la tiers-mondisation du pays. Elle veut le dumping social, et elle veut le multiculturalisme pour effacer la décence commune qui, dans la civilisation occidentale, reconnaît des droits aux plus faibles face aux caprices des puissants. En outre, le centre crée sciemment les conditions de l’ensauvagement, parce qu’il a besoin des racailles pour dresser les honnêtes gens à avoir peur, à raser les murs, à baisser la tête. Racailles de toutes origines : la surdélinquance parfaitement documentée de certaines immigrations ne doit pas masquer la violence par exemple des Black Blocs « de souche », envers lesquels le gouvernement actuel est notoirement bien moins sévère qu’envers le moindre « bar identitaire ». On sait que « l’émotion dépasse les règles juridiques », pour citer Christophe Castaner alors ministre de l’Intérieur, mais seulement en faveur de ceux qui crient « justice pour Adama » et surtout pas de ceux qui réclament « justice pour Thomas. »

Droite patriote : les raisons d’un succès

À cette heure, seule la droite patriote veut rendre au demos français la conscience de sa dignité. Seule la droite offre au pays une chance d’échapper à la mécanique infernale de l’effondrement explicitée par Ibn Khaldoun. Seule la droite propose à terme une autre option que le règne des seigneurs de la guerre – que cette guerre soit économique ou armée – ou la soumission à un régime tyrannique – qu’il s’agisse d’un crédit social à la chinoise ou de la charia.

Un gouvernement RN/LR ne résoudrait pas en trois ans tous les problèmes du pays, sa victoire ne ferait pas disparaître d’un trait de plume les nombreux réseaux de la gauche qui tenteront inévitablement de saboter son action, ni ne résoudrait instantanément la situation économique calamiteuse dans laquelle nous a plongés le centre, ni n’effacerait 50 ans de politique migratoire suicidaire. Mais une victoire de la droite accomplirait trois choses absolument fondamentales. D’abord, elle arracherait le pouvoir aux ennemis du demos, à ceux qui vendent le pays à la découpe (rappelons que le gouvernement actuel refuse obstinément de révéler qui détient aujourd’hui la dette de la France) ou veulent le livrer au « Sud global ». Ensuite, elle serait un coup de poing sur la table disant clairement aux ennemis du pays qu’ils ne sont plus en terrain conquis. Enfin et surtout, elle signifierait pour tous les Français qui aiment la France et respectent sa culture et ses mœurs (qu’importe alors qu’ils soient « Français de souche » ou « Français de branche », selon la belle formule de Driss Ghali) qu’ils ont le droit de tenir tête aux racailles, aux censeurs et aux instances non-élues qui piétinent la démocratie, et qu’ils peuvent à nouveau marcher la tête haute.

Et rien n’est plus important que ça.

Flash-back sur une dissolution désinvolte…

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Le président Macron dissout l'Assemblée nationale en direct. Paris, le 9 juin 2024. © Alain ROBERT/SIPA

Les architectes de la Constitution de la Ve ont confié le pouvoir de dissoudre aux mains du président de la République, pour lui permettre de résoudre une crise politique, pas pour en provoquer ! La dissolution de l’Assemblée nationale sera-t-elle la dernière décision « disruptive » d’un président épris de transgression ?


Sur BFMTV, François Hollande reproche à Emmanuel Macron de « n’avoir pas tenu sa place ». Je ne suis pas sûr que lui-même l’ait fait en s’acoquinant avec un Nouveau Front Populaire (NFP) dominé par La France Insoumise, elle-même largement sous la coupe de Jean-Luc Mélenchon dont il avait sans cesse dénoncé la nuisance. Nous avons perdu nos dernières illusions sur l’ancien président. Interrogeons-nous sur la décision de l’actuel de dissoudre l’Assemblée nationale et sur les raisons profondes qui l’ont inspiré.

Le président et les pantins désarticulés

J’ai déjà évoqué le caractère ludique de la complicité unissant un petit cercle ne prenant pas la politique au tragique. Surtout quand elle l’est ou risque de l’être. Le psychanalyste Jean-Pierre Winter nous fournit une autre clé de ce comportement, qui relève de la seule personnalité et responsabilité du président de la République. L’homme public comme l’individu privé seraient, dans l’ensemble de leur histoire, aussi bien dans les choix intimes que dans les options politiques, épris de transgression. Cette volonté permanente de surprendre est facilement vérifiable et a conduit Emmanuel Macron d’une part à fuir l’ordinaire au bénéfice de l’inattendu, jusqu’à l’incongru, et d’autre part à considérer que ce qui surgit de son esprit et de ses desseins les plus secrets est forcément frappé du sceau de l’exceptionnel. Tout ce qui est normal, comme l’expression d’une opinion et d’un bon sens partagés par beaucoup, lui est radicalement étranger. J’étonne et je déroute donc je suis.

A lire aussi, Vincent Coussedière: «Le RN a des candidats qui ne correspondent pas à la caricature qu’on en fait depuis des années»

Ainsi cette dissolution survenant comme un bouleversement absolu sur tous les plans et tétanisant même ses soutiens les plus inconditionnels, a-t-elle procuré à Emmanuel Macron ce dont il raffole le plus : stupéfier son entourage, reprendre la main fût-ce par une absurdité tactique. En jouissant de la volupté de son décret solitaire, impérieux et évidemment transgressif.

Larcher et Attal dépassés par les évènements

Il est en effet choquant que la décision de dissoudre, qui imposait au président, pour être prise valablement, une consultation du Premier ministre, du président du Sénat et de la présidente de l’Assemblée nationale, ait été édictée par Emmanuel Macron, Gabriel Attal ayant été laissé de côté, après une information précipitée et de pure forme sans que la moindre contradiction ait pu lui être proposée. La suite a démontré que ces hautes autorités ont très mal vécu cet épisode de totale désinvolture. Gérard Larcher a reproché au président de « ratatiner la démocratie ». Le Conseil constitutionnel a été saisi d’un recours visant cette entorse à l’article 12 de la Constitution. Il a considéré qu’il n’avait pas compétence pour l’apprécier. 

Ces dispositions psychologiques et cette légèreté constitutionnelle sont l’une des explications du climat actuel. Avec ce président mal aimé, peut-être comme aucun avant lui.

Binationalité, un débat politique légitime

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Lors d'un débat sur TF1, le Premier ministre Gabriel Attal a reproché à Jordan Bardella d'avoir une collaboratrice franco-russe au parlement européen, 25 juin 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

La France n’a pas que des amis, rappelle Céline Pina


En France, la proposition d’interdire la binationalité pour l’occupation des postes de représentation politique ou certains postes stratégiques fait scandale. Pourtant cette proposition est tout à fait cohérente et est loin d’être un marqueur de xénophobie. Elle est au contraire liée à une haute idée des exigences de la démocratie et du devoir du citoyen.

D’ailleurs, nombre de démocraties proches de nous interdisent ou limitent la double nationalité. C’est le cas de l’Ukraine, des Pays-Bas, de l’Autriche, de l’Estonie, de la Bulgarie, de l’Espagne, de la Norvège, de la Lettonie et la Lituanie, ou encore de l’Allemagne…

Ces interdictions ou limitations ne sont pas la marque de la xénophobie mais une exigence de clarté dans l’engagement citoyen. Etre français, ce n’est pas une créance permettant de tirer des avantages financiers et sociaux de sa nationalité. La citoyenneté est, en Occident, un engagement civilisationnel.

Nos appartenances ne sont pas basées sur la religion ou l’ethnie mais sur le partage de principes et idéaux qui se traduisent en droit. Ces principes et idéaux sont l’armature de notre société et ils se traduisent très concrètement : c’est l’affirmation de l’égalité en droit au-delà des différences de sexe, race, religion ou philosophie, c’est la défense des libertés publiques, c’est la laïcité. Etre citoyen c’est adhérer à ces principes et travailler à leur effectivité et à leur garantie.

Double fidélité

Le peut-on quand la double nationalité vous amène à appartenir à des sphères politiques dont les valeurs sont frontalement opposées ?

Autre point, que se passe-t-il en cas de guerre quand vous appartenez à deux univers qui s’affrontent. Où va votre loyauté ? À qui et à quoi êtes-vous fidèles ? Quels principes et idéaux allez-vous servir? Qui allez-vous protéger, pour qui irez-vous combattre ?

Dans le premier cas, que défend quelqu’un qui est binational et appartient à un pays européen et à un pays musulman par exemple ? Dans ces pays, l’égalité en droit n’existe pas, elle est refusée à raison du sexe (infériorisation des femmes) et de la religion (statut de sous-citoyen via la dhimmisation). Cette personne croit-elle en l’égalité entre les êtres humains ou est-elle favorable à la domination d’un sexe sur l’autre ? Portera-t-elle haut les libertés publiques ou les sapera-t-elle pour faire prévaloir son dogme religieux ? Que défendra-t-elle si elle arrive au pouvoir ?

La question n’est pas absurde. En Belgique, où les islamistes ont infiltré les partis politiques de gauche, des coups sont portés contre l’État de droit pour favoriser la logique de la charia, ces nouveaux élus n’ayant aucun lien avec la culture démocratique et servant l’idéologie islamiste. Là, l’entrisme est manifeste, mais il n’en reste pas moins qu’une personne ayant fait allégeance à des systèmes contradictoires et opposés ne puisse incarner l’intérêt général : elle n’est pas claire dans son système de valeurs, ambiguë dans ses engagements, en contradiction flagrante dans ses allégeances, elle ne peut donc représenter personne. Dans le cas d’un ministre ou d’un député par exemple, cet aspect de la problématique est déterminant.

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Regardons ce qui se passe concrètement avec le cas Rima Hassan. Cette femme ne représente pas les Français mais est là pour porter la voix de la Palestine, version Hamas. Elle le dit très clairement et se présente elle-même comme l’incarnation d’un lobby étranger. Elle est de surcroit en lien avec des représentants du terrorisme islamiste. En quoi est-elle légitime pour représenter notre pays? Et en cas de tensions avec le Hezbollah, la Syrie, le Hamas, de quel pays, territoire ou idéal défendrait-elle les intérêts ? Certes, tous les élus ne sont pas comme cette personne, mais le doute que cette double fidélité implique et les tensions qu’elles génèrent sont problématiques.

Lorsque les systèmes convergent et que les principes et idéaux organisant les sociétés se rapprochent, la double appartenance est possible. Mais l’évolution du monde va dans le sens inverse: la logique impérialiste se réveille et la conquête territoriale revient. Le totalitarisme islamiste remet au goût du jour les massacres de masse et les tentatives de déstabilisation des démocraties. Guerre, totalitarisme et terrorisme reviennent en Europe. Les démocraties sont attaquées et une partie de la menace est liée à la puissance des islamistes au cœur des pays européens. Cette menace est endogène, comme l’ont montré la nationalité des auteurs d’attentats. L’impossibilité d’appartenir à deux mondes et à deux espaces de références antagonistes a éclaté au grand jour et a été révélée dans le violent rejet que manifestent les jihadistes et partisans du séparatisme pour le pays dont ils ne considèrent pas comme « d’origine ».

La France n’a pas que des amis

Dans ce cadre, on ne voit guère comment continuer à faire semblant de croire que la double nationalité n’est pas un problème. Surtout quand les tensions s’accroissent tandis que les antagonismes montent.

algerie pierre vermeren bouteflika
Supporters de l’équipe d’Algérie de football, Paris, juillet 2019. Auteurs : Bastien Louvet/SIPA.

Prenons un cas très concret : l’Algérie. Le pays cultive la haine de la France chez ses ressortissants. C’est même un mode de gestion de sa vie politique intérieure. La France est accusée de tous les maux afin de faire oublier la corruption et l’incapacité des élites algériennes comme leur échec à développer un pays pourtant plein d’atouts. Le ressentiment à l’égard de la France devient une caractéristique de cette population. Dans le même temps, chez beaucoup de ressortissants maghrébins, la France est dénigrée et « Français » est même devenu une insulte dans les quartiers islamisés ! En parallèle, l’appartenance aux origines est exaltée. À qui ira dans ce cadre la fidélité d’un Franco-algérien en cas de crise ou d’affrontement ? Comment donner un pouvoir de représentation à des personnes qui pourraient très vite se retrouver en conflit de loyauté au mieux, incapables d’incarner les fondamentaux de ce que nous sommes en tant que peuple au pire ?

Ces questions ne sont pas anecdotiques, elles sont au cœur de nos sociétés politiques. Les traiter par le sentimentalisme, en mode « on me demande de choisir, donc je me sens rejetée dans mon être intime » relève de la victimisation simplette. Les évacuer car elles seraient « amorales » ou « racistes » relève de la manipulation pure. Le débat sur la limitation de la double nationalité est un débat de fond, légitime et il mérite d’être posé.


Elisabeth Lévy : « Devenir français est un privilège. Il n’est pas scandaleux qu’il ait un prix »

«Le RN a des candidats qui ne correspondent pas à la caricature qu’on en fait depuis des années»

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Vincent Coussedière. DR.

On a connu Vincent Coussedière comme penseur ou philosophe nous parlant des thèmes du populisme, de la nation ou de l’assimilation dans des essais ou dans les colonnes des journaux. Le voilà candidat à la députation en Alsace. Entretien.


Causeur. Dans une tribune publiée récemment par Valeurs actuelles, vous estimez qu’en prononçant la dissolution de l’Assemblée, Emmanuel Macron a fait voler en éclat une opposition artificielle entre les questions nationales et les questions européennes. En somme, observant les résultats le 9 juin, le président aurait constaté que les citoyens français voulaient que l’on cesse de parler de cette Europe un peu abstraite, et qu’on en revienne aux questions plus strictement nationales ? A-t-il bien fait de redonner la parole au peuple, selon vous?

Vincent Coussedière. Concernant la situation du président, je ne suis pas sûr que redonner la parole au peuple aboutisse à ce qu’il aurait voulu…

La macronie s’est embourbée dans des contradictions terribles. Cette séparation entre les questions nationales et européennes durant la campagne n’avait aucun sens. L’Europe est faite par des nations, par des traités, et donc parler des questions européennes, c’est parler des questions nationales, et inversement, non ? En faisant cette dissolution, Macron se contredit complètement, il dramatise le sens national du scrutin alors qu’il nous disait qu’il ne fallait surtout pas le faire !

La logique institutionnelle ne le forçait pas du tout à dissoudre. Emmanuel Macron aurait pu le faire éventuellement à l’automne, il n’y avait rien qui l’obligeait à le faire maintenant.

De son côté, en réclamant la dissolution, le RN était dans sa propre logique d’opposition, d’alternative véritable. Emmanuel Macron a voulu renverser la table. Il a voulu piéger le RN, en  disant : vous avez fait monter la pression, vous allez voir, vous n’êtes pas prêts, vous ne serez pas capables de gouverner et de vous organiser à temps, et donc je vais vous prendre au mot, etc. Du Macron tout craché !

Il y a aussi des observateurs qui disent qu’il en avait surtout assez d’avoir une majorité relative, et qu’il tente un coup de poker. « La France à quitte ou double » titrait Le Point.

Certes, mais c’est bien cela qui est très inquiétant. C’est la politique de la terre brûlée ! Après moi, le déluge ! Nos journaux sont pleins de rumeurs sur les gens qui travaillent autour du président. Et je pense qu’effectivement, ça se passe vraiment très mal, que c’est très difficile pour eux. Il y a des tensions énormes dans le camp présidentiel, Emmanuel Macron a pris tout le monde au dépourvu autour de lui. Bardella, de son côté, semble beaucoup plus cohérent. Il dit qu’il acceptera d’être Premier ministre, mais seulement avec une majorité absolue…

Pour aller dans votre sens, d’éminents membres de la majorité, comme l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne, estiment qu’en effet, le président pouvait très bien gouverner. La preuve, c’est qu’il y a des textes importants qui ont pu être votés, comme la réforme des retraites, la loi immigration, le budget…

Absolument.

Est-ce qu’il n’y aurait pas alors une explication plus psychologique, irrationnelle, dans le choix de dissoudre ? Un affolement ? Une « fuite en avant » comme disent les psys ou la presse féminine?

Je dirais qu’il y a une explication à la fois psychologique et idéologique.

Psychologique, d’abord, parce que chez Emmanuel Macron, il y a toujours eu ce côté « poker », joueur, recherche de la limite. Mais il y a aussi le côté idéologique, c’est-à-dire que le président entend pousser jusqu’au bout la logique de la montée aux extrêmes, quitte à mettre le pays dans une forme de chaos.

Quoi qu’il en soit, après vous avoir connu comme penseur, comme philosophe parlant des thèmes du populisme, de la nation ou de l’assimilation dans vos essais ou dans les colonnes des journaux, vous voilà candidat ! Qu’est ce qui a motivé votre choix de vous engager politiquement ?

C’est une évolution qui remonte à quelques années. Le Rassemblement national m’invite depuis longtemps à des conférences. Je fais partie par ailleurs de Campus Héméra, l’école de formation des cadres et militants dirigée par Jérôme Sainte-Marie, où j’ai donné cours et conférences sur l’assimilation. Je suis également intervenu au Parlement européen devant le groupe Identité et Démocratie, ou lors d’un colloque à Paris sur le wokisme. On ne m’a jamais  imposé quoi que ce soit à l’avance, j’ai toujours eu une totale liberté d’expression.

Ce sont des gens curieux, qui s’intéressent à vos analyses et qui m’ont tendu la main, très loin de la vision fantasmatique qu’ont encore beaucoup de gens du RN. De mon côté je me rends à l’invitation de n’importe quel parti pour faire des colloques, pour faire des conférences, notez bien… Mais il se trouve que c’est le RN qui m’a invité.

Comment avez-vous obtenu votre investiture auprès de Jordan Bardella?

J’avais déjà manifesté ma disponibilité pour les élections européennes, mais il y avait très peu de places. Est-ce que vous seriez intéressé en cas de dissolution ? m’avait-on demandé. Je n’y croyais pas. Et je ne pensais pas que Macron ferait cette erreur.

Lors d’une campagne pour les législatives, vous êtes beaucoup plus exposé que pour les européennes. Cela suppose vraiment de mouiller la chemise, d’être sur le terrain, de rendre public tout ce que vous faites. Mais, le mandat de député, représentant de la nation, est finalement à mes yeux plus prestigieux encore que celui de député européen ! J’en serai beaucoup plus fier si je suis élu.

Mais vos électeurs potentiels vous connaissent peut-être encore mal…

J’enseigne dans le secondaire, la philosophie, aux lycéens. J’ai enseigné aussi la culture générale aux étudiants qui préparent l’ENA. En politique, j’ai été 12 ans conseiller municipal et délégué à l’intercommunalité, dans un village, Geishouse, une petite commune de 500 habitants dans le sud de l’Alsace, dans le Haut-Rhin. J’aime bien les choses concrètes et j’aime bien l’échelon de la commune qui est vraiment un échelon de démocratie directe, sans qu’on se préoccupe d’étiquette politique.

Ma position actuelle n’est pas forcément très confortable, parce que c’est ce qu’on appelle un « parachutage »… J’habite en Alsace, mais pas dans la circonscription. M. Steinbach, le candidat de 2022, m’a donné tout de suite les contacts locaux pour travailler sur le terrain, et je l’en remercie.

J’observe une certaine confusion, lors de mes réunions, concernant les compétences du député, du conseiller régional, des conseillers départementaux, du maire, etc. Et les élus sortants jouent beaucoup là-dessus. Ils jouent beaucoup sur « je suis proche de vous », « je vais faire ça pour vous avec ma baguette magique » alors qu’ils n’ont pas les compétences de ce qu’ils promettent ! Beaucoup de choses relèvent de la région, ou relèvent du département. En Alsace, en plus, il y a le contexte particulier de la collectivité européenne alsacienne qui a fusionné les deux départements… Donc j’explique aux électeurs que je rencontre qu’il s’agit avant tout dimanche d’une élection nationale.

Et justement, quelle est votre position sur l’évolution de l’Alsace?

Le RN est le plus crédible là-dessus. Nous avons en Alsace une identité régionale forte. Mais, la nation jacobine qui menacerait les régions, les identités régionales, ce n’est plus vraiment d’actualité. La nation peut, au contraire, être protectrice de la diversité des régions. Protectrice d’une mondialisation et d’un européisme qui est beaucoup plus destructeur, notamment par le biais de l’immigration de masse.

Oui, il faut sortir l’Alsace du Grand Est. Mais, le RN remet en cause le découpage des régions depuis 2015. LR n’a pas toujours dit ça, même si c’est devenu un mot d’ordre important pour eux aussi. Macron, de son côté, a louvoyé sur la question. Il est venu à Strasbourg en avril, affirmant que la collectivité européenne d’Alsace, cela suffisait et qu’on allait en rester là… Éric Woerth lui a rendu fin mai un rapport sur la décentralisation qui va dans le même sens. Et voilà qu’après la dissolution, Macron nous fait un discours où il rouvre la porte. Ah mais les régions, quand même, elles sont peut-être trop grandes, et il faudrait peut-être quand même fusionner les compétences du département et de la région, etc…. Comme d’habitude, il dit tout et son contraire.

Votre pari de rejoindre le Palais Bourbon n’est pas gagné. La dernière fois, votre adversaire, la députée sortante macroniste Louise Morel, a été élue avec 56% de voix. Elle rêve d’une parité intergénérationnelle (comme pour la parité hommes/femmes). Avez-vous lu son livre?

Absolument, ce n’est pas gagné mais c’est gagnable !

Je vous avoue que je n’ai pas lu son livre, les délais sont très courts lors de cette campagne. Vous n’imaginez pas ce que c’est qu’une campagne législative anticipée, tout ce qu’il faut fait en 15 jours au niveau administratif, juridique, financier. J’ai eu la tête sous l’eau pendant 10 jours, et pas pour des questions philosophiques ! Mais, Louise Morel est typique de la macronie avec ce genre de problématiques un peu dérisoires, parité intergénérationnelle, patati patata… Et politiquement, elle n’a pas vraiment de colonne vertébrale, à l’image de ses mentors, Macron et Bayrou, on est dans le « et en même temps », en réalité dans la confusion. Sa position sur la sortie de l’Alsace du Grand Est ne fait que refléter les louvoiements de ses patrons.

J’imagine que vous voyez l’arrivée d’un gouvernement Bardella aux responsabilités comme une solution à la décomposition en cours de la France que vous déplorez dans vos articles. Mais, vos adversaires voient eux l’arrivée du RN au pouvoir comme susceptible de susciter de nouveaux troubles (troubles sociaux, troubles dans les banlieues peut-être). Qu’est-ce que vous répondez aux citoyens qui ont ces inquiétudes ?

Je leur réponds qu’on n’a pas le choix. Je comprends que des gens aient peur. Mais ils devraient avoir encore plus peur de continuer dans une fuite en avant qui nous pousse vers l’abîme. Dans bien des domaines, que ce soit l’immigration, l’insécurité, l’éducation, on est dans une situation très compliquée. Et il est évident qu’il va être très difficile d’inverser la vapeur et l’inertie de processus historiques qui est immense. C’est vraiment un moment historique que l’on vit. C’est comme 1958. Je commence d’ailleurs mes réunions publiques en disant qu’il y a une gravité dans le pays qui est de l’ordre de 58. Le RN, à mon avis, est la seule force qui peut canaliser ce moment révolutionnaire dans des voies réformistes. Et sans violence. Il est là l’enjeu.

Dernière question. Aujourd’hui, c’est votre dernier jour de campagne, qu’est-ce que vous allez faire?

Ce soir, je fais ma dernière réunion publique. A Marlenheim, sur des terres un peu plus favorables à Macron, pour me faire connaître et montrer que le RN a des candidats qui ne correspondent pas la caricature qu’on en fait. Pas sulfureux. Pas « nauséabonds » ! Des gens normaux, mais inquiets et effrayés par la situation du pays.

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Le Grand Soir?

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Manifestation des gilets jaunes, le 21 novembre 2020 à Toulouse. © FRED SCHEIBER/SIPA

Notre chroniqueur, jadis gauchiste soixante-huitard, rêveur invétéré, quêteur de bouleversements, voit dans la situation qui pourrait émerger de ces élections voulues par le Grand Semeur de Désordre (i.e. Macron, visiblement) l’occasion d’une révolution qui bouleversera en profondeur la France moisie d’aujourd’hui. Bien entendu, Causeur, qui s’arrange confortablement d’un balancement gauche / droite — comme on dit en boxe — n’en souhaite pas autant.


Jean-Paul Brighelli vient de publier Soleil noir, un roman de 300 pages chez L’Archipel NDLR •

Vous vous souvenez sans doute que dans Le Désert des Tartares (Dino Buzzati, 1940 — une année fertile en événements), le héros, Giovanni Drogo, jeune et fringant lieutenant, a été muté dans un poste avancé de l’empire, à la limite des terres inconnues où habitent les barbares.
Et il va les attendre, trente ans, jusqu’à ce que, vieux et malade, il se résigne à partir — au moment où l’ennemi enfin attaque. Il ne connaîtra jamais la gloire des combats.

Depuis cinquante ans, nous attendons le Grand Soir qui bouleversera nos habitudes, et redonnera un souffle de vie au cadavre frémissant de ce cher vieux pays suicidé par des gouvernements successifs irresponsables.
Et nous avons vu nos espoirs s’amenuiser : le libéralisme a su inventer tous les gadgets susceptibles d’amuser les foules. 

Les membres des élites mondialisées n’avaient pas prévu le confinement, ni les gilets jaunes. Ils ont cru au rétablissement du business as usual, et parce qu’ils ne sortent pas de cette capitale qui n’est plus qu’une bulle factice, ils n’ont pas senti monter l’émeute. Les médias ont glosé l’année dernière sur les exactions des racailles, sans voir que ce déchaînement très limité de violence — limité par les chefs de gang pour qui toute révolte est un manque à gagner — traduisait une exaspération puissante. Ce ne seront plus de jeunes exaltés qui seront prochainement à la manœuvre, mais le peuple, que l’on peut tromper un temps, mais pas tout le temps.

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Les élections voulues par le mirliflore de l’Elysée pour sauver sa fonction et sa place dans l’Histoire accoucheront dans quelques jours d’une Assemblée impuissante à surmonter ses divisions : jamais la haine n’a été à un si haut étiage. C’est dans la rue que l’ultra-gauche, les Frères musulmans (qui ont fait voter massivement LFI dans les « quartiers », regardez les chiffres) et le peuple de droite (qui n’est de droite que parce que les intellectuels fourbes et fourbus, les élites parisiennes (oxymore !) et autres agents infiltrés de la CIA et de la CEE, main dans la main, ne lui ont pas laissé le choix, après lui avoir confisqué son vote en 2005) règleront finalement le sort de la nation. Ce sera violent, injuste si l’on veut, mais il se passera enfin quelque chose.
Pas pour tous ceux qui l’ont tellement aimée, la révolution. Ils n’en verront pas grand-chose, du fond de leur lit d’hôpital ou de leur cabane de retraités. Mais l’Histoire s’en fiche : ce qui va se passer entre le 8 juillet et surtout la rentrée sera l’une de ces pages splendides, rouge sang, auxquelles notre destin français nous a habitués — et que l’on a prétendu nous interdire à jamais. Ce sera la revanche posthume de Giovanni Drogo.

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Ultraorthodoxes en Israël – du noir au kaki?

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Des ultra-orthodoxes bloquent la route, à Bnei Brak, Israël, 27 juin 2024 © Oded Balilty/AP/SIPA

A Jérusalem, le 25 juin, la Cour suprême a levé l’exemption de service militaire pour les étudiants ultra-orthodoxes. Une décision qui ne fait pas les affaires de la coalition du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Mais, alors qu’Israël est de nouveau en guerre depuis les attaques du Hamas du 7 octobre, le pays ne peut plus fermer les yeux sur cette exemption, véritable serpent de mer de la vie politique israélienne, qui pose en creux la question suivante: qu’est qu’un «Etat juif»?


Le 25 juin, la Cour suprême israélienne a rendu une décision qui pourrait mener à la conscription des étudiants des écoles talmudiques. Jusqu’à présent, ces jeunes hommes ultraorthodoxes étaient exemptés du service militaire obligatoire s’ils se consacraient à l’étude des textes sacrés du judaïsme. Cependant, les juges ont estimé que le nombre croissant de ces exemptions constitue une rupture du principe d’égalité, et qu’une telle dérogation ne peut être légitimée que par une loi votée par le Parlement. « L’exécutif n’a pas l’autorité pour ordonner de ne pas appliquer la loi sur le service militaire aux étudiants de yeshiva [école talmudique] en l’absence d’un cadre légal adéquat », a déclaré la Cour. « Sans ancrer cette exemption dans un cadre légal, l’État doit agir pour imposer la loi. »

Jusqu’à présent, ces exemptions étaient accordées par l’armée (en tant que représentante de l’État concernant la conscription) dans le cadre d’un arrangement basé sur un accord de 1947 entre David Ben Gourion et les leaders des communautés ultraorthodoxes. Connu sous le nom de « la lettre du statu quo », cet accord visait à obtenir le soutien des ultraorthodoxes pour la création d’un État-nation juif en Palestine, devant la commission de l’ONU. Pour montrer à la communauté internationale une position unie des Juifs de Palestine sous mandat britannique, Ben Gourion et la majorité sioniste laïque ont pris des engagements significatifs envers ce groupe minoritaire mais symboliquement important : les ultraorthodoxes, Juifs des villes, bourgs et villages du Yiddishland, l’espace entre la mer Baltique et la mer Noire, étaient les parents, oncles et frères de Ben Gourion et de ses camarades, qui avaient souvent eux-mêmes fréquenté les mondes des Yeshiva et des Cheder (petites écoles juives où l’on apprend l’hébreu en lisant la Bible).

Des communautés en marge, qui manipulent le reste de la société israélienne

Cette génération de leaders et d’intellectuels sionistes, née dans le dernier tiers du XIXe siècle, a vécu les conséquences de l’émancipation des Juifs, un processus qui s’est déroulé à l’est et au centre de l’Europe plusieurs décennies après celui des Juifs en France. Les ultraorthodoxes, comme les sionistes, représentent deux réactions parmi d’autres à cette soudaine ouverture et aux nouvelles opportunités – notamment la possibilité d’intégrer lycées et universités – qu’elle a permises. Les ultraorthodoxes ont développé un système fondé sur deux piliers : le quasi-rejet de tout ce qui est nouveau et la création de « lycées » et « universités » juifs, les Yeshiva. Ces deux éléments ont doté ces nouveaux courants du judaïsme d’une structure solide, notamment un uniforme inspiré de la mode de l’époque (symbole du rejet du neuf) et des institutions qui occupent et disciplinent la jeunesse masculine.

En quelques décennies, l’ultraorthodoxie a forgé une identité commune malgré de multiples divisions idéologiques et personnelles. Dans une sorte de ruse de l’Histoire, les frères ennemis sionisme/ultraorthodoxie, qui se disputaient âprement la jeunesse juive du Yiddishland entre 1900 et 1940, ont fini par établir des relations symbiotiques au moment même où le sionisme semblait avoir remporté une victoire sans appel, sur le site de cette victoire : l’État d’Israël. Vivant en marge de la société israélienne, les communautés ultraorthodoxes ont appris à manipuler la cité israélienne et son système politique. Elles ont transformé leurs atouts – communautés organisées et disciplinées – en une force politique mobilisée pour obtenir un maximum d’aide matérielle en échange d’un minimum de participation.

La montée de l’État-providence israélien dans les années 1970 a accéléré leur dynamique démographique et l’arrivée de la droite au pouvoir en 1977 avec Menahem Begin a instauré une alliance politique solide. Les effets conjugués de ces deux phénomènes ont transformé un phénomène d’abord marginal puis supportable en un fardeau que les autres Israéliens peinent de plus en plus à porter.

Ainsi, cette décision de la Cour et la crise politique qu’elle a déclenchée – le gouvernement de Netanyahou dépendant du soutien des partis ultraorthodoxes, pour lesquels la fin de cette exception est un casus belli – sont les dernières expressions en date de la plus vieille et certainement la plus fondamentale question qui divise et secoue la société israélienne : qui est juif ? Qu’est-ce qu’un « État juif » ?

Désaccord fondamental

Le 20 octobre 1952, plus de cinq ans après avoir sollicité le soutien des ultraorthodoxes devant l’ONU, Ben Gourion, désormais Premier ministre d’Israël, cherchait à renouer le dialogue. Il était obligé de le faire : depuis presque un mois, son gouvernement n’avait plus la majorité à la Knesset, car les élus ultraorthodoxes ne le soutenaient plus à cause d’un projet de loi visant à élargir le service militaire obligatoire aux femmes, jusqu’alors sollicitées à se porter volontaires. Pour les ultraorthodoxes, c’était une rupture du statu quo selon lequel l’armée devait être une institution juive, c’est-à-dire un espace où la nourriture est kasher et où le repos sabbatique est strictement respecté. Par conséquent et par définition, cette institution ne pouvait être mixte. Ben Gourion s’est donc rendu chez Avraham Kerlitz, le leader de ces communautés, considéré comme le plus grand érudit talmudique de son temps, dont l’autorité découlait de son statut et non d’un poste électif. Ben Gourion voulait discuter avec lui d’une question très pragmatique : comment des Juifs religieux et non religieux pourraient-ils vivre ensemble dans le nouvel État d’Israël ? La réponse d’Avraham Kerlitz, en forme de parabole, est entrée dans la légende. Si un wagon chargé croise le chemin d’un wagon vide, c’est le wagon vide qui doit céder le passage. Le sens était clair : le wagon chargé, c’est le judaïsme talmudique représenté par Kerlitz. Le vide, c’est la nouvelle manière d’être juif par le sionisme, c’est-à-dire en tant qu’existence politique nationale, républicaine et laïque, incarnée par Ben Gourion.

Le désaccord est profond, car les uns – les ultraorthodoxes – n’ont pas besoin de l’État d’Israël, ni d’un État quelconque même dirigé par eux, pour exister. On peut être juif sur une île déserte en mer du Sud à condition de construire deux synagogues : une pour prier et étudier, l’autre pour ne plus jamais y mettre les pieds ! En revanche, un Israélien – peu importe où il habite – ne peut pas exister sans l’État d’Israël et il est peu probable qu’une communauté israélienne en dehors d’Israël puisse survivre autant de générations qu’une communauté juive.

Ce désaccord fondamental est la raison pour laquelle Israël ne s’est toujours pas doté d’une constitution écrite. Il existe un ensemble de lois, d’institutions et de précédents qui forment un édifice constitutionnel. Les libertés occidentales se heurtent à l’identité juive de l’État d’Israël tout comme elles se heurtent à tout contenu positif quel qu’il soit. Dans leur essence, les libertés dressent un cadre, souvent au niveau de l’individu, mais ne peuvent pas le remplir. Dans le cadre d’une république laïque à la française, il est quasiment impossible d’imposer un cadre identitaire. Or, Ben Gourion et les sionistes laïcs et libéraux étaient nourris des mêmes idées et valeurs que les républicains français tout en voulant construire un tel cadre identitaire.

Une situation plus tenable

Ben Gourion, ses contemporains, ses successeurs ainsi que les leaders de l’orthodoxie n’ont pas trouvé une solution à la question des deux wagons. En revanche, des arrangements pragmatiques et provisoires – comme l’exemption – ont été élaborés. En octobre 1948, en pleine guerre, Ben Gourion a accordé à titre exceptionnel une exemption à 400 étudiants de Yeshiva considérés comme la crème de la crème, avec comme argument principal une volonté de reconstruire les Yeshiva de l’Europe de l’Est dispersés et détruits par les Nazis. 76 ans plus tard, le nombre de bénéficiaires avoisine les 60 000. La goutte qui aurait fait déborder le vase est sans doute la guerre qui fait rage depuis le 7 octobre. Cette guerre est non seulement longue mais elle exige l’emploi prolongé des nombreuses unités de l’armée de terre. L’armée des conscrits n’est pas suffisante et le fardeau tombe sur les réservistes, ceux-là mêmes qui, en tant que civils, sont supposés faire tourner l’État et l’économie. La situation risque de s’aggraver si un deuxième front s’ouvre dans le nord.

Pour faire face à l’urgence, le service obligatoire a déjà été allongé de 30 à 36 mois et une proposition de loi prévoit de prolonger d’un an l’âge de l’obligation de service de réserve pour tout le monde.

Dans ces circonstances, l’alliance politique soutenant l’exemption des ultraorthodoxes commence à céder. Ainsi, il n’y a pas, pour l’instant, de majorité en faveur d’une loi qui doterait Israël d’un cadre légal permettant de concilier l’égalité devant l’obligation de servir sous les drapeaux et la spécificité de la communauté ultraorthodoxe. Dans le contexte politique actuel, la question du service militaire fragilise les trois piliers (ultraorthodoxes, religieux nationaux, Likoud) de la coalition de Netanyahou, une coalition fondée sur leur intérêt commun de retirer à la cour constitutionnelle le droit d’invalider des lois (la « réforme constitutionnelle » lancée en janvier 2023 et mise de côté depuis la guerre). Or, après huit mois de conflit, certains religieux nationaux et membres du Likoud ne veulent plus fermer les yeux sur l’exemption des ultraorthodoxes.

Ainsi, la crise constitutionnelle rejoint la crise sécuritaire, imposant à l’ordre du jour israélien cette double question des frontières : les frontières physiques de l’État juif vers l’extérieur, et la définition et donc les frontières de l’identité juive, à l’intérieur, deux interrogations profondes et plus que jamais liées au cœur même de la Cité israélienne.

Soldes: Y’a plus d’saisons!

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Nice, le 26 juin 2024. Les soldes d'été ont lieu du 26 juin au 23 juillet 2024 © SYSPEO/SIPA

Les soldes ont démarré mercredi, mais plus personne ne semble vraiment s’en préoccuper.


Dans le grand tumulte de l’actualité marquée par les élections législatives, le Tour de France, le parcours de la flamme olympique ou encore les préparatifs des JO, les soldes d’été 2024 ont démarré ce mercredi 26 juin, en toute discrétion. Aux journaux télévisés, quelques minutes leur sont tout de même consacrées avec, au programme, les sempiternelles plaintes de commerçants quant au manque de fréquentation des magasins et l’indifférence des passants pour cet événement. On en viendrait presque à plaindre le pauvre journaliste qui a dû faire preuve de persévérance avant de recueillir le témoignage d’un client, souriant, les bras chargés de sacs, se félicitant des bonnes affaires de sa journée. Le moral des Français n’étant pas au beau fixe, il convient de finir le reportage sur une note positive et de nuancer un constat pourtant flagrant : les soldes ne font plus rêver personne, ni les commerçants, ni les clients !

Un désintérêt croissant

D’après l’enquête 2024[1] de l’Observatoire du Commerce Indépendant, huit Français sur dix affirment pourtant avoir changé leur manière de consommer, du fait de l’inflation et de l’augmentation des prix.  Ils sont ainsi plus de 50% à  attendre les périodes de promotion pour faire leurs achats et 36% à rechercher essentiellement des prix bas. Ce serait donc naturel, dans un tel état d’esprit, que les Français plébiscitent de nouveau les périodes de soldes et que celles-ci retrouvent leur gloire d’antan, mais il n’en est rien. Pire, leur désintérêt, qui ne date pas d’hier, semble s’accentuer chaque année ou plutôt chaque saison.

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Car, ne l’oublions pas, les soldes sont intrinsèquement liés aux saisons. Il s’agit pour les enseignes et marques de brader la collection d’été à la fin de l’été et la collection d’hiver à la fin de l’hiver. La logique est simple et paraît pleine de bon sens mais, dans la pratique, tout a changé. Les enseignes de fast-fashion ont rebattu les cartes en proposant non pas deux collections par an mais deux par mois en moyenne. À peine arrivée en rayon, chaque collection est déjà démodée et bradée pour laisser la place à une nouvelle. Ne parlons même pas des géants de l’ultrafast-fashion qui proposent plusieurs milliers de nouvelles références chaque jour ! Ces entreprises se justifient et se défendent en arguant qu’elles ne font que répondre à la demande des consommateurs, de plus en plus avides de nouveautés. Ceux-là mêmes qui s’offusquent de voir des chocolats de Pâques dans les rayons dès le mois de février se font capricieux quand il s’agit d’exiger des soldes avant même le démarrage de la saison. Les marques tentent de suivre l’infernale cadence et s’engagent désormais à livrer aux boutiques des maillots de bain dès le mois de janvier et des manteaux en laine en plein mois de juin. En début d’année, les agriculteurs retournaient les panneaux d’entrée des villes comme un message d’alerte. Les enseignes des magasins devraient subir le même sort car le constat est le même : on marche sur la tête.

Petites et grandes enseignes en désaccord sur l’évolution de la législation

Alors que M. Yann Rivoallan, président de la Fédération Française du Prêt-à-porter, accuse, sur France Info, la météo capricieuse de ces dernières semaines et le climat anxiogène des élections, peu propice à la consommation, M. Pierre Talamon, président de la FNH (Fédération Française de l’Habillement) intervient sur les chaînes nationales pour rappeler sa proposition visant à décaler les dates des soldes pour les reconnecter avec les saisons réelles. Si tous les acteurs du secteur s’accordent sur le fait que le concept de soldes doit être repensé, la législation à son sujet donne lieu à une éternelle confrontation entre les commerçants indépendants et les grandes enseignes dont les intérêts divergent. Est-il encore pertinent de se prétendre tous dans le même bateau lorsque certains voyagent en paquebot tandis que d’autres rament dans une barque ? Chaque année, le gouvernement profite de cette absence de consensus dans la profession pour s’abstenir de toute prise de décision[2].

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L’État français a certes le pouvoir de modifier les dates et la durée des périodes de soldes sur le territoire mais il serait naïf d’imaginer que la modification de ces paramètres soit suffisante pour inverser la tendance. Il est en effet impossible de légiférer sur les soldes sans réglementer, dans le même temps, les périodes de promotions intempestives qui ont lieu tout au long de l’année et dans lesquelles les soldes sont littéralement noyées. Au milieu de ces ventes privées, promotions de mi-saison, soldes flottants ou encore Black Friday, le commerçant se lamente et le client se perd, en plus d’en sortir souvent perdant. Il existe pourtant une directive européenne intitulée « Omnibus »[3], en vigueur depuis 2020 qui détermine des règles pour lutter contre la multiplication des promotions et celles injustement ainsi nommées, mais elle est, hélas, loin d’être appliquée en France de manière stricte. Comme dans bien d’autres domaines en France, la légifération se révèle toujours plus facile que l’application des lois déjà en vigueur.

Nous voilà donc partis pour quatre semaines de grande valse des étiquettes et, alors que la campagne électorale bat son plein pour les législatives, il est fort cocasse de constater que quand certains hésitent à s’acheter une nouvelle veste, d’autres se contentent, avec plus ou moins de discrétion, de retourner la leur.


[1] https://my.ankorstore.com/observatoireducommerceindependant

[2] https://fashionunited.fr/actualite/retail/olivia-gregoire-s-exprime-sur-le-debat-que-provoque-le-choix-des-dates-des-soldes-d-hiver-2024/2024011033941

[3] Directive (UE) 2019/2161 du parlement européen et du conseil du 27 Novembre 2019 – https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32019L2161