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Anatole France, une question de lecture

Il y a cent ans mourait le prix Nobel de littérature 1921. Le nouvel essai que lui consacre Guillaume Metayer démontre que son étiquette d’écrivain néoclassique lui a été collée par ses lecteurs nationalistes.


Il y a 100 ans mourait le prix Nobel de littérature 1921. Une biographie et un essai – à propos de l’appropriation « nationaliste » de son œuvre – permettent un diagnostic : le « Cadavre » (dixit les surréalistes) bouge encore.

On passera assez vite sur la biographie de Henriette Chardak : elle est copieuse, enlevée, personnelle (le ton) et apporte tous les détails souhaités à qui voudrait les connaître. Elle intègre naturellement la bibliothèque – rayon « Références ».

On s’attardera plus sur l’essai de Guillaume Métayer, qui a beaucoup d’audace, voire de témérité. Jugez vous-même : Anatole France (1844-1924) ET le nationalisme littéraire (sujets de son livre) – on fait plus « glamour » (a priori, évidemment).

Anatole France et le nationalisme littéraire sont deux points aveugles de la critique contemporaine – à tort. Et comme Métayer connaît son sujet par cœur, il expose clairement les tendances nostalgiques de France, son écriture et ses idées en partie néo-classiques, sa posture sceptique face aux excès de la Révolution française (à distance, donc, du mythe révolutionnaire), son passage par le boulangisme qui en fait un presque « précurseur du nationalisme » (« presque » seulement, et Métayer désamorce le « piège »), son conflit avec les catholiques intransigeants (Massis), etc.

Son livre érudit a un seul défaut : son côté « universitaire » qui, parfois, rend la lecture un peu laborieuse. Voire répétitive. Exemples ?
« La critique de la Révolution française », on la lit dans la partie qui lui est consacrée ET dans le sous-chapitre intitulé « Anatole France et le mythe de la Révolution Française ».
« Le culte de l’Antiquité, une tradition française », on en trouve de larges échos dans « La tradition selon Anatole France ».

En outre, comme la confrontation des idées et des engagements de France avec ceux de Barrès, Jules Lemaître, Bourget, Gyp, Maurras, voire Gonzague Truc et Massis (rôle important du catholique Massis dans une certaine prise de distance avec le sceptique France), « achoppe » souvent sur les mêmes points (nationalisme, tradition, catholicisme, scepticisme), on se trouve à « relire » tel développement sur la tradition, ou sur le scepticisme ondoyant de France. Seul argument qui justifie les redites : si les thèmes et les notes sont repris, les interprètes diffèrent : Maurras, Barrès, Lemaître, Massis, Bernanos, etc.
D’aucuns pourront se repaître de la lecture de ces textes, peu accessibles pour certains. Mérite de Métayer donc : nous permettre de les lire.

Sa conclusion ? « C’est dans cette réception nationaliste d’Anatole France que se cache sans doute l’un des plus puissants mobiles de l’oubli dont l’écrivain a été victime depuis des décennies ». En clair : la « lecture » de cette droite nationaliste littéraire a en partie conditionné la réception première de France et contribué, en dépit de son évolution politique ultérieure (vers le socialisme), à en fixer la lecture, à le figer dans la statue du « grand écrivain français néo-classique » – que ne manqueront pas de dégommer les surréalistes.

Coda – quant à son socialisme ultime. Métayer en signale le paradoxe et l’ironie : « les circonvolutions du scepticisme francien ne l’ont pas empêché de soutenir les débuts de l’un des plus terribles totalitarismes, dont il avait pourtant dépeint par avance à merveille la matrice sanguinaire dans Les Dieux ont soif et même délivré l’antidote ».


À lire

Anatole France et le nationalisme littéraire : scepticisme et tradition, de Guillaume Métayer, Le Félin, 2024.

Anatole France et le nationalisme littéraire: Scepticisme et tradition

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Anatole France, une résurrection, d’Henriette Chardak, Le Passeur, 2024.

Anatole France - Une résurrection

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Les Dieux ont soif, d’Anatole France, (préf. Guillaume Métayer), Calmann-Lévy (éditeur historique de France), 2024.*

Les dieux ont soif

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À signaler, la réédition d’une rareté : Alfred de Vigny, d’Anatole France. Assortie d’une préface d’une érudition sèche, sans ornements – sa signature – de Michel Mourlet – France-Univers, 122p.

Alfred de Vigny

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École: ce n’est plus le Moyen Âge!

Une exposition sans prétentions spectaculaires nous apprend que nous devons beaucoup à l’école du Moyen Âge : l’intérêt porté à l’enfant, l’explication de texte, l’apprentissage du par cœur… Autant de méthodes qui ont permis la transmission du savoir des siècles durant. Alors que le Moyen Âge est, chez les Béotiens, synonyme d’obscurantisme, peut-être a-t-il quelque chose à nous apprendre.


La vidéo d’une petite fille de 3 ans frappée et humiliée en classe par sa maîtresse le mois dernier a donné à voir une version assez originale du fameux « Choc des savoirs » annoncé en grande pompe en octobre 2023 par le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, pour « élever le niveau de notre école ». Le choc, pour cette fillette, n’a visiblement pas été celui des savoirs. Quant à l’école, TikTokisée en cette brève séquence devenue follement médiatique – à l’inverse des courtes vidéos tout aussi édifiantes réalisées en plein cours par bon nombre de collégiens dans le dos de leurs professeurs, mais que l’on ne voit pas tourner en boucle sur les chaînes d’information –, elle a déserté le terrain pourtant fécond du baratin politico-administratif pour rejoindre celui, non moins fertile, du bla-bla émotionnel.

Le vocabulaire mi-martial (« la bataille des savoirs commence par l’exigence »), mi-tragique (« lutter contre les inégalités de destin ») et globalement incompréhensible (« les compétences psychosociales ») du « Choc des savoirs » s’est heurté à la torgnole d’une institutrice de l’Éducation nationale apparemment assez peu au point sur ses propres compétences psychosociales. Torgnole qui a indigné – à raison – la terre entière. On se serait toutefois passé du ton véhément de ces figures d’habitude si promptes à pontifier sur la femme-en-rupture-de-ban-avec-le-dictat-de-la-maternité mais qui, vu les circonstances, nous ont asséné du « moi qui suis maman de trois enfants » à longueur de plateaux de télévision.

Soyons clairs : dans un pays qui a décidé d’envoyer sa progéniture à l’école dès l’âge de 3 ans, la maternelle est un subtil mélange d’élevage, d’éducation et d’instruction. Dans le bruit et une agitation de basse-cour, entre les colères et les chagrins, les pipis inopinés des uns et les vomis improvisés des autres, les professeurs de la petite école réalisent un grand et noble travail : faire passer de très jeunes enfants du gros gribouillage hallucinatoire, du dessin sans queue ni tête, (presque) invariablement répété d’une feuille sur l’autre, à la petite lettre d’un alphabet commun, maladroitement formée et posée en équilibre précaire sur une ligne imaginaire comme une promesse d’écriture à venir. Contre toute attente, c’est entre le jeu de dînette, les chansonnettes entonnées sans conviction sur un banc, le découpage de papier crépon et le récit décousu d’une journée minuscule que notre civilisation prend forme.

Ce métier, celui de maître d’école, est à l’honneur à la tour Jean-sans-Peur, dans le 2e arrondissement de Paris. Certains ayant parlé, à l’occasion de la raclée de septembre, de pratiques éducatives d’un autre âge et d’un autre temps, « L’école au Moyen Âge » est, par comparaison et sur ce thème de l’instruction, une petite exposition bien intéressante. Encore qu’on puisse se demander si l’époque médiévale est toujours d’un autre âge et d’un autre temps, vu qu’aujourd’hui l’école choisit de plaquer sur cette période de mille ans les obsessions sociétales des dix dernières années. Des exercices de collège, en 2024, proposent ainsi de trouver des métiers dans le Paris du xive siècle qui plaisent (sic) à deux frères et leur sœur (cette dernière « craignant de n’être acceptée nulle part parce qu’elle est une fille »), de chercher « les raisons pour lesquelles on ne connaît pas beaucoup de femmes chevaliers », et de « donner son avis sur la manière de tomber amoureux dans les romans de chevalerie ». On ne change vraiment d’époque que lorsqu’on lit la liste des mots qu’un collégien est censé ignorer et qui nécessitent une explication : le mors d’un cheval, vermeil, se signer, le Credo, en font partie. On serait presque tenté, pour une fois, d’écouter l’éminent médiéviste Patrick Boucheron parler de manuels scolaires « désespérants ». Mais ils ne sont désespérants pour lui que dans la mesure où ils continuent à cultiver l’héroïsme des grands commencements, à parler de cathédrales et de châteaux forts et non de révolte ou de joyeuse profanation.

L’exposition de la tour Jean-sans-Peur n’est pas éblouissante. Rien d’immersif, pas de parcours sonore ou olfactif, pas de reconstitution de l’ambiance d’une salle de classe au xiie siècle. Juste une série de panneaux sur des thèmes liés à l’instruction : « Alphabétisation », « Scolarisation », « Outils pédagogiques », « Maîtres et Élèves », « Établissements scolaires », « Salles de classe », « Programmes scolaires », « Apprendre à écrire, à compter, à chanter », etc. Des premières écoles monastiques à la centaine d’écoles parisiennes du xve siècle, en passant par l’ordonnance de Charlemagne (789), on se fait une idée de ce qu’ont pu être l’instruction et l’apprentissage au fil des siècles. Bien peu d’écoliers maîtrisaient les Arts libéraux (grammaire, logique, rhétorique, arithmétique, géométrie, musique et astronomie). Seul un petit nombre d’entre eux allait à l’université, mais tous acquéraient, à partir de 7 ans, la maîtrise de savoirs devenus indispensables dans une société marchande comme l’était la société féodale médiévale : il fallait pouvoir noter les dettes des clients, vérifier les comptes du domaine ou de la boutique, compter son bétail.

Le maître d’école devait, lui, passer par l’université et y obtenir l’autorisation d’enseigner (la licence). Il était (déjà) peu rémunéré, mais son arrivée était vécue comme une chance par les habitants, qui lui offraient parfois un habit neuf ou des provisions. À part la chaire, les salles de classe étaient peu meublées, les bancs ne faisant leur apparition qu’à la fin du Moyen Âge : les élèves s’asseyaient sur de la paille ou de petits tabourets. Les livres étaient rares, car ils coûtaient cher, l’équivalent d’un troupeau. Quant au papier, il était trop onéreux pour qu’on puisse y former ses premières lettres : on gribouillait sur de l’écorce, des palettes de bois chaulées ou des tablettes cirées. On apprenait à lire dans la Bible, avant que ne viennent s’ajouter, tardivement, les fables et les romans de chevalerie. Les élèves étaient généralement punis à coups de badine de bouleau sur la tête, les mains ou le visage en cas de manquement à la discipline : interdiction de parler, de ricaner, de courir, de se suspendre aux cloches ou de s’enfuir (sauf en cas de peste). À partir du xie siècle toutefois, les éducateurs partisans de la méthode douce interdirent de blesser les enfants jusqu’au sang ou de leur casser un membre. On devait se lever au passage d’un ancien, réciter le psautier et recopier des formules toutes faites – « Je m’appelle untel. Je suis un bon garçon, Dien m’aime » – formules auxquelles s’ajoutaient parfois des réflexions plus personnelles : « Untel et untel sont de méchants garçons. »

Voici, en gros, l’école d’un autre âge et d’un autre temps. On est loin des tableaux blancs interactifs, des tables en U, du collège unique et de la fac pour tous, du bureau du maître à même hauteur que ceux des élèves (à défaut de pouvoir l’installer un peu plus bas encore), des manuels scolaires labellisés et des cours d’empathie. Nous devons pourtant beaucoup à l’école du Moyen Âge. Nous lui devons l’intérêt porté à l’enfant, contrairement à l’Antiquité qui considérait que « la seule justification de l’enfance était de se dépasser et de conduire à l’homme fait », comme l’a montré Henri-Irénée Marrou dans sa magistrale Histoire de l’éducation dans l’Antiquité. Nous lui devons d’avoir donné du prix à la mémoire, en ritualisant le par cœur à travers la récitation à voix haute des psaumes, ce par cœur tant décrié par les humanistes du xvie siècle, mais dont George Steiner aimait à rappeler qu’il était avant tout un apprentissage par le cœur. Nous lui devons encore l’explication de texte au bac de français, héritage des lectures commentées des maîtres carolingiens, cette glose qui passait par les mots et la grammaire du texte pour accéder à son sens général et l’intention de son auteur : « Toi qui fouilles les écrits de Virgile sans les commenter, tu ne rongeras que la seule écorce sans goûter la noix. » (Maître Egbert de Liège cité par l’historien Pierre Riché). À l’heure de la « règle Mbappé », moyen mnémotechnique employé par certains professeurs pour que les élèves de primaire n’oublient pas que le n devient m devant les consonnes m, b et p, à l’heure des poésies laborieusement apprises strophe par strophe sur une dizaine de jours, du passé simple récité sans les deux premières personnes et des QCM de littérature, il n’est peut-être pas inutile de se souvenir du Moyen Âge autrement que comme d’un millénaire obscurantiste plein de moines pérorant férule à la main.

Comme dirait Christine de Pizan (1364-1430) dont la statue dorée ne dit pas grand-chose à grand monde, mais qui fut présentée lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques Paris 2024 comme une star médiévale du féminisme : on n’a bien souvent que les résidus des héritages qui nous reviennent.


À voir

« L’école au Moyen Âge », exposition à la tour Jean-sans-Peur, jusqu’au 5 janvier 2025.

À lire

Henri-Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, 1948.

Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, tome 2

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Pierre Riché, L’Enseignement au Moyen Âge, CNRS éditions, 2016.

L'Enseignement au Moyen Age

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Une girouette nommée Zineb

La journaliste franco-marocaine, ancienne de Charlie Hebdo, est passée du statut de lanceuse d’alerte contre l’islamisme à défenseuse des pogroms en Israël. Elle fait l’objet d’une enquête pour «apologie du terrorisme».


Il est parfois lourd de nuages sombres, le vent qui fait tourner la girouette…

Elle se nomme Zineb El Rhazoui. Dieu sait que nous l’avons portée aux nues lorsque, voilà quelques années, elle savait mieux que personne nous mettre en garde, nous l’Occident, contre l’expansionnisme islamiste, ses menées, ses réseaux, ses ruses, ses pièges. Elle parlait. On l’écoutait, on l’admirait pour son courage, on saluait en elle une lucidité qui faisait tellement défaut à notre intelligentsia, à nos élites. Faut-il avouer que la part de séduction n’était pas mince dans l’intérêt qu’elle suscitait ? Un phrasé n’appartenant qu’à elle, identifiable entre tous, rehaussé d’une subtile pointe d’accent d’Orient. Une diction aussi claire que la pensée exprimée. Une dialectique parfaitement maîtrisée, ornée de la juste dose d’érudition, de culture européenne et orientale qui, subtilement, en impose sans jamais écraser. Avec cela, une charmante présence à l’écran. Nous tenions l’oracle à la parole d’or. Je me souviens de commentateurs qui n’hésitaient pas à évoquer une parenté, sur les plans de la témérité, de l’audace, de la clairvoyance, avec notre Jeanne d’Arc…

Curieux personnage

Une Jeanne d’Arc qui aurait fait volte-face et changé de bannière. L’oriflamme que Zineb el Rhazoui brandit haut aujourd’hui semble aujourd’hui être celle de l’islamisme conquérant, de préférence dans ses prolongements terroristes. Découvrant cette mue des plus inattendues, nous sommes tombés de haut. Il est vrai que nous ignorions à peu près tout de ce qu’est vraiment cette femme.

Très opportunément, une enquête du Figaro signée Paul Sugy[1] nous apporte l’éclairage qui nous manquait, tant sur sa personnalité, que sur son parcours et ses véritables convictions.

Étrange personnage. Une diva, en fait, qui aurait trouvé son rôle magistral non dans l’art lyrique mais dans la croisade politique. Une ancienne camarade livre dans l’article ce portait assez surprenant : « Dès qu’elle est arrivée en France elle a débarqué comme une rock star, avec ses grands manteaux et ses lunettes Gucci. Elle avait quelque chose en plus des autres, elle était drôle, cultivée, elle avait une histoire d’amour marrante avec un chef touareg, elle était touchante et libre, elle racontait sans pudeur ses avortements à Charb. Elle était un personnage ! »

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Annus horribilis

Charb, de Charlie Hebdo, bien sûr. Elle y collabore. En diva. Notes de frais à l’avenant, présence aléatoire, colères tonitruantes. Il semble que, pour ces motifs, elle n’y aurait pas fait long feu. Or, survient la tuerie, le massacre des frères Kouachi. Les rafales passées, elle s’insère à la perfection dans le petit cercle des survivants, elle qui se pavanait en vacances au Maroc lors de l’attentat. En France, elle s’y trouve cependant lorsqu’il s’agit de rassembler autour d’elle une petite clique pressée de se gaver de la fortune toute soudaine du journal dont le numéro d’après l’attentat s’est vendu à 8 millions d’exemplaires. Le pactole. Faire de l’argent sur le cadavre de leurs amis n’arrête pas ces gens, Zineb El Rhazoui en particulier.

Le nouveau visage de Zineb El Rhazoui

Suit une période conjugale avec un banquier de chez Rothschild en charge de la « finance islamique ». Installation à Dubaï. Existence sur le mode mille et une nuits. Luxe, calme, volupté. Et bistouri du chirurgien esthétique des stars pour, au passage, s’améliorer la frimousse. Il se peut que les cagnottes en lignes ouvertes pour financer sa sécurité en France, et qui continuent de courir, aient pu aider quelque peu à ces rafistolages dispendieux. À ce moment-là, il semblerait qu’elle se consacre aussi à une passion de toujours, la peinture. Son registre préféré dans ce domaine, nous apprend Paul Sugy, l’autoportrait. On s’en serait douté. Narcissique un jour…

La barbarie terroriste du 7-Octobre perpétrée par le Hamas en Israël l’extirpe de cette forme de somnolence idéologique. Plus exactement, c’est la riposte inévitable d’Israël qui lui fait reprendre l’étendard de la lutte. La lutte pro-islamiste désormais. Israël qu’elle considère être un état colonial et « génocidaire ». Un « Daech qui a réussi », ose-t-elle toute honte bue.

Elle ne condamne évidemment pas les massacres du 7-Octobre qui sont pour elle « un acte de résistance et de désespoir ». Cela lui vaut d’ailleurs, à l’initiative du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau – qui fut jadis l’un de ses plus ardents soutiens – l’ouverture d’une enquête pour « apologie du terrorisme ». Cela au grand dam, on s’en doute, de nos médias d’insalubrité publique qui, on peut le supposer, s’apprêtent à dérouler sous les pieds de la malheureuse victime le tapis rouge qui convient afin qu’elle puisse de nouveau dérouler sa dialectique si bien huilée. L’article en donne un aperçu. N’a-t-elle pas le front de déclarer, en effet, s’efforçant de rejeter toute accusation d’opportunisme ou de trahison : « Je n’ai pas hésité à faire mon devoir en dénonçant le terrorisme islamiste lorsqu’il a frappé notre pays. C’est au nom du même principe que je dénonce la dérive sanguinaire du gouvernement israélien. » Est-il seulement besoin de commenter l’obscénité de cette mise en parallèle ?

Vent mauvais

Girouette : sert à indiquer la direction du vent, écrivais-je en commençant. Il me semble que derrière la volte-face stupéfiante de cette femme, de ce personnage singulier à la psychologie manifestement complexe, erratique, se profile une tendance que je me permettrais de qualifier de lourde. Lourde par sa puissance quasi souterraine, et lourde, pesante, par la décrépitude morale qu’elle traduit.

A ne pas manquer: Causeur #127: 7-Octobre, un jour sans fin

Le revirement de Zineb El Rhazoui s’inscrit dans le vent mauvais qui s’immisce chez nous depuis une année à présent, notamment chez les élites, les gens qui sont au sommet. La riposte d’Israël après la tentative exterminatrice du 7-Octobre n’a pas eu d’effet « libérateur » que chez cette militante, elle a aussi ouvert chez nous, en grand, les vannes aux eaux encore dormantes et toujours fétides d’un antisémitisme mal maquillé en antisionisme. Cela en soi est terrifiant. Révoltant au plus haut point. L’histoire nous a pourtant appris, et pas seulement celle du vingtième siècle, ce sur quoi débouche le flux de ces eaux-là lorsqu’il devient crue. La sauvagerie totalitaire, la dictature obscurantiste, voilà où cela mène inexorablement.

Cette musique antisémite en contrepoint du chant antisioniste on l’entend ces jours-ci dans la bouche des Villepin, des Kouchner et d’autres aussi. Mais le grand et beau ténor, le virtuose en la matière n’est autre – quel chagrin de devoir écrire cela ! – que le président de la République. Notre président de notre République. À l’unisson avec une Zineb El Rhazoui, voilà qu’il va jusque’à imputer à l’Etat d’Israël – démocratie alliée et amie de la France, me semble-t-il – le recours à la barbarie ! Pire encore, il y a ces propos que, comme si souvent avec le personnage il convient de ranger dans la catégorie amusante mais lassante du « j’ai pas dit ce que j’ai dit et on n’a pas à dire pour moi ce que j’ai dit quand je dis que je ne l’ai pas dit. » Ces défenses sont d’une puérilité consternante. Elles sont surtout l’accablante expression d’un intellect à la dérive. Rappelons ces propos : « M. Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU. » Comment ne pas entrevoir derrière ces mots une menace ? Menace à peine voilée dont la traduction en clair pourrait être : « M. Netanyahou ne doit pas oublier que ce qu’une décision de l’ONU a fait, une autre décision de l’ONU peut le défaire. »

En réalité, c’est la montée en puissance de ce vent-là, porteur de l’idée d’une disparition à terme de l’État d’Israël, que nous indique la volte-face, finalement moins sidérante qu’il n’y paraît, de Zineb El Rhazoui. Il s’agit de bien autre chose que d’un caprice de diva, d’une foucade de passionaria égarée. Aussi, ne nous faisons aucune illusion. Lorsqu’elle viendra déployer ses talents dans ce registre chez nous, en France, il y aura du monde pour applaudir. Y compris – et peut-être même surtout – du beau monde.

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[1] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/elle-a-vrille-comment-zineb-el-rhazoui-est-passee-d-icone-laique-a-avocate-du-hamas-20241024

Tant qu’il y aura des films

Un acteur en majesté, un polar bourguignon gouleyant et une merveilleuse reprise, c’est le tiercé gagnant et francophone d’un mois de cinéma polyphonique comme il se doit.


Art brut

L’Art d’être heureux, de Stefan Liberski

Sortie le 30 octobre

Le film pourrait s’appeler L’Art d’être Benoît Poelvoorde et tiendrait ainsi sa promesse. Il s’intitule plus platement L’Art d’être heureux, mais on ne lui en veut pas car, justement, brille en son centre un acteur-roi, un phénomène d’écran dont chaque apparition relève du funambulisme détraqué : au fil des scénarios et des réalisateurs, ça passe ou ça casse, ça frise le génie pur ou ça s’écrase dans le cabotinage. On dit Poelvoorde « fragile » (euphémisme) en dehors des plateaux, en feignant de croire qu’il est « fort » quand on dit « Action ! » (« Pourquoi faire ? » dixit Depardieu). C’est cette éventuelle faiblesse qui rend son jeu improbable, imprévisible et incroyable. Depuis 1992 et l’iconoclaste C’est arrivé près de chez vous, de Rémy Belvaux et André Bonzel, l’acteur belge alterne les tournages de films d’auteur, de comédies réussies et de pochades sans nom. Sans lui, Podium de Yann Moix ne serait qu’une épure de bonne idée. Il en est de même pour Les Randonneurs et Le Vélo de Ghislain Lambert, tous deux de Philippe Harel, comme des Convoyeurs attendent de Benoît Mariage. Il est lumineux dans Trois cœurs de Benoît Jacquot (après Depardieu, encore un « proscrit », soit dit en passant) autant que dans Normale d’Olivier Babinet. On s’en voudrait d’oublier ce qui est peut-être son meilleur rôle, sa composition la plus dingue, la plus névrotique et donc la plus enthousiasmante, dans le trop méconnu Les Portes de la gloire, réalisé par Christian Merret-Palmair en 2000 : représentant de commerce hallucinant et halluciné, il passe ses soirées à revoir Le Pont de la rivière Kwaï en se prenant pour son héros.

Le réalisateur de L’Art d’être heureux, Stefan Liberski, a manifestement vu ce film en écrivant son scénario et en imaginant le personnage joué par Poelvoorde. On ne risque pas de lui reprocher cette inspiration de haut vol. Son personnage principal, qui se nomme Jean-Yves Machond, est un « peintre mondialement méconnu et globalement malheureux qui décide de changer de vie et d’aller chercher l’inspiration dans une petite ville normande au bord de la mer », précise le synopsis. Machond offre surtout à Poelvoorde l’occasion d’ajouter un nouveau spécimen à sa collection de perdants magnifiques, de ratés flamboyants et d’abrutis géniaux. Une coupe de cheveux indescriptible, une « veste d’artiste » ridicule dans laquelle il flotte littéralement, un esprit de sérieux affligeant : en quelques traits saillants, Poelvoorde tient son personnage du début jusqu’à la fin. Il est lamentable face aux femmes comme face à l’art, la mer ou les emmerdements. Une incapacité constante, admirablement tenue, face à tout et à tout le monde. Et le voilà qui se retrouve en caleçon au bord d’une route, seul, toujours seul, ou bien dans sa maison d’architecte aussi moderne qu’inhabitable parce que, comme lui, sans fondations… Le tout sur fond d’une critique assez réjouissante des impasses de l’art contemporain radical qui ne sait plus distinguer un sexe féminin d’un hérisson. On ira jusqu’à pardonner au réalisateur, qui semble sérieusement croire à son propos sur le bonheur, de faire sombrer son film dans la mièvrerie en inventant une progéniture cachée à son héros. Poelvoorde résiste même à cela, à cet assaut final d’attendrissement niaiseux et téléphoné. Ainsi vont les génies de ce métier : Raimu, Saturnin Fabre, Darry Cowl, de Funès, Jacqueline Maillan, Jean Poiret, Michel Serrault et quelques autres acteurs et comédiens hors norme qui ont en commun une folie pure, un sens inné d’une mécanique qu’on appelle le rire. Mécanique qui, comme chacun le sait, est l’unique réponse possible à l’indépassable mélancolie.


Art noir

Quand vient l’automne, de François Ozon

Sortie le 2 octobre

Bien malin celui qui pourrait définir d’un mot ou même d’une phrase l’univers de François Ozon. Il est à lui tout seul la négation de la notion de cinéma d’auteur. Allez donc trouver le lien entre le flamboyant mélo Sous le sable, avec Cremer et Rampling, et Potiche, le tordant « boulevard » avec Deneuve et Depardieu (décidément)… Son nouveau film, Quand vient l’automne, n’échappe pas à cette « règle ». Cette fois, il nous propose un drame vénéneux en Bourgogne. Vénéneux, oui, parce qu’au centre de cette ténébreuse affaire familiale, on trouve un plat de champignons toxiques. Tout commence donc par un petit repas en famille au cours duquel une fille plutôt revêche se délecte des champignons concoctés par sa retraitée de mère. S’ensuit une histoire dont on se gardera bien de révéler ici les méandres et autres surprises surgies d’un passé sulfureux. Hélène Vincent, Josiane Balasko et Ludivine Sagnier mènent un bal parfaitement réglé.

© FOZ/FRANCE 2 CINEMA/PLAYTIME

Art d’antan

Les Disparus de Saint-Agil de Christian-Jaque

Sortie le 23 octobre

Alain Delon aimait à raconter qu’à l’âge de 14 ans, il avait fugué du domicile familial pour tenter de rejoindre les États-Unis avec son meilleur ami. Ils n’avaient pas dépassé Romorantin. Mais on se dit à l’énoncé d’un tel projet que le petit fugueur s’était peut-être inspiré d’un film vu au Régina, le cinéma paternel de Bourg-la-Reine : Les Disparus de Saint-Agil réalisé par Christian Jaque en 1938. Il aurait été séduit par les trois collégiens de la bande des « Chiche-Capon » (dont l’un est joué par Mouloudji), qui rêvent de partir pour l’Amérique… Avec Erich von Stroheim et Michel Simon à son casting, ce film est une pure merveille qui mêle très habilement film d’enfance et polar sur fond de fausse monnaie. Il s’en dégage un charme irrésistible sur lequel les années passent, donnant une nouvelle preuve que nombre de films de Christian-Jaque doivent être définitivement réhabilités, depuis ces Disparus jusqu’à Un revenant, Fanfan la Tulipe, L’Assassinat du père Noël, Boule de suif et tant d’autres.

DR

Double peine

L’agression d’un jeune homosexuel à Pantin par deux Algériens survient dans un contexte géopolitique précis favorisant la montée de l’antisémitisme et le passage à l’acte chez des esprits fragiles ou incultes. Au Parisien, la victime affirme qu’elle ne sait pas si elle restera en France.


Le 8 octobre dernier, à Pantin (93), Noam* était victime d’une triple agression : antisémite, homophobe et une tentative de viol par deux Algériens en situation irrégulière. Les deux agresseurs présumés ont été placés en détention provisoire. « Ce viol, parce que c’est un viol, cela fait partie de ma vie », confie la victime au Parisien. « Être juif et homosexuel en France, c’est la double peine » dit le jeune homme de 22 ans à CNews. Le Parisien relatait sa mésaventure dans son édition de vendredi :

Le 8 octobre, à 20h20, Noam rentre du travail et va au tabac s’acheter des cigarettes, quand il est abordé par deux inconnus qui lui réclament « une clope ». L’un est assez jeune, l’autre, juste un peu plus vieux, semble zoner sur les bords du canal. Les caméras filmeront ces deux hommes, qui n’ont cessé d’importuner les passants. Noam finit par céder et leur tend son paquet. Puis ils le poussent à l’écart. Ils font défiler son compte Instagram et tombent sur le drapeau d’Israël. Les massacres du Hamas ont juste un an. Noam a écrit une story. Puis apparaît un autre symbole aux couleurs arc-en-ciel de la communauté LGBT. À partir de là, les deux hommes partent en vrille, éructent des « sale pédé » et « sale juif ». Toujours sous le choc, Noam affirme qu’il était la « cible parfaite » parce que gay et juif.

Une ligne de téléphone consacrée à l’écoute de plaignants de ce genre d’affaire enregistre une dizaine d’appels par jour. L’histoire de Noam représente un nouveau type d’agression d’après ses avocats : « un schéma d’agression se met en place pour exprimer une volonté de souiller et d’humilier les victimes ».

Comme d’autres Français, mais de façon encore plus fréquente, des élèves juifs subissent du harcèlement et des persécutions à caractère antisémite dans les écoles, des juifs de tous âges sont agressés et violentés dans les rues et les transports en commun.  De plus en plus, ce sont des personnes en situation irrégulière et sous obligation de quitter le territoire qui blessent, violent et tuent. Ces délinquants, partis d’outre Méditerranée pour trouver une terre d’accueil dans un pays plus laxiste envers leurs dérèglements et délits que leur pays d’origine sont les auteurs d’une grande partie des agressions que subissent nos concitoyens et en particulier les juifs depuis le 7 octobre 2023 et la guerre à Gaza.

Qui est responsable de cette situation qui ne fait que s’aggraver ? Bien sûr l’inaction des politiques, voulue ou non, face à l’immigration de masse, contribue de façon significative à augmenter le nombre de populations connues pour leur antisémitisme viscéral, mais c’est aussi dans la population française d’origine, et spécifiquement dans ses élites cultivées que se développe aujourd’hui un antisémitisme qui ne veut pas dire son nom.

Ainsi, Emmanuel Macron, en déclarant que la guerre menée par Israël contre le Hezbollah relève de la barbarie, met de l’huile sur le feu antisémite. Chacun sait désormais le lien qui est fait dans les banlieues entre les événements dramatiques du Proche-Orient et le sort des juifs en France. Cette affirmation du président de la République témoigne d’un contexte géopolitique général qui attribue à Israël la seule responsabilité du désastre actuel à Gaza et au Liban.

En France, l’antisémitisme qui se taisait dans notre pays depuis 1945 a repris vigueur par la grâce d’un antisionisme rabique qui n’est pas uniquement le fait de la France insoumise. La diabolisation des Israéliens et de leur Premier ministre par une partie de l’opinion publique, celle qui a été éduquée dans les universités de la République, désormais envahies par une pensée wokiste aux idées courtes mais à la haine solide, donne de la nourriture intellectuelle à des personnalités incultes et possiblement fragiles qui passent aujourd’hui quotidiennement à l’acte.

Les juifs désormais sont sur le départ pour la première fois depuis longtemps. Chassés des pays arabes à la naissance de l’État juif dont l’existence est non seulement menacée mais refusée depuis toujours, les juifs sentent que leur présence en Occident est remise en question. Alors qu’Israël représentait pour les sionistes le pays qui permettrait aux juifs de ne pas dépendre du bon vouloir et des caprices sanglants de leurs maîtres, les bons esprits d’Occident, manipulés par les mensonges de la propagande islamiste, se permettent ouvertement de douter de la légitimité des actions de défense de l’Etat des juifs.

* Le jeune homme témoigne sous pseudos dans différents médias

Albert Speer, architecte de Hitler et mémorialiste caméléon

Dans son nouveau livre au titre prometteur, Vous êtes l’amour malheureux du Führer, Jean-Noël Orengo revient sur le cas fascinant d’Albert Speer, l’architecte de Hitler.


Albert Speer durant le procès de Nuremberg, en 1946. DR.

Beaucoup de lecteurs ont lu les Mémoires de Speer, commencés en prison et publiés à la fin des années soixante. Un gros ouvrage, à vrai dire passionnant (je l’ai lu lorsque j’étais lycéen), qui devint immédiatement un best-seller, avant d’être l’objet de vives controverses de la part des historiens.

Speer avait en effet tendance à se trouver beaucoup trop de circonstances atténuantes, afin de se réhabiliter lui-même dans le monde de l’après-guerre et de se présenter comme… un honnête homme embarqué dans une aventure qui l’aurait dépassé !

La voix de la conscience

Le roman de Jean-Noël Orengo reprend les éléments du dossier, les hiérarchise, pour essayer d’y voir plus clair. Il ne se contente pas d’aborder les principaux aspects de la vie de Speer qui fâchent, en les replaçant dans leur contexte historique. Il va plus loin, il fait s’exprimer, tout du long, la conscience intime du dignitaire nazi, grâce à une sorte d’oralité intérieure que permet le roman, et qui fait affleurer toute la subjectivité maladive de Speer. Pour ce faire, il emploie de manière très pertinente le style indirect libre, plaçant ainsi la voix de Speer au premier plan, de manière à créer un effet de vérité qui démontre la duplicité de l’architecte dans sa tentative de jugement sur lui-même.

Se disculper de la Shoah

Le chapitre sur le génocide des Juifs est, à cet égard, particulièrement caractéristique. Speer a essayé de faire croire qu’il ne savait rien de la Shoah, et que d’ailleurs il n’était pas antisémite. Il ne serait donc pas tombé dans une telle ignominie, que son éducation privilégiée lui aurait épargnée. Orengo déconstruit progressivement une telle assertion. D’abord, il note : « L’architecte écoute. Il n’éprouve rien pour ou contre les Juifs. » Il faut cependant être plus précis, si possible, et cela donne : « si le guide [c’est-à-dire le Führer] est à ce point obsédé par les Juifs, il doit avoir ses raisons […] même si ça devient lassant et gênant pour lui, l’architecte, d’écouter ses brusques harangues vulgaires sorties de nulle part à l’égard des Juifs ». La prose d’Orengo rend bien compte de cette hypocrisie d’un Speer qui ne veut pas se salir les mains, et cherche à se dédouaner, en dépit de l’évidence. À Nuremberg, lors de son procès, le ministre de l’Armement de Hitler plaidera « non coupable à titre individuel, coupable à titre collectif », une ambivalence qui rend très bien compte de sa manière de se disculper : « Il est très doué pour l’autocritique, note Orengo, et donner l’impression de siéger avec ses juges devant lui-même, et se condamner jusqu’à un certain point. »

Une déclaration d’amour au Führer

Sa relation avec Hitler, elle aussi, du moins telle qu’il la relate dans son livre, est ambivalente. Speer doit sa carrière fulgurante au seul Hitler. Il ne peut cependant pas s’empêcher de le mépriser, tout en reconnaissant qu’il est fasciné par le personnage.

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« Il est envoûté, écrit Orengo, c’est le mot qu’il utilisera toujours, quand on le pressera de s’expliquer sur sa relation avec le guide. Il leur répondra toujours par une question : qui n’aurait pas été envoûté ? Qui ne l’était pas ? » Speer a partagé la passion de Hitler pour l’architecture. Les projets des deux hommes pour Berlin, décrits avec force détails par Orengo, paraissent stupéfiants, et même démentiels. Speer, en tant qu’homme de confiance, concevait également les grandes parades. Il eut l’idée d’organiser un défilé de nuit. « L’effet dépasse toutes les attentes », indique Orengo, qui ajoute : « C’est la mise en scène du cosmos et de la météo sous les auspices du guide discourant de la grandeur retrouvée de l’Allemagne. » C’est, nous dit Orengo, « une déclaration d’amour au Führer ».

Imposture contemporaine

Dans la dernière partie de son livre, Jean-Noël Orengo revient sur ce qui l’a lui-même intéressé dans le cas de Speer et de ses Mémoires, et qui lui semble très actuel. Il qualifie Au cœur du IIIe Reich de « fiction décisive », c’est-à-dire d’imposture. C’est un livre qui ment. « Dès lors, écrit Jean-Noël Orengo, j’ai distingué en Speer un phénomène plus vaste et très contemporain que nous vivons tous les jours en ouvrant les journaux et les réseaux sociaux. Fake news, complots, interprétations de faits, guerre de récits, sublimation du pire, apitoiement sur soi-même, glamour de la colère, déstabilisation du sens… »

Aujourd’hui, il n’est plus possible de douter de cette habile imposture, même si Au cœur du troisième Reich reste un livre extraordinaire qu’on peut relire, mais avec de grandes précautions. Comme nous le confirme encore une fois Orengo, Speer a pris une part active au nazisme, impossible de le nier, y compris dans le déroulement de la Shoah : « Il savait pour l’extermination des Juifs d’Europe, écrit l’auteur. Il y avait même participé en tant que ministre de l’Armement. » Si le Reich avait survécu, Speer aurait probablement pu succéder à Hitler. On voit ainsi l’exploit phénoménal qui a été le sien de se refaire une virginité, après le cataclysme provoqué par la guerre. Et justement, Jean-Noël Orengo contribue à nous détromper sur Albert Speer et à nous éclairer sur son véritable rôle. Son excellent livre a donc un grand mérite à mes yeux.

Jean-Noël Orengo, « Vous êtes l’amour malheureux du Führer ». Éd. Grasset. 272 pages

« Vous êtes l'amour malheureux du Führer »: Roman

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Albert Speer, Au cœur du troisième Reich. Traduit de l’allemand par Michel Brottier. Éd. Fayard, 1971. Disponible aujourd’hui chez cet éditeur au format poche dans la collection « Pluriel ».

Au coeur du Troisième Reich

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Trois très bons livres sinon rien !

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Eminent critique littéraire, notre chroniqueur s’enthousiasme pour trois romans de la « rentrée littéraire » qu’il a particulièrement aimés, en lecteur perspicace qu’il est.


Patrice Jean, La Vie des spectres : vous reprendrez bien un de nausée ?

Imaginez que Corentin, l’anti-héros de La Nausée, se mette en tête d’écrire un livre drôle — et vous aurez en main La Vie des spectres, le dernier roman de Patrice Jean, que Causeur a salué dès sa sortie fin août sous la plume de Thomas Desmond. Le narrateur, Jean Dulac, y est la proie d’une crise inexistentielle : son épouse le rembarre à la première occasion avec des arguments tirés des œuvres croisées de Caroline De Haas et de Judith Butler, son fils, en première, tempête dans une langue « jeune » contre les œuvres qu’on leur fait étudier au lycée — rien que des White Dead Males : « De toute façon, assène ce charmant bambin, je veux faire Maths Sup ou Sciences Po, alors je m’en fous du bac de français ». Encore un qui doit se satisfaire de la suppression récente de l’épreuve de langue française au concours commun de 18 écoles d’ingénieurs, jugée « anxiogène ». C’est sûr que demander (en QCM) si l’adjectif s’accorde ou non avec le nom crée une pression intolérable sur des cervelles soigneusement évidées par les pédagogies de la bienveillance.

Ajoutez à ces tracas domestiques le fait que les habitants de sa ville — Nantes — lui paraissent autant d’ectoplasmes appartenant à une forme de vie majoritaire et déprimante, et que les « personnalités » que son rédac-chef l’envoie interviewer sont des monuments de prétention (j’ai cru reconnaître Bégaudeau, ce degré zéro qui vous donne l’échelle de ces grandes inintelligences), et vous aurez le tableau complet d’une déprime lente. Heureusement qu’il s’entretient, de ci de là, avec un vieux copain mort depuis vingt ans — tôt réclamé par la Grande Faucheuse, et qu’il écrit un livre à jamais inachevé intitulé — ça va de soi — Les Fantômes.

La nouvelle prof de Lettres de l’heureux bambin — scotché dès qu’il est chez lui à sa console de jeux, occupant ses soirées à chasser les Dragons et les Amphibiens de Monster Hunter — finira virée par l’administration, parce qu’elle a refusé de jouer dans un clip tourné par une racaille qui a toute la sollicitude du proviseur et de l’Inspecteur. Jean Dulac la trouvait mignonne et passionnante — mais il ne couchera pas avec elle, il a d’ailleurs une sexualité quelque peu en berne — extension du domaine du syndrome houellebecquien.

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Le vrai sujet de ce roman (très drôle), c’est le couple lecture / écriture. Du côté des spectres, on méprise ces objets hostiles, conçus avec du papier et des mots, qu’on appelle des livres : « Laisse-le jouer, dit l’épouse en voie de libération, c’est de son âge, il a bien le temps de s’intéresser à Balzac ou à Schubert. Et puis, lire n’a jamais rendu qui que ce soit plus généreux ». Et l’époux-narrateur de philosopher : « J’aurais pu la contredire, en rappelant qu’un esprit privé de livres finit par s’étioler aussi sûrement qu’une plante meurt de n’être pas régulièrement arrosée, mais à quoi bon ? L’époque est plus forte que moi. Lire exige un effort que beaucoup entendent éviter. » L’époque est effectivement en reddition totale : « J’avais écrit un article qui développait cette idée, mais Le Progrès m’a répondu que ces considérations déclinistes n’avaient pas leur place dans le journal. « Essaie au Figaro ou à Minute ! » .
J’ai maintes fois expliqué que nous vivons un moment orwellien, où tout s’est inversé, comme les sentences de la sagesse de Big Brother (« L’ignorance, c’est la force »). La gauche est antisémite, la capacité d’analyse s’est réfugiée au Figaro ou chez Causeur — l’un et l’autre des suppôts supposés de la pensée fasciste et des considérations inactuelles. La presse bien-pensante, elle, meuble ses colonnes avec des articles d’actualité — entendons par là tout ce qui nie l’histoire, le temps et l’intelligence.

À la fin du livre, Dulac précise ce qu’il faut entendre par lecture :
« L’unique moyen, pensai-je, de débiliter le triomphe des stéréotypes n’était pas la lecture en soi, mais la lecture, attentive et passionnée, des œuvres refusant de flatter l’espèce humaine. »

(C’est ce qui rend de plus en plus difficile la vraie pratique de l’explication de texte, en classe. Demandez à trente ados endormis ce qu’ils pensent d’une scène de Marivaux, eh bien, ils n’en pensent rien, parce que pour eux la lecture ânonnée du texte épuise sa signification. L’idée qu’il puisse y avoir, dans le langage, des mots sous les mots, des intentions secondes, des effets camouflés et d’autant plus efficaces, leur échappe complètement. Ils vivent dans l’immédiateté de la consommation, et mourront de même.)

C’est un très beau livre, merveilleusement déprimant. Après L’Homme surnuméraire, où le héros (?) était payé à supprimer des œuvres littéraires tout ce qui peut choquer tel ou tel segment de la population (ramenant ainsi le Voyage au bout de la nuit à 26 pages), La Vie des spectres rajoute une couche de décapant sur notre fin de civilisation, toute gonflée de son importance comme la grenouille de la fable. De quoi vous donner envie de vous balader avec une dague à dégonfler les baudruches.

Arturo Pérez-Reverte, l’Italien : mais oui, il y eut des héros italiens pendant la Seconde Guerre mondiale !

Il traîne sur les Italiens une rumeur de paresse, de farniente et de trouillardise que le souvenir lointain de l’Empire romain ne parvient pas à dissiper. Des guerriers d’opérette, disent nos militaires, si persuadés d’être les meilleurs, au Mali et ailleurs.

Arturo Pérez-Reverte, qu’on ne présente plus, s’est amusé, en Espagnol impartial qu’il est, à retracer les hauts faits d’arme de la Xème Flotte MAS, une unité de scaphandriers qui causa bien des tourments à la flotte britannique, à Alexandrie (en 1941) et ailleurs.
Par exemple à Algésiras : les Anglais mouillaient à Gibraltar, juste de l’autre côté de la baie. Les Italiens se mettaient à l’eau de nuit, chevauchant des torpilles à hélice, avec lesquelles ils franchissaient les barrages de filets d’acier, affrontaient les grenades régulièrement envoyées par les marins britanniques pour secouer les téméraires qui se risqueraient dans leurs eaux, et poser des mines sur le flanc des vaisseaux de guerre stationnés là. Dans le noir, après une heure et demie de traversée, sans garantie de pouvoir rentrer. En tout, la Xème flotte MAS a coulé une vingtaine de vaisseaux anglais.

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Pérez-Reverte est au sommet de son art — et c’est beau de voir un romancier utiliser tous les modes de récit, passer du présent au passé, entrer lui-même dans son récit, redevenir grand reporter (il l’a été pendant vingt ans sur tous les terrains d’opérations, il s’y connaît assez en héros et en demi-pointures), mêler une belle histoire d’amour à un récit guerrier, et face à ces scaphandriers audacieux construire un portrait de femme (espagnole, celle-là) d’une grande finesse. Une héroïne aussi, dans son genre — le genre qui ne parle pas sous la torture.

C’est un épisode fort peu connu de la Seconde Guerre mondiale. Peu de bons, peu de vrais méchants — en un mot, des hommes.

Abel Quentin, Cabane — ou l’éradication de l’homme par l’homme

Cabane est la narration la plus exacte que j’aie lue à ce jour des 50 dernières années, depuis les utopies grinçantes des années 1970 aux délires new age des années 2000. Abel Quentin (j’avais parlé ici de son remarquable roman, Le Voyant d’Etampes) est un chroniqueur des temps de déconfiture. Hier la culture woke, ici les délires écolos.
Encore que délire ne soit pas le terme exact. Le roman met en scène quatre scientifiques de très haut vol, qui en 1973 pondent un rapport sur l’état du monde et la projection prospective sur le siècle à venir : à les en croire (et pourquoi ne pas les croire ?), c’est foutu dans tous les sens, sauf si l’on impose à la population mondiale une cure radicale d’austérité et de décroissance, couplée avec une politique malthusienne qui classerait Alexis Carrel dans le quarteron des optimistes béats.

Immense succès immédiat de ce « rapport 21 » — mais aussitôt les grincheux — ceux qui croient que le Marché rééquilibrera toujours les excès — se mobilisent pour tirer à boulets rouges sur ces hurluberlus soupçonnés d’être trop intelligents.

Quentin joue avec virtuosité sur le registre de la science-fiction catastrophiste : il ne cite pas pour rien Soleil vert, le film de Richard Fleischer (1973 aussi !) inspiré d’un roman paru en 1966, où, rappelez-vous, on soignait la surpopulation en transformant les morts — décédés par euthanasie de masse — en biscuits protéinés à l’usage des survivants.

Nos quatre chercheurs ne restent pas longtemps unis. L’un se vend au Capital et aux compagnies pétrolières, deux autres élèvent des cochons bio dans une ferme de l’Utah — ça ne leur portera pas bonheur, croyez-moi, vous regarderez désormais votre saucisson pur porc avec méfiance —, et le dernier… mais à propos, où diable est-il caché, le dernier ?

C’est là que le titre du roman peu à peu s’éclaircit, tandis que l’atmosphère s’enténèbre.

C’est impitoyable — comme le sont tous les grands récits scientifiques. Ça ressemble aux œuvres de maturité de Jules Verne, à partir de 1886, quand l’écrivain heureux du Voyage au centre de la Terre et de De la Terre à la Lune laisse place au romancier grinçant de Robur le conquérant puis Maître du monde ou de Sans dessus dessous — les romans que l’on ne fait pas lire aux enfants.
Et certes, Cabane n’est pas à mettre entre les mains de nos écolos enfantins et / ou infantiles. C’est écrit avec une suavité qui témoigne d’une extrême maîtrise (ou d’un grand travail), et ça éparpille ce qui restait en nous d’optimisme, de foi en l’homme et de persistance à voter Éric Piolle ou Sandrine Rousseau : après Soleil vert, c’est Midsommar qui vous guette.

Patrice Jean, La Vie des spectres, Le Cherche Midi, 2024, 452 p.

La vie des spectres - rentrée littéraire 2024 - prix Maison Rouge 2024

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Arturo Pérez-Reverte, L’Italien, Gallimard, 2024, 440 p.

L'Italien

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Abel Quentin, Cabane, Les Editions de l’Observatoire, 2024, 480 p.

Cabane - Prix des Libraires de Nancy Le Point 2024

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Ceux par qui le scandale arrive: Kerbrat et Boniface; Sexe, cyclisme et immigration; le procès de Roman Polanski. Avec Céline Pina, Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.


Andy Kerblat, député LFI, s’est fait interpeller en possession d’une drogue de synthèse, la 3MMC, souvent utilisée par ceux qui pratiquent le « chemsex » (voir Wikipédia). Parmi les effets négatifs de cette substance : la dépression, l’agressivité, la confusion, le délire, les hallucinations, sans parler de la verbosité – ce qui fait beaucoup pour un élu de la République. L’homme politique se défend, se prétendant victime des médias d’extrême-droite. Pourtant, l’idée ne lui est pas venue de démissionner. Pascal Boniface, géopolitologue et fondateur de l’IRIS, a traité le maire de Saint-Ouen de « muslim d’apparence » parce qu’il ne donne pas assez de signes de haïr Israël. La liste s’allonge des termes utilisés par la gauche pour disqualifier les personnes appartenant à des minorités qui ne pensent pas exactement comme il faut. L’analyse politique de Céline Pina.

Nicolas Bedos victime d’une punition « exemplaire » dont la sévérité est destinée surtout à mettre en garde tous les beaux gosses hâbleurs… Récupération politique par la gauche de la mort d’un cycliste à Paris… Rencontre entre Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur déterminé à prendre en main la question de l’immigration, et Emmanuel Macron, un président plutôt mou sur cette question jusqu’ici – ou a-t-il finalement changé d’avis? Martin Pimentel passe en revue les actualités de la semaine.

Enfin, Jeremy Stubbs s’est rendu mercredi à la Cour d’appel pour assister à une audience, en l’occurrence celle qui représente la dernière étape dans le procès pour diffamation intenté par l’actrice anglaise, Charlotte Lewis, au réalisateur Roman Polanski. Le réalisateur étant relaxé en première instance le 14 mai, l’actrice a fait appel. La défense a souligné le paradoxe : l’actrice accuse le réalisateur de diffamation parce qu’il a nié les paroles diffamatoires qu’elle a eues à son égard. Le procès est un triste exemple de ce qu’on peut appeler aujourd’hui la « jurisprudence genrée » : la loi médiatique donne un crédit au témoignage des femmes qui est refusé à celui des hommes. Le jugement de la Cour sera rendu le 4 décembre.

Visite d’État d’Emmanuel Macron: vers un tournant stratégique dans les relations franco-marocaines ?

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Le président Macron sera en visite d’État au Royaume du Maroc à partir de lundi, pour trois jours. Analyse des enjeux diplomatiques


Six ans après sa dernière visite officielle et à la suite d’une période marquée par de vives tensions diplomatiques, Emmanuel Macron se prépare à effectuer une visite d’État au Maroc du 28 au 30 octobre. Ce déplacement intervient après l’échec patent de son « pari algérien » et a pour but de réchauffer et de relancer dialogue et coopération avec Rabat, seul partenaire stable dans une région en pleine mutation. Les discussions avec le roi Mohammed VI s’annoncent substantielles, qu’il s’agisse d’immigration, de sécurité, de coopération industrielle ou de dossiers internationaux brûlants. Cependant, c’est avant tout la méthode que saura adopter ou pas le président de la République qui déterminera si elles marquent un tournant véritablement stratégique pour les deux nations.

Macron a maintenant tout le temps pour travailler sur sa politique diplomatique

La première condition sera de rompre avec l’approche arrogante qui a caractérisé la diplomatie d’Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir en 2017. Son échec politique cinglant sur la scène nationale devrait l’inciter à faire preuve de retenue et d’introspection sur la scène diplomatique. Un exercice d’humilité rendu nécessaire au vu des erreurs accumulées depuis sept ans dans sa politique extérieure : sur l’OTAN, sur la Russie, sur la Chine, en Afrique comme au Moyen-Orient.

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Son « pari algérien » a été l’un des exemples les plus marquants de cette diplomatie pour le moins hasardeuse. Pendant trois ans, le président de la République a espéré, contre l’avis de nombre de diplomates et d’experts, réconcilier la France avec un régime algérien dont la stabilité repose pourtant depuis des décennies sur l’hostilité vis-à-vis de Paris. À travers un geste solennel, son projet était d’effacer les blessures du passé colonial et construire une nouvelle relation – sur le modèle de la réconciliation franco-allemande après la Seconde Guerre mondiale. Mais malgré de nombreux gestes, en particulier dans le champ mémoriel, Alger n’a jamais répondu que par des exigences accrues et des critiques répétées.

Cette illusion a finalement pris fin le 30 juillet dernier, lorsque Emmanuel Macron a franchi un pas décisif en reconnaissant le plan d’autonomie proposé par le Maroc comme la seule base crédible pour une solution politique au Sahara occidental. Ce revirement, tardif mais salutaire, est un signal de lucidité et de pragmatisme, permettant de rétablir des ponts avec Rabat.

La deuxième condition, pour faire de cette visite un succès pérenne, sera de reconnaître le Maroc pour ce qu’il est devenu: une authentique puissance régionale. Le royaume n’est plus simplement ce « bon élève » que la France et l’Europe félicitaient à l’occasion. Dans un Maghreb en crise, où la Tunisie s’enlise dans un autoritarisme latent et où l’Algérie reste figée dans un statu quo dépassé, le Maroc fait figure de seul partenaire stable et fiable. Ce statut doit être reconnu, non seulement par la France mais aussi à l’échelle internationale.

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Enfin, troisième condition, Emmanuel Macron devra arriver à Rabat avec des propositions concrètes et substantielles propres à donner sens et direction à cette alliance renouvelée. Il ne s’agit plus de dicter des conditions mais de traiter de puissance à puissance. Sur la question migratoire, par exemple, un accord profitable aux deux parties sera difficile à obtenir mais pas impossible à atteindre : la France rencontre des difficultés à expulser les migrants en situation irrégulière tandis que le Maroc souhaite plus de visas pour ses citoyens qualifiés. Laissez-passer consulaires (nécessaires à l’exécution des OQTF) contre visas accordés à des profils de jeunes diplômés utiles à l’économie française. La récente reconnaissance du plan marocain sur le Sahara occidental offre un terrain favorable pour ces négociations.

Des annonces majeures attendues

Autre dossier : dans le Sahel, où les menaces pour les deux pays se multiplient, la coopération antiterroriste entre Paris et Rabat, déjà solide, pourrait être intensifiée. Sur le plan industriel enfin, des annonces majeures sont attendues, notamment concernant Airbus, avec le renouvellement de la flotte de Royal Air Maroc (RAM) et l’achat d’hélicoptères de transport militaire H225M Caracal. Si la RAM choisit Airbus plutôt que Boeing, cela constituera un signal fort de son attachement au partenariat avec la France.

La visite d’Emmanuel Macron au Maroc représente une occasion unique de refonder la relation franco-marocaine. Mais pour réussir, il devra s’armer de pragmatisme et d’humilité. La France, fragilisée sur plusieurs fronts géopolitiques, a plus que jamais besoin de partenaires solides. Le Maroc pourrait bien être celui sur lequel Paris pourra compter pour consolider sa position en Méditerranée.

Les députés ne donnent plus le bon exemple!

Le député d’extrême gauche Andy Kerbrat défraie la chronique. Il a été interpellé le 17 octobre par la police en train d’acheter à un mineur de la 3-MMC (drogue de synthèse), à Paris. Le monde politique se divise sur la question de l’exemplarité. Autre temps, autres mœurs ? Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et la droite nantaise appellent à une démission qui n’interviendra pas.


C’est une facilité que je m’octroie en évoquant « les députés » pour me faire mieux comprendre alors que je songe précisément au député LFI Andy Kerbrat qui a été interpellé en flagrant délit d’achat d’une drogue de synthèse dans le métro parisien. Il a fait état de « problèmes personnels » et a annoncé « un protocole de soins ».

Je relève que la drogue en question est celle dont avait usé Pierre Palmade et qu’apparemment elle n’est pas destinée à apaiser une difficulté d’être mais à amplifier et décupler dans le temps la puissance sexuelle.

Députés devenus ordinaires

Comme ceci a été souligné à l’Heure des pros le 22 octobre sur CNews, notamment par Gilles-William Goldnadel, la transgression de cet élu est d’autant plus répréhensible qu’il avait dénoncé dans le passé le trafic de drogue et alerté sur la multiplication des consommateurs. Contradiction en elle-même très choquante.

Ces éléments n’ont pas empêché le soutien, que je juge honteux (en particulier un tweet indécent de Sandrine Rousseau), de LFI à ce député.

Plus globalement, malgré un émoi conjoncturel vite dissipé, l’indignation n’est pas à la hauteur de ce qu’on aurait pu espérer en démocratie représentative. On a entendu qu’Andy Kerbrat n’était pas le premier député ou sénateur à être tombé dans une telle dérive, comme si cela constituait une excuse ou une justification. On se rappelle que le député Louis Boyard n’avait pas hésité, lui, à avouer dans l’émission de Cyril Hanouna qu’il avait payé ses études en se livrant au trafic de drogue. On a plaidé aussi que l’univers parlementaire avait perdu de sa qualité et de son intégrité et que nous n’avions plus des députés remarquables mais d’une certaine façon ordinaires ; et qu’au fond nous ne devions pas nous en étonner, nous citoyens.

Je ne parviens pas à m’habituer à cette sorte de résignation démocratique. En quelque sorte, dépassés par le pire, on finit par le tolérer, l’accepter, l’administrer. En matière judiciaire par exemple, il y a eu tellement de vols à l’étalage que les parquets ont décidé de ne poursuivre qu’à partir d’un certain montant. Comme nous ne pouvons plus estimer ni a fortiori admirer nos députés, on a réduit nos prétentions et on n’exige plus rien d’eux. L’exemplarité est une exigence qui n’a plus cours.

La décadence, dans les petites comme dans les grandes choses, nous menace ou, pire, nous accable : elle nous est devenue sombrement si familière que nous la percevons comme irrésistible. Ce qui est le début de la fin et d’une irrémédiable défaite.

Le député ne partira pas

Pourtant il n’y a pas d’autre solution pour entraver le délitement moral et républicain que de se dresser contre cet abandon, cette médiocrité qui fait que certains députés eux-mêmes ne sont pas gênés de tomber dans des délits, de n’être plus des modèles, de s’en féliciter même. Le citoyen a une responsabilité dans ce désastre démocratique s’il se contente, le temps volatil d’une information, d’en prendre acte et de considérer l’attitude d’un Andy Kerbrat comme une manifestation normale de cet adage « autre temps, autres mœurs », telle une inévitable plongée dans le pire.

D’autant plus qu’il y a un insupportable hiatus entre la prise de conscience de l’extrême danger social et civilisationnel du narcotrafic et des attitudes singulières d’élus, qui en effet, au moins indirectement, ont « du sang sur les mains ».

Dans un monde qui s’accepte imparfait et fuit la rectitude comme la peste puisqu’elle est tension, souffrance, dépassement de soi et volonté d’exemplarité, ce député ne démissionnera pas. On entendra cette antienne que ce sera à l’électeur de décider. Ce serait du citoyen que son sort devrait dépendre. Pourtant on l’oublie quand on se comporte mal.

Andy Kerbrat qui a perdu sa légitimité – l’élection n’est rien sans l’éthique qui doit s’accorder avec elle – ne jettera pas l’éponge. Le ministre de l’Intérieur lui a demandé « de tirer les conséquences de ses actes car un député a un devoir d’exemplarité ».

Le député trop soutenu demeurera évidemment là où il est.

Anatole France, une question de lecture

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Anatole France (1844-1924). Photo DR.

Il y a cent ans mourait le prix Nobel de littérature 1921. Le nouvel essai que lui consacre Guillaume Metayer démontre que son étiquette d’écrivain néoclassique lui a été collée par ses lecteurs nationalistes.


Il y a 100 ans mourait le prix Nobel de littérature 1921. Une biographie et un essai – à propos de l’appropriation « nationaliste » de son œuvre – permettent un diagnostic : le « Cadavre » (dixit les surréalistes) bouge encore.

On passera assez vite sur la biographie de Henriette Chardak : elle est copieuse, enlevée, personnelle (le ton) et apporte tous les détails souhaités à qui voudrait les connaître. Elle intègre naturellement la bibliothèque – rayon « Références ».

On s’attardera plus sur l’essai de Guillaume Métayer, qui a beaucoup d’audace, voire de témérité. Jugez vous-même : Anatole France (1844-1924) ET le nationalisme littéraire (sujets de son livre) – on fait plus « glamour » (a priori, évidemment).

Anatole France et le nationalisme littéraire sont deux points aveugles de la critique contemporaine – à tort. Et comme Métayer connaît son sujet par cœur, il expose clairement les tendances nostalgiques de France, son écriture et ses idées en partie néo-classiques, sa posture sceptique face aux excès de la Révolution française (à distance, donc, du mythe révolutionnaire), son passage par le boulangisme qui en fait un presque « précurseur du nationalisme » (« presque » seulement, et Métayer désamorce le « piège »), son conflit avec les catholiques intransigeants (Massis), etc.

Son livre érudit a un seul défaut : son côté « universitaire » qui, parfois, rend la lecture un peu laborieuse. Voire répétitive. Exemples ?
« La critique de la Révolution française », on la lit dans la partie qui lui est consacrée ET dans le sous-chapitre intitulé « Anatole France et le mythe de la Révolution Française ».
« Le culte de l’Antiquité, une tradition française », on en trouve de larges échos dans « La tradition selon Anatole France ».

En outre, comme la confrontation des idées et des engagements de France avec ceux de Barrès, Jules Lemaître, Bourget, Gyp, Maurras, voire Gonzague Truc et Massis (rôle important du catholique Massis dans une certaine prise de distance avec le sceptique France), « achoppe » souvent sur les mêmes points (nationalisme, tradition, catholicisme, scepticisme), on se trouve à « relire » tel développement sur la tradition, ou sur le scepticisme ondoyant de France. Seul argument qui justifie les redites : si les thèmes et les notes sont repris, les interprètes diffèrent : Maurras, Barrès, Lemaître, Massis, Bernanos, etc.
D’aucuns pourront se repaître de la lecture de ces textes, peu accessibles pour certains. Mérite de Métayer donc : nous permettre de les lire.

Sa conclusion ? « C’est dans cette réception nationaliste d’Anatole France que se cache sans doute l’un des plus puissants mobiles de l’oubli dont l’écrivain a été victime depuis des décennies ». En clair : la « lecture » de cette droite nationaliste littéraire a en partie conditionné la réception première de France et contribué, en dépit de son évolution politique ultérieure (vers le socialisme), à en fixer la lecture, à le figer dans la statue du « grand écrivain français néo-classique » – que ne manqueront pas de dégommer les surréalistes.

Coda – quant à son socialisme ultime. Métayer en signale le paradoxe et l’ironie : « les circonvolutions du scepticisme francien ne l’ont pas empêché de soutenir les débuts de l’un des plus terribles totalitarismes, dont il avait pourtant dépeint par avance à merveille la matrice sanguinaire dans Les Dieux ont soif et même délivré l’antidote ».


À lire

Anatole France et le nationalisme littéraire : scepticisme et tradition, de Guillaume Métayer, Le Félin, 2024.

Anatole France et le nationalisme littéraire: Scepticisme et tradition

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Anatole France, une résurrection, d’Henriette Chardak, Le Passeur, 2024.

Anatole France - Une résurrection

Price: 23,00 €

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Les Dieux ont soif, d’Anatole France, (préf. Guillaume Métayer), Calmann-Lévy (éditeur historique de France), 2024.*

Les dieux ont soif

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À signaler, la réédition d’une rareté : Alfred de Vigny, d’Anatole France. Assortie d’une préface d’une érudition sèche, sans ornements – sa signature – de Michel Mourlet – France-Univers, 122p.

Alfred de Vigny

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École: ce n’est plus le Moyen Âge!

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Saint Augustin enseignant la rhétorique à Carthage, Ottaviano Nelli, xve siècle © Bridgeman Images

Une exposition sans prétentions spectaculaires nous apprend que nous devons beaucoup à l’école du Moyen Âge : l’intérêt porté à l’enfant, l’explication de texte, l’apprentissage du par cœur… Autant de méthodes qui ont permis la transmission du savoir des siècles durant. Alors que le Moyen Âge est, chez les Béotiens, synonyme d’obscurantisme, peut-être a-t-il quelque chose à nous apprendre.


La vidéo d’une petite fille de 3 ans frappée et humiliée en classe par sa maîtresse le mois dernier a donné à voir une version assez originale du fameux « Choc des savoirs » annoncé en grande pompe en octobre 2023 par le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, pour « élever le niveau de notre école ». Le choc, pour cette fillette, n’a visiblement pas été celui des savoirs. Quant à l’école, TikTokisée en cette brève séquence devenue follement médiatique – à l’inverse des courtes vidéos tout aussi édifiantes réalisées en plein cours par bon nombre de collégiens dans le dos de leurs professeurs, mais que l’on ne voit pas tourner en boucle sur les chaînes d’information –, elle a déserté le terrain pourtant fécond du baratin politico-administratif pour rejoindre celui, non moins fertile, du bla-bla émotionnel.

Le vocabulaire mi-martial (« la bataille des savoirs commence par l’exigence »), mi-tragique (« lutter contre les inégalités de destin ») et globalement incompréhensible (« les compétences psychosociales ») du « Choc des savoirs » s’est heurté à la torgnole d’une institutrice de l’Éducation nationale apparemment assez peu au point sur ses propres compétences psychosociales. Torgnole qui a indigné – à raison – la terre entière. On se serait toutefois passé du ton véhément de ces figures d’habitude si promptes à pontifier sur la femme-en-rupture-de-ban-avec-le-dictat-de-la-maternité mais qui, vu les circonstances, nous ont asséné du « moi qui suis maman de trois enfants » à longueur de plateaux de télévision.

Soyons clairs : dans un pays qui a décidé d’envoyer sa progéniture à l’école dès l’âge de 3 ans, la maternelle est un subtil mélange d’élevage, d’éducation et d’instruction. Dans le bruit et une agitation de basse-cour, entre les colères et les chagrins, les pipis inopinés des uns et les vomis improvisés des autres, les professeurs de la petite école réalisent un grand et noble travail : faire passer de très jeunes enfants du gros gribouillage hallucinatoire, du dessin sans queue ni tête, (presque) invariablement répété d’une feuille sur l’autre, à la petite lettre d’un alphabet commun, maladroitement formée et posée en équilibre précaire sur une ligne imaginaire comme une promesse d’écriture à venir. Contre toute attente, c’est entre le jeu de dînette, les chansonnettes entonnées sans conviction sur un banc, le découpage de papier crépon et le récit décousu d’une journée minuscule que notre civilisation prend forme.

Ce métier, celui de maître d’école, est à l’honneur à la tour Jean-sans-Peur, dans le 2e arrondissement de Paris. Certains ayant parlé, à l’occasion de la raclée de septembre, de pratiques éducatives d’un autre âge et d’un autre temps, « L’école au Moyen Âge » est, par comparaison et sur ce thème de l’instruction, une petite exposition bien intéressante. Encore qu’on puisse se demander si l’époque médiévale est toujours d’un autre âge et d’un autre temps, vu qu’aujourd’hui l’école choisit de plaquer sur cette période de mille ans les obsessions sociétales des dix dernières années. Des exercices de collège, en 2024, proposent ainsi de trouver des métiers dans le Paris du xive siècle qui plaisent (sic) à deux frères et leur sœur (cette dernière « craignant de n’être acceptée nulle part parce qu’elle est une fille »), de chercher « les raisons pour lesquelles on ne connaît pas beaucoup de femmes chevaliers », et de « donner son avis sur la manière de tomber amoureux dans les romans de chevalerie ». On ne change vraiment d’époque que lorsqu’on lit la liste des mots qu’un collégien est censé ignorer et qui nécessitent une explication : le mors d’un cheval, vermeil, se signer, le Credo, en font partie. On serait presque tenté, pour une fois, d’écouter l’éminent médiéviste Patrick Boucheron parler de manuels scolaires « désespérants ». Mais ils ne sont désespérants pour lui que dans la mesure où ils continuent à cultiver l’héroïsme des grands commencements, à parler de cathédrales et de châteaux forts et non de révolte ou de joyeuse profanation.

L’exposition de la tour Jean-sans-Peur n’est pas éblouissante. Rien d’immersif, pas de parcours sonore ou olfactif, pas de reconstitution de l’ambiance d’une salle de classe au xiie siècle. Juste une série de panneaux sur des thèmes liés à l’instruction : « Alphabétisation », « Scolarisation », « Outils pédagogiques », « Maîtres et Élèves », « Établissements scolaires », « Salles de classe », « Programmes scolaires », « Apprendre à écrire, à compter, à chanter », etc. Des premières écoles monastiques à la centaine d’écoles parisiennes du xve siècle, en passant par l’ordonnance de Charlemagne (789), on se fait une idée de ce qu’ont pu être l’instruction et l’apprentissage au fil des siècles. Bien peu d’écoliers maîtrisaient les Arts libéraux (grammaire, logique, rhétorique, arithmétique, géométrie, musique et astronomie). Seul un petit nombre d’entre eux allait à l’université, mais tous acquéraient, à partir de 7 ans, la maîtrise de savoirs devenus indispensables dans une société marchande comme l’était la société féodale médiévale : il fallait pouvoir noter les dettes des clients, vérifier les comptes du domaine ou de la boutique, compter son bétail.

Le maître d’école devait, lui, passer par l’université et y obtenir l’autorisation d’enseigner (la licence). Il était (déjà) peu rémunéré, mais son arrivée était vécue comme une chance par les habitants, qui lui offraient parfois un habit neuf ou des provisions. À part la chaire, les salles de classe étaient peu meublées, les bancs ne faisant leur apparition qu’à la fin du Moyen Âge : les élèves s’asseyaient sur de la paille ou de petits tabourets. Les livres étaient rares, car ils coûtaient cher, l’équivalent d’un troupeau. Quant au papier, il était trop onéreux pour qu’on puisse y former ses premières lettres : on gribouillait sur de l’écorce, des palettes de bois chaulées ou des tablettes cirées. On apprenait à lire dans la Bible, avant que ne viennent s’ajouter, tardivement, les fables et les romans de chevalerie. Les élèves étaient généralement punis à coups de badine de bouleau sur la tête, les mains ou le visage en cas de manquement à la discipline : interdiction de parler, de ricaner, de courir, de se suspendre aux cloches ou de s’enfuir (sauf en cas de peste). À partir du xie siècle toutefois, les éducateurs partisans de la méthode douce interdirent de blesser les enfants jusqu’au sang ou de leur casser un membre. On devait se lever au passage d’un ancien, réciter le psautier et recopier des formules toutes faites – « Je m’appelle untel. Je suis un bon garçon, Dien m’aime » – formules auxquelles s’ajoutaient parfois des réflexions plus personnelles : « Untel et untel sont de méchants garçons. »

Voici, en gros, l’école d’un autre âge et d’un autre temps. On est loin des tableaux blancs interactifs, des tables en U, du collège unique et de la fac pour tous, du bureau du maître à même hauteur que ceux des élèves (à défaut de pouvoir l’installer un peu plus bas encore), des manuels scolaires labellisés et des cours d’empathie. Nous devons pourtant beaucoup à l’école du Moyen Âge. Nous lui devons l’intérêt porté à l’enfant, contrairement à l’Antiquité qui considérait que « la seule justification de l’enfance était de se dépasser et de conduire à l’homme fait », comme l’a montré Henri-Irénée Marrou dans sa magistrale Histoire de l’éducation dans l’Antiquité. Nous lui devons d’avoir donné du prix à la mémoire, en ritualisant le par cœur à travers la récitation à voix haute des psaumes, ce par cœur tant décrié par les humanistes du xvie siècle, mais dont George Steiner aimait à rappeler qu’il était avant tout un apprentissage par le cœur. Nous lui devons encore l’explication de texte au bac de français, héritage des lectures commentées des maîtres carolingiens, cette glose qui passait par les mots et la grammaire du texte pour accéder à son sens général et l’intention de son auteur : « Toi qui fouilles les écrits de Virgile sans les commenter, tu ne rongeras que la seule écorce sans goûter la noix. » (Maître Egbert de Liège cité par l’historien Pierre Riché). À l’heure de la « règle Mbappé », moyen mnémotechnique employé par certains professeurs pour que les élèves de primaire n’oublient pas que le n devient m devant les consonnes m, b et p, à l’heure des poésies laborieusement apprises strophe par strophe sur une dizaine de jours, du passé simple récité sans les deux premières personnes et des QCM de littérature, il n’est peut-être pas inutile de se souvenir du Moyen Âge autrement que comme d’un millénaire obscurantiste plein de moines pérorant férule à la main.

Comme dirait Christine de Pizan (1364-1430) dont la statue dorée ne dit pas grand-chose à grand monde, mais qui fut présentée lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques Paris 2024 comme une star médiévale du féminisme : on n’a bien souvent que les résidus des héritages qui nous reviennent.


À voir

« L’école au Moyen Âge », exposition à la tour Jean-sans-Peur, jusqu’au 5 janvier 2025.

À lire

Henri-Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, 1948.

Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, tome 2

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Pierre Riché, L’Enseignement au Moyen Âge, CNRS éditions, 2016.

L'Enseignement au Moyen Age

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Une girouette nommée Zineb

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Zineb El Rhazoui, Versailles, 18 juillet 2022 © Abd Rabbo-POOL/SIPA

La journaliste franco-marocaine, ancienne de Charlie Hebdo, est passée du statut de lanceuse d’alerte contre l’islamisme à défenseuse des pogroms en Israël. Elle fait l’objet d’une enquête pour «apologie du terrorisme».


Il est parfois lourd de nuages sombres, le vent qui fait tourner la girouette…

Elle se nomme Zineb El Rhazoui. Dieu sait que nous l’avons portée aux nues lorsque, voilà quelques années, elle savait mieux que personne nous mettre en garde, nous l’Occident, contre l’expansionnisme islamiste, ses menées, ses réseaux, ses ruses, ses pièges. Elle parlait. On l’écoutait, on l’admirait pour son courage, on saluait en elle une lucidité qui faisait tellement défaut à notre intelligentsia, à nos élites. Faut-il avouer que la part de séduction n’était pas mince dans l’intérêt qu’elle suscitait ? Un phrasé n’appartenant qu’à elle, identifiable entre tous, rehaussé d’une subtile pointe d’accent d’Orient. Une diction aussi claire que la pensée exprimée. Une dialectique parfaitement maîtrisée, ornée de la juste dose d’érudition, de culture européenne et orientale qui, subtilement, en impose sans jamais écraser. Avec cela, une charmante présence à l’écran. Nous tenions l’oracle à la parole d’or. Je me souviens de commentateurs qui n’hésitaient pas à évoquer une parenté, sur les plans de la témérité, de l’audace, de la clairvoyance, avec notre Jeanne d’Arc…

Curieux personnage

Une Jeanne d’Arc qui aurait fait volte-face et changé de bannière. L’oriflamme que Zineb el Rhazoui brandit haut aujourd’hui semble aujourd’hui être celle de l’islamisme conquérant, de préférence dans ses prolongements terroristes. Découvrant cette mue des plus inattendues, nous sommes tombés de haut. Il est vrai que nous ignorions à peu près tout de ce qu’est vraiment cette femme.

Très opportunément, une enquête du Figaro signée Paul Sugy[1] nous apporte l’éclairage qui nous manquait, tant sur sa personnalité, que sur son parcours et ses véritables convictions.

Étrange personnage. Une diva, en fait, qui aurait trouvé son rôle magistral non dans l’art lyrique mais dans la croisade politique. Une ancienne camarade livre dans l’article ce portait assez surprenant : « Dès qu’elle est arrivée en France elle a débarqué comme une rock star, avec ses grands manteaux et ses lunettes Gucci. Elle avait quelque chose en plus des autres, elle était drôle, cultivée, elle avait une histoire d’amour marrante avec un chef touareg, elle était touchante et libre, elle racontait sans pudeur ses avortements à Charb. Elle était un personnage ! »

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Annus horribilis

Charb, de Charlie Hebdo, bien sûr. Elle y collabore. En diva. Notes de frais à l’avenant, présence aléatoire, colères tonitruantes. Il semble que, pour ces motifs, elle n’y aurait pas fait long feu. Or, survient la tuerie, le massacre des frères Kouachi. Les rafales passées, elle s’insère à la perfection dans le petit cercle des survivants, elle qui se pavanait en vacances au Maroc lors de l’attentat. En France, elle s’y trouve cependant lorsqu’il s’agit de rassembler autour d’elle une petite clique pressée de se gaver de la fortune toute soudaine du journal dont le numéro d’après l’attentat s’est vendu à 8 millions d’exemplaires. Le pactole. Faire de l’argent sur le cadavre de leurs amis n’arrête pas ces gens, Zineb El Rhazoui en particulier.

Le nouveau visage de Zineb El Rhazoui

Suit une période conjugale avec un banquier de chez Rothschild en charge de la « finance islamique ». Installation à Dubaï. Existence sur le mode mille et une nuits. Luxe, calme, volupté. Et bistouri du chirurgien esthétique des stars pour, au passage, s’améliorer la frimousse. Il se peut que les cagnottes en lignes ouvertes pour financer sa sécurité en France, et qui continuent de courir, aient pu aider quelque peu à ces rafistolages dispendieux. À ce moment-là, il semblerait qu’elle se consacre aussi à une passion de toujours, la peinture. Son registre préféré dans ce domaine, nous apprend Paul Sugy, l’autoportrait. On s’en serait douté. Narcissique un jour…

La barbarie terroriste du 7-Octobre perpétrée par le Hamas en Israël l’extirpe de cette forme de somnolence idéologique. Plus exactement, c’est la riposte inévitable d’Israël qui lui fait reprendre l’étendard de la lutte. La lutte pro-islamiste désormais. Israël qu’elle considère être un état colonial et « génocidaire ». Un « Daech qui a réussi », ose-t-elle toute honte bue.

Elle ne condamne évidemment pas les massacres du 7-Octobre qui sont pour elle « un acte de résistance et de désespoir ». Cela lui vaut d’ailleurs, à l’initiative du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau – qui fut jadis l’un de ses plus ardents soutiens – l’ouverture d’une enquête pour « apologie du terrorisme ». Cela au grand dam, on s’en doute, de nos médias d’insalubrité publique qui, on peut le supposer, s’apprêtent à dérouler sous les pieds de la malheureuse victime le tapis rouge qui convient afin qu’elle puisse de nouveau dérouler sa dialectique si bien huilée. L’article en donne un aperçu. N’a-t-elle pas le front de déclarer, en effet, s’efforçant de rejeter toute accusation d’opportunisme ou de trahison : « Je n’ai pas hésité à faire mon devoir en dénonçant le terrorisme islamiste lorsqu’il a frappé notre pays. C’est au nom du même principe que je dénonce la dérive sanguinaire du gouvernement israélien. » Est-il seulement besoin de commenter l’obscénité de cette mise en parallèle ?

Vent mauvais

Girouette : sert à indiquer la direction du vent, écrivais-je en commençant. Il me semble que derrière la volte-face stupéfiante de cette femme, de ce personnage singulier à la psychologie manifestement complexe, erratique, se profile une tendance que je me permettrais de qualifier de lourde. Lourde par sa puissance quasi souterraine, et lourde, pesante, par la décrépitude morale qu’elle traduit.

A ne pas manquer: Causeur #127: 7-Octobre, un jour sans fin

Le revirement de Zineb El Rhazoui s’inscrit dans le vent mauvais qui s’immisce chez nous depuis une année à présent, notamment chez les élites, les gens qui sont au sommet. La riposte d’Israël après la tentative exterminatrice du 7-Octobre n’a pas eu d’effet « libérateur » que chez cette militante, elle a aussi ouvert chez nous, en grand, les vannes aux eaux encore dormantes et toujours fétides d’un antisémitisme mal maquillé en antisionisme. Cela en soi est terrifiant. Révoltant au plus haut point. L’histoire nous a pourtant appris, et pas seulement celle du vingtième siècle, ce sur quoi débouche le flux de ces eaux-là lorsqu’il devient crue. La sauvagerie totalitaire, la dictature obscurantiste, voilà où cela mène inexorablement.

Cette musique antisémite en contrepoint du chant antisioniste on l’entend ces jours-ci dans la bouche des Villepin, des Kouchner et d’autres aussi. Mais le grand et beau ténor, le virtuose en la matière n’est autre – quel chagrin de devoir écrire cela ! – que le président de la République. Notre président de notre République. À l’unisson avec une Zineb El Rhazoui, voilà qu’il va jusque’à imputer à l’Etat d’Israël – démocratie alliée et amie de la France, me semble-t-il – le recours à la barbarie ! Pire encore, il y a ces propos que, comme si souvent avec le personnage il convient de ranger dans la catégorie amusante mais lassante du « j’ai pas dit ce que j’ai dit et on n’a pas à dire pour moi ce que j’ai dit quand je dis que je ne l’ai pas dit. » Ces défenses sont d’une puérilité consternante. Elles sont surtout l’accablante expression d’un intellect à la dérive. Rappelons ces propos : « M. Netanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU. » Comment ne pas entrevoir derrière ces mots une menace ? Menace à peine voilée dont la traduction en clair pourrait être : « M. Netanyahou ne doit pas oublier que ce qu’une décision de l’ONU a fait, une autre décision de l’ONU peut le défaire. »

En réalité, c’est la montée en puissance de ce vent-là, porteur de l’idée d’une disparition à terme de l’État d’Israël, que nous indique la volte-face, finalement moins sidérante qu’il n’y paraît, de Zineb El Rhazoui. Il s’agit de bien autre chose que d’un caprice de diva, d’une foucade de passionaria égarée. Aussi, ne nous faisons aucune illusion. Lorsqu’elle viendra déployer ses talents dans ce registre chez nous, en France, il y aura du monde pour applaudir. Y compris – et peut-être même surtout – du beau monde.

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[1] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/elle-a-vrille-comment-zineb-el-rhazoui-est-passee-d-icone-laique-a-avocate-du-hamas-20241024

Tant qu’il y aura des films

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Benoît Poelvoorde et François Damiens © Laurent Thurin-Nal

Un acteur en majesté, un polar bourguignon gouleyant et une merveilleuse reprise, c’est le tiercé gagnant et francophone d’un mois de cinéma polyphonique comme il se doit.


Art brut

L’Art d’être heureux, de Stefan Liberski

Sortie le 30 octobre

Le film pourrait s’appeler L’Art d’être Benoît Poelvoorde et tiendrait ainsi sa promesse. Il s’intitule plus platement L’Art d’être heureux, mais on ne lui en veut pas car, justement, brille en son centre un acteur-roi, un phénomène d’écran dont chaque apparition relève du funambulisme détraqué : au fil des scénarios et des réalisateurs, ça passe ou ça casse, ça frise le génie pur ou ça s’écrase dans le cabotinage. On dit Poelvoorde « fragile » (euphémisme) en dehors des plateaux, en feignant de croire qu’il est « fort » quand on dit « Action ! » (« Pourquoi faire ? » dixit Depardieu). C’est cette éventuelle faiblesse qui rend son jeu improbable, imprévisible et incroyable. Depuis 1992 et l’iconoclaste C’est arrivé près de chez vous, de Rémy Belvaux et André Bonzel, l’acteur belge alterne les tournages de films d’auteur, de comédies réussies et de pochades sans nom. Sans lui, Podium de Yann Moix ne serait qu’une épure de bonne idée. Il en est de même pour Les Randonneurs et Le Vélo de Ghislain Lambert, tous deux de Philippe Harel, comme des Convoyeurs attendent de Benoît Mariage. Il est lumineux dans Trois cœurs de Benoît Jacquot (après Depardieu, encore un « proscrit », soit dit en passant) autant que dans Normale d’Olivier Babinet. On s’en voudrait d’oublier ce qui est peut-être son meilleur rôle, sa composition la plus dingue, la plus névrotique et donc la plus enthousiasmante, dans le trop méconnu Les Portes de la gloire, réalisé par Christian Merret-Palmair en 2000 : représentant de commerce hallucinant et halluciné, il passe ses soirées à revoir Le Pont de la rivière Kwaï en se prenant pour son héros.

Le réalisateur de L’Art d’être heureux, Stefan Liberski, a manifestement vu ce film en écrivant son scénario et en imaginant le personnage joué par Poelvoorde. On ne risque pas de lui reprocher cette inspiration de haut vol. Son personnage principal, qui se nomme Jean-Yves Machond, est un « peintre mondialement méconnu et globalement malheureux qui décide de changer de vie et d’aller chercher l’inspiration dans une petite ville normande au bord de la mer », précise le synopsis. Machond offre surtout à Poelvoorde l’occasion d’ajouter un nouveau spécimen à sa collection de perdants magnifiques, de ratés flamboyants et d’abrutis géniaux. Une coupe de cheveux indescriptible, une « veste d’artiste » ridicule dans laquelle il flotte littéralement, un esprit de sérieux affligeant : en quelques traits saillants, Poelvoorde tient son personnage du début jusqu’à la fin. Il est lamentable face aux femmes comme face à l’art, la mer ou les emmerdements. Une incapacité constante, admirablement tenue, face à tout et à tout le monde. Et le voilà qui se retrouve en caleçon au bord d’une route, seul, toujours seul, ou bien dans sa maison d’architecte aussi moderne qu’inhabitable parce que, comme lui, sans fondations… Le tout sur fond d’une critique assez réjouissante des impasses de l’art contemporain radical qui ne sait plus distinguer un sexe féminin d’un hérisson. On ira jusqu’à pardonner au réalisateur, qui semble sérieusement croire à son propos sur le bonheur, de faire sombrer son film dans la mièvrerie en inventant une progéniture cachée à son héros. Poelvoorde résiste même à cela, à cet assaut final d’attendrissement niaiseux et téléphoné. Ainsi vont les génies de ce métier : Raimu, Saturnin Fabre, Darry Cowl, de Funès, Jacqueline Maillan, Jean Poiret, Michel Serrault et quelques autres acteurs et comédiens hors norme qui ont en commun une folie pure, un sens inné d’une mécanique qu’on appelle le rire. Mécanique qui, comme chacun le sait, est l’unique réponse possible à l’indépassable mélancolie.


Art noir

Quand vient l’automne, de François Ozon

Sortie le 2 octobre

Bien malin celui qui pourrait définir d’un mot ou même d’une phrase l’univers de François Ozon. Il est à lui tout seul la négation de la notion de cinéma d’auteur. Allez donc trouver le lien entre le flamboyant mélo Sous le sable, avec Cremer et Rampling, et Potiche, le tordant « boulevard » avec Deneuve et Depardieu (décidément)… Son nouveau film, Quand vient l’automne, n’échappe pas à cette « règle ». Cette fois, il nous propose un drame vénéneux en Bourgogne. Vénéneux, oui, parce qu’au centre de cette ténébreuse affaire familiale, on trouve un plat de champignons toxiques. Tout commence donc par un petit repas en famille au cours duquel une fille plutôt revêche se délecte des champignons concoctés par sa retraitée de mère. S’ensuit une histoire dont on se gardera bien de révéler ici les méandres et autres surprises surgies d’un passé sulfureux. Hélène Vincent, Josiane Balasko et Ludivine Sagnier mènent un bal parfaitement réglé.

© FOZ/FRANCE 2 CINEMA/PLAYTIME

Art d’antan

Les Disparus de Saint-Agil de Christian-Jaque

Sortie le 23 octobre

Alain Delon aimait à raconter qu’à l’âge de 14 ans, il avait fugué du domicile familial pour tenter de rejoindre les États-Unis avec son meilleur ami. Ils n’avaient pas dépassé Romorantin. Mais on se dit à l’énoncé d’un tel projet que le petit fugueur s’était peut-être inspiré d’un film vu au Régina, le cinéma paternel de Bourg-la-Reine : Les Disparus de Saint-Agil réalisé par Christian Jaque en 1938. Il aurait été séduit par les trois collégiens de la bande des « Chiche-Capon » (dont l’un est joué par Mouloudji), qui rêvent de partir pour l’Amérique… Avec Erich von Stroheim et Michel Simon à son casting, ce film est une pure merveille qui mêle très habilement film d’enfance et polar sur fond de fausse monnaie. Il s’en dégage un charme irrésistible sur lequel les années passent, donnant une nouvelle preuve que nombre de films de Christian-Jaque doivent être définitivement réhabilités, depuis ces Disparus jusqu’à Un revenant, Fanfan la Tulipe, L’Assassinat du père Noël, Boule de suif et tant d’autres.

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Double peine

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Capture d'écran CNews.

L’agression d’un jeune homosexuel à Pantin par deux Algériens survient dans un contexte géopolitique précis favorisant la montée de l’antisémitisme et le passage à l’acte chez des esprits fragiles ou incultes. Au Parisien, la victime affirme qu’elle ne sait pas si elle restera en France.


Le 8 octobre dernier, à Pantin (93), Noam* était victime d’une triple agression : antisémite, homophobe et une tentative de viol par deux Algériens en situation irrégulière. Les deux agresseurs présumés ont été placés en détention provisoire. « Ce viol, parce que c’est un viol, cela fait partie de ma vie », confie la victime au Parisien. « Être juif et homosexuel en France, c’est la double peine » dit le jeune homme de 22 ans à CNews. Le Parisien relatait sa mésaventure dans son édition de vendredi :

Le 8 octobre, à 20h20, Noam rentre du travail et va au tabac s’acheter des cigarettes, quand il est abordé par deux inconnus qui lui réclament « une clope ». L’un est assez jeune, l’autre, juste un peu plus vieux, semble zoner sur les bords du canal. Les caméras filmeront ces deux hommes, qui n’ont cessé d’importuner les passants. Noam finit par céder et leur tend son paquet. Puis ils le poussent à l’écart. Ils font défiler son compte Instagram et tombent sur le drapeau d’Israël. Les massacres du Hamas ont juste un an. Noam a écrit une story. Puis apparaît un autre symbole aux couleurs arc-en-ciel de la communauté LGBT. À partir de là, les deux hommes partent en vrille, éructent des « sale pédé » et « sale juif ». Toujours sous le choc, Noam affirme qu’il était la « cible parfaite » parce que gay et juif.

Une ligne de téléphone consacrée à l’écoute de plaignants de ce genre d’affaire enregistre une dizaine d’appels par jour. L’histoire de Noam représente un nouveau type d’agression d’après ses avocats : « un schéma d’agression se met en place pour exprimer une volonté de souiller et d’humilier les victimes ».

Comme d’autres Français, mais de façon encore plus fréquente, des élèves juifs subissent du harcèlement et des persécutions à caractère antisémite dans les écoles, des juifs de tous âges sont agressés et violentés dans les rues et les transports en commun.  De plus en plus, ce sont des personnes en situation irrégulière et sous obligation de quitter le territoire qui blessent, violent et tuent. Ces délinquants, partis d’outre Méditerranée pour trouver une terre d’accueil dans un pays plus laxiste envers leurs dérèglements et délits que leur pays d’origine sont les auteurs d’une grande partie des agressions que subissent nos concitoyens et en particulier les juifs depuis le 7 octobre 2023 et la guerre à Gaza.

Qui est responsable de cette situation qui ne fait que s’aggraver ? Bien sûr l’inaction des politiques, voulue ou non, face à l’immigration de masse, contribue de façon significative à augmenter le nombre de populations connues pour leur antisémitisme viscéral, mais c’est aussi dans la population française d’origine, et spécifiquement dans ses élites cultivées que se développe aujourd’hui un antisémitisme qui ne veut pas dire son nom.

Ainsi, Emmanuel Macron, en déclarant que la guerre menée par Israël contre le Hezbollah relève de la barbarie, met de l’huile sur le feu antisémite. Chacun sait désormais le lien qui est fait dans les banlieues entre les événements dramatiques du Proche-Orient et le sort des juifs en France. Cette affirmation du président de la République témoigne d’un contexte géopolitique général qui attribue à Israël la seule responsabilité du désastre actuel à Gaza et au Liban.

En France, l’antisémitisme qui se taisait dans notre pays depuis 1945 a repris vigueur par la grâce d’un antisionisme rabique qui n’est pas uniquement le fait de la France insoumise. La diabolisation des Israéliens et de leur Premier ministre par une partie de l’opinion publique, celle qui a été éduquée dans les universités de la République, désormais envahies par une pensée wokiste aux idées courtes mais à la haine solide, donne de la nourriture intellectuelle à des personnalités incultes et possiblement fragiles qui passent aujourd’hui quotidiennement à l’acte.

Les juifs désormais sont sur le départ pour la première fois depuis longtemps. Chassés des pays arabes à la naissance de l’État juif dont l’existence est non seulement menacée mais refusée depuis toujours, les juifs sentent que leur présence en Occident est remise en question. Alors qu’Israël représentait pour les sionistes le pays qui permettrait aux juifs de ne pas dépendre du bon vouloir et des caprices sanglants de leurs maîtres, les bons esprits d’Occident, manipulés par les mensonges de la propagande islamiste, se permettent ouvertement de douter de la légitimité des actions de défense de l’Etat des juifs.

* Le jeune homme témoigne sous pseudos dans différents médias

Albert Speer, architecte de Hitler et mémorialiste caméléon

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Jean-Noël Orengo publie « Vous êtes l’amour malheureux du Führer » (Grasset, 2024) © BALKAR/FREGE MARC/SIPA

Dans son nouveau livre au titre prometteur, Vous êtes l’amour malheureux du Führer, Jean-Noël Orengo revient sur le cas fascinant d’Albert Speer, l’architecte de Hitler.


Albert Speer durant le procès de Nuremberg, en 1946. DR.

Beaucoup de lecteurs ont lu les Mémoires de Speer, commencés en prison et publiés à la fin des années soixante. Un gros ouvrage, à vrai dire passionnant (je l’ai lu lorsque j’étais lycéen), qui devint immédiatement un best-seller, avant d’être l’objet de vives controverses de la part des historiens.

Speer avait en effet tendance à se trouver beaucoup trop de circonstances atténuantes, afin de se réhabiliter lui-même dans le monde de l’après-guerre et de se présenter comme… un honnête homme embarqué dans une aventure qui l’aurait dépassé !

La voix de la conscience

Le roman de Jean-Noël Orengo reprend les éléments du dossier, les hiérarchise, pour essayer d’y voir plus clair. Il ne se contente pas d’aborder les principaux aspects de la vie de Speer qui fâchent, en les replaçant dans leur contexte historique. Il va plus loin, il fait s’exprimer, tout du long, la conscience intime du dignitaire nazi, grâce à une sorte d’oralité intérieure que permet le roman, et qui fait affleurer toute la subjectivité maladive de Speer. Pour ce faire, il emploie de manière très pertinente le style indirect libre, plaçant ainsi la voix de Speer au premier plan, de manière à créer un effet de vérité qui démontre la duplicité de l’architecte dans sa tentative de jugement sur lui-même.

Se disculper de la Shoah

Le chapitre sur le génocide des Juifs est, à cet égard, particulièrement caractéristique. Speer a essayé de faire croire qu’il ne savait rien de la Shoah, et que d’ailleurs il n’était pas antisémite. Il ne serait donc pas tombé dans une telle ignominie, que son éducation privilégiée lui aurait épargnée. Orengo déconstruit progressivement une telle assertion. D’abord, il note : « L’architecte écoute. Il n’éprouve rien pour ou contre les Juifs. » Il faut cependant être plus précis, si possible, et cela donne : « si le guide [c’est-à-dire le Führer] est à ce point obsédé par les Juifs, il doit avoir ses raisons […] même si ça devient lassant et gênant pour lui, l’architecte, d’écouter ses brusques harangues vulgaires sorties de nulle part à l’égard des Juifs ». La prose d’Orengo rend bien compte de cette hypocrisie d’un Speer qui ne veut pas se salir les mains, et cherche à se dédouaner, en dépit de l’évidence. À Nuremberg, lors de son procès, le ministre de l’Armement de Hitler plaidera « non coupable à titre individuel, coupable à titre collectif », une ambivalence qui rend très bien compte de sa manière de se disculper : « Il est très doué pour l’autocritique, note Orengo, et donner l’impression de siéger avec ses juges devant lui-même, et se condamner jusqu’à un certain point. »

Une déclaration d’amour au Führer

Sa relation avec Hitler, elle aussi, du moins telle qu’il la relate dans son livre, est ambivalente. Speer doit sa carrière fulgurante au seul Hitler. Il ne peut cependant pas s’empêcher de le mépriser, tout en reconnaissant qu’il est fasciné par le personnage.

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« Il est envoûté, écrit Orengo, c’est le mot qu’il utilisera toujours, quand on le pressera de s’expliquer sur sa relation avec le guide. Il leur répondra toujours par une question : qui n’aurait pas été envoûté ? Qui ne l’était pas ? » Speer a partagé la passion de Hitler pour l’architecture. Les projets des deux hommes pour Berlin, décrits avec force détails par Orengo, paraissent stupéfiants, et même démentiels. Speer, en tant qu’homme de confiance, concevait également les grandes parades. Il eut l’idée d’organiser un défilé de nuit. « L’effet dépasse toutes les attentes », indique Orengo, qui ajoute : « C’est la mise en scène du cosmos et de la météo sous les auspices du guide discourant de la grandeur retrouvée de l’Allemagne. » C’est, nous dit Orengo, « une déclaration d’amour au Führer ».

Imposture contemporaine

Dans la dernière partie de son livre, Jean-Noël Orengo revient sur ce qui l’a lui-même intéressé dans le cas de Speer et de ses Mémoires, et qui lui semble très actuel. Il qualifie Au cœur du IIIe Reich de « fiction décisive », c’est-à-dire d’imposture. C’est un livre qui ment. « Dès lors, écrit Jean-Noël Orengo, j’ai distingué en Speer un phénomène plus vaste et très contemporain que nous vivons tous les jours en ouvrant les journaux et les réseaux sociaux. Fake news, complots, interprétations de faits, guerre de récits, sublimation du pire, apitoiement sur soi-même, glamour de la colère, déstabilisation du sens… »

Aujourd’hui, il n’est plus possible de douter de cette habile imposture, même si Au cœur du troisième Reich reste un livre extraordinaire qu’on peut relire, mais avec de grandes précautions. Comme nous le confirme encore une fois Orengo, Speer a pris une part active au nazisme, impossible de le nier, y compris dans le déroulement de la Shoah : « Il savait pour l’extermination des Juifs d’Europe, écrit l’auteur. Il y avait même participé en tant que ministre de l’Armement. » Si le Reich avait survécu, Speer aurait probablement pu succéder à Hitler. On voit ainsi l’exploit phénoménal qui a été le sien de se refaire une virginité, après le cataclysme provoqué par la guerre. Et justement, Jean-Noël Orengo contribue à nous détromper sur Albert Speer et à nous éclairer sur son véritable rôle. Son excellent livre a donc un grand mérite à mes yeux.

Jean-Noël Orengo, « Vous êtes l’amour malheureux du Führer ». Éd. Grasset. 272 pages

« Vous êtes l'amour malheureux du Führer »: Roman

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Albert Speer, Au cœur du troisième Reich. Traduit de l’allemand par Michel Brottier. Éd. Fayard, 1971. Disponible aujourd’hui chez cet éditeur au format poche dans la collection « Pluriel ».

Au coeur du Troisième Reich

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Trois très bons livres sinon rien !

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Eminent critique littéraire, notre chroniqueur s’enthousiasme pour trois romans de la « rentrée littéraire » qu’il a particulièrement aimés, en lecteur perspicace qu’il est.


Patrice Jean, La Vie des spectres : vous reprendrez bien un de nausée ?

Imaginez que Corentin, l’anti-héros de La Nausée, se mette en tête d’écrire un livre drôle — et vous aurez en main La Vie des spectres, le dernier roman de Patrice Jean, que Causeur a salué dès sa sortie fin août sous la plume de Thomas Desmond. Le narrateur, Jean Dulac, y est la proie d’une crise inexistentielle : son épouse le rembarre à la première occasion avec des arguments tirés des œuvres croisées de Caroline De Haas et de Judith Butler, son fils, en première, tempête dans une langue « jeune » contre les œuvres qu’on leur fait étudier au lycée — rien que des White Dead Males : « De toute façon, assène ce charmant bambin, je veux faire Maths Sup ou Sciences Po, alors je m’en fous du bac de français ». Encore un qui doit se satisfaire de la suppression récente de l’épreuve de langue française au concours commun de 18 écoles d’ingénieurs, jugée « anxiogène ». C’est sûr que demander (en QCM) si l’adjectif s’accorde ou non avec le nom crée une pression intolérable sur des cervelles soigneusement évidées par les pédagogies de la bienveillance.

Ajoutez à ces tracas domestiques le fait que les habitants de sa ville — Nantes — lui paraissent autant d’ectoplasmes appartenant à une forme de vie majoritaire et déprimante, et que les « personnalités » que son rédac-chef l’envoie interviewer sont des monuments de prétention (j’ai cru reconnaître Bégaudeau, ce degré zéro qui vous donne l’échelle de ces grandes inintelligences), et vous aurez le tableau complet d’une déprime lente. Heureusement qu’il s’entretient, de ci de là, avec un vieux copain mort depuis vingt ans — tôt réclamé par la Grande Faucheuse, et qu’il écrit un livre à jamais inachevé intitulé — ça va de soi — Les Fantômes.

La nouvelle prof de Lettres de l’heureux bambin — scotché dès qu’il est chez lui à sa console de jeux, occupant ses soirées à chasser les Dragons et les Amphibiens de Monster Hunter — finira virée par l’administration, parce qu’elle a refusé de jouer dans un clip tourné par une racaille qui a toute la sollicitude du proviseur et de l’Inspecteur. Jean Dulac la trouvait mignonne et passionnante — mais il ne couchera pas avec elle, il a d’ailleurs une sexualité quelque peu en berne — extension du domaine du syndrome houellebecquien.

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Le vrai sujet de ce roman (très drôle), c’est le couple lecture / écriture. Du côté des spectres, on méprise ces objets hostiles, conçus avec du papier et des mots, qu’on appelle des livres : « Laisse-le jouer, dit l’épouse en voie de libération, c’est de son âge, il a bien le temps de s’intéresser à Balzac ou à Schubert. Et puis, lire n’a jamais rendu qui que ce soit plus généreux ». Et l’époux-narrateur de philosopher : « J’aurais pu la contredire, en rappelant qu’un esprit privé de livres finit par s’étioler aussi sûrement qu’une plante meurt de n’être pas régulièrement arrosée, mais à quoi bon ? L’époque est plus forte que moi. Lire exige un effort que beaucoup entendent éviter. » L’époque est effectivement en reddition totale : « J’avais écrit un article qui développait cette idée, mais Le Progrès m’a répondu que ces considérations déclinistes n’avaient pas leur place dans le journal. « Essaie au Figaro ou à Minute ! » .
J’ai maintes fois expliqué que nous vivons un moment orwellien, où tout s’est inversé, comme les sentences de la sagesse de Big Brother (« L’ignorance, c’est la force »). La gauche est antisémite, la capacité d’analyse s’est réfugiée au Figaro ou chez Causeur — l’un et l’autre des suppôts supposés de la pensée fasciste et des considérations inactuelles. La presse bien-pensante, elle, meuble ses colonnes avec des articles d’actualité — entendons par là tout ce qui nie l’histoire, le temps et l’intelligence.

À la fin du livre, Dulac précise ce qu’il faut entendre par lecture :
« L’unique moyen, pensai-je, de débiliter le triomphe des stéréotypes n’était pas la lecture en soi, mais la lecture, attentive et passionnée, des œuvres refusant de flatter l’espèce humaine. »

(C’est ce qui rend de plus en plus difficile la vraie pratique de l’explication de texte, en classe. Demandez à trente ados endormis ce qu’ils pensent d’une scène de Marivaux, eh bien, ils n’en pensent rien, parce que pour eux la lecture ânonnée du texte épuise sa signification. L’idée qu’il puisse y avoir, dans le langage, des mots sous les mots, des intentions secondes, des effets camouflés et d’autant plus efficaces, leur échappe complètement. Ils vivent dans l’immédiateté de la consommation, et mourront de même.)

C’est un très beau livre, merveilleusement déprimant. Après L’Homme surnuméraire, où le héros (?) était payé à supprimer des œuvres littéraires tout ce qui peut choquer tel ou tel segment de la population (ramenant ainsi le Voyage au bout de la nuit à 26 pages), La Vie des spectres rajoute une couche de décapant sur notre fin de civilisation, toute gonflée de son importance comme la grenouille de la fable. De quoi vous donner envie de vous balader avec une dague à dégonfler les baudruches.

Arturo Pérez-Reverte, l’Italien : mais oui, il y eut des héros italiens pendant la Seconde Guerre mondiale !

Il traîne sur les Italiens une rumeur de paresse, de farniente et de trouillardise que le souvenir lointain de l’Empire romain ne parvient pas à dissiper. Des guerriers d’opérette, disent nos militaires, si persuadés d’être les meilleurs, au Mali et ailleurs.

Arturo Pérez-Reverte, qu’on ne présente plus, s’est amusé, en Espagnol impartial qu’il est, à retracer les hauts faits d’arme de la Xème Flotte MAS, une unité de scaphandriers qui causa bien des tourments à la flotte britannique, à Alexandrie (en 1941) et ailleurs.
Par exemple à Algésiras : les Anglais mouillaient à Gibraltar, juste de l’autre côté de la baie. Les Italiens se mettaient à l’eau de nuit, chevauchant des torpilles à hélice, avec lesquelles ils franchissaient les barrages de filets d’acier, affrontaient les grenades régulièrement envoyées par les marins britanniques pour secouer les téméraires qui se risqueraient dans leurs eaux, et poser des mines sur le flanc des vaisseaux de guerre stationnés là. Dans le noir, après une heure et demie de traversée, sans garantie de pouvoir rentrer. En tout, la Xème flotte MAS a coulé une vingtaine de vaisseaux anglais.

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Pérez-Reverte est au sommet de son art — et c’est beau de voir un romancier utiliser tous les modes de récit, passer du présent au passé, entrer lui-même dans son récit, redevenir grand reporter (il l’a été pendant vingt ans sur tous les terrains d’opérations, il s’y connaît assez en héros et en demi-pointures), mêler une belle histoire d’amour à un récit guerrier, et face à ces scaphandriers audacieux construire un portrait de femme (espagnole, celle-là) d’une grande finesse. Une héroïne aussi, dans son genre — le genre qui ne parle pas sous la torture.

C’est un épisode fort peu connu de la Seconde Guerre mondiale. Peu de bons, peu de vrais méchants — en un mot, des hommes.

Abel Quentin, Cabane — ou l’éradication de l’homme par l’homme

Cabane est la narration la plus exacte que j’aie lue à ce jour des 50 dernières années, depuis les utopies grinçantes des années 1970 aux délires new age des années 2000. Abel Quentin (j’avais parlé ici de son remarquable roman, Le Voyant d’Etampes) est un chroniqueur des temps de déconfiture. Hier la culture woke, ici les délires écolos.
Encore que délire ne soit pas le terme exact. Le roman met en scène quatre scientifiques de très haut vol, qui en 1973 pondent un rapport sur l’état du monde et la projection prospective sur le siècle à venir : à les en croire (et pourquoi ne pas les croire ?), c’est foutu dans tous les sens, sauf si l’on impose à la population mondiale une cure radicale d’austérité et de décroissance, couplée avec une politique malthusienne qui classerait Alexis Carrel dans le quarteron des optimistes béats.

Immense succès immédiat de ce « rapport 21 » — mais aussitôt les grincheux — ceux qui croient que le Marché rééquilibrera toujours les excès — se mobilisent pour tirer à boulets rouges sur ces hurluberlus soupçonnés d’être trop intelligents.

Quentin joue avec virtuosité sur le registre de la science-fiction catastrophiste : il ne cite pas pour rien Soleil vert, le film de Richard Fleischer (1973 aussi !) inspiré d’un roman paru en 1966, où, rappelez-vous, on soignait la surpopulation en transformant les morts — décédés par euthanasie de masse — en biscuits protéinés à l’usage des survivants.

Nos quatre chercheurs ne restent pas longtemps unis. L’un se vend au Capital et aux compagnies pétrolières, deux autres élèvent des cochons bio dans une ferme de l’Utah — ça ne leur portera pas bonheur, croyez-moi, vous regarderez désormais votre saucisson pur porc avec méfiance —, et le dernier… mais à propos, où diable est-il caché, le dernier ?

C’est là que le titre du roman peu à peu s’éclaircit, tandis que l’atmosphère s’enténèbre.

C’est impitoyable — comme le sont tous les grands récits scientifiques. Ça ressemble aux œuvres de maturité de Jules Verne, à partir de 1886, quand l’écrivain heureux du Voyage au centre de la Terre et de De la Terre à la Lune laisse place au romancier grinçant de Robur le conquérant puis Maître du monde ou de Sans dessus dessous — les romans que l’on ne fait pas lire aux enfants.
Et certes, Cabane n’est pas à mettre entre les mains de nos écolos enfantins et / ou infantiles. C’est écrit avec une suavité qui témoigne d’une extrême maîtrise (ou d’un grand travail), et ça éparpille ce qui restait en nous d’optimisme, de foi en l’homme et de persistance à voter Éric Piolle ou Sandrine Rousseau : après Soleil vert, c’est Midsommar qui vous guette.

Patrice Jean, La Vie des spectres, Le Cherche Midi, 2024, 452 p.

La vie des spectres - rentrée littéraire 2024 - prix Maison Rouge 2024

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Arturo Pérez-Reverte, L’Italien, Gallimard, 2024, 440 p.

L'Italien

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Abel Quentin, Cabane, Les Editions de l’Observatoire, 2024, 480 p.

Cabane - Prix des Libraires de Nancy Le Point 2024

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Causons! Le podcast hebdomadaire de Causeur

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Michel Barnier, Premier ministre, et Bruno Retailleau, ministre de l'Interieur, à Menton, le 18/10/2024

Ceux par qui le scandale arrive: Kerbrat et Boniface; Sexe, cyclisme et immigration; le procès de Roman Polanski. Avec Céline Pina, Martin Pimentel et Jeremy Stubbs.


Andy Kerblat, député LFI, s’est fait interpeller en possession d’une drogue de synthèse, la 3MMC, souvent utilisée par ceux qui pratiquent le « chemsex » (voir Wikipédia). Parmi les effets négatifs de cette substance : la dépression, l’agressivité, la confusion, le délire, les hallucinations, sans parler de la verbosité – ce qui fait beaucoup pour un élu de la République. L’homme politique se défend, se prétendant victime des médias d’extrême-droite. Pourtant, l’idée ne lui est pas venue de démissionner. Pascal Boniface, géopolitologue et fondateur de l’IRIS, a traité le maire de Saint-Ouen de « muslim d’apparence » parce qu’il ne donne pas assez de signes de haïr Israël. La liste s’allonge des termes utilisés par la gauche pour disqualifier les personnes appartenant à des minorités qui ne pensent pas exactement comme il faut. L’analyse politique de Céline Pina.

Nicolas Bedos victime d’une punition « exemplaire » dont la sévérité est destinée surtout à mettre en garde tous les beaux gosses hâbleurs… Récupération politique par la gauche de la mort d’un cycliste à Paris… Rencontre entre Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur déterminé à prendre en main la question de l’immigration, et Emmanuel Macron, un président plutôt mou sur cette question jusqu’ici – ou a-t-il finalement changé d’avis? Martin Pimentel passe en revue les actualités de la semaine.

Enfin, Jeremy Stubbs s’est rendu mercredi à la Cour d’appel pour assister à une audience, en l’occurrence celle qui représente la dernière étape dans le procès pour diffamation intenté par l’actrice anglaise, Charlotte Lewis, au réalisateur Roman Polanski. Le réalisateur étant relaxé en première instance le 14 mai, l’actrice a fait appel. La défense a souligné le paradoxe : l’actrice accuse le réalisateur de diffamation parce qu’il a nié les paroles diffamatoires qu’elle a eues à son égard. Le procès est un triste exemple de ce qu’on peut appeler aujourd’hui la « jurisprudence genrée » : la loi médiatique donne un crédit au témoignage des femmes qui est refusé à celui des hommes. Le jugement de la Cour sera rendu le 4 décembre.

Visite d’État d’Emmanuel Macron: vers un tournant stratégique dans les relations franco-marocaines ?

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Le président Macron à Rabat, Maroc, 14 juin 2017 © Alain Jocard/AP/SIPA

Le président Macron sera en visite d’État au Royaume du Maroc à partir de lundi, pour trois jours. Analyse des enjeux diplomatiques


Six ans après sa dernière visite officielle et à la suite d’une période marquée par de vives tensions diplomatiques, Emmanuel Macron se prépare à effectuer une visite d’État au Maroc du 28 au 30 octobre. Ce déplacement intervient après l’échec patent de son « pari algérien » et a pour but de réchauffer et de relancer dialogue et coopération avec Rabat, seul partenaire stable dans une région en pleine mutation. Les discussions avec le roi Mohammed VI s’annoncent substantielles, qu’il s’agisse d’immigration, de sécurité, de coopération industrielle ou de dossiers internationaux brûlants. Cependant, c’est avant tout la méthode que saura adopter ou pas le président de la République qui déterminera si elles marquent un tournant véritablement stratégique pour les deux nations.

Macron a maintenant tout le temps pour travailler sur sa politique diplomatique

La première condition sera de rompre avec l’approche arrogante qui a caractérisé la diplomatie d’Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir en 2017. Son échec politique cinglant sur la scène nationale devrait l’inciter à faire preuve de retenue et d’introspection sur la scène diplomatique. Un exercice d’humilité rendu nécessaire au vu des erreurs accumulées depuis sept ans dans sa politique extérieure : sur l’OTAN, sur la Russie, sur la Chine, en Afrique comme au Moyen-Orient.

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Son « pari algérien » a été l’un des exemples les plus marquants de cette diplomatie pour le moins hasardeuse. Pendant trois ans, le président de la République a espéré, contre l’avis de nombre de diplomates et d’experts, réconcilier la France avec un régime algérien dont la stabilité repose pourtant depuis des décennies sur l’hostilité vis-à-vis de Paris. À travers un geste solennel, son projet était d’effacer les blessures du passé colonial et construire une nouvelle relation – sur le modèle de la réconciliation franco-allemande après la Seconde Guerre mondiale. Mais malgré de nombreux gestes, en particulier dans le champ mémoriel, Alger n’a jamais répondu que par des exigences accrues et des critiques répétées.

Cette illusion a finalement pris fin le 30 juillet dernier, lorsque Emmanuel Macron a franchi un pas décisif en reconnaissant le plan d’autonomie proposé par le Maroc comme la seule base crédible pour une solution politique au Sahara occidental. Ce revirement, tardif mais salutaire, est un signal de lucidité et de pragmatisme, permettant de rétablir des ponts avec Rabat.

La deuxième condition, pour faire de cette visite un succès pérenne, sera de reconnaître le Maroc pour ce qu’il est devenu: une authentique puissance régionale. Le royaume n’est plus simplement ce « bon élève » que la France et l’Europe félicitaient à l’occasion. Dans un Maghreb en crise, où la Tunisie s’enlise dans un autoritarisme latent et où l’Algérie reste figée dans un statu quo dépassé, le Maroc fait figure de seul partenaire stable et fiable. Ce statut doit être reconnu, non seulement par la France mais aussi à l’échelle internationale.

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Enfin, troisième condition, Emmanuel Macron devra arriver à Rabat avec des propositions concrètes et substantielles propres à donner sens et direction à cette alliance renouvelée. Il ne s’agit plus de dicter des conditions mais de traiter de puissance à puissance. Sur la question migratoire, par exemple, un accord profitable aux deux parties sera difficile à obtenir mais pas impossible à atteindre : la France rencontre des difficultés à expulser les migrants en situation irrégulière tandis que le Maroc souhaite plus de visas pour ses citoyens qualifiés. Laissez-passer consulaires (nécessaires à l’exécution des OQTF) contre visas accordés à des profils de jeunes diplômés utiles à l’économie française. La récente reconnaissance du plan marocain sur le Sahara occidental offre un terrain favorable pour ces négociations.

Des annonces majeures attendues

Autre dossier : dans le Sahel, où les menaces pour les deux pays se multiplient, la coopération antiterroriste entre Paris et Rabat, déjà solide, pourrait être intensifiée. Sur le plan industriel enfin, des annonces majeures sont attendues, notamment concernant Airbus, avec le renouvellement de la flotte de Royal Air Maroc (RAM) et l’achat d’hélicoptères de transport militaire H225M Caracal. Si la RAM choisit Airbus plutôt que Boeing, cela constituera un signal fort de son attachement au partenariat avec la France.

La visite d’Emmanuel Macron au Maroc représente une occasion unique de refonder la relation franco-marocaine. Mais pour réussir, il devra s’armer de pragmatisme et d’humilité. La France, fragilisée sur plusieurs fronts géopolitiques, a plus que jamais besoin de partenaires solides. Le Maroc pourrait bien être celui sur lequel Paris pourra compter pour consolider sa position en Méditerranée.

Les députés ne donnent plus le bon exemple!

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Le député LFI Louis Boyard, novembre 2022 © NICOLAS NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Le député d’extrême gauche Andy Kerbrat défraie la chronique. Il a été interpellé le 17 octobre par la police en train d’acheter à un mineur de la 3-MMC (drogue de synthèse), à Paris. Le monde politique se divise sur la question de l’exemplarité. Autre temps, autres mœurs ? Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et la droite nantaise appellent à une démission qui n’interviendra pas.


C’est une facilité que je m’octroie en évoquant « les députés » pour me faire mieux comprendre alors que je songe précisément au député LFI Andy Kerbrat qui a été interpellé en flagrant délit d’achat d’une drogue de synthèse dans le métro parisien. Il a fait état de « problèmes personnels » et a annoncé « un protocole de soins ».

Je relève que la drogue en question est celle dont avait usé Pierre Palmade et qu’apparemment elle n’est pas destinée à apaiser une difficulté d’être mais à amplifier et décupler dans le temps la puissance sexuelle.

Députés devenus ordinaires

Comme ceci a été souligné à l’Heure des pros le 22 octobre sur CNews, notamment par Gilles-William Goldnadel, la transgression de cet élu est d’autant plus répréhensible qu’il avait dénoncé dans le passé le trafic de drogue et alerté sur la multiplication des consommateurs. Contradiction en elle-même très choquante.

Ces éléments n’ont pas empêché le soutien, que je juge honteux (en particulier un tweet indécent de Sandrine Rousseau), de LFI à ce député.

Plus globalement, malgré un émoi conjoncturel vite dissipé, l’indignation n’est pas à la hauteur de ce qu’on aurait pu espérer en démocratie représentative. On a entendu qu’Andy Kerbrat n’était pas le premier député ou sénateur à être tombé dans une telle dérive, comme si cela constituait une excuse ou une justification. On se rappelle que le député Louis Boyard n’avait pas hésité, lui, à avouer dans l’émission de Cyril Hanouna qu’il avait payé ses études en se livrant au trafic de drogue. On a plaidé aussi que l’univers parlementaire avait perdu de sa qualité et de son intégrité et que nous n’avions plus des députés remarquables mais d’une certaine façon ordinaires ; et qu’au fond nous ne devions pas nous en étonner, nous citoyens.

Je ne parviens pas à m’habituer à cette sorte de résignation démocratique. En quelque sorte, dépassés par le pire, on finit par le tolérer, l’accepter, l’administrer. En matière judiciaire par exemple, il y a eu tellement de vols à l’étalage que les parquets ont décidé de ne poursuivre qu’à partir d’un certain montant. Comme nous ne pouvons plus estimer ni a fortiori admirer nos députés, on a réduit nos prétentions et on n’exige plus rien d’eux. L’exemplarité est une exigence qui n’a plus cours.

La décadence, dans les petites comme dans les grandes choses, nous menace ou, pire, nous accable : elle nous est devenue sombrement si familière que nous la percevons comme irrésistible. Ce qui est le début de la fin et d’une irrémédiable défaite.

Le député ne partira pas

Pourtant il n’y a pas d’autre solution pour entraver le délitement moral et républicain que de se dresser contre cet abandon, cette médiocrité qui fait que certains députés eux-mêmes ne sont pas gênés de tomber dans des délits, de n’être plus des modèles, de s’en féliciter même. Le citoyen a une responsabilité dans ce désastre démocratique s’il se contente, le temps volatil d’une information, d’en prendre acte et de considérer l’attitude d’un Andy Kerbrat comme une manifestation normale de cet adage « autre temps, autres mœurs », telle une inévitable plongée dans le pire.

D’autant plus qu’il y a un insupportable hiatus entre la prise de conscience de l’extrême danger social et civilisationnel du narcotrafic et des attitudes singulières d’élus, qui en effet, au moins indirectement, ont « du sang sur les mains ».

Dans un monde qui s’accepte imparfait et fuit la rectitude comme la peste puisqu’elle est tension, souffrance, dépassement de soi et volonté d’exemplarité, ce député ne démissionnera pas. On entendra cette antienne que ce sera à l’électeur de décider. Ce serait du citoyen que son sort devrait dépendre. Pourtant on l’oublie quand on se comporte mal.

Andy Kerbrat qui a perdu sa légitimité – l’élection n’est rien sans l’éthique qui doit s’accorder avec elle – ne jettera pas l’éponge. Le ministre de l’Intérieur lui a demandé « de tirer les conséquences de ses actes car un député a un devoir d’exemplarité ».

Le député trop soutenu demeurera évidemment là où il est.