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La friche bouge

Après la poussée du RN constatée dans les urnes le 30 juin, les résistants de bac à sable vont évidemment s’en donner à cœur joie durant l’entre-deux-tours…


Après la Bérézina des Européennes, le 30 juin, c’est Blücher. Pris en sandwich entre le Mamelouk Mélenchon et Kaiser Bardella, l’Empereur Emmanuel n’a plus beaucoup d’atouts. Pendant La Semaine sainte de l’entre-deux tours, les cloches déballent. Valérie Hayer a filé comme un bas, à Bruxelles, Gérald Darmanin déserte, François Bayrou se prend pour Louis XVIII, Gabriel Attal montre le bout de son Ney. Le Président ne peut se résoudre au vol noir des corbeaux sur nos plaines, aux cris sourds du pays qu’on enchaîne. Stratège émérite, lutteur infatigable, sur les ondes, sur la plage, au Touquet, à Zuydcoote, Dunkerque, Brégançon, dans le sang, les larmes, la sueur, la peur, il se débat.

La bataille de France

El Destishadok, ténébreux, veuf, inconsolé, prince d’Aquitaine, au détour de deux tours, abolit. Son assemblée est morte, son Attal consterné porte le Soleil noir de la Mélancolie. On ne fait pas d’Hamlet sans casser d’œufs. « Suis-je Brutus, Pyrrhus ? Jupiter ou Pignon ? L’affront est rouge encor au tréfonds de moi-même. J’ai échoué dans la grotte où sombre mon système… ». La ligne Imagine.haut du Grand Quartier Général Renaissance est enfoncée, l’armée du Centre cède à Sedan, La Route des Flandres coupée à Hénin-Beaumont. Les loups sont entrés dans Thoiry. Jonathan Guderian fonce vers Matignon.

Jupiter peaufine un appel du 8 juillet : « Des gouvernants de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant l’honneur, livrant le pays à la servitude. J’ai dégoupillé la grenade de la dissolution pour clarifier. L’espérance doit-elle disparaître ? Non ! Foudroyés aujourd’hui par la force électorale, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force supérieure. Moi, Président Macron, j’invite les CEO, les start-ups, les traders, les Français, qui se trouvent à Luxembourg, New York, Genève, La Défense, avec ou sans états d’armes, à se mettre en rapport avec moi. Quoi qu’il arrive, la phrase de la résistance française ne doit pas s’éteindre. Demain, comme aujourd’hui, comme hier, avant-hier et après-demain, je parlerai ». Dominique de Villepin, Alain Minc, Nagui et McKinsey ont relu le draft. Brigitte est inquiète… Le silence de la mère.

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L’exode a commencé. La Traversée de Paris est compliquée. Anne Hidalgo et Amélie Oudéa-Castéra ont coupé les grands axes, les ponts sur la Seine pour retarder l’ennemi. D’interminables files de Tesla, SUV hybrides quittent la rue Poliveau, la plaine Monceau, la place des Victoires, direction l’autoroute du Sud, Avignon, Saint-Trop, Collioure, la frontière espagnole. Les batteries tiendront-elles jusqu’à Teruel ? Pedro Sánchez a promis des avions, les brigades internationales, L’Espoir, Podemos !

Le Nouveau Front Populaire manque de munitions, de stratèges, de discipline. Comment faire de cette Fraternité, un combat ? François Ruffin, Alexis Corbière et Raquel Garrido ont été purgés : Pim-Pam-Poum. Clémentine Autain hésite entre les Bolcheviks et les Mencheviks. « Quand les blés sont sous la grêle ; Fou qui fait le délicat ; Fou qui songe à ses querelles ; Au cœur du commun combat » (Aragon). L’heure est à l’union. À Menton, on ne passe plus. Giorgia Melloni a bloqué le col du Grand-Saint-Bernard. Juliette Binoche veut rejoindre Théus. Les colonnes d’émigrés sont arrêtées Briançon. À Toulon, Cannes, Antibes, ils embarquent, fuient l’oppression, les matraquages, cherchent un refuge en Tunisie, un riad à Essaouira, l’asile dans la bande de Gaza. Rassurant, l’Ocean Viking croiseau large de Porquerolles.

Le dernier hélico présidentiel décollera du toit de l’Élysée le 7 juillet à 20H05 CET, direction Baden-Baden avec un refuelling à Varennes. Le Colonel Benalla (alias Capitaine Cognant) pilote l’exfiltration. Le destin d’En Marche est suspendu au Glock 17 du soldat d’élite. Il a les clés de l’Audi, du Touquet, de Brégançon, le téléphone de Mbappé : il sait tout ! D’un Château l’autre… Dans le Super Puma les places sont chères : Alexis Kohler, Bruno Roger-Petit, Stéphane Bern. Mimi Marchand a une énorme gourmette en or. Gabriel Attal refuse de partir sanssonchow-chow Volta. « Tous des cons Alexandre, sois zen et fort, c’est le patron qui décide ! ».

Paris fait de la résistance 

En Marche est un monde de limbes où la légende d’une fraternité invincible se mêle à l’improvisation. Dans un bunker perché tout en haut d’un ministère, des partisans, soutiens, combattants se font adouber en secret, à l’aube. Il est d’usage dans cette région du Bercy de s’assister en se tenant sur la tombe de sa propre famille. À la fin du cocktail, la nuit qui se retire comme la mer laisse paraître la Première dame, immobile, silencieuse, en petite robe noire.

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Dans la Cartoucherie de Vincennes, Arianne Mnouchkine a planqué des fourches, la mitraille, les grenades. En treillis Smalto, de la terrasse de l’Institut de Monde Arabe, Jack Lang –Sparadrap dans la résistance- électrise le peuple de gauche. Grâce aux mitrailleuses lourdes et réserves de falafels du restaurant Noura, ce nouveau Fort-Alamo peut tenir un siège de trois mois.  Sciences Po, La Sorbonne, les Beaux-Arts, ne lâchent rien : Sous le sable, les pavés ; Faites la Guerre pas l’amour. Guillaume Meurice a réintégré Free France Inter. Dans la clandestinité il remonte le moral des Français : Les carottes sont cuites ; L’hirondelle ne craint pas la traque ; Le cuisinier secoue les nouillesde Netanyahou…

La Province n’est pas en reste. Jean-Yves Le Drian de Pontcallec croit au réduit breton. À Saint-Marcel, Quiberon, La Trinité-sur-mer, au cœur des bastions ennemies, en Méhari Kaki, Kite surf, paddle, la résistance s’organise. Les mistouflets des brigades ZEN (Zado-Ecolo-Nudistes) sont redoutables dans le corps à corps, les bassines et le bocage. À Lyon, la Jeune garde de Raphaël Arnault fédère les fichiers S de la zone Sud. Ce soir, Bardella, les banques et les barbecues, connaîtront le prix du sang et des larmes.

Christiane Taubira poursuit le combat décolonial outre-mer. Avec Lilian Turham, Karim Benzema et Joey Starr, elle rallie Nouméa, après une escale à Mers el-Kébir, Dakar et Cayenne. Sanglé dans son élégante gabardine de cuir noir (modèle déposé Adolfo Ramirez-Pacte germano-soviétique), Jean-Luc d’Arabie aimerait rhamasser la mise. 

Un grand soleil d’été éclaire la colline

Il faut avant le deuxième tour forger les alliances, l’acier de la victoire. Infatigable, emballant, en scooter, François Hollande -alias Bison flûté– laboure le plateau de Millevaches, fédère les réseaux, l’Armée Secrète, le Conseil National de la Réjouissance. Le cap est clair, les ordres claquent : « Le rôle que je m’assigne, c’est de porter un discours de protection et de vigilance… c’est de trouver des solutions ». Dans chaque circonscription NFP, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait, quand il passe. Si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.

Un long cortège d’exaltation, d’ombres, de sans-dents, de figurants, de Passionaria, accompagne les chevaliers de l’espérance. Julie Gayet, Judith Godrèche, Rachida Dati, Anne Hidalgo, Annie Ernaux, toutes ces femmes de Courrège en lunettes noires, rubans en sautoir, ou nues comme les canuts, veillent la Résistance, portent le deuil de la France, tissent le linceul du vieux monde. Après le triomphe du Rassemblement national, après les heures sombres et nauséabondes, les trahisons, l’épuration, les coupes budgétaires, les déficits budgétaires, la justice reviendra sur ses pas triomphants. La Reconquête va commencer.  « El pueblo unido jamás será vencido ! ».

« Bonheur à tous, bonheur à ceux qui vont survivre » (Aragon).

Louis XVIII et les femmes

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Épisode 1 : La génitrice…


Jaloux de son aîné, qu’il détestait, « le roi sans royaume ne faisait rien sans raison, ni sans calcul ». C’est sous ces traits cruels que l’historien Matthieu Mensch décrit le comte de Provence, futur monarque de la Restauration, au seuil de l’ouvrage qu’il consacre aux Femmes de Louis XVIII – c’en est le titre. A Louis XVI, le cadet de la dynastie Bourbon enviait aussi son Autrichienne, dont il pensait que lui-même l’aurait mérité davantage : « la haine de Monsieur envers son infortunée belle-sœur avait fini par devenir de notoriété publique », au point que sur le tard, il cherchera à se dédouaner. Instrumentant la mémoire de la reine martyre, il fera même construire, en 1826, une chapelle expiatoire : « Marie-Antoinette semble correspondre parfaitement à la vision cynique de Louis XVIII, pour qui les femmes n’étaient que des outils politiques ou de simples faire-valoir ». Quel garçon sympathique…

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Par contraste avec son infortunée belle-fille, Marie-Josèphe de Saxe, génitrice des trois frères Berry, Provence et Artois, – soit les futurs Louis XVI, Louis XVIII et Charles X -, constitue à l’ère #MeToo l’archétype rêvé de la femme « invisibilisée » par la domination masculine. Ce « joli laideron », pour reprendre l’expression du duc de Croÿ, son aimable contemporain, se verra idéalisé sous la Restauration par le plus retors de la fratrie royale, soucieux de s’arroger pour lui-même, par la grâce d’une continuité en quelque sorte organique, les vertus supposées de sa mère dont son aîné, avantageusement évincé par le tranchant du couperet, aurait été privé quant à lui absolument. Le pansu mais finaud Louis XVIII se sera durablement ingénié à réécrire l’histoire à son profit : « roi sans épouse, il trouve en la défunte dauphine la première figure féminine hagiographique de la famille royale, dont les mérites ruissellent sur ses héritiers ». Orpheline tour à tour de sa mère, en 1757, puis de son père en 1763, la perte du petit dauphin le duc de Bourgogne, mort en 1765 de tuberculose, sera pour la dévote Marie-Josèphe de Saxe le coup de grâce. Malgré ses nombreuses couches en rafale (quatre princes, sans compter les filles, et trois enfants morts en bas âge), la sainte femme paradoxalement proche du si frivole Louis XV sera, post mortem, la figure centrale d’un dolorisme exploité sans vergogne par son fils préféré.

La semaine prochaine, épisode 2 – Les sœurs

Alors, on lit quoi cet été ?

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Notre chroniqueur a sélectionné des livres qui ne parlent ni de cohabitation, ni de triangulaires. Au menu de cette bibliothèque des plages, du western à papa, du Don Quichotte de la Mancha, du Calder tourangeau, du Schönberg autrichien, du Vitoux des familles, du Mazzella de la chambre d’amour et du Stéphanie des Horts preppy.


Drame à Cape Cod

Stéphanie des Horts est une romancière d’investigation. Un profil rare dans le paysage éditorial français. Son terrain de chasse : les « Happy few » comme on disait dans les années 1980. Elle ne s’intéresse pas au tracas de la ménagère du coin de la rue ; elle fouille, elle observe, elle décrypte, elle lève le voile sur les « grands » de ce monde, têtes couronnées, magnats du pétrole, armateurs billionnaires, tycoons des médias et mannequins ébréchées. Pourquoi aime-t-on se plonger dans les sagas chaudes et désaxées de cette Barbara Cartland pétroleuse aux vrais dons littéraires ? Parce qu’elle a l’œil de l’écrivain, une plume qui accélère, une tendresse pour les enfants gâtés, une attirance pour les romances fracassées et qu’elle s’appuie sur une très riche documentation sans que son lecteur le remarque. C’est en refermant son dernier roman sur la malédiction Kennedy que l’on se rend compte à quel point elle a réussi à trouver une vérité dans cette histoire entre le fils de Kennedy et Carolyn Bessette. Deux « beautiful people » en proie aux cris et aux larmes. Il fallait tout le talent de Stéphanie des Horts pour approcher ces deux-là, trop beaux, trop riches, trop lumineux pour espérer décrocher une minuscule parcelle de bonheur. Un roman qui sent la pop music de Madonna, le style Ivy League de Ralph Lauren et le glamour frelaté d’une fin de siècle aux US. Stéphanie ne serait-elle pas notre Bret Easton Ellis en talons de douze centimètres ?

Caroline et John de Stéphanie des Horts (Albin Michel)

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Boudard au ranch

François Cérésa n’a jamais quitté le terrain de l’enfance. Il suffit de voir sa longue silhouette sur le boulevard Saint-Germain, décomplexée, provocatrice et désenchantée ; beau mec prêt à dégainer sa Winchester si le premier malotru croisé lui parle mal. Cérésa est un bonhomme à l’ancienne, un écrivain des plaines sauvages, franc-tireur littéraire qui déteste notre époque lessivée aux bons sentiments. Cérésa comme tous les gamins des années 1950 n’avait pas l’ambition de vivre comme un « petit » technocrate satisfait ou un politicien tambouilleur. Il voulait canarder, rêver plus haut, bourlinguer et se tenir tête haute. Cérésa aime les causes perdues, le panache plutôt que le déshonneur. Alors, il enfile ses bottes mexicaines, chevauche un Mustang et nous fait l’éloge du western de papa. « Il est nazebroque » écrit-il de ce cinéma à la Gary Cooper, John Wayne, Burt Lancaster, Lee Marvin ou Robert Mitchum. Il sort son colt pour défendre cet espace de liberté qui serait jugé aujourd’hui trop archétypal dans une société qui a peur de son ombre. Cérésa dégaine avec une langue harponneuse, pleine de hargne et de drôlerie. Après l’avoir lu, on a juste envie de se faire une toile.

Total Western de François Cérésa (Séguier)

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Quoi de neuf ? Cervantès !

Don Quichotte, antihéros, fondateur du roman moderne, usurpateur, bambocheur, romantique sarcastique, fou ou illuminé ? Nous avons tous besoin d’une séance de rattrapage, un « reset » sur les idées préconçues ; le chevalier errant dépenaillé est toujours plus ou autre chose. On projette sur lui nos peurs et nos insuccès. Il nous fallait donc un professeur au Collège de France, une sommité, titulaire de la chaire Littératures comparées, pour approcher ce fier hidalgo cabossé. William Marx nous pose une quarantaine de questions sur ce drôle d’animal et il y répond avec un humour britannique, ne dédaignant pas le contrepied et la farce. Il s’interroge sur le corps de Don Quichotte, sur sa naissance, sur son apport à la langue française, sur son féminisme, sur sa rencontre avec Shakespeare et même, audace suprême, cet universitaire ne recule décidément devant aucune pochade (très) érudite sur la possibilité que Don Quichotte prenne le nom de François Pignon. C’est abyssal donc indispensable sur la Costa Brava ou dans une maison de famille du Perche.

Un été avec don Quichotte de William Marx (Équateurs parallèles)

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Mobiles en Touraine

L’été, on baguenaude, on renifle cette campagne française, on communie avec cette province qui fait rire à la capitale. On reprend pied avec son pays. La Touraine, élixir de jouvence, creuset de la langue française, recèle mille merveilles à celui qui veut bien décrocher de ces virtualités accaparantes et oublier l’actualité mortifère. Imaginer Calder est une balade dans cette belle région, nous sommes guidés par une tourangelle, elle est née à Chinon, à la plume délicate, qui ne se hausse pas du col et dont la musique s’infiltre en nous, naturellement, comme le lit d’une rivière. Au départ, nous n’avions aucun intérêt ou désintérêt particulier pour l’œuvre d’Alexandre Calder. Bien que berruyer de naissance, j’ai vu toute mon enfance, son stabile (caliban) dans le hall de la maison de la culture de Bourges, inauguré par Malraux et le Général. Géraldine Jeffroy nous raconte la vie d’un Américain, sculpteur international, qui a vu le jour en Pennsylvanie mais qui va acheter la maison de François Ier à Saché en 1953 et qui y vivra plus de vingt ans.

Imaginer Calder de Géraldine Jeffroy (arléa)

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Et s’il vous reste encore de la place dans votre sac de voyage, il faut absolument emporter Le Satan (Bach ?) de la musique moderne de Gemma Salem publié chez Serge Safran éditeur. Il s’agit du dernier texte inédit écrit par cette écrivaine de haut vol, enfiévrée et percutante, disparue à Vienne en 2020 qui fut une grande spécialiste de Thomas Bernhard. C’est remarquable de concision et de vigueur dramatique sur le compositeur autrichien Schönberg. Ne pas oublier L’Ami de mon père de Frédéric Vitoux qui reparaît en format poche chez Points avec une préface inédite de Frédéric Beigbeder. Roman d’apprentissage sur ce père qui fut emprisonné à Clairvaux à la Libération, déchirant et initiatique, sans graisse, ni pathos, avec une forme d’élégance filial. Et enfin, l’un de mes chouchous, le basque Léon Mazzella qui nous offre un roman Belle perdue aux éditions Cairn, sorte de Dolce Vita Biarrotte aux sentiments juteux et à la construction inventive, j’y ai vu des traces modianesques de Villa Triste.

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À paraître le 19 septembre :

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Napoléon superstar

Depuis que le cinéma existe, les réalisateurs redonnent vie à l’Empereur. Avec ou sans talent, ils déploient des moyens titanesques pour restituer son épopée. L’évènement, ce mois-ci, est la résurrection du chef-d’œuvre d’Abel Gance (1927) : enfin restauré, il est projeté en ciné-concert avec une composition de Simon Cloquet-Lafollye.


Chu dans nos salles obscures au mois de novembre, le Napoléon de Ridley Scott est désormais monté au Ciel, disponible en cabine sur les vols long-courriers d’Air France : l’Empereur, du décollage à l’atterrissage, ou de l’ascension à la chute. Cette apothéose de l’Aigle ne saurait éclipser la daube où, dans le rôle-titre, un Joaquin Phoenix impavide, constipé, vieilli avant l’heure, en pince pour Joséphine/Vanessa Kirby, du siège de Toulon jusqu’au châlit de Sainte-Hélène.

Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon, ne mâche pas ses mots pour ironiser sur ce pataquès : « On peut s’éloigner de la véracité, mais il faut au moins travailler sur la vraisemblance. La grande erreur ? L’ambiance ! Napoléon giflant sa Joséphine en public, ça n’a pas de sens. La seule bataille réussie dans le film, c’est celle des cuisses de poulet qu’ils se lancent à la figure. Il n’y a eu aucun travail pour respecter le comportement – parfaitement connu – des personnages de l’époque. Joséphine de Beauharnais était une grande aristocrate de l’Ancien Régime, d’une distinction absolue. Jamais elle n’aurait écarté les jambes en disant : “Tout ce que vous verrez vous appartient. On ne se mettait pas la main autour du cou. L’Empereur ne marchait pas à quatre pattes devant ses domestiques pour aller trousser sa femme en poussant des cris de cochon. Pardonnez-moi l’expression, mais Joséphine n’était pas une chaude : elle avait été totalement traumatisée par son emprisonnement sous la Terreur – ce qui, probablement, a provoqué sa stérilité»

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Pour la vraisemblance, le contre-exemple existe : Guerre et Paix, film à la réalisation duquel s’est épuisé, de 1962 à 1966, l’acteur et cinéaste soviétique Sergueï Bondartchouk, endossant le rôle principal sous les traits du personnage de Pierre Bezoukhov, double de Tolstoï en quelque sorte. Cette adaptation du roman-fleuve a convoqué quelque 14 000 figurants, conscrits de l’Armée rouge gratuits et corvéables. « Sur les sept batailles décrites dans le roman, seules quatre furent retenues. Dont Austerlitz, Borodino et la retraite de la Grande Armée mais, ajoute Thierry Lentz, qui n’a pas lu le livre en retrouve l’esprit dans ce film fabuleux ! » Sous les auspices de Dino De Laurentiis (lequel avait produit le Guerre et Paix de King Vidor en 1956), Bondartchouk tourne ensuite un Waterloo titanesque – avec Orson Welles campant Louis XVIII et Christopher Plummer Wellington. L’échec du film aux États-Unis, à sa sortie en 1970, a porté un coup fatal au projet d’un Napoléon sous étendard MGM, que méditait Stanley Kubrick depuis 1968.

Si, de Charles Boyer (Marie Walewska) à Patrice Chéreau (Adieu Bonaparte) en passant par Sacha Guitry (Napoléon) dans la peau de Talleyrand, le mythe de l’Empereur a partie liée avec le Septième Art, Abel Gance (1889-1981) incarne la quintessence de cette filiation. C’est lors d’une soirée de gala à l’Opéra Garnier, le 7 avril 1927, qu’a été projeté son muet de près de quatre heures, accompagné d’une musique signée Arthur Honegger, combinant partition originale et pièces du répertoire. Pas moins de vingt-deux versions différentes du film ont été exploitées par la suite, mais l’avènement du parlant, en 1929, a enterré ce chef-d’œuvre. Seul Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque française, en a compris l’importance et a sauvegardé les copies nitrate, espérant reconstruire la « grande version ».

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Mais le temps a désagrégé la saga jusqu’à la décision, en 2015, de planifier, sous l’égide du CNC, la restauration numérique de ce film-archipel. Là encore, Thierry Lentz a été à la manœuvre, apportant, outre son expertise d’historien, une subvention de la Fondation Napoléon. Résultat de ce travail de longue haleine : « Napoléon vu par Abel Gance ». Pour Thierry Lentz, le clou de cette résurrection est le nouvel accompagnement musical, dû au compositeur Simon Cloquet-Lafollye, qui rythme ces presque sept heures de projection : « Sur le plan technique, c’est extraordinaire. Par exemple, la musique dynamise superbement l’interminable bataille de boules de neige du début. L’idée géniale a été d’unifier dans un flux continu ces morceaux puisés dans le répertoire classique. » Autant dire combien sont attendus les deux ciné-concerts (à guichet fermé) des 4 et 5 juillet à La Seine musicale de Boulogne-Billancourt. Le chef Frank Strobel sera au pupitre et, dans la fosse, rien de moins que l’Orchestre national de France, l’Orchestre philharmonique et le Chœur de Radio France, qui déclineront les deux parties (respectivement 3 h 40 et 3 h 25 !) de ce « Napoléon vu par… ».

Un superbe ouvrage collectif abondamment illustré retrace, en parallèle, l’histoire mouvementée de ce film et l’aventure de sa restauration : hommage déclaré à cet autre empereur, Gance, conquérant du cinéma et démiurge de ce faux biopic dont le jeune Bonaparte (Albert Dieudonné), bien plus que l’Aigle en tricorne, campe la figure prométhéenne. Autre figure, séquence mythique, quand Antonin Artaud rejoue la composition de la toile de David La Mort de Marat« Le film déroulera une sorte de chemin de feu », promettait Gance. Comme l’observe Thierry Lentz dans son érudite contribution : « Abel Gance connaissait son Napoléon et sa Révolution sur le bout des doigts. À gauche, on attaqua le cinéaste avec virulence, mettant en face deux idéologies qui s’affrontent encore aujourd’hui. L’œuvre fut suspectée, avant même sa présentation publique, d’être “réactionnaire”. » Voilà, conclut l’historien, qui « ne pèse pas lourd face au chef-d’œuvre justement élevé au rang de monument mondial du cinéma. » On ne saurait mieux dire.


À voir

« Napoléon vu par Abel Gance », ciné-concert symphonique : Orchestre national de France, Orchestre philharmonique de Radio France, Chœur de Radio France, direction Frank Strobel. La Seine musicale, première partie (3 h 40), 4 juillet 18 heures, deuxième partie (3 h 25), 5 juillet 18 heures (complet), laseinemusicale.com. Film programmé ultérieurement au Festival Radio France Occitanie Montpellier, à la Cinémathèque française, sur France Télévision et sur Netflix.


À lire 

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Patacaisses!

71% des magasins français ont beau en être équipés, les caisses automatiques pourraient disparaître plus vite qu’elles ne sont arrivées.


On nous serine depuis longtemps que l’automatisation deviendra la norme dans la vie quotidienne. Modèle révolutionnaire il y a cinq ans, la caisse automatique dans les supermarchés était censée réduire le coût de la main-d’œuvre en remplaçant les salariés, et mettre fin au supplice de la fin des courses : l’attente dans les queues. L’engouement des enseignes pour cette technologie a été tel que, aujourd’hui, la proportion de magasins français ainsi équipés s’élève à 71 % selon une étude de NielsenIQ. Cependant, les caisses automatiques ne semblent plus destinées à grand-remplacer les salariés humains. Car la tendance est déjà en train de s’inverser aux États-Unis et au Royaume-Uni. Si, en 2020, la multinationale de la grande distribution Walmart inaugure des magasins uniquement dotés de caisses automatiques, à l’automne 2023, elles sont poussées vers la sortie. Désormais, Walmart supprime des caisses automatiques, ralliant d’autres grosses chaînes comme Giant Tiger.

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Certains points de vente sont même revenus au format traditionnel, avec seulement des caissiers humains. Ce retour en arrière s’explique en partie par les nuisances économiques engendrées, les vols étant très fréquents. En France aussi, le problème est récurrent. Un agent de sécurité assure à France Télévisions, en mars : « [Certains clients] ne scannent que cinq produits, alors que dans le chariot il y en a au moins 30. On interpelle parfois pour 200, 100 euros. » Par-dessus le marché, les clients se plaignent du manque de contact humain, des bugs des caisses automatiques… Grand champion de l’automatisation, Amazon avait équipé la moitié des magasins physiques de sa chaîne d’épiceries de la technologie « Just Walk Out ». Cette dernière supprime complètement les caisses, remplacées par un système de caméras et de capteurs qui détectent les achats du client et les lui facturent automatiquement à sa sortie. Or, l’entreprise vient d’annoncer l’élimination progressive de ce système qui met en œuvre, non l’IA, mais 1 000 salariés en Inde chargés de suivre ce qui se passe dans chaque magasin.

«Le Comte de Monte-Cristo»: un malheur de plus pour Alexandre Dumas

Notre chroniqueur, fin connaisseur de Dumas sur lequel il a co-écrit un livre, n’en revient visiblement pas d’avoir vu, comme il dit, la bouse à 43 millions d’euros écrite et mise en scène par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, les duettistes qui avaient massacré il y a deux ans Les Trois mousquetaires. Il a manifestement trempé sa souris dans le venin pour écrire le compte-rendu du plus onéreux des ratages du cinéma français, qui n’en est pas avare. Attention, divulgâchage !


Un minimum de vraisemblance ne nuit pas aux œuvres de fiction. Mais ce n’est pas un souci pour Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, qui portés par le crime perpétré en adaptant Les Trois mousquetaires, et persuadés que si l’on peut écrire on sait filmer, ont porté à l’écran, pour la quarantième fois, le chef-d’œuvre de Dumas, afin de le massacrer tranquillement.

Faisons un bilan rapide. Le crawl que pratique Edmond Dantès n’existe pas à cette époque — il ne commencera à être pratiqué que dans les années 1880. Le château d’If n’est pas une île isolée au milieu de la Méditerranée — mais une IA quelconque a gommé les îles du Frioul, qui l’encadrent. Faire citer Edmond (Rostand) à propos d’Edmond (Dantès) est un anachronisme répugnant, Cyrano de Bergerac, c’est 1898. Faire de Danglars (banquier, dans le roman) un trafiquant de bois d’ébène, comme on disait, est aberrant : la traite est interdite en France depuis 1815, un décret de Napoléon a été confirmé par Louis XVIII.

Détails, direz-vous. Mais que Haydée, l’esclave fascinée et fascinante du comte, épouse Albert de Morcerf alors qu’elle est folle amoureuse de son seigneur et maître… Que ledit comte se batte en duel avec Morcerf, qui dans le roman se suicide — lequel duel est tout bonnement emprunté à la version Jean Marais (1954), pas de raisons de se gêner… Que Villefort ait une sœur bonapartiste — dans le roman, c’est son père — livrée à des tenanciers de bordel alors qu’elle appartient à la noblesse… Qu’Andrea Cavalcanti tue Villefort — qui dans le roman devient fou…

Entendons-nous : dans une œuvre aussi foisonnante, on peut être tenté de tailler. Encore faut-il le faire intelligemment. Tout ce qui dans le roman renvoie à l’Histoire est gommé par nos duettistes, persuadés sans doute que le public est aussi ignare qu’eux. Tout ce qui appartient au genre du roman noir (ou roman gothique, comme on disait alors) est évacué.

Quant à Pierre Niney… Pourquoi a-t-il une cicatrice sur la joue gauche, comme James Bond ? Pourquoi est-il tatoué comme un yakuza monochrome ? Edmond Dantès est BEAU — d’où l’utilisation au fil du temps de Robert Donat (1934), Pierre Richard-Willm (le meilleur à ce jour, en 1943), Jean Marais, Louis Jourdan (1961), Richard Chamberlain (1975), Jacques Weber (1979), et même Depardieu fils et père, en 1998 (même si le téléfilm de Josée Dayan est, comme d’habitude, détestable, même si Didier Decoin a fait un beau massacre du matériau fabuleux qu’il avait en main). Des acteurs impeccables et ténébreux, et non des minets mal rasés.

Il n’est pas le seul, malheureusement, à étaler son incompétence et son invraisemblance. Choisir Anaïs Demoustier (bientôt la quarantaine) pour jouer la toute jeune Mercédès est sidérant : du coup, quinze ans plus tard, elle n’a pas changé, excepté son début de lordose. Laurent Lafitte fait le boulot, Anamaria Vartolomei est un boudin roumain, Julie de Bona, à 44 ans, peine à jouer les jeunes filles enceintes. Manque-t-il à ce point de jolies actrices en France ? Rendez-nous l’Adjani de l’Ecole des femmes, en 1973

Tout n’est pas nul. Une ou deux fois, il y a des plans de cinéma — le reste est filmé pour passer à la télé entre deux incursions dans le frigo. Décors, costumes et accessoires (ah, ce plan sur une magnifique montre Bréguet !) sont parfaits, si l’on avait éliminé les personnages le film aurait eu de la gueule.

Dans le dernier quart du film, soudain, pendant 10 minutes, ça s’améliore. C’est que lassés de massacrer l’un des plus grands romans français, les réalisateurs soudain ont décidé de suivre (dans la scène de confrontation de Dantès et de Mercédès) le texte de Dumas, homme de théâtre qui savait trousser un dialogue. Puis, patatras, ils se reprennent de cette faiblesse, et anéantissent la fin du roman — où Dantès part avec Haydée. Dumas était sensible à l’attrait des jeunes femmes, et même des jeunes filles : en 1860, à 58 ans, il part livrer des armes à Garibaldi, qui fait la révolution en Sicile, à bord d’une felouque dont le tout jeune mousse (tout juste 20 ans) est sa maîtresse, Amélie ou Emélie — qui accouchera peu après l’arrivée d’une petite fille dont Garibaldi sera le parrain. Qu’en dirait Judith Godrèche, si elle avait assez de culture pour connaître ce détail ?

Ne perdez pas votre temps — ou alors, profitez de la semaine de Fête du cinéma : pour 5€, vous bénéficierez, dans une salle climatisée, de conditions optimales de sieste. Et en sortant, vous pourrez toujours lire ou relire le roman, dans une édition convenable — en Folio par exemple.

Jean-Paul Brighelli / Christian Biet / Jean-Luc Rispail, Alexandre Dumas ou les aventures d’un romancier, Découvertes / Gallimard, 1986, 128 p., sur tous les sites de soldes.

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Palestiniens au Liban: et s’il était plutôt là, votre “apartheid”?

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Les réfugiés palestiniens sont depuis des années une population honteusement marginalisée au Liban, sans que cela émeuve grand monde dans les pays arabes ou dans une opinion internationale trop occupée à taper sur Israël.


Ces derniers temps, on a vu Amnesty International accuser Israël d’être un État « apartheid ». Étrange accusation. En réalité, à l’exception de la Jordanie, qui, depuis 1949, a donné aux Palestiniens vivant sur son sol, le droit à la nationalité et souvent au travail, ce sont les États arabes qui, depuis 1949, pratiquent une politique d’apartheid vis-à-vis des Palestiniens. Prenons l’exemple de la situation de ces derniers dans l’un des États arabes les moins autoritaires, le Liban. Que constatons-nous, déjà à l’époque de l’« âge d’or » de la « Suisse du Moyen-Orient », donc bien avant la guerre civile et la faillite de l’État ?

Que, afin de provoquer l’exil d’un maximum de Palestiniens, les gouvernements libanais successifs ont promulgué une série de lois liberticides qui empoisonnent la vie des réfugiés. Parmi celles-ci, l’impossibilité, une fois sortis du Liban, d’y retourner, à moins d’obtenir un visa de retour[1], chose que l’administration libanaise n’octroie pas facilement. Et, pour être sûr que leurs départs soient définitifs, des procédés administratifs, empêchant leurs retours, ont été instaurés. Résultat : en quelques décennies, environ 100 000 Palestiniens, sortis du Liban, s’en sont retrouvés exclus.

Camps insalubres

Afin de saisir la situation de ces réfugiés, voici quelques exemples de mesures prises à l’encontre de ceux-ci. 

Pour commencer, ils ont été regroupés dans des camps, avec interdiction, inscrite dans le préambule de la Constitution libanaise en 1990[2], de « s’implanter » dans le pays de façon définitive. Défense d’accéder à la propriété immobilière, et même d’hériter de biens immobiliers acquis antérieurement par leurs géniteurs, et cela en dépit de l’atteinte à la propriété privée[3] et des problèmes humanitaires que cette restriction pouvait générer.

Interdiction de toute réédification des camps détruits durant la guerre civile libanaise (1975-1990). Certes, de nouveaux camps ont été bâtis sous le contrôle de l’UNRWA, cependant l’augmentation de leur nombre n’a pas suivi l’accroissement de celui des habitants[4]. En outre, des camps sont dans un état catastrophique : des réseaux d’eau, de plus en plus insuffisants, voisinent avec des égouts non couverts, provoquant de nombreuses maladies.

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Impossibilité de développer les camps situés à Beyrouth. Pire, il a été ordonné à l’UNRWA d’arrêter tous les projets d’amélioration d’infrastructure de ces camps, y compris la réfection des rues. Résultat : l’énergie électrique y est souvent indisponible, et la quantité d’eau distribuée, insuffisante. Et comme la gestion publique de l’eau entraîne des frais, l’entretien des canalisations a été négligé. Tout ceci ne semble guère tracasser l’UNRWA : au lieu de s’insurger, celle-ci s’est abstenue d’effectuer tout travail de restauration des systèmes de canalisation d’eau, de même que ceux de l’électricité[5].

Empêchement de devenir propriétaires de leurs logements. Bien que ceux-ci soient à la fois exigus et incommodes, l’interdiction de faire entrer dans les camps des matériaux de construction, fait que les réfugiés n’ont pas la possibilité d’en améliorer le confort, voire dans certains cas de les réhabiliter.

Droits élémentaires bafoués

Du point de vue juridique, les droits collectifs des Palestiniens sont bafoués. Non seulement ils sont empêchés d’acquérir la citoyenneté, mais leur identité n’est pas reconnue, ce qui les prive de représentation locale. Refus de toute possibilité de participation aux décisions administratives, y compris celles qui les concernent directement, et aucun droit à l’auto-administration.

La loi libanaise qui permet aux étrangers de constituer des associations, refuse ce droit aux Palestiniens. Défense de constituer des syndicats, ou même de se syndiquer (pour adhérer à un syndicat, il faut être de nationalité libanaise). Inutile de préciser que les Palestiniens ne disposent d’aucun droit de vote, et que, a fortiori, toute constitution de parti politique leur est interdite[6].

C’est peu dire que les Palestiniens ne s’épanouissent pas par le travail : faute de passeport libanais, il ne leur est pas possible de travailler dans le secteur public. Et pour ce qui est du secteur privé, les lois libanaises exigent une autorisation spéciale du ministère du Travail, ce qui n’encourage guère les entreprises à embaucher des Palestiniens. Et quand ceux-ci le sont, c’est généralement à des salaires bien inférieurs à ceux octroyés aux Libanais. Les réfugiés se retrouvent, dès lors, employés comme main-d’œuvre peu ou pas qualifiée. En résumé, les « métiers » que les réfugiés peuvent pratiquer sont la culture de la terre, comme journaliers, la maçonnerie, les travaux mécaniques, et ceux des réparations[7]. Et cela sans qu’ils puissent bénéficier de quelque avantage que ce soit de la part de la Sécurité sociale, encore et toujours parce qu’ils ne sont pas libanais. Conséquences : plus de 60% des Palestiniens ne dépassent pas le seuil de pauvreté défini par l’ONU.

De plus, ces réfugiés sont victimes d’un « véritable désastre sanitaire » (selon l’avocat palestinien Souheil El-Natour) : empêchés d’accéder aux hôpitaux publics, c’est l’UNRWA qui les prend en charge ; cependant, comme le budget de l’agence réservé à l’hospitalisation est dérisoire, les malades doivent participer aux frais à hauteur de 50 à 75% des charges. Cette insuffisance de budget a pour effet la multiplication de maladies.

Concernant la lutte contre les épidémies : estimant que la vaccination des enfants incombe à l’UNRWA et à l’UNICEF, le ministère de la Santé ne délivre aucun médicament. En même temps, une malnutrition généralisée des femmes enceintes et des enfants engendre une mortalité infantile à hauteur 40‰, souvent due, également, aux accouchements prématurés[8].

À part ça, tout va bien au pays du cèdre. La preuve, Amnesty International semble n’avoir pas trouvé grand-chose à redire quant à la situation des réfugiés demeurant sur son territoire.

J’ai choisi de parler de l’apartheid au Liban, plutôt que de m’étendre sur celui qui règne en Syrie, ou en Libye (États sur lesquels plus personne ne se fait d’illusions), parce que cette situation témoigne, d’une part, de l’absence de réelle solidarité des États arabes avec les Palestiniens, et d’autre part de l’insoutenable superficialité des « pro-palestiniens » qui ont toujours et délibérément choisi d’ignorer la misérable réalité de la situation des Palestiniens dans les États arabes, réservant leurs dénonciations uniquement à Israël. À la partialité et l’aveuglement d’Amnesty International, il faut ajouter l’incapacité de l’UNRWA qui, en plus de 70 ans, n’est toujours pas parvenue à sortir les Palestiniens de leur situation de réfugiés dans les pays arabes (hors la Jordanie), ni même à les protéger contre les gouvernements arabes.

Pour en venir à Israël, il est indubitable que les Palestiniens de Cisjordanie vivent dans une condition de colonisés et sont souvent victimes d’attaques et de méfaits de la part des colons, parfois ou souvent avec la complicité de l’armée israélienne. En revanche, cet État, à l’intérieur des frontières de 1967, est une démocratie qui ne pratique nullement l’apartheid : les Palestiniens restés dans le pays après la guerre de 1948-1949, sont devenus israéliens et jouissent donc, dans le pays, des mêmes droits, y compris politiques, et sont soumis aux mêmes devoirs que les Juifs – à l’exception du service militaire, ce dont il ne semble pas qu’ils se soient jamais plaints.

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[1] Arrêté 487 émanant du ministre de l’Intérieur libanais.

[2] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[3] Loi n°296 publiée au Journal officiel n°15 du 5 avril 2001.

[4] 400% selon Souheil El-Natour.

[5] Mahmoud Abbas, « Les réfugiés palestiniens au Liban : problèmes d’habitation », dans Al-Hourriah hebdo, 19 novembre 1996, Beyrouth.

[6] Souheil El-Natour, « Les Palestiniens au Liban : un étranger ». Les quotidiens Al-Quds, Al-Arabi, 12/2/1999, Londres.

[7] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[8] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

Un balcon sur la Loire

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Avec Julien Gracq, un esprit libre, Marianne Bourgeois nous donne envie de relire Julien Gracq. « C’est l’être le plus original, le plus inconvenant, le plus anarchiste que j’aie connu et il menait une vie de petit bourgeois. Il m’a appris à faire la différence entre les faux rebelles et les vrais », a dit de lui son ami Régis Debray.


Disons-le d’emblée, la personnalité de Julien Gracq m’a toujours laissé de marbre. Peut-être parce que j’ai subi l’influence de Philippe Sollers qui n’aimait pas beaucoup la posture de l’écrivain retiré dans la maison familiale de Saint-Florent-le-Vieil (49), sur la Loire, face à l’île Batailleuse et ses peupliers frondeurs. Posture, oui. Sollers le trouvait trop compassé, calculateur. Il avait refusé le Goncourt, affirmait-il, pour Le Rivage des Syrtes (1951), dans l’unique but d’être le seul à l’avoir refusé. Mais il avait accepté d’entrer de son vivant dans la Pléiade. Gracq appréciait Wagner, et pas Mozart. Il détestait le XVIIIe siècle, et Sade l’ennuyait. Que de points de crispation pour Sollers ! Un autre, plus méconnu celui-là. Dominique Rolin, son grand amour, avait été courtisée par l’auteur d’Un beau ténébreux, ce qui avait irrité celui de Portrait du Joueur. Et puis ce pèlerinage qui consistait, pour les jeunes écrivains et les journalistes, à rendre visite à l’ermite de Saint-Florent, pour y recevoir ses confidences sur la littérature, lors d’une promenade à pied ou dans sa vieille 4L, faisait rire Sollers.

Marianne Bourgeois donne envie de relire Gracq

Bref, Gracq, c’était l’eau stagnante symbolisée par une carrière de professeur d’histoire et de géographie, commencée en 1947 au lycée Claude-Bernard à Paris, et achevée en 1970. Pour nuancer cette introduction peu amène, il convient de citer Jean-René Huguenin qui, après une visite à Gracq, note dans son Journal « J’aime sa douceur timide, son effacement, sa mystérieuse douceur. Il a beau rester objectif, égal, appliqué, presque universitaire, il a un charme – c’est-à-dire une présence (comme lorsqu’on sent dans une pièce où l’on est seul une présence derrière soi) bref, un secret. Une vie tranquille, trop tranquille ; pas de femme… Je crois que son secret est simple : il est resté un enfant, c’est un enfant qui se cache. » Rectifions : on lui connaît au moins une femme : Nora Mitrani, romancière surréaliste, d’origine bulgare. Gracq fut durement éprouvé par sa mort en 1961.

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Alors pourquoi suis-je en train d’écrire sur Julien Gracq (1910-2007), nom de plume de Louis Poirier, presque toujours vêtu d’un costume gris, d’une chemise blanche impeccable, cravaté, et coiffé comme un notaire de province ? Parce que j’ai lu l’essai de Marianne Bourgeois, Julien Gracq, un homme libre, paru aux Éditions Les Marnes vertes – un titre gracquien – qui m’a emballé et m’a donné envie de me replonger dans son œuvre, en particulier Au château d’Argol, roman que j’avais découvert lorsque j’étais en internat. Marianne Bourgeois, agrégée de lettres et médecin, sait habilement analyser les écrits de Gracq tout en y mêlant de nombreux fragments biographiques. Elle a le bon goût de commencer par son premier roman publié : Au château d’Argol. Je me souviens encore de cette phrase bataillienne qui ouvre sur un univers où Eros a rendez-vous avec Thanatos : « Ils se dévêtirent parmi les tombes ». Marianne Bourgeois rappelle que cette phrase enchantait Pieyre de Mandiargues, ami fidèle de Gracq. On découvre les ingrédients de l’écrivain, saupoudrés d’un romantisme germanique fougueux. Il y a la mort, la femme mystérieuse et fatale, le paysage maritime, le vent qui dérègle, la présence d’un cimetière, donc, la violence des sentiments, les forces de la nature mêlées à celles de l’inconscient miné par une obscure activité onirique, le sadisme enfin. S’ajoute à cela le traditionnel triangle amoureux ; ici deux hommes, Albert et Herminien, et une femme, Heine. L’essayiste résume, dans un style efficace, l’intrigue : « Au château d’Argol (1938) se réclamait résolument du surréalisme : le mythe du Graal, les forêts bretonnes et leur mystère, l’importance des rêves, l’irruption de l’inconscient et de l’amour fou, tout cela était pour plaire à Breton en même temps que la beauté du verbe. » Elle revient longuement sur l’amitié entre le pape du surréalisme et Gracq auquel ce dernier consacra un essai en 1948. Marianne Bourgeois rappelle également les nombreuses influences de Gracq, grand lecteur, à commencer par celles de Jules Verne et Balzac. Elle signale qu’il fut inscrit au parti communiste de son lycée de Quimper, et qu’il fut secrétaire du syndicat CGT. Mais rapidement, il prôna le désengagement, se tenant même à l’écart du mouvement surréaliste. Prisonnier durant la « drôle de guerre », dont certaines scènes servirent de toile de fond à ses deux romans les plus célèbres, Le rivage des Syrtes (1951) et Un balcon en forêt (1958). Il traversa la guerre dans l’attente de son dénouement. L’attente, thème central de ce roman poétique, au cadre imaginaire et sans date, qui avait mérité le Goncourt. L’amertume de Gracq trouve, semble-t-il, son origine dans l’éreintement que subit sa pièce en quatre actes sur la légende du Graal, Le Roi pêcheur (1948).

Un grand tourmenté

Les critiques furent mordantes pour ne pas dire injustes. Gracq se vengea en publiant La Littérature à l’estomac (1950), un pamphlet revigorant dont voici un court extrait : « La littérature est depuis quelques années victime d’une formidable manœuvre d’intimidation de la part du non-littéraire, et du non-littéraire le plus agressif ». Marianne Bourgeois pense qu’il lui sembla impossible d’accepter le prix Goncourt qui lui fut décerné en 1951.

L’écrivain avait beaucoup d’affection pour sa sœur, de neuf ans son aînée ; il rendit hommage à ses parents, un couple de commerçants, dans Lettrines 2. C’était en 1974. Il n’écrivait plus de romans, seulement des fragments de souvenirs. Le professeur de géographie restait fasciné par les « terrains argileux, sableux, granitiques, balsamiques », les fameuses marnes vertes, nous apprend encore Marianne Bourgeois. Peut-être l’étude de ces roches millénaires apaisait-elle ce grand tourmenté qui ne croyait pas en dieu.

Marianne Bourgeois, Julien Gracq, un esprit libre, Éditions Les Marnes Vertes. 152 pages.

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Isild Le Besco et les risques du métier

Dans un témoignage à fleur de peau, l’actrice dévoile les humiliations et violences qu’elle a subies depuis ses débuts au cinéma. Surprise: le récit met davantage en cause la dérive tyrannique de certaines réalisatrices que les méfaits du patriarcat.


Le mouvement MeToo a beaucoup plus d’allure quand il emprunte la voie littéraire que lorsqu’il s’exprime à travers d’indigents tweets et de consternantes pétitions. Dans un livre qui ne manque pas de finesse, l’actrice-réalisatrice Isild Le Besco raconte comment, dès l’âge de 14 ans, elle a mené la vie sexuelle d’une adulte, dans ses films comme à la ville, et pourquoi elle en a secrètement souffert, jusqu’à ce qu’elle se livre, des années après, à une « libération de la parole », pour reprendre la formule rituelle qui s’impose désormais en pareil cas devenu courant.

Dans Dire vrai, Isild Le Besco est toujours honnête, souvent plaintive, parfois injuste. Mais ses pages les plus intéressantes ne portent pas sur les réalisateurs qui, à l’en croire, se sont mal comportés envers elle par le passé. C’est plutôt quand elle montre de quoi certaines réalisatrices sont également capables qu’elle nous éclaire sur la nature profonde du cinéma, et sur ses risques.

Ainsi donc une offense sexuelle peut se produire dans le milieu du cinéma sans qu’aucun mâle toxique y soit pour quoi que ce soit…

Ne nous attardons donc pas sur ses accusations contre Benoît Jacquot, avec qui elle a eu une liaison pendant près d’une décennie, qui ne font que confirmer ce que l’on savait déjà de l’inclination coupable de ce dernier pour les adolescentes, lui-même l’ayant d’ailleurs reconnu dès 2011 dans un documentaire de Gérard Miller, où il parlait en ces termes de sa relation avec une autre très jeune actrice, Judith Godrèche : « Oui, c’était une transgression. Ne serait-ce qu’au regard de la loi telle qu’elle se dit, on n’a pas le droit en principe, je crois. »

Passons vite aussi sur les récriminations contre Luc Besson, à qui Isild Le Besco reproche d’avoir, en 1997, mal quitté sa sœur, la réalisatrice Maïwenn (laquelle avait épousé le réalisateur à l’âge de 16 ans, ce dont elle ne s’est jamais plainte depuis, bien au contraire). Cette banale histoire de rupture amoureuse sert de prétexte à un portrait peu crédible du cinéaste, dépeint en homme insensible et dédaigneux. Il faut dire que, telle Annie Ernaux au pays des stars, l’auteur croit débusquer rien de moins que du mépris de classe dans le simple regard de son ex-beau-frère ! Certains appelleront cela un don divinatoire. D’autres un procès d’intention.

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Quelques chapitres plus loin, l’auteur lance en revanche dans la mare un pavé autrement éclaboussant. Évoquant ses débuts dans le cinéma, elle relate un de ses premiers tournages, pour un film d’Emmanuelle Bercot. Où l’on découvre une réalisatrice autoritaire, ivre de sa toute-puissance artistique, qui en vient à carrément demander à son acteur principal (étrangement anonymisé dans le livre – « invisibilisé » ou « silencié » diraient les wokes) d’exhiber son pénis, si possible turgescent, devant la caméra. « Il bandait un peu, écrit Isild Le Besco. Pas assez pour Emmanuelle, qui attendait plus et mieux. Hors champ il se morfondait de honte. » Ainsi donc une offense sexuelle peut se produire dans le milieu du cinéma sans qu’aucun mâle toxique y soit pour quoi que ce soit…

Le patriarcat est-il vraiment la cause des violences sexuelles qui, nous dit-on, gangrènent le cinéma ?

Second souvenir, tout aussi confondant : des années plus tard, Isild Le Besco réalise à son tour un film, et y embauche son propre frère, encore adolescent, pour tenir le rôle principal. Vient le jour de la projection. Quelle n’est pas la surprise du jeune homme quand, voyant à l’écran pour la première fois les scènes d’amour dans lesquelles il a joué, il découvre qu’un plan de sexe en érection, raccord avec les images de son corps nu, a été rajouté au montage. Un artifice signé Isild Le Besco, qui voulait sans doute, par ce moyen, s’éviter un dérapage à la Bercot durant les prises de vue. Reste que le procédé suscite le malaise – et à présent les regrets de l’intéressée. On imagine la blessure que celle-ci aurait ressentie si un réalisateur lui avait fait cette mauvaise manière !

La preuve est donc faite à deux reprises dans cet ouvrage qu’une représentante de la gent féminine peut, en conscience, abuser de son pouvoir de cinéaste, introduire de la pornographie dans un film non pornographique, placer un acteur dans une situation sexuellement humiliante. Ces deux « micro-agressions », bien sûr, ne relèvent pas des tribunaux. Elles n’en soulèvent pas moins une question : le patriarcat est-il vraiment la cause des violences sexuelles qui, nous dit-on, gangrènent le cinéma ? Ne s’expliquent-elles pas plutôt par l’essence même de cet art ?

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Les tentations sont nombreuses sur un plateau, où la technique de la caméra permet les spectacles les plus impudiques, en haute définition et en gros plan ; où le fonctionnement nécessairement ultra vertical d’une équipe de tournage place le cinéaste dans une position d’autorité comme peu de métiers l’autorisent ; et où, surtout, le désir, carburant principal de la création, est partout, y compris dans l’esprit des femmes qui filment, y compris dans celui des femmes qui sont filmées.

MeToo partait d’une idée simple : alors qu’on les imaginait vivre une existence de rêve, certaines vedettes de cinéma, riches et célèbres, ont révélé à partir de 2017 qu’il leur était arrivé, « elles aussi », de connaître l’épreuve du viol. De quoi décomplexer d’innombrables victimes « ordinaires » de crimes sexuels, qui n’osaient pas en parler.

Seulement la nouvelle vague de témoignages MeToo n’a pas la même force d’identification. Dans quel autre monde que celui du Septième Art une jeune fille mineure peut-elle gagner des sommes lui permettant de se loger à Paris, de quitter le foyer familial et de devenir la compagne d’un homme mûr avec toutes les apparences sociales de l’émancipation ? Dans quelle autre profession peut-on se retrouver, en application de son contrat de travail, entièrement dénudé devant son employeur ? Le troublant récit d’Isild Le Besco est à ranger au rayon Histoire du cinéma. Pas au rayon Féminisme.

A lire

Isild Le Besco, Dire vrai, Denoël, 2024.

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Vive le Tour!

La 111è édition de la Grande Boucle s’élance de Florence en Italie aujourd’hui, à midi. 176 coureurs sont sur la ligne de départ, et des millions d’amateurs les attendent le long des routes de notre beau pays.


Le Tour de France est une fête. Fête nationale s’il en est. Du fond de son canapé, le vaillant sportif par procuration peut tout à loisir regarder défiler le pays et s’offrir ainsi, sans même remuer un orteil, le grand dépaysement dont il est tellement friand.

Le Tour, il y a d’abord les coureurs, bien entendu, gambettes alertes et vigoureuses, casaques chamarrées, regard fixé sur la ligne bleue des Vosges, la ligne d’arrivée en la circonstance. Le peloton qui passe trop vite dans le chuintement étonnamment mélodieux des mécaniques bien huilées.

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Et puis il y a la fête avant la fête, la caravane publicitaire qui, elle prend son temps. C’est clinquant, tonitruant, pétaradant, toujours identique, toujours différent. Jadis, l’immortelle Yvette Horner, muée elle aussi en « forçat de la route », bouclettes improbables au vent, bouche peinturlurée vampire, surgissait du toit ouvrant du véhicule au moindre attroupement de badauds pour donner à l’accordéon les flonflons des bals popu’ de l’époque. Re-belote le soir à la ville étape. « Forçat de la route », disais-je. Aujourd’hui, il n’y a plus ni bouclettes ni Yvette. Il n’y a plus la plume d’Antoine Blondin pour donner à ces choses vues leurs lettres de noblesse.

Mais il y a ce qui ne change pas. Le quinqua ventripotent qui se prend à cavaler comme un gamin pour récupérer au fossé une casquette à deux balles. Il y a aussi l’autre caravane (le plus souvent métamorphosée désormais en camping-car), la caravane du touriste, du vacancier de juillet, qui, malin, fait bivouac depuis des jours dans tel virolet du Tourmalet pour être à poste le moment venu et s’offrir le défoulement canaille de brailler jusqu’à l’apoplexie. Se voulant étranger à ces rites populaires, le bourgeois regarde avec condescendance, comme il se doit. Qu’importe ! Le bobo aboie, la caravane passe. Vive le Tour! Le Tour et son grand bol d’air. Cette année plus que jamais…

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La friche bouge

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L'actrice Judith Godrèche appelle à faire barrage au Rassemblement national, Paris, 27 juin 2024 © ISA HARSIN/SIPA

Après la poussée du RN constatée dans les urnes le 30 juin, les résistants de bac à sable vont évidemment s’en donner à cœur joie durant l’entre-deux-tours…


Après la Bérézina des Européennes, le 30 juin, c’est Blücher. Pris en sandwich entre le Mamelouk Mélenchon et Kaiser Bardella, l’Empereur Emmanuel n’a plus beaucoup d’atouts. Pendant La Semaine sainte de l’entre-deux tours, les cloches déballent. Valérie Hayer a filé comme un bas, à Bruxelles, Gérald Darmanin déserte, François Bayrou se prend pour Louis XVIII, Gabriel Attal montre le bout de son Ney. Le Président ne peut se résoudre au vol noir des corbeaux sur nos plaines, aux cris sourds du pays qu’on enchaîne. Stratège émérite, lutteur infatigable, sur les ondes, sur la plage, au Touquet, à Zuydcoote, Dunkerque, Brégançon, dans le sang, les larmes, la sueur, la peur, il se débat.

La bataille de France

El Destishadok, ténébreux, veuf, inconsolé, prince d’Aquitaine, au détour de deux tours, abolit. Son assemblée est morte, son Attal consterné porte le Soleil noir de la Mélancolie. On ne fait pas d’Hamlet sans casser d’œufs. « Suis-je Brutus, Pyrrhus ? Jupiter ou Pignon ? L’affront est rouge encor au tréfonds de moi-même. J’ai échoué dans la grotte où sombre mon système… ». La ligne Imagine.haut du Grand Quartier Général Renaissance est enfoncée, l’armée du Centre cède à Sedan, La Route des Flandres coupée à Hénin-Beaumont. Les loups sont entrés dans Thoiry. Jonathan Guderian fonce vers Matignon.

Jupiter peaufine un appel du 8 juillet : « Des gouvernants de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant l’honneur, livrant le pays à la servitude. J’ai dégoupillé la grenade de la dissolution pour clarifier. L’espérance doit-elle disparaître ? Non ! Foudroyés aujourd’hui par la force électorale, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force supérieure. Moi, Président Macron, j’invite les CEO, les start-ups, les traders, les Français, qui se trouvent à Luxembourg, New York, Genève, La Défense, avec ou sans états d’armes, à se mettre en rapport avec moi. Quoi qu’il arrive, la phrase de la résistance française ne doit pas s’éteindre. Demain, comme aujourd’hui, comme hier, avant-hier et après-demain, je parlerai ». Dominique de Villepin, Alain Minc, Nagui et McKinsey ont relu le draft. Brigitte est inquiète… Le silence de la mère.

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L’exode a commencé. La Traversée de Paris est compliquée. Anne Hidalgo et Amélie Oudéa-Castéra ont coupé les grands axes, les ponts sur la Seine pour retarder l’ennemi. D’interminables files de Tesla, SUV hybrides quittent la rue Poliveau, la plaine Monceau, la place des Victoires, direction l’autoroute du Sud, Avignon, Saint-Trop, Collioure, la frontière espagnole. Les batteries tiendront-elles jusqu’à Teruel ? Pedro Sánchez a promis des avions, les brigades internationales, L’Espoir, Podemos !

Le Nouveau Front Populaire manque de munitions, de stratèges, de discipline. Comment faire de cette Fraternité, un combat ? François Ruffin, Alexis Corbière et Raquel Garrido ont été purgés : Pim-Pam-Poum. Clémentine Autain hésite entre les Bolcheviks et les Mencheviks. « Quand les blés sont sous la grêle ; Fou qui fait le délicat ; Fou qui songe à ses querelles ; Au cœur du commun combat » (Aragon). L’heure est à l’union. À Menton, on ne passe plus. Giorgia Melloni a bloqué le col du Grand-Saint-Bernard. Juliette Binoche veut rejoindre Théus. Les colonnes d’émigrés sont arrêtées Briançon. À Toulon, Cannes, Antibes, ils embarquent, fuient l’oppression, les matraquages, cherchent un refuge en Tunisie, un riad à Essaouira, l’asile dans la bande de Gaza. Rassurant, l’Ocean Viking croiseau large de Porquerolles.

Le dernier hélico présidentiel décollera du toit de l’Élysée le 7 juillet à 20H05 CET, direction Baden-Baden avec un refuelling à Varennes. Le Colonel Benalla (alias Capitaine Cognant) pilote l’exfiltration. Le destin d’En Marche est suspendu au Glock 17 du soldat d’élite. Il a les clés de l’Audi, du Touquet, de Brégançon, le téléphone de Mbappé : il sait tout ! D’un Château l’autre… Dans le Super Puma les places sont chères : Alexis Kohler, Bruno Roger-Petit, Stéphane Bern. Mimi Marchand a une énorme gourmette en or. Gabriel Attal refuse de partir sanssonchow-chow Volta. « Tous des cons Alexandre, sois zen et fort, c’est le patron qui décide ! ».

Paris fait de la résistance 

En Marche est un monde de limbes où la légende d’une fraternité invincible se mêle à l’improvisation. Dans un bunker perché tout en haut d’un ministère, des partisans, soutiens, combattants se font adouber en secret, à l’aube. Il est d’usage dans cette région du Bercy de s’assister en se tenant sur la tombe de sa propre famille. À la fin du cocktail, la nuit qui se retire comme la mer laisse paraître la Première dame, immobile, silencieuse, en petite robe noire.

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Dans la Cartoucherie de Vincennes, Arianne Mnouchkine a planqué des fourches, la mitraille, les grenades. En treillis Smalto, de la terrasse de l’Institut de Monde Arabe, Jack Lang –Sparadrap dans la résistance- électrise le peuple de gauche. Grâce aux mitrailleuses lourdes et réserves de falafels du restaurant Noura, ce nouveau Fort-Alamo peut tenir un siège de trois mois.  Sciences Po, La Sorbonne, les Beaux-Arts, ne lâchent rien : Sous le sable, les pavés ; Faites la Guerre pas l’amour. Guillaume Meurice a réintégré Free France Inter. Dans la clandestinité il remonte le moral des Français : Les carottes sont cuites ; L’hirondelle ne craint pas la traque ; Le cuisinier secoue les nouillesde Netanyahou…

La Province n’est pas en reste. Jean-Yves Le Drian de Pontcallec croit au réduit breton. À Saint-Marcel, Quiberon, La Trinité-sur-mer, au cœur des bastions ennemies, en Méhari Kaki, Kite surf, paddle, la résistance s’organise. Les mistouflets des brigades ZEN (Zado-Ecolo-Nudistes) sont redoutables dans le corps à corps, les bassines et le bocage. À Lyon, la Jeune garde de Raphaël Arnault fédère les fichiers S de la zone Sud. Ce soir, Bardella, les banques et les barbecues, connaîtront le prix du sang et des larmes.

Christiane Taubira poursuit le combat décolonial outre-mer. Avec Lilian Turham, Karim Benzema et Joey Starr, elle rallie Nouméa, après une escale à Mers el-Kébir, Dakar et Cayenne. Sanglé dans son élégante gabardine de cuir noir (modèle déposé Adolfo Ramirez-Pacte germano-soviétique), Jean-Luc d’Arabie aimerait rhamasser la mise. 

Un grand soleil d’été éclaire la colline

Il faut avant le deuxième tour forger les alliances, l’acier de la victoire. Infatigable, emballant, en scooter, François Hollande -alias Bison flûté– laboure le plateau de Millevaches, fédère les réseaux, l’Armée Secrète, le Conseil National de la Réjouissance. Le cap est clair, les ordres claquent : « Le rôle que je m’assigne, c’est de porter un discours de protection et de vigilance… c’est de trouver des solutions ». Dans chaque circonscription NFP, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait, quand il passe. Si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place.

Un long cortège d’exaltation, d’ombres, de sans-dents, de figurants, de Passionaria, accompagne les chevaliers de l’espérance. Julie Gayet, Judith Godrèche, Rachida Dati, Anne Hidalgo, Annie Ernaux, toutes ces femmes de Courrège en lunettes noires, rubans en sautoir, ou nues comme les canuts, veillent la Résistance, portent le deuil de la France, tissent le linceul du vieux monde. Après le triomphe du Rassemblement national, après les heures sombres et nauséabondes, les trahisons, l’épuration, les coupes budgétaires, les déficits budgétaires, la justice reviendra sur ses pas triomphants. La Reconquête va commencer.  « El pueblo unido jamás será vencido ! ».

« Bonheur à tous, bonheur à ceux qui vont survivre » (Aragon).

Louis XVIII et les femmes

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Marie-Josèphe de Saxe. © Wikipédia

Épisode 1 : La génitrice…


Jaloux de son aîné, qu’il détestait, « le roi sans royaume ne faisait rien sans raison, ni sans calcul ». C’est sous ces traits cruels que l’historien Matthieu Mensch décrit le comte de Provence, futur monarque de la Restauration, au seuil de l’ouvrage qu’il consacre aux Femmes de Louis XVIII – c’en est le titre. A Louis XVI, le cadet de la dynastie Bourbon enviait aussi son Autrichienne, dont il pensait que lui-même l’aurait mérité davantage : « la haine de Monsieur envers son infortunée belle-sœur avait fini par devenir de notoriété publique », au point que sur le tard, il cherchera à se dédouaner. Instrumentant la mémoire de la reine martyre, il fera même construire, en 1826, une chapelle expiatoire : « Marie-Antoinette semble correspondre parfaitement à la vision cynique de Louis XVIII, pour qui les femmes n’étaient que des outils politiques ou de simples faire-valoir ». Quel garçon sympathique…

Les femmes de Louis XVIII

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Par contraste avec son infortunée belle-fille, Marie-Josèphe de Saxe, génitrice des trois frères Berry, Provence et Artois, – soit les futurs Louis XVI, Louis XVIII et Charles X -, constitue à l’ère #MeToo l’archétype rêvé de la femme « invisibilisée » par la domination masculine. Ce « joli laideron », pour reprendre l’expression du duc de Croÿ, son aimable contemporain, se verra idéalisé sous la Restauration par le plus retors de la fratrie royale, soucieux de s’arroger pour lui-même, par la grâce d’une continuité en quelque sorte organique, les vertus supposées de sa mère dont son aîné, avantageusement évincé par le tranchant du couperet, aurait été privé quant à lui absolument. Le pansu mais finaud Louis XVIII se sera durablement ingénié à réécrire l’histoire à son profit : « roi sans épouse, il trouve en la défunte dauphine la première figure féminine hagiographique de la famille royale, dont les mérites ruissellent sur ses héritiers ». Orpheline tour à tour de sa mère, en 1757, puis de son père en 1763, la perte du petit dauphin le duc de Bourgogne, mort en 1765 de tuberculose, sera pour la dévote Marie-Josèphe de Saxe le coup de grâce. Malgré ses nombreuses couches en rafale (quatre princes, sans compter les filles, et trois enfants morts en bas âge), la sainte femme paradoxalement proche du si frivole Louis XV sera, post mortem, la figure centrale d’un dolorisme exploité sans vergogne par son fils préféré.

La semaine prochaine, épisode 2 – Les sœurs

Alors, on lit quoi cet été ?

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Thomas Morales. D.R

Notre chroniqueur a sélectionné des livres qui ne parlent ni de cohabitation, ni de triangulaires. Au menu de cette bibliothèque des plages, du western à papa, du Don Quichotte de la Mancha, du Calder tourangeau, du Schönberg autrichien, du Vitoux des familles, du Mazzella de la chambre d’amour et du Stéphanie des Horts preppy.


Drame à Cape Cod

Stéphanie des Horts est une romancière d’investigation. Un profil rare dans le paysage éditorial français. Son terrain de chasse : les « Happy few » comme on disait dans les années 1980. Elle ne s’intéresse pas au tracas de la ménagère du coin de la rue ; elle fouille, elle observe, elle décrypte, elle lève le voile sur les « grands » de ce monde, têtes couronnées, magnats du pétrole, armateurs billionnaires, tycoons des médias et mannequins ébréchées. Pourquoi aime-t-on se plonger dans les sagas chaudes et désaxées de cette Barbara Cartland pétroleuse aux vrais dons littéraires ? Parce qu’elle a l’œil de l’écrivain, une plume qui accélère, une tendresse pour les enfants gâtés, une attirance pour les romances fracassées et qu’elle s’appuie sur une très riche documentation sans que son lecteur le remarque. C’est en refermant son dernier roman sur la malédiction Kennedy que l’on se rend compte à quel point elle a réussi à trouver une vérité dans cette histoire entre le fils de Kennedy et Carolyn Bessette. Deux « beautiful people » en proie aux cris et aux larmes. Il fallait tout le talent de Stéphanie des Horts pour approcher ces deux-là, trop beaux, trop riches, trop lumineux pour espérer décrocher une minuscule parcelle de bonheur. Un roman qui sent la pop music de Madonna, le style Ivy League de Ralph Lauren et le glamour frelaté d’une fin de siècle aux US. Stéphanie ne serait-elle pas notre Bret Easton Ellis en talons de douze centimètres ?

Caroline et John de Stéphanie des Horts (Albin Michel)

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Boudard au ranch

François Cérésa n’a jamais quitté le terrain de l’enfance. Il suffit de voir sa longue silhouette sur le boulevard Saint-Germain, décomplexée, provocatrice et désenchantée ; beau mec prêt à dégainer sa Winchester si le premier malotru croisé lui parle mal. Cérésa est un bonhomme à l’ancienne, un écrivain des plaines sauvages, franc-tireur littéraire qui déteste notre époque lessivée aux bons sentiments. Cérésa comme tous les gamins des années 1950 n’avait pas l’ambition de vivre comme un « petit » technocrate satisfait ou un politicien tambouilleur. Il voulait canarder, rêver plus haut, bourlinguer et se tenir tête haute. Cérésa aime les causes perdues, le panache plutôt que le déshonneur. Alors, il enfile ses bottes mexicaines, chevauche un Mustang et nous fait l’éloge du western de papa. « Il est nazebroque » écrit-il de ce cinéma à la Gary Cooper, John Wayne, Burt Lancaster, Lee Marvin ou Robert Mitchum. Il sort son colt pour défendre cet espace de liberté qui serait jugé aujourd’hui trop archétypal dans une société qui a peur de son ombre. Cérésa dégaine avec une langue harponneuse, pleine de hargne et de drôlerie. Après l’avoir lu, on a juste envie de se faire une toile.

Total Western de François Cérésa (Séguier)

Total Western - une chevauchée fantastique à travers un siècle de cinéma

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Quoi de neuf ? Cervantès !

Don Quichotte, antihéros, fondateur du roman moderne, usurpateur, bambocheur, romantique sarcastique, fou ou illuminé ? Nous avons tous besoin d’une séance de rattrapage, un « reset » sur les idées préconçues ; le chevalier errant dépenaillé est toujours plus ou autre chose. On projette sur lui nos peurs et nos insuccès. Il nous fallait donc un professeur au Collège de France, une sommité, titulaire de la chaire Littératures comparées, pour approcher ce fier hidalgo cabossé. William Marx nous pose une quarantaine de questions sur ce drôle d’animal et il y répond avec un humour britannique, ne dédaignant pas le contrepied et la farce. Il s’interroge sur le corps de Don Quichotte, sur sa naissance, sur son apport à la langue française, sur son féminisme, sur sa rencontre avec Shakespeare et même, audace suprême, cet universitaire ne recule décidément devant aucune pochade (très) érudite sur la possibilité que Don Quichotte prenne le nom de François Pignon. C’est abyssal donc indispensable sur la Costa Brava ou dans une maison de famille du Perche.

Un été avec don Quichotte de William Marx (Équateurs parallèles)

Un été avec Don Quichotte

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Mobiles en Touraine

L’été, on baguenaude, on renifle cette campagne française, on communie avec cette province qui fait rire à la capitale. On reprend pied avec son pays. La Touraine, élixir de jouvence, creuset de la langue française, recèle mille merveilles à celui qui veut bien décrocher de ces virtualités accaparantes et oublier l’actualité mortifère. Imaginer Calder est une balade dans cette belle région, nous sommes guidés par une tourangelle, elle est née à Chinon, à la plume délicate, qui ne se hausse pas du col et dont la musique s’infiltre en nous, naturellement, comme le lit d’une rivière. Au départ, nous n’avions aucun intérêt ou désintérêt particulier pour l’œuvre d’Alexandre Calder. Bien que berruyer de naissance, j’ai vu toute mon enfance, son stabile (caliban) dans le hall de la maison de la culture de Bourges, inauguré par Malraux et le Général. Géraldine Jeffroy nous raconte la vie d’un Américain, sculpteur international, qui a vu le jour en Pennsylvanie mais qui va acheter la maison de François Ier à Saché en 1953 et qui y vivra plus de vingt ans.

Imaginer Calder de Géraldine Jeffroy (arléa)

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Et s’il vous reste encore de la place dans votre sac de voyage, il faut absolument emporter Le Satan (Bach ?) de la musique moderne de Gemma Salem publié chez Serge Safran éditeur. Il s’agit du dernier texte inédit écrit par cette écrivaine de haut vol, enfiévrée et percutante, disparue à Vienne en 2020 qui fut une grande spécialiste de Thomas Bernhard. C’est remarquable de concision et de vigueur dramatique sur le compositeur autrichien Schönberg. Ne pas oublier L’Ami de mon père de Frédéric Vitoux qui reparaît en format poche chez Points avec une préface inédite de Frédéric Beigbeder. Roman d’apprentissage sur ce père qui fut emprisonné à Clairvaux à la Libération, déchirant et initiatique, sans graisse, ni pathos, avec une forme d’élégance filial. Et enfin, l’un de mes chouchous, le basque Léon Mazzella qui nous offre un roman Belle perdue aux éditions Cairn, sorte de Dolce Vita Biarrotte aux sentiments juteux et à la construction inventive, j’y ai vu des traces modianesques de Villa Triste.

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À paraître le 19 septembre :

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Napoléon superstar

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Albert Dieudonné en Napoléon Bonaparte dans le film d'Abel Gance, 1927. © Cinémathèque française/Netflix

Depuis que le cinéma existe, les réalisateurs redonnent vie à l’Empereur. Avec ou sans talent, ils déploient des moyens titanesques pour restituer son épopée. L’évènement, ce mois-ci, est la résurrection du chef-d’œuvre d’Abel Gance (1927) : enfin restauré, il est projeté en ciné-concert avec une composition de Simon Cloquet-Lafollye.


Chu dans nos salles obscures au mois de novembre, le Napoléon de Ridley Scott est désormais monté au Ciel, disponible en cabine sur les vols long-courriers d’Air France : l’Empereur, du décollage à l’atterrissage, ou de l’ascension à la chute. Cette apothéose de l’Aigle ne saurait éclipser la daube où, dans le rôle-titre, un Joaquin Phoenix impavide, constipé, vieilli avant l’heure, en pince pour Joséphine/Vanessa Kirby, du siège de Toulon jusqu’au châlit de Sainte-Hélène.

Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon, ne mâche pas ses mots pour ironiser sur ce pataquès : « On peut s’éloigner de la véracité, mais il faut au moins travailler sur la vraisemblance. La grande erreur ? L’ambiance ! Napoléon giflant sa Joséphine en public, ça n’a pas de sens. La seule bataille réussie dans le film, c’est celle des cuisses de poulet qu’ils se lancent à la figure. Il n’y a eu aucun travail pour respecter le comportement – parfaitement connu – des personnages de l’époque. Joséphine de Beauharnais était une grande aristocrate de l’Ancien Régime, d’une distinction absolue. Jamais elle n’aurait écarté les jambes en disant : “Tout ce que vous verrez vous appartient. On ne se mettait pas la main autour du cou. L’Empereur ne marchait pas à quatre pattes devant ses domestiques pour aller trousser sa femme en poussant des cris de cochon. Pardonnez-moi l’expression, mais Joséphine n’était pas une chaude : elle avait été totalement traumatisée par son emprisonnement sous la Terreur – ce qui, probablement, a provoqué sa stérilité»

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Pour la vraisemblance, le contre-exemple existe : Guerre et Paix, film à la réalisation duquel s’est épuisé, de 1962 à 1966, l’acteur et cinéaste soviétique Sergueï Bondartchouk, endossant le rôle principal sous les traits du personnage de Pierre Bezoukhov, double de Tolstoï en quelque sorte. Cette adaptation du roman-fleuve a convoqué quelque 14 000 figurants, conscrits de l’Armée rouge gratuits et corvéables. « Sur les sept batailles décrites dans le roman, seules quatre furent retenues. Dont Austerlitz, Borodino et la retraite de la Grande Armée mais, ajoute Thierry Lentz, qui n’a pas lu le livre en retrouve l’esprit dans ce film fabuleux ! » Sous les auspices de Dino De Laurentiis (lequel avait produit le Guerre et Paix de King Vidor en 1956), Bondartchouk tourne ensuite un Waterloo titanesque – avec Orson Welles campant Louis XVIII et Christopher Plummer Wellington. L’échec du film aux États-Unis, à sa sortie en 1970, a porté un coup fatal au projet d’un Napoléon sous étendard MGM, que méditait Stanley Kubrick depuis 1968.

Si, de Charles Boyer (Marie Walewska) à Patrice Chéreau (Adieu Bonaparte) en passant par Sacha Guitry (Napoléon) dans la peau de Talleyrand, le mythe de l’Empereur a partie liée avec le Septième Art, Abel Gance (1889-1981) incarne la quintessence de cette filiation. C’est lors d’une soirée de gala à l’Opéra Garnier, le 7 avril 1927, qu’a été projeté son muet de près de quatre heures, accompagné d’une musique signée Arthur Honegger, combinant partition originale et pièces du répertoire. Pas moins de vingt-deux versions différentes du film ont été exploitées par la suite, mais l’avènement du parlant, en 1929, a enterré ce chef-d’œuvre. Seul Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque française, en a compris l’importance et a sauvegardé les copies nitrate, espérant reconstruire la « grande version ».

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Mais le temps a désagrégé la saga jusqu’à la décision, en 2015, de planifier, sous l’égide du CNC, la restauration numérique de ce film-archipel. Là encore, Thierry Lentz a été à la manœuvre, apportant, outre son expertise d’historien, une subvention de la Fondation Napoléon. Résultat de ce travail de longue haleine : « Napoléon vu par Abel Gance ». Pour Thierry Lentz, le clou de cette résurrection est le nouvel accompagnement musical, dû au compositeur Simon Cloquet-Lafollye, qui rythme ces presque sept heures de projection : « Sur le plan technique, c’est extraordinaire. Par exemple, la musique dynamise superbement l’interminable bataille de boules de neige du début. L’idée géniale a été d’unifier dans un flux continu ces morceaux puisés dans le répertoire classique. » Autant dire combien sont attendus les deux ciné-concerts (à guichet fermé) des 4 et 5 juillet à La Seine musicale de Boulogne-Billancourt. Le chef Frank Strobel sera au pupitre et, dans la fosse, rien de moins que l’Orchestre national de France, l’Orchestre philharmonique et le Chœur de Radio France, qui déclineront les deux parties (respectivement 3 h 40 et 3 h 25 !) de ce « Napoléon vu par… ».

Un superbe ouvrage collectif abondamment illustré retrace, en parallèle, l’histoire mouvementée de ce film et l’aventure de sa restauration : hommage déclaré à cet autre empereur, Gance, conquérant du cinéma et démiurge de ce faux biopic dont le jeune Bonaparte (Albert Dieudonné), bien plus que l’Aigle en tricorne, campe la figure prométhéenne. Autre figure, séquence mythique, quand Antonin Artaud rejoue la composition de la toile de David La Mort de Marat« Le film déroulera une sorte de chemin de feu », promettait Gance. Comme l’observe Thierry Lentz dans son érudite contribution : « Abel Gance connaissait son Napoléon et sa Révolution sur le bout des doigts. À gauche, on attaqua le cinéaste avec virulence, mettant en face deux idéologies qui s’affrontent encore aujourd’hui. L’œuvre fut suspectée, avant même sa présentation publique, d’être “réactionnaire”. » Voilà, conclut l’historien, qui « ne pèse pas lourd face au chef-d’œuvre justement élevé au rang de monument mondial du cinéma. » On ne saurait mieux dire.


À voir

« Napoléon vu par Abel Gance », ciné-concert symphonique : Orchestre national de France, Orchestre philharmonique de Radio France, Chœur de Radio France, direction Frank Strobel. La Seine musicale, première partie (3 h 40), 4 juillet 18 heures, deuxième partie (3 h 25), 5 juillet 18 heures (complet), laseinemusicale.com. Film programmé ultérieurement au Festival Radio France Occitanie Montpellier, à la Cinémathèque française, sur France Télévision et sur Netflix.


À lire 

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Patacaisses!

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D.R

71% des magasins français ont beau en être équipés, les caisses automatiques pourraient disparaître plus vite qu’elles ne sont arrivées.


On nous serine depuis longtemps que l’automatisation deviendra la norme dans la vie quotidienne. Modèle révolutionnaire il y a cinq ans, la caisse automatique dans les supermarchés était censée réduire le coût de la main-d’œuvre en remplaçant les salariés, et mettre fin au supplice de la fin des courses : l’attente dans les queues. L’engouement des enseignes pour cette technologie a été tel que, aujourd’hui, la proportion de magasins français ainsi équipés s’élève à 71 % selon une étude de NielsenIQ. Cependant, les caisses automatiques ne semblent plus destinées à grand-remplacer les salariés humains. Car la tendance est déjà en train de s’inverser aux États-Unis et au Royaume-Uni. Si, en 2020, la multinationale de la grande distribution Walmart inaugure des magasins uniquement dotés de caisses automatiques, à l’automne 2023, elles sont poussées vers la sortie. Désormais, Walmart supprime des caisses automatiques, ralliant d’autres grosses chaînes comme Giant Tiger.

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Certains points de vente sont même revenus au format traditionnel, avec seulement des caissiers humains. Ce retour en arrière s’explique en partie par les nuisances économiques engendrées, les vols étant très fréquents. En France aussi, le problème est récurrent. Un agent de sécurité assure à France Télévisions, en mars : « [Certains clients] ne scannent que cinq produits, alors que dans le chariot il y en a au moins 30. On interpelle parfois pour 200, 100 euros. » Par-dessus le marché, les clients se plaignent du manque de contact humain, des bugs des caisses automatiques… Grand champion de l’automatisation, Amazon avait équipé la moitié des magasins physiques de sa chaîne d’épiceries de la technologie « Just Walk Out ». Cette dernière supprime complètement les caisses, remplacées par un système de caméras et de capteurs qui détectent les achats du client et les lui facturent automatiquement à sa sortie. Or, l’entreprise vient d’annoncer l’élimination progressive de ce système qui met en œuvre, non l’IA, mais 1 000 salariés en Inde chargés de suivre ce qui se passe dans chaque magasin.

«Le Comte de Monte-Cristo»: un malheur de plus pour Alexandre Dumas

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Pierre Niney © Jérôme Prébois / Pathé Films

Notre chroniqueur, fin connaisseur de Dumas sur lequel il a co-écrit un livre, n’en revient visiblement pas d’avoir vu, comme il dit, la bouse à 43 millions d’euros écrite et mise en scène par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, les duettistes qui avaient massacré il y a deux ans Les Trois mousquetaires. Il a manifestement trempé sa souris dans le venin pour écrire le compte-rendu du plus onéreux des ratages du cinéma français, qui n’en est pas avare. Attention, divulgâchage !


Un minimum de vraisemblance ne nuit pas aux œuvres de fiction. Mais ce n’est pas un souci pour Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, qui portés par le crime perpétré en adaptant Les Trois mousquetaires, et persuadés que si l’on peut écrire on sait filmer, ont porté à l’écran, pour la quarantième fois, le chef-d’œuvre de Dumas, afin de le massacrer tranquillement.

Faisons un bilan rapide. Le crawl que pratique Edmond Dantès n’existe pas à cette époque — il ne commencera à être pratiqué que dans les années 1880. Le château d’If n’est pas une île isolée au milieu de la Méditerranée — mais une IA quelconque a gommé les îles du Frioul, qui l’encadrent. Faire citer Edmond (Rostand) à propos d’Edmond (Dantès) est un anachronisme répugnant, Cyrano de Bergerac, c’est 1898. Faire de Danglars (banquier, dans le roman) un trafiquant de bois d’ébène, comme on disait, est aberrant : la traite est interdite en France depuis 1815, un décret de Napoléon a été confirmé par Louis XVIII.

Détails, direz-vous. Mais que Haydée, l’esclave fascinée et fascinante du comte, épouse Albert de Morcerf alors qu’elle est folle amoureuse de son seigneur et maître… Que ledit comte se batte en duel avec Morcerf, qui dans le roman se suicide — lequel duel est tout bonnement emprunté à la version Jean Marais (1954), pas de raisons de se gêner… Que Villefort ait une sœur bonapartiste — dans le roman, c’est son père — livrée à des tenanciers de bordel alors qu’elle appartient à la noblesse… Qu’Andrea Cavalcanti tue Villefort — qui dans le roman devient fou…

Entendons-nous : dans une œuvre aussi foisonnante, on peut être tenté de tailler. Encore faut-il le faire intelligemment. Tout ce qui dans le roman renvoie à l’Histoire est gommé par nos duettistes, persuadés sans doute que le public est aussi ignare qu’eux. Tout ce qui appartient au genre du roman noir (ou roman gothique, comme on disait alors) est évacué.

Quant à Pierre Niney… Pourquoi a-t-il une cicatrice sur la joue gauche, comme James Bond ? Pourquoi est-il tatoué comme un yakuza monochrome ? Edmond Dantès est BEAU — d’où l’utilisation au fil du temps de Robert Donat (1934), Pierre Richard-Willm (le meilleur à ce jour, en 1943), Jean Marais, Louis Jourdan (1961), Richard Chamberlain (1975), Jacques Weber (1979), et même Depardieu fils et père, en 1998 (même si le téléfilm de Josée Dayan est, comme d’habitude, détestable, même si Didier Decoin a fait un beau massacre du matériau fabuleux qu’il avait en main). Des acteurs impeccables et ténébreux, et non des minets mal rasés.

Il n’est pas le seul, malheureusement, à étaler son incompétence et son invraisemblance. Choisir Anaïs Demoustier (bientôt la quarantaine) pour jouer la toute jeune Mercédès est sidérant : du coup, quinze ans plus tard, elle n’a pas changé, excepté son début de lordose. Laurent Lafitte fait le boulot, Anamaria Vartolomei est un boudin roumain, Julie de Bona, à 44 ans, peine à jouer les jeunes filles enceintes. Manque-t-il à ce point de jolies actrices en France ? Rendez-nous l’Adjani de l’Ecole des femmes, en 1973

Tout n’est pas nul. Une ou deux fois, il y a des plans de cinéma — le reste est filmé pour passer à la télé entre deux incursions dans le frigo. Décors, costumes et accessoires (ah, ce plan sur une magnifique montre Bréguet !) sont parfaits, si l’on avait éliminé les personnages le film aurait eu de la gueule.

Dans le dernier quart du film, soudain, pendant 10 minutes, ça s’améliore. C’est que lassés de massacrer l’un des plus grands romans français, les réalisateurs soudain ont décidé de suivre (dans la scène de confrontation de Dantès et de Mercédès) le texte de Dumas, homme de théâtre qui savait trousser un dialogue. Puis, patatras, ils se reprennent de cette faiblesse, et anéantissent la fin du roman — où Dantès part avec Haydée. Dumas était sensible à l’attrait des jeunes femmes, et même des jeunes filles : en 1860, à 58 ans, il part livrer des armes à Garibaldi, qui fait la révolution en Sicile, à bord d’une felouque dont le tout jeune mousse (tout juste 20 ans) est sa maîtresse, Amélie ou Emélie — qui accouchera peu après l’arrivée d’une petite fille dont Garibaldi sera le parrain. Qu’en dirait Judith Godrèche, si elle avait assez de culture pour connaître ce détail ?

Ne perdez pas votre temps — ou alors, profitez de la semaine de Fête du cinéma : pour 5€, vous bénéficierez, dans une salle climatisée, de conditions optimales de sieste. Et en sortant, vous pourrez toujours lire ou relire le roman, dans une édition convenable — en Folio par exemple.

Jean-Paul Brighelli / Christian Biet / Jean-Luc Rispail, Alexandre Dumas ou les aventures d’un romancier, Découvertes / Gallimard, 1986, 128 p., sur tous les sites de soldes.

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Palestiniens au Liban: et s’il était plutôt là, votre “apartheid”?

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Des enfants photographiés dans le camp de réfugiés de Chatila à Beyrouth, Liban, 19 mars 2024 © Collin Mayfield/Sipa USA/SIPA

Les réfugiés palestiniens sont depuis des années une population honteusement marginalisée au Liban, sans que cela émeuve grand monde dans les pays arabes ou dans une opinion internationale trop occupée à taper sur Israël.


Ces derniers temps, on a vu Amnesty International accuser Israël d’être un État « apartheid ». Étrange accusation. En réalité, à l’exception de la Jordanie, qui, depuis 1949, a donné aux Palestiniens vivant sur son sol, le droit à la nationalité et souvent au travail, ce sont les États arabes qui, depuis 1949, pratiquent une politique d’apartheid vis-à-vis des Palestiniens. Prenons l’exemple de la situation de ces derniers dans l’un des États arabes les moins autoritaires, le Liban. Que constatons-nous, déjà à l’époque de l’« âge d’or » de la « Suisse du Moyen-Orient », donc bien avant la guerre civile et la faillite de l’État ?

Que, afin de provoquer l’exil d’un maximum de Palestiniens, les gouvernements libanais successifs ont promulgué une série de lois liberticides qui empoisonnent la vie des réfugiés. Parmi celles-ci, l’impossibilité, une fois sortis du Liban, d’y retourner, à moins d’obtenir un visa de retour[1], chose que l’administration libanaise n’octroie pas facilement. Et, pour être sûr que leurs départs soient définitifs, des procédés administratifs, empêchant leurs retours, ont été instaurés. Résultat : en quelques décennies, environ 100 000 Palestiniens, sortis du Liban, s’en sont retrouvés exclus.

Camps insalubres

Afin de saisir la situation de ces réfugiés, voici quelques exemples de mesures prises à l’encontre de ceux-ci. 

Pour commencer, ils ont été regroupés dans des camps, avec interdiction, inscrite dans le préambule de la Constitution libanaise en 1990[2], de « s’implanter » dans le pays de façon définitive. Défense d’accéder à la propriété immobilière, et même d’hériter de biens immobiliers acquis antérieurement par leurs géniteurs, et cela en dépit de l’atteinte à la propriété privée[3] et des problèmes humanitaires que cette restriction pouvait générer.

Interdiction de toute réédification des camps détruits durant la guerre civile libanaise (1975-1990). Certes, de nouveaux camps ont été bâtis sous le contrôle de l’UNRWA, cependant l’augmentation de leur nombre n’a pas suivi l’accroissement de celui des habitants[4]. En outre, des camps sont dans un état catastrophique : des réseaux d’eau, de plus en plus insuffisants, voisinent avec des égouts non couverts, provoquant de nombreuses maladies.

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Impossibilité de développer les camps situés à Beyrouth. Pire, il a été ordonné à l’UNRWA d’arrêter tous les projets d’amélioration d’infrastructure de ces camps, y compris la réfection des rues. Résultat : l’énergie électrique y est souvent indisponible, et la quantité d’eau distribuée, insuffisante. Et comme la gestion publique de l’eau entraîne des frais, l’entretien des canalisations a été négligé. Tout ceci ne semble guère tracasser l’UNRWA : au lieu de s’insurger, celle-ci s’est abstenue d’effectuer tout travail de restauration des systèmes de canalisation d’eau, de même que ceux de l’électricité[5].

Empêchement de devenir propriétaires de leurs logements. Bien que ceux-ci soient à la fois exigus et incommodes, l’interdiction de faire entrer dans les camps des matériaux de construction, fait que les réfugiés n’ont pas la possibilité d’en améliorer le confort, voire dans certains cas de les réhabiliter.

Droits élémentaires bafoués

Du point de vue juridique, les droits collectifs des Palestiniens sont bafoués. Non seulement ils sont empêchés d’acquérir la citoyenneté, mais leur identité n’est pas reconnue, ce qui les prive de représentation locale. Refus de toute possibilité de participation aux décisions administratives, y compris celles qui les concernent directement, et aucun droit à l’auto-administration.

La loi libanaise qui permet aux étrangers de constituer des associations, refuse ce droit aux Palestiniens. Défense de constituer des syndicats, ou même de se syndiquer (pour adhérer à un syndicat, il faut être de nationalité libanaise). Inutile de préciser que les Palestiniens ne disposent d’aucun droit de vote, et que, a fortiori, toute constitution de parti politique leur est interdite[6].

C’est peu dire que les Palestiniens ne s’épanouissent pas par le travail : faute de passeport libanais, il ne leur est pas possible de travailler dans le secteur public. Et pour ce qui est du secteur privé, les lois libanaises exigent une autorisation spéciale du ministère du Travail, ce qui n’encourage guère les entreprises à embaucher des Palestiniens. Et quand ceux-ci le sont, c’est généralement à des salaires bien inférieurs à ceux octroyés aux Libanais. Les réfugiés se retrouvent, dès lors, employés comme main-d’œuvre peu ou pas qualifiée. En résumé, les « métiers » que les réfugiés peuvent pratiquer sont la culture de la terre, comme journaliers, la maçonnerie, les travaux mécaniques, et ceux des réparations[7]. Et cela sans qu’ils puissent bénéficier de quelque avantage que ce soit de la part de la Sécurité sociale, encore et toujours parce qu’ils ne sont pas libanais. Conséquences : plus de 60% des Palestiniens ne dépassent pas le seuil de pauvreté défini par l’ONU.

De plus, ces réfugiés sont victimes d’un « véritable désastre sanitaire » (selon l’avocat palestinien Souheil El-Natour) : empêchés d’accéder aux hôpitaux publics, c’est l’UNRWA qui les prend en charge ; cependant, comme le budget de l’agence réservé à l’hospitalisation est dérisoire, les malades doivent participer aux frais à hauteur de 50 à 75% des charges. Cette insuffisance de budget a pour effet la multiplication de maladies.

Concernant la lutte contre les épidémies : estimant que la vaccination des enfants incombe à l’UNRWA et à l’UNICEF, le ministère de la Santé ne délivre aucun médicament. En même temps, une malnutrition généralisée des femmes enceintes et des enfants engendre une mortalité infantile à hauteur 40‰, souvent due, également, aux accouchements prématurés[8].

À part ça, tout va bien au pays du cèdre. La preuve, Amnesty International semble n’avoir pas trouvé grand-chose à redire quant à la situation des réfugiés demeurant sur son territoire.

J’ai choisi de parler de l’apartheid au Liban, plutôt que de m’étendre sur celui qui règne en Syrie, ou en Libye (États sur lesquels plus personne ne se fait d’illusions), parce que cette situation témoigne, d’une part, de l’absence de réelle solidarité des États arabes avec les Palestiniens, et d’autre part de l’insoutenable superficialité des « pro-palestiniens » qui ont toujours et délibérément choisi d’ignorer la misérable réalité de la situation des Palestiniens dans les États arabes, réservant leurs dénonciations uniquement à Israël. À la partialité et l’aveuglement d’Amnesty International, il faut ajouter l’incapacité de l’UNRWA qui, en plus de 70 ans, n’est toujours pas parvenue à sortir les Palestiniens de leur situation de réfugiés dans les pays arabes (hors la Jordanie), ni même à les protéger contre les gouvernements arabes.

Pour en venir à Israël, il est indubitable que les Palestiniens de Cisjordanie vivent dans une condition de colonisés et sont souvent victimes d’attaques et de méfaits de la part des colons, parfois ou souvent avec la complicité de l’armée israélienne. En revanche, cet État, à l’intérieur des frontières de 1967, est une démocratie qui ne pratique nullement l’apartheid : les Palestiniens restés dans le pays après la guerre de 1948-1949, sont devenus israéliens et jouissent donc, dans le pays, des mêmes droits, y compris politiques, et sont soumis aux mêmes devoirs que les Juifs – à l’exception du service militaire, ce dont il ne semble pas qu’ils se soient jamais plaints.

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[1] Arrêté 487 émanant du ministre de l’Intérieur libanais.

[2] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[3] Loi n°296 publiée au Journal officiel n°15 du 5 avril 2001.

[4] 400% selon Souheil El-Natour.

[5] Mahmoud Abbas, « Les réfugiés palestiniens au Liban : problèmes d’habitation », dans Al-Hourriah hebdo, 19 novembre 1996, Beyrouth.

[6] Souheil El-Natour, « Les Palestiniens au Liban : un étranger ». Les quotidiens Al-Quds, Al-Arabi, 12/2/1999, Londres.

[7] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

[8] Souheil El-Natour, « Les réfugiés palestiniens », dans Confluences Méditerranée, 2023.

Un balcon sur la Loire

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L'écrivain français Julien Gracq (1910-2007) © René Saint-Paul/Bridgeman

Avec Julien Gracq, un esprit libre, Marianne Bourgeois nous donne envie de relire Julien Gracq. « C’est l’être le plus original, le plus inconvenant, le plus anarchiste que j’aie connu et il menait une vie de petit bourgeois. Il m’a appris à faire la différence entre les faux rebelles et les vrais », a dit de lui son ami Régis Debray.


Disons-le d’emblée, la personnalité de Julien Gracq m’a toujours laissé de marbre. Peut-être parce que j’ai subi l’influence de Philippe Sollers qui n’aimait pas beaucoup la posture de l’écrivain retiré dans la maison familiale de Saint-Florent-le-Vieil (49), sur la Loire, face à l’île Batailleuse et ses peupliers frondeurs. Posture, oui. Sollers le trouvait trop compassé, calculateur. Il avait refusé le Goncourt, affirmait-il, pour Le Rivage des Syrtes (1951), dans l’unique but d’être le seul à l’avoir refusé. Mais il avait accepté d’entrer de son vivant dans la Pléiade. Gracq appréciait Wagner, et pas Mozart. Il détestait le XVIIIe siècle, et Sade l’ennuyait. Que de points de crispation pour Sollers ! Un autre, plus méconnu celui-là. Dominique Rolin, son grand amour, avait été courtisée par l’auteur d’Un beau ténébreux, ce qui avait irrité celui de Portrait du Joueur. Et puis ce pèlerinage qui consistait, pour les jeunes écrivains et les journalistes, à rendre visite à l’ermite de Saint-Florent, pour y recevoir ses confidences sur la littérature, lors d’une promenade à pied ou dans sa vieille 4L, faisait rire Sollers.

Marianne Bourgeois donne envie de relire Gracq

Bref, Gracq, c’était l’eau stagnante symbolisée par une carrière de professeur d’histoire et de géographie, commencée en 1947 au lycée Claude-Bernard à Paris, et achevée en 1970. Pour nuancer cette introduction peu amène, il convient de citer Jean-René Huguenin qui, après une visite à Gracq, note dans son Journal « J’aime sa douceur timide, son effacement, sa mystérieuse douceur. Il a beau rester objectif, égal, appliqué, presque universitaire, il a un charme – c’est-à-dire une présence (comme lorsqu’on sent dans une pièce où l’on est seul une présence derrière soi) bref, un secret. Une vie tranquille, trop tranquille ; pas de femme… Je crois que son secret est simple : il est resté un enfant, c’est un enfant qui se cache. » Rectifions : on lui connaît au moins une femme : Nora Mitrani, romancière surréaliste, d’origine bulgare. Gracq fut durement éprouvé par sa mort en 1961.

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Alors pourquoi suis-je en train d’écrire sur Julien Gracq (1910-2007), nom de plume de Louis Poirier, presque toujours vêtu d’un costume gris, d’une chemise blanche impeccable, cravaté, et coiffé comme un notaire de province ? Parce que j’ai lu l’essai de Marianne Bourgeois, Julien Gracq, un homme libre, paru aux Éditions Les Marnes vertes – un titre gracquien – qui m’a emballé et m’a donné envie de me replonger dans son œuvre, en particulier Au château d’Argol, roman que j’avais découvert lorsque j’étais en internat. Marianne Bourgeois, agrégée de lettres et médecin, sait habilement analyser les écrits de Gracq tout en y mêlant de nombreux fragments biographiques. Elle a le bon goût de commencer par son premier roman publié : Au château d’Argol. Je me souviens encore de cette phrase bataillienne qui ouvre sur un univers où Eros a rendez-vous avec Thanatos : « Ils se dévêtirent parmi les tombes ». Marianne Bourgeois rappelle que cette phrase enchantait Pieyre de Mandiargues, ami fidèle de Gracq. On découvre les ingrédients de l’écrivain, saupoudrés d’un romantisme germanique fougueux. Il y a la mort, la femme mystérieuse et fatale, le paysage maritime, le vent qui dérègle, la présence d’un cimetière, donc, la violence des sentiments, les forces de la nature mêlées à celles de l’inconscient miné par une obscure activité onirique, le sadisme enfin. S’ajoute à cela le traditionnel triangle amoureux ; ici deux hommes, Albert et Herminien, et une femme, Heine. L’essayiste résume, dans un style efficace, l’intrigue : « Au château d’Argol (1938) se réclamait résolument du surréalisme : le mythe du Graal, les forêts bretonnes et leur mystère, l’importance des rêves, l’irruption de l’inconscient et de l’amour fou, tout cela était pour plaire à Breton en même temps que la beauté du verbe. » Elle revient longuement sur l’amitié entre le pape du surréalisme et Gracq auquel ce dernier consacra un essai en 1948. Marianne Bourgeois rappelle également les nombreuses influences de Gracq, grand lecteur, à commencer par celles de Jules Verne et Balzac. Elle signale qu’il fut inscrit au parti communiste de son lycée de Quimper, et qu’il fut secrétaire du syndicat CGT. Mais rapidement, il prôna le désengagement, se tenant même à l’écart du mouvement surréaliste. Prisonnier durant la « drôle de guerre », dont certaines scènes servirent de toile de fond à ses deux romans les plus célèbres, Le rivage des Syrtes (1951) et Un balcon en forêt (1958). Il traversa la guerre dans l’attente de son dénouement. L’attente, thème central de ce roman poétique, au cadre imaginaire et sans date, qui avait mérité le Goncourt. L’amertume de Gracq trouve, semble-t-il, son origine dans l’éreintement que subit sa pièce en quatre actes sur la légende du Graal, Le Roi pêcheur (1948).

Un grand tourmenté

Les critiques furent mordantes pour ne pas dire injustes. Gracq se vengea en publiant La Littérature à l’estomac (1950), un pamphlet revigorant dont voici un court extrait : « La littérature est depuis quelques années victime d’une formidable manœuvre d’intimidation de la part du non-littéraire, et du non-littéraire le plus agressif ». Marianne Bourgeois pense qu’il lui sembla impossible d’accepter le prix Goncourt qui lui fut décerné en 1951.

L’écrivain avait beaucoup d’affection pour sa sœur, de neuf ans son aînée ; il rendit hommage à ses parents, un couple de commerçants, dans Lettrines 2. C’était en 1974. Il n’écrivait plus de romans, seulement des fragments de souvenirs. Le professeur de géographie restait fasciné par les « terrains argileux, sableux, granitiques, balsamiques », les fameuses marnes vertes, nous apprend encore Marianne Bourgeois. Peut-être l’étude de ces roches millénaires apaisait-elle ce grand tourmenté qui ne croyait pas en dieu.

Marianne Bourgeois, Julien Gracq, un esprit libre, Éditions Les Marnes Vertes. 152 pages.

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Isild Le Besco et les risques du métier

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Isild Le Besco © Arnaud MEYER/Leextra via opale.photo

Dans un témoignage à fleur de peau, l’actrice dévoile les humiliations et violences qu’elle a subies depuis ses débuts au cinéma. Surprise: le récit met davantage en cause la dérive tyrannique de certaines réalisatrices que les méfaits du patriarcat.


Le mouvement MeToo a beaucoup plus d’allure quand il emprunte la voie littéraire que lorsqu’il s’exprime à travers d’indigents tweets et de consternantes pétitions. Dans un livre qui ne manque pas de finesse, l’actrice-réalisatrice Isild Le Besco raconte comment, dès l’âge de 14 ans, elle a mené la vie sexuelle d’une adulte, dans ses films comme à la ville, et pourquoi elle en a secrètement souffert, jusqu’à ce qu’elle se livre, des années après, à une « libération de la parole », pour reprendre la formule rituelle qui s’impose désormais en pareil cas devenu courant.

Dans Dire vrai, Isild Le Besco est toujours honnête, souvent plaintive, parfois injuste. Mais ses pages les plus intéressantes ne portent pas sur les réalisateurs qui, à l’en croire, se sont mal comportés envers elle par le passé. C’est plutôt quand elle montre de quoi certaines réalisatrices sont également capables qu’elle nous éclaire sur la nature profonde du cinéma, et sur ses risques.

Ainsi donc une offense sexuelle peut se produire dans le milieu du cinéma sans qu’aucun mâle toxique y soit pour quoi que ce soit…

Ne nous attardons donc pas sur ses accusations contre Benoît Jacquot, avec qui elle a eu une liaison pendant près d’une décennie, qui ne font que confirmer ce que l’on savait déjà de l’inclination coupable de ce dernier pour les adolescentes, lui-même l’ayant d’ailleurs reconnu dès 2011 dans un documentaire de Gérard Miller, où il parlait en ces termes de sa relation avec une autre très jeune actrice, Judith Godrèche : « Oui, c’était une transgression. Ne serait-ce qu’au regard de la loi telle qu’elle se dit, on n’a pas le droit en principe, je crois. »

Passons vite aussi sur les récriminations contre Luc Besson, à qui Isild Le Besco reproche d’avoir, en 1997, mal quitté sa sœur, la réalisatrice Maïwenn (laquelle avait épousé le réalisateur à l’âge de 16 ans, ce dont elle ne s’est jamais plainte depuis, bien au contraire). Cette banale histoire de rupture amoureuse sert de prétexte à un portrait peu crédible du cinéaste, dépeint en homme insensible et dédaigneux. Il faut dire que, telle Annie Ernaux au pays des stars, l’auteur croit débusquer rien de moins que du mépris de classe dans le simple regard de son ex-beau-frère ! Certains appelleront cela un don divinatoire. D’autres un procès d’intention.

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Quelques chapitres plus loin, l’auteur lance en revanche dans la mare un pavé autrement éclaboussant. Évoquant ses débuts dans le cinéma, elle relate un de ses premiers tournages, pour un film d’Emmanuelle Bercot. Où l’on découvre une réalisatrice autoritaire, ivre de sa toute-puissance artistique, qui en vient à carrément demander à son acteur principal (étrangement anonymisé dans le livre – « invisibilisé » ou « silencié » diraient les wokes) d’exhiber son pénis, si possible turgescent, devant la caméra. « Il bandait un peu, écrit Isild Le Besco. Pas assez pour Emmanuelle, qui attendait plus et mieux. Hors champ il se morfondait de honte. » Ainsi donc une offense sexuelle peut se produire dans le milieu du cinéma sans qu’aucun mâle toxique y soit pour quoi que ce soit…

Le patriarcat est-il vraiment la cause des violences sexuelles qui, nous dit-on, gangrènent le cinéma ?

Second souvenir, tout aussi confondant : des années plus tard, Isild Le Besco réalise à son tour un film, et y embauche son propre frère, encore adolescent, pour tenir le rôle principal. Vient le jour de la projection. Quelle n’est pas la surprise du jeune homme quand, voyant à l’écran pour la première fois les scènes d’amour dans lesquelles il a joué, il découvre qu’un plan de sexe en érection, raccord avec les images de son corps nu, a été rajouté au montage. Un artifice signé Isild Le Besco, qui voulait sans doute, par ce moyen, s’éviter un dérapage à la Bercot durant les prises de vue. Reste que le procédé suscite le malaise – et à présent les regrets de l’intéressée. On imagine la blessure que celle-ci aurait ressentie si un réalisateur lui avait fait cette mauvaise manière !

La preuve est donc faite à deux reprises dans cet ouvrage qu’une représentante de la gent féminine peut, en conscience, abuser de son pouvoir de cinéaste, introduire de la pornographie dans un film non pornographique, placer un acteur dans une situation sexuellement humiliante. Ces deux « micro-agressions », bien sûr, ne relèvent pas des tribunaux. Elles n’en soulèvent pas moins une question : le patriarcat est-il vraiment la cause des violences sexuelles qui, nous dit-on, gangrènent le cinéma ? Ne s’expliquent-elles pas plutôt par l’essence même de cet art ?

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Les tentations sont nombreuses sur un plateau, où la technique de la caméra permet les spectacles les plus impudiques, en haute définition et en gros plan ; où le fonctionnement nécessairement ultra vertical d’une équipe de tournage place le cinéaste dans une position d’autorité comme peu de métiers l’autorisent ; et où, surtout, le désir, carburant principal de la création, est partout, y compris dans l’esprit des femmes qui filment, y compris dans celui des femmes qui sont filmées.

MeToo partait d’une idée simple : alors qu’on les imaginait vivre une existence de rêve, certaines vedettes de cinéma, riches et célèbres, ont révélé à partir de 2017 qu’il leur était arrivé, « elles aussi », de connaître l’épreuve du viol. De quoi décomplexer d’innombrables victimes « ordinaires » de crimes sexuels, qui n’osaient pas en parler.

Seulement la nouvelle vague de témoignages MeToo n’a pas la même force d’identification. Dans quel autre monde que celui du Septième Art une jeune fille mineure peut-elle gagner des sommes lui permettant de se loger à Paris, de quitter le foyer familial et de devenir la compagne d’un homme mûr avec toutes les apparences sociales de l’émancipation ? Dans quelle autre profession peut-on se retrouver, en application de son contrat de travail, entièrement dénudé devant son employeur ? Le troublant récit d’Isild Le Besco est à ranger au rayon Histoire du cinéma. Pas au rayon Féminisme.

A lire

Isild Le Besco, Dire vrai, Denoël, 2024.

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Vive le Tour!

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Florence, Italie, 27 juin 2024 © Massimo Paolone/AP/SIPA

La 111è édition de la Grande Boucle s’élance de Florence en Italie aujourd’hui, à midi. 176 coureurs sont sur la ligne de départ, et des millions d’amateurs les attendent le long des routes de notre beau pays.


Le Tour de France est une fête. Fête nationale s’il en est. Du fond de son canapé, le vaillant sportif par procuration peut tout à loisir regarder défiler le pays et s’offrir ainsi, sans même remuer un orteil, le grand dépaysement dont il est tellement friand.

Le Tour, il y a d’abord les coureurs, bien entendu, gambettes alertes et vigoureuses, casaques chamarrées, regard fixé sur la ligne bleue des Vosges, la ligne d’arrivée en la circonstance. Le peloton qui passe trop vite dans le chuintement étonnamment mélodieux des mécaniques bien huilées.

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Et puis il y a la fête avant la fête, la caravane publicitaire qui, elle prend son temps. C’est clinquant, tonitruant, pétaradant, toujours identique, toujours différent. Jadis, l’immortelle Yvette Horner, muée elle aussi en « forçat de la route », bouclettes improbables au vent, bouche peinturlurée vampire, surgissait du toit ouvrant du véhicule au moindre attroupement de badauds pour donner à l’accordéon les flonflons des bals popu’ de l’époque. Re-belote le soir à la ville étape. « Forçat de la route », disais-je. Aujourd’hui, il n’y a plus ni bouclettes ni Yvette. Il n’y a plus la plume d’Antoine Blondin pour donner à ces choses vues leurs lettres de noblesse.

Mais il y a ce qui ne change pas. Le quinqua ventripotent qui se prend à cavaler comme un gamin pour récupérer au fossé une casquette à deux balles. Il y a aussi l’autre caravane (le plus souvent métamorphosée désormais en camping-car), la caravane du touriste, du vacancier de juillet, qui, malin, fait bivouac depuis des jours dans tel virolet du Tourmalet pour être à poste le moment venu et s’offrir le défoulement canaille de brailler jusqu’à l’apoplexie. Se voulant étranger à ces rites populaires, le bourgeois regarde avec condescendance, comme il se doit. Qu’importe ! Le bobo aboie, la caravane passe. Vive le Tour! Le Tour et son grand bol d’air. Cette année plus que jamais…

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