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Jean Sévillia: un barrage contre le conformisme

Jean Sévillia dénonçait il y a vingt-cinq ans Le Terrorisme intellectuel. Avec Les Habits neufs du terrorisme intellectuel, il alerte aujourd’hui sur son développement : une idéologie qui remet en cause la nation, la culture et l’idée même de l’espèce humaine, et recourt à la censure pour s’imposer. Mais qu’on ne désespère pas, la résistance se lève !


Un premier sentiment entre effroi et consternation

Il faut toujours se fier à son premier sentiment. Celui qui saisit à la lecture le dernier opus de Jean Sévillia, Les Habits neufs du terrorisme intellectuel, se situe entre effroi et dégoût, consternation et suffocation. Il suffit en effet de feuilleter cette lumineuse démonstration pour comprendre, preuves à l’appui, que depuis un quart de siècle, la garde-robe du terrorisme intellectuel s’est considérablement étoffée. Et qu’il en va de même de l’arsenal dont il dispose, et des sévices qu’il est en mesure d’infliger à ceux qui refusent de se prosterner. En 2000, dans la première édition de son ouvrage, Sévillia avait consacré douze chapitres à des thèmes essentiellement politiques et qui, souvent, se croisaient : révolution, communisme, décolonisation… En 2025, à l’issue d’une période pourtant plus brève que celle qu’il avait traitée dans la version initiale, huit nouveaux chapitres viennent s’ajouter à l’ensemble, des chapitres qui, plus encore que les précédents, traitent de problèmes que la novlangue contemporaine n’hésiterait pas à qualifier d’« existentiels ». Ces menaces nouvelles, en effet, portent moins sur la forme du pouvoir ou la construction des mythes historiques que sur la nature de l’homme, de la famille, de la nation, de la culture et même de l’espèce. Leur nature et, au-delà, leur pérennité exigent ou impliquent leur élimination. Cette dernière est ouvertement réclamée au nom d’une idéologie plus totalitaire qu’aucune autre avant elle, puisqu’elle va encore plus loin dans la déconstruction du monde ancien et la fabrication d’un « Homme nouveau » dont elle précise avec insistance qu’il ne sera plus un homme.

Des menaces plus proches et omniprésentes

Les menaces implacablement dévoilées par Jean Sévillia se distinguent des précédentes en ce qu’elles paraissent infiniment plus proches. Elles ne se situent plus de l’autre côté du rideau de fer, ou de la Méditerranée, ou de l’histoire : elles sont à nos portes, dans nos maisons ou sur nos pas, ici et maintenant – avec, bien plus puissants que jadis, les gardiens de la révolution et les fourriers de la bien-pensance, prêts à tout pour interdire qu’on les nomme –, puisque les nommer, ce serait déjà les circonscrire et les combattre. Cachez ce sein que je ne saurais voir, taisez ce mot que je ne saurais entendre : Jean Sévillia rappelle à ce propos la passe d’armes mémorable autour du « sentiment d’insécurité », opposant le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui avait osé employer le mot d’« ensauvagement » pour désigner les explosions de violence de l’été 2020, et le garde des Sceaux (et du politiquement correct) Éric Dupond-Moretti, lui reprochant d’avoir employé un terme nourrissant « le sentiment d’insécurité », c’est-à-dire les plus « bas instincts » des Français, « parce que le sentiment d’insécurité, c’est de l’ordre du fantasme »

À lire aussi, Jean Sévillia : «Depuis 40 ans, la France se couche devant le pouvoir algérien»

Pour autant, les « habits neufs » ne se substituent pas aux anciens. Dans la plupart des cas, ils ne font que les prolonger, mais en les rendant encore plus lourds, plus suffocants, et surtout plus intouchables. Tel est en effet le propre de ce terrorisme, dont l’auteur observe que, refusant par avance « tout débat de fond sur les questions politiques et sociales qui engagent l’avenir », il « vise à ôter toute légitimité à son contradicteur en l’assimilant » à ce qui symbolise « le mal absolu ». Jadis, sous la Révolution, le terrorisme jacobin accusait ses adversaires, quels qu’ils fussent, d’être contre-révolutionnaires et royalistes ; de nos jours, le terrorisme intellectuel n’hésite pas à qualifier de nazis ceux qui ne se plient pas à son catéchisme idéologique. Et par conséquent, à leur couper la parole et à les bâillonner, en toute bonne conscience : nul moyen n’est trop rude pour faire taire les ennemis du Bien, c’est-à-dire de ce que ce terrorisme mainstream définit comme tel. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté, proclamait déjà Saint-Just, en faisant en sorte que cela ne reste pas une parole en l’air.

Vers une résistance organisée ?

En somme, souligne Mathieu Bock-Coté dans sa préface, « ces Habits neufs sont une histoire du totalitarisme au temps présent ». Mais c’est aussi, symétriquement, l’histoire d’une résistance qui s’amorce. Si tout système totalitaire suscite une résistance, celle-ci commence toujours par être frêle et embryonnaire, comme celle que décrivait Sévillia dans la première version de son livre : un demi-siècle plus tard, elle a eu le temps de croître et d’embellir, de s’organiser. Et telle est l’autre nouveauté que dévoile cet essai : les menaces se sont considérablement accrues depuis vingt-cinq ans, mais il en va de même des barrières susceptibles de leur être opposées.

A lire aussi, Mathieu Bock-Côté: «On nous condamne à un monde désexualisé, puritain et insultant»

« Les néoréactionnaires ont-ils gagné ? » s’inquiétait d’ailleurs Le Monde en janvier 2016, à l’occasion de la réédition du pamphlet de Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre. Et le grand quotidien du soir de pointer avec horreur l’assurance croissante du camp du Mal, la « libération de la parole réactionnaire » et (l’abjecte) « extrême droitisation du débat public », avant de dénoncer à la vindicte publique les intellectuels coupables de ce crime, au premier rang desquels « l’infatigable Patrick Buisson », artisan d’un « continuum qui va de l’aile dure de la droite républicaine aux Identitaires en passant par Philippe de Villiers, l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le site Figarovox et l’inévitable Éric Zemmour ». Dans cette « affiche rouge » d’un nouveau genre, ce panorama de la résistance, il manquait pourtant un nom, celui d’un auteur aussi discret que crucial, Jean Sévillia lui-même, qui depuis le tout début des années 1990 – dix ans avant la parution de son Terrorisme intellectuel puis de ses essais fondateurs, Historiquement correct (2003) et Moralement correct (2007) – laboure et prépare patiemment le terrain pour ceux qui, sur le modèle d’Andreas Hofer, le « Chouan du Tyrol », refusent de se laisser égorger sans rien faire.

416 pages

Les habits neufs du terrorisme intellectuel: De 1945 à nos jours

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Salauds de pauvres!

Faisant partie du projet de loi dit de «simplification» autour duquel les députés s’écharpent depuis plusieurs semaines à l’Assemblée, les ZFE limitent, dans les grandes villes, la circulation des véhicules les plus polluants. À la tête des «gueux», le romancier iconoclaste Alexandre Jardin prévient le gouvernement: il est hors de question que les riches privatisent davantage la capitale de la France…


Avec les ZFE (zones à faible émission), la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a fait souffler le zef de l’indignation, en déclarant que les pauvres n’étaient pas concernés, car «les moins riches, ils n’ont pas de voiture»1. Dans la bouche d’une ministre surdiplômée (elle a fait Science-po, HEC, l’ENA), c’est un mépris affiché pour les autodidactes, qui ne roulent pas sur l’or, ça résonne comme une insulte :  »Salauds de pauvres ! », qui ne pouvez pas vous payer des voitures électriques !

Conduisez-vous bien…

Pour amortir cette sortie malheureuse, le gouvernement a mis la pédale douce, et au final seule la traversée de Paris (et peut-être de Lyon) pourrait être concernée et interdite aux moins riches. La traversée de Paris, c’est le titre d’une nouvelle de Marcel Aymé, portée à l’écran par Claude Autant-Lara, où à Paris sous l’Occupation allemande, le personnage de Grangil, interprété par Jean Gabin, traîte de  »salauds de pauvres » les tenanciers et clients d’un bistro. Une réplique, à répliquer pour le plaisir : « Mais qu’est-ce que vous êtes venus faire sur Terre, nom de Dieu, vous n’avez pas honte d’exister, hein ? Regarde-les, tiens ! Ils bougent même plus ! Et après ça ils iront aboyer contre le marché noir… Salauds d’pauvres ! »

A lire aussi, Pierre Meurin: « Sur les ZFE, je ne lâcherai rien ! »

Mais pour Aymé, contrairement au ministre, il ne s’agissait pas d’insulter la pauvreté mais de dénoncer un manque de dignité, de moquer les Parigots tête de veau qui avaient baissé la tête sous le joug de l’Occupation. Or Paris est aujourd’hui occupé, par des illuminés qui veulent recréer la campagne à la ville. Alors, salauds de pauvres, il est encore permis de bien se conduire, en envoyant bouler les autocrates.

Le mépris

Un appel que relaie vertement l’écrivain Alexandre Jardin, qui n’hésite jamais à jeter la pierre aux bobos, dont les « idées parisiano-centrées puent le mépris ». Sur son compte X, il publie le témoignage d’un  »pauvre » paysan, un laissé-pour-compte qui ne veut pas s’en laisser conter : « Ils ne peuvent pas nous interdire Paris, se barricader entre eux, faire un mur anti-gueux. Paris n’est pas à eux. On ne les laissera pas privatiser la capitale des Français. » Les Mickey de Boboland sont prévenus.

Traversée de Paris

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  1. BFMTV, mardi 8 avril 2025 https://x.com/BFMTV/status/1909486559520268566 ↩︎

AME à Mayotte: un moindre mal

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​Le 15 mai 2025, l’Assemblée nationale examinera une proposition de loi visant à étendre l’Aide médicale d’État (AME) à Mayotte, actuellement le seul département français exclu de ce dispositif destiné aux étrangers en situation irrégulière. Portée par la députée Estelle Youssouffa (groupe LIOT), cette initiative vise à répondre aux défis sanitaires de l’île. « Les étrangers en situation irrégulière se tournent majoritairement vers le seul Centre hospitalier de Mayotte (CHM), et plus spécifiquement vers ses services d’urgence, plutôt que vers la médecine de ville, où ils seraient confrontés à des frais à avancer » plaide-t-elle. Pour Mansour Kamardine, le statu quo est intenable: il défend cette instauration de l’AME sur l’île, mais aussi une réforme globale au niveau national


Mansour Kamardine photograpghié en novembre 2017. Photo: Hannah Assouline

Causeur. Une proposition de loi pour étendre à Mayotte l’aide médicale de l’État (AME), réservée aux étrangers sans papiers, sera étudiée le 15 mai dans le cadre de la journée dédiée aux textes du groupe indépendant LIOT. Mayotte est aujourd’hui le seul département français exclu du dispositif de l’AME. Quelle est votre position sur cette situation ?

Mansour Kamardine. L’établissement de l’AME à Mayotte impliquerait le transfert d’environ 200 millions d’euros d’une enveloppe budgétaire existante vers une autre. Ce simple ajustement comptable ferait apparaître, mécaniquement et d’un seul coup, une hausse de 20 % du budget national alloué à l’AME. S’ajouterait à cela la visibilité immédiate de 150 000 bénéficiaires clandestins supplémentaires, jusque-là dissimulés dans les statistiques.

C’est précisément pour ne pas assumer cette réalité budgétaire et sanitaire que l’AME n’a jamais été appliquée à Mayotte.

Or, un tiers de la population réelle de l’île est en situation irrégulière. À l’hôpital, environ la moitié des dépenses concerne des patients étrangers, et plus de 80 % des 2 000 évacuations sanitaires annuelles vers La Réunion ou la Métropole concernent également des personnes non françaises.

La normalisation de la prise en charge des soins pour les personnes en situation irrégulière ferait tomber un tabou : celui de l’impact massif de l’immigration clandestine sur notre système de santé. C’est un sujet que beaucoup veulent éviter, notamment ceux que j’appellerais, pour reprendre une terminologie aujourd’hui bien connue, les « droit-de-l’hommistes » ou les « immigrationnistes ».

A lire aussi, Pierre Manent: Nous avons épuisé les dividendes de notre puissance

Pendant ce temps, les Mahorais paient le prix fort. L’espérance de vie sur l’île est inférieure de sept ans à la moyenne nationale. Le système de santé est à la fois sous-développé et saturé. À Mayotte, pardonnez-moi l’expression, mais on crève du déni de réalité.

Estelle Youssouffa défend cette proposition de loi. La soutenez-vous ? Pourquoi ?

Absolument. Entre 2018 et 2024, en tant que député, j’ai porté à de nombreuses reprises cette demande au parlement, à travers des interventions et des amendements. Ma collègue Véronique Louwagie, du groupe Les Républicains, a appuyé la même démarche en commission des finances.

Il est donc évident que je soutiens pleinement la proposition de loi du groupe LIOT. Néanmoins, nous pensons qu’il faut aller plus loin et faire évoluer l’AME en AMU, Aide Médicale d’Urgence, sur l’ensemble du territoire, avec un panier de soins réduit à l’essentiel, en cohérence avec les contraintes actuelles de notre système de santé.

Par ailleurs, je demande l’application de la T2A, c’est-à-dire la tarification à l’acte, au Centre Hospitalier de Mayotte, comme c’est déjà le cas dans les autres départements français. Il est également temps de mettre à niveau notre hôpital, en le transformant en CHRU (Centre Hospitalier Régional Universitaire), à l’occasion de la construction — tant attendue — du deuxième établissement promis depuis des années.

Enfin, rappelons un fait dramatique : Mayotte compte vingt fois moins de médecins libéraux et quatre fois moins de pharmacies par habitant que la moyenne nationale. C’est le plus grand désert médical de France. La mise en place de l’AME permettrait aussi d’encourager l’installation de la médecine de ville et de faciliter l’accès aux médicaments, qui sont évidemment essentiels à la santé des Français, où qu’ils vivent.

Certains estiment que l’extension de l’AME à Mayotte provoquerait un appel d’air migratoire. Que répondez-vous à cette crainte ?

Franchement ? C’est une vue de l’esprit totalement dépassée. L’appel d’air migratoire, à Mayotte, il existe déjà, et ce depuis des années. Aujourd’hui, l’accès aux soins est gratuit, généralisé et illimité pour les étrangers en situation régulière comme pour les demandeurs d’asile. Pire : dans bien des cas, les personnes en situation irrégulière sont prioritaires dans l’accès aux soins.

Ce déséquilibre conduit les Mahorais à devoir se rendre à La Réunion ou en Métropole pour des soins, des examens ou un simple suivi médical. Mais comment faire, quand 75 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté ? Ce type de mobilité est inaccessible pour la majorité d’entre eux.

La mise en place de l’AME, ou plutôt de l’AME-AMU, à Mayotte permettra au contraire de rétablir un minimum d’égalité entre les citoyens français et les étrangers. C’est, si vous me permettez l’expression, le minimum syndical.

À lire aussi, Anne Lejoly et Martin Pimentel : « Il faut en finir avec l’angélisme migratoire à Mayotte »

En l’absence d’AME, les étrangers en situation irrégulière se tournent massivement vers le CHM, contribuant à sa saturation. Comment répondre à cette urgence sanitaire sans encourager l’immigration illégale ?

D’abord, en instaurant l’AME à Mayotte, tout en la transformant, à l’échelle nationale, en AMU, c’est-à-dire en une aide restreinte aux soins essentiels, urgents et non programmables. Ensuite, en facturant à prix coûtant tous les soins hors AMU : examens, consultations, traitements, médicaments. Cela permettra aussi de tarir les trafics de médicaments qui alimentent aujourd’hui certaines filières entre les territoires français et des pays tiers.

Ensuite, il faut cesser les demi-mesures. Il est temps de mettre en place une politique cohérente, ferme et globale de lutte contre l’immigration clandestine :
– un contrôle réel des frontières,
– une action diplomatique sans ambiguïté,
– une lutte déterminée contre les réseaux criminels transnationaux,
– et surtout une réforme de notre cadre législatif, pour empêcher les contournements de l’esprit des lois.

Notre humanisme doit être protégé, mais il doit aussi être respecté.

L’Arcom, ou lard de la com’ en France

Liberté d’expression. Parce que l’extrème gauche l’appelle à toujours davantage sanctionner des figures médiatiques comme Cyril Hanouna – tandis que Jordan Bardella a dû dans le même temps passer par la justice pour défendre la promotion de son livre! – l’Arcom est accusée de censure. En comparaison avec les États-Unis, où la liberté d’expression reste sacrée, notre contributeur critique une régulation française jugée idéologique, sélective et contre-productive.


Ce sont rarement les réponses qui apportent la vérité, mais l’enchaînement des questions.
Daniel Pennac (La Fée carabine).

Plus de censure, ni sur les films ni dans les prisons ! 
Valéry Gisgard d’Estaing, le 27 août 1974.


La France n’est pas la Corée du Nord, mais elle est friande de ces mesures attentatoires à la liberté d’expression.

D’abord la loi Gayssot, réprimant le négationnisme des crimes nazis.

L’article 434-25 du code pénal punit l’insolent qui « cherché à jeter le discrédit (…) dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ».

L’art. 421-2-5 du Code pénal vise l’apologie du terrorisme.

Sans oublier les lois portant sur les discours haineux….

Les conférenciers se voient trop souvent interdits de meeting sous le fallacieux prétexte de « menace à l’ordre public », constat conjectural a priori fondé  sur leurs antécédents, plus ou moins authentifiés et souvent tronqués, alors que, en réalité, la menace provient plutôt des perturbateurs qui veulent les museler. En toute logique, il faut éviter de « préjuger » l’orateur, qui doit être, de prime abord, toujours libre de s’exprimer et, si ses déclarations vont au-delà des limites permises, la justice peut alors intervenir et sanctionner, mais a posteriori. Cependant, il faut compter avec la logique juridique française…

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est chargée notamment de déterminer s’il y a manquement aux obligations en matière de pluralisme et d’honnêteté dans la présentation des informations. Rien que ça. Elle est donc censée veiller à l’observation des lois suivantes : la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet; la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République; et la plus belle, la plus orwellienne : la loi contre la manipulation de l’information de 2018.

Etat de droit : Ferrand au sommet, Hanouna au bûcher !

Selon une décision du Conseil d’Etat, le régulateur doit veiller, sur « les sujets prêtant à controverse », au « respect de l’obligation d’assurer l’expression des différents points de vue ». Pour juger d’un éventuel « déséquilibre manifeste et durable » dans le traitement du sujet, il devra s’appuyer sur un faisceau d’indices – la diversité des intervenants, des thématiques et des points de vue exprimés, sur les antennes. Texto. Une formule aussi simple qu’une recette de cuisine. L’enfance de lard.

L’actualité donne de la brioche sur la planche de l’Arcom. Voici quelques affaires dont elle vient d’être saisie.

CNews et Europe 1 n’auraient pas « traité l’affaire [de la condamnation de Marine Le Pen] avec mesure, rigueur et honnêteté », « la présentation des différentes thèses en présence » n’aurait pas été assurée.

A lire aussi: Marine Le Pen, victime du «coup d’Etat» des juges

Dans le cadre d’une discussion concernant la notion de consentement dans la définition pénale du viol adoptée deux jours auparavant par l’Assemblée nationalePascal Praud affirmait sur CNews que « beaucoup de femmes qui n’ont pas eu la chance d’être regardées par les hommes […] nourrissent parfois contre eux un sentiment de revanche ». Mathilde Panot et Sarah Legrain sont horrifiées.

Aymeric Caron fulmine car Yoann Usai a déclaré mardi 8 avril sur CNews que « les juifs n’ont pas d’importance à LFI… pour La France insoumise, les otages israéliens peuvent crever dans la bande de Gaza parce que ce sont des juifs ».

« CNews a muté en organe de propagande officiel de l’extrême droite », s’étrangle le député LFI Aurélien Saintoul.

Aux Etats-Unis, on ne blague pas avec la liberté d’expression, mais…

« Comparer, c’est comprendre » disait Claude Lévi-Strauss. Et quel contraste avec les Etats-Unis, où, le droit, noir sur blanc, ne plaisante pas avec la liberté d’expression.

Cela n’exclut malheureusement pas, sur le terrain, une tradition de harcèlement des contestataires de la part des hargneuses autorités politiques que nourrit un climat d’hystérie : notons les « Palmer Raids »  dans une atmosphère de « peur rouge » et d’attentats anarchistes, qui aboutirent à l’expulsion de militants de gauche en 1919 et 1920; le McCarthisme des années 1950 et le mouvement de défense des droits civiques, où s’illustra le directeur du KGB… rectification, du FBI, J. Edgar Hoover. Le président Trump n’a donc pas réinventé la roue en reprenant le flambeau aujourd’hui contre les humanistes qui ne peuvent pas rester complètement de marbre face au vécu (si l’on peut dire) des Palestiniens, avec peut-être une énergie accrue.

Il a ouvert en priorité la chasse aux non-Américains « simplement »  titulaires d’une carte verte de résident permanent, ou, pire, d’un encore plus « simple » visa d’étudiant. (Pour mémoire, John Lennon subit l’ire du président Nixon en raison de son hostilité publique envers la guerre au Vietnam et il dut batailler devant les tribunaux pour obtenir sa carte verte). Les citoyens américains, eux ne sont évidemment pas attaqués frontalement… pour l’instant (mais pensons à l’ex-champion du monde d’échecs Bobby Fischer, qui fut inculpé, mensongèrement, de violation de l’embargo frappant l’ex-Yougoslavie en 1992, et qui finit ses jours en exil en Islande); à ce stade, ils font « simplement » l’objet de mesures d’intimidation sournoises : par exemple, plusieurs cabinets d’avocats ayant participé aux enquêtes visant Sa majesté orange ont dû accepter des offres qu’ils ne pouvaient pas refuser de la part d’une administration vengeresse.

Cela dit, vu la position traditionnelle des juridictions américaines, ces lois françaises, anti voltairiennes, sont impensables car elles ne résisteraient pas plus de cinq minutes à l’examen.

(Incidemment, l’infraction de « common law » équivalente à l’article 434-25 du code pénal français, dite « scandalizing the court » [les lecteurs auront traduit d’eux-même], n’a plus cours que dans les pays du tiers-monde n’ayant pas encore atteint un niveau de civilisation démocratique).

A fortiori, le concept même d’une Arcom américaine relèverait de l’hérésie et provoquerait des fous rires chez les étudiants en deuxième année de droit.

De façon générale, ces lois de circonstances, adoptées à chaud, sous le coup de l’émotion, parfois bien intentionnées, ne sont qu’un mirage : elles sont trop souvent sélectives; pire, elles sont facilement instrumentalisables (les lois sur les discours de haine constituent un arsenal particulièrement prisé des groupes de pression religieux) et surtout contreproductives car elles font des martyrs et leur servent de caisses de résonnance. Par contraste, les délires des négationnistes américains (oui, il y an a) tombent toujours à plat, car ils ne bénéficient pas de l’effet publicitaire de lois liberticides.

Fatwahs de vérité

Comment soutenir, sans rire, qu’il revient à des fonctionnaires français, tout augustes et bien intentionnés fussent-ils, de prononcer des fatwahs de vérité ? Encore que l’on pourrait peut-être s’y résigner s’ils ne disposaient pas du glaive de la sanction. Mais comme le démontre la jurisprudence de l’Arcom, elle dispose d’un troublant pouvoir de censure de la presse d’opinion si elle est audio-visuelle : est particulièrrement sinistre la récente suppression de C8. Une consolation : cette excommunication est devenue, comme il se doit, un argument de vente pour Cyril Hanouna, auquel il faut souhaiter bonne chance avec son passage à M6 annoncé, encore qu’il a dû payer le prix d’une équipe réduite.

Chaque média doit demeurer libre de s’exprimer exclusivement selon son propre point de vue et même selon sa propre idéologie, sans faire dans la dentelle : il peut instruire un thème à charge, et/ou à décharge et opter pour la provocation. Il est hallucinant de lui imposer le rôle d’organisateur de débats et assurer un chimérique équilibre des thèses en son sein. Au final, l’équilibre résulte de la juxtaposition des thèses présentées par différents médias concurrents. C’est au citoyen/contribuable/justiciable lambda qu’il incombe de tirer ses propres conclusions après avoir effectué les recoupements pertinents à partir des innombrables sources, y compris judiciaires, accessibles au grand public, qu’il est libre de consulter et de soupeser. Ou pas.

Les seules limites voltairiennes sont celle de la diffamation visant des personnes précises et celle définie par la jurisprudence américaine : le « danger manifeste et imminent » (« clear and present danger » en v.o.). Sinon, tous les coups (même de gueule) sont permis et de bonne guerre.

A lire aussi: L’Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ?

Mais même en France, il y a quelques lueurs d’espoir en matière de liberté d’expression.

Saluons d’abord le jugement de simple bon sens (une denrée trop rare) rendu le 9 avril dernier par le tribunal des activités économiques de Paris : la régie publicitaire ferroviaire MediaTransports avait refusé la campagne d’affichage du livre de Jordan Bardella, Ce que je cherche, et elle est condamnée pour « inexécution fautive du contrat » de diffusion publicitaire pour le livre du président du Rassemblement national.

Par ailleurs, la députée européenne (et authentique française) Rima Hassan, a pu tenir sa conférence sur la Palestine à l’université de Rennes 2 le 10 avril dernier. Les canidés avaient aboyé, mais la caravane est finalement passée sereinement.

Les glapissements d’indignation des députés LFI Aymeric Caron, Mathilde Panot, Sarah Legrain et Aurélien Saintoul font partie du débat. Le téléspectateur appréciera. Souverainement.

Cela dit, quel affligeant spectacle que ces élus se blottissant dans les jupons de maman Arcom pour lui faire part de leurs doléances, qui ne sont que pleurnicheries bien franchouillardes.

L’Arcom est-elle soluble dans l’alcool?

PS. Livre incontournable (non traduit): Defending My Enemy: American Nazis in Skokie, Illinois, and the Risks of Freedom (1979 de Arieh Neier (Défendre mon ennemi : les Nazis américains à Skokie (Illinois), et les risques de la liberté, en v.f.).

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Canada: la chute hors de l’histoire d’un pays en pyjama

Le Canada, entre confort douillet et déclin discret, glisse peu à peu hors de l’Histoire. La très probable succession de Mark Carney à la tête du pays à la fin du mois n’est pas de nature à rassurer une population trop naïve et continuellement en pantoufles.


Le constat est sans appel: le Canada affiche aujourd’hui l’une des plus faibles croissances économiques par habitant de tout l’Occident. Malgré les beaux discours sur les vertus de l’ouverture et de l’inclusion, censées garantir sa prospérité pour l’éternité, cette étoile boréale pâlit, s’appauvrit et se referme sur elle-même.

Le Canada vit dans le déni de son propre déclin. Après dix ans de règne catastrophique marqué par l’expansion de l’État, l’explosion de la dette publique et l’immigration massive, Justin Trudeau laisse derrière lui un pays très faible.

Et le 28 avril prochain, l’élection maintenant probable du banquier Mark Carney, son successeur à la tête du Parti libéral du Canada, ne ferait qu’accélérer cette tendance.

La peur comme gouvernail

Le phénomène tient d’abord à ce que l’on pourrait appeler l’idéologie sécuritaire. Depuis la Covid en particulier, le Canada est obsédé par la gestion des risques en tous genres: sanitaires, climatiques, numériques, etc., et aujourd’hui économiques face à l’hostilité d’un Donald Trump armé de tarifs punitifs.

Seule l’immigration massive – dont les effets culturels et démographiques ne sont plus à démontrer – semble encore bénéficier d’un certain laxisme de la part des autorités.

A lire aussi: L’improbable retour de Kamala Harris

Au Canada, tout est matière à encadrement. On multiplie les règles dans le but de rassurer une population devenue hyper anxieuse à force d’être gavée de récits catastrophistes, on normalise l’état d’urgence sous couvert de bienveillance.

Sous l’emprise du wokisme, le Canada a rompu avec le politique pour entrer dans le psychopolitique. Désormais, pratiquement tout y est vécu sous l’angle du stress et de l’anxiété. La raison a cédé le pas à l’émotion. Un nombre faramineux d’articles de presse ont pour titre «l’inquiétude» sur un phénomène X, dans un tintamarre de nouvelles insignifiantes mais jugées préoccupantes.

Un État omniprésent, une population infantilisée et une classe politique transformée en comité thérapeutique: la pandémie a été le tremplin d’un nouveau mode de gouvernance fondé sur la peur et le contrôle social.

Le Canada s’est engagé sur la voie d’un autoritarisme soft. Dans cet univers ultra aseptisé, la liberté d’expression est suspectée d’exposer les citoyens à des idées inconfortables et anxiogènes, qu’il vaut mieux encadrer ou réprimer au nom de la nouvelle hygiène publique. Ce fantasme d’un monde sans heurts — d’un grand safe space national – étouffe le débat démocratique.

Dogme du confort et culte des loisirs

À cette obsession sécuritaire s’ajoute le triomphe d’une philosophie du confort et du bien-être. Le bien-être émotionnel et corporel est devenu le nouvel horizon du Canada, cette oasis gelée où des hordes de gens plus «en santé» les uns que les autres font leur jogging dans la rue en semblant fuir la mort.

Ce bien-être érigé en dogme est presque devenu une finalité politique, comme si la mission d’un gouvernement était désormais de garantir à chacun un équilibre physique et psychologique.

Dans cette société des loisirs hypertrophiée, où les citoyens-consommateurs sont invités à «prendre soin d’eux-mêmes» en toutes circonstances, la moindre contrariété est perçue comme une forme de violence symbolique, comme une «micro-agression».

A lire aussi: La guerre sans effort de guerre ?

On soigne des traumatismes imaginaires, on prône l’évitement des défis personnels et professionnels, on décourage l’effort. Loin de valoriser la résilience, le Canada en est venu à institutionnaliser la paresse, après avoir récompensé financièrement des milliers de citoyens pour être restés chez eux à ne rien faire durant le Covid.

Résultat: une population surmédicalisée et désarmée devant la rudesse du monde, et des politiciens qui n’hésiteraient plus à promettre des séances de yoga gratuites pour se montrer sensibles à la détresse ambiante. Au Canada, on ne veut plus travailler mais se relaxer, on ne veut plus être représenté par ses élus, mais protégé par ces derniers.

Une société-chalet

Enfin, le caractère insulaire du Canada a contribué à son isolement mental et ipso facto à son déclin global. Ce refus du monde extérieur au profit d’un repli dans l’arrière-pays a nourri l’illusion que le Canada vivait à l’abri de toutes les intempéries internationales. C’est ce que j’appelle la «société-chalet», c’est-à-dire cette société périphérique où les interactions sociales sont secondaires et où se détendre et avoir du «temps de qualité» est l’objectif suprême de tous ces êtres stériles.

L’Homo canadicus est persuadé d’habiter le meilleur pays sur la planète, mais parce qu’il n’a jamais eu à lutter pour en défendre la souveraineté ni les grands principes sur lesquels il est censé reposer. Prétentieux, le Canada a cru pouvoir s’élever au-dessus du monde, alors qu’il s’en est seulement détaché pour mieux vivre dans sa bulle. Hissés sur les épaules des États-Unis, les Canadiens se sont longtemps crus exemptés de toute adversité. Les ratés de la mondialisation, les guerres, les crises migratoires, les bouleversements géopolitiques? Tout cela semblait si lointain, si abstrait, jusqu’à ce que le retour de Trump à la Maison-Blanche vienne brutalement rappeler que l’Histoire n’épargnait personne. Pas même les gentils et naïfs Canadiens.

Laurent Wauquiez, on ne délocalise pas la honte!

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En pleine campagne pour la présidence des Républicains, Laurent Wauquiez est contraint de faire parler de lui pour se démarquer de son rival Bruno Retailleau. La semaine dernière, le député de la Haute-Loire a proposé une mesure choc: envoyer à Saint-Pierre-et-Miquelon – territoire hors de l’espace Schengen, sans possibilité de retour en métropole – les personnes sous OQTF jugées dangereuses et que l’on n’arrive pas à expulser, souvent relâchées dans la nature après 90 jours. La France, jadis puissance respectée, est-elle devenue un simple foyer social ? — Le billet de Driss Ghali


Envoyer les OQTF dangereux à Saint-Pierre-et-Miquelon au lieu de les envoyer à Rabat, Alger ou Bamako. Laurent Wauquiez étale donc, sans s’en rendre compte peut-être, l’impuissance française sur toute la surface du débat public. Le pays qui, avec une poignée de soldats, a conquis l’Afrique et l’Indochine, et qui avec un petit nombre d’administrateurs sous-payés et sous-équipés les avait tenus, ce pays n’est plus en mesure aujourd’hui de faire appliquer le droit international qui exige le renvoi de ces fameux OQTF à leur pays d’origine. Comme une femme saisie par son impuissance à se faire respecter par son mari, la France menace de sauter du balcon du premier étage. Où et comment avons-nous perdu la recette de la dignité et de la puissance ?

Affaiblissement

Laurent Wauquiez est loin de se poser cette question. Car y répondre reviendrait à faire exploser la République française, le tombeau de l’âme française qu’elle a déshabitué à la grandeur. La monarchie n’aurait peut-être pas fait mieux. Il n’y a qu’à voir la déréliction du peuple anglais devant les violeurs pakistanais et la capitulation du peuple belge face aux Frères musulmans. Mais, toute réflexion sérieuse sur l’affaiblissement français exigerait d’entrée de faire voler en éclats le gouvernement des incapables dotés d’ambition qui opèrent l’Etat français à tous les niveaux. Ils sont une menace systémique à la France. Ils sont, bien avant l’islam, la grande menace existentielle. Laurent Wauquiez est à mille lieux de souhaiter leur départ, il veut simplement se loger à leur tête comme un cornac incapable qui fait semblant de conduire un éléphant affranchi de toute allégeance.  Il est toléré, à peine autorisé à s’asseoir sur le siège du pilote, à tout moment il peut se retrouver par terre.

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La question de la puissance est pourtant la seule digne d’intérêt. Elle commande tout. Si nous étions puissants, les violeurs et les voleurs d’origine étrangère n’auraient pas osé passer à l’acte. Si nous étions puissants, il n’y aurait même pas d’OQTF car personne ne serait rentré chez nous par effraction. Si nous étions puissants, il n’y aurait même pas de Saint-Pierre-et-Miquelon, nous serions les maîtres du Canada, terre que Louis XV a abandonné aux Anglais.

La France entourée de carnivores

D’ailleurs, à ce rythme, il n’y aura plus de DOM-TOM. Ces territoires seront absorbés par des hommes agressifs et déterminés qui n’auront pas été exposés à la CAF ni au RSA. Mayotte aux Comoriens, la Nouvelle-Calédonie aux Chinois, la Réunion aux Malgaches assurément, les Antilles aux cartels peut-être ou aux Américains qui leur auront délégué la gestion de ces territoires, va savoir…

Comment conclure sur une note positive ? En renchérissant sur la proposition de Laurent Wauquiez. Et pourquoi ne pas les enrôler dans la Légion Etrangère ces OQTF ? Qu’il serait beau un camp d’entraînement et de des-ensauvagement sous les auspices de la Légion à Saint-Pierre-et-Miquelon ! D’un terreau pourri naîtrait peut-être, grâce au génie français, une plante splendide mais épineuse. La France n’est utile que lorsqu’elle réalise des miracles ! Elle n’a pas besoin de Wauquiez ni de Retailleau ni de Macron, elle a besoin d’un prophète qui lit clair dans son identité et la remette sur le droit chemin. Le reste suivra spontanément.

Paris-Roubaix: le maître des pavés et le vaincu magnifique

Le Paris-Roubaix aura tenu toutes ses promesses. Au terme d’une course spectaculaire, l’affrontement majeur entre Tadej Pogačar et Mathieu Van der Poel a comblé tous les amoureux du cyclisme.


La 122ème édition de Paris-Roubaix, « L’Enfer du Nord »1, disputé dimanche, a tenu toutes les promesses que la presse prophétisait. Elle a offert en effet un duel d’anthologie entre un « maître des pavés », Mathieu Van der Poel, petit-fils de Raymond Poulidor, dit « Poupou » faussement qualifié d’éternel second (le palmarès de ce dernier compte pas moins de 189 victoires), et un « vaincu magnifique », Tadej Pogačar, venu avec panache le défier sur son terrain de prédilection, au risque insensé de compromettre la suite de sa saison.

Avec cette troisième victoire consécutive2, Van der Poel, rejoint au palmarès les deux seuls coureurs triplement vainqueurs d’affilée, Oscar Lapize (1909, 10 et 11), mais la course d’alors n’était pas encore le mythe qu’elle est devenue à partir des années 50, et Francesco Moser (1978, 79, 80), à savoir 45 ans plus tôt. Et dans sa tête trotte sans doute déjà l’idée d’en décrocher une quatrième de suite l’an prochain qui ferait de lui l’incontestable « Roi de la Reine des Classiques ». D’autant, détail piquant, que le millésime de cette future édition portera le chiffre mémorable de 123ème. Jusqu’à maintenant, deux coureurs l’ont gagné quatre fois, mais pas d’affilée, Roger de Vlaeminck (1972, 74, 75, 77) et Tom Boonen (2005, 08, 09, 12).

Une erreur qui coûte cher à Pogačar

C’était la première fois de sa jeune encore carrière professionnelle que Pogačar s’alignait au départ de Paris-Roubaix. Junior, il y a participé deux fois dans une version très réduite sans briller particulièrement. Et comme il l’a démontré en plaçant ses premières banderilles dès la sortie de la Trouée d’Aramberg, l’essoreuse du peloton, à plus 100 km de l’arrivée, et en n’hésitant pas à attaquer par la suite à plusieurs reprises, alors qu’il aurait pu faire une course attentiste et décochait une de ces fulgurantes accélérations qui sont sa marque, il était bien venu pour « la gagne ». S’il avait réussi, il aurait été le second à vaincre pour sa première participation. Seul, un Italien, Sonny Colbrelli3, en 2021, quand « L’Enfer du nord » s’est couru un 3 octobre pour cause de crise du Covid, y est parvenu. Atteint d’une arythmie cardiaque, ce dernier a mis prudemment fin à sa carrière l’année suivante.

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D’aucuns se demandent si sa chute survenue à 38 km de l’arrivée n’a pas privé Pogačar de cet exploit. Très probablement pas, son tout-droit dans un virage certes en angle droit mais sans difficulté est imputable à un évident manque de lucidité caractéristique d’un coureur à la limite du point de rupture. Il est reparti avec 20 secondes seulement de retard sur Van der Poel, il est revenu à 13 secondes, il l’avait en mire, mais n’a pu les combler, comme quoi il était bien à bout.

Un record et une victoire pour Van der Poel

De son côté, serein malgré ce retour qui ne pouvait qu’être qu’un baroud d’honneur, lui, Van der Poel a tracé sa route à son rythme puissant, sachant que les derniers secteurs pavés seraient à son avantage. Très vite, il a recreusé l’écart et mis une confortable minute d’avance sur son poursuivant ce qui autorisait sa voiture suiveuse à se placer derrière lui, d’être en somme son assurance-vie. C’est ainsi qu’il a pu être dépanné sans perte de temps de sa crevaison à moins de 20 km du vélodrome de Roubaix où est jugée l’arrivée.

À propos de cette chute, Van der Poel, que lui a pu esquiver grâce à sa dextérité de cyclo-crossman, a déclaré : « Dommage parce que sans celle-ci la victoire ça se serait joué certainement au sprint car ça aurait été dur de le lâcher sur les pavés. » Au sprint, Van der Poel est plus rapide que Pogačar ainsi qu’il l’a démontré en le battant nettement dans la Milan-San Remo, la première classique de la saison.

Quand Pogačar a fait son entrée sur le vélodrome, il a eu droit à une ovation, méritée, comme si le vrai vainqueur était lui. Il a démontré qu’il était un sérieux prétendant à l’avenir à la victoire car sûrement il reviendra. Qu’être un poids-léger, il pèse 66 kg et mesure 1,76m alors que le poids moyen des vainqueurs depuis deux bonnes décennies est supérieur à 75kg et la taille au moins de 1,82 m, n’est pas rédhibitoire. Un Bernard Hinault malgré ses 65 kg en 1981 ou un Marc Madiot en 1985 et 91 avec ses 68 kg ne s’étaient-ils pas imposés ?

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Mais, surtout ce Paris-Roubaix est venu confirmer que Pogačar était un coureur polyvalent, un des rares pour ne pas dire l’unique en mesure de vaincre sur des courses d’un jour, de huit ou sur les grands tours de trois semaines, à la différence de ses deux rivaux, Van der Poel sur les classiques, et Jonas Vingegaard sur le Tour de France. Son palmarès l’atteste : huit classiques qualifiées de Monuments, trois Tours et un Giro, alors que Van der Poel ne compte, si l’on peut dire, que huit Monuments avec sa victoire de dimanche et aucun grands tours – ses prestations sur la Grande boucle ont été toujours piètres -, et Vingegaard ne compte que deux Tours et aucune classique.

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  1. Le surnom d’Enfer du Nord, contrairement à ce que l’on croit, n’est pas dû à ses pavés mais à la guerre de 14-18. À la reprise de la course, en 1919, un journaliste de la revue Vélo va découvrir le parcours qui traverse les paysages dévastés par le conflit. Il écrit que celle-ci se déroulera dans un décor qu’il qualifie d’enfer du nord. L’expression est restée et a été assimilée aux pavés qui font subir, eux, un enfer aux coureurs. ↩︎
  2. En tout, huit coureurs ont gagné à trois reprises mais pas d’affilée, parmi eux Rick Van Loy, Eddy Merckx, Fabian Cancellara, aujourd’hui patron de l’équipe Tudor dans laquelle court Julian Alaphilippe. ↩︎
  3. Bien sûr, le vainqueur de la première édition, le 19 avril 1896, l’Allemand Josef Fisher, a été, et pour cause, le premier gagnant pour sa première participation. ↩︎

Comme à la maison – du peuple

Ouverte au public telle une annexe du palais présidentiel, la Maison Élysée est un lieu hybride qui décline à travers un musée, une boutique et un salon de thé, l’art de vivre à la française et le « made in France » sous toutes ses facettes. On se croirait chez le voisin d’en face, la politique en moins


Depuis les gilets jaunes, le quartier de l’Élysée est barricadé et la rue du Faubourg-Saint-Honoré fermée à la circulation de la place Beauvau à la rue Boissy-d’Anglas. Seuls les piétons peuvent déambuler sous l’œil sévère de gardes républicains armés jusqu’aux dents… Il y a des promenades plus agréables ! Pourtant, depuis juillet 2024, plus de 85 000 personnes sont venues visiter La Maison Élysée, ouverte juste en face du palais présidentiel.

Un président soucieux de partage

Ce lieu singulier, dont on parle peu, dévoile un aspect plutôt sympathique de notre actuel président : sa volonté de rendre accessible à tous l’art de vivre de cet illustre palais de la République.

Comme nous l’explique notre guide passionné, « les Journées du patrimoine et la Fête de la musique ne suffisaient pas à accueillir tous les Français qui désirent découvrir le palais de l’Élysée. Il fallait créer un prolongement pour répondre à cette demande, preuve que notre vie démocratique n’est pas aussi malade qu’on le dit. Le succès est tel que la Maison-Blanche, à Washington, nous a copiés en reprenant le même concept ! En beaucoup moins bien, bien entendu… puisque les visites y sont payantes (alors qu’elles sont gratuites ici) et qu’on se contente d’y découvrir la crème glacée préférée du président Obama et le sandwich de Donald Trump au milieu d’objets souvenirs de pacotille fabriqués en Chine alors que nous, nous célébrons la grandeur de l’artisanat français. »

L’exploit, surtout, réside dans la brièveté foudroyante des travaux, quatre mois au cours desquels Michel Goutal, architecte en chef des Monuments historiques, et Sarah Poniatowski ont métamorphosé une ancienne galerie de tableaux en créant un étage auquel on accède par un grand escalier en marbre doté d’une magnifique rambarde en fer forgé (moi, pendant ce temps, j’attends toujours que mes ouvriers terminent ma salle de bain) : quand l’Élysée veut vraiment quelque chose, ça va fissa !

Un espace en trois actes : boutique, musée, salon de thé

D’une blancheur immaculée, cette maison aux allures de théâtre se divise en trois parties distinctes : la boutique, le musée et le salon de thé.

La boutique, dans laquelle on entre de plain-pied, honore le « made in France » dans ce qu’il a de plus pittoresque : cornichons de la maison Marc, foie gras du Gers, vanille en gousse de Tahiti, huiles d’olive des Baux-de-Provence (parfumées au pesto par le chef des cuisines de l’Élysée, Fabrice Desvignes), chocolats d’Alain Ducasse et café Malongo (pour ces deux derniers, l’Élysée aurait pu nous consulter, nous lui aurions proposé mieux). Outre les produits comestibles, on trouve des montres mécaniques du Jura, des stylos-plume. Dupont, des chaussettes de la maison Broussaud, du savon de Marseille, des assiettes et des tasses de Degrenne, des parapluies de Cherbourg brodés à la main pouvant résister à des tornades de 150 km/h… Aussi insolites soient-ils, tous ces objets ont été « approuvés » par la présidence de la République française selon le modèle du Royal Warrant de la famille royale britannique.

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De Gaulle aurait-il accepté que l’on mît en vente son eau de toilette, ses pantoufles et son champagne ?

Quelques mètres plus loin, le visiteur pénètre dans la partie musée où sont exposés différents objets d’art provenant du palais, à commencer, justement, par le célèbre bureau du général, chef-d’œuvre en bois précieux, bronze et cuir de l’ébéniste de Louis XV, Charles Cressent (1740). Ce meuble majestueux porte encore les marques de cigarette de Pompidou, les taches d’encre de Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande – Giscard et Macron lui ont préféré un bureau plus moderne.

Macron est d’ailleurs le président qui a le plus modernisé les intérieurs de l’Élysée, héritier en cela de Georges Pompidou qui avait été le premier à y faire entrer l’art contemporain en commandant des meubles au designer Pierre Paulin en 1972.

Les cadeaux diplomatiques, entre symboles et bizarreries

Pendant que la voix enregistrée de Stéphane Bern raconte à qui veut l’entendre l’histoire de l’hôtel d’Évreux édifié en 1722, on se précipite dans la salle des cadeaux diplomatiques offerts au président Macron depuis 2017. On regrette de ne pouvoir admirer ceux reçus par tous ses prédécesseurs, à commencer par les bijoux de Bokassa, mais ceux-ci ont été éparpillés dans plusieurs musées nationaux. « Bientôt, je l’espère, ils seront tous ici ! » s’enflamme notre guide. Ces cadeaux n’appartiennent pas au président en personne, mais au Mobilier national, donc à la République. Certains fascinent par leur simple beauté ethnique, à l’image de la cloche de chameau d’Éthiopie, des éperons en argent de cow-boys du Chili, de la parure en coquillages de Papouasie-Nouvelle-Guinée, des chandeliers à trois branches de Thaïlande, du luth à manche long joué par la déesse Sarasvati en Inde… Un tableau figure aussi les deux lévriers du Kazakhstan offerts au président et qui courent tous les jours dans les jardins du palais avant d’être gardés par un maître-chien. Certains cadeaux sont manifestement porteurs d’un message crypté, tel ce bouffon de la commedia dell’arte offert en 2019 par le Premier ministre italien…

Ce musée prometteur rend aussi hommage à la garde républicaine, dernière unité montée de l’armée française (565 cavaliers, 400 chevaux) dont la mission première est d’assurer la protection du président et des palais nationaux depuis 1880. Sabres, selles, bottes et casques sont tous fabriqués par des artisans français d’exception, pour son peloton de tireurs d’élite, constamment déployé lors des sorties présidentielles, et sa section antidrones, mobilisée en permanence.

À l’étage, on a la surprise de découvrir le plus beau salon de thé de Paris, écrin en marbre posé sous une verrière multicolore. Les serveurs sont vêtus avec élégance et s’expriment aussi bien que les acteurs de la Comédie-Française. Loin du bruit et de la fureur, on peut se régaler d’un chocolat chaud et d’une pâtisserie confectionnée par le chef pâtissier de l’Élysée : flan vanille Pompadour (à base de vanille fraîche et entière), tarte chocolat escalier de l’Empereur, charlotte corrézienne (un dessert aux pommes dédié à Jacques Chirac et à François Hollande), tarte marron et cassis… Moi qui ne savais pas où donner mes rendez-vous galants, maintenant, je sais.

La Maison Élysée

88, rue du Faubourg-Saint-Honoré 75008 Paris
Accès libre et gratuit du mardi au samedi de 10 à 19 heures.
Visites guidées gratuites sur réservation : www.billetterie-elysee.fr

Au salon de thé : chocolat chaud 8 euros, thé et cappuccino 6 euros, pâtisseries entre 9 et 12 euros.

La boîte du bouquiniste

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Il est des métiers oubliés et des noms inconnus. Qui se souvient de la profession de sténodactylo et qui a déjà entendu parler de Fernande Choisel ? Cette femme qui n’a rédigé que ses mémoires a pourtant écrit – tapé – des centaines de livres et de pièces de théâtre. Elle qui, enfant, a vu la tour Eiffel « monter boulon après boulon » se lance, jeune femme, dans la sténographie – ce langage des signes manuscrit qui permet de noter à la vitesse de la parole. En 1897, cette pionnière du genre voit d’un mauvais œil l’arrivée de la machine à écrire, même si celle-ci symbolise ses « idées d’avant-garde », car ce « véritable bloc d’acier, compliqué d’une foule de ressorts qui sautent à chaque frappe et d’un clavier de soixante-quinze touches » transforme ses déplacements « en véritables expéditions ». Et ses déplacements sont quotidiens : employée de l’agence de M. Compère, elle est envoyée, au gré des demandes, chez Robert de Flers, Edmond Rostand, Francis de Croisset, Gaston Leroux, Tristan Bernard… pour dactylographier leurs manuscrits ou écrire sous leur dictée.

Au printemps 1916, Fernande est demandée au théâtre des Bouffes-Parisiens. Elle est conduite dans la loge de Sacha Guitry qui lui donne quelques feuillets à mettre au propre. Elle découvre le personnage : un esprit en ébullition qui passe dans la même conversation d’un projet à un autre avant de revenir au précédent tout en décochant un galant compliment à la première dame venue et en essayant un nouveau costume, une nouvelle perruque, un nouveau maquillage… une nouvelle réplique. Un tourbillon toujours nimbé des volutes de cigarettes qu’il fume à longueur de journée.

Elle ignore alors que cette rencontre va changer sa vie.

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Satisfait de son travail appliqué, de sa minutie et de son caractère, discret et attentif, Guitry l’engage à son service exclusif à la fin des années 1920. Elle fait son entrée dans la célèbre maison de l’avenue Élisée-Reclus et devient immédiatement bien plus qu’une secrétaire : une confidente essentielle, une intendante générale.

Le « Patron » est un bourreau de travail, écrit pièce sur pièce et enchaîne les scénarios de cinéma tout en étant sur scène chaque soir, mène grand train, reçoit beaucoup, roule en Cadillac blasonnée, collectionne frénétiquement tableaux et objets d’art, et, surtout, a besoin de vivre avec une femme. Il en aura cinq, toutes comédiennes : Charlotte Lysès, Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac, Geneviève de Séréville et Lana Marconi – celle qui « fermera mes yeux et ouvrira mes tiroirs ». Fernande est aussi la confidente de chacune d’elles, vie privée et vie publique étant indissociables chez Guitry.

Cette âme dévouée se double d’une belle plume. Les pages qu’elle consacre au déménagement qu’elle fait des trésors du maître, et de ses liasses de billets, à travers la France durant l’Exode sont savoureuses. Elle est aussi la mieux placée pour constater l’aigreur qui le ronge à la Libération, après deux mois de prison. Il a changé. Cette injustice le rend injuste envers cette complice omniprésente depuis près de vingt ans. Les crises se multiplient, elle tente de tenir puis n’en peut plus et claque la porte avec amertume en 1948.

Rideau.

SACHA GUITRY INTIME SOUVENIR DE SA SECRETAIRE FERNANDE CHOISEL

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À 76 ans, il fallait le faire

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Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


La valeur peut attendre, parfois, le nombre des années. La preuve : il y a peu, ma Sauvageonne et moi, sommes allés à la Comédie de Picardie, à Amiens, pour assister à la soirée animée par Michel Fallet, 76 ans, qui lisait ses textes. Soixante-seize ans, oui ; vous avez bien lu.

Ce n’est pas lui faire injure de dire que Michel n’est plus un jeune homme. Il n’empêche qu’il a prouvé à l’auditoire qu’il détient un sacré talent d’écrivain. Ce n’est pas ma Sauvageonne qui me démentira car, en matière de plumes, elle y connaît un rayon. Sans parler de celles qui ornent son adorable tête et qui lui donnent l’allure d’une punkette des seventies, elle adore lire. Bref : on a beaucoup aimé. Michel Fallet a mené à bien une carrière d’enseignant ; il a dispensé des cours d’anglais et de maths-physique à des jeunes gens, notamment à ceux du collège Arthur-Rimbaud, à Amiens. Aimait-il cette profession ?

Lecture en famille à la Comédie de Picardie © Philippe Lacoche

Sans nul doute mais il a toujours eu une idée en tête : écrire. On est en droit de ne pas lui donner tort. À l’âge de 15 ans, il a commencé à rédiger. Puis, il s’est abstenu longtemps, très longtemps, puisqu’il ne s’est remis à écrire que dans les années 1990. Depuis, il ne s’est plus arrêté ; il a bien fait. À la Comédie de Picardie, il était accompagné dans sa lecture par Claudie, par Henri, son deuxième fils, et par Monique, la mère de ce dernier. (Une lecture en famille !)

À lire aussi, Philippe Lacoche : Les Tuche à Albert

Modeste et discret, on sentait bien qu’il avait un peu le trac. On le comprend ; il s’agissait presque de sa première vraie lecture puisqu’il en fit une, plus courte, il y a quelques années, au Musée de Picardie. Sous la table, ses pieds, nus, comme ceux de Sandie Shaw chantant « Un tout petit pantin » en 1967, remuaient sous l’effet de l’émotion. Le trio nous donna à entendre des textes poétiques et des nouvelles de grande qualité.

Michel écrit bien ; très bien. Son style est limpide, aérien, et surtout, surtout, empreint d’un humour subtil et d’une délicate mélancolie qu’il dissimule souvent sous des ambiances déjantées, presque dadaïstes. Ma sauvageonne et moi avons particulièrement aimé « Le chapeau de la girafe » et « Les portes du pénitencier » (j’ai tout de suite songé à Eric Burdon et ses géniaux Animals, et à Johnny Hallyday qui avait eu la bonne idée – Yday – d’adapter en français la chanson éponyme).

Sa prestation terminée, je l’ai retrouvé au bar de la Comédie autour d’un verre de Tariquet ; je lui ai demandé s’il avait déjà été édité. « Non ! », m’a-t-il répondu avec un doux sourire qui m’a laissé penser qu’il en avait envie. Éditeurs, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

Jean Sévillia: un barrage contre le conformisme

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Jean Sévillia © Hannah Assouline

Jean Sévillia dénonçait il y a vingt-cinq ans Le Terrorisme intellectuel. Avec Les Habits neufs du terrorisme intellectuel, il alerte aujourd’hui sur son développement : une idéologie qui remet en cause la nation, la culture et l’idée même de l’espèce humaine, et recourt à la censure pour s’imposer. Mais qu’on ne désespère pas, la résistance se lève !


Un premier sentiment entre effroi et consternation

Il faut toujours se fier à son premier sentiment. Celui qui saisit à la lecture le dernier opus de Jean Sévillia, Les Habits neufs du terrorisme intellectuel, se situe entre effroi et dégoût, consternation et suffocation. Il suffit en effet de feuilleter cette lumineuse démonstration pour comprendre, preuves à l’appui, que depuis un quart de siècle, la garde-robe du terrorisme intellectuel s’est considérablement étoffée. Et qu’il en va de même de l’arsenal dont il dispose, et des sévices qu’il est en mesure d’infliger à ceux qui refusent de se prosterner. En 2000, dans la première édition de son ouvrage, Sévillia avait consacré douze chapitres à des thèmes essentiellement politiques et qui, souvent, se croisaient : révolution, communisme, décolonisation… En 2025, à l’issue d’une période pourtant plus brève que celle qu’il avait traitée dans la version initiale, huit nouveaux chapitres viennent s’ajouter à l’ensemble, des chapitres qui, plus encore que les précédents, traitent de problèmes que la novlangue contemporaine n’hésiterait pas à qualifier d’« existentiels ». Ces menaces nouvelles, en effet, portent moins sur la forme du pouvoir ou la construction des mythes historiques que sur la nature de l’homme, de la famille, de la nation, de la culture et même de l’espèce. Leur nature et, au-delà, leur pérennité exigent ou impliquent leur élimination. Cette dernière est ouvertement réclamée au nom d’une idéologie plus totalitaire qu’aucune autre avant elle, puisqu’elle va encore plus loin dans la déconstruction du monde ancien et la fabrication d’un « Homme nouveau » dont elle précise avec insistance qu’il ne sera plus un homme.

Des menaces plus proches et omniprésentes

Les menaces implacablement dévoilées par Jean Sévillia se distinguent des précédentes en ce qu’elles paraissent infiniment plus proches. Elles ne se situent plus de l’autre côté du rideau de fer, ou de la Méditerranée, ou de l’histoire : elles sont à nos portes, dans nos maisons ou sur nos pas, ici et maintenant – avec, bien plus puissants que jadis, les gardiens de la révolution et les fourriers de la bien-pensance, prêts à tout pour interdire qu’on les nomme –, puisque les nommer, ce serait déjà les circonscrire et les combattre. Cachez ce sein que je ne saurais voir, taisez ce mot que je ne saurais entendre : Jean Sévillia rappelle à ce propos la passe d’armes mémorable autour du « sentiment d’insécurité », opposant le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui avait osé employer le mot d’« ensauvagement » pour désigner les explosions de violence de l’été 2020, et le garde des Sceaux (et du politiquement correct) Éric Dupond-Moretti, lui reprochant d’avoir employé un terme nourrissant « le sentiment d’insécurité », c’est-à-dire les plus « bas instincts » des Français, « parce que le sentiment d’insécurité, c’est de l’ordre du fantasme »

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Pour autant, les « habits neufs » ne se substituent pas aux anciens. Dans la plupart des cas, ils ne font que les prolonger, mais en les rendant encore plus lourds, plus suffocants, et surtout plus intouchables. Tel est en effet le propre de ce terrorisme, dont l’auteur observe que, refusant par avance « tout débat de fond sur les questions politiques et sociales qui engagent l’avenir », il « vise à ôter toute légitimité à son contradicteur en l’assimilant » à ce qui symbolise « le mal absolu ». Jadis, sous la Révolution, le terrorisme jacobin accusait ses adversaires, quels qu’ils fussent, d’être contre-révolutionnaires et royalistes ; de nos jours, le terrorisme intellectuel n’hésite pas à qualifier de nazis ceux qui ne se plient pas à son catéchisme idéologique. Et par conséquent, à leur couper la parole et à les bâillonner, en toute bonne conscience : nul moyen n’est trop rude pour faire taire les ennemis du Bien, c’est-à-dire de ce que ce terrorisme mainstream définit comme tel. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté, proclamait déjà Saint-Just, en faisant en sorte que cela ne reste pas une parole en l’air.

Vers une résistance organisée ?

En somme, souligne Mathieu Bock-Coté dans sa préface, « ces Habits neufs sont une histoire du totalitarisme au temps présent ». Mais c’est aussi, symétriquement, l’histoire d’une résistance qui s’amorce. Si tout système totalitaire suscite une résistance, celle-ci commence toujours par être frêle et embryonnaire, comme celle que décrivait Sévillia dans la première version de son livre : un demi-siècle plus tard, elle a eu le temps de croître et d’embellir, de s’organiser. Et telle est l’autre nouveauté que dévoile cet essai : les menaces se sont considérablement accrues depuis vingt-cinq ans, mais il en va de même des barrières susceptibles de leur être opposées.

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« Les néoréactionnaires ont-ils gagné ? » s’inquiétait d’ailleurs Le Monde en janvier 2016, à l’occasion de la réédition du pamphlet de Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre. Et le grand quotidien du soir de pointer avec horreur l’assurance croissante du camp du Mal, la « libération de la parole réactionnaire » et (l’abjecte) « extrême droitisation du débat public », avant de dénoncer à la vindicte publique les intellectuels coupables de ce crime, au premier rang desquels « l’infatigable Patrick Buisson », artisan d’un « continuum qui va de l’aile dure de la droite républicaine aux Identitaires en passant par Philippe de Villiers, l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le site Figarovox et l’inévitable Éric Zemmour ». Dans cette « affiche rouge » d’un nouveau genre, ce panorama de la résistance, il manquait pourtant un nom, celui d’un auteur aussi discret que crucial, Jean Sévillia lui-même, qui depuis le tout début des années 1990 – dix ans avant la parution de son Terrorisme intellectuel puis de ses essais fondateurs, Historiquement correct (2003) et Moralement correct (2007) – laboure et prépare patiemment le terrain pour ceux qui, sur le modèle d’Andreas Hofer, le « Chouan du Tyrol », refusent de se laisser égorger sans rien faire.

416 pages

Les habits neufs du terrorisme intellectuel: De 1945 à nos jours

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Salauds de pauvres!

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La ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, à l'Assemblée nationale le 9 avril 2025 © Chang Martin/SIPA

Faisant partie du projet de loi dit de «simplification» autour duquel les députés s’écharpent depuis plusieurs semaines à l’Assemblée, les ZFE limitent, dans les grandes villes, la circulation des véhicules les plus polluants. À la tête des «gueux», le romancier iconoclaste Alexandre Jardin prévient le gouvernement: il est hors de question que les riches privatisent davantage la capitale de la France…


Avec les ZFE (zones à faible émission), la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a fait souffler le zef de l’indignation, en déclarant que les pauvres n’étaient pas concernés, car «les moins riches, ils n’ont pas de voiture»1. Dans la bouche d’une ministre surdiplômée (elle a fait Science-po, HEC, l’ENA), c’est un mépris affiché pour les autodidactes, qui ne roulent pas sur l’or, ça résonne comme une insulte :  »Salauds de pauvres ! », qui ne pouvez pas vous payer des voitures électriques !

Conduisez-vous bien…

Pour amortir cette sortie malheureuse, le gouvernement a mis la pédale douce, et au final seule la traversée de Paris (et peut-être de Lyon) pourrait être concernée et interdite aux moins riches. La traversée de Paris, c’est le titre d’une nouvelle de Marcel Aymé, portée à l’écran par Claude Autant-Lara, où à Paris sous l’Occupation allemande, le personnage de Grangil, interprété par Jean Gabin, traîte de  »salauds de pauvres » les tenanciers et clients d’un bistro. Une réplique, à répliquer pour le plaisir : « Mais qu’est-ce que vous êtes venus faire sur Terre, nom de Dieu, vous n’avez pas honte d’exister, hein ? Regarde-les, tiens ! Ils bougent même plus ! Et après ça ils iront aboyer contre le marché noir… Salauds d’pauvres ! »

A lire aussi, Pierre Meurin: « Sur les ZFE, je ne lâcherai rien ! »

Mais pour Aymé, contrairement au ministre, il ne s’agissait pas d’insulter la pauvreté mais de dénoncer un manque de dignité, de moquer les Parigots tête de veau qui avaient baissé la tête sous le joug de l’Occupation. Or Paris est aujourd’hui occupé, par des illuminés qui veulent recréer la campagne à la ville. Alors, salauds de pauvres, il est encore permis de bien se conduire, en envoyant bouler les autocrates.

Le mépris

Un appel que relaie vertement l’écrivain Alexandre Jardin, qui n’hésite jamais à jeter la pierre aux bobos, dont les « idées parisiano-centrées puent le mépris ». Sur son compte X, il publie le témoignage d’un  »pauvre » paysan, un laissé-pour-compte qui ne veut pas s’en laisser conter : « Ils ne peuvent pas nous interdire Paris, se barricader entre eux, faire un mur anti-gueux. Paris n’est pas à eux. On ne les laissera pas privatiser la capitale des Français. » Les Mickey de Boboland sont prévenus.

Traversée de Paris

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  1. BFMTV, mardi 8 avril 2025 https://x.com/BFMTV/status/1909486559520268566 ↩︎

AME à Mayotte: un moindre mal

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La maternité de Mamoudzou, capitale de l'ile française de Mayotte © DUPUY FLORENT/SIPA

​Le 15 mai 2025, l’Assemblée nationale examinera une proposition de loi visant à étendre l’Aide médicale d’État (AME) à Mayotte, actuellement le seul département français exclu de ce dispositif destiné aux étrangers en situation irrégulière. Portée par la députée Estelle Youssouffa (groupe LIOT), cette initiative vise à répondre aux défis sanitaires de l’île. « Les étrangers en situation irrégulière se tournent majoritairement vers le seul Centre hospitalier de Mayotte (CHM), et plus spécifiquement vers ses services d’urgence, plutôt que vers la médecine de ville, où ils seraient confrontés à des frais à avancer » plaide-t-elle. Pour Mansour Kamardine, le statu quo est intenable: il défend cette instauration de l’AME sur l’île, mais aussi une réforme globale au niveau national


Mansour Kamardine photograpghié en novembre 2017. Photo: Hannah Assouline

Causeur. Une proposition de loi pour étendre à Mayotte l’aide médicale de l’État (AME), réservée aux étrangers sans papiers, sera étudiée le 15 mai dans le cadre de la journée dédiée aux textes du groupe indépendant LIOT. Mayotte est aujourd’hui le seul département français exclu du dispositif de l’AME. Quelle est votre position sur cette situation ?

Mansour Kamardine. L’établissement de l’AME à Mayotte impliquerait le transfert d’environ 200 millions d’euros d’une enveloppe budgétaire existante vers une autre. Ce simple ajustement comptable ferait apparaître, mécaniquement et d’un seul coup, une hausse de 20 % du budget national alloué à l’AME. S’ajouterait à cela la visibilité immédiate de 150 000 bénéficiaires clandestins supplémentaires, jusque-là dissimulés dans les statistiques.

C’est précisément pour ne pas assumer cette réalité budgétaire et sanitaire que l’AME n’a jamais été appliquée à Mayotte.

Or, un tiers de la population réelle de l’île est en situation irrégulière. À l’hôpital, environ la moitié des dépenses concerne des patients étrangers, et plus de 80 % des 2 000 évacuations sanitaires annuelles vers La Réunion ou la Métropole concernent également des personnes non françaises.

La normalisation de la prise en charge des soins pour les personnes en situation irrégulière ferait tomber un tabou : celui de l’impact massif de l’immigration clandestine sur notre système de santé. C’est un sujet que beaucoup veulent éviter, notamment ceux que j’appellerais, pour reprendre une terminologie aujourd’hui bien connue, les « droit-de-l’hommistes » ou les « immigrationnistes ».

A lire aussi, Pierre Manent: Nous avons épuisé les dividendes de notre puissance

Pendant ce temps, les Mahorais paient le prix fort. L’espérance de vie sur l’île est inférieure de sept ans à la moyenne nationale. Le système de santé est à la fois sous-développé et saturé. À Mayotte, pardonnez-moi l’expression, mais on crève du déni de réalité.

Estelle Youssouffa défend cette proposition de loi. La soutenez-vous ? Pourquoi ?

Absolument. Entre 2018 et 2024, en tant que député, j’ai porté à de nombreuses reprises cette demande au parlement, à travers des interventions et des amendements. Ma collègue Véronique Louwagie, du groupe Les Républicains, a appuyé la même démarche en commission des finances.

Il est donc évident que je soutiens pleinement la proposition de loi du groupe LIOT. Néanmoins, nous pensons qu’il faut aller plus loin et faire évoluer l’AME en AMU, Aide Médicale d’Urgence, sur l’ensemble du territoire, avec un panier de soins réduit à l’essentiel, en cohérence avec les contraintes actuelles de notre système de santé.

Par ailleurs, je demande l’application de la T2A, c’est-à-dire la tarification à l’acte, au Centre Hospitalier de Mayotte, comme c’est déjà le cas dans les autres départements français. Il est également temps de mettre à niveau notre hôpital, en le transformant en CHRU (Centre Hospitalier Régional Universitaire), à l’occasion de la construction — tant attendue — du deuxième établissement promis depuis des années.

Enfin, rappelons un fait dramatique : Mayotte compte vingt fois moins de médecins libéraux et quatre fois moins de pharmacies par habitant que la moyenne nationale. C’est le plus grand désert médical de France. La mise en place de l’AME permettrait aussi d’encourager l’installation de la médecine de ville et de faciliter l’accès aux médicaments, qui sont évidemment essentiels à la santé des Français, où qu’ils vivent.

Certains estiment que l’extension de l’AME à Mayotte provoquerait un appel d’air migratoire. Que répondez-vous à cette crainte ?

Franchement ? C’est une vue de l’esprit totalement dépassée. L’appel d’air migratoire, à Mayotte, il existe déjà, et ce depuis des années. Aujourd’hui, l’accès aux soins est gratuit, généralisé et illimité pour les étrangers en situation régulière comme pour les demandeurs d’asile. Pire : dans bien des cas, les personnes en situation irrégulière sont prioritaires dans l’accès aux soins.

Ce déséquilibre conduit les Mahorais à devoir se rendre à La Réunion ou en Métropole pour des soins, des examens ou un simple suivi médical. Mais comment faire, quand 75 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté ? Ce type de mobilité est inaccessible pour la majorité d’entre eux.

La mise en place de l’AME, ou plutôt de l’AME-AMU, à Mayotte permettra au contraire de rétablir un minimum d’égalité entre les citoyens français et les étrangers. C’est, si vous me permettez l’expression, le minimum syndical.

À lire aussi, Anne Lejoly et Martin Pimentel : « Il faut en finir avec l’angélisme migratoire à Mayotte »

En l’absence d’AME, les étrangers en situation irrégulière se tournent massivement vers le CHM, contribuant à sa saturation. Comment répondre à cette urgence sanitaire sans encourager l’immigration illégale ?

D’abord, en instaurant l’AME à Mayotte, tout en la transformant, à l’échelle nationale, en AMU, c’est-à-dire en une aide restreinte aux soins essentiels, urgents et non programmables. Ensuite, en facturant à prix coûtant tous les soins hors AMU : examens, consultations, traitements, médicaments. Cela permettra aussi de tarir les trafics de médicaments qui alimentent aujourd’hui certaines filières entre les territoires français et des pays tiers.

Ensuite, il faut cesser les demi-mesures. Il est temps de mettre en place une politique cohérente, ferme et globale de lutte contre l’immigration clandestine :
– un contrôle réel des frontières,
– une action diplomatique sans ambiguïté,
– une lutte déterminée contre les réseaux criminels transnationaux,
– et surtout une réforme de notre cadre législatif, pour empêcher les contournements de l’esprit des lois.

Notre humanisme doit être protégé, mais il doit aussi être respecté.

L’Arcom, ou lard de la com’ en France

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© Yassine Mahjoub/SIPA

Liberté d’expression. Parce que l’extrème gauche l’appelle à toujours davantage sanctionner des figures médiatiques comme Cyril Hanouna – tandis que Jordan Bardella a dû dans le même temps passer par la justice pour défendre la promotion de son livre! – l’Arcom est accusée de censure. En comparaison avec les États-Unis, où la liberté d’expression reste sacrée, notre contributeur critique une régulation française jugée idéologique, sélective et contre-productive.


Ce sont rarement les réponses qui apportent la vérité, mais l’enchaînement des questions.
Daniel Pennac (La Fée carabine).

Plus de censure, ni sur les films ni dans les prisons ! 
Valéry Gisgard d’Estaing, le 27 août 1974.


La France n’est pas la Corée du Nord, mais elle est friande de ces mesures attentatoires à la liberté d’expression.

D’abord la loi Gayssot, réprimant le négationnisme des crimes nazis.

L’article 434-25 du code pénal punit l’insolent qui « cherché à jeter le discrédit (…) dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ».

L’art. 421-2-5 du Code pénal vise l’apologie du terrorisme.

Sans oublier les lois portant sur les discours haineux….

Les conférenciers se voient trop souvent interdits de meeting sous le fallacieux prétexte de « menace à l’ordre public », constat conjectural a priori fondé  sur leurs antécédents, plus ou moins authentifiés et souvent tronqués, alors que, en réalité, la menace provient plutôt des perturbateurs qui veulent les museler. En toute logique, il faut éviter de « préjuger » l’orateur, qui doit être, de prime abord, toujours libre de s’exprimer et, si ses déclarations vont au-delà des limites permises, la justice peut alors intervenir et sanctionner, mais a posteriori. Cependant, il faut compter avec la logique juridique française…

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est chargée notamment de déterminer s’il y a manquement aux obligations en matière de pluralisme et d’honnêteté dans la présentation des informations. Rien que ça. Elle est donc censée veiller à l’observation des lois suivantes : la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet; la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République; et la plus belle, la plus orwellienne : la loi contre la manipulation de l’information de 2018.

Etat de droit : Ferrand au sommet, Hanouna au bûcher !

Selon une décision du Conseil d’Etat, le régulateur doit veiller, sur « les sujets prêtant à controverse », au « respect de l’obligation d’assurer l’expression des différents points de vue ». Pour juger d’un éventuel « déséquilibre manifeste et durable » dans le traitement du sujet, il devra s’appuyer sur un faisceau d’indices – la diversité des intervenants, des thématiques et des points de vue exprimés, sur les antennes. Texto. Une formule aussi simple qu’une recette de cuisine. L’enfance de lard.

L’actualité donne de la brioche sur la planche de l’Arcom. Voici quelques affaires dont elle vient d’être saisie.

CNews et Europe 1 n’auraient pas « traité l’affaire [de la condamnation de Marine Le Pen] avec mesure, rigueur et honnêteté », « la présentation des différentes thèses en présence » n’aurait pas été assurée.

A lire aussi: Marine Le Pen, victime du «coup d’Etat» des juges

Dans le cadre d’une discussion concernant la notion de consentement dans la définition pénale du viol adoptée deux jours auparavant par l’Assemblée nationalePascal Praud affirmait sur CNews que « beaucoup de femmes qui n’ont pas eu la chance d’être regardées par les hommes […] nourrissent parfois contre eux un sentiment de revanche ». Mathilde Panot et Sarah Legrain sont horrifiées.

Aymeric Caron fulmine car Yoann Usai a déclaré mardi 8 avril sur CNews que « les juifs n’ont pas d’importance à LFI… pour La France insoumise, les otages israéliens peuvent crever dans la bande de Gaza parce que ce sont des juifs ».

« CNews a muté en organe de propagande officiel de l’extrême droite », s’étrangle le député LFI Aurélien Saintoul.

Aux Etats-Unis, on ne blague pas avec la liberté d’expression, mais…

« Comparer, c’est comprendre » disait Claude Lévi-Strauss. Et quel contraste avec les Etats-Unis, où, le droit, noir sur blanc, ne plaisante pas avec la liberté d’expression.

Cela n’exclut malheureusement pas, sur le terrain, une tradition de harcèlement des contestataires de la part des hargneuses autorités politiques que nourrit un climat d’hystérie : notons les « Palmer Raids »  dans une atmosphère de « peur rouge » et d’attentats anarchistes, qui aboutirent à l’expulsion de militants de gauche en 1919 et 1920; le McCarthisme des années 1950 et le mouvement de défense des droits civiques, où s’illustra le directeur du KGB… rectification, du FBI, J. Edgar Hoover. Le président Trump n’a donc pas réinventé la roue en reprenant le flambeau aujourd’hui contre les humanistes qui ne peuvent pas rester complètement de marbre face au vécu (si l’on peut dire) des Palestiniens, avec peut-être une énergie accrue.

Il a ouvert en priorité la chasse aux non-Américains « simplement »  titulaires d’une carte verte de résident permanent, ou, pire, d’un encore plus « simple » visa d’étudiant. (Pour mémoire, John Lennon subit l’ire du président Nixon en raison de son hostilité publique envers la guerre au Vietnam et il dut batailler devant les tribunaux pour obtenir sa carte verte). Les citoyens américains, eux ne sont évidemment pas attaqués frontalement… pour l’instant (mais pensons à l’ex-champion du monde d’échecs Bobby Fischer, qui fut inculpé, mensongèrement, de violation de l’embargo frappant l’ex-Yougoslavie en 1992, et qui finit ses jours en exil en Islande); à ce stade, ils font « simplement » l’objet de mesures d’intimidation sournoises : par exemple, plusieurs cabinets d’avocats ayant participé aux enquêtes visant Sa majesté orange ont dû accepter des offres qu’ils ne pouvaient pas refuser de la part d’une administration vengeresse.

Cela dit, vu la position traditionnelle des juridictions américaines, ces lois françaises, anti voltairiennes, sont impensables car elles ne résisteraient pas plus de cinq minutes à l’examen.

(Incidemment, l’infraction de « common law » équivalente à l’article 434-25 du code pénal français, dite « scandalizing the court » [les lecteurs auront traduit d’eux-même], n’a plus cours que dans les pays du tiers-monde n’ayant pas encore atteint un niveau de civilisation démocratique).

A fortiori, le concept même d’une Arcom américaine relèverait de l’hérésie et provoquerait des fous rires chez les étudiants en deuxième année de droit.

De façon générale, ces lois de circonstances, adoptées à chaud, sous le coup de l’émotion, parfois bien intentionnées, ne sont qu’un mirage : elles sont trop souvent sélectives; pire, elles sont facilement instrumentalisables (les lois sur les discours de haine constituent un arsenal particulièrement prisé des groupes de pression religieux) et surtout contreproductives car elles font des martyrs et leur servent de caisses de résonnance. Par contraste, les délires des négationnistes américains (oui, il y an a) tombent toujours à plat, car ils ne bénéficient pas de l’effet publicitaire de lois liberticides.

Fatwahs de vérité

Comment soutenir, sans rire, qu’il revient à des fonctionnaires français, tout augustes et bien intentionnés fussent-ils, de prononcer des fatwahs de vérité ? Encore que l’on pourrait peut-être s’y résigner s’ils ne disposaient pas du glaive de la sanction. Mais comme le démontre la jurisprudence de l’Arcom, elle dispose d’un troublant pouvoir de censure de la presse d’opinion si elle est audio-visuelle : est particulièrrement sinistre la récente suppression de C8. Une consolation : cette excommunication est devenue, comme il se doit, un argument de vente pour Cyril Hanouna, auquel il faut souhaiter bonne chance avec son passage à M6 annoncé, encore qu’il a dû payer le prix d’une équipe réduite.

Chaque média doit demeurer libre de s’exprimer exclusivement selon son propre point de vue et même selon sa propre idéologie, sans faire dans la dentelle : il peut instruire un thème à charge, et/ou à décharge et opter pour la provocation. Il est hallucinant de lui imposer le rôle d’organisateur de débats et assurer un chimérique équilibre des thèses en son sein. Au final, l’équilibre résulte de la juxtaposition des thèses présentées par différents médias concurrents. C’est au citoyen/contribuable/justiciable lambda qu’il incombe de tirer ses propres conclusions après avoir effectué les recoupements pertinents à partir des innombrables sources, y compris judiciaires, accessibles au grand public, qu’il est libre de consulter et de soupeser. Ou pas.

Les seules limites voltairiennes sont celle de la diffamation visant des personnes précises et celle définie par la jurisprudence américaine : le « danger manifeste et imminent » (« clear and present danger » en v.o.). Sinon, tous les coups (même de gueule) sont permis et de bonne guerre.

A lire aussi: L’Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ?

Mais même en France, il y a quelques lueurs d’espoir en matière de liberté d’expression.

Saluons d’abord le jugement de simple bon sens (une denrée trop rare) rendu le 9 avril dernier par le tribunal des activités économiques de Paris : la régie publicitaire ferroviaire MediaTransports avait refusé la campagne d’affichage du livre de Jordan Bardella, Ce que je cherche, et elle est condamnée pour « inexécution fautive du contrat » de diffusion publicitaire pour le livre du président du Rassemblement national.

Par ailleurs, la députée européenne (et authentique française) Rima Hassan, a pu tenir sa conférence sur la Palestine à l’université de Rennes 2 le 10 avril dernier. Les canidés avaient aboyé, mais la caravane est finalement passée sereinement.

Les glapissements d’indignation des députés LFI Aymeric Caron, Mathilde Panot, Sarah Legrain et Aurélien Saintoul font partie du débat. Le téléspectateur appréciera. Souverainement.

Cela dit, quel affligeant spectacle que ces élus se blottissant dans les jupons de maman Arcom pour lui faire part de leurs doléances, qui ne sont que pleurnicheries bien franchouillardes.

L’Arcom est-elle soluble dans l’alcool?

PS. Livre incontournable (non traduit): Defending My Enemy: American Nazis in Skokie, Illinois, and the Risks of Freedom (1979 de Arieh Neier (Défendre mon ennemi : les Nazis américains à Skokie (Illinois), et les risques de la liberté, en v.f.).

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Canada: la chute hors de l’histoire d’un pays en pyjama

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Le chef du Parti libéral du Canada, Mark Carney, prend la parole à Calgary, en Alberta, le mercredi 9 avril 2025 © Sean Kilpatrick/AP/SIPA

Le Canada, entre confort douillet et déclin discret, glisse peu à peu hors de l’Histoire. La très probable succession de Mark Carney à la tête du pays à la fin du mois n’est pas de nature à rassurer une population trop naïve et continuellement en pantoufles.


Le constat est sans appel: le Canada affiche aujourd’hui l’une des plus faibles croissances économiques par habitant de tout l’Occident. Malgré les beaux discours sur les vertus de l’ouverture et de l’inclusion, censées garantir sa prospérité pour l’éternité, cette étoile boréale pâlit, s’appauvrit et se referme sur elle-même.

Le Canada vit dans le déni de son propre déclin. Après dix ans de règne catastrophique marqué par l’expansion de l’État, l’explosion de la dette publique et l’immigration massive, Justin Trudeau laisse derrière lui un pays très faible.

Et le 28 avril prochain, l’élection maintenant probable du banquier Mark Carney, son successeur à la tête du Parti libéral du Canada, ne ferait qu’accélérer cette tendance.

La peur comme gouvernail

Le phénomène tient d’abord à ce que l’on pourrait appeler l’idéologie sécuritaire. Depuis la Covid en particulier, le Canada est obsédé par la gestion des risques en tous genres: sanitaires, climatiques, numériques, etc., et aujourd’hui économiques face à l’hostilité d’un Donald Trump armé de tarifs punitifs.

Seule l’immigration massive – dont les effets culturels et démographiques ne sont plus à démontrer – semble encore bénéficier d’un certain laxisme de la part des autorités.

A lire aussi: L’improbable retour de Kamala Harris

Au Canada, tout est matière à encadrement. On multiplie les règles dans le but de rassurer une population devenue hyper anxieuse à force d’être gavée de récits catastrophistes, on normalise l’état d’urgence sous couvert de bienveillance.

Sous l’emprise du wokisme, le Canada a rompu avec le politique pour entrer dans le psychopolitique. Désormais, pratiquement tout y est vécu sous l’angle du stress et de l’anxiété. La raison a cédé le pas à l’émotion. Un nombre faramineux d’articles de presse ont pour titre «l’inquiétude» sur un phénomène X, dans un tintamarre de nouvelles insignifiantes mais jugées préoccupantes.

Un État omniprésent, une population infantilisée et une classe politique transformée en comité thérapeutique: la pandémie a été le tremplin d’un nouveau mode de gouvernance fondé sur la peur et le contrôle social.

Le Canada s’est engagé sur la voie d’un autoritarisme soft. Dans cet univers ultra aseptisé, la liberté d’expression est suspectée d’exposer les citoyens à des idées inconfortables et anxiogènes, qu’il vaut mieux encadrer ou réprimer au nom de la nouvelle hygiène publique. Ce fantasme d’un monde sans heurts — d’un grand safe space national – étouffe le débat démocratique.

Dogme du confort et culte des loisirs

À cette obsession sécuritaire s’ajoute le triomphe d’une philosophie du confort et du bien-être. Le bien-être émotionnel et corporel est devenu le nouvel horizon du Canada, cette oasis gelée où des hordes de gens plus «en santé» les uns que les autres font leur jogging dans la rue en semblant fuir la mort.

Ce bien-être érigé en dogme est presque devenu une finalité politique, comme si la mission d’un gouvernement était désormais de garantir à chacun un équilibre physique et psychologique.

Dans cette société des loisirs hypertrophiée, où les citoyens-consommateurs sont invités à «prendre soin d’eux-mêmes» en toutes circonstances, la moindre contrariété est perçue comme une forme de violence symbolique, comme une «micro-agression».

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On soigne des traumatismes imaginaires, on prône l’évitement des défis personnels et professionnels, on décourage l’effort. Loin de valoriser la résilience, le Canada en est venu à institutionnaliser la paresse, après avoir récompensé financièrement des milliers de citoyens pour être restés chez eux à ne rien faire durant le Covid.

Résultat: une population surmédicalisée et désarmée devant la rudesse du monde, et des politiciens qui n’hésiteraient plus à promettre des séances de yoga gratuites pour se montrer sensibles à la détresse ambiante. Au Canada, on ne veut plus travailler mais se relaxer, on ne veut plus être représenté par ses élus, mais protégé par ces derniers.

Une société-chalet

Enfin, le caractère insulaire du Canada a contribué à son isolement mental et ipso facto à son déclin global. Ce refus du monde extérieur au profit d’un repli dans l’arrière-pays a nourri l’illusion que le Canada vivait à l’abri de toutes les intempéries internationales. C’est ce que j’appelle la «société-chalet», c’est-à-dire cette société périphérique où les interactions sociales sont secondaires et où se détendre et avoir du «temps de qualité» est l’objectif suprême de tous ces êtres stériles.

L’Homo canadicus est persuadé d’habiter le meilleur pays sur la planète, mais parce qu’il n’a jamais eu à lutter pour en défendre la souveraineté ni les grands principes sur lesquels il est censé reposer. Prétentieux, le Canada a cru pouvoir s’élever au-dessus du monde, alors qu’il s’en est seulement détaché pour mieux vivre dans sa bulle. Hissés sur les épaules des États-Unis, les Canadiens se sont longtemps crus exemptés de toute adversité. Les ratés de la mondialisation, les guerres, les crises migratoires, les bouleversements géopolitiques? Tout cela semblait si lointain, si abstrait, jusqu’à ce que le retour de Trump à la Maison-Blanche vienne brutalement rappeler que l’Histoire n’épargnait personne. Pas même les gentils et naïfs Canadiens.

Laurent Wauquiez, on ne délocalise pas la honte!

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Le député de droite Laurent Wauquiez, Paris, 10 mars 2025 © JP Pariente/SIPA

En pleine campagne pour la présidence des Républicains, Laurent Wauquiez est contraint de faire parler de lui pour se démarquer de son rival Bruno Retailleau. La semaine dernière, le député de la Haute-Loire a proposé une mesure choc: envoyer à Saint-Pierre-et-Miquelon – territoire hors de l’espace Schengen, sans possibilité de retour en métropole – les personnes sous OQTF jugées dangereuses et que l’on n’arrive pas à expulser, souvent relâchées dans la nature après 90 jours. La France, jadis puissance respectée, est-elle devenue un simple foyer social ? — Le billet de Driss Ghali


Envoyer les OQTF dangereux à Saint-Pierre-et-Miquelon au lieu de les envoyer à Rabat, Alger ou Bamako. Laurent Wauquiez étale donc, sans s’en rendre compte peut-être, l’impuissance française sur toute la surface du débat public. Le pays qui, avec une poignée de soldats, a conquis l’Afrique et l’Indochine, et qui avec un petit nombre d’administrateurs sous-payés et sous-équipés les avait tenus, ce pays n’est plus en mesure aujourd’hui de faire appliquer le droit international qui exige le renvoi de ces fameux OQTF à leur pays d’origine. Comme une femme saisie par son impuissance à se faire respecter par son mari, la France menace de sauter du balcon du premier étage. Où et comment avons-nous perdu la recette de la dignité et de la puissance ?

Affaiblissement

Laurent Wauquiez est loin de se poser cette question. Car y répondre reviendrait à faire exploser la République française, le tombeau de l’âme française qu’elle a déshabitué à la grandeur. La monarchie n’aurait peut-être pas fait mieux. Il n’y a qu’à voir la déréliction du peuple anglais devant les violeurs pakistanais et la capitulation du peuple belge face aux Frères musulmans. Mais, toute réflexion sérieuse sur l’affaiblissement français exigerait d’entrée de faire voler en éclats le gouvernement des incapables dotés d’ambition qui opèrent l’Etat français à tous les niveaux. Ils sont une menace systémique à la France. Ils sont, bien avant l’islam, la grande menace existentielle. Laurent Wauquiez est à mille lieux de souhaiter leur départ, il veut simplement se loger à leur tête comme un cornac incapable qui fait semblant de conduire un éléphant affranchi de toute allégeance.  Il est toléré, à peine autorisé à s’asseoir sur le siège du pilote, à tout moment il peut se retrouver par terre.

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La question de la puissance est pourtant la seule digne d’intérêt. Elle commande tout. Si nous étions puissants, les violeurs et les voleurs d’origine étrangère n’auraient pas osé passer à l’acte. Si nous étions puissants, il n’y aurait même pas d’OQTF car personne ne serait rentré chez nous par effraction. Si nous étions puissants, il n’y aurait même pas de Saint-Pierre-et-Miquelon, nous serions les maîtres du Canada, terre que Louis XV a abandonné aux Anglais.

La France entourée de carnivores

D’ailleurs, à ce rythme, il n’y aura plus de DOM-TOM. Ces territoires seront absorbés par des hommes agressifs et déterminés qui n’auront pas été exposés à la CAF ni au RSA. Mayotte aux Comoriens, la Nouvelle-Calédonie aux Chinois, la Réunion aux Malgaches assurément, les Antilles aux cartels peut-être ou aux Américains qui leur auront délégué la gestion de ces territoires, va savoir…

Comment conclure sur une note positive ? En renchérissant sur la proposition de Laurent Wauquiez. Et pourquoi ne pas les enrôler dans la Légion Etrangère ces OQTF ? Qu’il serait beau un camp d’entraînement et de des-ensauvagement sous les auspices de la Légion à Saint-Pierre-et-Miquelon ! D’un terreau pourri naîtrait peut-être, grâce au génie français, une plante splendide mais épineuse. La France n’est utile que lorsqu’elle réalise des miracles ! Elle n’a pas besoin de Wauquiez ni de Retailleau ni de Macron, elle a besoin d’un prophète qui lit clair dans son identité et la remette sur le droit chemin. Le reste suivra spontanément.

Paris-Roubaix: le maître des pavés et le vaincu magnifique

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Le podium du Paris-Roubaix avec le gagnant Mathieu Van der Poel (au centre), le deuxième Tadej Pogačar (à gauche), et le troisième, Mads Pedersen (à droite), 13 avril 2025 © Zac Williams/SWpix.com/Shutterst/SIPA

Le Paris-Roubaix aura tenu toutes ses promesses. Au terme d’une course spectaculaire, l’affrontement majeur entre Tadej Pogačar et Mathieu Van der Poel a comblé tous les amoureux du cyclisme.


La 122ème édition de Paris-Roubaix, « L’Enfer du Nord »1, disputé dimanche, a tenu toutes les promesses que la presse prophétisait. Elle a offert en effet un duel d’anthologie entre un « maître des pavés », Mathieu Van der Poel, petit-fils de Raymond Poulidor, dit « Poupou » faussement qualifié d’éternel second (le palmarès de ce dernier compte pas moins de 189 victoires), et un « vaincu magnifique », Tadej Pogačar, venu avec panache le défier sur son terrain de prédilection, au risque insensé de compromettre la suite de sa saison.

Avec cette troisième victoire consécutive2, Van der Poel, rejoint au palmarès les deux seuls coureurs triplement vainqueurs d’affilée, Oscar Lapize (1909, 10 et 11), mais la course d’alors n’était pas encore le mythe qu’elle est devenue à partir des années 50, et Francesco Moser (1978, 79, 80), à savoir 45 ans plus tôt. Et dans sa tête trotte sans doute déjà l’idée d’en décrocher une quatrième de suite l’an prochain qui ferait de lui l’incontestable « Roi de la Reine des Classiques ». D’autant, détail piquant, que le millésime de cette future édition portera le chiffre mémorable de 123ème. Jusqu’à maintenant, deux coureurs l’ont gagné quatre fois, mais pas d’affilée, Roger de Vlaeminck (1972, 74, 75, 77) et Tom Boonen (2005, 08, 09, 12).

Une erreur qui coûte cher à Pogačar

C’était la première fois de sa jeune encore carrière professionnelle que Pogačar s’alignait au départ de Paris-Roubaix. Junior, il y a participé deux fois dans une version très réduite sans briller particulièrement. Et comme il l’a démontré en plaçant ses premières banderilles dès la sortie de la Trouée d’Aramberg, l’essoreuse du peloton, à plus 100 km de l’arrivée, et en n’hésitant pas à attaquer par la suite à plusieurs reprises, alors qu’il aurait pu faire une course attentiste et décochait une de ces fulgurantes accélérations qui sont sa marque, il était bien venu pour « la gagne ». S’il avait réussi, il aurait été le second à vaincre pour sa première participation. Seul, un Italien, Sonny Colbrelli3, en 2021, quand « L’Enfer du nord » s’est couru un 3 octobre pour cause de crise du Covid, y est parvenu. Atteint d’une arythmie cardiaque, ce dernier a mis prudemment fin à sa carrière l’année suivante.

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D’aucuns se demandent si sa chute survenue à 38 km de l’arrivée n’a pas privé Pogačar de cet exploit. Très probablement pas, son tout-droit dans un virage certes en angle droit mais sans difficulté est imputable à un évident manque de lucidité caractéristique d’un coureur à la limite du point de rupture. Il est reparti avec 20 secondes seulement de retard sur Van der Poel, il est revenu à 13 secondes, il l’avait en mire, mais n’a pu les combler, comme quoi il était bien à bout.

Un record et une victoire pour Van der Poel

De son côté, serein malgré ce retour qui ne pouvait qu’être qu’un baroud d’honneur, lui, Van der Poel a tracé sa route à son rythme puissant, sachant que les derniers secteurs pavés seraient à son avantage. Très vite, il a recreusé l’écart et mis une confortable minute d’avance sur son poursuivant ce qui autorisait sa voiture suiveuse à se placer derrière lui, d’être en somme son assurance-vie. C’est ainsi qu’il a pu être dépanné sans perte de temps de sa crevaison à moins de 20 km du vélodrome de Roubaix où est jugée l’arrivée.

À propos de cette chute, Van der Poel, que lui a pu esquiver grâce à sa dextérité de cyclo-crossman, a déclaré : « Dommage parce que sans celle-ci la victoire ça se serait joué certainement au sprint car ça aurait été dur de le lâcher sur les pavés. » Au sprint, Van der Poel est plus rapide que Pogačar ainsi qu’il l’a démontré en le battant nettement dans la Milan-San Remo, la première classique de la saison.

Quand Pogačar a fait son entrée sur le vélodrome, il a eu droit à une ovation, méritée, comme si le vrai vainqueur était lui. Il a démontré qu’il était un sérieux prétendant à l’avenir à la victoire car sûrement il reviendra. Qu’être un poids-léger, il pèse 66 kg et mesure 1,76m alors que le poids moyen des vainqueurs depuis deux bonnes décennies est supérieur à 75kg et la taille au moins de 1,82 m, n’est pas rédhibitoire. Un Bernard Hinault malgré ses 65 kg en 1981 ou un Marc Madiot en 1985 et 91 avec ses 68 kg ne s’étaient-ils pas imposés ?

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Mais, surtout ce Paris-Roubaix est venu confirmer que Pogačar était un coureur polyvalent, un des rares pour ne pas dire l’unique en mesure de vaincre sur des courses d’un jour, de huit ou sur les grands tours de trois semaines, à la différence de ses deux rivaux, Van der Poel sur les classiques, et Jonas Vingegaard sur le Tour de France. Son palmarès l’atteste : huit classiques qualifiées de Monuments, trois Tours et un Giro, alors que Van der Poel ne compte, si l’on peut dire, que huit Monuments avec sa victoire de dimanche et aucun grands tours – ses prestations sur la Grande boucle ont été toujours piètres -, et Vingegaard ne compte que deux Tours et aucune classique.

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  1. Le surnom d’Enfer du Nord, contrairement à ce que l’on croit, n’est pas dû à ses pavés mais à la guerre de 14-18. À la reprise de la course, en 1919, un journaliste de la revue Vélo va découvrir le parcours qui traverse les paysages dévastés par le conflit. Il écrit que celle-ci se déroulera dans un décor qu’il qualifie d’enfer du nord. L’expression est restée et a été assimilée aux pavés qui font subir, eux, un enfer aux coureurs. ↩︎
  2. En tout, huit coureurs ont gagné à trois reprises mais pas d’affilée, parmi eux Rick Van Loy, Eddy Merckx, Fabian Cancellara, aujourd’hui patron de l’équipe Tudor dans laquelle court Julian Alaphilippe. ↩︎
  3. Bien sûr, le vainqueur de la première édition, le 19 avril 1896, l’Allemand Josef Fisher, a été, et pour cause, le premier gagnant pour sa première participation. ↩︎

Comme à la maison – du peuple

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Pâtisseries de la Maison Elysée © Sarah Steck, Alexandra Lebon, Présidence de la République

Ouverte au public telle une annexe du palais présidentiel, la Maison Élysée est un lieu hybride qui décline à travers un musée, une boutique et un salon de thé, l’art de vivre à la française et le « made in France » sous toutes ses facettes. On se croirait chez le voisin d’en face, la politique en moins


Depuis les gilets jaunes, le quartier de l’Élysée est barricadé et la rue du Faubourg-Saint-Honoré fermée à la circulation de la place Beauvau à la rue Boissy-d’Anglas. Seuls les piétons peuvent déambuler sous l’œil sévère de gardes républicains armés jusqu’aux dents… Il y a des promenades plus agréables ! Pourtant, depuis juillet 2024, plus de 85 000 personnes sont venues visiter La Maison Élysée, ouverte juste en face du palais présidentiel.

Un président soucieux de partage

Ce lieu singulier, dont on parle peu, dévoile un aspect plutôt sympathique de notre actuel président : sa volonté de rendre accessible à tous l’art de vivre de cet illustre palais de la République.

Comme nous l’explique notre guide passionné, « les Journées du patrimoine et la Fête de la musique ne suffisaient pas à accueillir tous les Français qui désirent découvrir le palais de l’Élysée. Il fallait créer un prolongement pour répondre à cette demande, preuve que notre vie démocratique n’est pas aussi malade qu’on le dit. Le succès est tel que la Maison-Blanche, à Washington, nous a copiés en reprenant le même concept ! En beaucoup moins bien, bien entendu… puisque les visites y sont payantes (alors qu’elles sont gratuites ici) et qu’on se contente d’y découvrir la crème glacée préférée du président Obama et le sandwich de Donald Trump au milieu d’objets souvenirs de pacotille fabriqués en Chine alors que nous, nous célébrons la grandeur de l’artisanat français. »

L’exploit, surtout, réside dans la brièveté foudroyante des travaux, quatre mois au cours desquels Michel Goutal, architecte en chef des Monuments historiques, et Sarah Poniatowski ont métamorphosé une ancienne galerie de tableaux en créant un étage auquel on accède par un grand escalier en marbre doté d’une magnifique rambarde en fer forgé (moi, pendant ce temps, j’attends toujours que mes ouvriers terminent ma salle de bain) : quand l’Élysée veut vraiment quelque chose, ça va fissa !

Un espace en trois actes : boutique, musée, salon de thé

D’une blancheur immaculée, cette maison aux allures de théâtre se divise en trois parties distinctes : la boutique, le musée et le salon de thé.

La boutique, dans laquelle on entre de plain-pied, honore le « made in France » dans ce qu’il a de plus pittoresque : cornichons de la maison Marc, foie gras du Gers, vanille en gousse de Tahiti, huiles d’olive des Baux-de-Provence (parfumées au pesto par le chef des cuisines de l’Élysée, Fabrice Desvignes), chocolats d’Alain Ducasse et café Malongo (pour ces deux derniers, l’Élysée aurait pu nous consulter, nous lui aurions proposé mieux). Outre les produits comestibles, on trouve des montres mécaniques du Jura, des stylos-plume. Dupont, des chaussettes de la maison Broussaud, du savon de Marseille, des assiettes et des tasses de Degrenne, des parapluies de Cherbourg brodés à la main pouvant résister à des tornades de 150 km/h… Aussi insolites soient-ils, tous ces objets ont été « approuvés » par la présidence de la République française selon le modèle du Royal Warrant de la famille royale britannique.

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De Gaulle aurait-il accepté que l’on mît en vente son eau de toilette, ses pantoufles et son champagne ?

Quelques mètres plus loin, le visiteur pénètre dans la partie musée où sont exposés différents objets d’art provenant du palais, à commencer, justement, par le célèbre bureau du général, chef-d’œuvre en bois précieux, bronze et cuir de l’ébéniste de Louis XV, Charles Cressent (1740). Ce meuble majestueux porte encore les marques de cigarette de Pompidou, les taches d’encre de Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande – Giscard et Macron lui ont préféré un bureau plus moderne.

Macron est d’ailleurs le président qui a le plus modernisé les intérieurs de l’Élysée, héritier en cela de Georges Pompidou qui avait été le premier à y faire entrer l’art contemporain en commandant des meubles au designer Pierre Paulin en 1972.

Les cadeaux diplomatiques, entre symboles et bizarreries

Pendant que la voix enregistrée de Stéphane Bern raconte à qui veut l’entendre l’histoire de l’hôtel d’Évreux édifié en 1722, on se précipite dans la salle des cadeaux diplomatiques offerts au président Macron depuis 2017. On regrette de ne pouvoir admirer ceux reçus par tous ses prédécesseurs, à commencer par les bijoux de Bokassa, mais ceux-ci ont été éparpillés dans plusieurs musées nationaux. « Bientôt, je l’espère, ils seront tous ici ! » s’enflamme notre guide. Ces cadeaux n’appartiennent pas au président en personne, mais au Mobilier national, donc à la République. Certains fascinent par leur simple beauté ethnique, à l’image de la cloche de chameau d’Éthiopie, des éperons en argent de cow-boys du Chili, de la parure en coquillages de Papouasie-Nouvelle-Guinée, des chandeliers à trois branches de Thaïlande, du luth à manche long joué par la déesse Sarasvati en Inde… Un tableau figure aussi les deux lévriers du Kazakhstan offerts au président et qui courent tous les jours dans les jardins du palais avant d’être gardés par un maître-chien. Certains cadeaux sont manifestement porteurs d’un message crypté, tel ce bouffon de la commedia dell’arte offert en 2019 par le Premier ministre italien…

Ce musée prometteur rend aussi hommage à la garde républicaine, dernière unité montée de l’armée française (565 cavaliers, 400 chevaux) dont la mission première est d’assurer la protection du président et des palais nationaux depuis 1880. Sabres, selles, bottes et casques sont tous fabriqués par des artisans français d’exception, pour son peloton de tireurs d’élite, constamment déployé lors des sorties présidentielles, et sa section antidrones, mobilisée en permanence.

À l’étage, on a la surprise de découvrir le plus beau salon de thé de Paris, écrin en marbre posé sous une verrière multicolore. Les serveurs sont vêtus avec élégance et s’expriment aussi bien que les acteurs de la Comédie-Française. Loin du bruit et de la fureur, on peut se régaler d’un chocolat chaud et d’une pâtisserie confectionnée par le chef pâtissier de l’Élysée : flan vanille Pompadour (à base de vanille fraîche et entière), tarte chocolat escalier de l’Empereur, charlotte corrézienne (un dessert aux pommes dédié à Jacques Chirac et à François Hollande), tarte marron et cassis… Moi qui ne savais pas où donner mes rendez-vous galants, maintenant, je sais.

La Maison Élysée

88, rue du Faubourg-Saint-Honoré 75008 Paris
Accès libre et gratuit du mardi au samedi de 10 à 19 heures.
Visites guidées gratuites sur réservation : www.billetterie-elysee.fr

Au salon de thé : chocolat chaud 8 euros, thé et cappuccino 6 euros, pâtisseries entre 9 et 12 euros.

La boîte du bouquiniste

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Fernande Choisel © D.R.

« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Il est des métiers oubliés et des noms inconnus. Qui se souvient de la profession de sténodactylo et qui a déjà entendu parler de Fernande Choisel ? Cette femme qui n’a rédigé que ses mémoires a pourtant écrit – tapé – des centaines de livres et de pièces de théâtre. Elle qui, enfant, a vu la tour Eiffel « monter boulon après boulon » se lance, jeune femme, dans la sténographie – ce langage des signes manuscrit qui permet de noter à la vitesse de la parole. En 1897, cette pionnière du genre voit d’un mauvais œil l’arrivée de la machine à écrire, même si celle-ci symbolise ses « idées d’avant-garde », car ce « véritable bloc d’acier, compliqué d’une foule de ressorts qui sautent à chaque frappe et d’un clavier de soixante-quinze touches » transforme ses déplacements « en véritables expéditions ». Et ses déplacements sont quotidiens : employée de l’agence de M. Compère, elle est envoyée, au gré des demandes, chez Robert de Flers, Edmond Rostand, Francis de Croisset, Gaston Leroux, Tristan Bernard… pour dactylographier leurs manuscrits ou écrire sous leur dictée.

Au printemps 1916, Fernande est demandée au théâtre des Bouffes-Parisiens. Elle est conduite dans la loge de Sacha Guitry qui lui donne quelques feuillets à mettre au propre. Elle découvre le personnage : un esprit en ébullition qui passe dans la même conversation d’un projet à un autre avant de revenir au précédent tout en décochant un galant compliment à la première dame venue et en essayant un nouveau costume, une nouvelle perruque, un nouveau maquillage… une nouvelle réplique. Un tourbillon toujours nimbé des volutes de cigarettes qu’il fume à longueur de journée.

Elle ignore alors que cette rencontre va changer sa vie.

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Satisfait de son travail appliqué, de sa minutie et de son caractère, discret et attentif, Guitry l’engage à son service exclusif à la fin des années 1920. Elle fait son entrée dans la célèbre maison de l’avenue Élisée-Reclus et devient immédiatement bien plus qu’une secrétaire : une confidente essentielle, une intendante générale.

Le « Patron » est un bourreau de travail, écrit pièce sur pièce et enchaîne les scénarios de cinéma tout en étant sur scène chaque soir, mène grand train, reçoit beaucoup, roule en Cadillac blasonnée, collectionne frénétiquement tableaux et objets d’art, et, surtout, a besoin de vivre avec une femme. Il en aura cinq, toutes comédiennes : Charlotte Lysès, Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac, Geneviève de Séréville et Lana Marconi – celle qui « fermera mes yeux et ouvrira mes tiroirs ». Fernande est aussi la confidente de chacune d’elles, vie privée et vie publique étant indissociables chez Guitry.

Cette âme dévouée se double d’une belle plume. Les pages qu’elle consacre au déménagement qu’elle fait des trésors du maître, et de ses liasses de billets, à travers la France durant l’Exode sont savoureuses. Elle est aussi la mieux placée pour constater l’aigreur qui le ronge à la Libération, après deux mois de prison. Il a changé. Cette injustice le rend injuste envers cette complice omniprésente depuis près de vingt ans. Les crises se multiplient, elle tente de tenir puis n’en peut plus et claque la porte avec amertume en 1948.

Rideau.

SACHA GUITRY INTIME SOUVENIR DE SA SECRETAIRE FERNANDE CHOISEL

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À 76 ans, il fallait le faire

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Michel Fallet © Philippe Lacoche

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


La valeur peut attendre, parfois, le nombre des années. La preuve : il y a peu, ma Sauvageonne et moi, sommes allés à la Comédie de Picardie, à Amiens, pour assister à la soirée animée par Michel Fallet, 76 ans, qui lisait ses textes. Soixante-seize ans, oui ; vous avez bien lu.

Ce n’est pas lui faire injure de dire que Michel n’est plus un jeune homme. Il n’empêche qu’il a prouvé à l’auditoire qu’il détient un sacré talent d’écrivain. Ce n’est pas ma Sauvageonne qui me démentira car, en matière de plumes, elle y connaît un rayon. Sans parler de celles qui ornent son adorable tête et qui lui donnent l’allure d’une punkette des seventies, elle adore lire. Bref : on a beaucoup aimé. Michel Fallet a mené à bien une carrière d’enseignant ; il a dispensé des cours d’anglais et de maths-physique à des jeunes gens, notamment à ceux du collège Arthur-Rimbaud, à Amiens. Aimait-il cette profession ?

Lecture en famille à la Comédie de Picardie © Philippe Lacoche

Sans nul doute mais il a toujours eu une idée en tête : écrire. On est en droit de ne pas lui donner tort. À l’âge de 15 ans, il a commencé à rédiger. Puis, il s’est abstenu longtemps, très longtemps, puisqu’il ne s’est remis à écrire que dans les années 1990. Depuis, il ne s’est plus arrêté ; il a bien fait. À la Comédie de Picardie, il était accompagné dans sa lecture par Claudie, par Henri, son deuxième fils, et par Monique, la mère de ce dernier. (Une lecture en famille !)

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Modeste et discret, on sentait bien qu’il avait un peu le trac. On le comprend ; il s’agissait presque de sa première vraie lecture puisqu’il en fit une, plus courte, il y a quelques années, au Musée de Picardie. Sous la table, ses pieds, nus, comme ceux de Sandie Shaw chantant « Un tout petit pantin » en 1967, remuaient sous l’effet de l’émotion. Le trio nous donna à entendre des textes poétiques et des nouvelles de grande qualité.

Michel écrit bien ; très bien. Son style est limpide, aérien, et surtout, surtout, empreint d’un humour subtil et d’une délicate mélancolie qu’il dissimule souvent sous des ambiances déjantées, presque dadaïstes. Ma sauvageonne et moi avons particulièrement aimé « Le chapeau de la girafe » et « Les portes du pénitencier » (j’ai tout de suite songé à Eric Burdon et ses géniaux Animals, et à Johnny Hallyday qui avait eu la bonne idée – Yday – d’adapter en français la chanson éponyme).

Sa prestation terminée, je l’ai retrouvé au bar de la Comédie autour d’un verre de Tariquet ; je lui ai demandé s’il avait déjà été édité. « Non ! », m’a-t-il répondu avec un doux sourire qui m’a laissé penser qu’il en avait envie. Éditeurs, vous savez ce qu’il vous reste à faire…