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Travail de deuil

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Aux obsèques de son père, Qiao perd ses moyens. Le frère cadet du défunt a mis autoritairement dans les mains du frêle garçon de 18 ans un panégyrique rédigé d’avance, qui reste en travers de la gorge du garçon : devant l’assistance venue sur son trente-et-un assister malgré la pluie battante à la cérémonie de crémation, dans un décorum cossu envahi de couronnes de fleurs blanches, il n’arrive tout simplement pas à lire son texte :  Qiao prend ses jambes à son cou, s’enfuit, s’échappe hors de la ville.  Recherché par sa famille, il sera évidemment rattrapé au bout de quelques jours, et ramené au bercail par sa belle-mère. Voilà pour le prologue.

Nous sommes à Hangzhou, métropole dont l’arrière-plan des gratte-ciels, du réseau viaire et fluvial, et la modernité minérale témoignent, s’il le fallait, à tout le moins pour l’œil du spectateur occidental, de la fantastique mutation de l’Empire du Milieu, tout particulièrement dans l’apparence futuriste de ses métropoles en essor accéléré.

Progrès de l’IA

Production franco-chinoise, deuxième long métrage (après Suburban Birds en 2018, pas sorti en salles) du cinéaste Qiu Sheng, lui-même natif de Hangzhou où se situe l’action, My Father’s Son, dans une première partie, distille les indices par quoi la relation filiale entre le défunt entrepreneur et son fils se révèle en porte-à-faux radical avec l’éloge funèbre dicté à l’adolescent : comme un démenti insistant à la réalité que le film nous dévoile de proche en proche, les fallacieuses sentences du discours viendront d’ailleurs, en sous-titre, ironiquement ponctuer les séquences du film, d’un bout à l’autre. C’est sans prévenir que le scénario bifurque ainsi vers l’enfance douloureuse de Qiao, dans une série de flashbacks révélant peu à peu quel homme contradictoirement aimant et protecteur, mais également instable, intrusif, violent fut ce géniteur, mari jaloux, agressif et destructeur, attentif à faire de son fils à tout prix un champion de boxe à son exemple, ce avant que frappé d’addiction au jeu, à l’alcool et aux stéroïdes, ce pater imperiosus ambigu ne soit atteint d’un cancer sans rémission.

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Dans une ultime, énigmatique et soudaine bifurcation, My Father’s Son se téléporte contre toute attente dans le futur proche où dans un environnement aseptisé de tours, l’Intelligence artificielle a fait des pas de géants : maintenant adulte, chaussé de lunettes de vue, habitant un logis high-tech immaculé où poussent des bonzaïs géants, en couple désormais avec une jeune femme enceinte de ses œuvres, Qiao, devenu ingénieur au sein du laboratoire ANOTHER MIND, a modélisé un ring numérique capable de simuler un match de boxe où il affronte le fantôme de son papa généré par l’IA. « J’ai de mauvais gènes », dira-t-il devant le praticien qui évalue le risque que son enfant naisse trisomique, tandis que ce Frankenstein du 3ème type semble échapper à son contrôle…  

Précautions

À l’élément aquatique est associé, revenant comme un leitmotiv symbolique tout au long de ce parcours introspectif où le cinéaste a probablement mis beaucoup de lui-même, une vertu purificatrice, voire rédemptrice : ayant récupéré l’urne contenant les cendres de son père, on verra Quiao, par exemple, étreindre une Diane de rencontre au milieu du flot…

Est-ce un film chinois pour l’exportation ? « Mon père monta sa société en réponse aux appels du Parti et de son époque » : cette citation de l’éloge funèbre évoque en creux, dans un savoureux euphémisme, l’histoire récente de la Chine, dont le père de Qiao, « né en 1972 », est la projection allégorique. Ce que dans son épure, sa retenue, son esthétique très maîtrisées se garde pourtant de souligner My Father’s Son, c’est la dimension immensément tragique de la Révolution culturelle, l’horreur inexpiable qu’a été de part en part la dictature du Grand timonier. On soupçonne qu’une auto-censure bien pesée, et sous contrôle, permette à présent, sous l’alibi du film d’auteur, de présenter en filigrane le portrait narcissiquement flatteur d’une Chine n’ayant rien à envier à l’Occident en matière de style de vie, de design, de développement urbain – une Chine entrepreneuriale, sophistiquée, de bon goût, technologiquement à la pointe. Bref, le travail de deuil autorise de faire son deuil d’un passé globalement plus traumatique qu’un lancinant uppercut paternel, passé dont la mémoire et ses séquelles paraissent surgir ici enrobées de beaucoup de précautions sémantiques.


My Father’s Son. Film de Qiu Sheng. Chine, France, couleur, 2024. Durée : 1h41

En salles le 23 juillet 2025


Amir, victime d’un festival de haine anti-israélienne en Belgique

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Chez nos voisins, le chanteur est ciblé pour ses origines. Un nouvel épisode navrant de cette fameuse « Internationale » du soupçon.


Il est Israélien et juif. Il a participé à un concert dans une colonie à Hébron… en 2014. Il a fait son service militaire dans les renseignements de l’armée israélienne. Il s’est exprimé en chanson pour dénoncer l’horreur du 7-Octobre. Pour ces raisons, Amir subit aujourd’hui les assauts d’une meute d’artistes qui entendent le faire déprogrammer des Francofolies de Spa se tenant dès ce vendredi dans la cité thermale belge. La chanteuse Yoa a poussé plus loin sa résistance de pacotille en annulant sa participation, au prétexte de ses “convictions sociales, politiques et humanistes”, suivie par d’autres artistes tout aussi peu connus. 

Déferlement de haine

D’ordinaire, le festival, qui dresse ses différentes scènes au mitan du mois de juillet, souvent quand la Belgique est en période de fête nationale, se déroule dans une ambiance bon enfant, entre baraques à frites, plus ou moins bons tours de chant et animations diverses. Les artistes au programme sont appréciés d’un grand public qui se déplace en masse et en famille. Cette édition déroge donc à la règle et la musique qui, d’ordinaire, adoucit les mœurs, exacerbe cette fois-ci les tensions.

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Pour ses contempteurs, peu importe qu’Amir porte un message de paix et soit peu connu pour être un soutien du gouvernement actuellement en place en Israël. Ils le réduisent à sa nationalité et peut-être à sa religion. Son label, Parlophone, a dénoncé le « déferlement de haine antisémite » dont le chanteur est la cible depuis plusieurs semaines. Nous ne sommes pas là pour sonder les cœurs, les âmes et les passions tristes, ni pour taxer d’antisémitisme le premier artiste engagé venu, mais tout le monde conviendra que nous ne sommes guère éloignés de l’infâme. Ajoutons à cela que les pétitionnaires entendent sans doute également profiter de la notoriété d’Amir pour sortir de leur propre anonymat : cela ne leur coûte rien, à peine quelques gouttes de moraline, vite épongées dans le drapeau palestinien.  

Pas un cas isolé

Il est un phénomène plus général que nous devons regretter : les festivals sont les nouveaux hauts lieux du palestinisme ambiant. Le cas spadois n’est pas isolé : il y a quelques semaines, le festival de Glastonbury, dans le sud-ouest de l’Angleterre, a davantage été marqué par les cris de haine contre Israël que par la prestation magistrale du désormais octogénaire Rod Stewart. À cette occasion, le duo de rappeurs Bob Vylan – à ne pas confondre avec le nobélisé Bob Dylan – avait scandé: « Death to the IDF », soit un appel à tuer les forces armées israéliennes. Dans la foule, les drapeaux palestiniens formaient une marée et ceux qui les brandissaient un embryon d’armée. Le concert était diffusé par l’autrefois vénérable BBC qui dut fournir des explications.

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Face aux boycotteurs, qui n’ont pas eu gain de cause pour le moment, laissons le mot de conclusion à Amir et Nazim qui, dans la chanson qu’ils partagent, s’écrient : « Si j’étais né à ta place, dans le camp d’en face, je t’aimerais moi aussi. Si on avait l’audace de ne plus se faire face, on s’aimerait nous aussi ». Un peu naïf, peut-être, mais certainement plus humaniste que les objurgations des artistes qui se revendiquent du camp du Bien et qui veulent retirer à un chanteur (franco-)israélien la plus douce des libertés, celle de chanter.

Amir banni, Avignon accusateur, les artistes muets — et deux visages de la haine

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Notre chroniqueur voit dans la tentative de déprogrammation du chanteur populaire Amir en Belgique et dans les prises de position du Festival d’Avignon le retour d’un antisémitisme cultivé, diplomatique, « habillé d’humanisme ». Un antisémitisme de salon, mais pas moins féroce…


Quelque chose s’est brisé dans l’été culturel de 2025. Aux Francofolies de Spa, la présence du chanteur Amir est contestée. Non pour une déclaration provocatrice, une faute ou un incident. Mais pour ce qu’il est : Juif, francophone, lié à Israël [1]. Un homme qui ne renie ni ses origines, ni sa double appartenance. La raison donnée ? Pressions militantes. Réputation du festival. Climat international tendu. En d’autres termes : sa seule présence est devenue indécente.

Aucun soutien notable d’artistes ou de personnalités culturelles n’a suivi. Pas de tribune. Pas de solidarité publique. Comme si, en 2025, un chanteur juif pouvait être effacé d’une scène européenne sans que personne n’y voie un problème.

Quel théâtre !

Le 12 juillet 2025, dans un communiqué officiel, le Festival d’Avignon annonçait l’absence de toute compagnie israélienne dans sa programmation. Motif invoqué : la situation internationale et les risques de trouble à l’ordre public. Mais lors d’une conférence de presse tenue le même jour, le directeur du festival, Tiago Rodrigues, donnant des gages aux manifestations contre le « génocide » à Gaza et à la tribune de certains artistes du festival renchérit : « Alors même que le Festival d’Avignon commence, le gouvernement d’extrême droite d’Israël poursuit ses attaques contre Gaza, perpétrant des crimes de guerre, bloquant l’aide humanitaire, violant systématiquement les droits humains, causant la mort de dizaines de milliers de civils palestiniens, parmi lesquels des milliers d’enfants. Des enfants. Des enfants. Des enfants. »

Ainsi le théâtre devient tribunal. La guerre de Gaza, assimilée sans nuance au crime des crimes par certains, justifie l’exclusion de tous les artistes israéliens, quels que soient leur engagement, leur œuvre ou leur silence. Aucun débat, aucune distinction. Juste un bannissement global, moral et symbolique.

Bannissement sans appel

En employant le terme de « génocide » sans distance ni prudence, on essentialise un peuple, une culture, un État, les expulsant symboliquement du champ légitime de l’art. Car si un “génocide” est en cours, alors tout Israélien est un génocidaire potentiel. Même un chorégraphe. Même une actrice. Même un enfant. Alors on ne débat plus, on exclut. On ne discute pas : on bannit. La culture devient tribunal. Mais le plus grave n’est pas là. Il est dans le silence général qui a suivi. Aucun grand metteur en scène, aucun écrivain, aucun chanteur, aucun directeur de théâtre n’a osé contester. Pas de tribune, pas de lettre ouverte, pas même un murmure. Comme si, en 2025, le bannissement des artistes juifs ou israéliens était devenu socialement acceptable, politiquement sain, moralement indiscutable.

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Ce silence des élites culturelles françaises, si promptes à dénoncer toutes les exclusions sauf celle-là, dit quelque chose d’effrayant : l’antisémitisme a changé de forme, mais pas de fonction. Car aujourd’hui, il porte deux visages :

– Celui, brutal et explicite, qui sévit dans certaines banlieues islamisées, où des Juifs sont insultés, pourchassés, parfois tués. Une haine importée, parfois religieuse, souvent tolérée, rarement dénoncée par les autorités morales de la République.

– Et celui, plus élégant mais tout aussi dangereux, des élites culturelles, universitaires et médiatiques, qui habillent leur rejet du Juif en discours sur l’antiracisme, la justice, le “colonialisme” — mais qui, au fond, ne pardonnent pas au Juif d’exister encore comme sujet collectif, comme mémoire, comme fidélité.

Ces deux visages se répondent, se nourrissent l’un l’autre. Le premier jette des pierres. Le second écrit des tribunes. Le premier hurle. Le second murmure. Mais ils désignent tous deux le même coupable. C’est dans ce double contexte, celui du rejet par le bas et du bannissement par le haut, que revient l’antisémitisme — plus froid, plus rusé, plus honteux que jamais. L’antisémitisme revient, oui. Mais il ne vient plus seulement d’en bas. Il ne vient plus seulement comme autrefois des masses incultes d’Europe de l’Est ou du Maghreb, des pogroms de village. Il vient d’en haut. Il vient d’universités, de rédactions, de plateaux télévisés, de grandes ONG, de colloques sur la justice mondiale. Il vient d’une classe dirigeante qui n’a plus d’attache, plus de sol, plus de fidélité à autre chose qu’à son propre narcissisme moral. Ce n’est plus la foule qui hurle : c’est l’élite qui murmure — avec componction, avec gravité, avec science. Un antisémitisme cultivé, diplomatique, habillé d’humanisme. Un antisémitisme de salon, mais pas moins féroce.

Le Juif n’est plus haï parce qu’il serait puissant, mais parce qu’il est inassimilable à la nouvelle religion du monde occidental : celle de la repentance généralisée et de la dissolution des identités. Il incarne, malgré lui, ce que l’époque veut abolir : une fidélité, une structure, une Loi. Dans une société qui n’a plus de pères mais des managers, plus de traditions mais des flux, plus de mémoire mais des narrations, le Juif fait tache. Il est le témoin muet d’un monde antérieur : celui de l’Histoire avec des tragédies, des appartenances, des frontières.

Et cela, les élites ne le supportent plus. Elles qui ont troqué le tragique contre l’égalitarisme compassionnel. Elles qui veulent un monde propre, sans conflit, sans verticalité — un monde lavé de la culpabilité par la dénonciation rituelle du même ennemi : Israël, le “sioniste”, le “colonialiste”, le “dominant”. Il n’est plus question de dire : “le Juif est le mal”. Il suffit de dire : “le sionisme est un apartheid”. Et de conclure que l’antiracisme impose d’être antisioniste. C’est propre, c’est logique, c’est académique. C’est l’Occident d’aujourd’hui : celui des grandes écoles, des think tanks et des ONG. Ce n’est plus la rue qui désigne le Juif : c’est Sciences-Po ! C’est le théâtre subventionné. C’est le documentaire primé à Berlin. C’est la tribune dans Libération. Ce n’est plus une haine brute : c’est une haine raisonnée, structurée, distillée dans les séminaires, les curriculums, les politiques publiques. On ne brûle plus les synagogues. On y dépêche des intellectuels pour expliquer pourquoi elles dérangent.

Des drapeaux palestiniens et libanais sont déployés devant Sciences Po, 8 octobre 2024 © HOUPLINE-RENARD/SIPA

Isoler, disqualifier

Car c’est bien là le paradoxe : ce nouvel antisémitisme est celui des élites qui se croient éclairées. Elles ne crient pas, elles enseignent. Elles n’agressent pas, elles évaluent. Elles ne jettent pas des pierres, elles rédigent des rapports. Mais leur objectif est le même : isoler, disqualifier, réduire au silence.

Et pendant que cette haine s’habille de droit international, de solidarité, de justice, les classes populaires, elles, restent à distance. Elles vivent avec les Juifs. Elles n’ont ni le temps ni les moyens de haïr abstraitement. Elles partagent les mêmes écoles, les mêmes quartiers, parfois les mêmes misères.

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La fracture est là : ce ne sont pas les pauvres qui haïssent. Ce sont ceux qui croient incarner le progrès. Ce ne sont pas les exclus qui délirent sur le “lobby juif”, mais les inclus — ceux qui ont désappris la complexité du monde au profit de leur propre vertu.

Que l’antisémitisme revienne n’est pas une surprise. Mais qu’il revienne par le haut, voilà le signe de notre époque. Car une société qui se pense civilisée et produit de la haine sous couvert de justice est une société arrivée à son stade terminal : celui où l’intelligence ne pense plus, mais juge.

Il faut désormais regarder ce retour pour ce qu’il est : un symptôme, non pas d’ignorance, mais de décadence. Quand les élites trahissent la mémoire, c’est que la culture est morte. Quand elles s’en prennent au Juif, c’est qu’elles ont cessé de croire au commun. Alors des Juifs s’en vont. Silencieusement. Ils n’écrivent pas de manifestes. Ils ferment les volets. Ils fuient la lumière fausse de ceux qui parlent de paix et sèment la honte. Et ce départ, ce départ qui ne dit pas son nom, est le vrai jugement sur notre temps.


[1] https://www.lefigaro.fr/musique/francofolies-de-spa-la-venue-du-chanteur-franco-israelien-amir-provoque-des-remous-20250717

Royalisme: quand l’échec fait vendre

Dans son essai érudit, Baptiste Roger-Lacan analyse moins le royalisme comme un courant politique que comme un imaginaire, une esthétique, une nostalgie. Et la droite continue de parler son langage : celui de l’orgueil blessé des perdants… 


« On pense à Louis XVI, on est mal à l’aise » chantait déjà Jean Yanne en épilogue sonore de son film Liberté, égalité, Choucroute. « On se dit que c’est des ancêtres à nous qui lui ont coupé le cou… » Les Français célèbrent la Révolution chaque 14-Juillet, mais regrettent que le sang de Louis XVI l’ait entachée. La gêne dont se moque Jean Yanne est tenace, ancienne et bien répandue, à en croire Baptiste Roger-Lacan, normalien, agrégé, docteur en histoire contemporaine, enseignant à Sciences-po, qui signe avec Le Roi : une autre histoire de la droite (collection Passés Composés), une étude du « spleen royaliste » qui hante la droite française depuis la fin du XIXe. 

Grand absent

François Furet avait bien montré que le régicide de 1793 avait certes tué le corps physique du roi mais pas le besoin de paternité politique. À chaque crise politique, la France cherche un homme providentiel pour remplacer le monarque aboli : Napoléon Ier, Napoléon III et bien sûr le Général de Gaulle instituant avec la Ve République un « monarque républicain comme substitut ». Notre République a les allures d’une monarchie sans sacre ni transcendance, sans velours ni faste ni pompe ni couronne et où rôdent comme un spectre les lustres d’une gloire éteinte. N’est-ce pas le ministre de l’Économie Emmanuel Macron qui notait en 2015 dans la revue Le 1 hebdo : « le grand absent en démocrate, c’est la figure du roi » 

Il reste pourtant assez peu de royalistes… Ces derniers, en politique, n’ont jamais fait de merveilles. Emportées par les révolutions de 1830 et 1848, les restaurations ont échoué. Et les monarchistes, même avec un jeu gagnant, se sont toujours couché à la deuxième mise… En 1871, dans la déroute de Sedan, une assemblée royaliste est élue. Or les différentes tendances et prétendants s’engueulent sur des sujets aussi essentiels que… la couleur du drapeau ! Le petit-fils de Charles X, le comte de Chambord, refuse alors obstinément de troquer « son » drapeau blanc contre le tricolore. C’était la dernière chance de restauration de la monarchie, et la droite n’en fit rien. 

Le roi est mort… vive le royalisme !

L’agonie de la monarchie française fut longue, souvent pathétique mais jamais dénuée de beauté. C’est ce que l’on retient de la lecture de l’ouvrage de Baptiste Roger-Lacan. Il nous promène parmi les abbés, les mémorialistes vendéens et les romanciers historiques qui ont cultivé le souvenir du roi pendant que les royalistes perdaient ou abandonnaient la partie politique. Les bonnes familles catholiques empilent dans leurs bibliothèques les ouvrages larmoyants sur les martyrs de la Terreur.  On découvre avec l’auteur la Marie-Antoinette sensible et larmoyante de Pierre de Nolhac, conservateur à Versailles à la fin du XIXe, qui a fait redécouvrir aux visiteurs du château les écritures et objets personnels de la Reine. Il y a des galeries de portraits de la Terreur (bourreaux et victimes) de G. Lenôtre (nom de plume de Théodore Gosselin) qui écrit les vies minuscules (et raccourcies) des gens de la guillotine. On comprend à la lecture de l’ouvrage que la Contre-Révolution sert moins à ramener le roi que faire pleurer dans les chaumières. Les écoles catholiques et patronages religieux cultivent la martyrologie des carmélites de Compiègne et des héros du bocage vendéen. L’attachement monarchique est moins un choix ou un projet politique qu’une émotion collective nourrie de deuils et de réceptions mondaines. Parfois aussi d’excentricités. Qui se souvient du naundorffisme ? Un royalisme alternatif à la frontière de l’ésotérisme qui imagine que Louis XVII, le petit roi, fils de Louis XVI, n’est pas mort à la prison du Temple en 1795, s’est échappé et a engendré une nouvelle lignée. 

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À défaut de régner, la monarchie française a su se vendre et coller à tous les goûts excentriques, poétiques, littéraires, feuilletonistes, patrimoniaux du XIXe siècle. C’est du moins ce dont l’auteur par ses listes interminables parvient à nous convaincre. 

Quand Proust lisait Maurras… 

Et puis vint Charles Maurras… Lui prit tout cela très au sérieux. Il a fait des théories, des doctrines, il a mis la monarchie en équation. Il ressort les penseurs comme Burke ou Maistre, s’en approprie d’autres tels Auguste Comte, Taine et Fustel de Coulanges. Comme dans L’Education Sentimentale,  il monte un club de l’Intelligence royaliste – quand celui de Flaubert était républicain. Ce sera l’Action Française. Une ligue mais surtout un quotidien très lu et renommé, « une cure d’altitude » disait Marcel Proust frappé par la qualité des articles signés d’esprits souvent agiles ou de polémistes fort en gueule. La plume vedette, Jacques Bainville connait un succès considérable avec son Histoire de France et son Napoléon dont Baptiste Roger-Lacan nous raconte tous des dessous éditoriaux chez Fayard (déjà éditeur de droite…). Baptiste Roger-Lacan insiste : l’académie est alors un pôle réactionnaire.  

Roger-Lacan décrit bien la puissance de cette machine doctrinale qui attire à elle une jeunesse intellectuelle et bourgeoise catholique qui se sent un peu coincée entre une réaction tiède à papa et une Église qui ne répond pas à son désir de radicalité – situation étrangement similaire à celle d’aujourd’hui. Mais si attractif et armé intellectuellement qu’il a pu l’être, ce néoroyalisme n’échappera pas aux compromissions de l’entre-deux guerre. Des rapprochements douteux nourrissent des amitiés particulières avec le fascisme ou des fixettes antisémites… À force de ruminer l’attente d’un roi qui ne vient pas, on finit rattrapé par des vieux démons. Résultat : en 1945, Charles Maurras est condamné à l’indignité nationale, l’Action Française liquidée et l’auteur y voit la dernière mort politique de la monarchie. 

Chouans un jour, chouineurs toujours 

Fin de l’histoire ? Le roi ne reviendra plus. Il ne le peut plus. Chez nous les rois, on les renverse, on les décapite… puis on les encadre. On en fait des timbres, des séries télés, des mugs à la boutique du château de Versailles… L’échec est un capital mémoriel que la droite rentabilise assez bien sur le marché des sensibilités, des mémoires et de la création littéraire. 

C’est sans doute le romancier Jules Barbey d’Aurevilly qui l’a le mieux compris :  la monarchie passe de la ferveur à la fiction. Plutôt que de régner, elle brille encore comme inutilité rayonnante. On ne s’étonnera pas que la République – ou plutôt l’Éducation nationale fasse commenter L’Ensorcelée cette année aux Premières pour le baccalauréat de français. Le royalisme finit encadré, vitrifié et finalement annoté. Si en deux siècles les réacs n’ont jamais su trop quoi faire de leurs rares victoires, ils savent en revanche donner du lustre à leurs défaites. De l’art de perdre avec fanfare, champagne et naphtaline. 

360 pages

Le roi: Une autre histoire de la droite

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L’enchantement du pèlerinage de Chartres

Le pèlerinage de Chartres est la preuve en marche que des Français peuvent traverser Paris respectueusement et sans razzias. Comme les vieux films, ces cathos très « France d’avant » peuvent rendre nostalgique, mais avec modération.


Samedi 7 juin, Paris, 9 h 30. En approchant de la place d’Alésia, j’entends des clameurs. Je m’attends à une de ces manifs traîne-savates qui rassemble des braillards pour la retraite ou la Palestine, une de ces kermesses de gauche où le fonctionnaire défile avec le vandale, un de ces cortèges où on défend des droits au début et où on défonce des vitrines à la fin, une de ces démonstrations de force pour les acquis sociaux et les Nike gratuites.

Des Charlotte d’Ornellas par centaines, des Vianney par milliers…

En fait non, arrivé au feu rouge, je tombe sur une procession. Des scouts, des drapeaux, des croix, des prêtres, des étendards, des vierges et des saints, des chants et des prières, et même, porté par quatre jeunes gaillards, sur une sorte de « brancard » (qu’on me pardonne, je manque de vocabulaire catholique), saint Michel, sa lance à la main et un pied sur le dragon.

Je m’arrête un moment, ravi par la bonne surprise, et puis je vaque à mes occupations – dois-je le préciser ? Peut-on vaquer à autre chose qu’à ses occupations ? Je n’en sais rien, je n’ai jamais essayé.

Vers 11 heures, je reviens vers la place. Ils sont toujours là qui défilent, à vive allure, des Charlotte d’Ornellas par centaines, des Vianney par milliers, des « Je vous salue Marie » dans les porte-voix. Je comprends alors que c’est le pèlerinage de Chartres en marche pour 80 kilomètres à pied, en passant par la banlieue et ses territoires occupés. Je reste debout à les regarder passer, touché par la ferveur de cette jeunesse alerte et bien coiffée, là où je trouve d’habitude des Africains sur des Vélib’ qui attendent le départ d’une course Uber Eats et des Roms assis par terre qui réclament une pièce pour manger ou pour construire une ville au pays au parrain de leur mafia ; le tiers-monde et la cour des Miracles.

D’abord surpris, au bout de cinq minutes, je suis enchanté, au bout de dix je suis franchement ému, tellement que je sens des larmes qui viennent et que, si je ne me ressaisis pas un peu, je vais me mettre à chialer comme un veau au milieu du carrefour. Les cloches de l’église se mettent à sonner à toute volée et ça ne m’aide pas. Serais-je touché par la grâce ? Encore un peu et je vais me mettre à aimer mon prochain comme moi-même et, si je ne retrouve pas vite mon naturel égoïste et sarcastique, à prendre dans mes bras un de ces joyeux bigots. Je dois dire que je les aime bien ces cathos-là, qui ne prennent pas au pied de la lettre leur pape quand il les invite à accueillir plus de migrants et qui n’oublient pas que si la France est encore un peu chrétienne, c’est un peu grâce à Charles Martel.

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Mais de quoi j’aurais l’air, en pleurs entre les flics qui règlent la circulation des chrétiens et les pompiers qui vendent des billets de tombola ? Pourvu que je ne rencontre pas un ancien compagnon de la Fédération anarchiste, un de ceux avec qui je chantais jadis la chanson du père Duchêne :

« Si tu veux être heureux nom de Dieu

Pends ton propriétaire.

Coupe les curés en deux

Fous les églises par terre.

Et l’bon Dieu dans la merde, nom de Dieu

Et l’bon Dieu dans la merde. »

– Qu’est-ce qui t’arrive mon vieux, tu pleures ? Ça ne va pas ? – Si, si, ça va, c’est juste que ma mère est morte. Et toi ça va ?

Des croyants qui ne font pas semblant

Je cherche un moyen de contenir mon émotion. Un peu comme dans l’étreinte quand je pense très fort à Mathilde Panot pour ne pas jouir trop vite, et, quand je sens que ça ne va pas marcher, à Ersilia Soudais, mais pas trop quand même par crainte de ne pas jouir du tout, je cherche en vitesse un truc pour endiguer mes sanglots et je trouve. Voici que passent des soutanes, les mêmes que celles portées par les évêques qui encadrent Pétain sur les images d’archives. Puis j’aperçois un drapeau palestinien, et me revient le témoignage d’un chrétien de Gaza ou de Cisjordanie, plus indulgent avec les islamistes qu’avec les Israéliens. Sans doute un penchant irrépressible pour les pauvres et les simples d’esprit.

Encore un effort et je dessine les contours d’une France reprise en main par des croyants qui ne font pas semblant. Je m’imagine en grimaçant vivre dans un pays d’où auraient disparu de l’espace public la pornographie, les putes et les pédés, le « chemsex » et les drag-queens, les trans, les boîtes échangistes ou sado-maso, le black metal sataniste et le poppers en vente libre ; et où je ne saurais plus où donner de l’amour à une progéniture nombreuse et rescapée, faute de pilule du lendemain, à qui on expliquerait à l’école que j’ai tué le Christ.

C’est gagné, j’ai séché mes larmes et retrouvé un peu de dignité. Je me demande ce qui m’a pris. La nostalgie sans doute. Au sens strict, le mal du pays. Je suis pourtant au cœur du 14e arrondissement de la capitale. Je n’ai pas quitté la France. C’est elle qui me quitte, qui disparaît doucement, tranquillement remplacée, envahie et tiers-mondisée, en commençant par la tête, comme le poisson pourrit. Alors quand elle resurgit avec ses racines et en costume d’avant, même d’Ancien Régime, forcément, ça m’ébranle. Mais pas trop longtemps. Et c’est tant mieux, parce que sinon ça rend sourd.

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Murcie sans façons

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La petite ville de Torre Pacheco, à côté de Murcie dans le sud de l’Espagne, a été secouée par de violentes manifestations anti-migrants le week-end dernier. À l’origine de ces émeutes, l’agression d’un sexagénaire…


L’agression d’un retraité de 68 ans, habitant Torre Pacheco, a mis le feu aux poudres. Elle a eu lieu mercredi 9 juillet, en pleine rue.

L’homme a été violemment tabassé mais aucun effet personnel ne lui a été volé. Ce n’est pas le caractère gratuit de l’agression qui a suscité une vague de contestation mais l’identité des trois agresseurs : il s’agirait, selon la victime, de Maghrébins.

Torre Pacheco est une petite ville d’à peine 40 000 habitants, et parmi eux 30% à 40% sont issus de l’immigration, principalement en provenance du Maroc.

Nous sommes ici près de Murcie, dans le sud de l’Espagne, une région connue pour son activité agricole intense (on a tous en tête ces serres immenses qui s’étalent à perte de vue où l’on cultive tout au long de l’année des fraises et des tomates), et cette activité nécessite de la main d’œuvre, de préférence bon marché, que l’on trouve en face, de l’autre côté de la Méditerranée : au Maghreb. C’est ainsi que les Espagnols ont en quelque sorte inventé le concept de « saisonnier à l’année ». Chez eux comme chez nous on trouve donc une population immigrée venue faire le « sale boulot » que les locaux ne veulent pas faire.

Le problème : une question de nombre

La majorité de cette population étrangère, parfois présente depuis des décennies, ne pose aucun problème mais ne s’intègre pas. Elle vit recluse sur elle-même, se lève le matin pour aller travailler et une fois la journée finie, se replie dans ses quartiers périphériques où s’est instaurée une loi communautaire – on en sait quelque chose en France.

Mais quand cette population représente près de la moitié de la ville, peut-on encore parler d’une communauté, d’une minorité ? N’est-elle pas alors « légitime » à imposer ses codes et ses règles ? C’est la loi du nombre.

D’autant qu’à cette population s’agrègent depuis des mois des migrants de fraîche date, puisque les archipels des Baléares et des Canaries sont devenus l’une des portes d’entrée de l’Europe pour tous ceux, Maghrébins ou Sub-sahariens, qui quittent les côtes d’Afrique du Nord.

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2024 a été marquée par des vagues d’afflux record, et cela continue cette année ; au mois de janvier, en deux jours seulement, plus de 600 personnes ont débarqué aux Canaries. De quoi saturer sur le champ les structures d’accueil qui n’ont pas eu d’autre choix que de laisser partir ces gens dans la nature.

Et quand on n’a rien, on se débrouille : c’est ainsi que peut se faire un lien entre délinquance et immigration.

Face à cette situation, les habitants réagissent de moins en moins bien. Les tensions sont désormais fréquentes et c’est pourquoi l’agression de ce retraité a mis le feu aux poudres, jusqu’à susciter des scènes d’une rare violence que l’on voit sur nos écrans ces derniers jours.

Une première manifestation a eu lieu vendredi 11 juillet dans les rues de Torre Pacheco. Un rassemblement à l’initiative de la mairie qui se voulait pacifique mais qui a vite dégénéré lorsque des individus ont infiltré le cortège et ont lancé des appels à ce qu’il faut bien nommer une chasse à l’homme. Des appels à traquer les immigrés maghrébins dans la ville, à incendier leurs commerces ont aussi été relayés sur les réseaux sociaux.

La police a dû intervenir pour stopper le mouvement mais au prix de violents affrontements qui ont duré une partie du week-end. Jusqu’à ce que des unités spéciales de la Guardia Civil aient été déployées pour ramener un semblant de calme.

Près de 80 personnes ont été identifiées, la plupart ont des « antécédents pour des faits de violence » et ne résident pas à Torre Pacheco. Moins de dix personnes ont été interpellées : un Marocain et six Espagnols. Ils sont poursuivis pour les chefs de « troubles à l’ordre public », « haine » et « blessures volontaires ».

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D’autres arrestations ont eu lieu dans le cadre de l’enquête sur l’agression : il s’agit de « deux immigrés » dont l’origine n’a pas été précisée. On sait uniquement qu’ils ne résident pas à Torre Pacheco et qu’ils sont soupçonnés d’avoir « collaboré et couvert l’auteur » des coups. Un troisième suspect a été appréhendé au Pays basque alors qu’il cherchait à gagner la France. Il pourrait donc s’agir de l’agresseur principal. Mais, cette annonce n’a pas fait retomber la tension sur place.

Très vite, voire immédiatement, l’affaire a pris un tournant politique. Dès samedi, le parti Vox a organisé un rassemblement dans la ville sous le slogan : « Défends-toi de l’insécurité ». Son président régional a déclaré à cette occasion : « Nous ne voulons pas de gens comme ça dans nos rues ni dans notre pays. Nous allons tous les expulser : il n’en restera pas un. » Ces déclarations ont évidemment déclenché de vives critiques dans les rangs de la gauche. Un porte-parole du parti Podemos a dénoncé « la chasse raciste qui se déroule à Torre-Pacheco », accusant « des groupes néonazis et Vox » d’instrumentaliser l’agression du retraité pour « encourager la violence contre la population étrangère ». Quant à la ministre socialiste de la Jeunesse, elle a dénoncé « l’ultra-droite et la droite [qui] désignent des cibles, et leurs nervis [qui] passent à l’acte ».

Souvenir anglais

Ces manifestations espagnoles ne sont pas sans rappeler ce qui s’est passé l’été dernier en Angleterre. Fin juillet 2024, un homme de 18 ans d’origine rwandaise avait sauvagement poignardé à mort trois fillettes de six ans et blessé huit autres alors qu’elles prenaient leur cours de danse à Southport, dans le nord-ouest du pays. L’abjection de cette attaque avait suscité une vague d’émotion qui s’était rapidement muée en vive contestation de la politique migratoire britannique. Le mouvement avait ensuite pris la forme de manifestations violentes contre les immigrés. Un hôtel hébergeant des demandeurs d’asile avait notamment été pris pour cible. Les manifs avaient duré plusieurs jours et des dizaines d’hommes avaient été arrêtés manu militari, traduits devant la justice et condamnés à de la prison ferme de façon tout aussi expresse. Le Premier ministre Keir Starmer avait alors promis que « les auteurs de ces violences regretteraient d’avoir participé à ces désordres ». Cette diligence et ce ton martial n’ont jamais été appliqués contre les auteurs des viols collectifs sur mineures (blanches) de Rotherham –1400 victimes. Les membres du réseau pédo-criminel d’origine pakistanaise qui ont sévi des années 1980 à 2010 sont toujours dans la nature quelque part au Royaume-Uni. Si l’on se doit de condamner la violence, toutes les violences, et même s’y opposer avec fermeté, on se doit aussi de s’interroger sur le désœuvrement de ces peuples européens qui appellent à l’aide face à des flux migratoires incontrôlables aux conséquences parfois tragiques, et qui ne sont pas entendus par leurs dirigeants. Que peuvent-ils faire quand la voix des urnes ne suffit plus ? La question reste ouverte.

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Emmanuel Macron: après, ce sera trop tard…

Si la Constitution le lui interdit en 2027, tout devient possible en 2032 ! Le président de la République n’exclurait pas de se représenter devant le suffrage des Français en 2032. Une faute de goût, estime notre chroniqueur.


À peine ai-je eu envie de nous plonger dans un passé lointain pour déplorer cette journée de commémoration en hommage à l’innocent emblématique qu’était le capitaine Dreyfus – comme si l’Histoire ne l’avait pas réhabilité depuis longtemps – que je me suis senti saisi par le présent. Notamment par cette adresse du président de la République, invité surprise pour les dix ans des « Jeunes avec Macron », les assurant « qu’il faudrait compter avec lui dans cinq ans, dans dix ans ».

Indécent

J’avais immédiatement tweeté pour souligner qu’il restait un peu plus de deux ans avant la fin de son second mandat et qu’on attendait seulement de lui qu’il assumât le moins mal possible les tâches de cette période.

https://twitter.com/BilgerPhilippe/status/1943237584043544658

J’ai constaté avec plaisir qu’un ministre issu de sa propre majorité avait jugé cet engagement « indécent » en affirmant « qu’avant de se projeter en 2032, il faudrait peut-être penser à laisser le pays dans un meilleur état que celui dans lequel on l’a trouvé… »

Ce qui ne serait déjà pas admissible de la part de présidents ayant été battus comme Nicolas Sarkozy en 2012, ou n’ayant pas pu, comme François Hollande, se représenter en 2017, le serait encore moins du fait d’Emmanuel Macron qui a eu la bonne fortune de pouvoir bénéficier de deux mandats – et il ira au bout du second – avec toute latitude pour mener à bien ce qu’il avait projeté ; ou ce à quoi il a dû s’adapter en raison de fluctuations dont il a été en grande partie responsable.

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Si je devais faire preuve de compréhension, j’en userais au bénéfice du président socialiste qui tenaillé par la frustration d’avoir sinon un mandat, du moins une candidature « rentrée », n’a de cesse de tenter de persuader la gauche que son retour ne serait pas qu’un bonheur personnel.

Emmanuel Macron, lui, ne peut plaider que ses échecs ne dépendent pas de lui. S’il n’a pas été médiocre en matière de politique étrangère avec l’inconvénient, pour demeurer seul en majesté sur la scène internationale, de s’être privé d’un ministre d’envergure, ses insuffisances sur le plan régalien, malgré ses voltes tardives et à cause de choix ministériels contrastés et aberrants, ne sont imputables qu’à lui seul.

Syndome Charles de Gaulle

Aucune session de rattrapage n’a à être prévue en 2032 et il est de mauvais goût de laisser croire à un désir de lui au-delà du terme normal. Et de faire semblant de penser que l’exercice de son pouvoir, sur dix ans, aura été tellement gratifiant pour nous tous qu’une envie irrépressible de le voir revenir plus tard nous habitera.

Derrière ces péripéties, ces espérances trompeuses, qu’on veut faire passer pour les nôtres, cette volonté de mettre dans nos têtes la plausibilité d’une renaissance, il y a le syndrome de Charles de Gaulle, la mythologie du recours. Pour calquer cet épisode historique unique et exceptionnel, n’importe quel politique d’abord joue à se placer dans le sillage du « plus illustre des Français » puis se pique, sans qu’on l’ait sollicité, de se présenter en instance d’appel, en voie de recours, en seconde ou triple chance.

Mais le citoyen n’est pas dupe. Avant l’heure, c’est trop tôt. Après, c’est trop tard.

83 ans après la rafle du Vel d’Hiv, la question du génocide à Gaza

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En bataillant idéologiquement pour que le terme de « génocide » finisse bien par qualifier la situation actuelle à Gaza, les antisionistes cherchent avant tout à retirer aux Juifs leur privilège victimaire « insupportable » hérité de la Shoah. Grande analyse.


Lorsque l’Afrique du Sud a le 29 décembre 2023 déposé devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) une plainte contre Israël pour génocide, j’ai pensé, comme d’autres, qu’une telle accusation allait s’effondrer sous le poids de son absurdité. Il n’en fut pas ainsi. La CIJ n’a pas statué, elle ne le fera probablement pas avant plusieurs années, et lorsqu’elle le fera, il y a tout lieu de croire, suivant l’expert britannique Philippe Sands, auteur du célèbre «Retour à Lemberg», qu’elle statuera contre la qualification de génocide. Mais il n’importe, les mesures de précaution que la CIJ a demandées à Israël ont été interprétées comme une assignation de culpabilité. Une partie de la presse a préféré simplifier plutôt qu’informer et une partie du public, bien plus large que les antisionistes professionnels, croit aujourd’hui que la culpabilité d’Israël est avérée.

C’est faux. C’est insupportable. C’est prémédité.

Le mot de génocide relève de plusieurs registres, en particulier le registre juridique, le registre historique, le registre émotionnel. 

Sur le plan du droit, il a été inventé en 1943 par un juriste juif polonais réfugié aux Etats-Unis, Raphael Lemkin, dans un livre où il analysait les processus juridiques progressifs qui avaient permis aux Allemands d’anéantir deux millions de Juifs (son évaluation de l’époque), mais aussi des Polonais et des Roms.

La définition juridique du génocide est fixée dans une Convention adoptée le 9 décembre 1948 par l’Assemblée Générale de l’ONU. Un génocide est un acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. On remarquera que les motifs sociaux ou politiques ne sont pas pris en compte et que rétrospectivement le Holodomor, avec ses 4 millions au moins d’Ukrainiens tués par une famine organisée en 1932-33 et les deux millions de Cambodgiens tués par les Khmers rouges sur des bases politiques ou sociales n’entrent pas dans son cadre. 

Génocide et crime contre l’humanité

Lorsque Lemkin était étudiant, Talaat Pasha, l’organisateur des massacres d’Arméniens en Turquie, fut assassiné à Berlin par un jeune Arménien. Le responsable d’un des pires massacres de l’histoire menait une vie tranquille en Allemagne où il s’était réfugié, alors que son meurtrier, lui, devait affronter un procès, où il fut d’ailleurs gracié sous le prétexte d’avoir agi par un coup de folie transitoire. En fait, aucune législation internationale n’empêchait un Etat, fort de sa souveraineté nationale, de massacrer une partie de sa population. Un peu plus tard, Lemkin identifia dans Mein Kempf un programme de destruction massive de population. 

Ayant pu se réfugier aux Etats Unis, il a cherché une formule juridique mettant en exergue ce crime d’éradication d’un groupe humain. A la même époque un autre juriste juif, Hersch Lauterpacht, réfugié en Grande Bretagne, avait développé la notion de crime contre l’humanité, qui ne mettait pas en avant une identité de groupe. Elle fut utilisée en 1946 au procès de Nuremberg. Deux ans plus tard, c’est le concept juridique de génocide qui recevait sa définition officielle et c’est le seul dont traite la CIJ.

Génocide implique tentative de destruction partielle ou totale d’un groupe.  Mais qu’est-ce que la destruction s’il ne s’agit pas de l’anéantissement physique ? Certains parlent parfois de génocide culturel, destruction d’une langue, d’un mode de vie, voire d’un cadre géographique. Le processus de génocide culturel n’a pas été retenu par la Convention sur le génocide, apparemment contre les souhaits de Lemkin. 

Et qu’est-ce qu’une destruction partielle ? Le génocide n’était pas pour Lemkin une question de nombre. Cependant la CIJ a accepté comme un fait de génocide les 8000 Bosniaques assassinés par les Serbes à Srebrenica mais pas les 250 Croates assassinés, également par les Serbes …à Vukovar.

Enfin que signifie un génocide quand deux armées sont en guerre ? En zone de combats des destructions massives ne signifient pas volonté génocidaire. Les spécialistes disent que en combat urbain le pourcentage de morts civiles par rapport aux morts de soldats est toujours très élevé et que à Gaza il parait plutôt relativement bas. De plus, on ne dispose que des chiffres d’un Ministère de la Santé dont chacun sait qu’il n’est qu’un faux nez du Hamas, et ces chiffres mélangent enfants et adultes, civils et combattants, morts naturelles et morts de guerre. Cela étant dit, beaucoup d’experts pensent que les chiffres annoncés de morts représentent une réalité : c’est la réalité d’une guerre particulièrement difficile. Ce n’est pas celle d’un génocide.

Le niveau de destruction des bâtiments sur certaines zones de Gaza donne une impression de vie disparue et on comprend l’impression de certains spectateurs que «tout a été détruit». Mais il reste à côté, non visibles sur les photos, des populations civiles qui vivent dans des conditions très difficiles à coup sûr, mais qui ne sont pas en voie d’extermination.

Israël mène une guerre. Cette guerre lui a été imposée à la suite d’une action effectivement génocidaire, les massacres du 7 octobre 2023 et d’une autre action que certains ont qualifiée de génocidaire, celle de la prise d’otages, dans la mesure où elle visait à soumettre ce groupe à des conditions de vie menant à sa destruction.

Pour qu’il y ait génocide, on le sait, il faut qu’il y ait intention génocidaire. Philippe Sands a signalé que la jurisprudence de la CIJ était devenue de plus en plus stricte là-dessus. Il ne s’agit pas de relever les paroles de tel ou tel politicien en délire ou en colère, il s’agit de montrer que les actions effectuées ne peuvent pas s’expliquer autrement que par la volonté de faire disparaître une population entière. De ce point de vue, la pêche aux intentions génocidaires d’Israël est très peu productive. Les trois ou quatre fragments divulgués, qu’ils proviennent de Isaac Hertzog, président de la République, Yoav Gallant ministre de la Défense, de Benjamin Netanyahu ou d’autres membres du Cabinet sont particulièrement pauvres surtout si on les met en relation avec la sidération devant les horreurs du 7-Octobre. C’est même pour cette raison que certains spécialistes pas particulièrement favorables à Israël, regrettent que l’on ait suivi la voie du génocide, juridiquement destinée à être un échec plutôt que celle du crime contre l’humanité.

Famine iminente

Reste un dernier thème, très largement utilisé aujourd’hui celui de l’affamement volontaire de la population, motif bien défini de génocide. Il y a dix-huit mois que l’ONU et la plupart des ONG alertent sur l’épouvantable et imminente catastrophique famine qui va avoir lieu à Gaza. Or, d’une part les images de la population gazaouie ne ressemblent toujours pas à celles des survivants des camps de concentration, d’autre part les calculs que l’on peut faire sur les apports d’aliments dans les camions montrent qu’il y a globalement eu livraison de quantités de calories suffisantes pour éviter une famine généralisée. Reste le problème de la distribution et tout indique que sous le regard complaisant des ONG responsables de celle-ci, le Hamas s’est servi pour faire de la distribution alimentaire une source d’enrichissement et de pouvoir. Ce qui explique la virulence extraordinaire des réactions maintenant que le système a été modifié et que les organisations de l’ONU n’en sont plus les maitres d’œuvre.

Ce sera aux historiens d’analyser la complexité des situations alimentaires à Gaza et de les comparer à celles d’autres pays où la famine rôde et tue. Suivant la FAO et le programme alimentaire mondial, il y avait en 2024 300 millions de personnes dans 53 pays confrontées à une situation de crise alimentaire, les situations les plus graves se trouvant en Ethiopie, au Nigeria, au Soudan du Sud et au Yémen. Dans aucun de ces pays, le mot de génocide n’a été prononcé, bien que des conditions de combat réduisent les livraisons alimentaires et que ces réductions soient souvent délibérées. Envers aucun de ces pays on n’a vu de véritable émotion collective.

Il est vrai que certains historiens considèrent que le terme de génocide est justifié. Le plus réputé d’entre eux est l’Israélo-américain Omer Bartov, ancien officier de Tzahal, spécialiste de l’armée allemande et auteur d’une monographie célèbre sur l’anéantissement des Juifs dans la petite ville ukrainienne de Buczacz. A Gaza, il parle des infrastructures détruites, des pénuries alimentaires, des déplacements forcés et des discours de certains dirigeants israéliens assimilant la population tout entière à des ennemis absolus et il conclut que les critères juridiques de génocide sont présents et qu’il faut tirer la sonnette d’alarme. Autrement dit, il alerte sur Gaza pour éviter Buczacz, alors que les ennemis d’Israël font croire en s’appuyant sur ce qu’il écrit que Gaza, c’est Buczacz. Pour mémoire, il y avait à Buczacz 10 000 juifs dans le ghetto et il y a eu quelques dizaines de survivants. 98% des Juifs ont été exterminés.

On en arrive ainsi au troisième registre du mot génocide, le registre émotionnel, qui repose sur une assimilation de Gaza à Buczacz, autrement dit des événements de Gaza avec une anéantissement et de la récupération politique d’une pareille assimilation dans les réseaux sociaux.  Simone Veil, en voyage à Sarajevo, avait dit, excédée par l’usage permanent du terme génocide, « parler de génocide à tout bout de champ a une fonction, qui est d’éviter de se parler, car on ne parle pas à quelqu’un qui commet un génocide, on le combat ».

Mahmoud Abbas, qui se prétend historien depuis sa thèse négationniste concoctée avec le KGB il y a quarante ans, répète, comme à la tribune de l’ONU en 2014, que ce qui se passe dans les territoires palestiniens est un génocide « d’une ampleur sans précédent ». 

Pas d’amalgame

C’est pourquoi, l’utilisation du terme de génocide pour ce que font les Israéliens à Gaza m’est insupportable. Il y a probablement eu dans cette guerre des exactions et peut-être des crimes de la part de certains Israéliens. Il y en a malheureusement dans toutes les guerres. Mais ce que les ennemis d’Israël veulent insinuer subrepticement, c’est que « Gaza, c’est comme Auschwitz ». De ce point de vue ceux qui restent dans le flou, ou les représentants ou organisations de l’ONU qui distribuent le mot génocide sans filtre ont une lourde responsabilité.

Claude Lanzmann voulait laisser à l’extermination des Juifs l’appellation singulière de Shoah pour éviter les amalgames. Les amalgames sont là. La Shoah s’analyse sous l’angle de génocide et ce terme a acquis une puissance croissante dans la psyché occidentale, alors que se déroulait sous nos yeux un véritable génocide, celui du Rwanda et que l’extermination des Juifs était mieux reconnue. C’est cet insupportable privilège victimaire que les antisionistes cherchent à retirer aux Juifs.

A ce jour la CIJ n’accable aucun Etat en tant que tel de ce stigmate. La Turquie, c’était du passé, l’Allemagne étant devenue une démocratie, il valait mieux reporter la responsabilité sur les nazis, le Rwanda c’était le FPR qui ne voulait pas faire peser l’accusation sur le pays dont il venait de vaincre les hutus génocidaires, la Serbie n’a été condamnée que de n’avoir pas pu empêcher un génocide à Srebrenica, la Chine pour les Ouïghours, on n’en parle pas, aucun pays n’a osé déposer plainte.

L’Allemagne vient d’admettre dans un accord avec la Namibie que son comportement envers les Herreros au début du XXe siècle relevait du génocide et il est possible que à la suite de plaintes d’autres condamnations surviennent désormais incriminant le colonialisme et l’esclavage. Elles seront a posteriori, mais alimenteront la culpabilisation de l’Occident.

Pour le présent, il y a bien une incrimination à la CIJ contre le Myanmar à propos des Rohingyas, mais le rêve de ses nombreux ennemis (14 d’entre eux soutiennent aujourd’hui la démarche de l’Afrique du Sud) serait que Israël soit le premier Etat dans le monde officiellement condamné pour génocide. Il y aurait là un retour du refoulé et une reprise moderne du déicide, le crime des crimes. Les accusations de génocide portées envers Israël donnent souvent envie de ne pas répondre tant elles suintent d’une haine anti-israélienne irrépressible. Mais, malgré nos réticences, nous devons expliquer les manipulations mémorielles en jeu à ceux qui accusent Israël de génocide à Gaza et s’expriment de bonne foi, mais souvent avec crédulité et ignorance…

La polygamie en voie de légalisation au Canada?

Dans un jugement récent, V.M. c. Directeur de l’Etat civil, 2025 CCS 1304, la Cour supérieure du Québec conclut qu’est contraire à la (trudeauesque) Charte des droits et libertés canadienne le régime québécois qui limite les droits parentaux à deux adultes.


Familles, je vous hais ! 
André Gide.

Oh, quelle vie d’orgie,
quel monde de sexe,
y’a plus rien a l’index
Les hommes aux hommes,
les femmes aux femmes.
Les hommes aux deux,
les femmes aux trois.
Quand j’dirai go,
mélangez-vous et puis
swingnez votre compagnie.
Jean-Pierre Ferland.


Les ménages à trois (et plus) ont désormais droit de cité au Québec au nom du droit à l’égalité de tous les enfants; l’honorable juge (tel est son titre au Canada) Andres Garcin, tel un prestidigitateur qui sort un lapin d’un chapeau, le puise audacieusement dans l’esprit du paragraphe 15(1) et il s’inspire ouvertement du « modèle » (si l’on peut dire) de pluriparentalité en vigueur dans d’autres provinces canadiennes.

Pavé dans la mare

D’aucuns se sont émus, y voyant une avancée vers la reconnaissance de la polygamie, ce que nie le juge, appuyé dans une tribune par le juge à la retraite Daniel W. Payette (esprit de corps oblige), qui affirme que ce jugement ne « pave » (sic) pas la voie vers la polygamie. Ces deux oracles de la loi dénoncent insidieusement une crise d’hystérie islamophobe typiquement québécoise et lancent un appel au calme puisque que ce jugement ne concerne que l’intérêt de l’enfant et donc son droit à de multiples parents. Ni plus ni moins.

A ce stade, la messe n’est pas encore dite. Le gouvernement québécois portera en appel cette décision de première instance et l’on peut tenir pour acquis que, tôt ou tard, elle sera déférée à la Cour suprême du Canada. Mais les pluriparents peuvent sans doute compter sur la confirmation du premier juge par celle-ci, qui n’en serait pas à sa première décision politique.

La question est donc posée : cette doctrine de la pluriparentalité peut-elle constituer un précédent favorable à la reconnaissance de la polygamie en droit canadien et québécois (pénal et civil)?

Ce n’est pas inévitable, mais un jalon important a d’ores et déjà été posé. Au moins un pavé dans la mare. Mais revenons en arrière.

Peines non dissuasives

Le climat social canadien hors-Québec était déjà apparemment plutôt favorable à la reconnaissance de la polygamie. Pendant plusieurs décennies, les procureurs se sont abstenus d’engager des poursuites à ce titre de crainte de donner lieu à une jurisprudence favorable aux accusés polygames, au nom de la liberté de religion. Cette crainte semble avoir été écartée par un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui consacrait la constitutionnalité de l’interdiction de la polygamie en droit pénal, ce qui a permis la condamnation en 2017 de deux mormons fondamentalistes anglo-saxons disposant respectivement de 25 et de 5 épouses pour un total d’environ 150 enfants. Ils ont écopé de… 6 mois et 3 mois de détention à domicile. Peine exemplaire, très dissuasive.

Nouvelle rassurante? Voire…

Et pourtant… Les polygames musulmans, eux, vivent en toute impunité au Canada, multiculturalisme du parti libéral du Canada oblige : les imams qui célèbrent ces unions ne les déclarent tout simplement pas à l’état civil. La solution était simple, mais il fallait y penser!

[Note de droit comparé pour les lecteurs français : en France, est pénalement sanctionnée la célébration d’un mariage religieux sans cérémonie civile préalable; en Amérique du nord, les ministres du culte peuvent célébrer des mariages qui sont reconnus par l’état civil, mais ils doivent être déclarés].

En 2019, un de ces imams canadiens, Aly Hindy du Centre islamique Salaheddin de Toronto, mettait même publiquement les autorités au défi de le poursuivre, ayant pleine confiance de triompher devant la Cour suprême du Canada. Et de nombreux spécialistes partagent, en effet, son optimisme : la haute juridiction pourrait tout simplement accorder sa bénédiction à une nouvelle, mais simple, redéfinition du mariage.

A lire aussi, Jérôme Blanchet-Gravel: Canada: la chute hors de l’histoire d’un pays en pyjama

[Note de droit comparé pour les lecteurs européens : la Cour « suprême » de Colombie-Britannique est un faux ami, car c’est une juridiction de première instance et la Cour suprême du Canada aurait toute latitude pour répudier – c’est le mot exact dans ce contexte – cette censure de la polygamie].

Même en faisant abstraction de la doctrine de pluriparentalité, le climat semble donc propice aux polygames qui pourraient utilement invoquer l’esprit du paragraphe 15(1), à l’instar du juge Garcin. A fortiori, cette jurisprudence constitue un point d’appui supplémentaire.

En effet, il faut rappeler à ces deux éminents juristes un principe élémentaire en matière de raisonnement judiciaire : la portée de telle ou telle jurisprudence échappe toujours au magistrat qui en est l’auteur; il revient au juge ultérieur de l’interpréter, que ce soit de manière élargie ou restrictive. Leurs onctueuses assurances quant à l’exclusion de la polygamie n’engagent donc qu’eux seuls; pourtant, mieux que personne, ils devraient savoir que les juristes savent faire feu de tout bois et que le droit évolue souvent par sédimentation, parfois par tsunami. En l’occurrence, dans un avenir peut-être pas si lointain, il sera loisible à des plaideurs polygames d’inviter le juge à aller plus loin et à raisonner par analogie : si un enfant peut avoir plus de deux parents, on voit mal pourquoi une personne ne pourrait gratifier plus d’un époux de son inépuisable affection (de manière équitable, bien entendu, comme pour les enfants, selon une planification équilibrée du calendrier).

(Précision importante, égalité des sexes oblige : le concept de « polygamie » se subdivise en « polygynie » et en « polyandrie »).

On nous dit que la jurisprudence V.M., quant à la filiation à deux personnes, « il ne s’agit plus du seul modèle de parentalité »; de même, l’on peut aussi soutenir que la monogamie a fait son temps en matière matrimoniale. On n’arrête pas le progrès.

Une nation toujours à la pointe du progressisme

Signalons incidemment que, avant de quitter le pouvoir, le pluriculturaliste d’esprit Justin Trudeau, qui est bien le fils de son père, a fait de nombreuses nominations de dernière minute que l’on pourrait charitablement qualifier de clientélistes, et a notamment infiltré au sein de la même Cour supérieure du Québec un « honorable » correspondant, Robert Leckey, à la langue française rugueuse, dont le titre de gloire est d’avoir été doyen de la faculté de droit de l’Institution royale pour la promotion du savoir de Montréal (université McGill pour faire simple), tribune décomplexée du lobby religieux. Nul doute qu’y a vu un signe dans le ciel Amira Elghawaby, groupie de Justin devenue « représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie », qui a juré (sur le Kamasoutra et sur le recueil des Mille et une nuits) de mener une guerre d’enfer contre la laïcité rationaliste québécoise honnie.

Le Canada éblouit déjà par sa lumière les nations. Il semble en bonne (ou mauvaise) voie, à terme, de décrocher le titre prestigieux de premier État occidental à reconnaître la légalité du mariage polygame.

Et l’enfer, lui, est toujours « pavé » de bonnes intentions.

Esprit, es-tu là?

La solitude du ring

Partenaire particulier…


Est-ce qu’en boxe féminine l’Algérienne Imane Khelif aurait caché ses bijoux de famille pour obtenir une médaille d’or aux JO de Paris ? Pour couper court, et éviter à l’avenir toute suspicion, la fédération World Boxing (partenaire du CIO) a édicté de nouvelles règles : désormais pour monter sur le ring, il faudra se soumettre à une analyse ADN, déterminant le sexe à la naissance, avant d’éventuelles modifications hormonales ou coups de bistouri.

Ce nouveau point pourrait indisposer la FFB (fédération française) qui a accordé en avril 2024 à Maho Bah-Villemagne, né femme, mais ayant obtenu administrativement la qualité masculine, une licence homme…

Ex-femme et boxeuse (vice-championne de France en 2022), on ne peut le suspecter de vouloir tricher car la transition est risquée…

Mais Maho, 30 ans, 50 kilos sur la balance, peine à trouver des adversaires. Dans cette catégorie, il y a peu de boxeurs sinon à sa taille du moins à son poids, et encore moins qui veulent prendre le risque de croiser les gants avec une ex-femme… Verdict depuis l’obtention de sa licence homme, Maho n’a combattu que deux fois, toujours contre le même adversaire (pour un nul et une défaite), ce qui devient rengaine. Remarquez, entre les cordes, ça pourrait créer des liens : « Il m’a mis une droite, je lui ai mis une gauche, on a tout de suite compris qu’on était faits l’un pour l’autre. »

Naguère on disait d’une personne qu’elle avait mauvais genre quand elle avait de drôles de mœurs. Aujourd’hui on parle de personnes qui ont le cul entre deux chaises. Un casse-tête dont Maho a accepté de nous causer : « Quand je boxais chez les femmes, on me soupçonnait d’être un homme et un tricheur. Maintenant que j’ai une licence homme, mes adversaires hésitent, et je les comprends, car c’est pas évident de boxer un trans. » Actuellement blessé, Maho espère remonter sur les rings à la rentrée. Trois adversaires auraient donné leur accord. La preuve que chez les coqs (catégorie de 51 à 53 kilos), il n’y a pas que des poules mouillées.

Travail de deuil

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"My Father’s Son" Film de Qiu Sheng © New Story

Aux obsèques de son père, Qiao perd ses moyens. Le frère cadet du défunt a mis autoritairement dans les mains du frêle garçon de 18 ans un panégyrique rédigé d’avance, qui reste en travers de la gorge du garçon : devant l’assistance venue sur son trente-et-un assister malgré la pluie battante à la cérémonie de crémation, dans un décorum cossu envahi de couronnes de fleurs blanches, il n’arrive tout simplement pas à lire son texte :  Qiao prend ses jambes à son cou, s’enfuit, s’échappe hors de la ville.  Recherché par sa famille, il sera évidemment rattrapé au bout de quelques jours, et ramené au bercail par sa belle-mère. Voilà pour le prologue.

Nous sommes à Hangzhou, métropole dont l’arrière-plan des gratte-ciels, du réseau viaire et fluvial, et la modernité minérale témoignent, s’il le fallait, à tout le moins pour l’œil du spectateur occidental, de la fantastique mutation de l’Empire du Milieu, tout particulièrement dans l’apparence futuriste de ses métropoles en essor accéléré.

Progrès de l’IA

Production franco-chinoise, deuxième long métrage (après Suburban Birds en 2018, pas sorti en salles) du cinéaste Qiu Sheng, lui-même natif de Hangzhou où se situe l’action, My Father’s Son, dans une première partie, distille les indices par quoi la relation filiale entre le défunt entrepreneur et son fils se révèle en porte-à-faux radical avec l’éloge funèbre dicté à l’adolescent : comme un démenti insistant à la réalité que le film nous dévoile de proche en proche, les fallacieuses sentences du discours viendront d’ailleurs, en sous-titre, ironiquement ponctuer les séquences du film, d’un bout à l’autre. C’est sans prévenir que le scénario bifurque ainsi vers l’enfance douloureuse de Qiao, dans une série de flashbacks révélant peu à peu quel homme contradictoirement aimant et protecteur, mais également instable, intrusif, violent fut ce géniteur, mari jaloux, agressif et destructeur, attentif à faire de son fils à tout prix un champion de boxe à son exemple, ce avant que frappé d’addiction au jeu, à l’alcool et aux stéroïdes, ce pater imperiosus ambigu ne soit atteint d’un cancer sans rémission.

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Dans une ultime, énigmatique et soudaine bifurcation, My Father’s Son se téléporte contre toute attente dans le futur proche où dans un environnement aseptisé de tours, l’Intelligence artificielle a fait des pas de géants : maintenant adulte, chaussé de lunettes de vue, habitant un logis high-tech immaculé où poussent des bonzaïs géants, en couple désormais avec une jeune femme enceinte de ses œuvres, Qiao, devenu ingénieur au sein du laboratoire ANOTHER MIND, a modélisé un ring numérique capable de simuler un match de boxe où il affronte le fantôme de son papa généré par l’IA. « J’ai de mauvais gènes », dira-t-il devant le praticien qui évalue le risque que son enfant naisse trisomique, tandis que ce Frankenstein du 3ème type semble échapper à son contrôle…  

Précautions

À l’élément aquatique est associé, revenant comme un leitmotiv symbolique tout au long de ce parcours introspectif où le cinéaste a probablement mis beaucoup de lui-même, une vertu purificatrice, voire rédemptrice : ayant récupéré l’urne contenant les cendres de son père, on verra Quiao, par exemple, étreindre une Diane de rencontre au milieu du flot…

Est-ce un film chinois pour l’exportation ? « Mon père monta sa société en réponse aux appels du Parti et de son époque » : cette citation de l’éloge funèbre évoque en creux, dans un savoureux euphémisme, l’histoire récente de la Chine, dont le père de Qiao, « né en 1972 », est la projection allégorique. Ce que dans son épure, sa retenue, son esthétique très maîtrisées se garde pourtant de souligner My Father’s Son, c’est la dimension immensément tragique de la Révolution culturelle, l’horreur inexpiable qu’a été de part en part la dictature du Grand timonier. On soupçonne qu’une auto-censure bien pesée, et sous contrôle, permette à présent, sous l’alibi du film d’auteur, de présenter en filigrane le portrait narcissiquement flatteur d’une Chine n’ayant rien à envier à l’Occident en matière de style de vie, de design, de développement urbain – une Chine entrepreneuriale, sophistiquée, de bon goût, technologiquement à la pointe. Bref, le travail de deuil autorise de faire son deuil d’un passé globalement plus traumatique qu’un lancinant uppercut paternel, passé dont la mémoire et ses séquelles paraissent surgir ici enrobées de beaucoup de précautions sémantiques.


My Father’s Son. Film de Qiu Sheng. Chine, France, couleur, 2024. Durée : 1h41

En salles le 23 juillet 2025


Amir, victime d’un festival de haine anti-israélienne en Belgique

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Image d'archives © Martin Meissner/AP/SIPA

Chez nos voisins, le chanteur est ciblé pour ses origines. Un nouvel épisode navrant de cette fameuse « Internationale » du soupçon.


Il est Israélien et juif. Il a participé à un concert dans une colonie à Hébron… en 2014. Il a fait son service militaire dans les renseignements de l’armée israélienne. Il s’est exprimé en chanson pour dénoncer l’horreur du 7-Octobre. Pour ces raisons, Amir subit aujourd’hui les assauts d’une meute d’artistes qui entendent le faire déprogrammer des Francofolies de Spa se tenant dès ce vendredi dans la cité thermale belge. La chanteuse Yoa a poussé plus loin sa résistance de pacotille en annulant sa participation, au prétexte de ses “convictions sociales, politiques et humanistes”, suivie par d’autres artistes tout aussi peu connus. 

Déferlement de haine

D’ordinaire, le festival, qui dresse ses différentes scènes au mitan du mois de juillet, souvent quand la Belgique est en période de fête nationale, se déroule dans une ambiance bon enfant, entre baraques à frites, plus ou moins bons tours de chant et animations diverses. Les artistes au programme sont appréciés d’un grand public qui se déplace en masse et en famille. Cette édition déroge donc à la règle et la musique qui, d’ordinaire, adoucit les mœurs, exacerbe cette fois-ci les tensions.

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Pour ses contempteurs, peu importe qu’Amir porte un message de paix et soit peu connu pour être un soutien du gouvernement actuellement en place en Israël. Ils le réduisent à sa nationalité et peut-être à sa religion. Son label, Parlophone, a dénoncé le « déferlement de haine antisémite » dont le chanteur est la cible depuis plusieurs semaines. Nous ne sommes pas là pour sonder les cœurs, les âmes et les passions tristes, ni pour taxer d’antisémitisme le premier artiste engagé venu, mais tout le monde conviendra que nous ne sommes guère éloignés de l’infâme. Ajoutons à cela que les pétitionnaires entendent sans doute également profiter de la notoriété d’Amir pour sortir de leur propre anonymat : cela ne leur coûte rien, à peine quelques gouttes de moraline, vite épongées dans le drapeau palestinien.  

Pas un cas isolé

Il est un phénomène plus général que nous devons regretter : les festivals sont les nouveaux hauts lieux du palestinisme ambiant. Le cas spadois n’est pas isolé : il y a quelques semaines, le festival de Glastonbury, dans le sud-ouest de l’Angleterre, a davantage été marqué par les cris de haine contre Israël que par la prestation magistrale du désormais octogénaire Rod Stewart. À cette occasion, le duo de rappeurs Bob Vylan – à ne pas confondre avec le nobélisé Bob Dylan – avait scandé: « Death to the IDF », soit un appel à tuer les forces armées israéliennes. Dans la foule, les drapeaux palestiniens formaient une marée et ceux qui les brandissaient un embryon d’armée. Le concert était diffusé par l’autrefois vénérable BBC qui dut fournir des explications.

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Face aux boycotteurs, qui n’ont pas eu gain de cause pour le moment, laissons le mot de conclusion à Amir et Nazim qui, dans la chanson qu’ils partagent, s’écrient : « Si j’étais né à ta place, dans le camp d’en face, je t’aimerais moi aussi. Si on avait l’audace de ne plus se faire face, on s’aimerait nous aussi ». Un peu naïf, peut-être, mais certainement plus humaniste que les objurgations des artistes qui se revendiquent du camp du Bien et qui veulent retirer à un chanteur (franco-)israélien la plus douce des libertés, celle de chanter.

Amir banni, Avignon accusateur, les artistes muets — et deux visages de la haine

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Avignon, juillet 2025 © Marie MARCEL/SIPA

Notre chroniqueur voit dans la tentative de déprogrammation du chanteur populaire Amir en Belgique et dans les prises de position du Festival d’Avignon le retour d’un antisémitisme cultivé, diplomatique, « habillé d’humanisme ». Un antisémitisme de salon, mais pas moins féroce…


Quelque chose s’est brisé dans l’été culturel de 2025. Aux Francofolies de Spa, la présence du chanteur Amir est contestée. Non pour une déclaration provocatrice, une faute ou un incident. Mais pour ce qu’il est : Juif, francophone, lié à Israël [1]. Un homme qui ne renie ni ses origines, ni sa double appartenance. La raison donnée ? Pressions militantes. Réputation du festival. Climat international tendu. En d’autres termes : sa seule présence est devenue indécente.

Aucun soutien notable d’artistes ou de personnalités culturelles n’a suivi. Pas de tribune. Pas de solidarité publique. Comme si, en 2025, un chanteur juif pouvait être effacé d’une scène européenne sans que personne n’y voie un problème.

Quel théâtre !

Le 12 juillet 2025, dans un communiqué officiel, le Festival d’Avignon annonçait l’absence de toute compagnie israélienne dans sa programmation. Motif invoqué : la situation internationale et les risques de trouble à l’ordre public. Mais lors d’une conférence de presse tenue le même jour, le directeur du festival, Tiago Rodrigues, donnant des gages aux manifestations contre le « génocide » à Gaza et à la tribune de certains artistes du festival renchérit : « Alors même que le Festival d’Avignon commence, le gouvernement d’extrême droite d’Israël poursuit ses attaques contre Gaza, perpétrant des crimes de guerre, bloquant l’aide humanitaire, violant systématiquement les droits humains, causant la mort de dizaines de milliers de civils palestiniens, parmi lesquels des milliers d’enfants. Des enfants. Des enfants. Des enfants. »

Ainsi le théâtre devient tribunal. La guerre de Gaza, assimilée sans nuance au crime des crimes par certains, justifie l’exclusion de tous les artistes israéliens, quels que soient leur engagement, leur œuvre ou leur silence. Aucun débat, aucune distinction. Juste un bannissement global, moral et symbolique.

Bannissement sans appel

En employant le terme de « génocide » sans distance ni prudence, on essentialise un peuple, une culture, un État, les expulsant symboliquement du champ légitime de l’art. Car si un “génocide” est en cours, alors tout Israélien est un génocidaire potentiel. Même un chorégraphe. Même une actrice. Même un enfant. Alors on ne débat plus, on exclut. On ne discute pas : on bannit. La culture devient tribunal. Mais le plus grave n’est pas là. Il est dans le silence général qui a suivi. Aucun grand metteur en scène, aucun écrivain, aucun chanteur, aucun directeur de théâtre n’a osé contester. Pas de tribune, pas de lettre ouverte, pas même un murmure. Comme si, en 2025, le bannissement des artistes juifs ou israéliens était devenu socialement acceptable, politiquement sain, moralement indiscutable.

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Ce silence des élites culturelles françaises, si promptes à dénoncer toutes les exclusions sauf celle-là, dit quelque chose d’effrayant : l’antisémitisme a changé de forme, mais pas de fonction. Car aujourd’hui, il porte deux visages :

– Celui, brutal et explicite, qui sévit dans certaines banlieues islamisées, où des Juifs sont insultés, pourchassés, parfois tués. Une haine importée, parfois religieuse, souvent tolérée, rarement dénoncée par les autorités morales de la République.

– Et celui, plus élégant mais tout aussi dangereux, des élites culturelles, universitaires et médiatiques, qui habillent leur rejet du Juif en discours sur l’antiracisme, la justice, le “colonialisme” — mais qui, au fond, ne pardonnent pas au Juif d’exister encore comme sujet collectif, comme mémoire, comme fidélité.

Ces deux visages se répondent, se nourrissent l’un l’autre. Le premier jette des pierres. Le second écrit des tribunes. Le premier hurle. Le second murmure. Mais ils désignent tous deux le même coupable. C’est dans ce double contexte, celui du rejet par le bas et du bannissement par le haut, que revient l’antisémitisme — plus froid, plus rusé, plus honteux que jamais. L’antisémitisme revient, oui. Mais il ne vient plus seulement d’en bas. Il ne vient plus seulement comme autrefois des masses incultes d’Europe de l’Est ou du Maghreb, des pogroms de village. Il vient d’en haut. Il vient d’universités, de rédactions, de plateaux télévisés, de grandes ONG, de colloques sur la justice mondiale. Il vient d’une classe dirigeante qui n’a plus d’attache, plus de sol, plus de fidélité à autre chose qu’à son propre narcissisme moral. Ce n’est plus la foule qui hurle : c’est l’élite qui murmure — avec componction, avec gravité, avec science. Un antisémitisme cultivé, diplomatique, habillé d’humanisme. Un antisémitisme de salon, mais pas moins féroce.

Le Juif n’est plus haï parce qu’il serait puissant, mais parce qu’il est inassimilable à la nouvelle religion du monde occidental : celle de la repentance généralisée et de la dissolution des identités. Il incarne, malgré lui, ce que l’époque veut abolir : une fidélité, une structure, une Loi. Dans une société qui n’a plus de pères mais des managers, plus de traditions mais des flux, plus de mémoire mais des narrations, le Juif fait tache. Il est le témoin muet d’un monde antérieur : celui de l’Histoire avec des tragédies, des appartenances, des frontières.

Et cela, les élites ne le supportent plus. Elles qui ont troqué le tragique contre l’égalitarisme compassionnel. Elles qui veulent un monde propre, sans conflit, sans verticalité — un monde lavé de la culpabilité par la dénonciation rituelle du même ennemi : Israël, le “sioniste”, le “colonialiste”, le “dominant”. Il n’est plus question de dire : “le Juif est le mal”. Il suffit de dire : “le sionisme est un apartheid”. Et de conclure que l’antiracisme impose d’être antisioniste. C’est propre, c’est logique, c’est académique. C’est l’Occident d’aujourd’hui : celui des grandes écoles, des think tanks et des ONG. Ce n’est plus la rue qui désigne le Juif : c’est Sciences-Po ! C’est le théâtre subventionné. C’est le documentaire primé à Berlin. C’est la tribune dans Libération. Ce n’est plus une haine brute : c’est une haine raisonnée, structurée, distillée dans les séminaires, les curriculums, les politiques publiques. On ne brûle plus les synagogues. On y dépêche des intellectuels pour expliquer pourquoi elles dérangent.

Des drapeaux palestiniens et libanais sont déployés devant Sciences Po, 8 octobre 2024 © HOUPLINE-RENARD/SIPA

Isoler, disqualifier

Car c’est bien là le paradoxe : ce nouvel antisémitisme est celui des élites qui se croient éclairées. Elles ne crient pas, elles enseignent. Elles n’agressent pas, elles évaluent. Elles ne jettent pas des pierres, elles rédigent des rapports. Mais leur objectif est le même : isoler, disqualifier, réduire au silence.

Et pendant que cette haine s’habille de droit international, de solidarité, de justice, les classes populaires, elles, restent à distance. Elles vivent avec les Juifs. Elles n’ont ni le temps ni les moyens de haïr abstraitement. Elles partagent les mêmes écoles, les mêmes quartiers, parfois les mêmes misères.

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La fracture est là : ce ne sont pas les pauvres qui haïssent. Ce sont ceux qui croient incarner le progrès. Ce ne sont pas les exclus qui délirent sur le “lobby juif”, mais les inclus — ceux qui ont désappris la complexité du monde au profit de leur propre vertu.

Que l’antisémitisme revienne n’est pas une surprise. Mais qu’il revienne par le haut, voilà le signe de notre époque. Car une société qui se pense civilisée et produit de la haine sous couvert de justice est une société arrivée à son stade terminal : celui où l’intelligence ne pense plus, mais juge.

Il faut désormais regarder ce retour pour ce qu’il est : un symptôme, non pas d’ignorance, mais de décadence. Quand les élites trahissent la mémoire, c’est que la culture est morte. Quand elles s’en prennent au Juif, c’est qu’elles ont cessé de croire au commun. Alors des Juifs s’en vont. Silencieusement. Ils n’écrivent pas de manifestes. Ils ferment les volets. Ils fuient la lumière fausse de ceux qui parlent de paix et sèment la honte. Et ce départ, ce départ qui ne dit pas son nom, est le vrai jugement sur notre temps.


[1] https://www.lefigaro.fr/musique/francofolies-de-spa-la-venue-du-chanteur-franco-israelien-amir-provoque-des-remous-20250717

Royalisme: quand l’échec fait vendre

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Versailles. DR.

Dans son essai érudit, Baptiste Roger-Lacan analyse moins le royalisme comme un courant politique que comme un imaginaire, une esthétique, une nostalgie. Et la droite continue de parler son langage : celui de l’orgueil blessé des perdants… 


« On pense à Louis XVI, on est mal à l’aise » chantait déjà Jean Yanne en épilogue sonore de son film Liberté, égalité, Choucroute. « On se dit que c’est des ancêtres à nous qui lui ont coupé le cou… » Les Français célèbrent la Révolution chaque 14-Juillet, mais regrettent que le sang de Louis XVI l’ait entachée. La gêne dont se moque Jean Yanne est tenace, ancienne et bien répandue, à en croire Baptiste Roger-Lacan, normalien, agrégé, docteur en histoire contemporaine, enseignant à Sciences-po, qui signe avec Le Roi : une autre histoire de la droite (collection Passés Composés), une étude du « spleen royaliste » qui hante la droite française depuis la fin du XIXe. 

Grand absent

François Furet avait bien montré que le régicide de 1793 avait certes tué le corps physique du roi mais pas le besoin de paternité politique. À chaque crise politique, la France cherche un homme providentiel pour remplacer le monarque aboli : Napoléon Ier, Napoléon III et bien sûr le Général de Gaulle instituant avec la Ve République un « monarque républicain comme substitut ». Notre République a les allures d’une monarchie sans sacre ni transcendance, sans velours ni faste ni pompe ni couronne et où rôdent comme un spectre les lustres d’une gloire éteinte. N’est-ce pas le ministre de l’Économie Emmanuel Macron qui notait en 2015 dans la revue Le 1 hebdo : « le grand absent en démocrate, c’est la figure du roi » 

Il reste pourtant assez peu de royalistes… Ces derniers, en politique, n’ont jamais fait de merveilles. Emportées par les révolutions de 1830 et 1848, les restaurations ont échoué. Et les monarchistes, même avec un jeu gagnant, se sont toujours couché à la deuxième mise… En 1871, dans la déroute de Sedan, une assemblée royaliste est élue. Or les différentes tendances et prétendants s’engueulent sur des sujets aussi essentiels que… la couleur du drapeau ! Le petit-fils de Charles X, le comte de Chambord, refuse alors obstinément de troquer « son » drapeau blanc contre le tricolore. C’était la dernière chance de restauration de la monarchie, et la droite n’en fit rien. 

Le roi est mort… vive le royalisme !

L’agonie de la monarchie française fut longue, souvent pathétique mais jamais dénuée de beauté. C’est ce que l’on retient de la lecture de l’ouvrage de Baptiste Roger-Lacan. Il nous promène parmi les abbés, les mémorialistes vendéens et les romanciers historiques qui ont cultivé le souvenir du roi pendant que les royalistes perdaient ou abandonnaient la partie politique. Les bonnes familles catholiques empilent dans leurs bibliothèques les ouvrages larmoyants sur les martyrs de la Terreur.  On découvre avec l’auteur la Marie-Antoinette sensible et larmoyante de Pierre de Nolhac, conservateur à Versailles à la fin du XIXe, qui a fait redécouvrir aux visiteurs du château les écritures et objets personnels de la Reine. Il y a des galeries de portraits de la Terreur (bourreaux et victimes) de G. Lenôtre (nom de plume de Théodore Gosselin) qui écrit les vies minuscules (et raccourcies) des gens de la guillotine. On comprend à la lecture de l’ouvrage que la Contre-Révolution sert moins à ramener le roi que faire pleurer dans les chaumières. Les écoles catholiques et patronages religieux cultivent la martyrologie des carmélites de Compiègne et des héros du bocage vendéen. L’attachement monarchique est moins un choix ou un projet politique qu’une émotion collective nourrie de deuils et de réceptions mondaines. Parfois aussi d’excentricités. Qui se souvient du naundorffisme ? Un royalisme alternatif à la frontière de l’ésotérisme qui imagine que Louis XVII, le petit roi, fils de Louis XVI, n’est pas mort à la prison du Temple en 1795, s’est échappé et a engendré une nouvelle lignée. 

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À défaut de régner, la monarchie française a su se vendre et coller à tous les goûts excentriques, poétiques, littéraires, feuilletonistes, patrimoniaux du XIXe siècle. C’est du moins ce dont l’auteur par ses listes interminables parvient à nous convaincre. 

Quand Proust lisait Maurras… 

Et puis vint Charles Maurras… Lui prit tout cela très au sérieux. Il a fait des théories, des doctrines, il a mis la monarchie en équation. Il ressort les penseurs comme Burke ou Maistre, s’en approprie d’autres tels Auguste Comte, Taine et Fustel de Coulanges. Comme dans L’Education Sentimentale,  il monte un club de l’Intelligence royaliste – quand celui de Flaubert était républicain. Ce sera l’Action Française. Une ligue mais surtout un quotidien très lu et renommé, « une cure d’altitude » disait Marcel Proust frappé par la qualité des articles signés d’esprits souvent agiles ou de polémistes fort en gueule. La plume vedette, Jacques Bainville connait un succès considérable avec son Histoire de France et son Napoléon dont Baptiste Roger-Lacan nous raconte tous des dessous éditoriaux chez Fayard (déjà éditeur de droite…). Baptiste Roger-Lacan insiste : l’académie est alors un pôle réactionnaire.  

Roger-Lacan décrit bien la puissance de cette machine doctrinale qui attire à elle une jeunesse intellectuelle et bourgeoise catholique qui se sent un peu coincée entre une réaction tiède à papa et une Église qui ne répond pas à son désir de radicalité – situation étrangement similaire à celle d’aujourd’hui. Mais si attractif et armé intellectuellement qu’il a pu l’être, ce néoroyalisme n’échappera pas aux compromissions de l’entre-deux guerre. Des rapprochements douteux nourrissent des amitiés particulières avec le fascisme ou des fixettes antisémites… À force de ruminer l’attente d’un roi qui ne vient pas, on finit rattrapé par des vieux démons. Résultat : en 1945, Charles Maurras est condamné à l’indignité nationale, l’Action Française liquidée et l’auteur y voit la dernière mort politique de la monarchie. 

Chouans un jour, chouineurs toujours 

Fin de l’histoire ? Le roi ne reviendra plus. Il ne le peut plus. Chez nous les rois, on les renverse, on les décapite… puis on les encadre. On en fait des timbres, des séries télés, des mugs à la boutique du château de Versailles… L’échec est un capital mémoriel que la droite rentabilise assez bien sur le marché des sensibilités, des mémoires et de la création littéraire. 

C’est sans doute le romancier Jules Barbey d’Aurevilly qui l’a le mieux compris :  la monarchie passe de la ferveur à la fiction. Plutôt que de régner, elle brille encore comme inutilité rayonnante. On ne s’étonnera pas que la République – ou plutôt l’Éducation nationale fasse commenter L’Ensorcelée cette année aux Premières pour le baccalauréat de français. Le royalisme finit encadré, vitrifié et finalement annoté. Si en deux siècles les réacs n’ont jamais su trop quoi faire de leurs rares victoires, ils savent en revanche donner du lustre à leurs défaites. De l’art de perdre avec fanfare, champagne et naphtaline. 

360 pages

Le roi: Une autre histoire de la droite

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L’enchantement du pèlerinage de Chartres

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La cathédrale de Chartres, point d’orgue du pèlerinage étudiant depuis 1935 © JOBARD/SIPA

Le pèlerinage de Chartres est la preuve en marche que des Français peuvent traverser Paris respectueusement et sans razzias. Comme les vieux films, ces cathos très « France d’avant » peuvent rendre nostalgique, mais avec modération.


Samedi 7 juin, Paris, 9 h 30. En approchant de la place d’Alésia, j’entends des clameurs. Je m’attends à une de ces manifs traîne-savates qui rassemble des braillards pour la retraite ou la Palestine, une de ces kermesses de gauche où le fonctionnaire défile avec le vandale, un de ces cortèges où on défend des droits au début et où on défonce des vitrines à la fin, une de ces démonstrations de force pour les acquis sociaux et les Nike gratuites.

Des Charlotte d’Ornellas par centaines, des Vianney par milliers…

En fait non, arrivé au feu rouge, je tombe sur une procession. Des scouts, des drapeaux, des croix, des prêtres, des étendards, des vierges et des saints, des chants et des prières, et même, porté par quatre jeunes gaillards, sur une sorte de « brancard » (qu’on me pardonne, je manque de vocabulaire catholique), saint Michel, sa lance à la main et un pied sur le dragon.

Je m’arrête un moment, ravi par la bonne surprise, et puis je vaque à mes occupations – dois-je le préciser ? Peut-on vaquer à autre chose qu’à ses occupations ? Je n’en sais rien, je n’ai jamais essayé.

Vers 11 heures, je reviens vers la place. Ils sont toujours là qui défilent, à vive allure, des Charlotte d’Ornellas par centaines, des Vianney par milliers, des « Je vous salue Marie » dans les porte-voix. Je comprends alors que c’est le pèlerinage de Chartres en marche pour 80 kilomètres à pied, en passant par la banlieue et ses territoires occupés. Je reste debout à les regarder passer, touché par la ferveur de cette jeunesse alerte et bien coiffée, là où je trouve d’habitude des Africains sur des Vélib’ qui attendent le départ d’une course Uber Eats et des Roms assis par terre qui réclament une pièce pour manger ou pour construire une ville au pays au parrain de leur mafia ; le tiers-monde et la cour des Miracles.

D’abord surpris, au bout de cinq minutes, je suis enchanté, au bout de dix je suis franchement ému, tellement que je sens des larmes qui viennent et que, si je ne me ressaisis pas un peu, je vais me mettre à chialer comme un veau au milieu du carrefour. Les cloches de l’église se mettent à sonner à toute volée et ça ne m’aide pas. Serais-je touché par la grâce ? Encore un peu et je vais me mettre à aimer mon prochain comme moi-même et, si je ne retrouve pas vite mon naturel égoïste et sarcastique, à prendre dans mes bras un de ces joyeux bigots. Je dois dire que je les aime bien ces cathos-là, qui ne prennent pas au pied de la lettre leur pape quand il les invite à accueillir plus de migrants et qui n’oublient pas que si la France est encore un peu chrétienne, c’est un peu grâce à Charles Martel.

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Mais de quoi j’aurais l’air, en pleurs entre les flics qui règlent la circulation des chrétiens et les pompiers qui vendent des billets de tombola ? Pourvu que je ne rencontre pas un ancien compagnon de la Fédération anarchiste, un de ceux avec qui je chantais jadis la chanson du père Duchêne :

« Si tu veux être heureux nom de Dieu

Pends ton propriétaire.

Coupe les curés en deux

Fous les églises par terre.

Et l’bon Dieu dans la merde, nom de Dieu

Et l’bon Dieu dans la merde. »

– Qu’est-ce qui t’arrive mon vieux, tu pleures ? Ça ne va pas ? – Si, si, ça va, c’est juste que ma mère est morte. Et toi ça va ?

Des croyants qui ne font pas semblant

Je cherche un moyen de contenir mon émotion. Un peu comme dans l’étreinte quand je pense très fort à Mathilde Panot pour ne pas jouir trop vite, et, quand je sens que ça ne va pas marcher, à Ersilia Soudais, mais pas trop quand même par crainte de ne pas jouir du tout, je cherche en vitesse un truc pour endiguer mes sanglots et je trouve. Voici que passent des soutanes, les mêmes que celles portées par les évêques qui encadrent Pétain sur les images d’archives. Puis j’aperçois un drapeau palestinien, et me revient le témoignage d’un chrétien de Gaza ou de Cisjordanie, plus indulgent avec les islamistes qu’avec les Israéliens. Sans doute un penchant irrépressible pour les pauvres et les simples d’esprit.

Encore un effort et je dessine les contours d’une France reprise en main par des croyants qui ne font pas semblant. Je m’imagine en grimaçant vivre dans un pays d’où auraient disparu de l’espace public la pornographie, les putes et les pédés, le « chemsex » et les drag-queens, les trans, les boîtes échangistes ou sado-maso, le black metal sataniste et le poppers en vente libre ; et où je ne saurais plus où donner de l’amour à une progéniture nombreuse et rescapée, faute de pilule du lendemain, à qui on expliquerait à l’école que j’ai tué le Christ.

C’est gagné, j’ai séché mes larmes et retrouvé un peu de dignité. Je me demande ce qui m’a pris. La nostalgie sans doute. Au sens strict, le mal du pays. Je suis pourtant au cœur du 14e arrondissement de la capitale. Je n’ai pas quitté la France. C’est elle qui me quitte, qui disparaît doucement, tranquillement remplacée, envahie et tiers-mondisée, en commençant par la tête, comme le poisson pourrit. Alors quand elle resurgit avec ses racines et en costume d’avant, même d’Ancien Régime, forcément, ça m’ébranle. Mais pas trop longtemps. Et c’est tant mieux, parce que sinon ça rend sourd.

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Murcie sans façons

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Torre Pacheco, Espagne, 12 juillet 2025 © Martín C./AP/SIPA

La petite ville de Torre Pacheco, à côté de Murcie dans le sud de l’Espagne, a été secouée par de violentes manifestations anti-migrants le week-end dernier. À l’origine de ces émeutes, l’agression d’un sexagénaire…


L’agression d’un retraité de 68 ans, habitant Torre Pacheco, a mis le feu aux poudres. Elle a eu lieu mercredi 9 juillet, en pleine rue.

L’homme a été violemment tabassé mais aucun effet personnel ne lui a été volé. Ce n’est pas le caractère gratuit de l’agression qui a suscité une vague de contestation mais l’identité des trois agresseurs : il s’agirait, selon la victime, de Maghrébins.

Torre Pacheco est une petite ville d’à peine 40 000 habitants, et parmi eux 30% à 40% sont issus de l’immigration, principalement en provenance du Maroc.

Nous sommes ici près de Murcie, dans le sud de l’Espagne, une région connue pour son activité agricole intense (on a tous en tête ces serres immenses qui s’étalent à perte de vue où l’on cultive tout au long de l’année des fraises et des tomates), et cette activité nécessite de la main d’œuvre, de préférence bon marché, que l’on trouve en face, de l’autre côté de la Méditerranée : au Maghreb. C’est ainsi que les Espagnols ont en quelque sorte inventé le concept de « saisonnier à l’année ». Chez eux comme chez nous on trouve donc une population immigrée venue faire le « sale boulot » que les locaux ne veulent pas faire.

Le problème : une question de nombre

La majorité de cette population étrangère, parfois présente depuis des décennies, ne pose aucun problème mais ne s’intègre pas. Elle vit recluse sur elle-même, se lève le matin pour aller travailler et une fois la journée finie, se replie dans ses quartiers périphériques où s’est instaurée une loi communautaire – on en sait quelque chose en France.

Mais quand cette population représente près de la moitié de la ville, peut-on encore parler d’une communauté, d’une minorité ? N’est-elle pas alors « légitime » à imposer ses codes et ses règles ? C’est la loi du nombre.

D’autant qu’à cette population s’agrègent depuis des mois des migrants de fraîche date, puisque les archipels des Baléares et des Canaries sont devenus l’une des portes d’entrée de l’Europe pour tous ceux, Maghrébins ou Sub-sahariens, qui quittent les côtes d’Afrique du Nord.

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2024 a été marquée par des vagues d’afflux record, et cela continue cette année ; au mois de janvier, en deux jours seulement, plus de 600 personnes ont débarqué aux Canaries. De quoi saturer sur le champ les structures d’accueil qui n’ont pas eu d’autre choix que de laisser partir ces gens dans la nature.

Et quand on n’a rien, on se débrouille : c’est ainsi que peut se faire un lien entre délinquance et immigration.

Face à cette situation, les habitants réagissent de moins en moins bien. Les tensions sont désormais fréquentes et c’est pourquoi l’agression de ce retraité a mis le feu aux poudres, jusqu’à susciter des scènes d’une rare violence que l’on voit sur nos écrans ces derniers jours.

Une première manifestation a eu lieu vendredi 11 juillet dans les rues de Torre Pacheco. Un rassemblement à l’initiative de la mairie qui se voulait pacifique mais qui a vite dégénéré lorsque des individus ont infiltré le cortège et ont lancé des appels à ce qu’il faut bien nommer une chasse à l’homme. Des appels à traquer les immigrés maghrébins dans la ville, à incendier leurs commerces ont aussi été relayés sur les réseaux sociaux.

La police a dû intervenir pour stopper le mouvement mais au prix de violents affrontements qui ont duré une partie du week-end. Jusqu’à ce que des unités spéciales de la Guardia Civil aient été déployées pour ramener un semblant de calme.

Près de 80 personnes ont été identifiées, la plupart ont des « antécédents pour des faits de violence » et ne résident pas à Torre Pacheco. Moins de dix personnes ont été interpellées : un Marocain et six Espagnols. Ils sont poursuivis pour les chefs de « troubles à l’ordre public », « haine » et « blessures volontaires ».

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D’autres arrestations ont eu lieu dans le cadre de l’enquête sur l’agression : il s’agit de « deux immigrés » dont l’origine n’a pas été précisée. On sait uniquement qu’ils ne résident pas à Torre Pacheco et qu’ils sont soupçonnés d’avoir « collaboré et couvert l’auteur » des coups. Un troisième suspect a été appréhendé au Pays basque alors qu’il cherchait à gagner la France. Il pourrait donc s’agir de l’agresseur principal. Mais, cette annonce n’a pas fait retomber la tension sur place.

Très vite, voire immédiatement, l’affaire a pris un tournant politique. Dès samedi, le parti Vox a organisé un rassemblement dans la ville sous le slogan : « Défends-toi de l’insécurité ». Son président régional a déclaré à cette occasion : « Nous ne voulons pas de gens comme ça dans nos rues ni dans notre pays. Nous allons tous les expulser : il n’en restera pas un. » Ces déclarations ont évidemment déclenché de vives critiques dans les rangs de la gauche. Un porte-parole du parti Podemos a dénoncé « la chasse raciste qui se déroule à Torre-Pacheco », accusant « des groupes néonazis et Vox » d’instrumentaliser l’agression du retraité pour « encourager la violence contre la population étrangère ». Quant à la ministre socialiste de la Jeunesse, elle a dénoncé « l’ultra-droite et la droite [qui] désignent des cibles, et leurs nervis [qui] passent à l’acte ».

Souvenir anglais

Ces manifestations espagnoles ne sont pas sans rappeler ce qui s’est passé l’été dernier en Angleterre. Fin juillet 2024, un homme de 18 ans d’origine rwandaise avait sauvagement poignardé à mort trois fillettes de six ans et blessé huit autres alors qu’elles prenaient leur cours de danse à Southport, dans le nord-ouest du pays. L’abjection de cette attaque avait suscité une vague d’émotion qui s’était rapidement muée en vive contestation de la politique migratoire britannique. Le mouvement avait ensuite pris la forme de manifestations violentes contre les immigrés. Un hôtel hébergeant des demandeurs d’asile avait notamment été pris pour cible. Les manifs avaient duré plusieurs jours et des dizaines d’hommes avaient été arrêtés manu militari, traduits devant la justice et condamnés à de la prison ferme de façon tout aussi expresse. Le Premier ministre Keir Starmer avait alors promis que « les auteurs de ces violences regretteraient d’avoir participé à ces désordres ». Cette diligence et ce ton martial n’ont jamais été appliqués contre les auteurs des viols collectifs sur mineures (blanches) de Rotherham –1400 victimes. Les membres du réseau pédo-criminel d’origine pakistanaise qui ont sévi des années 1980 à 2010 sont toujours dans la nature quelque part au Royaume-Uni. Si l’on se doit de condamner la violence, toutes les violences, et même s’y opposer avec fermeté, on se doit aussi de s’interroger sur le désœuvrement de ces peuples européens qui appellent à l’aide face à des flux migratoires incontrôlables aux conséquences parfois tragiques, et qui ne sont pas entendus par leurs dirigeants. Que peuvent-ils faire quand la voix des urnes ne suffit plus ? La question reste ouverte.

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Emmanuel Macron: après, ce sera trop tard…

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Emmanuel Macron et Ambroise Méjean au cirque d'Hiver, à Paris, le 5 juillet 2025. Les "Jeunes avec Macron" se renomment les "Jeunes en Marche". Image RS.

Si la Constitution le lui interdit en 2027, tout devient possible en 2032 ! Le président de la République n’exclurait pas de se représenter devant le suffrage des Français en 2032. Une faute de goût, estime notre chroniqueur.


À peine ai-je eu envie de nous plonger dans un passé lointain pour déplorer cette journée de commémoration en hommage à l’innocent emblématique qu’était le capitaine Dreyfus – comme si l’Histoire ne l’avait pas réhabilité depuis longtemps – que je me suis senti saisi par le présent. Notamment par cette adresse du président de la République, invité surprise pour les dix ans des « Jeunes avec Macron », les assurant « qu’il faudrait compter avec lui dans cinq ans, dans dix ans ».

Indécent

J’avais immédiatement tweeté pour souligner qu’il restait un peu plus de deux ans avant la fin de son second mandat et qu’on attendait seulement de lui qu’il assumât le moins mal possible les tâches de cette période.

https://twitter.com/BilgerPhilippe/status/1943237584043544658

J’ai constaté avec plaisir qu’un ministre issu de sa propre majorité avait jugé cet engagement « indécent » en affirmant « qu’avant de se projeter en 2032, il faudrait peut-être penser à laisser le pays dans un meilleur état que celui dans lequel on l’a trouvé… »

Ce qui ne serait déjà pas admissible de la part de présidents ayant été battus comme Nicolas Sarkozy en 2012, ou n’ayant pas pu, comme François Hollande, se représenter en 2017, le serait encore moins du fait d’Emmanuel Macron qui a eu la bonne fortune de pouvoir bénéficier de deux mandats – et il ira au bout du second – avec toute latitude pour mener à bien ce qu’il avait projeté ; ou ce à quoi il a dû s’adapter en raison de fluctuations dont il a été en grande partie responsable.

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Si je devais faire preuve de compréhension, j’en userais au bénéfice du président socialiste qui tenaillé par la frustration d’avoir sinon un mandat, du moins une candidature « rentrée », n’a de cesse de tenter de persuader la gauche que son retour ne serait pas qu’un bonheur personnel.

Emmanuel Macron, lui, ne peut plaider que ses échecs ne dépendent pas de lui. S’il n’a pas été médiocre en matière de politique étrangère avec l’inconvénient, pour demeurer seul en majesté sur la scène internationale, de s’être privé d’un ministre d’envergure, ses insuffisances sur le plan régalien, malgré ses voltes tardives et à cause de choix ministériels contrastés et aberrants, ne sont imputables qu’à lui seul.

Syndome Charles de Gaulle

Aucune session de rattrapage n’a à être prévue en 2032 et il est de mauvais goût de laisser croire à un désir de lui au-delà du terme normal. Et de faire semblant de penser que l’exercice de son pouvoir, sur dix ans, aura été tellement gratifiant pour nous tous qu’une envie irrépressible de le voir revenir plus tard nous habitera.

Derrière ces péripéties, ces espérances trompeuses, qu’on veut faire passer pour les nôtres, cette volonté de mettre dans nos têtes la plausibilité d’une renaissance, il y a le syndrome de Charles de Gaulle, la mythologie du recours. Pour calquer cet épisode historique unique et exceptionnel, n’importe quel politique d’abord joue à se placer dans le sillage du « plus illustre des Français » puis se pique, sans qu’on l’ait sollicité, de se présenter en instance d’appel, en voie de recours, en seconde ou triple chance.

Mais le citoyen n’est pas dupe. Avant l’heure, c’est trop tôt. Après, c’est trop tard.

83 ans après la rafle du Vel d’Hiv, la question du génocide à Gaza

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Des Palestiniens jouent sur la plage au coucher du soleil à Gaza City, le 10 juillet 2025 © Rizek Abdeljawad/Xinhua CHINE NOUVELLE/SIPA

En bataillant idéologiquement pour que le terme de « génocide » finisse bien par qualifier la situation actuelle à Gaza, les antisionistes cherchent avant tout à retirer aux Juifs leur privilège victimaire « insupportable » hérité de la Shoah. Grande analyse.


Lorsque l’Afrique du Sud a le 29 décembre 2023 déposé devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) une plainte contre Israël pour génocide, j’ai pensé, comme d’autres, qu’une telle accusation allait s’effondrer sous le poids de son absurdité. Il n’en fut pas ainsi. La CIJ n’a pas statué, elle ne le fera probablement pas avant plusieurs années, et lorsqu’elle le fera, il y a tout lieu de croire, suivant l’expert britannique Philippe Sands, auteur du célèbre «Retour à Lemberg», qu’elle statuera contre la qualification de génocide. Mais il n’importe, les mesures de précaution que la CIJ a demandées à Israël ont été interprétées comme une assignation de culpabilité. Une partie de la presse a préféré simplifier plutôt qu’informer et une partie du public, bien plus large que les antisionistes professionnels, croit aujourd’hui que la culpabilité d’Israël est avérée.

C’est faux. C’est insupportable. C’est prémédité.

Le mot de génocide relève de plusieurs registres, en particulier le registre juridique, le registre historique, le registre émotionnel. 

Sur le plan du droit, il a été inventé en 1943 par un juriste juif polonais réfugié aux Etats-Unis, Raphael Lemkin, dans un livre où il analysait les processus juridiques progressifs qui avaient permis aux Allemands d’anéantir deux millions de Juifs (son évaluation de l’époque), mais aussi des Polonais et des Roms.

La définition juridique du génocide est fixée dans une Convention adoptée le 9 décembre 1948 par l’Assemblée Générale de l’ONU. Un génocide est un acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. On remarquera que les motifs sociaux ou politiques ne sont pas pris en compte et que rétrospectivement le Holodomor, avec ses 4 millions au moins d’Ukrainiens tués par une famine organisée en 1932-33 et les deux millions de Cambodgiens tués par les Khmers rouges sur des bases politiques ou sociales n’entrent pas dans son cadre. 

Génocide et crime contre l’humanité

Lorsque Lemkin était étudiant, Talaat Pasha, l’organisateur des massacres d’Arméniens en Turquie, fut assassiné à Berlin par un jeune Arménien. Le responsable d’un des pires massacres de l’histoire menait une vie tranquille en Allemagne où il s’était réfugié, alors que son meurtrier, lui, devait affronter un procès, où il fut d’ailleurs gracié sous le prétexte d’avoir agi par un coup de folie transitoire. En fait, aucune législation internationale n’empêchait un Etat, fort de sa souveraineté nationale, de massacrer une partie de sa population. Un peu plus tard, Lemkin identifia dans Mein Kempf un programme de destruction massive de population. 

Ayant pu se réfugier aux Etats Unis, il a cherché une formule juridique mettant en exergue ce crime d’éradication d’un groupe humain. A la même époque un autre juriste juif, Hersch Lauterpacht, réfugié en Grande Bretagne, avait développé la notion de crime contre l’humanité, qui ne mettait pas en avant une identité de groupe. Elle fut utilisée en 1946 au procès de Nuremberg. Deux ans plus tard, c’est le concept juridique de génocide qui recevait sa définition officielle et c’est le seul dont traite la CIJ.

Génocide implique tentative de destruction partielle ou totale d’un groupe.  Mais qu’est-ce que la destruction s’il ne s’agit pas de l’anéantissement physique ? Certains parlent parfois de génocide culturel, destruction d’une langue, d’un mode de vie, voire d’un cadre géographique. Le processus de génocide culturel n’a pas été retenu par la Convention sur le génocide, apparemment contre les souhaits de Lemkin. 

Et qu’est-ce qu’une destruction partielle ? Le génocide n’était pas pour Lemkin une question de nombre. Cependant la CIJ a accepté comme un fait de génocide les 8000 Bosniaques assassinés par les Serbes à Srebrenica mais pas les 250 Croates assassinés, également par les Serbes …à Vukovar.

Enfin que signifie un génocide quand deux armées sont en guerre ? En zone de combats des destructions massives ne signifient pas volonté génocidaire. Les spécialistes disent que en combat urbain le pourcentage de morts civiles par rapport aux morts de soldats est toujours très élevé et que à Gaza il parait plutôt relativement bas. De plus, on ne dispose que des chiffres d’un Ministère de la Santé dont chacun sait qu’il n’est qu’un faux nez du Hamas, et ces chiffres mélangent enfants et adultes, civils et combattants, morts naturelles et morts de guerre. Cela étant dit, beaucoup d’experts pensent que les chiffres annoncés de morts représentent une réalité : c’est la réalité d’une guerre particulièrement difficile. Ce n’est pas celle d’un génocide.

Le niveau de destruction des bâtiments sur certaines zones de Gaza donne une impression de vie disparue et on comprend l’impression de certains spectateurs que «tout a été détruit». Mais il reste à côté, non visibles sur les photos, des populations civiles qui vivent dans des conditions très difficiles à coup sûr, mais qui ne sont pas en voie d’extermination.

Israël mène une guerre. Cette guerre lui a été imposée à la suite d’une action effectivement génocidaire, les massacres du 7 octobre 2023 et d’une autre action que certains ont qualifiée de génocidaire, celle de la prise d’otages, dans la mesure où elle visait à soumettre ce groupe à des conditions de vie menant à sa destruction.

Pour qu’il y ait génocide, on le sait, il faut qu’il y ait intention génocidaire. Philippe Sands a signalé que la jurisprudence de la CIJ était devenue de plus en plus stricte là-dessus. Il ne s’agit pas de relever les paroles de tel ou tel politicien en délire ou en colère, il s’agit de montrer que les actions effectuées ne peuvent pas s’expliquer autrement que par la volonté de faire disparaître une population entière. De ce point de vue, la pêche aux intentions génocidaires d’Israël est très peu productive. Les trois ou quatre fragments divulgués, qu’ils proviennent de Isaac Hertzog, président de la République, Yoav Gallant ministre de la Défense, de Benjamin Netanyahu ou d’autres membres du Cabinet sont particulièrement pauvres surtout si on les met en relation avec la sidération devant les horreurs du 7-Octobre. C’est même pour cette raison que certains spécialistes pas particulièrement favorables à Israël, regrettent que l’on ait suivi la voie du génocide, juridiquement destinée à être un échec plutôt que celle du crime contre l’humanité.

Famine iminente

Reste un dernier thème, très largement utilisé aujourd’hui celui de l’affamement volontaire de la population, motif bien défini de génocide. Il y a dix-huit mois que l’ONU et la plupart des ONG alertent sur l’épouvantable et imminente catastrophique famine qui va avoir lieu à Gaza. Or, d’une part les images de la population gazaouie ne ressemblent toujours pas à celles des survivants des camps de concentration, d’autre part les calculs que l’on peut faire sur les apports d’aliments dans les camions montrent qu’il y a globalement eu livraison de quantités de calories suffisantes pour éviter une famine généralisée. Reste le problème de la distribution et tout indique que sous le regard complaisant des ONG responsables de celle-ci, le Hamas s’est servi pour faire de la distribution alimentaire une source d’enrichissement et de pouvoir. Ce qui explique la virulence extraordinaire des réactions maintenant que le système a été modifié et que les organisations de l’ONU n’en sont plus les maitres d’œuvre.

Ce sera aux historiens d’analyser la complexité des situations alimentaires à Gaza et de les comparer à celles d’autres pays où la famine rôde et tue. Suivant la FAO et le programme alimentaire mondial, il y avait en 2024 300 millions de personnes dans 53 pays confrontées à une situation de crise alimentaire, les situations les plus graves se trouvant en Ethiopie, au Nigeria, au Soudan du Sud et au Yémen. Dans aucun de ces pays, le mot de génocide n’a été prononcé, bien que des conditions de combat réduisent les livraisons alimentaires et que ces réductions soient souvent délibérées. Envers aucun de ces pays on n’a vu de véritable émotion collective.

Il est vrai que certains historiens considèrent que le terme de génocide est justifié. Le plus réputé d’entre eux est l’Israélo-américain Omer Bartov, ancien officier de Tzahal, spécialiste de l’armée allemande et auteur d’une monographie célèbre sur l’anéantissement des Juifs dans la petite ville ukrainienne de Buczacz. A Gaza, il parle des infrastructures détruites, des pénuries alimentaires, des déplacements forcés et des discours de certains dirigeants israéliens assimilant la population tout entière à des ennemis absolus et il conclut que les critères juridiques de génocide sont présents et qu’il faut tirer la sonnette d’alarme. Autrement dit, il alerte sur Gaza pour éviter Buczacz, alors que les ennemis d’Israël font croire en s’appuyant sur ce qu’il écrit que Gaza, c’est Buczacz. Pour mémoire, il y avait à Buczacz 10 000 juifs dans le ghetto et il y a eu quelques dizaines de survivants. 98% des Juifs ont été exterminés.

On en arrive ainsi au troisième registre du mot génocide, le registre émotionnel, qui repose sur une assimilation de Gaza à Buczacz, autrement dit des événements de Gaza avec une anéantissement et de la récupération politique d’une pareille assimilation dans les réseaux sociaux.  Simone Veil, en voyage à Sarajevo, avait dit, excédée par l’usage permanent du terme génocide, « parler de génocide à tout bout de champ a une fonction, qui est d’éviter de se parler, car on ne parle pas à quelqu’un qui commet un génocide, on le combat ».

Mahmoud Abbas, qui se prétend historien depuis sa thèse négationniste concoctée avec le KGB il y a quarante ans, répète, comme à la tribune de l’ONU en 2014, que ce qui se passe dans les territoires palestiniens est un génocide « d’une ampleur sans précédent ». 

Pas d’amalgame

C’est pourquoi, l’utilisation du terme de génocide pour ce que font les Israéliens à Gaza m’est insupportable. Il y a probablement eu dans cette guerre des exactions et peut-être des crimes de la part de certains Israéliens. Il y en a malheureusement dans toutes les guerres. Mais ce que les ennemis d’Israël veulent insinuer subrepticement, c’est que « Gaza, c’est comme Auschwitz ». De ce point de vue ceux qui restent dans le flou, ou les représentants ou organisations de l’ONU qui distribuent le mot génocide sans filtre ont une lourde responsabilité.

Claude Lanzmann voulait laisser à l’extermination des Juifs l’appellation singulière de Shoah pour éviter les amalgames. Les amalgames sont là. La Shoah s’analyse sous l’angle de génocide et ce terme a acquis une puissance croissante dans la psyché occidentale, alors que se déroulait sous nos yeux un véritable génocide, celui du Rwanda et que l’extermination des Juifs était mieux reconnue. C’est cet insupportable privilège victimaire que les antisionistes cherchent à retirer aux Juifs.

A ce jour la CIJ n’accable aucun Etat en tant que tel de ce stigmate. La Turquie, c’était du passé, l’Allemagne étant devenue une démocratie, il valait mieux reporter la responsabilité sur les nazis, le Rwanda c’était le FPR qui ne voulait pas faire peser l’accusation sur le pays dont il venait de vaincre les hutus génocidaires, la Serbie n’a été condamnée que de n’avoir pas pu empêcher un génocide à Srebrenica, la Chine pour les Ouïghours, on n’en parle pas, aucun pays n’a osé déposer plainte.

L’Allemagne vient d’admettre dans un accord avec la Namibie que son comportement envers les Herreros au début du XXe siècle relevait du génocide et il est possible que à la suite de plaintes d’autres condamnations surviennent désormais incriminant le colonialisme et l’esclavage. Elles seront a posteriori, mais alimenteront la culpabilisation de l’Occident.

Pour le présent, il y a bien une incrimination à la CIJ contre le Myanmar à propos des Rohingyas, mais le rêve de ses nombreux ennemis (14 d’entre eux soutiennent aujourd’hui la démarche de l’Afrique du Sud) serait que Israël soit le premier Etat dans le monde officiellement condamné pour génocide. Il y aurait là un retour du refoulé et une reprise moderne du déicide, le crime des crimes. Les accusations de génocide portées envers Israël donnent souvent envie de ne pas répondre tant elles suintent d’une haine anti-israélienne irrépressible. Mais, malgré nos réticences, nous devons expliquer les manipulations mémorielles en jeu à ceux qui accusent Israël de génocide à Gaza et s’expriment de bonne foi, mais souvent avec crédulité et ignorance…

La polygamie en voie de légalisation au Canada?

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Sur cette photo d'archives datée du 21 avril 2008, Winston Blackmore, le chef religieux de la controversée communauté polygame de Bountiful, située près de Creston, en Colombie-Britannique (Canada), partage un moment de rire avec six de ses filles et certains de ses petits-enfants. Blackmore a été reconnu coupable de pratiquer la polygamie après une bataille judiciaire qui a duré des décennies. Il a été déclaré coupable le lundi 24 juillet 2017 par la juge Sheri Ann Donegan de la Cour suprême de la Colombie-Britannique © Jonathan Hayward/AP/SIPA

Dans un jugement récent, V.M. c. Directeur de l’Etat civil, 2025 CCS 1304, la Cour supérieure du Québec conclut qu’est contraire à la (trudeauesque) Charte des droits et libertés canadienne le régime québécois qui limite les droits parentaux à deux adultes.


Familles, je vous hais ! 
André Gide.

Oh, quelle vie d’orgie,
quel monde de sexe,
y’a plus rien a l’index
Les hommes aux hommes,
les femmes aux femmes.
Les hommes aux deux,
les femmes aux trois.
Quand j’dirai go,
mélangez-vous et puis
swingnez votre compagnie.
Jean-Pierre Ferland.


Les ménages à trois (et plus) ont désormais droit de cité au Québec au nom du droit à l’égalité de tous les enfants; l’honorable juge (tel est son titre au Canada) Andres Garcin, tel un prestidigitateur qui sort un lapin d’un chapeau, le puise audacieusement dans l’esprit du paragraphe 15(1) et il s’inspire ouvertement du « modèle » (si l’on peut dire) de pluriparentalité en vigueur dans d’autres provinces canadiennes.

Pavé dans la mare

D’aucuns se sont émus, y voyant une avancée vers la reconnaissance de la polygamie, ce que nie le juge, appuyé dans une tribune par le juge à la retraite Daniel W. Payette (esprit de corps oblige), qui affirme que ce jugement ne « pave » (sic) pas la voie vers la polygamie. Ces deux oracles de la loi dénoncent insidieusement une crise d’hystérie islamophobe typiquement québécoise et lancent un appel au calme puisque que ce jugement ne concerne que l’intérêt de l’enfant et donc son droit à de multiples parents. Ni plus ni moins.

A ce stade, la messe n’est pas encore dite. Le gouvernement québécois portera en appel cette décision de première instance et l’on peut tenir pour acquis que, tôt ou tard, elle sera déférée à la Cour suprême du Canada. Mais les pluriparents peuvent sans doute compter sur la confirmation du premier juge par celle-ci, qui n’en serait pas à sa première décision politique.

La question est donc posée : cette doctrine de la pluriparentalité peut-elle constituer un précédent favorable à la reconnaissance de la polygamie en droit canadien et québécois (pénal et civil)?

Ce n’est pas inévitable, mais un jalon important a d’ores et déjà été posé. Au moins un pavé dans la mare. Mais revenons en arrière.

Peines non dissuasives

Le climat social canadien hors-Québec était déjà apparemment plutôt favorable à la reconnaissance de la polygamie. Pendant plusieurs décennies, les procureurs se sont abstenus d’engager des poursuites à ce titre de crainte de donner lieu à une jurisprudence favorable aux accusés polygames, au nom de la liberté de religion. Cette crainte semble avoir été écartée par un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui consacrait la constitutionnalité de l’interdiction de la polygamie en droit pénal, ce qui a permis la condamnation en 2017 de deux mormons fondamentalistes anglo-saxons disposant respectivement de 25 et de 5 épouses pour un total d’environ 150 enfants. Ils ont écopé de… 6 mois et 3 mois de détention à domicile. Peine exemplaire, très dissuasive.

Nouvelle rassurante? Voire…

Et pourtant… Les polygames musulmans, eux, vivent en toute impunité au Canada, multiculturalisme du parti libéral du Canada oblige : les imams qui célèbrent ces unions ne les déclarent tout simplement pas à l’état civil. La solution était simple, mais il fallait y penser!

[Note de droit comparé pour les lecteurs français : en France, est pénalement sanctionnée la célébration d’un mariage religieux sans cérémonie civile préalable; en Amérique du nord, les ministres du culte peuvent célébrer des mariages qui sont reconnus par l’état civil, mais ils doivent être déclarés].

En 2019, un de ces imams canadiens, Aly Hindy du Centre islamique Salaheddin de Toronto, mettait même publiquement les autorités au défi de le poursuivre, ayant pleine confiance de triompher devant la Cour suprême du Canada. Et de nombreux spécialistes partagent, en effet, son optimisme : la haute juridiction pourrait tout simplement accorder sa bénédiction à une nouvelle, mais simple, redéfinition du mariage.

A lire aussi, Jérôme Blanchet-Gravel: Canada: la chute hors de l’histoire d’un pays en pyjama

[Note de droit comparé pour les lecteurs européens : la Cour « suprême » de Colombie-Britannique est un faux ami, car c’est une juridiction de première instance et la Cour suprême du Canada aurait toute latitude pour répudier – c’est le mot exact dans ce contexte – cette censure de la polygamie].

Même en faisant abstraction de la doctrine de pluriparentalité, le climat semble donc propice aux polygames qui pourraient utilement invoquer l’esprit du paragraphe 15(1), à l’instar du juge Garcin. A fortiori, cette jurisprudence constitue un point d’appui supplémentaire.

En effet, il faut rappeler à ces deux éminents juristes un principe élémentaire en matière de raisonnement judiciaire : la portée de telle ou telle jurisprudence échappe toujours au magistrat qui en est l’auteur; il revient au juge ultérieur de l’interpréter, que ce soit de manière élargie ou restrictive. Leurs onctueuses assurances quant à l’exclusion de la polygamie n’engagent donc qu’eux seuls; pourtant, mieux que personne, ils devraient savoir que les juristes savent faire feu de tout bois et que le droit évolue souvent par sédimentation, parfois par tsunami. En l’occurrence, dans un avenir peut-être pas si lointain, il sera loisible à des plaideurs polygames d’inviter le juge à aller plus loin et à raisonner par analogie : si un enfant peut avoir plus de deux parents, on voit mal pourquoi une personne ne pourrait gratifier plus d’un époux de son inépuisable affection (de manière équitable, bien entendu, comme pour les enfants, selon une planification équilibrée du calendrier).

(Précision importante, égalité des sexes oblige : le concept de « polygamie » se subdivise en « polygynie » et en « polyandrie »).

On nous dit que la jurisprudence V.M., quant à la filiation à deux personnes, « il ne s’agit plus du seul modèle de parentalité »; de même, l’on peut aussi soutenir que la monogamie a fait son temps en matière matrimoniale. On n’arrête pas le progrès.

Une nation toujours à la pointe du progressisme

Signalons incidemment que, avant de quitter le pouvoir, le pluriculturaliste d’esprit Justin Trudeau, qui est bien le fils de son père, a fait de nombreuses nominations de dernière minute que l’on pourrait charitablement qualifier de clientélistes, et a notamment infiltré au sein de la même Cour supérieure du Québec un « honorable » correspondant, Robert Leckey, à la langue française rugueuse, dont le titre de gloire est d’avoir été doyen de la faculté de droit de l’Institution royale pour la promotion du savoir de Montréal (université McGill pour faire simple), tribune décomplexée du lobby religieux. Nul doute qu’y a vu un signe dans le ciel Amira Elghawaby, groupie de Justin devenue « représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie », qui a juré (sur le Kamasoutra et sur le recueil des Mille et une nuits) de mener une guerre d’enfer contre la laïcité rationaliste québécoise honnie.

Le Canada éblouit déjà par sa lumière les nations. Il semble en bonne (ou mauvaise) voie, à terme, de décrocher le titre prestigieux de premier État occidental à reconnaître la légalité du mariage polygame.

Et l’enfer, lui, est toujours « pavé » de bonnes intentions.

Esprit, es-tu là?

La solitude du ring

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Maho Bah-Villemagne. DR.

Partenaire particulier…


Est-ce qu’en boxe féminine l’Algérienne Imane Khelif aurait caché ses bijoux de famille pour obtenir une médaille d’or aux JO de Paris ? Pour couper court, et éviter à l’avenir toute suspicion, la fédération World Boxing (partenaire du CIO) a édicté de nouvelles règles : désormais pour monter sur le ring, il faudra se soumettre à une analyse ADN, déterminant le sexe à la naissance, avant d’éventuelles modifications hormonales ou coups de bistouri.

Ce nouveau point pourrait indisposer la FFB (fédération française) qui a accordé en avril 2024 à Maho Bah-Villemagne, né femme, mais ayant obtenu administrativement la qualité masculine, une licence homme…

Ex-femme et boxeuse (vice-championne de France en 2022), on ne peut le suspecter de vouloir tricher car la transition est risquée…

Mais Maho, 30 ans, 50 kilos sur la balance, peine à trouver des adversaires. Dans cette catégorie, il y a peu de boxeurs sinon à sa taille du moins à son poids, et encore moins qui veulent prendre le risque de croiser les gants avec une ex-femme… Verdict depuis l’obtention de sa licence homme, Maho n’a combattu que deux fois, toujours contre le même adversaire (pour un nul et une défaite), ce qui devient rengaine. Remarquez, entre les cordes, ça pourrait créer des liens : « Il m’a mis une droite, je lui ai mis une gauche, on a tout de suite compris qu’on était faits l’un pour l’autre. »

Naguère on disait d’une personne qu’elle avait mauvais genre quand elle avait de drôles de mœurs. Aujourd’hui on parle de personnes qui ont le cul entre deux chaises. Un casse-tête dont Maho a accepté de nous causer : « Quand je boxais chez les femmes, on me soupçonnait d’être un homme et un tricheur. Maintenant que j’ai une licence homme, mes adversaires hésitent, et je les comprends, car c’est pas évident de boxer un trans. » Actuellement blessé, Maho espère remonter sur les rings à la rentrée. Trois adversaires auraient donné leur accord. La preuve que chez les coqs (catégorie de 51 à 53 kilos), il n’y a pas que des poules mouillées.