Accueil Site Page 1228

Vive les vieux!

0

Aujourd’hui, les vieux sont partout. Au marché, au café, au ciné ou dans les rayons de supermarchés.


Seize millions de retraités, et demain? Qu’il est loin, le temps des épidémies de peste, de tuberculose ou de choléra. Certes, il y a bien eu quelques relents de tuberculose ces derniers temps mais tout de même, aujourd’hui, on vit bien mieux qu’avant.

« A l’horizon 2050, la population de chaque région française augmenterait hormis en Guadeloupe et en Martinique », nous dit l’INSEE. Par ailleurs, « la population vieillit dans toutes les régions. » Toujours plus de vieux en France, n’est-ce pas la preuve de notre vitalité?

Papi fait de la résistance

Jamais les Français n’ont vécu aussi vieux, jamais les vieux n’ont été aussi forts, conquérant toutes les sphères de notre société. Sport, argent, milieu politique ou associatif, rien n’échappe à l’emprise des vieux. Face à cet assaut inédit dans l’histoire de notre pays, les gouvernements s’essaient successivement à neutraliser un ennemi tout désigné: les futurs retraités.

Le gouvernement Macron aura-t-il le dernier mot? Tout dépend de la force de résistance de la RATP et de la SNCF.  Les agents de la RATP ont prévenu, ils sont prêts à partager ensemble la bûche de Noël. Pourtant, leur détermination ne fait pas l’unanimité chez leurs concitoyens. Dans un troquet parisien du XIIIème arrondissement, un petit monsieur moustachu a pesté devant son verre de blanc: « Moi, s’ils nous font chier jusqu’à Noël, je vais péter un plomb! »

A lire aussi: Réforme des retraites: les femmes pénalisées

Naguère, les révolutionnaires se battirent pour avoir l’estomac plein, ils eurent la tête du roi. Près d’un siècle plus tard, deux mois d’insurrection remuèrent la capitale. Gustave Flaubert, ami des bohémiens et de l’« Autre » avant la lettre n’eut aucune sympathie pour les Communards. Aujourd’hui, les révolutionnaires de la CGT manifestent pour leur retraite. Flaubert aurait-il été de leur côté? On peut raisonnablement en douter. En revanche, Victor Hugo en aurait sans doute fait de très beaux vers. Quant au justicier Zola, ça lui aurait bien inspiré un de ces romans feuilleton qui n’en finissent jamais et dont il eut le secret.

Les vieux sont l’avenir de la France

Il n’y a pas que les « rouges » de la CGT qui aient changé. En Mai 68, la jeunesse aspirait à changer le monde. Aujourd’hui, des étudiants de vingt ans s’inquiètent pour leur retraite. La vieillesse a colonisé les esprits à un point tel que les jeunes aspirent à vivre vieux, bouffer vieux -à travers le fameux bio- ont des rêves de vieux, pensent vieux, bref, vivent comme des vieux. Au tout début du XXème siècle, Blaise Cendrars quittait la Suisse à l’âge de seize ans pour séjourner en Russie, se moquant de sa retraite comme de sa dernière communion. Il mena une vie extraordinaire et nous légua de délicieux poèmes.

Aujourd’hui, le goût de l’aventure et de la découverte du monde n’est plus, la jeunesse veut de l’argent, du confort et une « bonne situation », elle se projette déjà en petit vieux. Comme par magie, l’apocalypse écologique est envolée, la fin du monde n’aurait finalement pas lieu. Faisant soudainement fi des fumeuses théories de l’effondrement et des prévisions du saint GIEC, des gaillards de vingt-cinq ans rêvent de prendre leur retraite dans moins de quarante ans et de vivre comme des papis jusqu’à cent ans.

A lire aussi: Réforme des retraites: et la démographie française?

Tout le monde s’accorde sur un point: le vieux est un témoin. Dans quarante ans, des millions de petits vieux pourront témoigner que l’apocalypse écologique annoncée en leur temps était infondée. Les futurs vieux seront colorés. Ils pourront témoigner que la théorie du « grand remplacement », en revanche, si  dure à admettre soit-elle, n’était pas aussi fantaisiste que veulent le faire croire les progressistes. Ils pourront aussi témoigner que durant leur jeunesse, les «rouges » de la CGT, si utopistes soient-ils, auront tenté de conserver une zone de confort que les prévisions du monde économique estimèrent caduque.

Les vieux sont l’avenir de la France, les vieux sont l’avenir de l’Europe. Les vieux méritent notre profond respect, les vieux n’ont pas fini de nous inspirer. Ensemble, clamons le haut et fort: que vivent les vieux! Et prions pour vivre tous vieux, riches, et en bonne santé, à des années lumières de la retraite du Père Goriot dépeinte par Balzac en son temps.

Du monde entier au cœur du monde: Poésies complètes

Price: 12,30 €

29 used & new available from 2,16 €


Le Père Goriot

Price: 3,00 €

98 used & new available from 1,00 €

Gandhi raciste?


Des universités font un reproche terrible au héros de l’indépendance indienne. Le retrait de statues est même demandé.


Héros de l’indépendance indienne, le Mahatma Gandhi ne fait plus l’unanimité. Depuis cet hiver, l’association étudiante Manchester Student Union (MSU) l’accuse du pire des maux contemporains : le racisme. Sous le hashtag #GandhiMustFall (#Gandhidoittomber), ses militants ont lancé une campagne Twitter doublée d’une pétition en ligne exigeant le déboulonnage de la statue de bronze de 2,75 mètres récemment installée devant l’université mancunienne.

Dans une lettre adressée au conseil municipal de Manchester, la MSU cite les propos peu amènes qu’a tenus Gandhi durant son séjour en Afrique du Sud. Sous sa plume, notamment dans ses articles à l’Indian Opinion, les Africains apparaissent comme des personnes « sauvages », « non civilisées » et « sales comme des animaux ». Et pour alourdir son dossier, ces étudiants en quête d’une cause reprochent à Gandhi de s’être rendu « complice des exactions raciales au sein de l’empire britannique en Afrique ».

A lire aussi : Démocrates: le parti des minorités et des intellectuels

Avant d’agiter Manchester, l’affaire a démarré au Ghana, pays chantre du panafricanisme, qui a exhumé de vieux textes où le Mahatma fait l’apologie de la pureté raciale. Choquée, l’université d’Accra a fait déboulonner la statue du héros de l’Inde. À quelques milliers de kilomètres de là, la Manchester Student Union entend bien lui emboîter le pas, dénonçant par ailleurs l’utilisation de l’image du Mahatma par le gouvernement de New Delhi comme « outil de propagande ».

Une fois n’est pas coutume, les élus ont refusé de céder aux oukases du syndicat étudiant. « Gandhi a inspiré les dirigeants africains, y compris Nelson Mandela, […] c’est un citoyen du monde et une icône de la paix. La statue de Manchester est ici pour célébrer le pouvoir universel de son message », ont répondu les élus de Manchester. Loin de se laisser convaincre, les syndicalistes étudiants ont exigé des excuses du conseil municipal, le sommant par ailleurs de « commémorer un militant antiraciste noir ayant eu des liens avec Manchester, comme Olive Morris ou Steve Biko ».

A lire aussi: Evergreen: quand l’antiracisme devient fanatique

Contre vents et marées, la statue a bel et bien été inaugurée le 25 novembre à Manchester en présence des officiels indiens.

Gare à ce qu’elle ne tombe pas de son piédestal.

Mon chemin de paix

Price: 6,00 €

22 used & new available from 2,01 €

L’intelligence poétique ou le « en même temps » kunderien

0

Le concept d’intelligence poétique se retrouve dans toute l’oeuvre du génie franco-tchèque.


Les romans et les essais de Kundera font appel en même temps à notre sens de la beauté et à notre intelligence. La zone du cerveau qui concentre ce en même temps est minuscule. Elle est rarement stimulée par les auteurs ; ils préfèrent s’adresser soit à notre sens esthétique en titillant nos émotions, soit à notre intelligence en pariant sur notre capacité de raisonnement, rarement aux deux en même temps. Pour le dire autrement, Kundera parle à ce que l’on pourrait appeler notre intelligence poétique.

Poétique?

Le mot poétique pourrait être mal compris ici, avec sa charge lyrique, car Kundera se méfie du lyrisme. Il a par exemple écrit un roman, La vie est ailleurs qui est une immense gifle au visage du lyrisme comme moteur poétique. Il abhorre le kitsch qui est, pour reprendre sa propre définition, la « traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion », ce kitsch qui « nous arrache des larmes d’attendrissement sur nous-mêmes, sur les banalités que nous pensons et sentons » (La Lenteur). Si Kundera se méfie de nos larmes, il déteste surtout cette seconde larme qui nous vient quand nous nous regardons pleurer. Si votre objectif de lecture est de ressentir les « émotions » des personnages, passez votre chemin, n’ouvrez aucun roman de Kundera. Ce n’est pas par leurs émotions que Kundera explore ses personnages, mais par leurs actes.

Alors pourquoi cette expression d’intelligence poétique? Parce que c’est par la beauté que Kundera s’adresse à notre intelligence. La beauté des métaphores, la beauté des mondes perdus. Pas par le rationnel. Lisez Kundera pour comprendre le monde à l’aide de métaphores.

Dans L’Immortalité, Kundera invente un personnage délicieux, le Professeur Avenarius, drolatique, joueur, inventeur de la mathématique existentielle, qui remet par exemple un diplôme d’âne intégral à l’insupportable journaliste Bernard Bertrand. Kundera se met lui-même en scène dans des dialogues avec Avenarius, censé être son ami. Dans la septième et dernière partie de ce chef d’œuvre, il écrit, parlant d’Avenarius: « Un jour, j’avais essayé de lui expliquer que l’essence d’un homme n’est saisissable que par une métaphore. Par l’éclair révélateur d’une métaphore. Depuis que je connais Avenarius, je cherche en vain la métaphore qui le saisirait et me permettrait de le comprendre. »

On pense donc ne jamais saisir l’essence d’Avenarius, mais Kundera joue avec nous, puisque la forme est chez lui inséparable du fond: la légèreté de la forme sert l’insoutenable légèreté du fond. Quand, soudain, à l’avant dernière page du roman, on lit : « Je lui dis : « Tu joues avec le monde comme un enfant mélancolique qui n’a pas de petit frère. » Voilà! Voilà la métaphore que je cherche depuis toujours pour Avenarius! Enfin! »

L’éclair révélateur de la métaphore

Le choix de ses métaphores est aussi précis que le choix de ses mots. Ses métaphores ne sont pas celles de la poésie lyrique, seul leur « éclair révélateur », leur capacité à expliciter le monde, compte. Si elles déclenchent quand même l’émotion, c’est par l’émerveillement devant la lumière de la connaissance qu’elles nous apportent, par cette joie face au rideau enfin déchiré qui nous camouflait le monde (Le Rideau, essai magnifique).

La lecture de Kundera entraîne un double mouvement : elle nous révèle en même temps une évidence (nous le savions, bien sûr!) et notre ignorance de cette évidence au sens où ne l’avions jamais verbalisée, jamais exprimée avec cette simplicité. Notre compréhension intuitive du monde reste enfouie sans la médiation de la beauté des métaphores kunderiennes, elles éclairent la connaissance qui se cachait dans l’obscurité, au fond de notre cerveau. Puisqu’il déchire le rideau lyrique qui nous dissimule le monde, puisque, comme il le dit, la merde devient visible, le kitsch servant uniquement à la cacher, certains peignent Kundera en une sorte de pessimiste radical. Ils confondent lucidité et pessimisme. Au contraire, en nous ouvrant les yeux, son œuvre nous montre également qu’un peu en retrait, un peu à l’écart de ce monde incompréhensible et incontrôlable, la beauté existe, dissimulée, si nous savons la chercher.

Même l’insignifiance est belle

Kundera a publié à plus de 80 ans La fête de l’insignifiance où il nous raconte, en s’amusant, ce que la vie lui a appris, et ça aussi nous le savions déjà (-attention c’est court!-) : l’homme est insignifiant.

« L’insignifiance, mon ami, c’est l’essence de l’existence. Elle est avec nous partout et toujours. Elle est présente même là où personne ne veut la voir: dans les horreurs, dans les luttes sanglantes, dans les pires malheurs. Cela exige souvent du courage pour la reconnaître dans des conditions aussi dramatiques et pour l’appeler par son nom. Mais il ne s’agit pas seulement de la reconnaître, il faut l’aimer, l’insignifiance, il faut apprendre à l’aimer ». Ce constat, qui pourrait être tragique, est sauvé par l’amour de la beauté: «il faut l’aimer, l’insignifiance, il faut apprendre à l’aimer ». Parce que même l’insignifiance est belle. Mais c’est compliqué d’aimer l’insignifiance, c’est compliqué de voir sa beauté, il faut du temps, de l’expérience.

Dans Le Livre du rire et de l’oubli, écrit 35 ans avant La Fête de l’insignifiance, Kundera invente une magnifique métaphore de la frontière: « Il suffisait de si peu, de si infiniment peu, pour se retrouver de l’autre côté de la frontière au-delà de laquelle plus rien n’avait de sens: l’amour, les convictions, la foi, l’histoire. Tout le mystère de la vie humaine tenait au fait qu’elle se déroule à proximité immédiate et même au contact direct de cette frontière, qu’elle n’en est pas séparée par des kilomètres, mais à peine par un millimètre. »

Kundera vous observe

Avec l’âge sans doute marche-t-on de plus en plus souvent du mauvais côté de la frontière, du côté où tout paraît insignifiant. Et peut-être que cette promenade du mauvais côté est de moins en moins désagréable parce que, justement, on a appris à reconnaître la beauté de l’insignifiance, on a appris à l’aimer l’insignifiance, comme dit le génie franco-tchèque.

Depuis toujours promeneur quotidien du mauvais côté de la frontière, Kundera nous observe en souriant, lorsque nous essayons, vainement, de rester du bon côté.

La vie est ailleurs

Price: 10,00 €

53 used & new available from 1,58 €

La lenteur

Price: 6,80 €

51 used & new available from 1,20 €

L'Immortalité

Price: 10,30 €

36 used & new available from 2,32 €

Le rideau

Price: 8,50 €

23 used & new available from 1,80 €

La fête de l'insignifiance

Price: 8,00 €

41 used & new available from 2,28 €

Le livre du rire et de l'oubli

Price: 9,50 €

41 used & new available from 0,59 €

Au passage, un petit hommage de Kundera à Philip Roth:

« L’inimitable désinvolture ironique, voilà ce qui rend l’œuvre de Philip Roth, pour utiliser le beau mot français intraduisible dans d’autres langues, irrécupérable. »

Milan Kundera, in Préface au roman de Philip Roth, Professeur de désir, Septembre 1982

Jérôme Sainte-Marie: « Le macronisme reste structurellement minoritaire »


Le politologue Jérôme Sainte-Marie ausculte la société française dans son essai Bloc contre Bloc. Il identifie un conflit de classes entre un bloc élitaire pro-Macron et un bloc populaire incarné par Marine Le Pen. Pour 2022, rien n’est joué.


Causeur. Depuis 2017, Emmanuel Macron a anéanti ces deux grands cadavres à la renverse qu’étaient le PS et LR. Or, tout en reconnaissant son caractère largement artificiel, vous semblez regretter le bon vieux clivage droite-gauche.

Jérôme Sainte-Marie. Je ne regrette rien, mais je constate que le remplacement partiel du clivage gauche-droite par un clivage entre un bloc élitaire et un bloc populaire n’a fait qu’accroître les tensions sociales. Par le jeu des traditions locales ou familiales, droite et gauche étaient des ensembles largement culturels dans lesquels cohabitaient des classes populaires, moyennes et dominantes. Ces deux synthèses interclassistes sont remplacées par une polarisation politique en fonction du rapport à la mondialisation, sur des bases directement liées aux ressources économiques et scolaires des individus.

En somme, la lutte des classes oppose désormais deux « blocs historiques » au sein de la société : le bloc élitaire et le bloc populaire. Si on admet que les gilets jaunes ont mobilisé une partie du bloc populaire, quelle est la base sociale du bloc élitaire macroniste ?

Précisons d’abord que j’emprunte la notion de « bloc historique » au marxiste Antonio Gramsci. Au-delà d’une simple coalition politique, c’est un projet collectif visant à la domination sur la société, à partir d’une construction sur un triple plan, idéologique, politique et surtout sociologique.

Le bloc élitaire au pouvoir a pour noyau dur l’élite réelle, c’est-à-dire les couches dirigeantes de la société dans le monde des affaires et la haute administration. Ces élites se sont mises en scène dans la commission Attali, dont Emmanuel Macron fut le rapporteur général adjoint. Mais le bloc élitaire est aussi constitué de deux autres cercles plus larges. Tout d’abord l’élite « aspirationnelle », qui correspond au monde des cadres, ceux qui veulent « en être ». Ses membres partagent l’idéologie de l’élite réelle : le culte de la réussite individuelle, l’amour de la construction européenne, un rapport détendu à la mondialisation et un discours managérial. Ensuite, il faut compter avec une partie des retraités, ceux qui forment ce que j’appelle l’élite par procuration. Quelle que soit leur condition sociale, ils ont tendance à déléguer la protection de leurs intérêts à l’élite et se défient des forces antisystème qui leur paraissent menacer une stabilité économique dont dépendent leurs revenus.

On ne saurait résumer l’électeur macroniste à la caricature du nomade mondialisé. La petite bourgeoisie urbaine et rurale, traditionnellement modérée, s’est-elle agrégée au bloc macroniste ?

Dans un premier temps, Macron a plutôt incarné la frange la plus dynamique de la bourgeoisie liée au capitalisme mondialisé. Pour reprendre la classification de David Goodhart, le candidat Macron de 2017 s’adressait davantage aux anywhere qu’aux somewhere par son éloge constant de la mobilité, de l’adaptation et du changement. Les parties conservatrices de la bourgeoisie provinciale se retrouvaient plutôt dans le vote Fillon. Puis, voyant se faire des réformes et du fait de la peur suscitée par le mouvement des gilets jaunes, cette bourgeoisie patrimoniale a migré vers le vote LREM aux européennes. Le macronisme aura donc accompli une triple réunification – politique, idéologique et sociologique : politique, en réunissant la gauche et la droite libérales ; idéologique, en assumant la convergence du libéralisme culturel et du libéralisme économique, comme l’analyse Jean-Claude Michéa ; et sociologique, car Macron a réuni une bourgeoisie jusqu’alors divisée en des forces politiques concurrentes. C’est un phénomène lourd de conséquences sur le climat social et le débat public.

A lire aussi : Réforme des retraites: les femmes pénalisées

Pourquoi ?

L’autocontrôle des classes dominantes a énormément diminué. Autrefois, les instances de direction et de contrôle de la société – Conseil constitutionnel, Conseil d’État, CSA, instances économiques, judiciaires… – comptaient en leur sein une équipe de gauche et une équipe de droite. Bien que tous issus de la France d’en haut, ses membres se surveillaient et maintenaient un certain pluralisme, car lorsqu’une des deux équipes en concurrence était au pouvoir, l’autre campait dans l’opposition et se préparait à l’alternance. Maintenant que ces élites sont réunifiées, leur pouvoir s’est débridé.

Mais le président Macron semble avoir infléchi sa politique. Plus ferme sur l’immigration, critique du dogme bruxellois des 3 % de déficit, Macron amorce-t-il un virage populiste à rebours de son tropisme libéral-libertaire ?

Je ne crois pas. Ce sont plutôt des tentatives de triangulation : Macron va chercher les thèmes de ses concurrents politiques directs. Il a tendance à monopoliser le débat politique pour une raison précise : le macronisme reste structurellement minoritaire. L’attachement profond au modèle social et le caractère minoritaire de la volonté de réforme dans le pays font courir un danger terrible d’isolement au bloc élitaire. Rien d’étonnant à ce que Macron essaie de sortir de l’enclavement de ce bloc, dont l’influence oscille entre le quart et le tiers du corps électoral.

Entre les attentes de sa base électorale et les aspirations de la majorité des Français, le président peut-il ménager la chèvre et le chou ?

Non. La parole politique ne peut se détacher des contraintes de son terreau électoral. Avant toute chose, il faut coller aux aspirations, aux intérêts et aux valeurs de ses partisans. Le macronisme est cohérent, stratégiquement très intelligent pour donner le maximum de force propulsive à la transformation du modèle social français, tel qu’il est exigé par la construction européenne, par la mondialisation et, pour certains, par la raison. Mais à force de trianguler, il encourt le danger de populariser les thèmes de ses adversaires.

La frontière entre partisans et adversaires du pouvoir macroniste n’est pas toujours très nette. Penchons-nous sur le cas des retraités. Ils représentent 17 millions de citoyens, soit le tiers du corps électoral et leur pension mensuelle est en en moyenne de 1 400 euros. Ont-ils hésité entre les gilets jaunes et le vote LREM ?

Un ensemble social aussi vaste que les retraités ne peut être homogène. Cependant, le « survote » pour Macron parmi les retraités m’a frappé dès la présidentielle. Malgré la concurrence très vive de Fillon, Macron a rassemblé 26 % de leurs suffrages. En 2017, à rebours de l’image dynamique donnée par le président, plus on était âgé et plus on a voté Macron. Et, en même temps, d’autres retraités ont soutenu en nombre les gilets jaunes sur les ronds-points durant les premiers mois du mouvement. Mais, je le répète, observés globalement, les retraités sont enclins à soutenir l’élite.

Vous évoquez à leur sujet ceux que Marx appelait les « paysans parcellaires » de 1848. En quoi ces petits propriétaires agricoles sont-ils comparables aux retraités d’aujourd’hui ?

Je m’inspire des réflexions de Karl Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Marx constate que ces paysans parcellaires, de loin les plus nombreux, et pas forcément les plus prospères, se solidarisent avec le pouvoir exécutif. Ils ne parlent pas en leur nom, mais délèguent le pouvoir à des forces sociales dominantes. Pourquoi ? Dans la France de 1848, ces agriculteurs qui ont acquis ou consolidé leur droit de propriété sur le sol lors de la Révolution vivent très difficilement. Enfermé dans le périmètre de sa petite parcelle, chacun d’entre eux est suspendu à la garantie de sa propriété par l’État et le pouvoir en place. Face à la contestation sociale, ce sont donc les principaux garants du système, comme les retraités aujourd’hui.

En 2005, ces derniers ont voté très largement pour le oui à l’Europe, puis ont massivement boudé Mélenchon et Le Pen en 2017, car ils s’inquiètent beaucoup des menaces pesant sur l’euro. S’ils approuvent les réformes libérales, c’est parce que leur revenu mensuel dépend du travail des actifs. Or, ils représentent près d’un électeur inscrit sur trois.

Cela ne fait pas les affaires de Mélenchon ! Traditionnellement républicain, le chef de la France insoumise multiplie les signes d’adhésion au multiculturalisme, comme l’illustre sa participation à la manifestation anti-islamophobie du 10 novembre. Comment expliquer ce virage ?

J’ai du mal à expliquer comment on peut à ce point se tromper et piétiner ses propres intérêts. En 2017, le bloc populaire se partageait entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. La moitié des électeurs insoumis était, par exemple, hostile à l’accueil de l’Aquarius. Alors qu’une part de son électorat du 23 avril exprime une demande forte de rigueur républicaine, de contrôle des flux migratoires et de laïcité, Mélenchon accentue depuis deux ans son parti pris promigrants.  Localement, cela peut parfois s’expliquer par des raisons électoralistes. Mais, plus globalement, la culture politique des militants insoumis joue beaucoup. Venant essentiellement de la gauche, ils en partagent les codes, dont le refus de critiquer l’immigration, hérité de SOS Racisme et d’une certaine culture chrétienne de gauche. À gauche, de Hamon à Mélenchon, tant de monde se raconte les mêmes histoires sur l’immigration !

A lire aussi : Aimez-vous pour la France!

Sur le plan stratégique, la France insoumise a commis une erreur majeure en croyant que l’affaiblissement du clivage gauche-droite n’était qu’une parenthèse et qu’on y reviendrait vite. Mélenchon avait intelligemment mis sous le boisseau la notion de gauche durant la campagne présidentielle, mais il a ensuite repris tous les codes de la gauche en espérant la réunifier autour de lui. Cela a amené à l’effondrement de La France insoumise (6 % aux européennes) et rend impossible l’unification d’un bloc populaire autour de Mélenchon.

Puisque la France insoumise est dans l’impasse, le RN a-t-il une chance de conquérir le pouvoir, malgré la déconfiture de Marine Le Pen en 2017 ?

Oui. En 2017, il était évident que Le Pen était la principale chance de Macron, qui n’avait qu’à accéder au second tour pour prendre le pouvoir ; en 2022, ce raisonnement peut parfaitement s’inverser. La radicalité du projet macroniste et la force des oppositions qu’il suscite, ainsi que le phénomène classique d’usure du pouvoir, peuvent provoquer sa défaite. Cela donne une chance sérieuse au candidat qui représentera les intérêts des catégories populaires et des classes moyennes inférieures. De fait, le RN est arrivé en tête aux européennes, malgré un corps électoral très défavorable, les catégories populaires s’y mobilisant fort peu.

Le RN n’est-il pas prisonnier d’une sociologie trop étroitement populaire qui l’exclut du pouvoir ?

Marine Le Pen est évidemment très clivante et peut-être trop identifiée aux classes populaires. Il y a un effet de miroir assez fascinant entre Macron et Le Pen, car ils sont tous deux prisonniers des milieux sociaux qui votent pour eux. Or, si le bloc élitaire et le bloc populaire polarisent la vie sociale et politique, ils ne l’épuisent pas. Tout se jouera au niveau des classes moyennes qui, divisées, cherchent encore des options alternatives, tel le vote écologiste aux européennes. Comme le montrent les sondages, un second tour Macron-Le Pen se jouerait actuellement à 55 % contre 45 %. Malgré l’avantage actuel pour le probable candidat sortant, 2022 s’annonce donc comme une élection à l’issue incertaine.

Certains estiment que le poids démographique de l’immigration musulmane influera sur le vote. Est-ce un fantasme ?

Largement. Autant la question de l’immigration constitue un facteur de vote très important, autant c’est une réalité électorale très surestimée. Il y a sans doute 8 millions de musulmans en France, la plupart issus de l’immigration récente, dont 2 millions sont d’ailleurs étrangers. Une partie d’entre eux n’étant ni majeurs ni inscrits sur les listes électorales, et beaucoup des inscrits s’abstenant, leur influence n’est pas considérable dans un scrutin national.

De plus, comme les chrétiens ou les juifs, les musulmans ne votent pas tant comme musulmans qu’en fonction de leurs intérêts pratiques. Issus de l’immigration récente, ils commencent un parcours plutôt en bas de l’échelle. De ce fait, ils sont souvent bénéficiaires de l’État social. C’est l’une des raisons du « survote » Hollande contre Sarkozy en 2012.

Les facteurs culturels ou religieux comptent-ils si peu que cela ?

Les facteurs identitaires ou culturels sont évidemment importants dans le vote mais, selon mon analyse, ils forment un élément second par rapport à la problématique sociale. Chez certains électeurs musulmans, l’appartenance peut contrarier le vote pour certains candidats identifiés à tort ou à raison comme hostiles à l’islam, notamment Marine Le Pen. Dans le passé, il arrivait de la même manière, que le catholicisme du milieu ouvrier local le dissuade de voter communiste. Si les musulmans de condition modeste rechigneront à choisir le candidat de l’élite, ils auront beaucoup de mal à se rallier à celui du RN. Cela devrait les inciter encore davantage à l’abstention.

Bloc contre bloc - La dynamique du Macronisme

Price: 8,20 €

33 used & new available from 1,82 €

 

Nouvel antisémitisme: les députés découvrent la lune

0

Les textes en vigueur suffisent. Il serait contre-productif de légiférer contre l’antisionisme.


« De l’encre et du temps parlementaire dépensés pour rien » : Barbara Lefebvre a parfaitement résumé l’affaire. Le texte adopté le 3 décembre par l’Assemblée nationale (par 154 voix contre 72), qui fait de l’antisionisme une des formes de l’antisémitisme, est parfaitement inutile puisqu’il n’a aucune valeur contraignante ou normative. Le festival de tribunes publiées à son sujet a en outre permis, à un certain nombre d’intellectuels juifs, de laver de tout soupçon d’antisémitisme des islamo-gauchistes dont beaucoup d’ailleurs, ne voient même pas que leur haine d’Israël, comme celle des « capitalistes » aboutit presque toujours à désigner des juifs, puis les juifs, comme coupables de multiples maux.

Quand l’antisémitisme se cache derrière l’antisionisme…

Défendue par le député LREM Sylvain Maillard, la résolution 361 (publiée sur le site de l’Assemblée nationale avec la mention « petite loi ») a semble-t-il été voulue par le Président de la République. L’objectif louable de ses promoteurs est d’enrayer la progression des actes antijuifs, dont le nombre a augmenté de 74% en 2018 – sans oublier que, depuis 2006, 11 Français ont été tués parce qu’ils étaient juifs. La résolution, qui se réfère à la définition de l‘antisémitisme adoptée par l’Institut international pour la mémoire de l’Holocauste), n’emploie pas le mot « antisionisme » mais évoque les « manifestations de haine à l’égard de l’État d’Israël justifiées par la seule perception de ce dernier comme collectivité juive ». Définition qui a donné lieu à un malentendu intéressé, les adversaires du texte feignant d’y voir la négation de l’existence des 20 % de citoyens israéliens qui ne sont pas juifs.

A lire aussi: 7% des musulmans ont été agressés en raison de leur religion et 34% des juifs

Il ne s’agit nullement, donc, de douter de la bonne volonté de Sylvain Maillard, François Pupponi ou Eric Ciotti qui ont tous trouvé le ton juste pour évoquer ces juifs qui ont perdu confiance dans leur pays. Reste que ce débat avait quelque chose de surréaliste. L’émergence et la propagation, dans nos Territoires perdus, de ce qu’on a appelé le nouvel antisémitisme, datent des années 2000. Après les attentats de 2015, il était même devenu possible de le nommer et de dire qu’il ne venait pas de l’extrême droite mais du fondamentalisme islamique. Si des juifs ont quitté la Seine Saint-Denis ou la France, ce n’est pas par peur de l’extrême droite mais parce qu’ils ne se sentaient plus en sécurité dans les quartiers islamisés. La Palestine faisant par ailleurs partie de la panoplie obligatoire des bonnes causes extrême gauchistes, elle est le point de rencontre idéal entre gauchistes et islamistes, autrement dit, l’un des meilleurs ciments de la mouvance islamo-gauchiste. Ajoutez à ce brouet idéologique une bonne dose de haine des riches, et vous avez des Gilets jaunes qui dénoncent le « complot sioniste ». Comme le dit Guillaume Erner, pour pas mal de gens (qui n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe en Israël), le « sioniste » est pire qu’un vampire.

L’agression d’Alain Finkielkraut à Paris

C’est ainsi que, comme l’a raconté François Pupponi, Eva Sandler, dont le mari et deux enfants ont été assassinés en 2012 (avec une autre petite fille) par Mohamed Merah, a, deux ans plus tard, entendu passer, sous sa fenêtre, à Sarcelles, une manifestation où l’on criait : « Mort aux juifs ! Mort à Israël ». Et c’est ainsi qu’en février dernier, Alain Finkielkraut a été agressé par un islamiste qui a hurlé : « Sale sioniste de merde ! » Même les sourds ont entendu qu’il voulait dire « sale juif ».

Que, dans ce climat, la « lutte du peuple palestinien » soit devenue l’alibi idéal pour haïr les juifs-sionistes, il faut vraiment des œillères idéologiques pour ne pas le voir – rappelons-nous le parti antisémi… pardon antisioniste de Dieudonné.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: On ne refera France ni par la violence, ni par la complaisance

Bien entendu, les adversaires du texte ont eu beau jeu de brailler qu’on voulait museler la critique d’Israël. Ce qui est presque comique, comme l’était le titre d’un livre de Pascal Boniface : A-t-on le droit de critiquer Israël ? Il serait en effet plus pertinent de se demander si on a le droit de ne pas le critiquer. Israël est l’un des rares Etats dont la remise en cause du droit à exister soit le cœur d’une doctrine politique (si tant est que l’antisionisme mérite ce qualificatif). Dans maints cas, il ne s’agit plus de critique mais de haine. Quand on compare Gaza à Auschwitz, non seulement on commet un crime contre la vérité, mais on installe dans les esprits faibles la conviction que tous les juifs qui aiment Israël sont complices des assassins.

Un texte inutile

En somme, la résolution Maillard est dans le vrai : l’antisionisme est le plus souvent le cache –sexe de l’antisémitisme. Cette résolution est pourtant non seulement inutile, mais dangereuse.

Inutile parce que tout d’abord, répétons-le, il s’agit d’une pure pétition de principe dont la seule vertu est de faire plaisir à ses promoteurs – et à une partie des Français juifs –, et qu’ensuite, la loi française sanctionne déjà l’appel à la haine que ce soit envers les Patagons, les Israéliens ou les pêcheurs à la ligne transgenres.

Elle est dangereuse parce qu’elle nourrit la compétition victimaire et le parallèle délétère entre juifs d’hier et musulmans d’aujourd’hui – ainsi que le sentiment qu’il « n’y en a que pour les juifs ». Elle permet en outre aux islamo-gauchistes qui assimilent toute critique de l’islam à de la haine (tout en faisant passer la haine d’Israël pour de la critique), de s’emparer de l’étendard de la liberté d’expression. Le regretté professeur George Steiner a pensé toute sa vie que la solution nationale n’était pas la bonne pour les juifs – ce qui faisait de lui un antisioniste au sens strict du terme. Il ne souhaitait évidemment pas la disparition d’Israël. Et puis, à tout prendre, mieux vaut laisser passer des discours douteux et leur répondre par l’argumentation que courir le risque, si minime soit-il, de censurer des opinions légitimes, fussent-elles blessantes ou choquantes pour les uns ou les autres.

Cependant, rassurons-nous. Le lendemain de l’adoption de la résolution, histoire de satisfaire tout le monde, Christophe Castaner a annoncé la création d’un « bureau national contre la haine ». Interdire la haine, rien que ça. Il y a quelque chose de touchant dans cette naïveté administrative. À défaut d’extirper le mal du cœur des hommes, il existe des lois censurant, plus modestement, non pas la haine elle-même mais ses expressions les plus dangereuses. Et en tout état de cause, il devrait être possible, encore plus modestement, de faire appliquer les textes qui répriment les agressions.

Cuisine bourgeoise

0

Emmanuel Tresmontant publie dans Causeur-papier de ce mois de décembre un stimulant article sur « la Brigade des femmes » qui fait l’historique de la cuisine aux XIXe et XXe siècle — avec des aperçus sur le XXIe.


Emmanuel Tresmontant rappelle ainsi qu’« en 1911, à Paris, on recensait plus de 4000 cuisiniers œuvrant pour le compte des grandes maisons » — non des grands restaurants, un concept qui émergeait à peine, mais des hôtels particuliers des grandes familles : « c’est dans ces maisons privées, où l’élite politique et culturelle du pays se retrouvait chaque semaine, que la cuisine française atteint son apogée. »

Ces 4000 cuisiniers sont tous des hommes. Les femmes sont alors reléguées (elles sont plusieurs dizaines de milliers) à la périphérie de la gastronomie, dans le tout-courant de la restauration, à une époque où peu d’appartements disposaient d’une cuisine autonome. On se fait monter les petits plats cuisinés dans les antres des cuisinières. Et Tresmontant a raison de dire qu’elles sont volontiers stigmatisées par la littérature — voir l’abominable Cibot qui se charge, dans le Cousin Pons, de circonvenir, à coups de petits plats mijotés, le grand collectionneur gourmand dont tout un chacun convoite les possessions.

A lire aussi : La vérité si je mange!

Certains pourtant les épousent : voir Zola, qui « traite » chaque jeudi ses amis romanciers chez lesquels il pioche, en cours de repas, les idées de ses futurs romans (dixit Edmond de Goncourt, toujours mauvaise langue) et qui a épousé avec Gabrielle un fin cordon bleu, capable de lui mijoter « les petits plats, cuisinés comme en province, cuisinés avec la foi et la religion d’une cuisinière en le génie de son maître » (Goncourt encore). Bouillabaisse, civet de lièvre, volaille rôtie — les spécialités « bourgeoises » et provinciales transmises de mère à fille depuis lurette, et que j’ai pour ma part apprises en regardant faire ma grand-mère, sagement accoudé à la table de la cuisine où elle épluchait ses poireaux et où je faisais mes devoirs.

Mais très vite, lorsque le train de vie du couple Zola change, après les grands succès du romancier, Gabrielle (qui a repris son premier prénom d’Alexandrine) s’offre une cuisinière professionnelle dont elle compose les menus : « Un potage queue de bœuf, des rougets de roche grillés, un filet aux cèpes, des raviolis à l’italienne, des gelinottes de Russie et une salade de truffes, sans compter du caviar et des kilkis en hors d’œuvre, une glace pralinée, un petit fromage hongrois couleur d’émeraude, des fruits, des pâtisseries. Comme vin, simplement du vieux bordeaux dans les carafes, du chambertin au rôti, et un vin mousseux de la Moselle, en remplacement du vin de Champagne, jugé banal » — c’est dans l’Œuvre. A noter que ce repas est un échec total, les convives…

>>> Retrouvez la suite de cet article sur Bonnet d’âne, le site de Jean-Paul Brighelli <<<

L'Oeuvre

Price: 6,30 €

13 used & new available from 2,32 €


Le Cousin Pons

Price: 34,84 €

21 used & new available from 1,87 €

Grace à l’ « empouvoirement », néoféminisme et « intersectionnalité » gagnent les milieux culturels


L’empouvoirement est la traduction française de l’empowerment, un concept qui mêle acceptation et revendication de soi, confiance, estime, ambition et… pouvoir.



« Je déclare qu’il faut livrer aux femmes la cité »
dit Anaxagore dans l’Assemblée des femmes, pièce d’Aristophane (392 avant JC) mise au programme des classes préparatoires scientifiques. Et sa copine de renchérir : « Il est temps de se mettre en marche. » Avec La République En Marche, c’est chose faite. La démocratie est aux mains des femmes. Pas les précieuses ni les femmes savantes malmenées par Molière. Pas les bas-bleus comme Germaine (de Staël) que n’aime pas Eric Zemmour. Mais les ultra femmes : les féministes.

La roue des violences de Marlène Schiappa

Voici le règne de l’empowermeuf, l’empowerment, l’empouvoirement. Les femmes  sont partout et régentent tout. Elles ont la main sur l’homme, la maternité, l’enfant, le droit, la langue. Elles sont dans le télévisuel, l’art, le communicationnel. Elles sont à la Chambre et aux JT où elles sont dévideuses de propos à côté. Elles sont avocates et magistrates. Leur compétence ?  Le discours idéologique. Leur chasse gardée : le pouvoir sexuel. Depuis # Metoo, un regard a vite fait de passer, sur la Roue des violences de Marlène Schiappa, du rose au violet au rouge, du sexisme à l’assassinat. Leur work : faire un enfant toutes seules. Les mamans idéales sont les mamans solos ou une lesbienne multipliée par deux. Leur mot d’ordre: à bas le patriarcat ! Vive le matriarcat ! De là, l’empouvoirement du droit avec l’effacement du père: la législation se fait en faveur des femmes devenues sujettes de droit, à part entière, avec extension de leurs droits dans le domaine de la famille. Partout, les femmes sont en pétard contre les hommes dont elles ne peuvent se passer.

A lire aussi: Féminicide, féminicide, est-ce que j’ai une gueule de féminicide?

Restait le domaine de l’art où le féminisme doit s’exercer. Grâce la réhabilitation des sorcières, on revisite les contes pour enfants en changeant les pronoms de la phrase finale: « Elles se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». On connaissait les pièces censurées: celle des Suppliantes, trop raciste, et Carmen, trop machiste. Restaient l’opéra, la musique et la danse à idéologiser.

Les dernières digues sont en train de sauter

C’est une femme de gauche, Emilie Delorme, ancienne directrice de l’Académie du festival d’Aix-en-Provence, qui est pressentie pour diriger le CNSMD (Conservatoire national supérieur de musique et de danse), en remplacement de Bruno Mantovani. Pourquoi, direz-vous, Emilie Delorme, première femme à la tête de ce prestigieux organisme ? C’est que son « parcours » est exemplaire : école d’ingénieur, finance, troisième cycle de management culturel, stage à Bruxelles à la Monnaie et atterrissage à Aix. La qualité essentielle pour ce job ? La curiosité d’esprit.

Comme l’écrit Isabelle Barbéris, dans L’art du politiquement correct, les dernières digues sont en train de sauter: « l’idéologie indigéniste et intersectionnelle s’inscrit au sommet de la culture: dans les domaines prestigieux de la musique et de l’opéra. » Si, comme le nom l’indique, le mot veut dire qui conserve les savoirs, en déconstruisant les savoirs, il ne reste plus qu’à transmettre l’idéologie.

A lire aussi: Finkielkraut fait les frais de la nouvelle campagne de pub de Caroline de Haas

L’idéologie est sans surprise: tout ce qui est joué à l’opéra est sexiste, raciste et oppresseur. Il faut promouvoir la parité et la diversité. S’opposer à la blanchité, au racisé, au racisme d’Etat. Décoloniser. Bienvenue au féminisme intersectionnel. Carmen est un homme comme une autre.

Workshop pour tou.te.s!

On voit d’ici le programme: autant d’hommes que de femmes, de Noires que de Blanches, de soprano que de contralto, de chefs d’orchestre que de cheftaines. D’œuvres de musique blanche que de musique noire, de tam-tam que de violoncelles. Accueil aux talents de tout bord, à l’entrepreneuriat, à la créativité, aux projets !  Aux women workshops.

Faut-il se passer, dans le débat, du deuxième degré ? se demandait, il y a peu, Alain Finkielkraut. La réponse, est affirmative. Mieux vaut aussi se passer du détour par la littérature. Car la littérature est une bombe idéologique. Vous imaginez, de nos jours, le Médecin malgré lui, joué sur une scène de théâtre national ? Passe encore que Sganarelle dise : « …Aristote a bien raison quand il dit qu’une femme est pire qu’un démon. » On peut recontextualiser. Et applaudissements, quand le voisin, Monsieur Robert, intervient dans la dispute conjugale pour dire son indignation: « Peste soit le coquin de battre ainsi sa femme! » Mais vous imaginez Martine se retourner contre Monsieur Robert, les poings sur les hanches, le faire reculer, lui donner un soufflet en lui lançant : « Et je veux qu’il me batte, moi ! Voyez un peu cet impertinent qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes ! » Imagine-t-on Molière sur un plateau télé face à Caroline de Haas ? Quel sale quart d’heure sans parler des procès à venir ! Qu’Alain Finkielkraut se rassure : avec nos femmes, mieux vaut user du premier degré… si on veut la paix.

L’Assemblée des femmes

Price: 3,50 €

24 used & new available from 1,43 €

L'art du politiquement correct

Price: 17,00 €

16 used & new available from 13,01 €

Le Médecin malgré lui

Price: 2,00 €

42 used & new available from 1,40 €

Que c’est triste Venise inondé


Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.


L’aqua alta qui, à plusieurs reprises, a partiellement submergé Venise en novembre a suscité une émotion planétaire. Il y a quelques mois, des inondations qui ont causé des centaines de morts en Asie du Sud-Est n’ont eu droit qu’à quelques lignes dans la presse. Venise inondée, comme Notre-Dame en feu, c’est un symbole. C’est aussi l’occasion de revenir sur l’image faussée d’une ville romantique pour voyage de noces. Dans Venises – au pluriel –, Morand se moque de cette naïveté : « Les romantiques tiennent bon ; ils défilent ce matin sur la place, derrière une banderole blanche : “Nous voulons la lune.” »

On pleure sur une ville dont on oublie qu’elle est une ville, simplement, comme l’écrit dans Le Monde l’écrivain vénitien Roberto Ferrucci : « Vous pourrez lire mille reportages, y compris cet article, aucun, pas même ceux qui auraient été écrits par des maîtres comme Hemingway ou Emmanuel Carrère, ne parviendrait à transmettre la douleur, la rage, l’incompréhension, la peur, toute cette gamme de sentiments que seul un habitant de Venise, seul celui qui a choisi Venise pour son caractère unique, seul celui qui y est né, peut vraiment éprouver. »

A lire aussi : Alain Finkielkraut: « L’écologie est devenue un prêchi-prêcha insupportable de suffisance »

En citant Hemingway, Ferrucci fait allusion à Au-delà du fleuve et sous les arbres, le dernier roman de l’écrivain. Un colonel américain vit ses derniers jours en compagnie d’une jeune contessa. C’est une Venise mortifère, parmi tant d’autres, comme celle d’Aschenbach dans La Mort à Venise de Thomas Mann : « C’était Venise, l’insinuante courtisane, la cité qui tient de la légende et du traquenard. » Et ce traquenard dans lequel sont pris les habitants, il y eut jadis des Italiens pour vouloir le détruire. Marinetti, chef de file des futuristes, écrivait en 1909 : « Hâtons-nous de combler les petits canaux fétides avec les décombres des vieux palais croulants et lépreux. Brûlons les gondoles, ces balançoires à crétins, et dressons jusqu’au ciel l’imposante géométrie des grands ponts de métal et des usines chevelues de fumée, pour abolir partout la courbe languissante des vieilles architectures ! » Gageons que les autorités italiennes ne choisiront pas cette solution pourtant économique et moderne.

Venises

Price: 9,50 €

60 used & new available from 1,96 €


La Mort à Venise

Price: 8,40 €

74 used & new available from 1,22 €


Au-delà du fleuve et sous les arbres

Price: 10,50 €

28 used & new available from 2,60 €

L’amour tabou


En politique française, c’est l’impasse passionnelle. À l’heure du polyamour et du plan à trois, extrême gauche et extrême droite seraient bien inspirées de céder à l’union interdite, sous le regard des gilets jaunes qui en ont fait le lit.


Les boulevards sont noirs de monde. On prend pas les mêmes, et on recommence. La manifestation n’était plus seulement jaune, mais aussi rouge de syndicats, blanche de personnels médicaux ; un arc-en-ciel de fonctionnaires et de délaissés. Peu, ou pas de casse. En face, la rhétorique de l’exécutif est aussi prévisible qu’un clown avec sa fleur à eau : « ne pas sous-estimer l’ampleur de la protestation » tout en « restant déterminé sur les fondamentaux ». Jeu de ping-pong: on annonce déjà la prolongation des grèves qui paralysent les transports, blocages qui seront comme toujours désamorcés par quelques concessions dans le projet de loi sur les retraites. Le but est aussi d’arriver à temps pour mettre les pieds sous la table, sans que la bûche de Noël n’ait trop fondu. Mais cette fois-ci, la composition du mouvement contestataire amène à espérer autre chose qu’un bras de fer « syndicats / méchants réformateurs LREM ». L’antagonisme n’est pas uniquement social: il est sociétal, et identitaire.

La nouvelle “convergence des luttes”

L’immense dissidence que forment les syndicats, les gilets jaunes, le Rassemblement National et La France Insoumise, est intrinsèquement accordée sur la volonté de défendre un modèle français autre que celui dessiné par les sociales-démocraties, qui n’ont de social que leur nom. La sauvagerie du marché mondialisé, l’absurdité écologique qui en résulte, les privatisations, l’État qui se retire progressivement de toutes les structures qui faisaient la Nation, la dérégulation financière, l’ubérisation, la flexibilité du travail… Tout ça, ils y ont assez goûté sur leur sol ; et en voyant l’exemple allemand, ils disent définitivement « Nein ! ».

A lire aussi, Alexandre Devecchio: «Les populistes sont des lanceurs d’alerte»

Pour gouverner, les anti-libéraux n’ont numériquement pas à siphonner tel ou tel parti. Leur alliance dans les urnes les propulserait au pouvoir. Mais réduire à leur vision économique les manifestants qui constellent depuis un an les rues de France serait fallacieux. C’est tout un mode de vie qu’ils sont prêts à défendre. Ensemble ?

Point de crispation: l’immigration

À gauche, on ne tient pas la main aux fascistes. À droite, on refuse une valse avec ceux qui un mois plus tôt défilaient aux côtés des Frères Musulmans. Pourtant, le RN a su, depuis l’éviction de Jean-Marie Le Pen et l’intervalle Philippot, effectuer un virage social qui jure avec ses vieilles ambitions libérales. LFI, avec à sa tête Jean-Luc Mélenchon, ancien chantre de l’utopie des citoyens du monde, parle maintenant de « protectionnisme solidaire », à la manière d’un Montebourg décomplexé.

Le désaccord est idéologique, essentiellement porté sur la question migratoire. Ce seul point empêche tout rapprochement. En Italie, un autre grand peuple a su balayer les divergences au profit d’une cause plus grande. En futur socle de cette coalition, les gardiens de ronds-points aux tenues réfléchissantes sont en capacité d’être les guides providentiels.

Le diable s’habille en jaune

Les gilets jaunes sont à la fois l’antidote à bien des maux, et l’incarnation de cet amour impossible. Je n’ai toujours pas compris comment l’opinion avait pu avec le temps leur devenir aussi défavorable, étant donné que leurs revendications n’ont jamais bougé, et qu’ils n’ont pas, sauf absence de ma part, été aux manettes du pays. L’image, comme dans le marketing le plus avisé, serait donc plus forte que les convictions. Il aura fallu que quelques dizaines de black blocs cassent les vitrines de commerçants désemparés, et qu’un Alain Finkielkraut en pleine digestion croise la route d’un écervelé à la barbe mal rasée, qui lui vomira des insultes antisémites, pour que nombreux Français cessent de soutenir ce soulèvement historique et populaire.

A lire aussi: Les mauvais joueurs de la démocratie

« Le sceptre du pauvre est la patience », disait Bernanos dans Les grands cimetières sous la lune. À rebours de son sacre, ses opposants ont compris que la division était la meilleure arme pour lui barrer la route. La plèbe, les petites gens, les « sans-dents », appelez-les comme vous voulez, ne sont ni théoriciens, ni économistes, et Dieu merci encore moins énarques.

Au risque de rentrer borgnes, ils battent le pavé et bravent les saisons avec pugnacité. 

Leur urgence première n’était pas de formuler des doléances, mais de montrer à leurs dirigeants que la France d’en bas avait encore un pouls. Car avant toute revendication politique, eux « qui ne sont rien », viennent (se) prouver qu’ils existent encore.

Recomposition: Le nouveau monde populiste

Price: 19,00 €

23 used & new available from 2,14 €


Bloc contre bloc - La dynamique du Macronisme

Price: 8,20 €

33 used & new available from 1,82 €

Une éducation sentimentale sous la Révolution

0

 


Avec Le jeune homme à la mule, Michel Orcel publie un roman stendhalien dans la Provence de 1790.


C’est un roman enchanteur, dont la magie fait son effet de la première à la dernière page, que nous offre Michel Orcel avec Le jeune homme à la mule. Né en 1952 dans une antique famille provençale, Michel Orcel est philosophe, islamologue et romaniste de formation. Critique littéraire et musical, il est aussi traducteur de Leopardi, Dante, Michel-Ange et D’Annunzio, entre autres. Un humaniste au sens classique du terme, également éditeur (L’Alphée) et surtout poète jusqu’au bout des ongles tant sa sensibilité transparaît dans ce magnifique roman picaresque et stendhalien, qui se lit d’une traite et avec jubilation.

Sur les routes de Provence

Tout le roman baigne dans une lumière ocre et se révèle parfumé de thym, d’orange et de bergamote – un délice. L’intrigue ? L’éducation sentimentale et politique du jeune Jouan Dauthier, patricien provençal, que nous suivons dans ses aventures sur les routes du comté de Nice encore sarde jusqu’à Gênes et à Milan. 1790 : la Révolution étend son ombre menaçante sur une Provence encore intacte. Un chanoine aux allures de maître espion recrute Jouan dans la conjuration qu’il mène au service de Rome, bien inquiète des progrès des Idées nouvelles, et surtout de la guillotine. Notre jeune espion s’éprend de la divine Giuditta, une cantatrice vénitienne au joli tempérament… tout en restant amoureux de Nanette, la fille du médecin de Sigale, son village. Orcel cite Sénèque et L’Arioste, se moque avec esprit du narrateur dont il souligne d’imaginaires défauts et s’amuse à nous promener sur les routes de sa Provence.

Une tragédie voluptueuse

La grâce du style, limpide, les jeux linguistiques, la ponctuation soignée avec art, tout concourt à rendre ce Jeune Homme à la mule délicieux. La liberté de ton du romancier, peu séduit par les blandices révolutionnaires ajoute à l’intérêt du livre, par exemple quand il fait dire à l’un de ses attachants personnages : « Le moindre maire se prend pour Caton ou Brutus et s’imagine sauver le peuple du despotisme des tyrans ; en vérité, on guillotine n’importe qui pour n’importe quoi. » Ou, justement sur le peuple, cette idole nouvelle (en 1790) : « le peuple n’est qu’une entité commode que ces canailles ont inventée pour servir leurs desseins. » Ou enfin : « Tout le monde n’était pas dupe de cette frénésie de liberté, et certains, qui seraient passés pour des imbéciles aux yeux des avocats et autres petits clercs qui détruisaient allègrement l’ordre ancien en comptant bien prendre la place de la noblesse, se doutaient que le pire était peut-être à venir ». Orcel parvient avec brio à mettre en scène une tragédie dont il atténue la cruauté par le truchement d’une légèreté sans rien de creux.

Michel Orcel, Le Jeune Homme à la mule, Pierre-Guillaume de Roux, 2019.

Le Jeune Homme a la Mule

Price: 17,90 €

12 used & new available from 3,98 €

Vive les vieux!

260
Photo: Pixabay

Aujourd’hui, les vieux sont partout. Au marché, au café, au ciné ou dans les rayons de supermarchés.


Seize millions de retraités, et demain? Qu’il est loin, le temps des épidémies de peste, de tuberculose ou de choléra. Certes, il y a bien eu quelques relents de tuberculose ces derniers temps mais tout de même, aujourd’hui, on vit bien mieux qu’avant.

« A l’horizon 2050, la population de chaque région française augmenterait hormis en Guadeloupe et en Martinique », nous dit l’INSEE. Par ailleurs, « la population vieillit dans toutes les régions. » Toujours plus de vieux en France, n’est-ce pas la preuve de notre vitalité?

Papi fait de la résistance

Jamais les Français n’ont vécu aussi vieux, jamais les vieux n’ont été aussi forts, conquérant toutes les sphères de notre société. Sport, argent, milieu politique ou associatif, rien n’échappe à l’emprise des vieux. Face à cet assaut inédit dans l’histoire de notre pays, les gouvernements s’essaient successivement à neutraliser un ennemi tout désigné: les futurs retraités.

Le gouvernement Macron aura-t-il le dernier mot? Tout dépend de la force de résistance de la RATP et de la SNCF.  Les agents de la RATP ont prévenu, ils sont prêts à partager ensemble la bûche de Noël. Pourtant, leur détermination ne fait pas l’unanimité chez leurs concitoyens. Dans un troquet parisien du XIIIème arrondissement, un petit monsieur moustachu a pesté devant son verre de blanc: « Moi, s’ils nous font chier jusqu’à Noël, je vais péter un plomb! »

A lire aussi: Réforme des retraites: les femmes pénalisées

Naguère, les révolutionnaires se battirent pour avoir l’estomac plein, ils eurent la tête du roi. Près d’un siècle plus tard, deux mois d’insurrection remuèrent la capitale. Gustave Flaubert, ami des bohémiens et de l’« Autre » avant la lettre n’eut aucune sympathie pour les Communards. Aujourd’hui, les révolutionnaires de la CGT manifestent pour leur retraite. Flaubert aurait-il été de leur côté? On peut raisonnablement en douter. En revanche, Victor Hugo en aurait sans doute fait de très beaux vers. Quant au justicier Zola, ça lui aurait bien inspiré un de ces romans feuilleton qui n’en finissent jamais et dont il eut le secret.

Les vieux sont l’avenir de la France

Il n’y a pas que les « rouges » de la CGT qui aient changé. En Mai 68, la jeunesse aspirait à changer le monde. Aujourd’hui, des étudiants de vingt ans s’inquiètent pour leur retraite. La vieillesse a colonisé les esprits à un point tel que les jeunes aspirent à vivre vieux, bouffer vieux -à travers le fameux bio- ont des rêves de vieux, pensent vieux, bref, vivent comme des vieux. Au tout début du XXème siècle, Blaise Cendrars quittait la Suisse à l’âge de seize ans pour séjourner en Russie, se moquant de sa retraite comme de sa dernière communion. Il mena une vie extraordinaire et nous légua de délicieux poèmes.

Aujourd’hui, le goût de l’aventure et de la découverte du monde n’est plus, la jeunesse veut de l’argent, du confort et une « bonne situation », elle se projette déjà en petit vieux. Comme par magie, l’apocalypse écologique est envolée, la fin du monde n’aurait finalement pas lieu. Faisant soudainement fi des fumeuses théories de l’effondrement et des prévisions du saint GIEC, des gaillards de vingt-cinq ans rêvent de prendre leur retraite dans moins de quarante ans et de vivre comme des papis jusqu’à cent ans.

A lire aussi: Réforme des retraites: et la démographie française?

Tout le monde s’accorde sur un point: le vieux est un témoin. Dans quarante ans, des millions de petits vieux pourront témoigner que l’apocalypse écologique annoncée en leur temps était infondée. Les futurs vieux seront colorés. Ils pourront témoigner que la théorie du « grand remplacement », en revanche, si  dure à admettre soit-elle, n’était pas aussi fantaisiste que veulent le faire croire les progressistes. Ils pourront aussi témoigner que durant leur jeunesse, les «rouges » de la CGT, si utopistes soient-ils, auront tenté de conserver une zone de confort que les prévisions du monde économique estimèrent caduque.

Les vieux sont l’avenir de la France, les vieux sont l’avenir de l’Europe. Les vieux méritent notre profond respect, les vieux n’ont pas fini de nous inspirer. Ensemble, clamons le haut et fort: que vivent les vieux! Et prions pour vivre tous vieux, riches, et en bonne santé, à des années lumières de la retraite du Père Goriot dépeinte par Balzac en son temps.

Du monde entier au cœur du monde: Poésies complètes

Price: 12,30 €

29 used & new available from 2,16 €


Le Père Goriot

Price: 3,00 €

98 used & new available from 1,00 €

Gandhi raciste?

0
(c) The Associated Press

Des universités font un reproche terrible au héros de l’indépendance indienne. Le retrait de statues est même demandé.


Héros de l’indépendance indienne, le Mahatma Gandhi ne fait plus l’unanimité. Depuis cet hiver, l’association étudiante Manchester Student Union (MSU) l’accuse du pire des maux contemporains : le racisme. Sous le hashtag #GandhiMustFall (#Gandhidoittomber), ses militants ont lancé une campagne Twitter doublée d’une pétition en ligne exigeant le déboulonnage de la statue de bronze de 2,75 mètres récemment installée devant l’université mancunienne.

Dans une lettre adressée au conseil municipal de Manchester, la MSU cite les propos peu amènes qu’a tenus Gandhi durant son séjour en Afrique du Sud. Sous sa plume, notamment dans ses articles à l’Indian Opinion, les Africains apparaissent comme des personnes « sauvages », « non civilisées » et « sales comme des animaux ». Et pour alourdir son dossier, ces étudiants en quête d’une cause reprochent à Gandhi de s’être rendu « complice des exactions raciales au sein de l’empire britannique en Afrique ».

A lire aussi : Démocrates: le parti des minorités et des intellectuels

Avant d’agiter Manchester, l’affaire a démarré au Ghana, pays chantre du panafricanisme, qui a exhumé de vieux textes où le Mahatma fait l’apologie de la pureté raciale. Choquée, l’université d’Accra a fait déboulonner la statue du héros de l’Inde. À quelques milliers de kilomètres de là, la Manchester Student Union entend bien lui emboîter le pas, dénonçant par ailleurs l’utilisation de l’image du Mahatma par le gouvernement de New Delhi comme « outil de propagande ».

Une fois n’est pas coutume, les élus ont refusé de céder aux oukases du syndicat étudiant. « Gandhi a inspiré les dirigeants africains, y compris Nelson Mandela, […] c’est un citoyen du monde et une icône de la paix. La statue de Manchester est ici pour célébrer le pouvoir universel de son message », ont répondu les élus de Manchester. Loin de se laisser convaincre, les syndicalistes étudiants ont exigé des excuses du conseil municipal, le sommant par ailleurs de « commémorer un militant antiraciste noir ayant eu des liens avec Manchester, comme Olive Morris ou Steve Biko ».

A lire aussi: Evergreen: quand l’antiracisme devient fanatique

Contre vents et marées, la statue a bel et bien été inaugurée le 25 novembre à Manchester en présence des officiels indiens.

Gare à ce qu’elle ne tombe pas de son piédestal.

Mon chemin de paix

Price: 6,00 €

22 used & new available from 2,01 €

L’intelligence poétique ou le « en même temps » kunderien

10
Milan Kundera photographié en 1968 © Pavel Vacha/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22405015_000009

Le concept d’intelligence poétique se retrouve dans toute l’oeuvre du génie franco-tchèque.


Les romans et les essais de Kundera font appel en même temps à notre sens de la beauté et à notre intelligence. La zone du cerveau qui concentre ce en même temps est minuscule. Elle est rarement stimulée par les auteurs ; ils préfèrent s’adresser soit à notre sens esthétique en titillant nos émotions, soit à notre intelligence en pariant sur notre capacité de raisonnement, rarement aux deux en même temps. Pour le dire autrement, Kundera parle à ce que l’on pourrait appeler notre intelligence poétique.

Poétique?

Le mot poétique pourrait être mal compris ici, avec sa charge lyrique, car Kundera se méfie du lyrisme. Il a par exemple écrit un roman, La vie est ailleurs qui est une immense gifle au visage du lyrisme comme moteur poétique. Il abhorre le kitsch qui est, pour reprendre sa propre définition, la « traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion », ce kitsch qui « nous arrache des larmes d’attendrissement sur nous-mêmes, sur les banalités que nous pensons et sentons » (La Lenteur). Si Kundera se méfie de nos larmes, il déteste surtout cette seconde larme qui nous vient quand nous nous regardons pleurer. Si votre objectif de lecture est de ressentir les « émotions » des personnages, passez votre chemin, n’ouvrez aucun roman de Kundera. Ce n’est pas par leurs émotions que Kundera explore ses personnages, mais par leurs actes.

Alors pourquoi cette expression d’intelligence poétique? Parce que c’est par la beauté que Kundera s’adresse à notre intelligence. La beauté des métaphores, la beauté des mondes perdus. Pas par le rationnel. Lisez Kundera pour comprendre le monde à l’aide de métaphores.

Dans L’Immortalité, Kundera invente un personnage délicieux, le Professeur Avenarius, drolatique, joueur, inventeur de la mathématique existentielle, qui remet par exemple un diplôme d’âne intégral à l’insupportable journaliste Bernard Bertrand. Kundera se met lui-même en scène dans des dialogues avec Avenarius, censé être son ami. Dans la septième et dernière partie de ce chef d’œuvre, il écrit, parlant d’Avenarius: « Un jour, j’avais essayé de lui expliquer que l’essence d’un homme n’est saisissable que par une métaphore. Par l’éclair révélateur d’une métaphore. Depuis que je connais Avenarius, je cherche en vain la métaphore qui le saisirait et me permettrait de le comprendre. »

On pense donc ne jamais saisir l’essence d’Avenarius, mais Kundera joue avec nous, puisque la forme est chez lui inséparable du fond: la légèreté de la forme sert l’insoutenable légèreté du fond. Quand, soudain, à l’avant dernière page du roman, on lit : « Je lui dis : « Tu joues avec le monde comme un enfant mélancolique qui n’a pas de petit frère. » Voilà! Voilà la métaphore que je cherche depuis toujours pour Avenarius! Enfin! »

L’éclair révélateur de la métaphore

Le choix de ses métaphores est aussi précis que le choix de ses mots. Ses métaphores ne sont pas celles de la poésie lyrique, seul leur « éclair révélateur », leur capacité à expliciter le monde, compte. Si elles déclenchent quand même l’émotion, c’est par l’émerveillement devant la lumière de la connaissance qu’elles nous apportent, par cette joie face au rideau enfin déchiré qui nous camouflait le monde (Le Rideau, essai magnifique).

La lecture de Kundera entraîne un double mouvement : elle nous révèle en même temps une évidence (nous le savions, bien sûr!) et notre ignorance de cette évidence au sens où ne l’avions jamais verbalisée, jamais exprimée avec cette simplicité. Notre compréhension intuitive du monde reste enfouie sans la médiation de la beauté des métaphores kunderiennes, elles éclairent la connaissance qui se cachait dans l’obscurité, au fond de notre cerveau. Puisqu’il déchire le rideau lyrique qui nous dissimule le monde, puisque, comme il le dit, la merde devient visible, le kitsch servant uniquement à la cacher, certains peignent Kundera en une sorte de pessimiste radical. Ils confondent lucidité et pessimisme. Au contraire, en nous ouvrant les yeux, son œuvre nous montre également qu’un peu en retrait, un peu à l’écart de ce monde incompréhensible et incontrôlable, la beauté existe, dissimulée, si nous savons la chercher.

Même l’insignifiance est belle

Kundera a publié à plus de 80 ans La fête de l’insignifiance où il nous raconte, en s’amusant, ce que la vie lui a appris, et ça aussi nous le savions déjà (-attention c’est court!-) : l’homme est insignifiant.

« L’insignifiance, mon ami, c’est l’essence de l’existence. Elle est avec nous partout et toujours. Elle est présente même là où personne ne veut la voir: dans les horreurs, dans les luttes sanglantes, dans les pires malheurs. Cela exige souvent du courage pour la reconnaître dans des conditions aussi dramatiques et pour l’appeler par son nom. Mais il ne s’agit pas seulement de la reconnaître, il faut l’aimer, l’insignifiance, il faut apprendre à l’aimer ». Ce constat, qui pourrait être tragique, est sauvé par l’amour de la beauté: «il faut l’aimer, l’insignifiance, il faut apprendre à l’aimer ». Parce que même l’insignifiance est belle. Mais c’est compliqué d’aimer l’insignifiance, c’est compliqué de voir sa beauté, il faut du temps, de l’expérience.

Dans Le Livre du rire et de l’oubli, écrit 35 ans avant La Fête de l’insignifiance, Kundera invente une magnifique métaphore de la frontière: « Il suffisait de si peu, de si infiniment peu, pour se retrouver de l’autre côté de la frontière au-delà de laquelle plus rien n’avait de sens: l’amour, les convictions, la foi, l’histoire. Tout le mystère de la vie humaine tenait au fait qu’elle se déroule à proximité immédiate et même au contact direct de cette frontière, qu’elle n’en est pas séparée par des kilomètres, mais à peine par un millimètre. »

Kundera vous observe

Avec l’âge sans doute marche-t-on de plus en plus souvent du mauvais côté de la frontière, du côté où tout paraît insignifiant. Et peut-être que cette promenade du mauvais côté est de moins en moins désagréable parce que, justement, on a appris à reconnaître la beauté de l’insignifiance, on a appris à l’aimer l’insignifiance, comme dit le génie franco-tchèque.

Depuis toujours promeneur quotidien du mauvais côté de la frontière, Kundera nous observe en souriant, lorsque nous essayons, vainement, de rester du bon côté.

La vie est ailleurs

Price: 10,00 €

53 used & new available from 1,58 €

La lenteur

Price: 6,80 €

51 used & new available from 1,20 €

L'Immortalité

Price: 10,30 €

36 used & new available from 2,32 €

Le rideau

Price: 8,50 €

23 used & new available from 1,80 €

La fête de l'insignifiance

Price: 8,00 €

41 used & new available from 2,28 €

Le livre du rire et de l'oubli

Price: 9,50 €

41 used & new available from 0,59 €

Au passage, un petit hommage de Kundera à Philip Roth:

« L’inimitable désinvolture ironique, voilà ce qui rend l’œuvre de Philip Roth, pour utiliser le beau mot français intraduisible dans d’autres langues, irrécupérable. »

Milan Kundera, in Préface au roman de Philip Roth, Professeur de désir, Septembre 1982

Jérôme Sainte-Marie: « Le macronisme reste structurellement minoritaire »

248
Jérôme Sainte-Marie (c) Manuel Braun

Le politologue Jérôme Sainte-Marie ausculte la société française dans son essai Bloc contre Bloc. Il identifie un conflit de classes entre un bloc élitaire pro-Macron et un bloc populaire incarné par Marine Le Pen. Pour 2022, rien n’est joué.


Causeur. Depuis 2017, Emmanuel Macron a anéanti ces deux grands cadavres à la renverse qu’étaient le PS et LR. Or, tout en reconnaissant son caractère largement artificiel, vous semblez regretter le bon vieux clivage droite-gauche.

Jérôme Sainte-Marie. Je ne regrette rien, mais je constate que le remplacement partiel du clivage gauche-droite par un clivage entre un bloc élitaire et un bloc populaire n’a fait qu’accroître les tensions sociales. Par le jeu des traditions locales ou familiales, droite et gauche étaient des ensembles largement culturels dans lesquels cohabitaient des classes populaires, moyennes et dominantes. Ces deux synthèses interclassistes sont remplacées par une polarisation politique en fonction du rapport à la mondialisation, sur des bases directement liées aux ressources économiques et scolaires des individus.

En somme, la lutte des classes oppose désormais deux « blocs historiques » au sein de la société : le bloc élitaire et le bloc populaire. Si on admet que les gilets jaunes ont mobilisé une partie du bloc populaire, quelle est la base sociale du bloc élitaire macroniste ?

Précisons d’abord que j’emprunte la notion de « bloc historique » au marxiste Antonio Gramsci. Au-delà d’une simple coalition politique, c’est un projet collectif visant à la domination sur la société, à partir d’une construction sur un triple plan, idéologique, politique et surtout sociologique.

Le bloc élitaire au pouvoir a pour noyau dur l’élite réelle, c’est-à-dire les couches dirigeantes de la société dans le monde des affaires et la haute administration. Ces élites se sont mises en scène dans la commission Attali, dont Emmanuel Macron fut le rapporteur général adjoint. Mais le bloc élitaire est aussi constitué de deux autres cercles plus larges. Tout d’abord l’élite « aspirationnelle », qui correspond au monde des cadres, ceux qui veulent « en être ». Ses membres partagent l’idéologie de l’élite réelle : le culte de la réussite individuelle, l’amour de la construction européenne, un rapport détendu à la mondialisation et un discours managérial. Ensuite, il faut compter avec une partie des retraités, ceux qui forment ce que j’appelle l’élite par procuration. Quelle que soit leur condition sociale, ils ont tendance à déléguer la protection de leurs intérêts à l’élite et se défient des forces antisystème qui leur paraissent menacer une stabilité économique dont dépendent leurs revenus.

On ne saurait résumer l’électeur macroniste à la caricature du nomade mondialisé. La petite bourgeoisie urbaine et rurale, traditionnellement modérée, s’est-elle agrégée au bloc macroniste ?

Dans un premier temps, Macron a plutôt incarné la frange la plus dynamique de la bourgeoisie liée au capitalisme mondialisé. Pour reprendre la classification de David Goodhart, le candidat Macron de 2017 s’adressait davantage aux anywhere qu’aux somewhere par son éloge constant de la mobilité, de l’adaptation et du changement. Les parties conservatrices de la bourgeoisie provinciale se retrouvaient plutôt dans le vote Fillon. Puis, voyant se faire des réformes et du fait de la peur suscitée par le mouvement des gilets jaunes, cette bourgeoisie patrimoniale a migré vers le vote LREM aux européennes. Le macronisme aura donc accompli une triple réunification – politique, idéologique et sociologique : politique, en réunissant la gauche et la droite libérales ; idéologique, en assumant la convergence du libéralisme culturel et du libéralisme économique, comme l’analyse Jean-Claude Michéa ; et sociologique, car Macron a réuni une bourgeoisie jusqu’alors divisée en des forces politiques concurrentes. C’est un phénomène lourd de conséquences sur le climat social et le débat public.

A lire aussi : Réforme des retraites: les femmes pénalisées

Pourquoi ?

L’autocontrôle des classes dominantes a énormément diminué. Autrefois, les instances de direction et de contrôle de la société – Conseil constitutionnel, Conseil d’État, CSA, instances économiques, judiciaires… – comptaient en leur sein une équipe de gauche et une équipe de droite. Bien que tous issus de la France d’en haut, ses membres se surveillaient et maintenaient un certain pluralisme, car lorsqu’une des deux équipes en concurrence était au pouvoir, l’autre campait dans l’opposition et se préparait à l’alternance. Maintenant que ces élites sont réunifiées, leur pouvoir s’est débridé.

Mais le président Macron semble avoir infléchi sa politique. Plus ferme sur l’immigration, critique du dogme bruxellois des 3 % de déficit, Macron amorce-t-il un virage populiste à rebours de son tropisme libéral-libertaire ?

Je ne crois pas. Ce sont plutôt des tentatives de triangulation : Macron va chercher les thèmes de ses concurrents politiques directs. Il a tendance à monopoliser le débat politique pour une raison précise : le macronisme reste structurellement minoritaire. L’attachement profond au modèle social et le caractère minoritaire de la volonté de réforme dans le pays font courir un danger terrible d’isolement au bloc élitaire. Rien d’étonnant à ce que Macron essaie de sortir de l’enclavement de ce bloc, dont l’influence oscille entre le quart et le tiers du corps électoral.

Entre les attentes de sa base électorale et les aspirations de la majorité des Français, le président peut-il ménager la chèvre et le chou ?

Non. La parole politique ne peut se détacher des contraintes de son terreau électoral. Avant toute chose, il faut coller aux aspirations, aux intérêts et aux valeurs de ses partisans. Le macronisme est cohérent, stratégiquement très intelligent pour donner le maximum de force propulsive à la transformation du modèle social français, tel qu’il est exigé par la construction européenne, par la mondialisation et, pour certains, par la raison. Mais à force de trianguler, il encourt le danger de populariser les thèmes de ses adversaires.

La frontière entre partisans et adversaires du pouvoir macroniste n’est pas toujours très nette. Penchons-nous sur le cas des retraités. Ils représentent 17 millions de citoyens, soit le tiers du corps électoral et leur pension mensuelle est en en moyenne de 1 400 euros. Ont-ils hésité entre les gilets jaunes et le vote LREM ?

Un ensemble social aussi vaste que les retraités ne peut être homogène. Cependant, le « survote » pour Macron parmi les retraités m’a frappé dès la présidentielle. Malgré la concurrence très vive de Fillon, Macron a rassemblé 26 % de leurs suffrages. En 2017, à rebours de l’image dynamique donnée par le président, plus on était âgé et plus on a voté Macron. Et, en même temps, d’autres retraités ont soutenu en nombre les gilets jaunes sur les ronds-points durant les premiers mois du mouvement. Mais, je le répète, observés globalement, les retraités sont enclins à soutenir l’élite.

Vous évoquez à leur sujet ceux que Marx appelait les « paysans parcellaires » de 1848. En quoi ces petits propriétaires agricoles sont-ils comparables aux retraités d’aujourd’hui ?

Je m’inspire des réflexions de Karl Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Marx constate que ces paysans parcellaires, de loin les plus nombreux, et pas forcément les plus prospères, se solidarisent avec le pouvoir exécutif. Ils ne parlent pas en leur nom, mais délèguent le pouvoir à des forces sociales dominantes. Pourquoi ? Dans la France de 1848, ces agriculteurs qui ont acquis ou consolidé leur droit de propriété sur le sol lors de la Révolution vivent très difficilement. Enfermé dans le périmètre de sa petite parcelle, chacun d’entre eux est suspendu à la garantie de sa propriété par l’État et le pouvoir en place. Face à la contestation sociale, ce sont donc les principaux garants du système, comme les retraités aujourd’hui.

En 2005, ces derniers ont voté très largement pour le oui à l’Europe, puis ont massivement boudé Mélenchon et Le Pen en 2017, car ils s’inquiètent beaucoup des menaces pesant sur l’euro. S’ils approuvent les réformes libérales, c’est parce que leur revenu mensuel dépend du travail des actifs. Or, ils représentent près d’un électeur inscrit sur trois.

Cela ne fait pas les affaires de Mélenchon ! Traditionnellement républicain, le chef de la France insoumise multiplie les signes d’adhésion au multiculturalisme, comme l’illustre sa participation à la manifestation anti-islamophobie du 10 novembre. Comment expliquer ce virage ?

J’ai du mal à expliquer comment on peut à ce point se tromper et piétiner ses propres intérêts. En 2017, le bloc populaire se partageait entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. La moitié des électeurs insoumis était, par exemple, hostile à l’accueil de l’Aquarius. Alors qu’une part de son électorat du 23 avril exprime une demande forte de rigueur républicaine, de contrôle des flux migratoires et de laïcité, Mélenchon accentue depuis deux ans son parti pris promigrants.  Localement, cela peut parfois s’expliquer par des raisons électoralistes. Mais, plus globalement, la culture politique des militants insoumis joue beaucoup. Venant essentiellement de la gauche, ils en partagent les codes, dont le refus de critiquer l’immigration, hérité de SOS Racisme et d’une certaine culture chrétienne de gauche. À gauche, de Hamon à Mélenchon, tant de monde se raconte les mêmes histoires sur l’immigration !

A lire aussi : Aimez-vous pour la France!

Sur le plan stratégique, la France insoumise a commis une erreur majeure en croyant que l’affaiblissement du clivage gauche-droite n’était qu’une parenthèse et qu’on y reviendrait vite. Mélenchon avait intelligemment mis sous le boisseau la notion de gauche durant la campagne présidentielle, mais il a ensuite repris tous les codes de la gauche en espérant la réunifier autour de lui. Cela a amené à l’effondrement de La France insoumise (6 % aux européennes) et rend impossible l’unification d’un bloc populaire autour de Mélenchon.

Puisque la France insoumise est dans l’impasse, le RN a-t-il une chance de conquérir le pouvoir, malgré la déconfiture de Marine Le Pen en 2017 ?

Oui. En 2017, il était évident que Le Pen était la principale chance de Macron, qui n’avait qu’à accéder au second tour pour prendre le pouvoir ; en 2022, ce raisonnement peut parfaitement s’inverser. La radicalité du projet macroniste et la force des oppositions qu’il suscite, ainsi que le phénomène classique d’usure du pouvoir, peuvent provoquer sa défaite. Cela donne une chance sérieuse au candidat qui représentera les intérêts des catégories populaires et des classes moyennes inférieures. De fait, le RN est arrivé en tête aux européennes, malgré un corps électoral très défavorable, les catégories populaires s’y mobilisant fort peu.

Le RN n’est-il pas prisonnier d’une sociologie trop étroitement populaire qui l’exclut du pouvoir ?

Marine Le Pen est évidemment très clivante et peut-être trop identifiée aux classes populaires. Il y a un effet de miroir assez fascinant entre Macron et Le Pen, car ils sont tous deux prisonniers des milieux sociaux qui votent pour eux. Or, si le bloc élitaire et le bloc populaire polarisent la vie sociale et politique, ils ne l’épuisent pas. Tout se jouera au niveau des classes moyennes qui, divisées, cherchent encore des options alternatives, tel le vote écologiste aux européennes. Comme le montrent les sondages, un second tour Macron-Le Pen se jouerait actuellement à 55 % contre 45 %. Malgré l’avantage actuel pour le probable candidat sortant, 2022 s’annonce donc comme une élection à l’issue incertaine.

Certains estiment que le poids démographique de l’immigration musulmane influera sur le vote. Est-ce un fantasme ?

Largement. Autant la question de l’immigration constitue un facteur de vote très important, autant c’est une réalité électorale très surestimée. Il y a sans doute 8 millions de musulmans en France, la plupart issus de l’immigration récente, dont 2 millions sont d’ailleurs étrangers. Une partie d’entre eux n’étant ni majeurs ni inscrits sur les listes électorales, et beaucoup des inscrits s’abstenant, leur influence n’est pas considérable dans un scrutin national.

De plus, comme les chrétiens ou les juifs, les musulmans ne votent pas tant comme musulmans qu’en fonction de leurs intérêts pratiques. Issus de l’immigration récente, ils commencent un parcours plutôt en bas de l’échelle. De ce fait, ils sont souvent bénéficiaires de l’État social. C’est l’une des raisons du « survote » Hollande contre Sarkozy en 2012.

Les facteurs culturels ou religieux comptent-ils si peu que cela ?

Les facteurs identitaires ou culturels sont évidemment importants dans le vote mais, selon mon analyse, ils forment un élément second par rapport à la problématique sociale. Chez certains électeurs musulmans, l’appartenance peut contrarier le vote pour certains candidats identifiés à tort ou à raison comme hostiles à l’islam, notamment Marine Le Pen. Dans le passé, il arrivait de la même manière, que le catholicisme du milieu ouvrier local le dissuade de voter communiste. Si les musulmans de condition modeste rechigneront à choisir le candidat de l’élite, ils auront beaucoup de mal à se rallier à celui du RN. Cela devrait les inciter encore davantage à l’abstention.

Bloc contre bloc - La dynamique du Macronisme

Price: 8,20 €

33 used & new available from 1,82 €

 

Nouvel antisémitisme: les députés découvrent la lune

389
Le President du CRIF Francis Kalifat et le députe LREM Sylvain Maillard, en 2018 © Erez Lichtfeld/SIPA Numéro de reportage: 00848498_000035

Les textes en vigueur suffisent. Il serait contre-productif de légiférer contre l’antisionisme.


« De l’encre et du temps parlementaire dépensés pour rien » : Barbara Lefebvre a parfaitement résumé l’affaire. Le texte adopté le 3 décembre par l’Assemblée nationale (par 154 voix contre 72), qui fait de l’antisionisme une des formes de l’antisémitisme, est parfaitement inutile puisqu’il n’a aucune valeur contraignante ou normative. Le festival de tribunes publiées à son sujet a en outre permis, à un certain nombre d’intellectuels juifs, de laver de tout soupçon d’antisémitisme des islamo-gauchistes dont beaucoup d’ailleurs, ne voient même pas que leur haine d’Israël, comme celle des « capitalistes » aboutit presque toujours à désigner des juifs, puis les juifs, comme coupables de multiples maux.

Quand l’antisémitisme se cache derrière l’antisionisme…

Défendue par le député LREM Sylvain Maillard, la résolution 361 (publiée sur le site de l’Assemblée nationale avec la mention « petite loi ») a semble-t-il été voulue par le Président de la République. L’objectif louable de ses promoteurs est d’enrayer la progression des actes antijuifs, dont le nombre a augmenté de 74% en 2018 – sans oublier que, depuis 2006, 11 Français ont été tués parce qu’ils étaient juifs. La résolution, qui se réfère à la définition de l‘antisémitisme adoptée par l’Institut international pour la mémoire de l’Holocauste), n’emploie pas le mot « antisionisme » mais évoque les « manifestations de haine à l’égard de l’État d’Israël justifiées par la seule perception de ce dernier comme collectivité juive ». Définition qui a donné lieu à un malentendu intéressé, les adversaires du texte feignant d’y voir la négation de l’existence des 20 % de citoyens israéliens qui ne sont pas juifs.

A lire aussi: 7% des musulmans ont été agressés en raison de leur religion et 34% des juifs

Il ne s’agit nullement, donc, de douter de la bonne volonté de Sylvain Maillard, François Pupponi ou Eric Ciotti qui ont tous trouvé le ton juste pour évoquer ces juifs qui ont perdu confiance dans leur pays. Reste que ce débat avait quelque chose de surréaliste. L’émergence et la propagation, dans nos Territoires perdus, de ce qu’on a appelé le nouvel antisémitisme, datent des années 2000. Après les attentats de 2015, il était même devenu possible de le nommer et de dire qu’il ne venait pas de l’extrême droite mais du fondamentalisme islamique. Si des juifs ont quitté la Seine Saint-Denis ou la France, ce n’est pas par peur de l’extrême droite mais parce qu’ils ne se sentaient plus en sécurité dans les quartiers islamisés. La Palestine faisant par ailleurs partie de la panoplie obligatoire des bonnes causes extrême gauchistes, elle est le point de rencontre idéal entre gauchistes et islamistes, autrement dit, l’un des meilleurs ciments de la mouvance islamo-gauchiste. Ajoutez à ce brouet idéologique une bonne dose de haine des riches, et vous avez des Gilets jaunes qui dénoncent le « complot sioniste ». Comme le dit Guillaume Erner, pour pas mal de gens (qui n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe en Israël), le « sioniste » est pire qu’un vampire.

L’agression d’Alain Finkielkraut à Paris

C’est ainsi que, comme l’a raconté François Pupponi, Eva Sandler, dont le mari et deux enfants ont été assassinés en 2012 (avec une autre petite fille) par Mohamed Merah, a, deux ans plus tard, entendu passer, sous sa fenêtre, à Sarcelles, une manifestation où l’on criait : « Mort aux juifs ! Mort à Israël ». Et c’est ainsi qu’en février dernier, Alain Finkielkraut a été agressé par un islamiste qui a hurlé : « Sale sioniste de merde ! » Même les sourds ont entendu qu’il voulait dire « sale juif ».

Que, dans ce climat, la « lutte du peuple palestinien » soit devenue l’alibi idéal pour haïr les juifs-sionistes, il faut vraiment des œillères idéologiques pour ne pas le voir – rappelons-nous le parti antisémi… pardon antisioniste de Dieudonné.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: On ne refera France ni par la violence, ni par la complaisance

Bien entendu, les adversaires du texte ont eu beau jeu de brailler qu’on voulait museler la critique d’Israël. Ce qui est presque comique, comme l’était le titre d’un livre de Pascal Boniface : A-t-on le droit de critiquer Israël ? Il serait en effet plus pertinent de se demander si on a le droit de ne pas le critiquer. Israël est l’un des rares Etats dont la remise en cause du droit à exister soit le cœur d’une doctrine politique (si tant est que l’antisionisme mérite ce qualificatif). Dans maints cas, il ne s’agit plus de critique mais de haine. Quand on compare Gaza à Auschwitz, non seulement on commet un crime contre la vérité, mais on installe dans les esprits faibles la conviction que tous les juifs qui aiment Israël sont complices des assassins.

Un texte inutile

En somme, la résolution Maillard est dans le vrai : l’antisionisme est le plus souvent le cache –sexe de l’antisémitisme. Cette résolution est pourtant non seulement inutile, mais dangereuse.

Inutile parce que tout d’abord, répétons-le, il s’agit d’une pure pétition de principe dont la seule vertu est de faire plaisir à ses promoteurs – et à une partie des Français juifs –, et qu’ensuite, la loi française sanctionne déjà l’appel à la haine que ce soit envers les Patagons, les Israéliens ou les pêcheurs à la ligne transgenres.

Elle est dangereuse parce qu’elle nourrit la compétition victimaire et le parallèle délétère entre juifs d’hier et musulmans d’aujourd’hui – ainsi que le sentiment qu’il « n’y en a que pour les juifs ». Elle permet en outre aux islamo-gauchistes qui assimilent toute critique de l’islam à de la haine (tout en faisant passer la haine d’Israël pour de la critique), de s’emparer de l’étendard de la liberté d’expression. Le regretté professeur George Steiner a pensé toute sa vie que la solution nationale n’était pas la bonne pour les juifs – ce qui faisait de lui un antisioniste au sens strict du terme. Il ne souhaitait évidemment pas la disparition d’Israël. Et puis, à tout prendre, mieux vaut laisser passer des discours douteux et leur répondre par l’argumentation que courir le risque, si minime soit-il, de censurer des opinions légitimes, fussent-elles blessantes ou choquantes pour les uns ou les autres.

Cependant, rassurons-nous. Le lendemain de l’adoption de la résolution, histoire de satisfaire tout le monde, Christophe Castaner a annoncé la création d’un « bureau national contre la haine ». Interdire la haine, rien que ça. Il y a quelque chose de touchant dans cette naïveté administrative. À défaut d’extirper le mal du cœur des hommes, il existe des lois censurant, plus modestement, non pas la haine elle-même mais ses expressions les plus dangereuses. Et en tout état de cause, il devrait être possible, encore plus modestement, de faire appliquer les textes qui répriment les agressions.

Cuisine bourgeoise

27
Jessica Préalpato, chef pâtissière du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée, élue « meilleur chef pâtissier du monde » en juin 2019.

Emmanuel Tresmontant publie dans Causeur-papier de ce mois de décembre un stimulant article sur « la Brigade des femmes » qui fait l’historique de la cuisine aux XIXe et XXe siècle — avec des aperçus sur le XXIe.


Emmanuel Tresmontant rappelle ainsi qu’« en 1911, à Paris, on recensait plus de 4000 cuisiniers œuvrant pour le compte des grandes maisons » — non des grands restaurants, un concept qui émergeait à peine, mais des hôtels particuliers des grandes familles : « c’est dans ces maisons privées, où l’élite politique et culturelle du pays se retrouvait chaque semaine, que la cuisine française atteint son apogée. »

Ces 4000 cuisiniers sont tous des hommes. Les femmes sont alors reléguées (elles sont plusieurs dizaines de milliers) à la périphérie de la gastronomie, dans le tout-courant de la restauration, à une époque où peu d’appartements disposaient d’une cuisine autonome. On se fait monter les petits plats cuisinés dans les antres des cuisinières. Et Tresmontant a raison de dire qu’elles sont volontiers stigmatisées par la littérature — voir l’abominable Cibot qui se charge, dans le Cousin Pons, de circonvenir, à coups de petits plats mijotés, le grand collectionneur gourmand dont tout un chacun convoite les possessions.

A lire aussi : La vérité si je mange!

Certains pourtant les épousent : voir Zola, qui « traite » chaque jeudi ses amis romanciers chez lesquels il pioche, en cours de repas, les idées de ses futurs romans (dixit Edmond de Goncourt, toujours mauvaise langue) et qui a épousé avec Gabrielle un fin cordon bleu, capable de lui mijoter « les petits plats, cuisinés comme en province, cuisinés avec la foi et la religion d’une cuisinière en le génie de son maître » (Goncourt encore). Bouillabaisse, civet de lièvre, volaille rôtie — les spécialités « bourgeoises » et provinciales transmises de mère à fille depuis lurette, et que j’ai pour ma part apprises en regardant faire ma grand-mère, sagement accoudé à la table de la cuisine où elle épluchait ses poireaux et où je faisais mes devoirs.

Mais très vite, lorsque le train de vie du couple Zola change, après les grands succès du romancier, Gabrielle (qui a repris son premier prénom d’Alexandrine) s’offre une cuisinière professionnelle dont elle compose les menus : « Un potage queue de bœuf, des rougets de roche grillés, un filet aux cèpes, des raviolis à l’italienne, des gelinottes de Russie et une salade de truffes, sans compter du caviar et des kilkis en hors d’œuvre, une glace pralinée, un petit fromage hongrois couleur d’émeraude, des fruits, des pâtisseries. Comme vin, simplement du vieux bordeaux dans les carafes, du chambertin au rôti, et un vin mousseux de la Moselle, en remplacement du vin de Champagne, jugé banal » — c’est dans l’Œuvre. A noter que ce repas est un échec total, les convives…

>>> Retrouvez la suite de cet article sur Bonnet d’âne, le site de Jean-Paul Brighelli <<<

L'Oeuvre

Price: 6,30 €

13 used & new available from 2,32 €


Le Cousin Pons

Price: 34,84 €

21 used & new available from 1,87 €

Grace à l’ « empouvoirement », néoféminisme et « intersectionnalité » gagnent les milieux culturels

69
Dans le cadre de la cloture du Grenelle des violences conjugales, Jean-Michel Blanquer et Marlene Schiappa au lycée Montaigne, le 28 novembre 2019 © PATRICK GELY/SIPA Numéro de reportage: 00934817_000023

L’empouvoirement est la traduction française de l’empowerment, un concept qui mêle acceptation et revendication de soi, confiance, estime, ambition et… pouvoir.



« Je déclare qu’il faut livrer aux femmes la cité »
dit Anaxagore dans l’Assemblée des femmes, pièce d’Aristophane (392 avant JC) mise au programme des classes préparatoires scientifiques. Et sa copine de renchérir : « Il est temps de se mettre en marche. » Avec La République En Marche, c’est chose faite. La démocratie est aux mains des femmes. Pas les précieuses ni les femmes savantes malmenées par Molière. Pas les bas-bleus comme Germaine (de Staël) que n’aime pas Eric Zemmour. Mais les ultra femmes : les féministes.

La roue des violences de Marlène Schiappa

Voici le règne de l’empowermeuf, l’empowerment, l’empouvoirement. Les femmes  sont partout et régentent tout. Elles ont la main sur l’homme, la maternité, l’enfant, le droit, la langue. Elles sont dans le télévisuel, l’art, le communicationnel. Elles sont à la Chambre et aux JT où elles sont dévideuses de propos à côté. Elles sont avocates et magistrates. Leur compétence ?  Le discours idéologique. Leur chasse gardée : le pouvoir sexuel. Depuis # Metoo, un regard a vite fait de passer, sur la Roue des violences de Marlène Schiappa, du rose au violet au rouge, du sexisme à l’assassinat. Leur work : faire un enfant toutes seules. Les mamans idéales sont les mamans solos ou une lesbienne multipliée par deux. Leur mot d’ordre: à bas le patriarcat ! Vive le matriarcat ! De là, l’empouvoirement du droit avec l’effacement du père: la législation se fait en faveur des femmes devenues sujettes de droit, à part entière, avec extension de leurs droits dans le domaine de la famille. Partout, les femmes sont en pétard contre les hommes dont elles ne peuvent se passer.

A lire aussi: Féminicide, féminicide, est-ce que j’ai une gueule de féminicide?

Restait le domaine de l’art où le féminisme doit s’exercer. Grâce la réhabilitation des sorcières, on revisite les contes pour enfants en changeant les pronoms de la phrase finale: « Elles se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». On connaissait les pièces censurées: celle des Suppliantes, trop raciste, et Carmen, trop machiste. Restaient l’opéra, la musique et la danse à idéologiser.

Les dernières digues sont en train de sauter

C’est une femme de gauche, Emilie Delorme, ancienne directrice de l’Académie du festival d’Aix-en-Provence, qui est pressentie pour diriger le CNSMD (Conservatoire national supérieur de musique et de danse), en remplacement de Bruno Mantovani. Pourquoi, direz-vous, Emilie Delorme, première femme à la tête de ce prestigieux organisme ? C’est que son « parcours » est exemplaire : école d’ingénieur, finance, troisième cycle de management culturel, stage à Bruxelles à la Monnaie et atterrissage à Aix. La qualité essentielle pour ce job ? La curiosité d’esprit.

Comme l’écrit Isabelle Barbéris, dans L’art du politiquement correct, les dernières digues sont en train de sauter: « l’idéologie indigéniste et intersectionnelle s’inscrit au sommet de la culture: dans les domaines prestigieux de la musique et de l’opéra. » Si, comme le nom l’indique, le mot veut dire qui conserve les savoirs, en déconstruisant les savoirs, il ne reste plus qu’à transmettre l’idéologie.

A lire aussi: Finkielkraut fait les frais de la nouvelle campagne de pub de Caroline de Haas

L’idéologie est sans surprise: tout ce qui est joué à l’opéra est sexiste, raciste et oppresseur. Il faut promouvoir la parité et la diversité. S’opposer à la blanchité, au racisé, au racisme d’Etat. Décoloniser. Bienvenue au féminisme intersectionnel. Carmen est un homme comme une autre.

Workshop pour tou.te.s!

On voit d’ici le programme: autant d’hommes que de femmes, de Noires que de Blanches, de soprano que de contralto, de chefs d’orchestre que de cheftaines. D’œuvres de musique blanche que de musique noire, de tam-tam que de violoncelles. Accueil aux talents de tout bord, à l’entrepreneuriat, à la créativité, aux projets !  Aux women workshops.

Faut-il se passer, dans le débat, du deuxième degré ? se demandait, il y a peu, Alain Finkielkraut. La réponse, est affirmative. Mieux vaut aussi se passer du détour par la littérature. Car la littérature est une bombe idéologique. Vous imaginez, de nos jours, le Médecin malgré lui, joué sur une scène de théâtre national ? Passe encore que Sganarelle dise : « …Aristote a bien raison quand il dit qu’une femme est pire qu’un démon. » On peut recontextualiser. Et applaudissements, quand le voisin, Monsieur Robert, intervient dans la dispute conjugale pour dire son indignation: « Peste soit le coquin de battre ainsi sa femme! » Mais vous imaginez Martine se retourner contre Monsieur Robert, les poings sur les hanches, le faire reculer, lui donner un soufflet en lui lançant : « Et je veux qu’il me batte, moi ! Voyez un peu cet impertinent qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes ! » Imagine-t-on Molière sur un plateau télé face à Caroline de Haas ? Quel sale quart d’heure sans parler des procès à venir ! Qu’Alain Finkielkraut se rassure : avec nos femmes, mieux vaut user du premier degré… si on veut la paix.

L’Assemblée des femmes

Price: 3,50 €

24 used & new available from 1,43 €

L'art du politiquement correct

Price: 17,00 €

16 used & new available from 13,01 €

Le Médecin malgré lui

Price: 2,00 €

42 used & new available from 1,40 €

Que c’est triste Venise inondé

37
Venise inondée, le 17 novembre 2019. Numéro de reportage : 00932794_000089 Auteurs : Sergio Agazzi/Fotogramma/IPA PRESS ITALY/SIPA

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.


L’aqua alta qui, à plusieurs reprises, a partiellement submergé Venise en novembre a suscité une émotion planétaire. Il y a quelques mois, des inondations qui ont causé des centaines de morts en Asie du Sud-Est n’ont eu droit qu’à quelques lignes dans la presse. Venise inondée, comme Notre-Dame en feu, c’est un symbole. C’est aussi l’occasion de revenir sur l’image faussée d’une ville romantique pour voyage de noces. Dans Venises – au pluriel –, Morand se moque de cette naïveté : « Les romantiques tiennent bon ; ils défilent ce matin sur la place, derrière une banderole blanche : “Nous voulons la lune.” »

On pleure sur une ville dont on oublie qu’elle est une ville, simplement, comme l’écrit dans Le Monde l’écrivain vénitien Roberto Ferrucci : « Vous pourrez lire mille reportages, y compris cet article, aucun, pas même ceux qui auraient été écrits par des maîtres comme Hemingway ou Emmanuel Carrère, ne parviendrait à transmettre la douleur, la rage, l’incompréhension, la peur, toute cette gamme de sentiments que seul un habitant de Venise, seul celui qui a choisi Venise pour son caractère unique, seul celui qui y est né, peut vraiment éprouver. »

A lire aussi : Alain Finkielkraut: « L’écologie est devenue un prêchi-prêcha insupportable de suffisance »

En citant Hemingway, Ferrucci fait allusion à Au-delà du fleuve et sous les arbres, le dernier roman de l’écrivain. Un colonel américain vit ses derniers jours en compagnie d’une jeune contessa. C’est une Venise mortifère, parmi tant d’autres, comme celle d’Aschenbach dans La Mort à Venise de Thomas Mann : « C’était Venise, l’insinuante courtisane, la cité qui tient de la légende et du traquenard. » Et ce traquenard dans lequel sont pris les habitants, il y eut jadis des Italiens pour vouloir le détruire. Marinetti, chef de file des futuristes, écrivait en 1909 : « Hâtons-nous de combler les petits canaux fétides avec les décombres des vieux palais croulants et lépreux. Brûlons les gondoles, ces balançoires à crétins, et dressons jusqu’au ciel l’imposante géométrie des grands ponts de métal et des usines chevelues de fumée, pour abolir partout la courbe languissante des vieilles architectures ! » Gageons que les autorités italiennes ne choisiront pas cette solution pourtant économique et moderne.

Venises

Price: 9,50 €

60 used & new available from 1,96 €


La Mort à Venise

Price: 8,40 €

74 used & new available from 1,22 €


Au-delà du fleuve et sous les arbres

Price: 10,50 €

28 used & new available from 2,60 €

L’amour tabou

311
Photos: NICOLAS MESSYASZ / UGO AMEZ / SIPA Numéros de reportage: 00933637_000018 00932392_000001

En politique française, c’est l’impasse passionnelle. À l’heure du polyamour et du plan à trois, extrême gauche et extrême droite seraient bien inspirées de céder à l’union interdite, sous le regard des gilets jaunes qui en ont fait le lit.


Les boulevards sont noirs de monde. On prend pas les mêmes, et on recommence. La manifestation n’était plus seulement jaune, mais aussi rouge de syndicats, blanche de personnels médicaux ; un arc-en-ciel de fonctionnaires et de délaissés. Peu, ou pas de casse. En face, la rhétorique de l’exécutif est aussi prévisible qu’un clown avec sa fleur à eau : « ne pas sous-estimer l’ampleur de la protestation » tout en « restant déterminé sur les fondamentaux ». Jeu de ping-pong: on annonce déjà la prolongation des grèves qui paralysent les transports, blocages qui seront comme toujours désamorcés par quelques concessions dans le projet de loi sur les retraites. Le but est aussi d’arriver à temps pour mettre les pieds sous la table, sans que la bûche de Noël n’ait trop fondu. Mais cette fois-ci, la composition du mouvement contestataire amène à espérer autre chose qu’un bras de fer « syndicats / méchants réformateurs LREM ». L’antagonisme n’est pas uniquement social: il est sociétal, et identitaire.

La nouvelle “convergence des luttes”

L’immense dissidence que forment les syndicats, les gilets jaunes, le Rassemblement National et La France Insoumise, est intrinsèquement accordée sur la volonté de défendre un modèle français autre que celui dessiné par les sociales-démocraties, qui n’ont de social que leur nom. La sauvagerie du marché mondialisé, l’absurdité écologique qui en résulte, les privatisations, l’État qui se retire progressivement de toutes les structures qui faisaient la Nation, la dérégulation financière, l’ubérisation, la flexibilité du travail… Tout ça, ils y ont assez goûté sur leur sol ; et en voyant l’exemple allemand, ils disent définitivement « Nein ! ».

A lire aussi, Alexandre Devecchio: «Les populistes sont des lanceurs d’alerte»

Pour gouverner, les anti-libéraux n’ont numériquement pas à siphonner tel ou tel parti. Leur alliance dans les urnes les propulserait au pouvoir. Mais réduire à leur vision économique les manifestants qui constellent depuis un an les rues de France serait fallacieux. C’est tout un mode de vie qu’ils sont prêts à défendre. Ensemble ?

Point de crispation: l’immigration

À gauche, on ne tient pas la main aux fascistes. À droite, on refuse une valse avec ceux qui un mois plus tôt défilaient aux côtés des Frères Musulmans. Pourtant, le RN a su, depuis l’éviction de Jean-Marie Le Pen et l’intervalle Philippot, effectuer un virage social qui jure avec ses vieilles ambitions libérales. LFI, avec à sa tête Jean-Luc Mélenchon, ancien chantre de l’utopie des citoyens du monde, parle maintenant de « protectionnisme solidaire », à la manière d’un Montebourg décomplexé.

Le désaccord est idéologique, essentiellement porté sur la question migratoire. Ce seul point empêche tout rapprochement. En Italie, un autre grand peuple a su balayer les divergences au profit d’une cause plus grande. En futur socle de cette coalition, les gardiens de ronds-points aux tenues réfléchissantes sont en capacité d’être les guides providentiels.

Le diable s’habille en jaune

Les gilets jaunes sont à la fois l’antidote à bien des maux, et l’incarnation de cet amour impossible. Je n’ai toujours pas compris comment l’opinion avait pu avec le temps leur devenir aussi défavorable, étant donné que leurs revendications n’ont jamais bougé, et qu’ils n’ont pas, sauf absence de ma part, été aux manettes du pays. L’image, comme dans le marketing le plus avisé, serait donc plus forte que les convictions. Il aura fallu que quelques dizaines de black blocs cassent les vitrines de commerçants désemparés, et qu’un Alain Finkielkraut en pleine digestion croise la route d’un écervelé à la barbe mal rasée, qui lui vomira des insultes antisémites, pour que nombreux Français cessent de soutenir ce soulèvement historique et populaire.

A lire aussi: Les mauvais joueurs de la démocratie

« Le sceptre du pauvre est la patience », disait Bernanos dans Les grands cimetières sous la lune. À rebours de son sacre, ses opposants ont compris que la division était la meilleure arme pour lui barrer la route. La plèbe, les petites gens, les « sans-dents », appelez-les comme vous voulez, ne sont ni théoriciens, ni économistes, et Dieu merci encore moins énarques.

Au risque de rentrer borgnes, ils battent le pavé et bravent les saisons avec pugnacité. 

Leur urgence première n’était pas de formuler des doléances, mais de montrer à leurs dirigeants que la France d’en bas avait encore un pouls. Car avant toute revendication politique, eux « qui ne sont rien », viennent (se) prouver qu’ils existent encore.

Recomposition: Le nouveau monde populiste

Price: 19,00 €

23 used & new available from 2,14 €


Bloc contre bloc - La dynamique du Macronisme

Price: 8,20 €

33 used & new available from 1,82 €

Une éducation sentimentale sous la Révolution

6
michel orcel jeune homme mule
Michel Orcel. DR.

 


Avec Le jeune homme à la mule, Michel Orcel publie un roman stendhalien dans la Provence de 1790.


C’est un roman enchanteur, dont la magie fait son effet de la première à la dernière page, que nous offre Michel Orcel avec Le jeune homme à la mule. Né en 1952 dans une antique famille provençale, Michel Orcel est philosophe, islamologue et romaniste de formation. Critique littéraire et musical, il est aussi traducteur de Leopardi, Dante, Michel-Ange et D’Annunzio, entre autres. Un humaniste au sens classique du terme, également éditeur (L’Alphée) et surtout poète jusqu’au bout des ongles tant sa sensibilité transparaît dans ce magnifique roman picaresque et stendhalien, qui se lit d’une traite et avec jubilation.

Sur les routes de Provence

Tout le roman baigne dans une lumière ocre et se révèle parfumé de thym, d’orange et de bergamote – un délice. L’intrigue ? L’éducation sentimentale et politique du jeune Jouan Dauthier, patricien provençal, que nous suivons dans ses aventures sur les routes du comté de Nice encore sarde jusqu’à Gênes et à Milan. 1790 : la Révolution étend son ombre menaçante sur une Provence encore intacte. Un chanoine aux allures de maître espion recrute Jouan dans la conjuration qu’il mène au service de Rome, bien inquiète des progrès des Idées nouvelles, et surtout de la guillotine. Notre jeune espion s’éprend de la divine Giuditta, une cantatrice vénitienne au joli tempérament… tout en restant amoureux de Nanette, la fille du médecin de Sigale, son village. Orcel cite Sénèque et L’Arioste, se moque avec esprit du narrateur dont il souligne d’imaginaires défauts et s’amuse à nous promener sur les routes de sa Provence.

Une tragédie voluptueuse

La grâce du style, limpide, les jeux linguistiques, la ponctuation soignée avec art, tout concourt à rendre ce Jeune Homme à la mule délicieux. La liberté de ton du romancier, peu séduit par les blandices révolutionnaires ajoute à l’intérêt du livre, par exemple quand il fait dire à l’un de ses attachants personnages : « Le moindre maire se prend pour Caton ou Brutus et s’imagine sauver le peuple du despotisme des tyrans ; en vérité, on guillotine n’importe qui pour n’importe quoi. » Ou, justement sur le peuple, cette idole nouvelle (en 1790) : « le peuple n’est qu’une entité commode que ces canailles ont inventée pour servir leurs desseins. » Ou enfin : « Tout le monde n’était pas dupe de cette frénésie de liberté, et certains, qui seraient passés pour des imbéciles aux yeux des avocats et autres petits clercs qui détruisaient allègrement l’ordre ancien en comptant bien prendre la place de la noblesse, se doutaient que le pire était peut-être à venir ». Orcel parvient avec brio à mettre en scène une tragédie dont il atténue la cruauté par le truchement d’une légèreté sans rien de creux.

Michel Orcel, Le Jeune Homme à la mule, Pierre-Guillaume de Roux, 2019.

Le Jeune Homme a la Mule

Price: 17,90 €

12 used & new available from 3,98 €