Il y a beaucoup de questions qui trottent dans la tête de la féministe Mona Chollet. Normal: c’est une intellectuelle confirmée! Comme Donald Trump, l’auteuse à succès sait comment livrer bataille contre les «ennemis de l’intérieur»…
Journaliste de formation, Mona Chollet est devenue une « auteuse » incontournable, engagée corps et âme pour les femmes et contre le patriarcat, une militante de choc connue et révérée pour ses essais successful. Dans ceux-ci, sans concession aucune, elle épingle et c’est pour mieux les rendre inopérantes, les fourbes manœuvres ourdies de toute éternité par le mâle blanc cis-genre retors et vicieux.
Elle vend ses productions comme des petits pains
Elle identifie et propose des solutions pour contrer la figure patriarcale maligne, mue par une seule volonté, atavique, celle d’assujettir, de dominer, d’exploiter et d’humilier la gent féminine. On se souvient avec émotion des précédents opus de la dame : Beauté Fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Chez soi, une odyssée de l’espace intérieur ou Réinventer l’amour, comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.
En 2018, paraît Sorcières : la puissance invaincue des femmes. C’est pour Chollet le succès, grisant, fulgurant. Michelet avait magnifié la sorcière, Mona l’a réveillée pour en faire un modèle inspirant à destination de ses sœurs, victimes séculaires de la masculinité toxique. Sorcières s’est vendu comme des petits pains ; toutes les bourgeoises diplômées l’ont acheté et ont crânement enfourché leur balais ou leur aspirateur pour entrer en résistance contre le prédateur quinquagénaire et blanc. L’heureuse Mona, forte du matelas que lui a assuré la vente de son ouvrage majeur, a pu quitter la mine, à savoir son job de « cheffe d’édition » dans un grand journal, s’affranchissant ainsi du joug du travail et des contraintes. On la pensait sur le point de pouvoir goûter, tout en continuant à servir la cause des femmes de sa plume alerte, la liberté intellectuelle et culturelle méritée par l’excellence de son être. Héraut.e, porte-voix et défenderesse de ses sœurs opprimées mais également devenue libre de s’adonner à l’otium, elle allait pouvoir le vivre pleinement, son droit à la paresse, notre vertueuse, rendue là où son chemin de vie, juste, la menait. On l’espérait heureuse, accomplie et fière.
Ici, la voix
Las ! Sans horaires ni impératifs autres que ceux qu’elle s’impose, Mona s’emmerde et peine à organiser son temps. Comment choisir entre tous les possibles qui s’offrent à elle ? Écrire, œuvrer pour la cause féminine, lire, mater des séries, c’est vertigineux ! Le choix est cornélien. Si la situation est dramatique, elle n’est pourtant pas désespérée. Voyez plutôt. C’est encore une épreuve que la vie envoie à Mona, certes. D’autant plus que LA VOIX, celle qu’elle avait réussi tant bien que mal à tenir à distance jusque-là, profite lâchement de cette situation de faiblesse de notre femme puissante pour tenter une nouvelle offensive visant à l’envoyer au tapis. « J’ai commencé à entendre la voix dans ma tête il y a environ huit ans (…) désormais à chacune de mes maladresses, la voix se déchaînait, elle tonnait (…) Aujourd’hui (…), quand par exemple, je me plonge dans l’écriture pour une longue période, en délaissant des piles de livres en attente de lecture, ou les films et les séries à voir, elle persifle : ce serait peut-être bien de te tenir au courant et de nourrir tes travaux des autres, comme le font toutes les autrices autour de toi, non ? » Et la persécutée de poursuivre : « Et quand je m’installe dans mon fauteuil pour disparaître derrière les piles en question, la voix s’impatiente : c’est bien joli de lire à l’infini, mais il faudrait peut-être penser à produire quelque chose, toi aussi. Ce nouveau livre ne va pas s’écrire tout seul ! » Mona est victime d’une attaque en règle de la bien connue peur du bonheur. Mona ne se sent pas digne de recevoir les bienfaits dont la gratifie l’existence et elle culpabilise. L’affaire devient vite infernale puisqu’elle en a conscience : elle « culpabilise de culpabiliser ». La vie est cruelle, n’en doutons plus.
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Mona se ressaisit, heureusement. Confrontée à l’adversité, elle relève la tête et choisit le combat ; c’est une résiliente, Mona. C’est décidé, elle triomphera de l’état d’esprit délétère où la plonge la culpabilisation et œuvrera en faveur de toustes celzéceux qui le subissent. Alors, elle étudie, étudie, jusqu’au vertige et parvient à identifier l’origine du malaise subi. De ce sursaut, est né un nouvel essai, indispensable, incontournable, riche en révélations. Il va aider iels à ne plus culpabiliser quand la vie donne, quand le bonheur échoit. Cette œuvre, nécessaire, a pour titre : Résister à la culpabilisation, sur quelques empêchements d’exister.
Sentiment de culpabilité injustifié
L’essayiste y identifie avec talent l’origine de « l’ennemi intérieur », ce « sentiment de culpabilité injustifié » qui hante « les dominés » dans la société occidentale. Tenez-vous bien, les responsables sont la culture chrétienne, parce qu’elle a inventé « le péché originel » et ses tenants parce que sous prétexte de les éduquer, ils n’ont cessé, depuis toujours, de culpabiliser les femmes, les enfants et tous les fragiles. Louée soit cette révélation fracassante. Interrogée dans Libé, en date du 20 septembre 2024, Mona (à ses heures psychanalyste également) précise : « Quand les parents voient l’exubérance et la nature désirante de leur enfant, ils sont confrontés inconsciemment à ce qui a été refoulé chez eux-mêmes, enfants. La représentation se reproduit, d’une génération à l’autre. »
Et puis le patriarcat, prêt à tout pour asseoir sa domination, n’a eu de cesse, à partir du Moyen-Âge, que de rabaisser et de minoriser la femme, cette sorcière, en raison de sa supériorité flagrante, écrasante, dangereuse et dument constatée sur les mâles ; supériorité d’autant plus redoutable que la bougresse donne la vie. Ajoutez à ça toutes les dérives comportementales qu’engendrent le militantisme écologique et le féminisme, c’est sûr, on aura du mal à s’en sortir vivant.es. Dans Libé, toujours, la question est posée à Chollet : « Le militantisme féministe ou écologique peut aussi provoquer un sentiment de culpabilité. Pour vous, l’ethos militant s’apparente à celui de la religion ? » Notre Bélise, qui maîtrise son sujet, en convient mais se montre rassurante : « Toute cette énergie pourrait être utilisée à combattre les oppressions et les systèmes de domination (…) » L’essayiste entend ici défendre (on s’en doute) et en écriture inclusive (cela va de soi) « les catégories de population dominées, sur lesquelles circulent beaucoup de stéréotypes négatifs – les enfants, les femmes, les minorités sexuelles et raciales ». Des juifs, elle ne pipe mot. Chollet pointe également – on comprend qu’elle a dû en faire les frais – une société hantée « par la culture du surmenage » et marquée par « l’interdiction de s’écouter ». « Il faudrait imaginer une société où les besoins de repos et de plaisir pourraient être satisfaits de façon indépendante, gratuite (…) » Le paradis, peut-être ?
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Dans cet ouvrage remarquable consacré à la culpabilité, il est amusant enfin de relever que Mona ne cesse de s’excuser, comme si elle avait un peu conscience de l’indécence du son sujet et de la puérilité de ses chouineries : « Je suis un peu embarrassée de consacrer un livre à l’ennemi intérieur à l’époque où les ennemi.e. s extérieur.e.s sont en si grande forme. » Notre astucieuse ne se borne pas, toutefois, à pointer l’origine de la toxique culpabilisation ni à en constater simplement les ravages. Elle propose quelques astuces habiles pour lutter contre le mal. On a retenu la plus plaisante, la voici : adoptez toustes la féline attitude ! Prenez-vous pour votre chat ! Mona déclare à Libé : « Si on aime tellement les chats (…), c’est parce qu’ils ont un côté tellement détendu. Jamais un chat ne va se demander s’il a été assez productif. Ce qu’on projette sur eux est comme un exutoire imaginatif. On leur demande de porter finalement toutes les manières de vivre qu’on n’ose pas adopter. » Dans cet essai, aussi puéril que geignard, Chollet ne semble préoccupée que de son seul bien-être. En son nom, elle prône un individualisme forcené sans qu’il ne soit jamais question de supporter quelque contrainte. Quant aux seuls responsables de tous les malheurs du monde, ce sont bien sûr les mâles blancs de plus de cinquante issus de la civilisation judéo-chrétienne et thuriféraires, on s’en doute, du capitalisme. On aurait bien aimé, pour notre part, qu’elle eût songé à les remercier, au passage, eux et leur civilisation moisie, de lui avoir donné la possibilité de faire commerce, comme elle le fait ici, de l’auscultation un brin obscène de son malaise intérieur.
272 pages.