Le philosophe et historien Marcel Gauchet et la journaliste Elisabeth Lévy pensent l’après confinement à l’échelle des nations et réagissent à la dernière allocution présidentielle sur REACnROLL, la webtélé des mécontemporains. Verbatim.
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Marcel Gauchet. Je suis assez pessimiste. Je tends à penser qu’au-delà des circonstances exceptionnelles que nous allons connaître dans les mois qui viennent, tout l’effort de nos responsables (et les grands intérêts qui sont avec eux) va consister à essayer de revenir au statu quo ante, à la situation qui prévalait auparavant.
C’est imprévisible parce que, comme toujours dans l’Histoire, ce sont les enchaînements qui comptent. Est-ce que le poids nouveau et incroyable que vont acquérir les États dans la conjoncture des deux années qui viennent (au moins) va être tel que de toute manière il sera très difficile de revenir sur cette place acquise par eux ? … Une place qui, d’ailleurs, sera devenue la loi du fondement de notre société pour un temps assez long. C’est cela l’inconnu.
Elisabeth Lévy. Est-ce que cela ne risque pas surtout de créer de nouvelles tensions sociales ? À la fin, il faudra bien faire payer les classes moyennes tout cet argent que nous mettons sur la table actuellement…
Marcel Gauchet. La question est de savoir qui paiera. C’est ouvert. Les riches ? les moyens-riches ? les moyens-pauvres et les pauvres aussi ? Par exemple sous la forme d’impôts indirects, de hausse de TVA, etc. Tout cela va peut très bien tourner en un vaste concours d’imagination et de compétition entre les États en Europe. Les règles de l’Union européenne sont celles de la concurrence, c’est une union concurrentielle fiscalement. Une drôle d’union. Cela va donner des résultats variés selon les situations.
Elisabeth Lévy. Il y a d’ailleurs une concurrence politique entre les États. On voit bien que dans cette affaire d’épidémie, tout le monde passe son temps à se comparer en disant “regardez les Coréens, regardez les Allemands, comme ils font mieux que nous !”. Ce qui ne facilite pas la tache de nos gouvernants.
Marcel Gauchet. Mais cela c’est très bien ! Nous avons par exemple exactement le même volume de dépenses de santé en proportion du PIB que les Allemands. Et on voit qu’ils font autre chose, et plutôt mieux que nous. Il sera intéressant de comprendre pourquoi.
C’est un aspect particulièrement salutaire d’aller chercher ces points de comparaison [avec les autres nations] qui permettent de sortir un peu de la confrontation interne de points de vue qui de toute façon sont inconciliables. On a un élément solide pour juger de performances relatives. (…) Pour les Français c’est un deuil national. Ils avaient l’habitude de compter sur un État pénible mais efficace, il est aujourd’hui toujours pénible mais n’est plus efficace. (…) Une crise, ça sert d’examen de conscience, de diagnostic. Si on arrive à se servir de la crise du coronavirus pour un vrai diagnostic de la situation française, que nous attendons depuis des années et qui n’arrive jamais, elle aura servi à quelque chose.
Au hasard, dans la bibliothèque, j’ai pris Le marin de Gibraltar, de Duras. J’ai voulu être marin après avoir lu ce roman…
L’aube se lève, les oiseaux chantent. Avant, je ne les entendais pas, avant le Grand Confinement, il y avait la rumeur blessante de la ville. Maintenant, on a le temps d’être à l’écoute. On aimerait sortir voir la mer, sous le ciel bleu, d’un printemps qui se fout de nos angoisses, de nos colères contre ceux qui nous ont menti, de notre peine de ne pouvoir accompagner les mourants, de leur tenir la main qui se glace. Il ne nous reste que le voyage immobile, cher à Valery Larbaud. La lecture nous aide à passer l’ordalie de l’absence.
Très tôt, je voulais être marin, prendre un sac et monter dans le premier cargo rouillé. Je suis allé jusqu’au Havre, j’ai regardé les pétroliers au large du cap d’Antifer. Je suis resté sur la terre ferme. Alors j’ai beaucoup lu. Comme je le fais encore, mais de manière plus sélective. Mes dégoûts sont sûrs. Au hasard, dans la bibliothèque, j’ai pris Le marin de Gibraltar, de Duras. J’ai voulu être marin après avoir lu ce roman. Les pièces du puzzle se mettent en place. La fenêtre est ouverte, un enfant pleure, il se doute de ce qui l’attend car les temps sont plus que jamais incertains. Les dieux s’intéressent de nouveau à nous. Ils nous surveillaient toujours, en réalité. Ils nous rappellent que nous resterons jusqu’à la fin de l’humanité dans une tragédie parce que, au départ, ça a merdé, comme dit Dennis Hopper dans Easy rider.
Le marin de Gibraltar, donc. Un homme veut changer sa vie, il monte dans un bateau. Il y a une femme qui court le monde à la recherche du marin de Gibraltar qu’elle a aimé et qui a disparu. Les pages consacrées au bateau voguant sur la mer sont admirables. Quand on est dans l’obligation de rester chez soi, donc privé arbitrairement de liberté, ces descriptions prouvent que Duras est un grand écrivain. Le ton est juste.
Exemple : « La mer était calme, chaude, et le bateau avançait dedans comme une lame dans un fruit mûr. Elle était plus sombre que le ciel. »
Ou encore : « Nous entrâmes dans le détroit. Tarifa arriva, minuscule, incendiée de soleil, couronnée de fumée. À ses pieds innocents se trama le changement le plus miraculeux des eaux de la terre. Le vent se leva. »
L’atmosphère torpide invite à la rêverie d’un ailleurs inconnu et dont pourtant la nostalgie nous étreint le cœur. C’est de plus en plus lourd, moite, presque irrespirable. L’intrigue s’étire lentement. On entre peu à peu dans la psychologie des personnages. On apprend à les saisir de l’intérieur. On ne veut plus les quitter. La navigation se poursuit sans saccade, dérivation qui permet de toucher l’essence du temps. La nuit est douce comme la peau de la femme désirée.
Ce dialogue :
Et si j’avais tout inventé ? dit-elle.
Tout ?
Tout.
Défilé de noms qui invitent au voyage : Sète, Tanger, Abidjan, Léopoldville. Quitter l’Europe épuisée, presque exsangue. Cette remarque qu’on lit et qui prend un relief particulier : « Qu’est-ce qu’on ne fait pas croire aux gens pendant les guerres, dis-je. » Tant de mensonges, en effet. Une autre : « C’est bien connu que c’est dans les ports qu’on trouve le plus grand nombre de secrets. »
J’imagine – dernier luxe d’un confiné – que le marin débarque à Marseille, ville rebelle et éclatante, où l’espoir a trouvé refuge à l’IHU méditerranéen dirigé par le professeur Didier Raoult, un Français leader mondial en matière d’infectiologie. Ce médecin atypique, cheveux longs, barbe de biker, bague tête de mort à l’auriculaire, teste la population, administre son protocole qui n’a rien de compassionnel. Il avance contre vents et marées. On le critique, le pouvoir le blâme. Les Diafoirus lui disent de fermer sa gueule. Il continue. C’est un marin chevronné. Il est parti bourlinguer sur un navire de la marine marchande à 18 ans, avant de passer son bac littéraire à 20 ans en candidat libre, puis de faire médecine. Il tient la barre, fixe le cap. Il ira jusqu’au bout. C’est un pragmatique. La médecine est d’abord expérimentale. Consultez les travaux du physiologiste Claude Bernard pour vous en convaincre. Raoult progresse, comme L.F. Céline marchait dans les rues de la banlieue parisienne, soignant les ouvriers dans leur misérable pavillon. Les séides des groupes pharmaceutiques tirent sans sommation. Raoult les balaie d’un revers de main vénitien. Il sait qu’il a raison. Il a parcouru le monde pour traquer les microbes, bactéries et autres virus. Le terrain, il n’y a que ça de vrai. Raoult raconte sa très longue expérience dans Épidémies : vrais dangers et fausses alertes (Michel Lafon). C’est passionnant.
Les oiseaux, dès l’aube, chantent. Cela devrait nous rassurer. Duras, pour conclure : “Les oiseaux, c’est comme l’amour, ça a toujours existé.” Toutes les espèces disparaissent, mais pas les oiseaux. Comme l’amour.
Jusqu’où Eric Cantona est-il prêt à aller pour retrouver un emploi à son âge? Avec Dérapages, Arte nous offre un thriller social qui invite à la réflexion sur les dérives du monde de l’entreprise. Réussi
Dans cette mini-série, Eric Cantona campe brillamment Alain Delambre, un ancien DRH renvoyé de son entreprise il y a six ans et désormais chômeur en fin de droits. Obligé d’enchaîner des petits boulots dévalorisants, il subit un jour une humiliation de la part d’un « petit chef » particulièrement odieux, à laquelle il répond par la violence. Désormais sans emploi et sous la menace d’un procès, il va se retrouver entraîné dans un sinistre engrenage.
Alors qu’il était dans l’incapacité de retrouver un travail dans son secteur professionnel du fait de son âge, « plus de cinquante et moins de soixante ans », une offre d’emploi attire l’attention de son épouse : un cabinet de recrutement recherche un profil-clé en ressources humaines pour son client, une grande multinationale spécialisée en armement et aéronautique, dans l’objectif de déterminer lequel de ses cadres sera le plus à même de mener un plan social d’envergure. Ce recrutement sera néanmoins conditionné à un jeu de rôle particulièrement pervers qui consistera à simuler une fausse prise d’otage pour tester la loyauté et la résistance au stress de celui ou celle qui sera en charge de l’exécution des licenciements. Bien évidemment, les choses ne vont pas se dérouler simplement…
Le chemin de croix des seniors
Inspiré du roman Cadres noirssigné Pierre Lemaitre en 2009 (lauréat du Goncourt avec Au revoir là-haut en 2013) ce thriller à mi-chemin entre le polar noir et la peinture sociale interroge sur plusieurs excès du monde de l’entreprise et de la société moderne.
La question de l’âge et du travail des séniors est ici la pierre angulaire de l’histoire, mettant en avant la réelle difficulté de retrouver un travail après cinquante ans : selon un rapport de la Cour des Comptes en 2019, plus d’un tiers des demandeurs d’emploi de 50 ans ou plus (37,8%) l’étaient depuis plus de 2 ans, contre 22,3% de l’ensemble des demandeurs d’emploi. Les conséquences économiques et sociales d’une telle situation (perte de pouvoir d’achat, exclusion de la société de loisirs, difficultés à rembourser des emprunts, etc.) entraînent immanquablement des conséquences psychologiques, dont la manifestation la plus visible est la dépression.
Au départ, Alain Delambre manque de confiance en lui et s’imagine qu’il n’aura pas les capacités d’aller au bout du processus de recrutement. Pourtant, c’est justement la vulnérabilité qu’il dégage, liée à son état dépressif, qui attire le cabinet de recrutement et le fait accéder à la dernière étape avant d’obtenir le poste tant convoité : la simulation d’une prise d’otage.
Pour mettre toutes les chances de son côté et réussir son objectif, il va engager un ancien policier un peu caricatural qui va l’initier aux méthodes utilisées par les preneurs d’otage, et enquêter sur les cadres qui feront l’objet d’une évaluation lors de la fameuse simulation. L’objectif, connaître des détails de leur vie privée qui serviront à faire pression sur eux lors de l’interrogatoire, et être ainsi mieux préparé à cette épreuve que ses concurrents.
Si l’ensemble peut parfois paraître un peu surréaliste, le fait de pousser à l’excès certains traits de caractère des protagonistes reste un ressort narratif qui met bien en lumière les dysfonctionnements d’un certain capitalisme et d’une mondialisation malheureuse. Le personnage du PDG de la multinationale qui va organiser la fausse prise d’otage, Alexandre Dorfmann, cynique et froid (très bien interprété par Alex Lutz), incarne ainsi à merveille une technocratie intimement liée au monde politique de plus en plus rejetée par une population en souffrance. Sans pitié, celui-ci n’hésitera pas à laisser plus de mille salariés sur le carreau dans une usine du nord de la France en robotisant celle-ci, afin de rester compétitif sur un marché extrêmement concurrentiel où la recherche du profit passe avant tout.
Jusqu’où peut-on aller?
Les cadres qu’il va falloir départager pour définir qui devra accomplir le sale boulot, quant à eux, vont se montrer à la fois veules, lâches et individualistes. Leurs défauts et leurs personnalités respectives auraient peut-être gagnéà être un peu plus creusés, mais cela ne retire rien à la démonstration.
Tiraillé entre sa volonté de retrouver du travail et le dégoût que peut lui inspirer la mécanique dans laquelle il se retrouve, Alain Delambre va peu à peu tomber dans une spirale de violence et remettre en question ses certitudes, livrant au passage une critique acerbe du système qui l’a entraîné à de telles extrémités. On peut également voir là une réflexion intéressante sur les méthodes de management parfois douteuses de certaines entreprises. En effet, ce qui a en partie inspiré Pierre Lemaître (en plus d’être l’auteur de Cadres noirs, il est aussi le scénariste de la série) est un fait divers survenu en 2005. Le directeur général de France Télévision Publicités avait organisé une fausse prise d’otage durant un séminaire. Si ce cas précis est bien entendu exceptionnel par sa gravité, il ne faut pas oublier que le management par le stress reste une réalité dans bien d’autres endroits…
Réalisée par Ziad Doueiri, déjà à la manœuvre sur Baron Noir, cette série prenante a le mérite de poser une question qui risque d’être particulièrement d’actualité au regard de la crise économique que le coronavirus nous promet : que serez-vous prêt à faire pour exister sur le marché du travail ?
Dérapages, six épisodes, visibles sur arte.tv
Ou sur le canal 7 les 23 et 30 avril à 20h55.
Un des grands noms du monde des lettres belges est mort le 12 avril d’une crise cardiaque dans le taxi qui le menait à l’hôpital.
Triste nouvelle en ce lundi de Pâques : le cœur de Jacques De Decker s’est arrêté de battre. Une figure tutélaire des Lettres belges, ô combien amicale, si attentive à ses cadets dont beaucoup lui doivent tant, s’efface. Enthousiaste, généreux, présent sur tous les fronts, Jacques De Decker aura, des décennies durant, incarné et défendu les Lettres belges, tant flamandes que romandes, car ce germaniste, formé à l’Université de Bruxelles par les plus grands – comme Henri Plard, le traducteur d’Ernst Jünger – connaissait sur le bout des doigts les langues et les littératures françaises, néerlandaises et allemandes.
Né en 1945 dans une famille d’artistes, son père était peintre connu, il fonda avec des amis, à dix-huit ans, le fameux Théâtre de l’Esprit frappeur. Dramaturge, traducteur et adaptateur, l’infatigable Jacques De Decker marqua le théâtre belge de sa lumineuse présence. Touche-à-tout, d’une intelligence et d’une culture phénoménales, mais aussi et surtout d’une sensibilité hors du commun, l’homme, qui se définissait comme « un ciseleur de textes » et comme « un artisan », fut présent sur tous les fronts : professeur, critique littéraire, romancier (son roman La Grande Roue, publié chez Grasset, eut des voix au Goncourt), biographe (un Wagner et un Ibsen chez Gallimard), traducteur, directeur de revue (Marginales), éditeur et directeur de collections (entre autres à L’Age d’Homme, avec son ami Jean-Baptiste Baronian), animateur littéraire (il a interrogé tout ce qui compte en littérature depuis cinquante ans) ; cet amateur de Gracq et de Simenon, coiffa aussi la casquette institutionnelle en devenant rapidement Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises.
Il y a moins d’un an, la mort de son frère Armand De Decker, ancien ministre qui fit l’objet d’une campagne assassine dans le cadre du Khazakgate, le frappa au cœur. Quelques mois plus tard, il quittait volontairement son poste à l’Académie pour préparer le centenaire de cette institution. Nul doute que ces deux événements l’ont touché au plus intime. Ces derniers jours, il relisait Simenon et souhaitait aux amis de bonnes Pâques, « malgré tout ». Cet homme délicieux, amateur de whisky irlandais et mélomane averti, était aux antipodes de toute forme de sectarisme ; homme d’influence et même de pouvoir, il aura pourtant sacrifié son œuvre à la vision qu’il avait du service rendu à la littérature comme à ses confrères. Terrible perte, vide béant, absence cruelle. Sit tibi terra levis !
Un bolsonariste considère l’esclavage comme « bénéfique aux Afro-descendants »
Au Brésil, on ne plaisante pas avec l’esclavage. Nommé à la tête de la Fondation Palmares, une organisation chargée de promouvoir les valeurs culturelles, historiques, sociales et économiques de la société noire au Brésil, Sergio Camargo en a fait l’amère expérience. Quelle mouche a donc piqué ce bolsonariste au teint chocolat et descendant d’esclaves affranchis à la veille de la chute de la monarchie en 1889 pour qu’il déclare sur les réseaux sociaux que l’esclavage avait été « bénéfique pour les Afro-descendants » ? Suspendu de ses fonctions à la fin de l’année dernière, ce « Noir de droite » revendiqué a finalement été réintégré courant février sur décision de la Cour suprême.
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Réjoui par son retour en grâce, Camargo a brocardé le « racisme Nutella » qui bloque tout débat au Brésil, ajoutant que « les Noirs se plaignent parce qu’ils sont stupides et mal informés par la gauche ». S’agaçant des quotas de Noirs que la gauche a imposés dans l’administration avant l’arrivée au pouvoir du président Jair Bolsonaro, se disant « anti-victimaire et ennemi du politiquement correct », Camargo invite les artistes noirs qui l’exècrent à « rester au Congo » ! Alors que l’AFP le qualifie de « négationniste du racisme », la professeure d’histoire brésilienne à l’université Howard de Washington, Ana Lucia Araujo, dénonce dans sa nomination « une tentative de détruire ce qui a été conquis par les Afro-Brésiliens et les mouvements noirs brésiliens depuis la fin de la dictature militaire ». Un Noir suspecté de saper les droits de sa communauté, cela s’appelle un « native informant » en langage indigéniste. Un concept substantiellement bien plus raciste que toutes les provocations réunies de l’équipe Bolsonaro.
Discriminer les personnes âgées en les excluant du déconfinement du 11 mai est une idée hallucinante. Il faut au contraire investir sur les vieilles générations méprisées.
L’idée que 18 millions de personnes, pour l’essentiel des « personnes âgées » auraient pu être discriminées et ne pas faire partie des déconfinés du 11 mai est hallucinante. Heureusement, l’iniquité, pour ne pas dire l’aberration d’une telle perspective a été vite dénoncée par plusieurs personnalités, des pétitions ont été lancées, et la raison a finalement prévalu. Néanmoins, qu’une telle disposition ait pu être envisagée en dit long sur la représentation que la société se fait de ses anciens. Comment donc une telle image s’est-elle constituée ?
Bourdieu affirmait en 1978 « la jeunesse n’est qu’un mot ». On peut en dire autant de la vieillesse ; d’abord, comme pour la jeunesse, il est bien difficile d’en fixer le seuil ; mais surtout, les situations des personnes âgées sont tellement diverses, tant du point de vue médical que du point de vue social, que plusieurs images de la vieillesse s’opposent. Pourtant, en fonction des circonstances, des intérêts, économiques ou politiques, et des positions personnelles, la tendance à la réduction de l’ensemble à une seule de ces images s’impose souvent. Et c’est bien ce qui vient de se passer dans cette velléité d’appliquer une mesure d’âge au déconfinement.
En fait, il y a trois images de la vieillesse.
La vieillesse méprisée
La première correspond à une réalité triste et bien connue ; c’est la vision misérabiliste qui domine aujourd’hui en France. Elle se confond avec la notion de dépendance ; c’est celle des pensionnaires des EHPAD. Derrière une façade de proclamations compassionnelles, ou d’affirmations creuses de solidarité, c’est bien de mépris dont est victime cette vieillesse-là, et les conditions honteuses qui lui ont été infligées dans cette crise en sont une démonstration irrécusable.
Elle est méprisée du fait qu’elle est ravalée à sa seule dimension économique ; autrement dit que l’assistance qui lui est due est réduite à la question de son coût : problème du financement de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), dépenses médicales liées aux personnes âgées, coût des assurances maladies, etc… L’idée maussienne de contre-don, à savoir que la société se doit de rendre en termes de soins aux vieux ce qu’ils lui ont apporté, en termes économiques, mais aussi politiques, militaires, sociaux, culturels, spirituels est absente. Autrement dit, l’idéal d’une authentique solidarité entre générations ne fonctionne pas.
Cette réduction à l’économie explique la désintégration des services publics et l’application de critères marchands à la gestion du secteur de la santé, depuis quelques décennies. En quarante ans, le nombre de lits est passé de 11 à 6 pour 1 000 habitants ; sur les seules six dernières années, 17 500 lits de nuit ont été supprimés. Les vieux deviennent des « clients » pour les EHPAD, Orpéa, Korian, ou DomusVi, dont le tarif mensuel médian est proche de 2000 euros, et peut monter jusqu’à plus de 3000 euros, offrant de confortables marges de profit, de l’ordre de 5% à 7%.
La gestion économique conduit à la rationalisation, c’est-à-dire à la réduction au minimum du personnel, dont le dévouement n’est bien-sûr pas en cause… Les cas de maltraitance, complaisamment répercutés par les médias, sont très rares ; si maltraitance il y a, elle est organisationnelle, générée par le système. Le manque de personnel conduit à des pratiques indignes, comme imposer les serviettes absorbantes à des personnes qui ne sont pas incontinentes..
Ces vieux-là sont néanmoins appréciés dans la mesure où ils constituent un marché, notamment pour les compagnies d’assurance, qui vendent aux personnes âgées des produits spécifiques liés à la dépendance. Ils le sont aussi, en offrant un « gisement d’emploi » pour les emplois à domicile ou le personnel de ces établissements. Ils sont aussi l’occasion d’investissements prometteurs dans les nouvelles technologies. Des start-up entrent sur le marché pour proposer des sols capteurs de chute, ou des véhicules électriques.
Dans cet esprit, la seule solution envisagée pour remédier au sentiment croissant de solitude des personnes âgées (1/3 des plus de 60 ans disent l’éprouver) est celle de leur connexion à internet. On compte aussi sur l’introduction dans les établissements de soins des robots, comme « Nao », pour déjouer cette solitude. Cette évacuation du devoir de solidarité au profit des techniques de communication est une insulte à nos anciens.
Quant à ceux qui ont choisi, ou pu rester à domicile, ils peuvent toujours compter sur les visites des facteurs recyclés. Si vous croyez que la convivialité ne peut pas s’acheter, c’est que « ya pas marqué La Poste » .
L’assimilation de tous les plus de 65 ans à cette vieillesse-là est la seule explication possible de cette idée saugrenue, heureusement abandonnée, de les laisser tous confinés après le 11 mai. Il est deux autres façons de se représenter la vieillesse, dont la dernière est pourtant largement occultée.
La vieillesse dorée
La seconde image est celle de la vieillesse dorée. Elle est constituée pour l’essentiel par la génération des baby-boomers, qui ne sont déjà plus des « jeunes retraités ». On les qualifie de « séniors » pour éviter le terme « vieux », considéré – on le comprend vu la première image – comme stigmatisant. Cette catégorie-là est sommée d’avoir recours à tout ce que lui propose la société de consommation pour repousser l’indésirable vieillesse ; être vieux est devenu une pathologie, ou plus simplement, une faute de goût. Elle est sous l’emprise des marchés, et constitue la « silver économie », le graal à conquérir, en passe de devenir un secteur moteur du développement. Les marques jouent sur ce registre de la jeunesse perpétuelle : leurs achats de chaussures de sport augmentent trois fois plus vite que le rythme moyen. Les croisières s’amusent grâce à eux : ils constituent le tiers de leur clientèle. Ils sont souvent férus d’automobile ; plus de la moitié des voitures neuves sont achetées par des plus de 55 ans ; les Citroën sont privilégiées, et les Renault ou Peugeot préférées aux Dacia.
Mais c’est aussi une vieillesse critiquée, culpabilisée, vilipendée, en bute à toutes sortes de ressentiments. Les médias ne cessent de révéler que son niveau de vie est équivalent, voire un peu supérieur à celui des actifs. Ils sont caricaturés de façon typique dans le film récent « Tanguy le retour », d’Étienne Chatiliez. Jouisseurs, égoïstes, passant leur vie sur les terrains de golf, dans les clubs de bridge, dans les voyages organisés de luxe, et dans les réunions festives arrosées entre amis.
Un rapport du conseil des prélèvements obligatoires de novembre 2008 annonçait la voie à suivre pour corriger cela: «les plus de 65 ans bénéficient à la fois d’un niveau de vie, au sens large, supérieur aux ménages et individus plus jeunes, et d’un niveau d’imposition plus faible», laissant prévoir des ajustements. Le rapporteur général se nommait Emmanuel Macron. Ces «ajustements», on s’en souvient, ont été opérés de façon vigoureuse dans la première phase du quinquennat : hausse de la CSG et projet de désindexation des pensions de l’inflation. Ils ont buté sur le mouvement de contestation des «gilets jaunes» qui a suivi, et ils ont conforté l’image de «Président des riches».
Plus récemment, cette «génération dorée» est devenue la cible d’une sorte de réquisitoire latent, avec l’apparition du mouvement «OK boomer». Cette expression a d’abord circulé sur les réseaux, notamment TIk Tok, avant d’être transformée en étendard par une députée néozélandaise de 25 ans qui l’a utilisée pour clouer le bec d’un opposant d’âge mûr lors d’un débat parlementaire. L’expression est depuis communément entendue lors des marches pour le climat et lors des grèves étudiantes, convergeant avec les anathèmes de Greta Thunberg. En plus de ses supposés avantages et de sa situation enviée, elle est tenue pour globalement responsable par la « génération Z » de tous les dérèglements dont nous subissons les conséquences : les dettes publiques, le coût des études, le prix de l’immobilier, la guerre d’Irak, la précarisation des emplois, la récession de 2008, et, bien-sûr, le réchauffement climatique… Par-dessus-tout, c’est d’avoir gardé un peu partout les rênes du pouvoir qui lui est reproché.
Cette image, congruente avec le jeunisme ambiant, offre une autre façon d’expliquer la mesure évoquée au début: n’avait-elle pas une dimension punitive ?
La vieillesse engagée
La troisième vieillesse en fait, n’a pas vraiment d’image claire. Pourtant elle existe. C’est la vieillesse engagée.
Elle est d’abord une vieillesse citoyenne ; son taux de participation à toutes les élections est plus élevé que la moyenne (voir par exemple les taux de participation par âge aux élections présidentielles de 2017). Elle a bien moins déserté les partis politiques que les plus jeunes ; elle est même très partante quand un nouveau parti tente de se lancer (Nouvelle Donne, Place Publique…).
Elle est présente dans les conseils municipaux nettement plus que les autres catégories d’âge.
L’adhésion aux associations progresse avec l’âge et culmine entre 60 et 75 ans. 48% des présidents d’association sont des retraités. Elle forme le tiers des troupes du bénévolat.
Ces séniors ont été en première ligne des combats environnementaux, et parfois avec succès, comme en ce qui concerne; la préservation de la couche d’ozone. C’est eux qui ont initié le mouvement écologiste : Greenpeace a été fondé en 1971, le WWF en 1961, le parti vert français en 1984.
Cette catégorie porte la vie culturelle ; les plus de 50 ans apportent à la presse et à la culture plus de la moitié de leurs revenus. Sans elle les musées péricliteraient, et les expositions ressembleraient à ce qu’elles sont en période de confinement ; ils font largement vivre les orchestres symphoniques des grandes villes, dynamisent l’ensemble de la vie culturelle, et permettent aux universités populaires d’exister.
En fait, ces deux dernières composantes (vieillesse dorée et vieillesse engagée) se recoupent partiellement. Beaucoup de séniors relèvent probablement de l’une et de l’autre. Mais dans le procès qui lui est fait, réduisant l’ensemble de la vieillesse aux séniors consuméristes, et dans le mépris dont la mesure évoquée au début est le signal, on voit bien que cette dimension citoyenne, culturelle et sociale des vieux est rarement évoquée. C’est pourtant elle qui nous indique la voie à suivre pour l’ensemble de notre société.
C’est dans l’action collective que se bâtissent les véritables solidarités, plutôt que dans des émissions de télévision dédiées aux causes caritatives ; la fraternité ne se construit pas par des incantations ; elle implique d’agir ensemble, vers un but commun, au lieu de passer sa vie le dos courbé au-dessus de l’écran de son smartphone.
Comment tempérer la frénésie de consommation de nos concitoyens, sinon en offrant d’autres objectifs à leur activité ? Or, la culture induit le goût de la lecture, de la contemplation et de la création artistique, toutes choses qui nourrissent des conversations plus épanouissantes que l’énumération triomphante des pays visités, lors de ses voyages organisés, ou des discussions sur les performances autoroutières de son 4X4.
Assister à un spectacle vivant ouvre bien plus d’horizons que le visionnage sans fin des séries, la traque sur internet des vidéos humoristiques, ou l’écoute distraite de la musique en streaming.
De telles réorientations de nos énergies sont de nature à permettre la réorientation de notre économie vers des secteurs moins polluants, la production vers des objets plus durables, et offrent l’espoir d’échapper à l’emprise des marques.
Enfin, et surtout peut-être, un vrai désir d’engagement, et une vraie conscience citoyenne sont les conditions nécessaires d’un renouveau d’une authentique démocratie.
Puisqu’il est envisagé de reconstruire, après le désastre, notre société et notre économie sur d’autres bases; comment ne pas voir que c’est précisément ce style de vie de la troisième vieillesse qui devrait servir de modèle à l’ensemble de la société ? Les valeurs qui l’animent, les secteurs vers lesquels s’oriente leur activité sont de nature à rafistoler le tissu social qui en a bien besoin.
En d’autres termes, c’est cette vieillesse là qui devrait être notre avenir à tous.
Alors que le monde est confronté à la pandémie du Covid-19, les rivalités se sont renforcées depuis la mi-mars entre la Chine et l’île de Taïwan.
Le 27 mars dernier, le président Trump signait le « Taipei Act » (Taiwan Allies International Protection and Enhancement InitiativeAct of 2019), visant à renforcer les liens entre son pays et Taïwan. Par cette loi, le gouvernement américain s’engage sur deux points vis-à-vis de Taïwan : d’une part il plaide pour l’adhésion de l’île aux organisations internationales où le statut d’État n’est pas nécessaire, ainsi que pour l’octroi du statut d’observateur auprès d’autres organisations ; d’autre part, le gouvernement américain renforce son engagement économique, sécuritaire et diplomatique auprès des pays revalorisant leurs relations avec Taïwan et le diminue pour les pays prenant des mesures visant à affaiblir l’île.
Cette loi intervient dans un contexte de fortes tensions entre l’île autonome et son allié américain, et la République populaire de Chine (RPC). En effet, depuis la réélection triomphante en janvier 2020 de la présidente Tsai Ing-wen, membre du parti pro-indépendantiste Democratic Progressive Party (DPP), Taïwan fait face à une accentuation des actions militaires de Pékin. Ainsi, le quotidien South China Morning Post relevait que des avions militaires chinois effectuaient des exercices à proximité de l’île les 9, 10 et 28 février, obligeant l’intervention d’avions de chasse taïwanais pour les disperser. Le 16 mars dernier encore, un navire-garde-côtes taïwanais était endommagé par des « pêcheurs chinois » tandis que des appareils chinois s’entrainaient à nouveau le même jour dans cette zone.
En réaction, les États-Unis envoyaient deux bombardiers B-52 au large de la côte est de l’île, tandis qu’un avion de transport survolait le détroit de Taïwan. Parallèlement, la VIIe flotte américaine effectuait le 19 mars des essais de missiles à balles réelles dans la mer des Philippines, afin de montrer qu’elle pouvait répondre aux nouveaux missiles chinois (le « tueur de porte-avions » DF-21D et l’antinavire DF-26). De son côté, Taïwan organisait le 24 mars sur toute l’île, des exercices militaires baptisés « Lien Hsiang ». Ces entrainements de grande échelle impliquant l’armée de l’air, de terre et la marine, comprenaient notamment un exercice visant à repousser une force d’invasion. Enfin, le 25 mars, le destroyer de missiles guidés américain McCampbell traversait le détroit de Taïwan, amenant le porte-parole du ministère chinois de la Défense nationale, le colonel Ren Guoqiang, à qualifier au lendemain ce transit de « dangereux » et rappelant que « Taïwan fait partie intégrante de la Chine ».
Une île ballottée par la diplomatie américaine
Ces tensions entre la Chine et Taïwan trouvent leur origine à la fin de …
Une tribune de Jérôme Rivière, député européen (Identité et démocratie), membre de la commission Affaires étrangères, Sécurité Défense, et de Louis Aliot, député (RN) des Pyrénées orientales et membre de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale
Un grand quotidien allemand a révélé jeudi 16 avril que l’Allemagne allait commander 45 avions de combat aux États-Unis.
Cette décision de remplacer les anciens Tornado de la Luftwaffe (un avion de combat développé par l’Italie, le Royaume-Uni et l’Allemagne et mis en service dans les années 1980, capable de porter des munitions nucléaires air-sol de fabrication américaine) par une flotte mixte américano-européenne est très révélatrice des profondes et réelles tendances de l’État allemand. Elle constitue une rupture, l’avion européen Tornado étant remplacé par un avion américain.
Berlin est anti-nucléaire avec Paris et pro-nucléaire avec Washington
Elle met en évidence le choix de l’Allemagne d’être le premier serviteur zélé de l’OTAN.
La décision – empressée – d’acheter à Boeing 45 F-18 (30 Super Hornet Block III et 15 Growler), via le système FMS (Foreign Military Sales), un contrat d’État à État, témoigne de la volonté de Berlin de demeurer fidèle envers et contre tout, même au détriment des accords de coalition CDU/SPD, à une mission stratégique de l’Alliance.
La solution américaine est lourde sur les plans financier, diplomatique, industriel, et de ce fait, pèse beaucoup plus lourd que la décision d’acheter l’Eurofighter européen, chargé seulement de missions de surveillance, et donc incapable de porter des munitions nucléaires.
En une phrase: pour Berlin, l’OTAN pèse plus que l’Europe de la défense.
Ce n’est pas une surprise, mais une confirmation que le dialogue franco-allemand sera toujours subordonné au lien transatlantique. Paris doit donc, plus que jamais maintenir son indépendance militaire pour avoir les mains libres.
L’obsession de Berlin de continuer à remplir cette mission nucléaire, en dit aussi long sur le double langage allemand dans le domaine de la dissuasion… L’Allemagne est méprisante vis-à-vis de la force de frappe française qu’elle considère comme un hochet de prestige de puissance dépassée mais… devient intéressée quand il s’agit d’en être un acteur (même sous tutelle complète américaine). Berlin est anti-nucléaire avec Paris et pro-nucléaire avec Washington. Là aussi, ce n’est pas une surprise mais une confirmation. Et une bonne raison supplémentaire pour Paris de cesser tout dialogue européen sur cette extravagante et impossible mutualisation de sa force de frappe, pour se concentrer sur le renouvellement de sa dissuasion à son seul profit !
Enfin, notons que l’Allemagne commande quatre types d’appareils (Super Hornet, Growler, EF-2000 Tranche 3 et 4, voire cinq) pour une mission nucléaire non permanente (déployée au cas où les États-Unis le décident), là où la France n’a besoin d’aligner qu’un seul modèle pour garantir en toutes circonstances la pérennité d’une dissuasion intégralement nationale : le Rafale polyvalent des FAS et de la FANU. C’est l’illustration du bien-fondé de notre choix du Rafale dont la polyvalence permet des économies et dont l’évolution par standards successifs, en garantit l’évolution jusqu’en 2050. C’est enfin la confirmation du mauvais choix qu’a représenté l’EF-2000 pour les armées de l’air clientes, obligées de compléter leur flotte avec des avions américains, scellant ainsi leur totale dépendance diplomatique, industrielle et technologique envers les États-Unis, via l’OTAN.
Cette décision allemande prouve une fois de plus que l’Europe de la Défense est une chimère. Les Nations doivent à tout prix conserver leurs pouvoirs régaliens. La grave crise sanitaire que nous vivons a fini de le prouver.
Notre-Dame des touristes ou Notre-Dame des fidèles, à vous de choisir!
Dans une tribune du 15 avril au titre tonitruant « Michel Pastoureau : il faudrait déconsacrer (entendez désacraliser) Notre-Dame et la transformer en musée », le quotidien La Croix donne la parole, à trois spécialistes, sur l’avenir de la cathédrale, au moment où se pose, avec sa reconstruction, la question de « la cohabitation » des touristes et des fidèles. Et l’article de prêter au fameux médiéviste Michel Pastoureau la proposition iconoclaste qu’on vient de lire.Aussitôt le monde des médias s’enflamme. Ce ne sont que réactions indignées voire agressives sous la plume de journalistes patentés. Un professeur éminent d’histoire antique va même jusqu’à moucher son confrère. Eh quoi ! À aucun moment, journalistes et lecteurs n’ont pensé à l’ironie de la part de cet éminent médiéviste qu’est Michel Pastoureau, connu de tous, et catholique pratiquant ? La réponse, hélas, est non.
Étonné de ces réactions violentes, Michel Pastoureau a fait hier une mise au point relayée par La Croix où il s’étonne — il y a de quoi !— des réactions de ses lecteurs devant un texte pas compris. « Mon texte a-t-il été lu » ? s’interroge-t-il. Ou seulement le titre qui dit le contraire de sa pensée ? « Suis-je devenu sénile ? » Que Michel Pastoureau se rassure : son texte n’a pas été lu mais seulement un titre qui rend compte du contraire de la pensée de l’historien. Car imaginer que le texte n’ait pas été compris serait offenser l’intelligence des lecteurs.
Bis repetita…
On se souvient de la polémique (le mot est à la mode) au lendemain de l’émission où Alain Finkielkraut, exaspéré par le féminisme agressif d’intervenantes, dont Caroline de Haas, lance la phrase fameuse : « Violez ! Violez ! Et moi, je viole ma femme tous les soirs ».Le Web s’enflamme. Tout le monde de réclamer justice contre ce féminicide. Encore heureux, ai-jeécrit dans un article de Causeur, qu’il n’ait pas ajouté : « Et ma femme adore ça ! » De même, Michel Pastoureau « prônerait » l’exode des catholiques, afin de livrer le vaisseau de la cathédrale aux flots incessants de touristes aux tenues décontractées ? On connaît le texte fameux de Montesquieu sur « l’esclavage des nègres » modèle de l’antiphrase dont l’ironie cinglante devait faire réagir contre la traite négrière : ce texte serait aujourd’hui censuré par les associations de défense des droits de l’homme.
Michel Pastoureau dit avoir usé de l’antiphrase « pour mieux exprimer sa colère contre le tourisme de masse et son rituel imbécile de photographier tout, n’importe quoi, n’importe comment. » Il dénonce la main mise « d’autorités de tutelle qui ignorent ce qu’est la foi, le culte, la prière » et « semblent jouer les touristes contre les fidèles. » Est-il normal, en effet, que d’un car débarque, les jours de Semaine sainte, un flot de touristes exotiques dont la forêt d’écrans au bout de leurs bâtons empêche les fidèles de participer à l’office, par leur invasionbruyante et irrespectueuse ?
Le 22 avril, la Croix fait « une mise à jour » : « Michel Pastoureau souhaite apporter des précisions » sur ses propos. Il ne s’agit pas de précisions mais d’un titre fautif du journal. Cette histoire doit nous mettre en garde contre les lectures hâtives que nous faisons des textes et des articles.
Quant à la langue de Voltaire, si elle se contente de donner des ordres : « Restez chez vous, ne pensez plus, prenez soin de vous », le président Macron aura eu raison : on sera vraiment passé, en France, d’un monde à un autre.
L’esprit des Lumières dont on se gargarise, c’est en premier, l’ironie, parce que l’ironie est une arme contre l’idéologie, le fanatisme et la bêtise. Il est étonnant que cette ironie — la marque de fabrique de l’esprit français — se soit retournée si vite et inconsidérément contre un historien éminent qui l’a maniée de façon si claire afin d’exprimer sa colère et nous faire réagir. L’ironie serait-elle devenue, décidément, le sens interdit de la pensée française ?
Retour sur l’actualité confinement-people du moment, avec Thomas Morales et un peu de mauvais esprit…
Y-aura-t-il un nouveau monde d’après ? On peut en douter. Excepté le retour des « Figolu » dans nos placards, signe d’une société plus équitable et responsable, les bouchons devant les McDrive rouverts s’allongent. L’irrésistible appel de la sauce barbecue réveille la France périphérique dans la nuit.
L’industrie du divertissement piaffe
Masqués, gantés, tapis dans leurs voitures, des heures durant, ils patienteront et ne craqueront pas à quelques mètres du roi du hamburger. Qui sommes-nous pour juger un peuple confiné qui s’ennuie et qui a faim ? Pendant que les acheteurs s’impatientent, les vendeurs pestent, la machine économique bout, elle compte les jours, les minutes, les secondes, une vraie cocotte. Chaque matin, les bars refont leurs caisses, désespérément vides, et ce rideau de fer qui restera toujours baissé après le 11 mai. Pour ne pas perdre la main, les coiffeurs s’exercent au « air-coiffure » que les anglais désignent sous le nom de «air-hair », on dirait un groupe pop des années 1980. Le monde d’après a déjà un parfum de naphtaline. Tous les acteurs économiques dépriment et se rappellent cette maxime du prophétique Serge Benamou (José Garcia dans La Vérité si je mens) : « Mais putain, sans déconner, merde, on est en train de faire du Business ». Tous les « people », ces autres commerçants, entrepreneurs de leur propre personne, défiscalisés lusitaniens, sont dans les starting-blocks.
L’industrie du divertissement piaffe, la billetterie tourne à vide, les musicos grattent dans leur salle de bain, les chanteurs vocalisent sur les balcons, tous ces artistes ou affiliés ont tellement besoin de s’exprimer, de communier avec leur public, oui, de partager leurs émotions, c’est qu’ils sont sensibles à la détresse humaine. Derrière l’artiste, il y a un cœur qui bat, peut-être même, une conscience citoyenne. Ils aimeraient tellement pouvoir aider l’hôpital, les éboueurs, les caissières, les livreurs et même les policiers. Ils veulent se rendre utiles à la Nation. Ils ont le désir d’agir. C’est louable et nous les remercions sincèrement. Ce don de soi, cet altruisme sanitaire, ça m’émeut presque si je n’avais pas aussi mauvais esprit. Je suis le genre de type, pessimiste par plaisir, adepte du verre à moitié-vide, coupeur en quatre, toujours à renâcler quand toute la tablée s’amuse.
Conteurs, blagueurs et chanteurs confinés
Alors, je m’interroge sur cet activisme, cette frénésie de visibilité, cette présence quasi-quotidienne en FaceTime, cette nécessité aussi de faire des phrases comme disait Audiard ne concerne pas seulement les marins. Les « grands » acteurs n’ont pas résisté à la tentation de la lecture, à la veillée. Nous les appellerons les conteurs du Covid-19. Sous une lumière souffreteuse, dans leur cuisine ou à leur bureau, des casseroles ou des livres derrière eux, ils récitent, pénétrés par l’atmosphère de la ville endormie, certains chantent, même les comiques tentent une blague à la sauvette. Je me moque, et je les comprends aussi. Une carrière, c’est fragile comme de l’organdi, ils ont mis parfois des années à en arriver là, à toucher du doigt cette célébrité, à construire patiemment les fondations de leur petite entreprise, à fidéliser une clientèle. Et un virus « saisonnier » détruirait tout ça, leur maison de maçon et leur image en béton armé. La France a peur et ils ont la trouille légitime qu’on les oublie. Qu’y-a-t-il de pire qu’un chanteur abandonné ? Ils savent que les métiers du paraître sont terribles, fugaces par nature, versatiles par mode. Alors, ce n’est pas un Covid-19 qui mettra un terme à leur carrière. Ils s’accrochent. Ils ne veulent pas éteindre la lumière, ni couper le son. Ils gesticulent pour clamer : « On est là, cher public, avec vous ! ». Peut-on leur reprocher cette réaction ? Cet instinct de survie professionnelle nous anime tous en ce moment.
Dans le monde d’avant, chacun de nous marchandait déjà sa vie, l’exposait sur les réseaux sociaux pour en retirer un quelconque profit, jouait des coudes pour briller, pour attirer l’attention, pour capitaliser un peu sur sa personne, à la fois producteur et consommateur, dans un mouvement perpétuel d’individualisme forcé. Rien ne dit que le monde d’après sera moins sauvage pour l’égo.
Elisabeth Lévy et Marcel Gauchet
Capture d'écran RnR
Le philosophe et historien Marcel Gauchet et la journaliste Elisabeth Lévy pensent l’après confinement à l’échelle des nations et réagissent à la dernière allocution présidentielle sur REACnROLL, la webtélé des mécontemporains. Verbatim.
Vous pouvez retrouver plus de 30 minutes d’échanges entre les deux penseurs en vous abonnant sur RNR.TV ici (un mois gratuit).
Marcel Gauchet. Je suis assez pessimiste. Je tends à penser qu’au-delà des circonstances exceptionnelles que nous allons connaître dans les mois qui viennent, tout l’effort de nos responsables (et les grands intérêts qui sont avec eux) va consister à essayer de revenir au statu quo ante, à la situation qui prévalait auparavant.
C’est imprévisible parce que, comme toujours dans l’Histoire, ce sont les enchaînements qui comptent. Est-ce que le poids nouveau et incroyable que vont acquérir les États dans la conjoncture des deux années qui viennent (au moins) va être tel que de toute manière il sera très difficile de revenir sur cette place acquise par eux ? … Une place qui, d’ailleurs, sera devenue la loi du fondement de notre société pour un temps assez long. C’est cela l’inconnu.
Elisabeth Lévy. Est-ce que cela ne risque pas surtout de créer de nouvelles tensions sociales ? À la fin, il faudra bien faire payer les classes moyennes tout cet argent que nous mettons sur la table actuellement…
Marcel Gauchet. La question est de savoir qui paiera. C’est ouvert. Les riches ? les moyens-riches ? les moyens-pauvres et les pauvres aussi ? Par exemple sous la forme d’impôts indirects, de hausse de TVA, etc. Tout cela va peut très bien tourner en un vaste concours d’imagination et de compétition entre les États en Europe. Les règles de l’Union européenne sont celles de la concurrence, c’est une union concurrentielle fiscalement. Une drôle d’union. Cela va donner des résultats variés selon les situations.
Elisabeth Lévy. Il y a d’ailleurs une concurrence politique entre les États. On voit bien que dans cette affaire d’épidémie, tout le monde passe son temps à se comparer en disant “regardez les Coréens, regardez les Allemands, comme ils font mieux que nous !”. Ce qui ne facilite pas la tache de nos gouvernants.
Marcel Gauchet. Mais cela c’est très bien ! Nous avons par exemple exactement le même volume de dépenses de santé en proportion du PIB que les Allemands. Et on voit qu’ils font autre chose, et plutôt mieux que nous. Il sera intéressant de comprendre pourquoi.
C’est un aspect particulièrement salutaire d’aller chercher ces points de comparaison [avec les autres nations] qui permettent de sortir un peu de la confrontation interne de points de vue qui de toute façon sont inconciliables. On a un élément solide pour juger de performances relatives. (…) Pour les Français c’est un deuil national. Ils avaient l’habitude de compter sur un État pénible mais efficace, il est aujourd’hui toujours pénible mais n’est plus efficace. (…) Une crise, ça sert d’examen de conscience, de diagnostic. Si on arrive à se servir de la crise du coronavirus pour un vrai diagnostic de la situation française, que nous attendons depuis des années et qui n’arrive jamais, elle aura servi à quelque chose.
Au hasard, dans la bibliothèque, j’ai pris Le marin de Gibraltar, de Duras. J’ai voulu être marin après avoir lu ce roman…
L’aube se lève, les oiseaux chantent. Avant, je ne les entendais pas, avant le Grand Confinement, il y avait la rumeur blessante de la ville. Maintenant, on a le temps d’être à l’écoute. On aimerait sortir voir la mer, sous le ciel bleu, d’un printemps qui se fout de nos angoisses, de nos colères contre ceux qui nous ont menti, de notre peine de ne pouvoir accompagner les mourants, de leur tenir la main qui se glace. Il ne nous reste que le voyage immobile, cher à Valery Larbaud. La lecture nous aide à passer l’ordalie de l’absence.
Très tôt, je voulais être marin, prendre un sac et monter dans le premier cargo rouillé. Je suis allé jusqu’au Havre, j’ai regardé les pétroliers au large du cap d’Antifer. Je suis resté sur la terre ferme. Alors j’ai beaucoup lu. Comme je le fais encore, mais de manière plus sélective. Mes dégoûts sont sûrs. Au hasard, dans la bibliothèque, j’ai pris Le marin de Gibraltar, de Duras. J’ai voulu être marin après avoir lu ce roman. Les pièces du puzzle se mettent en place. La fenêtre est ouverte, un enfant pleure, il se doute de ce qui l’attend car les temps sont plus que jamais incertains. Les dieux s’intéressent de nouveau à nous. Ils nous surveillaient toujours, en réalité. Ils nous rappellent que nous resterons jusqu’à la fin de l’humanité dans une tragédie parce que, au départ, ça a merdé, comme dit Dennis Hopper dans Easy rider.
Le marin de Gibraltar, donc. Un homme veut changer sa vie, il monte dans un bateau. Il y a une femme qui court le monde à la recherche du marin de Gibraltar qu’elle a aimé et qui a disparu. Les pages consacrées au bateau voguant sur la mer sont admirables. Quand on est dans l’obligation de rester chez soi, donc privé arbitrairement de liberté, ces descriptions prouvent que Duras est un grand écrivain. Le ton est juste.
Exemple : « La mer était calme, chaude, et le bateau avançait dedans comme une lame dans un fruit mûr. Elle était plus sombre que le ciel. »
Ou encore : « Nous entrâmes dans le détroit. Tarifa arriva, minuscule, incendiée de soleil, couronnée de fumée. À ses pieds innocents se trama le changement le plus miraculeux des eaux de la terre. Le vent se leva. »
L’atmosphère torpide invite à la rêverie d’un ailleurs inconnu et dont pourtant la nostalgie nous étreint le cœur. C’est de plus en plus lourd, moite, presque irrespirable. L’intrigue s’étire lentement. On entre peu à peu dans la psychologie des personnages. On apprend à les saisir de l’intérieur. On ne veut plus les quitter. La navigation se poursuit sans saccade, dérivation qui permet de toucher l’essence du temps. La nuit est douce comme la peau de la femme désirée.
Ce dialogue :
Et si j’avais tout inventé ? dit-elle.
Tout ?
Tout.
Défilé de noms qui invitent au voyage : Sète, Tanger, Abidjan, Léopoldville. Quitter l’Europe épuisée, presque exsangue. Cette remarque qu’on lit et qui prend un relief particulier : « Qu’est-ce qu’on ne fait pas croire aux gens pendant les guerres, dis-je. » Tant de mensonges, en effet. Une autre : « C’est bien connu que c’est dans les ports qu’on trouve le plus grand nombre de secrets. »
J’imagine – dernier luxe d’un confiné – que le marin débarque à Marseille, ville rebelle et éclatante, où l’espoir a trouvé refuge à l’IHU méditerranéen dirigé par le professeur Didier Raoult, un Français leader mondial en matière d’infectiologie. Ce médecin atypique, cheveux longs, barbe de biker, bague tête de mort à l’auriculaire, teste la population, administre son protocole qui n’a rien de compassionnel. Il avance contre vents et marées. On le critique, le pouvoir le blâme. Les Diafoirus lui disent de fermer sa gueule. Il continue. C’est un marin chevronné. Il est parti bourlinguer sur un navire de la marine marchande à 18 ans, avant de passer son bac littéraire à 20 ans en candidat libre, puis de faire médecine. Il tient la barre, fixe le cap. Il ira jusqu’au bout. C’est un pragmatique. La médecine est d’abord expérimentale. Consultez les travaux du physiologiste Claude Bernard pour vous en convaincre. Raoult progresse, comme L.F. Céline marchait dans les rues de la banlieue parisienne, soignant les ouvriers dans leur misérable pavillon. Les séides des groupes pharmaceutiques tirent sans sommation. Raoult les balaie d’un revers de main vénitien. Il sait qu’il a raison. Il a parcouru le monde pour traquer les microbes, bactéries et autres virus. Le terrain, il n’y a que ça de vrai. Raoult raconte sa très longue expérience dans Épidémies : vrais dangers et fausses alertes (Michel Lafon). C’est passionnant.
Les oiseaux, dès l’aube, chantent. Cela devrait nous rassurer. Duras, pour conclure : “Les oiseaux, c’est comme l’amour, ça a toujours existé.” Toutes les espèces disparaissent, mais pas les oiseaux. Comme l’amour.
Jusqu’où Eric Cantona est-il prêt à aller pour retrouver un emploi à son âge? Avec Dérapages, Arte nous offre un thriller social qui invite à la réflexion sur les dérives du monde de l’entreprise. Réussi
Dans cette mini-série, Eric Cantona campe brillamment Alain Delambre, un ancien DRH renvoyé de son entreprise il y a six ans et désormais chômeur en fin de droits. Obligé d’enchaîner des petits boulots dévalorisants, il subit un jour une humiliation de la part d’un « petit chef » particulièrement odieux, à laquelle il répond par la violence. Désormais sans emploi et sous la menace d’un procès, il va se retrouver entraîné dans un sinistre engrenage.
Alors qu’il était dans l’incapacité de retrouver un travail dans son secteur professionnel du fait de son âge, « plus de cinquante et moins de soixante ans », une offre d’emploi attire l’attention de son épouse : un cabinet de recrutement recherche un profil-clé en ressources humaines pour son client, une grande multinationale spécialisée en armement et aéronautique, dans l’objectif de déterminer lequel de ses cadres sera le plus à même de mener un plan social d’envergure. Ce recrutement sera néanmoins conditionné à un jeu de rôle particulièrement pervers qui consistera à simuler une fausse prise d’otage pour tester la loyauté et la résistance au stress de celui ou celle qui sera en charge de l’exécution des licenciements. Bien évidemment, les choses ne vont pas se dérouler simplement…
Le chemin de croix des seniors
Inspiré du roman Cadres noirssigné Pierre Lemaitre en 2009 (lauréat du Goncourt avec Au revoir là-haut en 2013) ce thriller à mi-chemin entre le polar noir et la peinture sociale interroge sur plusieurs excès du monde de l’entreprise et de la société moderne.
La question de l’âge et du travail des séniors est ici la pierre angulaire de l’histoire, mettant en avant la réelle difficulté de retrouver un travail après cinquante ans : selon un rapport de la Cour des Comptes en 2019, plus d’un tiers des demandeurs d’emploi de 50 ans ou plus (37,8%) l’étaient depuis plus de 2 ans, contre 22,3% de l’ensemble des demandeurs d’emploi. Les conséquences économiques et sociales d’une telle situation (perte de pouvoir d’achat, exclusion de la société de loisirs, difficultés à rembourser des emprunts, etc.) entraînent immanquablement des conséquences psychologiques, dont la manifestation la plus visible est la dépression.
Au départ, Alain Delambre manque de confiance en lui et s’imagine qu’il n’aura pas les capacités d’aller au bout du processus de recrutement. Pourtant, c’est justement la vulnérabilité qu’il dégage, liée à son état dépressif, qui attire le cabinet de recrutement et le fait accéder à la dernière étape avant d’obtenir le poste tant convoité : la simulation d’une prise d’otage.
Pour mettre toutes les chances de son côté et réussir son objectif, il va engager un ancien policier un peu caricatural qui va l’initier aux méthodes utilisées par les preneurs d’otage, et enquêter sur les cadres qui feront l’objet d’une évaluation lors de la fameuse simulation. L’objectif, connaître des détails de leur vie privée qui serviront à faire pression sur eux lors de l’interrogatoire, et être ainsi mieux préparé à cette épreuve que ses concurrents.
Si l’ensemble peut parfois paraître un peu surréaliste, le fait de pousser à l’excès certains traits de caractère des protagonistes reste un ressort narratif qui met bien en lumière les dysfonctionnements d’un certain capitalisme et d’une mondialisation malheureuse. Le personnage du PDG de la multinationale qui va organiser la fausse prise d’otage, Alexandre Dorfmann, cynique et froid (très bien interprété par Alex Lutz), incarne ainsi à merveille une technocratie intimement liée au monde politique de plus en plus rejetée par une population en souffrance. Sans pitié, celui-ci n’hésitera pas à laisser plus de mille salariés sur le carreau dans une usine du nord de la France en robotisant celle-ci, afin de rester compétitif sur un marché extrêmement concurrentiel où la recherche du profit passe avant tout.
Jusqu’où peut-on aller?
Les cadres qu’il va falloir départager pour définir qui devra accomplir le sale boulot, quant à eux, vont se montrer à la fois veules, lâches et individualistes. Leurs défauts et leurs personnalités respectives auraient peut-être gagnéà être un peu plus creusés, mais cela ne retire rien à la démonstration.
Tiraillé entre sa volonté de retrouver du travail et le dégoût que peut lui inspirer la mécanique dans laquelle il se retrouve, Alain Delambre va peu à peu tomber dans une spirale de violence et remettre en question ses certitudes, livrant au passage une critique acerbe du système qui l’a entraîné à de telles extrémités. On peut également voir là une réflexion intéressante sur les méthodes de management parfois douteuses de certaines entreprises. En effet, ce qui a en partie inspiré Pierre Lemaître (en plus d’être l’auteur de Cadres noirs, il est aussi le scénariste de la série) est un fait divers survenu en 2005. Le directeur général de France Télévision Publicités avait organisé une fausse prise d’otage durant un séminaire. Si ce cas précis est bien entendu exceptionnel par sa gravité, il ne faut pas oublier que le management par le stress reste une réalité dans bien d’autres endroits…
Réalisée par Ziad Doueiri, déjà à la manœuvre sur Baron Noir, cette série prenante a le mérite de poser une question qui risque d’être particulièrement d’actualité au regard de la crise économique que le coronavirus nous promet : que serez-vous prêt à faire pour exister sur le marché du travail ?
Dérapages, six épisodes, visibles sur arte.tv
Ou sur le canal 7 les 23 et 30 avril à 20h55.
Un des grands noms du monde des lettres belges est mort le 12 avril d’une crise cardiaque dans le taxi qui le menait à l’hôpital.
Triste nouvelle en ce lundi de Pâques : le cœur de Jacques De Decker s’est arrêté de battre. Une figure tutélaire des Lettres belges, ô combien amicale, si attentive à ses cadets dont beaucoup lui doivent tant, s’efface. Enthousiaste, généreux, présent sur tous les fronts, Jacques De Decker aura, des décennies durant, incarné et défendu les Lettres belges, tant flamandes que romandes, car ce germaniste, formé à l’Université de Bruxelles par les plus grands – comme Henri Plard, le traducteur d’Ernst Jünger – connaissait sur le bout des doigts les langues et les littératures françaises, néerlandaises et allemandes.
Né en 1945 dans une famille d’artistes, son père était peintre connu, il fonda avec des amis, à dix-huit ans, le fameux Théâtre de l’Esprit frappeur. Dramaturge, traducteur et adaptateur, l’infatigable Jacques De Decker marqua le théâtre belge de sa lumineuse présence. Touche-à-tout, d’une intelligence et d’une culture phénoménales, mais aussi et surtout d’une sensibilité hors du commun, l’homme, qui se définissait comme « un ciseleur de textes » et comme « un artisan », fut présent sur tous les fronts : professeur, critique littéraire, romancier (son roman La Grande Roue, publié chez Grasset, eut des voix au Goncourt), biographe (un Wagner et un Ibsen chez Gallimard), traducteur, directeur de revue (Marginales), éditeur et directeur de collections (entre autres à L’Age d’Homme, avec son ami Jean-Baptiste Baronian), animateur littéraire (il a interrogé tout ce qui compte en littérature depuis cinquante ans) ; cet amateur de Gracq et de Simenon, coiffa aussi la casquette institutionnelle en devenant rapidement Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises.
Il y a moins d’un an, la mort de son frère Armand De Decker, ancien ministre qui fit l’objet d’une campagne assassine dans le cadre du Khazakgate, le frappa au cœur. Quelques mois plus tard, il quittait volontairement son poste à l’Académie pour préparer le centenaire de cette institution. Nul doute que ces deux événements l’ont touché au plus intime. Ces derniers jours, il relisait Simenon et souhaitait aux amis de bonnes Pâques, « malgré tout ». Cet homme délicieux, amateur de whisky irlandais et mélomane averti, était aux antipodes de toute forme de sectarisme ; homme d’influence et même de pouvoir, il aura pourtant sacrifié son œuvre à la vision qu’il avait du service rendu à la littérature comme à ses confrères. Terrible perte, vide béant, absence cruelle. Sit tibi terra levis !
Un bolsonariste considère l’esclavage comme « bénéfique aux Afro-descendants »
Au Brésil, on ne plaisante pas avec l’esclavage. Nommé à la tête de la Fondation Palmares, une organisation chargée de promouvoir les valeurs culturelles, historiques, sociales et économiques de la société noire au Brésil, Sergio Camargo en a fait l’amère expérience. Quelle mouche a donc piqué ce bolsonariste au teint chocolat et descendant d’esclaves affranchis à la veille de la chute de la monarchie en 1889 pour qu’il déclare sur les réseaux sociaux que l’esclavage avait été « bénéfique pour les Afro-descendants » ? Suspendu de ses fonctions à la fin de l’année dernière, ce « Noir de droite » revendiqué a finalement été réintégré courant février sur décision de la Cour suprême.
A lire aussi: Covid-19: Bolsonaro condamné au confinement
Réjoui par son retour en grâce, Camargo a brocardé le « racisme Nutella » qui bloque tout débat au Brésil, ajoutant que « les Noirs se plaignent parce qu’ils sont stupides et mal informés par la gauche ». S’agaçant des quotas de Noirs que la gauche a imposés dans l’administration avant l’arrivée au pouvoir du président Jair Bolsonaro, se disant « anti-victimaire et ennemi du politiquement correct », Camargo invite les artistes noirs qui l’exècrent à « rester au Congo » ! Alors que l’AFP le qualifie de « négationniste du racisme », la professeure d’histoire brésilienne à l’université Howard de Washington, Ana Lucia Araujo, dénonce dans sa nomination « une tentative de détruire ce qui a été conquis par les Afro-Brésiliens et les mouvements noirs brésiliens depuis la fin de la dictature militaire ». Un Noir suspecté de saper les droits de sa communauté, cela s’appelle un « native informant » en langage indigéniste. Un concept substantiellement bien plus raciste que toutes les provocations réunies de l’équipe Bolsonaro.
Discriminer les personnes âgées en les excluant du déconfinement du 11 mai est une idée hallucinante. Il faut au contraire investir sur les vieilles générations méprisées.
L’idée que 18 millions de personnes, pour l’essentiel des « personnes âgées » auraient pu être discriminées et ne pas faire partie des déconfinés du 11 mai est hallucinante. Heureusement, l’iniquité, pour ne pas dire l’aberration d’une telle perspective a été vite dénoncée par plusieurs personnalités, des pétitions ont été lancées, et la raison a finalement prévalu. Néanmoins, qu’une telle disposition ait pu être envisagée en dit long sur la représentation que la société se fait de ses anciens. Comment donc une telle image s’est-elle constituée ?
Bourdieu affirmait en 1978 « la jeunesse n’est qu’un mot ». On peut en dire autant de la vieillesse ; d’abord, comme pour la jeunesse, il est bien difficile d’en fixer le seuil ; mais surtout, les situations des personnes âgées sont tellement diverses, tant du point de vue médical que du point de vue social, que plusieurs images de la vieillesse s’opposent. Pourtant, en fonction des circonstances, des intérêts, économiques ou politiques, et des positions personnelles, la tendance à la réduction de l’ensemble à une seule de ces images s’impose souvent. Et c’est bien ce qui vient de se passer dans cette velléité d’appliquer une mesure d’âge au déconfinement.
En fait, il y a trois images de la vieillesse.
La vieillesse méprisée
La première correspond à une réalité triste et bien connue ; c’est la vision misérabiliste qui domine aujourd’hui en France. Elle se confond avec la notion de dépendance ; c’est celle des pensionnaires des EHPAD. Derrière une façade de proclamations compassionnelles, ou d’affirmations creuses de solidarité, c’est bien de mépris dont est victime cette vieillesse-là, et les conditions honteuses qui lui ont été infligées dans cette crise en sont une démonstration irrécusable.
Elle est méprisée du fait qu’elle est ravalée à sa seule dimension économique ; autrement dit que l’assistance qui lui est due est réduite à la question de son coût : problème du financement de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), dépenses médicales liées aux personnes âgées, coût des assurances maladies, etc… L’idée maussienne de contre-don, à savoir que la société se doit de rendre en termes de soins aux vieux ce qu’ils lui ont apporté, en termes économiques, mais aussi politiques, militaires, sociaux, culturels, spirituels est absente. Autrement dit, l’idéal d’une authentique solidarité entre générations ne fonctionne pas.
Cette réduction à l’économie explique la désintégration des services publics et l’application de critères marchands à la gestion du secteur de la santé, depuis quelques décennies. En quarante ans, le nombre de lits est passé de 11 à 6 pour 1 000 habitants ; sur les seules six dernières années, 17 500 lits de nuit ont été supprimés. Les vieux deviennent des « clients » pour les EHPAD, Orpéa, Korian, ou DomusVi, dont le tarif mensuel médian est proche de 2000 euros, et peut monter jusqu’à plus de 3000 euros, offrant de confortables marges de profit, de l’ordre de 5% à 7%.
La gestion économique conduit à la rationalisation, c’est-à-dire à la réduction au minimum du personnel, dont le dévouement n’est bien-sûr pas en cause… Les cas de maltraitance, complaisamment répercutés par les médias, sont très rares ; si maltraitance il y a, elle est organisationnelle, générée par le système. Le manque de personnel conduit à des pratiques indignes, comme imposer les serviettes absorbantes à des personnes qui ne sont pas incontinentes..
Ces vieux-là sont néanmoins appréciés dans la mesure où ils constituent un marché, notamment pour les compagnies d’assurance, qui vendent aux personnes âgées des produits spécifiques liés à la dépendance. Ils le sont aussi, en offrant un « gisement d’emploi » pour les emplois à domicile ou le personnel de ces établissements. Ils sont aussi l’occasion d’investissements prometteurs dans les nouvelles technologies. Des start-up entrent sur le marché pour proposer des sols capteurs de chute, ou des véhicules électriques.
Dans cet esprit, la seule solution envisagée pour remédier au sentiment croissant de solitude des personnes âgées (1/3 des plus de 60 ans disent l’éprouver) est celle de leur connexion à internet. On compte aussi sur l’introduction dans les établissements de soins des robots, comme « Nao », pour déjouer cette solitude. Cette évacuation du devoir de solidarité au profit des techniques de communication est une insulte à nos anciens.
Quant à ceux qui ont choisi, ou pu rester à domicile, ils peuvent toujours compter sur les visites des facteurs recyclés. Si vous croyez que la convivialité ne peut pas s’acheter, c’est que « ya pas marqué La Poste » .
L’assimilation de tous les plus de 65 ans à cette vieillesse-là est la seule explication possible de cette idée saugrenue, heureusement abandonnée, de les laisser tous confinés après le 11 mai. Il est deux autres façons de se représenter la vieillesse, dont la dernière est pourtant largement occultée.
La vieillesse dorée
La seconde image est celle de la vieillesse dorée. Elle est constituée pour l’essentiel par la génération des baby-boomers, qui ne sont déjà plus des « jeunes retraités ». On les qualifie de « séniors » pour éviter le terme « vieux », considéré – on le comprend vu la première image – comme stigmatisant. Cette catégorie-là est sommée d’avoir recours à tout ce que lui propose la société de consommation pour repousser l’indésirable vieillesse ; être vieux est devenu une pathologie, ou plus simplement, une faute de goût. Elle est sous l’emprise des marchés, et constitue la « silver économie », le graal à conquérir, en passe de devenir un secteur moteur du développement. Les marques jouent sur ce registre de la jeunesse perpétuelle : leurs achats de chaussures de sport augmentent trois fois plus vite que le rythme moyen. Les croisières s’amusent grâce à eux : ils constituent le tiers de leur clientèle. Ils sont souvent férus d’automobile ; plus de la moitié des voitures neuves sont achetées par des plus de 55 ans ; les Citroën sont privilégiées, et les Renault ou Peugeot préférées aux Dacia.
Mais c’est aussi une vieillesse critiquée, culpabilisée, vilipendée, en bute à toutes sortes de ressentiments. Les médias ne cessent de révéler que son niveau de vie est équivalent, voire un peu supérieur à celui des actifs. Ils sont caricaturés de façon typique dans le film récent « Tanguy le retour », d’Étienne Chatiliez. Jouisseurs, égoïstes, passant leur vie sur les terrains de golf, dans les clubs de bridge, dans les voyages organisés de luxe, et dans les réunions festives arrosées entre amis.
Un rapport du conseil des prélèvements obligatoires de novembre 2008 annonçait la voie à suivre pour corriger cela: «les plus de 65 ans bénéficient à la fois d’un niveau de vie, au sens large, supérieur aux ménages et individus plus jeunes, et d’un niveau d’imposition plus faible», laissant prévoir des ajustements. Le rapporteur général se nommait Emmanuel Macron. Ces «ajustements», on s’en souvient, ont été opérés de façon vigoureuse dans la première phase du quinquennat : hausse de la CSG et projet de désindexation des pensions de l’inflation. Ils ont buté sur le mouvement de contestation des «gilets jaunes» qui a suivi, et ils ont conforté l’image de «Président des riches».
Plus récemment, cette «génération dorée» est devenue la cible d’une sorte de réquisitoire latent, avec l’apparition du mouvement «OK boomer». Cette expression a d’abord circulé sur les réseaux, notamment TIk Tok, avant d’être transformée en étendard par une députée néozélandaise de 25 ans qui l’a utilisée pour clouer le bec d’un opposant d’âge mûr lors d’un débat parlementaire. L’expression est depuis communément entendue lors des marches pour le climat et lors des grèves étudiantes, convergeant avec les anathèmes de Greta Thunberg. En plus de ses supposés avantages et de sa situation enviée, elle est tenue pour globalement responsable par la « génération Z » de tous les dérèglements dont nous subissons les conséquences : les dettes publiques, le coût des études, le prix de l’immobilier, la guerre d’Irak, la précarisation des emplois, la récession de 2008, et, bien-sûr, le réchauffement climatique… Par-dessus-tout, c’est d’avoir gardé un peu partout les rênes du pouvoir qui lui est reproché.
Cette image, congruente avec le jeunisme ambiant, offre une autre façon d’expliquer la mesure évoquée au début: n’avait-elle pas une dimension punitive ?
La vieillesse engagée
La troisième vieillesse en fait, n’a pas vraiment d’image claire. Pourtant elle existe. C’est la vieillesse engagée.
Elle est d’abord une vieillesse citoyenne ; son taux de participation à toutes les élections est plus élevé que la moyenne (voir par exemple les taux de participation par âge aux élections présidentielles de 2017). Elle a bien moins déserté les partis politiques que les plus jeunes ; elle est même très partante quand un nouveau parti tente de se lancer (Nouvelle Donne, Place Publique…).
Elle est présente dans les conseils municipaux nettement plus que les autres catégories d’âge.
L’adhésion aux associations progresse avec l’âge et culmine entre 60 et 75 ans. 48% des présidents d’association sont des retraités. Elle forme le tiers des troupes du bénévolat.
Ces séniors ont été en première ligne des combats environnementaux, et parfois avec succès, comme en ce qui concerne; la préservation de la couche d’ozone. C’est eux qui ont initié le mouvement écologiste : Greenpeace a été fondé en 1971, le WWF en 1961, le parti vert français en 1984.
Cette catégorie porte la vie culturelle ; les plus de 50 ans apportent à la presse et à la culture plus de la moitié de leurs revenus. Sans elle les musées péricliteraient, et les expositions ressembleraient à ce qu’elles sont en période de confinement ; ils font largement vivre les orchestres symphoniques des grandes villes, dynamisent l’ensemble de la vie culturelle, et permettent aux universités populaires d’exister.
En fait, ces deux dernières composantes (vieillesse dorée et vieillesse engagée) se recoupent partiellement. Beaucoup de séniors relèvent probablement de l’une et de l’autre. Mais dans le procès qui lui est fait, réduisant l’ensemble de la vieillesse aux séniors consuméristes, et dans le mépris dont la mesure évoquée au début est le signal, on voit bien que cette dimension citoyenne, culturelle et sociale des vieux est rarement évoquée. C’est pourtant elle qui nous indique la voie à suivre pour l’ensemble de notre société.
C’est dans l’action collective que se bâtissent les véritables solidarités, plutôt que dans des émissions de télévision dédiées aux causes caritatives ; la fraternité ne se construit pas par des incantations ; elle implique d’agir ensemble, vers un but commun, au lieu de passer sa vie le dos courbé au-dessus de l’écran de son smartphone.
Comment tempérer la frénésie de consommation de nos concitoyens, sinon en offrant d’autres objectifs à leur activité ? Or, la culture induit le goût de la lecture, de la contemplation et de la création artistique, toutes choses qui nourrissent des conversations plus épanouissantes que l’énumération triomphante des pays visités, lors de ses voyages organisés, ou des discussions sur les performances autoroutières de son 4X4.
Assister à un spectacle vivant ouvre bien plus d’horizons que le visionnage sans fin des séries, la traque sur internet des vidéos humoristiques, ou l’écoute distraite de la musique en streaming.
De telles réorientations de nos énergies sont de nature à permettre la réorientation de notre économie vers des secteurs moins polluants, la production vers des objets plus durables, et offrent l’espoir d’échapper à l’emprise des marques.
Enfin, et surtout peut-être, un vrai désir d’engagement, et une vraie conscience citoyenne sont les conditions nécessaires d’un renouveau d’une authentique démocratie.
Puisqu’il est envisagé de reconstruire, après le désastre, notre société et notre économie sur d’autres bases; comment ne pas voir que c’est précisément ce style de vie de la troisième vieillesse qui devrait servir de modèle à l’ensemble de la société ? Les valeurs qui l’animent, les secteurs vers lesquels s’oriente leur activité sont de nature à rafistoler le tissu social qui en a bien besoin.
En d’autres termes, c’est cette vieillesse là qui devrait être notre avenir à tous.
Alors que le monde est confronté à la pandémie du Covid-19, les rivalités se sont renforcées depuis la mi-mars entre la Chine et l’île de Taïwan.
Le 27 mars dernier, le président Trump signait le « Taipei Act » (Taiwan Allies International Protection and Enhancement InitiativeAct of 2019), visant à renforcer les liens entre son pays et Taïwan. Par cette loi, le gouvernement américain s’engage sur deux points vis-à-vis de Taïwan : d’une part il plaide pour l’adhésion de l’île aux organisations internationales où le statut d’État n’est pas nécessaire, ainsi que pour l’octroi du statut d’observateur auprès d’autres organisations ; d’autre part, le gouvernement américain renforce son engagement économique, sécuritaire et diplomatique auprès des pays revalorisant leurs relations avec Taïwan et le diminue pour les pays prenant des mesures visant à affaiblir l’île.
Cette loi intervient dans un contexte de fortes tensions entre l’île autonome et son allié américain, et la République populaire de Chine (RPC). En effet, depuis la réélection triomphante en janvier 2020 de la présidente Tsai Ing-wen, membre du parti pro-indépendantiste Democratic Progressive Party (DPP), Taïwan fait face à une accentuation des actions militaires de Pékin. Ainsi, le quotidien South China Morning Post relevait que des avions militaires chinois effectuaient des exercices à proximité de l’île les 9, 10 et 28 février, obligeant l’intervention d’avions de chasse taïwanais pour les disperser. Le 16 mars dernier encore, un navire-garde-côtes taïwanais était endommagé par des « pêcheurs chinois » tandis que des appareils chinois s’entrainaient à nouveau le même jour dans cette zone.
En réaction, les États-Unis envoyaient deux bombardiers B-52 au large de la côte est de l’île, tandis qu’un avion de transport survolait le détroit de Taïwan. Parallèlement, la VIIe flotte américaine effectuait le 19 mars des essais de missiles à balles réelles dans la mer des Philippines, afin de montrer qu’elle pouvait répondre aux nouveaux missiles chinois (le « tueur de porte-avions » DF-21D et l’antinavire DF-26). De son côté, Taïwan organisait le 24 mars sur toute l’île, des exercices militaires baptisés « Lien Hsiang ». Ces entrainements de grande échelle impliquant l’armée de l’air, de terre et la marine, comprenaient notamment un exercice visant à repousser une force d’invasion. Enfin, le 25 mars, le destroyer de missiles guidés américain McCampbell traversait le détroit de Taïwan, amenant le porte-parole du ministère chinois de la Défense nationale, le colonel Ren Guoqiang, à qualifier au lendemain ce transit de « dangereux » et rappelant que « Taïwan fait partie intégrante de la Chine ».
Une île ballottée par la diplomatie américaine
Ces tensions entre la Chine et Taïwan trouvent leur origine à la fin de …
Une tribune de Jérôme Rivière, député européen (Identité et démocratie), membre de la commission Affaires étrangères, Sécurité Défense, et de Louis Aliot, député (RN) des Pyrénées orientales et membre de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale
Un grand quotidien allemand a révélé jeudi 16 avril que l’Allemagne allait commander 45 avions de combat aux États-Unis.
Cette décision de remplacer les anciens Tornado de la Luftwaffe (un avion de combat développé par l’Italie, le Royaume-Uni et l’Allemagne et mis en service dans les années 1980, capable de porter des munitions nucléaires air-sol de fabrication américaine) par une flotte mixte américano-européenne est très révélatrice des profondes et réelles tendances de l’État allemand. Elle constitue une rupture, l’avion européen Tornado étant remplacé par un avion américain.
Berlin est anti-nucléaire avec Paris et pro-nucléaire avec Washington
Elle met en évidence le choix de l’Allemagne d’être le premier serviteur zélé de l’OTAN.
La décision – empressée – d’acheter à Boeing 45 F-18 (30 Super Hornet Block III et 15 Growler), via le système FMS (Foreign Military Sales), un contrat d’État à État, témoigne de la volonté de Berlin de demeurer fidèle envers et contre tout, même au détriment des accords de coalition CDU/SPD, à une mission stratégique de l’Alliance.
La solution américaine est lourde sur les plans financier, diplomatique, industriel, et de ce fait, pèse beaucoup plus lourd que la décision d’acheter l’Eurofighter européen, chargé seulement de missions de surveillance, et donc incapable de porter des munitions nucléaires.
En une phrase: pour Berlin, l’OTAN pèse plus que l’Europe de la défense.
Ce n’est pas une surprise, mais une confirmation que le dialogue franco-allemand sera toujours subordonné au lien transatlantique. Paris doit donc, plus que jamais maintenir son indépendance militaire pour avoir les mains libres.
L’obsession de Berlin de continuer à remplir cette mission nucléaire, en dit aussi long sur le double langage allemand dans le domaine de la dissuasion… L’Allemagne est méprisante vis-à-vis de la force de frappe française qu’elle considère comme un hochet de prestige de puissance dépassée mais… devient intéressée quand il s’agit d’en être un acteur (même sous tutelle complète américaine). Berlin est anti-nucléaire avec Paris et pro-nucléaire avec Washington. Là aussi, ce n’est pas une surprise mais une confirmation. Et une bonne raison supplémentaire pour Paris de cesser tout dialogue européen sur cette extravagante et impossible mutualisation de sa force de frappe, pour se concentrer sur le renouvellement de sa dissuasion à son seul profit !
Enfin, notons que l’Allemagne commande quatre types d’appareils (Super Hornet, Growler, EF-2000 Tranche 3 et 4, voire cinq) pour une mission nucléaire non permanente (déployée au cas où les États-Unis le décident), là où la France n’a besoin d’aligner qu’un seul modèle pour garantir en toutes circonstances la pérennité d’une dissuasion intégralement nationale : le Rafale polyvalent des FAS et de la FANU. C’est l’illustration du bien-fondé de notre choix du Rafale dont la polyvalence permet des économies et dont l’évolution par standards successifs, en garantit l’évolution jusqu’en 2050. C’est enfin la confirmation du mauvais choix qu’a représenté l’EF-2000 pour les armées de l’air clientes, obligées de compléter leur flotte avec des avions américains, scellant ainsi leur totale dépendance diplomatique, industrielle et technologique envers les États-Unis, via l’OTAN.
Cette décision allemande prouve une fois de plus que l’Europe de la Défense est une chimère. Les Nations doivent à tout prix conserver leurs pouvoirs régaliens. La grave crise sanitaire que nous vivons a fini de le prouver.
Notre-Dame des touristes ou Notre-Dame des fidèles, à vous de choisir!
Dans une tribune du 15 avril au titre tonitruant « Michel Pastoureau : il faudrait déconsacrer (entendez désacraliser) Notre-Dame et la transformer en musée », le quotidien La Croix donne la parole, à trois spécialistes, sur l’avenir de la cathédrale, au moment où se pose, avec sa reconstruction, la question de « la cohabitation » des touristes et des fidèles. Et l’article de prêter au fameux médiéviste Michel Pastoureau la proposition iconoclaste qu’on vient de lire.Aussitôt le monde des médias s’enflamme. Ce ne sont que réactions indignées voire agressives sous la plume de journalistes patentés. Un professeur éminent d’histoire antique va même jusqu’à moucher son confrère. Eh quoi ! À aucun moment, journalistes et lecteurs n’ont pensé à l’ironie de la part de cet éminent médiéviste qu’est Michel Pastoureau, connu de tous, et catholique pratiquant ? La réponse, hélas, est non.
Étonné de ces réactions violentes, Michel Pastoureau a fait hier une mise au point relayée par La Croix où il s’étonne — il y a de quoi !— des réactions de ses lecteurs devant un texte pas compris. « Mon texte a-t-il été lu » ? s’interroge-t-il. Ou seulement le titre qui dit le contraire de sa pensée ? « Suis-je devenu sénile ? » Que Michel Pastoureau se rassure : son texte n’a pas été lu mais seulement un titre qui rend compte du contraire de la pensée de l’historien. Car imaginer que le texte n’ait pas été compris serait offenser l’intelligence des lecteurs.
Bis repetita…
On se souvient de la polémique (le mot est à la mode) au lendemain de l’émission où Alain Finkielkraut, exaspéré par le féminisme agressif d’intervenantes, dont Caroline de Haas, lance la phrase fameuse : « Violez ! Violez ! Et moi, je viole ma femme tous les soirs ».Le Web s’enflamme. Tout le monde de réclamer justice contre ce féminicide. Encore heureux, ai-jeécrit dans un article de Causeur, qu’il n’ait pas ajouté : « Et ma femme adore ça ! » De même, Michel Pastoureau « prônerait » l’exode des catholiques, afin de livrer le vaisseau de la cathédrale aux flots incessants de touristes aux tenues décontractées ? On connaît le texte fameux de Montesquieu sur « l’esclavage des nègres » modèle de l’antiphrase dont l’ironie cinglante devait faire réagir contre la traite négrière : ce texte serait aujourd’hui censuré par les associations de défense des droits de l’homme.
Michel Pastoureau dit avoir usé de l’antiphrase « pour mieux exprimer sa colère contre le tourisme de masse et son rituel imbécile de photographier tout, n’importe quoi, n’importe comment. » Il dénonce la main mise « d’autorités de tutelle qui ignorent ce qu’est la foi, le culte, la prière » et « semblent jouer les touristes contre les fidèles. » Est-il normal, en effet, que d’un car débarque, les jours de Semaine sainte, un flot de touristes exotiques dont la forêt d’écrans au bout de leurs bâtons empêche les fidèles de participer à l’office, par leur invasionbruyante et irrespectueuse ?
Le 22 avril, la Croix fait « une mise à jour » : « Michel Pastoureau souhaite apporter des précisions » sur ses propos. Il ne s’agit pas de précisions mais d’un titre fautif du journal. Cette histoire doit nous mettre en garde contre les lectures hâtives que nous faisons des textes et des articles.
Quant à la langue de Voltaire, si elle se contente de donner des ordres : « Restez chez vous, ne pensez plus, prenez soin de vous », le président Macron aura eu raison : on sera vraiment passé, en France, d’un monde à un autre.
L’esprit des Lumières dont on se gargarise, c’est en premier, l’ironie, parce que l’ironie est une arme contre l’idéologie, le fanatisme et la bêtise. Il est étonnant que cette ironie — la marque de fabrique de l’esprit français — se soit retournée si vite et inconsidérément contre un historien éminent qui l’a maniée de façon si claire afin d’exprimer sa colère et nous faire réagir. L’ironie serait-elle devenue, décidément, le sens interdit de la pensée française ?
Retour sur l’actualité confinement-people du moment, avec Thomas Morales et un peu de mauvais esprit…
Y-aura-t-il un nouveau monde d’après ? On peut en douter. Excepté le retour des « Figolu » dans nos placards, signe d’une société plus équitable et responsable, les bouchons devant les McDrive rouverts s’allongent. L’irrésistible appel de la sauce barbecue réveille la France périphérique dans la nuit.
L’industrie du divertissement piaffe
Masqués, gantés, tapis dans leurs voitures, des heures durant, ils patienteront et ne craqueront pas à quelques mètres du roi du hamburger. Qui sommes-nous pour juger un peuple confiné qui s’ennuie et qui a faim ? Pendant que les acheteurs s’impatientent, les vendeurs pestent, la machine économique bout, elle compte les jours, les minutes, les secondes, une vraie cocotte. Chaque matin, les bars refont leurs caisses, désespérément vides, et ce rideau de fer qui restera toujours baissé après le 11 mai. Pour ne pas perdre la main, les coiffeurs s’exercent au « air-coiffure » que les anglais désignent sous le nom de «air-hair », on dirait un groupe pop des années 1980. Le monde d’après a déjà un parfum de naphtaline. Tous les acteurs économiques dépriment et se rappellent cette maxime du prophétique Serge Benamou (José Garcia dans La Vérité si je mens) : « Mais putain, sans déconner, merde, on est en train de faire du Business ». Tous les « people », ces autres commerçants, entrepreneurs de leur propre personne, défiscalisés lusitaniens, sont dans les starting-blocks.
L’industrie du divertissement piaffe, la billetterie tourne à vide, les musicos grattent dans leur salle de bain, les chanteurs vocalisent sur les balcons, tous ces artistes ou affiliés ont tellement besoin de s’exprimer, de communier avec leur public, oui, de partager leurs émotions, c’est qu’ils sont sensibles à la détresse humaine. Derrière l’artiste, il y a un cœur qui bat, peut-être même, une conscience citoyenne. Ils aimeraient tellement pouvoir aider l’hôpital, les éboueurs, les caissières, les livreurs et même les policiers. Ils veulent se rendre utiles à la Nation. Ils ont le désir d’agir. C’est louable et nous les remercions sincèrement. Ce don de soi, cet altruisme sanitaire, ça m’émeut presque si je n’avais pas aussi mauvais esprit. Je suis le genre de type, pessimiste par plaisir, adepte du verre à moitié-vide, coupeur en quatre, toujours à renâcler quand toute la tablée s’amuse.
Conteurs, blagueurs et chanteurs confinés
Alors, je m’interroge sur cet activisme, cette frénésie de visibilité, cette présence quasi-quotidienne en FaceTime, cette nécessité aussi de faire des phrases comme disait Audiard ne concerne pas seulement les marins. Les « grands » acteurs n’ont pas résisté à la tentation de la lecture, à la veillée. Nous les appellerons les conteurs du Covid-19. Sous une lumière souffreteuse, dans leur cuisine ou à leur bureau, des casseroles ou des livres derrière eux, ils récitent, pénétrés par l’atmosphère de la ville endormie, certains chantent, même les comiques tentent une blague à la sauvette. Je me moque, et je les comprends aussi. Une carrière, c’est fragile comme de l’organdi, ils ont mis parfois des années à en arriver là, à toucher du doigt cette célébrité, à construire patiemment les fondations de leur petite entreprise, à fidéliser une clientèle. Et un virus « saisonnier » détruirait tout ça, leur maison de maçon et leur image en béton armé. La France a peur et ils ont la trouille légitime qu’on les oublie. Qu’y-a-t-il de pire qu’un chanteur abandonné ? Ils savent que les métiers du paraître sont terribles, fugaces par nature, versatiles par mode. Alors, ce n’est pas un Covid-19 qui mettra un terme à leur carrière. Ils s’accrochent. Ils ne veulent pas éteindre la lumière, ni couper le son. Ils gesticulent pour clamer : « On est là, cher public, avec vous ! ». Peut-on leur reprocher cette réaction ? Cet instinct de survie professionnelle nous anime tous en ce moment.
Dans le monde d’avant, chacun de nous marchandait déjà sa vie, l’exposait sur les réseaux sociaux pour en retirer un quelconque profit, jouait des coudes pour briller, pour attirer l’attention, pour capitaliser un peu sur sa personne, à la fois producteur et consommateur, dans un mouvement perpétuel d’individualisme forcé. Rien ne dit que le monde d’après sera moins sauvage pour l’égo.